DÉMOSTHÈNE
HARANGUE CONTRE MIDIAS.
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SOMMAIRE DE LA HARANGUE CONTRE MIDIAS.
La harangue intitulée : contre Midias, est une des plus belles de Démosthène : voici quel en est le sujet. Démosthène avait été nommé chorège par sa tribu : la chorégie était une espèce de fonction publique sacrée. Le citoyen qui en était revêtu, s'engageait à former, à ses dépens, une troupe de musiciens ou de danseurs pour célébrer les fêtes de Bacchus. Il y avait une grande émulation entre les chorèges des différentes tribus. Celui dont la troupe avait été jugée la mieux formée et la mieux décorée, obtenait une couronne. Midias, homme puissant et riche, mais audacieux et insolent, ennemi de Démosthène, l'avait traversé pendant toute sa chorégie; par ses cabales auprès des juges nommés pour décider entre les chorèges, il avait réussi à le frustrer de la couronne à laquelle il prétendait. Il ne s'en était pas tenu là; il l'avait frappé en plein théâtre, il lui avait donné un soufflet dans l'exercice même de sa charge, en présence des Athéniens et des autres Grecs que la fête avait rassemblés. C'était l'usage que, dans les querelles survenues au sujet des fêtes de Bacchus, le peuple, assemblé tumultuairement dans le temple de ce dieu, prononçât d'abord sur les délits, qui étaient ensuite portés à un tribunal plus tranquille. Le peuple s'était assemblé au sujet de Midias, et l'avait condamné sur-le-champ. La cause, suivant la coutume, fut portée devant un tribunal particulier. Démosthène, qu'il avait cruellement outragé dans sa personne et dans son honneur, l'attaque par un discours plein de force, de véhémence et de noblesse, dont je vais donner l'analyse. Dans son exorde, l'orateur expose les motifs qui lui ont fait porter sa cause au tribunal devant lequel il plaide, quoique ses adversaires lui aient fais des offres considérables pour l'engager à se désister. Il espère que les juges, insensibles à toutes let sollicitations des parties adverses, feront justice à un citoyen aussi grièvement insulté dans sa personne, et dont l'insulte intéresse le public, les intéresse eux-mêmes. Dans les causes qui lui son personnelles, Démosthène a toujours l'art d'intéresser les antres, et surtout ceux auxquels il parle. Après un exorde plein d'adresse, quoique simple, il fait lire la loi qui permet de porter ses plaintes au peuple dans les disputes survenues au sujet des fêtes de Bacchus. Quelques réflexions qu'il fait sur cette loi, sont suivies de la lecture d'une autre, qui défend d'attaquer même un débiteur en retard dans les jours consacrés à ces fêtes, sous peine d'être poursuivi comme violateur de la fête. La loi défend d'attaquer même un débiteur en retard dans les jours consacrés aux fêtes de Bacchus; et Midias, dans ces mêmes jours, a commis des violences qui méritent les punitions les plus rigoureuses. Vient la narration, dans laquelle l'orateur détaille ces violences; il y montre comment il a été nommé chorège ; comment Midias l'a traversé et molesté pendant le cours de sa chorégie; toutes ses démarches pour frustrer sa troupe de la couronne; comment, enfin, il I'a frappé lui-même, avec outrage, en plein théâtre. Il divise son discours en trois parties. Dans la première, il parlera de tous les outrages qu'il a essuyés de la part de Midias ; il exposera dans la seconde, les fautes que le même Midias a commises envers les autres citoyens ; la troisième offrira un tableau de toute la vie de l'accusé. Les outrages de Midias, dont se plaignait Démosthène, et qui faisaient le fond de la cause, consistaient en ce qu'il avait brisé les couronnes d'or, et déchiré la robe brochée d'or qu'il faisait faire pour la fête; en ce qu'il avait inquiété sa troupe, et principalement ce qu'il l'avait frappé lui-même avec outrage sur le théâtre. Il suffisait qu'il eût exposé les deux derniers faits dans sa narration, il n'était pas besoin qu'il les prouvât. Il prouve le premier, par la déposition de l'orfèvre, sur la maison duquel Midias s'était jeté pendant la nuit pour exécuter son mauvais dessein. Après quoi, il passe tout d'un coup à la réfutation des défenses qu'il devait employer. Première défense. Démosthène aurait dû l'attaquer par les voies ordinaires. Réponse. Si on l'avait attaqué par ces voies, il se plaindrait qu'on ne l'attaquât point par les voies que la loi prescrit contre ceux qui ont violé la fête. Midias ne doit pas exiger qu'on le poursuive par telle voie plutôt que par telle autre, mais prouver qu'il n'est pas coupable. Si Démosthène a préféré celle qui ne lui apporte aucun profit, loin que cette conduite doive lui faire tort, il faut qu'on lui en sache gré. Seconde défense. On ne doit pas le perdre à cause de Démosthène. Réponse. Quand 'on punit un citoyen pour en avoir offensé un autre, on ne le livre pas à celui qui est offensé, mais on exécute les lois portées contre celui qui offense. Troisième défense. C'est Démosthène que Midias a insulté ; on doit le poursuivre comme ayant insulté un particulier. Réponse. Ce n'est pas Démosthène qui a été insulté, mais un chorège d'Athènes. Plusieurs exemples prouvent invinciblement qu'il faut distinguer l'homme en charge, du simple particulier. Midias a insulté un chorège, il doit donc être puni en vertu des lois qui défendent d'insulter un chorège dans l'exercice de sa charge. Une preuve que les lois anciennes ne suffisaient pas pour les insultes commises dans les fêtes de Bacchus, c'est qu'on en a porté de nouvelles pour ce cas spécial.
Réponse. De ce que plusieurs autres ont été insultés, c'est une raison de plus pour punir Midias, afin de contenir l'insolence. D'ailleurs, ceux que doit citer Midias, étaient dans un cas différent du sien; ils en ont insulté d'autres dans un mouvement de colère ; Midias a insulté Démosthène avec réflexion. Or, les lois, dans tous les cas établissent une peine plus rigoureuse pour les fautes volontaires que pour celles qui sont involontaires. L'orateur explique la plupart de ces cas, et donne les raisons de la loi, surtout pour ce qui concerne l'insulte, qu'elle défend sous les peines les plus sévères, même par rapport aux esclaves. Il s'étend un peu sur ce dernier article ; il vante la sagesse et la douceur des Athéniens qui ont porté une telle loi. Après avoir détruit toutes les défenses de Midias, il soutient qu'on ne doit pas seulement le punir comme auteur d'une insulte, mais comme coupable d'une impiété. Il le prouve en montrant, par la lecture de plusieurs oracles, que les chorèges et les choeurs exercent une fonction religieuse, et que c'est insulter le dieu au nom duquel ils s'assemblent, que de les insulter dans l'exercice de cette fonction. Il oppose la retenue de plusieurs citoyens, dont des motifs de rivalité auraient pu excuser les violences, à l'insolence de Midias, qui n'avait aucun de ces motifs ; il rapporte plusieurs exemples pour montrer que l'insulte a souvent eu des suites très fâcheuses. Instruit des excès qu'elle a fait commettre quelquefois à ceux qui étaient insultés, on doit estimer davantage sa modération, on doit le récompenser en le vengeant au nom des lois qu'il réclame. Mais quelle était la cause de la haine que Midias portait à Démosthène ? ce sont d'anciennes injures de la part de Midias lui-même, pour lesquelles notre orateur lui a intenté procès. Il exposé fort au long ces injures, et toutes ses menées criminelles dans ce procès, pour échapper au jugement et à la peine. Il gémit sur le sort d'un nommé Straton qui avait été leur arbitre, et que Midias avait fait diffamer, parce qu'il l'avait condamné par défaut ; il anime les juges contre lui, et les excite à le condamner, sans égard pour ses richesses qu'on doit lui ôter, comme la seule cause de son insolence ; il ne mérite aucune compassion, puisqu'il n'en a pour personne ; on doit le traiter comme il traite les autres. Avant de passer à la seconde partie, Démosthène cite d'autres traits de la méchanceté de Midias à son égard : il insiste sur ce que, dernièrement, il avait voulu le faire passer pour meurtrier de Nicodème, tué par Aristarque. Il s'élève avec force et avec véhémence contre cette imputation calomnieuse ; il lui reproche d'avoir poursuivi lui-même, uniquement pour lui faire de la peine, Aristarque, qui pouvait être coupable, mais qu'il ne devait pas attaquer, l'ayant traité comme ami ; il exhorte les juges, par leur propre intérêt, à ne pas laisser impunies de pareilles injures ; il fait une récapitulation vive de tous les excès de Midias à son égard, montre toute l'énormité de ses fautes, conclut à une punition rigoureuse, et passe à la seconde partie, dans laquelle il expose les fautes qu'il commises envers les autres citoyens, envers des particuliers et des troupes entières. Pour ce qui regarde les particuliers, il fait lire des mémoires qui renferment, dit-il, des crimes de bien des espèces, des insultes faites à des citoyens, des cabales contre des amis, des impiétés envers les dieux. Après cette lecture, il parle des accusations intentées par le même Midias à une troupe entière de cavalerie, avec lesquels il avait servi dans une expédition. Il conclut qu'on doit le punir sévèrement, le dépouiller de ses richesses, qui en font un homme puissant et redoutable. Il tâche de le rendre odieux aux juges, en le présentant soutenu d'une foule de citoyens qu'il tient à sa solde, que sa fortune attache à sa personne. Si les citoyens qu'il a insultés, ne l'ont point poursuivi en justice, c'est qu'ils redoutaient sa puissance. Plus on l'a laissé tranquille jusqu'à ce jour, moins il mérite qu'on lui fasse grâce actuellement. On a condamné autrefois Alcibiade, qui était un autre homme que lui, et qui était moins coupable (l'orateur diminue les fautes de l'un, et exagère celles de l'autre); pourquoi l'épargnerait-on? C'est ici que l'orateur passe à la troisième perde de sa harangue. Il expose toute la vie de l'accusé, sa naissance obscure et son origine inconnue. Il déprime, autant qu'il peut, les charges publiques qu'il a remplies ; il entre dans le détail de ces charges, et montre que, quoique âgé de cinquante ans, il lui est très inférieur, pour cette partie, à lui-même qui n'en a que trente-deux. Il jette da ridicule sur son luxe énorme et son faste excessif ; il tourne à son désavantage les services qu'il prétend avoir rendus à l'état. La ville ne lui a aucune obligation : elle n'a que trop payé des services chimériques par des honneurs réels, dont il a encore mal usé. Dans le reste du discours, Démosthène rapporte l'exemple da plusieurs citoyens qui ont été condamnés pour avoir violé une fête, ou pour d'autres fautes moins considérables que celle de Midias ; il montre de nouveau qu'il ne mérite aucune compassion ; que les larmes qu'il versera, que ses enfants qu'il présentera, doivent trouver les juges insensibles; il prévient plusieurs. reproches que devait lui faire Midias pour décréditer son accusation ; il rappelle son orgueil stupide et féroce, qui lui fait outrager les citoyens isolés, les citoyens réunis, qui le rend insupportable à tout le monde, à ses amis même; il anime les juges contre lui, par la conduite qu'il a tenue depuis le jugement du peuple, par la malveillance qu'il conserve intérieurement contre le peuple, et qu'il a manifestée dans plusieurs occasions précédentes ; il s'efforce de rendre inutiles les sollicitations des orateurs, et surtout d'Eubulus, ministre d'Athènes, qui avait beaucoup de crédit, d'une foule d'hommes riches qui priaient les juges de l'absoudre à leur considération. Il les prie, lui, de ne pas l'abandonner aux l'artisans de Midias, de tenter un citoyen qui n'a pas trahi sa cause, la cause du peuple et des lois, qui n'a cédé à aucune sollicitation. La péroraison est magnifique, le ton en est noble et sublime : l'orateur montre qu'une insulte faite à un seul citoyen intéresse tous les autres; que Midias, dans son intention, les a insultés tous. Il exhorte les juges à maintenir et à défendre les lois, qui assurent leur tranquillité et leur autorité, à punir celui qui les enfreint et qui les brave, quel qu'il puisse être ; à ne permettre à personne de les violer impunément. Instruits de tous les crimes de Midias, ils doivent le condamner pour leur santé propre et surtout à cause du dieu dont il a violé la fête. Ce discours a dû être composé dans la trente-deuxième année de Démosthène, et dans la quatrième de la CVIIe olympiade, sous l'archonte Callimaque. Je dis composé, et non prononcé ; car Eschine dit positivement, dans sa harangue sur la couronne, que Démosthène s'était arrangé avec Midias. Or, si la cause eût été réellement plaidée, il n'eût pu contredire un fait aussi public. Pour éclaircir plusieurs endroits du discours, il est à propos de donner quelques idées préliminaires sur les choeurs. On distinguait à Athènes deux sortes de choeurs : des choeurs de tragédie et de comédie, et des choeurs isolés. Dans l'origine, tous les choeurs étaient isolés. Ce n'était d'abord qu'une troupe d'hommes ou de femmes, de jeunes gens ou de jeunes filles, qui chantaient on qui dansaient, ou qui faisaient l'un et l'autre en même temps, pour célébrer les fêtes ou implorer la protection de quelque divinité, et surtout de Bacchus. Dans la suite, on introduisit un acteur qui prenait la parole, et donnait au choeur le temps de reprendre haleine. On joignit bientôt un second acteur, puis un troisième, qui liaient conversation entre eux. Cette nouveauté eut tant de succès, que le choeur qui, dans les commencements, avait été le principal, devint l'accessoire : il fut renvoyé aux intermèdes, ou ne parut dans la pièce que comme simple acteur qui prenait part à l'action, et qui donnait des conseils aux principaux personnages. On conserva cependant les choeurs isolés, c'est-à-dire, des troupes de musiciens ou de danseurs, qui dansaient simplement, ou qui chantaient, en dansant, des hymnes en l'honneur de Bacchus. Chaque tribu avait ses choeurs, qui disputaient à l'envi le prix de la musique et de la danse. Le prix était un vase à trois pieds destiné au vainqueur. La fête demandait de grands frais ; et, pour les soutenir, on prenait le plus riche citoyen de chaque tribu, s'il ne s'offrait de lui-même; et, dans les deux cas, on l'appelait chorège. L'exercice de cette charge lui coûtait beaucoup ; et, pour le dédommager en quelque sorte, on avait établi que son nom, avec celui du poète de la tribu victorieuse, se graverait sur le vase à trois pieds, qui demeurait enfin attaché à la voûte du temple de Bacchus. Voici une de ces inscriptions tirées de Plutarque : La tribu antiochide remporta le prix ; Aristide, chorège, fit les frais du choeur, et le poète Aristarque composa les comédies. Plutarque parle d'un choeur de comédie : s'il était question d'un choeur isolé, on mettrait l'inscription, et tel poète composa les hymnes. Il y avait quatre personnes principales dans les choeurs : le chorège, chorègos, qui était chargé des frais de la troupe ; le maître de choeur, celui qui l'instruisait et qui la formait, o tous chorous didaskôn ; le coryphée, choryphaios, le chef de la troupe, celui qui la menait, enfin, le joueur de flûte, aulètès, celui qui donnait le ton. HARANGUE CONTRE MIDIAS. [1] Vous savez sans doute, Athéniens, (et qui de vous pourrait l'ignorer?) quel est le caractère violent de Midias, et son insolence envers tout le monde. Ce que chacun eut cru devoir faire s'il eût été insulté, je l'ai fait; j'ai porté mes plaintes devant le peuple; j'ai accusé Midias d'avoir violé la sainteté des fêtes de Bacchus, en osant me frapper sur le théâtre, après avoir exercé envers moi mille autres violences durant tout le cours de ma chorégie. [2] Lors donc que le peuple, animé d'une juste colère contre ce méchant homme, et aussi sensible à l'injure qu'il m'avait faite, que peu touché de ses démarches et de celles de tous ses fauteurs l'eut condamné tout d'une voix, sans égard ni à sa fortune ni à ses promesses ; alors plusieurs citoyens, dont quelques-uns même siègent actuellement dans ce tribunal, vinrent m'exhorter à le poursuivre sans relâche, à le livrer entre les mains de votre justice. Deux motifs, à ce qu'il me semble, les faisaient agir; l'outrage que j'avais essuyé, et l'envie de faire punir un audacieux qu'ils voyaient attaquer tout le monde indistinctement, un homme dont il n'était plus possible de contenir l'insolence. [3] Dans cet état de choses, après avoir rempli les formalités nécessaires, autorisé par le magistrat, je le présente, comme vous voyez, devant votre tribunal, pour implorer contre Midias la sévérité des lois. Dans l'objet de me faire désister de mon accusation, on a employé, à plusieurs reprises, les caresses, les menaces même : tout a été inutile. [4] C'est à vous maintenant de faire, pour votre part, ce qui est convenable; et plus Midias vous a importunés par ses sollicitations, lui que je voyais dernièrement intriguer sans pudeur dans la place publique, plus j'espère que vous me ferez justice. Non, je ne puis prendre de vous cette idée, que vous soyez capables de froideur et d'indifférence dans une insulte qui vous a tant affectés d'abord; ni que des juges, liés par un serment prononcent contre les lumières de leur conscience, afin d'assurer pour toujours à Midias l'impunité de son audace. [5] Si j'avais à l'accuser d'avoir enfreint les lois, prévariqué dans une ambassade, ou commis quelque autre délit pareil, je me dispenserais de vous adresser des prières, persuadé que, dans de semblables délits, l'accusateur doit simplement convaincre les juges, et que l'accusé seul peut les prier. Mais puisque Midias a corrompu les juges du théâtre, et que par-là il a frustré ma tribu du prix de la victoire ; [6] puisque j'ai été frappé moi-même, et outragé comme ne le fut jamais nul chorège, je puis, sans doute, dans un jugement où je poursuis la condamnation que le peuple, justement indigné, a prononcée contre le coupable, oui, Athéniens, je puis vous adresser des prières. En effet, je me regarde aujourd'hui, en quelque sorte comme accusé, puisque manquer d'obtenir réparation d'une insulte, est une espèce d'affront juridique. [7] Écoutez-moi donc, je vous prie, avec bienveillance, et, si je convaincs Midias de m'avoir insulté d'une manière atroce, d'avoir attaqué dans ma personne les lois et tous les citoyens, vengez-moi, je vous supplie, vengez-vous vous-mêmes. Il est vrai que c'est moi personnellement qui ai été outragé sur le théâtre ; mais il s'agit, en ce jour, de décider si l'on autorisera de pareils