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table des matières de l'œuvre DE DÉMOSTHÈNE

 

 

DÉMOSTHÈNE

 

DIXIÈME PHILIPPIQUE

 

texte grec

 

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117 XIV.

DIXIÈME PHILIPPIQUE.

INTRODUCTION.

Le maintien de la Chersonèse sous la domination athénienne, et les secours apportés plus tard aux Périnthiens et aux Byzantins, sont les seules inductions d'où nous puissions conclure, avec Reuter, que la neuvième philippique fit persévérer les Athéniens dans leurs projets de résistance à la Macédoine.

Cependant Philippe avait asservi l'Eubée, et continuait à étendre ses conquêtes dans la Thrace. Il assiégea Périnthe (depuis, Héraclée; auj. Erékli), place grecque considérable par son commerce et par sa situation sur la Propontide. L'attaque et la défense furent également ardentes et opiniâtres. Artaxerxès Ochus, alarmé des progrès du conquérant, manda aux satrapes dont les gouvernements étaient voisins de la mer, de ne rien épargner pour empêcher que Périnthe ne tombât entre ses mains. Le satrape de Phrygie y jeta des munitions t-t des troupes, qui furent suivies de quelques officiers byzantins. Démosthène avait fait secrètement un voyage à Byzance, et cette démarche n'avait pas été sans fruit. Philippe, forcé de convertir le siège en blocus, alla soumettre quelques villes moins importantes de la Propontide, et dévasta les fertiles campagnes de Byzance, cachant néanmoins ses projets de vengeance sur cette place qu'il convoitait.

A la nouvelle du secours envoyé par la Perse aux Périnthiens, Démosthène monte brusquement à la tribune (ol. cix, 4; 341). Dans son exorde, il reproche aux Athéniens de ne savoir que délibérer, tandis que Philippe seul sait agir; puis il prouve de nouveau que ce prince a rompu la paix. Mêmes arguments qu'il a déjà employés dans la VIe Philippique.

Avant de passer aux mesures à prendre, il fait voir l'injustice qu'il y aurait à exiger qu'un orateur proposât la guerre dans un décret qui le rendrait en quelque sorte responsable des suites de cetta guerre. C'est au peuple entier à se charger de ce rôle, et à faire ensuite tous les sacrifices que nécessitera- sa position. Il montre combien il est urgent d'arrêter les succès de Philippe, et indique le plan qu'il faut suivre.

Ce plan exige des dépenses. Démosthène propose que l'on tire parti des dispositions favorables du roi de Perse à l'égard d'Athènes, pour obtenir de lui des troupes et de l'argent. Puis il aborde le sujet délicat de la distribution des deniers publics, sur lequel les riches et les pauvres ne pouvaient s'accorder; et, par le sacrifice de l'opinion qu'il avait lui-même exprimée plusieurs fois sur cette matière, il tâche de réconcilier les deux partis.

Passant ensuite aux autres abus introduits dans l'État, qui proviennent presque tous de la confiance accordée aux traîtres, il termine par une véhément» apostrophe à Aristodème, en la personne duquel il couvre d'infamie et de ridicule tous les orateurs mercenaires.

Les nombreuses répétitions que contient ce discours ont inspiré à quelques savants (01) des doutes sur son authenticité. Ces doutes n'ont pas encore acquis force de preuve; ils ne l'auront probablement jamais. Nous renvoyons le lecteur à l'introduction de la harangue sur les réformes publiques. Nous ajouterons seulement, avec Tourreil, que « comme celle-ci roule sur le même sujet, épuisé déjà par neuf discours, c'était pour l'orateur une espèce de nécessité d'user de redites. » .

DISCOURS

[1] Persuadé que les matières les plus sérieuses, les plus urgentes pour la république, sont l'objet de votre délibération, j'essayerai, hommes d'Athènes, de vous dire ce que je crois le plus utile (02). De toutes les fautes nombreuses et depuis longtemps accumulées qui ont rendu notre situation mauvaise, la plus funeste, la plus embarrassante aujourd'hui, c'est votre aversion pour les affaires. Vous y consacrez les courts moments où, assis en ce lieu, vous écoutez les nouvelles; après quoi, chacun se retire sans y réfléchir, sans même en garder la mémoire. [2] Cependant l'insolence et l'avidité de Philippe envers tous les peuples sont montées à cet excès qu'on vous dé- 118 peint; et vous n'ignorez pas, sans doute, qu'on ne les réprimera jamais avec des mots, avec des harangues. A défaut d'autres preuves, il suffirait de ce raisonnement : dans aucune occasion où il a fallu discuter le droit, nous n'avons succombé ni paru avoir tort; partout nous sommes vainqueurs, partout nous triomphons par nos raisons. [3] Mais les affaires de cet homme en vont-elles plus mal? les nôtres en vont-elles mieux? Il s'en faut bien. Quand nous avons parlé (03), Philippe s'arme, il s'avance, prêt à tenter la fortune avec toutes ses forces ; et nous, nous restons en repos, contents, les uns d'avoir péroré sur notre bon droit, les autres d'avoir écouté : aussi, par une conséquence naturelle, les actions l'emportent sur les paroles; et les peuples examinent, non ce que nous avons dit ou pourrions dire de juste, mais ce que nous faisons. Or, ce que nous faisons ne peut sauver un seul opprimé. C'est en dire assez.

