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Meyer, Maurice
Études sur le théâtre latin.
Paris : Dezobry : E. Magdeleine, 1847

J'ai ajouté les textes français aux références en les prenant ou sur mon site ou sur celui de l'UCL (pour connaître le nom des traducteurs, voir ces deux sites)

PRÉFACE.

Je publie mes premières études et quelques-unes de mes Leçons faites l'année dernière au Collège de France, sur le Théâtre latin. J'ai essayé de conserver à celles-ci quelque chose de l'improvisation de la chaire ; j'y ai laissé subsister volontairement, à côté des preuves philologiques ou littéraires destinées au lecteur sérieux, les ornements du discours destinés primitivement à l'agrément de l'auditeur. Je pense que, de notre temps, pour être, non pas goûté, mais seulement lu, la science seule n'a ni assez de charmes, ni assez d'amis. D'autre part, la vivacité du langage, les parures du style, le besoin de varier l'ordre et le mouvement des sujets, sans quelque échantillon d'études sérieuses, quoique incomplètes, ne peuvent captiver un instant que les frivoles ou les indifférents, et, si je ne devais toucher que ceux-ci, je les donnerais tous, sans exception, pour l'honneur d'être feuilleté par un esprit solide et de bonne foi.
Le public des lecteurs est diversement composé. À côté des poètes et au-dessous des érudits, il y a des hommes qui ont trop de science pour être rangés parmi les premiers et trop peu pour compter parmi les seconds. C'est pour ceux-là que j'ai écrit ce premier ouvrage, pour eux que j'ai été sobre dans beaucoup de citations philologiques et réservé dans l'emploi des ornements. Heureux si, après cette première épreuve, il m'est donné un jour d'aspirer plus haut et de n'écrire plus que pour les savants.
Paris, le 4 mars 1847.

ÉTUDES SUR LA COMÉDIE LATINE.

1. LES ATELLANES ou Le Théâtre primitif.

Les productions dramatiques des Romains qui sont le mieux connues parmi nous, sont généralement celles où l'art grec a servi de modèle ou d'inspiration, et qui ne portent pas l'empreinte unique du caractère Romain. C'est à l'éclat que ces oeuvres d'emprunt ont jeté sur les lettres romains qu'est due la quantité des copies qui en sont restées ; c'est par le grand nombre et la bonne conservation de ces copies parvenues jusqu'à nous, que nous avons acquis la connaissance familière de toute cette littérature d'imitation. Mais cette popularité de certains ouvrages a ajouté encore à l'obscurité où est à peu près restée une partie intéressante du génie dramatique de cette grande nation. On connaît à peine le théâtre entièrement indigène où accourait cette foule du bas-peuple qui, comme Marius, était demeurée étrangère et résista longtemps à toute civilisation qui n'était pas Romaine. C'est là cependant que se montraient dans toute leur beauté sauvage, avec leur sève forte et sans mélange, les véritables productions de l'esprit du sol. Dans ce coin obscur de la société d'alors, que Plaute a laissé entrevoir, sur ce modeste théâtre, se révélait avec toute sa pétulante énergie le vrai caractère Romain; refoulé ou amoindri sur d'autres scènes. Là les laboureurs, les artisans, tous les gens du peuple venaient applaudir des improvisations dont leur vie domestique était souvent le sujet, des plaisanteries plus effrontées que fines, qu'ils trouvaient sans fiel, des noms ou des personnages comiques dont la tradition était un héritage de leurs ancêtres. De ce répertoire populaire, dont nous ne possédons que de faibles restes, les pièces les plus anciennes et qui paraissent les plus originales sont les Atellanes. Nous voulons tenter d'en réunir tous les éléments les plus caractéristiques, afin de reconnaître en partie ce qu'a pu fournir, dans l'art dramatique, Rome dégagée de toute préoccupation étrangère, et uniquement livrée à ses propres inspirations ; afin de restituer, s'il se peut, quelque chose de son génie individuel.
Pour expliquer l'introduction des Atellanes à Rome, il faut remonter jusqu'à la satire; nous allons l'essayer.

De la Satire primitive et de la Satyre.

La coutume des chants destinés à la raillerie est chez les Romains presque aussi ancienne que Rome même. Dès l'origine, les habitants, des champs avaient l'habitude de se divertir, dans leurs fêtes rustiques, par des attaques mutuelles et des plaisanteries aiguisées en vers barbares (1). Les jeunes gens, le jour des noces de quelque parent ou de quelque ami, chantaient souvent des couplets moqueurs qu'inspiraient la joie et la circonstance (2). À Rome, la raillerie et la satire en vers se donnaient carrière encore dans d'autres occasions, car nous apprenons que l'on ne put longtemps tolérer leurs mordantes licences, par le passage de la Loi des Douze Tables, qui défend de telles chansons satiriques sous les peines les plus infamantes (3). L'époque de la publication d'une défense aussi sévère ( 302 de R.) nous prouve que les excès de la Satire n'en suivirent pas immédiatement la naissance. Horace, en quelques vers, nous fait connaître ses vicissitudes principales. - D'abord simple badinage essayé aux solennités que les villageois consacraient à la Terre, - ou mêlé aux fleurs et au vin qu'ils consacraient au dieu Genius, elle devient bientôt hardie et éclate en vers fescennins. Cette liberté de la raillerie que l'allégresse des fêtes semble permettre se fait accepter facilement; elle se joue avec grâce dans des dialogues versifiés, elle lance la médisance et la honte en riant; sa nouveauté la rend aimable, et ses traits piquent longtemps sans blesser. Mais ses libertés finirent par dégénérer en excès : ses jeux devinrent dangereux, ses badinages se tournèrent en rage, et ses atteintes en cruelles menaces. Les victimes s'émurent; et ceux qui craignaient de le devenir réclamèrent avec elles. Une loi mit fin au mal, les vers méchants furent défendus, et les poètes obligés de dire le bien et de plaire (4).
Dans ces disputes alternatives, dans la réciprocité de ces innocentes injures, on peut reconnaître déjà le germe d'une sorte de comédie. Ce qui peut prêter encore à le faire entrevoir, c'est la figure que prenaient ces acteurs de village. Les uns se peignaient le visage avec le suc de certaines, plantes colorantes (5); les autres se couvraient de masques d'écorce pour se donner des traits effrayants (6). Virgile, en épurant plus tard, en embellissant de son génie les dialogues du même genre, nous donne à la fois une idée de ces scènes primitives et comme un avant-goût de celles du théâtre; et c'est ainsi qu'il a pu dire :
Nec erubuit sylvas habitare Thalia (7).
Telle fut la satire primitive à Rome. Avant d'en suivre certaines vicissitudes, il est indispensable de marquer sa place distincte à un genre qui, malgré quelque analogie de forme et de nom avec la satire, s'en sépara cependant quelque temps par un caractère spécial. Il s'agit de la Satyre, divertissement différent dont l'origine, dit Denys d'Halicarnasse, appartenait à la Grèce, et dont la courte histoire peut être retracée ici. - Un passage de Fabius Pictor, le plus ancien des historiens latins, pourra nous en donner une idée assez exacte. C'est le récit, copié par Denys d'Halicarnasse (8) des jeux célébrés à Rome en 258 d'après un voeu de Posthumius qui venait de vaincre les Latins au lac Regille. Après une longue description des tableaux divers et du cortège de la fête, l'écrivain fait apparaître, à la suite des athlètes, les choeurs des danseurs divisés en trois classes. Ils sont suivis du Choeur des Satyres qui dansent la
sÛkkiniw grecque (9). Les uns représentent des Silènes et portent des tuniques velues et des manteaux entrelacés de toutes sortes de fleurs; les autres, vêtus en Satyres et couvert de peaux de boucs, la tête hérissée, ridiculisent par une grotesque imitation les danses graves et toute la pompe qu'ils ont sous les yeux. Enfin la hardiesse des propos et des vers malins se joignait à celle de la pantomime et venait compléter ce spectacle dont la date n'est pas sans importance. C'est un an après l'institution régulière des Saturnales (10) que fut célébrée cette fête triomphale. En tête ou à la suite de ce cortège figuraient le plus ordinairement des personnages ridicules ou effrayants, destinés à plaire à la populace. C'étaient le monstre Manducus (11) et deux masques de femmes, nommées Citeria et Petreia. La première insultait joyeusement les assistants ou les passants,. l'autre était ordinairement ivre (12).
Souvent même, dans ces solennités guerrières, les chants de la louange s'entremêlaient à ceux de la raillerie. C'est ainsi que, en 344, le consul Valerius était accueilli par de malignes saillies en vers dialogués, sorties des rangs où retentissait en même temps l'éloge du tribun Moenius (13). D'autres fois on choisissait le moment ou l'anniversaire des funérailles pour y faire figurer ces choeurs de Satyres (14) ou pour en imiter les danses, comme Virgile nous l'apprend au sujet du berger Daphnis (15). Jusqu'ici c'est au milieu des coutumes militaires, des institutions religieuses de la patrie que se confondent les improvisations de la Satyre. Comme délassement intellectuel, comme composition littéraire, nous n'en retrouverons que des traces équivoques. À part un ou deux vers (16) dont les indications sont fort douteuses, on ne connaît point alors d'écrits, particulièrement Satyriques. Mais dans la suite le goût du théâtre qui, avec celui de l'imitation grecque, s'était promptement développé depuis les heureux essais de Livius Andronicus, paraît avoir gagné jusqu'aux Satyres. Peut-être sont-ce des Satyres dialoguées que ces
saturÛkai komÄdÛai que composait Sylla, l'ami de Roscius, le protecteur, le bienfaiteur des mimes et des bouffons (17). Sans doute aussi, au siècle d'Auguste, les Pisons s'essaient ou veulent s'essayer à composer des pièces satyriques où doivent revivre les Satyres et même les Faunes antiques avec leurs saillies moqueuses et leur caractère rieur, et Horace leur apprend avec délicatesse l'art de rester originaux et d'évitée la ressemblance du drame satyrique des Grecs (18). Il se peut que, séduits par la popularité des Atellanes ou des pièces grecques, Sylla et les Pisons aient voulu, à leur tour, créer ou réhabiliter ce genre sur la scène satyrique. Car il n'est pas douteux. que la Satyre a eu à Rome un théâtre qui portait son nom. Vitruve, en décrivant les trois espèces de scènes destinées au théâtre Romain, donne la troisième place à celle qu'on nommait satyrique, dont il dépeint en détail la décoration agreste (19) : et Donat, dans ses Prolémogènes sur Térence, fait figurer la satyre romaine sur un théâtre pareil (20). Quel que soit le degré de vraisemblance de nos conjectures, il faut supposer néanmoins que, jusqu'à la tentative de Sylla et même dans la suite, ce théâtre admit aussi indistinctement soit les Atellanes et toutes les pièces appelées planipedia, soit, comme le prétend Munk (21), toutes celles dont le sujet était champêtre.
Il est facile maintenant de reconnaître clairement la différence des deux genres dont nous nous occupons. Bien qu'au premier abord ils paraissent se confondre, ils se détachent cependant l'un de L'autre par des points distincts. Les danses satyriques en l'honneur de Posthumius ou du berger Daphnis (22) n'ont pas leurs analogues dans les jeux des champs décrits par Horace et Virgile. Chez les antiques campagnards qu'ils nous montrent, la danse n'est qu'un divertissement accessoire au chant. Le plus souvent même elle est négligée et les auteurs n'en font pas mention (23) ; tandis qu'elle est l'élément ordinaire du jeu des Satyres. Ici le déguisement est habituel et, certains costumes mythologiques sont même un ornement, sinon indispensable, du moins en rapport avec le personnage, comme nous l'apprend le passage de Fabius Pictor. Là le vêtement n'est pas même nommé : à part les masques d'écorce et les figures peintes dont parlent Virgile et Tibulle, tout autre déguisement ne fait pas partie des réjouissances solennelles. Dans la Satire, c'est la fête de la Terre, de quelque divinité des champs, ou du Dieu Genius, c'est la célébration d'un mariage qui appellent les divertissements, les vers fescennins et saturnins : dans la Satyre, c'est une victoire ou une mort qui les provoque. Dans la première, les insultes sont réciproques entre les villageois; les vers joyeux se croisent ordinairement et n'attaquent que ceux mêmes qui les chantent. La seconde s'adresse tantôt à un général, à quelque éminent personnage, sans qu'il y ait réciprocité de leur part, et tantôt ses jeux honorent la tombe de quelque citoyen opulent ou le souvenir d'un mort fameux. Cependant, excepté quelques improvisations satyriques mêlées encore aux cérémonies du triomphe et de la mort, la Satire sembla s'être confondue, ailleurs et plus tard, avec la Satyre romaine. Ainsi, au VIe siècle, on croirait les reconnaître toutes deux dans les habitudes d'un certain Cécilius. Ce sénateur étrange avait reçu de Caton le surnom de Fescennin, parce qu'il avait coutume de descendre de cheval pour danser en pleine rue et débiter des plaisanteries aux passants. « Il chante, disait-il, où bon lui semble : parfois il récite en gesticulant des vers grecs, dit des bouffonneries, prend des tons divers et exécute certaines danses (24). » Ce mélange paraît encore dans ces prières de la moisson, que les villageois du temps de Virgile, entonnaient en l'honneur de Cérès et qu'ils entremêlaient de danses désordonnées (25), et dans ces insultes dont les effrontés vendangeurs harcelaient alors les passants (26).
C'est là ce qui explique la confusion qui existe à ce sujet, même chez les auteurs les plus voisins de cette époque. L'association des deux genres a rendu incertaine la véritable étymologie du mot Satire. Donat dit formellement que la Satyre latine tire son origine de la Satyre grecque; ainsi nommée des Satyres pétulants et bavards qui la représentaient, et il rejette comme vicieuse toute autre étymologie (27). « La Satyre romaine, ajoute-t-il, quoique jouée sur une scène grossière et à peu près toute champêtre, s'occupait des vices sans nommer personne. » Évidemment Donat ne reconnaît plus qu'une seule Satyre et qu'un seul nom. Au contraire, Porphyrion, un des commentateurs d'Horace, en cherchant à expliquer le nom originaire de la Satire, ne mentionne plus que celle qu'il commente (28). Enfin Diomède, au Ve siècle, se perd dans les étymologies qu'il cherche à ce mot (29). Il en essaie quatre différentes, dont la première fait venir le mot Satyra du chant railleur des Satyres, et son choix ne sait déjà plus se fixer à aucune.

Les Atellanes à Rome jusqu'au temps de César.- Leur Caractère.

Le passe-temps de la Satire et les spectacles du Cirque suffisaient depuis longtemps à la satisfaction des esprits Romains, lorsqu'en 391, sous le consulat de Poeticus et de Stolon (30), se déclara tout-à-coup une peste dont les ravages défiaient les ressources de l'art et de la prière. Au milieu du découragement général on songea, pour apaiser plus sûrement les dieux, à tenter la célébration. de solennités extraordinaires, rehaussées pour la première fois par la nouveauté des jeux scéniques. De l'Étrurie qui, en 138, avait déjà fourni des gladiateurs et des cavaliers au cirque romain (31) furent appelés des pantomimes dont les jeux offraient d'abord une grande simplicité. Car ils n'étaient ni relevés par des vers récités, ni même accompagnés d'une pantomime destinée à en reproduire la pensée. Ils consistaient seulement en quelques danses exécutées avec grâce aux sons de la flûte. La jeunesse romaine se mit aussitôt à les imiter, en mêlant à ces divertissements les badinages réciproques de l'ancienne Satire et des gestes analogues aux paroles. Au bout de quelque temps ces informes essais, encouragés par la vogue, devinrent une institution, ces acteurs novices furent remplacés par des comédiens réguliers qu'on nomma Histrions, et aux mutuelles plaisanteries, improvisées jusque là en vers grossiers, succédèrent des Satires en vers cadencés, où la flûte gouvernait la déclamation et les mouvements.
Longtemps les Romains se contentèrent de ce genre de plaisirs. Cependant, plus ces jeux devenaient un art, plus allait être inévitable un retour nouveau vers l'ancienne Satire, où la vivacité joyeuse et caustique, l'esprit libre et prompt étaient tout le talent. Ainsi lorsque Livius Andronicus, en 514, eut apporté, une perfection nouvelle aux compositions scéniques de son temps en leur donnant pour la première fois la régularité du théâtre grec, la gaîté et les saillies en vers libres, bannis de la marche uniforme du drame, finirent par se faire jour ailleurs. Elles furent renouvelées avec la satire d'autrefois que la jeunesse rapporta, en se réservant à elle seule le droit de la représenter. Dans la suite, cette satire fut modifiée, ces badinages prirent le nom d'Exodia et furent ordinairement intercalés dans les fables Atellanes, sorte de pièces satiriques empruntées aux Osques.
Ici s'arrêtent les seuls renseignements fournis par Tite-Live sur les Atellanes et sur les modifications principales qu'éprouva la Satire. Essayons de développer avec exactitude ce qu'il n'a fait que montrer.
C'est du pays des Osques (32), peuple de la vieille Campanie, que les Atellanes furent apportées à Rome. Elles avaient emprunté leur nom d'Atella, ville de ce pays, où elles avaient pris naissance (33). Il est remarquable que les Osques avaient chez les anciens Une réputation de plaisants obscènes et grossiers, d'audacieux bouffons (34) qui a une frappante connexité avec les habitudes de la Satire primitive. Outre d'autres rapports que nous signalerons, cette conformité n'a pas dû peu contribuer à joindre la Satire et l’Atellane.
Mais elles se réunirent primitivement sans se confondre : la forme diverse des deux genres en empêchait de suite le complet mélange. La Satire primitive était sans règle, l'oeuvre enjouée du hasard; l'Atellane, dont on ne mentionne jamais l'origine Osque sans la nommer fable Atellane, paraît avoir eu un ensemble quelconque; une sorte de canevas burlesque, et convenait bien pour servir de cadre à la Satire. Tite-Live d'ailleurs est formel ici : Juventus more antiquo ridicula intexta versibus jactitare coepit, quae inde Exodia postea appellata consertaque fabellis potissimum Atellanis sunt. Le mot potissimum même serait une preuve de plus de la séparation de ces deux espèces : il apprend que le ridicule de la Satire avait pu s'intercaler encore dans d'autres pièces que les Atellanes. On ne saurait donc admettre l'opinion de M. Schlegel qui ne fait des Atellanes et des Satires qu'une seule et même chose à leur début (35). Le savant critique a négligé le passage de Tite-Live que nous mentionnons, et a été évidemment trompé par l'intime rapport de ces deux sortes de Satires qui les amena, mais plus tard, à n'en être plus qu'une seule.
La jeunesse romaine se réserva la représentation des Atellanes mêlées d'exodia, et ne permit pas, dit Tite-Live, qu'elles fussent souillées par les histrion. Deux faits nous paraissent ressortir de ce passage. Le premier, c'est le peu de popularité qu'avait alors obtenu l'introduction de l'art grec sur la scène de Rome, puisque la jeunesse, celle qui partout impose la mode et la suit, ramena le genre, antique, où l'art avait moins de part, où éclataient sans, frein la gaîté et le naturel vraiment romains. Le second, c'est le caractère indigène des Atellanes qui, restées comme le patrimoine de la jeunesse Romaine, n'étaient point touchées par ces histrions de l'art grec que Livius avait formés. Cette opinion se confirme par ce que nous, savons des privilèges accordés aux acteurs d'Atellanes. Les droits de citoyens romains leur étaient conservés à l'exclusion des histrions, qui étaient soumis à tous les genres d'humiliations. Ceux-ci, privés de toutes prérogatives, pouvaient être transportés d'une tribu dans une autre, fustigés à volonté par ordre des magistrats, écartés en même temps de toutes les fonctions publiques et militaires, et relégués souvent dans les tribus les moins honorées (36). Ceux là n'étaient pas renvoyés d'une tribu à une autre, et se voyaient admis, comme tous les citoyens, au service des légions (37). De plus, lorsqu'une déclamation vicieuse ou quelque autre défaut scénique leur attirait l'improbation des spectateurs, ils pouvaient garder leur masque et cacher ainsi la rougeur de la honte, tandis que les histrions, obligés de l'ôter quand ils étaient sifflés, perdaient jusqu'à ce faible abri contre la confusion (38). Ce qui entraîna encore la réunion de la Satire et de l'Atellane, c'est la conformité de leur caractère champêtre. Une grande partie des titres des pièces Atellanes qui nous restent l'attesteraient au besoin, si nous n'en trouvions un témoignage assez précis dans ce passage de Varron, « in Atellanis licet animadvertere rusticos dicere se adduxisse pro scorto pelliculam. » (39). Nous n'osons pas ici nous égarer, comme Schober (40), dans des conjectures, que rien n'appuie, sur les plaisanteries champêtres des anciens Osques, imitées et perfectionnées par les habitants d'Atella. Nous ne nous demanderons pas si, pour ceux-ci, l'intérêt de ces pièces consistait dans le rapprochement de la vie des champs avec celle de la ville. Nous croyons qu'il est plus prudent de n'établir des inductions que d'après les textes dont nous pouvons disposer. Valère Maxime dit : Atellani ludi ab Oscis acciti sunt; quod genus delectationis Italica severitate temperatum (41). Ce passage, en indiquant une transformation des jeux Osques dès leur introduction à Rome, fait penser aussi que sur leur sol natal ils avaient été d'une pétulance plus désordonnée. Peut-être, comme quelques uns l'ont cru, Valère Maxime veut-il seulement dire que ces plaisanteries, au lieu de dégénérer en passant à de vils histrions, gagnèrent quelque considération par le rang des acteurs qu'elles trouvèrent à Rome.
Mais n'est-il pas préférable de s'attacher au sens littéral du passage et de croire que cet excès de grossière vivacité, justifié d'ailleurs par le caractère Osque, se modéra réellement sous la main de ces jeunes Romains de condition libre à qui échurent les Atellanes ? Nous n'en voudrions pour preuve que l'éloge accordé par Donat à l'antique élégance de l'Atellane (42), que cette faveur, qu'elles perdirent plus tard d'être jetées au milieu d'une pièce comme .un gracieux délassement (43), et peut-être que ces maximes de sagesse ou cette grâce que Sénèque et Marc-Aurèle étaient heureux de rencontrer dans les pièces de ce genre (44). Quoiqu'il en soit, ce qui reste certain pour nous c'est que l'Atellane avait été en Campanie plus grossière que ce qu'elle était à Romé. Mais le burlesque, une fois devenu populaire, sait difficilement s'arrêter ; il recule sans cessé ses limites, et les Atellanes étaient destinées à se modifier encore. On dirait que cette sévérité Italique, qui, selon le mot de Valère Maxime, en avait adouci d'abord l'âpreté, se perdit promptement avant que les Atellanes ne fussent devenues des pièces écrites ; car nous n'en trouvons pas de traces dans les courts fragments qui nous sont parvenus. Au contraire, on y reconnaît facilement que le ridicule se montra de nouveau dans toute sa grossièreté, et que la moquerie impitoyable et vulgaire des champs redevint l'élément dominant. D'ailleurs, le caractère commun de rusticité qui avait associé la Satire et l'Atellane finit dans là suite par les confondre entièrement. Nous trouvons plus tard le mot d'Exodium employé indistinctement pour celui d'Atellana, et des acteurs particuliers, désignés communément par le nom générique d'exodiarius (45), jouant les Atellanes à la place de ces jeunes gens qui en avaient institué l'usage. Ce retour plus marqué vers l'ancienne licence rustique des Osques donna, à ce qu'il paraît, une excessive hardiesse aux pièces Atellanes, et l'on se demande avec surprise comment, sous la République, on n'infligea jamais à leur audace le châtiment qui, par exemple, avait réprimé la tentative de Naevius. Dans la suite, leur effronterie s'accrut encore, et l'on n'est plus étonné de voir Diomède, au cinquième siècle de notre ère, comparer les Atellanes au drame satyrique des Grecs (46). À part le costume et les acteurs, c'étaient le même genre de plaisanteries, là même scène agreste ; depuis longtemps c'étaient une licence. et des obscénités pareilles, et l'on y retrouvait les mêmes mètres et les mêmes vers (47).
La place qu'occupaient les Atellanes dans la distribution des pièces prêtait encore plus à cette ressemblance. Le drame satyrique chez les Grecs se jouait après la tragédie, et en faisait reparaître quelques personnages pour les ridiculiser. Les Atellanes aussi se montraient après les tragédies graeco-romaines , afin de distraire par la gaîté des scènes et des propos le spectateur encore ému de la catastrophe tragique (48). Un point encore a une apparence de conformité. Le drame satyrique faisait emploi de caractères nobles ou mythologiques : placé après la tragédie, il se servait de ses personnages pour provoquer le rire à la place des larmes par une fin joyeuse au lieu d'une péripétie fatale. On trouve dans la série des Atellanes quelques titres qui sembleraient rappeler le mémé emploi de caractères nobles et le même but; tels que l'Agamemnon suppositus, le Marsyas de Pomponius, l'Andromache, les Phaenissae de Naevius. Mais, sur les cent six titres de pièces que nous possédons, nous n'avons que ceux-là qui offrent ici quelque semblant d'analogie, et l'on est porté à croire que c'était moins là une imitation du drame satyrique que la copie des tragico-comédies appelées fables Rhynthoniennes (49).
Là se bornent les rapports des deux genres. Le fond est complètement différent. Les Atellanes n'avaient pas coutume de reproduire les personnages de la pièce qui les avait précédées. Création du sol, elles avaient leurs caractères à part, leurs saillies particulières, leurs paysans d'une condition inférieure à ceux du drame satyrique, et, excepté les titres cités plus haut, leurs sujets étaient toujours pris dans les rangs obscurs. Le plus grand nombre des pièces et des fragments comparés indiquent des Comédies de caractère. Le développement grotesque des habitudes d'une classe commune de la société romaine, paraît leur avoir suffi le plus sou vent. Tantôt c'est une profession décriée qu'elles mettent en scène, comme l'Hetaera de Novius (50), le Leno, le Prostibulum, la Munda, les Aleones de Pomponius ; tantôt ce sont les métiers des gens du peuple, comme le Gardien du temple, les Aruspices, les Boulangers, les Pêcheurs, les Peintres, les Vendangeurs, les Foulons (51) et les Crieurs publics. Dans d'autres pièces, c'étaient les coutumes de diverses contrées qu'on livrait au ridicule : ainsi les Campaniens, les Syriens, les Gaulois transalpins, et peut-être les Soldats de Pometia; dans d'autres, des vices généraux qui sont de toutes les classes, comme l'Avare, le Méchant, le Solliciteur, l'Héritier avide ; ou des caricatures prises aux champs, telles que le Rusticus, la Porcaria, la Sarcularia, le Verres aegrotus, etc.
Les Atellanes étaient donc surtout des pièces de caractère, dont les modèles étaient empruntés à la vie vulgaire. Ce n'est pas qu'on ne trouve çà et là quelque comédie d'intrigue dans leur répertoire. Les intrigues des Atellanes avaient même un caractère particulier : elles étaient passées en proverbe, car Varron dit quelque part (52) : « Putas eos non citius tricas Atellanas quam id extricaturos, » et Arnobe : « Jamdudurn me fateor haesitare, circumhiscere,... tricas, quemadmodum dicitur, conduplicare Atellanas ». (53) À Ces passages indiquent-ils que le noeud des Atellanes était facile à délier, ou plutôt qu'il était embarrassé et sans vraisemblance? On peut choisir ici entre deux conjectures : d'après la seconde citation, il semblerait que c'était ordinairement une intrigue confuse et embrouillée, et la première signifierait que cette intrigue était difficile à dénouer. D'après la phrase de Varron, on pourrait aussi bien admettre le sens contraire. Pour nous, nous pensons que ces pièces mêlées d'improvisation, où l'art avait une part accessoire, devaient contenir une intrigue pénible, sans clarté, et d'autant moins naturelle que ce genre ne leur était point habituel. Nous adoptons donc la première version, et nous trouvons dans Quintilien un passage qui semblerait la fortifier, lorsqu'il recommande à l'orateur d'éviter ces obscurités qui sont l'attrait captieux des Atellanes , « illa obscuraquæ Atellanae more captent (54). » Quoi qu'il en soit, le peu de comédies d'intrigues dont nous croyons posséder les titres, ne peuvent se comparer à la nomenclature des autres. On peut tout au plus, à en juger par les fragments, citer le Praco posterior, et les pièces à travestissement des Kalendae Martiae, des Pannuceati, du Maccus Virgo, et des Macci Gernini (55).
Ces rares exceptions qui, avec quelques autres, s'expliquent par les hasards de l'improvisation et la liberté même des Atellanes, ne doivent pas nous égarer sur leur nature essentielle. Les Atellanes sont et restent des Comédies de caractère. C'est ce que prouvent encore les Masques de caractère qu'elles ont montrés lés premières à Rome, et popularisés jusqu'a nous.

