Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer
Le tombeau d'Antiochos Ier (69 à 34 av. J.-C.), qui régna sur le Commagène, royaume constitué au nord de la Syrie et de l'Euphrate après le démembrement de l'empire d'Alexandre, représente une des plus colossales entreprises de l'époque hellénistique. Le syncrétisme de son panthéon et la filiation légendaire grecque et perse de ses rois témoignent de la double origine de la culture et de l'esthétique de ce royaume. (Unesco)
I a. LE grand roi Antiochus, Dieu juste, Epiphanès, Philoromain, et Philhellène, issu du roi Mithridate Callinique et de la reine Laodicée, Déesse, Philadelphe, issue du roi Antiochus, Epiphanès, Philométor Callinique, a retracé en lettres inviolables et pour une durée éternelle, sur ces socles consacrés, les œuvres de sa propre générosité. J’ai toujours cru que la piété est, de tous les biens, non seulement celui dont la possession est la plus sûre, mais aussi celui dont la jouissance est la plus douce pour les mortels ; que c’est la piété qui constitue le bonheur du pouvoir et qui en rend l’usage enviable, et, durant toute ma vie, on m’a vu tenir le respect envers les Dieux comme la garde la plus fidèle de ma royauté et comme une délectation incomparable pour mon cœur. C’est ainsi que j’ai pu échapper, comme par miracle, à de grands dangers,
I b. que j’ai pu venir aisément à bout d’entreprises qui ne laissaient pas beaucoup d’espoir et que j’ai été comblé d’une vie longue et (qualifiée de bienheureuse). Ayant pris possession du trône de mes pères, j’ai rendu mon royaume, placé sous un régime juste, grâce à mes sentiments de piété, un séjour commun à tous les Dieux, et, après avoir orné les représentations de leurs formes de toutes les ressources de l’art, selon les traditions antiques des Perses et des Hellènes, souche bienheureuse de ma race, je leur ai rendu des honneurs éclatants, par la célébration des sacrifices et des files solennelles que la règle ancienne et l’usage, commun des hommes leur ont consacrés, ou qui ont été institués par mes soins. Alors donc que je conçus le dessein d’élever, à proximité des trônes célestes et sur des fondements inaccessibles aux injures du temps, cet hiérothésion (tombeau consacré aux Dieux) où mon corps, après avoir vieilli au milieu des bénédictions, dormira du sommeil éternel séparé de l’âme pieuse envolée vers les régions célestes de Jupiter Oromasde.
II a. Je résolus de consacrer ce lieu à l’érection des sièges de tous les Dieux en commun, afin non seulement d’y élever, à la mémoire de mes ancêtres, les monuments que tu vois, mais, aussi pour que les types divins, dédiés aux génies supérieurs, aient constamment sous les yeux, comme témoin de ma piété, ce lieu mime qui en aura ressenti les effets. C’est ainsi que j’ai élevé ces statues aux formes divines, que tu vois, à Jupiter-Oromasde, à Apollon-Mithra-Hélios-Hermès, à Artagnès-Hercule-Arès, et à ma patrie, la fertile Commagène; et, de ces mêmes matériaux, j’ai fait placer au milieu des sièges des Dieux bienveillants, la statue de ma propre personne, associant par là à une fortune nouvelle la majesté antique des Dieux, et voulant représenter cette préoccupation constante que f avais vouée aux Dieux immortels,
II b. qui plus d’une fais, m’a visiblement aidé et s’est montrée favorable aux entreprises de mon règne.