[4] Je vois deux partis diviser toutes les républiques : les uns ne veulent être ni tyrans ni esclaves, mais vivre égaux et libres sous l'empire des lois; les autres aspirent à dominer sur leurs concitoyens en obéissant à l'étranger, quel qu'il soit, pourvu qu'avec son aide ils espérent réussir. La faction avide de pouvoir et de tyrannie est partout régnante; et j'ignore s'il reste une seule ville, Athènes exceptée, où la démocratie soit encore debout. [5] Les membres de cette faction l'emportent par tous les moyens qui donnent le succès. Le premier et le plus puissant, c'est d'avoir un bailleur de fonds pour corrompre les âmes vénales; un autre, qui ne le cède guère à celui-là, c'est de disposer d'une armée prête a culbuter leurs adversaires au premier signal. [6] Et nous, ô Athéniens! dépourvus de toutes ces ressources, nous ne pouvons pas même nous réveiller, semblables à des hommes qui ont pris quelque breuvage assoupissant. (04) De là (car je crois vous devoir la vérité) nous sommes tellement décriés, tellement méprisés, que, parmi les peuples placés au milieu du péril, ceux-ci nous disputent le commandement, ceux-là le droit d'assigner le lieu des conférences; plusieurs même ont résolu de se défendre seuls, plutôt qu'avec notre se:ours.

[7] Pourquoi cette revue de nos fautes? Ce n'est pas, j'en atteste Jupiter et tous les dieux, que je veuille m'attirer votre haine; c'est pour que chacun de vous comprenne et voie qu'en politique comme dans la vie privée, chaque négligence, fruit d'une paresse et d'une inertie de tous les jours, inaperçue d'abord, finit par dominer le résultat des affaires. [8] Voyez Serrhium et Doriskos, les premières places que vous vous laissâtes enlever après la paix. Plus d'un parmi vous ne les connaît peut-être pas. Eh bien ces postes délaissés, regardés avec dédain, ont entraîné dans leur perte et la Thrace et Kersobleptès, votre allié. Philippe, n'apercevant encore aucun mouvement, aucun envoi de secours d'Athènes, rasa Porthmos; et, par les tyrans qu'il établit en Eubée, il fit de cette île une citadelle menaçante pour l'Attique. [9] Vous le souffrez, et peu s'en faut qu'il ne prenne Mégare. Toujours indifférents, toujours immobiles, vous ne faites pas une démonstration pour l'arrêter. Alors il achète Antrônes (05), et bientôt il est maître d'Oréos. [10] Je passe sous silence la prise de Phères, l'expédition d'Ambracie, les massacres d'Élis, et mille autres attentats. Mon dessein n'est pas de faire le dénombrement complet des injustices, des violences de Philippe, mais de vous prouver qu'il ne cessera point d'opprimer tous les peuples et de tout envahir, si on ne l'arrête.

[11] Il est des gens qui, avant d'entendre de quoi il agit, s'écrient brusquement, Que faut-il donc faire? non pour l'exécuter (car alors l'État n'aurait pas de citoyens plus utiles), mais pour se débarrasser de l'orateur. N'importe, ce qu'il faut faire, le voici :

Avant tout, ô Athéniens ! gravez profondément dans vos esprits que Philippe a rompu la paix, qu'il nous fait la guerre, qu'il est l'ennemi acharné d'Athènes entière, du sol d'Athènes, j'ajouterai même, des dieux d'Athènes. Dieux immortels, anéantissez-le! Mais c'est surtout à notre démocratie qu'il a déclaré la guerre ; c'est à la détruire que visent tous ses piéges, tous ses projets. [12] Et il y est poussé par une sorte de nécessité. Raisonnez, en effet: il veut dominer ; or, c'est vous qu'il juge seuls capables de traverser ses desseins. Depuis longtemps il vous outrage; il le sait parfaitement, car les places qu'il vous a enlevées sont les plus fermes remparts de ses États. Oui, sans Amphipolis, sans Potidée, il ne se croirait pas en sûreté dans sa Macédoine. [13] Il sait donc également, et qu'il cherche à vous perdre, et que vous vous en apercevez; et, vous supposant hommes de sens, il présume que vous lui faites la justice de le haïr. Outre ces puissantes raisons, il est encore convaincu que, quand même il aurait asservi le reste de la Grèce, il ne pourra compter sur rien tant que subsistera votre démocratie; il sent que, s'il lui arrive un revers (et puisse-t-il en éprouver mille !), tous les peuples qui sont à lui par contrainte accourront se jeter dans vos bras. [14] Car vous n'êtes pas naturellement portés à vous agrandir, à usurper la domination; mais empêcher tout autre de s'en saisir, abattre l'usurpateur barrer le chemin à qui marche à la 119  tyrannie, protéger l'indépendance de tous, voilà votre rôle. Aussi, Philippe ne veut pas que votre amour pour la liberté épie ses jours mauvais; et ses réflexions sont vraies et bien mûries. [15] Vous devez donc d'abord voir en lui l'irréconciliable adversaire de notre démocratie. Tenez ensuite pour certain que toutes ses entreprises, tous ses préparatifs tendent à notre destruction. Nul de vous, en effet, n'aura la simplicité de croire qu'un prince, capable d'ambitionner jusqu'à de misérables bicoques de la Thrace (quel autre nom donner à Drongilos, à Kabylé, à Mastira, à d'autres bourgades qu'on dit en son pouvoir?), capable de braver, pour de telles conquêtes, travaux, frimas, périls extrêmes, [16] ne convoite pas les ports d'Athènes, ses arsenaux maritimes, ses flottes, ses mines d'argent, ses riches revenus, son territoire, toute cette splendeur enfin dont je prie les dieux de frustrer son ambition et celle de tout usurpateur; et qu'il vous en laissera la paisible possession, lui qui, pour arracher le seigle et le millet des souterrains de la Thrace, s'enfonce l'hiver dans des abîmes. [17] Non! vous ne le pensez point; par cette expédition, par toutes les autres, il se fraye un chemin jusqu'à vous.

