texte numérisé et mis en page par François-Dominique FOURNIER
HISTOIRE
ANCIENNE DES PEUPLES DE L'ORIENT
Gaston
MASPERO
Membre
de l’Institut
Professeur
de langue et d’archéologie égyptiennes au Collège de France
Directeur Général des Antiquités de l’Égypte
LIVRE V – L’empire Perse
Et maintenant, avant de lui remettre les régions où s'était déroulée l'histoire du monde primitif, parcourons-les du regard une fois encore et voyons ce qu'elles étaient devenues.
Au sud, sur l'ancienne frontière des races sémitiques, l'Élam s'était partagé en deux régions soumises à des fortunes diverses. Dans la montagne, les Ouxiens, les Elyméens, les Cosséens, conservaient leur indépendance, et ils pillaient insolemment les contrées environnantes sans que personne eût réussi à les châtier dans leurs repaires[i]. Au contraire, la population de la plaine avait accepté la domination persane, et elle se montrait prête à accueillir sans résistance quiconque se présenterait en maître[ii]. L'heureuse position de Suse avait attiré de bonne heure l'attention des Achéménides : le vieux palais des souverains élamites, bâti sur une butte artificielle, rafraîchi l'été par les vents des hauts plateaux, chauffé l'hiver par les brises tièdes du golfe Persique, était devenu leur résidence favorite. Darius, fils d'Hystaspe, le jugeant trop étroit à sa guise, l'avait reconstruit[iii] : il fut brûlé sous Artaxerxés 1er[iv] et restauré, moins d'un siècle plus tard, par Artaxerxés II[v]. Là, dans une salle hypostyle de fière allure, les satrapes, les princes vassaux, les ambassadeurs des nations étrangères et ceux de la Grèce même[vi], étaient venus se prosterner, deux siècles durant, devant les descendants dégénérés de Cyrus. Les édifices de moindre proportion dont les ruines touchent à celles de cette halle marquent l'emplacement du palais, et avaient vu se dérouler, année après année, les tragédies variées du harem, les complots des eunuques et des femmes, les débauches des Amytis et des Amestris[vii], les vengeances atroces de Parysatis et de Statira[viii] : Xerxès 1er y était tombé sous le poignard d'Artabanos et d'Aspamithrès[ix], et récemment Bagoas y avait empoisonné deux rois successivement. Les Grecs, préoccupés de ces drames sanglants où le sort de la moitié du monde se décidait, ne songeaient pas à s'informer de ce qu'avait été Suse, et les indigènes, résignés à leur condition présente, ne se souciaient plus des gloires de leur passé. Les souverains nationaux, leurs incursions en Chaldée et en Syrie, leurs campagnes souvent victorieuses contre les conquérants ninivites, leurs discordes, leur défaite par Assourbanabal, tout était oublié : l'imagination hellénique avait remplacé vingt dynasties par un héros unique, Memnon, fils de Tithon et de l'Aurore, celui qui était accouru au secours de Priam avec une armée d'Éthiopiens et dont la mort avait précipité la ruine de Troie[x].
Les nations qui habitaient les marches de l'Asie Mineure et les montagnes du Tigre ou de l'Euphrate, Ourarti et Van, Moushkaya et Tabal, les voisins de l'Assyrie vers le nord, décimés par l'invasion scythique, avaient fléchi devant des races plus jeunes et moins éprouvées. Les Moushkaya et les Tabal avaient été coupés en deux tronçons : plusieurs de leurs tribus, mêlées probablement aux débris des Cimmériens[xi], tenaient ferme dans les vallées profondes du Taurus, en Mélitène et en Cataonie[xii] ; les autres, refoulées vers le nord, habitaient, au temps d'Hérodote, les cantons qui bordent le Pont-Euxin, en compagnie des Macrones, des Mosynèques et des Mares[xiii]. Lorsque le conquérant mède pénétra dans les parages qu'ils avaient occupés et auxquels il imposa le nom nouveau de Katpatouka (Cappadoce)[xiv], il n'y rencontra plus que les Syriens blancs, débris des Hittites[xv], et un peuple nouveau, les Arméniens. Les Arméniens, sortis de Phrygie[xvi] vers la fin du septième siècle, s'étaient d'abord installés dans les districts voisins de leur patrie première, puis ils avaient gagné de proche en proche les sources de l'Halys[xvii] : au temps d'Hérodote, ils possédaient la bande de terrain située à l'est de l'Euphrate, l'Arménie Mineure des géographes romains, et la partie occidentale du cours de l'Arsanias[xviii]. Ils formaient à eux seuls une satrapie, la treizième[xix], tandis que les gens d'Ourarti, les Alarodiens, étaient compris dans la dix-huitième avec les Matiènes et les Saspires[xx]. Pendant les troubles qui suivirent les campagnes de Grèce, l'aspect des lieux se modifia encore. Les Mosques se séparèrent des Tibarènes et ils allèrent rejoindre les Colchiens dans le bassin du Phase[xxi]. Les Alarodiens, refoulés vers le nord, se fondirent parmi les peuplades à demi sauvages qui s'appuyaient au Caucase[xxii]. Les Arméniens, portés de plus en plus vers l'est, s'emparèrent lentement du massif montagneux qui se dresse entre l'Asie Mineure et la Caspienne et ils descendirent dans les plaines de l'Araxe. Quand Alexandre surgit en Asie, leur mouvement d'évolution était terminé : ils avaient absorbé ou détruit ceux des habitants primitifs qui n'avaient pas émigré, et leurs princes exerçaient une véritable autorité royale, sous le titre modeste de satrape[xxiii]. La Cappadoce s'était partagée en deux provinces, la Cappadoce proprement dite et le Pont, dont les gouverneurs héréditaires, apparentés à la famille achéménide, n'attendaient que l'occasion de se déclarer rois[xxiv]. Vieilles dynasties, vieux noms, vieilles races, le monde belliqueux et barbare que les conquérants assyriens avaient connu entre la plaine de Mésopotamie et la mer Noire n'existait plus: trois royaumes nouveaux étaient nés sur ses ruines et en avaient effacé jusqu'à la mémoire.
Dans le domaine propre des races sémitiques, entre les côtes de la Méditerranée et les derniers contreforts du plateau de l'Iran, la décadence était moins générale et surtout moins sensible. Une moitié seulement des peuples d'autrefois avait disparu. En deçà de l'Euphrate, les Routonou étaient morts et morts les Khati, morte Gargamish, morte Arpad, morte Qodshou ; celles des villes qui avaient échappé à la destruction, Batnæ, Khalybon, Hamath, Damas, végétaient dans l'obscurité, et des cantons entiers étaient retournés au désert, faute de bras pour les cultiver. La Phénicie, appauvrie par la destruction de Sidon et de Tyr[xxv], avait peine à réparer ses désastres : aucune de ses colonies ne lui était restée, et les petits royaumes de Chypre qui étaient encore sous son influence, ceux de Cition et d'Amathonte, avaient beaucoup à faire de défendre leur existence contre les Grecs. L'Assyrie elle-même ne semblait plus qu'un souvenir déjà perdu dans les lointains du passé. La partie de son territoire comprise entre le Tigre et l'Euphrate était presque une solitude. Quelques-unes des places assises au voisinage des montagnes, Sangara, Nisibis, Resaïna, Édesse, conservaient encore un reste de vigueur et vivaient tant bien que mal sur leurs propres ressources, mais, à mesure qu'on descendait vers le sud, des monceaux de ruines marquaient seuls le site des cités nombreuses que les conquérants ninivites rencontraient jadis dans leur marche vers la Syrie. Tout autour s'enfuyaient à perte de vue des plaines sèches et déboisées, tapissées d'herbages aromatiques, parcourues de lions, d'onagres, d'autruches, d'antilopes, d'outardes, et où les Arabes Scénites vaguaient à l'aventure[xxvi]. Sur les bords de l'Euphrate et de ses affluents quelques forteresses abandonnées, comme Korsoté, puis quelques bourgades servant de marché aux Bédouins[xxvii]. Aux rives du Tigre la population n'était ni dense ni heureuse. Les exilés assyriens, délivrés par Cyrus après la chute de Babylone, avaient rebâti Assour[xxviii] et s'étaient enrichis par la culture et par le commerce[xxix], mais le canton qui sépare les deux Zab n'était plus qu'un maquis[xxx], et l'Assyrie proprement dite ne s'était pas relevée encore du coup qui l'avait frappée.
