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table des matières de l'œuvre DE DÉMOSTHÈNE

 

DÉMOSTHÈNE

 

SUR LES AFFAIRES DE LA CHERSONÈSE

 

texte grec

 

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SOMMAIRE DE LA HUITIÉME PHILIPPIQUE.

Les harangues d'Hégésippe et de Démosthène avaient animé encore davantage les Athéniens contre Philippe. Ce prince continuait ses conquêtes dans la haute Thrace, où il était pour lors. Nous avons déjà vu que Cersoblepte avait cédé la Chersonèse aux Athéniens, et que Cardie une des principales villes de ce pays, avait refusé de se soumettre avec les autres à leur domination, et s'était mise sous la protection du roi de Macédoine. Les Athéniens envoyèrent une colonie dans la Chersonèse. Diopithe (01) partit à la tête d'une armée pour conduire la colonie, et pour observer les démarches de Philippe. Ce général, voyant que Philippe continuait à protéger Cardie, et regardant la protection qu'il donnait à une ville rebelle, comme un acte d'hostilité, sans avoir reçu l'ordre, et bien persuadé qu'on ne le désavouerait point, se jette brusquement sur les terres de ce prince, dans la Thrace maritime (02), les ravage, les pille, et remporte un riche butin, qu'il met en sûreté dans la Chersonèse. Philippe, ne pouvant pour lors s'en faire raison par la voie qu'il eut voulu, se contenta de s'en plaindre par des lettres aux Athéniens. Les créatures qu'il avait dans Athènes font leur devoir ; ils déclament contre Diopithe, décrient sa conduite, le dénoncent comme auteur de la guerre, l'accusent d'exaction et de piraterie, sollicitent son appel, et poursuivent avec chaleur sa condamnation. Démosthène, qui, dans cette conjoncture, voyait l'intérêt public lié à celui de Diopithe, entreprit sa défense. C'est ce qui fait le sujet de la harangue sur la Chersonèse.

L'orateur y justifie le général d'Athènes, en montrant dans Philippe un prince occupé à faire tout ce qui peut nuire aux Athéniens, un ennemi dangereux, qui ne cesse de commettre contre eux des hostilités, qui cherche à envahir leurs possessions au mépris de la paix. Diopithe, selon lui, peut user de représailles, d'autant plus qu'il trouve, sur les terres qu'il ravage et qu'il pille, de quoi nourrir et payer ses troupes, pour l'entretien desquelles ou ne lui avait point remis d'argent. Il expose aux Athéniens le tort qu'ils auraient de congédier leur armée, le tort qu'on a de leur donner ce conseil„ les inconvénients sans nombre que renferme ce parti. Si Diopithe est vraiment coupable, il faut qu'ils le rappellent et lui fassent son procès, mais non pas qu'ils congédient et dispersent leurs troupes, et qu'ils se livrent sans défense aux attaques d'un prince qui ne met jamais bas les armes. Dans tout le reste du discours, ce sont des déclamations fortes et véhémentes, par lesquelles Démosthène anime les Athéniens contre Philippe, qu'il représente comme un ennemi irréconciliable, qui travaille à les asservir, qui veut, qui doit vouloir détruire leur république. Il réfute fortement et vivement les citoyens peu instruits ou mal intentionnés qui leur conseillaient la paix, qui leur en exaltaient les avantages. Il se compare aux ministres, ses adversaires, et montre combien il l'emporte sur eux pour le zèle et le courage. Il répond en peu de mots à l'objection frivole de quelques-uns d'entre eux, qui lui reprochaient de ne donner que des discours quand il fallait des actions, et fait voir qu'un ministre ne doit à ses citoyens que de sages conseils. Il finit par un précis animé de ce qu'ils doivent faire dans la circonstance présente, et conclut en disant que les plus beaux discours sont inutiles, s'ils ne veulent point agir, s'ils n'agissent pas comme il convient.

Ce discours fut prononcé la troisième année de la CIXe olympiade, sous l'archonte Sosigène.

 

HUITIÈME PHILIPPIQUE. (03)

[1] Il faudrait, Athéniens, que vos orateurs, sans affecter ni craindre de choquer personne, vous exposassent simplement l'avis qu'ils jugent le plus utile, surtout lorsque vous délibérez sur des affaires publiques et importantes. Mais puisque plusieurs d'entre eux n'apportent à la tribune qu'un esprit de contention, ou d'autres motifs pareils, il faut que vous, insensibles à tout le reste, vous vous fassiez un devoir de résoudre et d'exécuter ce qu'exige l'intérêt de l'état.

[2] Les affaires de la Chersonèse, et les expéditions que Philippe fait dans la Thrace depuis près d'un an tel est l'objet principal de la délibération présente : cependant la plupart des discours n'ont roulé que sur les entreprises et les projets de Diopithe. On peut, selon moi, examiner à loisir les fautes qu'on impute à des citoyens dont vous pouvez hâter ou différer la punition ; il n'est pas nécessaire qu'on s'en occupe sur l'heure : [3] mais nos places et tous nos avantages, dont Philippe, notre ennemi, à la tête d'une puissante armée dans l'Hellespont (04), tâche de s'emparer et que nous perdrons sans ressource, si nous ne nous hâtons de le prévenir. Voilà les objets sur lesquels il vous importe de prendre au plut& le parti convenable, sans vous laisser détourner par de vaines imputations, par des débats étrangers et tumultueux.

