texte numérisé et mis en page par François-Dominique FOURNIER
HISTOIRE
ANCIENNE DES PEUPLES DE L'ORIENT
Gaston
MASPERO
Membre
de l’Institut
Professeur
de langue et d’archéologie égyptiennes au Collège de France
Directeur Général des Antiquités de l’Égypte
LIVRE V – L’empire Perse
Depuis le traité de 585, la paix n'avait pas été troublée entre les deux grands États qui se partageaient l'Asie Mineure, la Médie et la Lydie. Chacun d'eux, sûr de la neutralité de l'autre, avait concentré ses efforts contre les régions où il comptait ne pas rencontrer de rivaux sérieux : la Médie contre les pays de l'extrême Orient et contre Babylone, la Lydie contre les colonies grecques et contre les nations indigènes de la péninsule. Alyatte n'avait plus songé qu'à consolider sa situation, soit par des alliances de famille, soit par la force des armes. Le mariage d'une de ses filles avec Mêlas d'Ephèse lui assura dans cette ville l'appui d'une faction considérable[i]. Son fils Crésus, qu'il avait eu d'une Carienne, reçut en apanage la Mysie Propontide[ii], et son fils Adramytios la Mysie méridionale, où il bâtit la forteresse d'Adramytion[iii] : la Bithynie elle-même fut entamée[iv]. Il employa les dernières années de son règne à la construction d'un tombeau gigantesque, à peine inférieur pour la masse aux édifices de l'Égypte et de Babylone[v]. Toutes les ressources du royaume suffirent à peine à ce travail : il fallut suspendre les guerres pour l'achever. Aussi Crésus eut-il quelque peine à faire prévaloir ses droits à la couronne son frère Pantaléon, fils d'une Ionienne, lui disputa longuement le pouvoir avec l'appui des mécontents[vi]. Débarrassé de ce rival incommode, il essaya de la politique pacifique et il s'ingénia à enrichir les sanctuaires grecs, ceux de l'Europe comme ceux de l'Asie : l'Apollon et l'Athénée de Delphes, l'Apollon de Didyme et celui de Thèbes furent comblés de cadeaux. Une pitié aussi méritoire lui valut le droit de cité grecque et aux Lydiens le privilège de siéger sur le premier rang dans les Jeux Olympiques[vii], mais les habitants de la côte ionienne ne se crurent pas obligés pour cela de sacrifier leur liberté. Alors Crésus renonça à la douceur et il déclara la guerre aux villes qui lui fermaient l'issue des vallées du Caystre et de l'Hermos. Ephèse succomba la première, malgré les relations personnelles du roi avec le banquier Pamphaês[viii], malgré la présence aux affaires d'un de ses neveux, Pindaros, fils de Mélas ; l'acropole fut démolie, et la population descendit dans la plaine autour du temple d'Artémis. Smyrne éprouva le même sort, puis les villes de moindre importance tombèrent l'une après l'autre. Crésus eut un moment la pensée d'équiper une flotte et de s'emparer des Cyclades ; l'inexpérience des Lydiens en matière de navigation le força de renoncer à ce projet[ix]. Il se retourna alors contre l'intérieur et il subjugua en quelques années les Maryandiniens, les Thraces d'Asie, les Bithyniens, les gens de la Paphlagonie, les tribus phrygiennes qui avaient échappé à ses prédécesseurs, la Lycaonie, la Pamphylie ; sauf la Lycie et la Cilicie, tous les pays compris entre le Pont-Euxin, l'Halys et la Méditerranée lui payèrent le tribut[x]. L'acquisition de tant de provinces fertiles et industrieuses fit de lui un des souverains les plus opulents, et la générosité avec laquelle il prodigua ses trésors excita l'admiration des contemporains au plus haut degré[xi]. Les Grecs lui restituèrent en éloges et en reconnaissance ce qu'il leur donna en présents; ils l'entourèrent d'un renom de richesse qui dure encore.
En apprenant la chute de l'empire mède, il se sentit assez perplexe sur les conséquences que cet événement pouvait entraîner pour lui. Les traités de 585 se trouvaient annulés du coup, et si, d'un côté, la Lydie perdait une alliance qui avait aidé à sa grandeur en assurant sa sécurité, d'autre part, elle rentrait en possession de sa liberté d'action et rien ne l'empêchait plus de passer l'Halys. Le moment était d'ailleurs favorable à une attaque, tandis que la puissance de Cyrus était mal établie encore et que les provinces orientales de l'empire mède ne s'étaient pas ralliées à sa domination. Crésus se résolut donc à la guerre et il se chercha des alliés au dehors. L'Égypte accueillit d'autant mieux ses ambassadeurs qu'Amasis lui-même voyait dans l'avènement des Perses un danger prochain pour son royaume. Une alliance offensive et défensive fut conclue[xii], â laquelle Nabonide de Babylone et les Lacédémoniens adhérèrent bientôt[xiii]. En 545, le roi de Lydie était à la tête d'une coalition qui aurait eu raison des Perses aisément, si son action avait pu se produire d'ensemble ; par malheur, la trahison d'un chef de mercenaires grecs révéla à Cyrus le danger qui le menaçait et précipita les événements. La tradition lydienne prétendit saisir dans la chute de Crésus la volonté expresse du destin trois années durant Apollon fit échec à la fortune, mais le moment arriva où aucune force divine ne put la contenir plus longtemps. Le roi s'était adressé aux différents oracles de la Grèce pour connaître l'avenir, et il avait reçu d'eux plusieurs réponses ambiguës qu'il lui plut interpréter de la manière la plus favorable à ses désirs ; on lui avait dit que, s'il attaquait les Perses, il détruirait un grand empire, et que la suprématie de sa race durerait jusqu'au jour où un mulet s'assiérait sur le trône de Médie[xiv]. Il crut que les dieux lui promettaient la victoire et il ne songea plus qu'à porter la guerre sur le territoire ennemi. Les rares documents qui nous sont parvenus prouvent pourtant que, loin d'assumer l'offensive, il fut surpris par son adversaire. A peine prévenu, Cyrus s'était mis en campagne ; il traversa sans autorisation la partie nord de l'empire chaldéen et il déboucha en Cappadoce, mais là, il se heurta aux avant-postes lydiens. Crésus, averti par des émissaires de Nabonide, avait rassemblé ce qu'il avait de troupes disponibles, et, avant l'arrivée des Perses, il avait envahi la Cappadoce, au printemps de 546. Il s'y empara de Ptéria, dont la citadelle commandait la route de Sinope, et il en dévasta les environs comme pour interposer entre lui et l'ennemi une large bande de désert. Cyrus, battu à la première rencontre, proposa une trêve de trois mois que Crésus accepta pour donner à ses alliés le temps de le rejoindre. Cyrus essaya de soulever une révolte sur les derrières de son adversaire et manda des messagers aux Grecs d'Ionie pour les inviter à se joindre à lui. Ils refusèrent, moins par amitié pour le Lydien que par crainte de la domination perse. A la reprise des hostilités, la chance tourna et les Lydiens, pliant sous le nombre, durent se replier derrière l'Halys après une journée de lutte acharnée : Crésus se retira lentement, dévastant le pays sur son passage pour retarder la poursuite. L'hiver était proche, il crut la campagne terminée, et il licencia ses mercenaires ; il envoya à ses alliés de Grèce, de Chaldée et d'Égypte l'intimation de se préparer pour une campagne offensive au printemps suivant. Il avait compté que les Perses hiverneraient en Cappadoce : mais Cyrus comprit que, s'il attendait quelques mois encore, sa cause serait sinon perdue, au moins gravement compromise. Attaqué de front par les contingents de la Lydie et de Lacédémone, menacé en flanc et sur ses derrières par les Égyptiens et par les Chaldéens, il serait contraint de reculer ou de diviser ses forces. Il franchit donc l'Halys malgré l'hiver et il poussa droit vers Sardes. Crésus rassembla à la hâte ce qu'il avait de troupes indigènes et offrit la bataille. Même en ces circonstances défavorables, il aurait remporté la victoire si sa cavalerie, la meilleure qui fût au monde, avait pu donner. Mais Cyrus avait couvert le front de ses colonnes d'une ligne de chameaux ; l'odeur en effraya tellement les chevaux lydiens qu'ils se débandèrent et refusèrent de charger[xv]. Une seconde défaite sur les confins de la plaine de l'Hermos acheva de désorganiser la résistance. Crésus se retrancha dans Sardes et dépêcha message sur message à ses alliés, afin de hâter leur venue. La citadelle était bien défendue et passait pour imprenable ; elle avait déjà repoussé un assaut et elle paraissait disposée à tenir longtemps encore, lorsqu'un coup du hasard consomma sa ruine. Un soldat de la garnison laissa tomber son casque du haut des murailles, descendit le ramasser et remonta par le même chemin. Un aventurier marde, nommé Hyrœadês, l'aperçut, escalada les rochers que les ingénieurs avaient négligé de fortifier, les croyant inaccessibles, et pénétra avec quelques-uns de ses compagnons dans le coeur de la place. Elle succomba après quatorze jours de siège (546)[xvi].
La Lydie hors de combat, la coalition se dénoua d'elle-même. Les Lacédémoniens restèrent chez eux[xvii] ; Amasis, que son éloignement protégeait encore, se garda de bouger; Nabonide demeura sur la défensive. Si Crésus avait remporté la victoire, il n'aurait pas changé sensiblement la face du monde. La Lydie était trop loin de l'Iran pour pouvoir jamais établir sa domination sur la Médie de façon durable : Cyrus aurait refait son armée plus ou moins vite, et il serait revenu à la charge jusqu'à l'achèvement complet de ses projets. Son triomphe marqua une ère décisive dans l'histoire. Tous les rois d'Orient, les grands comme les petits, comprirent qu'ils étaient désormais à sa discrétion, et ils s'ingénièrent à éviter le moindre sujet de querelle avec lui ; une campagne de quelques jours avait détruit l'œuvre de trois années de négociations. L'affaissement soudain de la monarchie lydienne frappa les Grecs de stupeur. C'était la première fois qu'ils voyaient se jouer sous leurs yeux une de ces grandes tragédies dont l'histoire du monde oriental est remplie. La dynastie de Gygès les avait effrayés par sa vigueur, éblouis par son opulence, gagnés par ses largesses ; ils l'avaient crue invincible et ils ne concevaient pas qu'elle eût péri par un jeu de causes naturelles : ils imaginèrent que Crésus avait expié le crime qui avait élevé Gygès au trône. Au moment où les Perses pénétraient dans la citadelle, il avait fait ce que tant de monarques avaient fait avant lui, Shamashshoumoukîn et Saracos à Babylone et à Ninive : il avait mis le feu à son palais pour échapper au vainqueur. Le sacrifice s'accomplit-il jusqu'au bout ? Il est probable, mais le peuple ne put se résigner à le croire. Bacchylide affirmait dans une ode célèbre, qu'au moment où la flamme montait, Apollon avait enlevé le prince qui avait si largement enrichi ses autels et qu'il l'avait transporté chez les Hyperboréens[xviii]. La version d'Hérodote est plus développée. Crésus, aux jours de sa grandeur, avait eu la visite de l'Athénien Solon et il lui avait demandé qui était le plus heureux des hommes ? Solon avait énuméré successivement Tellus d'Athènes, les Argiens Cleobis et Biton, et, comme le roi se récriait, il lui avait déclaré qu'on ne peut juger du bonheur d'un homme tant qu'il vit, « car souvent le dieu nous donne un éclair de prospérité et il nous plonge ensuite dans la misère ». Crésus ne comprit pas la sagesse de cet avis sur le moment ; mais, bientôt après le départ de l'Athénien, son fils Atys fut tué à la chasse par un de ses hôtes, et il n'était pas encore consolé de ce malheur quand la prise de Sardes fit de lui un mendiant et un esclave. Il faillit être tué dans la foule par un soldat perse qui ne le connaissait pas ; un autre de ses fils, sourd et muet de naissance, vit le danger et en fut si effrayé que la parole lui jaillit aux lèvres : « Soldat, cria-t-il, ne tue pas Crésus ! » Crésus, mené devant le vainqueur, fut condamné à mourir. Il était déjà sur le bûcher quand les discours de Solon lui revinrent à l'esprit avec tant de force qu'il s'écria par trois fois « Solon ! » Cyrus l'interroge, apprend son histoire et lui accorde sa grâce. La flamme refusait de s'éteindre, un orage amassé par Apollon éclate soudain et noie le bûcher en quelques instants[xix]. Bien traité par Cyrus, le Lydien devint l'ami fidèle et le conseiller de son vainqueur, l'accompagna désormais partout et lui fut utile en plus d'une circonstance. En passant l'Halys il avait détruit un grand empire, mais cet empire était le sien. Le fils de Cambyse le Perse et de la femme mède, le Mulet, comme l'avait appelé l'oracle, retourna à Ecbatane après sa victoire et laissa à ses lieutenants le soin de consommer l'annexion. Mazarès réprima une révolte de Sardes, enleva l'une après l'autre les colonies grecques de la côte et mourut à la peine. Son successeur, Harpage, acheva sa tâche et conquit la Lycie, qui avait résisté aux Mermnades avec succès. Les gens de Phocée et de Téos s'expatrièrent, la population entière de Xanthos se fit massacrer plutôt que de se rendre : le reste se résigna à son sort et subit docilement la souveraineté des Perses[xx].
Tandis qu'Harpage achevait la pacification de l'Asie Mineure, Cyrus s'enfonçait dans les régions lointaines de l'extrême Orient. Nous n'avons sur cette partie de son règne que des renseignements isolés et presque sans valeur. S'il faut en croire Ctésias, la Bactriane fut frappée la première. Ses habitants comptaient parmi les meilleurs soldats du monde, et ils combattirent d'abord avec bonheur ; Ctésias affirme qu'ils posèrent les armes en apprenant que Cyrus avait épousé une fille d'Astyage[xxi]. On ne voit pas trop en quoi le mariage du conquérant avec une princesse mède pouvait exercer quelque influence sur leur décision; Ctésias a dû reproduire une légende reçue de son temps à la cour de Suse. L'annexion de Bactres entraînait celle de la Margiane, de l'Ouvarazmiya (Khorasmie[xxii]) et de la Sogdiane ; Cyrus y construisit plusieurs places fortes, dont la plus célèbre, Cyropolis ou Cyreskhata, commandait un des gués principaux du fleuve Iaxartès[xxiii]. Les steppes de la Sibérie arrêtèrent sa marche vers le nord, mais à l'est, dans les plaines de la Tartarie chinoise, les Çakâ ou Saces, renommés pour leur bravoure et leur richesse, n'échappèrent pas à son ambition. Il les assaillit, prit leur roi Amorgès et crut les avoir réduits ; mais Sparêthra, femme d'Amorgès, rassembla ses derniers fidèles, et repoussa les envahisseurs. Elle les aurait même contraints à lui rendre son mari en échange des prisonniers qu'elle avait faits[xxiv] : malgré sa victoire, les Saces se déclarèrent tributaires[xxv], et ils formèrent désormais l'avant-garde de l'empire contre les Nations de l'Est. En les quittant, Cyrus remonta vers le sud sur le plateau de l'Iran et il parcourut l'Haraïva (Arie), les Thatagous (Sattagydie), l'Haraouvati, le Zaranka, le pays entre la rivière de Caboul et le fleuve Indus[xxvi]. Eut-il le temps de descendre au delà du lac Hamoun et parvint-il aux bords de la mer Erythrée ? Une tradition d'époque postérieure prétendait qu'il avait perdu son armée dans les déserts sans eau de la Gédrosie[xxvii]. On ne saurait avoir confiance dans ces récits : le fait seul de la conquête subsiste, les détails en étaient oubliés depuis longtemps lorsqu'on s'avisa de les recueillir.
Ces guerres l'occupèrent cinq ou six ans, de 545 à 539[xxviii] ; dès le retour, il se prépara à marcher contre la Chaldée. La Chaldée avait l'apparence plus que la réalité d'un ennemi redoutable : ses luttes incessantes contre l'Assyrie l'avaient usée peu à peu, l'effort par lequel elle s'était délivrée et avait renversé sa rivale, les batailles de Nabuchodorosor, les discordes de ses successeurs avaient achevé de l'épuiser. La décadence était aussi prompte que l'élévation avait été soudaine : moins de trente ans après la mort du conquérant, on pouvait déjà prédire la chuté imminente de son oeuvre. Nabonide n'avait rien du héros ni même du soldat : c'était un monarque indolent et paisible, occupé du culte des dieux plutôt que de l'entretien des places et des armées. Dans les premières années, il réprima quelques rébellions insignifiantes en Syrie[xxix] et il régla la succession des rois de Tyr. Plus tard, quand la Médie se fut écroulée, il voulut avoir sa part des dépouilles et il s'attribua la ville de Kharrân avec le district environnant[xxx]. Là se bornèrent ses exploits : il préféra employer à construire les ressources de son royaume. Où il trouvait un édifice en ruines, il le réparait ou il le rebâtissait entièrement : il recherchait dans les fondations les cylindres que le roi dédicateur y avait enfouis pour perpétuer la mémoire de sa dévotion aux dieux, et sa joie était vive lorsque les fouilles lui livraient le nom d'un prince qui avait fleuri quelques centaines ou même quelques millier d'années avant lui[xxxi]. A Larsam, à Ourou, à Sippar, il restaura les monuments des vieux chefs chaldéens, et le soin qu'il eut de ces villes et de leurs divinités excita des sentiments de jalousie chez les prêtres de Babylone. Cependant Cyrus grandissait toujours et les alliés de la Chaldée disparaissaient l'un après l'autre, la Médie d'abord, la Lydie ensuite : en l'an xvii, les riverains de la Méditerranée se soulevèrent et Nabonide ne fit rien pour les ramener à l'obéissance[xxxii].