Personnages invariables ou Masques de Caractère.

Diomède a dit (56) : « Latinis Atellana a graeca satyrica differt quod in satyrica fere Satyrorum personae inducuntur.... in Atellana Oscae personae, ut .Maccus. » Le Maccus, personnage Osque, comme le dit Diomède, est le premier des masques de caractère de ce théâtre. Il est resté un type cornique dont la forme a peu varié. Il représentait ordinairement un paysan d'Apulie ou de Calabre, maladroit, gourmand, sujet à mille accidents et rompu au métier de dupe. C'est un masque commode qui convenait à toutes les tribulations risibles, et les auteurs d'Atellanes l'ont fait voir sous plusieurs côtés. Dans les fragments qui nous restent, ils ont fait Maccus tour-à-tour soldat, hôtelier, exilé, frère jumeau, médiateur et même jeune fille, sans compter les pièces où il figure en son propre nom, dégagé de tout. accessoire d'emprunt. Ici, dans sa gaucherie, il se heurte ou se brise les doigts au seuil de la porte (57) ; là, fier soldat, il bataille contre un camarade pour la conquête d'un souper, ou prétend manger à lui seul la part de deux personnes. (58). Ailleurs, il se laisse tromper au point de prendre un homme pour une jeune fille (59), ou vient compter à son maître l'argent du fromage de Sardaigne qu'il a vendu (60). Presque partout il paie pour autrui; c'est lui qui est puni pour les fautes d'un autre coupable, lui qu'on frappe, quand les autres volent.
Ce sont là les seules scènes que nous laissent entrevoir de trop rares fragments. Ajoutons-y les indications que fournissent la sculpture et le dessin.
On, croit aujourd'hui que le Maccus paraissait avec une tête énorme, une grosse bosse ou deux, et qu'il n'est autre que le Polichinelle Napolitain qui s'est perpétué jusqu'à nous. Une figurine antique de bronze nous montre ce long nez en forme de bec de poulet ou pulcino (61) d'où le personnage moderne a reçu son nom de pulcinella. Ficoroni nous en donne dans deux passages une complète description (62). Il dépeint deux figures: l'une est sans bras, n'a qu'un petit manteau, et qu'une espèce de sandales pour chaussures ; bossue devant, et derrière, la tête rasée ou plutôt chauve, le nez long et crochu, l'oreille tendue. L'autre a un ample manteau, les pieds nus, la tête rasée; un nez recourbé couvre sa bouche et son menton. Ficoroni conclut que toutes les deux sont les mêmes que Pulcinella. Assurément c'est bien là le portrait de Polichinelle, mais on a de bien faibles preuves pour croire que Polichinelle et Maccus sont la même chose. Maccus a pris son nom à la Grèce (63) et l'a laissé en Italie : le niais s'y appelle encore Matto et Mattaccio. Ce petit manteau de Pulcinella était nous dit Donat (64), le costume des esclaves comiques, et la tête chauve était, chez les acteurs mimiques, le signe de la bêtise, la marque des dupes (65). Polichinelle a bien dans la farce moderne le même rôle stupide que le Maccus sur la scène antique ; on reconnaît un planipes dans les deux descriptions que nous avons citées, et ce sont bien deux masques de la vieille comédie Romaine. Mais d'autres types comiques que nous verrons se distinguaient aussi par leur stupidité et leurs gaucheries et d'ailleurs où trouver sûrement dans tout cela le nom de Maccus?
Le Bucco est aussi un masque de caractère à part dans les Atellanes. Son nom vient du gonflement de ses joues, ses grosses lèvres annoncent la sottise. Il paraît avoir partagé avec le Maccus le sceptre de la stupidité (66). Il était particulièrement bavard, impertinent (67), vaniteux et sans doute parasite (68).
Il nous reste plusieurs pièces où il a le premier rôle. Pomponius a écrit le Bucco auctoratus et le Bucco adoptatus, et Novius nous a laissé un Bucculo. Les fragments que nous avons recueillis sont trop courts pour permettre ici la moindre conjecture. La seule qui soit vraisemblable sur le nom même de Bucco, c'est que l'Italie en a gardé le nom de Buffone, l'homme aux joues enflées; et que notre mot bouffon paraît n'avoir pas d'autre origine.
Le Bucco et Polichinelle se montrent réunis sur une même planche de Ficoroni (69). On voit deux femmes de profil qui élèvent et montrent chacune un masque qu'elles tiennent à la main. L'un des deux masques est une tête frappante du Polichinelle Moderne ; l'autre est celle du Bucco. Ficoroni représente autre part encore (70) un homme assis dont les joues gonflées et l'énormité de la bouche annoncent le Bucco. Ce même masque y reparaît fréquemment ailleurs (71).Un troisième personnage de caractère c'est le Pappus (72). Celui-ci représentait un vieillard ridicule, raillé par tout le monde, joué par sa femme, dupé par des jeunes gens, confondu devant la justice, trompé dans son ambition, et peut-être passionné pour le vin s'il faut en croire le titre de Hirnea Pappi que porte une Atellane. Pomponius à écrit plusieurs pièces qui ont le Pappus pour titre,: telles que le Pappus agricola, la Sponsa Pappi et le Pappus Praeteritus. Nous avons aussi un Pappus Praeteritus composé par Novius. Ici, les fragments moins incomplets des pièces où le Pappus avait un rôle, nous permettent de le juger dans des situations diverses. Soit que, dans le Pappus agricola, il prête à rire par les perfidies conjugales dont il est le jouet (73) et par les tempêtes impuissantes de sa colère (74) ; soit que, dans les deux Pappus praeteritus, il invite à des festins intéressés tous ceux dont il brigue les suffrages, et se voit tristement repoussé des emplois malgré la vivacité de ses espérances, malgré les courses forcées que le choix du peuple a imposées à sa vieillesse (75) ; soit que, dans les Pictores, il trébuche de piège en piège et ne reçoive qu'affronts pour son avarice et que démentis pour ses mensonges (76) ; partout le Pappus a pour insigne le ridicule, partout on le reconnaît à sa vieillesse humiliée ou aux mécomptes de sa cupidité. Si, dans les Atellanes, tous les rôles de candidats et d'avares n'appartiennent qu'au Pappus, on peut lui rapporter encore le titre de la pièce du Marcus et les deux seuls vers qui nous restent de l'Atellane intitulée Philosophia. Peut-être est-ce lui qui, dans son désespoir d'avoir été dépouillé de son trésor, va demander au rusé Dossennus de lui prédire quel est l'auteur du vol (77) ; peut-être est-ce lui aussi qui, sous la robe blanche du candidat, vient, dans le Petitor, recevoir des souhaits ironiques pour le bon succès de sa brigue (78). Mais, au milieu de beaucoup d'autres suppositions que nous omettons, ce ne sont là que des probabilités qu'il faut se garder d'adopter comme des preuves.
Nous ne pouvons encore qu'essayer des conjectures sur certains autres masques de caractère dont les profils se dessinent à peine dans nos fragments. Ainsi la pièce des Pannuceati, dont nous avons déjà parlé, pourrait bien avoir eu pour principaux rôles deux Arlequins, car le mot de Pannuceati, qui vient de pannus, a la même origine que celui de Panniculus, regardé ordinairement comme l'Arlequin moderne. On pourrait de la sorte trouver l'Arlequin dans les Atellanes, sans l'aller chercher dans les mimes, où l'a classé un peu vaguement le scholiaste de Martial (79). Ce qui surtout donnerait du crédit à cette opinion c'est l'habitude laissée à Arlequin seul de ne jamais découvrir son visage ; nous ne connaissons pas ses traits, ils sont cachés sous l'immobilité d'un masque qui est resté en quelque sorte la figure propre de l'Arlequin moderne, et nous nous rappelons que ce fut là un des privilèges exclusifs des acteurs d'Atellanes. Au reste, l'antiquité du Panniculus ou Pannuceatus n'est pas douteuse. Son costume se retrouve fort ressemblant sur un vase peint découvert à Pompeia (80); et sa personne dans Ficoroni (81) où l'on voit une figure la tête légèrement inclinée sur une épaule et coiffée du petit chapeau d'Arlequin ; son allure leste et dégagée, son maintien léger, et une espèce de batte qu'il agite dans la main, complètent la ressemblance. Le Dossennus ou Dorsennus paraît avoir eu aussi une sorte de caractère à part. Bien que nous n'ayons qu'une seule pièce qui porte son nom pour titre (82), il en est fait mention dans plusieurs fragments, et l'on peut réunir quelques traits principaux de sa figure. Peut-être son nom lui est-il venu d'une bosse qui surmontait son dos. Son caractère était celui d'un savant : homme qui tire l'horoscope aux ignorants et fait profession de découvrir les plus mystérieux secrets. Il faisait, à ce qu'il paraît, payer sa science en bonne monnaie ou en aliments (83) ; ou quelquefois converti en maître d'école, il l'enseignait un peu rudement à ses disciples (84). C'est tout ce que nous en savons.
Cette superstition vulgaire, qui faisait recourir les villageois aux divinations de l'horoscope, et qui est une marque singulière de l'esprit rustique, devait être pour l'Atellane un sujet fertile en plaisanteries.
On distingue, en effet, parmi ses acteurs des personnages effrayants, des espèces de spectres, dont la véracité fabuleuse où l'horrible pâleur était une source de terreur comique. Une pièce de Pomponius, intitulée Pytho Gorgonius, et une note de Scaliger (85) méritent ici quelque attention. Selon Scaliger, le Pytho Gorgonius n'était autre que le Manducus, fantôme aux larges mâchoires (86), aux dents grinçantes (87), faisant aussi, nous l'avons vu, partie des cérémonies satyriques des triomphateurs. C'est lui que Varron place clans les Atellanes (88), et dont Juvénal effrayait les spectateurs en bas-âge (89). Il en faut dire autant de la pièce de Novius, intitulée Mania medica, où probablement la Mania, sorte de spectre aussi, invoqué ordinairement par les nourrices contre l'indocilité des petits-enfants (90), pilait des médicaments dans un mortier pour guérir sans doute quelque malade (91).
Tels sont à peu près tous les personnages de caractère, tous les masques particuliers. qui ont pu être recueillis des débris du théâtre des Atellanes. On voit qu'Ils étaient assez divers pour varier les scènes et l'intérêt, et déjà assez nombreux pour épargner le retour fréquent des mêmes épisodes. On a pensé avec assez de raison que la plupart des autres personnages perpétués jusqu'à nous par les comédies dites dell'arte des Italiens, que le Gianze gurgolo, par exemple, Pantalon, Brighelle et autres, remontaient par leur origine jusqu'aux Atellanes et aux mimes. Mais, malgré d'ingénieuses tentatives, il reste impossible de rattacher précisément chaque rejeton à sa véritable souche. Seulement, en voyant de nos jours les acteurs de la farce italienne improviser une partie de leurs rôles, il est permis de croire que, pareillement dans l'Atellane, même quand elle fut écrite, une place était laissée encore à l'essor et aux plaisanteries hasardées de l'improvisation.

Sujets divers.

Les situations et les titres que nous venons de parcourir nous ont appris la plus grande partie des sujets des Atellanes. Il est à remarquer que parmi eux, il en est qui semblent s'attaquer à des choses morales : La Philosophia, par exemple, dont nous avons parlé déjà, où le savant Dossennus se pique de ne pas communiquer sa sagesse gratuitement, était sans doute une satire burlesque des travers bourgeois de la philosophie. D'autres titres encore, mais très rares, annoncent que l'Atellane, comme la flamme qui ne discerne pas ce qu'elle brûle, touchait quelquefois à des points généraux, à des principes, à des institutions, et pénétrait jusqu'au foyer sacré de la famille. Le Lar familiaris (92), le Patruus, les Nuptiae et sans doute les Synephebi, paraissent avoir été de malins tableaux d'intérieur, qui ridiculisaient autre chose que la vie du village et les moeurs des artisans, de même que les Malevoli étaient une critique d'une des faiblesses les plus communes du genre humain. Le Fatum, si vénéré par l'opinion, était bafoué dans les Atellanes (93) ; le Praefectus morum et le Vitae et mortis judicium embrassaient les plus graves sujets.
Cette dernière pièce, qu'on est étonné de voir au nombre des Atellanes, est encore remarquable parce qu'elle porte le même titre qu'une satire où Ennius, nous dit Quintilien (94), mettait aux prises la vie et la mort. Ici l'Atellane n'était probablement qu'une imitation dramatique de la satire d'autrefois, et se retrouvait ainsi dans sa véritable condition primitive. Trois autres Atellanes d'ailleurs, la Satira, l'Exodium, le Funus (95), attestent que l'Atellane n'avait pas oublié son origine, et que, par une pente foute naturelle, les jeux satiriques ou exodia, passant du second rang qu'ils occupaient jadis au premier, devenaient souvent l'Atellane même.

Les Atellanes sous César et sous les Empereurs.