Pénétrés de cette vérité, n'allez pas, par Jupiter! exiger que la guerre soit proposée par l'orateur qui ouvre les avis les plus utiles et les plus justes : ce serait, non vouloir agir pour le bien public, mais chercher une victime (06). [18] En effet, si, à la première, à la seconde, à la troisième des nombreuses infractions commises par Philippe, un citoyen eût présenté la motion d'un armement, et que l'ennemi eût également secouru Cardia, comme il l'a fait sans qu'aucun Athénien ait proposé de l'attaquer, n'aurait-on pas arraché d'ici l'auteur de la motion? ne lui imputerait-on pas le secours prêté aux Cardiens? [19] Ne cherchez donc personne que votre haine puisse punir des iniquités de Philippe, et livrer aux fureurs de ses stipendiés. Et, quand vous aurez spontanément résolu la guerre, point de querelles entre vous sur son opportunité; toute l'ardeur que cet homme met dans l'attaque, déployez-la dans la défense : aux soldats qui lui résistent maintenant fournissez de l'argent et tout le nécessaire; contribuez de vos biens, hommes d'Athènes ! préparez infanterie, trirèmes légères, cavalerie, bâtiments de transport, tout le matériel de la guerre. [20] Car c'est moquerie que de nous gouverner ainsi; et par le ciel ! je crois que Philippe lui-même peut borner ses voeux à vous voir toujours dans la même voie : retards, folles dépenses, embarras dans le choix de vos chefs, colères et accusations mutuelles.

Remontons à la source du mal, et indiquons le remède. [21] Chez vous, ô Athéniens! jamais de promptes dispositions, jamais de préparatifs réguliers : vous vous traînez toujours derrière quelque événement; venus après coup, vous abandonnez l'oeuvre : autre événement, autres mesures prises en tumulte. Ce n'est pas là le moyen de réussir. Non, vous ne ferez jamais rien à propos avec des milices levées à la hâte. [22] Il faut former une armée régulière, l'entretenir, lui donner des intendants, pourvoir à la garde la plus exacte de la caisse militaire, demander compte aux administrateurs de l'emploi des fonds, au général des opérations de la campagne, et ôter à ce dernier le prétexte de conduire votre flotte ailleurs et de s'écarter de ses instructions. [23] Si vous agissez de la sorte, si telle est votre ferme volonté, vous forcerez Philippe à garder une paix équitable, à rester chez lui; ou vous le combattrez à forces égales. Vous demandez aujourd'hui : Que fait Philippe? où marche-t-il? Peut-être, ô Athéniens! peut-être demandera-t-il à son tour avec inquiétude : Où est allée l'armée d'Athènes? où débouchera-t-elle?

[24] On va me dire que ces résolutions exigent de grands frais, de longs travaux, de continuels mouvements. J'en conviens, car la guerre est la source de mille peines inévitables ; mais considérez quels dangers vous menacent si vous ne prenez ce parti nécessaire, et vous trouverez un grand avantage à l'embrasser de bonne grâce. En effet, quand même un dieu, à défaut d'un mortel, vous donnerait une garantie suffisante pour de si hauts intérêts; quand il vous répondrait que, toujours immobiles, toujours abandonnant les peuples, vous ne serez pas à la fin attaqués par Philippe, [25]  il serait honteux, par Jupiter et tous les Immortels! il serait indigne de vous, de la gloire nationale, des exploits de vos ancêtres, de sacrifier à une nonchalance égoïste la liberté de la Grèce entière. Plutôt mourir, avant qu'un pareil avis sorte de ma bouche! [26] Si un autre vous le donne et vous persuade, eh bien! ne vous défendez pas, abandonnez tout. Mais, si vous rejetez cette pensée, si nous prévoyons tous que, plus nous aurons laissé Philippe s'agrandir, plus nous trouverons en lui un ennemi puissant et redoutable, quel sera notre asile? pourquoi ces délais? Qu'attendons-nous, ô Athéniens! pour faire notre devoir? La nécessité, sans doute ! [27] mais la nécessité de l'homme libre, elle est là; que dis-je? elle a passé depuis longtemps. Pour celle qui remue l'esclave, priez le ciel de vous en préserver! Où est ici la différence? A l'homme libre la crainte de l'ignominie est une nécessité de fer, et je n'en vois pas, en effet, de plus impérieuse; mais à l'esclave les 120 coups, les châtiments corporels Ah! ne la connaissez jamais! Son nom souille cette tribune.