[4] Parmi tous les propos singuliers qu'on vous tient d'ordinaire, ce qui m'a le plus surpris, c'est d'entendre dire, il y a quelques jours, dans le sénat, qu'un ministre devait conseiller nettement la guerre ou la paix. [5] Oui, sans doute, si Philippe reste tranquille, s'il cesse d'envahir nos possessions au mépris des traités, et de soulever contre nous tous les peuples, il faut, sans plus discourir garder la paix, et je n'y vois aucun obstacle de votre part. Mais si nous avons sous les yeux, et consignées dans des registres, les conditions auxquelles la paix a été faite et jurée ; [6] si, avant le départ de Diopithe et des citoyens envoyés en colonie qu'on accuse de rallumer la guerre, Philippe était convaincu, et cela par vos décrets qui déposent authentiquement contre ses injustices, de s'être emparé d'abord de plusieurs de nos places, de s'être attaché depuis et d'avoir soulevé contre nous les Grecs et les Barbares, que prétend-on en disant qu'il faut choisir entre la guerre et la paix ? [7] nous n'avons pas le choix ; et il ne nous reste qu'un para aussi juste que nécessaire, mais dont on affecte de ne point parler. Quel est-il ? de repousser qui nous attaque. A moins qu'on ne dise que Philippe n'attaque pas notre ville, et ne rallume pas la guerre, tant qu'il ne touche ni à l'Attique ni au Pirée. [8] Si ce sont là y au jugement de quelques-uns, les règles de la justice et les conditions de la paix, qui ne voit clairement qu'une telle opinion, aussi absurde que contraire à l'équité et peu sûre pour vous, contredit encore les reproches dont on charge Diopithe ? Car pourquoi permettrons-nous à Philippe de faire tout ce qu'il voudra, pourvu qu'il ne touche point à notre pays, et défendions-nous à Diopithe de secourir les peuples de la Thrace, l'accusant s'il le fait, de rallumer la guerre ?

[9] Mais, dira-t-on, la conduite du roi de Macédoine ne justifie pas les violences de nos troupes qui ravagent l'Hellespont ; Diopithe a tort d'enlever les vaisseaux; il ne faut pas le souffrir. Oui j'y consens, arrêtons cette licence. Je crois néanmoins que si l'on vous donne ce conseil par esprit de droiture et par amour de la justice, [10] il ne suffit pas, en décriant auprès de vous le général qui est à la tête de vos troupes et qui leur procure la paie, de vous engager à congédier l'armée actuellement au service d'Athènes; on doit de plus vous prouver que Philippe congédiera la sienne, si vous déférez à cet avis. Sinon, pensez qu'on ne fait que jeter la république dans les mêmes inconvénients qui jusqu'ici ont ruiné nos affaires. [11] Car, sans doute, vous n'ignorez pas que rien jusqu'à présent n'a donné au prince plus d'avantage sur nous que sa diligence à nous prévenir. Toujours à la tête d'une année sur pied, formant de loin ses projets, il attaque tout à coup ceux qu'il juge à propos. Ici, on ne se remue et on ne se prépare que quand on reçoit la nouvelle de quelque événement. [12] De là, notre adversaire reste possesseur paisible de ce qu'il a une fois envahi; tandis que nous, manquant les occasions, perdant toutes nos dépenses, nous venons seulement montrer notre haine contre l'ennemi, notre dessein de l'arrêter ; et, arrivés trop tard, nous ne remportons que de la honte.

[13] Soyez donc persuadés, ô Athéniens, que tous les vains discours dont on vous amuse, n'ont pour but que de vous enchaîner dans vos murs afin qu'Athènes n'ayant pas d'armées en campagne, Philippe dispose de tout comme il voudra. Examinez, je vous prie, ce qu'il fait maintenant. [14] Il est dans la Thrace, à la tête d'un corps de troupes considérable ; et, suivant le témoignage de gens qui voient les choses de près, il mande des renforts de Macédoine et de Thessalie. Si donc, attendant le retour des vents étésiens, il tombe sur Byzance, et l'assiège (05), croyez-vous que les Byzantins persévèrent dans leur folie, et qu'il ne vous appèlent pas à leur secours ? [15] Pour moi je ne le puis croire; et, à moins que Philippe ne les prévînt quand même ils se défieraient de quelques peuples plus que de nous, ils les recevraient dans leur ville, plutôt que de la livrer à ce monarque. Étant donc privés du secours que nous ne pourrons leur envoyer, ou que nous n'aurons plus sur les lieux, leur perte est infaillible. [16] Un mauvais génie les aveugle, et ils portent l'extravagance jusqu'à l'excès, je l'accorde; mais il faut les sauver, notre intérêt l'exige.

D'ailleurs, est-il bien sûr que le roi de Macédoine ne se jettera pas sur la Chersonèse ? A en juger par la lettre qu'il nous a écrite, il veut se venger de quelques habitants de cette île. [17] Si nous conservons nos troupes elles pourront secourir ce pays et attaquer le sien. Mais si une fois nous venons à les disperser, quel parti prendrons-nous s'il marche contre la Chersonèse ? Ferons-nous la procès à Diopithe ? grands dieux ! mais à quoi cela servira-t-il ? Partirons-nous d'ici pour la secourir ? mais si les vents nous en empêchent (06) ? Philippe, dit-on, n'osera l'attaquer. Qui peut nous en répondre ? [18] Ne voyez-vous pas, Athéniens, dans quel temps de l'année on vous conseille de vider l'Hellespont, et de le livrer à ce prince ? Mais si au retour de la Thrace, il ne tombe ni sur la Chersonèse ni sur Byzance (car c'est encore une chose qu'il faut prévoir), et qu'il aille attaquer Chalcide ou Mégare (07), comme il attaqua dernièrement Orée ; vaut-il mieux le combattre ici en le laissant apporter la guerre dans l'Attique, que de le retenir en l'occupant au loin ? je ne crois pas qu'il y ait  à hésiter dans le choix.