L'Atellane, qui avait des théâtres au dehors aussi bien qu'à Rome (96), prenait aussi parfois un caractère personnel et signalait des noms propres (97). Cette liberté, qui n'était que la conséquence de toutes celles dont elle usait, paraît avoir été pour elle un motif de défaveur sous César. Ennemi comme il l'était de toute insinuation indirecte et de toute critique personnelle, César dictateur, dont le goût était une autorité et la volonté une loi, César qui, sur la scène, préférait les maximes générales de Syrus aux courageux reproches de Laberius, fut sans doute la cause du décri où, en 708, était tombée la farce de l'Atellane. Cicéron, lui est dans ses Lettres l'interprète expressif des opinions du moment, nous apprend que les Mimes furent ajoutés aux pièces sérieuses à la place de l'Atellane (98) et les termes qu'il ajoute marquent assez le mépris qu'on faisait alors des hardiesses de celle-ci. Ce n'est pas que César eût supprimé complètement les jeux Osques, car Suétone mentionne qu'il appela des comédiens de tous les pays, et donna des représentations dans toutes les langues (99). Mais c'était là, dans un but politique sans doute, une condescendance d'un moment : il voulait, après les guerres civiles, convier à Rome même, au spectacle de ses fêtes, toutes les nations qui composaient l'empire; tandis que le passage de Cicéron ne prouve pas moins que l'Atellane était ordinairement en défaveur. Auguste qui, pour se rendre populaire, voulait relever tout ce que César avait abaissé, et qui encourageait sans distinction tous les théâtres de son habile bienfaisance (100), favorisa sans doute le retour des Atellanes à leur vogue. première, car elles atteignirent alors à une puissance qu'elles n'avaient pas connue jusque-là. Les Atellanes, soit qu'elles voulussent se venger de leur longue oppression, soit qu'elles tendissent à accroître leur importance, portèrent, sous les successeurs d'Auguste, l'audace à ses dernières limites, et leur caractère changea comme les moeurs publiques. Leur satire devint politique, cruelle, implacable et ne craignit pas de remonter jusqu'à l'empereur. Elle désignait, avec une crudité d'expressions qu'on couvrait d'applaudissements, les crimes et les voluptés infâmes de Tibère (101). Elle irritait Caligula par les équivoques transparentes de son ironie. Un acteur d'Atellanes était brûlé en plein amphithéâtre, par ordre de l'empereur, pour un vers méchant (102). Ce châtiment inouï qui est déjà bien loin de la tolérance républicaine, des dédains de César et des ménagements d'Auguste, ne peut s'expliquer en partie que par l'âcreté croissante de la raillerie des Atellanes. Il ne trouva de compensation que dans un moment de clémence de Néron. Celui-ci se contenta de chasser de Rome l'histrion Datus qui, dans une Atellane, avait rappelé par des gestes satiriques deux crimes de l'empereur, et fait une terrible allusion au sénat (103). Les Atellanes apprirent à Galba son impopularité, dès son arrivée à Rome, par un chant si applaudi et si connu que la foule transportée l'acheva d'une voix unanime (104). Enfin Domitien fut aussi cruel dans sa vengeance que Caligula, car il fit mourir le fils d'Helvidius pour avoir eu l'audace de faire allusion, dans un exode, au divorce impérial (105).
Deux de ces témoignages dénotent dans la représentation des Atellanes quelques usages que nous n'avions pas vus. précédemment. Datus l'histrion chante dans l'Atellane des vers grecs, et c'est un refrain déjà connu qu'entonne un acteur d'Atellanes pour exprimer le dégoût produit par l'arrivée de Galba. Ces changements, auxquels les fragments de l'Atellane sous la république n'offrent rien de pareil, peuvent s'expliquer assez facilement. L'imitation des Grecs qui avait jeté tant d'éclat sur le règne d'Auguste, avait plus que jamais familiarisé avec leur langue tous les genres de littérature, et il n'est pas surprenant que les Atellanes aient en cela obéi quelquefois, comme ici, au goût général qui les soutenait de plus en plus. Cet autre refrain connu: Venit, io simus a villa; qui fut le chant de réception de Galba, est une preuve de plus de la vogue dont ces pièces jouissaient alors. Leurs allusions, aussi hardies que l'empereur était odieux, étaient l'expression véritable du sentiment populaire. Malgré les efforts de Tibère, malgré leur exil momentané (106), elles avaient résisté à la destruction et retrouvé par la persécution une verve plus libre encore. Doit-on s'étonner que restées, comme le théâtre, en général, le refuge et l'organe de la haine du peuple, elles aient emprunté, pour l'exprimer, les refrains mêmes que le peuple répétait ?
Cet emploi passager de vers grecs ou de chansons familières laissa néanmoins intact le cachet primitif et original de ce genre de littérature. Alors et plus tard les Atellanes demeuraient les dépositaires de la vieille langue nationale et indigène. Elles avaient conservé cette fleur native du sol latin qui, ailleurs, s'était fanée sous des ornements d'emprunt et dont Lucrèce et Catulle, à peu près seuls, dans la poésie, avaient sauvé la fraîcheur et gardé le vrai parfum. Dans la décadence des lettres latines et même du succès théâtral des Atellanes, c'est là l'attrait nouveau, l'ascendant que celles-ci gagneront, non plus sur la foule, mais sur quelques, hommes d'étude qui, fatigués du faux goût de l'époque, de l'épuisement de la langue, voudront se retremper à sa source. Dans Pétrone déjà, Trimalcion témoigne de ce retour vers le vieux langage, latin lorsque, devant ses convives , il se vante d'avoir acheté des histrions qui ne représenteront que des Atellanes et un choeur qui chantera en latin (107). Ainsi, aux premiers siècles du christianisme, les baladins d'Atellanes peuvent être réduits à figurer à la table d'un empereur (108) ; Antonin peut, en plein théâtre, apprendre son déshonneur de la bouche d'un bouffon (109) ; Tertullien, dépeindre avec une sainte horreur les impudicités de la scène des Atellanes (110), et Arnobe, à son tour, nous montrer ces acteurs chauves et imbéciles, ces bruyants, applaudissements, ces propos, ces gestes obscènes ; il peut demander avec un accent douloureux si ces comédies, ces mimes, ces Atellanes, si tous ces vils plaisirs sauraient être jamais les voluptés des dieux (111) ; rien dans cet emportement éloquent du chrétien , dans cette décadence de l'art des Atellanes, ne doit nous étonner. Outre la juste indignation du culte nouveau, outre plusieurs causes indépendantes des Atellanes, la nature même de ces pièces contenait le germe de leur abaissement. Leur pétulance indécente (112), leur liberté si peu inquiétée à l'origine, leur audace cruellement, mais rarement chagrine, leur audace cruellement, mais rarement châtiée dans la suite, devaient les entraîner hors de toutes les bornes. Il n'est pas donné à la licence de s'arrêter, elle passe nécessairement de l'usage à l'excès et se perd par l'abus. Mais le privilège qui distingue alors les Atellanes, c'est de rester encore une curiosité littéraire pour quelques rares esprits studieux des origines latines ; c'est, par exemple, d'être avec tous les grands écrivains de la Rome antique, l'étude que sans cesse Fronton recommande à Marc-Aurèle, celle que Marc-Aurèle entoure de toutes ses préférences. Tantôt le noble écrit à son précepteur qu'il passe les nuits à l'étude et jour au théâtre, et qu'il a fait les extraits de soixante volumes au nombre desquels sont les Atellanes (113); tantôt c'est le maître qui vante à son disciple les pensées riantes et fines qu'il pourra y puiser. (114) Ailleurs enfin, on surprend encore le goût marqué de l'empereur pour cette sorte de poètes comiques (115), et l'on conclut que ce mérite de langage, que ces succès de cabinet, sont la véritable et dernière originalité des Atellanes. 

De la langue Osque dans les Atellanes.

Ici se présente une grave question qu'on a diversement posée et péniblement résolue. Les Atellanes furent-elles écrites en langue latine ou en langue osque? Strabon, en affirmant que, de son temps, les Atellanes se servaient de la langue osque (116 ), a créé la difficulté et fait naître les objections. On a demandé comment ce dialecte, usité seulement dans les Atellanes, pouvait être intelligible à tous les Romains, surtout au moment du plus haut perfectionnement des lettres latines, lorsque Strabon écrivait.
Si l'on suppose un instant que l'Osque offrait de grandes affinités avec le Latin, cette hypothèse s'évanouit devant tout ce que les grammairiens et divers passages nous ont appris de cette langue. Un consul romain, nous dit Tite-Live, avait des espions particuliers parlant la langue osque (117), et nous savons par un vers de Titinius que ceux qui parlaient l'osque pouvaient ignorer le latin (118). Ennius prétendait qu'il avait le coeur triple parce qu'il savait les trois langues grecque, osque, latine (119) et Macrobe sépare les termes osques et puniques de ceux de la langue ordinaire (120). D'ailleurs, dans tous les fragments d'Atellanes que nous possédons, on ne surprend pas la moindre trace de l'osque, et, pour appuyer les mots de ce dialecte, toujours les citations et les grammairiens désignent les poètes latins Ennius, Pacuvius, jamais les Atellanes. Que Varron nous dise que Pappus le vieillard est nommé Cascus, parce que les Osques disaient Casnar pour Senex (121); que Festus assure que les Osques appellent le dieu Mars Mamers (122) ; nous n'en rencontrons pas moins toujours, au lieu de Mamers et de Casnar, les mots vulgairement usités de Pappus et de Mars, dans les fragments qui sont restés (123). Ces arguments frappent d'abord par leur gravité et semblent compliquer le problème. Les uns, pour le résoudre, ont supposé que le mot osque, employé par Strabon, signifiait ici obscène, acception qu'il a en effet souvent; d'autres, que Strabon prenait le nom originaire de ces jeux pour celui de la langue qu'on y parlait. Enfin Schober a aggravé la difficulté en substituant, de sa pleine autorité, des campagnards de la Sabine à des paysans Osques, uniquement parce que Varron a dit que la langue des Sabins avait ses racines dans le dialecte osque (124). Il n'est pas impossible cependant, en s'attachant à la vraisemblance, de conserver le sens littéral du passage et de rendre plausible l'assertion de Strabon. Lorsqu'il dit que le dialecte d'Atella subsiste encore de son temps à Rome, m¡nei, son témoignage se confirme à peu près par ceux de quelques autres car Suétone dit expressément que les théâtres de toutes les langues furent protégés par Auguste (125), et Horace dans son dédain pour les sauvages beautés du vieux Latium, se plaint que son siècle garde encore les restes de l'antique poésie des champs (126). Strabon ne dit pas que toute la pièce fut écrite en langue osque, et d'ailleurs tous nos fragments seraient contraires à cette version ; mais il: faut même supposer que plus de débris écrits des Atellanes ne nous révéleraient pas plus de traces de langage osque. Car tout fait croire que ce dialecte n'était en usage que dans les improvisations de ce théâtre. Sans doute aussi ancien qu'elles, l'Osque sera resté leur partage unique, comme un souvenir de l'origine campanienne de l'Atellane (127). Peut-être cet idiome était-il mêlé au latin dans certaines parties improvisées de la pièce ;mais le Maccus principalement, s'il faut en croire M. Leclerc (128), paraît avoir parlé l'Osque, probablement parce que, complètement originaire d'Atella, le trait distinctif de son rôle était d'en reproduire plus spécialement l'improvisation et le langage. Ces conjectures, en respectant le texte de Strabon, serviraient à tout concilier Elles expliqueraient en même temps l'existence de nos fragments entièrement latins, l'assertion de Varron et de Festus et le silence des grammairiens sur les Atellanes, toutes les fois qu'ils parlent des monuments écrits de la langue des Osques. La dernière objection au sujet de la difficulté pour les spectateurs de comprendre ce dialecte peut être facilement renversée. D'abord les passages cités plus haut d'Ennius et de Tite-Live indiquent qu'aux premiers siècles de Rome l'usage de l'osque était quelque peu répandu (129). Ensuite, qui empêche d'admettre que le Maccus, par exemple, ait parlé dans un langage presque inintelligible ? Si, comme le pense M. Leclerc, les autres acteurs lui répondaient en latin, cette réponse comprise d'un interlocuteur devait aider à éclaircir l'obscure volubilité de l'autre. La sagacité du spectateur eût cherché ainsi à deviner l'énigme, et son intérêt était captivé. Mais on peut pousser la supposition plus loin et croire que le Maccus avec tous ses avantages, avec des intonations fausses et bizarres, plaisait et amusait même sans être compris dans son bavardage (130). Le Polichinelle de nos jours dont le bredouillement nasillard et la voix enrouée ne sont d'aucune langue, est-il moins goûté de la foule pour n'être pas entendu, ou plutôt, son jargon, guttural, et insignifiant n'est-il pas encore un attrait de plus aux yeux des enfants et des gens du peuple. Dans le théâtre de Ghérardi (131) dans les intermèdes des pièces de Molière, l'Italien, le latin, sont mêlés au français et n'étaient guère plus compris des spectateurs qu'ils piquaient cependant par leur étrangeté même.

Les Auteurs d'Atellanes.

Aucun écrivain ne cite en général d'auteurs d'Atellanes avant Pomponius et Novus. La chronique d'Eusèbe nous apprend que Pomponius vivait en 663 de Rome et y avait un nom célèbre alors (132). On petit conclure de l'absence de toute mention pareille avant cette date, que jusque là les Atellanes avaient été entièrement improvisées. Ce mélange primitif du libre désordre - de la satire et du thème dramatique - emprunté aux Osques, qui avait pris le nom d'Atellanes, avait pu suffire longtemps à l'expression triviale des moeurs de la Campanie, au sel grossier des plaisanteries rustiques. Mais lorsqu'un plus long séjour au sein de Rome policée eut familiarisé ce théâtre inculte avec le goût de la civilisation et avec les habitudes de la comédie gréco-latine de Plaute ; lorsque, pour renouveler une partie de leur vogue, qui s'épuisait, les Atellanes eurent besoin de recourir à d'autres sujets connus et aimés du bas-peuple, alors vint sans doute Pomponius qui essaya d'en ranimer l'intérêt en mêlant aux personnages rustiques primitifs des professions de la ville, des épisodes de la vie des classes inférieures de Rome, et captiva la populace par des tableaux pris au milieu d'elle-même. Cette innovation, qui introduisait une série de sujets nouveaux, qui modifiait profondément les usages de ce théâtre et n'avait pour elle, comme à Atella, ni l'autorité des moeurs natales, ni celle de la tradition, mais le talent ou le génie d'un seul écrivain, ne pouvait se transmettre que par des oeuvres écrites à des acteurs qui, certainement alors déjà, étaient une troupe d'histrions.
Pomponius écrivit donc ses pièces, en réservant toutefois les masques de caractère et une partie de l'improvisation antique. Il y sema des maximes nombreuses, et pour laisser aux Atellanes nouvelles l'originalité des anciennes autant que pour être goûté du bas-peuple qui venait l'écouter, il garda la rudesse du langage et sut maintenir la vétusté du latin primitif (133), au milieu des raffinements grecs qui le transformaient de toutes parts. Velleius Paterculus, dans une phrase concise, résume toutes ces qualités et recommande le talent d'invention de Pomponius (134). Outre le mérite d'avoir traité des sujets nouveaux, il se peut que Pomponius ait eu celui de créer d'heureuses expressions, car Macrobe nous apprend qu'Afranius et Cornificius lui, en dérobaient quelquefois et que Virgile en déguisait l'emprunt par une application nouvelle (135). Les pieds de trois syllabes, le tribraque surtout, furent introduits peut-être par lui dans les vers de l'Atellane ; les tétramétres catalectiques y furent employés plus souvent encore (136). Les débris qui nous restent en fournissent de nombreux exemples. Nous avons soixante-quatre titres de pièces que composa Pomponius. Comparé aux autres qui nous restent, ce nombre, qui leur est supérieur, décèle dans Pomponius une prodigieuse fécondité d'esprit. On peut remarquer de plus qu'il était de Bologne, le berceau du Docteur actuel de la farce italienne, et que plusieurs de ses créations dramatiques ont pu être inspirées par les jeux scéniques de sa patrie.
Nous n'avons pas autant de détails sur Novius, autre écrivain d'Atellanes. Les conjectures de la plupart des commentateurs le font contemporain de Pomponius, et deux passages de Macrobe (137), où Novius est nommé avant Pomponius pourraient faire croire que celui-ci a suivi l'autre, s'ils n'étaient formellement contredits par la précision du témoignage de Velleius (138). Il est possible de faire accorder entr’elles les assertions des deux écrivains en admet-tant que Novius, quoique du même temps que Pomponius, n'écrivit qu'après lui des Atellanes. Macrobe cite Novius comme un écrivain fort estimé (139) , et nous découvrons dans la correspondance de Fronton et de Marc-Aurèle que celui-ci avait conçu un goût tout particulier pour les petites Atellanes (atellaniolae) de Novius (140). Les titres des pièces de Novius parvenues jusqu'à nous sont au nombre de quarante et un. Dans les vers qui nous restent de lui nous retrouvons l'emploi du même mètre que nous avons, d'après nos fragments, signalé dans Pomponius. Enfin le passage cité de Macrobe prouverait que cet écrivain s'était élevé à une renommée peut-être aussi haute que son contemporain. C'est là, avec une mention humiliante de Tertullien (141), tout ce que nous savons de Novius.
Après Novius, l'éclat des Atellanes se perdit (142); il resta longtemps éclipsé par celui des Mimes et des Pantomimes; il ne reparut dans la suite qu'avec Caïus Memmius, le dernier écrivain d'Atellanes connu. Nous sommes sans renseignements sur l'existence de ce Memmius on Mummius; mais il résulte certainement, des succès que l'Atellane reconquit sous les empereurs, la présomption que c'est sous les premiers d'entre eux, sous Auguste peut-être, que vécut Memmius. Nous n'avons que le titre d'une seule de ses pièces (143) et trois fragments sans im­portance. Son autorité est rarement invoquée par les grammairiens : Nonius même l'a regardée comme douteuse (144). Tels sont l'origine, le caractère, les personnages et les auteurs de la scène des Atellanes. Ses vicissitudes, dont le manque de pièces entières nous dérobe la plus grande partie, ont été montrées dans leurs phases principales, et quelquefois rétablies, par la conjecture. Comme tous les jeux destinés aux plaisirs des classes inférieures, elle subit le sort ou les caprices de l'esprit populaire. Grossière d'abord comme les premiers siècles de Rome, puis variant ses tableaux et ses personnages au moment où Rome modifiait sa littérature et sa constitution, où Sylla, renonçant à la dictature, s'essayait à des compositions du genre de l'Atellane, elle est à peine nommée au milieu des troubles civils qui vont ensanglanter la république. Le peuple a des intérêts trop chers, trop puissants à défendre, pour songer aux divertissements dû théâtre; César est un maître trop habile et trop ombrageux pour protéger la liberté du drame plébéien. Ranimée sous les premiers empereurs, effroi des oppresseurs, divertissement et vengeance des opprimés, l'Atellane plus tard, perdue par ses propres excès; effacée par la vogue des mimes sous les Antonins (145), n'est plus qu'une curiosité de cabinet pour quelques uns, un suret de blâme et d'imprécations dans la bouche des premiers Chrétiens (146). Il n'en pouvait guères être autrement. Les vertus des nouveaux empereur, en désarmant la satire politique, ôtaient aux Atellanes leur attrait le plus populaire. Le goût et la langue des Grecs, répandus partout, rendaient plus indifférent aux créations du vieux génie latin. Les règnes, courts et sanglants de quelques princes laissaient à peine aux haines personnelles le temps de se former : les uns, par l'empire de la force brutale sans le mélange des goûts littéraires des premiers Césars; les autres, par leur origine étrangère ou barbare, étaient un obstacle à l'essor de l'esprit indigène. Le christianisme enfin, venant régénérer le monde et substituer la pureté et la vraie grandeur à toutes les corruptions du monde païen, devait, comme il l'a fait, flétrir et rabaisser encore cette littérature qui avait à peu près suivi la décadence du paganisme. Après tant de causes, ce sont les mépris de la chaire chrétienne, les tendances épurées. de tous les esprits, qui ont fait oublier ces oeuvres, curieuses jusque dans leur dépérissement, où le bon sens populaire tenait encore plus de place que l'art, et ont ainsi contribué à les empêcher d'arriver intactes jusqu'à nous. Il faut éternellement regretter, comme une lacune pour les lettres, cette mutilation et cette perte des monuments d'une partie intéressante et presque ignorée du monde ancien.

CLASSEMENT DES ATELLANES D'APRÈS LEURS GENRES DIVERS.

(Les pièces dont l'existence et le genre sont douteux sont marquées d'un point interrogatif). 

Atellanes de Pomponius (64 Pièces).

SUJETS CHAMPÊTRES

1. Agricola, vel Pappus Agricola (ap. Non. voc. manducatur, ibus, fervit, desubito).
2. Aruspex, vel Praeco Rusticus, (Non. v. puriter).
3. Asina, vel Asinaria (Non. v. auscultare).
4. Arista (Non. v. irascere).
5. Aleones (Non. v. alant).
6. Augur (Non. v. esuribis).
7. Campani (Non. v. publicitus).
8. Capella (ap. Charis., I, p. 59).
9. Ergastulum (Non. v. rarenter).
10. Placenta (Non. v. intyba).
11. Porcetra, vel Porcaria (Non. v. Cossim. - A. Gell., XVIII, 6).
12. Rusticus (Non. v. dapsile).
13. Sarcularia (Non. v. suppilare).
14. Vacca, vel Marsupium. (Prisc. X, p. 885, édit. Putsch).
15. Verres aegrotus (Non. v. frustratim).

MASQUES DE CARACTÈRES

1.. Bucco adoptatus (Non, voc. properaxim, taxim).
(Voc. Jentare, Nonius parle d'un Bucco adoptatus d'Afranius).
2. Id. auctoratus (Non. voc. torviter).
3. Hirnea Pappi (Non. v. verminari).
4. Maccus (Non. v. attendere).
5. Macci Gemini (Non: v. venibo ).
6. Maccus miles (ap. Charis. I, 99).
7. Maccus sequester (Non. v. fulgit).
8. Id. virgo (Non. v. verecunditer).
0. Pappus agricola (voir ci-dessus).
9. Id. praeteritus (Non. v. varas).
10.Pannuceati ? (Non. v. rutrum).
11. Pytho Gorgonius (Non. v. pervenibunt).
12. Sponsa Pappi (Non. v. cognoscesre).

 FABLES RHYNTHONIENNES

1. Agamemnon suppositus (Non. v. expergisceret).
2. Marsyas (Arnob. adv. Gent. p. 43, édit. Stevvech.).

ARTISANS, PROFESSIONS

1. Aedituus (ap. Gell., XII, 10).
2. Conditiones (Non, V. edim.).
3. Decuma fullonis (Festus v. temetum).
4. Fullones (Non. v. fervat).
(le même, voc. fuam et argutari, attribue un Fullones à Titinius).
5. Leno (ap. Charis, I, p. 60).
6. Medicus (Non. Rhetorissat).
7. Pictores (Non. strena).
8. Piscatores (Non. v. merum).
9. Pistor (Non. v. comest).
10. Praeco posterior (Non. v. senica).
11. Portitor vel Portus (Non. voc. vepres).
12. Prostibulum (Non. v. delirare).

DIVERS 

1. Adelphi (Non. v. datatim).
2. Annulus posterior (Non. v. reperibitur).
3. Collegium (Non. v. expalpare).
4. Concha? (Non. v. eliminare).
5. Cretula seu Petitor? (N. v. ominas).
6. Dotala (Non. v. paulisper).
7. Dives (Non. v. palumbi).
8. Galli Transalpini (Macrob., VI, 9. - Gell. XVI, 6).
9. Haeres Petitor (Non. v. lavi).
10. Kalendae Martiae (Macrob., Sat. VI, 4).
11. Lar familiaris (Prisc., VI, p. 686).
12. Maevia (Gell., X, 24. - Macrob., Sat. I, 4).
13. Maialis (Non. v. veget).
14. Munda (Non. v. suavies).
15. Nuptiae (Non. v. condepsere).
16. Patruus (Non. v. rnirabis).
17. Philosophia (Non. v. memore).
18. Praefectus morum ? (Non. v. operibo).
19. Quinquatria (Non. v. seplasium).
20. Synephebi (ap. Charis., I, p.108).
21. Satira (Prisc., VI, p. 679 et 726).
22. Syri ? (Non. v. lurcones).
23. Verniones? (Non. v. expedibo).

Atellanes de Novius (41 Pièces).