Kalakh était vide. « Ses murs avaient vingt-cinq pieds de largeur sur cent pieds de hauteur, deux paransages de circuit. Ils étaient en briques cuites, mais reposaient sur un soubassement en pierre de taille, haut de vingt pieds. » La tour pyramidale du grand temple subsistait encore « elle était en pierre, d'un plèthre de large sur deux plèthres de haut ». Ninive présentait le même aspect que sa voisine. « La base du mur était en pierre polie, incrustée de coquillages, ayant cinquante pieds d'épaisseur sur autant d'élévation. Elle supportait une muraille de briques de cinquante pieds de large sur cent de haut, et le circuit en était de cent parasanges.[xxxi] » Au moment où Xénophon traversait le pays, deux cents ans à peine s'étaient écoulés depuis la mort de Saracos, et déjà les habitants des bourgades voisines ne savaient plus ce qu'étaient les cités ruinées à côté desquelles ils vivaient. Ils appelaient la première Larissa, la seconde Mespila[xxxii], et les historiens eux-mêmes n'étaient guère mieux instruits. Cette lignée terrible de conquérants, qui commence à Tougoultininip et qui aboutit à Assourbanabal n'était plus représentée chez eux que par deux personnages également fabuleux, Sémiramis et Sardanapale. Sémiramis avait pris à son compte les victoires et les conquêtes, Sardanapale représentait le côté raffiné et sensuel de la race[xxxiii]. Tout ce que les voyageurs rencontraient d'assyrien sur leur passage était attribué à l'une ou à l'autre. Sémiramis avait bâti les principaux monuments de Babylone[xxxiv], Sémiramis avait fondé des villes en Arménie et en Médie[xxxv], Sémiramis avait laissé des inscriptions commémoratives au mont Bagistan[xxxvi] et consulté l'oracle de Jupiter Amon[xxxvii]. La pyramide écroulée d'un des temples de Ninive marquait le tombeau de Sardanapale. Selon les uns, Cyrus l'avait détruite pour fortifier son camp pendant le siège de la ville et il y avait trouvé une épitaphe que le poète Chœrilos d'Iassos avait mise en vers : « J'ai régné, et tant que j'ai vu la lumière du soleil, j'ai bu, j'ai mangé, j'ai aimé, sachant combien il est court le temps que vivent les hommes, et à combien de vicissitudes et de misères il est sujet ! » D'autres pensaient que le roi d'Assyrie était enterré dans le voisinage de Tarse. Le sépulcre était couronné d'une statue représentant un homme claquant des doigts ; une inscription en lettres chaldéennes disait : « Moi, Sardanapale, fils d'Anakyndaraxès, j'ai fondé Anchiale et Tarse en un jour, mais maintenant je suis mort[xxxviii] ». L'histoire d'un peuple entier n'était plus que matière à contes d'enfants et à déclamations morales.
Sur un seul point la vieille civilisation des bords de l'Euphrate semblait se perpétuer dans son éclat. La Chaldée, en abdiquant son indépendance, n'avait perdu ni sa richesse ni son prestige. Ses révoltes fréquentes ne lui avaient pas trop nui, et la plupart de ses villes subsistaient encore, amoindries, il est vrai, Ourou n'était plus qu'un bourg infime[xxxix], mais Ourouk demeurait le siège d'une école de théologie et de science célèbre par tout l’Orient au même titre que celle de Borsippa[xl]. Les Grecs connaissaient peu les habitants de la Basse Chaldée : Hérodote se contente de mentionner que trois de leurs tribus se nourrissaient exclusivement de poisson. « Après l'avoir pêché, ils le dessèchent au soleil, puis le jettent dans un mortier, le pilent et le tamisent à travers un linge : ils en préparent indifféremment des gâteaux ou une pâte, que l'on cuit comme le pain.[xli] » Pour la plupart des voyageurs, Babylone seule représentait la Chaldée entière. Elle était en effet la seconde capitale effective de l'empire la cour y résidait plusieurs mois de l'année et venait y chercher les ressources du commerce et de l'industrie qui manquaient à Suse. Dans le premier siècle qui avait suivi la conquête, elle avait essayé à plusieurs reprises le restaurer sa dynastie nationale ; mais, depuis que Xerxès l'avait saccagée, elle s'était résignée à la servitude. Les murs par lesquels Nabuchodorosor avait cru la protéger contre l'invasion étaient debout malgré leurs brèches, et ils excitaient l'admiration des étrangers par leurs dimensions. « La ville est un carré parfait dont chaque côté est de cent vingt stades ; l'enceinte totale est par conséquent de quatre cent quatre-vingts stades. Elle est entourée d'abord d'un fossé profond, très large et rempli d'eau, ensuite d'un mur dont l'épaisseur est de cinquante coudées royales et la hauteur de deux cents : la coudée royale est de trois doigts plus longue que la coudée ordinaire. Élevés au sommet du mur et sur ses bords, deux rangs de tourelles à un seul étage, contiguës et tournées l'une vers l'autre, laissaient entre elles l'espace nécessaire pour le passage d'un char attelé de quatre chevaux. Dans le pourtour de la muraille, on comptait cent portes, toutes en airain, avec les jambages et les linteaux en même métal.[xlii] »
Cette enceinte géante était trop vaste pour la population qu'elle renfermait ; des quartiers entiers n'offraient plus que des monceaux de ruines, et les jardins empiétaient de proche en proche sur les espaces autrefois bâtis. Les édifices publics avaient souffert autant de la guerre que les maisons particulières. Les temples avaient été dépouillés par Xerxès et ils n'avaient pas été restaurés[xliii] : même, celui de Bel était à moitié enseveli sous les décombres[xliv]. Il surgissait du centre de la ville et il dominait aisément tous les autres édifices les statues en or qui en chargeaient le sommet avaient été enlevées par les rois perses, et la grande tour privée de ce couronnement splendide ne servait plus qu'aux observations astronomiques des prêtres[xlv]. Les palais des anciens rois s'écroulaient faute d'entretien ; seulement on montrait encore dans la citadelle les fameux jardins suspendus. Les guides en attribuaient naturellement l'invention à Sémiramis, mais les gens bien informés savaient à n'en pas douter qu'un des princes postérieurs à l'héroïne les avait construits pour une de ses maîtresses. « On racontait que cette femme, originaire de la Perse, regrettant la verdure de ses montagnes, supplia son amant de lui rappeler l'aspect de ses montagnes natales par des plantations artificielles. Ce jardin, de forme carrée, avait quatre plèthres de côté, et on y montait, par des degrés, sur des terrasses superposées dont l'ensemble présentait l'aspect d'un amphithéâtre. Elles étaient soutenues de colonnes qui, s'élevant graduellement de proche en proche, supportaient toutes le pied des plantations : la colonne la plus élevée avait cinquante pieds de haut, supportait le sommet du jardin et était de niveau avec les balustrades de l'enceinte. Une masse de terre suffisante pour recevoir les racines des plus grands arbres recouvrait les terrasses : elle était remplie de plantes de toute sorte, capables de charmer la vue par leurs dimensions et par leur beauté. Une seule des colonnes était creuse depuis le sommet jusqu'à la base ; elle contenait des machines hydrauliques qui faisaient monter du fleuve une quantité d'eau, sans que personne pût rien voir à l’extérieur.[xlvi] »