[19] Convaincus de tout ce que je dis, loin de chercher à décrier et à licencier l'armée que Diopithe s'efforce de conserver pour la défense de l'état ; vous devez l'augmenter vous-mêmes d'un nouveau renfort, envoyer de l'argent au général? et lui procurer à propos tout ce qui est nécessaire. [20] En effet, si l'on demande à Philippe lequel il aimerait mieux, ou que les troupes commandées par Diopithe, quelles qu'elles soient, je ne l'examine pas ici, fussent entretenues, renforcées, autorisées par la ville, ou qu'elles fussent réformées et dispersées sur de vains reproches; il choisirait le dernier? sans doute. Il en est donc ici qui faut précisément ce que pourrait souhaiter Philippe. Et vous demandez après cela ce qui a perdu nos affaires ! [21] je vais vous répondre avec sincérité, et vous mettre sous les yeux l'état présent de notre ville, et les désordres de notre conduite actuelle.

Nous n'avons ni la volonté de contribuer de nos biens, ni le courage de nous mettre en campagne ; avides pour nous des revenus publics, nous laissons notre général manquer d'argent ; au lieu de lui savoir gré de l'abondance qu'il se procure lui-même, [22] nous nous attachons à observer ses démarches, à décrier ses entreprises, à blâmer les moyens dont il use pour réussir, et ainsi du reste. Disposés de la sorte, nous ne pouvons nous résoudre à ne nous mêler que de ce qui nous regarde ; nous louons les ministres zélés pour notre gloire, en même temps que nous soutenons ceux qui combattent leurs avis. [23] Vous êtes dans l'usage de demander à vos orateurs quand ils montent à la tribune, que but-il donc faire ? je vous demanderai moi, que faut-il donc dire ? car si sous continuez à ne pas contribuer de vos biens, à ne pas vous mettre en compagne, à dissiper les revenus publics, à laisser manquer d'argent votre général, à lui faire un crime de l'abondance qu'il se procure lui-même; si-vous persévérez dans ce désordre, sans pouvoir vous résoudre à ne vous mêler que de ce qui vous regarde, je ne sais que vous dire. Que si en ce jour vous permettez même aux calomniateurs de Diopithe de l'accuser sur les projets qu'on lui prête, si vous daignez écouter leurs plaintes, que vous dira-t-on ? [24]  il faut vous apprendre ce que vous gagneriez à suivre leurs conseils je vous parlerai avec franchise, je ne le pourrais autrement.

Tous les généraux qui partent de vos ports (j'attesterais ce fait à mes plus grands risques) reçoivent une contribution des habitants de Chio et d'Érythrée, et de tous ceux qu'ils peuvent, je dis des Grecs asiatiques. [25] S'ils n'ont qu'un ou deux vaisseaux, la contribution est légère ; elle est plus considérable, s'ils ont un plus grand nombre de navires. Les peuples qui leur donnent peu ou beaucoup, ne sont point assez insensés pour le faire sans intérêt; ils achètent d'eux, par exemple, la liberté et la sûreté de leur commerce maritime, l'avantage d'être escortés et défendus contre les pirates. C'est par cette affection, disent-ils, qu'ils nous donnent ; c'est à titre de présents qu'ils nous fournissent des subsides. [26] Il est certain qu'aujourd'hui encore ils en fourniront tous à Diopithe qu'ils voient à la tête d'une armée. Car ne recevant rien d'ici, et n'ayant rien pour lui-même, où voulez-vous qu'il prenne le pain des soldats ? lui viendra-t-il du ciel ? il ne peut l'espérer. Il les nourrit donc de ce qu'il prend, de ce qu'on lui donne et de ce qu'il emprunte. [27] Ses accusateurs auprès de vous, ne font donc qu'avertir les peuples de ne pas reconnaître les services qu'il leur a déjà rendus, soit en agissant seul, soit en se joignant à eux, puisqu'on veut le punir de ceux même qu'il se dispose à leur rendre. Oui, c'est là le but de ces propos que certaines gens vous rebattent : Il doit former un siège ; il n'épargne point les Grecs (08). Qui d'entre eux s'intéresse si fort pour Ies Grecs asiatiques ? ils sacrifieraient donc à des étrangers les intérêts de la patrie. [28] C'est encore là le motif de leur empressement à demander qu'on envoie dans l'Hellespont un général pour remplacer Diopithe et pour le forcer de se démettre (09). Eh ! si Diopithe est en faute, s'il enlève les vaisseaux ; un ordre, oui un simple ordre de votre part l'arrêtera tout court. Des lois nous ordonnent de poursuivre juridiquement de semblables prévaricateurs, et non pas, certes, d'armer contre eux des flottes à grands frais. De telles précautions contre des citoyens seraient le comble de la folie. [29] C'est contre les ennemis, sur lesquels nos lois n'ont aucune prise, qu'il faut entretenir des troupes, armer des flottes, lever des subsides ; et il le faut de toute nécessité! Une dénonciation juridique, un décret, une révocation (10), voilà ce qui suffit contre nous autres: C'est là ce qui suffisait contre Diopithe, et ce que devaient proposer des hommes sages. Ce qu'on vous propose maintenant, ne peut venir en pensée qu'à des traîtres gagés pour vous nuire.

