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table des matières de l'œuvre DE DÉMOSTHÈNE

 

 

DÉMOSTHÈNE

 

ONZIÈME PHILIPPIQUE.

 

LETTRE DE PHILIPPE - RÉPONSE A CETTE LETTRE

texte grec

 

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125 XV.

ONZIÈME PHILIPPIQUE.

INTRODUCTION.

Pendant les sept années écoulées depuis qu'il avait, pour la seconde fois, conclu la paix avec les Athéniens, Philippe n'avait cessé d'étendre et de fortifier sa puissance. Encore un effort heureux, et il devenait maître du Bosphore et de la navigation de la mer Noire. Son dessein était connu : il fallait se hâtre de le déjouer. Il était encore en Thrace avec son armée lorsque Athènes, excitée par des circonstances favorables, se jeta sur le plus proche rempart de la domination macédonienne, l'Eubée, et chassa les garnisons étrangères et les tyrans établis par Philippe. Cet échec n'empêcha pas le conquérant de continuer le siége de Périnthe. Cette ville, qui domine la Propontide, fit une vigoureuse défense. Alarmé des progrès du Macédonien, le roi de Perse envoie aux Périnthiens des secours de toute espèce; des auxiliaires de Byzance accourent dans leurs murs. Philippe alors divise ses forces, et en emploie une partie à bloquer Byzance elle-même. C'était se venger d'Athènes, qui tirait presque tous ses blés de cette ville. Les Athéniens tentent alors de sérieux efforts. A la voix de Démosthène, les colonnes du traité de paix et d'alliance sont détruites, on équipe une flotte et une armée (a) : mais l'expédition échoue, parce qu'elle est confiée à Charès, corsaire terrible seulement aux amis de sa patrie. Phocion, qui le remplace, rétablit la gloire de la marine athénienne : soutenu par les Rhodiens et d'autres insulaires, il force Philippe à lever le double siége, lui enlève plusieurs de ses eonquétes dans la Chersonèse, et refoule encore une fois les Macédoniens loin des côtes de l'Hellespont (b) (l. cx, 1; 340).

Un peu avant ces derniers succès des Athéniens, Philippe leur écrivit la lettre suivante (c) :

[1] Puisque, malgré les fréquentes ambassades que je vous ai envoyées pour le maintien de nos serments et de nos conventions, vous n'avez nullement tourné votre attention de ce côté, j'ai cru devoir vous mander sur quels points je me crois lésé (01). Ne vous étonnez point de la longueur de cette lettre : mes griefs sont nombreux, et il est indispensable que, sur tous, je m'explique nettement.

[2] D'abord, lorsque Nicias, mon héraut, fut enlevé sur les terres de ma domination, loin de punir les coupables comme vous le deviez, vous avez détenu leur victime pendant dix mois, et fait lire, à la tribune, les lettres que nous lui avions confiées (02).

Ensuite, quand les Thasiens accueillaient les trirèmes de Byzance et tout pirate qui le désirait, vous fermiez les yeux sur les traités où sont déclarés ennemis ceux qui agiront de la sorte.

[3] De plus, vers la même époque, Diopithe se rua sur mes Etats, vendit, chassa les habitants de Crobylé et de Tiristasis, ravagea la Thrace, contrée voisine, poussa enfin l'iniquité jusqu'à saisir Amphiloque, négociateur du renvoi des captifs, jusqu'à le forcer, par les plus horribles tortures, à se racheter pour neuf talents : exaction commise avec le bon plaisir d'Athènes. [4] Cependant, attenter à la personne d'un héraut, d'un ambassadeur, est un sacrilége aux yeux de tous les peuples, surtout aux vôtres. Les Mégariens avaient massacré Anthémocrite : les Athéniens indignés les exclurent des mystères, et élevèrent devant une porte de la ville une statue, monument du crime (03). Est-Il juste que vous fassiez maintenant ce qui, fait à vous-mêmes, vous a tant Irrités?

[5] Calllas, un de vos généraux (04), s'est emparé de toutes les villes situées sur le golfe de Pagases, quoique comprises dans vos serments et dans mon alliance. Ceux qui faisaient voile pour la Macédoine, il les vendait tous comme ennemis; et pour de tels actes vous lui décrétiez des éloges ! Je ne vois pas ce que vous pourriez faire de plus, si nous étions en guerre ouverte. Car enfin, lancer coutre mol des pirates, vendre les hommes qui naviguaient vers mes côtes, secourir mes ennemis, piller mon territoire, voilà ce que vous faisiez dans nos ruptures déclarées.