excès, et s'il sera permis d'outrager impunément celui que l'on voudra d'entre vous. [8] Si donc quelqu'un des juges a pu d'abord regarder cette cause comme particulière; considérant aujourd'hui qu'il importe à l'état qu'aucun de ses membres ne puisse être ainsi maltraité par aucun homme quel qu'il soit, qu'il m'écoute comme dans une cause qui intéresse le public, et qu'il prononce ce qui lui paraîtra le plus conforme à la justice, On va commencer par vous lire la loi en vertu de laquelle on peut porter ses plaintes au peuple; je continuerai ensuite, et je tâcherai de vous instruire sur le reste. Greffier, lisez la loi. LOI. « Les prytanes assembleront le peuple dans le temple de Bacchus, le lendemain des fêtes de Jupiter. Dans cette assemblée, les proèdres feront d'abord leur rapport sur les rites de la religion ; ensuite ils permettront des plaintes devant le peuple, au sujet des disputes survenues dans les fêtes de Bacchus, et qui n'auront pas été terminées. » [9] Telle est la loi, Athéniens, qui autorise les particuliers à porter leurs plaintes devant le peuple. Elle dit, comme vous venez de l'entendre, que les prytanes assembleront le peuple dans le temple de Bacchus, le lendemain des fêtes de Jupiter, et que dans cette assemblée, les proèdres, après avoir fait leur rapport sur les objets réglés par l'archonte, s'occuperont des fautes et des prévarications commises contre la sainteté de la fête. Cette loi est, aussi utile que sage, comme le démontre l'événement ; car, s'il est des hommes dont la crainte d'une pareille loi puisse contenir l'insolence, que ne feraient-ils pas s'ils n'avaient point d'accusation à craindre, ni de risque à courir? [10] Je vais vous faire lire une autre loi qui prouvera la modération des citoyens qui l'ont adaptée, et l'audace de Midias qui l'a enfreinte. LOI. « Evégore a dit: Lorsqu'on célèbre les fêtes de Bacchus au Pirée et à la campagne, par des tragédies et par des comédies; lorsqu'on les célèbre dans Ia ville, par des tragédies et par des comédies avec des troupes de jeunes gens et des choeurs de musiciens ; lorsqu'on célèbre les fêtes de la lune et du soleil (01) il ne sera point permis, dans les jours consacrés à ces fêtes, de prendre des gages, de rien exiger de personne, de ceux même qui seront en retard pour l'exécution d'une sentence. Quiconque enfreindra cette loi, pourra être accusé par ceux auxquels il aura fait violence; on pourra porter des plaintes à son sujet dans l'assemblée du temple de Bacchus ; il sera poursuivi comme ayant violé la sainteté de la fête, et on le jugera comme on juge tout violateur d'une fête. » [11] Faites attention Athéniens, que la première loi autorise les particuliers à porter leurs plaintes devant le peuple, contre ceux qui ont violé la sainteté de la fête ; et celle-ci, contre ceux même qui, dans des jours de fête, poursuivent l'exécution d'une sentence qu'ils ont obtenue, prennent quoi que ce soit à particulier, ou lui font quelque violence. Oui, loin de permettre qu'en ces jours on outrage un citoyen dans sa personne, ni qu'on trouble les préparatifs qu'il a faits pour s'acquitter honorablement de sa charge, vous laissez même, du moins pour ce temps, au particulier condamné, les biens qu'il possède, mais qui ont été adjugés à un autre par une sentence. [12] Vous donc, aussi pleins d'humanité que de religion, vous ne permettez pas, dans des jours de fête, de poursuivre la réparation même des injustices qui ont précédé; et Midias, dans ces mêmes jours, ainsi qu'on le prouvera, a commis des violences qui méritent les peines les plus rigoureuses. Je vais, les détailler toutes, je les suivrai depuis la première jusqu'à la dernière, jusqu'à celle qui l'a porté à me frapper. On verra qu'il n'en est pas une seule qui ne rende digne de mort celui qui en est coupable. [13] Depuis trois ans, il n'y avait pas eu de chorège dans la tribu Pandionide ; on tenait l'assemblée dans laquelle la loi ordonne à l'archonte de tirer au sort le musicien qui doit donner le ton aux choeurs; on se faisait mutuellement des reproches ; l'archonte s'en prenait aux administrateurs de la tribu, ceux-ci s'en prenaient à l'archonte : je m'offris de moi-même pour être chorège. Le sort me procura l'avantage de choisir, avant mes rivaux, l'homme le plus essentiel du choeur. [14] Applaudissant tous au zèle avec lequel je m'étais offert, et à la fortune qui l'avait favorisé, vous témoignâtes, à l'envi, votre contentement par les démonstrations les plus éclatantes. Midias seul en fut offensé, comme sa conduite l'annonce. Il n'a cessé, en effet, de me molester durant le cours de ma chorégie, de me vexer de toutes les manières. [15] Je ne dirai pas tous les mouvements qu'il s'est donnés, dans la vue de me nuire, pour empêcher que les acteurs de ma troupe ne fussent exempts du service, ou pour se faire nommer administrateur des fêtes de Bacchus; je ne parlerai pas de ces persécutions, et de mille autres pareilles. Si chacune de ces injures, a pu m'affecter autant que les plus graves, moi qui alors étais persécuté et insulté; vous, pour qui elles étaient étrangères, vous ne les jugez peut-être pas de nature à former une accusation. Mais ce que je vais dire, vous indignera tous autant que moi-même : [16] ce que vous allez entendre, est au-dessus de toute expression; et je n'entreprendrais pas aujourd'hui d'en accuser Midias, si je ne l'eusse convaincu sur-le-champ, devant le peuple. Il a voulu, Athéniens, déchirer ma robe sacrée : car une robe qu'on prépare pour une fête, est sacrée, tant qu'elle est destinée à cet usage ; il a voulu briser les couronnes d'or que j'avais commandées pour décorer ma troupe. Forçant, de nuit, la maison de l'orfèvre, il a exécuté son dessein en partie, et il aurait été plus loin, si on ne l'eût arrêté. Qui jamais dans une ville se porta à de tels excès ? [17] Ce n'est pas tout, il a corrompu le maître de ma troupe ; et si Téléphane, mon principal acteur ne se fût montré fidèle, et que, s'apercevant de la manœuvre, il n'eût chassé le traître, il ne se fût chargé lui-même d'exercer la troupe, elle serait entrée, Athéniens, sans avoir été instruite ; et moi, chorège, hors d'état de disputer le prix, j'aurais essuyé le plus cruel affront. Peu satisfait de ces injures, il a été jusqu'à corrompre l'archonte, un des chefs de la fête; il a animé contre moi mes rivaux; il a crié, menacé, obsédé des juges liés par la religion du serment, fermé et cloué la porte du théâtre; enfin, n'étant que particulier, il n'a cessé de me nuire par des coups d'autorité, par des attentats inouïs. [18] Vous qui devez prononcer dans cette cause, vous m'êtes tous témoins de ce qui s'est passé sur le théâtre ou devant le peuple. Mais quels discours méritent plus créance que ceux à la vérité desquels les juges eux-mêmes peuvent rendre témoignage? Après avoir corrompu les juges des acteurs de danse et de musique, il a couronné tous ses beaux exploits par me frapper outrageusement, et par enlever le prix de la victoire à ma tribu qui avait l'avantage. [19] Voilà, Athéniens, les excès de son insolence envers ma tribu et moi, et ses impiétés envers le dieu dont on célébrait la fête; voilà ce qui m'a fait porter mes plaintes devant le peuple. Je supprime, pour le moment, mille autres traits pareils, que je vous exposerai tout à l'heure, dans le plus grand détail qu'il me sera possible ; traits de méchanceté de tous les genres, traits d'insolence envers plusieurs d'entre vous, traits d'audace les plus révoltants. [20] Parmi les offensés, les uns, redoutant sa violence et sa témérité, ses amis et ses richesses, son crédit et sa puissance, se sont tenus tranquilles ; les autres qui l'ont poursuivi en justice, n'ont rien obtenu; quelques-uns, persuadés, sans doute que c'était leur avantage, ont fait avec lui des arrangements particuliers. Ceux qui se sont laissé gagner, ont tiré satisfaction pour eux-mêmes : c'est à vous, Athéniens, à venger les lois d'Athènes, au mépris desquelles il les a insultés, eux, tous les autres et moi. [21] Sévissez en même temps contre tous ses attentats et infligez-lui la peine que vous jugerez convenable. Je le convaincrai d'abord en rappelant tous les outrages que j'ai essuyés de sa part ; je détaillerai ensuite tous les excès qu'il a commis envers vous ; enfin, j'exposerai toute sa vie, et je montrerai qu'il mérite non une mort seule, mais, plusieurs morts. On va lire, avant tout, la déposition de l'orfèvre. Lisez greffier. [22] Déposition. « Moi Pammenès, fils de Pammenès, j'ai, dans la place publique, une maison où je demeure, et où j'exerce la profession d'orfèvre. Démosthène, pour lequel je dépose, m'avait commandé des couronnes d'or, et une robe brochée d'or, qui devaient servir dans les fêtes de Bacchus ; j'avais achevé ces ouvrages, et je les gardais chez moi, prêts à les livrer. Midias, qui est accusé par Démosthène, est venu fondre avec d'autres, pendant la nuit, sur ma maison dont il a forcé la porte. Il a voulu briser les couronnes, et déchirer la robe; il a gâté une partie des ouvrages; et si quelques-uns ont été épargnés, c'est que m'étant montré, je l'ai empêché d'aller plus loin (02). » [23] J'ai à vous rapporter, Athéniens, comme je le disais en commençant, mille traits de sa méchancheté et de son insolence envers d'autres. Quoique ces traits soient en aussi grand nombre que vous le verrez tout à l'heure, je les ai recueillis tous ; et la chose n'était pas difficile, puisque ceux qui avaient à se plaindre de lui sont venus me trouver d'eux-mêmes. [24] Mais je veux auparavant vous prévenir des défenses par lesquelles il essaiera de vous en imposer. Il est aussi utile pour vous qu'essentiel pour moi, que je détruise ces objections. Pourquoi ? c'est qu'empêcher qu'on ne vous trompe, c'est vous mettre en état de prononcer d'une manière conforme à la justice et à votre serment. Vous devez donc donner la plus grande attention aux réponses solides que vous allez entendre, les graver dans votre mémoire, et les opposer à toutes les vaines défenses de Midias. [25] Voici un premier moyen qu'il emploiera certainement ; je l'ai su de quelques-uns auxquels il s'en est ouvert. Il dira que, quand même j'aurais éprouvé, de sa part, les mauvais traitements dont je me plains, je devais le poursuivre en justice ordinaire. Il a brisé des couronnes d'or, déchiré une robe, inquiété ma troupe, et m'a frappé moi-même : eh bien ! je devais l'attaquer par les voies accoutumées comme ayant causé du dommage ou fait une insulte ; mais non pas, certes, le poursuivre par une voie extraordinaire, et conclure envers l'état à une peine pécuniaire ou corporelle. [26] Pour moi, je suis persuadé d'une chose, et vous devez, Athéniens, en être persuadés vous-mêmes, que, si je l'eusse poursuivi en justice ordinaire, il aurait aussitôt changé de langage. Quand les plaintes seraient fondées, aurait-il dit, c'est devant le peuple qu'il aurait fallu me traduire, et me faire condamner sur-le-champ à une peine. Car enfin, aurait-il ajouté, la troupe était formée au nom de la république tout l'habillement était préparé pour la fête, l'offensé était chorège. Pourquoi donc n'avoir pas préféré la poursuite ordonnée, par la loi, contre les violateurs de la fête ? [27] Voilà ce qu'il aurait dit, je n'en doute pas. En effet, c'est l'usage d'un coupable accusé, de décliner la forme selon laquelle on veut le faire punir, et de prétendre que ce n'est point de telle manière qu'on devait l'attaquer; c'est le devoir de juges raisonnables de ne pas écouter de pareils discours et de punir l'insolent cité devant eux. [28] Ne lui permettez donc point de dire que la loi m'autorise à le poursuivre dans la forme selon la-; quelle on poursuit l'auteur d'une insulte; oui, elle m'y autorise; mais Midias doit montrer, ou qu'il n'a pas fait ce dont je l'accuse, ou qu'en le faisant, il n'a pas violé la sainteté de la fête ; c'est là sur quoi je l'ai accusé devant le peuple ; c'est là sur quoi vous allez prononcer. Si, n'usant pas du privilège d'une action ordinaire, et cédant à la république la réparation de l'offense qui m'a été faite, j'attaque Midias selon la forme qui ne me procure aucune réparation pécuniaire ; loin que cette conduite doive me faire tort, il faut m'en tenir compte. [29] Je sais aussi qu'il répétera sans cesse : Ne me livrez pas à Démosthène ; ne me perdez pas à cause de Démosthène ; me ferez-vous périr parce que nous sommes ennemis? Je sais qu'il affectera de répéter ces paroles, afin de me rendre odieux. [30] Mais il n'en est pas comme il le dit ; il s'en faut bien. Non, ce n'est jamais à celui qui accuse que vous livrez le coupable. Quand un citoyen est offensé, ce n'est pas la peine à laquelle il conclut contre l'offenseur, que vous infligez ; vous avez au contraire, établi des lois qui ont précédé l'offense, avant de connaître l'offenseur ou l'offensé. Et que font ces lois ? Elles promettent de donner à tout citoyen attaqué le droit de poursuivre celui qui l'attaque. Lors donc que vous punissez un infracteur des lois, vous ne le livrez pas aux accusateurs; mais vous vous assurez à vous-mêmes la jouissance de vos lois. [31] C'est Démosthène qui a été insulté, dira-t-il encore. Voici ma réponse, qui est solide, et qui intéresse la sûreté commune. Ce n'est pas Démosthène qu'on a insulté sur le théâtre, mais votre chorège. La différence est essentielle ; je vais vous le faire comprendre. [32] Vous le savez sans doute ; parmi les thesmothètes, aucun ne porte le nom de sa charge, mais le nom qu'il a reçu de son père. Insulte-t-on un d'entre eux, comme simple particulier, par des actions ou par des paroles ; on sera accusé peur insulte d'actions ou de paroles, par les voies ordinaires. L'a-t-on insulté comme thesmothète, on sera diffamé. Pourquoi ? c'est que, dans sa personne, on a insulté les lois, on a insulté un personnage revêtu d'un caractère public (03); car thesmothète n'est pas un nom de famille, mais un nom de charge. [33] Il en est de même de l'archonte. L'a-t-on frappé ou injurié dans l'exercice de son emploi, on serra diffamé. L'a-t-on insulté comme particulier, on ne peut être attaqué que par une action ordinaire. Nous dirons la même chose de tous ceux que l'état a revêtus de quelque honneur, de quelque charge, ou de quelque fonction. De même moi, si Midias m'eût insulté, dans un autre jour, comme simple particulier, j'aurais dit le poursuivre par une action ordinaire ; [34] mais, si toutes les insultes qu'il m'a faites, il les a faites à votre chorège, dans un jour de fête, il doit encourir la vindicte publique. Car ce n'est pas Démosthène qu'il a insulté, mais un chorège, personnage public ; et il l'a insulté en un jour où les lois le prennent sous leur sauvegarde. Quand on veut établir des lois, il faut bien les examiner; dès qu'elles sont établies, il faut les observer, la justice et votre serment le demandent. [35] Nous avions anciennement des lois portées contre ceux qui ont lésé, insulté ou frappé ; s'il eût suffi de ces lois contre ceux qui auraient commis quelqu'un de ces délits dans les fêtes de Bacchus, il n'eût pas été besoin d'une loi nouvelle. Mais les anciennes ne suffisaient pas ; ce qui le prouve, c'est que vous avez porté une loi pour le dieu même, pour les fêtes célébrées en son honneur. Si donc un citoyen a encouru la peine des anciennes lois, de la nouvelle et de toutes les autres, est-ce une raison pour qu'il jouisse de l'impunité ? n'en est-ce pas une plutôt pour qu'il soit puni plus sévèrement? Oui, sans doute. [36] On m'a rapporté qu'il allait, de tous côtés, demandant et recueillant les noms des citoyens, à qui il est arrivé de recevoir une insulte, et qu'il se dispose à vous les citer tous. Par exemple, il vous parlera d'un proèdre, que l'on dit avoir été frappé autrefois par Polyzèle, d'un thesmothète qui, dernièrement, fut insulté, en retirant une musicienne des mains de ses ravisseurs. Il vous en citera plusieurs autres, comme si, parce qu'un grand nombre de citoyens ont essuyé des insultes, vous deviez moins punir celles que j'ai reçues. [37] Je pense, au contraire, que s'est une raison pour user d'une plus grande rigueur, si le bien public vous touche. Qui de vous, en effet, ignore que c'est l'impunité des coupables qui multiplie ces violences, et que le seul moyen de Ies arrêter pour la suite est de punir, d'une manière convenable, tout ce qu'on trouvera d'insolents ? Si donc il est nécessaire de les effrayer tous par un acte de sévérité, les insultes déjà faites ne sont qu'un nouveau motif de punir Midias et un motif d'autant plus fort, que ces insultes sont plus multipliées et plus criantes. Mais, si vous trouvez bon d'encourager Midias et tous les hommes de son espèce, il faut le laisser impuni. [38] Midias, d'ailleurs, peut-il apporter Ies mêmes excuses que les personnes qu'il cite ? Celui qui a frappé le thesmothète, pouvait se rejeter sur l'ivresse, sur la passion qui le transportait, ou sur l'ignorance, puisque l'affaire s'était passée pendant la nuit et dans Ies ténèbres. Pour ce qui est de PoIizèle, il a donné des coups, emporté par la fougue du caractère, qui ne lui a pas laissé le temps de la réflexion ; il n'était pas ennemi, et n'avait pas dessein d'insulter. Midias ne peut alléguer aucune de ces excuses. Il était mon ennemi, il m'a insulté sciemment et pendant le jour : son dernier trait d'insolence et tout le reste de sa conduite annoncent qu'il avait intention de m'outrager. [39] Enfin, ma conduite est bien différente de celle du thesmothète et du proèdre. L'un, peu sensible à l'injure, ne s'embarrassant ni du peuple ni des lois, s'est accommodé pour je ne sais quelle somme, et s'est désisté de sa poursuite. L'autre, ne tenant pas plus compte du peuple et des lois, a fait aussi un accommodement particulier, et n'a pas même cité Polizèle en justice. [40] Ainsi, veut-on les blâmer dans le cas présent, on peut les citer. Veut-on excuser Midias, on doit chercher d'autres exemples, puisque ma conduite ne ressemble nullement à la leur, puisque je n'ai rien reçu, ni voulu rien recevoir, mais que, fidèle à poursuivre la réparation due aux lois, aux dieux et à vous-mêmes, je vous la remets aujourd'hui entre les mains. Ne lui permettez donc pas d'alléguer de faibles raisons : s'il insiste, ne l'écoutez pas, comme si elles étaient solides. [41] Soyez bien résolus à les rejeter ; et il ne lui restera plus rien à dire. Car, enfin, de quel prétexte pourra-t-il colorer sa conduite ? Par quelle excuse pourra t-il la défendre? Il se rejettera peut-être sur la colère. On