[30] Qu'il y ait chez nous de pareils hommes, c'est une chose triste, mais ce qu'il y a de plus fâcheux, c'est que vous Athéniens, vous nous écoutiez: dans des dispositions aussi peu raisonnables. Quelqu'un monte-t-il à cette tribune pour accuser Diopithe, Charès, Aristophon (11), pour rejeter sur eux, ou sur quelque autre la cause de tous nos maux; vous ne manquez pas d'approuver ses discours et d'y applaudir. [31] Un ministre, ami du vrai, vous demande-t-il à quoi vous pensez ; vous dit-il que Philippe seul est la cause de tous vos maux et de vos embarras actuels, que vous n'avez plus rien à craindre s'il s'arrête dans sa course ; sans pouvoir disconvenir de cette vérité, vous témoignez qu'elle vous choque, comme si elle vous portait un coup mortel. [32] Il faut vous dire quel est le principe de ces disposition ; et puisque je vous parle pour votre avantage, que du moins je le fasse avec liberté. Quelques-uns de vos ministres vous ont rendus aussi ardents et aussi redoutables dans vos assemblées que lents et méprisables dans vos armements. Si donc on impute vos disgrâces à quelqu'un de vos citoyens, dont vous pouvez vous saisir, vous écoutez volontiers ce qu'on vous, dit. Si on les rejette sur un prince qu'il ne vous est possible de réduire que par la voie des, armes, vous êtes embarrassés et la vérité vous déplaît. [33] Il faudrait, au contraire que vos ministres vous accoutumassent à être doux et humains dans vos assemblées, puisqu'on y traite avec des citoyens et avec des alliés ; et à ne vous montrer ardents et redoutables que dans vos armements, puisque alors, il s'agit de vaincre des rivaux et des ennemis. [34] Mais, grâce aux adulations continuelles de certains hommes et à leurs complaisances excessives, tandis que, dans vos assemblées, pleins d'une délicatesse superbe, vous voulez être flattés et n'écouter que ce qui vous fait plaisir, vous éprouvez les plus cruels embarras dans les affaires elles événements qui surviennent.

Cependant, j'en atteste les dieux, si chaque peuple de la Grèce vous demandant compté des occasions que vous a fait perdre votre négligence, [35] vous disait : Athéniens (12), vous nous envoyez députés sur députés, on nous représente de votre part que Philippe en veut à notre liberté et à celle de tous les Grecs, qu'il faut nous précautionner contre ce monarque. (Oui, c'est là ce que vous faites dire aux peuples de la Grèce, vous ne pouvez le nier.) Eh quoi ! ajouteraient-ils, ô les plus lâches des hommes ! depuis six mois entiers que le prince est hors de son royaume, que la maladie (13), la rigueur de la saison et la guerre l'empêchent d'y revenir, [36] avez-vous délivré l'Eubée, ou repris ce qui vous appartenait ? Tandis que vous restez chez eux oisifs, sains d'esprit et de corps, si toutefois on peut être jugé tel quand on agit avec aussi peu de force et de raison, il a établi dans l'Eubée deux tyrans, l'un à Sciathe (14), et l'autre en face de l'Attique pour la tenir en respect. [37] Vous n'avez pas même, si vous ne pouviez rien de plus, traversé ses démarches ; mais le laissant tout faire ? lui abandonnant tout, vous avez assez fait connaître que, dût-il mourir mille fois, vous n'en agiriez point davantage. Pourquoi donc nous envoyer des députés ? pourquoi vous déchaîner contre le roi de Macédoine ? pourquoi nous fatiguer de vos plaintes ? Si les Grecs nous tenaient ce langage, que pourrions-nous répondre ? pour moi, je ne le vois point.

[38] Il est des gens qui croient embarrasser l'orateur en lui demandant ce qu'il faut faire. Voici ma réponse aussi courte que vraie et solide ; rien de est que vous faites maintenant. Je vais néanmoins entrer dans le détail ; et puissiez-vous être aussi empressés à suivre de bons conseils qu'à les demander !

[39] Avant toute chose, soyez bien persuadés, et là dessus cessez de disputer les uns avec les autres, que Philippe a rompu la paix et qu'il nous fait la guerre, qu'il a de mauvais desseins contre nous, qu'il en veut à notre ville, à son sol, à tous ses habitants, [40] à ceux même qui se flattent le plus d'avoir ses bonnes grâces. Que ces derniers jettent les yeux sur Euthycrate et Lasthène (15), citoyens d'Olynthe, qui regardés d'abord comme ses meilleurs amis, ont péri, misérablement après avoir livré leur patrie. Mais c'est surtout à notre gouvernement qu'il en veut, c'est à le détruire que tendent tous ses projets. [41] Et l'on peut dire que sa conduite est conséquente. Il voit que, quand même il s'emparerait de tout le reste, il ne sera jamais possesseur tranquille, tant que vous vivrez sous le régime démocratique ; mais que dans un revers de fortune, comme il peut lui en arriver, les peuples qui ne le suivent maintenant que par force, se jetteront entre vos bras. [42] Vous êtes portés par caractère non à vous agrandir, non à usurper la domination, mais à empêcher qu'un autre ne l'usurpe, l'en dépouiller s'il en est saisi et en général à traverser les projets des ambitieux, et à vouloir que tous les hommes soient libres. Philippe, ne veut donc pas, et c'est raisonner en habile politique, non il ne veut pas avoir continuellement à craindre de notre amour pour la liberté. [43] Nous en conséquence, nous, devons d'abord regarder comme l'ennemi irréconciliable de toute démocratie, et nous bien convaincre d'une vérité qui nous fera donner aux affaires toute l'attention qu'elles demandent. Nous devons ensuite tenir pour certain, que c'est contre Athènes qu'il dispose, et dirige toutes ses batteries, et que dans quelque endroit qu'on cherche à l'arrêter, on agit pour nous. [44] Nul de vous, en effet, n'est assez simple pour croire que de misérables villages dans la Thrace (car de quel autre nom appeler Drongile, Cabyle, Mastite, et d'autres places qu'il a prises ou qu'il veut prendre?) Que de telles conquêtes fassent l'objet de ses voeux? et que pour elles il brave frimas, travaux, dangers. [45] Quoi ! les ports de notre ville, ses arsenaux, ses galères, ses mines d'argent (16), ses revenus immenses, il les dédaignerait, il vous en laisserait possesseurs paisibles ; et pour le seigle et le millet de la Thrace, il irait s'ensevelir dans des contrées affreuses, au milieu des glaces et des neiges ! non, il n'en est pas ainsi, mais c'est pour s'emparer d'Athènes et de tous les avantages dont elle est en possession, qu'il agit dans la Thrace et ailleurs.