[6] Par surcrolt d'injustice et de haine, vous avez député au roi de Perse pour l'engager à me faire la guerre; et ici l'étonnement est au comble. Avant 126 la reprise de l'Égypte et de la Phénicie par ce prince, vous aviez décrété que, s'il tentait une nouvelle expédition, vous m'appelleriez contre lui avec tous les autres Hellènes : [7] et voilà que, dans l'excès de votre animosité contre moi vous négociez avec lui une ligue offensive ! Vos pères, ai-je appris, faisaient un crime aux Pisistratides de soulever la Perse contre la Grèce ; et vous pouvez, sans mugir, faire ce que vous avez toujours flétri dans vos tyrans !

[8] Autre grief. Vous m'ordonnez, par un décret, de laisser Térès et Kersobleptès régner en Thrace, parce qu'ils sont Athéniens. Je sais, moi, qu'ils ne sont ni compris avec vous dans notre traité de paix, ni inscrits sur les colonnes, ni citoyens d'Athènes. J'ai vu Térès combattre avec moi contre vous ; j'ai vu Kersobleptès empressé à prêter serment à part dans les mains de mes ambassadeurs, mais empêché par vos stratèges, qui le désignaient comme hostile aux Athéniens. [9] Y a-t-il impartialité, y a-t-il justice à déclarer le même homme ennemi de la république quand votre intérêt le demande, et votre concitoyen, dès qu'il vous plaît de me calomnier? à lier amitié, aussitôt après l'assassinat, avec le meurtrier de Sitalcès (05) que vous aviez fait Athénien, et à tirer l'épée contre nous à propos de Kersobleptès? Vous savez cependant bien que, parmi ceux qui reçoivent ce titre, pas un n'a souci de vos lois ni de vos décrets. [10] Abrégeons : vous avez, conféré le droit de cité à Évagoras de Cypre, à Denys de Syracuse, et à leurs descendants. Persuadez donc à ceux qui les ont chassés de leur rendre leurs États : puis retirez de mes mains les contrées de la Thrace que Térès et Kersobleptès ont possédées. Mais si vous m'inquiétez sans croire juste d'élever une seule réclamation contre les vainqueurs des deux premiers, quel droit n'ai-je pas de vous repousser? [11] Je pourrais produire à ce sujet beaucoup d'autres raisons solides : j'aime mieux les supprimer.

Quant aux Cardiens, je déclare les secourir. J'étais leur allié avant la paix; et vous n'avez pas voulu entrer en arbitrage, malgré leurs instances réitérées et les miennes. Ne serais-je donc pas le plus méprisable des hommes, de délaisser des alliés d'une foi inébranlable, pour vous soutenir, vous, mes ennemis acharnés?

[12] Il est un point que je ne dois pas omettre : ce sont les progrès de vos prétentions. Sur le fait cité plus haut, vous vous êtes bornés à des reproches; mais tout récemment, d'après les plaintes des Péparrhétiens, vous enjoignîtes à votre général de venger sur moi ces insulaires sur qui j'avais fait tomber un châtiment trop doux. Ils s'étaient saisis, en pleine paix, de l'Halonése, et ne rendaient ni la place ni la garnison que j'avais plusieurs fois réclamées. [13] Vous, aveuglés sur leurs torts, vous ne voyez que leur punition, certaine cependant que ce n'était ni à eux ni à vous que j'avais pris cette fie, mais à Sostrate, à un corsafre. Dire qu'il la tenait de vous, c'est avouer que vous y lâchez des pirates. S'il l'avait envahie malgré vous, quel tort vous ai-je fait par une conquête qui assure la navigation de ces parages? [14] Bienveillant pour votre république, je lui donnais cette île : vos harangueurs vous disaient, Ne prenez point; reprenez! Ainsi, soumis à leurs exigences, je déclarais ma possession illégitime ; refusant de livrer la place, je devenais suspect à la multitude. Instruit de ces menées, je demandai qu'un arbitre prononçât. L'île, d'après sa décision, était-elle à moi? je la donnais; à vous? je la rendais. [15] J'insistai, vous ne m'écoutâtes point; et les Péparrhétiens s'emparaient de la place. Que devais-je doue faire? ne pas châtier des parjures ? laisser impuni un outrage aussi éclatant? Mais enfin, si file dépendait de Pêparrhète, de quel droit Athènes venait-elle la réclamer? et, si elle était à vous, pourquoi ne pas vous élancer sur les usurpateurs?