peut rejeter sur cette passion les insultes faites dans un premier mouvement, qui n'a pas permis de réfléchir ; mais, les violences qu'on est convaincu d'avoir préparées de loin, et méditées plusieurs jours de suite au mépris des lois, on ne peut dire qu'on s'y soit porté par colère ; il est hors de doute qu'on s'y est livré exprès et à dessein. Mais, puisqu'il est évident que Midias a fait l'action dont je l'accuse et qu'il l'a faite avec l'intention de m'outrager, il ne s'agit plus que de consulter les lois d'après lesquelles vous avez juré de prononcer. Ces lois infligent une bien plus grande peine à ceux qui se sont portés à une violence avec réflexion et dans le dessein de faire une insulte, qu'à ceux qui l'ont commise de toute autre manière. [43] Commençons par les lois touchant les dommages. Elles ordonnent toutes une réparation au double, si le dommage est volontaire, et au simple, s'il est involontaire. Cette disposition est juste : celui qui a souffert le dommage, doit obtenir un dédommagement dans quelque cas que ce soit ; au lieu que celui qui l'a causé, ne doit pas subir la même peine, soit qu'il ait agi exprès ou sans dessein. Quant aux lois concernant le meurtre, elles condamnent à la mort, à un exil perpétuel, ou à la confiscation de tous les biens, un homme qui en a tué un autre volontairement : s'il n'avait pas volonté de tuer, elles usent envers lui de douceur et d'indulgence. [44] Et ce n'est pas seulement dans ce cas, mais dans tous que les lois s'arment de sévérité contre les violences réfléchies. En effet, si un particulier refuse de payer la somme à laquelle il est condamné par un jugement, pourquoi la loi, ne se bornant pas à donner contre lui une action ordinaire, prescrit-elle une amende au profit du trésor ? Pourquoi encore si un citoyen prend, dans la bourse d'un autre qui le lui permet, un ou deux talents, ou même dix, et qu'Il refuse de les lui rendre, n'a-t-il pas affaire à la partie publique ; tandis que, s'il lui enlève de force un objet de la moindre valeur, il est condamné, par les lois, à payer au trésor autant qu'au particulier? [45] Pourquoi ? c'est que le législateur a regardé toute violence comme un crime public, un crime qui intéresse ceux même qui ne sont pas offensés. Il a jugé que la force est donnée à peu d'hommes, mais que les lois sont pour tous ; qu'il faut distinguer celui qui se rend à la séduction, de celui qui cède à la violence ; qu'on doit venger l'un suivant les formes accoutumées, et l'autre par une voie extraordinaire. Aussi, pour une insulte, donne-t-il action à tout citoyen, et veut-il que l'amende soit an profit du trésor. Il pense que celui qui insulte, manque autant à la république, qu'à la personne insultée ; que celle-ci doit se contenter de la peine du coupable et que ce n'est pas à elle que doit revenir l'amende imposée pour l'insulte. [46] Il va même jusqu'à permettre de poursuivre quiconque a insulté un esclave. Selon lui, on ne doit pas examiner quelle est la personne, mais l'action : or l'action étant nuisible à la société, elle doit être défendue dans tous les cas, même à l'égard d'un esclave. Car il n'est rien, ô Athéniens, non il n'est rien de moins supportable qu'une insulte, ni qui mérite plus toute votre rigueur. Greffier prenez la loi concernant les insultes et faites-en lecture. Il est bon d'entendre la loi même. LOI. « Si quelqu'un insulte un enfant, une femme, un homme libre ou un esclave ; s'il fait à l'un d'eux quelque outrage, tout Athénien qui n'en aura pas d'empêchement, pourra le citer devant les thesmothètes ; les thesmothètes lui donneront action après trente jours, à compter du jour de la citation, s'ils n'en sont empêchés par quelque affaire publique ; sinon le plutôt possible. Si l'accusé est convaincu, il sera condamné sur-le-champ à la peine pécuniaire ou corporelle que l'on jugera convenable. Si l'Athénien, qui intente procès en vertu de la loi, se désiste de sa poursuite, ou, qu'y persistant, il n'obtienne pas la cinquième partie des suffrages, il paiera mille drachmes au trésor : et supposé que l'auteur de l'insulte soit condamné à payer une somme, s'il a insulté un homme libre, il sera gardé en prison, jusqu'à ce qu'il ait tout payé. » Vous entendez Athéniens, la loi pleine d'humanité, qui ne veut pas qu'on insulte même des esclaves. Mais, je vous le demande, si l'on faisait connaître cette loi aux Barbares, d'où l'on tire des esclaves pour la Grèce, et que, pour faire votre éloge et vanter la ville d'Athènes, on leur dit : [49] Il est des Grecs si humains, si doux de caractère, que, malgré tous vos torts à leur égard, malgré cette haine pour vous qui leur a été transmise aveu le sang, loin de permettre qu'on insulte même des esclaves achetés de leurs deniers, ils ont établi, en commun, une loi pour le défendre, ils ont déjà puni de mort beaucoup d'infracteurs ; [50] si, dis-je, on faisait ce rapport aux Barbares et qu'on leur fît connaître vos sentiments, croyez-vous qu'ils ne vous donnassent pas à tous le droit d'hospitalité dans leurs villes? Quelle peine assez rigoureuse ne mérite donc pas l'infracteur d'une loi non moins estimée des Grecs, qu'elle serait applaudie des Barbares, s'ils en avaient connaissance? [51] Si je n'eusse pas été chorège, quand j'ai essuyé les outrages de Midias, on ne le condamnerait que comme auteur d'une insulte ; mais il me semble qu'on peut, à juste titre, le condamner, comme coupable d'impiété. Vous n'ignorez pas, sans doute, qu'on a établi pour les fêtes de Bacchus des choeurs et des hymnes, non seulement en vertu des lois concernant ces fêtes, mais en vertu des oracles, qui tous tant ceux de Delphes, que ceux de Dodone, enjoignent aux Athéniens de former des choeurs, suivant leurs usages, d'immoler des victimes dans les carrefours, et de porter des couronnes. [52] Greffier, prenez les oracles même, et faites-en lecture. ORACLES DE DELPHES POUR LE PEUPLE D'ATHÈNES. Premier oracle. « Ô vous, descendants d'Érecthée (04), habitants de la ville de Pandion, soyez fidèles à observer dans les fêtes les rites antiques, n'oubliez pas le dieu Bacchus, rendez-lui tous ensemble, dans les carrefours, les honneurs accoutumés ; immolez des victimes sur les autels, la tête ornée de couronnes. » Second oracle. « On fera des sacrifices, et on adressera des prières pour la santé des citoyens, au souverain des dieux, à Hercule et au grand Apollon. On fera des libations dans les carrefours pour la prospérité de la ville, on formera des chœurs, on portera de couronnes suivant les rites antiques, en l'honneur de Diane, de Latone, et d'Apollon qui préside aux carrefours. Élevant des mains pures vers tous les dieux et toutes les déesses de l'Olympe, on leur témoignera sa reconnaissance pour les faveurs qu'on en a reçues. » [53] ORACLES DE DODONE POUR LE PEUPLE D'ATHÈNES. Premier oracle. « Voici ce que vous ordonne le prêtre de Jupiter : Les sacrifices et les autres cérémonies saintes n'ayant pas été faites à temps, choisissez et envoyez neuf prêtres qui offriront, sur-le-champ, à Jupiter de Dodone neuf taureaux propres pour la charrue, accompagnés chacun de deux brebis ; et à Dioné, un taureau avec d'autres victimes, une table d'airain, et de plus, l'offrande ordinaire du peuple d'Athènes. » Second oracle. « Voici ce que vous ordonne le prêtre de Jupiter : Immolez à Bacchus, protecteur du peuple, une victime sans tache. Honorez ce dieu par des libations et par des choeurs; immolez un taureau au bienfaisant Apollon, un taureau blanc, à Jupiter, possesseur de tous les biens ; faites porter des couronnes aux hommes libres, et aux esclaves qui s'abstiendront de tout travail pendant un jour. » [54] Tels sont, Athéniens, sans parler de beaucoup d'autres, les oracles sacrés et vénérables qu'a reçus notre ville. Que devez-vous inférer de là ? c'est qu'outre les sacrifices que ces oracles vous ordonnent de faire aux dieux qui sont nommés, ils vous prescrivent toujours de former des choeurs, et de porter des couronnes suivant vos usages. [55] Il est dont certain que les choeurs et les chorèges, dans les jours où ils s'assemblent, en vertu des oracles, pour disputer le prix, portent des couronnes en vertu de ces oracles. Ceux qui doivent être vainqueurs comme ceux qui doivent être les derniers de tous ; mais que le jour de la victoire, c'est en vertu de sa victoire que le vainqueur est couronné. Celui donc qui, par un mouvement de haine, insulte un personnage de choeur ou un chorège, et cela dans le temple même de Bacchus, dans le jour même où l'on dispute le prix, ne peut-on pas dire qu'il est coupable d'impiété ? [56] Ajoutez que, quoique vous ayez défendu à tout étranger de paraître dans les choeurs, vous n'avez pas permis généralement à un chorège de citer devant le juge les personnages de choeur pour être examinés. S'il les cite quand ils sont sur le théâtre, vous le condamnez à une amende de cinquante drachmes. S'il les force même de se retirer, l'amende est de mille drachmes. Pourquoi cela ? c'est afin que, dans un jour de fête, personne ne cite en justice, n'inquiète, n'insulte à dessein quelqu'un qui porte une couronne et qui remplit une fonction pour le dieu. [57] Celui qui aura cité devant le juge un personnage de choeur, quoique autorisé par la loi, subira donc une peine ; et celui qui, contre toutes les lois, a maltraité ouvertement un chorège, n'en subirait aucune (05) ! A quoi bon établir, pour l'utilité du peuple, des lois douces et sages, si des juges, qui prononcent sans appel, ne sont pas exacts à punir ceux qui les violent et qui les bravent? [58] Écoutez encore ceci, et ne me sachez pas mauvais gré, je vous conjure, de m'entendre citer par leurs noms des citoyens que la justice a diffamés. Je n'ai pas intention, assurément, d'insulter à leur disgrâce par un récit désagréable ; je veux seulement montrer combien vous êtes éloignés, vous et les autres, de faire violence et insulte à personne, ainsi que l'homme que j'accuse. Il est un certain Sannion, maître de choeur, qui a été condamné et diffamé pour avoir fui le service : [59] malgré cette condamnation, il fut choisi par un chorège, par Théosdotide, je pense, qui était jaloux de remporter le prix. Les autres chorèges furent d'abord indignés ; ils disaient hautement qu'ils chasseraient Sannion. Mais lorsque le théâtre fut rempli, et qu'ils virent les concurrents assemblés, ils se tinrent tranquilles, et n'osèrent mettre la main sur sa personne. En un mot, telle est la piété et la modération de chacun de vous, qu'il continue depuis ce temps à être maître de choeur, sans qu'aucun de ses ennemis l'en empêche, loin qu'on ose frapper un chorège. [60] Il est encore un nommé Aristide, de la tribu Oenéide, qui a été aussi diffamé par un jugement. Il est vieux aujourd'hui, et peut-être ne brille-t-il pas dans les choeurs; mais autrefois il était, dans sa tribu, le premier et le chef de la troupe. Or, vous le savez, le chef ôté, le reste n'est plus rien. Quoiqu'il y eût beaucoup de chorèges et une grande émulation entre eux aucun ne fit cette remarque aucun, pour dépouiller un rival d'un avantage essentiel, n'osa chasser Aristide ni l'empêcher de paraître. Comme on ne pouvait le citer devant le juge, ainsi qu'on le ferait pour un étranger, mais qu'il fallait le saisir soi-même et l'expulser du théâtre, il n'y eut personne qui voulût se permettre, à la face de tous les spectateurs cette action d'éclat (06). [61] Vous le voyez, Athéniens, aucun des chorèges, qui croient que la victoire dépend quelquefois d'un seul homme, et qui, pour se faire honneur auprès de vous sacrifient souvent leur patrimoine, n'a osé mettre la main sur ceux même sur lesquels les lois leur donnaient pouvoir; tous, ils ont été assez retenus, assez modérés, pour s'interdire des actes de violence par respect pour des intentions de leurs compatriotes et pour les cérémonies de la fête, encore qu'ils eussent fait de grandes dépenses, encore qu'ils prétendissent à la victoire : et Midias, quoi de plus révoltant ! Midias, simple particulier, qui n'avait rien tiré de sa bourse, a insulté, par la seule raison qu'il était son ennemi et qu'il lui en voulait, un chorège qui n'était pas diffamé, qui s'était constitué en frais, il l'a outragé et frappé sans égard ni pour les lois, ni pour les discours du peuple, ni pour la fête, ni pour le dieu ! [62] Des querelles particulières, et même des rivalités dans le gouvernement, ont fait naître des inimitiés entre plusieurs citoyens; aucun cependant ne porta jamais l'impudence jusqu'à commettre des excès pareils. On rapporte que Dioclès de Pythe et le fameux Iphicrate devinrent autrefois ennemis mortels, et que, lorsqu'ils étaient le plus animés l'un contre l'autre, Tisias, frère du général, se trouva chorège en même temps que Dioclès. Quoique Iphicrate eut beaucoup d'amis, de grandes richesses, et, toute la fierté que pouvait lui inspirer, la gloire dont il jouissait, et les honneurs qu'il avait obtenus de vous, [63] il n'alla pas forcer de nuit la maison des orfèvres, il ne déchira pas les vêtements préparés pour la fête, il ne corrompit pas le maître du choeur, il n'empêcha pas le choeur de s'instruire, il ne fit rien, en un mot, de ce qu'a fait Midias ; mais, plein d'égards pour les lois et pour la volonté de ses concitoyens, il vit tranquillement son ennemi couronné et victorieux. Et il avait raison d'abandonner la disposition de ces faibles avantages à une république dans laquelle il se voyait élevé au comble de la prospérité. [64] Nous savons encore que Philostrate (07), qui avait poursuivi Chabrias dans son procès criminel au sujet d'Orope, et qui s'était montré le plus ardent de ses accusateurs, remplit les fonctions de chorège pour les fêtes de Bacchus, et remporta le prix, sans que Chabrias osât le frapper, lui arracher, sa couronne, ou enfin approcher du lieu dont l'entrée lui était interdite. [65] Parmi beaucoup d'autres citoyens que différents motifs rendaient ennemis et que je pourrais citer par leurs noms, je n'ai vu ni entendit dire qu'aucun ait poussé l'insolence aussi loin que l'accusé. Nul de vous, je crois ne se rappelle que parle passé un citoyen, tout ennemi qu'il fût d'un autre et pour quelque raison qu'il le fût, ait intrigué dans l'élection des juges, qu'il ait été présent lorsqu'on les choisissait, qu'il ait reçu presque leur serment, en un mot, qu'il ait manifesté sa haine par des procédés; tels que ceux de Midias. [66] Qu'un chorège, par émulation, se portât à de pareilles manoeuvres cela serait excusable, en quelque sorte : mais poursuivre quelqu'un par inimitié, le poursuivre partout avec acharnement, affecter une violence et un pouvoir supérieurs aux lois ; c'est-là sans doute, oui, c'est une conduite odieuse, contraire à toute justice, contraire à vos intérêts. Car enfin, si chaque chorège, instruit par mon exemple, peut se dire à lui-même : Que j'aie pour ennemi un Midias, ou quelque autre aussi riche et aussi audacieux, je serai frustré de la victoire, quoique je l'emporte sur mes rivaux ; j'aurai de plus tous les désagréments imaginables, je ne cesserai d'essuyer des outrages ; qui de nous serait assez extravagant pour vouloir dépenser une obole ? aucun, sans doute. [67] Mais la raison, à ce qu'il me semble, pour laquelle tous les chorèges font des dépenses à l'envi et avec la plus grande ardeur, c'est qu'ils comptent sur les droits de l'égalité qui règne entre citoyens dans un état démocratique. Je n'ai pu jouir de ces droits, grâces à Midias ; et sans parler des insultes qui m'ont été faites, j'ai été frustré de la victoire. [68] Il est clair néanmoins, et je vais vous le démontrer, que Midias, sans user de violence, sans m'insulter, sans me frapper, pouvait me mortifier et s'honorer auprès de vous par des moyens légitimes, en sorte que je n'aurais pu même ouvrir la bouche. Quand je me suis offert, à la face de tout le peuple, pour être chorège dans ma tribu, il pouvait se lever et s'offrir pour l'être dans la sienne se déclarer mon antagoniste, disputer avec moi de libéralité, et, par une noble émulation, m'enlever la victoire : m'insulter cependant et me frapper, il ne l'aurait pas dû, même alors. [69] Mais, loin de tenir cette conduite, loin de se piquer d'une magnificence qui eût fait honneur au peuple d'Athènes, il m'a poursuivi, ô Athéniens, moi qui me suis offert pour être chorège, par un trait de générosité, ou de folie peut-être, car il y a peut-être de la folie à vouloir briller plus qu'on ne peut; il m'a poursuivi, ouvertement, d'une manière atroce; il a porté des mains impies sur des vêtements sacrés, sur les couronnes préparées pour le choeur, enfin sur la personne du chorège. [70] Si quelqu'un de vous n'est pas irrité contre Midias jusqu'à le juger digne de mort, il n'est pas disposé comme il doit l'être. Est-il juste, en effet, que la retenue de l'offensé soit une raison de ménager celui qui l'a insulté sans aucun ménagement? La justice ne demande-t-elle pas qu'on punisse l'un comme auteur des plus grands maux parmi les hommes, et qu'on venge l'autre pour récompense de sa modération ? [71] On ne peut dire que j'exagère, et que je présente comme quelque chose de terrible, des injures qui n'eurent jamais des suites très fâcheuses. Non, certes il n'en est pas ainsi. La plupart de vous savent qu'a Samos, dans une partie de plaisir, Sophile l'athlète, cette homme basané et robuste, qui est assez connu; vous savez, dis-je, qu'échauffé par le vin et par la colère, il tua le jeune Euthyne, lutteur célèbre, qui l'avait frappé d'une manière insultante. Vous savez encore qu'Evéon, frère de Léodamas, tua de même un Béotien, dans un repas d'amis, pour un seul coup qu'il en avait reçu. [72] Car ce n'est point le coup, c'est l'affront qui révolte. Ce qui fait peine à un homme d'honneur, ce n'est pas simplement d'être frappé, quoiqu'il y soit sensible, mais d'être frappé avec insulte. Celui qui porte un coup, peut l'accompagner de circonstances que ne saurait exprimer celui qui le reçoit. Le geste, le regard, le ton d'un ennemi qui frappe pour outrager, qui frappe avec le poing, qui frappe sur la joue (08) ; voilà ce qui irrite, voilà ce qui met hors d'eux-mêmes des hommes peu accoutumés aux affronts. Il n'est pas possible, Athéniens, de présenter une insulte dans un simple récit, comme elle se montre en effet et dans la vérité, à ceux qui la souffrent ou à ceux qui la voient. [73] Au nom de Jupiter et des autres dieux, voyez combien je devais être plus animé contre Midias, que ne l'était Évéon contre le Béotien auquel il à donné la