Les Juifs étaient trop faibles encore pour imiter l'exemple que leurs anciens voisins leur donnaient : mais si leur dispersion leur défendait d'agir efficacement, ils ne dissimulaient déjà plus la joie dont l'isolement de Babel les comblait. La sentence d'exil lancée contre eux par Nabuchodorosor n'avait pas été aussi générale qu'on le croit d'ordinaire. La population des villes secondaires et des campagnes, ou bien n'avait pas quitté ses foyers pendant la guerre, ou bien y était rentrée aussitôt après, avec assez d'empressement pour que les Chaldéens ne fussent pas obligés, comme les Assyriens lors de la chute de Samarie, à la renforcer par des colonies d'étrangers. Jérusalem elle-même n'avait pas été transplantée entière en Chaldée : beaucoup de ses habitants l'avaient abandonnée à temps et s'étaient réfugiés en Égypte. Le nombre des déportés n'avait pas dépassé peut-être vingt mille en trois fois[xxxiii], mais, à défaut de la quantité, la qualité leur méritait d'être considérés comme la représentation d'Israël entier. C'étaient d'abord les deux derniers rois, Joïakîn et Zédékias, puis leur famille, l'aristocratie de Juda, le clergé du temple et son grand prêtre, les prophètes[xxxiv]. Ils furent répartis entre Babylone et les cités voisines. Les textes contemporains ne nous signalent d'une manière précise qu'un seul de leurs établissements, celui de Tel-Abîb, sur le Kébar[xxxv], mais plusieurs des colonies juives qui florissaient en ces régions vers l'époque romaine prétendaient remonter jusqu'au temps de la captivité : une légende recueillie dans le Talmud affirmait que la synagogue de Shafyâthib, prés de Nehardaa, avait été bâtie par le roi Joïakîn avec des pierres arrachées aux ruines du temple de Jérusalem[xxxvi]. Ces communautés jouissaient d'une autonomie complète. Pourvu qu'elles acquittassent l'impôt et les corvées réglementaires, elles étaient libres de pratiquer leur religion et de s'administrer comme elles l'entendaient. Les cheikhs, les anciens de la famille et de la tribu, qui avaient joué un rôle prépondérant au pays d'origine, conservèrent leur rang[xxxvii] : le Chaldéen les acceptait pour chefs de leur peuple et il ne les gênait aucunement dans l'exercice de leur autorité. Comment les autres arrangèrent leur existence, à quelles industries ils s'adonnèrent pour gagner le pain de chaque jour, pour conquérir l'aisance et même la richesse, aucun de ceux qui écrivaient alors n'a en souci de nous le dire[xxxviii]. Ouvriers ou laboureurs, employés ou marchands, il fallait vivre, et l'on vécut, et, selon le conseil de Jérémie[xxxix], on travailla à ne pas laisser perdre la semence d'Israël. Quelques siècles plus tard, on s’imaginait volontiers que les exilés avaient été plongés tout entiers dans la pénitence et dans l'inertie. « Au bord des fleuves de Babel - nous étions assis et nous pleurions, - en nous souvenant de Sion. Aux saules de la campagne - nous avions suspendu nos lyres ; - car là nos ravisseurs nous commandaient des paroles de chant, - nos oppresseurs des accents de joie : - « Chantez-nous des cantiques de Sion ! » Comment chanterions-nous le chant de Jahvé - sur la terre étrangère ![xl] » Cela n'était vrai que des prêtres et des scribes. Le vide s'était fait dans leur vie, du jour que le conquérant les avait arrachés à cette routine de prières et de rites minutieux dont l'accomplissement leur semblait être le privilège le plus enviable auquel l'homme pût aspirer. Le temps qu'ils avaient consacré jadis au service du temple ils le consumaient à se lamenter sur les malheurs de la nation, â s'en accuser eux-mêmes et les autres, à se demander quel crime leur avait mérité la ruine et pourquoi Jahvé, qui avait absous si souvent leurs pères, n'avait pas étendu sa clémence jusque sur eux.
C'est dans la patience même de Dieu qu'Ézéchiel leur montrait la cause de leur déchéance. Nourri dans le temple dès l'âge le plus tendre, puis déporté en 597 avec Joïakîn, il avait médité sur l'histoire du passé et elle lui était apparue comme un long conflit entre la justice divine et l'iniquité juive. Jahvé s'était engagé envers la maison d'Israël du temps qu'elle était encore en Égypte, et il ne lui avait réclamé qu'un peu de fidélité en échange de sa protection : « Jetez chacun de vous les idoles de ses yeux et ne vous souillez pas avec les faux dieux du pays d'Égypte ; moi, Jahvé, je suis votre Dieu ! » Cette condition si douce, les enfants d'Israël ne l'avaient jamais observée et c'était l'origine de leurs maux ; avant même d'échapper à Pharaon, ils avaient trahi leur maître, et celui-ci avait songé à les accabler de sa colère, « mais j'agis par égard pour mon nom, pour qu'il ne fût pas avili aux yeux des peuples au milieu desquels ils se trouvaient, et en présence desquels je m'étais révélé à eux, et à l'effet de les tirer d'Égypte. Je les tirai donc d'Égypte et les conduisis dans le désert. Et je leur donnai mes préceptes et je leur promulguai mes commandements, que l'homme doit pratiquer pour s'assurer la vie. Et de plus, je leur assignai mes sabbats pour servir de signe entre moi et eux. Mais ils furent rebelles à mes ordres ». Comme ils avaient fait en Égypte, ils firent au pied du Sinaï. Cette fois encore Jahvé ne put se résoudre à les détruire ; il se borna à décréter que nul d'entre eux n'entrerait dans la Terre Promise, et il se retourna vers leurs fils. Mais les fils ne furent pas plus sages que n’avaient été les pères ; à peine entrés dans la contrée qui leur était dévolue, « un pays de lait et de miel, le plus beau de tous les pays, ils jetèrent les yeux sur toute colline élevée, sur tout arbre touffu, ils y immolèrent leurs victimes, ils y déposèrent le parfum de leur encens, ils y versèrent leurs libations ». Et, non contents de profaner leurs autels par des cérémonies et par des offrandes impies, ils s'inclinèrent devant des idoles : « Soyons comme les autres nations, comme les peuples de tous les pays, adorons le bois et la pierre ». – « Par ma vie ! dit le Seigneur, l'Éternel ; d'une main puissante et le bras étendu, et déversant sur vous mon courroux, je vous gouvernerai ![xli] » Si légitime que fût le châtiment, Ezéchias ne croyait pas qu'il dût être perpétuel. Dieu est trop juste pour rendre les générations futures responsables à jamais de la faute des générations passées et présentes. « Qu'avez-vous donc, vous autres d'Israël, à répéter sans cesse : « Les pères ont mangé du verjus, et les dents des fils en ont été agacées ? » - « Par ma vie ! dit le Seigneur l'Éternel : ne répétez plus ce proverbe en Israël ! Car voyez toutes les personnes sont à moi, la personne du père et la personne du fils, mais c'est la personne coupable qui mourra… Celui qui est juste restera en vie, parole du Seigneur l'Éternel. » Israël est donc maître de ses destinées : s'il s'obstine en ses égarements, il reculera d'autant l'heure du salut ; s'il se repent et s'il observe la loi, la colère divine s'apaisera. « Ainsi donc, maison d'Israël, je vous jugerai chacun selon ses oeuvres. Jetez loin de vous tous les péchés que vous avez commis ; faites-vous un coeur nouveau et un nouvel esprit ! Pourquoi voudriez-vous mourir, maison d'Israël ? Car je ne prends point plaisir à la mort de celui qui meurt ! Revenez donc et vivez ![xlii] » Quelques-uns objectaient qu'il était bien tard pour parler encore d'espoir et d'avenir : « Nos ossements sont desséchés, disaient-ils, notre confiance est minée ; nous sommes perdus ». Le prophète leur répondait que Dieu l'avait emmené en esprit au milieu d'une plaine couverte d'ossements. « Et je les adjurai, et tandis que je les adjurais, voilà qu'avec fracas ils se rejoignirent les uns les autres. Et quand je les regardai, je vis sur eux des nerfs, puis ils se vêtirent de chair et la peau les enveloppa, mais il n'y avait pas encore de souffle en eux. Alors Jahvé me dit : « Evoque le souffle, évoque, fils de l'homme, et crie au souffle : « Voici ce que dit le Seigneur, l'Éternel : Viens, souffle des quatre vents et souffle dans ces cadavres pour qu'ils revivent ». Et j'évoquai, comme j'en avais reçu l'ordre, et le souffle entra en eux et ils revinrent à la vie et ils se dressèrent sur leurs pieds, une grande, grande multitude ; alors il me dit : « Ces ossements-là c'est la maison d'Israël… Voyez, je vais ouvrir vos tombeaux et vous en sortir, ô mon peuple ! et je vous ramènerai dans la terre d'Israël… et je mettrai mon souffle en vous, pour que vous reveniez à la vie, et je vous replacerai dans votre patrie, afin que vous reconnaissiez que moi, Jahvé, je l'ai dit et fait[xliii] ».
Les prophètes d'autrefois n'avaient tracé de la restauration d'Israël et de son bonheur que des descriptions poétiques où rien n'était défini nettement, ni la loi qui le jugerait, ni le culte qu'il pratiquerait, ni les conditions les plus propres à garantir sa prospérité. Jérémie le premier avait désespéré de rien obtenir du peuple, sous le régime du pacte conclu jadis en Égypte, et il avait proclamé la nécessité de négocier une seconde convention, mais sans oser en indiquer les clauses[xliv]. Ézéchiel, plus hardi, songea dès lors à fixer les termes de l'alliance nouvelle et à rédiger la constitution qu'on devrait substituer à l'ancienne, le jour où l'exil serait terminé. La royauté avait été essayée et elle n'avait pas produit de résultats heureux : pour un monarque comme Ezéchias ou Josias, on en avait eu dix comme Achaz et comme Manashshèh. Cependant les Juifs étaient encore attachés si sincèrement à la forme de gouvernement monarchique, qu'il jugea inopportun de la supprimer entièrement. Il se résigna à conserver un roi, mais un roi plus pieux et moins indépendant que le prince rêvé par l'auteur du Deutéronome, un serviteur des serviteurs de Dieu dont la fonction principale se réduirait à subvenir aux besoins du culte. Jahvé était en vérité le seul souverain qu'il acceptât pleinement. Mais le Jahvé qu'il concevait n'était déjà plus celui que ses prédécesseurs avaient rêvé, le seigneur Jahvé d'Amos, « qui ne fait rien sans révéler son secret aux prophètes, ses servants[xlv] », ou celui d'Hoshéa « qui prend plaisir à l'amour et non aux sacrifices et à la connaissance de Dieu plus qu'aux holocaustes[xlvi] ». Son Jahvé à lui n'admet plus aucun commerce familier avec les interprètes de ses volontés ; il tient « le fils de l'homme » à distance, et il communique avec lui uniquement par l'intermédiaire des anges, ses messagers. Sans doute l'affection de ses enfants lui est douce ; mais il préfère leur respect et leur crainte, et l'odeur du sacrifice légalement accompli est suave à ses narines. Le premier soin du prophète est donc de lui dresser une maison neuve sur la montagne sainte. Ce temple de Salomon où il avait passé les lointaines années de sa jeunesse, il le rebâtit sur le même plan qu'autrefois, mais plus grand, mais plus beau ; la cour extérieure d'abord, puis la cour intérieure et ses chambres, puis le sanctuaire dont il calcule les dimensions au plus juste : dix coudées d'ouverture pour la porte, cinq coudées de chaque côté pour les parois latérales de la porte, vingt coudées de large et quarante de long pour la salle même, et ainsi de suite avec un luxe de détails techniques souvent malaisé à comprendre[xlvii]. Et, comme il faut à un édifice aussi bien ordonné un clergé digne de l'habiter, les fils de Sadok seuls auront rang de prêtres, parce que seuls ils ont gardé une fidélité inébranlable ; les autres lévites se confineront dans les emplois secondaires, car non seulement ils ont suivi les errements de la nation, mais ils lui ont donné le mauvais exemple et ils ont pratiqué l'idolâtrie. Les devoirs et les prérogatives de chacun, les revenus de l'autel, les sacrifices, les fêtes, l'apprêt des banquets, tout est prévu et déterminé avec une rigueur inexorable[xlviii]. Ézéchiel était prêtre et attaché aux manipulations les plus mesquines comme aux fonctions les plus nobles de son métier : les moindres recettes de boucherie ou de cuisine sa¬crée lui paraissaient aussi nécessaires que les préceptes de la morale â la prospérité future de son peuple. La construction et le rituel une fois mis sur pied, son imagination l'emportait de nouveau. Il se figurait voir une source jaillir du seuil même de la maison divine, et, s'écoulant vers la mer Morte à travers un grand bois, en assainir les eaux. « Et toutes sortes d'êtres animés qui se meuvent vivront partout où le ruisseau débouchera dans la mer, et le poisson sera très nombreux… Et sur les bords du ruisseau, des deux côtés, croîtra toute espèce d'arbres fruitiers, dont le feuillage ne se fanera pas et dont les fruits ne finiront pas : ils en produiront de nouveaux tous les mois, parce que cette eau sort du sanctuaire, et les fruits serviront de nourriture et les feuilles de médicaments[xlix]. » Les douze tribus d’Israël, même celles qui avaient disparu à diverses époques, se partageront le pays d'une manière idéale, Dan au nord, Ruben et Juda au sud, et elles fonderont à frais communs, autour de la montagne de Sion, la Jérusalem nouvelle dont le nom sera désormais : « Ici l'Éternel[l] ».
Ézéchiel n'exerça que peu d'influence sur ses contemporains ; il resta seul ou presque seul de son avis, et les idées exprimées par Jérémie l'emportèrent sur les siennes. Quelques-uns parmi les exilés s'obstinèrent de plus en plus à adorer les divinités païennes ; ils se fondirent probablement dans la masse de la population chaldéenne et ils furent perdus pour Israël aussi complètement que l'avaient été les déportés d'Ephraïm. Les autres, et c'était le grand nombre, restèrent fidèles à leurs espérances et s'appliquèrent à démêler, parmi les événements qui se déroulaient sous leurs yeux, les signes précurseurs de la délivrance annoncée par le prophète. « Veuille accroître ton peuple, ô Éternel, - veuille accroître ton peuple et te glorifier, - veuille étendre la limite de son pays ! - Éternel, dans la détresse ils ont regardé vers toi, - ils se sont répandus en prières quand tu les châtias. - Comme une femme enceinte, quand son terme approche, - se tord et crie dans ses douleurs, - ainsi nous étions devant toi, Éternel ! … Va, mon peuple, retire-toi dans ta chambre, - et ferme les portes derrière toi ! - Cache-toi un petit instant, - jusqu'à ce que le courroux soit passé. - Car bientôt l'Éternel va sortir de son lieu, - pour demander compte de ses crimes à l'habitant de la terre, - et la terre découvrira le sang versé - et ne cachera plus le corps des victimes.[li] » La mort de Nabuchonorosor en 562 amena un changement dans leur condition. Evilmérodach tira leur roi Joïakîn de la prison où il languissait depuis trente années, et le traita avec honneur[lii] ; ce n'était pas encore la restauration désirée, mais c'était du moins la fin de la persécution. Puis vinrent les querelles de palais qui, en moins de huit ans, changèrent quatre fois de mains le sceptre de Nabuchodorosor, puis l'avènement du pacifique et dévot Nabonide, puis les premières victoires de Cyrus. Rien n'échappait à l'oeil vigilant des exilés, et leurs prophètes commencèrent à déclarer que les temps étaient proches, à parler de l'humiliation de Babylone, à en prédire la date. L'un, dont l'oeuvre a été classée avec les écrits de Jérémie, aperçoit les peuples du Nord et de l'Est en marche contre la cité condamnée. « Sonnez le clairon parmi les nations, appelez les peuples à inaugurer la guerre, convoquez contre elle les royaumes d'Ararat, de Minni et d'Ashkouz ; rangez contre elle les bataillons, lancez la cavalerie comme un essaim de sauterelles aux ailes droites ! Appelez les peuples à inaugurer la guerre contre elle, les rois de Médie, les capitaines et leurs satrapes, et tout le pays de leur domination. La terre tremble, elle est en travail, car ils vont s'accomplir les desseins de l'Éternel de changer Babel en un désert sans habitants.[liii] » Un autre voit déjà l'oppresseur mort et descendu aux enfers : « L'enfer dans ses profondeurs s'émeut pour toi, - à ton arrivée il excite les ombres ; - il fait lever de leurs sièges tous les princes de la terre, - tous les rois des nations. - Tous ils élèvent leur voix - et te disent : « Toi aussi tu t'es donc évanoui comme nous, - Tu es devenu notre égal ! » - « Et toi tu te disais en ton cœur : « Je monterai au ciel ; - au-dessus des étoiles de Dieu j'élèverai mon trône ; - je serai l'égal du Très-haut ! » Ha ! c'est dans l'enfer que tu seras précipité, - au fond du sépulcre ! - Ceux qui t'y verront te contempleront, - jetteront sur toi un regard curieux : - Est-ce là l'homme qui ébranla la terre, - qui fit trembler les empires, - qui changea le monde en un désert, dévasta les villes - et ne relâcha pas les captifs ? » - Tous les rois des peuples reposent avec honneur - chacun dans son mausolée : - mais toi, tu es jeté loin de ton sépulcre, - comme une branche vile, - sous un linceul de morts égorgés par l'épée, qui descendront dans leurs tombes maçonnées, - toi, cadavre foulé aux pieds - tu ne seras point réuni avec eux dans la tombe, - désolateur de ton pays, - bourreau de ton peuple[liv] ».
