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PATIN

ÉTUDES SUR LES TRAGIQUES GRECS.

traduction de la pièce

THÉÂTRE D'EURIPIDE

CHAPITRE TREIZIÈME. - Hercule furieux.

 

Auprès des Phéniciennes, des Troyennes, de l'Hécube, se place, par le genre de la composition, l'Hercule furieux. C'est encore une de ces pièces où Euripide, cherchant un remède à l'épuisement des combinaisons dramatiques, a imaginé de rassembler plusieurs événements distincts sous un même point de vue. Qu'Hercule sauve ses enfants de la mort dont, en son absence, les menaçait un usurpateur cruel ; que, plus tard, frappé d'égarement par des divinités ennemies, il les fasse lui-même périr, ce sont là, tout le monde l'a remarqué, des faits indépendants l'un de l'autre, mais que le poète, qui les rapproche, ramène, par le contraste même, à l'unité. Cette unité, d'un genre particulier, précédemment expliqué et sur lequel il serait superflu d'insister, ressortira, je l'espère, avec évidence, de l'analyse de l'ouvrage.

Hercule, gendre de Créon, roi de Thèbes, a laissé dans cette ville sa femme Mégare et les trois fils qu'il a eus d'elle. Il veut habiter Argos, patrie de ses aïeux ; il veut y rétablir son père Amphitryon, qu'en tient depuis longtemps exilé un meurtre involontaire, et pour qu'Eurysthée consente à leur retour, il s'est soumis à l'accomplissement de tous les travaux que lui imposerait ce tyran. Jusqu'ici, les plus redoutables épreuves ont tourné à sa gloire; mais on doit craindre qu'il n'en soit pas ainsi de la dernière; car, descendu aux sombres bords, pour en ramener Cerbère, il n'a point reparu. Cependant, à la faveur de son absence, des séditieux ont placé sur le trône de Thèbes un Eubéen appelé Lycus, descendant d'un homme de ce nom, époux de l'antique Dircé. L'usurpateur, déjà meurtrier de Créon et de ses frères, veut encore, pour affermir sa nouvelle puissance, mettre à mort ce qui reste de la famille d'Hercule. Le père, la femme, les enfants du héros ont été réduits à se placer sous la protection d'un autel qu'il a autrefois, après une victoire, consacré à Jupiter, devant sa maison. C'est dans ce lieu d'asile que nous les montre, au début de la pièce, dénués de tout, assis, les vêtements en désordre, sur la terre nue, un tableau dont malheureusement le poète détruit l'effet, si frappant et si pathétique, en se servant, selon sa coutume, d'Amphitryon et de Mégare comme de personnages de prologue, pour informer complaisamment le spectateur de tout ce qui vient d'être rappelé. Peu à peu cependant ils rentrent dans leur vrai rôle, celui de personnages dramatiques, uniquement occupés de leur situation, de leur passion, et aussitôt commencent cette vérité d'accent, cet intérêt pathétique, le plus vif attrait des compositions d'Euripide. Mégare est d'un naturel bien touchant, quand, se reportant aux jours qui ont précédé, elle représente ses jeunes enfants qui l'interrogent sans cesse sur le retour de leur père et, au moindre bruit, la quittent, tout joyeux, pour voler à sa rencontre; quand, plus préoccupée du présent, elle les peint, par une expression d'une hardiesse familière au poète, comme une tendre couvée vainement réfugiée sous son aile (01). Car que peut-elle pour les sauver? Ses espérances sont à bout, et elle ne comprend pas celles que conserve encore Amphitryon. Une discussion s'engage entre les deux infortunés, où paraît, sans affectation, le génie philosophique d'Euripide. C'est d'après la nature, curieusement étudiée, qu'il suppose chez la jeune femme, avec une plus vive impatience d'arriver au terme de ses maux, une plus grande résignation à la perte de la vie ; tandis qu'au contraire c'est le vieillard qui paraît le plus obstiné à vivre, à compter sur les chances de l'avenir.

MÉGARE.

Que manque-t-il à votre infortune? Aimez-vous donc tant la lumière ?

AMPHITRYON.

Elle m'est chère, sans doute, et je tiens à l'espérance.

MÉGARE.

J'y tiens moi-même; mais faut-il, ô vieillard, se flatter de l'impossible?

AMPHITRYON.

Des délais viennent les remèdes.

MÉGARE.

Ils tardent bien, et cependant l'attente me déchire.

AMPHITRYON.

Comptons encore, ma fille, sur quelque vent favorable, pour fuir les maux où nous sommes ; comptons sur le retour de mon fils, de ton époux. Allons! reprends tes sens; arrête ces ruisseaux de larmes qui coulent des yeux de tes enfants; con-sole leur douleur par de douces paroles, trompe-les par quelque fable; cruel mensonge! je le sais bien. L'infortune elle-même finit par se lasser; les vents ne gardent pas toujours leur violence; les heureux cessent de l'être; toutes choses changent et prennent un autre cours. L'homme de coeur est celui qui se fie jusqu'au bout à l'espérance. S'abandonner est d'un lâche (02).

L'arrivée du choeur termine, comme toujours, le prologue. Ce sont des vieillards thébains que les vers lyriques du poète nous montrent gravissant, avec bien de la peine, courbés sur leurs bâtons, les pentes qui de l'orchestre mènent à la scène. Ils se soutiennent l'un l'autre, dans leur marche chancelante, ainsi que jadis, jeunes combattants, ils se secouraient mutuellement de leurs lances. On devine ce qui les amène, le besoin de consoler dans sa détresse la famille de leurs rois, ne pouvant la défendre. Le vif regard des dignes héritiers d'Hercule les charme, et ils regrettent amèrement les guerriers qu'un tel regard annonce, et dont un acte barbare va priver la Grèce.

Cet acte, Lycus vient devant eux en proclamer la nécessité, en hâter l'exécution. Il a tué Créon; ce n'est pas pour laisser vivre ses futurs vengeurs. Que veut-on en retardant si longtemps leur mort? Hercule ne reviendra pas des enfers pour les défendre; et son nom même, que l'on invoque, ce nom que le mensonge seul a fait grand, ne mérite pas de les protéger. Tel est en substance un discours où Lycus avoue impudemment sa politique sanguinaire, insulte avec une cruauté impitoyable à l'impuissance de ses victimes, et, troublé intérieurement de la pensée qu'il s'attaque au sang d'Hercule, se rassure en rappelant la mort, s'absout en niant la gloire du héros. Un tel discours, bien qu'étranger aux habitudes de notre scène, laquelle ne peint guère des moeurs si franchement atroces, ne manque pas de vérité. Ce qui en man-que, c'est la dispute de Lycus et d'Amphitryon sur l'estime due à Hercule, et particulièrement aux guerriers qui, dans les combats, font usage de l'arc (03). Ce passage, par quelque allusion contemporaine (04), a pu plaire aux Athéniens, amoureux d'ailleurs, je l'ai dit souvent, des débats contradictoires du barreau, et qui les retrouvaient volontiers au théâtre : pour nous, nous jugeons qu'Euripide a trop complaisamment consulté leurs préoccupations présentes et flatté leur goût, quand il a refroidi par une si oiseuse polémique une situation si vive.

Elle se réchauffe et, comme le chœur en fait la remarque (05) pour l'instruction du spectateur, élève naturellement à l'éloquence le langage d'Amphitryon, quand, ne se possédant plus, il reproche à Lycus son lâche attentat, le menace des justes retours du sort, accuse l'ingrate indifférence de Thèbes et de la Grèce qui abandonnent à un faible vieillard le soin de défendre contre lui la vie des enfants d'Hercule. A tout instant il change d'interlocuteur : ce ne sont que véhémentes apostrophes à Lycus, aux Thébains, aux Grecs, à ces enfants délaissés, qui tournent vers leur seul et inutile protecteur leurs regards suppliants. Il n'a plus, hélas ! sa force première ; la vieillesse fait trembler son bras. Oh! s'il redevenait ce qu'il fut, comme il saisirait sa lance, et, ensanglantant la blonde chevelure du tyran, le ferait fuir, plein de terreur, au delà des bornes de l'Atlas!

Lycus répond par l'ordre d'allumer de grands feux autour de l'autel embrassé par ses victimes, afin qu'elles y périssent étouffées. Cette étrange façon de comprendre le droit d'asile et d'accorder avec le respect des dieux la satisfaction de sa cruauté, nous l'avons déjà rencontrée chez Euripide (06). Nous en trouverions des exemples hors de la fable, dans l'histoire elle-même. Il n'y avait pas bien longtemps qu'à Sparte on avait muré les portes du temple où s'était réfugié Pausanias.

Ce n'est pas sans une opposition nouvelle que Lycus s'apprête à consommer son attentat. Les vieillards du choeur, que tout à l'heure il insultait, il menaçait, les traitant outrageusement d'esclaves révoltés, parce qu'ils semblaient ne pas approuver ses fureurs, s'excitent avec colère à leur résister. C'est le roi d'une jeunesse factieuse, ce n'est pas leur roi; ils ne veulent point lui obéir. Tant qu'ils vivront, on ne portera pas la main sur les fils d'Hercule. Qu'attendent-ils pour frapper de leurs bâtons la tête scélérate du tyran? C'est ainsi qu'ils parlent, et puis, comme Amphitryon, ils songent à leur âge, à leur faiblesse; ils se sentent sans force contre l'oppression.

Les choses arrivées à ce point, Mégare accomplit la résolution que nous ont fait pressentir ses premières paroles ; elle va d'elle-même, noblement, au-devant du coup inévitable. Il faut. ajouter ce personnage à tous ces héros du devoir, de la résignation, du sacrifice, que le contempteur, l'ennemi des femmes, comme on appelait Euripide, a empruntés en si grand nombre à leur sexe. Est-il trop subtil de remarquer que, par un sentiment délicat de sa dignité, Mégare, en cédant à Lycus, ne lui adresse pas la parole? C'est aux vieillards thébains, c'est à Amphitryon. qu'elle parle. Elle remercie les uns de leur zèle généreux, mais les engage à ne pas se compromettre plus longtemps, pour une cause perdue ; elle presse l'autre respectueusement d'entrer dans les raisons qui la déterminent à se soumettre. Sans doute, elle aime ses enfants : comment n'aimerait-elle pas ceux qu'elle a mis au monde avec tant de peine? Sans doute, mourir lui paraît cruel : mais la nécessité, contre laquelle il est insensé de se révolter. la contraint. Attendront-ils que les flammes les consument, pour fournir, mal pire que la mort ! un sujet de risée à leurs ennemis? Ils ont à honorer par leur courage, Amphitryon, son ancienne gloire guerrière, Mégare et ses enfants, le titre de femme et de fils d'Hercule. Nul sujet, d'ailleurs, d'espérer encore. Hercule ne sortira pas des lieux d'où aucun mortel ne sort, et Lycus ne se laissera pas fléchir. La pensée lui est bien venue, comme à Amphitryon, de demander l'exil pour ses enfants ; mais c'était les condamner à. toutes les misères, à toutes les hontes de cette condition; plutôt la mort. Elle fait appel au noble coeur d'Amphitryon pour qu'il s'y résigne avec elle, puisque aussi bien il ne saurait s'y soustraire.On pourrait demander si ce discours, d'une élévation naturelle, ne tourne pas quelque peu à la déclamation, quand on y entend une mère préférer la mort de ses enfants au froid accueil qu'ils eussent reçu, errants hors de leur patrie, d'hôtes indifférents. Mais, je me l'imagine, si elle parle ainsi de l'exil, c'est par une ruse involontaire de sa fierté et de sa douleur, pour ne pas descendre à solliciter une grâce qu'elle n'obtiendrait pas, pour se consoler de n'y pouvoir prétendre. Je n'aurai pas plus de peine à justifier Mégare de sa dureté gratuite à l'égard d'Amphitryon, quand, lui donnant une leçon de courage, comme s'il en avait besoin, elle l'oblige à lui répondre qu'il n'aime pas lâchement la vie, qu'il ne craint pas la mort, qu'il est prêt à la subir, quelque supplice qu'on lui destine, mais qu'il voulait, qu'il espérait sauver les enfants d'Hercule. Sans doute elle est injuste, et elle l'a déjà été, absolument de même, dans la première scène. Le poète, je le pense encore, a voulu qu'elle le fût, dût-elle y perdre quelque chose, parce qu'une telle injustice est dans la nature. La jeunesse, qui court, avec une sorte d'empressement orgueilleux, au sacrifice, ne souffre pas sans impatience, et taxe volontiers de timidité, les délais prudents du vieillard qui a appris de l'expérience à attendre et à espérer. Mais c'en est fait; le père et la femme d'Hercule sont d'accord pour mourir. Ils demandent comme unique grâce ce que Lycus, lui-même, ne peut refuser, l'un qu'on leur épargne, en les immolant les premiers, la douleur de voir mourir leurs enfants ; l'autre, qu'il lui soit permis de les ramener une fois encore dans la maison paternelle, et de les y revêtir, ce sera leur seule part dans leur héritage, de voiles funèbres. Tous s'éloignent, Lycus pour attendre que ses victimes soient prêtes, Mégare et Amphitryon, pour s'occuper de ces tristes apprêts. Amphitryon quitte la scène le dernier, adressant à Jupiter, qui les délaisse dans leur détresse, des reproches où le désespoir s'emporte jusqu'au blasphème (07).