Même privée de ses monuments, la ville aurait offert encore bien des sujets d'étonnement au voyageur. Contrairement à l'usage des cités grecques, elle était bâtie sur un plan régulier, et les rues s'y coupaient à angle droit, les unes parallèles, les autres perpendiculaires à l'Euphrate : ces dernières se terminaient à une porte d'airain qui s'ouvrait dans la maçonnerie du quai et qui donnait accès au fleuve[xlvii]. La foule qui circulait dans ces rues renfermait des spécimens de toutes les races asiatiques, que le commerce renouvelait chaque jour. Les indigènes se reconnaissaient à leur costume élégant. Ils étaient vêtus d'une tunique de lin, descendant jusqu'aux pieds, par-dessus laquelle ils endossaient une seconde tunique de laine et une sorte de pèlerine blanche. « Ils laissent croître leurs cheveux, se couvrent la tête de mitres et se parfument tout le corps. Ils ont chacun un anneau qui leur sert de cachet, et une canne de travail soigné, au pommeau de laquelle est figuré un fruit, une rose, un lis, un aigle ou tout autre objet, car ils n'ont pas accoutumé d'employer une canne sans ornements.[xlviii] » Certains usages bizarres attiraient l'attention du nouveau venu. Lorsqu'un individu tombait malade, ses parents l'exposaient sur la voie publique. « Les passants s'approchent de lui et ils l'interrogent sur son mal, et s'ils ont éprouvé, soit eux-mêmes, soit quelqu'un de leur connaissance, la même maladie, ils lui indiquent le remède qui les a guéris. » Nul ne pouvait se soustraire à ce devoir de charité[xlix], et le bon Hérodote s'émerveillait beaucoup de la sagesse de cette coutume. Il approuvait moins l'obligation où toute femme mariée était d'aller s'asseoir une fois en sa vie dans le temple de Mylitta et de s'y livrer à qui la payait, si peu que ce fut[l], mais il regrettait que la vente à la criée des filles nubiles fût tombée en désuétude. « Elles étaient conduites dans un endroit à ce préparé, où les hommes se rangeaient autour d'elles. Un crieur public les mettait à l'enchère l'une après l'autre, en commençant par la plus belle. Celle-ci vendue fort cher, on passait à celle qui lui approchait le plus en beauté, et ainsi de suite. Ces ventes étaient de vrais mariages. Tout ce qu'il y avait à Babylone d'épouseurs riches enchérissaient l'un contre l'autre, et achetaient les plus belles, mais les gens du peuple, qui se souciaient moins de la beauté que de l'argent, se réservaient pour les laides. Cependant le cœur mettait celles-ci à l'enchère : il commençait par adjuger la plus laide à celui qui offrait de l'épouser pour le moins d'argent. Cet argent se prenait sur la vente des belles, de sorte que le prix offert pour celles-ci servait à marier les laides et les difformes. Il n'était permis à personne de marier sa fille à son choix ; de même, nul ne pouvait emmener celle qu'il avait achetée sans fournir caution, par laquelle il s'engageait à l'épouser ; alors seulement il pouvait l'emmener. Au cas où les deux époux ne se convenaient pas, la loi ordonnait de rendre l'argent.[li] »
C'étaient là de ces bizarreries que les voyageurs se plaisent à noter pour l'agrément de leurs récits : il y avait autre chose à prendre en Chaldée que des coutumes étranges ou gaillardes, et les Grecs le savaient bien quand ils n'hésitaient pas à y chercher l'origine d'une partie de leurs sciences exactes. Il y a quelque exagération à déclarer, comme ils faisaient souvent, que leurs premiers savants, Phérécyde de Scyros[lii], Pythagore[liii], Démocrite d'Abdère[liv], avaient étudié à l'école des mages les principes de la philosophie, des mathématiques, de la théologie. Mais les contemporains d'Alexandre connaissaient l'existence de ces bibliothèques en terre, dont chaque feuillet était une brique recouverte d'écriture et cuite au four : Callisthène se faisait traduire certaines des observations astronomiques qui y étaient consignées et il les communiquait à son maître Aristote[lv]. C'est à toutefois un cas presque isolé : le dédain que les Grecs professaient pour l'étude des langues barbares les empêcha d'utiliser autant qu'ils l'auraient dû les documents entassés dans les archives des temples[lvi]. Leur attention fut d'ailleurs arrêtée par un sujet plus intéressant à leurs yeux que les méthodes scientifiques des prêtres. Les Chaldéens étaient renommés de longue date pour leurs découvertes en magie et en astrologie. La Grèce superstitieuse trouva chez eux un code complet de lois et d'instructions qui leur permettait de montrer quels liens étroits rattachent les mouvements de la voûte étoilée aux événements de la terre, d'expliquer l'action. des astres sur les phénomènes de la nature ou sur les destinées humaines, de prédire l'avenir par les positions relatives et par l'apparence des corps célestes. Elle s'inclina devant leur supériorité en matière d'astrologie, et elle leur concéda le privilège d'exploiter les trésors de sagesse équivoque qu'ils avaient amassés avec les siècles. Les diseurs de bonne aventure, les magiciens, les prophètes, ou furent originaires des bords de l'Euphrate, ou durent se vanter, pour allécher la pratique, d'avoir étudié dans les vieux sanctuaires de Barsip ou d'Ourouk : Chaldéen devint synonyme de sorcier. Encore un siècle, et Bérose ouvrira à Cos un cours public d'astrologie[lvii] : la magie chaldéenne conquit le monde au moment même où la Chaldée rendait le dernier soupir[lviii].
La suprématie incontestée en ces sciences douteuses n'est pas le seul héritage qu'elle légua au monde sémite : sa langue lui survécut et domina longtemps encore dans les pays qui avaient été soumis à ses armes. L'idiome raffiné dont les scribes de Ninive et de Babylone se servaient pour rédiger les inscriptions officielles n'était plus depuis longtemps qu'une sorte de langue noble comprise d'une élite, inconnue aux gens du commun. Le menu peuple des villes et des campagnes parlait le dialecte araméen plus lourd, plus clair et plus prolixe : c'est celui-là que les conquérants se chargèrent inconsciemment de répandre partout où ils allaient. De temps immémorial ils étaient habitués à déporter au loin les prisonniers qu'ils ramassaient dans leurs razzias, et à les établir dans des villes récemment annexées à leur domaine. Sous les Sargonides, les Babyloniens proprement dits et les Araméens des embouchures du Tigre fournirent les plus gros contingents de colons involontaires : les cantons riverains de l'Euphrate et de l'Oronte en reçurent un grand nombre qui s'installèrent dans le Bït-Adini, aux environs d'Hamath et de Damas, chez les Hittites. Sans cesse renforcés par des groupes d'exilés nouveaux, grossis par l'appoint que leur apportaient de leur plein gré les tribus du désert, araméennes comme eux, leur action fut si active et la résistance des indigènes fut si faible, qu'ils gagnèrent d'abord une prépondérance marquée, puis qu'ils absorbèrent les restes des populations anciennes. La chute de Ninive, la victoire de Nabuchodorosor à Gargamish, en les rangeant sous l'autorité directe de leurs frères restés en Chaldée, augmentèrent encore leur puissance d'assimilation : la Syrie du Nord devint un des sièges principaux de la race araméenne, et presque l'Aram par excellence. Quand la domination persane succéda à la chaldéenne, l'araméen ne perdit rien de son importance. Il demeura la langue officielle de l'empire dans toutes les provinces occidentales : on le retrouve sur les monnaies de l'Asie Mineure, sur les papyrus et sur les stèles de l'Égypte[lix], dans les édits et dans la correspondance des satrapes et même du grand roi. De Nisib à Raphia, des rives du golfe Persique à celles de la mer Rouge, il se substitua à presque toutes les langues, sémitiques ou non, parlées jusqu'alors. Le phénicien lui résista d'abord avec succès, et se maintint longtemps encore sur la côte et dans l'île de Chypre[lx] ; mais l'hébreu, déjà attaqué pendant la captivité, s'effaça devant lui et disparut peu à peu au contact des dialectes que parlaient les colonies voisines de Jérusalem. Il persista comme « langue noble de l'aristocratie restée fidèle à la vieille discipline de Juda », puis, quand l'araméen lui eut enlevé ce dernier retranchement, comme langue littéraire et liturgique[lxi].