L'écho de ces malédictions n'arrivait pas jusqu'aux oreilles de Nabonide, mais il comprenait la grandeur du péril qui le menaçait et il tâchait de le conjurer. Ce n'était pas une fantaisie d'archéologue qui le poussait à relever les temples détruits, à restaurer de vieux cultes oubliés dés longtemps ; il voulait détourner de sa personne et de son royaume la colère des dieux ennemis et se concilier la bonne volonté des nationaux. Cette affectation de piété envers des divinités qui n'étaient pas de Babylone mécontenta le sacerdoce babylonien : lorsque les Perses parurent sur la frontière en 538, non seulement les captifs internés en Chaldée, mais une partie de la population indigène appelait de ses voeux la présence de l'étranger. Nabonide recourut aux grands moyens : il ordonna des sacrifices à Bel, en expiation des péchés du peuple, et il transféra dans la capitale les dieux les plus vénérés, Zamalmal et les maîtres de Kis, Bêltis et les seigneurs de Kharsagkalama, les divinités d'Akkad « qui sont au-dessus et au-dessous de l'atmosphère ». Cyrus ne fut pas intimidé par l'arrivée de cette garnison d'idoles : il eut raison de ses adversaires en quelques semaines. Au commencement du mois de Tammouz, il avait franchi le Tigre et battu les Chaldéens près de la ville de Routoum. Aussitôt une révolte éclata en Akkad qui enleva à Nabonide ses dernières ressources. Le 14, les Perses entrèrent paisiblement dans Sippar ; le 16, Gobryas qui les commandait s'empara de Babylone presque sans coup férir. Nabonide, livré par les siens, fut traité avec bienveillance et exilé en Carmanie. Son fils aîné Belsharousour, le Balthazar des Hébreux, tenta un effort suprême pour repousser l'invasion : il fut battu par Gobryas le 14 de Marchesvân, et il périt dans la déroute[lv].
L'empire entier tomba du même coup et sans secousse aux mains des Perses. Les peuples tributaires, Syriens, Arabes, Phéniciens, perdirent leurs anciens maîtres et en gagnèrent de nouveaux, sans plus s'inquiéter du changement que s'il ne se fût pas agi d'eux et de leurs intérêts ; du moment qu'ils ne pouvaient plus être libres, peu leur importait qui régnait. Babylone elle-même parut s'accommoder de sa servitude, et les partis qui avaient été hostiles à Nabonide se réjouirent de sa captivité. Cyrus fit d'ailleurs ce qui était nécessaire pour s'assurer leur bon vouloir : comme ses prédécesseurs assyriens, Tiglatphalasar, Sargon, Asarhaddon, Assourbanabal, il se plia aux exigences de leur orgueil, et, saisissant les mains de Bel, il se proclama formellement roi de Babylone. Son premier soin fut de renvoyer chacun dans sa ville les dieux que Nabonide y avait appelés au début de la campagne, et cette satisfaction accordée aux âmes dévotes que leur présence avait blessées acheva de les gagner au vainqueur[lvi]. ils présentèrent les événements sous le jour le plus favorable à la vanité nationale, Mardouk dirent-ils, s'était irrité de l'abandon où Nabonide l'avait laissé ; « le roi des dieux s'était affligé profondément de cette humiliation et tous les dieux qui habitent les temples de Babel avaient abandonné leurs sanctuaires ; on ne voyait plus Mardouk et les divinités ses alliés aux processions de Kalanna, car ils s'étaient réfugiés chez d'autres cités qui ne leur refusaient pas leur respect. Cependant la race de Shoumir et d'Akkad, tout en deuil, le pria de revenir ; il accéda à leur requête, et contenta le pays en lui choisissant un roi qui gouvernât selon son vouloir le peuple qui lui serait confié ! Il proclama Kouroush, d'Anshân, roi du monde entier et il annonça ce titre à toutes les nations… Il l'incita à marcher contre Babel sa propre ville, et conduisit l'armée perse comme un ami et comme un bienfaiteur : ses troupes, dont le nombre ne se peut non plus compter que celui des flots de l'Euphrate, et leurs épées ne furent qu'un vain ornement, car il les conduisit sans combat et sans résistance jusqu'à Kalanna, puis cerna et conquit sa propre cité. Nabonide, le roi qui l'avait méprisé, il le livra dans les mains de Kouroush. Tout le peuple de Babel, beaucoup parmi ceux de Shoumir et d'Akkad, les nobles et les prêtres s'étaient soulevés contre lui et s'étaient refusés de lui baiser plus longtemps les pieds : ils se réjouirent de leur nouveau maître et changèrent leur serment de féauté, car le dieu qui ramène les morts à la vie, et qui est secourable dans tout malheur et dans toute angoisse, lui avait accordé toute sa faveur[lvii] ».
Les Chaldéens n'étaient pas seuls à voir dans le Perse un envoyé de Dieu ; plus qu'eux encore, les Juifs étaient disposés à lui prêter ce caractère. La manière dont Babylone avait succombé avait trompé leurs espérances et démenti les prédictions de leurs prophètes : la cité de Nabuchodorosor n’avait pas été effacée de la face du monde comme celle de Sargon et de Sennachérib, et la vengeance de Jérusalem était moins complète que celle de Samarie ne l'avait été. Mais, déçus en cela, ils sentaient que la délivrance était proche, et l'un des plus grands parmi leurs poètes, l'un de ceux dont les oeuvres ont été transcrites à la suite de celles d'Isaïe, l'annonçait déjà en termes magnifiques : « Réjouissez-vous, cieux, car l'Éternel l'accomplit ; poussez des cris, profondeurs de la terre ! Montagnes, éclatez de joie, et toi, forêt avec tous les arbres ! - Car l'Éternel rachète Jacob, en Israël il manifeste sa gloire. Voici ce que dit l'Éternel, ton rédempteur, qui t'a formé lors de ta naissance : Moi je suis l'Éternel, créateur de l'Univers ; - moi seul je déploie les cieux, - j'affermis la terre - qui est avec moi ? … - C'est moi qui confirme la parole de mon serviteur, - qui ratifie le conseil de mes messagers, - qui dit de Jérusalem, qu'elle soit habitée, - et des villes de Juda, quelles soient rebâties : - Je veux relever leurs ruines ! - C'est moi qui dis à l'Océan : Dessèche-toi ; - je veux que tes courants tarissent ! - Je dis à Koresh : Tu es mon berger ! - et il accomplira toute ma volonté, - en disant à Jérusalem : « Sois rebâtie ! - et au temple Sois fondé ![lviii] » Dès la première année de son séjour à Babylone, Cyrus promulgua l'édit par lequel il permettait aux Juifs de rentrer au pays de leurs pères. Tous ne profitèrent pas de la faculté qui leur était accordée ; s'il faut en croire la tradition, quarante-deux mille trois cent soixante se déclarèrent prêts à quitter la terre de l'exil, sous la conduite d'un descendant de David, un fils du roi Joakîn, du nom de Shesbazzar. Ils s'établirent dans les petites villes de Juda et de Benjamin, et la réalité répondit si peu à l'idéal qu'ils s'étaient tracé de ce retour, qu'ils laissèrent écouler sept mois avant de déblayer le site du temple pour y élever un autel des sacrifices. Leur petite colonie, noyée dans un flot de populations hostiles, Philistins, Iduméens, Moabites, Ammonites, Samaritains, se serra autour du gouverneur perse, qui seul pouvait la protéger et lui témoigna une fidélité inébranlable. C'était bien sur quoi Cyrus comptait lorsqu'il les autorisait à regagner leurs montagnes : ils formèrent à cette extrémité de son empire une marche d'autant plus dévouée à ses intérêts que leur existence même dépendait de leur fidélité[lix].
De tous les princes qui s'étaient alliés contre la Perse, un seul, Amasis, avait jusqu'alors esquivé le châtiment. Une guerre contre l'Égypte semblait donc être imminente : Cyrus hésita un instant, puis il se rejeta vers l'Est lointain, et il y disparut d'une manière mystérieuse (529). Au dire de Xénophon, il mourut dans son lit, entouré de ses enfants, édifiant ceux qui l'approchaient par la sagesse plus qu'humaine de ses derniers moments[lx] ; ce tableau n'est pas plus authentique que ne le sont en général les renseignements fournis par Xénophon sur la Perse. Ctésias contait qu'il avait été blessé dans un engagement contre les Derbikes, peuple à moitié sauvage de la Bactriane, et qu'il avait succombé aux suites de sa blessure, trois jours après la bataille[lxi]. Selon Hérodote, il demanda en mariage Tomyris, reine des Massagètes, et il fut dédaigné. De dépit il franchit le fleuve Araxès[lxii], battit les barbares et prit le fils de leur reine, Spargapisès, qui se tua de désespoir. « Tomyris, ayant rassemblé ses forces, attaqua les Perses. De toutes les batailles livrées entre barbares, celle-là me paraît avoir été la plus sanglante, à en juger du moins par ce que j'ai ouï dire. D'abord ils se criblèrent de flèches à courte distance ; quand les flèches leur manquèrent, ils tombèrent les uns sur les autres à coups de piques et de sabres. Ils soutinrent la lutte pendant longtemps sans qu'aucun parti voulût fuir : à la fin les Massagètes eurent le dessus. La plus grande partie de l'armée perse resta sur le champ de bataille ; Cyrus lui-même y périt après un règne de vingt-neuf ans. Tomyris, ayant rempli une outre de sang humain, ordonna qu'on cherchât parmi les morts le cadavre de Cyrus : dès qu'on l'eut trouvé, elle lui plongea la tête dans l'outre et elle l'accabla d'injures. « Bien que je vive et que je sois victorieuse, tu m'as perdue en m'enlevant mon fils par ruse : aussi moi te rassasierai-je de sang.[lxiii] » Les Perses parvinrent à recouvrer le corps de leur roi ; ils le transportèrent à Pasargades, où ils l'ensevelirent somptueusement dans les jardins de son palais[lxiv].
La poésie populaire, qui avait défiguré sa vie et substitué des histoires fabuleuses au récit véritable de ses actions, s'attacha à faire de lui le portrait idéal d'un prince d'Orient : il devint grâce à elle le plus brave, le plus doux, même le plus beau des hommes. En fait, il paraît avoir eu toutes les qualités d'un général, l'activité, l'énergie, la bravoure, l'astuce et la duplicité si nécessaires en Asie au succès de la conquête : large et tolérant pour les religions étrangères, il n'eut pas les vertus d'un administrateur, et il ne se soucia pas de réunir en un seul corps constitué solidement les peuples divers qu'il avait su ranger sous sa loi. En Lydie et en Chaldée seulement il installa un gouverneur perse : partout ailleurs il se contenta d'une déclaration d'obéissance et il confia le gouvernement aux mains des indigènes. Il avait conquis tous les pays du vieux monde, l'Égypte exceptée, et fondé l'empire perse : il laissait le soin de l'organiser à ceux qui viendraient après lui[lxv].
Cyrus avait légué la couronne à l'aîné de ses enfants, Kambouzia II, que les Grecs appelèrent Kambysès, et le commandement de plusieurs provinces à Bardiya (Smerdis), son second fils[lxvi]. Réglant sa succession par avance ; il s'était flatté de prévenir les querelles qui accompagnent d'ordinaire un changement de règne en Orient. Son voeu ne fut pas exaucé : Cambyse, à peine assis sur le trône, égorgea son frère. Le crime fut commis avec tant de prudence et de secret qu'il passa inaperçu du vulgaire : le peuple et la cour crurent que Bardiya avait été enfermé dans quelque palais éloigné de la Médie, et ils s'attendirent à le voir reparaître bientôt[lxvii].
Après s'être débarrassé d'un rival qui menaçait de devenir dangereux, Cambyse ne songea plus qu'à la guerre. L'Égypte, protégée par le désert et par les marais du Delta, bravait encore la puissance des Perses. Depuis son alliance malheureuse avec la Lydie, Amasis s'était toujours conduit de manière à ne fournir aucun prétexte de guerre à ses voisins. Il se borna à rétablir en Chypre l'antique suzeraineté de l'Égypte[lxviii] et il n'éleva pas plus haut son ambition. Grâce à sa prudence inaltérable, il évita tout conflit avec Cyrus, et il profita des années de tranquillité qui lui furent accordées pour développer les ressources naturelles de son royaume. Le réseau des canaux fut réparé et agrandi, l'agriculture encouragée, le commerce étendu. « On dit que l'Égypte ne fut jamais plus florissante ni plus heureuse, que jamais Je fleuve ne fut aussi bienfaisant pour la terre, ni la terre aussi féconde pour les hommes, et qu'on y comptait alors vingt mille villes habitées.[lxix] » Les carrières de Troiou[lxx], de Souan[lxxi] et de Rahanou[lxxii] furent rouvertes et exploitées comme aux plus beaux jours. Thèbes, à demi indépendante, sous l'administration de la reine Onkhnas[lxxiii], fille de Psammétique II, reprit quelque animation sur ses deux rives ; les monuments de Karnak furent restaurés avec soin, et quelques riches particuliers se creusèrent des tombeaux qui ne le cèdent en rien aux tombes d'autrefois pour l'étendue et pour le fini des bas-reliefs[lxxiv]. Le reste de la haute Égypte était déjà trop dépeuplé pour qu'il y eût intérêt à en embellir les cités; les forces vives du pays se concentrèrent sur Memphis et sur les villes du Delta. A Memphis, Amasis bâtit un temple d'Isis qu'Hérodote qualifie de « très grand et très digne d'être vu » ; ce temple a disparu malheureusement, ainsi que le colosse couché de soixante-quinze pieds de long que le même prince avait consacré devant le temple de Phtah[lxxv]. Il décora Bouto, Sébennytos, Mendés, Tanis, la plupart des localités même secondaires. Il construisit, à Saïs, dans le temple de Neith, des propylées « qui surpassaient beaucoup les autres ouvrages de ce genre, tant par leur élévation et leur grandeur que par la grosseur et la qualité des matériaux ». Ils étaient ornés de colonnes énormes et précédés d'une longue avenue de sphinx. On y admirait deux obélisques gigantesques, une statue couchée, en tout semblable à celle de Memphis, et une chapelle monolithe en granit rose que le roi y avait amenée des carrières d'Abou. Deux mille bateliers avaient été occupés pendant trois ans à la transporter. Elle avait â l'extérieur environ onze mètres de hauteur, sept mètres trente-huit centimètres de profondeur et quatre mètres de largeur ; évidée à l'intérieur, elle pesait encore prés de cinq cent mille kilogrammes. Elle n'arriva jamais au fond du sanctuaire. « On conte que l'architecte, au moment même où elle atteignit son site actuel, poussa un soupir, songeant au temps qu'avait exigé le transport, et lassé par ce rude labeur. Amasis entendit le soupir et, le tenant à présage, point ne voulut qu’on menât plus loin la pierre. D'autres disent toutefois qu'un des ouvriers employés à la manoeuvre fut écrasé et tué par la masse et que ce fut la raison véritable pour quoi on la quitta à l'endroit où elle est maintenant.[lxxvi] »
La révolution qui avait porté Amasis au trône avait été suscitée par le parti national égyptien contre les étrangers. Les mercenaires et les marchands grecs s'étaient prononcés en faveur d'Apriès contre son rival : on pouvait craindre que celui-ci, une fois vainqueur, ne les chassât de son royaume. Il n'en fut rien : Amasis roi oublia les injures d'Amasis prétendant à la couronne. Ses prédécesseurs avaient bien accueilli les Grecs ; lui, les aima passionnément[lxxvii], et il se fit aussi Grec qu'il était possible à un Egyptien de le devenir. Il resta en bons rapports avec les Doriens de Cyrène : une fois même il intervint comme arbitre dans leurs affaires domestiques. Le Battos, qui avait triomphé si facilement des soldats d'Apriès, avait eu pour successeur Arkésilas. Des querelles de palais, compliquées d'une guerre contre les tribus libyennes où il avait eu le dessous, indisposèrent contre lui les Égyptiens qu'il avait à sa solde : son frère Laarchos l'assassina et le remplaça avec l'approbation des mercenaires, puis il fut tué à son tour par Éryxo et par Polyarchos, femme et beau-frère de sa victime. Les partisans de Laarchos s'adressèrent au Pharaon, et celui-ci se préparait à les appuyer de son armée quand la mort de sa mère arrêta les préparatifs. Polyarchos accourut en Égypte pendant la durée du deuil royal, et il plaida si bien sa cause qu'il la gagna : Battos le Boiteux, fils d'Arkésilas et d'Éryxo, fut proclamé par son puissant voisin[lxxviii]. Plus tard même une alliance plus intime resserra les liens qui unissaient les deux États : moitié politique, moitié caprice, Amasis épousa une femme de Cyrène, Ladikê, fille, selon les uns, d'Arkésilas ou de Battos, selon les autres, d'un riche particulier nommé Critoboulos[lxxix].
Les Grecs d'Europe et d'Asie n'eurent pas moins à se louer de lui que leurs frères d'Afrique : il noua des relations amicales avec les principaux sanctuaires de l'Hellade et il leur octroya à plusieurs reprises des présents magnifiques. En 548 le temple de Delphes brûla, et les Alcméonides s'engagèrent à le rebâtir moyennant trois cents talents, dont un quart fourni par les Delphiens. Ceux-ci, trop pauvres pour se procurer une somme aussi forte, quêtèrent chez toutes les nations amies : Amasis leur donna pour sa part mille talents d'alun d'Égypte, le plus estimé de tous. L'alun était employé en teinture et coûtait fort cher : les Delphiens en tirèrent bon parti[lxxx]. Il envoya à Cyrène une statue de sa femme Ladikê et une statue de Neith, dorée complètement ; à Lindos pour la Minerve, deux statues de pierre et une cuirasse de lin d'une finesse merveilleuse[lxxxi] ; à Samos et à sa Junon deux statues en bois qui existaient encore au temps d'Hérodote[lxxxii].