Ceux qui se rappelleront avec quel sérieux, quelle majesté l'auteur du Bouclier d'Hercule (08) retrace l'aventure d'Alcmène, mise d'ailleurs d'assez bonne heure en comédie chez les Grecs, par Archippus (09), par Rhinton (10), et devenue depuis si comique chez Plaute, chez Rotrou, chez Molière, ne s'étonneront pas que l'Amphitryon d'Euripide, qui déjà plus d'une fois (11) a rappelé comme un titre d'honneur son partage avec Jupiter (12), s'en prévale maintenant pour réclamer le secours, pour accuser l'indifférence du roi des dieux.
Ici se place naturellement, car l'entretien suprême d'une mère avec ses enfants demande quelque temps, un assez long intermède, dans lequel le choeur, repassant toute l'histoire des travaux d'Hercule, en couronne poétiquement sa mémoire. Cet hymne de gloire finit bien tristement : une dernière strophe sur le voyage qui a conduit Hercule aux enfers, pour n'en plus revenir, pense-t-on, qui a privé, à jamais, de son appui sa maison, sert de transition à des vers, où, selon le génie pittoresque de la tragédie grecque, est représenté le tableau frappant qui ramène le drame sur la scène, le tableau de Mégare traînant à la mort, avec le triste Amphitryon, ses enfants, parés par ses mains des ornements du tombeau. Bientôt c'est elle qu'on entend, et à qui le peintre inépuisable de tant de douleurs maternelles prête ces touchantes paroles :

« Eh bien, où est le prêtre, le sacrificateur, le meurtrier qui doit frapper de mort mon âme? Voilà les victimes ! elles sont prêtes! qu'on les conduise chez Pluton! Triste cortège, mes enfants! la vieillesse avec le jeune âge, la mère avec ses enfants. Destin malheureux d'une mère, de ses enfants qu'elle ne reverra plus! Je ne vous ai donc donné le jour que pour devenir la risée, le jouet d'ennemis cruels, acharnés à votre perte. Ah! combien elles m'ont abusée les espérances dont m'entretenait votre père! A toi ce père qui n'est plus destinait Argos ; tu devais habiter le palais d'Eurysthée, régner sur les fertiles campagnes de la terre des Pélasges; déjà il parait en idée ta tête de la peau de lion dont lui-même armait la sienne. Et toi, tu devais être le roi de Thèbes, de la ville amie des chars ; tu avais obtenu de celui qui t'a fait naître, l'héritage de ta mère; à ta main était réservée, présent trompeur! la massue qui dompta tant de monstres. Toi enfin, c'était OEshalie avec l'arc qui la soumit, qu'il devait te donner. Ainsi tous trois vous élevait sur autant de trônes le noble orgueil d'un père. Et moi, je vous cherchais dans les plus illustres familles, à Athènes, à Sparte, à Thèbes, les plus dignes épouses, afin qu'assurée contre les orages, votre vie eût un cours prospère. Tout cela n'était qu'un songe, maintenant évanoui. La fortune a changé : pour épouses elle vous donne les Parques, et à moi, malheureuse, des larmes en place du bain nuptial. C'est chez Pluton, dont vous serez les gendres, que votre aïeul doit célébrer la triste fête de votre hymen. Oh! qui de vous serrer d'abord contre mon sein? par qui finir? quelles lèvres chercheront d'abord les miennes? oh! que, volant sur toutes, comme l'abeille à l'aile dorée, j'y recueille, dans ces embrassements, un trésor de douleur et de larmes! 0 cher époux, si une voix de la terre peut se faire entendre jusqu'au séjour des morts, Hercule, je t'invoque. Ton père meurt avec tes fils; je vais périr, moi que les mortels proclamaient heureuse à cause de toi. Se-cours-nous, viens, parais, ne fusses-tu qu'une ombre. C'est assez de ta présence pour nous sauver. Que sont-ils près de toi, ceux qui veulent tuer tes fils (13)? »

Au nom de la simplicité grecque, il faut peut-être blâmer, dans cette pathétique tirade, certaines figures qui sont plus du poète que du personnage : quand, par exemple, Mégare reproduit curieusement, sous tant de formes, ce qu'exprime cette expression proverbiale, à laquelle il fallait se borner, « épouser les Parques ; » quand elle compare, avec une grâce qui n'est pas sans recherche, le partage de ses baisers entre ses fils, au vol de l'abeille sur les fleurs. Qu'Amphitryon, invoquant Jupiter, comme Mégare Hercule, après un dernier et, il le croit, inutile appel à son assistance, prenne congé des vieux amis de sa jeunesse, en leur recommandant (c'est un reproche indirect qu'il adresse aux dieux) de ne plus compter, instruits par son exemple, sur la durée de la fortune et du bonheur, d'égayer le plus qu'ils pourront, sans étendre au delà leur espérance, chacun des jours qui leur restent, je ne le trouve pas mauvais ; mais peut-être insiste-t-il trop, en vers charmants du reste, sur cette moralité.

Il y a des coups de théâtre de plus d'une sorte. Les uns, tout à fait imprévus, plaisent par la surprise; les autres, au contraire, préparés, désirés, tirent d'une longue attente leur effet. Tel est celui auquel nous amène notre analyse. Mégare tout à coup s'écrie et avec elle Amphitryon; ils n'en peuvent croire leurs yeux, qui leur annoncent l'approcha d'Hercule. C'est bien Hercule en effet, échappé aux enfers, et qui revient vers les siens. Le poète nous fait connaître plus tard, par souci de la vraisemblance, que frappé, sur son chemin, d'un sinistre présage, et craignant quelque malheur domestique, il s'est dirigé en hâte vers sa maison, sans se montrer à la ville. Il ignore donc tout ce qui s'est passé à Thèbes en son absence, et sa surprise est au comble, à mesure que, s'approchant, il découvre de loin ses enfants, la tête couverte de voiles funèbres, et, au milieu d'une troupe de vieillards consternés, sa femme et son père en larmes. Les sentiments, les mouvements qui naissent d'une telle situation, la joie inquiète des uns, la surprise douloureuse de l'autre, les questions redoublées d'Hercule, auxquelles Mégare et Amphitryon, tour à tour interrogés, s'empressent de répondre, dans leur trouble, à la place l'un de l'autre (si toutefois cette disposition ingénieuse, donnée par les manuscrits, n'est pas, comme on l'a soupçonné, du fait des copistes), tout cela est rendu avec cette vérité naïve, qui jamais ne manque à la tragédie des Grecs.

Quand Hercule sait tout, un violent transport le saisit; il arrache de la tête de ses enfants les voiles qui déjà les séparaient de la lumière des vivants; il s'indigne contre lui-même d'avoir, pour courir à de vains travaux, abandonné sa famille à de tels dangers ; il annonce la vengeance terrible qu'il va tirer à l'instant des Thébains qui l'ont trahi, et de leur nouveau roi Lycus. Cependant, sur l'avis d'Amphitryon auquel il se rend avec une prudence qu'on a blâmée (14) d'après des idées modernes, je le crois, il se détermine à ne pas rallier d'abord par sa présence le parti puissant qu'ont fait à Lycus ces hommes, toujours et partout si nombreux, qui ont besoin d'une révolution pour réparer aux dépens du bien d'autrui la dissipation de leur fortune : il agira plus sagement, il en convient, en commençant par enlever à ce parti son chef, que va ramener, sans défiance, le soin d'ordonner un supplice, et qui se livrera lui-même au châtiment. Il rentre donc dans sa maison pour y attendre son ennemi, non sans avoir satisfait, trop complaisamment, la curiosité trop impatiente d'Amphitryon, qui veut savoir si, en effet, il est descendu au séjour infernal, comment il s'y est rendu maître de Cerbère, ce qu'il en a fait, pourquoi Thésée qu'il a ramené sur la terre n'est point avec lui. Ce dialogue a précisément pour objet, je le pense du moins, de préparer de loin l'apparition de Thésée au dénouement de la pièce. Rien de mieux qu'un pareil soin dont le poëte s'acquitte naturellement, brièvement, mais, il faut en convenir, avec quelque froideur ; car, que nous font en ce moment les enfers, Cerbère, Thésée lui-même? En revanche, rien qui soit plus dans la situation, rien qui intéresse, aujourd'hui encore, l'imagination à défaut des yeux, par un plus gracieux et plus riant tableau, qui charme le coeur par l'expression de plus doux, de plus aimables sentiments, que le morceau final de la scène.
Hercule, au milieu de sa famille tremblante encore, qu'il s'efforce, sans y pouvoir entièrement réussir, de rassurer, Hercule, cédant de bonne grâce aux tendresses, aux faiblesses du sang, n'y paraît plus, malgré sa peau de lion et sa massue, qu'un père tout comme un autre. Nous possédons un groupe antique (15) qui le représente dans cet héroïque attirail avec le petit Télèphe, son fils, se jouant dans ses bras. Tel à peu près le voit-on ici. L'intention générale du poète, qu'on lui a reprochée (16) bien sévèrement, comme un oubli de l'idéal, de ramener en certaines choses les héros eux-mêmes au niveau commun de l'humanité, y est non seulement évidente, mais avouée.