[46] Que doivent dont faire des hommes sages, trop convaincus des desseins d'un monarque ambitieux ? ils doivent s'arracher à cette indolence excessive qui les perd, contribuer de leurs biens, faire contribuer leurs alliés, travailler à conserver les troupes qui sont encore sous les armes, afin que, comme Philippe à une armée prête à attaquer tous les Grecs et  à les asservir, vous en ayez une, aussi, prête à les secourir et à les sauver. [47] Non, vous ne ferez jamais rien à propos avec des milices levées à la hâte : il faut avoir une armée sur pied, lui fournir des vivres et une caisse militaire, prendre des mesures pour que cette caisse soit bien régie, faire rendre compte à vos questeurs de l'administration des deniers, ainsi qu'à votre général des opérations de la campagne. Agissez avec ardeur conformément à ce plan, et vous forcerez Philippe, ce qui serait le mieux, sans doute, à observer les conditions de la paix, et à se renfermer dans la Macédoine ; ou du moins vous le combattrez à forces égales.

[48] On ne peut suivre un tel plan, dira quelqu'un, sans qu'il en résulte de grandes dépenses, beaucoup de soins et de peines. Je l'avoue : mais, en supputant les maux qui ne manqueront pas de fondre sur notre ville, si nous refusons de prendre le parti convenable, on verra qu'il est de notre avantage de nous y porter avec zèle. [49] Oui quand même un dieu (ici la parole d'aucun mortel ne pourrait suffire) quand même un dieu nous répondrait que, quoique vous restiez dans l'inaction, et que vous abandonniez tout à Philippe, ce prince ne finira point par attaquer notre ville, il serait honteux cependant, j'en atteste tout l'Olympe, il serait indigne de la gloire de notre république et des grands exploits de nos ancêtres, de sacrifier à notre repos la liberté de tous les autres Grecs. Pour moi, j'aimerais mieux mourir que de vous donner un pareil conseil. Si un autre vous le donne, et qu'il vous persuade, à la bonne heure, n'armez point, abandonnez tout. [50] Mais s'il n'est personne qui ne rejette ce lâche sentiment, si nous prévoyons tous que plus nous laisserons Philippe étendre ses conquêtes, plus nous trouverons en lui un ennemi puissant et redoutable, pourquoi différer ? Pourquoi temporiser ? [51] Attendons-nous pour agir que la nécessité nous presse ? Mais ce qui est vraiment une nécessité, pour des hommes libres, nous presse depuis longtemps, et n'a plus besoin d'être attendu : loin de nous cette autre espèce de nécessité faite pour les seuls esclaves ! Et en quoi l'esclave diffère-t-il ici de l'homme libre? Pour l'un, la nécessité la plus pressante, c'est l'appréhension du déshonneur, et je ne vois pas qu'on puisse en imaginer de plus forte ; pour l'autre, c'est la crainte du châtiment. Puissiez-vous, Athéniens, ne jamais connaître cette dernière ! il n'est pas même séant d'en parler.

[52] Je détaillerais volontiers les artifices dont usent certains ministres pour vous séduire : je tairai les autres et ne citerai que celui-ci. Vient-on à parler de Philippe, un d'eux se lève aussitôt; que la paix est agréable ! dit-il ; qu'il est fâcheux d'avoir â entretenir des troupes ! ou cherche à dissiper nos finances. Ils vous tiennent ces propos et d'autres semblables, par lesquels ils vous arrêtent, et laissent au monarque la liberté d'agir tout à son aise. [53] En conséquence vous goûtez le plaisir du repos et de l'inaction, plaisir qui, peut-être, vous coûtera bien cher ; tandis que ces ministres obtiennent du crédit auprès de vous, et l'argent de Philippe.

Pour moi, voici quel est mon avis : ce n'est pas vous, qui par vous-mêmes n'êtes déjà que trop pacifiques, qu'il faut exhorter à la paix, mais le prince qui ne cesse de commettre des hostilités ; [54] Si on le persuade, plus d'obstacle de votre part. Et ce n'est pas ce que nous dépenserons pour nous défendre, que nous devons regarder comme fâcheux, mais ce que nous aurons à souffrir, si nous ne voulons rien dépenser. Enfin, c'est en prenant des moyens sûrs pour conserver nos finances et non en abandonnant nos intérêts, que nous devons empêcher qu'elles ne se dissipent. [55] Au reste, je suis étonné que des malversations qu'il vous est aisé de prévenir, et que vous serez toujours les maîtres de punir, alarment si fort certaines gens; tandis que Philippe qui envahit successivement toute la Grèce pour tomber ensuite sur nous, ne les alarme pas.