Les compagnons de Shesbazzar, délivrés par le décret de Cyrus, étaient partis de Babylone au milieu des acclamations et de la joie universelles, mais leur arrivée dans la patrie n'avait rien du triomphe qu'avaient espéré les prophètes. Quelques familles s'étaient logées, comme elles l'avaient pu, parmi les ruines de Jérusalem ; les autres s'étaient dispersées dans les bourgs de la banlieue. Au nord et à l'ouest, l'établissement s'était fait sans difficulté : Bethlehem, Anathoth, Géba, Kiriath-Iéarim, Mikhmash, Béthel, Ono, Jéricho, à moitié désertes depuis la captivité, avaient accueilli avec joie le renfort inespéré qui leur survenait[lxii]. Au sud, le progrès avait été enrayé par les Édomites, à qui Nabuchodorosor avait donné jadis Hébron, Juda et l'Acrabattène[lxiii], en récompense de leurs services. La prise de possession achevée, on eût dû se mettre à la reconstruction du temple, mais les immigrés s'étaient découragés après avoir relevé l'autel des sacrifices[lxiv]. Le nouveau sanctuaire était loin d'avoir les dimensions de l'ancien ; aussi « un grand nombre d'entre les prêtres et les lévites, et les vieux pères de famille qui avaient vu le premier temple, pleurèrent et sanglotèrent quand on posa les fondements de celui-ci ». Les générations de l'exil, chez qui les souvenirs glorieux du passé ne gâtaient point la joie du présent, « poussaient, au contraire, de bruyants cris d'allégresse, et la foule avait peine à distinguer les clameurs des uns des sanglots des autres, tellement le bruit était grand et retentissait au loin[lxv] ». Le premier enthousiasme tombé, lès difficultés de l'entreprise apparurent presque insurmontables. La colonie avait peu de ressources : les riches n'avaient pas abandonné la Chaldée[lxvi], et ils avaient laissé à leurs frères moins fortunés l'honneur de relever la ville sainte. Les émigrants apprirent bientôt à leurs dépens que Sion n'était pas la cité idéale dont « les portes seront toujours ouvertes, et de jour ni de nuit ne seront pas fermées pour laisser entrer les trésors du monde » ; loin de « sucer le lait des peuples et d'être nourris par le sein des rois[lxvii] », c'est à peine si leurs champs leur fournissaient de quoi satisfaire aux besoins les plus pressants de la vie. « Vous avez semé beaucoup, leur disait l'Éternel, pour récolter peu de chose, mangeant sans vous rassasier, buvant sans risquer de vous enivrer, vous habillant sans vous réchauffer, et celui qui va gagner sa journée met son salaire dans une bourse percée.[lxviii] » L'usurpation du faux Smerdis et les révoltes qui accompagnèrent sa chute achevèrent de les désespérer : ils suspendirent tous les travaux.
Le triomphe de Darius leur rendit courage : l'an II de ce prince, au moment qu'il tenait Nadintavbel assiégé dans Babylone, deux prophètes, Haggaï et Zacharie, surgirent parmi eux. Shesbazzar n'était plus là ; un prince de la famille de David, Zorobabel, les administrait pour le compte des Perses, et le pontife Jéshoua veillait sur leurs intérêts spirituels. Les constructions reprirent, mais, depuis la chute d'Israël, les montagnes d'Éphraïm étaient habitées par des Syriens et des Chaldéens, gens de Babylone et de Kouta, d'Ava, d'Hamath et de Sépharvaïm, que les rois de Ninive y avaient déportés à plusieurs reprises. « Et d'abord ils ne révéraient pas Jahvé, et il lança contre eux des lions qui firent un carnage parmi eux. On en parla au prince d'Assour en ces termes : « Les peuples que tu as placés dans les villes de Samarie ne connaissent point le culte du Dieu du pays, et celui-ci a lancé contre eux les lions, et voilà que ceux-ci les tuent, parce qu'ils ne connaissent point le culte du Dieu du pays ». On leur envoya donc un des prêtres prisonniers, qui leur enseigna « le droit » de Jahvé, et qui institua à son tour « des prêtres choisis dans la masse du peuple, lesquels firent parmi eux les sacrifices dans les lieux du culte[lxix] ». Lorsqu'ils apprirent qu'on se préparait à édifier le temple de Jérusalem, ils furent remplis de joie et ils demandèrent à Zorobabel la permission de participer au travail : « Nous voulons bâtir avec vous, car nous nous adressons au même Dieu que vous, et c'est à lui que nous sacrifions depuis qu'Asarhaddon nous a établis ici ». Un demi-siècle plus tôt, leur ambassade aurait été accueillie avec joie, mais les Juifs de l'exil n'avaient plus pour les divinités païennes la tendresse des Juifs d'autrefois : ils étaient morts à l'idolâtrie[lxx]. Zorobabel rejeta les propositions de ces Koutéens qui accouplaient au nom de Jahvé celui de leurs anciens dieux, Adrammélech, Nirgal, Tartak, Annamélech ; blessés par son refus, ils s'ingénièrent à empêcher l'accomplissement de l’œuvre à laquelle on leur interdisait de s'associer, et ils la dénoncèrent aux Perses comme étant propre à troubler la paix de l'empire. Darius, instruit de ce qui se passait par le gouverneur de Syrie, ordonna l'exécution pure et simple du décret rendu par Cyrus : quatre années plus tard, le temple était terminé[lxxi].