«... Venez, mes enfants, avec votre père, à la maison. Vous y rentrez plus heureusement que vous n'en êtes sortis. Il faut avoir bon courage; il faut retenir ces larmes qui s'échappent de vos yeux. Et toi, chère femme, reprends tes esprits, ne tremble plus. Pourquoi vous attacher ainsi à moi? je n'ai point d'ailes, je ne veux point échapper à ceux qui m'aiment. Mais, voyez! ils ne me lâchent point; au contraire, ils se suspendent à mes vêtements (17). Ah! vous étiez, je le comprends, sur le bord du précipice. Eh bien, je vais vous prendre, vous mener, comme un vaisseau de légères barques (18). Je ne me refuse pas au doux service de mes enfants. En cela, tous les hommes sont égaux : ils aiment tous leurs enfants, les plus illustres, les gens de rien. Par la puissance, par la richesse, ils diffèrent; les uns ont, les autres pas; à tous, leurs enfants sont chers (19). »

Restés seuls une seconde fois, les vieillards qui forment le choeur, commencent un second intermède, que Brumoy traite, ainsi que le premier, bien durement, quand il les dit également dénués d'intérêt, du moins pour nous. Cela n'est pas même exact; car l'un, revue poétique des travaux d'Hercule, devait plaire davantage aux anciens; l'autre, expression mélancolique d'une des plus grandes misères de la condition humaine, a de quoi plaire encore aux modernes. Ces vieillards, qui tout à l'heure, condamnés à voir immoler sous leurs yeux la famille de leurs rois, sans pouvoir la défendre, ont senti si douloureusement leur impuissance, s'entretiennent, dans des vers dont Cicéron s'est souvenu (20), du malheur de vieillir ; ils célèbrent, pleins de regrets, la jeunesse, le plus précieux des biens, si belle avec la richesse, si selle encore dans la pauvreté; ils la voudraient éternelle; ils souhaiteraient du moins qu'elle recommençât pour l'homme vertueux, fournissant par ce renouvellement un moyen facile et sûr de distinguer les bons et les méchants. Quant à leurs vieux jours, ils les embellissent, ajoutent-ils, par le culte des Muses; ils veulent les achever parmi les vers et les couronnes, chantant jusqu'à leur dernier jour les dieux, et avec eux Hercule, dont les travaux ont assuré la paix des mortels. Tel est le dessein de ce morceau (21) qui a souvent le charme des odes philosophiques d'Horace, et dont Grotius, qui l'a traduit avec une rare élégance, jugeait certes plus favorablement que Brumoy. Sans doute, comme bien d'autres du même genre chez Euripide, et même chez Sophocle, il ne tient pas fort étroitement à l'ouvrage; mais par quels liens ingénieux, à son point de départ et à sa conclusion, le poète a su l'y rattacher! Des vers gracieux y parlent de jeunes filles qui mènent des choeurs de danse autour du temple de Délos, en chantant les louanges des enfants de Latone (22). Si, comme on l'a pensé (23), c'est une allusion aux théories envoyées dans l'île sacrée par les Athéniens, et que cette allusion ait eu lieu, comme il était assez naturel, vers l'époque où en recommença l'usage (24), c'est-à-dire quelque temps après la fameuse peste d'Athènes (25), on en pourra tirer une date approximative et probable de la pièce, et la faire à peu près contemporaine de l'Oedipe Roi, voisin lui-même, cela a été dit, du même événement (26).

Cependant Lycus ne tarde pas, on l'avait prévu, à venir réclamer ses victimes, et, comme Amphitryon se refuse à les lui amener, il entre, sans défiance, pour les prendre lui-même. Amphitryon le suit de près, disant au choeur, avec cette expression de passion vindicative qu'Euripide prête volontiers à ses vieillards et qui leur retire quelquefois de notre intérêt, qu'il veut l'aller voir mourir. Suit une scène où le choeur, se partageant en deux troupes, ou, selon d'autres (27), faisant parler tour à tour ses quinze personnages, exprime tumultueusement ses voeux, ses espérances, son inquiète attente, jusqu'au moment où les cris de Lycus mourant lui apprennent que les dieux, dont on accusait la longue patience, ont fait justice, et que la rétribution vengeresse est accomplie. Alors il entonne un chant d'allégresse, où il célèbre et invite Thèbes entière, toutes les divinités thébaines, à célébrer avec lui la victoire d'Hercule.

Inutile victoire, aussitôt suivie d'une effroyable calamité (28) ! Hercule va devenir le héros d'une seconde tragédie, mais bien peu semblable à la première, on ce même père que nous avons vu l'heureux libérateur de ses enfants, nous le verrons leur involontaire et inconsolable assassin. C'est dans le brusque passage de l'une à l'autre, dans le contraste qui en résulte, que le poète a cherché, et peut être trouvé, je l'ai déjà dit et. je dois ici le répéter, l'unité de son drame (29).

Tandis que les vieillards s'abandonnent encore aux mouvements d'une joie délirante, ils aperçoivent tout à coup, avec terreur, planant sur la maison d'Hercule, une affreuse Furie. C'est la Furie de la rage, Lyssa, qu'Iris, par ordre de Junon, a été chercher aux enfers, pour qu'elle trouble l'esprit du héros et lui fasse mettre à mort, dans un transport de frénésie sanguinaire, ces mêmes enfants dont il vient de sauver la vie. L'ordre est si barbare, que la Furie elle-même, touchée de pitié, y résiste d'abord; mais quand Iris l'a répété avec autorité, au nom de la puissante déesse qu'elle représente et au sien, il faut bien que Lyssa, divinité subalterne, s'y soumette; reprenant alors, avec docilité, son caractère farouche, elle annonce, en termes effrayants, quels prodigieux effets vont suivre son entrée dans la demeure d'Hercule. Ils semblent même déjà commencer à se produire à mesure qu'elle parle, et le choeur les déplore, comme accomplis, par un chant de désolation, que l'on a eu l'idée (30) de distribuer, ainsi que d'autres morceaux lyriques de cette pièce, entre plusieurs interlocuteurs, pour ajouter au trouble de la scène.

Avant Euripide, Eschyle avait introduit dans une de ses tragédies, aujourd'hui perdue (31), une Furie portant aussi le nom de Lyssa, et sans doute chargée du même rôle. Rien de plus ordinaire dans la poésie antique que cette intervention des puissances infernales, comme ministres du courroux, de la haine des dieux, pour frapper d'égarement ceux qu'ils veulent perdre. Ainsi agit, par exemple, Alecton chez Virgile (32), Tisiphone chez Ovide (33). Il nous faut bien admettre littérairement une théologie contre laquelle notre raison se révolte (34). Elle ne laisse pas toutefois que de refroidir pour nous une scène qui a en outre l'inconvénient de ressembler à un prologue. Cette Iris, en effet, qui va au devant des objections du spectateur, en lui expliquant officieusement comment Hercule, sous la garde de la destinée tant qu'ont duré ses travaux, est, depuis qu'ils sont terminés, abandonné par elle à tous les caprices du ressentiment de Junon, paraît une machine poétique sans réalité.

Le récit qui ne tarde pas à faire connaître à quels actes insensés et sanglants la Furie, ministre de Junon, a poussé le malheureux Hercule, se distingue absolument par les mêmes mérites que j'ai eu tant de fois à louer dans les récits du théâtre tragique des Grecs : la précision, le naturel, la variété, l'intérêt des détails, un ton simple, familier même, celui d'un homme de condition médiocre, qui raconte ce qu'il a vu; par intervalle, le mouvement, l'éclat poétique auquel peut l'élever ce qu'il raconte. Il ne faut pas s'étonner, avec Brumoy, que le héros y paraisse fou à lier. L'intention du poète n'était pas assurément qu'il y parût raisonnable. Ce dont je suis plus frappé, c'est de la vraisemblance effrayante donnée par Euripide à cette espèce de logique dépravée, d'après laquelle pense et agit la démence elle-même (35).

« Devant la flamme allumée sur l'autel de Jupiter étaient déjà les victimes. On allait purifier la maison, hors de laquelle Hercule avait fait jeter le corps du tyran égorgé. En cercle se tenaient rangés le choeur gracieux de ses fils, et son père et Mégare; la corbeille sacrée circulait; nous retenions nos voix. Au moment où le fils d'Alcmène allait de sa main droite prendre un tison sur l'autel pour le plonger dans l'eau lustrale, il s'arrêta en silence, et comme il hésitait, ses fils le regardèrent avec étonnement. II ne semblait plus le même ; on avait peine à le reconnaître ; ses yeux étaient renversés, ses prunelles sanglantes s'élançaient hors de leurs orbites; l'écume dégouttait sur sa barbe touffue. Tout à coup il s'écria, avec un rire d'insensé : « Mon père, pourquoi songer à des purifications, avant d'avoir tué Eurysthée? Pourquoi, pouvant tout faire en une fois, m'imposer double peine? Quand j'aurai apporté ici la tête d'Eurysthée, alors il sera temps de laver aussi ce premier meurtre. Allons, faites écouler cette eau; jetez cette corbeille; qu'on me donne mon arc, la massue dont s'arme ma main ! je m'en vais à Mycènes. Il faut emporter des leviers, des instruments de fer, des machines pour renverser les murs construits, avec la règle et le ciseau, par les Cyclopes.» Et il semblait faire ses apprêts de départ, se figurant monter sur un char et prendre en main le fouet pour frai per les chevaux. Ses serviteurs incertains étaient tentés de rire et en même temps s'effrayaient; se regardant entre eux, ils se disaient : « Assurément notre maître veut s'amuser de nous, ou bien il a perdu la raison. ». Cependant il parcourt en tout sens sa demeure. Arrivé à la salle où se font les repas des hommes, il croit voir la vile de Nisus, il croit y entrer, s'y étendre à terre, y prendre de la nourriture; puis, repartant, après un moment de relâche, approcher des bois de l'Isthme. Là, se dépouillant de ses vêtements. il lutte contre je ne sais quel adversaire et se proclame vainqueur. Ensuite, il se dit à Mycènes et fait entendre de terribles menaces contre Eurysthée. Son père alors, touchant sa main puissante, lui adresse ces paroles : « Mon fils, qu'as-tu donc? Quel est cet étrange voyage? Le sang que tu viens de verser a-t-il trou-blé ton esprit?» Hercule croit que c'est le père d'Eurysthée, qui, tremblant pour un fils, touche sa main, en suppliant; il le repousse et s'arme de son arc et de ses flèches contre ses propres enfants, qu'il croit ceux d'Eurysthée. Ceux-ci fuient, pleins de frayeur, et cherchent un asile, l'un sous le voile de sa mère, l'autre derrière une colonne, le troisième, comme un oiseau timide, près de l'autel. La mère s'écrie : « Malheureux père! que fais tu? veux-tu donc tuer tes enfants ? » Ainsi crie le vieillard, et aussi les serviteurs. Lui, il poursuit un des enfants autour de la colonne, le rejoint, le précède, et, lui faisant face, d'un trait lui perce le foie. L'enfant tombe à la renverse, et, en expirant, arrose le marbre de son sang. Hercule cependant pousse un cri d'allégresse : Déjà, dit-il, un des re­jetons d'Eurysthée, tombé sous ses coups, a payé pour leur odieux père, et il apprête son arc, le tournant contre celui des enfants qui, tapi contre l'autel, se croyait à l'abri. Le malheureux, d'un élan rapide, se précipite aux genoux de son père, élevant des mains suppliantes : « Mon père chéri, s'écrie-t-il, ne me tue pas; je suis à toi; je suis ton fils; ce n'est pas le fils d'Eurysthée que tu vas percer. » Hercule attachait sur lui le regard farouche d'une Gorgone, et comme l'enfant se tenait en deçà de l'arc, du bois de l'arme terrible qu'il élève en l'air et fait retomber, ainsi qu'un forgeron le marteau, il brise sa tête blonde. Non content de ces deux victimes, il court à une troisième; mais la malheureuse mère le prévient, emportant son enfant. dans l'intérieur de la maison, où elle s'enferme. Il s'imagine alors qu'il assiège, qu'il abat les murs des Cyclopes ; à l'aide d'un levier il enfonce les portes, et d'une même flèche fait tomber sa femme avec son fils. Il se hâtait déjà pour aller immoler aussi son vieux père, quand parut, on put la voir, sa lance à la main, et sur sa tête son casque orné d'aigrettes, la déesse Pallas. Une pierre qu'elle lança contre la poitrine d'Hercule l'arrêta au moment où il allait commettre un horrible meurtre. Plongé dans un profond sommeil, il tomba sur le sol, heurtant le fût d'une colonne qui s'était rompue et renversée sur sa base, lorsqu'il ébranlait les murs de la maison. Délivrés du soin de le fuir, nous avons alors aidé le vieillard à le lier au tronçon de la colonne, afin qu'il ne puisse, lorsqu'il se réveillera, se livrer à de nouvelles fureurs. Il dort en ce moment, le malheureux, d'un bien triste sommeil, souillé du sang de ses enfants et de sa femme. Je ne crois pas, pour moi, qu'il y ait au monde un mortel plus malheureux (36). »

Ce récit brille d'une riche et heureuse invention. Il ne faut pas croire cependant que tout ce qu'il retrace ait été imaginé par Euripide: la matière s'en rencontrait probablement, en très grande partie, chez les poètes lyriques et épiques qui avaient chanté et raconté cette tragique histoire, comme Stésichore (37), comme Pisandre et Panyasis (38); chez les historiens qui l'avaient rappelée, comme Phérécyde (39); dans la tradition (40) qui vivait à Thèbes, auprès du tombeau, honoré de sacrifices annuels (41) des enfants de Mégare, et que Pausanias y retrouva ainsi que le monument (42). A cette tradition, les paroles de Pausanias permettent de le croire, avait été empruntée la grande et frappante image de Pallas lançant contre Hercule, au moment où il court au parricide, une pierre dont le choc l'abat et l'endort.