[56] D'où vient donc qu'aucun de ces gens-là, voyant le prince toujours les armes à la main, commettre ouvertement des injustices, s'emparer de nos places, ne l'accuse de violer la paix ; et que si nous vous conseillons de l'arrêter et de ne pas lui laisser le champ libre ils nous reprochent de rallumer la guerre ? [57] Voici leur motif. Ils veulent faire retomber sur les ministres qui vous donnent les meilleurs avis, le mécontentement que pourront vous donner les inconvénients de la guerre, car elle en entraîne, oui elle en entraîne beaucoup après elle : ils veulent, en vous occupant à juger ces ministres, vous empêcher de réprimer le monarque, et en se portant accusateurs, échapper eux-mêmes à la peine de leurs trahisons. Voilà ce qui leur fait dire qu'il en est parmi nous qui veulent rallumer là guerre ; de là naissent les débats qui vous animent les uns contre les autres. [58] Mais je sais, moi, qu'avant qu'aucun Athénien songeât à proposer la guerre, Philippe a envahi plusieurs de nos places, et que tout récemment encore il a envoyé du secours aux rebelles de Cardie. Si cependant nous ne voulons point convenir qu'il nous fait la guerre, il serait le plus insensé des hommes de chercher à nous en convaincre. [59] Mais lorsqu'il marchera contre nous, que dirons-nous alors ? Il dira, lui, qu'il ne nous fait pas la guerre. Il le disait dernièrement aux Oritains lorsque ses soldats étaient dans leur pays ; il l'avait dit auparavant aux habitants de Phères, avant qu'il fût devant leurs murailles ; il le disait anciennement aux Olynthiens, jusqu'à ce qu'il fût tout près de leur ville à la tête d'une année. Lorsqu'il sera à nos portes, dirons-nous encore de ceux qui nous exhortent à nous défendre, qu'ils rallument la guerre ? Il ne nous reste donc qu'à subir le joug : car voilà le sort qui nous est réservé, si, tandis qu'on nous attaque sans relâche nous ne songeons pas à repousser la violence.

[60] Ajoutez, Athéniens, que vous risquez encore plus que les autres peuples. Philippe ne veut pas seulement asservir votre république, non, mais la détruire.  Il sait trop bien que vous ne voudrez jamais être esclaves, et que, même si vous le vouliez, vous ne le pourriez pas, car vous êtes habitués à commander. Il sait aussi que, si vous pouvez lui créer des ennuis, vous seriez capables de lui en susciter plus que tous les autres hommes réunis.

[61] Il faut que vous sachiez donc qu'il y va de votre vie et qu'il faut vous décider en conséquence : haïr ceux qui se sont vendus à lui et les faire périr sous le bâton. Il n'est en effet pas possible, il n'est pas possible de venir à bout des ennemis du dehors, aussi longtemps que vous n'aurez pas châtié les ennemis de l'intérieur. [62] Comment se fait-il, à votre avis, qu'aujourd'hui Philippe vous insulte, - c'est exactement, à mon avis, ce qu'il fait, et pourquoi il trompe les autres par de bons traitements, tandis qu'avec vous, il use d'abord de menace ? Voyez les Thessaliens : en leur donnant beaucoup, il les a réduits dans l'esclavage où ils se trouvent maintenant. Et ces malheureux Olynthiens; qui pourrait dire combien il les a trompés en leur donnant d'abord Potidée et tant d'autres avantages ? [63] Maintenant, il s'est gagné la bienveillance des Thébains en leur livrant la Béotie, en les débarrassant d'une guerre longue et difficile. Et ainsi, après que chacun d'eux ait joui un moment de ce qu'ils convoitaient, les uns ont déjà subi le sort que vous savez tous, et les autres le subiront quand le jour arrivera.
Je ne veux pas rappeler ce qu'il vous a pris avant la paix. Mais dans la conclusion même du traité de paix, combien il vous a trompés! Que d'avantages avez-vous perdus !
[64] Les Phocidiens, les Thermopyles, vos positions en Thrace. Doriscos, Serrion, Cersobleptés lui-même. Et aujourd'hui ne tient-il pas Cardie ? N'en convient-il pas ? Eh bien, pourquoi traite-t-il les autres comme je l'ai dit et vous de cette façon ? C'est que, parmi toutes les villes, la nôtre est la seule où on donne l'impunité à celui qui parle dans l'intérêt de nos ennemis, la seule où l'on se fasse payer sans courir aucun risque par ces ennemis pour ce qu'on dit, alors même que vous êtes dépouillés, vous, de ce qui vous appartient. [65] A Olynthe, il n'aurait pas été sans danger de parler pour Philippe, si le peuple olynthien n'avait eu à se louer de lui en raison de ce qu'il tirait de Potidée ; en Thessalie, il n'aurait pas été sans danger de parler pour Philippe, si le peuple Thessalien n'avait pas eu, lui aussi à se louer de ce qu'il avait chassé les tyrans et rétabli ses droits à l'Ampictyonie ; à Thèbes, cela n'aurait pas été sans danger, avant qu'il ne leur eût rendu la Béotie et détruit les Phocidiens. [66] Mais ici, à Athènes, après que Philippe non seulement nous a pris Amphipolis et le territoire de Cardie, mais encore quand il fait de l'Eubée un ouvrage avancé contre nous, quand, en ce moment même, il s'avance - vers Byzance, on peut sans aucun risque parler pour lui. C'est pourquoi, parmi nos gens, il en est qui, de mendiants, deviennent riches tout à coup, passent de l'obscurité et du mépris à la considération et à la renommée, tandis que vous, au contraire, vous passez de la considération, au mépris, de la richesse au dénuement. Car la richesse d'une ville, qu'est-ce, sinon ses alliés, la confiance et la sympathie qu'elle inspire, toutes choses dont vous êtes dénués ? [67] Grâce à cette indifférence qui vous fait négliger vos vraies ressources et qui ruine vos affaires, Philippe est devenu heureux. et puissant, formidable aux Grecs et aux Barbares, tandis que vous êtes décriés, abandonnés, somptueux, il est vrai, et magnifiques dans vos marchés, mais dignes de risée et de mépris dans vos armements. Je remarque, au reste, que plusieurs de vos orateurs ne prennent pas pour eux-mêmes les conseils qu'ils vous donnent ils vous exhortent à demeurer en repos, quoique vous soyez attaqués, eux qui ne peuvent s'y tenir au milieu de nous, quoiqu'on ne les attaque pas.