La tâche accomplie, Zorobabel disparut de la scène. Mourut-il en paix à l'ombre du sanctuaire qu'il avait restauré ? Fut-il obligé de rentrer à Babylone ? Haggaï l'avait représenté comme le sauveur d'Israël, et c'en était assez d'une pareille prédiction pour le rendre suspect de trahison aux yeux des Perses et pour motiver son rappel[lxxii]. Lui parti, Jéshoua resta seul chargé du gouvernement. Le rôle du grand prêtre s'était fort développé pendant l'exil. Il n'était plus uniquement le chef des sacrificateurs, le premier parmi ses égaux, mais le pontife suprême ; les descendants de David écartés, c'est à lui que la plus haute place appartenait dans les conseils de la nation. « La dignité pontificale se trouva ainsi instituée de fait, comme une conséquence presque nécessaire de la situation : et si, plus tard, ce fait fut érigé en théorie, et forma une partie capitale de la législation, cela nous surprendra d'autant moins que l'histoire de la papauté chrétienne nous offre un exemple absolument semblable. L'évêque d'une ville placée dans les conditions de Jérusalem et de Rome, et qui n'a plus à côté de lui de souverain laïque, a toujours les chances de devenir souverain lui-même.[lxxiii] » La composition de la colonie juive rendait la transition plus facile. Le nombre des personnes attachées au temple par un lien quelconque était fort considérable, et la condition du corps sacerdotal avait changé. Ézéchiel avait, le premier, déclaré que ceux-là seuls dont l'orthodoxie avait toujours été inébranlable, les « fils de Zadok », jouiraient du privilège de servir à l'autel : il avait exclu de la prêtrise les enfants de Lévi, qui avaient sacrifié sur les hauts lieux, et il les avait relégués dans les fonctions secondaires. Cette disposition théorique reçut un commencement d'exécution au retour de la captivité, et, pour la première fois dans l'histoire de la religion hébraïque, les prêtres furent séparés des lévites[lxxiv]. On conçoit que cette dégradation ne fut pas pour plaire à ceux qu'elle frappait : quelques lévites, soixante-quatorze contre quatre mille prêtres, consentirent à quitter Babylone. Au dessous d'eux, les chantres, les portiers, les descendants des esclaves sacrés, complétaient la hiérarchie. Tous réunis formaient un corps compact de cinq mille personnes, le huitième environ de la population totale[lxxv], et Jéshoua n'eut pas de peine à se faire proclamer chef de la communauté.
Son fils Joïakim lui succéda, puis son petit-fils Éliashîb[lxxvi]. Leur pouvoir, restreint dans le domaine politique par la surveillance des satrapes de Syrie, était des plus étendus en matières civiles et religieuses. C'était pure condescendance s'ils consultaient les prêtres de haut rang, les cheikhs ou l'assemblée, dans les cas importants[lxxvii] : Jérusalem végéta plutôt qu'elle ne vécut sous leur autorité. Ce qu'on avait attendu de Jahvé avait été si extraordinaire, et les prophètes avaient tant promis de sa part, qu'une sorte de découragement s'empara des esprits quand on vit combien peu la réalité répondait aux espérances. Le Deutéronome avait toujours force de loi, mais, bien qu'il fût en vigueur depuis plus d'un siècle, il « n'était pas encore parvenu, autant que nous pouvons en juger, à s'attacher le cœur du peuple. Ses exhortations avaient beau retentir avec tout leur sérieux et toute leur insistance : Toi, Israël, tu dois aimer Jahvé, ton dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de ta force ![lxxviii] Si cette parole trouvait encore quelque écho dans la conscience d'un petit nombre, il ne s'était point formé de peuple particulier consacré à Jahvé[lxxix] ». Loin de là, les mariages contractés avec des femmes étrangères, moabites, philistines, koutéennes, altéraient chaque jour la pureté de la race. Déjà la langue antique disparaissait peu à peu, et on pouvait prévoir le moment où la petite famille juive perdrait son individualité, sinon sa religion[lxxx].
Le salut vint de Babylone. Ceux des exilés qui y séjournaient, loin du seul sanctuaire dont ils reconnussent la légalité, avaient pris l'habitude de se réunir le jour du sabbat et de s'édifier mutuellement par la prière en commun, par la lecture, par la prédication : la synagogue, établie partout où ils se trouvaient en nombre suffisant, les empêchait d'être absorbés, comme les Éphraïmites l'avaient été avant eux, par les païens qui les environnaient. Le principe de la religion sauvé, on s'était peu inquiété d'abord d'en préserver les formes extérieures. Ézéchiel avait, il est vrai, introduit le rituel dans son plan de restauration, mais ses idées à cet égard avaient été peu goûtées des contemporains : elles triomphèrent auprès de la génération suivante, et elles formèrent la règle dont les docteurs de Juda s'inspirèrent. Au temps des rois, le temple de Jérusalem avait eu ses lois propres qui déterminaient jusque dans le détail les cérémonies de la purification de l'offrande et du sacrifice, les rapports des membres du clergé entre eux et avec la communauté, en un mot tout ce qui constituait aux yeux des fidèles « le droit du dieu du pays » ; mais ces lois, transmises oralement de siècle en siècle, n'avaient pas été écrites pour la plupart et elles risquaient de tomber dans l'oubli faute d'un sanctuaire où les appliquer. Les prêtres s'ingénièrent à les recueillir, à les coordonner, à en approfondir le sens et l'origine. C'était un travail minutieux et de longue haleine ; le gros en était déjà terminé pourtant dans la première moitié du Ve siècle, et le tout était consigné dans un ouvrage spécial qu'on s'est plu à nommer le Livre des Origines. Le Livre des Origines est à la fois un code et une histoire, mais l'histoire n'y figure le plus souvent que pour justifier les lois par une sorte d'exposé de motifs[lxxxi]. Si l'auteur remonte jusqu'à l'origine des choses, c'est que le récit de la création est la mise en action d'une des ordonnances de la législation sacerdotale: Dieu, en travaillant six jours et en se reposant le septième, prêchait d'exemple l'observance du sabbat[lxxxii]. S'il raconte avec complaisance la conclusion du pacte entre Dieu et Abraham, c'est qu'il prétend illustrer l'usage de la circoncision et la rigueur des règlements qu'elle comportait[lxxxiii]. Où les faits ne se pliaient pas à son dessein, il les abrège, il les supprime, il les altère, il leur prête un caractère purement idéal, ou il les dénature à tel point qu'ils ne répondent plus aux exigences de la réalité. C'est ainsi qu'il recule jusqu'à Moïse le concept du sanctuaire unique et qu'il attribue aux Israélites dans le désert la possession d'un tabernacle portatif. Il en chiffre les dimensions, il en énumère les parties, il suppute les quantités d'étoffes, de peaux, de métal qui ont été employées à la construction et à l'ameublement. Le temple de Jérusalem lui fournit le motif de sa description, mais il oublie d'adapter les objets qu'il y trouve aux nécessités de la vie nomade et il surcharge les enfants d'Israël d'un matériel trop lourd pour des hordes errantes[lxxxiv]. A dire vrai, la faute est légère, car c'est le présent surtout qu'il a en vue lorsqu'il parle du passé : sa manière de comprendre les destinées de la race plut aux exilés de Babylone et elle demeura comme la version officielle de l'histoire primitive.