Le tableau d'Hercule furieux, que Philostrate (43) dit avoir vu dans une galerie de Naples et à la description duquel il mêle quelques souvenirs de la tragédie d'Euripide, peut être regardé comme un éloge indirect de ce beau récit (44).

Les portes s'ouvrent et font voir Hercule, comme il vient d'être décrit, au milieu de sa famille immolée, lié à un tronçon de colonne, et dormant d'un sommeil pénible. Amphitryon se traîne vers le choeur, qui, de la place qu'il occupe entre l'orchestre et la scène, contemple cet affreux spectacle. Il vient le prier de modérer les éclats de sa douleur, de ne point abréger le moment de calme accordé au malheureux, de ne point hâter, avec son réveil, le retour des fureurs dont ils gémissent. Ses prières sont vaines, et lui-même, emporté par l'excès de son affliction, finit par s'unir aux transports qu'il n'a pu contenir. Quelquefois il rentre pour surveiller les mouvements inquiets de son fils, pour interroger sa respiration haletante, pour s'assurer que ses yeux sont encore fermés, et, de loin, informe les vieillards, qui l'interrogent avec anxiété, de tout ce qu'il remarque. Ces jeux de scène, auxquels devaient répondre ce qu'il faut aujourd'hui deviner (45), l'ordonnance du théâtre, la disposition des acteurs, le partage des strophes entre Amphitryon et le choeur, entre les divers personnages dont le choeur se composait, préparent avec beaucoup d'art et d'effet le moment, à la fois redouté et désiré par le spectateur, du réveil d'Hercule.

Tout le monde l'a éprouvé : quand cesse le sommeil, il y a un court oubli des souffrances corporelles, des peines morales qu'il avait suspendues, puis un retour successif de ces affections, jusqu'à ce que les sens, que l'âme, empiétement éveillés, soient rentrés, pour ainsi dire, en possession de leurs misères. Il en est ainsi pour Hercule, avec cette différence qu'ignorant de sa propre aventure, il fait en lui, hors de lui, dans tout ce qui le touche, de douloureuses, d'étranges, d'inexplicables découvertes. Cette situation a été exprimée par Euripide admirablement, dans un morceau qu'on ne peut louer qu'en le traduisant, et qu'il est bien difficile de traduire.

« Oui, je respire, je vois encore ce que je dois voir, le ciel, la terre, ces traits brillants du soleil.... Mais de quelle tempête terrible a donc été battue mon âme pour que mon souffle s'échappe de ma poitrine si brûlant, si précipité, si inégal?... Ah! des liens, qui attachent, comme le navire au rivage, ma poitrine, mes bras à un débris de colonne. Je suis captif, et dans des lieux voisins sans doute du séjour des morts. Autour de moi sont répandus sur la terre.. mes flèches ailées, mon arc, ces armes qui, toujours dans mes mains, me défendaient, et que je savais défendre. Serais-je redescendu aux enfers? Eurysthée m'aurait-il forcé de recommencer ce voyage? Mais je n'aperçois point le rocher de Sisyphe, ni Pluton, ni le sceptre de la fille de Cérès. Je ne puis revenir de mon étonnement, je cherche en vain où je suis.... Oh! n'y a-t-il point près de moi, aux environs de ces lieux, quelqu'un de mes amis qui veuille éclairer mon ignorance? Car je ne reconnais aucun des objets auxquels mes sens sont accoutumés (46). »

Amphitryon se hasardé à se rapprocher d'Hercule, et bientôt, de l'aveu des vieillards qui l'ont généreusement suivi, reconnaissant que le délire du malheureux a cessé, il rompt les liens qui le retenaient. Alors commence, entre le père et le fils, une lutte d'un grand effet dramatique, l'un par des questions pressantes, courant à la découverte d'un secret dont l'autre, par des réponses évasives, retarde le plus qu'il peut la révélation. Il faut bien cependant qu'à la fin Hercule apprenne que ce carnage dont il est entouré, il en est l'auteur; que ses enfants, sa femme, dont il reconnaît les corps sanglants, lui-même les a tués. Désespéré, il ne songe plus qu'à s'ôter la vie, quand tout à coup l'arrivée de Thésée donne à ses pensées un autre cours. Fuyant les regards de son ami et voulant aussi le préserver de la souillure des siens, il s'enveloppe, il se voile la tête de ses vêtements.
Thésée est venu, avec une troupe d'Athéniens qui l'ont suivi jusqu'aux bords de l'Asopus et y attendent ses ordres, offrir à Hercule son secours contre l'usurpateur Lycus. Ce qu'il voit et qui le frappe d'une douloureuse surprise, lui persuade d'abord qu'il est arrivé trop tard ; mais bientôt il apprend d'Amphitryon, condamné, pour le plaisir du spectateur, à renouveler des révélations qui tout à l'heure lui ont tant coûté, dans quelles disgrâces nouvelles et sans remède là haine de Junon a précipité le héros. Alors, avec le zèle, la patience, l'adresse de l'amitié, il s'occupe de consoler celui qu'il accourait défendre. Le tableau de ses tendres soins, celui du retour d'Hercule à des sentiments de résignation courageuse, sont le sujet d'une longue et dernière scène, qui, selon le génie grec, repose l'âme des émotions déchirantes, révoltantes quelquefois, de cette tragédie, par la contemplation du beau moral, y corrige l'excès du pathétique et de l'horreur par l'admiration. Ajoutons que cette scène offrait aux Athéniens une autre sorte de soulagement. Elle détournait à la fin leur pensée sur ce dont ils aimaient surtout à être entretenus, sur ce que leurs poètes dramatiques mêlaient, nous l'avons vu (47) et le verrons encore, à tous les sujets, sur ces vertus généreuses qui, de tout temps, avaient fait d'Athènes le recours et l'asile des malheureux, et qu'exprimait, comme un type consacré, l'antique, l'héroïque. personnage de Thésée.

« Quel est, dit à Amphitryon Thésée, parmi tous ces morts, cet homme respirant encore, et dont la tête est voilée ? » On lui répond, il l'avait pressenti, que c'est Hercule, qui rougit de se montrer. Thésée veut qu'il se découvre à son ami, venu pour partager sa peine ; il l'en fait prier, mais vainement, par le vieillard; il l'en presse lui-même, avec des paroles bien persuasives et auxquelles Hercule ne résiste point:

« Infortuné, qui t'obstines à garder cette triste attitude, je te le demande à mon tour, laisse voir ton visage à tes amis. Il n'est point de ténèbres assez profondes pour cacher ton malheur. Pourquoi me montrer de la main ces corps sanglants? Crains-tu pour moi le contact de tes paroles? Ah! il ne m'en coûtera pas de m'associer à ta peine. J'ai bien partagé ton heureuse fortune. Ma pensée doit se reporter au temps où tu m'as tiré des enfers, ramené au jour. Je hais ces faux amis chez qui vieillit la reconnaissance, qui prennent leur part du bonheur, mais, le malheur venu, vous laissent seul achever le voyage. Allons, lève-toi, découvre cette tête malheureuse, lève les yeux sur nous. Tout généreux mortel doit supporter, doit accepter les maux que lui envoient les dieux (48). »

Admirons encore la savante économie des Grecs, qui, mettant en valeur des situations simples, leur fait rendre tout ce qu'elles contiennent. Que de formes prend, chez Euripide, la douleur d'Hercule ! D'abord emportée, furieuse, elle court au suicide ; puis, sous le voile dont s'enveloppe le héros, elle tombe dans une morne immobilité, dans un farouche silence ; la voilà maintenant qui se laisse voir, qui se fait entendre, qui accepte le combat contre les raisons de l'amitié, et, par cette concession, se prépare une inévitable défaite. Un dialogue commence, où se développe admirablement cet art que révèle la véritable affection, de gagner la confiance par la sympathie, et d'acquérir ainsi le droit de gourmander le désespoir, de lui faire entendre avec autorité ces vérités austères, que le malheur est la condition des hommes, se soumettre à la volonté des dieux le devoir commun, lutter contre la douleur et la vaincre la gloire des grandes âmes.

HERCULE.

Thésée, tu as vu quel combat. j'ai livré contre mes enfants?

THÉSÉE.

On me l'a dit, et le malheur dont tu me parles est sous mes yeux.

HERCULE.

Pourquoi donc m'as-tu forcé de montrer ma face au soleil?

THÉSÉE.

Et pourquoi la cacher? Profanerais-tu, mortel, la divinité ? 

HERCULE.

Fuis, malheureux ! la contagion de mes crimes.

THÉSÉE.

Un ami n'a rien à craindre de la part de son ami.

HERCULE.

Sans doute, et je t'ai rendu service, je ne le nie pas.

THÉSÉE.

Et moi, par reconnaissance, je te plains.

HERCULE.

Je suis bien à plaindre : j'ai tué mes enfants ! 

THÉSÉE.

Je pleure sur ton infortune, et sur d'autres en même temps.

HERCULE.

En connais-tu de plus grandes?

THÉSÉE.

L'infortune est partout sous le ciel.

HERCULE.

Aussi, suis-je prêt à mourir.

THÉSÉE.

Penses-tu que les dieux s'inquiètent de tes menaces?

HERCULE.

Ils me bravent, je les veux braver.

THÉSÉE.

Arrête : ne vas pas, par ces discours orgueilleux, ajouter à tes maux.

HERCULE.

A mes maux! j'en regorge, il n'y a plus place pour d'autres (49).

THÉSÉE.

Que veux-tu donc faire? Où se laisse emporter ton esprit?

HERCULE.

Je veux mourir, retourner au lieu d'où je viens, sous la terre.

THÉSÉE.

Tu tiens le langage d'un vulgaire mortel.

HERCULE.

Hors de l'infortune, me reprendre t'est bien facile (50).

THÉSÉE.

Est-ce Hercule qui parle ainsi, lui qui supporta tant d'épreuves?

HERCULE.

Jamais de telles. II y a des bornes à la souffrance et au courage.

THÉSÉE.

Le bienfaiteur des mortels, leur ami !

HERCULE.

Ils ne peuvent rien pour moi; Junon l'emporte.

THÉSÉE.

Non, la Grèce ne souffrira pas qu'une funeste erreur te coûte la vie (51).

A ces rapides et frappantes répliques et à d'autres de même sorte, s'entremêlent, comme souvent dans le théâtre grec, et dans la nature son modèle, des raisons, de part et d'autre plus continûment déduites. Hercule, dans une longue et éloquente tirade, reprenant toute l'histoire de sa pénible vie, cherche à convaincre Thésée qu'un mortel si malheureux, même avant que de naître, eût dû ne jamais voir le jour, et qu'il doit se hâter d'y renoncer. Car enfin n'est-il pas banni désormais et de Thèbes et d'Argos ? Les autres villes de la Grèce, épouvantées, ne se fermeront-elles pas devant lui? Bien plus, la terre, la mer, les eaux des fleuves, ne le repousseront-elles pas avec horreur? Tombé de si haut, que ferait-il encore de la vie? Il mourra, il donnera cette, joie à l'odieuse Junon. Elle peut maintenant triompher à l'aise de sa ruine.