[16] Quels progrès j'ai faits dans votre haine ! Voulant envoyer une flotte dans l'Hellespont, je fus contraint de la faire escorter par des troupes le long des côtes de la Chersonèse. Vos colonies, en vertu d'un décret de Polycrate, nous faisaient la guerre; vous confirmiez de pareilles décisions; votre général soulevait Byzance, et annonçait à tous qu'il avait ordre d'attaquer à la première occasion. Ainsi traité, j'épargnai la république, ses vaisseaux, ses domaines; assez fort pour tout saisir, je continuai de vous inviter à soumettre à des arbitres nos plaintes mutuelles. [17] Voyez cependant s'il est plus beau de vider un différend par les armes que par la parole; d'être juge dans sa propre cause, ou de la gagner près d'un tiers. Songez à l'inconséquence dans laquelle tombe Athènes : elle a forcé les Thasiens et les Maronites à plaider pour la possession de Strymé (06) ; et, pour trancher nos contestations, elle recourt à une autre voie ! Elle le sait pourtant : vaincue dans ce débat, elle ne perdra rien ; victorieuse, elle jouira de ma conquête.

[18] Mais voici ce qui me semble le plus étrange. Je vous ai envoyé des délégués de toute la confédération, comme témoins des conventions équitables que je voulais stipuler avec vous sur les affaires de la Grèce : et vous n'avez pas même écouté ces représentants ! C'était cependant le moyen de dissiper les alarmes de ceux qui soupçonnaient en nous des intentions hostiles, ou de montrer clairement que j'étais le plus perfide des 127 hommes. [19] C'était l'intérêt du peuple, mais vos parleurs n'y trouvaient pas leur compte ; pour eux, disent ceux qui ont l'expérience de votre gouvernement, la paix est une guerre, et la guerre une paix, parce que, défenseurs ou, dénonciateurs de vos généraux, ils en sont toujours payés ; d'ailleurs, par leurs invectives de tribune contre les citoyens les plus distingués, contre les plus illustres étrangers, ils gagnent subtilement, auprès des masses, la réputation d'excellents démocrates. [20] Il me serait facile, en jetant un peu d'or, d'arrêter leurs injures, de les convertir même en éloges; mais je rougirais qu'on me vit acheter l'amitié d'Athènes de pareils hommes.

Sans compter le reste, ils portent l'audace jusqu'à essayer de nous disputer Amphipolis. Je crois pouvoir présenter des droits bien mieux fondés que ceux qui réclament cette ville. [21] Si elle est aux premiers qui l'ont conquise, ma possession n'est-elle pas juste? Alexandre, un de mes ancêtres, s'en empara le premier (07) : témoin la statue d'or qu'il lit ériger à Delphes, comme prémices des dépouilles des Mèdes. Ce principe contesté, prétend-on qu'elle est au dernier occupant? ici encore le droit est de mon côté : car j'ai pris cette place sur ceux qui vous en ont chassés, et que Lacédémone y avait établis. [22] Succession ou conquête, voilà les seuls titres à la propriété d'une ville (08). Et vous, qui n'avez ni première occupation, ni possession actuelle, mais un très court séjour sur les lieux, vous en revendiquez une dont vous-mêmes nous avez confirmé authentiquement la propriété I Je vous al souvent écrit au sujet d'Amphipolis; vous avez reconnu nos droits ; nous avons fait la paix, et les mêmes stipulations m'ont assuré cette place et votre alliance. [23] Où donc trouver une possession plus inébranlable que celle qui a son principe dans la transmission par mes aïeux, qui a été renouvelée par mes armes, et triplée par l'assentiment d'un peuple accoutumé à disputer même ce qui ne lui appartient nullement?

Voilà mes griefs. Vous êtes les agresseurs, et ma modération vous rend plus entreprenants, plus ardents à me faire tout le mal que vous pouvez. Je vous repousserai donc, la justice sera avec moi; et, après avoir attesté les dieux, je trancherai le différend.