mort. Évéon a été frappé par un ami, et par un ami qui était ivre, devant six ou sept personnes, aussi ses amis, qui, ensuite, auraient loué sa modération, s'il avait su se contenir, et blâmé la violence de son adversaire. D'ailleurs, il était venu à un repas et dans une maison où il pouvait se dispenser d'aller. [74] J'ai été frappé, moi, le matin, par un ennemi à jeun, qui n'était pas échauffé par le vin, qui avait intention de m'insulter ; j'ai été frappé en présence d'une multitude de citoyens et d'étrangers, dans un lieu sacré, où, en qualité de chorège, j'étais obligé de me rendre. J'admire la sagesse, ou plutôt le bonheur qui me retint alors, et qui m'empêcha de me porter à quelque extrémité. Cependant, comme Évéon avait essuyé une insulte, je l'excuse volontiers lui et tous ceux qui repoussent un outrage ; [75] et il me semble que plusieurs des juges furent alors dans ces sentiments. Car, on dit qu'il ne manqua à Évéon qu'une voix pour être absous, quoiqu'il n'eût versé aucune larme, qu'il n'eût supplié aucun des juges, qu'il n'eût fait auprès d'eux aucune démarche. Établissons donc, pour certain, que ceux qui lui ont été contraires, l'ont condamné, non pour avoir tiré vengeance d'une insulte, mais pont avoir passé les bornes, en tuant l'auteur de l'insulte ; et que ceux qui lui ont été favorables, lui ont pardonné une vengeance même excessive, parce qu'il avait été insulté dans sa personne. [76] Moi donc qui ai eu assez de modération pour ne me porter à aucune extrémité, pour ne point tirer vengeance sur-le-champ de l'injure qui m'était faite, à qui dois-je la demander aujourd'hui? à vous, sans doute, et aux lois : il faut que vous appreniez à tous les citoyens qu'ils ne doivent pas se faire justice par eux-mêmes, et dans la passion des excès de la violence mais citer les coupables à votre tribunal, assurés que vous tenez en dépôt, et que vous leur accorderez fidèlement le secours que les lois promettent à tout homme qui est injustement attaqué. [77] Il en est peut-être parmi vous, Athéniens, qui désirent d'apprendre quelle si grande inimitié il y avait entre Midias et moi, persuadés que nul homme n'eût jamais fait à un citoyen des injures aussi atroces, s'il n'eût été animé d'un vif ressentiment. Il faut donc vous instruire du principe de la haine qu'il me porte, et vous montrer que c'est une des plus fortes raisons de le punir. Je ne serai pas long, quoique je paraisse remonter un peu haut. J'étais fort jeune et ne savais même encore s'il existait un Midias : je ne le connaissais nullement; et puissé-je ne l'avoir jamais connu ! [78] Ayant dessein de poursuivre en justice mes tuteurs, et de leur faire rendre compte (09), j'avais obtenu action contre eux, et je devais avoir audience dans quatre ou cinq jours : Midias et son frère vinrent fondre sur ma maison, sous prétexte d'un échange de biens pour l'armement d'un navire. C'était Thrasyloque qui faisait l'échange, et qui prêtait son nom ; Midias conduisait toute la manoeuvre. [79] Ils commencent par enfoncer les portes, comme si la maison leur eût déjà appartenu par le droit d'échange ; ensuite sans respect pour la jeunesse de ma soeur ils tiennent, en sa présence, mille propos, tels que de pareils hommes en pouvaient tenir : je n'oserais les répéter devant ce tribunal. Ils nous accablent d'injures, ma mère et moi, et tous ceux qui étaient avec nous. Mais ce qu'il y avait de plus fort, et ce qui n'était plus de simples paroles, ils affranchissent mes tuteurs de toute poursuite, comme s'ils en eussent été les maîtres. [80] Quoique ces violences de leur part soient anciennes, plusieurs parmi vous peuvent se les rappeler ; car toute la ville fut instruite de cet échange prétendu, de leurs intrigues et de leur insolence. Au reste, jeune, sans expérience et sans amis, ne voulant pas être privé de mon patrimoine que mes tuteurs avaient entre les mains, me flattant de tirer d'eux non le peu que j'ai recueilli, mais tout le bien dont ils voulaient me frustrer je remets à Midias et à son frère vingt mines, somme qu'ils avaient donnée pour l'armement de la galère. Telles furent alors, à mon égard, ses injustices criantes. [81] Je l'attaquai en réparation d'injures et comme il ne comparut pas, il fut condamné par défaut. Quoiqu'il refusât d'exécuter la sentence, je ne touchai à aucune partie de ses biens. Je l'attaquai de nouveau pour le forcer à l'exécuter, et jusqu'à ce jour je n'ai pu encore obtenir justice tant il a trouvé de défaites et de mauvaises difficultés, pour éluder le jugement. Ainsi, tandis que je procède en tout avec modération, et par des voies juridiques, Midias, comme vous le savez use de violence envers moi, envers les miens, envers ceux de ma tribu, à cause de moi. Greffier, faites paraître les témoins, pour certifier les faits que j'avance. [82] On verra, par leur témoignage, que je n'avais pas encore obtenu réparation de ses anciennes injustices, quand j'ai essuyé les nouvelles insultes dont je me plains. TÉMOINS. « Nous, Callisthène de Sphette, Diognète de Thorique, Mnésithée d'Alopèque nous savons que Démosthène, pour lequel nous déposons, a accusé, sur le refus d'exécuter une sentence, Midias, qu'il poursuit maintenant par une action publique que le procès est pendant depuis huit années entières, par les manoeuvres de Midias qui a trouvé tous les jours de nouveaux délais et de nouvelles difficultés. » [83] Écoutez, Athéniens, ses menées criminelles à l'occasion de ce procès, et voyez comme il signale partout son insolence et son audace. Dans le jugement, je dis celui où il a été condamné, nous avions pour arbitre (10) Straton, qui n'est ni riche ni au fait des affaires, mais homme intègre et incapable de commettre une injustice : et c'est là ce qui a perdu ce malheureux, contre tout droit, contre tout honneur. [84] Il était donc notre arbitre. Le jour marqué pour le jugement étant arrivé, et toutes les formalités préliminaires ayant été remplies, Straton me prie d'abord de ne pas exiger qu'il prononce sur-le-champ ; il me demande ensuite de remettre au lendemain ; enfin, sur mon refus de renvoyer l'affaire, voyant que Midias ne se présentait pas, et que le jour finissait, il le condamne par défaut. [85] C'était sur le soir, et même il était déjà nuit ; Midias va trouver les archontes, il les prend au sortir de leur assemblée, aussi bien que Straton qui venait de prononcer d'après ma réquisition : je l'ai su de quelqu'un qui était présent. Il fait d'abord tout ce qu'il peut pour engager l'arbitre à réformer la sentence qui le condamne, et les archontes à falsifier les registres il leur offrait à chacun cinquante drachmes. [86] Mais comme ils rejetaient sa demande avec indignation, il se retire après les avoir accablés de menaces et d'injures. Et que fait-il ? Voyez sa méchanceté. Quoiqu'il eût obtenu de revenir, par opposition, il évite de s'engager par serment à poursuivre (11), laisse ratifier la sentence qui le condamna ; et la cause est portée à l'audience sans qu'il ait prêté serment. Ce n'est pas tout : dans la vue de cacher son dessein, il attend le dernier jour du mois où l'on juge les arbitres, jour négligé par la plupart d'entre eux ; [87] et, engageant le président du tribunal à faire prononcer les juges d'une manière tout à fait illégale, sans signification d'huissier, sans témoins, sans qu'il y eût personne pour répondre, il fait condamner et diffamer un arbitre (12). Ainsi, parce que Midias a été condamné par défaut, un citoyen d'Athènes a été entièrement diffamé, privé de tous ses droits et de tous ses avantages. On ne peut donc impunément ni attaquer Midias en réparation d'injures, ni être son arbitre, ni même, à ce qu'il semble, le rencontrer dans son chemin. [88] Mais voyons quel dommage si énorme il a essayé pour faire punir un citoyen avec tant de rigueur. Si la sentence lui a vraiment causé un tort affreux, excusons-le, sinon, considérez quelle est son arrogance et sa cruauté à l'égard de tout homme qui a quelque rapport avec lui. Quel dommage a-t-il donc essuyé ? Il a été, sans doute, condamné à payer une somme immense, qui aurait ruiné toute sa fortune. La somme n'était que de mille drachmes. [89] Soit, dira-t-on; mais il en coûta de payer ce qui n'est pas dû : j'ignorais le jour du jugement ; et l'on a profité de mon ignorance pour me faire condamner. Mais il savait le jour, il est venu tard exprès et c'est une preuve que Straton ne lui a fait aucune injustice : enfin, il n'a pas encore payé une obole. [90] Mais je suppose qu'il ait réellement ignoré le jour, ne pouvait il donc pas revenir par opposition contre la sentence qui le condamne (13), me poursuivre par les voies juridiques, moi à qui seul il avait affaire ? Il ne l'a pas voulu ; et pour n'être pas exposé à payer dix mines portées par la loi, auxquelles le condamne un jugement qu'il a fui, qu'il eût dû subir en vertu duquel il eût été puni ou renvoyé absous, il fallait qu'un citoyen fût diffamé, sans aucune indulgence, sans être entendu, sans aucun des égards qu'on a même pour des coupables avérés. [91] Mais après qu'il a diffamé à son gré un citoyen, qu'il s'y est vu autorisé, qu'il a exécuté son projet impudent, qu'il s'est satisfait lui-même, s'est-il mis du moins en devoir de payer la somme qu'il doit en vertu d'une sentence pour laquelle il a perdu un malheureux ? Il n'a pas même payé une obole jusqu'à ce jour ; et il consent à rester accusé pour la somme à laquelle il est condamné. Ainsi, l'un a été diffamé, et a péri victime de nos débats : l'autre, qui n'a souffert aucun dommage, attaque et renverse les lois, les arbitres, tout ce qui le gène. [92] La sentence qu'il a fait rendre contre un arbitre qui n'a pas même été ajourné, il a soin de la faire exécuter ; et il empêche l'exécution de celle qui le condamne envers moi, lui qui a été appelé, lui qui a fui le jugement avec dessein. Mais s'il a fait punir si rigoureusement des juges qui l'ont condamné par défaut, quelle peine devez-vous lui faire subir à lui-même, à lui, dis-je, qui, au mépris des lois a insulté si ouvertement un chorège ? Si une condamnation par défaut mérite la diffamation, la privation des lois, des jugements, de tous les droits de citoyen; la mort me paraît une peine trop légère pour une insulte atroce. [93] Mais afin de prouver les faits que j'avance, greffier, faites paraître les témoins ; lisez aussi la loi concernant les arbitres. TÉMOINS. « Nous, Nicostrate de Myrrinuse, Phanias d'Aphidne, nous savons que Démosthène, pour lequel nous déposons, et Midias accusé présentement par Démosthène, ayant choisi de concert Straton pour arbitre,lorsque Démosthène attaquait Midias en réparation d'injures, Midias ne s'est pas présenté au jour marqué par la loi pour le jugement. Nous savons encore que Midias, ayant été condamné par défaut, et voulant nous corrompre nous qui étions alors archontes, et Straton son arbitre, il nous a offert cinquante drachmes pour réformer la sentence qui le condamnait ; mais que, voyant sa proposition rejetée, il nous a fait des menaces et s'est retiré. Nous savons, enfin, que c'est uniquement parce que Straton a refusé d'accéder à sa demande, qu'il l'a fait condamner et diffamer contre toute justice. » Lisez maintenant la loi concernant les arbitres. LOI. « Si des citoyens dans des démêlés particuliers, veulent choisir un arbitre, ils pourront prendre celui qu'ils voudront. Quand ils l'auront choisi de concert, ils s'en tiendront à ce qu'il aura décidé, et ne pourront porter leurs plaintes à un autre tribunal. La sentence de l'arbitre aura force de jugement, et sera irrévocable. » [95] Faites paraître maintenant l'infortuné Straton : il lui sera du moins permis de se présenter. Ce malheureux est pauvre, ô Athéniens, mais il est honnête : c'est un de vos compatriotes ; il a servi pour vous avec zèle dans sa jeunesse et ne s'est rendu coupable d'aucun crime. Le voici devant vous en silence, privé non seulement des droits communs à tous les citoyens, mais encore de la liberté de parler, et de déplorer ses maux : il ne peut même se plaindre devant vous de l'arrêt qui le condamne. [96] C'est sa pauvreté, son abandon, son obscurité ; c'est Midias c'est la richesse et la fierté de Midias, qui l'ont réduit à cet état. Si, au mépris des lois, il eût réformé sa sentence en recevant les cinquante drachmes, il n'aurait subi aucune disgrâce et n'étant pas diffamé, il participerait aux même droits que les autres citoyens. Mais, parce qu'il a préféré la justice à Midias parce qu'il a craint les lois plus que ses menaces, il est tombé, par la cruauté de cet homme injuste, dans l'infortune où vous le voyez. [97] Et après cela, un coeur si dur et si barbare, qui tire une vengeance si cruelle d'une injure chimérique (car on ne lui en a fait aucune), l'absoudrez-vous, quand il est convaincu d'avoir outragé un citoyen ? Celui qui n'a respecté ni les dispositions des lois, ni les cérémonies de la fête, ni les ornements sacrés, rien en un mot, ne le condamnerez-vous pas ? [98] N'en ferez-vous pas un exemple ! Et pourquoi, je vous prie, useriez-vous à son égard d'indulgence ? Pour quel motif l'épargneriez-vous? Parce que c'est un homme pétulant et prêt à tout faire ? Oui, certes il l'est ; mais vous devez haïr des gens de cette espèce, plutôt que les ménager. Parce qu'il est riche ? Mais ses richesses sont presque la seule cause de son insolence ; et vous devez plutôt le dépouiller d'une fortune qui le rend insolent, que l'absoudre en considération de cette fortune. Laisser de grandes richesses entre les mains d'un audacieux et d'un pervers, d'un homme tel que Midias, c'est lui laisser des armes contre vous-mêmes. [99] Que reste-t-il donc ? la compassion, grands dieux ! il versera des larmes, vous présentera ses enfants, et vous suppliera de lui faire grâce en leur faveur ; c'est sa dernière ressource. Mais, vous le savez vous-mêmes, c'est de celui qui souffre injustement des maux insupportables, qu'il faut avoir compassion, et non de celui qui est puni justement pour le mal qu'il a fait. Qui de vous aura compassion des enfants de Midias, en voyant qu'il n'en a eu aucune pour les enfants de ce malheureux, qui, sans parler du reste, ne voient aucun remède à l'infortune de leur père ? Non, sans doute, Straton n'est pas condamné à une simple amende dont il pourrait s'acquitter, et se voir rétabli dans ses droits; mais diffamé sans retour, il est perdu sans ressource, victime de l'orgueil de Midias et de la violence de son ressentiment. [100] De qui donc réprimera-t-on l'audace ? A qui ôtera-t-on les richesses, cause des plus grands excès, si le prétendu malheur de Midias vous touche, vous qui ne serez pas indignés à la vue d'un citoyen pauvre et innocent, précipité par lui dans les dernières disgrâces ? Non, Athéniens, non, son sort ne doit pas vous toucher. Celui qui n'a pitié de personne, qui ne pardonne à personne, ne mérite ni pitié ni pardon. [101] Tous les hommes, à mon avis, trouvent dans la société ce qu'ils y apportent eux-mêmes. Je ne parle pas seulement de ce qu'y mettent et de ce qu'en retirent quelques citoyens illustres, mais un citoyen, par exemple, tel que moi doux, modéré, bienfaisant à l'égard de tout le monde, je dois, dans l'occasion, retrouver les mêmes sentiments dans le coeur de tout le monde. Cet autre est violent, cruel, dur ne regarde nul homme comme son égal; il est juste que chacun lui rende ce qu'il en reçoit. Vous, Midias, qui apportez dans la société la violence de votre caractère, que devez-vous en retirer ? [102] Je crois, Athéniens, que, quand je n'aurais rien à dire de plus contre l'accusé, et que je ne pourrais produire d'autres griefs plus considérables, vous devriez le condamner sur ceux que j'ai déjà produits, et lui faire subir les derniers châtiments. Mais vous n'avez pas tout entendu, le sujet n'est pas épuisé ; et Midias me fournit une ample matière d'accusation. [103] Je ne dirai pas qu'il a entrepris de me faire citer en justice, comme ayant abandonné mon poste et qu'il a payé, en conséquence, Euctémon (14), cet homme méprisable, ce vil complaisant. Euctémon, calomniateur mercenaire, s'est désisté de sa poursuite ; et tout ce que voulait Midias, en le payant, c'est que le public pût lire, dans une affiche placée sous ses yeux : Euctémon de Lusie accuse Démosthène de Péanée d'avoir abandonné son poste. Il me semble même que, si Euctémon eût osé, il eût ajouté qu'il était gagné et payé par Midias. Mais laissons toute cette manoeuvre : l'accusateur s'est diffamé lui-même en renonçant à ses poursuites ; je n'exige point d'autre réparation, celle-là me suffit. [104] Mais écoutez, Athéniens, une calomnie atroce (15), fabriquée contre moi par ce méchant homme ; une calomnie qui intéresse toute la ville, et qui semble réclamer la vengeance du ciel. Lorsque le malheureux Aristarque, fils de Moschus, fut accusé d'un trime horrible, d'abord Midias sema contre moi, dans la place publique, d'odieux propos ; il osait dire que j'avais commis le forfait dont on accusait Aristarque. Ce moyen ne lui réussissant pas, il va trouver les parents du mort, qui poursuivaient, comme meurtrier, le fils de Moschus, et leur offre de l'argent, pour qu'ils m'imputent le meurtre. La religion, la justice, aucun motif n'a pu l'arrêter. [105] Foulant aux pieds toute honte et toute pudeur, il n'a point rougi de regarder, en face, des hommes qu'il sollicitait d'imputer le crime le plus affreux à un citoyen innocent. Son but unique était de me perdre à quelque prix que ce fût. En conséquence, il mettait tout en oeuvre, comme si, parce qu'un citoyen voulait obtenir réparation d'une insulte, parce qu'il ne la souffrait pas en silence, il fallait le bannir de tons les lieux, ne l'admettre dans aucune société, l'accuser d'avoir abandonné son poste, d'avoir commis un meurtre, le faire attacher au gibet. Mais, s'il est convaincu d'avoir ajouté cette noirceur aux outrages qu'il m'a faite pendant ma chorégie, quel pardon, quelle pitié doit-il obtenir de vous ? [106] Pour moi, Athéniens, je pense que, par ses dernières entreprises, il s'est rendu mon meurtrier : je pense que, par ses excès dans les fêtes de Bacchus, il a violé la sainteté de ces fêtes, il m'a attaqué dans mes préparatifs et dans ma personne ; mais que, par les menées. criminelles qui ont suivi, il m'a attaqué de plus dans ma qualité de citoyen, dans ma famille, dans mon honneur, dans mes espérances. Oui, si ce seul projet lui avait réussi, j'eusse été privé de toute même de la sépulture de mes pères. Mais pourquoi cet acharnement ? Si, parce