SUJETS CHAMPÊTRES :

1. Agricola (Non. v. repuerascere).
2. Asinius (Non. v. rhetoricasti).
3. Bubulcus cerdo (Non. v. commetare).
4. Equuleus? (Prisc., VI, p. 681).
5. Gallinaria (Non. v. sonticum).
6. Lignaria? (Prisc., v, p. 657. - Gell., XV. 13).
7. Picus (ap. Festum, v. Rutabulum).
8. Vindemiatores (Non. v. progredi pro progredere).

ARTISANS, PROFESSIONS :

1. Fullones (Non. v. anima).
2. Fullones feriati (Non. v. comest).
3. Praeco posterior (Non. v. labium).
4. Togularia ? (ap. Fest. v. quisquilia).

MASQUES DE CARACTÈRE

1. Bucculo (Non. v. edim).
2. Duo Dossenni (Festus, v. temeum)
3. Macci (Non. v. cascum).
4. Maccus caupo (Fest. v. nictare).
5. Id. exul (Non. v. limen).
6. Mania medica? (Non. v. pistillus)
7. Pappus præteritus (Non. v. capulum).
8. Sanniones? (Non. v. purpurissum).

DIVERS :

1. Decuma seu Decuma (Non. v. pariter).
2. Depatici? (Non. v. dicebo).
3. Dotata (Non. v. artivit).
4. Exodium (Non. v. gallulare).
5. Funus ? (Fest. voc. temetum).
6. Gemini (Non. v. festiviter).
7. Hetaera? (Non. v. artivit).
8. Malevoli (Non. v. percontat).
9. Milites Pometinenses? (Non. v. valgum).
10. Mortis et vitae judicium (Non. v. esuribo).
11.Optio (Non. v. panus).
12. Parcus? (Gell., XVII, 2. - Non. voc. frunisci.)
13. Pedius (Non. v. grassari).
14. Philonicus (Non. v. penularium).
15. Quaestio (Non. v. suavies).
16. Surdus (ap. Fest. v. temetum).
17. Tripertita (Non. v. pingue est).
18. Virgo praegnans (Non. v. sapiri).
19. Zona (Non. v. duriter).

FABLES RHYNTHONIENNES:

1. Andromache (Serv. in Virgil., Georgic. 266).
2. Phaenissa (Festus, v. scirpus).

Atellane de Memmius.

1. Junius? (ap. Charis., ), p. 148. V. Testu. - Cf. fragmenta Memmii Atellanarum in Prisc., X, p. 910. - Ap. Non. voc. clivus. - Ap. Macrob., Satur. II, 1.

(1)  Virgil., Georg. II, 385. 

De même les paysans Ausoniens, race envoyée de Troie, jouent à des vers grossiers, en riant à gorge déployée, prennent de hideux masques d'écorce creusée, t'invoquent, Bacchus, par des chants d'allégresse, et suspendent en ton honneur au haut d'un pin des figurines d'argile.

 Horat. Epist. II, I, 145. 

Alors fut inventée la licence des chants Fescennins, qui jeta de rustiques injures en vers alternés. Cette licence revint chaque année, se jouant innocemment; puis le jeu déjà cruel se tourna en rage et pénétra, impuni et menaçant, dans les honnêtes maisons. Ceux que déchira sa dent sanglante gémirent, et le souci du danger commun s'empara de ceux qui étaient épargnés. On porta une loi et une peine contre celui qui écrirait des vers infamants sur quelqu'un. Les satiriques changèrent de ton par crainte du bâton et furent réduits à bien dire et à plaire.

(2) Festus voc. Fescennini

FESCENNINI VERSUS. Les vers fescennins se chantaient aux noces. On dit que l'usage en était venu de la ville de Fescennia ; ou bien ce nom leur a été donné parce qu'on croyait qu'ils écartaient les maléfices.

Catull., Carm. LXI, 12 

Animé par l'allégresse d'un tel jour, chantant l'hymne nuptial de ta voix argentine, frappe la terre de tes pas cadencés, et secoue dans ta main ton flambeau résineux!

et 126. 

Mais ne tardez plus à vous faire entendre, libres chants fescennins; et toi, favori du maître, en attendant que l'amour te quitte, ne refuse pas des noix aux enfants! Donne des noix aux enfants, inutile favori.

 Servius ad Æneid., lib. VII, 695. - Cf. Claudian. , XI-XIV, pag. 96, édit. Bipont.

Senec., Medea, 113. 

Que le fescennin railleur répande ses cris de fête, que la foule en désordre lâche ses plaisanteries, – quant à celle-là, qu’elle s’en aille dans les ténèbres silencieuses, celle qui épouse, en fugitive, un mari étranger.

Martial, Epigr., VII, 8, 7. 

O César, le soldat le front ceint d'une couronne, va lancer ses sarcasmes au milieu de la fête triomphale, en escortant les chevaux couronnés de laurier.

Menage, Diction., mot Charivari.

(3) Cicer. Tuscul., IV, 2. 

Or Caton, auteur de grand poids, rapporte dans ses Origines, que parmi nos ancêtres c'était aussi l'usage dans les festins de chanter, avec l'accompagnement d'une flûte, les exploits et les vertus des grands hommes. On voit par là que dès lors nous avions une poésie, et une musique. On voit encore plus formèllement par nos Douze Tables, que dès lors les vers étaient connus, puisque la loi défend d'en faire d'injurieux.

Cf. Horat., Sat. II, I, 80-83. 

Mais, cependant, sois averti et prends garde que l'ignorance de nos saintes lois ne t'attire quelque malheur. Si quelqu'un fait des vers méchants contre un autre, il y a poursuite et jugement.

(Plus tard cette loi fut appliquée à la scène; Cicer. de Republ., ap. August. Civit. Dei, II, 9, 12, 13). 

« Jamais la comédie, si l’habitude des moeurs publiques ne l’avait autorisée, n’aurait pu faire goûter les infamies qu’elle étalait sur le théâtre » . Les Grecs du moins étaient conséquents dans leur extrême licence, puisque leurs lois permettaient à la comédie de tout dire sur tout citoyen et en l’appelant par son nom. Aussi, comme dit encore Scipion dans le même ouvrage: « Qui n’a-t-elle pas atteint? Ou plutôt, qui n’a-t-elle pas déchiré? A qui fit-elle grâce? Qu’elle ait blessé des flatteurs populaires, des citoyens malfaisants, séditieux, Cléon, Cléophon, Hyperbolus, à la bonne heure; bien que, pour de tels hommes, la censure du magistrat vaille mieux que celle du poète. Mais que Périclès, gouvernant la république depuis tant d’années avec le plus absolu crédit, dans la paix ou dans la guerre, soit outragé par des vers, et qu’on les récite sur la scène, cela n’est pas moins étrange que si, parmi nous, Plaute et Névius se fussent avisés de médire de Publius et de Cnéus Scipion, ou Cécilius de Caton». Et il ajoute un peu après « Nos lois des douze Tables, au contraire, si attentives à ne porter la peine de mort que pour un bien petit nombre de faits, ont compris dans cette classe le délit d’avoir récité publiquement ou d’avoir composé des vers qui attireraient sur autrui le déshonneur et l’infamie; et elles ont sagement décidé; car notre vie doit être soumise à la sentence des tribunaux, à l’examen légitime des magistrats, et non pas aux fantaisies des poètes; et nous ne devons être exposés à entendre une injure qu’avec le droit d’y répondre et de nous défendre devant la justice ».

Arnob., Advers. gent., édit. Stewech., IV, p. 151.

Festus voc. occentassint

OCCENTASSINT. Les anciens disaient ainsi pour rendre ce que nous exprimons aujourd'hui par convicium fecerint, parce qu'un bruit injurieux se fait avec éclat et avec un certain retentissement, afin qu'il puisse s'entendre de loin. Ce bruit est considéré comme outrageant pour celui qui en est l'objet, parce qu'on ne s'imagine pas qu'il puisse se faire sans motif. Je crois que de là on appelle aussi ce tapage injurieux cantilena parce qui n a nullement le charme d'un chant régulier.


(4) Horat., Epist. II. I, 139-155. 

Les antiques laboureurs, robustes et heureux de peu, après avoir rentré leur froment, reposaient leur corps, les jours de fête, et leur esprit, qui se résignait aux dures fatigues dans l'espérance du repos; et, avec leurs compagnons de travaux, leurs enfants et leur femme fidèle, ils consacraient un porc à la Terre, du lait à Silvanus, et des fleurs et du vin au Génie domestique qui sait que la vie est brève. Alors fut inventée la licence des chants Fescennins, qui jeta de rustiques injures en vers alternés. Cette licence revint chaque année, se jouant innocemment; puis le jeu déjà cruel se tourna en rage et pénétra, impuni et menaçant, dans les honnêtes maisons. Ceux que déchira sa dent sanglante gémirent, et le souci du danger commun s'empara de ceux qui étaient épargnés. On porta une loi et une peine contre celui qui écrirait des vers infamants sur quelqu'un. Les satiriques changèrent de ton par crainte du bâton et furent réduits à bien dire et à plaire.

Cf. Epist. ad Pison., 210 seqq. 

Mais bientôt la victoire accrut les territoires, agrandit les villes; chacun put, sans risque, les jours de fête, faire, même de jour, des libations à son Génie; alors le rythme et la mesure usèrent de plus de liberté. Quel goût, en effet, attendre d'un public où les paysans grossiers, leur travail terminé, se mêlaient aux citadins, où se confondaient le rustre et l'homme cultivé? Dès lors, à l'art ancien le joueur de flûte ajouta la danse et le luxe du costume, et traîna sa longue robe d'un bout à l'autre de la scène. La lyre, elle aussi, jadis si sévère, vit croître le nombre de ses cordes; on entendit sur le théâtre un langage inaccoutumé, d'une audacieuse abondance. Le choeur donna d'utiles conseils, prophétisa l'avenir, tout à fait comme la Pythie rendant ses oracles à Delphes.

(5) Tibull., Eleg. II. I, vers 55. 

Le laboureur, la figure rougie de vermillon, est le premier, ô Bacchus, qui ait essayé des rondes dont l'art était jusqu'alors inconnu.

(6)  Virgil., Georgiq. II, vers 387. 

De même les paysans Ausoniens, race envoyée de Troie, jouent à des vers grossiers, en riant à gorge déployée, prennent de hideux masques d'écorce creusée

(7) Virgil., Eclog. VI, vers 2. 

Ma muse la première a daigné redire, en se jouant, les vers du poète de Syracuse, et n'a pas rougi d'habiter les forêts.

Voir M. Magnin, Origin. du théâtre moderne, I, p. 204.

(8)  Denys d'Halicar. Hist. rom., VII, chap. 72. Edit. Reisk. - Cf. idem. II, 2, pour les origines grecques de Rome.
(9) Danse satyrique. Voir Athénée, Schweighauser, XIV, p. 629, D. et 630. B. - Hesych. voce
sÛkkiniw, tom. II. Edit. Alberti. Lugdun. Batav. 1766, p. 1185.
(10) Voir T. Live, II, 21. 

(Mort de Tarquin le Superbe). Durant les trois années suivantes, il n'y eut ni paix ni guerre réelles. Les consuls furent Quintus Clélius et Titus Larcius; puis Aulus Sempronius et Marcus Minucius, sous lesquels eut lieu la dédicace du temple de Saturne et l'institution de la fête des Saturnales.

Cf. Macrob. Satur., lib. I, ch. 7 et 8. 

De l'origine et de l'antiquité des Saturnales, et, en passant, de quelques autres sujets.
On s'accorde à dire que Saturne et Janus régnèrent en paix, ensemble, et qu'ils bâtirent en commun, dans le même pays, deux villes voisines; ce qui est non seulement établi par le témoignage de Virgile, qui dit : "L'une fut nommée Janicule, et l'autre Saturnia" mais encore confirmé par la postérité, qui consacra à ces deux personnages deux mois consécutifs, décembre à Saturne, et janvier, à qui l'on donna le nom de Janus. Saturne ayant tout à coup disparu, Janus imagina de lui faire rendre les plus grands honneurs. Il donna d'abord à la contrée sur laquelle il régnait le nom de Saturnie; puis il consacra à Saturne, comme à un dieu, un autel, et des fêtes qu'il nomma Saturnales. C'est depuis ces siècles reculés que les Saturnales précèdent la fondation de Rome. Janus ordonna donc que Saturne fût honoré d'un culte religieux, comme ayant amélioré le sort de la vie. La statue de ce dieu est distinguée par une faux, que Janus lui donna comme l'emblème de la moisson. On lui attribue l'invention de la greffe, l'éducation des arbres fruitiers, et toutes les pratiques d'agriculture de ce genre.
Les Cyréniens, qui regardent Saturne comme l'inventeur de l'usage d'extraire le miel et de cultiver les fruits, célèbrent son culte en se couronnant de jeunes branches de figuier, et en s'envoyant mutuellement des gâteaux. Les Romains l'appellent Sterculus, parce qu'il a le premier fertilisé les champs par le moyen du fumier. Les années de son règne passent pour avoir été très fortunées, soit à raison de l'abondance de toutes choses, soit parce que les hommes n'étaient point encore distingués par les conditions de liberté et d'esclavage; ce qu'on peut regarder comme l'origine de l'usage où l'on est, pendant les Saturnales, d'accorder toute licence aux esclaves.
D'autres racontent ainsi l'origine des Saturnales. Ceux qu'Hercule avait délaissés en Italie, en punition, comme le disent les uns, de ce qu'ils n'avaient pas soigneusement gardé ses troupeaux, ou, comme d'autres le rapportent, dans le dessein de laisser des défenseurs à son autel et à son temple contre les incursions des étrangers, se voyant infestés de voleurs, se retirèrent sur une colline élevée, où ils prirent le nom de Saturniens, de celui que portait déjà la colline. S'étant aperçus qu'ils étaient protégés en ce lieu par le nom du dieu et par le respect qu'on lui gardait, ils instituèrent les Saturnales, afin, dit-on, d'inspirer, par la célébration de ces fêtes, aux esprits grossiers de leurs voisins, une plus grande vénération pour le dieu.
Je n'ignore pas non plus cette autre origine qu'on assigne aux Saturnales, et que rapporte Varron, savoir : que les Pélasges, chassés de leurs foyers, errèrent en diverses contrées, et se réunirent presque tous à Dodone, où, incertains du lieu dans lequel ils devaient se fixer, ils reçurent de l'oracle cette réponse : "Allez chercher la terre des Siciliens, consacrée à Saturne et à Kotyla des Aborigènes, où flotte une île; et quand vous en aurez pris possession, offrez la dîme à Phébus, offrez des têtes à Adès, et à son père des hommes ( g-phohta)".
Ils acceptèrent ce sort; et après avoir longtemps erré, ils abordèrent dans le Latium, et découvrirent une île née dans le lac Cutyliensis. Ce fut d'abord une large étendue de gazon, ou plutôt une alluvion de marais, coagulée par la réunion de broussailles et d'arbres qui, agglomérés ensemble et enlacés au hasard, erraient battus par les flots; de la même sorte qu'on peut le croire de l'île de Délos, qui flottait sur les mers, quoique couverte de montagnes élevées et de vastes plaines. Ayant donc aperçu ce prodige, les Pélasges reconnurent le pays qui leur avait été prédit; ils dépouillèrent les habitants de la Sicile, s'emparèrent de leur pays; et, après avoir consacré la dixième partie de leur butin à Apollon, conformément à sa réponse, ils élevèrent à Dis (Pluton) un petit temple, à Saturne un autel, et la fête de cette fondation fut appelée les Saturnales. On rapporte qu'ils crurent longtemps honorer Dis en lui offrant des têtes d'hommes, et Saturne en lui offrant des victimes humaines, à cause de ces mots de l'oracle : "Offrez des têtes à Adès, et à son père des hommes, (g-phohta)". Mais Hercule, passant par l'Italie en ramenant le troupeau de Géryon, persuada à leurs descendants de changer ces sacrifices funestes en d'autres plus propices, en offrant à Pluton, non des têtes d'hommes, mais de petits simulacres de têtes humaines, et en honorant les autels de Saturne, non par des sacrifices humains, mais en y allumant des flambeaux; attendu que le mot g-phohta signifie non seulement homme, mais aussi flambeau. De là vint la coutume de s'envoyer, pendant les Saturnales, des flambeaux de cire.
Il en est cependant qui pensent que cette dernière coutume provient, uniquement de ce que, sous le règne de Saturne, les hommes furent évoqués des ténèbres d'une vie inculte à ce qu'on peut appeler la lumière de la connaissance des arts utiles. Je trouve aussi dans certains écrits que comme plusieurs personnes, à l'occasion des Saturnales, arrachaient par avarice des présents à leurs clients, fardeau qui devenait onéreux pour les gens d'une modique fortune, le tribun du peuple Publicius décréta qu'on ne devait envoyer aux gens plus riches que soi que des flambeaux de cire.
- Varro De Sacris aedibus, lib. VI, ap. Macrob. lib. I, 8. Il reste maintenant quelque chose à dire du temple même de Saturne. J'ai lu que Tullus Hostilius, ayant triomphé deux fois des Albins et une fois des Sabins, consacra, par suite d'un voeu, un temple à Saturne, et que c'est alors, pour la première fois, que furent instituées à Rome les Saturnales. Cependant Varron, dans son sixième livre, qui traite des édifices sacrés, dit que ce fut le roi L. Tarquin qui passa un marché pour la construction d'un temple de Saturne dans le forum, et que le dictateur T. Largius le consacra pendant les Saturnales.

Gerlach. de Lucilii vita et satira, Turici, 1846, p. XCV, fait venir la Satyre des Saturnales en montrant l'analogie de ce mot avec le vers Saturnin, habituel aux satyres primitives.

(11)  Plaut. Rudens, act. II, sc. 6, vers 51.

Quid si aliquo ad ludos me pro manduco locem?
Et si je m'engageais chez un entrepreneur de jeux pour faire le croquemitaine ?

Festus, voc. Manducus

MANDUCUS. Dans les fêtes des anciens on avait coutume de porter avec d'autres figures ridicules et effroyable, la figure d'une sorte d'épouvantail auquel on donnait une grande mâchoire, une bouche énormément fendue et qui faisait un grand bruit avec les dents : c'est à cette figure que Plaute fait allusion lorsqu'il dit : Quid si ad ludos me pro manduco locem? Quapropter? Clare crepito dentibus.

(12) Festus, voc. Petreia et Citeria.

PETREIA. On appelait ainsi une femme qui, dans les colonies ou dans les municipes, marchait en avant de la procession, en imitant une vieille femme ivre, et on lui donnait ce nom d'après les inconvénients des champs, c'est-à-dire d'après les pierres.
PETREIA. On appelait ainsi une femme qui, dans les colonies ou dans les municipes, marchait en avant d'une procession, en imitant une vieille femme ivre, et on lui donnait ce nom d'après les inconvénients des champs, c'est-à-dire les pierres.... de petites épines. C. Gracchus.... je me tournerai vers elle.... plus imprudent....

CITERIA, sorte de marionnette que l'on faisait parler, et qui servait d'interprète à de malicieuses plaisanteries. On la portait avec une certaine pompe dans les fêtes. Caton, dans son discours contre Cécilius, dit, en s'adressant à son adversaire : Quid ego cum illo dissertem amplius, quem ego denique credo in pompa vectitatum ire ludis pro citeria, atque cum spectatoribus sermocinaturum ?"

 Peut-être les Manies à la face enfarinée y figuraient aussi. Voir id, voce Maniae.

MANIAE. Petites figures de pâte, auxquelles on donne la forme de personnages; mais on les fait difformes; d'autres les appellent maniolae : les maniae dont les nourrices menacent les petits enfants, sont les larves, c'est-à-dire les mânes, que l'on croyait être des dieux et des déesses, et qui, disait-on, revenaient des enfers sur la terre. On a fait de Mania la mère ou l'aïeule des larves.
MANIAE
. Mius Stilo appelle ainsi certaines figures de pâte auxquelles on donne la forme humaine, mais une forme laide et hideuse ; d'autres les appellent Maniolae. Quant aux Maniae dont les nourrices menacent les petits enfants, il dit que ce sont les Larves, c'est-à-dire les Mânes, dieux et déesses, ainsi appelés, soit parce qu'ils se coulent des enfers sur la terre, soit parce que Mania est leur aïeule maternelle : car les auteurs se partagent entre ces deux opinions.

(13) T. Liv., IV, 53. 

(11) La haine que le peuple et l'armée portaient au consul s'en accrut; aussi, lorsque, en vertu d'un sénatus-consulte, le consul fit son entrée dans la ville avec les honneurs de l'ovation, il fut assailli de ces chants à refrains alternés, grossière inspiration de la licence militaire. (12) Dans ces mêmes chants où l'on attaquait le consul, on célébrait les louanges du tribun Ménénius : chaque fois que son nom était prononcé, la foule environnante répondait par des applaudissements et des acclamations aux cris des soldats.

 Cf. Denys Halic., II, 34.

Voir pour les triomphes : T. Liv., IV, 20.

Après une victoire aussi complète, le dictateur, en vertu d'un sénatus-consulte, sanctionné par le peuple, rentra dans la ville en triomphe. Le plus bel ornement de cette cérémonie fut Cossus, qui portait les dépouilles du roi qu'il avait tué. Les soldats, dans les chansons naïves qu'ils avaient composées à sa louange, le comparaient à Romulus. Par une dédicace solennelle, il consacra ces dépouilles dans le temple de Jupiter Férétrien, auprès de celles que Romulus y avaient déposées, et qui étaient les premières et les seules jusqu'alors qui eussent mérité le titre d'opimes. Il attirait les regards plus que le char du dictateur, et il recueillit presque tout l'honneur de cette fameuse journée. Le dictateur fit faire, par l'ordre du peuple, aux dépens du trésor public, une couronne d'or, du poids d'une livre, qu'il offrit dans le Capitole à Jupiter.

V. 49. 

(7) Le dictateur (Camille), après avoir recouvré Rome sur l'ennemi, revint en triomphe dans la ville; et au milieu des naïves saillies que les soldats improvisent, ils l'appellent Romulus, et père de la patrie, et second fondateur de Rome : titres aussi glorieux que mérités.

VII, 10.

 Les Romains s'élancent joyeux de leur poste au devant de leur soldat, et, le louant, lui faisant fête, le conduisent au dictateur. Au milieu des chants grossiers et des saillies de leur gaité militaire, on entendit retentir le surnom de Torquatus, qui, partout accueilli, fit plus tard la gloire de ses descendants et de sa famille.

et 83.