Suivant l'usage, cette lettre adroite fut lue au peuple. Le cri de guerre est aussitôt poussé par une partie de l'assemblée. Les amis d'Isocrate et d'Eschine, abusés ou feignant de l'être, osent de-mander si les plus grands torts ne sont pas du côté d'Athènes. Phocion arrive sur ces entrefaites. Vainqueur, il conseille la paix. Dans ce conflit d'opinions, Démosthène s'élance à la tribune.

Il ne s'arrête pas à suivre pied à pied les raisonnements de Philippe, à réfuter ses accusations. Sa lettre est une déclaration de guerre : voilà ce qu'il s'attache à prouver; puis, quand il aura enflammé le coeur des Athéniens par cette idée, il leur présentera les moyens de lutter contre leur puissant ennemi.

ONZIÈME PHILIPPIQUE.

(1) Athéniens! Philippe n'avait pas fait la paix avec vous; il n'avait que suspendu la guerre : pour vous tous cela devient évident. Après avoir livré Alos aux Pharsaliens, disposé de la Phocide, subjugué toute la Thrace sur des motifs imaginaires, sur d'injustes prétextes, il nous fait depuis longtemps une guerre qu'il ne déclare qu'aujourd'hui par ce message. [2] Vous ne devez donc ni redouter sa puissance, ni l'attaquer mollement; mais, sans ménager fortunes, personne, vaisseaux, vous devez courir aux armes. Essayons de le montrer.

D'abord, vous aurez naturellement, ô Athéniens ! pour alliés, pour puissances auxiliaires, les dieux que ce parjure a trahis par une violation inique de la paix. [3] Ensuite, tous ses moyens d'agrandissement, impostures continuelles, pompeuses promesses, sont depuis longtemps épuisés. Périnthe, Byzance et leurs confédérés savent qu'il n'aspire qu'à les traiter comme il a traité Olynthe. [4] La Thessalie n'ignore pas qu'il veut être le tyran, non le chef de ses alliés. Thèbes se méfie de celui qui asservit Nicée par une garnison, s'insinue parmi les Amphictyons, attire à lui les députations du Péloponnèse, et brise la ligue qu'elle avait formée. Ainsi, parmi ses anciens amis, les uns le poursuivent à outrance, les autres le défendent mollement, tous le soupçonnent et l'accusent. [5] Ajoutez (et ce n'est pas un léger avantage) que les satrapes d'Asie viennent de le forcer à lever le siége de Périnthe en y jetant des étrangers soldés. Devenus ses ennemis et menacés de près s'il met la main sur Byzance, [6] ils seront pour nous d'ardents auxiliaires; ils feront plus, ils engageront le roi de Perse à nous fournir de l'argent. Plus riche que tous les Grecs 128 ensemble, et assez influent (09) sur leurs affaires pour avoir apporté la victoire, dans nos guerres contre Lacédémone, au parti qu'il embrassait, ce prince, devenant notre allié, écrasera en se jouant la puissance d'un Philippe.

[7] Outre ces graves considérations, et sans parler de tant de places, de ports, et de ressources pour la guerre qu'il s'est hâté de saisir à la faveur de la paix, je dirai (10) : C'est quand les armes sont unies par la bienveillance, par l'utilité commune, qu'une coalition est durable. Mais qu'un perfide, un ambitieux, comme Philippe, en élève une sur la fourberie et la violence, au moindre prétexte, au premier revers, tout s'ébranle, tout se dissout. [8] Je reconnais même, à force d'y penser, que, suspect et odieux à ses alliés, Philippe ne trouve pas dans son propre royaume cette bonne harmonie, cette union intime qu'on s'imagine. Sans doute, l'empire macédonien, jeté dans la balance par supplément, ne laisse pas d'être de quelque poids; mais, isolé, sa faiblesse, devant d'aussi vastes projets, n'inspire que le mépris. [9] Et même cet homme, à force de guerres et d'expéditions qui, peut-être, le grandissent dans quelques esprits, a achevé d'ébranler sa propre puissance. Car ne croyez pas, ô Athéniens! que les plaisirs du prince soient les plaisirs des sujets. Songez-y : l'un aspire à la gloire, les autres au repos; l'un ne peut s'illustrer que dans les périls : quel besoin ont les autres d'abandonner patrie, parents, enfants, épouses, de s'exposer, de s'immoler chaque jour pour lui? [10] De là, aux sentiments de la population macédonienne pour son roi, la conclusion est facile. Quant aux compagnons, quant aux chefs de mercenaires qui l'entourent, ils ont une réputation de courage; mais ils vivent dans de plus grandes frayeurs que les guerriers obscurs. Ceux-ci, en effet, ne courent des risques qu'en face de l'ennemi; pour ceux-là les flatteurs, les calomniateurs sont plus redoutables qu'une bataille (11) .[11]  Les uns ne combattent qu'avec toute l'armée ; les autres prennent, dans les maux de la guerre, la plus grande part; et, seuls, ils ont encore à redouter le caractère du monarque. Il y a plus : la faute du simple soldat est punie en raison de sa gravité; mais les chefs surtout après leurs succès les plus beaux, ils se voient honnis, chassés, couverts d'outrages. [12] C'est ce que nul homme sensé ne refusera de croire. En effet, les familiers même de Philippe le disent assez avide de gloire pour vouloir s'approprier tout ce qui se fait de grand, et pour pardonner moins à ses généraux un succès un peu honorable qu'une défaite totale.