Le site actuel de Naucratis[lxxxiii]
Aussi les Grecs affluèrent en Égypte et s'y établirent en Si grand nombre que, pour éviter toute querelle avec les indigènes, on dut bientôt régler leur position à nouveau. Les colonies fondées le long de la branche Pélusiaque par les Ioniens et par les Cariens de Psammétique 1er avaient prospéré et possédaient déjà une population qu'on peut évaluer à près de deux cent mille âmes[lxxxiv] : Amasis la transféra à Memphis ou dans les environs pour se garder contre ses sujets égyptiens[lxxxv]. Les colons plus récents furent dirigés vers la bouche Canopique sur la petite ville de Pamaraïtî, qui prit le nom de Naucratis et qu'on leur abandonna complètement[lxxxvi]. Ils y constituèrent une république gouvernée par des magistrats indépendants, prostates ou timouques[lxxxvii] ; on y voyait un Prytanée, des Dionysiaques, des fêtes d'Apollon Komæos, des distributions de vin et d'huile, le culte et les moeurs de la Grèce[lxxxviii]. Ce fut désormais le seul port ouvert aux étrangers. Lorsqu'un navire marchand poursuivi par des pirates, assailli par la tempête ou contraint par quelque accident de mer, abordait sur un autre point de la côte, le capitaine était tenu de se présenter devant le magistrat le plus proche, afin d'y jurer qu'il n'avait pas violé la loi de son plein gré, mais forcé par des motifs impérieux. Si l'excuse paraissait plausible, on l'autorisait à gagner la bouche Canopique ; quand les vents ou l'état de la mer s'opposaient à ce qu'il partît, on embarquait la cargaison sur des bateaux du pays et on la transportait en territoire grec par les canaux du Delta[lxxxix]. Cette disposition de la loi fit la fortune de Naucratis: le commerce entier du Nil s'écoula par ses marchés, et elle devint en quelques années un des entrepôts les plus considérables du monde ancien. Les Grecs de tous pays la remplirent et ils ne tardèrent pas à déborder sur les campagnes environnantes, qu'ils semèrent de villas et de bourgs. Les marchands qui consentaient à ne pas vivre sous la protection hellénique furent autorisés à s'établir dans telle ville d'Égypte qu'il leur plairait choisir et à s'y bâtir des factoreries. Amasis leur concéda même le libre exercice de leur culte : les Éginètes avaient le sanctuaire de Zeus, les Samiens celui de Héra, les Milésiens celui d'Apollon, et neuf villes d'Asie Mineure s'entendirent pour édifier à frais communs un temple et un enclos sacré qu'elles nommèrent l'Hellénion[xc]. La Haute Égypte et le désert ne furent pas à l'abri de cette invasion pacifique. Les négociants de Naucratis sentirent de bonne heure la nécessité d'avoir des agents sur la route des caravanes qui viennent de l'intérieur de l'Afrique : des Milésiens ouvrirent leurs comptoirs dans l'antique cité d'Abydos[xci], et les Samiens de la tribu Æskhrionie avaient poussé jusque dans la Grande Oasis[xcii]. Les Grecs rapportaient de ces régions lointaines des récits merveilleux qui piquaient la curiosité de leurs compatriotes et des richesses qui stimulaient leur cupidité : philosophes, marchands, soldats, s’embarquaient pour le pays des merveilles, â la recherche de la science, de la fortune ou des aventures. Amasis, qui craignait toujours une attaque des Perses, accueillait les immigrants à bras ouverts : ceux qui restaient s'attachaient à sa personne, ceux qui partaient emportaient avec eux le souvenir des bons traitements qu'ils avaient reçus et ils préparaient en Grèce les alliances dont l'Égypte craignait d'avoir besoin dans quelques années au plus tard.
Tout cela était sagement conçu, mais les Égyptiens de vieille souche ne savaient aucun gré à leur roi de sa prévoyance. Comme les Juifs depuis Ezéchias, comme les Babyloniens sous Nabonide, comme la plupart des peuples de race antique qui se sentent menacés par la ruine, ils attribuaient leur faiblesse, non pas à leurs propres fautes, mais à la fatalité d'en haut. Les faveurs qu'Amasis prodiguait aux étrangers leur parurent un sacrilège véritable. Les Grecs n'introduisaient-ils pas leurs dieux avec eux ? Ne trouvait-on pas dans les villes et dans les campagnes des gens qui associaient le culte de ces divinités barbares à celui des divinités nationales ? Le roi n'avait-il pas ordonné qu'on payât la solde et l'entretien des mercenaires sur les biens des temples, à Sais, à On, à Bubaste, à Memphis[xciii] ? La haine qui s'était amassée contre lui ne se manifesta point par des actes ou par des révoltes : elle le calomnia sourdement et elle dénatura son caractère. Mille histoires malignes ou plaisantes coururent sur son compte, et se perpétuèrent pendant les siècles suivants. On raconta qu'avant son avènement il aimait fort à boire et à mener grande chère, qu'il avait souffert souvent du mal qui a nom faute d'argent, mais qu'il avait réussi toujours à se procurer ce qui lui manquait par divers moyens « dont le plus honnête était par larcin furtivement fait[xciv] ». On affirma que, devenu roi, il s'enivrait encore de brandevin au point de ne plus être en état de vaquer aux affaires publiques[xcv]. A ces légendes et à bien d'autres non moins mensongères, ses partisans en opposaient qui étaient toutes en son honneur. D'un bassin d'or dans lequel lui et les siens se lavaient les pieds chaque jour, il avait tiré une statue divine à laquelle les gens vinrent rendre hommage, et ceux-là même qui lui reprochaient la bassesse de son origine. Sur quoi il convoqua le peuple, lui exposa que leur vénération s'adressait à une ancienne cuvette, puis ajouta : « Il en est de moi ce qui en est d'elle : encore que je fusse jadis petit compagnon, aujourd'hui je suis votre roi et j'entends que vous m'honoriez tel que de raison[xcvi] ». Quoi qu'on pût dire, ce furent les sentiments de haine qui l'emportèrent dans l'esprit des indigènes.
Cyrus mort, Amasis se résigna à la guerre. Les motifs sérieux ne manquaient pas contre lui : il s'était allié à la Lydie, il avait intrigué avec la Chaldée ; Cambyse d'ailleurs était jeune et plutôt disposé à exciter qu'à refréner l'ardeur belliqueuse de ses compatriotes. L’imagination populaire ne se contesta pas des raisons très naturelles qui avaient produit le choc de la plus jeune et de la plus vieille des nations orientales : elle chercha à tout expliquer par des motifs personnels aux principaux acteurs du drame. Au dire des Perses, Cambyse demanda en mariage la fille du vieux roi dans l'espoir qu'on la lui refuserait et qu'il aurait une injure à venger : Amasis substitua Nitêtis[xcvii], fille d'Apriès, à sa propre fille. « Quelque temps après, Cambyse, se trouvant avec elle, l'appela par le nom de son prétendu père. Sur quoi elle dit : « Je vois, ô roi, que tu ne soupçonnes pas combien tu as été trompé par Amasis : il m'a prise et, me couvrant de parures, m'a envoyée à toi comme étant sa propre fille. De vrai, je suis l'enfant d'Apriès, qui était son seigneur et maître jusqu'au jour qu'il se révolta et, de concert avec les Égyptiens, le mit à mort ». Ce discours et le motif de querelle qu'il renfermait soulevèrent la colère de Cambyse, fils de Cyrus, et attirèrent ses armes sur l'Égypte[xcviii] ». En Égypte, on contait les choses autrement. Nitêtis avait été envoyée à Cyrus et elle lui avait donné Cambyse[xcix] : la conquête n'avait été qu'une revendication de la famille légitime contre l'usurpateur Amasis, et Cambyse montait sur le trône moins en vainqueur qu'en petit-fils d'Apriès. C'est par une fiction aussi puérile que les Égyptiens de la décadence se consolaient de leur faiblesse et de leur boute. Toujours orgueilleux de leur gloire passée, mais désormais incapables de vaincre, ils n'en prétendaient pas moins n'être vaincus et commandés que par eux-mêmes. Ce n'était plus la Perse qui imposait son roi à l'Égypte : c'était l'Égypte qui prêtait le sien à la Perse et par la Perse au reste du monde.
Depuis longtemps le désert et les marais constituaient le véritable boulevard du Delta contre les attaques des princes asiatiques. Entre le dernier château important de la Syrie, Jénysos[c], et le lac de Serbon, où les avant-postes égyptiens campaient, il y a près de quatre-vingt-dix kilomètres d'intervalle, qu'une armée ne pouvait parcourir en moins de trois jours[ci]. Dans les siècles passés, le désert avait été moins étendu : mais les ravages des Assyriens et des Chaldéens avaient changé la face du pays et transformé en une solitude des régions jadis assez populeuses. Un événement imprévu tira Cambyse d'embarras. Phanès d'Halicarnasse, un des généraux grecs d'Amasis, déserta et se réfugia en Perse. Il avait du jugement, de l'énergie, une profonde connaissance du théâtre futur de la guerre. Il conseilla au roi de s'entendre avec le cheikh qui dominait sur la côte et de lui demander un sauf-conduit ; l'Arabe disposa le long de la route des relais de chameaux chargés d'eau en quantité suffisante pour les besoins d'une armée[cii].
En arrivant devant Péluse, les Perses apprirent qu'Amasis était mort[ciii] et que son fils Psammétique III l'avait remplacé. Malgré leur confiance aux dieux et en eux-mêmes, les Égyptiens étaient en proie à de sombres pressentiments. Ce n'étaient plus seulement les nations du Tigre et de l'Euphrate, c'était l'Asie entière, de l'Indus à l'Hellespont, qui se ruait sur eux et qui menaçait de les écraser. Les alliés sur lesquels Amasis avait compté, Polycrate de Samos par exemple[civ] et ses anciens sujets tels que les Chypriotes[cv] avaient abandonné une cause qu'ils sentaient condamnée d'avance et ils s'étaient ralliés aux Perses. Le peuple, tourmenté par la crainte de l'étranger, voyait partout des signes et il interprétait en présage sinistre le moindre phénomène de la nature. La pluie est rare dans la Thébaïde et les orages ne s'y produisent guère qu'une ou deux fois par siècle. Quelques jours après l'avènement de Psammétique, « la pluie tomba à Thèbes en petites gouttes, ce qui n'était jamais arrivé auparavant[cvi] ». La bataille qui s'engagea en avant de Péluse fut menée de part et d'autre avec une bravoure désespérée[cvii], Phanès avait laissé ses enfants en Égypte. Ses anciens soldats, les Cariens et les Ioniens au service de Pharaon, les égorgèrent sous ses yeux, recueillirent leur sang dans un grand vase à moitié plein de vin, burent le mélange et se lancèrent comme des furieux au plus fort de la mêlée. Vers le soir, la ligne égyptienne plia enfin et la déroute commença. Au lieu de rallier les débris de ses troupes et de disputer le passage des canaux, Psammétique, perdant la tête, courut s'enfermer dans Memphis. Cambyse l'envoya sommer de se rendre, mais la foule furieuse massacra les hérauts. Après quelques jours de siège, la ville ouvrit ses portes ; la Haute Égypte se soumit sans résistance, les Libyens et les Cyrénéens n'attendirent pas qu'on les attaquât pour offrir un tribut[cviii] (525). Cette chute rapide d'une puissance qui défiait tous les efforts de l'Orient depuis des siècles, et le sort de ce roi qui n'était monté sur le trône que pour tomber aussitôt, remplirent les contemporains d'étonnement et de pitié[cix]. On contait que, dix jours après la reddition de Memphis, le vainqueur voulut éprouver la constance de son prisonnier. Psammétique vit défiler devant lui sa fille habillée en esclave, ses fils et les fils des principaux Égyptiens que l'on conduisait à la mort, sans qu'il se départît de son impassibilité. Mais, un de ses anciens compagnons de plaisir étant venu à passer couvert de haillons comme un mendiant, il éclata en sanglots et se déchira le front de désespoir. Cambyse, étonné de cet excès de douleur chez un homme qui avait marqué tant de fermeté, lui en demanda la raison. A cette question, il répondit : « Ô fils de Cyrus ! mes infortunes personnelles sont trop grandes pour qu'on les pleure, mais non pas le malheur de mon ami. Quand un homme tombe du luxe et de l'abondance dans la misère au seuil de la vieillesse, on peut bien pleurer sur lui ». Lorsque le messager rapporta ces paroles à Cambyse, il reconnut que c'était vrai ; Crésus fondit en pleurs, lui aussi, - car il était en Égypte avec Cambyse, - et les Perses présents se mirent à pleurer ». Cambyse, touché de compassion, traita son prisonnier en roi et il allait peut-être le rétablir sur son trône comme vassal, quand il apprit qu'une conspiration se tramait contre lui ; il l’envoya au supplice[cx] et il confia le gouvernement de l'Égypte au Perse Aryandès[cxi].
Pour la première fois de mémoire d'homme, le vieux monde obéissait à un seul maître ; mais était-il possible de tenir longtemps réunis les gens du Caucase et ceux de l'Égypte, les Grecs de l'Asie Mineure et les Iraniens de Médie, les Scythes de la Bactriane et les Sémites des bords de l'Euphrate, et l'empire n'allait-il pas s'écrouler aussi promptement qu'il s'était élevé ? Cambyse essaya d'abord de gagner ses nouveaux sujets en se pliant à leurs moeurs et à leurs préjugés. Il adopta le double cartouche, le protocole et le costume royal des Pharaons; tant pour satisfaire ses rancunes personnelles que pour se concilier les bonnes grâces du parti loyaliste, il se rendit à Saïs, viola le tombeau d'Amasis et brûla la momie[cxii]. Cet acte de vindicte posthume accompli, il traita avec déférence Ladikê, veuve de l'usurpateur, et il la renvoya chez ses parents[cxiii]. Il ordonna qu'on évacuât le grand temple de Nît, où des troupes perses s'étaient logées au mécontentement des dévots, et il répara à ses frais les dommages qu'elles avaient causés ; il poussa le zèle jusqu'à s'instruire dans la religion, et il reçut l'initiation aux mystères de la déesse des mains du prêtre Ouzaharrîsniti[cxiv]. C'était agir à l'égard de l'Égypte comme son père avait agi à l'égard de Babylone, et il avait des raisons majeures de montrer une condescendance pareille envers les vaincus de la veille : il songeait à prendre Memphis et le Delta pour base de ses opérations dans l'Afrique septentrionale. Il parut n'attacher que peu d'importance à la soumission volontaire de Cyrène : au moins, la tradition dorienne assurait qu'il dédaigna les présents d'Arkésilas III et qu'il jeta par poignées à ses soldats les cinq cents mines d'argent que ce prince lui avait payées en signe de vasselage[cxv]. Les Grecs de Libye n'étaient pas assez riches à son gré : la renommée de Carthage, accrue encore par l'incertitude et par la distance, excitait seule son avidité. Carthage était alors à l'apogée de la grandeur : elle dominait sur les anciennes possessions phéniciennes de la Sicile, de l'Afrique et de l'Espagne, sa marine régnait sans rivale sur le bassin occidental de la Méditerranée, ses marchands pénétraient au loin dans les régions fabuleuses de l'Europe septentrionale et de la Mauritanie. Cambyse voulut d'abord l'assaillir par mer, mais les Phéniciens qui montaient sa flotte refusèrent de servir contre leur ancienne colonie[cxvi]. Forcé de l'aborder par voie de terre, il expédia de Thèbes une armée de cinquante mille hommes chargée d'occuper l'Oasis d'Amou et de frayer la route au reste des troupes. Le sort de cette avant-garde ne fut jamais bien éclairci. Elle traversa la Grande Oasis, puis elle se dirigea vers le nord-est dans la direction du temple d'Amon. Les indigènes racontèrent plus tard qu'arrivée à mi-chemin elle fut assaillie pendant une halte par une rafale soudaine et ensevelie sous des monceaux de sable. Il fallut bien les croire sur parole : quelque diligence qu'on fit, on n'apprit rien d'elle, si ce n'est qu'elle n'atteignit pas l'Oasis et qu'elle ne revint jamais en Égypte[cxvii].
L'entreprise paraissait plus aisée vers le sud, car il semblait qu'en longeant toujours le Nil on n'éprouverait pas de difficulté à pénétrer au cœur de l'Afrique. Depuis la retraite de Tandamanou, le royaume de Napata avait rompu ses relations avec les nations de l'Asie. Attaqué par Psammétique 1er et Psammétique II, il avait conservé son indépendance et brisé les derniers liens qui l'attachaient à l'Égypte. Les contrées de la Nubie inférieure, si peuplées au temps des Pharaons égyptiens, étaient devenues presque désertes: les villes fondées par les princes de la XVIIIe et de la XIXe dynastie gisaient en ruine et leurs temples disparaissaient sous les sables. A peu prés à mi-chemin entre la première et la seconde cataracte, on rencontrait les grands-gardes éthiopiennes. Le royaume de Napata se divisait en deux régions comme celui d'Égypte : dans le To-Qonsit s'échelonnaient, en remontant le fleuve, Pnoubs[cxviii], Dongour[cxix], la capitale Napata, sur la Montagne Sainte[cxx], Astamouras, au confluent du Nil et de l'Astamouras[cxxi], Beroua enfin, la Méroé des géographes alexandrins ; au delà de Beroua commençait le pays d'Alo[cxxii], qui s'étalait entre le Nil Blanc et le Nil Bleu jusque dans la grande plaine de Sennaar. Sur la frontière méridionale d'Alo résidaient les Asmakh, descendants des soldats égyptiens émigrés au temps de Psammétique 1er. A l'est, au sud et à l'ouest, entre le Darfour, le massif d'Abyssinie et la mer Rouge, vivaient une foule de tribus à moitié sauvages, les unes noires, les autres de race africaine, d'autres de race sémitique, les Rohrehsa, au sud de Beroua, entre le Nil Bleu et le Tacazzé[cxxiii], les Madi ou Maditi, entre le Tacazzé et la chaîne de montagnes qui bordent la mer Rouge[cxxiv]. L'humeur belliqueuse des rois de Napata trouvait dans ces régions populeuses matière à victoires faciles et profitables : deux d'entre eux, qui florissaient à peu près dans le même temps que Cambyse, Horsiatef et Nastosenen, avaient soumis la plupart de ces peuplades et désolé par des razzias incessantes celles d'entre elles qui résistaient[cxxv].