Que, dans son désespoir, Hercule insulte à Junon, cela est très légitime, très naturel ; mais on ne comprend pas aussi bien le dédain avec lequel, dans ce même morceau, il s'est auparavant exprimé sur le compte de Jupiter, disant de lui :

« Jupiter, quel que soit le dieu qu'on appelle ainsi, m'a condamné en me donnant le jour à la haine de Junon (52). »

Ce scepticisme n'est pas d'Hercule assurément, mais du poète, qui prête ensuite ces paroles à Thésée :

« Point d'homme, à qui ne se fassent sentir les atteintes de la fortune ; point de dieux même, à moins que les poètes ne mentent. N'ont-ils pas formé entre eux des unions que nulle loi n'autorise? n'ont-ils pas, pour régner, chargé leurs pères de liens honteux? et, cependant, ils continuent d'habiter l'Olympe, supportant la pensée de ce qu'ils ont fait (53); »

du poète, qui lui fait répondre :

« Non, je n'ai jamais cru, je ne croirai jamais que les dieux se plaisent en des noeuds illégitimes, qu'ils se donnent mutuellement des chaînes, qu'il y ait chez eux des vainqueurs et des vaincus. Quel besoin un dieu, s'il est vraiment tel, a-t-il d'un autre dieu? Ce sont là de misérables contes inventés par les poètes (54).»

De toutes les réclamations que le disciple d'Anaxagore, l'ami de Socrate, a osé, non sans danger, élever sur la scène même, contre les absurdités consacrées du polythéisme (55), il n'en est point, je crois, de plus explicite, de plus hardie. Mais qu'elle semble singulièrement placée dans une pièce dont le principal personnage est né précisément d'un adultère de Jupiter, où l'on voit Junon, et sous ses ordres Iris employer au plus odieux ministère une divinité subalterne! Cette réclamation honore le philosophe ; mais on peut la reprocher, comme une étrange inconséquence, au poète dramatique, qui devait respecter la religion du théâtre.

Euripide rentre, et il n'en sortira plus, dans l'esprit du sujet; quand son Hercule, décidé, pour ne pas paraître fuir la douleur, à attendre courageusement la mort, accepte, d'un seul mot, avec une héroïque cordialité, ce qu'avec une effusion généreuse lui a offert Thésée, un asile à Athènes, le partage des biens que le vainqueur du Minotaure tient de la reconnaissance de ses concitoyens, enfin, après la vie, des monuments et des sacrifices.

Il lui reste encore à subir une épreuve qui lui coûte, à lui jusqu'alors impassible au milieu des disgrâces, des larmes dont il s'indigne, s'écriant avec un sourire amer, et la même expression (56) précisément que la tragédie grecque a fournie, pour blasphémer la vertu, à Brutus, après Philippes (57) : « Résignons-nous à être désormais l'esclave de la fortune. »

Il faut qu'il se sépare de ces tristes et chères dépouilles dont il est entouré ; qu'il confie à son vieux père le soin pieux dont sa main souillée ne pourrait se charger, de les ensevelir; qu'il prenne pour toujours congé de cet infortuné vieillard. On ne peut imaginer rien de plus pathétique, rien qui donne l'idée d'une action plus véhémente, que ces adieux, lesquels, pourtant, ne seront pas les derniers.

« .... Vieillard, je dois m'exiler de ces lieux. Je suis, tu le sais, tu l'as vu, l'assassin de mes enfants. Fais ce que je ne puis faire, la loi me le défend; ensevelis-les, porte-les au tombeau, honore-les d'un tribut de larmes; replace-les sur le sein, dans les bras de leur mère ; rétablis ces liens, que j'ai brisés, malheureux ! hélas ! sans le vouloir. Quand tu auras déposé dans la terre ces morts chéris, continue d'habiter cette ville, bien tristement sans doute, mais enfin, tâche de résoudre ton âme à supporter mes malheurs. O mes enfants ! celui qui vous a fait naître, qui vous a donné le jour, votre père vous a tués; vous ne deviez pas recueillir le fruit de ses travaux, jouir de cette gloire qu'il vous préparait, au prix de tant de peines. Et toi, épouse infortunée ! tu as été bien mal payée de ta fidélité à ma couche, du long et pénible exercice de tes vertus domestiques. Ma femme! mes enfants ! malheureux époux! malheureux père! je vais donc m'arracher à vous ! Douceur amère de ces derniers embrassements ! amère nécessité de vivre encore en compagnie de ces armes cruelles! Dois-je les emporter, ou plutôt les laisser, elles qui sembleront me dire, quand je les sentirai retomber sur mon flanc : « Par nous tu as fait périr tes enfants et ta femme; tu portes en nous leurs meurtriers. » Et ma main les reprendrait? qui pourrait m'y contraindre? Mais, cependant, me dépouiller de ces armes avec lesquelles j'ai accompli tant de hauts faits dans la Grèce, c'est me livrer à mes ennemis, m'exposer à une mort honteuse. Non, je ne puis les abandonner; quoi qu'il m'en coûte, je les garderai.... O terre de Cadmus ! ô peuple de Thèbes! rasez vos têtes; couvrez-vous de deuil; suivez au sépulcre ces enfants, pleurez-les et moi avec eux; comme eux je ne suis plus ; tous nous avons été frappés du même coup par la haine de Junon (58). »

J'ai retranché de ce beau passage quelques vers (59) dans lesquels Hercule prie Thésée de l'accompagner à Argos, auprès d'Eurysthée, de qui il doit aller réclamer le prix du dernier de ses travaux. C'est là un détail bien froid.

Nous trouvions, précédemment (60), qu'Amphitryon prenait mal son temps pour s'informer de Cerbère : que dire d'Hercule qui s'en souvient en un pareil moment? Peut-être le poète a-t-il voulu faire entendre qu'après ce trouble passager le héros reprendrait le cours de sa vie aventureuse; mais la résolution qu'il lui prête, de ne point partir sans ses armes, le disait assez.

La veine pathétique d'Euripide est véritablement inépuisable. A tout instant il en jaillit de nouvelles sources d'émotion. Hercule ne quittera pas la scène sans répandre, sans avoir fait répandre bien des larmes encore, quoique son ami blâme l'excès de sa douleur et que lui-même s'efforce de la contenir.

THÉSÉE.

Lève-toi, malheureux! c'est assez de larmes.

HERCULE.

Je ne puis : mes membres s'y refusent.

THÉSÉE.

Les plus forts, le malheur les abat.

HERCULE.

Oh! que ne suis-je comme cette pierre, insensible, sans souvenir !

THÉSÉE.

Cesse et, me donnant ta main, accepte le service d'un ami.

HERCULE.

Crains que le sang qui me souille ne s'attache a tes vêtements.

THÉSÉE.

Essuie ce sang , tu le peux; je ne m'en mets point en peine.

HERCULE.

J'ai perdu mes enfants, mais tu es pour moi comme un fils.

THÉSÉE.

Ta main autour de mon cou; je veux te soutenir, te guider.

HERCULE.

Aimable joug de l'amitié! Mais que l'un de ceux qui le portent est malheureux! O vieillard, c'est ainsi qu'il faut avoir un ami.

AMPHITRYON.

Heureuse est la patrie qui compte de tels enfants (61) !

Quelle vive expression .du désespoir? quelle noble image de l'amitié comme se mêlent et se corrigent mutuellement l'attendrissement et l'admiration et que ces émotions confuses se compliquaient heureusement pour les Athéniens du sentiment de l'orgueil national ! Je l'ai déjà remarqué en commençant l'analyse de cette grande scène, et crois devoir y insister encore en la finissant.

Mais puis-je la finir sitôt ! Le dialogue, qu'on croyait à son terme, reprend tout à coup d'une manière inattendue. Hercule, entraîné par Thésée, s'arrête, se retourne, veut qu'on le ramène ; il a besoin de revoir ses enfants, de presser une dernière fois son père contre son sein. Cee sont de nouveaux adieux que Thésée, par les conseils, les représentations d'une amitié courageuse, a bien de la peine à abréger. Le poète, arrivé sans fatigue au bout de sa carrière, trouve encore des traits comme ceux-ci:

THÉSÉE.

Qu'est devenu le grand Hercule?

HERCULE.

Mais toi-même, qu'étais-tu, au temps de ton malheur, dans les enfers ?

THÉSÉE.

Ah! le plus faible des hommes.

HERCULE.

Pourquoi donc me reproches-tu ma faiblesse?

THÉSÉE.

Allons ! viens.

HERCULE.

Vieillard ! adieu.

AMPHITRYON.

Adieu, mon fils !

HERCULE.

Ensevelis, comme je te l'ai demandé, mes enfants.

AMPHITRYON.

Et moi, mon fils, qui m'ensevelira (62)?

Je n'ai pas dissimulé les défauts de l'Hercule furieux, défauts ordinaires à Euripide. J'ai marqué, au passage, certains détails oiseux et froids, quelques discussions sophistiques, des hardiesses philosophiques en contradiction avec la mythologie, qui fait le fond de l'ouvrage. J'ajouterai qu'il s'y trouve trop de choses qu'on a vues ailleurs, chez Eschyle, chez Sophocle, chez Euripide lui-même. Ainsi, la situation de Mégare, réfugiée près d'un autel avec ses enfants, et, sur la menace d'y être étouffée par les flammes, se livrant à ses ennemis, est exactement celle dans laquelle l'auteur a placé ailleurs Andromaque (63). Ainsi le secours impuissant que prêtent les vieillards thébains à la famille d'Hercule, les insultes qu'ils adressent, oubliant leur faiblesse, à Lycus, rappellent, exactement aussi, la douleur noblement séditieuse prêtée par Eschyle aux vieillards d'Argos, en présence des meurtriers d'Agamemnon (64). Amphitryon, près de mourir, recommande à ses vieux amis d'égayer de quelque joie une vie si traversée par les vicissitudes de la fortune, à peu près comme fait, encore dans une pièce d'Eschyle, dans sa tragédie des Perses (65), l'ombre de Darius prenant congé des Fidèles. Quand Lycus se laisse attirer dans la maison où il doit trouver son châtiment, et qu'à ses derniers cris répondent de la scène les transports joyeux du choeur, c'est avec d'autres noms le dénouement des Choéphores d'Eschyle, des deux Électre de Sophocle et d'Euripide (66).

Qu'on se transporte à la scène dans laquelle Amphitryon cherche inutilement à obtenir que le choeur retienne ses gémissements et ses cris pendant le sommeil d'Hercule, et l'on trouvera matière à un nouveau rapprochement avec des scènes, soit des Trachiniennes (67) de Sophocle, soit de l'Oreste (68) d'Euripide, où un vieillard, où Électre cherchent de même, pendant qu'Hercule et Oreste reposent, à faire taire l'intérêt trop bruyant l'un d'Hyllus, l'autre d'une troupe de jeunes Argiennes. On peut continuer le parallèle et on sera frappé, comme l'a été un des traducteurs d'Euripide (69), du rapport frappant que présente la peinture du réveil d'Hercule dans la pièce qui nous occupe avec celle du réveil d'Oreste dans cette même tragédie à laquelle il a donné son nom. Le morceau par lequel s'expriment les sentiments de trouble, de surprise, de curiosité pénibles qui assaillent le héros quand il ouvre les yeux, me semble aussi n'être pas sans ressemblance, pour le ton, le mouvement, avec le monologue de Prométhée enchaîné sur sa montagne (70). Un détail évidemment emprunté au souvenir non pas du Prométhée enchaîné, mais du Prométhée délivré, est cette figure frappante par laquelle Hercule, lié à un tronçon de colonne, dit de lui-même qu'il est comme la barque attachée au rivage. Chacun se rappelle, à défaut du texte perdu d'Eschyle, l'énergique traduction de Cicéron (71) :

. .. . Navem ut horrisono freto
Noctem paventes timidi adnectunt navitae.
Saturnius me sic infixit Jupiter ...