[13] D'où vient donc, s'il en est ainsi, qu'on persévère à lui rester fidèle? C'est que jusqu'à présent, ô Athéniens ! ses succès cachent tous ses vices sous leur ombre; car la prospérité est ingénieuse à voiler, à masquer les fautes des hommes : mais bientôt le moindre échec les met toutes au grand jour. De même que, dans le corps humain, [14] la source des souffrances passées semble tarie tant qu'on jouit de la santé; mais, s'il survient une maladie, fractures, luxations, infirmités de toutes sortes se réveillent : ainsi, tant que les armes prospèrent, les maux qui couvent au sein d'une monarchie ou d'un État quelconque échappent au vulgaire ; mais, au premier revers, ils frappent tous les yeux. Or, tel s'annonce le sort de cet homme, trop faible pour le fardeau qu'il veut porter.

[15] Si l'un de vous, ô Athéniens ! voyant Philippe prospérer, le croit redoutable et difficile à vaincre, sa prévision est judicieuse : car la fortune a un grand pouvoir, que dis-je? elle peut tout dans les choses humaines. Que de motifs cependant pour préférer notre fortune à la sienne ! [16] Nos ancêtres nous ont transmis la prééminence bien avant son règne, lorsque la Macédoine n'avait pas encore de rois. Ceux-ci payaient tribut aux Athéniens; les Athéniens n'en payèrent jamais à personne. Nous avons d'ailleurs plus de droit que lui à la protection des dieux, car nous fûmes toujours plus pieux et plus justes. [17]  — Pourquoi donc, dans la guerre précédente, a-t-il mieux réussi que nous? — Déclarons-le hautement : c'est qu'il est lui-même à la tête de ses troupes, bravant fatigues et périls, saisissant toutes les chances favorables, profitant de toutes les saisons. Et nous disons toute la vérité! nous languissons ici dans l'inaction ; temporiseurs éternels, faiseurs de décrets, nous allons sur la place publique en quête de nouvelles. Eh ! quelle nouvelle plus étrange qu'un Macédonien qui méprise Athènes, et qui ose lui écrire des lettres telles que celle que vous venez d'entendre? [18] Enfin, il soudoie des soldats étrangers; il soudoie, grands dieux ! quelques-uns de nos orateurs qui, espérant s'enrichir de ses dons, se dévouent sans pudeur à un Philippe, et ne voient pas que, pour un misérable gain, ils se vendent eux-mêmes avec leur patrie! De notre part, nul préparatif d'opposition à ses projets ; nul dessein d'entretenir des étrangers; nul courage pour servir en personne. [19] Il n'est donc point étonnant qu'il ait eu sur nous quelque avantage dans la dernière campagne. Il le serait bien plus si, ne faisant rien de ce que la guerre exige, nous prétendions vaincre celui qui exécute tout ce qu'il faut pour s'agrandir.