J’ai pourvu, en outre, à la splendeur des sacrifices, par une donation de terres d’une étendue suffisante et des revenus en provenant, à perpétuité, j’y ai affecté un service incessant et des prêtres de choix, avec les habits qui conviennent aux personnes de race Perse, et j’y ai consacré des ornements et des accessoires dignes de ma fortune et de la supériorité des génies célestes. Quant aux célébrations perpétuelles j’ai rendu les prescriptions nécessaires, afin que, outre les sacrifices anciens consacrés par la loi ordinaire, de nouvelles fêtes soient célébrées par tout mon royaume, en l’honneur des Dieux et en mon propre souvenir; j’ai donc consacré le jour de ma naissance qui est le 16e du mois Avduéus et le jour de mon couronnement, qui est le 10e du mois Loüs, à des manifestations pieuses en l’honneur des grands Dieux qui m’ont toujours servi de guide, pendant mon règne heureux et qui ont été l’unique cause du bonheur commun à
III a. tout mon royaume, et, eu égard à l’abondance des sacrifices et à l’étendue des réjouissances, ayant établi que chacun de ces deux jours serait désigné pour des fêtes annuelles, j’ai partagé convenablement toute l’étendue de mon Empire, pour ce qui est des réunions, des files et des sacrifices, et j’ai ordonné que les villes et les bourgs célèbreraient ces files dans les temples les plus proches, et qui pour cette raison même, se trouvent plus à leur convenance. Quant au reste de l’année, j’ai décrété que les prêtres honoreraient le 16e et le 10e jour de chaque mois, comme anniversaire de ma naissance et de mon couronnement. Et, afin d’assurer le respect de ce qui précède, respect auquel les hommes sages seront engagés à tenir par piété, non seulement en notre honneur, mais aussi en considération des espérances de félicité de l’avenir de chacun, j’ai fait graver, de l’assentiment des Dieux, sur des colonnes inviolables, une loi sacrée qui devra être respectée par toutes les générations des hommes qui dans le cours du temps infini, se succèderont sur ces terres, bien persuadé que la terrible (némésis) des génies royaux poursuit et punit aussi bien l’impiété par négligence que par action, et que le mépris d’une loi concernant les mânes consacrés inflige des peines inexorables.
III b. En effet, la piété rend toute tache facile à exécuter; tandis que l’impiété entraîne nécessairement des conséquences difficiles à supporter. Cette loi, c’est ma voix qui l’a dictée; mais c’est la pensée des Dieux qui l’a sanctionnée.
Le prêtre préposé par moi à ces Dieux et à ces héros dont j’ai érigé les images sur ces cimes élevées du Mont-Taurus, dans cet hiérothésion de mon corps, ainsi que toute personne qui, dans l’avenir, occupera ces fonctions, celui-là, exempt de toute autre charge, devra se dévouer sans empêchement et sans objection, aucune, au culte et aux soins dus à ces saintes statues. Les jours anniversaire: de ma naissance, que j’ ai institués en files annuelles et mensuelles, en l’honneur des Dieux et de moi-même, s’ornant de l’habit Perse dont ma générosité et la loi nationale de notre race l’ont revêtu, il devra apposer sur tous (les Dieux et les héros) les couronnes d’or que j’ai affectées aux honneurs pieux à rendre aux génies. Il jouira des revenus des villages que j’ai dédiés; il fera, sur ces autels d’abondantes offrandes d’encens et, d’aromes aux (saintes grâces de nature héroïque;) et célèbrera dignement des sacrifices somptueux, en l’honneur des Dieux et de moi-même.
IV a. Il couvrira les tables sacrées de mets convenables, et remplira des cratères, de ceux qu’on place sous le pressoir, d’un mélange de vin abondant ; et, accueillant avec empressement tous ceux qui s’y trouveront, habitants de la localité ou étrangers, il devra faire jouir de la fête toute la foule réunie, il prélèvera pour lui-même la part d’honneur qui, selon la coutume, revient au sacerdoce, et distribuera aux autres mes largesses, pour qu’ils en usent librement et à leur gré; de matière que, à ces jours sacrés, chacun recevant tout entière la part qui lui revient, s’en régale où il voudra, sans avoir l’occasion de formuler des plaintes contre l’ordonnance de la fête. Et, aussi longtemps qu’ils feront partie de l’assemblée réunie dans l’emplacement consacré, tous les assistants seront servis dans les coupes que j’y ai affectées. Quant aux nombreux musiciens que j’y ai attachés moi-même, ainsi que ceux qui, plus tard, y seront attachés, leurs fils, filles et descendants, instruits dans les mêmes arts, et exempts de toute molestation, ils seront tenus de remplir leur office aux