[28] Cette lenteur à servir la patrie de sa personne et de sa fortune n'est pas louable, il s'en faut bien; elle peut néanmoins se couvrir de quelque prétexte. Mais fermer l'oreille à tout ce qu'il est nécessaire d'entendre et convenable de discuter, voilà ce qui n'admet aucune excuse. [29] Pour nous écouter, ô Athéniens! vous attendez, comme aujourd'hui, que le péril presse, et vous ne prenez jamais conseil à loisir. Lorsque cet homme arme contre vous, tranquilles, vous négligez de l'imiter et de vous mettre en défense; et si un citoyen en parle, vous le chassez. Vous annonce-t-on la prise ou le siége d'une place? alors, devenus attentifs, vous armez. [30] Mais le temps d'écouter et de prendre une décision était celui où vous ne l'avez point voulu ; et maintenant que vous demandez conseil, vous devriez agir et faire usage de vos préparatifs. Par l'effet d'une telle habitude, seuls, au rebours de tous les peuples, vous délibérez, non sur l'avenir, mais sur le passé.

[31] Il reste une ressource, trop négligée jusqu'à ce jour, mais qui est encore dans nos mains; la voici. Ce qu'il faut surtout à la république, dans la conjoncture présente, c'est de l'argent. Or, la fortune a fait naître d'heureuses circonstances qui, si nous y recourons, pourront satisfaire ce besoin. D'abord, ceux en qui le grand roi a placé sa confiance, et dont il reconnaît avoir reçu des services (07), détestent Philippe et lui font la guerre. [32] D'ailleurs, le confident et l'agent de tous les desseins de ce prince sur la Perse venant d'être enlevé (08), le monarque apprendra cette longue suite d'intrigues, non par nous (il pourrait croire que notre intérêt nous fait parler), mais par celui-la même qui les dirigeait. Il croira donc à nos plaintes; et nos ambassadeurs, parlant à leur tour, seront écoutés avec plaisir. [33] Liguons-nous, lui diront-ils, contre notre commun agresseur : Philippe vous sera bien plus redoutable après qu'il sera tombé sur nous; car si nous venons, faute de secours, à essuyer quelque revers, il marchera sans obstacle contre la Perse. D'après ces motifs, ô Athéniens! envoyons une ambassade au grand roi pour conférer avec lui; dépouillons ce stupide préjugé si souvent funeste à la république : C'est un Barbare, c'est l'ennemi de tous les peuples, et mille objections de même trempe. [34] Pour moi, quand je vois redouter un prince enfermé dans son palais de Suse ou d'Ecbatane, attribuer des projets hostiles à celui qui aida jadis la république à se relever, et qui récemment encore lui tendait une main repoussée par vos décrets, refus dont il est innocent, tandis qu'un ennemi qui est à nos portes, qui grandit au coeur même de la Grèce, théâtre de ses brigandages, trouve ici des apologistes, ma surprise est grande; et je crains quiconque ne craint pas Philippe.

[35] Il est un autre mal qui afflige la république, entretient parmi nous les plaintes injustes, les débats indécents, et fournit des prétextes à qui ne veut pas remplir le devoir de citoyen : quoiqu'il semble nécessaire de chercher ailleurs la cause de toutes les lacunes du service public, c'est là que vous la trouverez. Je crains de traiter ce sujet; cependant je le ferai, [36] car je crois pouvoir parler dans l'intérêt de l'État, et aux riches en faveur des pauvres, et aux pauvres en faveur des riches, pourvu que nous bannissions les invectives touchant les distributions théâtrales, et la crainte qu'elles ne puissent subsister sans quelque grand malheur (10). Nous ne saurions rien imaginer de plus utile au succès de nos affaires, au raffermissement de tout l'édifice social. [37] Voici ce que vous devez considérer. Je parlerai d'abord pour ceux qui paraissent dans l'indigence.

Il fut un temps, et ce temps n'est pas éloigné, où nos revenus publics ne dépassaient point cent trente talents; et nul des citoyens qui pouvaient armer une trirème ou payer des impositions, ne prétextait la rareté de l'argent pour se dispenser des charges publiques. Nous avions des vaisseaux en mer, des fonds dans le Trésor, et chacun faisait son devoir. [38] Depuis, grâce à la fortune, nos revenus ont augmenté : ils montent aujourd'hui à quatre cents talents. Le riche, loin d'en souffrir, en profite, puisqu'il retire sa part de ces fonds, et la reçoit avec justice. [39] Pourquoi donc nous faire, sur cet avantage, de mutuels reproches? pourquoi y chercher un prétexte pour ne pas faire notre devoir? Envierions-nous au pauvre le secours que lui accorde la fortune? Loin de moi l'idée de l'inculper à ce sujet, de le croire répréhensible. [40] Voit-on, dans une famille, les jeunes hommes ainsi disposés envers les vieillards? Non, il n'en est aucun assez ingrat, assez dénué de sens pour déclarer que, si tous ne font pas ce qu'il fait, il ne fera rien lui-même. Un tel fils encourrait la peine portée par le législateur contre les enfants dénaturés (11) : car nous devons payer avec joie à nos parents la dette justement imposée par la nature et par la loi. [41] Eh bien! ce que chacun de nous doit à son père, la république le doit à tous les citoyens, qui en sont les pères communs. Ainsi, loin de retrancher ce qu'elle leur donne, il faudrait, cette ressource manquant, en chercher d'autres pour qu'ils n'étalent pas à tous les yeux leur indigence. [42] Je suis persuadé 121 que les riches, en agissant d'après ces idées, feront chose utile autant que juste, puisque priver du nécessaire une partie des citoyens, c'est susciter de nombreux ennemis à la république.