Est-ce tout? Non : on ne peut se refuser à reconnaître encore que l'égarement d'Hercule, l'éclaircissement et la résolution désespérée qui le suivent, reproduisent en partie ce que Sophocle a si bien peint dans son Ajax (72). Sans doute nous ignorons la date de l'Hercule furieux, et par conséquent pouvons supposer qu'à cette pièce appartient la priorité de quelques-unes des situations, des peintures qui viennent d'être passées en revue. Mais elle restera chargée d'assez d'emprunts divers pour que son originalité en soit fort compromise. Et toutefois, par un habile emploi de ces espèces de matériaux tragiques, par la nouveauté de certaines inventions qui s'y mêlent, par la construction hardie de l'ensemble, par l'intérêt de plusieurs rôles, l'effet entraînant de bon nombre de scènes, cette pièce se place assez près des compositions les plus pathétiques et même les plus élevées d'Euripide. Elle ne méritait pas d'être négligée des critiques comme elle l'a été généralement, sans doute parce qu'elle se prêtait moins que d'autres à l'imitation des modernes, et qu'ils ne l'ont pas, je crois, reproduite. Elle ne justifie pas surtout le mépris que lui prodigue La Harpe, lequel n'y voit que « d'extravagantes horreurs, » et la juge seulement « un peu moins ridicule que les Bacchantes; » mépris tout gratuit au reste, car le critique n'a pas lu, je ne dirai pas ce qu'il analyse, mais ce qu'il parodie. Lycus est pour lui « un certain Lycas ! » Mégare , d'après une faute d'impression du livre de Brumoy, il l'appelle quelque part « Alcmène! » Enfin, ce qu'Euripide a mis judicieusement en récit, la folie d'Hercule, il le place , lui, « sur la scène! » La Harpe conclut en disant : « Si jamais Euripide n'avait écrit que dans ce goût, on ne l'aurait pas comparé à Sophocle. » Nous pouvons dire avec plus de raison : si l'auteur du Cours de littérature n'eût jamais jugé qu'avec cette légèreté les productions de l'esprit, son livre ne mériterait pas d'être ouvert.

Rien n'est plus propre à. mettre en lumière le mérite de l'Hercule furieux, que de le comparer à la pièce du même titre qui fait partie du théâtre de Sénèque. C'est le même sujet., et aussi à peu près le même plan. Mais quelle différence dans l'exécution ! Ce que touche légèrement Euripide, ce qui n'est que son point de départ, je veux dire l'histoire fabuleuse d'Hercule, devient pour le déclamateur latin le sujet d'interminables lieux communs. En revanche, il n'y a pas trace chez lui, parmi toutes ses exagérations, tous ses raffinements, ses descriptions, ses déclamations, ses maximes, de ces traits de nature, d'une expression si vraie, si naïve, par lesquels le poète grec a ramené à l'humanité, c'est-à-dire à l'intérêt dramatique, un sujet merveilleux. Cette différence fondamentale, qui se retrouve dans chaque détail, faisons-la ressortir par une analyse rapide de l'Hercules furens. Aussi bien est-ce la dernière pièce du même recueil que nous rencontrerons sur notre chemin.

Sénèque, qui n'imite guère d'Euripide que ses défauts, n'avait garde de ne pas lui emprunter l'usage de ces prologues si peu dramatiques, qu'on lui a justement reprochés. Il y a peu de ses pièces que n'ouvre, par un morceau de ce genre, quelque divinité. Ici, c'est Junon qui, dans cent vingt-quatre vers, pleins, comme tout le reste d'ailleurs (il ne faut pas insister là-dessus), d'emphase et de recherche, entretient sa haine pour Hercule par le souvenir des inutiles épreuves auxquelles elle l'a soumis, et, désespérant de le vaincre autrement que par lui-même, annonce l'intention de recourir aux Furies pour égarer sa raison. Le premier acte se complète par un morceau de quatre-vingts vers où un choeur de Thébains s'amuse à peindre, avec le lever du jour, les soins divers qu'il ramène à la campagne et à la ville, la vie inquiète de l'ambitieux, le calme, le bonheur que donne une condition médiocre. Ce morceau bien composé, ingénieux, élégant, n'est qu'un lieu commun de morale, souvent reproduit par l'auteur, et qui sans doute avait son prix au temps de l'Empire, mais sans rapport aucun avec le sujet. Il ne s'y rattache qu'au moyen d'une équivoque, par le rapprochement de cette impatience funeste qui fait courir les mortels au-devant de la destinée, déjà si prompte (73), et de l'audace aventureuse qui a conduit Hercule aux enfers.

Avec Mégare qui entre sur la scène au second acte, il semble que le drame lui-même devrait enfin y paraître. Mais il est encore comme ajourné par une revue nouvelle, toujours fort ampoulée, fort prétentieuse, des travaux d'Hercule. Ce n'est qu'après plus de quarante vers, donnés à cette amplification obligée, à ce thème successivement traité par tous les acteurs de la pièce, que Mégare achève l'exposition en faisant connaître à quelle oppression l'absence d'Hercule a laissé en butte sa famille. Elle se rassure, avec une complète déraison, par la pensée que le héros qui autrefois, séparant l'Olympe et l'Ossa, ouvrit un passage au Pénée, saura bien s'en frayer un à lui-même, à travers la terre, pour revenir des enfers. La Mégare d'Euripide n'avait pas assurément de ces idées-là. L'inconséquence des caractères, et des caractères de femmes surtout, on l'a pu voir par les étranges contradictions que prête arbitrairement Sénèque, par exemple à sa Clytemnestre, à sa Médée, à sa Phèdre, est un des principes de sa poétique. Cette même femme qui tout à l'heure avait tant de foi dans le retour, par voie d'éruption volcanique, pour ainsi dire, de son époux, cesse tout à coup d'y compter, surtout lorsque Amphitryon s'applique à la rassurer. Il se fait une sorte d'échange capricieux entre les deux personnages, qui débattent subtilement, non-seulement les raisons qu'ils peuvent avoir d'espérer ou de craindre, raisons parmi lesquelles il s'en trouve qui ajoutent un nouveau chapitre à l'histoire des travaux d'Hercule, mais encore les maximes contraires de la confiance et du découragement. Cela est encore bien loin du naturel, de la vérité, de la profondeur philosophique, qui nous ont frappés dans les scènes correspondantes d'Euripide. Arrive Lycus, auquel Sénèque a retiré sa noble origine, et par conséquent les droits apparents que lui avait donnés, sans doute d'après la tradition, le poète grec. Le Lycus latin est sans aïeux, et, dans l'intérêt de sa nouvelle puissance, il voudrait en acquérir par un mariage avec Mégare. Je ne blâme pas cette invention de Sénèque (74), tout à fait semblable à ce qui s'est vu depuis dans l'Héraclius de Corneille, dans la Mérope de Voltaire; mais une proposition aussi délicate que celle de devenir l'époux d'une femme dont on a fait périr récemment le père et les frères, demandait à être ménagée avec plus d'adresse, ce n'est pas assez dire, avec moins de brutalité que n'en apporte Lycus à cette négociation. Mégare la repousse avec une indignation à laquelle ôte beaucoup de son effet son exagération subtilement déclamatoire. Il ne faut rien outrer, même l'expression des sentiments les plus légitimes. Mégare donne quelque avantage à Lycus lorsqu'elle lui dit :

« Tu m'as ravi mon père, mon trône, mes frères, mes pénates, ma parie. Que veux-tu de plus? Un bien me reste qui m'est plus cher que frère et que père. que mon trône et mes pénates, ma haine pour toi. Encore regretté-je que ce bien me soit commun avec le peuple. Combien peu il m'en laisse, qui soit tout à fait à moi (75).... »

Ce n'est certainement pas de l'école d'Euripide que procède cette manière de faire parler la passion. Ce qui en vient plus directement, mais avec les additions, les embellissements qu'on peut s'imaginer, c'est une longue controverse, tantôt en dialogue coupé, tantôt en tirades, sur la gloire d'Hercule contestée par Lycus, défendue par Mégare et par Amphitryon. Ce dernier se charge particulièrement d'établir ce dont, chez Euripide, il renvoyait avec plus de convenance le soin à Jupiter (76), qu'Hercule est bien le fils du maître des dieux. Lycus termine la contestation en déclarant que, ce qu'on lui refuse, il se l'assurera par la force, et comme Mégare réplique qu'alors elle complétera le nombre des Danaïdes, le tyran, poussé à bout, ordonne, ainsi que dans la pièce grecque, d'embraser le temple qui sert d'asile à la femme et aux enfants d'Hercule. Après un tel. ordre, dans lequel probablement est compris Amphitryon, il n'y a pas trop lieu à la demande qu'il fait de mourir le premier, encore comme dans la pièce grecque. Quelque chose de tout à fait latin, latin du temps de Sénèque, chez lequel il en est toujours ainsi (77), latin du temps de l'Empire, de ce temps où Tibère, à qui remontent ces traditions de cruauté, disait d'un homme qui avait prévenu le supplice par une mort volontaire : « Carvilius m'a échappé, » et répondait à un autre qui lui demandait de le faire mourir : « Nous ne sommes pas encore assez bons amis pour cela (78), » c'est la réponse de Lycus :« Qui condamne à mort indistinctement tous ses ennemis ne sait pas être tyran. Il faut des traitements divers selon les diverses fortunes. Aux heureux ordonnez de mourir, défendez-le aux malheureux (79). »

Le Lycus d'Euripide est d'une époque moins raffinée, où les tyrans eux-mêmes ne sont pas plus méchants qu'ils n'ont besoin de l'être.
Cependant Amphitryon, resté seul avec Mégare, invoque le secours des dieux, puis, comme il se fait trop attendre, celui de son fils :

............. Quid deos frustra precor?
Ubicurnque es, audi, nate (80);

et aussitôt le temple s'ébranle, la terre mugit, un bruit souterrain semble monter des enfers. C'est, il n'en doute pas, Hercule qui vient, géologiquement, comme l'avait annoncé Mégare. Le choeur partage cette confiance. Pour échapper aux enfers, dit-il, la force ne pourra-t-elle ce qu'a bien pu l'harmonie ? Et là-dessus il raconte en vingt vers, agréables mais déplacés, l'histoire d'Orphée et d'Eurydice qu'on n'attendait guère. On s'attendait davantage, et cette attente n'est pas trompée, à la reprise de l'interminable histoire des travaux d'Hercule. Quelle passion ou quel besoin du lieu commun! que d'indigence se cache sous cette stérile abondance, et combien est plus riche la simplicité d'Euripide !