La royauté éthiopienne était élective. L'élection avait lieu à Napata, dans le grand temple, sous la surveillance des prêtres d'Amon et en présence d'un certain nombre de délégués choisis à cet effet par les magistrats, les lettrés, les soldats et les officiers du palais. Les membres de la famille régnante, les frères royaux, étaient introduits dans le sanctuaire et présentés successivement à la statue du dieu, qui indiquait l'élu de son choix[cxxvi] par quelque signe convenu d'avance. Nommé par les prêtres, le souverain restait sous leur domination sa vie durant. Comme le dernier des Ramessides à Thèbes, il ne pouvait entreprendre aucune guerre ni accomplir aucun acte important, sans implorer l'autorisation du dieu. S'il venait à désobéir ou simplement à marquer quelques velléités d'insubordination, le clergé lui transmettait l'ordre de se donner la mort, et il n'avait d'autre ressource que de s'incliner devant cet arrêt. La loi si dure pour lui n'était pas plus tendre pour ses sujets. La moindre divergence d'opinion, le moindre changement introduit dans les pratiques du culte était considéré comme une hérésie et traité en conséquence. Vers la fin du septième siècle, quelques membres du sacerdoce de Napata méditèrent une sorte de réforme religieuse : ils voulaient, entre autres choses, substituer au sacrifice ordinaire du vieux rite égyptien différentes cérémonies, dont la principale consistait à manger crue la viande des sacrifices. Cette coutume, sans doute d'origine nègre, parut abominable aux yeux des orthodoxes. Le roi se rendit au temple d'Amon, en chassa les prêtres hérétiques, et brûla vifs ceux de leurs adhérents qu'il put saisir. L'usage sacré de la viande crue n'en persista pas moins il gagna du terrain à mesure que l'influence égyptienne allait s'affaiblissant, et il finit par s’établir si solidement qu'il s'imposa même au christianisme[cxxvii]. Encore au commencement de notre siècle, les Abyssins se régalaient de viande crue, qu'ils appelaient brindé[cxxviii]. L'isolement des Éthiopiens avait été plus profitable que nuisible à leur renommée. A peine entrevus dans la distance par les nations de la Méditerranée, ils avaient été investis peu à peu de vertus merveilleuses et presque divines. On disait d'eux qu'ils étaient les plus grands et les plus beaux des hommes[cxxix], qu'ils prolongeaient leur existence jusqu'à cent vingt ans et au delà, qu'ils possédaient une fontaine merveilleuse dont l'eau entretenait dans leurs membres une jeunesse perpétuelle[cxxx]. Prés de leur capitale, il y avait une prairie sans cesse couverte de boissons et de mets préparés : qui voulait venait et mangeait à sa fantaisie[cxxxi]. L'or était si commun qu'on l'employait aux usages les plus vils, même à enchaîner les prisonniers : le cuivre était rare et très recherché[cxxxii]. Cambyse fit explorer le pays par des espions, et, sur leurs rapports, il quitta Memphis à la tête de son armée. L'expédition à moitié réussit, échoua à moitié. Il semble que les envahisseurs suivirent le Nil jusqu'a Korosko, puis qu'ils l'abandonnèrent et qu'ils piquèrent droit à travers le désert dans la direction de Napata[cxxxiii] : les vivres et l'eau leur manquèrent au quart du chemin, et la famine les obligea à battre en retraite après avoir perdu beaucoup de monde[cxxxiv]. L'expédition eut pour résultat de rattacher à l'empire les cantons de la Nubie les plus voisins de Syène[cxxxv] ; néanmoins la population égyptienne, toujours disposée à bien accueillir les nouvelles défavorables à ses maîtres, se plut à ne voir que l'échec final. Cambyse avait été, dès son enfance, sujet à des crises d'épilepsie pendant lesquelles il devenait furieux et il n'avait plus conscience de ses actions[cxxxvi]. L'insuccès de ses tentatives en Afrique exaspéra sa maladie et redoubla la fréquence et la longueur des accès : il y perdit le peu de sens politique qu'il avait montré jusqu'alors et il se laissa emporter à toute la violence de son caractère. Le bœuf Apis était mort en son absence, et les Égyptiens, après avoir pleuré le défunt le nombre de jours réglementaires, intronisaient un Apis nouveau quand les débris de l'armée perse rentrèrent à Memphis. Cambyse, trouvant la ville en fête, s'imagina qu'elle se réjouissait de ses malheurs. Il manda auprès de lui les magistrats, puis les prêtres, et il les envoya au supplice sans écouter leurs explications. Il commanda qu'on lui amenât le bœuf et il lui perça la cuisse d'un coup de poignard. L'animal succomba quelques jours après[cxxxvii], et ce sacrilège excita dans le cœur des dévots plus d'indignation que la ruine de la patrie. Leur haine redoubla quand ils virent le Perse s'ingénier autant à heurter leurs préjugés qu'il avait pris de peine à les concilier auparavant. Il pénétra dans le temple de Phtah à Memphis et il se moqua d'une des formes grotesques sous lesquelles on avait accoutumé de représenter ce dieu. Il viola les tombeaux anciens, afin d'en examiner les momies. Les Iraniens eux-mêmes et les gens de la cour n'échappèrent pas à sa rage. Il tua sa propre sœur, qu'il avait épousée malgré la loi qui défendait les mariages entre enfants du même père et de la même mère. Une autre fois il abattît d'une flèche le fils de Prexaspès, il enterra vifs douze des principaux parmi les Perses, il ordonna l'exécution de Crésus, puis il se repentit de sa précipitation et cependant il condamna les officiers qui n'avaient pas obéi à l'ordre qu'il se repentait d'avoir donné. Les Égyptiens prétendirent que les dieux l'avaient frappé de folie en punition de ses sacrilèges[cxxxviii].
Bien ne le retenait plus aux bords du Nil : il reprit la route d'Asie. Il était déjà dans le nord de la Syrie lorsqu'un héraut se présenta devant lui, proclama à l'ouïe de toute l'armée que Cambyse, fils de Cyrus, avait cessé de régner, et somma ceux qui lui avaient obéi jusqu'alors de reconnaître pour roi Bardiya, fils de Cyrus. Cambyse crut d'abord que son frère avait été épargné par l'homme chargé de l'assassiner : il apprit bientôt que ses instructions n'avaient été que trop fidèlement accomplies et il pleura au souvenir de ce crime inutile. L'usurpateur était un certain Gaumatâ, dont la ressemblance avec Bardiya était si frappante que les personnes, même prévenues, s'y laissaient tromper aisément. Il avait pour frère Patizêithès, à qui Cambyse avait confié la surveillance de sa maison pendant son absence[cxxxix]. Tous deux connaissaient le sort de Bardiya ; tous deux savaient aussi que la plupart des Perses l'ignoraient et qu'ils croyaient le prince encore vivant. Gaumatâ se révolta dans Pasargades vers les premiers jours de mars 522 ; après quelques moments d'hésitation, la Perse, la Médie, le centre de l'empire se déclarèrent en sa faveur et l'intronisèrent le 9 Garmapada (juillet 522)[cxl]. D'abord atterré, Cambyse allait partir à la tête des troupes qui lui étaient restées fidèles, lorsqu'il mourut d'une manière mystérieuse. L'inscription de Béhistoun semble dire qu’il se tua de sa propre main dans un accès de désespoir[cxli]. Hérodote raconte qu'en montant à cheval, il s'enfonça la pointe de son poignard dans la cuisse à l'endroit même où il avait frappé le bœuf Apis : « Se sentant atteint à mort, il demanda le nom de l'endroit où il se trouvait, et on lui répondît « Agbatana[cxlii] ». Or, avant cela, il lui avait été annoncé par l'oracle de Bouto qu'il finirait ses jours à Agbatana. Il avait compris l'Agbatana de Médie, où ses trésors étaient, et il avait pensé qu'il y finirait ses jours dans un âge avancé : mais l'oracle songeait à l'Agbatana de Syrie. Lors qu'il eut ouï le nom de l'endroit, il revint à lui : « C'est donc ici que Cambyse, fils de Gyms, est condamné à mourir ». Il expira vingt jours après, sans laisser de postérité et sans avoir désigné son successeur[cxliii].
On a considéré souvent la révolte de Gaumatâ comme une sorte de mouvement national, qui restaura l'ancienne suprématie des Mèdes, et qui ravit un moment aux Perses la domination sur l'Asie[cxliv]. Gaumatâ n'était pas Mède : il était né en Perse, dans la petite ville de Pisyaouvada (Pasargades), près du mont Arakadris. D'abord acclamé pur les provinces centrales et orientales seulement, il fut accepté dans le reste de l'empire aussitôt après la mort de Cambyse. On le tenait généralement pour Bardiya, et cela suffisait à lui assurer le respect et la fidélité des Iraniens. Il s'empressa d'ailleurs de supprimer tous ceux, grands ou petits, qu'il soupçonnait d'être bien renseignés, et la crainte ferma la bouche des survivants : « Il n'y eut personne, ni parmi les Perses, ni parmi les Mèdes, ni même parmi les gens de la race achéménide, qui songeât à lui disputer le pouvoir[cxlv] ». Afin de gagner à sa cause les peuples vaincus, il les dispensa pour trois ans de l'impôt et du service militaire. Six mois durant il régna sans que personne soupçonnât l'imposture et vît en lui autre chose que l'héritier légitime du trône, le fils du grand Cyrus et le frère de Cambyse. A la fin pourtant la crédulité publique s'émut. Les révélations faîtes par le dernier roi un peu avant sa mort n'avaient trouvé d'abord que peu de créance ; on les avait attribuées à la jalousie ou à la haine fraternelle. Certaines circonstances se produisirent qui semblaient montrer que Cambyse avait dit vrai. Selon l'usage, Gaumatâ avait hérité, avec la couronne, le harem de son prédécesseur ; on apprit que les femmes étaient au séquestre et qu'elles ne communiquaient plus entre elles ou avec le monde extérieur que par messagers secrets, au péril de leurs jours. Le bruit se répandit que le prétendu Bardiya était essorillé, et l'on conclut de sa mutilation qu'il n'était pas le fils de Cyrus[cxlvi]. Daryavous (Darius)[cxlvii], fils de Vistâspa (Hystaspe), satrape d'Hyrcanie, qui appartenait à la maison royale et qui aurait été de plein droit l'héritier de Cambyse, s'entendit avec six des plus résolus parmi les chefs des grandes familles seigneuriales de la Perse[cxlviii], surprit Gaumatâ dans son palais de Sikhyaouvâtis en Médie et le tua le 10 Bagayadis (mars-avril) 521. On raconta plus tard que, le crime accompli, les sept convinrent de choisir pour souverain celui d'entre eux dont le cheval hennirait le premier au lever du soleil : une ruse de son écuyer procura la couronne à Darius[cxlix]. Le droit du sang les dispensait d'avoir recours à ce moyen romanesque : Darius, proclamé sans retard, purifia les temples que son prédécesseur avait souillés[cl], et il institua la fête de la magophonie en souvenir du meurtre qui l'avait fait roi.
Deux révolutions se succédant coup sur coup en moins d'une année avaient ébranlé la puissance des Perses. Leur empire n'était, comme celui des Égyptiens et des Assyriens, qu'un assemblage hasardeux de provinces administrées par des gouverneurs à demi indépendants, de royaumes vassaux, de villes et de tribus mal soumises. Tout prétexte était bon pour ces sujets impatients du joug, et, dès les premiers bruits, la révolte éclata sur deux points à la fois, en Susiane, où Athrîna, fils d'un des derniers rois nationaux, Oumbadaranma[cli], ceignit le diadème, à Babylone, où Nadintavbel se présenta comme étant le second fils de Nabonide et assuma, en montant sur le trône, le nom glorieux de Nabuchodorosor[clii]. Darius abandonna à ses généraux la tâche facile de vaincre Athrîna et il se réserva pour lui-même le commandement des troupes destinées à agir contre la Chaldée. Nabuchodorosor III avait bien employé le peu de temps que son rival lui avait laissé : quand les Perses débouchèrent dans la plaine assyrienne, il occupait déjà de fortes positions sur la rive droite du Tigre, et une flottille nombreuse couvrait son camp. Darius n'osa pas l'attaquer de front : il divisa son armée en petits corps, qu'il monta, partie à cheval, partie à chameau, et, trompant la surveillance de son adversaire par la multiplicité de ses mouvements, il réussit à franchir la rivière. Les Chaldéens essayèrent en vain de le rejeter à l'eau : battus, ils se replièrent en bon ordre et, six jours après, ils livrèrent une seconde bataille, à Zazanou, sur les bords de l'Euphrate (décembre 521). Leur déroute fut complète ; Nabuchodorosor, échappé avec quelques cavaliers, courut s'enfermer dans Babylone. Si Darius avait compté sur une reddition aussi prompte que celle qui avait livré la ville à Cyrus, son espoir fut déçu : il fut contraint de commencer un siège régulier, et cela, au moment où les provinces se mettaient en rébellion ouverte sur tous les points. La tentative du Perse Martiya pour débaucher une seconde fois la Susiane fut, il est vrai, réprimée promptement par les Susiens eux-mêmes, mais la Médie se laissa entraîner par un certain Fravartish, qui disait descendre de Cyaxare et qui se proclama roi sous le nom de Khshatrîta. Le temps n'était pas encore assez éloigné où Astyage dominait sur l'Iran, pour que la noblesse mède eut renoncé à recouvrer l'hégémonie dont la victoire de Cyrus l'avait dépouillée : l'occasion était d'autant plus favorable que Darius avait dû quitter la province subitement, presque aussitôt après le meurtre de Gaumatâ, et la dégarnir, afin de former l'armée qui opérait contre Babylone. Quelques-unes des tribus nomades demeurèrent fidèles : tous ceux des Mèdes « qui vivaient dans des maisons » se rangèrent sous les drapeaux du prétendant, puis l'insurrection gagna les pays les plus proches, l'Arménie et l'Assyrie.
C'en eût été fait de Darius si le mouvement se fût propagé aux satrapies occidentales ; par bonheur elles ne bougèrent point. Orœtès, gouverneur de la Lydie, affectait des allures indépendantes et menaçait de devenir dangereux : Bagæos, envoyé à Sardes, communiqua aux soldats perses l'ordre royal de ne plus garder leur commandant, et « aussitôt ils posèrent leurs piques. Lors Bagæos, voyant qu'ils obéissaient, prit courage et remit aux mains du secrétaire une deuxième lettre, où il était dit : « Le roi Darius somme les Perses qui sont à Sardes de tuer Orœtès. Sur quoi ils tirèrent leurs sabres et le tuèrent[cliii] ». Rassuré de ce côté, Darius n'était pas encore hors d'affaire et sa situation demeurait critique. Lever le siège de Babylone, il n'y devait pas songer : c'eût été fait de lui si Nabuchodorosor avait reparu librement en Assyrie et en Élam. Il se décida donc à poursuivre plusieurs campagnes à la fois et, tandis qu'il pressait lui-même le blocus, il leva deux autres armées et il les lança, l'une en Arménie sous Dadarshîsh, l'autre en Médie sous Vidarna, l'un des sept. Vidarna rencontra Khshatrîta à Maroush, le 20 Anamaka 510, mais la bataille demeura indécise, et il dut camper dans la Cambadène pour y attendre des renforts. Dadarshîsh de son côté remporta trois victoires consécutives sur les Arméniens mais sans faire de progrès sérieux[cliv] : en Arménie comme en Médie, Khshatrîta conserva ses positions, et sa résistance acharnée décida l'Hyrcanie et la Parthyène à se rallier à sa cause[clv]. La Sagartie s'arma à l'appel de Tchitrañtakhma qui s'annonçait comme un descendant de Cyaxare, et Frâda s'insurgea en Margiane. La Perse elle-même commença à douter du succès et elle élut un roi selon son coeur[clvi]. Bien des gens ne pouvaient encore se résigner à croire que la descendance directe de Cyrus se fût éteinte avec Cambyse. L'usurpation et la chute de Gaumatâ, l'avènement de Darius ne les avaient point ébranlés dans leur foi en l'existence de Bardiya : de ce que Gaumatâ était un imposteur, il ne suivait pas nécessairement que Bardiya fût mort. Aussi, quand un certain Vahyasdâta s'annonça à eux comme étant le plus jeune fils de Cyrus, ils l'acclamèrent avec enthousiasme.