Les principaux textes de la loi à laquelle les récits servent de cadre furent donc attribués désormais à Moïse, non plus comme dans le Deutéronome à Moïse mourant, mais à Moïse chef de peuple et d'armée agissant au désert du Sinaï[lxxxv]. Ce n'est pas ici le lieu de les examiner en détail. Quelques-uns d'entre eux, les moins nombreux, sont analogues aux prescriptions de la Thora deutéronomique, et ils interdisent l'idolâtrie[lxxxvi], le sacrifice des enfants[lxxxvii], l'adultère et l'inceste[lxxxviii], la vente à faux poids et à fausse mesure[lxxxix], mais la plupart ont trait à l'organisation du culte. Jadis le sacrifice était purement volontaire, et la plupart des prophètes étaient prêts à s'écrier avec Hoshéa : « C'est à l'amour que je prends plaisir, et non aux sacrifices, et à la connaissance de Dieu plus qu'aux holocaustes[xc] ». Au contraire, ce qui frappe dans la théorie nouvelle, « c'est l'admission du culte au rang des obligations imposées au peuple de Jahvé, et à chaque Israélite en particulier[xci] ». A voir le nombre des victimes que les prêtres exigeaient, on dirait que l'homme n'était né que pour subvenir aux besoins criants de l'autel, pendant les grandes fêtes de l'année, au sabbat, chaque jour. Tout est prévu d'ailleurs, la manière de présenter la bête, de l'égorger, de la dépecer, d'en répartir les morceaux. « Si l'offrande est de gros bétail, on choisira un mâle qui n'ait point de défaut. C'est à la porte du tabernacle que le donateur l'offrira, pour obtenir les bonnes grâces de l'Éternel. Il posera la main sur la tête de l'animal, pour se faire agréer, de manière que Dieu lui devienne propice. Puis il immolera le bœuf à la face de l'Éternel, et les fils d'Aharon, les prêtres, offriront le sang et aspergeront de tous côtés l'autel qui est devant la porte du tabernacle. Puis il écorchera la victime et la dépècera en ses pièces, et les fils du prêtre Aharon mettront du feu sur l'autel, et arrangeront des bûches au-dessus du feu. Puis les fils d'Aharon, les prêtres, arrangeront les pièces, la tête et la graisse, sur les brèches placées au-dessus du feu qui est sur l'autel. Mais, pour ce qui est des intestins et des jambes, il les lavera avec de l'eau, puis le prêtre fera fumer le tout sur l'autel, comme holocaustes, comme un feu d'odeur agréable pour l'Éternel.[xcii] » De même pour les moutons ou pour les chèvres[xciii], de même pour les oiseaux[xciv]. Tout ce sang versé, toute cette chair brûlée, le vin, le lait, l'huile répandus, obligeaient les gardiens du temple et de l'autel à des soins de propreté minutieuse. Le simple particulier et le prêtre, sans cesse appelés à consommer le sacrifice, devaient toujours être dans l'état de pureté légale, sans lequel l'offrande n'avait plus de valeur aux yeux de Jahvé. « Soyez saints, car moi je suis saint, moi l'Éternel votre Dieu ![xcv] » « Sanctifiez-vous donc et soyez saints, car moi l'Éternel je suis votre Dieu.[xcvi] » Pour les prophètes antérieurs à l'exil, la sainteté était une vertu morale. « Me présenterai-je devant l'Éternel avec des holocaustes, - avec des veaux d'un an ? - Agréera-t-il des milliers de béliers - des myriades de torrents d'huile ? … - Ô mortel, on t'a dit ce qui est bien, - ce que l'Éternel réclame de toi : - Aimer la charité, - et marcher humblement devant ton Dieu.[xcvii] » Pour les prêtres, elle résultait surtout de l'observance matérielle des prescriptions contenues dans la loi. On la perdait malgré soi, sans presque y songer, par le contact du vêtement qu'on portait avec un objet ou avec une personne souillée[xcviii] ; on la recouvrait en se soumettant aux rites variés de l'expiation. Chaque transgression, si légère qu'elle fût, obligeait le coupable à un sacrifice spécial : une fois l'an, le jour du pardon, le prêtre accomplissait la propitiation pour tous les péchés des enfants d'Israël[xcix].
Les prêtres vivant en Chaldée n'avaient pu songer à appliquer eux-mêmes cette législation. Pendant quelques années ils se contentèrent de revoir leur oeuvre, de l'augmenter, de l'interpréter par l'écriture et par la parole faute d'être sacrificateurs, ils se firent docteurs et scribes. Quand la théorie ne leur suffit plus et qu'ils voulurent passer à la pratique, ils rencontrèrent des difficultés à Jérusalem. Le peuple se montrait peu enclin à payer la dîme, à observer régulièrement les rites, à remplir des devoirs religieux dont le principal paraissait être l'obligation d'entretenir à ses frais un clergé nombreux. Les prêtres, gagnés par le relâchement général, n'offraient plus que des victimes tarées et ils traitaient Dieu comme les hommes les traitaient eux-mêmes. Un prophète, le dernier de ceux dont nous ayons conservé les prédictions, leur avait demandé compte de leur conduite au nom de l'Éternel[c] ; mais sa voix, écho trop affaibli de celle des grands poètes du siècle précédent, n'avait pas éveillé d'écho dans Israël. Cependant, les rapports continuaient à être fréquents entre les Juifs qui étaient revenus de l'exil et ceux qui demeuraient encore à l'étranger. Vers 385, l'un de ces derniers, Néhémie, qui appartenait à une famille puissante et qui servait comme échanson auprès d'Artaxerxés II, ému par les malheurs de Jérusalem, résolut d'implorer la pitié du roi, en faveur de ses coreligionnaires. « Or, au mois de Nisan de la vingtième année, comme c'était à mon tour de présenter le vin, je pris le vin, et l'offris au roi. Et quoique je dissimulasse mon chagrin, le roi me dit : « Pourquoi as-tu mauvaise mine ? Tu n'es pourtant pas malade ? ce ne peut être qu'un chagrin de cœur ». J'eus bien peur et je répondis : « Vive a jamais le roi ! Comment n'aurais-je pas mauvaise mine quand la ville où sont les nombreux tombeaux de mes pères est en ruine et que ses portes sont détruites par le feu ? » Le roi, qui ce jour-là était d'humeur clémente, lui accorda l'autorisation de quitter Suse, de se rendre en Judée, puis de couper dans les forêts royales le bois nécessaire, et de rebâtir le château, les murailles et la maison du gouverneur[ci]. Cela ne faisait point l'affaire des ennemis de Juda, et leurs chefs, Sanneballat de Bethhoron et Tobiyah l'Ammonite, mirent tout en oeuvre pour entraver l'exécution du projet. Néhémie déjoua leurs ruses et, après avoir étudié secrètement l'état des lieux, il communiqua aux chefs de la communauté les ordres dont il était porteur : le travail, réparti entre les familles, fut achevé en cinquante-deux jours[cii]. Son séjour dura douze années, durant lesquelles il rendit d'autant plus de services aux siens que ses fonctions intimes auprès du roi et son titre de gouverneur lui prêtaient une autorité considérable. Vers 372, il retourna à Babylone, et il continua ses bons offices envers son peuple, à la cour du souverain.
Toutefois son rôle avait été surtout un rôle politique : la réforme religieuse restait encore à accomplir. Or, il y avait alors à Babylone un certain Esdras, fils de Séraiah, habile docteur, « qui s'était attaché à étudier la loi de l'Éternel, à la pratiquer, à en enseigner les statuts et les règles[ciii] ». Sa réputation comme savant et comme sujet loyal était si bien établie parmi ses compatriotes et parmi les Perses, que le roi lui accorda sans difficulté l'autorisation d'aller inspecter Juda et Jérusalem, d'après la loi de son dieu, qu'il « avait en main », puis « d'établir des magistrats et des juges pour rendre la justice aux gens d'au delà l'Euphrate et à tous ceux qui connaissaient la loi de son Dieu », Juifs ou prosélytes[civ]. Trois des clans demeurés jusqu'alors à Babylone, quatorze cent quatre-vingt seize individus de moindre rang, trente-huit lévites et deux cent vingt serviteurs du temple consentirent à l'accompagner. L'exode, commencé par un jeûne solennel, dura quatre mois[cv]. Arrivés au terme du voyage, et les sacrifices d'action de grâce accomplis, les émigrants apprirent avec douleur qu'Israël, y compris les prêtres et les lévites, ne se tenait pas à l'écart des « autres habitants du pays. Ils avaient pris de leurs filles pour eux et pour leurs enfants, et avaient mêlé ainsi la race sainte et les païens : même les chefs et les magistrats avaient été des premiers à donner l'exemple de ce crime ». A ces tristes nouvelles, Esdras déchira ses vêtements et s'arracha la barbe et les cheveux, puis il resta assis dans une profonde stupeur, tandis que les fidèles s'assemblaient auprès de lui. Le soir seulement, au moment de l'offrande, il rompit le silence, et, tombant à genoux, les mains levées vers l'Éternel, il confessa les fautes du peuple : « Mon Dieu, je suis dans la confusion et j'ai honte de lever la face vers toi, ô mon Dieu! car nos pêchés sont nombreux au point de dépasser nos tètes, et nos fautes ont grandi jusqu'à toucher le ciel… Après tout ce qui nous est arrivé par suite de nos méfaits et de notre grande iniquité, quand toi, ô notre Dieu, tu nous as remis une part de nos fautes, et nous a accordés ce reste que voici, en viendrons-nous de nouveau à enfreindre tes commandements et à nous allier à ces peuples abominables ? Certes, Tu t'irriterais contre nous au point de nous achever, sans laisser échapper ni survivre personne. Éternel, Dieu d'Israël, tu es juste, car il ne reste plus aujourd'hui de nous qu'un petit nombre ; nous voilà toujours en face de toi comme des coupables : nul ne saurait subsister devant toi pour cette raison[cvi] ».