IV b. jours de réunion fixés par moi, et aussi longtemps que l’assistance l’exigera. Qu’il ne soit licite à aucun roi, potentat, prêtre, ou archonte, de l’attribuer comme esclaves, d’aliéner à des tiers, d’une manière quelconque, les hiérodules (serviteurs attachés au service sacre) que moi-même, de par la volonté divine, ai dédiés aux Dieux et à l’honneur de ma mémoire, ni eux, ni leurs enfants, ni leurs descendants à un degré quelconque; ni de maltraiter quelqu’un d’entre eux, ni de les détacher de ce service. Mais, tout au contraire, que les prêtres en prennent soin et qu’aide et protection leur soient accordées par tous, rois, (archontes) et particuliers, auxquels les Dieux et les héros accorderont la récompense de leur piété,
V a. De même, qu’il ne soit licite à personne de s’approprier les villages que j’ai consacrés à ces génies, ni de les aliéner, d’en disposer autrement, ni de porter préjudice, de quelque manière que ce soit, à ces villages et à ces revenus, dis-je, que j’ai dédiés à titre de propriété inviolable des génies. Egalement que personne ne puisse, sans danger et impunément, attenter à notre honneur, en imaginant quelque prétexte, ou quelque moyen de nuire aux sacrifices et aux réunions que j’ai consacrés, ni les amoindrir, ni les abolir. Si cependant quelqu’un essayait d’abolir la force sacrée de ces dispositions, ou leur (honneur héroïque) qu’un jugement éternel a sanctionnés, ou d’y porter atteinte, ou d’en fausser l’esprit, que la colère inexorable de tous les génies et de tous les Dieux le frappe, lui et sa race, de tous les châtiments. Dans tout cela j’ai donné un nouvel exemple, après tant d’autres, à mes enfants et à mes descendants de la piété que l’on doit vouer aux Dieux et aux ancêtres,
V b. et j’ai l’espoir qu’ils voudront suivre, eux aussi, le bon exemple de leur race en augmentant toujours les honneurs de leurs parents et que, comme moi, ils y ajouteront, en temps propices, beaucoup de choses qui contribueront à leur gloire personnelle. Ce que faisant, je leur souhaite que tous les Dieux paternels de la terre de Perse et de Macédoine, ainsi que du foyer de Commagène leur soient favorable en toute grâce. Quiconque, roi ou potentat, dans le cours du temps, prenant possession du pouvoir, respectera cette loi et (nos honneurs), que celui-là ait propices, de par mes vœux, aussi tous les Dieux et tous les génies. Quant aux sentiments irréligieux et contraires à l’honneur des génies, que tout leur soit ennemi de par les Dieux, indépendamment de notre malédiction.
[1] Cette inscription témoigne du syncrétisme religieux gréco-perse et de la prose dite « asianique », pleine de poétismes et d’emphases.
[2] Nemroud-Dagh, situé à 38 degrés de latitude et 39 de longitude, est évidemment la cime la plus élevée de cette série de montagnes qui s’étendent jusqu’à l’Euphrate en se dirigeant de l’Ouest à l’Est. Sa hauteur est de 6,500 pieds à peu près.
Le nom de Nemroud-Dagh est dû à ce que, chez les Musulmans, Nemrod, le premier qui exerça le pouvoir souverain est un personnage qui a su entreprendre les travaux les plus gigantesques et à la puissance duquel rien n’a résisté. La tradition populaire ne se fait pas faute de lui attribuer toute œuvre de la nature ou de l’art dont les dimensions dépassent les proportions ordinaires et c’est ainsi que tant en Syrie qu’en Mésopotamie et en Asie-Mineure, on compte plus d’un Nemroud-Tepessi (cime de Nemrod), ou Nemroud-Dagh (montagne de Nemrod), ou bien encore Nemroud-Calessi (château de Nemrod).
Le Tumulus qui nous occupe ici termine la cime de Nemroud-Dagh en un cône presque régulier dont la construction ne ressemble en rien à celle des tumulus qu’on rencontre si fréquemment dans toute l’Asie-Mineure. Il est formé d’un amas de petites pierres concassées, absolument pareilles à celles qui servent à faire le macadam. Le sommet ne se trouve guère sur l’axe des deux terrasses qui, elles-mêmes, ne sont pas parallèles. Du côté du Sud, la pente qui continue le Tumulus est beaucoup plus rapide et elle a une grande profondeur, tandis que, du côté opposé, elle est beaucoup plus douce. C’est la conformation même de la cime qui a provoqué cette inégalité à laquelle on a voulu remédier, en jetant du côté sud une quantité incroyable de pierres, si bien qu’à 500 pieds plus bas, dans la profondeur du ravin, on en trouve encore.
Plus tard, on ne saurait préciser l’époque, une circonstance fortuite vint modifier tout-à-fait la forme primitive du Tumulus: voulant y pénétrer dans l’espoir d’y découvrir un tombeau qui ne pouvait manquer de contenir de grandes richesses, on a pratiqué des deux côtés du tumulus, derrière les rangées des géants de larges trous…