Un succès qu'Hystaspe remporta à Vispaousatîsh en Parthiène, le 22 Viyakhna 519, empêcha les Hyrcaniens de se rallier aux Mèdes, et quelques jours plus tard la chute de Babylone rendit enfin à Darius l'usage de toutes ses forces. La longue résistance de cette place fournit une matière abondante à l'imagination populaire : un demi-siècle plus tard, on contait que le roi, arrivé devant Babylone, l'avait trouvée résolue à se défendre désespérément. Les habitants avaient coupé les canaux, rempli leurs magasins et leurs greniers, puis ils s'étaient débarrassés des bouches inutiles : ils avaient égorgé toutes les femmes, sauf le petit nombre qu'il en fallait pour la préparation du pain. Au bout de vingt mois les Perses n'étaient pas plus avancés que le premier jour, et ils se décourageaient, quand Zopyre, l'un des sept, se dévoua pour leur assurer la victoire. Il se coupa le nez et les oreilles, il se déchira à coups de fouet, puis il s'introduisit dans la pince comme transfuge, et, quand il eut gagné la confiance des assiégés, il livra les deux portes dont on lui avait confié la garde : trois mille Babyloniens expirèrent sur le pal, les murs furent rasés au niveau du sol et la ville se repeupla de colons étrangers[clvii]. Ce qu'il y a de certain dans cette histoire, c'est la longueur du siège. Nabuchodorosor fut exécuté, et Darius, enfin maître d'agir à sa guise, dépêcha un de ses lieutenants, le Perse Artavardiya, contre le faux Smerdis, tandis qu'il marchait de sa personne au-devant de Khshatrîta. Il pénétra en Médie par le défilé de Kerend et rallia Vidarna dans la Cambadène. L'entrée en scène des vétérans de Cyrus et de Cambyse changea soudain la face des affaires. Les milices des Mèdes cédèrent devant eux : Khshatrîta fut battu près du bourg de Koundourous, le 20 d'Adoukanis 519. Il s'enfuit vers le nord, sans doute afin de se jeter dans la montagne et d'y continuer la lutte, mais il fut pris non loi de là et conduit à Ecbatane. Son châtiment fut atroce : on lui coupa le nez, les oreilles et la langue, on lui creva les yeux, on l'enchaîna à la porte du palais, puis, quand le peuple se fut suffisamment repu de ce spectacle, le pal ; ses principaux partisans furent, les uns empalés comme lui, les autres décapités[clviii]. Le succès n'avait été ni moins rapide, ni moins complet du côté de la Perse. Dès le début, Vahyasdâta commit la faute de diviser ses troupes et d'en expédier une partie en Arachosie : Artavardiya, vainqueur à Bacha, puis à Paraga (519-518)[clix], l'enferma dans le château d'Ouvadéshaya et s'empara de sa personne[clx], tandis que le satrape d'Arachosie repoussait l'invasion victorieusement (518)[clxi]. Mais il semblait qu'une guerre engendrât l'autre : le succès éphémère du second faux Smerdis évoqua un second faux Nabuchodorosor. Darius avait à peine quitté Babylone que l'Arménien Arakha se présentait au peuple comme le fils de Nabonide : Vindafranâ (Intaphernès) le vainquit et le fit exécuter (510)[clxii]. La Médie, la Perse et la Babylonie reconquises, la soumission des autres provinces n'était plus qu'un jeu. Déjà Tchitrañtakhma avait expié sa rébellion sur la croix[clxiii] : Vistâçpa, père de Darius, eut promptement raison de l’Hyrcanie (juillet 519), et Dadarshîsh, satrape de la Bactriane, triompha sans grand'peine de la résistance de Frâda. La guerre était terminée (518)[clxiv].
La leçon de ces dures années ne fut pas perdue pour le vainqueur. L'empire de Cyrus renfermait, à côté des pays gouvernés par les officiers perses, des royaumes et des cités vassales, des peuplades tributaires, qui relevaient directe ment du souverain et qui n'avaient aucun ordre à recevoir des satrapes dans la province desquels leur domaine était enclavé : c'était encore le système qu'avaient pratique Tiglatphalasar III et ses successeurs assyriens. Darius ne s'ingénia pas à supprimer les dynasties locales; loin de là, il encouragea les peuples à garder leur' langue, leurs mœurs, leur religion, leurs lois, leurs institutions particulières. Les Juifs eurent la permission d'achever la construction de leur temple[clxv] ; les Grecs d'Asie retinrent leurs constitutions variées, la Phénicie conserva ses rois et ses suffètes, l'Égypte ses nomarques héréditaires. Mais il y eut au-dessus de ces pouvoirs locaux une autorité unique, supérieure à tous et la même partout. Le territoire fut divisé en grands gouvernements, dont le nombre flotta selon les temps. Au début, il y en avait vingt-trois :
1° La Parçâ ou Perse proprement dite ;
2° L'Ouvajâ, l’Élam, où se trouvait Suse, l'une des résidences favorites de Darius ;
3° Babirous, la Chaldée ;
4° Athourâ, l'Assyrie, du Khabour au mont Zagros ;
5° Arabayâ, la Mésopotamie entre le Khabour et l'Euphrate, la Syrie, la Phénicie et la Palestine ;
6° L'Égypte (Moudrâya) ;
7° Les peuples de la mer, parmi lesquels on comptait les Ciliciens et les Chypriotes ;
8° L'Yaounâ, qui renfermait, outre la Lycie, la Carie et la Pamphylie, les colons grecs de la côte, Ioniens, Éoliens et Doriens ;
9° La Lydie et la Mysie (Çpardâ) ;
10° La Médie ;
11° L'Arménie ;
12° La Katpatouka, c'est-à-dire toute la région centrale de l'Asie Mineure, du Taurus au Pont-Euxin ;
13° La Parthyène et l'Hyrcanie (Parthava) ;
14° La Zarânka (Zarangie) ;
15° L'Arie (Haraïva) ;
16° La Chorasmie (Ouvârazmiya) ;
17° La Bactriane (Bakhtrîs) ;
18° La Sogdiane (Çoughdâ) ;
19° La Gandarie (Gandara) ;
20° Les Çaka ou Saces, aux plaines de la Tartarie, presque sur les confins de la Chine ;
21° Les Thatagous ou Sattagydes, dans le bassin supérieur de l'Helmend ;
22° L'Arachosie (Haraouvatis) ;
23° Les Maka, qui habitaient les pays à cheval sur le détroit d'Ormuzd. Ce nombre s'accrut encore par la conquête : à la fin de son règne, Darius comptait dans l'empire trente et une satrapies[clxvi].
Si chacune d'elles avait été régie par un seul homme, investi de pouvoirs équivalents aux pouvoirs royaux et à qui il ne manquait du roi que le titre et l'hérédité, l'empire aurait couru le risque de se résoudre bientôt en un amas confus de principautés sans cesse en lutte contre la Perse. Darius évita de concentrer l'autorité civile et le commandement militaire entre les mêmes mains. Il établit dans chaque gouvernement trois officiers indépendants l'un de l'autre, et qui relevaient directement de la cour : le satrape[clxvii], le secrétaire royal et le général. Les satrapes étaient choisis par le roi dans n'importe quelle classe de la nation, parmi les pauvres comme parmi les riches, parmi les gens de race étrangère comme parmi les Perses[clxviii] : mais l'usage s'établit de ne confier les satrapies importantes qu'aux descendants des six familles qui avaient aidé à renverser Gaumatâ, ou bien à des personnages alliés à la famille royale[clxix] par le sang[clxx] ou par un mariage. Ils n'étaient pas nommés pour un espace de temps déterminé, mais ils restaient en charge aussi longtemps qu'il plaisait au souverain. Ils exerçaient l'autorité civile dans toute sa plénitude, ils avaient des palais, des parcs ou paradis, une cour, des gardes du corps, des harems bien fournis, ils répartissaient l'impôt à leur guise, ils administraient la justice, ils possédaient le droit de vie et de mort. Ils avaient auprès d'eux un secrétaire royal ; ce fonctionnaire, chargé ostensiblement du service de la chancellerie, n'était en réalité qu'un espion occupé à surveiller tous leurs actes et toutes leurs démarches pour en référer à qui de droit[clxxi]. Les soldats perses, les troupes indigènes et les mercenaires cantonnés dans la province étaient sous la main d'un général, souvent ennemi du satrape et du secrétaire[clxxii]. Ces trois rivaux se balançaient et se tenaient mutuellement en échec, de manière à rendre une révolte, sinon impossible, au moins difficile. Ils étaient en rapports perpétuels avec la cour par des services de courriers réguliers, qui transportaient leurs dépêches en quelques semaines[clxxiii] d'un bout de l'empire à l'autre. Pour surcroît de précaution, le roi envoyait chaque année dans les provinces des officiers qu'on nommait ses yeux et ses oreilles, parce qu'ils étaient chargés de voir et d'entendre pour lui ce qui se passait sur les parties les plus reculées du territoire. Ils surgissaient au moment où l'on s'y attendait le moins, ils examinaient l'état des choses, ils réformaient certains détails d'administration, ils réprimandaient et ils suspendaient au besoin le satrape ; ils étaient accompagnés d'un corps de troupes qui appuyait leurs décisions et qui prêtait à leurs conseils une autorité qu'ils n'auraient peut-être pas eue sans cela[clxxiv]. Un rapport défavorable, une désobéissance minime, même le simple soupçon d'une désobéissance, suffisaient à perdre un satrape ; quelquefois on le déposait, souvent on le condamnait à mort sans procès, et on laissait aux gens de sa suite le soin de son exécution. Un courrier arrivait à l'improviste, intimait aux gardes l'ordre de tuer leur chef, et les gardes obéissaient sur simple vue du firman royal.
Cette réforme administrative ne plut pas aux Perses ; ils se vengèrent par des railleries de l'obéissance à laquelle Darius prétendait les plier. Cyrus, disaient-ils, avait été un père, Cambyse un maître : Darius n'était qu'un cabaretier affamé de gain[clxxv]. La division de l'empire avait eu un but financier autant et plus encore qu'un but politique répartir, lever, verser l'impôt, était le grand devoir des satrapes. La Perse propre fut dispensée de charge régulière[clxxvi] : ses habitants étaient seulement requis à faire un cadeau au roi toutes et quantes fois il traversait le pays. Le cadeau était proportionné à la fortune de l'individu ce pouvait n'être qu'un bœuf ou un mouton, même un peu de lait ou du fromage, quelques dattes, une poignée de farine ou des légumes[clxxvii]. Les autres provinces furent frappées, à raison de leur étendue et de leur richesse, d'un tribut payable partie en argent, partie en nature. Le revenu en argent s'élevait à 1.460 talents euboïques, ce qui fait en poids 82.799.866 francs, et, en tenant compte de la valeur. relative de l'argent aux différentes époques, environ 665.000.000 de francs[clxxviii]. Afin de rendre les payements moins difficiles, Darius mit en circulation une monnaie d'or et d'argent, à laquelle on a donné son nom. Les dariques portent au droit une figure de roi armée de l'arc ou de la javeline. Elles sont épaisses, irrégulières, grossières de frappe, mais d'un titre remarquablement pur : l'alliage n'y représente que trois centièmes au plus de la masse totale[clxxix]. L'usage ne s'en répandit pas uniformément partout : elles servirent surtout à la solde des armées de terre ou de mer, et elles n'eurent cours communément que dans les contrées riveraines de la Méditerranée. A l'intérieur de l'Asie, on continua à évaluer selon le poids les métaux nécessaires aux transactions du commerce ou de la vie quotidienne, et les rois eux-mêmes préférèrent les conserver à l'état brut[clxxx] ; ils les coulaient dans des vases en terre à mesure qu'ils les recevaient, et ils ne les monnayaient que progressivement selon les besoins ou le caprice du moment[clxxxi]. L'impôt en nature n’était pas moins considérable que l'impôt en argent. L'Égypte fournissait le blé nécessaire aux 120.000 hommes qui l'occupaient militairement[clxxxii]. Les Mèdes livraient chaque année 40.0000 moutons, 4.000 mulets, 5.000 chevaux ; les Arméniens, 50.000 poulains[clxxxiii] ; les gens de Babylone, 500 jeunes eunuques ; la Cilicie, 365 chevaux blancs, un pour chaque jour de l'année[clxxxiv]. Les taxes royales n'avaient rien d'exagéré, mais elles ne sauraient donner la mesure des charges que chaque province supportait. Les satrapes ne recevaient aucun traitement de l'État : ils vivaient sur le pays avec leur suite et ils se faisaient rémunérer largement par les indigènes. Le seul gouvernement de Babylone suait chaque jour à son possesseur une pleine artabe d'argent[clxxxv] ; l'Égypte, l'Inde, la Médie, la Syrie ne devaient pas rapporter beaucoup moins, et les provinces les plus pauvres n'étaient pas les moins lourdement frappées. Les satrapes coûtaient à entretenir au moins autant que le roi.
Malgré ses défauts, ce système était de beaucoup préférable à celui qu'on avait jusqu'alors employé en Orient. Il assurait au souverain un budget régulier, il mettait les provinces sous sa main et il rendait les révoltes nationales fort difficiles. La mort de chaque roi ne fut pas suivie comme autrefois de soulèvements, dont la répression remplissait une bonne partie du règne suivant. Darius n'eut pas seulement la gloire d'organiser l'empire perse : il inventa une forme de gouvernement qui servit désormais de type aux grands États orientaux. Sa renommée d'administrateur a même nui à sa gloire militaire : on a trop souvent oublié qu'il avait élargi son domaine dans le temps qu'il en réglait la gestion. A force de victoires, les Perses en étaient arrivés à ne plus avoir d'issue que dans deux directions opposées, à l'est vers l'Inde, à l'ouest vers la Grèce. Partout ailleurs ils étaient arrêtés par des mers ou par des obstacles presque infranchissables aux lourdes armées de l'époque ; au nord, la mer Noire, le Caucase, la Caspienne, les steppes de la Tartarie ; au sud, la mer Erythrée, le plateau sablonneux de l'Arabie, le désert d'Afrique. Un moment, vers 512, on put croire qu'ils allaient se jeter à l'est[clxxxvi]. Du haut de l'Iran ils dominaient au loin les immenses plaines de l'Heptahendou (Pendjab). Darius les envahit, y conquit des territoires étendus, dont il forma une satrapie nouvelle, celle de l'Inde, puis, renonçant à pousser plus loin vers le Gange, il fit explorer les régions du sud. Une flotte construite à Peukéla et placée sous les ordres d'un amiral grec, Skylax de Karyanda, descendit l'Indus jusqu'à son embouchure et soumit au passage les tribus qui bordaient les deux rives. Parvenue à la mer, elle cingla vers le couchant et elle releva en moins de trente mois les côtes de la Gédrosie et de l'Arabie[clxxxvii].
Une fois engagés dans l'Inde, les Perses voyaient s'ouvrir devant eux une carrière lucrative et brillante. Je ne sais quelle circonstance les empêcha de poursuivre leurs premiers succès et ramena leur attention sur l'Occident. La conquête de la Lydie et la soumission des cités et des îles grecques de la côte leur avaient assuré le concours de populations actives et riches, et que leurs aptitudes aux arts de la guerre comme à ceux de la paix rendaient d'un prix inestimable pour le souverain qui saurait se servir d'elles. Curieux, hardis, sans cesse en mouvement, avides de gains, endurcis aux fatigues des voyages, les Grecs étaient déjà partout, en Asie Mineure, en Syrie, en Égypte, à Babylone, en Perse même, et c'était un Grec qui venait de naviguer l'Indus pour le compte du grand roi. D'autre part, la fougue même de leur tempérament, leur orgueil, leur impatience de tout contrôle régulier, leur tendance aux luttes civiles et à la révolte faisaient d'eux des sujets de maniement difficile et de fidélité douteuse. Ajoutez que leur entrée dans l'empire n'avait pas rompu les liens qui les attachaient à leurs frères d'Europe, et qu'ils continuaient à négocier et à intriguer avec ceux-ci aussi ouvertement qu'ils le faisaient auparavant: ce n'étaient d'une rive à l'autre de la mer Égée que complots et intrigues, bien propres à inquiéter la cour de Suse et à soulever ses colères. Dans le moment même que Darius s'efforçait d'armer le pouvoir central et de rendre l'obéissance aux satrapes plus effective, il lui était difficile d'endurer que des Grecs d'Europe se mêlassent à chaque instant des affaires de ses sujets d'Asie, sous prétexte que ceux-ci étaient Grecs comme eux : le prestige du souverain en aurait trop souffert ainsi que l'autorité de ses officiers. La conquête seule pouvait mettre un terme à ces pratiques : le jour où des satrapes commanderaient sur les côtes européennes de la mer Égée aussi bien que sur les côtes asiatiques, il faudrait que ces turbulents personnages vécussent en paix les uns avec les autres, dans la crainte du' suzerain. Ce ne fut donc pas, comme on le répète encore, un pur caprice de despote qui déchaîna le fléau des guerres médiques, ce fut le besoin impérieux de sécurité qui obligea les empires organisés fortement à subjuguer l'une après l'autre toutes les tribus ou toutes les cités qui s'agitent sur leurs frontières. Darius, qui de Trébizonde à Barca possédait un tiers environ du monde grec, ne vit d'autre moyen d'y assurer sa domination et d'enrayer les révoltes que de conquérir la métropole comme il avait conquis les colonies et d'annexer la Grèce d'Europe à celle d'Asie.
[i] Élien, Var. Hist., III, 26.
[ii] Nicolas de Damas, dans les Fragm. H. Græc., t. III, p. 397.
[iii] Et. de Byzance.
[iv] Et. de Byzance.
[v] Hérodote, I, XCIII. Le tumulus d'Alyattèsi Bin Bir Tépé a été décrit par Hamilton, Asia Minor, vol. II, p. 145-146, et par Ch. Texier, Asie Mineure, vol. II, p. 252, 399 ; il a été fouillé par M. Spiegenthal, consul de Prusse à Smyrne (Monatsb. der K. P. Akademie der Wissensch. zu Berlin, 1854, p. 700-702) et par Dennis.
[vi] Hérodote, I, XCII.
[vii] Hérodote, I, l, lxxvii, xcii ; V, xxxvi ; VIII, xxxv. Cf. Théopompe, Fragm. 184, dans les Fragm. H. Grec., t. I, p. 309.
[viii] Nicolas de Damas, Fragm. H. Grec., t. III, p. 397 ; Élien, Var. hist., IV, 27.
[ix] Hérodote, I, xxvi-xxvii.
[x] Hérodote, I, xxviii.
[xi] Cf. Hérodote, VI, cxxv, l'histoire des dons qu'il fit à l'Athénien Alcméon.
[xii] Hérodote, I, lxxvii.
[xiii] Hérodote, I, lxxxii. Cf. Xénophon, Cyropédie, VI, 2, §§ 10-11, où les alliés et les sujets de Crésus sont énumérés d'une manière assez exacte.
[xiv] Hérodote, I, LIII, LV.
[xv] Xénophon (Cyropédie, VI, 2, §§ 11, 44) place le lieu de l'action au bourg de Thymbrara, sur le Pactole ; Hérodote (I, LXXX) prétend qu'elle se livra à l'ouest de la ville, c'est-à-dire du côté opposé à celui d'où venaient les Perses.