Hercule, ainsi annoncé, paraît enfin au troisième acte, ramenant des enfers Cerbère sa conquête. Les spectateurs, si cette pièce et les autres du même théâtre ont eu des spectateurs, ce qui est bien douteux, voyaient-ils le monstre? Les paroles du héros autoriseraient à le croire, car il demande pardon au soleil du spectacle par lequel il profane sa lumière ; il dit à Jupiter de se cacher les yeux avec sa foudre, à Neptune de plonger au fond de ses eaux, à tous les dieux de détourner leurs regards. Un tel monstre ne peut être vu que de celui qui l'a amené et de celle qui a ordonné de l'aller chercher. On devine, sans qu'il soit nécessaire de les rapporter, tout ce qu'un tel début doit amener de pompeuses extravagances. Nous voilà bien loin des simples expressions par lesquelles l'Hercule d'Euripide, revoyant après tant de fatigues et de dangers sa patrie et sa maison, témoigne d'abord sa joie et bientôt après, au tableau lugubre qui se découvre à lui, son étonnement, son anxiété. L'Hercule de Sénèque finit par redescendre des sublimes régions où il promenait son esprit, pour s'apercevoir, comme son devancier, pour s'enquérir, s'occuper des dangers qui menacent sa famille ; il s'empresse de l'aller défendre et venger, la laissant sous la garde de Thésée, avec lequel il est arrivé, mais dont on n'a encore rien dit. Thésée s'emploie avec zèle à la consoler et même à l'amuser. Sur la demande d'Amphitryon, aussi mal à propos curieux que nous lui avons reproché de l'être chez Euripide, mais dont la curiosité a de plus ici une teinte de naïveté qui n'est pas la naïveté grecque, il décrit tout ce qu'il a vu aux enfers : c'est une redite de Virgile, d'Ovide et autres, élégante, spirituelle, où Fénelon (grand éloge!) a pris quelque chose de la morale qui, dans son Télémaque, renouvelle ce lieu commun ; elle n'est pas toutefois sans mélange de mauvais goût, et elle a surtout le défaut choquant de distraire de l'action par un épisode descriptif d'environ cent vers. Je n'y comprends pas soixante-cinq vers qui contiennent le récit, plus voisin du sujet, de la descente d'Hercule aux sombres bords, et surtout de sa lutte victorieuse contre Cerbère. Cet exploit singulier y est décrit avec une trop grande précision de détails; il y a des choses qui veulent être exprimées rapidement, largement, qui même s'accommodent d'un certain vague, sur lequel travaille l'imagination. Les montrer trop distinctement, c'est en accuser l'invraisemblance et, malgré l'emphase des paroles, risquer de les rendre petites et ridicules. Je n'oserais répondre que cela ne soit pas arrivé ici à Sénèque. Ce dont je suis bien sûr, c'est que rien ne touche de plus près au comique de la parodie, que l'humilité avec laquelle Thésée se mêle lui-même à son récit, lorsqu'il dit que Pluton l'a laissé emmener par Hercule avec Cerbère, en quelque sorte par-dessus le marché :

Me quoque petenti munus Alcidae dedit (81).

Aux longues confidences de Thésée met enfin un terme l'arrivée du choeur qui chante, couronné de laurier, la dernière victoire d'Hercule et appelle tout le peuple thébain à un sacrifice d'action de grâces. La peinture qu'il fait du héros descendant aux enfers au milieu des ombres qui s'y rendent en foule, l'amène à de beaux vers sur l'universelle, l'inévitable nécessité de la mort. Ces moralités, communes pour le fond, frappantes pour la forme, se retrouvent, rendues à peu près de même, dans les traités en prose de Sénèque, et c'est un des arguments que l'on fait valoir pour établir l'identité du philosophe et du poète. Elles sont certainement ce qu'il y a de plus naturel dans ces pièces, à l'inconvenance dramatique desquelles elles ne participent point.

Le sujet du quatrième acte est ce qui donne à la tragédie son titre, la fureur d'Hercule. Vainqueur de Lycus, le héros préside avec pompe au sacrifice annoncé par le choeur; il adresse à Jupiter une prière dont l'idée est grande, le ton noble, et que Rotrou a transportée dans son Hercule mourant (82). Bientôt il s'écrie, comme notre Oreste :

Mais quelle épaisse nuit tout a coup m'environne !

Il ne le dit pas avec cette sobriété de paroles, tant s'en faut. Son imagination troublée, aidée de la redondance ordinaire à Sénèque, lui montre, entre autres tableaux, le soleil qui, sans nuages, s'obscurcit et retourne vers l'orient ; les étoiles, qui brillent de toutes parts, comme nous disons, en plein midi :

Unde tot stellae polum
Implent diurae (83)?

Il voit « un faux ciel (84) des plus bizarres ; le Lion, que le premier de ses travaux a placé parmi les constellations, traversant les signes de l'automne et de l'hiver, pour aller, dans la région du printemps, étrangler le Taureau. Lui-même, dédaignant la terre, veut une place parmi les astres, où les dieux l'appellent. Junon seule s'y oppose : il la menace, il menace Jupiter; il brisera les fers de Saturne, il soulèvera les Titans, les Géants. Déjà il assiste à cette gigantomachie dans laquelle il joue son rôle, entassant, avec ses alliés, les montagnes, les lançant vers le ciel, « armant sa main de sommets tout remplis de Centaures. »

Rapiamque dextra plena Centauris juga (85).

Après d'autres visions de cette sorte, Hercule aperçoit ses enfants, qu'il prend pour les fils de Lycus, il perce l'un d'une flèche, fait voler l'autre contre les murs du palais; le troisième meurt de frayeur dans les bras de sa mère, en qui le furieux pense voir Junon, son ennemie, et qu'il frappe de sa massue. Enfin, au moment où Amphitryon désespéré s'offre lui-même à ses coups, sans doute pour qu'à ses forfaits ne manque point le parricide, étrange idée dont Thésée ne peut le détourner, Hercule tout à coup chancelle et tombe profondément endormi. La folie de l'Hercule grec est vraiment de la raison auprès de celle de l'Hercule latin. Qu'est devenu cet enchaînement d'idées, cette logique, comme je l'ai déjà dit, qui pousse sans relâche le premier dans la voie d'illusions et de crimes où l'a fait entrer la colère céleste, et au terme, pour l'arrêter, la majestueuse intervention de Minerve, donnée, on l'a vu, par la tradition? Tout ici est arbitraire, désordonné, extravagant. Ajoutez que ce que peut seule tolérer l'imagination et qu'Euripide, quoi qu'en ait dit La Harpe, a judicieusement mis en récit, Sénèque l'expose presque entièrement sur la scène, rapprochant le reste, autant que possible, du spectateur, par ce qui lui parvient des menaces frénétiques d'Hercule, des supplications de Mégare, et surtout par les images que lui retrace Amphitryon des scènes affreuses auxquelles il assiste. La terreur, l'horreur même ne manquent pas, ne devaient pas manquer au récit d'Euripide; mais elles y sont, pour ainsi dire, dispensées avec cette mesure du génie grec, dont était, surtout dans la partie dramatique de ses pièces, complètement dépourvu Sénèque. Dans les choeurs, chose singulière! son imagination paraît mieux réglée, quoiqu'elle y franchisse encore trop souvent les bornes sévères du goût. J'en trouve la preuve dans le morceau lyrique qui suit la scène dont je viens de présenter l'analyse. Il s'y rencontre, sans beaucoup d'ordre, quelques belles choses que l'auteur finit presque toujours par gâter. Telle est une invocation au sommeil pour qu'il continue de charmer les maux d'Hercule, invocation naturelle dans la situation, d'une élégance et quelquefois d'un charme qui rappellent heureusement des passages célèbres d'Euripide (86) et d'Ovide (87), mais trop prolongée, où l'on se perd dans une revue trop minutieuse et trop confuse des attributs du dieu. Telle est une peinture fort bien placée et fort énergique d'Hercule endormi et encore agité d'un reste de tempête, mais à laquelle succède presque aussitôt une recherche bien prétentieuse des expiations que le héros pourra trouver pour ses crimes involontaires. Il faut que ses gémissements, les coups dont il frappera sa poitrine soient entendus de la terre entière, de toute la nature, du sombre empire, du chaos ; il faut que ses flèches, instruments de sa fureur, soient les verges dont il se flagelle. De cette froide déclamation on passe à une complainte assez touchante sur ces innocentes victimes immolées, au seuil de la vie, par la main égarée d'un père. A tout prendre, avec ses inégalités, ce choeur rachète quelque peu les vices monstrueux de l'acte qu'il termine.

Dans le cinquième se développe ce que l'on a vu à la dernière scène de la pièce grecque. Hercule s'éveille, connaît son malheur, veut se donner la mort, et enfin, consentant de vivre, suit à Athènes Thésée. Deux innovations, qui ne manquent pas d'effet théâtral, c'est d'abord que le héros, à l'aspect des corps inanimés qui l'entourent, des traits restés dans leurs blessures, de ses mains sanglantes, arrive seul à la terrible découverte : c'est, en outre, qu'il n'abandonne la résolution de s'ôter la vie, que quand son père, dont il a repoussé les supplications, menace de se frapper lui-même. A cela près, tout est semblable, pour la disposition générale du moins; mais cette identité fait encore mieux ressortir qu'une plus grande variété de dessin, à quel point diffèrent, pour le sentiment de la vérité dramatique, pour le ton, pour le style, Euripide et Sénèque.

Chez tous deux, Hercule, en s'éveillant, ne peut s'expliquer en quels lieux il se trouve; mais ce que le grec exprime, on s'en souvient, avec simplicité, se traduit, dans le latin, selon un procédé d'amplification familier à l'auteur, par cette énumération géographique :

« ... Où suis-je? près du berceau de la lumière? sous l'Ourse glacée? à cette extrémité occidentale de l'univers, borne de l'Océan (88)?... »

L'Hercule d'Euripide, élevant la voix, demande s'il n'y a pas près de là quelqu'un qui veuille éclairer son ignorance. L'Hercule de Sénèque, quand il aperçoit les corps sans vie de sa femme et de ses enfants, s'écrie de même pour qu'on lui apprenne quel est le meurtrier; mais, par cette prétention de se montrer savant en géographie dont, comme tous les personnages de ce théâtre, il ne peut se défaire, il interroge emphatiquement tous les habitants de la Béotie, tous ceux de l'Attique, tous ceux du Péloponnèse, dont certes il n'a pas l'espoir d'être entendu.
Contraste frappant ! L'Hercule du théâtre latin est bien plus occupé de l'affront que lui a fait l'audacieux auquel le sommeil même d'Alcide n'a pas fait peur, de la curiosité de connaître cet ennemi qui peut se dire son vainqueur, du désir de se mesurer. avec lui, quelque forme effrayante qu'il revête, qu'il ne l'est de la perte cruelle dont il est frappé. Alors même que la vérité lui est con-nue, il ne peut, il s'en accuse avec quelque éloquence (89), trouver de larmes pour ses enfants. Il ressemble bien peu à cet Hercule du théâtre grec qui se confond, par l'effusion de ses tendresses et de ses douleurs paternelles, avec tous les pères.

Le désespoir du héros et la résolution qu'il lui inspire sont de part et d'autre rendus avec non moins de diversité. Là, il est question, tout simplement, de se précipiter du haut d'un rocher, de se percer la poitrine, de se placer sur un bûcher. Ici, c'est bien autre chose. L'Hercule de Sénèque se met l'esprit à la torture pour chercher à son corps quelque supplice original; il songe d'abord au roc et au vautour du Caucase, laissés vacants par Prométhée; puis aux Symplégades, ces écueils mouvants de l'Euxin, qui toujours s'entre-choquent, et entre lesquels il pourrait se faire très convenablement broyer. L'idée d'un bûcher lui vient aussi; mais quel bûcher! une forêt! les bois du Pinde et du Cithéron! et par-dessus, Thèbes avec ses maisons, ses temples, ses sept portes, et si c'est trop peu, la terre entière. Ou bien encore, car il est singulièrement inventif, il brûlera ses mains qui ont servi le courroux de Junon, et leurs tendres victimes, avec le bois de son arc, de ses flèches, de son carquois! Amphitryon n'a pas tort de remarquer qu'il est encore un peu furieux

Nondum tumultu pectus attonitum caret (90).

Je pourrais multiplier sans fin de tels exemples. Ceux que j'ai cités, ceux qu'offre en abondance la spirituelle analyse de Brumoy, sont plus que suffisants pour établir que la tragédie de Sénèque, brillante, je le veux bien, mais brillante d'un faux éclat, est une transformation complète de la tragédie d'Euripide; que par la substitution constante des prétentions anti-dramatiques du bel esprit à la vérité passionnée, pathétique de l'expression, cette imitation, assurément trop libre, trop hardie, offre un commentaire indirect, fort instructif, de l'ouvrage original.

Suétone (91) met au nombre des rôles tragiques chantés par Néron celui d'Hercule furieux, et il raconte qu'un jeune soldat, de garde près de la scène, le voyant, comme cela était dans le sujet (92), charger de liens, prit la chose au sérieux et accourut pour défendre son empereur. Cette anecdote piquante nous montre qu'au temps de Sénèque on jouait sur les théâtres de Rome une imitation plus rapprochée que la sienne du modèle grec, peut-être la pièce grecque elle-même (93).