Quant aux pauvres, je leur conseillerais d'ôter aux possesseurs de domaines tout sujet légitime d'irritation et de plaintes; [43] car je continuerai de parler avec impartialité, sans reculer devant des vérités favorables aux riches. Il me semble qu'il n'est pas d'Athénien, qu'il n'est pas d'homme assez inhumain, assez cruel pour voir avec déplaisir les gratifications faites à l'indigence et à la misère. [44] Où donc gît la difficulté? de quoi se plaint-on? C'est de voir qu'on veut faire peser sur les fortunes privées cette charge du Trésor; c'est de voir l'orateur qui propose un tel abus grandir soudain à vos yeux et s'immortaliser par une sorte d'indemnité, puisque, condamné hautement par vos clameurs, il est absous par vos suffrages secrets (12). [45] De là tant de défiances, de là tant de colères; car enfin il faut que chacun jouisse des droits fondés sur l'égalité démocratique; que les riches regardent comme assurée la possession de leur fortune, qu'ils en jouissent sans crainte, toujours prêts à l'offrir à la patrie dans ses périls; que les pauvres ne réputent biens communs que ceux qui le sont, et que, contents d'en recevoir leur part, ils sachent que le bien d'un particulier est à lui seul. Par là les petites républiques s'agrandissent, et les grandes se maintiennent. Tels sont, à peu près, nos mutuels devoirs. Pour les remplir avec plus d'exactitude, d'autres réformes sont nécessaires. [46] Nos malheurs et nos troubles actuels découlent encore de plusieurs causes anciennes que je vais exposer, si l'on veut m'entendre.

On a renversé, ô Athéniens! les maximes fondamentales que vos pères vous avaient laissées. Certains politiques vous ont persuadé qu'être à la tète des Hellènes, entretenir une armée prête à secourir tous les opprimés, était une dépense inutile et superflue, et que vivre dans le repos, ne s'acquitter d'aucun devoir, tout abandonner successivement, laisser le champ libre aux usurpateurs, était un merveilleux bonheur, une parfaite quiétude. [47] Qu'est-il arrivé? un autre est monté au rang que vous deviez occuper : il est heureux, il est puissant, il a étendu son empire; et cela ne doit pas surprendre. Jaloux d'un poste élevé, honorable, éclatant, que les plus puissantes républiques s'étaient toujours disputé, et voyant Sparte accablée de revers, Thèbes absorbée dans sa guerre de Phocide, Athènes insouciante, il s'est emparé de ce poste devenu vacant. [48] Ainsi, tandis que les autres peuples sont dans la terreur, il se voit environné d'une grande puissance, de nombreux alliés; et la Grèce entière est assaillie de maux si graves, si multipliés, qu'il n'est pas facile de donner un conseil. [49] Formidables pour tous les États, les dangers actuels le sont encore plus pour vous, ô Athéniens! parce que vous êtes et la principale proie que guette Philippe, et les plus inactifs des Hellènes. Si, à la vue des denrées et de toutes les marchandises dont regorge la place publique, vous vous flattez qu'Athènes n'a rien à redouter, vous jugez bien mal votre situation. [50] Que l'on décide par là si une halle, si un marché est bien ou mal approvisionné; mais pour un peuple qui a la réputation de s'opposer seul à quiconque veut dominer dans la Grèce, pour un peuple tuteur de la commune liberté, par Jupiter! ce n'est point sur l'affluence des vendeurs qu'on doit mesurer sa puissance; c'est sur l'attachement de ses alliés, sur la force de ses armes. Voilà le moyen d'apprécier l'état d'une république; et ici que de mécomptes, quelle disette parmi vous!

[51] Pour vous en convaincre, faites cet examen quand y a-t-il eu le plus de troubles parmi les Hellènes? L'époque que vous désignerez tous est l'époque actuelle. Jusqu'ici, deux villes, Athènes et Lacédémone, avaient partagé toute la Grèce : le reste des Hellènes se rangeait sous l'un ou sous l'autre étendard. Quant au roi de Perse, il était à tous également suspect : protecteur des vaincus, il ne jouissait de leur confiance que jusqu'au moment où il les avait remis de niveau avec les vainqueurs. Alors ceux qu'il avait sauvés ne le haïssaient pas moins que ses plus anciens ennemis. [52] A présent ce monarque est en bonne intelligence avec tous les Grecs, excepté avec nous, à moins que nous ne changions de conduite. D'ailleurs, il s'élève de toutes parts des puissances qui se disputent le premier rang. Les jalousies et les défiances réciproques ont divisé des peuples qui devraient être unis. Argos, Thèbes, Corinthe, Lacédémone, l'Arcadie, Athènes s'isolent par leurs intérêts; [53] et cependant, au milieu de tant de puissances et de factions qui démembrent la Grèce, la libre vérité m'oblige à dire : C'est chez vous surtout que les archives (13) et la salle du Conseil sont désertées par les agents étrangers. Vous le méritez, car ni amitié, ni confiance, ni crainte ne poussent à conférer avec vous. [54] Si ce mal n'avait qu'une cause, ô Athéniens! la réforme serait facile : mais nos fautes sont nombreuses, variées, invétérées. J'en supprime le détail pour citer celle-là seule à laquelle tiennent toutes les autres : grâce pour la vérité dite avec indépendance!