[xvi] Hérodote, I, LXXXIV ; Xénophon, Cyropédie, VIII, 2, § 1-13 ; Ctésias, Persica, § 4 (édit. Müller-Didot, p. 46), et Xanthos de Lydie (Fragm. H. Græc., t. I, p. 41-42) rapportaient l'issue du siège différemment (Polyen, Strat., VII, 6, §§ 2, 10). Environ quatre siècles plus tard, Sardes fut enlevée de la même manière par un des généraux d'Antiochus le Grand (Polybe, VII, 4-7). La date de la prise de Sardes resta l'une des dates les plus célèbres de l'histoire grecque et servit de point de repère aux événements qui avaient précédé ou qui suivirent. Elle a été fixée de différentes manières : Büdinger (Krösus’ Sturz, eine Chronologische Untersuchung, in-8°, Vienne, 1878, p. 19-20) la met en 541 ou 540 ; Unger (Kyaxares und Astyages, p. 8 sqq.) en 546-545 ; Geizer (Das Zeitalter des Gyges, dans le Rheinisches Museum, XXX, p. 242) en 541 ; Lenormant (Histoire ancienne, t. II, p. 392) en 545-544. La date de 546 est celle que la découverte des Annales de Nabonide rend le plus vraisemblable. Pour la manière et les sources d'après lesquelles cette histoire a été reconstituée, voir Maspero, les Empires, p. 609-621.
[xvii] Hérodote, I, LXXXI-LXXXVIII.
[xviii] Bacchylide, Ode III, 23-62.
[xix] Hérodote, I, XXIX-XLVI, LXXXV-XCI. Cf. Ctésias, § 4, édit. Müller-Didot, p. 46, et Nicolas de Damas, dans les Fragm. H. Grec., t. III, p. 406-409, où certaines circonstances du récit primitif sont passées ou adoucies.
[xx] Hérodote, I, cxli-clxxvi, où sont racontées les aventures des Phocéens à la recherche d'une patrie nouvelle.
[xxi] Ctésias, Persica, § 2, édit. Müller-Didot, p. 46.
[xxii] Aujourd'hui le pays au sud de la mer d'Aral, entre l'embouchure de l'Amou-Daria et le golfe de Kara-Bogaz. Cf. Ctésias dans Etienne de Byzance, s. v. XvramnaÝow.
[xxiii] Arrien, Anabasis, IV, 2, § 4 ; 3 § 1-5.
[xxiv] Ctésias, Persica, § 5, édit. Müller-Didot, p. 46, place cette guerre avant la campagne de Lydie.
[xxv] Hérodote, III, xciii.
[xxvi] Aujourd'hui le Kohistân et le Kaferistan. Cf. Arrien, Historia Indica, I, 2.
[xxvii] Strabon, 1. XV, i, 5 ; Arrien, Anabasis, VI, 24, § 3, d'après Néarque (Fragment 23, édit. Müller-Didot). Cf. Spiegel, Eranische Alterthumskunde, t. II, p. 286-287.
[xxviii][xxviii] Hérodote, I, clxxvii.
[xxix] Pinches, On a cuneiform Tablet, dans les Transactions of the Society of Biblical Archeology, t. VII, p. 441-445.
[xxx] Pinches, On some recent Discoveries, dans les Proceedings of the Soc. of Bibi. Archæology, 1882, p. 7.
[xxxi] Il raconte qu’il découvrit à Sippar, dans le temple Ébara du dieu Soleil, les cylindres de Naramsin, fils de Sargon, que Nabuchodorosor avait cherchés en vain et qu'aucun roi n'avait vus avant lui ; cf. Pinches, On some recent Discoveries, dans les Proceedings of the Soc. of Bibi. Arch., 1882, p. 8 et 12.
[xxxii] Pinches, On a cuneiform Inscription relating to the Capture of Babylon by Cyrus, dans les Transactions of the Society of Bibi. Arch., t. VII, p. 143.
[xxxiii] Le convoi de 597 se composait de dix mille personnes, dont sept mille appartenaient à la classe aisée, mille à celle des artisans, et le reste était composé de gens attachés à la cour (II Rois, XXIV, 14-16). Pour le convoi de 586, l'auteur de l'écrit inséré dans Jérémie (LII, 28-29) énumère trois mille vingt-trois habitants de Juda et huit cent trente-deux habitants de Jérusalem. Pour le convoi de 581, on ne trouve plus que sept cent quarante-cinq exilés (Jérémie, LII, 50). Ces chiffres sont assez modérés pour avoir quelque chance d'être exacts, néanmoins ils sont loin d'être certains (Kuenen, The religion of Israel, t. II, p. 474-482).
[xxxiv] II Rois, XXIV, 14-16 ; XXV, 11.
[xxxv] Ézéchiel, iii, 15. Le Kébar est parfois identifié au Khabour de Mésopotamie, c'était plutôt un canal de Chaldée, peut-être le Nahar Malka, le grand canal royal.
[xxxvi] Neubauer, la Géographie du Talmud, p. 322, note 4 ; p. 350-351.
[xxxvii] Ézéchiel, viii, 1 ; xx, 1.
[xxxviii] Kuenen, The religion of Israël, t. II, p. 90-101.
[xxxix] Jérémie, XXIX, 1-7.
[xl] Psaume CXXXVII, 1 sqq. (trad. Reuss).
[xli] Ézéchiel, IX.
[xlii] Ézéchiel, XVIII.
[xliii] Ézéchiel, XXXVII, 1-14.
[xliv] Jérémie, XXXI, 32-44 ; Kuenen, The religion of Israël, t. 11, p. 73 sqq., et Religion naturelle et religion universelle, p. 83, 84, 114.
[xlv] Amos, III, 7.
[xlvi] Hoshéa, VI, 6.
[xlvii] Ézéchiel, XL, 5 - XLIII, 27.
[xlviii] Ézéchiel, XLIV, 1 - XLVI, 24.
[xlix] Ézéchiel, XLVII, 1-12.
[l] Ézéchiel, XLVII, 13 - XLVIII. Cf. pour le rôle d'Ézéchiel, Kuenen, The Religion of Israël, t. II, p. 105-108.
[li] Anonyme, vers 570 (Isaïe, XXVI, 15-16 - XXVII, 1-2).
[lii] II Rois, XV, 27-30 ; Jérémie, XLII, 31-34.
[liii] Jérémie, LI, 26-29.
[liv] Anonyme, vers 540 (Isaïe, XIV, 8-20).
[lv] Pinches, On a Cuneiform Inscription relating to the Capture of Babylon by Cyrus, dans les Transactions of the Society, of Biblical Archæology, t. VII, p. 159-167, où sont publiés les fragments des annales de Nabonide. Cf. H. Rawlinson, dans Journal 0f the Royal Asiatia Society, t. XII, p. 70 sqq., où est donnée la proclamation par laquelle Cyrus annonce au peuple de Babylone qu'il prend la royauté du consentement des dieux nationaux. Cf. Bérose, Fragments, 9, 14. Voici d'après le canon de Ptolémée et les monuments (cf. Pinches, The babylonian Kings 0f the Second Period, dans les Proceedings, 1885-1884, p. 199-204), le tableau des rois de Chaldée depuis Nabounâzir :
[lvi] T. Pinches, On a Cuneiform Tablet relating Of the Capture of Babylon by Cyrus and the events which preceded and led to it dans les Transactions of the Society of Biblical Archæology, t. VII, p. 144, 167.
[lvii] Cette citation n'est qu'une paraphrase de la longue inscription découverte et traduite par Sir Henry Rawlinson (Journal of the Royal Asiatic Society, t. XII. p. 70 sqq).
[lviii] Isaïe, XLIV, 25-28.
[lix] Maspero, les Empires, p. 627-640.
[lx] Xénophon, Cyropédie, l. VIII, c. vii, § 3-38.
[lxi] Ctésias, Persica, § 6-8, édit. Müller-Didot, p. 47. Une légende très postérieure contait que Cyrus, parvenu à l'âge de cent ans, avait demandé à voir ses amis. On lui répondit que son fils Cambyse les avait mis à mort ; le chagrin que la cruauté de son fils lui causa le tua en quelques jours (Lucien, Macrob., xiv, d'après Onésicrite, Fragm. 52, édit. Müller-Didot).
[lxii] Peut-être le Iaxartès.
[lxiii] Hérodote, I, CCIV-CCXIV.
[lxiv] Arrien, Anabase, 1. VI, 19, 4-9, d'après Aristobule (Fragm. 57, édit. Müller-Didot). Cf. Pseudo-Callisthènes, l. II, ch. XVIII, où l'auteur place à côté l'un de l'autre le tombeau de Cyrus et celui de « Nabonasar, que les Grecs appellent Naboukhodonosor ». Selon Oppert, le petit édifice de Mourghâb où l'on a voulu reconnaître le tombeau de Cyrus, n'est en réalité que le tombeau de sa femme Kazandané (Journal asiatique, 1872, t. XIX, p. 548, et le Peuple et la langue des Mèdes, p. 110-111).
[lxv] G. Rawlinson, The five great Monarchies, t. III, p. 383-390.
[lxvi] Hérodote, I, CCVIII ; Ctésias, Persica, § 8, édit. Müller-Didot, p. 47 ; Xénophon, Cyropédie, VIII, 7, § 11. Ctésias donne à Bardiya le nom de Tanyoxarkès et lui attribue le gouvernement de la Bactriane, des Khorasmiens, des Parthes et des Carmaniens. Xénophon l'appelle Tanaoxarès et le fait régner sur les Mèdes, les Arméniens et les Cadusiens.
[lxvii] Hérodote, III, XIX. J. Ménant, les Archéménides, p. 106. D'après Hérodote, l'assassinat eut lieu pendant l'expédition d'Égypte ; d'après l'inscription de Béhistoun (H. Rawlinson, Inscription of Darius on the Rock at Behistun dans les Records of the Past, t. I, p. 112 ; Oppert, le Peuple et la langue des Mèdes, p. 117), il eut lieu auparavant.
[lxviii] Hérodote, II, CLXXXIII ; Diodore de Sicile, I, 68, qui paraît considérer la campagne d'Amasis comme une suite naturelle de celle d'Apriès.
[lxix] Hérodote, II, CLXXVII.
[lxx] Hérodote, II, CLXXV.
[lxxi] Inscriptions de Bigèh dans Champollion, Notices manuscrites, t. I, p. 165 ; Lepsius, Denkm., III. pl. 284 p.
[lxxii] Inscriptions des architectes et ingénieurs envoyés en l'an XLIV d'Amasis pour chercher la pierre nécessaire aux monuments du roi, Lepsius, Denkm., III, pl. 75 a-d ; cf. Devéria, Monument biographique de Bakenkhonsou, p. 24-29.
[lxxiii] Le sarcophage de la reine Onkhnas est aujourd'hui au British Museum (S. Sharpe, Egyptian Antiquities in the British Museum, p. 104-185). La reine elle-même figure souvent sur les sculptures de deux petits édifices élevés à Karnak sous Amasis et sous Psammétique III (Lepsius, Denkm., III, pl. 273-274).
[lxxiv] Champollion, Notices manuscrites, t. I, p 552-555.
[lxxv] Hérodote, II, CLXXVI.
[lxxvi] Hérodote, II, CLXXV ; Letronne, la Civilisation égyptienne depuis l'établissement des Grecs, sous Psammitichus jusqu'à la conquête d'Alexandre, p. 23-26. Le naos de Tmaï, le seul qui approche des dimensions d'Hérodote, à sept mètres de haut (Description de l'Égypte, Ant., V, pl. 29 ; Champollion, l'Égypte sous les Pharaons, t. II, p. 114). Les dimensions données par Hérodote diffèrent tellement de celles que l'on' trouve dans les naos connus aujourd'hui, que j'admets, comme Kenrick l'a fait (The Egypt of Herodotus, p. 219, et Ancient Egypt, t. II, p. 370), qu'Hérodote a vu le monument d'Amasis couché sur le côté, et qu'il a pris pour la hauteur ce qui était en réalité la largeur. Le Musée du Louvre possède un naos monolithe plus petit que le naos décrit par Hérodote, mais taillé, comme lui, sous le règne d'Amasis (D, 29 ; publié par Pierret, Recueil d'inscriptions inédites, t. I, p. 74-80).
[lxxvii] Hérodote II, CLXXVIII, l'appelle fil¡llhn.
[lxxviii] Hérodote raconte ces évènements sans parler d'Amasis V (CLX-CLXI), et sa version fut adoptée avec quelques modifications par Nicolas de Damas (fragm. 52 dans les Fragm. H. Gr., édit. Müller-Didot, III, p. 387). L'intervention d'Amasis n'est mentionnée que par Plutarque (De Mulier. virt., II, p. 260) et par Polyen (Strat., VIII, 41), mais remonte évidemment à un auteur plus ancien, peut-être à Hellanicos de Lesbos, qui paraît avoir raconté avec quelque détail certains faits de l'histoire tes derniers rois d'Égypte (cf. dans les Fragm. H. Gr., édit. Müller-Didot, t. I, p. 66). Le passage d'Hêrodote se trouve d'ailleurs englobé dans des récits d'origine cyrénaïque ; ses informants avaient intérêt à se rappeler des faits glorieux pour leur patrie, comme la défaite d'Apriès à Irasa (IV, CLIX), nullement des faits aussi humiliants qu'une intervention du Pharaon. D'autre part, le succès tout pacifique obtenu, par Amasis n'était pas de nature à laisser une trace dans l'esprit des Égyptiens. Tout cela explique qu'Hérodote n'ait fait aucune allusion au rôle joué par l'Égypte en cette affaire.
[lxxix] Hérodote, II, CLXXII.
[lxxx] Hérodote, II, CLXXX.
[lxxxi] Les débris en subsistaient encore au temps de Pline l'Ancien, H. N., XIX, 4, mais les curieux en arrachaient les morceaux, afin de vérifier si, comme l'assure Hérodote (III, XLVII), chacun des fils était formé de trois cent soixante-cinq brins, tous visibles à l'oeil nu.
[lxxxii] Hérodote, II, CLXXXII.
[lxxxiii] A marque le site de l'Hellénion, B celui du village arabe moderne, E le téménos de Héra et d'Apollon, F le téménos des Dioscures, G le téménos d'Aphrodite.
[lxxxiv] Letronne, la Civilisation égyptienne, p. 14.
[lxxxv] Hérodote, II, CLIV.
[lxxxvi] Hérodote, II, CLXXVIII. Le site de Naucratis vient d'être retrouvé auprès du bourg d'En-Nabiréb, par M. Flinders Petrie : ce nom égyptien et la première transcription du nom grec en hiéroglyphes nous ont été rendus par une stèle de l’an I de Nectanebo II découverte au milieu des ruines en 1899. L'orthographe égyptienne semble indiquer un certain Cratès parmi les fondateurs de la ville.
[lxxxvii] Hermias de Méthymne dans Athénée, IV, p. 149 (Fragm. H. Gr., édit. Müller, t. II, p. 80-81).
[lxxxviii] Letronne, la Civilisation égyptienne, p. 14-12 ; G. Lumbroso, Recherches sur l'économie politique de l'Égypte sous les Lagides, p. 222-223.
[lxxxix] Hérodote, II, CLXIII.
[xc] Hérodote, II, CLXXVIII; Lumbroso, Recherches sur l'économie politique de l'Égypte sous les Lagides, p. 222-223.
[xci] Etienne de Byzance raconte que les Milésiens avaient fondé Abydos d'Égypte. Letronne (la Civilisation égyptienne, p. 13) a fort bien vu qu'il s'agissait ici d'une factorerie fondée par les Milésiens sous le règne d'Amasis. Les murs du temple de Ramsès II portent encore quelques graffiti en écriture carienne, chypriote et grecque qui doivent remonter à cette époque.
[xcii] Hérodote, III, XXVI.
[xciii] E. Révillout, Premier extrait de la Chronique démotique de Paris le roi Amasis et les mercenaires, selon les données d'Hérodote et les renseignements de la Chronique, dans la Revue égyptologique, t. I, p. 57-61.
[xciv] Hérodote, II, CLXXIV.
[xcv] E. Révillout, Premier extrait, dans la Revue égyptologique, t. I, p. 65-67 ; Maspero, les Contes populaires de l'ancienne Égypte, p. 207-214 ; Hérodote, II, CLXXIII, et, d'après Hérodote, Élien, Var. Hist., II, 41.
[xcvi] Hérodote, II, CLXXII.
[xcvii] La forme égyptienne de ce nom est Niteîti.
[xcviii] Hérodote, III, I ; Ctésias, fragm. 37, édit. Müller-Didot, p. 63.
[xcix] Hérodote, III, II ; Dinon (Fragm. H. Gr., t. II, p. 91) et Lyceas de Naucratis (Fragm. 2, dans les Fragm. H. Gr., t. II, p. 91, et t. IV, p. 441) racontaient la même histoire, probablement d'après Hérodote.
[c] Aujourd'hui Khan-Younès.
[ci] Hérodote, III, V.
[cii] Hérodote, III, IV-IX.
[ciii] Hérodote, III, X ; Diodore de Sicile, I, 68.
[civ] Hérodote, III, LXVII; cf. dans le même livre (ch. CXXXIX, sqq.) l'histoire de Syloson.
[cv] Hérodote III, XIX.
[cvi] Hérodote, III, X. Jusqu'à nos jours les gens de la Haute Égypte ont considéré la pluie comme un événement de mauvais augure. Un d'eux disait, au commencement du siècle, en parlant de l’expédition du général Bonaparte : « Nous savions qu'un grand malheur nous menaçait : il avait plu à Louxor un peu avant l'arrivée des Français ». Wilkinson fait observer que la pluie n'est pas si rare à Thèbes que le croyait Hérodote ; il parle de cinq ou six averses chaque année et d'un grand orage tous les dix ans (G. Rawlinson, Herodotus, l. II, p. 338, note 4). De son aveu même, averses et orages sont conflués à la montagne et ne sévissent pas en plaine : une fois seulement, en 1901, j'ai vu tomber la pluie pendant trente-trois heures d'affilée.