X, 30. 

Les soldats suivaient le triomphateur. Leurs chants sans art célébrèrent, autant que la victoire de Quintus Fabius, la mort magnifique de Publius Decius, et rappelèrent la mémoire du père, la mettant, pour les résultats publics et privés de sa conduite, aussi haut que la gloire du fils.

Plin., XIX, 8.

Suet, J. Cesar, 49. 

Enfin, le jour où il célébra son triomphe sur les Gaules, les soldats, parmi les chansons satiriques dont ils ont coutume d'égayer la marche du triomphateur, chantèrent aussi ce couplet fort connu:
César a soumis les Gaules, Nicomède a soumis César:
Vous voyez aujourd'hui triompher César qui a soumis les Gaules,
Mais non point Nicomède qui a soumis César.

 Plutarch. Paul Emil., 22. - Bernstein : Versus ludicri in Rom. Caesares. Halae. 1810.

(14)  Denys Halic., VIII, 72.

Cf. Sueton. Tiber., 57. 

En voyant passer un convoi, un plaisantin chargea tout haut le mort d'annoncer à Auguste que l'on n'avait pas encore payé les legs que ce prince avait faits au peuple romain. Tibère se fit amener le plaisantin, s'acquitta envers lui, et l'envoya au supplice en lui recommandant d'aller dire la vérité à son père.

Vespasian., 19. 

À ses funérailles, le premier pantomime nommé Favor, qui représentait l'empereur et contrefaisait, selon la coutume, ses paroles et ses gestes, demanda publiquement aux gens d'affaires combien coûtaient le convoi et les obsèques. Comme ils répondirent: "Dix millions de sesterces", il s'écria: "Donnez-m'en cent mille, et jetez-moi ensuite dans le Tibre."

(15) Virg., Eclog. v. vers 73 :

Saltantes Satyros imitabitur Alphesibaeus.
et Alphésibée imitera la danse légère des Satyres.

- Cette danse des Satyres et des autres personnages mythologiques est devenue familière, sous Auguste, chez les bergers et ailleurs. Voir Horace, Epist. II, 2, 124:

Ludentis speciem dabit et torquebitur, ut qui
Nunc Satyrum nunc agrestem Cyclopa movetur.
aura l'air de se jouer et se tourmentera comme celui qui représente tantôt le Satyre, tantôt l'agreste Cyclope.

Et ailleurs, Sat., 1, 5, 63 :

Pastorem saltaret uti Cyclopa rogabat.
Sarmentus le priait de danser le Cyclope

Cf. Pers. Sat. V. 123, et Patin, Études sur les Tragiques grecs, tom. III. p. 482.

(16) Marius Victorin., IV, p. 2591, édit. Pustch

Agite, fugite, quatite Satyri.

Virg., loc. cit

Ovid. Pontic. IV, 16 35. 

Alors, pendant que Varus et Gracchus faisaient parler les tyrans inhumains, que Proculus suivait la pente si douce, tracée par Callimaque, que Tityre conduisait ses troupeaux dans les champs de ses pères, et Gratius donnait des armes au chasseur, que Fontanus chantait les Naïades aimées des Satyres, que Capella modulait des strophes inégales, que beaucoup d'autres, qu'il serait trop long de nommer, et dont les vers sont entre les mains de tout le monde, s'exerçaient alors dans la poésie.

(17) Athen. Deipnosoph., VI. p. 261, C.

Plutarch., Sylla, chap. 36. 

La société d’une si belle femme ne l’empêcha point de continuer à vivre avec des comédiennes, des ménétrières, des musiciens, et de boire avec eux dès le matin, couché sur de simples matelas. Les personnes qui avaient alors le plus de crédit auprès de lui, c’étaient le comédien Roscius, l’archimime Sorix, et Métrobius, qui jouait les rôles de femme. Quoique celui-ci fût déjà vieux, Sylla l’aimait toujours, et n’avait pas honte de l’avouer.

(18) Horat., Epist. ad Pison, 225-250. 

[220] Celui qui, pour un vil bouc, disputa le prix du poème tragique, montra ensuite les Satyres dans leur rustique nudité, et fit l'essai, sans nuire à la gravité de la tragédie, d'un jeu plus rude: il fallait, par le charme d'une agréable nouveauté, retenir le spectateur après le sacrifice et les copieuses libations où il laissait sa raison. Mais on doit présenter ces satyres rieurs et bavards et mêler le plaisant au sérieux, sans aller jusqu'à conduire dans une sombre taverne, au milieu de gens au langage grossier, un dieu ou un héros qu'on vient de voir couvert, comme un roi, d'or et de pourpre. Cependant, pour éviter de ramper, il ne faut pas se perdre dans les nuages. Il ne convient pas à la tragédie de débiter des vers sans dignité, comme une dame, qui, un jour de fête, danse pour remplir un devoir religieux; elle ne fréquentera qu'avec une certaine réserve les Satyres effrontés. Pour moi, chers Pisons, si j'écrivais un drame satyrique, je ne me bornerais pas à l'expression simple et au mot propre, et je ne travaillerais pas simplement à proscrire le ton de la tragédie, en donnant à Dave et à l'effrontée Pythias, quand elle fait cracher un talent au vieux Simon son maître, le même langage qu'à Silène, nourricier, gardien et serviteur de Bacchus. Je prendrais dans la langue courante les éléments dont je façonnerais celle de mes vers; si bien que tout le monde croirait pouvoir en faire autant, mais verrait à l'expérience que les efforts pour y réussir n'aboutissent pas toujours: tant a d'importance le choix et l'arrangement des termes, tant peuvent prendre d'éclat des expressions empruntées au vocabulaire ordinaire! Les Faunes ne doivent pas, à mon sens, au sortir de leurs forêts, imiter les habitués des carrefours ou ceux du forum; ils n'ont pas à tenir, comme de jeunes poseurs, des propos délicats ou, inversement, se faire remarquer par un langage obscène et dégoûtant. Ce serait le moyen de choquer les chevaliers, les hommes libres, les riches; et les applaudissements des mangeurs de noix et de pois chiches ne leur vaudraient ni la faveur du public, ni la couronne.

- Lydus de Magistr., Rom., édit. Hase, I, p. 70 : Mey' ön ( „RÛnyvna)... oß neÅteroi.. toÝw m¢n „RÛnyvnoiw m¡troiw xrhs‹menoi ... t¯n saturik¯n ¤kr‹tunan komÄdÛan.

(19)  Vitruv. de Architec,, V. 8. VIII. 

Des théâtres des Grecs. Les théâtres des Grecs ne sont point en tout conformes à ceux des Latins. Dans le cercle tracé sur la terre, les Latins décrivent quatre triangles; les Grecs, eux, y figurent trois carrés, dont les douze angles vont toucher la ligne circulaire. Le côté du carré, qui est le plus près de la scène et qui fait une section dans le cercle, détermine le devant du proscenium. Une ligne parallèle à ce côté et tracée à l'extrémité du cercle, constitue le front de la scène. On tire encore une autre ligne qui, passant par le centre de l'orchestre, suit la direction de celle du proscenium; les points où coupant à droite et à gauche la circonférence elle forme deux angles dans chaque hémicycle, deviennent deux centres. En appuyant la pointe d'un compas au centre droit, on trace une ligne courbe, de l'intervalle gauche au côté droit du proscenium. En posant également un compas à l'angle gauche, on trace une autre ligne courbe depuis l'intervalle droit jusqu'au côté gauche du proscenium.
Ces trois centres, par leur disposition, donnent à l'orchestre des Grecs plus d'étendue, éloignent la scène et rétrécissent l'avant-scène qu'ils appellent
logeÝon; de sorte que, chez eux, les acteurs tragiques et les comiques jouent sur la scène, tandis que les autres se distribuent dans l'orchestre pour remplir leur rôle. Voilà pourquoi, en grec, les uns sont appelés scéniques, et les autres thyméléens. La hauteur de cette avant-scène ne doit point être de moins de dix pieds ni de plus de douze. Les escaliers qui séparent les amas de degrés, seront alignés au droit des angles des carrés, jusqu'au premier palier; du milieu de ces amas de degrés, on dirigera les escaliers de ceux qui seront au-dessus de ce palier; et plus les paliers se multiplieront, plus les amas de degrés iront en s'élargissant.
Après être entré dans ces détails avec soin et exactitude, nous devons maintenant porter toute notre attention sur le choix à faire d'un lieu où la voix puisse régulièrement se développer, sans que rien la repousse, la heurte et l'empêche d'apporter à l'oreille les paroles bien accentuées. Et il est quelques lieux qui s'opposent naturellement aux sons de la voix : tels sont les dissonants, que les Grecs appellent kathxoèntew; les circonsonnants, qu'ils nomment
perihxoèntew; les résonnants, qu'il appellent Žnthxoèntew; les consonnants, qu'ils nomment sunhxoèntew. Les lieux dissonants sont ceux dans lesquels la première partie de la voix, venant à rencontrer, en s'élevant, des corps solides qui la repoussent, étouffe en retombant l'autre qui la suit.
Les circonsonnants sont ceux dans lesquels la voix, gênée dans son développement, se brise en chemin, sans arriver à toute son extension, et s'éteint en ne faisant entendre que des paroles inarticulées. Les résonnants sont ceux dans lesquels la voix, répercutée par un corps solide, rebondit en quelque sorte, et, reproduisant son image, répète les derniers sons à l'oreille. Mais les consonnants sont ceux qui, venant tout d'abord en aide à la voix, l'augmentent à mesure qu'elle monte, et la conduisent jusqu'à l'oreille, claire et distincte. Si donc dans le choix des lieux on apporte une scrupuleuse attention, la voix, ménagée avec prudence, produira dans les théâtres les meilleurs effets.
La disposition du plan des théâtres présentera des caractères qui les feront distinguer entre eux; ceux qui seront dessinés avec des carrés appartiendront aux Grecs; ceux qui le seront avec des triangles équilatéraux seront pour les Latins. Celui qui voudra suivre ces préceptes ne laissera rien à désirer dans l'ordonnance des théâtres.

(20« Haec quae satyra dicitur ejusmodi fuit ut in ea quamvis duro et agresti loto (Casaubon a corrigé à tort par joco) de vitiis civium... carmen esses. - Voir Magnin, loc. cit., p. 295, ce qu'il dit des détails analogues fournis par Placidius et Winckelmann.
(21) Munk., de Fabulis Atellanis. Lipske, 1810, in-8, p. 82.

(22
Voir plus haut Den. Halic. et Virg., loc. cit.
(23)
Horace, Epist. II, 139-155, ne parle pas de danse.
Virg., Géorgiq. II, 385, ne dit point que les Ausoniens aient dansé en chantant leurs vers désordonnés.

(24
Macrob., Satur. II, 10. - Cf. Plaut., Persa, act. V; sc. 2, vers 43. 

Je ne puis m’empêcher, marchand, de te danser le pas que dansait autrefois Hégéas.

(25Virg., Georg. I, 350. 

que tout le choeur et tes compagnons l'accompagnent avec allégresse et appellent par leurs cris Cérès dans ta demeure; et que personne enfin ne porte la faucille sur les épis mûrs avant d'avoir en l'honneur de Cérès, les tempes ceintes d'une couronne de chêne, célébré les danses sans art et chanté les cantiques

(26Horat., sat. I, VII, 28. 

ll se ruait comme un fleuve hivernal là où la cognée est rarement nécessaire. Alors le praenestin, rude et indompté vendangeur, répond par des invectives à ce torrent d'amères injures, ainsi que, du milieu des vignes, il a souvent fait taire le passant appelant à haute voix le coucou.

Cf. id. I, V, 51, sqq. 

Maintenant, Muse, rappelle-moi en peu de mots le combat de Sarmentus le bouffon et de Messius Cicirrus, et de quels pères étaient nés les deux combattants

(27) Donat Prolegom. Terentii.
(28)
Porphyrio in Horat., sat. I, 1 : Lanx plena diversis frugibus..., saturae nomine appellatur. Ergo et hoc carmen propterea saturam appellaverunt quia multis et variis rebus refertum est. - Cr. Casaub. de Satyric. Graeca poesi et Roman. Satir. Paris, Drouart, 1605, in-8, p. 319, 323-24. - Lucilius, Corpet, I, fragm. 9.:

Per Satyram aedilem factum qui legibus solvat.

(29) Diomed., liv. III, édit. Putsch., p. 1182.
(30) Tite-Liv., VII, 2. II. 

Cette année et l'année suivante, sous le consulat de C. Sulpicius Péticus et de C. Licinius Stolon, la peste continua. Il ne se fit rien de mémorable, sinon que, pour demander la paix aux dieux, on célébra, pour la troisième fois depuis la fondation de la ville, un lectisterne : mais, comme rien ne calmait encore la violence du mal, ni la sagesse humaine, ni l'assistance divine, la superstition s'empara des esprits, et l'on dit qu'alors, entre autres moyens d'apaiser le courroux céleste, on imagina les jeux scéniques : c'était une nouveauté pour ce peuple guerrier qui n'avait eu d'autre spectacle que les jeux du Cirque. Au reste, comme presque tout ce qui commence, ce fut chose simple , et même étrangère. Point de chant, point de gestes pour les traduire : des bateleurs, venus d'Étrurie, se balançant aux sons de la flûte, exécutaient, à la mode toscane, des mouvements qui n'étaient pas sans grâce. Bientôt la jeunesse s'avisa de les imiter, tout en se renvoyant en vers grossiers de joyeuses railleries ; et les gestes s'accordaient assez avec la voix. La chose une fois accueillie se répéta souvent et prit faveur. Comme on appelait "hister", en langue toscane, un bateleur, on donna le nom d'histrions aux acteurs indigènes, qui, ne se lançant plus comme d'abord ce vers pareil au fescennin, rude et sans art, qu'ils improvisaient tour-à-tour, représentaient dès lors des satires pleines de mélodie, avec un chant réglé sur les modulations de la flûte, et que le geste suivait en mesure.
Quelques années après, Livius, laissant la satire, osa le premier lier d'une intrigue une action suivie; il était, comme alors tous les auteurs, l'acteur de ses propres ouvrages : souvent redemandé, il fatigua sa voix, mais il obtint, dit-on, la faveur de placer devant le joueur de flûte un jeune esclave qui chanterait pour lui; et il joua son rôle, ainsi réduit, avec plus de vigueur et d'expression , car il n'avait plus souci de ménager sa voix. Depuis ce temps, l'histrion eut sous la main un chanteur, et dut réserver uniquement sa voix pour les dialogues. Soumis à cette loi, le théâtre perdit sa libre et folâtre gaité ; par degrés, le divertissement devint un art; la jeunesse alors, abandonnant le drame au jeu des histrions, reprit l'usage de ses antiques et bouffonnes scènes, cousues de vers, et qui plus tard, sous le nom d'exodes, se rattachèrent de préférence aux fables atellanes. Ce genre de divertissement qu'elle avait reçu des osques, la jeunesse se l'appropria, et ne le laissa point profaner aux histrions. Depuis lors, il demeure établi que les acteurs d'Atellanes, étrangers, pour ainsi dire, à l'art du comédien, ne sont exclus ni de la tribu ni du service militaire.
Parmi les faibles commencements d'autres institutions, j'ai cru pouvoir aussi placer la première origine de ces jeux, afin de montrer combien fut sage en son principe ce théâtre, arrivé aujourd'hui à une si folle magnificence, que l'opulence d'un royaume y suffirait à peine.

Cf. Valer. Maxim., II, 4. 

Des spectacles : 1. Des institutions militaires, il faut passer tout de suite après à ces camps établis au milieu de la ville, je veux dire nos théâtres, car bien souvent, ils ont aligné en bataille rangée des troupes pleines d'ardeur et l'on a vu ces jeux, imaginés pour honorer les dieux et divertir les hommes, souiller, à la honte de la paix, du sang des citoyens les fêtes et la religion pour d'étranges fictions dramatiques. 2. La construction du premier théâtre fut entreprise par les censeurs Messala et Cassius. Mais, sur la proposition de P. Scipion Nasica, le sénat décida de faire vendre à l'encan tous les matériaux préparés pour cet ouvrage. En outre, un sénatus-consulte défendit, dans Rome et à moins d'un mille, de mettre des sièges dans le théâtre et d'assister assis aux représentations. C'était sans doute pour associer à un délassement de l'esprit cette endurance à rester debout qui est un trait particulier de la race romaine. (Ans de R. 599, 603.) 3. Pendant cinq cent cinquante-huit ans, les sénateurs assistèrent aux jeux publics pêle-mêle avec le peuple. Mais cet usage fut aboli par les édiles Atilius Serranus et L. Scribonius. Aux jeux qu'ils célébrèrent en l'honneur de la mère des dieux, ils assignèrent, conformément à l'avis du second Scipion l'Africain, des places séparées au sénat et au peuple. Cette mesure indisposa la multitude et ébranla singulièrement la popularité de Scipion. (An de R. 559.) 

Je vais maintenant remonter à l'origine des jeux publics et rappeler ce qui fut l'occasion de leur établissement. Sous le consulat de C. Sulpicius Peticus et de C Licinius Stolon, une peste d'une extrême violence avait détourné notre république des entreprises guerrières et l'avait accablée sous le poids de l'inquiétude que le mal causait à l'intérieur du pays. L'on ne voyait plus de ressource que dans un culte religieux d'une forme nouvelle et rare. On n'attendait plus rien d'aucune science humaine. Pour apaiser la divinité l'on composa donc des hymnes et le peuple écouta ces chants avidement, car jusqu'alors il s'était contenté des spectacles du cirque que Romulus célébra pour la première fois en l'honneur du dieu Consus, lors de l'enlèvement des Sabines. Mais l'habitude qu'ont les hommes de s'attacher à développer les choses faibles en leur commencement fit qu'aux paroles de respect envers les dieux la jeunesse, qui aime à s'ébattre sans art et sans règle, ajouta des gestes. Cela fournit l'occasion de faire venir d'Étrurie un pantomime dont la gracieuse agilité, imitée des antiques Curètes et des Lydiens, d'où les Etrusques tirent leur origine, charma par son agréable nouveauté les yeux des Romains. Et, comme le pantomime se nommait hister dans la langue étrusque, le nom d'histrion fut donné à tous les acteurs qui montent sur la scène. (An de R. 390.) Puis l'art scénique en vint insensiblement à la forme de la satura. Le poète Livius sut le premier en détourner l'attention du spectateur pour l'intéresser à l'intrigue d'oeuvres dramatiques. Cet auteur jouait lui-même ses pièces ; mais à force d'être redemandé par le public, il fatigua sa voix. Alors, grâce au concours d'un chanteur et d'un joueur de flûte, il se contenta de faire des gestes en silence. Quant aux acteurs d'atellanes, on les fit venir de chez les Osques. Ce genre de divertissement est tempéré par la gravité romaine, aussi ne déshonore-t-il pas les acteurs, car il ne les fait pas exclure de l'assemblée des tribus ni écarter du service militaire. 5. Les jeux publics en général révèlent par leur nom même leur origine, mais il n'est pas hors de propos d'exposer ici celle des jeux séculaires qui est moins connue. Pendant une violente épidémie qui ravageait la ville et le territoire, un riche particulier du nom de Valesius, qui vivait à la campagne, voyait ses deux fils et sa fille malades, au point que les médecins eux-mêmes en désespéraient. Allant prendre pour eux de l'eau chaude à son foyer, il se mit à genoux et conjura ses dieux lares de détourner sur sa propre tête le danger qui menaçait ses enfants. Alors se fit entendre une voix lui disant qu'il les sauverait en les transportant aussitôt, par la voie du Tibre, à Tarente et en les réconfortant à cet endroit avec de l'eau prise à l'autel de Pluton et de Proserpine. Cette recommandation l'embarrassa beaucoup, car on lui prescrivait une navigation longue et périlleuse. Cependant une vague espérance triompha en lui de cette vive appréhension et tout de suite il transporta ses enfants au bord du Tibre : il habitait en effet une maison de campagne près du village d'Érète, au pays des Sabins. De là, s'embarquant pour Ostie, il aborda au milieu de la nuit au Champ de Mars. Comme il désirait soulager la soif de ses malades et qu'il n'avait pas de feu dans sa barque, celui qui la conduisait l'avertit qu'à peu de distance de là on voyait de la fumée. Cet homme l'ayant fait descendre à Tarente (tel est le nom de ce lieu), il s'empressa de prendre un vase, puisa de l'eau au fleuve et, déjà plus content, la porta à l'endroit d'où l'on avait vu s'élever de la fumée, croyant avoir trouvé tout près de là et comme en suivant une trace, le remède indiqué par les dieux. Sur ce sol qui fumait plutôt qu'il ne contenait un reste de feu, s'attachant fermement à ce signe plein de promesses, il rassembla de légères matières combustibles que le hasard lui avait présentées et, à force de souffler il en fit jaillir une flamme, fit chauffer son eau et la donna à boire à ses enfants. Ceux-ci, après l'avoir bue, s'endormirent d'un sommeil salutaire et furent tout à coup délivrés d'une si longue et si violente maladie. Ils racontèrent à leur père qu'ils avaient vu en songe je ne sais quel dieu qui leur essuyait le corps avec une éponge, en leur prescrivant d'immoler des victimes noires devant l'autel de Pluton et de Proserpine, d'où cette eau leur avait été apportée, et d'y célébrer des banquets sacrés avec des jeux nocturnes. Comme Valérius n'avait point aperçu d'autel dans cet endroit, il crut qu'on lui demandait d'en élever un. Il alla donc à Rome pour en acheter un, laissant sur place des gens chargés de creuser la terre jusqu'au tuf pour y construire de solides fondations. En conséquence des ordres de leur maître, ceux-ci creusèrent le sol jusqu'à une profondeur de vingt pieds et aperçurent alors un autel avec cette inscription : à Pluton et à Proserpine. Sur l'avis qu'un esclave lui apporta de cette découverte, Valesius renonça à son projet d'acheter un autel. Prenant des victimes noires qu'autrefois on appelait "sombres", il les immola sur ce lieu nommé Tarente et célébra des jeux et un banquet sacré pendant trois nuits consécutives, c'est-à-dire en nombre égal à celui des enfants qui lui avaient ainsi été sauvés d'un danger de mort. A son exemple, Valérius Publicola, qui fut l'un des premiers consuls, cherchant du soulagement pour ses concitoyens, vint auprès du même autel et, au nom de la république, fit, en même temps que des vœux solennels, un sacrifice de taureaux noirs à Pluton, de génisses noires à Proserpine, un banquet sacré et des jeux qui durèrent trois nuits. Puis il fit recouvrir l'autel de terre, dans l'état où il était auparavant. (An de R. 249.) 6. Avec l'accroissement des richesses, la magnificence s'étendit à la célébration des jeux. Sous cette influence et à l'imitation du luxe campanien, Q. Catulus le premier mit l'assemblée des spectateurs à l'ombre d'un vélum. Cn. Pompée, avant tout autre, fit courir de l'eau sur les passages pour atténuer la chaleur de l'été. Cl. Pulcher fit décorer de peintures variées le mur de fond de la scène qui jusque-là était formé de simples lambris de bois nu. C. Antonius le fit revêtir d'un bout à l'autre d'ornements d'argent, Pétréius de dorures et Q. Catulus d'ivoire. Les Lucullus rendirent le décor de fond mobile sur pivot. P. Lentulus Spinther y ajouta une décoration faite d'accessoires de théâtre ornés d'argent. Quant aux figurants de la "pompe" des jeux, que l'on avait auparavant vêtus de tuniques de pourpre, M. Scaurus les fit paraître sous un costume d'une extrême élégance. 7. Le premier spectacle de gladiateurs offert à Rome fut donné sur la place aux Bœufs, sous le consulat d'Appius Claudius et de M. Fulvius. Il fut donné par Marcus et Décimus, fils de Brutus, pour rendre les honneurs funèbres aux restes de leur père. (An de R. 489.) Quant aux combats d'athlètes, on les dut à la munificence de M. Scaurus. (An de R. 695.)