On a vendu les avantages que présentait cha- 122 que occasion, et vous, vous avez reçu en échange ce tranquille repos dont le charme endort votre indignation contre les traîtres, tandis que vos honneurs ont passé en d'autres mains. [55] Ce n'est pas ici le moment de tout examiner; mais vient-on à parler de Philippe? aussitôt un orateur se lève (14) : N'agissons pas avec légèreté; ne décrétons pas la guerre! Et soudain, faisant le parallèle : Quel trésor que la paix! quel fardeau qu'une grande armée à entretenir! C'est le pillage de nos finances que l'on veut; et bien d'autres propos, que l'on donne pour des vérités incontestables. [56] Mais ce n'est certes pas à vous qu'il faut persuader la paix, à vous déjà persuadés et pacifiques, c'est à l'homme qui vous fait la guerre. Si celui-là y consent, rien ne manque de votre côté. Ensuite, il faut regarder comme un fardeau, non pas ce que nous dépenserons pour notre sûreté, mais les maux qui nous attendent si nous ne voulons rien dépenser. Quant au pillage de nos finances, prévenons-le par une surveillance active et salutaire, et non par l'abandon de nos intérêts. [57] Athéniens, le chagrin que cause à quelques-uns de vous l'idée de ces déprédations, si faciles à empêcher ou à punir, est précisément ce qui m'irrite : car ils sont indifférents aux brigandages d'un Philippe qui va pillant la Grèce entière, et qui la pille pour nous engloutir !

[58] D'où vient donc que celui qui nous outrage si ouvertement, qui s'empare de nos villes, ne soit jamais accusé d'être injuste et de nous faire la guerre, et qu'on ne puisse vous conseiller de l'arrêter, de veiller sur vos possessions, sans être accusé de provoquer la guerre? C'est que tous veulent rejeter les événements malheureux que la guerre amène inévitablement sur les citoyens qui croient vous devoir les plus salutaires conseils. [59] Ils pensent, en effet, que, si vous conspiriez unanimement à repousser Philippe, la victoire serait à vous, et qu'alors ils n'auraient plus à qui se vendre; mais que si, arrêtés par un premier échec, vous attaquez quelques orateurs et vous engagez dans leur procès, devenus accusateurs, ils recueilleront, par un double avantage, et vos applaudissements et l'or du Macédonien; qu'enfin vous ferez retomber sur vos fidèles conseillers le châtiment dû à des traîtres. [60] Voilà leurs espérances, voilà le but qu'ils se proposent quand ils accusent des citoyens de souffler la guerre. Pour moi, j'en suis certain, avant que la guerre eût été proposée dans Athènes, Philippe avait envahi plusieurs de nos places, et, tout récemment encore, il a jeté un renfort dans Cardia. Si, malgré cela, il nous plaît de méconnaître qu'il ait tiré l'épée, il serait le plus insensé des hommes de chercher à nous en convaincre. Quand l'offensé nie l'injure, est-ce à l'offenseur de la constater? [61] Mais, lorsqu'il marchera contre Athènes, que dirons-nous? Il protestera, lui, qu'il ne nous fait point la guerre. N'est-ce pas ce qu'il dit aux Oritains, alors que ses troupes campaient dans leur pays? et, avant eux, aux habitants de Phères, lorsqu'il allait battre leurs murailles? et anciennement aux Olynthiens, jusqu'à son entrée sur leur territoire, à la tète d'une armée? Répéterons-nous alors que, conseiller la défense, c'est pousser à la guerre? Il ne reste donc qu'à subir le joug : point de milieu.

[62] Et le péril est plus grand pour vous que pour d'autres peuples. Asservir Athènes serait trop peu pour Philippe, il veut l'anéantir. II sait trop bien que vous ne voudrez pas obéir, et que, même le voulant, vous ne le pourriez point, accoutumés que vous êtes à commander. [63] Il sait qu'en saisissant l'occasion, vous lui susciteriez plus de traverses que tous les peuples ensemble. Aussi ne vous épargnera-t-il pas, s'il devient le maître. Reconnaissez donc qu'il y aura contre vous combat à outrance. Détestez, livrez au supplice les citoyens notoirement vendus à cet homme; car il est impossible, absolument impossible de vaincre l'ennemi étranger si l'on ne punit auparavant l'ennemi domestique; sans cela, heurtant contre l'écueil de l'un, vous serez invinciblement dépassés par l'autre.