[68] Et après cela quelqu'un d'entre eux montant à la tribune, osera me dire : Vous ne proposez donc pas la guerre dans un décret! Par un procédé lâche et timide, vous n'osez en prendre sur vous les risques !

Pour moi, bien éloigné d'être audacieux, impudent et effronté, je m'estime néanmoins plus courageux que ces ministres qui affectent tant d'assurance. [69] En effet, juger, proscrire, proposer des largesses, intenter des accusations, sans égard à l'intérêt commun, cela ne demande aucun courage. On peut être hardi, quand on a pour garant de sa sûreté, la certitude, de ne courir aucun risque, en ne disant et ne faisant rien qui ne vous soit agréable. Mais s'opposer souvent à vos volontés pour votre avantage ; n'être occupé que de vous servir, jamais de vous flatter : choisir la partie du ministère dans laquelle la fortune domine plus que la raison, et se rendre responsable de l'une et de l'autre : [70] voilà ce qui caractérise le citoyen utile, l'homme vraiment courageux ; et non, à l'exemple de plusieurs, vous faire sacrifier les plus grandes ressources de l'état à une satisfaction passagère. Loin que je me propose de telles gens pour modèles, loin que je les regarde comme des citoyens dignes d'Athènes, si on me demandait, qu'avez-vous fait pour la république ? Sans citer les vaisseaux que j'ai équipés, les jeux auxquels j'ai présidé, les contributions dans lesquelles je suis entré, les prisonniers de guerre que j'ai rachetés et d'autres actions semblables ; [71] je me contenterais de dire que, dans l'administration, je me suis frayé une route particulière ; que pouvant, ainsi que tant d'autres, accuser, flatter, proscrire en un mot, faire ce que font la plupart, je ne me suis porté à aucune de ces démarches, ni de mon propre mouvement, ni par ambition, ni par intérêt ; mais que je ne cesse de vous donner des conseils qui, en diminuant ma faveur auprès devons, augmenteront votre gloire si vous les suivez. Je puis parler de la sorte sans crainte de choquer l'envie. [72] Eh ! me regarderais-je comme un bon citoyen, si parmi les fonctions de ministre, je préférais celles qui m'élevant aussitôt au premier rang dans ma ville, vous placeraient au dernier dans la Grèce ? Il faut qu'un bon patriote n'ait d'autre but dans les conseils qu'il donne, que d'illustrer sa république, et qu'il propose toujours les partis les plus utiles non les plus faciles. La nature conduit d'elle-même à ceux-ci; au lieu que le ministre intègre ne peut porter aux autres ceux qui l'écoutent, sans recourir aux raisons les plus fortes.

[73] J'ai encore entendu dire à quelqu'un, que donnais les meilleurs avis, mais qu'après tout ce n'étaient que des paroles, et qu'il fallait à la république des effets et des actions.

Sur cela voici mon sentiment, je ne le dissimule pas. Le devoir d'un orateur se borne, selon moi, à vous donner les meilleurs avis ; et il est aisé de s'en convaincre par cet exemple frappant. [74] Vous savez, je pense, que Timothée vous conseillait un jour de secourir et de sauver l'Eubée, que les Thébains voulaient asservir. (17). Voici à peu près ce qu'il vous disait : « Vous délibérez, Athéniens, sur le parti que vous avez à prendre, et les Thébains sont dans l'île ! Ne couvrirez-vous pas la mer de vos vaisseaux ? N'irez-vous pas sur l'heure au Pirée ? ? Ne vous embarquerez-vous pas ? » [75] Voilà ce que disait Timothée ; vous avez agi : ses discours et vos actions ont fait réussir l'entreprise. Si donc Timothée vous eût donné le meilleur conseil, comme il fit alors, et que livrés, à l'indolence, vous n'eussiez rien fait, Athènes eût-elle obtenu les succès qui l'ont couverte de gloire ? non, sans doute. Il en est de même de ce que d'autres et moi nous pourrions vous dire. L'orateur ne vous doit qu'un bon conseil ; l'exécution ne regarde que vous.

[76] Je vais faire un résumé de mon avis, et je cède la tribune. Je dis donc qu'il faut lever des contributions ; conserver les troupes qui sont actuellement sur pied ; corriger ce qu'on trouvera de mal, sans tout détruire pour satisfaire aux plaintes de quelques-uns ; envoyer de toutes parts des députés qui, servant l'état de leur mieux, instruisent et animent les Grecs. Avant toute chose, il faut punir les ministres qui se laissent corrompre, les détester, les poursuivre partout et sans relâche, afin qu'on voie que les citoyens vertueux ont pris le bon parti pour eux-mêmes et pour les autres. [77] Si vous agissez, comme je dis, si vous cessez de laisser tout aller à l'abandon, peut-être, Athéniens, peut-être vos affaires changeront-elles bientôt de face. Mais si vous restez dans vos murs, aussi ardents pour applaudir à l'orateur, que lents et tardifs quand il faut agir, je ne vois point de discours qui, sans action de votre part, puisse sauver la république.
 