Orose, III, 4

Augustin. de Civit. Dei, II, 9. 

Si l’on veut savoir ce que pensaient à cet égard les anciens Romains, il faut consulter Cicéron qui, dans son traité De la République, fait parler Scipion en ces termes : « Jamais la comédie, si l’habitude des moeurs publiques ne l’avait autorisée, n’aurait pu faire goûter les infamies qu’elle étalait sur le théâtre » . Les Grecs du moins étaient conséquents dans leur extrême licence, puisque leurs lois permettaient à la comédie de tout dire sur tout citoyen et en l’appelant par son nom. Aussi, comme dit encore Scipion dans le même ouvrage: « Qui n’a-t-elle pas atteint? Ou plutôt, qui n’a-t-elle pas déchiré? A qui fit-elle grâce? Qu’elle ait blessé des flatteurs populaires, des citoyens malfaisants, séditieux, Cléon, Cléophon, Hyperbolus, à la bonne heure; bien que, pour de tels hommes, la censure du magistrat vaille mieux que celle du poète. Mais que Périclès, gouvernant la république depuis tant d’années avec le plus absolu crédit, dans la paix ou dans la guerre, soit outragé par des vers, et qu’on les récite sur la scène, cela n’est pas moins étrange que si, parmi nous, Plaute et Névius se fussent avisés de médire de Publius et de Cnéus Scipion, ou Cécilius de Caton». Et il ajoute un peu après « Nos lois des douze Tables, au contraire, si attentives à ne porter la peine de mort que pour un bien petit nombre de faits, ont compris dans cette classe le délit d’avoir récité publiquement ou d’avoir composé des vers qui attireraient sur autrui le déshonneur et l’infamie; et elles ont sagement décidé; car notre vie doit être soumise à la sentence des tribunaux, à l’examen légitime des magistrats, et non pas aux fantaisies des poètes; et nous ne devons être exposés à entendre une injure qu’avec le droit d’y répondre et de nous défendre devant la justice ». Il est aisé de voir combien tout ce passage du quatrième livre de la République de Cicéron, que je viens de citer textuellement (sauf quelques mots omis ou modifiés), se rattache étroitement à la question que je veux éclaircir. Cicéron ajoute beaucoup d’autres réflexions, et conclut en montrant fort bien que les anciens Romains ne pouvaient souffrir qu’on louât ou qu’on blâmât sur la scène un citoyen vivant. Quant aux Grecs, qui autorisèrent cette licence, je répète, tout en la flétrissant, qu’on y trouve une sorte d’excuse, quand on considère qu’ils voyaient leurs dieux prendre plaisir au spectacle de l’infamie des hommes et de leur propre infamie, soit que les actions qu’on leur attribuait fussent de l’invention des poètes, soit qu’elles fussent véritables ; et plût à Dieu que les spectateurs n’eussent fait qu’en rire, au lieu de les imiter! Au fait, c’eût été un peu trop superbe d’épargner la réputation des principaux de la ville et des simples citoyens, pendant que les dieux sacrifiaient la leur de si bonne grâce.

- Tacit., Ann., IV, 4 et XIV. 21. 

"Nos ancêtres, disaient-ils, ne s'étaient pas refusé plus que nous le délassement des spectacles, et ils en avaient de conformes à leur fortune : c'est ainsi que des Étrusques ils avaient pris les histrions, des Thuriens les courses de chevaux. Maîtres de la Grèce et de l'Asie, ils avaient donné plus de pompe à leurs jeux, sans qu'aucun Romain de naissance honnête se fût abaissé jusqu'aux arts de la scène, pendant les deux siècles écoulés depuis le triomphe de Mummius, qui le premier avait montré à Rome ces spectacles nouveaux. C'était au reste par économie qu'on avait bâti un théâtre fixe et durable, au lieu de ces constructions éphémères que chaque année voyait s'élever à grands frais. Plus de nécessité aux magistrats d'épuiser leur fortune à donner des spectacles grecs, plus de motifs aux cris du peuple pour en obtenir des magistrats, lorsque l'Etat ferait cette dépense. Les victoires des poètes et des orateurs animeraient les talents et quel juge, enviant à son oreille un plaisir légitime, serait fâché d'assister à ces nobles exercices de l'esprit ? C'était à la joie, bien plus qu'à la licence, que l'on consacrait quelques nuits en cinq ans, nuits éclairées de tant de feux, qu'elles n'auraient plus d'ombres pour cacher le désordre." Il est certain que cette fête passa sans laisser après elle aucune éclatante flétrissure. Le peuple même ne se passionna pas un instant. C'est que les pantomimes, quoique rendus à la scène, n'étaient pas admis dans les jeux sacrés. Personne ne remporta le prix de l'éloquence ; mais Néron fut proclamé vainqueur. L'habillement grec, avec lequel beaucoup de personnes s'étaient montrées pendant la durée des fêtes, fut quitté aussitôt.

(31) Tit.-Liv., 1, 35. 

Il (Tarquin) fit implanter à ce moment-là le cirque appelé aujourd'hui Circus Maximus. Les sénateurs et chevaliers se virent octroyer des emplacements pour y construire leurs loges. Ils assistèrent au spectacle dans ces loges soutenues à douze pieds du sol par des étançons. On donna un jeu public où se produisirent des chevaux de course, des boxeurs aussi, venus surtout d'Etrurie. Par la suite on continua à célébrer annuellement ces jeux solennels, appelés Jeux Romains mais aussi Grands Jeux.

Cf. id. I, 56. 

(Tarquin le Superbe) la mise en place des gradins dans le cirque

(32) Ou Opiques, voir Festus, voc. Osci. 

OSCI. Verrius dit que ceux que nous appelons Osques étaient autrefois appelés Opsques ; témoin Ennius, lorsqu'il dit : De muris rem gerit Opscus. Il ajoute aussi que la fornication et les voluptés illicites sont appelées obscènes, parce que l'usage en est venu de ces peuples. Je ne suis pas bien persuade que ceci soit vrai, parce que presque tous les anciens donnent l'épithète d'obscena aux choses qui étaient regardées comme de mauvais présage ; on en trouve la preuve (pour nous dispenser de citer des exemples d'écrivains antérieurs), dans ces mots de Virgile : Harpyias obscenas volucres ; et Obscenamque famem.

(33)  Diomed., III, p. 487.
(34) Festus, loc.
Cf. Horat., sat, I, v, 52, sqq. 

Muse, rappelle-moi en peu de mots le combat de Sarmentus le bouffon et de Messius Cicirrus, et de quels pères étaient nés les deux combattants. La race de l'Osque Messius est illustre;

Plaute., Truc., v. 50.

(35) Schlegel, Littérat, dram., II, p. 4-9, traduct, française, édit. Cherbuliez.
(36) Cicer. Fragm. apud August. De civit. Dei, II, 12, 13.

CHAPITRE XII.
LES ROMAINS, EN INTERDISANT AUX POËTES D’USER CONTRE LES HOMMES D’UNE LIBERTÉ QU’ILS LEUR DONNAIENT CONTRE LES DIEUX, ONT EU MOINS BONNE OPINION DES DIEUX QUE D’EUX-MÊMES. Les Romains ont tenu à cet égard une conduite toute différente, comme s’en glorifie Scipion dans le dialogue déjà cité De la République. Loin de consentir à ce que leur vie et leur réputation fussent exposées aux injures et aux médisances des poètes, ils prononcèrent la peine capitale contre ceux qui oseraient composer des vers diffamatoires. C’était pourvoir à merveille au soin de leur honneur, mais c’était aussi se conduire envers les dieux d’une façon bien superbe et bien impie ; car enfin ils voyaient ces dieux supporter avec patience et même écouter volontiers les injures et les sarcasmes que leur adressaient les poètes, et, malgré cet exempte, ils ne crurent pas de leur dignité de supporter des insultes toutes pareilles ; de sorte qu’ils établirent des lois pour s’en garantir au moment même où ils permettaient que l’outrage fît partie des solennités religieuses. O Scipion ! comment pouvez-vous louer les Romains d’avoir défendu aux poètes d’offenser aucun citoyen, quand vous voyez que ces mêmes poètes n’ont épargné aucun de vos dieux ! Avez-vous estimé si haut la gloire du sénat comparée à celle du dieu du Capitole , que dis-je? la gloire de Rome seule mise en balance avec celle de tout le ciel, que vous ayez lié par une loi expresse la langue médisante des poètes, si elle était dirigé contre un de vos concitoyens, tandis que vous la laissiez libre de lancer l’insulte à son gré contre tous vos dieux, sans que personne, ni sénateur, ni censeur, ni prince du sénat, ni pontife, eût le droit de s’y opposer? Quoi il vous a paru scandaleux que Plaute ou Névius pussent attaquer les Scipions, ou que Caton fût insulté par Cécilius, et vous avez trouvé bon que votre Térence excitât les jeunes gens au libertinage par l’exemple du grand Jupiter!
CHAPITRE XIII.
LES ROMAINS AURAIENT DU COMPRENDRE QUE DES DIEUX CAPABLES DE SE COMPLAIRE A DES JEUX INFÂMES N’ÉTAIENT PAS DIGNES DES HONNEURS DIVINS.
Scipion, s’il vivait, me répondrait peut-être: Comment ne laisserions-nous pas impunies des injures que les dieux eux-mêmes ont consacrées, puisque ces jeux scéniques, où on les fait agir et parler d’une manière si honteuse, ont été institués en leur honneur et sont entrés dans les moeurs de Rome par leur commandement formel? — A quoi je réplique en demandant à mon tour comment cette conduite des dieux n’a pas fait comprendre aux Romains qu’ils n’avaient point affaire à des dieux véritables, mais à des démons indignes de recevoir d’une telle république les honneurs divins? Assurément, il n’eût point été convenable, ni le moins du monde obligatoire de leur rendre un culte, s’ils eussent exigé des cérémonies injurieuses à la gloire des Romains ; comment dès lors, je vous prie, a-t-on pu juger dignes d’adoration ces esprits de mensonge dont la méprisable impudence allait jusqu’à demander que le tableau de leurs crimes fit partie de leurs honneurs ? Aussi, quoique assez aveuglés par la superstition pour adorer ces divinités étranges qui prétendaient donner un caractère sacré aux infamies du théâtre, les Romains, par un sentiment de pudeur et de dignité, refusèrent aux comédiens les honneurs que leur accordaient les Grecs. C’est ce que déclare Cicéron par la bouche de Scipion: « Regardant, dit-il, l’art des comédiens et le théâtre en général comme infâmes, les Romains ont interdit aux gens de cette espèce l’honneur des emplois publics ; bien plus, ils les ont fait exclure de leur tribu par une note du censeur ».Voilà, certes, un règlement d’une de la sagesse des Romains; mais j’aurais voulu que tout le reste y eût répondu et qu’ils eussent été conséquents avec eux-mêmes. Qu’un citoyen romain, quel qu’il fût, du moment qu’il se faisait comédien, fût exclu de tout honneur public, que le censeur ne souffrît même pas qu’il demeurât dans sa tribu, cela est admirable, cela est digne d’un peuple dont la grande âme adorait la gloire, cela est vraiment romain! Mais qu’on me dise s’il y avait quelque raison et quelque conséquence à exclure les comédiens de tout honneur, tandis que les comédies faisaient partie des honneurs des dieux. Longtemps la vertu romaine n’avait pas connu ces jeux du théâtre, et s’ils eussent été recherchés par goût du plaisir, on aurait pu en expliquer l’usage par le relâchement des moeurs ; mais non, ce sont les dieux qui ont ordonné de les célébrer. Comment donc flétrir le comédien par qui l’on honore le dieu ? et de quel droit noter d’infamie l’acteur d’une scène honteuse si l’on en adore le promoteur? Voilà donc la dispute engagée entre les Grecs et les Romains. Les Grecs croient qu’ils ont raison d’honorer les comédiens, puisqu’ils adorent des dieux avides de comédies; les Romains, au contraire, pensent que la présence d’un comédien serait une injure pour une tribu de plébéiens, et à plus forte raison pour le sénat. La question ainsi posée, voici un syllogisme qui termine tout. Les Grecs en fournissent la majeure : si l’on doit adorer de tels dieux, il faut honorer de tels hommes. La mineure est posée par les Romains : or, il ne faut point honorer de tels hommes. Les chrétiens tirent la conclusion: donc, il ne faut point adorer de tels dieux.

(37) Tit. Liv. loc. cit.
(38) Festus, voc. persona. 

PERSONATA. Une pièce de Névius porte ce titre, parce qu'elle est la première, à ce que l'on croit, qui fut jouée par des acteurs masqués. Mais comme elle fut jouée bien des années après l'époque où les acteurs comiques et tragiques avaient introduit l' usage des masques, il est plus vraisemblable que, par suite du manque d'acteurs , cette nouvelle pièce fut jouée par les Atellans, qui sont proprement appelés personati, parce qu'on n'a pas le droit de les contraindre à ôter leur masque sur la scène, ce que les autres histrions ne peuvent se refuser à faire.

- Cicer. Paradox. 3. 

Lorsque dans son jeu un acteur excède la mesure, lorsqu'il fait un vers trop long ou trop court d'une syllabe, il est sifflé et chassé; et vous, acteur dans la vie, qui devez y porter plus de convenance que n'en demande le théâtre, plus de mesure que n'en réclame le vers, direz-vous que vos fautes ne sont que des syllabes de plus ou de moins? Je n'excuse point un poète qui s'est trompé dans des bagatelles, et j'excuserais dans le monde an citoyen qui mesurera ses fautes sur ses doigts! Trouvez-les brèves si vous voulez, mais vous ne pourrez les trouver légères; car toute faute, quelle qu'elle soit, est une perturbation de la raison et de l'ordre; et dès qu'une fois la raison et l'ordre sont troublés, il ne se peut rien ajouter qui augmente la faute.

(39) Varro, de Ling. latin., VII, 84.

Cf. Festus, voc. Scortum

SCORTA. On appelle ainsi les courtisanes, parce qu'elles sont foulées comme des peaux. Car on appelle scortea toutes les choses faites de peau.
SCORTA. On appelle ainsi les courtisanes, d'après la coutume des gens de la campagne, qui disaient d'ordinaire, comme on le voit chez les anciens, dans les atellanes, qu'ils apportaient une petite peau au lieu d'un cuir : car on appelle scortea toutes les choses faites de peau.

On trouve dans les Aleones de Pomponius, ap. non. v. rusticatim et tangere ; At ego rusticatim tangam, urbanatim nescio.


(40) Schob. über die Atellanischen Schauspiele der Römer, in-8, Leips., 1825. Essai sur les Atellanes, d'après Schober, par Genin, brochure in-8, p. 14, extraite des Mémoires de la Société des Sciences.. du Bas-Rhin, nouv. série, tom. I, part. 2. 
(41) Valer. Maxim., II , 4. (Voir note 30)
(42) Donat. Proleg. Terent. : Atellanae, salibus et jocis compositae, quæ in se non habent nisi vetustam elegantiam.
(43) Cicer. ad Famil., IX, 16. 

J'arrive maintenant à vos plaisanteries, oui plaisanteries, car dans votre citation d'Accius je vois le bouffon du jour et non l'Atellane d'autrefois. Que venez-vous me parler de Popillius, de Dénarius? Que voulez-vous dire avec votre plat de tyrotarique? Si j'étais assez bonhomme pour m'arranger de peu jadis, ce n'est plus cela aujourd'hui.

Cf. Tacit. Ann., IV, 14. 

Ensuite les préteurs renouvelant, contre la licence des histrions, des plaintes longtemps inutile, le prince soumit enfin cette affaire au sénat. Il représenta que ces bouffons troublaient la tranquillité publique et portaient le déshonneur dans les familles ; que les vieilles scènes des Osques ; sans procurer au peuple beaucoup d'amusement, étaient devenues l'occasion de tant d'audace et de scandales, qu'il fallait pour les réprimer toute l'autorité du sénat. Les histrions furent chassés d'Italie.

(44) Senec., Epist. 6. 

combien de vers et des plus éloquents dans les mimes où ils sont perdus ! Combien de mots de Publius, dignes non de bateleurs déchaussés, mais de tragédiens en cothurne !

- Fronto ad M. Caesar, I, p. 53. Edit. Mai.

(45) Lydus de Magistr. Rom., I, p. 70 : ƒAtell‹nh de ¤stin legom¡nvn ¤jodiarÛvn.
(46)
Diomed., III, ed. Putsch., p. 487 : Tertia species est fabularum latinarum quae a civitate Oscorum Atella, in qua primum coeptae, Atellanae dicta sunt, argumentis dictisque jocularibus similes satyricis fabulis graecis. N'oublions pas cependant qu'ailleurs Diomède dit, III, 488: Latinis Atellana a graeca satyrica differt quod in satyrica fere satyrorum personæ inducuntur... in Atellana Oscae personæ, ut Maccus.
(47
Marius Victorin. de Iamb. metr. éd. Putsch., II, p. 2527. -Id. in, 2574. - Cf. Terent. Maur. de metr. éd. Putsch., p. 2436.
(48)
Juvenal. édit. Morel. Lutet., 1613, Sat. III, vers 175. Vetus schol. Exodiarius apud veteres in fine ludorum intrabat, quod ridicules foret; ut quidquid lacrymarum atque tristitae coegissent ex tragicis affectibus hujus spectaculi risus detergeret. - Cf. Lydus de mag. Rom., lib. I, c. 40, p. 70, éd. Hase. - Marius Victor, II, p. 2527.
(49
Lydus de mag. Rom., lib. X, cap. 40 : ² m¡ntoi komÄdÛa t¡mnetai eÞw ¥ptŒ... eÞw ... ƒAtell‹nhn... „Riynvnik¯n.... „Riynvnik® (¤stin) ² ¤jotik¯ k.t.l.. - Steph. Byzant. Bâle, 1568, in-fol. Xiland, voc.T‹raw : Žnegr‹fhsan polloÜ... kaÜ „RÛynvn TarantÝnow flæaj tŒ tragikŒ metarruymÛzvn eÞw geloÝon... - Donat. fragm. trag. et com. - Raoul-Rochette : Mémoires acad. Inscript. Belles-lettres, série nouv., tome v.
(50) Voir pour ce titre et pour tous ceux qui suivent la Table placée à la fin.
(51) Il y aurait une curieuse Table à dresser de tous les métiers que les satiriques et les comiques latins ont le plus habituellement mis en scène. On connaît la loi intitulée de Fullonibus portée contre le luxe des habits (Pline XXXIV), en 534. - Il y a dans le Rudens de Plaute des Pécheurs dont les entretiens peignent bien ces classes subalternes. On peut comparer ce que dit Lucilius, édit. Corpet., XXVIII, 38, sur les Centonarii et XVI .9, sur la Pistrina et les boulangers.- Cf. Varro de Ling latin, VI, 20., sur les Vinalia rustica. Titinius et Laberius avaient aussi écrit des pièces sur les foulons. Vid Neukirch. de Fabul. togat. Lips., 1833, p. 111.
(52) Vid. Nonium, voc. Tricae.
(53) Arnob, Adv, Gent, p. 176.
(54) Quintil. Inst. orat., VI, 3. - Cf. Senec. Controv. III, 18.
Cf. Cicer. pro Caelio, 27. XXVII. 

Toute cette pièce d'une vieille comédienne, qui en a joué bien d'autres, est fort mal conduite : il n'est guère possible d'y trouver un dénouement. 

(55) Novius, Praeco posterior ap. Non. voc. labium ;

Ego dedita opera, te, pater, solum foras
Seduxi, ut ne quis esset testis tertius
Praeter nos, tibi quum tunderem labeas lubens.

Pomponius, Kalendae Martiæ, ap. Macrob., Sat., VI, 4.

Vocem deducas oportet ut videantur mulieris
Verba - jube modo afferatur munus, tenuem et tinnulam .
Vocem ego reddam...

Idem, Pannuceati, ap. Non. voc. nubere  

Sed meus
Frater major, postquam vidit me vi dejectum domo,
Nupsit posterius dotatae, vetulae, varicosae, vafrae.

 Pour le Maccus Virgo et les Macci Gemini du même auteur. Voir p. 25, not. 3, et p. 32, not. 3.
(56) Diomed., III, 188.
(57) Novius, Maccus exul, ap. Non . Marcell., voc. Limen :

Limen superum quod mihi misero saepe confregit caput.
Limen inferum autem ubi ego omnes digitos confregi meos.