[64] Pourquoi, selon vous, Philippe lance-t-il l'outrage sur Athènes aujourd'hui? car, à mon sens, il ne fait pas autre chose. Pourquoi, lorsqu'il emploie, du moins envers les autres peuples, la séduction des bienfaits, n'a-t-il déjà plus que des menaces contre vous? Voyez que de concessions Il a faites aux Thessaliens pour les pousser doucement à la servitude. Comptez, si vous le pouvez, ses insidieuses largesses prodiguées aux infortunés Olynthiens, Potidée d'abord, puis tant d'autres places. Voyez-le jetant maintenant aux Thébains la Béotie comme une amorce, et les délivrant d'une longue et rude guerre. [65] De tous ces peuples, les uns n'ont souffert des malheurs trop connus, les autres ne souffriront ceux que prépare l'avenir, qu'après avoir du moins recueilli quelques fruits de leur cupidité. Mais vous, sans parler de vos pertes à la guerre, combien, même pendant les négociations de la paix, ne vous a-t-il point trompés et dépouillés! Phocide, Thermopyles, forteresses de Thrace, Doriskos, Serrhium, Kersobleptès en personne, que ne vous a-t-il pas enlevé? N'est-il pas à présent maître de Cardia? ne l'avoue-t-il point? [66] D'où viennent donc des procédés si différents? C'est que 123 notre ville est la seule où l'ennemi ait impunément des fauteurs déclarés, la seule où des traîtres enrichis plaident avec sécurité la cause du spoliateur de la république. [67] On ne parlait pas impunément pour Philippe à Olynthe, avant qu'il eût fait largesse de Potidée à tout ce peuple. On ne parlait pas impunément pour Philippe en Thessalie, tant qu'il n'avait pas surpris la reconnaissance de la multitude par l'expulsion de ses tyrans et son retour à l'amphictyonat. On ne le faisait pas devant les Thébains, avant qu'il eût payé ce service de la Béotie rendue et de la Phocide anéantie. [68] Mais, dans Athènes, après que Philippe nous a volé Amphipolis, Cardia et ses dépendances; lorsqu'il a fait de l'Eubée une vaste et menaçante citadelle; lorsqu'il marche sur Byzance, on peut, sans péril, parler pour Philippe! Aussi, des hommes pauvres et sans nom sont-ils devenus soudain riches et célèbres, tandis que vous êtes tombés, vous, de la splendeur dans l'humiliation, de l'opulence dans la misère; [69] car je place la richesse d'une république dans ses alliés, dans la confiance et le zèle des peuples, toutes choses dont vous êtes pauvres. Or, pendant que votre dédaigneuse insouciance vous laisse ravir de tels biens, lui, il est devenu grand, fortuné, redoutable à la Grèce entière et aux Barbares; Athènes est dans le mépris et le délaissement, brillante, il est vrai, par l'étalage de ses marchés, mais, pour les provisions essentielles, ridiculement indigente.

[70] J'observe, au reste, que certains orateurs ont un conseil pour vous, un conseil pour eux-mêmes : vous, disent-ils, vous devez rester en repos, quoique attaqués; mais eux, ils ne peuvent y rester ici, bien que nul ne les inquiète. En effet, si quelqu'un, invective à part, te faisait cette question, Aristodème : Dis-moi, puisque tu sais très bien, avec tout le monde, que la vie privée ne connaît ni troubles, ni embarras, ni dangers, tandis que la vie publique; en butte aux accusations, est semée d'écueils, de peines, de luttes journalières, d'où vient qu'au tranquille loisir de celle-là tu préfères les périls de celle-ci? [71] que répondrais-tu? Admettons comme vrai ce motif, le plus honorable que tu puisses alléguer : c'est l'amour de la gloire qui t'anime. Quoi! pour la gloire tu crois devoir braver, toi, toutes les fatigues, tous les travaux, tous les hasards, et tu conseilles à la république d'y renoncer par nonchalance! Oseras-tu dire que c'est un devoir pour toi de briller dans Athènes, et pour Athènes de s'effacer parmi les États grecs?  [72] Je ne comprends pas non plus que, pour sa sûreté, ta patrie doive se borner à ses propres affaires, et qu'il y ait péril pour toi à ne pas t'ingérer dans celles d'autrui. Je vois, au contraire, que vous vous perdrez, toi par excès d'activité, la république par son inaction. [73] Diras-tu : Mon aïeul et mon père m'ont laissé une gloire qu'il serait honteux d'éteindre en moi, tandis que les Athéniens n'ont reçu de leurs ancêtres aucun lustre, aucun éclat? Loin de là; ton père, s'il t'a ressemblé, était un fripon; quant aux Athéniens d'un autre âge, j'atteste ici la Grèce entière, qu'ils ont deux fois sauvée (15). Il est donc des hommes qui, dans la manière différente dont ils traitent leurs intérêts et ceux de l'État, ne sont ni justes, ni bons citoyens. [74] Est-il juste, en effet, que quelques échappés de prison se méconnaissent, et qu'une république placée, jusqu'à ce jour, à la tête de la Grèce, soit plongée dans l'abjection et l'ignominie?

[75] J'aurais encore beaucoup à dire sur plus d'un objet, mais je m'arrête; car il me semble que, ni aujourd'hui, ni jamais, si l'État souffre, ce n'a été faute de discours : c'est parce que, après avoir entendu et unanimement approuvé les bons conseils, vous écoutez aussi favorablement ceux qui veulent les combattre et les détruire. Vous les connaissez, ces hommes; oui, votre coup d'oeil distingue parfaitement l'orateur mercenaire, l'agent de Philippe, du vrai conseiller de la patrie : mais votre but est de nous inculper, d'ensevelir l'affaire sous la raillerie et l'invective, et, par là, vous affranchir de tout devoir.

[76] Voilà des vérités utiles, librement exprimées avec un zèle pur, et non une de ces harangues semées de flatteries, de piéges, de mensonges qui rapportent de l'argent à l'orateur, et livrent la patrie à l'ennemi. Renoncez donc à de funestes habitudes, ou, si tout dépérit, n'en accusez que vous-mêmes.  