Son émotion gagna les assistants, et l'un d'eux, Shékaniah, fils de Jékhiel, avouant le péché commun, lui demanda s'il n'y avait pas encore une espérance pour Israël. « Faisons maintenant un pacte avec notre Dieu, à l'effet de renvoyer toutes ces femmes et leurs enfants, d'après le conseil de notre seigneur et de ceux qui respectent le commandement de Dieu : qu'il soit fait selon la loi. Allons, c'est ton affaire ; nous serons avec toi. Courage et agis. » Esdras se hâta d'accepter cette proposition qui lui allégeait singulièrement la tâche : il prit le serment des prêtres et des cheikhs présents, puis il se retira dans l'une des chambres du temple et il y passa la nuit sans manger ni boire, « parce qu'il était en deuil du crime des exilés[cvii] ». Peu après, le 17 du vingtième mois, il convoqua le ban et l'arrière-ban de Juda, dans les trois jours, sous peine de confiscation des biens et d'exclusion de la communauté pour quiconque n'obéirait pas à l'appel. On était en décembre, et le motif de la convocation était secret au plus grand nombre ; le peuple, assemblé sur la place du temple, grelottait sous la pluie, incertain de ce qui allait advenir. Esdras se leva, dénonça véhémentement la faute : « Et maintenant, faites-en votre confession à l'Éternel, le Dieu de vos pères, et agissez conformément à sa volonté : séparez-vous des peuples de ce pays et des femmes étrangères ». Deux hommes seulement osèrent parler contre le projet, et ils ne furent appuyés que d'un cheik et d'un lévite ; les autres consentirent, et ils demandèrent quelques jours de répit qui leur furent accordés. Deux mois après, le divorce était consommé. On ne sait combien de gens du commun la sentence frappa, mais cent treize prêtres avaient des femmes étrangères, et plusieurs d'entre eux les renvoyèrent avec leurs enfants : il leur avait été fait selon la loi[cviii].
Un an plus tard, Esdras crut le moment venu de promulguer la constitution religieuse qui devait faire de Juda le serviteur par excellence de Dieu. Le premier jour du septième mois, un peu avant la fête d'automne, il assembla le peuple à Jérusalem sur la place qui est devant la porte de l'eau. Il siégeait lui-même sur une estrade en bois qu'on avait dressée exprès, et les principaux des prêtres qui l'avaient aidé étaient assis à côté de lui. « Il ouvrit le livre à la vue de tout le peuple, et tout le peuple se leva. Et il bénit Jahvé, le grand dieu, et tout le peuple répondit Amen, amen ! en levant les mains, et ils s'inclinèrent et se prosternèrent la face contre terre. » La lecture commença après l'énonciation de chaque titre, des lévites placés d'espace en espace interprétaient et développaient les formules en langage familier, de manière à en rendre le sens intelligible à tous. La longue énumération des fautes et des expiations, les menaces contenues dans certains chapitres produisirent sur la foule le même effet de terreur nerveuse que les préceptes et les malédictions du Deutéronome avaient fait sur les contemporains de Josias : elle fondit en larmes, et les manifestations de désespoir devinrent telles que ceux-là même qui les avaient provoquées, Esdras et les lévites instructeurs, durent s'employer à les calmer. « Ce jour-ci est consacré à l'Éternel, votre Dieu ; ne soyez donc pas affligés et ne pleurez pas… Allez faire bonne chère, mangez du gras, buvez du doux, envoyez de quoi manger à ceux qui n’ont pas les moyens de se réjouir comme vous, et ne soyez pas tristes, car le plaisir de l'Éternel est votre force. » Et les Lévites calmèrent le peuple, disant : « Faites silence ! C'est un jour consacré ! ne soyez pas tristes ; et tout le peuple s'en alla manger et boire, et l'on envoyait des portions à ceux qui n'en avaient pas, et l'on se livrait à la joie, car chacun avait prêté attention à ce qui avait été révélé ce jour-là[cix] ». Esdras eut soin de ne pas laisser tomber le premier enthousiasme : dès le lendemain il convoqua les cheikhs, les prêtres, les lévites, pour régler l'ordre des fêtes prochaines. « Et ils trouvèrent qu'il était écrit, dans la loi que l'Éternel avait octroyée par l'organe de Moïse, que les enfants d'Israël devaient se loger dans des cabanes de verdure. »
Sept jours durant, Jérusalem s'habilla de feuillages : les tabernacles en branches d'olivier, de myrte et de palmier s'élevaient partout sur les toits des maisons, dans les cours, sur les parois du temple, aux portes de la ville[cx]. Puis, le vingt-sept du même mois, le peuple prit le deuil pour confesser ses propres péchés et les fautes de ses pères[cxi]. Puis, pour couronner le tout, Esdras lui fit prêter le serment solennel de respecter désormais la loi de Moïse et d'y conformer sa vie. « Nous jurâmes que nous ne donnerions point nos filles à des étrangers, ni nous ne prendrions des leurs pour nos fils ; de plus, que nous n'achèterons rien d'eux le jour du sabbat ni tel autre jour consacré, et que, chaque septième année, nos champs chômeraient et nous ferions la remise des dettes. En outre, nous nous imposâmes l'obligation de donner annuellement un tiers de siècle pour le service du temple, savoir, pour les pains de proposition, pour les oblations et pour les holocaustes de chaque jour, ainsi que pour ceux des sabbats des nouvelles lunes, des grandes fêtes, pour offrandes et pour sacrifices expiatoires faits en faveur de tout le peuple, et en général pour tout ce qui concernait les besoins de la maison de notre Dieu. Nous répartîmes aussi par la voie du sort, prêtres, lévites et laïques, les prestations en bois à faire pour le temple, annuellement, à époques fixes, par les familles, pour entretenir le feu, sur l'autel de l'Éternel notre Dieu, comme cela est prescrit dans la loi. Nous nous engageâmes à apporter annuellement à la maison de Dieu les prémices de notre sol et les prémices de tous les fruits des arbres ; ainsi que les premiers-nés de nos fils et de nos bêtes, comme cela est prescrit dans la loi, et les premiers-nés de notre gros et de notre menu bétail, pour les présenter au temple aux prêtres qui y seraient de service ; enfin les prémices de notre mouture et nos offrandes et le fruit des arbres : le vin et l'huile, nous devions les apporter aux prêtres, dans les cellules du temple, et donner la dîme de notre sol aux lévites, les lévites recueillant eux-mêmes la dîme dans tous les endroits où se faisait la culture. Et quand les lévites recueilleraient la dîme, un prêtre de la race d'Aharon devait être avec eux, et les lévites devaient porter la dîme de la dîme au temple, dans les chambres qui serviraient de magasins. Et nous ne devions pas abandonner la maison de notre Dieu.[cxii] »