qu'on implore la justice des tribunaux, quand on est outragé par Midias, il faut endurer de pareilles indignités ; l'unique parti qui reste, c'est de souffrir sans se plaindre comme chez les Barbares ; c'est de baiser et non de repousser la main qui nous frappe. [107] Mais, afin de prouver que je dis vrai, et que cet impudent, cet audacieux, s'est porté aux excès que je lui reproche, greffier, faites paraître les témoins, qui le certifieront. TÉMOINS. « Nous, Denys d'Aphidne, et Antiphile de Péanée, nous poursuivions comme meurtrier, Aristarque, fils de Moschus, qui avait tué Nicodème, notre parent : Midias, maintenant accusé par Démosthène, pour lequel nous déposons, nous voyant occupés de cette poursuite, nous a offert de l'argent pour nous engager à nous désister de l'accusation d'Aristarque, et à poursuivre Démosthène comme auteur du meurtre. » Greffier, prenez aussi la loi concernant les présents. [108] Tandis qu'on la cherche, je vais vous faire, Athéniens, quelques réflexions. Demandez-vous, je vous en supplie, au nom de Jupiter et des autres dieux, demandez-vous à vous-mêmes, en écoutant mes plaintes, ce que vous auriez fait, si l'on vous eût traités de la sorte, et quel eût été votre ressentiment dans de pareilles injures. Pour moi, j'ai senti bien vivement les outrages que j'ai essuyés durant le cours de ma chorégie, mais ce qui a suivi ces outrages, m'a causé une peine bien plus sensible, une indignation bien plus vive. [109] Quel terme, en effet, y aura-t-il à la pétulance? Peut-on concevoir des excès plus énormes d'effronterie, de violence, de cruauté? Comment, un homme qui s'est porté, envers un autre à des injures aussi criantes, de s'en repentir et de les réparer, y ajoutera des traits bien plus criants encore ! Au lieu de se servir de ses richesses pour rendre sa condition plus heureuse, sans nuire à personne, il ne s'applaudira de son opulence qu'autant qu'il aura chassé injustement un citoyen que lui-même a outragé ! [110] Repassons un peu sur toutes les injures que j'ai éprouvées de sa part. Il m'a intenté une accusation de meurtre des plus fausses et des plus calomnieuses, comme l'événement l'a prouvé ; il m'a accusé d'avoir abandonné mon poste, lui qui a abandonné trois fois le sien en trois occasions différentes ; il m'a reproché les troubles de l'Eubée (j'avais presque oublié cet article), troubles dont Plutarque (16), son hôte et son ami, était l'auteur, et dont il voulait me charger avant que la chose fût connue ; [111] enfin, lorsque je fus nommé sénateur par le sort, il m'attaquait dans l'examen qui doit confirmer l'élection. Ma situation était cruelle: loin d'obtenir réparation des insultes qui m'avaient été faites, je courais risque d'être puni pour des crimes qui m'étaient étrangers. Persécuté, outragé d'une manière aussi indigne, quoique je ne sois pas absolument abandonné et tout à fait sans ressource je ne sais encore comment réussir contre Midias. [112] Le dirai-je, Athéniens ! nous autres citoyens pauvres, nous ne jouissons pas des mêmes droits et des mêmes privilèges que les riches ; non nous n'en jouissons pas: on leur accorde tous les délais qu'ils souhaitent pour comparaître en justice, et leurs injures ne parviennent devant vos tribunaux que déjà vieilles et presque oubliées ; nous au contraire, pour la moindre faute nous sommes jugés sur-le-champ. Ils ont à leurs ordres des témoins et des solliciteurs toujours prêts à les servir contre nous, et vous voyez que quelques-uns refusent de déposer pour moi selon la vérité. [113] Peut-on parler de ces abus sans gémir ? Mais écoutez la loi dont j'ai suspendu la lecture. Lisez, greffier. LOI. « Si un Athénien reçoit, ou donne ; si, pour nuire au peuple ou aux particuliers, il cherche à corrompre en offrant des présents, et s'il emploie de mauvaises menées, qu'il soit déshonoré, lui ses enfants, et tout ce qui lui appartient. » [114] Bien ne coûte donc à ce méchant homme, à cet ennemi des dieux. Prêt à tout dire et à tout faire, il n'examine pas s'il avance le vrai ou le faux, s'il attaque un ami ou un ennemi ; il ne distingue et ne considère rien. Après m'avoir imputé un meurtre, après m'avoir chargé d'un tel crime, il m'a laissé faire des sacrifices pour le sénat, immoler des victimes pour vous et pour toute la république ; [115] il m'a laissé nommer chef des députés envoyés, au nom de la ville, pour assister aux jeux néméens (17); il n'a pas empêché que je fusse choisi, moi troisième, parmi tous les citoyens d'Athènes, pour sacrifier, en qualité de prêtre, aux déesses redoutables. Cependant, s'il eût remarqué en moi une ombre, un soupçon des crimes qu'il m'imputait, m'eût-il laissé remplir ces fonctions ? je ne le crois pas. Sa conduite prouve donc évidemment qu'il a travaillé, par un motif de haine, à me chasser de ma patrie. [116] Mais lorsque, malgré tous ses efforts et ses menées obscures, il n'eut pu réussir à me charger du meurtre de Nicodème, il attaqua à découvert Aristarque, et il l'attaqua parce que j'étais son ami. Sans parler du reste, Midias se présenta au sénat, dans le moment où il était assemblé pour examiner cette affaire : Sénateurs, dit-il, pourriez-vous ignorer la vérité? Maîtres du meurtrier (il parlait d'Aristarque) pourquoi chercher ? Pourquoi hésiter ? Pourquoi fermer les yeux ? N'irez vous pas à la maison du coupable? Ne le saisirez-vous pas? [117] Ne le ferez-vous pas mourir? Cet odieux et impudent personnage parlait de la sorte, lui qui auparavant voyait très volontiers ce citoyen, lui qui la veille lui avait rendu visite. Aristarque même, avant son malheur, m'avait pressé, avec une ardeur importune, de me rapprocher de Midias. Supposé donc qu'il eût été persuadé qu'Aristarque avait réellement commis le crime qui a causé sa perte ; supposé qu'il eût cru les imputations de ses accusateurs, [118] il ne devait pas même alors parler comme il a fait. Rompre avec un ami que l'on croit s'être porté à quelque action criminelle, c'est aussi le punir : poursuivre en justice sa punition, c'est ce qu'il faut laisser aux offensés et à ses ennemis. Mais, sans exiger tant de délicatesse d'un pareil homme, s'il est constant qu'après s'être arrêté sous le même toit qu'Aristarque, après s'être entretenu avec lui comme s'il n'eût été question de rien; s'il est constant qu'il a parlé contre lui, qu'il lui a imputé un meurtre, uniquement pour me chagriner, ne devrait-il pas périr mille fois ? [119] Mais faut prouver les faits que j'avance. Oui, la veille, qu'il avait parlé contre Aristarque, il était entré chez lui, l'avait entretenu familièrement : le lendemain encore, (n'est-ce pas le comble de la noirceur?) il était venu dans sa maison, assis à ses côtés et lui tendant la main en présence de plusieurs personnes, après la sortie violente faite, en plein sénat, contre ce malheureux qu'il avait traité de meurtrier, il protestait, avec serment et imprécation, qu'il n'avait rien ait à son désavantage ; il ne craignait pas de se parjurer devant ceux même qui' étaient instruits de tout; il le priait enfin de le réconcilier avec moi. Pour preuve de tous ces faits, je produirai tout à l'heure des témoins qui les attesteront. [120] Mais, je vous le demande, Athéniens, n'est-ce pas un procédé étrange, du plutôt un crime horrible, d'avancer qu'un homme est homicide, et de protester ensuite, avec serment, qu'on ne l'a pas dit; de lui imputer un meurtre, et de s'arrêter avec lui sous le même toit? Pour ce qui me regarde, si je renonce à le poursuivre, si je trahis le jugement du peuple, je ne suis plus coupable, sans doute. Si je continue mes poursuites, j'ai abandonné mon poste, j'ai commis un meurtre, il faut m'exterminer. Pour moi, je pense, au contraire, que me désister de mon accusation, ce serait abandonner le poste de la justice, ce serait reconnaître moi-même que je mérite la peine des meurtriers, puisque, après une telle lâcheté, je ne mériterais plus de vitre. [121] Greffier, prouvez les faits que j'ai avancés, et produisez les témoins. TÉMOINS. « Nous, Lysimaque d'Alopèque, Demée de Sunium, Chiarès de Thorique, Philémon de Sphette, Moschus de Péanée, nous savons que, dans le temps où Aristarque fut dénoncé au sénat comme meurtrier de Nicodème, Midias, maintenant accusé par Démosthène, pour lequel nous déposons, est venu au sénat, et a dit qu'il n'y avait qu'Aristarque qui pût être le meurtrier de Nicodème, qu'il l'avait tué de sa propre main; nous savons encore qu'il conseillait aux sénateurs d'aller à la maison d'Aristarque, et de se saisir de sa personne, parlant ainsi dans le sénat, quoique la veille il eût soupé avec Aristarque et nous ; nous savons, en outre, que Midias, à peine sorti du sénat où il avait tenu de pareils discours, est venu de nouveau trouver Aristarque dans sa maison, qu'il lui a tendu la main protestant avec serment et imprécation qu'il n'avait rien dit contre lui dans le sénat; nous savons, enfin, qu'il a pressé Aristarque de le réconcilier avec Démosthène. » [122] Quel excès de perfidie ! y a-t-il jamais eu, peut-il y avoir une méchanceté pareille. Il ne craint pas d'inquiéter un malheureux, qui ne lui avait fait aucun mal (je ne dis point son ami) en même temps qu'il le presse de le réconcilier avec moi : il sollicite cette réconciliation, et il prodigue l'or pour que je sois enveloppé dans son bannissement, contre toute justice. [123] Des manoeuvres aussi odieuses et aussi, criminelles, qui vont jeter, dans de plus grands périls, ceux qui poursuivent, par des voies juridiques, les injures qu'ils ont reçues, ne révolteraient-elles que moi? En serais-je seul indigné, tandis que les autres les verraient, avec indifférence ? non, Athéniens, cela ne doit pas être. Aussi irrité que moi-même, vous devez considérer que les plus pauvres d'entre nous et les plus faibles, sont les plus exposés à souffrir des insultes, et que les hommes et riches sont les plus disposés à insulter les autres, à éluder la peine, et à payer des personnes pour susciter des embarras à leurs accusateurs. [124] Arrêtez, je ne puis trop vous le dire: arrêtez de tels abus ; soyez persuadés que, nous empêcher, par la crainte et par la terreur, de poursuivre les injures qui nous sont faites, c'est nous ravir les droits communs de l'égalité et de la liberté. Nous pourrons, peut-être, quelque autre et moi, repousser les traits de la, calomnie, n'en être pas accablés ; mais que deviendront les simples citoyens, si vous n'effrayez, par un grand exemple, ceux qui voudraient abuser ainsi des richesses ? [125] Ce n'est qu'après qu'on a rendu compte de sa conduite, après qu'on a subi un jugement sur les délits dont on est accusé, qu'on peut attaquer ses accusateurs, s'ils poursuivent à tort; et non pas faire périr un homme, parce qu'il sait que nous sommes coupables ; et non pas, à la faveur d'imputations calomnieuses, s'efforcer d'être absous sans être jugé. Enfin, il faut s'abstenir de toute violence, ou subir tranquillement la peine qu'on mérite. [126] Je vous ai exposé, Athéniens, toutes les insultes qui m'ont été faites dans ma chorégie et dans ma personne, les persécutions, sans nombre, et de toutes les sortes auxquelles j'ai eu le bonheur d'échapper. Je supprime encore bien des faits, parce qu'il n'est pas facile de tout dire. Voici, en un mot, la vérité. De toutes les violences de Midias, il n'en est aucune qui me regarde seul. Par ses attentats contre le choeur, il a offensé une tribu, c'est-à-dire, la dixième partié d'Athènes : par ses outrages et ses cabales auxquels j'ai été en butte personnellement, il a offensé les lois qui font la sûreté de chaque citoyen. Ajoutez qu'il a offensé le dieu dont j'étais le chorège, violé ce que la religion a de plus auguste et de plus vénérable. [127] Il faut donc, pour le punir d'une manière qui réponde à ses forfaits, que vous sévissiez contre lui, comme il convient de sévir contre un homme qui a offensé, non pas seulement Démosthène, mais avec moi, et dans ma personne, les lois, les dieux, la ville, tous les objets sacrés et profanes. Il faut que vous regardiez ceux qui se rangent autour de lui pour le défendre par leur présence, non comme de simples solliciteurs, mais comme les fauteurs de ses crimes. [128] Que si, en toute autre occasion, Midias avait montré de la retenue, si j'étais le seul auquel il eût fait sentir la violence de son caractère, en même temps que je trouverais mon sort bien malheureux, je craindrais que, pour éluder la peine des insultes dont je me plains, l'accusé ne se prévalût de sa douceur et de sa modération habituelle : [129] mais les injures que plusieurs d'entre vous ont eues à souffrir de sa part, sont si multipliées, si atroces, que la seule chose que j'appréhende, c'est qu'après avoir entendu les excès qu'il s'est permis envers tout le monde,. il ne vous vienne à l'esprit de me dire : Pourquoi donc vous plaindre, vous qui n'avez rien souffert plus que les autres ? Je ne pourrais jamais, Athéniens, vous détailler toutes ses violences, vous ne pourriez soutenir la longueur du récit. Oui, quand, pour le reste de mon discours, j'aurais, outre le temps qui m'est accordé, celui qui est destiné à Midias, tout ce temps ne me suffirait pas encore. Je me bornerai donc aux traits les plus forts et les plus marqués ; [130] ou plutôt, voici le part que je vais prendre. Je me bornerai à lire les mémoires succincts que j'ai composés sur cet objet. On vous en lira un d'abord, puis un second, puis un troisième, tant que vous ne serez pas fatigués et que vous voudrez bien entendre. Les mémoires renferment des crimes de toute espèce, des insultes faites à des citoyens, des cabales contre des amis, des impiétés envers les dieux ; enfin, il n'est aucune partie où vous ne trouviez que Midias a fait des actions dignes de mort. On lit les mémoires concernant les crimes de Midias. [131] Voilà, Athéniens, les injures qu'ont éprouvées, de la part de Midias, tous ceux qui ont eu avec lui quelque rapport. Il en est beaucoup d'autres que je supprime; car il n'est pas possible d'exposer, dans un seul discours, toutes les violences qu'il a exercées, dans toute la suite de sa vie. Mais, examinons un peu combien l'entière impunité de ses excès lui a inspiré d'audace. Il ne regardait pas, à ce qu'il semble, comme assez illustre, assez éclatant, comme capital enfin, tout crime, quel qu'il fût, commis à l'égard d'un seul homme; il se serait cru indigne de vivre, s'il n'eût outragé toute une tribu, tout le sénat, des compagnies entières de guerriers ; s'il n'eût persécuté une foule de citoyens à la fois. [132] Vous savez, sans doute (j'omets le reste, ayant trop à dire), vous savez ce qu'il disait devant le peuple de la troupe des cavaliers qui servaient avec lui dans l'expédition d'Argura (18) ; vous savez qu'il se déchaînait contre eux à son retour de Chahcide; qu'il les représentait comme faisant la honte de la république. Vous vous rappelez les invectives dont il accabla, à leur sujet, Cratinus, qui, à ce que j'apprends, se dispose sa citer en sa faveur. Mais avec quelle méchanceté, avec quelle audace ne doit pas attaquer un seul citoyen, celui qui, sans de fortes raisons, s'attire la haine de tant de citoyens à la fois. [133] D'ailleurs, Midias, des cavaliers marchant en ordre de bataille, armés comme le devaient être des hommes qui allaient combattre les ennemis et secourir les alliés, étaient-ils la honte de la république, et non plutôt vous qui, dans la ville, lorsqu'on tirait les noms au sort, faisiez des voeux pour être dispensé de vous mettre en campagne ; vous qui ne vous êtes jamais couvert de votre armure, qui êtes parti d'Argura, porté sur une mule (19), traînant à votre suite tous les instruments du luxe et de la mollesse, inconnus dans nos camps. On venait nous apprendre ces nouvelles, à nous qui composions l'infanterie, qui ne marchions point avec la cavalerie. [134] Et parce qu'un des cavaliers, Archétion, ou quelque autre, plaisantait sur votre délicatesse, vous attaquez toute la troupe. Cependant, Midias si vous faisiez, en effet, ce que les cavaliers disaient de vous, s'ils tenaient les propos dont vous vous plaigniez amèrement, c'était avec raison qu'ils se permettaient des plaisanteries sur votre compte, puisque, par votre conduite, vous les offensiez, vous les déshorioriez, eux et toute la ville. Si quelques-uns forgeaient, contre vous, ces reproches par malignité, et que, loin d'être blâmes des autres soldats, ils fussent applaudis, sans doute; que, par tout le reste de votre vie, vous leur sembliez mériter cette mortification. Vous devez donc vous corriger, et non les décrier. [135] Au lieu de cela, vous les menacez tous, vous les attaquez tous, vous voulez qu'on examine ce qui peut, vous plaire, et vous-même n'examinez pas ce qui peut choquer les autres. Mais ce qu'il y a de plus indigne, ce qui est, à mon avis, la plus forte preuve d'arrogance ; du haut de cette tribune, cet homme odieux attaquait en même temps une troupe de citoyens. Quel autre eût osé se porter à un tel excès? [136] La plupart de ceux que l'on cite en justice, accusés sur deux ou trois griefs, ont recours à ces apologies communes : Qui de vous, disent-ils à leurs juges, me sait coupable des crimes dont on m'accuse ? Qui de vous m'a vu commettre de telles actions? On me calomnie par un motif de haine ; on produit contre moi de faux témoins. Telles sont leurs défenses, et autres de même nature. C'est tout le contraire pour Midias : [137] vous connaissez tous, je crois, son caractère violent et audacieux; et je m'imagine qu'il en est parmi vous qui sont étonnés, il y a longtemps, que je ne cite pas des traits dont ils sont instruits. Mais plusieurs des offensés refusent même de dire, en témoignage, toutes les injures qu'ils en ont reçues, parce qu'ils craignent sa violence, ses intrigues, et cette richesse qui fait un homme puissant et redoutable du personnage le plus vil. [138] Sa fortune et son crédit le rendent pervers et insolent; il s'en sert comme d'un rempart, pour se garantir des attaques d'une vengeance légitime. Dépouillé de ses biens, peut-être réprimera-t-il sa pétulance ; s'il ne se corrige pas encore, il aura moins de crédit auprès du peuple, que le dernier d'entre vous. En vain il criera, en vain il invectivera, il sera puni comme nous autres, s'il se porte à quelque excès. [139] Maintenant, nous le voyons soutenu d'un Polyeucte (20), d'un Timocrate, d'un misérable Euctémon et d'autres gens pareils, qui l'accompagnent et lui servent comme de gardes. Il a de plus à ses ordres une troupe de témoins et d'amis