[20] Pénétrés de ces vérités, ô Athéniens ! et réfléchissant qu'il ne nous est plus permis de dire 129 que nous avons la paix, puisque cet homme vient de déclarer la guerre et la faisait déjà réellement, ne ménageons ni le Trésor ni nos fortunes; courons aux armes, là où le besoin nous appelle, courons tous, et employons de meilleurs généraux. [21] Car ne vous imaginez point que ce qui a abaissé la république pourra la relever; que, si votre léthargie se prolonge, d'autres combattront pour vous avec ardeur. Songez plutôt à l'opprobre qui vous attend, si vous, dont les pères ont supporté tant de travaux, tant de dangers dans leurs guerres avec Lacédémone, [22] vous refusez de défendre avec vigueur la puissance légitime qu'ils vous ont transmise. Verra-t-on d'un côté un échappé de Macédoine aimer les périls au point que, pour étendre son empire, il sort de la mêlée couvert de blessure, de l'autre, des Athéniens, libres par droit héréditaire, et toujours victorieux, abdiquer dans une molle indolence et la gloire de leurs ancêtres et les intérêts de la patrie?

[23] Pour abréger, je dis : Il faut nous préparer tous à la guerre; appeler les autres Hellènes à combattre avec nous, et les appeler moins par des mots que par des oeuvres. Sans l'action, toute parole est impuissante, surtout la parole d'Athènes : d'autant plus que nous passons pour les plus habiles parleurs de la Grèce.  

 

 

NOTES SUR LA ONZIÈME PHILIPPIQUE

(a) Philochor. ap. Dionys. Ep. ad Amin., p. 740.

(b) Diod. Sic., xvi, 77. Plutarch., vit. Phoc., 14.

(c) On a révoqué en doute l'authenticité de ce document historique. Il est certain du moins que, par sa noblesse et son élégante précision, cette lettre répond parfaitement à la réputation que Philippe s'était acquise genre épistolaire. Dion Chrysostome et Aulu-Gelle en font foi. Ce dernier va jusqu'à dire : " Feruntur adeo libri epistolarum ejus munditiae et venustatis et prudentiae plenarum. " Sur celte authenticité, et sur celle du discours attribué à Démosthène, on peut consulter l'introduction de Jacobs et en mémoire de Larcher. (Acad. des inscr., t, II, p, 243.)

(01) Τexte : Dobson, orat. Att. t. v, p. 256. Outre mes commentateurs ordinaires, j'ai consulté Olivier, Hist. de Phil., liv. xiii; et Cousin-Despréaux, Hist. de la Grèce, liv. XLIX.

(02) Les Athéniens ouvrirent les lettres d'où ils crurent tirer quelque éclaircissement sur les projets de Philippe, mais ils respectèrent celles qu'il adressait à son épouse Olympias.

(03) «  En allant d'Athènes à Éleusis par la voie Sacrée, on trouve le tombeau du héraut Anthémocritus, que les Athéniens avaient envoyé dire aux Mégariens de ne pas cultiver à l'avenir le terrain consacré aux grandes déesses. Les Mégariens le tuèrent, et cet attentat impie ne leur a pas encore été pardonné par ces divinités.... Après le cippe (τὴν στήλην) consacré à la mémoire d'Anthémocrite, etc.... « Pausan., 1, 38, trad. de Clavier.

(04) Callias, intrigant étranger, dont parle Eschine dans sa harangue sur la couronne, est appelé ici général d'Athènes parce qu'il commandait des soldats athéniens.

(05)  Sitaclès, roi des Odryses, et allié d'Athènes, périt des dans une expédition contre les Triballes (Ol. LXXXIX, 2) et ne fut pas assassiné. Longtemps après sa mort, les Athéniens s'allièrent avec Seuthés, son neveu et son successeur (Thuc. II, 29; IV, 101 ; Xénoph. Hist. Gr. IV, 8, 26). Ce qui' est dit ici convient beaucoup mieux à Kotys, dont parle Démosthène dans le discours contre Aristocrate.

(06) Maronée et Strymé, deux villes voisines, en Thrace.. La dernière avait été bâtie par les Thasiens. Il résulte de ce passage que les Maronites leur avaient disputé cette colonie.

(07) Tourreil regarde avec raison ce fait comme invraisemblable. Voy. t. II, p. 412.

(08) Il y en a un troisième, la fondation.

(09)  Deux manuscrits donnent δύναμιν au lieu de ῥώμην. La vraie leçon ne serait-elle pas ῥοπήν ?

(10) Deux manuscrits donnent δύναμιν au lieu de ῥώμην. La vraie leçon ne serait-elle pas ῥοπήν ?

(11)) « Sire, disait Villars partant pour l'armée à Louis XIV, je vais combattre, les ennemis de V. M.; et je la laisse au milieu des miens. "