 

 

 

223 NOTES SUR LA DIXIEME PHILIPPIQUE

(01) Valcken. in not. ad orat. de Philippo Maced., p. 251; F. A. Wolf, Prolegg. ad Lept. p. LX; Böckh, Becker, Weiske, Bread. M. Scheefer cite aussi l'opinion contraire de Hemster huis, Lennep, Wyttenbach. Appar. t. I, p. 610.

(02) (1) Texte de Reiske, revu sur les variantes de Bekker et sur l'Apparatus de Schaefer.

Pour l'interprétation, etc. : Apparatus, t. i, p. 610; les scolies et les commentaires contenue dans les tomes v, Ix, x, xI de Dobson; 3. Wolf; nos traducteurs; éd. 4e d'Auger, p. 380; les notes de Töpffer; M. Brougham, de l'Éloq. polit. chez les anc. et les modernes.

(03)  μεὰ ταῦτα signifie ici, post has δικαιομολογίας καὶ δημηγοργίας. Reiske et Auger ont méconnu le sens de ces mots, qu'ils voudraient changer, que le premier a mal placés, et que les traducteurs français n'ont pas rendus.

(04) Littéralement : qui ont bu de la mandragore, ou quelque autre drogue semblable. Le scoliaste, Pline et Dioscoride mettent cette plante au nombre des spécifiques contre l'insomnie.

(05) Antrônes, ville maritime de Thessalie, dans le district de Magnésie.

(06) Cette phrase peut être entendue de deux manières, suivant que l'on conserve la négation après ὅτῳ,, comme a fait Auger, 1790 ; ou qu'on la supprime avec Reiske. Dans le premier cas, elle signifie : Ce serait se conduire en hommes qui ne veulent avoir de guerre avec personne, etc; dans le second : Ce serait vous conduire en hommes qui voulez savoir à qui vous en prendre si vous dies malheureux. Ce dernier sens, adopté par Tourriel, Dobson, Bekker, Dobrée, Auger, dans sa traduction, et Scheefer, s'accorde parfaitement avec ce qui suit.

(07) Ce sont les Thébains, qui avaient secouru Artaxerxès-Ochus, dans le siége de Péluse, ville d'Égypte. Diod. xvi. Leur haine contre Philippe avait pour cause la prise de la ville d'Échine, dont ils supportaient impatiemment la perte. Voyez la neuvième Philipp.

(08) Selon Ulpien, il s'agit ici de l'eunuque Hermias, gouverneur d'Atarné, en Mysie, avec lequel Philippe, projetant déjà l'expédition d'Asie, entretint de secrètes Intelligences. Mentor de Rhodes, général au service de la Perse, avait attiré Hermias à une entrevue par de feintes promesses, et envoyé le rebelle, pieds et poings liés, à Artaxerxès. Diod., xvi ; Arist., de Cur. rei famil. ii.

(09)  On peut voir dans l'Apparatus,i, 633, les diverses leçons et interprétations de ce passage obscur. Je me suis conformé à la paraphrase de Schaefer : δέον πάντα τἄλλα μᾶλλον ἢ τοῦτο αἰτιᾶσθαι, cum oporteat alia omnia potius quam hoc culpare.

(10) Ici Démosthène va soutenir une opinion directement contraire à celle qu'il a soutenue au péril de sa vie dans ses discours précédents : il va faire l'éloge des distributions de l'argent publie. Il y a trois manières d'expliquer cette contradiction ; une seule serait satisfaisante, si elle était basée sur des preuves certaines, c'est de ne pu reconnaître ce discours comme l'ouvrage de Démosthène. La seconde, tout aussi difficile à prouver, c'est de supposer, avec Auger, que Démosthène voyant combien le peuple était attaché à ces distributions, jugea qu'il engagerait plutôt les riches à payer de bonne grâce, que les pauvres à ne rien recevoir. Enfin, s'il faut en croire Ulpien, Démosthène, dans ses Olynthiennes, ne se serait élevé coutre l'abus en question que par haine contre Eubule, qui en était l'auteur ; et celui-ci étant venu à mourir, Démosthène serait revenu ici à sa véritable opinion. Si l'on admettait cette dernière explication, il faudrait convenir que Démosthène s'est montré bien fort pour soutenir ce qu'il ne pensait pas, et bien faible pour défendre ce qu'il pensait. (Töpfer. )

(11) C'est-à-dire, la mort civile (ἀτιμία) prononcée par lu fameuse loi de Solon, τῆς τῶν γονέων κακώσεως. Voyez-Photius, c. 95, med.

(12) κρύβδην ψῆηρος suffrage au scrutin; ὁ φανερῶς θόρυβος, suffrage par acclamations. Dans les causes criminelles, on se servait, pour voter, du scrutin, afin de prévenir les animosités dangereuses.

(13) Ἀρχεῖον, dit M. Töpfer, est le lieu où le Sénat s'assemblait. Mais ce sens est constamment celui de βουλευτήριον. J'ai suivi le scoliaste de Bavière :  Ἀρχεῖα· ἔνθα οἱ δημόσιο χάρται ἀπόκεινται, χαρτοφυλάκια.

(14) Tout ce beau morceau sur les traîtres, jusgu'à l'éloquente apostrophe à Aristodème, se retrouve presque mot pour mot dans la huitième philippique. Nous y renvoyons le lecteur.

(15) A Marathon et à Salamine.