(01) V. 71. Cf. Andromach., v. 442; Troad., v. 759. Voyez notre t. III, p. 277, 353, 405.
(02) V. 90-106.
(03) V. 158 sqq., 187 sqq.

(04) Peut-être, comme on l'a pensé, à la défaite essuyée par un de leurs généraux, Hippocrate, dans le combat de Délos, faute d'hommes de trait, la première année de la LXXXIXe olympiade (Thucyd. V, 90, 94) ; ce qui a été pour quelques critiques une raison de rapporter à la deuxième la date de l'Hercule furieux. Voyez Zindorfer, De chronol. fabul. Euripid., 1839; J. A. Hartung, Euripid. restitut., 1844, t, II, p. 19 sqq.; H. Weil, De tragoediarum græcarum cura rebus publicis conjunctione, 1844, p. 37. M. Th. Fix, Euripid., éd. F. Didot, 1843, Chronol. fabul., p. XI, aperçoit bien dans le passage une allusion de ce genre; mais il rapproche ce qui y a donné lieu de la date que, par des raisons particulières, tirées d'autres allusions, comme on le verra plus loin, et de certains détails de versification, il assigne à l'Hercule furieux, la première année de la XCe olympiade.
(05) V. 235 sq.
(06) Andromach., v. 257. Voyez notre t. III, p. 274.
(07)  V. 338 sqq.
(08)
  Hésiod., Scut. Herc., 1 sqq. : .... Telle encore, quittant la maison de son père, la terre de sa patrie, suivit à Thèbes Amphitryon, ce valeureux guerrier, Alcmène, cette fille du belliqueux roi Electryon. Elle surpassait tout son sexe par la beauté de son visage et la majesté de sa taille : pour la prudence, nulle ne lui eu eût disputé le prix, de toutes les filles que de mortelles compagnes ont données à des mortels : de ses cheveux, de ses noires paupières s'exhalai le même parfum que de la tête dorée de Vénus : et toutefois, au fond de son coeur, elle honorait son époux, plus que jamais aucune femme n'honora le sien. Il lui avait ravi son généreux père par un coup malheureux, dans un mouvement de colère, pour des troupeaux ; et forcé de fuir sa terre natale, il était venu à Thèbes en suppliant, implorer la pitié des descendante de Cadmus qui portent le bouclier. Il y trouva un asile et y vécut avec sa noble épouse, mais sans jouir encore de son doux commerce ; il ne devait point être reçu dans la couche de la charmante fille d'Electryon, qu'il n'eût vengé le trépas de ses frères magnanimes et porté la flamme dans les bourgades des héroïques habitants de Taphos et de Télèbe. C'était là sa promesse dont les dieux avaient été témoins. Craignant donc leur courroux, il s'empressa de mettre fin à la grande oeuvre que lui imposait un devoir sacré. Avec lui marchaient , avides de guerre et de combats, les Béotiens, cavaliers intrépides, qui ne cachent point leur tête sous leurs boucliers, les Locriens, ardents à combattre de près, les Phocéens au grand coeur. A tous ces peuples commandait le brave, le glorieux fils d'Alcée. Cependant le père des dieux et des hommes tramait en son esprit un autre dessein : il voulait se donner un fils, et aux immortels aussi bien qu'aux humains un protecteur puissant. Il quitte donc l'Olympe, cherchant en lui-même par quelle ruse il s'assurera pendant la nuit la possession de la beauté qu'il désire. Bientôt il est sur le Typhaonius, d'où il s'élance au sommet du Phicius, et là il se repose, rêvant à son oeuvre divine. La même nuit, dans la couche et parmi les caresses de la fille d'Electryon, il l'eut accomplie : la même nuit le vaillant, l'illustre héros Amphitryon, ayant achevé son entreprise, fut de retour et sans prendre le temps de visiter ses serviteurs et ses bergers, entra d'abord au lit de son épouse ; tant était vif le désir qui pressait ce pasteur des peuples. Comme un homme joyeux d'échapper aux longs ennuis d'une maladie cruelle ou d'un dur esclavage, Amphitryon, quitte enfin de sa pénible tâche, rentrait dans sa maison avec désir, avec amour. Toute la nuit il reposa près de son épouse, et jouit avec elle des dons de la blonde Vénus. De ce double commerce avec un dieu et l'un des premiers parmi les mortels, Alcmène devint mère dans Thèbes, dans la ville aux sept portes, de deux fils bien peu semblables entre eux, quoique frères, de natures bien inégales, du fort, du redoutable Hercule, engendré par Jupiter qui assemble les nuages, d'Iphiclée, issu d'Amphitryon, habile à manier la lance; postérité diverse, comme devaient être le rejeton d'un homme, d’un mortel, et celui du fils de Saturne, qui commande à tous les dieux.
(09) Meineke, Hist. cric. comic. graec., t. I, p. 208.
(10) Athen., Deipn. III.
(11) V. 1, 148, 169. Cf. 338, 352, 780 sqq. 807, 869, 1236 sqq.
(12) Molière, Amphitryon, acte III, sc. 11.5. V. 354.
(13) V. 447-492.
(14)  Prévost.
(15)  Musée des antiques, n° 450.
(16)  W. Schlegel.
(17)   Cf. v. 516.
(18) Cf. v. 1399; Troad., v. 575 sqq.
(19) V. 618-632.
(20) De Senect., 2 : « Quæ (senectus) plerisque senibus sic odiosa est, ut onus se Oetna gravius dicant sustinere. »
(21) V. 633 sqq.
(22) V. 677 sqq.
(23)  Bergk, Rel. comoed. Att. antiq., p. 38.
(24) Boeckh, Économie politique des Athéniens, II, 12, 16; Corpus incrispt. graec., pars II, cl. II, n° 159; Bergk, ibid., p. 34 sqq.
(25) Troisième année de la LXXXVIIIe olympiade. Voyez Thucydid., III, 104; Diod. Sic. XII. 58, etc. Cf. Clinton, Fast., hellenic., p. 7
(26) Voyez t. II, p. 163 sqq. Le même passage rapporté à une autre circonstance, la restitution de Délos à ses habitants (Diod. Sic. XII, 77), a confirmé M. Th. Fix dans l'opinion rappelée plus haut; page 5, note 1, que la date de l'Hercule furieux est la première année de la CXe olympiade. Cette date est d'ailleurs celle qui s'accorde le mieux avec l’allusion qu'Euripide, dans les v. 660 et suivants, paraît faire à sa propre vieillesse, de l'aveu de la plupart des critiques, J. A. Hartung, Th. Fix, ibid.; Artaud, traduction d'Euripide, 1842, t. II, p. 512; E. Moncourt, De parte satirica et comica in tragcoediis Euripidiis, 1851, p. 75, etc. Euripide, né la première année de la LXXVe aurait eu dans la première année de XCe, soixante ans.
(27) God. Herman, Praefat. ad Hercul. fur.
(28) V. 866
(29) M. Hartung, qui s'applique à mettre en lumière cette unité, est bien sévère pour ceux qui ne l'aperçoivent pas; il les appelle homines vecordes, et traite assez mal Lessing lui-même à ce sujet, ibid., p. 29, 39.
(30) God. Herman
n, Praefat. ad Her. fur.
(31) Dans la pièce intitulée Ξαντρίαι
. Voyez Suidas, v. ᾿Οκτώπουν, Boeckh, Trag. graec. princ., c. III et plus loin, les premières pages de notre vingtième chapitre.

(32Aen. VII, 323 sqq.
(33Met. IV, 468 sqq.
(34) Voyez E. Roux, Du merveilleux dans la tragédie grecque, 1846, p. 74, 84 sq.
(35)   Voyez notre t. III, p. 255 sq.
(36)  V. 904-997.
(37) Pausan., Boeot., XI.
(38)  Id., ibid. Plusieurs critiques ont cru devoir attribuer à l'un ou à l'autre la IVe Idylle de Moschus, intitulée : Mégare femme d'Hercule.
(39) Schol. Pindar. ad Isthm., IV, 104 Phérécyde, avec lequel Euripide n'est point d accord sur ce détail, racontait qu'Hercule avait jeté dans le feu ses enfants.
(40)  Beaucoup d'autres sont énumérées par le scoliaste de Pindare, ibid. Cf. Diod. Sic., IV, 11; Hygin., Fab. XXXII; Tzetzes, ad Lycophr., 38, etc.
(41) Pindar., ibid.
(42) Pausan., ibid. Cf. Att. XKI.
(43) Imag. II, 23.
(44) Voyez sur les emprunts faits par les arts à ta tragédie grecque, et, en particulier, sur les tableaux décrits par les deux Philostrate, notre t. I, p. 146 sqq.
(45) Voyez God. Hermas., Praef. ad Herc. fur.
(46) V. 1063-1082.
(47) T. II, p. 227 sq.. 246 sq.
(48) V. 1187-1201.
(49) Voyez, Traité du Sublime, ch. XXI, l'éloge que fait Longin de ce vers ainsi traduit, assez faiblement, par Boileau :
Tant de maux à la fois sont entrés dans mon âme,
Que je n'y puis loger de nouvelles douleurs.
Ovide avait dit, avec plus de précision et d'élégance :
Non habet in nobis jam nova plaga locam. (Ex Ponto, IV, XVI, 52.)
(50) Cf. Æsehyl., Prometh., 271 sqq.
(51) V. 1202-1227.
(52) V. 1236.
(53) V.1287-1292
(54)  V. 1314-1319.
(55) Voyez t. I, p. 43 sqq.
(56)  V. 1331.
(57)  Voyez t. 1, p. 140.
(58) V. 1332-1367.
(59)  V. 1360-1362.
(60) V. 606 sqq. Voyez, plus haut, p. 12.
(61) V. 1368-1379.
(62) V. 1388-1393.
(63) Voyez t. III, p. 273 sqq.
(64) Voyez t. 1, p. 329 sq.
(65) Voyez t. I, p. 235.
(66) Voyez t. I, p. 355; II, 332 sq., 357 sqq.
(67) Voyez t. II, p. 81.
(68)  Voyez t. III, p. 246 sq.
(69) Prévost, Examen de l'Hercule furieux.
(70) Voyez t. I, p. 264 sq.
(71) Ibid., p. 291.
(72) Voyez t. II, p. 15 sqq.
(73) V. 183 sq.
(74) Elle a été mêlée à la fable d'Euripide dans un Hercule furieux de 1638, détestable ouvrage d'un certain Noucellon, dont on peut voir l'analyse, t. V, p. 452 de l'Histoire du Théâtre français des frères Parfait.
(75) V 379 sqq.
(76) Eurip., Herc. fur., v. 169 sq.
(77)  Cf. Senec., Theb., v. 100; Thyest., v. 248; Troad., v. 1175; Med., v. 19, 1018; Agamemn., v. 994.
(78)  Tacit., Ann., XII, 20; Suet., Tib., LXI.
(79) V. 511 sqq.
(80) V. 519 sq.
(81) V. 806. Cf. Hippolyt.,v. 842. Voyez notre t. III, p. 222.
(82) Voyez t. II, p. 88 sq.
(83) V. 943.
(84)  V. 954.
(85)  V. 969.
(86) Orest., v. 201 sqq. Voyez notre t. III, p. 247, 251 sq.
87
Metam., XI, 623.
(88) V. 1138 sqq..
(89) V. 1226 sqq.
(90) V. 1219
(91) Ner., XXI.
(92) Voyez plus haut, p. 19, 21.
(93) Les plus beaux passages de cette pièce ont été traduits en vers français par M. Fr. Capelle, dans un Essai poétique sur l'Hercule furieux d'Euripide, honoré, en 1846, d'une médaille, par la Société littéraire de l'université catholique de Louvain, et imprimé, dans cette même ville, en 1848.