qui, sans nous traverser ouvertement par leurs discours, ne laissent point que d'appuyer le mensonge. Je ne puis croire qu'ils soient payés par Midias ; mais ils s'empressent, par faiblesse, de se ranger du parti des riches, de les aider de leur présence et de leur témoignage. [140] Tout cela, sans doute, est effrayant pour un citoyen isolé, qui subsiste, comme il peut, par lui-même. Voilà pourquoi vous vous rassemblez : trop faibles, chacun pris à part contre des citoyens fiers de leurs amis et de leurs richesses, vous suppléez, par le nombre, à ces avantages qui vous manquent, et vous vous réunissez pour être en état de réprimer l'insolence. [141] Midias viendra, peut-être, vous dire : Pourquoi tel citoyen qui a essuyé telle injure, ne m'a-t-il pas poursuivi en justice? Pourquoi tel ou tel autre? car il pourra en citer plusieurs. Vous n'ignores pas, sans doute, les causes qui font négliger la réparation d'une injure; c'est ou le soin de ses affaires, ou l'amour de sa tranquillité, ou le défaut d'éloquence, ou le manque d'argent, et mille autres raisons. [142] Au lieu de se défendre par le silence de ceux qu'il a insultés, Midias doit donc se purger, des crimes dont je l'accuse; s'il ne peut se justifier, il mérite d'autant moins qu'on lui fasse grâce, qu'on l'a laissé plus tranquille. Oui, si, après les excès qu'il a commis, il est assez puissant pour ôter à chacun de nous la liberté de le poursuivre; aujourd'hui qu'il est entre les mains de la justice, vous devez tous ensemble, au nom de tous, le punir comme l'ennemi commun des citoyens. [143] Alcibiade (21) gouverna la république, lorsqu'elle était au plus haut point de sa prospérité. Quoiqu'il eût rendu des services au peuple, et des services essentiels, voyez comme l'ont traité vos ancêtres, lorsqu'il devint audacieux et insolent. En parlant d'Alcibiade, je ne prétends pas lui comparer Midias, ce serait manquer de raison, ce serait le comble de la folie ; je veux seulement vous convaincre, par exemple, que le pouvoir, la naissance et les richesses, n'ont mérité et ne mériteront jamais que votre haine, lorsqu'ils sont joints à l'insolence. [144] Alcibiade, du côté de son père, était de la famille des Alcméonides, qui, dit-on, ayant formé un parti pour le peuple, furent exilés par les tyrans, et qui, avec l'argent qu'ils tirèrent de Delphes, chassèrent les fils de Pisistrate et délivrèrent la république. Du côté de sa mère, il était de la maison d'Hipponique, cette maison qui a servi utilement le peuple dans mille occasions importantes. [145] Ce n'est pas tout. Il avait combattu lui-même pour Athènes, deux fois à Samos, et une troisième fois dans l'enceinte même de la Ville : il avait signalé son zèle pour la patrie, en exposant sa personne, et non en déboursant de l'argent, ou en débitant des discours (22). Enfin, il avait remporté des victoires, et obtenu des couronnes dans les combats de chars aux jeux olympiques ; il passait pour être aussi bon orateur qu'excellent général. [146] Cependant, nos pères, sans lui permettre, pour aucune de ces raisons, de les insulter, le condamnèrent à l'exil, le chassèrent ; et quoique Lacédémone fût alors toute puissante, ils souffrirent la construction du fort de Décélée, la perte de leurs vaisseaux, tout enfin, croyant qu'ils devaient supporter, malgré eux, quoi que ce pût être plutôt que de permettre qu'on les insultât. [147] Alcibiade, toutefois, s'est-il permis des excès pareils à ceux dont Midias est convaincu ? Il avait frappé le chorège Tauréa, je le veux ; mais il était, lui-même chorège, mais il ne violait pas une loi qui n'existait pas encore, qui n'a été portée que depuis cette époque. Il avait, dit-on, tenu enfermé le peintre Agatharque ; mais on prétend qu'il l'avait surpris dans un crime, qu'il ne serait pas décent de nommer. Il avait mutilé les statues de Mercure (23) : je crois qu'il faut punir toutes les impiétés avec la même rigueur, quoique pourtant il y a de la différence entre mutiler des statues et lacérer un vêtement sacré ; attentat inouï dont Midias est évidemment coupable. [148] Mais voyons quel est le mérite, quelle est l'origine d'un homme qui se signale par de tels excès ; et considérez, Athéniens, qu'il serait contraire à l'honneur à la justice, je dis même à la religion, que vous dont les ancêtres ont exilé Alcibiade, vous pussiez traiter avec douceur et indulgence, quand vous êtes maîtres de le punir, un méchant homme, un esprit violent et emporté, un être méprisable. Et pourquoi, je vous prie, lui feriez-vous grâce ? Serait-ce pour les armées qu'il a commandées ? Mais il n'est pas même bon soldat, loin d'être un grand général. Serait-ce à cause de son éloquence ? Mais il ne sut jamais rien dire d'utile pour le peuple, il ne sait que déclamer contre les particuliers. [149] Seriez-vous touchés de sa naissance ? Bons dieux ! mais qui de vous ignore que son origine est inconnue comme celle de certains héros de théâtre ? il réunit en ce point deux contradictions bizarres ; sa propre mère était la plus sage de toutes les femmes ; sa mère adoptive, la plus insensée ; en voici la preuve. L'une le vendit aussitôt qu'il fut né ; l'autre l'acheta, pouvant acheter beaucoup mieux pour le même prix. [150] Quoi qu'il en soit, il est devenu par-là possesseur de biens dont sa naissance devait l'exclure et citoyen d'une patrie qui se pique surtout d'être gouvernée par les lois ; ces lois qu'il ne peut souffrir, avec lesquelles il ne peut vivre. Son naturel vraiment barbare (24) et ennemi des dieux, le domine et l'entraîne, décèle en lui un intrus dans une fortune étrangère. [151] Après tous les excès auxquels cet effronté, ce forcené s'est livré durant le cours de sa vie, quelques-uns de ses amis intimes sont venus me trouver, pour me presser de faire un accommodement, et de me désister de l'accusation. Comme ils ne gagnaient rien sur moi, nous convenons, disaient-ils, (auraient-ils pu en disconvenir ?) nous convenons de toutes ses violences, et il mérite d'être puni. Supposons donc, ajoutaient-ils, qu'il soit convaincu et condamné, quelle peine, croyez-vous, lui sera infligée par le tribunal ? Ne voyez-vous pas qu'il est riche, qu'il fera valoir les vaisseaux qu'il a équipés, les charges publiques qu'il a remplies ; prenez garde qu'on ne lui fasse grâce à ces considérations, et que, payant au trésor beaucoup moins, qu'il ne vous offre, il ne se rie de vos poursuites. [152] Pour moi, fort éloigné de penser aussi mal de mes juges, je ne puis croire qu'ils n'infligent pas au coupable une peine qui soit de nature à réprimer son insolence. Cette peine devrait être surtout la mort ou du moins la confiscation de tous ses biens. Quant aux équipements de vaisseaux, aux charges publiques et autres objets semblables, voici ce que je pense. [153] Si c'est servir l'état que de vous répéter sans cesse partout et dans toutes les assemblées : Nous qui remplissons les charges ; nous qui contribuons les premiers ; nous qui sommes les riches de la ville ; j'avoue que Midias est le plus distingué des citoyens : car, dans chaque assemblée, son orgueil stupide vous étourdit, vous fatigue de pareils propos. [154] Mais il faut examiner lεs services réels qu'il rend à l'état, je vais le faire ; et voyez quelle est mon équité dans cet examen, puisque je me contente de le comparer avec moi. Quoiqu'il ait environ cinquante ans, il a rempli moins de charges publiques, que moi, qui n'en ai que trente-deux. Au sortir de l'enfance, j'ai été commandant de vaisseau dans le temps où deux citoyens armaient un navire et le fournissaient à leurs dépens, de toutes les choses nécessaires. Midias n'avait encore rempli aucune charge à I'âge où je suis ; [155] il n'a commencé que lorsqu'on a établi douze cents citoyens qui doivent payer un talent chacun pour l'armement des flottes, et sont quittes de tout moyennant cette somme. L'état fournit les agrès et les matelots ; en sorte que quelques-uns paraissent avoir rempli les charges publiques en ne dépensant presque rien, et en se déchargeant d'ailleurs de toutes contributions. [156] Qu'y a-t-il de plus? Il a fourni aux dépenses d'un choeur de tragédie ; moi je viens de fournir à celles d'un choeur de musiciens : et l'on sait combien ces derniers sont plus considérables que les autres. Moi je l'ai fait volontairement ; lui, par un arrangement forcé qui dispense Athènes de la reconnaissance. Quoi encore ? J'ai présidé aux (25) panathénées, et j'ai donné un repas à une tribu, lui n'a fait ni l'un ni l'autre. [157] Établi chef de classe pendant dix ans, ainsi que l'ont été Phormion, Lusithide, Calleschre, et les plus riches ; j'ai contribué non à raison des biens que j'eusse réellement, ayant été dépouillé par mes tuteurs mais à raison de ceux que me donnait la voix publique, que mon père m'avait laissés, et que j'aurais dû recueillir lorsque j'ai été inscrit parmi les hommes. Voilà comme je vous ai servis, Athéniens ; et Midias, qu'a-t-il fait pour vous ? On ne l'a point encore vu jusqu'à ce jour chef de classe, quoiqu'il n'ait été frustré d'aucune partie des biens immenses qu'il a reçus de soit père. [158] Par où a-t-il donc signalé son zèle ? Quelles sont les charges publiques qu'il a remplies, les grandes dépenses qu'il a faites ? Je ne le vois pas. A moins qu'on ne lui tienne compte, et du palais qu'il a fuit élever à Éleusis, dont la vaste étendue, offusque tous les édifices d'alentour; et des deux chevaux blancs de Sicyone, avec lesquels il fait conduire sa femme aux fêtes de Cérès et partout ailleurs ; et des trois ou quatre esclaves dont il se fait accompagner dans la place publique, qu'il traverse d'un air fier, parlant de ses meubles et de ses équipages assez haut pour être entendu. [159] Pour moi, j'ignore les avantages que le peuple tire des richesses dont Midias fait l'instrument de son luxe et de son faste ; mais l'orgueil et l'insolence que lui inspirent ces mêmes richesses, je vois qu'ils tombent sur la multitude, sur les premiers qu'il rencontre. Ne regardez donc pas, Athéniens, ne regardez pas toujours l'opulence avec une surprise mêlée de respect ; ne jugez pas de la générosité d'un citoyen par la magnificence des édifices, la beauté des ameublements, le grand nombre des esclaves; mais par le zèle qu'il montre dans toutes les occasions vraiment intéressantes pour le peuple : or, dans laquelle de ces occasions Midias s'est-il jamais distingué ? [160] Mais vraiment il nous a fourni une galère. Je sais qu'il vantera ce don fait à la république : j'ai fourni une galère ? dira-t-il. Là-dessus, Athéniens, voici mon avis. S'il a donné un vaisseau par zèle pour l'état, témoignez-lui la reconnaissance que mérite sa générosité, sans lui permettre toutefois d'insulter personne : car il n'est point de présent, il n'est point de service qui doive autoriser une pareille licence. Mais s'il est constant qu'il n'a contribué que par lâcheté et par timidité, ne prenez pas le change sur sa prétendue largesse. Comment donc saurez-vous ce qui en est ? Je vais vous en instruire, et je ne serai pas long, quoique je reprenne les choses d'un peu haut. [161] On a fait ici une contribution pour la guerre d'Eubée : Midias n'y était pour rien ; moi j'y ai eu part, et j'étais associé pour l'armement d'une galère, à Philinus fils de Nicostrate. On a fait depuis une seconde contribution qui avait pour but de secourir Olynthe : Midias ne parut pas encore ; et cependant un citoyen libéral doit se signaler partout. On vient d'en faire une troisième, dans laquelle il est entré, mais comment ? Les sénateurs s'étant assemblés pour régler ce que chacun d'eux devait fournir ; quoiqu'il fût présent, il n'a rien fourni. [162] Mais lorsqu'on eut appris que nos soldats de Tamynes (26) étaient enfermés, et que le sénat eut arrêté que le reste de la cavalerie, dont Midias était commandant, se mettrait en campagne ; craignant de partir, il vint à la prochaine assemblée du peuple, et, avant que les sénateurs qui la présidaient eussent pris séance il s'offrit pour donner un vaisseau. Et qu'est-ce qui prouve, sans qu'il puisse le nier, que ce n'était point par libéralité qu'il contribuait, mais pour fuir le service ? c'est la conduite qu'il tint aussitôt après. [163] D'abord, comme dans le cours de l'assemblée, après des discussions de part et d'autre, il ne semblait pas qu'on eût besoin sur-le-champ de la cavalerie, et qu'on ne parlait plus de la mettre en campagne ; au lieu de s'embarquer sur le vaisseau qu'il avait donné, il envoya à sa place un étranger l'Égyptien Pamphile : pour lui, il resta, et commit dans les fêtes de Bacchus les violences pour lesquelles il est maintenant accusé. [164] Mais lorsque Phocion eut mandé les cavaliers d'Argura pour servir à leur tour, alors ce timide et odieux personnage dévoila son lâche artifice ; il se jeta dans son vaisseau pour se soustraire aux ordres du général, et se dispensa de partir avec les cavaliers dont il avait obtenu le commandement. S'il y eût eu du péril sur mer, il eût, sans doute, servi sur terre. [165] Mais ce n'est pas ainsi que se conduisirent, ni le fils de Nicias, Nicérate si cher à sa famille, qui est sans enfuis et de la plus faible complexion', ni Euctémon fils d'Ésion, ni Euthydème fils de Stratoclès. Quoique d'eux-mêmes ils eussent contribué d'une galère, aucun d'eux n'a fui l'expédition ; mais, après avoir fourni de leurs propres deniers un navire tout équipé dont ils gratifiaient l'état, ils crurent qu'ils devaient aller payer de leurs personnes où la loi les appelait. [166] Midias, commandant de cavalerie, après avoir fui le poste qui lui était marqué par les lois, voudra qu'on lui sache gré de la chose même dont il devrait être puni ! De quel oeil, néanmoins, doit-on regarder le présent qu'il a fait d'une galère? Est-ce une libéralité, plutôt qu'un trafic, un marché, une désertion, une suite de service, et tout ce qu'on voudra dire ? Comme il n'avait que ce moyen de se dispenser de partir avec la cavalerie; il imagina cette nouvelle manière de se racheter d'un service qui le gênait. [167] Ce n'est pas tout ; tandis que les autres commandants de navire qui avaient aussi fourni un vaisseau, vous accompagnaient à votre retour de Styre (27), Midias seul se détacha de la flotte; et s'inquiétant fort peu de vous, il chargea son vaisseau de pieux, de bétail, dé bois pour fabriquer des portes et pour exploiter des mines. Ainsi l'armement d'une galère fut, pour cet homme méprisable, un avantage réel plutôt qu'une charge onéreuse. Vous êtes instruits de la plupart des faits que j'avance, je vais cependant produire les témoins qui en certifieront la vérité. [168] TÉMOINS. « Nous, Pamphile (28), Cléon de Sunium, Aristoclès de Péanée, Nicérate d'Acherduse, Euctémon de Sphette, dans le temps que nous revenions ici de Styre avec toute la flotte, nous étions commandants de navire aussi bien que Midias, qui est maintenant accusé par Démosthène, pour lequel nous déposons. Toute la flotte marchait en ordre, et il était défendu aux commandants de navire de s'écarter jusqu'à ce que nous fussions arrivés à Athènes : Midias se détacha du reste des vaisseaux, ne suivit point les autres commandants de navires ; et chargeant son vaisseau de bois, de pieux, de bétail, et autres effets, il n'aborda au Pirée que deux jours après nous. » [169] Mais en supposant, Athéniens, que Midias eût réellement rempli toutes les charges, vous eût réellement rendu tons les services qu'il va vous vanter tout à l'heure, ce ne serait pas encore une raison pour laisser impunies les insultes qu'il m'a faites. Plusieurs citoyens, sans doute, vous ont rendu une infinité de services bien plus essentiels que ceux de Midias. Les uns ont vaincu les ennemis sur mer; les autres ont pris des villes ; d'autres ont remporté, au nom de la république, plus d'une victoire éclatante : [170] cependant, vous n'accordâtes jamais à aucun d'eux, et puissiez-vous ne l'accorder jamais ! le privilège d'insulter leurs ennemis particuliers quand ils voudraient et comme ils pourraient. Vous avez récompensé d'une manière distinguée les grands services d'Harmodius et d'Aristogiton ; mais auriez-vous souffert qu'on eût marqué sur la base de leurs statues, qu'il leur serait permis d'insulter qui ils jugeraient à propos, lorsqu'ils ont été récompensés pour cela même qu'ils ont réprimé les insultes ? [171] Mais, enfin que Midias ait reçu une récompense qui répond, je ne dis pas à ses services réels, elle serait fort modique, mais aux services, les plus importants, je vais vous le faire voir, de peur que vous ne pensiez être en reste avec cet homme méprisable. Vous l'avez nommé, d'abord, questeur de la galère sacrée (29), lui qui est tel que nous le connaissons ; ensuite commandant de cavalerie, lui qui, dans les cérémonies, n'a pas le courage de traverser à cheval la place publique. Vous l'avez encore nommé intendant des mystères, des victimes et des sacrifices ; vous lui avez conféré ces dignités et d'autres semblables. [172] Or, avoir pris soin de couvrir la lâcheté et la perversité de son naturel, de l'éclat des honneurs et des distinctions dont vous avez décoré sa personne, est-ce donc là, je vous prie une récompense médiocre, une faveur légère ? S'il ne pouvait plus dire : j'ai été commandant de cavalerie, questeur de la galère sacrée ; quel serait son mérite ? [173] Et comment a-t-il usé de vos bienfaits ? étant questeur de la galère sacrée, il a dérobé plus de cinq cents talents aux Cyzicéniens (30); et pour échapper à la peine de cette concussion, il les a persécutés de toutes les manières, les a obligés de se détacher de nous ; en sorte que nous avons leur haine, et lui leur argent. [174] Lorsque (31) vous fîtes une expédition dans l'Eubée contre les Thébains, vous lui ordonnâtes de prendre douze talents dans le trésor, de transporter des soldats dans la galère qu'il commandait, et d'aller porter du secours à vos troupes : Midias négligea d'exécuter vos ordres, et n'arriva que lorsque Dioclès avait déjà conclu un traité avec les Thébains, ayant fait moins de diligence que n'aurait fait un autre avec une galère ordinaire, tant il avait bien équipé la galère sacrée. Lorsqu'il commandait la cavalerie, il ruina sa troupe, en faisant des règlements qu'il désavouait ensuite. Je dis plus et vous laisse imaginer le reste, il n'acheta pas même, non, il n'acheta pas un cheval, lui qui est si riche et si fastueux ; il n'eut pas honte, dans les cérémonies, de se servir d'un cheval étranger, de celui de Philomèle. Tous les cavaliers sont instruits de ces faits ; cependant, pour en certifier la vérité, on va produire les témoins. On fait paraître les témoins. [175] Il est à propos, je crois, de citer ceux qui, pour avoir violé la sainteté d'une fête, furent condamnés par les juges, l'ayant été préalablement par le peuple : je montrerai quelle peine ils subirent et pour quelle faute, afin que l'on compare leurs délits avec ceux de Midias. Pour commencer par la dernière condamnation? Évandre de Thespies, sur la dénonciation d'un certain Ménippe de Carie fut condamné par le peuple, comme ayant violé la sainteté des fêtes de Cérès. Or, la loi pour les fêtes de Cérès, ne diffère pas de celle pour les fêtes de Bacchus ; celle-ci même est antérieure. [176] Et pourquoi le peuple condamna-t-il Évandre? je vais vous le dire. Ayant obtenu une sentence contre Ménippe, dans une affaire de commerce, et n'ayant pu jusqu'alors, Comme il le disait lui-même, mettre la main sur la personne, il le saisit pendant les mystères (32). voilà pourquoi le peuple le condamna ; il n'y avait pas d'autre grief. Il parut devant votre tribumal, et vous vouliez le punir de mort: mais l'accusateur s'étant laissé fléchir, vous condamnâtes l'accusé à perdre la somme qu'il avait obtenue contre Ménippe, qui était de deux talents, et à dédommager celui-ci de tout le teins qu'il disait avoir perdu à Athènes pour ce procès. [177] Ainsi un particulier, dans une cause particulière où il n'était question d'aucune insulte, pour cela seul qu'il avait enfreint la loi des mystères, fut puni avec une telle rigueur. Et cette rigueur était juste; vous devez, Athéniens, être fidèles à garder les lois et votre serment : c'est un dépôt qu'on vous a confié, dépôt dont vous devez compte à tous ceux qui viennent à vous, avec l'assurance que leur donne la justice de leur cause. [178] Un autre particulier, jugé par le peuple, fut déclaré avoir violé la sainteté des fêtes de Bacchus. Quoiqu'il fat assesseur et père de l'archonte Chariclès, cet excellent citoyen, il fut condamné, pour avoir chassé lui-même du théâtre, avec violence un étranger qui s'y était emparé d'une place. [179] L'accusateur s'appuyait d'une raison qui parut solide. Si je m'étais emparé d'une place au théâtre, disait-il au père de Chariclès ; si, comme voue dites, je n'observais pas les ordonnances, que pouviez-vous légitimement, vous et l'archonte ? charger vos officiers de me chasser et non me frapper vous-même; m'imposer une amende je faisais résistance ; faire tout plutôt que de mettre la main sur moi, les lois défendant, sous peines les plus graves, de frapper personne. Voilà ce que disait l'offensé. Le peuple condamna l'accusé, qui mourut avant que de comparaître devant d'autres juges. (33) [180] Condamné par tout le peuple, pour avoir violé la sainteté d'une fête, un particulier fut encore traduit devant votre tribunal, et vous prononçâtes contre lui peine de mort : je parle de Ctésiclès. Et quelle fut la cause de sa condamnation ? il célébrait les bacchanales armé d'un fouet ; étant ivre, il en frappa un de ses ennemis. On jugea qu'avec l'intention de l'outrager, il s'était servi du prétexte de la fête et de l'ivresse, pour traiter en esclaves des hommes libres. [181] Tout le monde, je n'en doute pas, trouvera la conduite de Midias beaucoup moins excusable que celle de ces hommes, dont les uns ont été punis de mort, et les autres condamnés à perdre la somme qui leur avait été adjugée. Midias, sans célébrer les bacchanales, sans être muni d'une sentence sans être assesseur, sans autre motif que de faire une insulte, a commis des excès auxquels ne s'est porté aucun d'eux. Mais laissons ces citoyens, [182] et passons à Pyrrhus. Vous avez cru devoir punir de mort ce descendant de Butés (34), qui était dénoncé, comme faisant la fonction de juge et en recevant les honoraires, quoique débiteur du trésor. Il a perdu la vie, condamné pour une faute que le besoin lui faisait commettre plutôt que l'insolence. J'en pourrais citer d'autres qu'on a fait mourir ou qu'on a diffamés, quoique bien moins coupables que Midias. Vous avez condamné à payer dix talents Smicron et Sciton, parce qu'ils avaient proposé des décrets contraires aux lois. Leurs enfants, leurs amis, leurs parents, tous ceux qui sollicitaient en leur faveur, ne purent vous fléchir. [183] Mais vous qui êtes si sévères à l'égard de quiconque parle contre les lois, serez-vous indulgents pour celui qui agit contre ces mêmes lois ? Non, jamais les paroles ne sont aussi dures pour des hommes libres, que les actions par lesquelles on les outrage sans réserve. Gardez-vous donc d'établir cette règle contre vous-mêmes, que, si un homme du commun, un simple citoyen est convaincu d'avoir enfreint les règles, sourds pour lui à la compassion, résolus de ne lui faire aucune grâce, vous le condamnerez à mourir, ou à vivre diffamé ; et que, si un homme riche insulte quelqu'un, vous lui pardonnerez sa faute. Ne vous permettez pas une pareille injustice ; mais traitez avec la même rigueur, tous les coupables indistinctement. [184] Il est une réflexion que je vous ai déjà faite, et qui n'est pas une des moins importantes ; je vais vous la rappeler en peu de mots, après quoi je finis. Votre indulgence et votre douceur sont une grande ressource pour tous les coupables, je le sais ; mais Midias ne doit pas en éprouver les effets. Voici ma raison. Tous les hommes, à mon avis, trouvent dans la société ce qu'ils y apportent par leur conduite. Je ne parle pas seulement de ce qu'y mettent et de ce qu'en retirent quelques citoyens illustres, mais des citoyens ordinaires. [185] Par exemple, quelqu'un d'entre nous a une âme honnête, douce, compatissante ; s'il est accusé, et s'il court des risques, il doit trouver les mêmes sentiments dans le coeur de tout le monde. Celui-là est insolent et effronté, les autres ne sont à ses yeux que des misérables, la lie des hommes, des êtres de néant ; il faut lui rendre, dans l'occasion ce qu'on a reçu de lui. Faites justice à Midias, et vous le mettrez dans la classe de ceux qui ne méritent que votre haine et votre rigueur. [186] Je sais que, faisant paraître ses enfants, il déplorera leur sort, que, versant des larmes, et tenant le langage le plus humble, il tâchera d'émouvoir votre pitié. Mais plus il s'humiliera, plus vous devez le haïr. Pourquoi ? c'est que, s'il eût été toute sa vie aussi arrogant et aussi violent par l'ascendant du caractère, par une espèce de nécessité fatale, vous pourriez alors relâcher de votre sévérité. Mais si pouvant ; quand il le veut, se plier à la modération, il s'est fait un système de violence et d'arrogance, il est clair que, s'il réussit en ce jour à vous séduire, il redeviendra tel qu'il s'est toujours montré. [187] Fermez donc l'oreille à ses discours; et que son extérieur, qu'il accommode à la conjoncture, ne prévale point dans vos esprits, sur toute sa conduite passée qui vous est connue. Je ne suis pas père ; je ne puis pas, mettant mes enfants sous vos yeux, pleurer et gémir sur l'injure qui m'a été faite : dois-je pour cela, être traité moins favorablement que celui qui m'a outragé ? [188] non certes. Mais lorsque Midias, ayant ses enfants auprès de lui, vous priera de lui faire grâce, par égard pour eux figurez-vous me voir en opposition, ayant à mes côtés vos lois et le serment judiciaire, vous les présentant, et vous conjurant de prononcer en leur faveur. Vous devez, pour plus d'une raison, embrasser leur parti, plutôt que celui de Nicias. Vous avez juré de vous conformer aux lois; c'est aux lois que vous devez l'égalité qui règne entre vous ; c'est aux lois que vous. devez tous les avantages, dont vous jouissez, et non à Midias ni à ses enfants. [189] Il est orateur, dira-t-il peut-être, en parlant de moi. Si vous offrir les conseils qu'on juge les plus utiles, sans être importun, et sans forcer votre liberté, c'est être orateur, je n'en refuse pas le titre; mais s'il est de l'essence d'un orateur d'être tel que j'en connais, que vous en connaissez vous-mêmes ; dont le front ne sait pas rougir, qui se sont enrichis à vos dépens ; non, je ne suis pas orateur puisque, loin de m'être approprié quelque partie de vos revenus, j'ai dépensé pour vous presque toute ma fortune. Mais quand je serais l'orateur le plus pervers, il fallait me faire punir suivant les lois et non m'outrager dans l'exercice de ma charge. [190] De plus, aucun des orateurs n'appuie mon accusation, et je ne me plains d'aucun, moi qui ne vous ai jamais rien dit pour leur plaire, moi qui me suis toujours fait une règle de ne parler, de n'agir que pour vos intérêts ; au lieu que vous les verres bientôt se ranger tous à l'envi autour de Midias. Est-il juste, cependant, qu'il me reproche, comme une injure, le nom de ceux même sur lesquels a fonde son salut ? [191] Il dira peut-être encore que j'ai médité et préparé tout ce que je dis maintenant. Oui, Athéniens, je ne le nie pas, je me suis préparé, et même, je l'avoue, avec le plus de soin qu'il m'était possible. Eh ! ne serais-je pas dépourvu de sens, si, ayant souffert et souffrant des insultes aussi atroces, je traitais avec négligence les plaintes que j'en porte à votre tribunal ? [192] Mais je prétends que mon discours est l'ouvrage de Midias, s'il est vrai que c'est plutôt à l'homme qui a fourni la matière du procès, qu'on doit attribuer le discours, qu'à celui qui a médité son sujet, qui s'est donné quelque peine pour ne vous offrir que des raisons solides. J'avoue donc que je suis dans l'usage de réfléchir avant de parler : quant à Midias, il est probable qu'il n'a fait en toute sa vie aucune réflexion sérieuse ; car, pour peu qu'il eût réfléchi, il ne se fût pas si fort écarté de la raison dans l'occasion présente. [193] Peut-être même ne craindra-t-il point d'attaquer l'assemblée du peuple qui l'a condamné, peut-être répétera-t-il ce qu'il osait dire quand il était cité devant elle. Tous ceux, disait-il, qui devraient être en campagne, sont restés ici : l'assemblée est composée de soldats qui ont déserté les garnisons; ce sont des danseurs, des étrangers et d'autres gens pareils, qui m'ont condamné. [194] Il s'est porté, Athéniens, à cet excès d'audace et d'impudence comme le savent ceux d'entre vous qui étaient présents de croire que, par ses injures, par ses menaces, et en lançant des regards sur la partie de l'assemblée, qui s'animait le plus contre lui, il effraierait tout le peuple. Aussi, les larmes qu'il va verser tout à l'heure, doivent paraître ridicules. [195] Comment, personnage odieux, vous prétendez qu'on sera touché de votre sort et de celui de vos enfants ; que des Athéniens, outragés publiquement par vous, s'intéresseront à vous ! Dans toute votre vie, vous aurez montré plus d'orgueil que nul autre, plus de mépris pour tous les hommes au point que ceux même qui n'ont avec vous nul rapport, sont choqués en voyant votre audace, votre ton, votre air, vos gestes, votre cortège, votre faste, votre insolence ; et dans un jugement, vous exciteriez tout à coup la pitié ! [196] Vous auriez, sans doute, un talent rare, ou plutôt un ascendant extraordinaire, s'il vous arrivait, en si peu de temps, de réunir sur votre personne deux sentiments si opposés, l'indignation par votre arrogance, la compassion par artifices. La compassion ne vous est due à aucun titre : la haine, l'indignation, la rigueur, voilà ce qui vous est dû. Mais je reviens aux reproches dont il chargera l'assemblée du peuple qui l'a condamné. [197] Quand il le fera, pensez, Athéniens, qu'au retour d'une expédition, il a attaqué, à la tribune, devant le peuple, quand ils se furent transportés à Olynthe, les cavaliers qui avaient servi avec lui ; et qu'à présent, lui qui est resté, il attaquera le peuple devant ceux qui se sont mis en campagne. Conviendrez-vous donc être tels que vous représente Midias, soit que vous restiez dans vos murs, soit que vous en sortiez ? dites, au contraire, qu'il est, lui, partout et toujours, un homme exécrable et ennemi des dieux. Oui, sans doute, il l'est, et l'on ne saurait penser autrement de celui que ne peuvent souffrir ni les soldats, ni les chefs, ses collègues, ni ses amis. [198] Pour moi, j'en atteste Jupiter, Apollon et Minerve, je le dirai, quoi qu'il en arrive (35); lorsque cet audit' cieux débitait, de tous côtés, qu'on avait arrangé l'affaire, quelques-uns de ses meilleurs amis me paraissaient mécontents. Et, certes, je leur donne : Midias est d'un orgueil insupportable; il est seul riche, seul en état de parler ; tous les autres ne sont, pour lui, que des hommes vils, ne sont pas des hommes. [199] Mais, puisqu'il est par sa nature, si arrogant et si fier, que ne fera-t-il pas, s'il est absous ? Jugez-en par sa conduite après la sentence prononcée par le peuple. Quel est l'homme qui, condamné pour avoir violé la sainteté d'unes fête, ne fût-il chargé d'aucun autre grief, ne s'enfermât dans sa maison, ne se contint du moins jusqu'au jugement définitif? Non, il n'est personne qui n'usât de cette retenue. [200] Midias, au contraire, depuis le jour où il a été condamné, parle, crie, invective. Procède-t-on à l'élection d'un magistrat; Midias d'Anagyruse est à la tête des compétiteurs. C'est l'ami de Plutarque, il est instruit de ses secrets ; la ville entière n'est pas un champ assez vaste pour sa pétulance. Son unique dessein, en agissant de la sorte, est de faire montre d'audace ; il semble dire au peuple : Je me ris de la première condamnation, je ne crains rien, je n'appréhende pas le jugement qu'on va rendre. [201] Mais, Athéniens, un homme qui rougirait de paraître vous redouter, un homme qui fait gloire de vous braver, ne mérite-t-il pas de périr mille fois ? Il pense que vous ne saurez quel parti prendre sur son compte. Riche, audacieux, vain, superbe, violent et emporté, quand le saisirez-vous, s'il vous échappe aujourd'hui ? [202] C'est surtout, selon moi, à cause des discours insolents dont il vous fatigue, et des circonstances où il s'élève coutre vous, que vous devez le punir avec la dernière rigueur. Vous n'ignorez pas, sans doute, que, si on nous annonce un événement favorable, de nature à réjouir tous les citoyens. Midias n'est jamais du nombre de ceux qui félicitent le peuple, qui prennent part à sa joie. [203] Mais, s'il arrive un événement contraire, qui afflige tout le monde, il se présente avant tous pour vous haranguer ; et insultant au malheur des conjonctures, profitant au silence où la tristesse vous réduit : Aussi, Athéniens, dit-il, vous êtes si mal disposés; vous ne contribuez pas, vous ne vous mettez pas en campagne ; et vous êtes étonnés que vos affaires n'aillent pas mieux ! Je contribuerai pour vous, et vous vous partagerez ici mes deniers! J'équiperai des galères, et vous ne les monterez pas ! [204] Voilà comme il vous outrage; voilà, comme dans l'occasion il dévoile, en tous lieux, l'aigreur et la malveillance qu'il conserve intérieurement contre le peuple. Vous, Athéniens, de votre côté, si, pour vous séduire et pour vous surprendre, il gémit sur son sort, il verse des larmes, il vous adresse des prières, dites-lui : Aussi, Midias, vous êtes si mal disposé ; vous vous plaisez à insulter tout le monde, vous ne voulez pas vous contenir et vous êtes étonné qu'on ne vous épargne pas, étant aussi méchant que vous l'êtes! Nous vous souffrirons, et vous nous frapperez impunément ! Nous vous ferons grâce et vous persisterez dans vos violences ! [205] Les orateurs solliciteront pour lui, moins, assurément, pour le servir, que pour me nuire à cause de la haine que me porte un ministre (36), qui veut être mon ennemi, quoi que je fasse ; qui me force à être le sien contre toute raison, tant la prospérité nous rend quelquefois insupportables. Car enfin, s'obstiner toujours à être mon ennemi malgré moi, quand je n'agis pas comme le sien, quoique offensé, me traverser dans des causes qui lui sont étrangères (et il paraîtra encore dans celle-ci, pour m'enlever la protection que les lois accordent à tout citoyen); n'est-ce pas là s'arroger un pouvoir odieux, un pouvoir destructif de la liberté commune? [206] Cependant, Athéniens, Eubulus était présent, assis sur le théâtre lorsque le peuple condamna Midias; et quoique celui-ci l'appelât par son nom, qu'il le suppliât, comme vous le savez, qu'il le conjurât de parler en sa faveur, il ne se leva point. Mais, si Eubulus le croyait innocent, il devait alors secourir son ami, et le défendre. S'il l'a abandonné, parce qu'il le croyait coupable, et qu'aujourd'hui, parce qu'il est animé contre moi, il vous demande de lui faire grâce, convient-il de vous rendre à ses désirs? [207] On ne doit pas tolérer, dans une démocratie, un citoyen dont le crédit empêche que l'auteur d'une insulte ne subisse la peine, et que celui qui en est l'objet, n'obtienne réparation. Si vous voulez me nuire, Eubulus, j'ignore pour quel motifs ; mais étant un des chefs de la république, vous le pouvez : faites-moi punir d'après les lois, en me poursuivant comme vous le jugerez à propos, sans m'empêcher de venger une injure avec le secours des lois. Si vous craignez de me poursuivre par des voies juridiques, c'est une preuve de mon innocence, puisque vous, qui vous portez si aisément à accuser les autres, vous ne trouvez pas en moi matière à accusation. [208] J'apprends que Philippide, Mnésarchide et Diotime, et d'autres encore assez riches pour équiper des galères, solliciteront auprès de vous pour Midias, qu'ils vous conjureront de l'absoudre à leur considération. Je ne dirai d'eux aucun mal ; il faudrait que j'eusse perdu le sens; je vous dirai seulement les réflexions et la supposition que vous devez faire, quand ils vous supplieront pour l'accusé. [209] Supposez donc (aux dieux ne plaise que cela soit! et cela ne sera jamais), supposez qu'ils sont les maîtres de la république avec Midias et d'autres gens semblables, et qu'un simple citoyen leur ait manqué, non de la manière dont m'a insulté Midias, mais d'une façon quelconque ; si le coupable était traduit à un tribunal qu'ils composeraient eux-mêmes, pensez-vous qu'il obtînt d'eux quelque indulgence ou quelque compassion ? Lui feraient-ils grâce ? Daigneraient-ils écouter les prières de quelqu'un du peuple? Comment, diraient-ils aussitôt, cet envieux plébéien, ce misérable, est insolent ! il est hautain et fier, lui qui devrait être trop heureux qu'on le laissât vivre? [210] Traitez-les donc comme ils vous traiteraient eux-mêmes. Ne soyez pas frappés de leur crédit et de leurs richesses; considérez ce que vous êtes et ce que vous pouvez. Ils