(01)  Diopithe était père de Ménandre, fameux poète comique que Térence a fidèlement copié.

(02) Philippe était occupé dans la haute Thrace a une guerre importable.

(03) Autrement, harangue sur la Chersonèse.

(04) On appelait Hellespont, non seulement le petit détroit qui sépare l'Europe et l'Asie, mais encore les villes et les pays d'alentour. La Chersonèse était dans le voisinage de l'Hellespont.

(05) L'événement justifia Démosthène en tout point. Philippe assiégea Byzance quelques années après ce discours. Byzance eut recours aux Athéniens ; et Phocion, à la tête d'une armée, obligea Philippe de lever le siège. Nous avons déjà vu que les Byzantins entrèrent dans la ligue de Chio, de Cos et de Rhodes contre Athènes, et vinrent à bout ensemble de se soustraire à sa domination. Les Byzantins avaient donc lieu de supposer que les Athéniens, mécontents de leur conduite, pourraient dans l'occasion leur en marquer leur ressentiment.

(06)  Apparemment qu'on touchait pour lors d'été, qui est la saison des campagnes, et dans laquelle régnaient les vents étésiens, vents qui n'étaient pas favorables pour aller d'Athènes dans la Chersonèse.

(07) Chalcide, et Orée, deux villes puissantes de l'Eubée. Nous avons déjà vu que Philippe fit sur l'Eubée plusieurs tentatives dont nous ignorons le temps, et qui eurent divers succès. Mégare faisait partie de l'Attique, dont elle fut démembrée. Elle était à une égale distance de Corinthe et d'Athènes : Philippe la trouvait à sa bienséance, et aurait lien voulu s'en rendre maître.

(08) Il n'épargne point les Grecs; Démosthène dit, il livre les Grecs, sans doute aux violences et à l'avidité du soldat. Il faut supposer que Diopithe faisait des excursions chez les Grecs asiatiques,. et qu'il en obligeait quelques-uns par la force des armes, de fournir à l'entretien de ses troupes.

(09) Il y a toute apparence que les ennemis de Diopithe l'avaient représenté comme un homme violent et impérieux, qui ne voulait pas obéir aux ordres de la république, et contre lequel il fallait équiper des galères pour l'obliger, par la force des armes, de revenir à Athènes. Ils voulaient donc que le général qu'on enverrait pour remplacer Diopithe, partit avec des troupes, afin qu'il pût le forcer de se démettre s'il faisait résistance. J'ai ajouté et pour le forcer de se démettre; ce que ne dit pas Démosthène, mais ce qu'il suppose.

(10) Une révocation, en grec, la galère paralienne, autrement la galère sacrée, qui servait à porter aux généraux les ordres de la république, et à les ramener quand ils étaient révoqués.

(11) Charès, Aristophon, deux généraux athéniens qui avaient beaucoup de vanité et peu de mérite. Il parait que Démosthène était favorable au premier ; car dans toutes les circonstances il tâche au moins de l'excuser, s'il ne le loue pas.

(12) Athènes, alarmée des progrès de Philippe, surtout depuis la prise d'Olynthe, travaillait ouvertement ou, secrètement à soulever tous les Grecs contre lui. Il n'est pas besoin de faire apercevoir la beauté et l'adresse de la prosopopée qu'emploie ici Démosthène.

(13) Philippe était pour lors dans la haute Thrace, où sans doute il était malade.

(14) L'un à Sciathe. Sciathe, île de la mer Égée, qui était une des dépendances de l'Eubée. - L'autre en face de l'Attique. C'était à Orée, ville située en face de l'Attique.

(15) Philippe aimait la trahison et n'aimait pas les traîtres. Euthycrate et Lasthène lui avaient livré leur ville. Appelés traîtres par ses soldats, ils lui en demandèrent justice, mais il les paya de cette ironie plus piquante que l'injure dont ils se plaignaient : ne prenez pas garde, leur dit-il, à ce que disent des hommes grossiers, qui nomment chaque chose par son nom.

(16) Ses mines d'argent. Ces mines étaient dans l'Attique, sur le mont Laurium. Elles étaient fort riches et devenaient plus fécondes à mesure qu'on y creusait davantage. - S"ensevelir dans des contrées affreuses, en grec, dans les souterrains de la Thrace. Les Thraces creusaient sous terre, pour y serrer leurs grains, des espèces de greniers qu'ils appelaient sirroi ou sirai. - Au milieu des glaces et des neiges. Tous les poètes grecs et latins s'accordent à nous faire de la haute Thrace le portrait le plus affreux. Tous l'appellent la patrie de Borée, la mère des neiges, le pays des frimas, le séjour des aquilons.

(17)  Les Thébains, soutenus de la faction qui les avait appelés en Eubée, y subjuguaient déjà plusieurs villes, lorsque la faction opposée demanda du secours aux Athéniens. Timothée, aussi
grand capitaine que bon orateur, appuya fortement la demande, par un discours, dont Démosthène rapporte ici un endroit remarquable. Le discours de Timothée fit son effet. Les Athéniens secoururent l'Eubée avec la plus grande ardeur, et réussirent.