(58)  Pomponius, Maccus miles, ap. Charis, éd. Putsch, I, p. 99 :

Cum contubernale ego pugnavi quod meam
Caenam...

Id., I, 101

Nam cibaria si vicem,
Duorum solum me comesse condecet.

(59) Pomponius, Macci gemini, ap. Non., voc. Abscondit :

- Perii ! non puella est, nam quid abscondisti inter nates?

(60) Novius, Macci, ap. Non. voc. Caseum

Quid? bonum breve est, respendi, e Sardis veniens caseum ?

(61) M. J. V. Leclerc, Journal des Débats, 20 juin 1831. - Cabin. Bibliothèq. royal. (antiq.) - Caylus, Recueil antiq., tom. in, p. 275, pl. LXXV. - Schoepf, Alsat. illust., tom. I, p. 501, tabl. X, fig. 9.
(62) Ficoroni, de Larvis scenic. et figuris comicis antiq. Rom:, p. 26, pl. IX, fig. 2 et 3.
(63)
Makkvsyai, être sot. - Aristoph., Équit. 62 : „O d' aétòn Éw ¥År& memmaohkñta. - Jul. Pollux, Onom. II, 2 l¡rvn makkoÇn.
(64)
Donat, Fragm. de comaed. et trag. : Servi comici amictu exiguo conteguntur.
(65)
Nonius voc. Calvitur : Calvitur dictum est frustratur, dictum a calvis mimicis quod sunt omnibus frustratui. - Cf. Atellan. Pomponii fragment : Praeco posterior et Piscator.
(66)
Appul., Apolog. tom. II, p. 85, éd. Bip. : Palamedes, Sisyphus et si qui præterea dolo fuere memorandi... Macci prorsus et Buccones videbuntur.
(67
Isid., Orig. X, éd. Lindeman, p. 321, tom. III : Bucco garrulus, quod ceteros oris loquacitate, non sensu superet. 
 Cf. Plaut, Bacch., 1,2.

Quicumque ubi ubi sunt, qui fuerunt quique futuri sunt posthac
stulti, stolidi, fatui, fungi, bardi, blenni, buccones,
Tous des idiots, où que ce soit, qui existent, qui ont exist&, qui existeront dans l’avenir, les sots, les imbéciles, les gourdes, les baudets, les crétins, les demeurés...

(68) Grysar : De Doriensium comoedia quaestiones, tom. I, p. 252 sqq. - Vetus Gloss. BoukÛonew, parasÛtoi. - Nonius, voc. Jentar, cite d'Afranius un Bucco adoptatus : c'est le seul endroit où il soit question d’Afranius comme auteur d'Atellanes.
(69)
Ficoroni, pl. XLIV.
(70)
Pl. XVIII.
(71)
Cf., id., édit. ital., 1748, pl. XX, LIV, LV et passim.
(72)
En grec, p‹ppow, en latin, pappus et pappas; en français, papa. Il est probable que le mot de pappus vient, comme le croit Schober, du surnom de p‹ppow que, dans le drame satyrique, portait le vieux Silène.
(73)
Pappus agricola, ap. Nonium, Voc. Manducatur :

Nescio quis illam urget quasi asinus uxorem tuam.
Ita oculis opertis simitu manducatur et molit.

(74) Id. ap. Non. Voc. Fervit :

Domus haec fervit flagiti, etc.

(75) Novius, Pappus praeteritus, ap. Non. Voc. Capulum :

Dum istos invitabis suffragatores, pater,
Prius in capulo quam in curuli sella suspendes nates.

Pompon., Pappus praeter. ap. Non. Voc. Vagas

Populi voluntas haec est et vulgo vagas.

(76) Pomporiius, Pictores, ap. Non. voc. Senica :

Pappus hic medio habitat senica, non sescunciae.

Id. voc. Manducones :

Magnus camelus, manducus, cantherius.

Id. Voc. Intestatus : - Cf. Scaliger ap. Varron, de L. L., p. 150, édit. Paris. 1565:

Ipsus cum uno servo senex intestato proficiscitur.

Id. Voc. Occupares :

Quae tuleram mecum millia decem victoriarum,
Graeca mercede illico curavi ut occuparem.

Id. voc. Dicere

Nummos certos dicas - Dico quinquaginta millia.

(77) Pomponius, Philosophia, ap. Non. voc. Memore :

Ergo, mi Dossenne, quum istaec memore meministi,
Indica qui illud aurum abstulerit. - Non didici hariolari gratis.

(78) Pomponius, Petitor, ap. Non. Voc. Ominas :

Eveniat bene! - Ita sic et tibi bene sit qui recte ominas.

(79) Vid. Martial : Schol., Épigram., lib. II, 72, vers 4 :

Vilia Panniculi percutit ora sono.

Cf. Id., III, épig. 86, vers 3 : 

Je t'ai prévenue et avertie, femme chaste, de ne pas lire cette partie libertine de mon petit livre ; et pourtant tu la lis. Mais, si malgré ta chasteté, tu vas voir Panniculus et Latinus, mes vers ne sont pas plus indécents que leurs mimes : lis-les donc.

V, épig. 61, vers 12. 

Marianus, quel est cet élégant aux cheveux frisés, qu'on voit sans cesse sur les pas de ta femme ? Quel est cet élégant, qui murmure je ne sais quoi à l'oreille complaisante de la maîtresse du logis, et qui appuie le coude droit sur le dos de son siège? Chacun des doigts du fat est entouré de bagues légères ; sur ses jambes, pas un seul poil qui en ternisse la blancheur. Tu ne me réponds rien ? Il fait, dis-tu, les affaires de ma femme : c'est un homme sûr et de moeurs austères, dont l'extérieur seul dénote un homme d'affaires ; Aufidius de Chio n'avait pas plus de vivacité dans le jugement. O Marianus; que tu mériterais bien les soufflets de Latinus ! Que tu serais bien le successeur de Panniculus ! Il fait les affaires de ta femme ? il ne fait aucune affaire, cet élégant : il ne fait pas les affaires de ta femme, mais les tiennes.

(80) Vid. Schober., de Atellan. exodiis, p. 18, brochure française in-8, citée plus haut, extraite des Mémoires de la Société des arts, sciences, etc., du Bas-Rhin. Nouvelle série, tom. I, part. 2.
(81) Pl. XXIX, fig. à gauche.
(82) Novii Duo Dossenni, ap. Festum, voc. Temetum.
(83) Pomponius, Philosophia, ap. Non. voc. Memore. Voir p. 30, note 1.
Campani, ap. Non. voc. Publicitus :

Dato Dorsenno et fullonibus Publicitus cibaria...

Peut-être, est-ce lui que désigne Horace : Epist. II, I, 168. 

On croit que la comédie, parce qu'elle s'occupe des choses familières, demande moins de peine; mais son fardeau n'en est que plus lourd, car on a moins d'indulgence pour elle. Vois Plautus, de quelle façon il soutient le rôle d'un éphèbe amoureux, d'un père intéressé ou d'un perfide entremetteur; et Dossennus, combien il abuse de ses parasites gourmands et comme il marche à travers la scène avec un brodequin mal attaché.

(84) Pomponius, Maccus virgo, ap. Non. voc. Verecunditer :

Praeteriens vidit Dossennum in ludo reverecunditer,
Non docentem condiscipulum, verum scalpentem nates.

(85) Scalig. in Varron.. de Ling. Latin., p. 150 : Pomponius inscripsit exodium quoddam; Pythonem Gorgonium, qui nihil aliud erat, ut puto, quam ille Manducus de quo dixi. Nam Pythonem pro terriculamento et Gorgonem pro Manduco : qui Gñrgonew cum magnis dentibus pingebantur. - Voir Lucilius. Corpet, XXX, frag. 1.
(86) Festus, voc. Manducus

MANDUCUS. Dans les fêtes des anciens on avait coutume de porter avec d'autres figures ridicules et effroyable, la figure d'une sorte d'épouvantail auquel on donnait une grande mâchoire, une bouche énormément fendue et qui faisait un grand bruit avec les dents : c'est à cette figure que Plaute fait allusion lorsqu'il dit : Quid si ad ludos me pro manduco locem? Quapropter? Clare crepito dentibus.

(87) Plaut., Rudens, II, VI, 51 :

Quid? si aliquo ad ludos me pro Manduco locem? -
Quapropter ? - Quia, Pol, clare crepito dentibus.
Et si je m’engageais comme un entrepreneur de jeux pour faire le croquemitaine ? - Et pourquoi donc ? Parce que je fais un bruit terrible en entre-coquant mes mâchoires.

(88) Varro. de Ling. Lat., p.. 80 : Dictum Mandier a mandendo, unde Manducari; a quo in Atellanis obsonium vocant Manducum.
Cf. Festus voc. Manducus. (Voir note 86)
(89)  Juv., sat. III, p. 174.

Tandemque redit ad pulpita notum
Exodium, cum personae pallentis hiatum
In gremio matris formidat rusticus infans.
Et si d'aventure, la majesté des jours de fête est célébrée sur un théâtre de gazon et que quelque farce connue remonte enfin sur les tréteaux, tandis que le poupon à la campagne, dans les bras de sa mère, redoute la fente du masque blême, tu verras, là-bas, vêtements identiques et, semblables, orchestre et peuple.

(90) Festus, voc. Mania. Manias autem; quas nutrices minitantur pueris parvulis esse larvas, etc. 

MANIAE. Petites figures de pâte, auxquelles on donne la forme de personnages; mais on les fait difformes; d'autres les appellent maniolae : les maniae dont les nourrices menacent les petits enfants, sont les larves, c'est-à-dire les mânes, que l'on croyait être des dieux et des déesses, et qui, disait-on, revenaient des enfers sur la terre. On a fait de Mania la mère ou l'aïeule des larves.
MANIAE. Mius Stilo appelle ainsi certaines figures de pâte auxquelles on donne la forme humaine, mais une forme laide et hideuse ; d'autres les appellent Maniolae. Quant aux Maniae dont les nourrices menacent les petits enfants, il dit que ce sont les Larves, c'est-à-dire les Mânes, dieux et déesses, ainsi appelés, soit parce qu'ils se coulent des enfers sur la terre, soit parce que Mania est leur aïeule maternelle : car les auteurs se partagent entre ces deux opinions.

Cf. Ficoroni, pl. XXVI, fig. 1, 2, 3. - Voir plus haut p. 6., note 4.


(91) Novius, mania medica, ap. Nonium, voc Pistillus:

Lacrymae calent;
Cadet pistillus...

(92)  Pompon. Lar familiaris, ap. Priscian, VI, p. 686; éd. Putsch : Oro te, Basse, per lactes tuas.
Dérision d'un serment solennel qu'on retrouve aussi dans Plaute Rud., act. III, sc. 2, v. 21 :

At ego te per crura et talos tergumque obtestor tuum.

(93) Cicer., de Divin., II, 10. 

Toute cette théorie du destin est tournée en ridicule, à bon droit ce me semble, dans un vers de la comédie atellane.

(94Inst. orat., IX, 2.
(95)  Peut-être cette pièce n'est-elle point de Novius. Merula (Ann. Ennii, p. 418) l'attribue à Novius.
(96) Cicer. ad Famil., VII, 1.
Juven., Sat. III, 175. 

A ces théâtres de verdure où l’occasion d’une fête fait redonner une farce avec le masque blême et béant qui terrorise les marmots rustiques dans les bras de leurs mères, tous les spectateurs ont même mise, orchestre et peuple ; et les édiles eux-mêmes, hauts dignitaires, portent simplement la tunique blanche.

(97)  Pompon., Bucco auctoratus, ap. Charis, éd. Putsch, I, p. 87, voc. Ebria masc. :

... Neque ego Memmius,
Neque Cassius, neque sum Mimatius Ebria.

(98Cicer. ad. Fam., IX, 16 (707 de R.) : 

Quum tu, secundum Oenomaum Accii, non, ut olim solebat, Atellanum, sed, ut nunc fit, mimum introduxisti.
Dans mes conversations avec eux, il m'échappe des traits qui ne sont ni d'un ignorant ni d'un sot, et ils les reportent à César comme tout le reste; c'est leur consigne : de sorte que César ne tient aucun compte de ce qui lui arrive par d'autres voies. A d'autres donc votre Énomaüs, quoique votre citation d'Accius ait un à-propos parfait. De grâce, où serait l'envie? et par quel bout pourrait-elle mordre?

Il ajoute en terminant : 

Salis enim salis est, Sannionum parum. 
Vous avez fait merveille pour la villa de Sélicius, et ce que vous m'en écrivez est fort piquant. Je ne pense pas m'y arrêter; non qu'il n'y ait assez de sel : ce sont les sannions qui manquent. Adieu.

Cf. id. ad Fam., XII, 18. - Id. Pro Cælio, cap. 27. 

La censure des plaisirs a été longue, mais plus douce : c'était plutôt une dissertation qu'une invective. C'est aussi ce qui l'a fait écouter avec plus d'intérêt.

(99)  J. Caesar, cap. 39. 

Il donna des spectacles de divers genres: des combats de gladiateurs, des pièces de théâtre jouées dans tous les quartiers de la ville, et même par des acteurs parlant toutes les langues, des jeux dans le cirque, des combats d'athlètes, une naumachie.

(100Suet. Aug., 43 

Auguste surpassa tous ses prédécesseurs par le nombre, la variété et la magnificence des spectacles. Il rapporte qu'il célébra quatre fois des jeux en son propre nom, et vingt-trois fois pour des magistrats absents, ou qui ne pouvaient en payer les frais. Quelquefois il divisait les spectacles par quartiers, et en plusieurs troupes d'acteurs de toutes les langues, non seulement dans le Forum ou dans l'amphithéâtre, mais encore dans le cirque et dans l'enceinte des comices. Quelquefois aussi, outre les chasses, il fit combattre des athlètes dans le champ de Mars, qu'il avait entouré de sièges de bois. Il donna également un combat naval dans un bassin creusé auprès du Tibre, à l'endroit où s'élève aujourd'hui le bois sacré des Césars. Il disposait pendant ces fêtes des gardes dans Rome, de peur que les brigands ne profitassent de l'occasion pour surprendre le petit nombre d'habitants qui y restaient. Il fit paraître dans le cirque des conducteurs de chars, des coureurs, des combattants pour attaquer les bêtes; et il les choisissait quelquefois parmi les jeunes gens de la plus haute noblesse. Il aimait à voir célébrer fréquemment les jeux troyens par une élite d'enfants de différents âges, croyant qu'il était beau et digne des anciennes moeurs, de signaler de bonne heure les goûts des plus illustres races. Nonius Asprenas ayant été blessé d'une chute dans un de ces jeux, Auguste lui offrit un collier d'or, et lui permit, ainsi qu'à ses descendants, de porter le nom de Torquatus. Cependant il mit bientôt fin à ces exercices, sur les plaintes vives et amères que fit entendre contre lui dans le sénat l'orateur Asinius Pollion, dont le neveu Aeserninus s'était cassé la jambe.  Il ne cessa d'employer des chevaliers romains dans les jeux scéniques, et dans les combats de gladiateurs, que lorsqu'un sénatus-consulte les eut interdits. À partir de ce moment, il n'y produisit aucun homme bien né, si l'on excepte le jeune Lucius, et encore ne fut-ce que pour le montrer, parce qu'il n'avait pas deux pieds de haut, ne pesait que dix-sept livres, et avait une voix très étendue. Un jour de spectacle, il fit traverser l'arène aux otages des Parthes, les premiers qu'on eût encore vus, et les plaça au-dessus de lui sur le second banc. Lors même que ce n'était pas jour de représentation, s'il arrivait quelque chose d'extraordinaire et qui intéressât la curiosité, il l'exposait aux regards du public, en quelque endroit que ce fût. C'est ainsi qu'il montra un rhinocéros au champ de Mars, un tigre au théâtre, et un serpent de cinquante coudées devant le comitium. Surpris par une indisposition, un jour qu'on célébrait des jeux dans le cirque pour l'accomplissement d'un voeu, il guida de sa litière la marche des chars sacrés. Une autre fois, pendant une représentation qui avait lieu pour la dédicace du théâtre de Marcellus, les liens de sa chaise curule s'étant rompus, il tomba à la renverse. Dans un spectacle donné par ses petits-fils, ne pouvant ni retenir ni rassurer le peuple qui craignait que l'amphithéâtre ne s'écroulât, il quitta sa place et alla s'asseoir dans l'endroit qui menaçait le plus.

et 89.

Il fut aussi passionné pour les lettres grecques, dans lesquelles il excella. Il avait pour maître d'éloquence Apollodore de Pergame. Dans sa jeunesse, il l'avait amené avec lui, malgré son grand âge, de Rome à Apollonie. Il s'enrichit ensuite d'une foule de connaissances dans la société du philosophe Aréus et de ses fils Denys et Nicanor. Cependant il n'alla pas jusqu'à parler couramment grec, et il ne hasarda aucune composition en cette langue. Quand les circonstances l'exigeaient, il écrivait en latin, et le donnait à traduire à un autre. La poésie grecque ne lui était pas non plus tout à fait étrangère. Il prenait surtout plaisir à la vieille comédie, et il en faisait souvent représenter les pièces. Ce qu'il recherchait le plus dans les auteurs grecs et latins, c'était des préceptes et des exemples utiles à la vie publique ou privée. Il les copiait mot à mot, et les envoyait d'ordinaire soit à ses intendants domestiques, soit aux chefs des armées et des provinces, soit aux magistrats de Rome selon le besoin qu'ils en avaient. Il y a des livres qu'il lut en entier au sénat, et qu'il fit connaître au peuple par un édit, tels que les discours de Métellus "sur la repopulation", et ceux de Rutilius sur "l'ordonnance des bâtiments". Il voulait prouver par là, non qu'il s'était, le premier occupé de ces objets, mais que les anciens les avaient déjà pris à coeur. Il donna toutes sortes d'encouragements aux génies de son siècle. Il écoutait patiemment et avec bienveillance toutes les lectures, non seulement les vers et les histoires mais encore les discours et les dialogues. Toutefois il n'aimait pas qu'on le prît pour sujet de composition, à moins que ce ne fussent les plus grands maîtres, et que le style ne fût grave. Il recommandait aux préteurs de ne pas souffrir que son nom fût terni dans des luttes littéraires. 

Cf. Strab., v. p. 233, édit, Casaub.

(101Suet. Tibère, 45 : 

Unde nota in atellanico exodio proximis ludis assensu maximo excepta percrebuit : Hircum vetulum capreis naturam ligurire. 
Aussi applaudit-on avec enthousiasme ces mots de l'épilogue d'une atellane, aux jeux qui furent célébrés peu de temps après:
Un vieux bouc lèche les parties naturelles des chèvres.

 Cf, Tacit. Ann. IV. 14.

(102Suet. Calig., 27. 

Il condamna à être brûlé au milieu de l'amphithéâtre, l'auteur d'une Atellane, à cause d'un vers qui renfermait une plaisanterie à double sens.

(103) Suet. Nero.,39: 

Datus Atellanarum histrio in cantico quodam : êgÛaine p‹ter, êgÛaine m®ter, ita demonstraverat ut bibentem natantemque faceret, exitum scilicet Claudii et Agrippinæ significans,. etc. 
Au moment où il passait, Isidore le Cynique lui reprocha hautement en public, de chanter si bien les maux de Nauplius, et de si mal user de ses biens. Datus, acteur d'atellanes, dans un rôle où se trouvaient ces mots: "Bonjour, mon père, bonjour, ma mère," imita l'action de boire et de nager pour faire allusion à la mort de Claude et à celle d'Agrippine. Au dernier refrain
Pluton vous traîne par les pieds.
il fit un geste qui désignait le sénat.
Néron se contenta d'exiler de Rome et d'Italie le philosophe et l'histrion, soit qu'il méprisât l'opinion publique, soit qu'il craignît, en montrant son dépit, de l'irriter davantage.

(104)  Sueton., Galba, 13 : 

Quare adventus ejus gratus non fuit, idque proximo spectaculo apparuit. Siquidem Atellanis notissimum canticum exorsis, venit, io, simus a villa, cuncti spectatores... reliquam partem retulerunt. 
Aussi ne reçut-il pas un accueil bien favorable des Romains. On s'en aperçut dès le premier spectacle où les Atellanes ayant entonné ce chant si connu: "Voilà Onésime qui revient du village", tous les spectateurs l'achevèrent à l'unisson, et répétèrent plusieurs fois ce vers avec beaucoup d'entrain.

(105)  Id. Domit., 10. 

Helvidius le fils, sous prétexte qu'au théâtre, dans un exode, il avait, sous le nom de Pâris et d'Oenone, mis en scène son divorce avec sa femme; Flavius Sabinus, l'un de ses cousins, parce que le héraut, le jour des comices consulaires, au lieu de le proclamer consul en présence du peuple, l'avait qualifié d'imperator.

(106Tacit., Ann., IV, 14.
(107)  
Petron., Satyr., p. 198. 

Il avouait n'adorer que deux choses au monde : les danseurs de corde et les sonneurs de cors ; à part cela, tout animal, tout bouffon était indigne à son goût d'une minute d'attention. « J'avais aussi acheté des comédiens, dit-il, mais j'ai fini par ne leur faire jouer que des atellanes, et au Grec qui les accompagnait sur sa flûte, j'ai prescrit de n'avoir à jouer désormais que nos airs latins. »

Cf. Id. 261, édit. Varior., 1669.

(108) Ael. Spartian. Hadrian, 26.
(109) Jul. Capitol. Antonin. Philos., 29.
(110) Tertull. de Spectacul., 17.