jouissent de biens considérables, dans la possession desquels personne ne les trouble; qu'ils vous laissent la jouissance de cette sûreté commune, que les lois vous donnent. [211] On ne fera pas d'injustice à Midias ; il ne sera pas à plaindre, si, le dépouillant de cette opulence qui le rend insolent, on le met au niveau des simples citoyens, qu'il insulte aujourd'hui, qu'il traite de misérables. Ses solliciteurs pourraient-ils vous faire cette demande : Athéniens, ne vengez pas un citoyen cruellement insulté, ne jugez pas suivant les lois, ni d'après votre serment ; accordez-nous cette grâce. C'est toutefois, sans se servir des mêmes termes ce qu'ils vous demanderont, en sollicitant pour l'accusé. [212] Mais, s'ils sont vraiment ses amis, s'ils trouvent si affreux qu'il ne soit pas riche, ils ont de grandes richesses, que nous ne leur envions point; qu'ils les partagent avec lui. Par-là, vous qui vous êtes liés par un serment, avant de monter au tribunal, vous prononcerez suivant la justice; pour eux ils aideront leur ami de leur fortune, sans que votre honneur soit lésé. Que, s'ils ne veulent pas renoncer à une partie de leur opulence, vous convient-il de renoncer à votre serment ? [213] Une foule de riches, à qui leurs biens ont acquis de la considération se sont ligués contre moi ; ils s'avancent de concert pour vous solliciter : ne m'abandonnez à aucun d'eux; je vous supplie; mais, s'ils s'intéressent chacun à Midias, et à leur propre avantage, vous aussi, prenez intérêt à vous-mêmes, aux lois, à un citoyen outragé, qui a eu recours à vous; persévérez dans les sentiments que vous avez manifestés avec tant d'éclat. [214] En effet, si, lorsque Midias fut dénoncé au peuple, le peuple, instruit de ce qui s'était passé, l'eût renvoyé absous, ce serait quelque chose de moins dur, de plus tolérable. On pensera, me serais-je dit, qu'il n'y a pas eu d'insulte réelle, que la sainteté de la fête n'a pas été violée; enfin, j'aurais eu mille motifs de consolation, mais non pas aujourd'hui. [215] Rappelez-vous, je vous en conjure, que vous avez témoigné l'indignation la plus vive dans le moment même du délit ; que, quoique Néoptolème, Mnécharside, Philippide, et quelques autres de nos riches orgueilleux, nous sollicitassent vous et moi en faveur du coupable, vous m'avez crié de n'entendre à aucun accommodement avec lui ; rappelez-vous que, dans la crainte que j'eusse reçu de l'argent du banquier Blépéus, vous vous livrâtes à un tel emportement, [216] que, pour me dérober aux mouvements tumultueux du peuple et aux poursuites importunes du banquier, je laissai ma robe et mon manteau je restai presque nu ; rappelez-vous encore que, vous présentant de nouveau, vous m'avez effrayé de ces menaces : Poursuivez au moins Midias, n'allez pas vous accommoder avec ce méchant homme ; nous observerons toutes vos démarches : rappelez-vous toutes ces circonstances, ô Athéniens ; et, après que le peuple, assemblé dans le temple de Bacchus, a statué par ses suffrages, sur l'insulte qui m'a été faite ; après que, de mon côté, j'ai persisté fidèlement dans ma poursuite, pensez combien il serait triste pour moi qu'on vous vît prononcer en faveur de Midias. [217] Non, vous ne le ferez pas; ce jugement me serait un affront trop cruel. Mérite-t-il d'éprouver, de votre part, un traitement semblable, l'accusateur d'un homme qui, par caractère et par système, est violent et insolent; d'un homme qui s'est porté aux plus grands excès dans une assemblée solennelle, en présence et sous les yeux, non seulement des Athéniens, mais des autres Grecs qui assistaient au spectacle. Le peuple a été instruit de ses violences, et qu'a-t-il fait? il l'a condamné, et vous l'a livré. [218] Il ne vous est donc pas possible de tenir votre décision secrète, d'empêcher qu'elle ne soit éclairée, qu'on n'examine ce que vous aurez prononcé dans une affaire portée à votre tribunal. Si vous punissez le coupable, on vous regardera comme des hommes sages, courageux et fermes, ennemis des méchants: si vous le renvoyez absous, on dira que vous avez cédé à quelque motif particulier. Portée devant le peuple, l'affaire de Midias n'a pas été civilisée comme celle d'Aristophon, qui a arrêté toute poursuite, en se hâtant de remettre des couronnes au temple de Minerve (37) : il est accusé d'avoir insulté un citoyen, de s'être porté à des excès qu'il lui est impossible de réparer lui-même. Le crime étant avéré, est-ce dans un autre temps ou à présent qu'on doit punir le coupable ? C'est à présent, je pense, puisque l'accusation et les délits intéressent tous les citoyens. [219] Non, en me traitant comme il a fait, ce n'est pas moi seulement qu'il avait intention de frapper et d'outrager, mais tous ceux qui peuvent avoir moins de crédit que moi pour le faire punir. Si vous ne fûtes pas offensés tous et maltraités dans la fonction de chorège, c'est, sans doute, que vous ne pouvez tous exercer en même temps cette fonction, et que d'ailleurs la main d'un seul homme ne pourrait vous frapper tous à la fois. [220] Lorsqu'un citoyen insulté n'obtient pas réparation, chacun doit s'attendre à être l'objet de la première insulte. Il ne faut donc pas être indifférent sur de pareils délits, ni attendre que la violence arrive jusqu'à soi, mais la prévenir du plus loin qu'il est possible. Midias me hait ; un autre peut haïr chacun de ceux qui m'écoutent : souffrirez-vous donc que votre ennemi, quel qu'il puisse être, ait le pouvoir de vous traiter aussi outrageusement que m'a traité Midias? je ne le pense pas. Et moi, ô Athéniens, Serais-je abandonné à la merci d'un homme ? [221] Faites cette réflexion : tout à l'heure, dès que la séance sera levée, chacun de vous s'en retournera dans sa maison, l'un plus tôt, l'autre plus tard, avec la plus grande sécurité, sans regarder autour de soi, soit qu'il rencontre un ami ou un ennemi, un citoyen du commun ou un citoyen puissant, un homme fort ou un homme faible ; en un mot, sans éprouver la moindre inquiétude. Pourquoi? c'est que, rempli d'assurance, et plein de la confiance qu'inspire une sage police, il est intimement persuadé qu'il ne sera attaqué, insulté, frappé par personne. [222] Et vous ne m'accorderez pas, avant de quitter le tribunal, la sûreté qui vous accompagnera en retournant chez vous ! Après les outra que j'ai essuyés, dans quel espoir pourrai-je survivre, si vous me laissez à présent sans vengeance? Ne craignez rien, me dira-t-on, vous ne serez plus outragé. Mais si je le suis, punirez-vous alors le coupable, si vous l'épargnez à présent? Au nom des dieux, ne trahissez pas ma cause, qui est la vôtre et celle des lois. [223] Car enfin, si vous voulez examiner ce qui assure aux juges des tribunaux en quelque nombre qu'ils soient, l'autorité importante qui les rend arbitres absolus de tous les habitants se cette ville, vous verrez que ce n'est ni terreur des armes, ni la force du corps, ni la vigueur de l'âge, en un mot rien autre chose que le pouvoir des lois. [224] Et le pouvoir des lois, d'où procède-t-il? Entendent-elles les cris d'un citoyen attaqué ? accourent-elles à son secours ? non. Elles ne sont par elles-mêmes que des écritures mortes, dépourvues de toute faculté d'agir. Qu'est-ce donc qui fait leur pouvoir ? c'est votre fidélité à les maintenir par l'exécution, et à Ies représenter dans toute leur force autant de fois qu'on les implore. Vous n'avez donc d'autorité que par les lois, comme les lois n'ont de pouvoir que par vous. [225] Chacun des juges doit donc secourir les lois attaquées, comme on le secourrait, s'il l'était lui-même. Les délits commis contre elles, quel que soit le coupable, doivent être, à ses yeux, des délits qui intéressent la sûreté commune ; et il est de sa religion d'empêcher que nulle charge publique, nulle pitié, nul crédit, nul artifice, que rien, en un mot, ne donne droit à personne de les violer impunément. [226] Ceux d'entre vous qui étaient au spectacle, ont accueilli Midias par des clameurs quand il est entré sur le théâtre, lui ont prodigué toutes les marques d'indignation. Vous donc qui, avant qu'on eût convaincu l'auteur de l'offense étiez animés contre lui, exhortiez l'offensé à le poursuivre, qui applaudissiez quand je le dénonçais au peuple ; [227] maintenant qu'il est convaincu, qu'il a été condamné par le peuple assemblé dans le temple de Bacchus, que ses autres violences sont dévoilées, que vous êtes nommés juges, que tout dépend de vos suffrages; balancerez-vous à venger mes injures, à satisfaire le peuple, à rendre les autres plus modérés, et à établir pour la suite votre sûreté propre, en faisant de Midias un exemple qui effraye à jamais les hommes outrageux ?
Touchés de toutes les raisons que j'ai alléguées,
pénétrés de respect pour le dieu dont Midias est convaincu d'avoir
violé la fête, infligez-lui la peine qu'il mérite, par une sentence
telle que la demandent de vous les lois, la justice et la religion. |
(01) Ces fêtes de la lune et du soleil s'appelaient thargélies (02) Le passage de la déposition de l'orfèvre à la phrase suivante me paraît un peu brusque, et je serais assez porté à croire qu'il manque ici une phrase ou deux. L'orateur devait au moins avertir ses juges qu'il était inutile de leur prouver des faits qui s'étaient passés à la vue de tout le monde, dont ils étaient parfaitement instruits, et que l'accusé lui-même ne pouvait nier. Il devait leur rappeler, en peu de mots, les persécutions et les insultes qu'il avait essuyées de la part de Midias, avant de paraître sur le théâtre, et lorsqu'il y avait paru. (03) On a insulté... grec, on a insulté votre couronne commune. Lorsque les thesmothètes s'assemblaient pour juger de quelque affaire, ils portaient sur la tête une couronne, qui était comme la marque de la dignité de leur place. (04) Érecthée sixième roi d'Athènes ; Pandion, cinquième roi de la même ville ; ils avaient donné leurs noms aux tribus Érecthéide et Pandionide. (05) Ici le raisonnement de Démosthène est captieux. Il y avait deux lois, l'une qui autorisait à citer devant le juge, avant qu'il parût sur le théâtre, ou après qu'il y avait paru, un étranger qui se mettait parmi les personnages de chœur : le juge examinait s'il était vraiment étranger ; et, après un examen suffisant ; il le condamnait à une amende : l'autre; qui défendait de le citer lorsqu'il était sur le théâtre, en exercice, une couronne sur la tête. Démosthène, pour fortifier son raisonnement par une antithèse, mêle les deux lois au lieu de les distinguer. Celui, dit il, qui aura cité devant le juge un personnage de choeur, quoique autorisé par la loi, subira une peine. S'il est autorisé par la loi, il ne subite pas de peine ; s'il subit une peine, c'est qu'il n'était pas autorisé par la loi. (06) La loi, pour les citoyens diffamés, était différente de celle pour les étrangers. On pouvait citer ceux-ci devant le juge avant qu'ils parussent sur le théâtre, ou après qu'ils y avaient paru, mais non pas les autres : il fallait les expulser soi-même du théâtre. (07) C'est, sans doute, le même Philostrate dont il est parlé dans le discours contre Niééra. Voici la réflexion d'Ulpien sur cet endroit. Chabrias, dit-il, avait persuadé aux Athéniens de secourir les Thébains qui étaient en péril : ceux-ci, peu reconnaissants, leur enlevèrent Orope, ville voisine de Thèbes. Le général fut soupçonné d'avoir favorisé leur usurpation, et eu conséquence accusé comme traître. (08) Quintilien, Longin, et d'autres rhéteurs encore, ont loué à l'envi cet endroit de la harangue, et en ont expliqué les beautés. Je les ai senties ces beautés, je m'en suis pénétré, et j'ai tâché de les faire sentir dans ma traduction. Voyez surtout Longin, Traité du sublime, chap. 17, où il parle du mélange des figures. (09) Nous avons encore les plaidoyers que Démosthène composa contre ses tuteurs, dont le principal et celui qui avait le plus malversé était un nommé Aphobus. - Plus bas, c'était Thrasyloque... Il est parlé de Thrasyloque et de l'échange: dans le second discours contre Aphobus. (10) Voyez, pour tout cet endroit, l'article des arbitres, dans le traité sur les lois et la juridiction d'Athènes, que nous avons mis dans le premier volume. (11) On devait prêter serment, lorsqu'on revenait par opposition ; Midias ne le prêtait pas, afin que Straton restât tranquille, et que par-là il pût le prendre en défaut, et l'attaquer sans qu'il se défendit. (12) Un arbitre, un homme qu'il avait choisi lui-même pour juger son différend avec Démosthène. - A été entièrement diffamé. Il y avait des diffamations qui n'ôtaient qu'une partie des droits des citoyens, d'autres qui les ôtaient tous. (13) Il faut distinguer revenir par appel, appeler de la décision d'un tribunal à un autre tribunal ; et revenir par opposition, c'est-à-dire, empêcher l'exécution d'une sentence obtenue par défaut. On ne pouvait appeler de la décision d'un arbitre qu'on avait choisi soi-même ; mais on pouvait empêcher l'effet de la condamnation par défaut, en montrant, par de bonnes raisons, qu'on n'avait pu se présenter. – Dix mines ou mille drachmes, c'était la même somme exprimée différemment, à-peu-près cinq cents livres de notre monnaie. (14) C'est sans doute un autre Euctémon que celui dont il est parlé dans les harangues coutre Timocrate et contre Androtion. (15) Cette calomnie, comme nous voyons ensuite, avait été forgée par Midias dans l'intervalle de la condamnation du peuple au jugement actuel. (16) Plutarque et sa perfidie sont suffisamment connus par Ies discours des deux précédents volumes. (17) Jeux néméens, jeux célébrés en l'honneur de Jupiter, près de la forêt Némée dans le Péloponnèse. Ces jeux furent établis ou renouvelés par Hercule, après qu'il eut tué le lion de la forêt Némée. - Déesses redoutables, les furies qui avaient un autel dans le sénat de l'aréopage. Ainsi Démosthène, accusé de meurtre par Midias, avait été choisi par le sénat de l'aréopage, ce tribunal célèbre qui connaissait surtout du meurtre, pour sacrifier aux furies, vengeresses des meurtres. (18) Argura, villa d'Eubée, dans le territoire de Chalcide„ auprès de laquelle les Athéniens firent une expédition. (19) Porté sur une mule; ce qui ôtait une mollesse, pour un homme et pour un guerrier ; il n'y avait que les femmes qui se servissent de cette monture. Inconnus dans nos camps : grec sur lesquels les collecteurs levaient un impôt. Il y avait certains objets, surtout ceux de luxe, sur lesquels on levait un impôt. Cet impôt était à-peu-près la cinquantième partie du prix de la chose. Les collecteurs étaient nommés en conséquence, pentékostologoi, quinquagesimae collectores. (20) Ce n'est pas assurément le même Polyeucte dont l'orateur parle dans la neuvième Philippique, comme d'un excellent citoyen. On verra dans ce volume un discours contre Timocrate. (21) Alcibiade est connu dans l'histoire comme un des hommes les plus singuliers qu'ait produits la Grèce; il joignait toutes sortes de vices à d'excellentes qualités, plus brillantes néanmoins que solides : égamement funeste et utile à sa patrie, il lui rendit les services les plus importants, et lui causa les plus grands maux. - Du côté de sa mère.... Le savant Paulmier prétend, d'après Plutarque, et surtout d'après Andocide, que Démosthène s'est trompé, ou a affecté de se tromper, en disant qu'Alcibiade était de la famille d'Hipponique du côté de sa mère. Il avait épousé Hipparète, fille d'Hipponique, soeur de Caillas. C'était donc son fils, et non pas lui, qui était de la famille d'Hipponique par sa mère. L'histoire ne spécifie pas dans quelles circonstances il combattit pour Athènes avant son bannissement, deux fois à Samos, et une troisième fois dans l'enceinte même de la ville. (22) En exposant sa personne, et non en déboursant de l'argent, ou en débitant des discours. On sent que ces traits tombent sur Midias. (23) Il y avait dans Athènes beaucoup d'hermès, ou de statues de Mercure : on les mutila toutes pendant une nuit. Alcibiade fut accusé d'avoir été complice, ou même l'auteur, de cette impiété. (24) Démosthène prétend que Midias était Barbare d'origine. Eschine lui fait à lui-même un pareil reproche. (25) Nous avons déjà observé que les panathénées étaient des fêtes qui se célébraient à Athènes en l'honneur de Minerve, avec beaucoup de pompe et d'appareil. Nous avons observé pareillement qu'on distribuait par classes les plus riches citoyens pour avancer les contributions, ou pour équiper des navires. Chaque classe avait son chef, dont la fonction, sans doute, était de recueillir les contributions de sa classe. (26) Eschine parle de l'affaire de Tamynes dans son discours sur la couronne, et dans celui contre Timarque. (27) Styre, ville d'Eubée. (28) Le nom du bourg manque au nom de Pamphile. (29) En grec, de la galère paralienne, destinée particulièrement à des usages de religion, et servant aussi à porter aux généraux les ordres de la république, (30) Dans la guerre sociale, dit Ulpien, les Athéniens avaient décidé qu'on pillerait tous les vaisseaux marchands des ennemis qu'on rencontrerait. Midias pilla des vaisseaux des Cyzicéniens qui étaient amis d'Athènes. Ceux-ci vinrent se plaindre et redemander leurs marchandises. Midias vint à bout, par ses intrigues, de les faire renvoyer sens qu'ils eussent obtenu réparation. De retour chez eux, ils engagèrent leur ville à déclarer la guerre aux Athéniens. - Dioclès, général athénien, qui fit la guerre aux Thébains, et conclut avec eux un traité. (31) J'ai cru devoir transporter ici une petite phrase, afin que les idées se lient mieux. C'en peut-être en grec une faute de copiste. (32) Mystères est le nom qu'on donnait aux fêtes de Cérès. (33) Il ne faut pas oublier, dans tout cet endroit, ce que nous avons observé dans le sommaire, que les délits concernant les fêtes de Bacchus étaient jugés d'abord par le peuple assemblé tumultuairement dans le temple de ce dieu, pour être portés ensuite à un tribunal plus tranquille. (34) Nous avons déjà dit, dans ce qui précède, que Butés était un ancien sacrificateur d'Athènes. (35) Quoi qu'il en arrive, c'est-à-dire, qu'ils soient choqués ou non que je révèle leur secret. (36) C'est Eubulus qu'il désigne sans le nommer. (37) Aristophon, suivant Ulpien, avait été préposé à la levé des impôts ; il garda pour lui les dîmes de Minerve, avec les quelles on devait consacrer des couronnes dans le temple de cette déesse. Accusé par Eubulus, il prévint le jugement, et mit des couronnes dans le temple. (38)
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