[cvii] Polyen (Strat., VII, 9) rapporte le conte d'après lequel Cambyse aurait mis sur le front de son armée des chats, des chiens, des ibis et d'autres animaux sacrés ; les Égyptiens n'auraient pas osé tirer sur eux de peur de blesser quelque dieu.
[cviii] Hérodote, III, X-XII ; Diodore, I, 68, ignore Psammétique III, et Ctésias (Persica, § 9, édit. Müller-Didot, p 47) substitue aux noms anciens celui de son contemporain Amyrtæos. Aristote (Rhet., II, 8) considère Amasis comme ayant été le dernier roi d'Égypte.
[cix] On n'a que fort peu de monuments de Psammétique III : le principal est un des petits temples de Karnak (Champollion, Monuments de l'Égypte, t. IV, pl. CCCXI ; Lepsius, Denkm., III, pl. 27 f-g ; Mariette, Karnak, pl. 56 b).
[cx] Hérodote, III,, XIV-XV. D'après Ctésias, Persica, § 9, édit. Müller-Didot, p. 47, le roi d'Égypte fut envoyé à Suse et y mourut prisonnier.
[cxi] Hérodote, IV, 166. - Voici le tableau de la famille saïte depuis Tafnakht :
[cxii] Hérodote, III, XVII ; cf. Diodore, fragm. 45, 2. Plus tard, les partisans d'Amasis, pour laver sa mémoire de cet outrage, prétendirent que, prévenu par un oracle, il avait ordonné qu'on substituât à son corps un autre corps embaumé royalement ; c'était cette fausse momie que Cambyse avait détruite, tandis que la momie du roi reposait en paix dans un caveau secret.
[cxiii] Hérodote, II, CLXXXI.
[cxiv] Sur ces détails, déjà signalés en partie par Ampère, voir E. de Rougé, Mémoire sur la statuette naophore du Vatican, p. 13-20.
[cxv] Hérodote, III, XIII.
[cxvi] Hérodote, III, XVIII, XIX.
[cxvii] Hérodote, III, XXV, XXVI. Cf. Diodore, X, 13, § 3, et dans Arrien, Anabase, III, 5, le récit de la marche d'Alexandre à travers le désert de Libye.
[cxviii] Brugsch, Geog. Inschrift., t. I, p. 120.
[cxix] Dongolah. Cf. Maspero, dans les Mélanges d'archéologie, t. II, p. 197.
[cxx] Dououab, aujourd'hui Gebel-Barkal.
[cxxi] Astaboras des géographes grecs, aujourd'hui le Tacazzé. Cf. Maspero, dans les Mélanges, t. II, p. 297-298.
[cxxii] Le royaume d'Aloah des géographes arabes du moyen âge. Quatremére, Mémoires historiques sur l'Égypte, t. II, p. 18. sqq. Cf. L. Burkhardt, Travels, p. 452 sqq. ; Maspero dans les Transactions of the Society of Biblical Archæology, t. IV, p. 221.
[cxxiii] Peut-être les Rhausi de l'inscription d'Adulis, Rhapsii de Ptolémée.
[cxxiv] Les Mataïa de l'inscription grecque d'Axoum, Matitæ de Pline et de Ptolémée.
[cxxv] Maspero, The stele of King Horsiatew, dans les Records of the Past, t. VI, p. 87-96, et The Stele of King Nastosenen, dans les Transactions of the Society of Biblical Archæology, t. IV, p. 20~212; cf. Schœfer, die Æthiopische Königsinschrift des Berliner Museums, 1901, in-4°.
[cxxvi] Mariette, Quatre pages des Archives officielles de l'Éthiopie, dans la Revue archéologique, sept. 1865; Maspero, la Stèle de l'intronisation, dans la Revue archéologique, 1875, t. I, et dans les Records of the Past, t. VI, p. 71-78.
[cxxvii] Maspero, la Stèle de l'Excommunication, dans la Revue archéologique, mars 1873, et dans les Records of the Past, t. IV.
[cxxviii] Valentia et Salt, Voyages dans l'Hindoustan, à Ceylan, sur les deux côtes de la mer Rouge, en Abyssinie et en Égypte, traduct. franç., t. III, p. 285 ; IV, 68.
[cxxix] Hérodote, III, XI.
[cxxx] Hérodote, III, XXIII.
[cxxxi] Hérodote, III, XVII-XVIII, XXIII. Cette fable trouva accueil dans Pomponius Mela (de Situ Orbis, III, 45). Heeren y croit reconnaître les pratiques du commerce par signes, si fréquent en Afrique : la table du Soleil aurait été une sorte de marché où les indigènes seraient venus s'approvisionner par voie d'échange. Je vois là plutôt un souvenir de la Prairie des Offrandes mentionnée dans les textes funéraires, et à laquelle les âmes des morts avaient accès : cette donnée mystique aura été transportée du domaine de la fable dans celui de la réalité, comme le jugement des morts, la barque du Soleil où pénètre le défunt, etc.
[cxxxii] Hérodote, III, XXIII.
[cxxxiii] Les géographes anciens mentionnent au dessous de la troisième cataracte une localité nommé Cambusis (Pline, H. Nat., VI, 29), ou les trésors de Cambyse, Kambæsou tamieÝa (Ptolémée, IV, 7), et l'on a cru reconnaître dans ce nom la preuve du passage de l'armée perse. En fait, la ville de Kambiousît, qui est mentionnée dans les textes, était plus ancienne que Cambyse et n'a rien à voir avec le nom de ce prince.
[cxxxiv] Hérodote, III, XXV. Diodore prétend que Cambyse arriva jusqu'à Méroé et qu'il y fonda une ville nouvelle (I, 33) ; selon Josèphe (Ant. Jud., II, 10), il donna à la capitale de l'Éthiopie, qui s'appelait auparavant Saha, le nom de sa sœur Méroé.
[cxxxv] On trouve mentionnés encore au temps de Darius les Éthiopiens au sud de l'Égypte, les Coushites, au nombre des sujets de l'empire perse (Hérodote, III, XCII).
[cxxxvi] Hérodote, III, XXXII. M. Schæfer a cru reconnaître le nom de Cambyse et celui des Mèdes dans l'inscription du roi éthiopien Nastosenen (die Æthiopische Königsinschrift des Berliner Museums) ; il n'y a là que des ressemblances de noms fort légères, et les événements différent trop dans les deux cas pour que le rapprochement proposé soit probable.
[cxxxvii] Il est dit dans le De Iside, § 44, que Cambyse tua l'Apis et qu'il le donna aux chiens. Il faut probablement reporter, cette notice aux événements qui signalèrent la seconde conquête de l'Égypte par Orchos et par l'eunuque Bagoas.
[cxxxviii] Hérodote, III, XXVII-XXXXVIII.
[cxxxix] Denys de Milet, qui vivait un peu avant Hérodote, donne à Patizêithès le nom de Panzythès. Ctésias (Persica, § 40, édit. Müller-Didot, p. 47) et l'inscription de Béhistoun ne mentionnent qu'un seul mage, que Ctésias appelle Sphendadatès, et l'inscription Gaumatâ. Ce Gaumatâ est le Cométès de Trogue Pompée et de Justin, I, 9.
[cxl] Cf. Spiegel, Eranische Alterthumskunde, II, p. 302, et C. Rawlinson, The five great Monarchies, t. III, p. 398.
[cxli] H. Rawlinson, Inscription of Darius on the rock et Behistun, dans les Records of the Past, t. I, p. 412 ; Oppert, le Peuple et la langue des Mèdes, p. 117.
[cxlii] Étienne de Byzance mentionne une Ecbatane syrienne, et Pline, H. N., V, 49, assure que la ville de Carmel s'appelait d'abord Ecbatane. On a voulu identifier l'Agbatana syrienne d'Hérodote avec Batanæa ou avec Hamath.
[cxliii] Hérodote III, LXIV-LXV. Ce conte du personnage auquel on prédit qu'il mourra dans un endroit connu, et qui est frappé à mort dans un endroit inconnu du même nom, a servi plusieurs fois dans l'histoire. Témoin l'exemple de l'empereur Julien et celui du roi d'Angleterre Henri III, à qui on avait annoncé qu'il mourrait à Jérusalem, et qui mourut, en effet, dans une chambre du château de Westminster qu'on appelait Jérusalem. Ctésias (Persica, § 42, édit. Müller-Didot, p. 48) raconte que Cambyse se blessa à Babylone, un jour qu'il s'amusait à sculpter du bois. Pour le règne de Cambyse et les documents qui ont servi à en reconstituer la trame, voir Maspero, les Empires, p. 654-671.
[cxliv] La plupart des écrivains anciens ont partagé cette opinion (Hérodote, III, LXI, CXCIX ; Platon, Lois, III, p. 694-695, etc.), que le plus grand nombre des écrivains modernes a cru devoir adopter à leur suite (Niebuhr, Volträge über aile Geschichte, I, 157, 399 ; Grote, History of Greece, IV, p. 301-302 ; Spiegel, Eranische Alterthumskunde, II, p. 310). M. George Rawlinson a fort bien montré que le mouvement de Gaumatâ n'avait pas pris naissance en Médie et n'avait rien changé à la domination persane : il admet que l'usurpation des Mages était le prélude d'une révolution religieuse (On the Magian Revolution and the Reign of the pseudo-Smerdis, dans Herodotus, t. III, p. 454-459).
[cxlv] H. Rawlinson, Inscription, p. 113 ; Oppert, le Peuple, p. 119.
[cxlvi] Hérodote, III, LXVI.
[cxlvii] Strabon savait déjà que Dariaæhw était le véritable nom du prince appelé DareÝow par les Grecs. Le père de Darios était Satrape de Perse, selon Hérodote (III, LXX), d'Hyrcanie et de Parthie, selon l'inscription de Béhistoun (H. Rawlinson, Inscription, p. 119; Oppert, le Peuple, p. 135).
[cxlviii] La liste donnée par Hérodote (III, LXX) coïncide à peu prés avec celle que Darius lui-même a inscrite à Béhistoun (H. Rawlinson, Inscription 0f Darius on the rock at Behistun, dans les Records of the Past, p. 126-127 ; Oppert, le Peuple et la langue des Mèdes, p. 153-155). Ctésias a substitué partout le nom des fils à celui des pères, Persica, § 14, édit. Müller-Didot, p. 48-49.
[cxlix] Voir dans Hérodote, III, LXVIII-LXXXVIII, le récit légendaire de la conjuration.
[cl] H. Rawlinson, Inscription, p. 113 ; Oppert, le Peuple, p. 117.
[cli] H. Rawlinson, Inscription, p. 444, § 46, et J. Oppert, le Peuple, p. 114, § 16. Le nom a été adouci dans le texte susien, sous la forme Assinâ. L'origine royale d'Athrîna est prouvée par ce fait que Darius ne dit pas « qu'il mentit » en proclamant ses droits à la royauté (Oppert, le Peuple, p. 167).
[clii] Le dernier contrat babylonien daté du règne du pseudo-Smerdis est du 1er Tishri 522, le premier de Nadintavbel est de seize jours plus tard c'est dans cet intervalle qu'on apprit à Babylone la mort de Gaumatâ (Boscawen, Babylonian dated Tablets and the Canon 0f Ptolemy, dans les Transactions of the Society of Biblical Archæology, t. VI, p. 51).
[cliii] Hérodote, II, CXXVI-CXXVIII.
[cliv] H. Rawlinson, Inscription, p. 116-118 ; Oppert, le Peuple, p. 127-131.
[clv] H. Rawlinson, Inscription, p. 119 ; Oppert, le Peuple, p. 135. Le moment de la révolte est suffisamment indiqué par le passage : « Les Parthes et les Hyrcaniens firent défection de moi et se dirent sujet de Phraortès ».
[clvi] H. Rawlinson, Inscription, p. 121 ; Oppert, le Peuple, p. 137. La date est ici encore donnée par le contexte : « Je détachai une partie de l'armée perse et médique qui était avec moi. - Le nommé Artavardiya, un Perse, mon serviteur, je le fis leur chef, et une autre armée perse alla en Médie, après moi, pour me soutenir et Artavardiya partit avec l'armée pour la Perse ».
[clvii] Hérodote, III, CL-CLX ; Ctésias (Persica, § 22, éd. Müller-Didot, p. 50) place le siège de Babylone sous Xerxès. D'après lui, ce fut Mégabyze, fils de Zopyre, et non pas Zopyre lui-même, qui livra la ville. Polyen (Strat., VIII, II, § 8) prétend, peut-être d'après Charon de Lampsaque, que Zopyre imita l'exemple donné par un Sace habitant au delà de l'Oxus. Les écrivains latins ont transporté l'histoire en Italie et ils l'ont placée à Gables (Tite Live, I, 50-54 ; Ovide, Fastes, II, 685-710), mais Sextus Tarquin, à qui ils la prêtèrent, ne poussa pas le dévouement jusqu'à se mutiler.
[clviii] H. Rawlinson, Inscription, p. 118-119 ; Oppert, le Peuple, p. 131-133.
[clix] Paraga paraît être la ville de Forg, dans le Laristan (Oppert, le Peuple, p. 139, note 4).
[clx] H. Rawlinson, Inscription, p. 121; Oppert, le Peuple, p. 139-141.
[clxi] H. Rawlinson, Inscription, p. 121-122 ; Oppert, le Peuple, p. 141-143.
[clxii] H. Rawlinson, Inscription, p. 122-125 ; Oppert, le Peuple, p. 145. D'après Boscawen (Babylonian dated Tablets, dans les Transactions of the Society of Biblical Archæology, t. VI, p. 31-32) et Oppert (Revised Chronology of the later Babylonian Kings, dans les Transactions of the Society of Biblical Archæology, t. VI, p. 271-272, et le Peuple et la langue des Mèdes, p. 179), une lacune observée dans les dates des contrats babyloniens entre le dernier mois de la sixième année de Darius et le cinquième mois de la septième marquerait le temps durant lequel Arakha gouverna Babylone sous le nom de Nabuchodorosor.
[clxiii] H. Rawlinson, Inscription, p. 119 ; Oppert, le Peuple, p. 133-135.
[clxiv] Pour la chronologie de cette guerre, voir Maspero, les Empires, p. 674-682.
[clxv] Esdras, V, 2 ; Haggaï, I, 14.
[clxvi] H. Rawlinson, Inscription, p. 111 ; Oppert, le Peuple, p. 113-115. L'inscription de Persépolis compta vingt-quatre satrapies (Oppert, le Peuple, p. 198-199), et celle de Nakhsh-i-Roustem, vingt-huit (Oppert, le Peuple, p. 204-205), Hérodote (III, XC-XCV) n'en énumère que vingt.
[clxvii] En perse, khshatrapâ, khshatrapan, khshatrapâva.
[clxviii] Hérodote connaît au moins un satrape grec, Xénagoras d'Halicarnasse (IV, CVII), et un Lydien Pactyas (I, CLIII).
[clxix] Pour comprendre à quel point cette coutume était répandue, il suffit de rappeler que, lorsque Pausanias, roi de Sparte, songea à devenir satrape de Grèce sous Xerxès, il demanda la main d'une princesse (Thucydide, I, 128).
[clxx] Dans l'inscription de Béhistoun (Rawlinson, Inscription, p. 149-120), Vistâçpa, père de Darius, est satrape d'Hyrcanie ; Artaphernès, frère de Darius, était satrape de Sardes (Hérodote, V, XXV), et Achéménès, fils de Darius, satrape d'Égypte (Hérodote, VII, VIII).
[clxxi] Le rôle du secrétaire est nettement judiqué dans l'histoire d'Orœtès (Hérodote, III, cxxviii).
[clxxii] Dans Hérodote, le commandant des troupes est distingué du satrape (V, xxv et cxxxiii, etc.). Il résulte d'un passage de Xénophon (Cyropédie, VIII, vi, 1) que les commandants des forteresses étaient indépendants du général et ne relevaient que du roi.
[clxxiii] Voir dans Hérodote (X. LII-LIII) la description de la route royale entre Suse et Sardes : Xénophon (Cyropédie, VIII, VII, 18) compare la rapidité de ces messagers au vol des oiseaux.
[clxxiv] Xénophon (Cyropédie, VIII, VI, 16) rapporte que l'usage de cette inspection annuelle continuait encore de son temps.
[clxxv] Hérodote, III, LXXXIX.
[clxxvi] Hérodote, III, XCVII.
[clxxvii] Élien, Var. Hist., I, 54.
[clxxviii] Hérodote (III, LXXXIX-XCV) donne l'indication du tribut en argent versé par les satrapies.
[clxxix] Fr. Lenormant, la Monnaie dans l'antiquité, t. I, p. 187.
[clxxx] Ibid., p. 134.
[clxxxi] Hérodote, III, XCVI. Arrien raconte qu'Alexandre trouva cinquante mille talents d'argent dans le trésor de Suse (Anabase, III, 16) ; d'autres dépôts aussi riches étaient enfermés dans les palais de Persépolis et de Pasargades (Arrien, Anabase, III, 48).
[clxxxii] Hérodote, III, XC.
[clxxxiii] Strabon, XI, 13-14.
[clxxxiv] Hérodote, III, XC, XCII.
[clxxxv] Hérodote, I, CXCII. Cela fait, en poids, environ 2.600.000 francs de notre monnaie par an.
[clxxxvi] La satrapie de l'Inde n'est pas nommée dans l'inscription de Béhistoun, mais elle se trouve sur les listes de Persépolis (Oppert, le Peuple, p. 205). L'expédition de Darius doit donc se placer vers 512.
[clxxxvii] Hérodote, IV, XLIV. Skylax avait publié un récit de son voyage, qui existait encore au temps d'Aristote (Politic., VIII, 13, 1).