Il nous est prescrit au même titre de haïr toute impudicité. Ce précepte nous ferme donc le théâtre, siège particulier de la dissolution, où rien n'est approuvé que ce qui est désapprouvé partout ailleurs. Aussi emprunte-t-il d'ordinaire son plus grand charme à la représentation de quelque infamie, qu'un histrion toscan traduit dans des gestes, qu'un comédien met en relief en abdiquant son sexe sous des habits de femme, de sorte que l'on rougit plus volontiers dans l'intérieur de la maison que sur la scène ; infamie enfin, qu'un pantomime subit dans son corps dès sa première jeunesse, afin de l'enseigner un jour. Il y a mieux : les malheureuses victimes de la lubricité publique sont traînées elles-mêmes sur le théâtre, d'autant plus infortunées qu'il leur faut rougir en présence des femmes à qui elles avaient eu soin jusqu'alors de cacher leur honte : on les expose à la vue de tout le monde, de tout âge, de toute condition ; un crieur public annonce à ceux qui n'en avaient pas besoin, leur loge, leur beauté, leur tarif !.... Mais arrêtons-nous, et n'arrachons pas aux ténèbres de honteux secrets, de peur qu'ils ne souillent la lumière. Que le sénat rougisse, que toutes les classes rougissent ! Ces malheureuses qui immolent leur pudeur, en craignant d'étaler au grand jour et devant le peuple l'indécence de leurs gestes, savent du moins rougir une fois l'an

(111) Arnob. advers. Gent., VII, p. 239.
(112) Terent. Maurus, édit. Putsch, p. 24.

Atella, vel queis actus dedit petulcos.

(113) Fronto ad M. Caesar, II, p. 81, éd. Mai. Mediolan, 1815 :

Ego istic noctibus studeo... feci tamen mihi excerpta ex libris sexaginta...... inibi surit et Novianae Atellaniolae.

(114) Id. I, p. 53.

 Vel graves ex oratoribus sententias arriperetis.... vel ex Atellanis lepidas et facetas.

(115) Id. IV, 12. Edit. 1816.
(116) Strabon, liv. V, p. 233, édit. Casaubon :
ƒIdÛon ti toÝw …Oskoiw ... sumb¡bhke tÇn gŒr …Oskvn ¤kleloipñtvn, ² dialektòw m¡nei parŒ toÝw „RomaÝoiw Ëste poi®mata skhnabateÝsyai katŒ tina gvna patrÛon kaÜ mimologeÝsyai .
(117)
Tit. Liv., X, 20. 

Un peu avant le jour il s'approche de leur camp, et envoie des hommes qui savent la langue osque épier ce qu'on y fait. Mêlés aux ennemis, ce qui était facile dans le désordre de la nuit, ils reconnaissent que les enseignes, mal entourées, sont déjà parties, que c'est le butin qui sort maintenant avec sa garde, colonne peu mobile, et où chacun ne s'occupe que de soi, sans entente entre personne ni commandement bien assuré.

(118)  Festus voc. Oscum

Titinius in Quinto : Qui osce et volsce fabulantur, nam latine nesciunt, 
OPICUS. Ce mot se trouve aussi pour Oscus ; car les Osques se livraient très habituellement aux plaisirs sales, d'où l'on appelle obscènes les paroles impudiques. Titinius dit : Obsce et Volsce fabulantur, nam Latine nesciunt.

(119) Aul. Gell, Noct. Attic. XVII, 17. 

Q. Ennius se vantait d'avoir trois coeurs, parce qu'il savait parler grec, osque et latin. Mithridate, le célèbre roi de Pont et de Bithynie, qui fut vaincu par Cn. Pompée, possédait à fond les langues des vingt-cinq peuples soumis à son empire. Jamais il ne se servait d'interprète pour s'entretenir avec les habitants de ces différentes contrées; mais, changeant de langue selon les personnes auxquelles il s'adressait, il parlait à chacune son idiome national, aussi bien que s'il eût été de son pays.

(120) Macrob. Satur., VI, 4.
(121
Varron., L. Lat., édit. Paris, VI, p. 71. - Cf. id. Satur. Menipp. édit. Oehler, Quedelinb. 1844. fr. LXV. p. 184 : Pappus aut indigena.
Vid. Festus, voc. Casnar. 

CASNAR signifie vieillard dans la langue des Osques.

(122Festus, voc. Mars. 

MAMERCUS. C'est un prénom dans la langue des Osques ; il vient de ce que ceux-ci appelaient Mars Mamers.
MAMERCUS. un prénom dans la langue des Osques : il vient de ce que ceux-ci appellent Mars Mamers.

Fragm. Galli Transalpini in Aul. Gell., XVI, 6. 

Nous venons à l'instant, repartis-je, si, comme vous le dites, ou ne peut appliquer qu'aux seuls moutons l'expression bidens ; et vous me direz si Pomponius, poète de la Gaule Transalpine, s'est trompé lorsqu'il a écrit dans ses Atellanes :
O Mars, je fais voeu de t'immoler un jeune porc (bidenti verre), si jamais il revient.

 D'après Varron , L. L. IV, p. 20, Mamers était le nom de Mars chez les Sabins.

(123) Il n'est pas fait une seule fois mention des Atellanes dans les Rudimenta lingua Oscae (in-4°, Hanov., 1839) de Grotefend. Il a cependant traité la question du langage à fond et discuté longuement sur les deux principaux monuments qui nous sont parvenus de cet idiome curieux.
(124
Essai sur les Atellanes d'après Schober, p. 45., brochure extraite des Mémoires de la Société des sciences.... du Bas-Bhin. Nouvelle série, tom. I, part. 2.
(125
Suet. August., 43.

Quelquefois il divisait les spectacles par quartiers, et en plusieurs troupes d'acteurs de toutes les langues, non seulement dans le Forum ou dans l'amphithéâtre, mais encore dans le cirque et dans l'enceinte des comices

(126 Epist. II, 1, 160 

 Manserunt hodieque manent vestigia ruris.

(127) Cic. ad famil. VII, ép. I, écrit à Marius : 

Je ne pense pas que vous ayez regretté les jeux grecs ni les jeux Osques, surtout quand vous pouvez assister à ces derniers dans le sénat.

et, dans cette observation railleuse, c'est le jargon natal, le langage improvisé des sénateurs Campaniens que Cicéron appelle ludi Osci.
(128)
Journal des Débats, 20 juin 1831,
(129)
Cf. Niebuhr., Hist. rom., tom. I, p. 96, traduction Golbéry.
(130
Quintilien, Inst. Orat., VI,3, dit positivement, en parlant des Atellanes : 

Illa obscura, quae, Atellanae more, captent.

Cf. Suet., Calig., 27. 

Il condamna à être brûlé au milieu de l'amphithéâtre, l'auteur d'une Atellane, à cause d'un vers qui renfermait une plaisanterie à double sens.

(131) Théâtre de Gherardi, 6 vol. in-8, Paris, Briasson, 1741.
(132)   Eusèb., chroniq. « Olymp. 173, ann. 1. Lucius Pomponius Bononiensis clarus habetur.
(133)  Calpurnius Piso apud Merulam (Ennii Annal., fragment.), p. 308, et Prisciau. VI, .p. 726. - Priscian., III, voc. Senex, p. 602. édit. Putsch « Hic et haec senex vetustissimi proferebant. Pomponius in epigrammate... refert : tua amica senex est. »
(134)  Velleius, II, 9, 5. 

« Sane non ignoremus eadem aetate fuisse Pomponium, sensibus celebrem, verbis rudem et novitate inventi operis a se commendabilem. » 
N'oublions d'ailleurs pas qu'à cette même génération appartenait Pomponius, écrivain illustre par ses idées, rude dans son style et qui se recommande par l'invention d'un genre nouveau.

(135) Voir Macrob., Sat. VI, 4, au sujet du mot deductum.
(136) Marius Victor., n, 2527 : 

« Quod genus nostri in Atellanis habent; gaudent autem trisyllabo pede et maxime tribracho. Exemplum cujus :
Musae Jovem laudate et agiles date choros.

Cf. Terent. Maurus, édit. Putsch, 2436.


(137) Macrob. Satur., II, 1. 

« Novius vero Pomponiusque, qui non raro. » 

Id. I, 10. 

« Caius Memmius qui post Novium et Pomponium. »

(138) Voir la note 2 page 49. - Charis. v. primiter, dit : 

Pomponius in Maccis geminis prioribus, etc.

(139)  Macrob. Satur., I, 10, lui donne l'épithète de probatissimus

En effet, Novius, auteur très estimé d'Atellanes dit : "Les sept jours des Saturnales, longtemps attendus, arrivent enfin.

(140)  Front. ad M. Caesar, II, p. 81. - Cf. Id. IV, 12 et note de Mai.
(141) Tertull de Pallio, ch. IV. 

L’athlète Cléomaque qui, au pugilat, avait presque égalé le héros de Tirynthe, après s’être signalé à Olympie, abjura aussi son sexe par une transformation incroyable, en subissant des blessures honteuses entre, la peau et au-delà ; aussi mérita-t-il d’être couronné parmi les foulons de Novius, et ce fut à bon droit que le poète comique Lentulus le flétrit dans ses habitants de Catine. En effet, il couvrit de bracelets les traces du gantelet ; il échangea le vêtement grossier de l’arène contre la robe des courtisanes.

(142)  Macrob,, I, 10. - 

« Caius Memmius quoque qui post Novium et Pomponium diu jacentem artem Atellanam suscitavit. » 
Memmius, qui ressuscita la comédie atellane, longtemps perdue après Novius et Pomponius, dit aussi: "Nos ancêtres instituèrent fort bien une foule de choses: ce qu'ils ont fait de mieux, c'est de fixer durant les plus grands froids les sept jours des Saturnales".

(143) Junius ap. Charis., p, 118, édit, Putsch, voc.. Testu.
(144)
Nonius, voc. Clivus : « Clivus gener. masc. ut plerumque ; neutri apud Memmium invenimus, cujus auctoritas dubia est. »
(145)  
M. Anton. Philos. de Rebus suis, XI, 6 : kaÜ loipòn ² n¡a (komÄdÛa) ² kat' ôlÛgon ¤pÜ t¯n ¤kmim®sevw filotexnÛan êperræh. - Cf. Lydus, loc, cit. : Mimik¯ µ nèn d°yen mÅnh svzom¡nh.
(146
Tertull. de Spectacul., cap. 17 :

Ita summa gratia ejus (theatri) de spurcitia plurimum concinnata est, quam Atellanus Gesticulator, quant mimus etiam per mulieres repræsentat.

- Cf. Id. de Pallio, cap. IV. IV.

Que dire maintenant si, tandis que la mode romaine vous paraît le salut de tous, vous retenez en même temps les dissolutions des Grecs ? Ou, s’il n’en va point ainsi, d’où vient que, dans des provinces où régnaient de plus nobles exercices, et que la nature vous a départies pour dompter la stérilité des champs, vous avez adopté les jeux de la palestre, qui usent le corps et le fatiguent sans profit ? Pourquoi cette huile mêlée à la poussière dont vous frottez vos membres ? Pourquoi vous roulez-vous sur le sable ? pourquoi ces aliments qui fortifient sans engraisser ? D’où vient que, chez quelques Numides, qui ornent leur tête de la crinière du cheval, on se fait raser le visage jusqu’à la peau, et que le rasoir n’épargne que la tête ? D’où vient que les hommes velus emploient la résine pour épiler les parties secrètes, ou la pince pour arracher les poils du menton ? Quel prodige donc que de pratiquer tout cela en répudiant le manteau : Ces infamies viennent de l’Asie. Ô Libye, et toi Europe, qu’avez-vous de commun avec des ornements de théâtre que vous ne savez pas revêtir ? En effet, pour quelle raison s’épiler à la manière des Grecs, plutôt que de se vêtir à leur façon ? Le changement d’habit devient un crime, non pas quand on change la coutume, mais quand on change la nature. Il y a une grande différence entre le respect que l’on doit au temps et celui que réclame la religion. La coutume devra fidélité au temps ; la nature la doit à Dieu. Il a donc renversé l’ordre de la nature ce héros de Larisse, lorsqu’il prit les vêtements d’une jeune fille, lui qui avait été nourri de la moelle des bêtes féroces, ce qui lui a fait donner le nom qu’il porte [1] , parce que ses lèvres n’avaient jamais sucé de mamelles ; lui encore qui, formé à une rude école, avait eu pour précepteur un monstre, habitant des forêts et des montagnes.
Je le supporterais dans un enfant que sa mère craint de perdre. Mais qu’après avoir atteint l’âge d’homme, qu’après avoir donné une preuve clandestine de sa virilité avec une jeune fille, il continue de laisser flotter sa stole, de bâtir l’édifice de sa chevelure, de farder sa beau, de consulter son miroir, d’orner son cou, de porter des pendants d’oreilles à la manière des femmes, ainsi que le représente le bouclier conservé à Sigée, voilà ce qui m’indigne. Il est bien vrai que dans la suite il fut soldat ; car la nécessité le rendit à son sexe. La trompette du combat avait sonné, et les armes n’étaient pas loin. Le fer, dit le poète, attire l’homme. D’ailleurs, si après avoir senti cet aiguillon, il eût continué de vivre sous des habits de jeune fille, il eût pu se marier aussi comme tel. Voilà donc une double métamorphose : d’homme il devient femme, de femme il devient homme. Changement monstrueux, puisqu’il ne devait ni désavouer la vérité de son sexe, ni confesser ensuite le déguisement. L’une et l’autre manière de changer ne lui valurent rien : la première offensa la nature ; la seconde lui enleva la vie.
La volupté a travesti un autre héros, d’une façon plus honteuse encore que ne l’a fait la sollicitude maternelle. Je sais bien que vous l’adorez ; mais vous devriez rougir plutôt de ce porteur de massue, de flèches et de peau, qui préféra les ajustements d’une femme à tout ce qui composait sa gloire et son surnom. Une infâme Lydienne a eu le pouvoir de transformer, par une double prostitution, Hercule en Omphale, et Omphale en Hercule. Où est Diomède avec ses crèches sanglantes ? où est Busiris avec ses autels convertis en bûchers ? où est Géryon, triple dans son unité ? La massue d’Hercule regrettait l’odeur de leurs cervelles brisées, pendant qu’elle était arrosée de parfums. Le vieux sang de l’hydre, le vieux sang des Centaures était effacé par la pierre ponce destinée à polir le miroir. Quel fut le triomphe de la mollesse, quand ces flèches qui avaient percé des monstres servaient peut-être à coudre des couronnes ! Au reste, les épaules d’une femme honnête, ni même de quelque héroïne, n’auraient jamais pu supporter la rudesse des dépouilles du monstre, si elles n’avaient été apprêtées, adoucies, et parfumées d’avance avec quelque essence odorante ou précieuse, Omphale ne manqua pas de le faire, sans doute. Que dis-je ? elle peigna la crinière du monstre ; et de peur que la mâchoire du lion ne blessât son cou délicat, elle cacha son mufle dans ses cheveux, et ses dents dans les tresses qui tombaient de son front. Le généreux animal eût rugi sous l’outrage, s’il l’avait pu. Il est certain du moins que Némée, si quelque génie l’habite, poussait des gémissements : alors, en effet, elle s’aperçut qu’elle avait perdu son lion. Ce qu’était Hercule sous les somptueux ornements d’Omphale, on peut en juger par Omphale, que je viens de représenter sous la peau d’Hercule.
L’athlète Cléomaque qui, au pugilat, avait presque égalé le héros de Tirynthe, après s’être signalé à Olympie, abjura aussi son sexe par une transformation incroyable, en subissant des blessures honteuses entre, la peau et au-delà ; aussi mérita-t-il d’être couronné parmi les foulons de Novius [2] , et ce fut à bon droit que le poète comique Lentulus le flétrit dans ses habitants de Catine. En effet, il couvrit de bracelets les traces du gantelet ; il échangea le vêtement grossier de l’arène contre la robe des courtisanes.
Je ne parle ni de Physcon ni de Sardanapale. Les connaîtrait-on comme rois, s’ils n’avaient surpassé tous les hommes en dissolution ? Il faut me taire d’ailleurs, de peur qu’ils ne m’accusent d’avoir oublié quelques-uns de vos Césars, qui n’ont pas été moins infâmes. Il faudrait une liberté toute cynique pour nommer un César plus impur que Physcon, plus voluptueux que Sardanapale, un demi-Néron enfin.
Le souffle de la vaine gloire n’a pas été moins puissant pour changer le vêtement de l’homme, encore que l’homme restât. Toute passion est un feu qui échauffe ; mais sitôt qu’elle arrive à l’affectation, l’ardeur de la gloire est un incendie qui dévore. Tu vois s’allumer à ce brasier un grand roi, qui n’a eu rien au-dessus de lui que la gloire. Vainqueur des Mèdes, il fut vaincu par le vêtement des Mèdes. Écartant la cuirasse triomphale, il se montra sous la robe flottante de ses captifs. Ainsi donc, en jetant sur sa poitrine, à la place de ces écailles dont elle gardait encore l’empreinte, un tissu transparent qui le couvrait sans le cacher, il éteignit sous les brises et la délicatesse de la soie, cette ardeur belliqueuse qui ne lui avait pas permis encore de respirer. Le Macédonien n’était pas assez orgueilleux par lui-même, il fallait encore que la vaine pompe des habits le dégradât.
Mais ne voilà-t-il pas que les philosophes s’abandonnent aux mêmes excès ! J’entends dire que plusieurs ont philosophé dans la pourpre. Si le philosophe paraît sous la pourpre, pourquoi pas aussi avec le baxa d’or [3] ? C’est une mode tyrienne, mais qui n’a rien de grec que de porter une chaussure qui n’est pas dorée. Mais un autre, dira-t-on, revêtit la soie et chaussa l’airain. Il avait raison. Il marcha avec une cymbale aux pieds, pour rendre des sons pareils à ceux des Bacchantes, puisqu’il en avait les habits. Que si Diogène aboyait encore quelque part du fond de son tonneau, il n’eût pas souillé de ses pieds fangeux le philosophe, comme s’en souviennent les lits de Platon, mais il l’eût pris par le corps pour le jeter dans le sanctuaire des Cloacines, afin que l’insensé qui avait rêvé qu’il était dieu, saluât les immondices ses sœurs avant de faire reconnaître aux hommes sa divinité.
Voilà les habits qu’il est juste de désigner du regard, de montrer au doigt, et de railler avec des signes de tête, puisqu’ils intervertissent la nature et blessent la modestie. Que l’homme qui traîne jusqu’à terre une robe délicate et chargée de plis, entende retentir à ses oreilles ce vers du comique : « Voyez donc ce fou ! que d’étoffe perdue ! Mais, en vérité, depuis que Rome n’a plus de censeurs qui surveillent et flétrissent, qu’aperçoit-on au sein de cette licence ? Des affranchis sous les insignes des chevaliers des esclaves dont les épaules sont encore rouges des meurtrissures du fouet, transformés en personnes libres ; des gens de bas aloi déguisés en patriciens, des pâtres en citadins, des bouffons en sénateurs, des paysans en soldats que dire enfin ? fossoyeur, corrupteur public, gladiateur, tous sont vêtus comme toi.
Maintenant jette les yeux sur les femmes. Tu verras que Cécina Sévère représenta vivement au sénat que les matrones ne devaient point paraître en public sans la stole traînante. Enfin le décret de l’augure Lentulus punit comme adultère celle qui passerait outre. Loi pleine de sagesse ! Quelques matrones romaines avaient répudié à dessein ces vêtements témoins et gardiens de la pudeur, parce qu’ils étaient un obstacle à leurs dissolutions. Mais aujourd’hui, corruptrices d’elles-mêmes, afin qu’on les aborde avec plus de liberté, elles ont proscrit la robe flottante, la ceinture, la pantoufle, le voile, et même la litière et le siège avec lesquels elle étaient toujours dans une sorte de retraite, et comme enfermées chez elles, même lorsqu’on les portait en public. Mais l’un éteint son flambeau, l’autre allume un flambeau qui n’est pas le sien. Regarde ces louves qui vivent de la lubricité publique, et ces courtisanes elles-mêmes qui font de l’artifice un trafic ou plutôt, si tes yeux ne doivent pas même s’abaisser sur ces repaires où la pudeur est immolée au grand jour, contemple-les, quoique de loin, tu y rencontreras des matronnes. Et lorsque la prêtresse de ces cloaques porte des étoffes de soie ; lorsqu’elle couvre de perles sa gorge plus impure que le lieu même ; lorsqu’elle ajuste à ses mains souillées des plus abominables impuretés, des bracelets que des femmes pudiques ne voudraient pas usurper sur les héros auxquels on les donne pour récompense ; lorsque enfin elle attache à une jambe déshonnête un brodequin blanc ou des mules de pourpre, pourquoi n’arrêtes-tu point les yeux sur ces ornements, ou sur ceux qui appellent la religion au secours de leur nouveauté ? Ainsi, dans les initiations de Cérès, les femmes sont vêtues de blanc, portent une bandelette distinctive et un chapeau privilégié. Ainsi, celles que passionne un sentiment contraire affectent les vêtements lugubres et couronnent leur tête d’une toison noire, lorsqu’elles s’agitent avec fureur dans le sanctuaire de Bellone, jusqu’à perdre la raison. Ainsi on fête Saturne par des bandes de pourpre plus larges et un manteau couleur de feu, comme celui des Galates ; ainsi encore on se rend Esculape favorable par des pantoufles à la manière des Grecs, et par un manteau tel que le mien, si ce n’est que celui-là est plus péniblement ajusté. Raison de plus pour le censurer et le railler du regard, puisque, simple et sans affectation sur ma personne, il est au moins coupable de superstition. En effet, depuis que le manteau a commencé d’être l’habit de la sagesse, qui renonce aux vaines superstitions, il est devenu plus auguste que toutes les dépouilles et tous les voiles du monde. Insigne de nos prêtres, il s’élève au-dessus de la tiare et des autres ornements. Baisse donc les veux, je te le conseille ; vénère un vêtement qui ne peut avoir à tes yeux qu’un défaut, celui d’avoir répudié tes erreurs.

- Arnob.. advers Gent., VII, p. 239 sqq. - Ammian. Marcelle XXVIII, 4. ed. Bip. :

Unde si ad theatralem ventum fuerit vilitatem, etc., etc.
Un mot maintenant sur l'avilissement de la scène. Les acteurs en sont chassés par les huées et les sifflets, à moins qu'on n'ait pris la précaution de payer à la canaille leur bienvenue. Autre vacarme alors: c'est l'expulsion des étrangers (où seraient-ils sans eux?) que réclament les vociférations les plus hideuses, les plus sauvages. On pourrait se croire en Tauride. Quel contraste avec ce peuple d'autrefois, dont on cite encore les heureux dictons, les aimables saillies!