La réforme rencontra une vive résistance. Bien des gens, même parmi les prêtres et les prophètes, trouvèrent que les réformateurs avaient employé des moyens trop violents pour arriver à leurs fins, que le renvoi des femmes étrangères était pour le moins imprudent, que l'augmentation des dîmes et la multiplication des sacrifices imposaient des charges trop lourdes à la communauté. L'absence de Néhémie les encouragea à réagir. Tobiyah l'Ammonite avait à Jérusalem beaucoup de parents et d'amis : le grand prêtre Eliashîb mit à sa disposition une des chambres du temple. Les marchands étrangers et les Juifs eux-mêmes profanèrent ouvertement le sabbat ; ils foulaient le pressoir ce jour-là comme les autres jours, ou ils amenaient à Jérusalem du blé, du vin, des raisins, des figues, du poisson et toute sorte de fardeaux. La dîme était négligée, et les unions prohibées redevenaient fréquentes : le petit-fils d'Eliashîb épousa une fille de Sanneballat. Au retour, Néhémie n'hésita pas à recourir à la menace et à la force pour rétablir le droit. Les marchands indigènes ou tyriens furent consignés aux portes de la ville, le jour du sabbat. Le mobilier de Tobiyah fut jeté hors la chambre, et les parties du temple avoisinantes furent purifiées. Les maris des femmes étrangères furent traités rudement : « Je leur fis des reproches, je les maudis, j'en frappai quelques-uns, je les tirai par les cheveux, je les adjurai au nom de Dieu ». Ceux qui ne se laissèrent point toucher par ces façons d'agir furent contraints de s'exiler : le petit-fils d'Eliashîb se retira chez son beau-père[cxiii]. La lutte continua longtemps encore : quelques années à peine avant la conquête d'Alexandre, un autre membre de la famille pontificale, Manashshé, qui avait épousé la fille d'un autre Sanneballat, dut quitter Jérusalem. Les Samaritains l'accueillirent et ils fondèrent pour lui sur le mont Garizim un sanctuaire de Jahvé, rival du temple de Jérusalem[cxiv]. Cependant l'opposition faiblissait peu à peu, les générations nouvelles, dressées dès l'enfance à se courber devant la volonté de Dieu manifestée dans la loi, en arrivaient à aimer [d'instinct et comme de naissance] les pratiques et les prescriptions que leurs ancêtres avaient jugées trop sévères. Le vieil Israël se transformait. L'idée de la royauté s'était effacée la première, puis le don de prophétie avait disparu. Le prophète, toujours entraîné par l'imagination et par l'enthousiasme, ne pouvait plus subsister dans un monde où chaque mouvement et presque chaque pensée était défini à l'avance, et où la moindre dérogation à la règle était punie sévèrement ; il fut remplacé par le légiste, par le scribe, habile à expliquer les textes sacrés et à en deviner le sens abstrait[cxv].
Cependant la race croissait en nombre ; la dispersion, loin de lui nuire, favorisait son développement, et la plupart des enfants d'Israël, devenus étrangers à leurs frères, ne pouvaient plus participer matériellement aux rites qui consacraient l'unité nationale. Les lois et la tradition étaient le seul bien qui restât aux Juifs de Chaldée comme aux Juifs de Perse ou d'Égypte, mais lois et traditions étaient dispersées dans plusieurs ouvrages, dont quelques-uns, comme les histoires des origines du peuple hébreu, le livre de l'alliance, le code de Josias, remontaient jusqu'aux temps de l'indépendance et n'étaient pas toujours facilement accessibles, même aux lettrés. L'idée de réunir et d'unifier ces documents devait donc se présenter naturellement à l'esprit des docteurs qui succédèrent à Néhémie ; ils travaillèrent longuement et patiemment à la réaliser pendant le siècle qui précéda la conquête d'Alexandre. Pour composer la chronique des premiers âges du monde, ils avaient les deux livres publiés dans les royaumes d'Israël et de Juda vers le huitième siècle. Ils les découpèrent en morceaux, qu'ils cousirent l'un à l'autre par des transitions fort brèves, sans s'inquiéter d'en éliminer les contradictions ou les répétitions. Pour la période qui précède immédiatement l'établissement des tribus au pays de Canaan, et dont Moïse était devenu le héros, ils suivirent l'ordre que leur indiquaient les notices mêlées aux deux codes principaux. Celui d'Esdras, qui était le dernier en date, eut la primauté, parce que l'auteur disait qu'il avait été rédigé au pied du Sinaï et dans le désert. Celui de Josias affirmait n'avoir été promulgué que dans les plaines de Moab et sur les bords du Jourdain : il prit rang après celui d'Esdras. Cet ensemble de récits et de décrets divins, complété plus tard et partagé en cinq livres, forme aujourd'hui notre Pentateuque[cxvi]. La rédaction n'en était pas encore terminée au moment où l'empire perse tomba ; elle absorba toutes les forces du peuple juif et elle le détourna de se mêler à la plupart des événements qui s'accomplissaient autour de lui. Il commit pourtant l'imprudence de se compromettre au soulèvement des cités phéniciennes contre Ochos, et il en fut puni sévèrement. Quand Sidon capitula, les plus compromis des nobles de Jérusalem furent exilés en Hyrcanie[cxvii] ; les autres passèrent dans l'angoisse les quelques années qui précédèrent la conquête macédonienne.
L'Assyrie n'était plus ; Babylone et la Phénicie se mouraient ; les Juifs appartenaient encore au passé plutôt qu'au présent ; seule, l'indestructible Égypte avait échappé au naufrage et elle paraissait devoir survivre à ses rivales aussi longtemps qu'elle les avait précédées dans l'histoire. Elle était celle des nations orientales que les Grecs connaissaient le mieux ; les marchands, les mercenaires, les voyageurs la parcouraient librement, et les relations d'Hécatée de Milet, d'Hérodote d'Halicarnasse, d'Hellanicus de Lesbos[cxviii], en avaient signalé les singularités. On l'abordait d'ordinaire par l'ouest, comme font de nos jours les touristes ou les négociants européens. Avant Alexandre, Rakoti n'était qu'un village[cxix], et l'île de Pharos n'avait d'autre gloire que d'avoir été chantée par Homère[cxx]. Mais on trouvait, échelonnées le long de la branche canopique, Naucratis et les bourgades qui dépendaient d'elle, Anthylla, Archandroupolis[cxxi]. C'était comme un prolongement de la Grèce : la véritable Égypte commençait à Saïs, quelques lieues plus à l’est. Saïs était pleine de la xxvie dynastie ; on y montrait le palais où Psammétique II avait reçu la députation des Éléens venue pour le consulter au sujet des jeux Olympiques[cxxii], et celui dans lequel Apriès avait été enfermé, puis exécuté après sa défaite[cxxiii]. Les propylées du temple de Nit paraissaient gigantesques à des gens accoutumés aux petites dimensions de la plupart des temples grecs. La déesse témoignait une humeur hospitalière à l'égard des étrangers : Grecs ou Persans, elle les accueillait à ses pompes et elle les initiait à quelques-uns de ses rites secondaires sans exiger rien d'eux qu'un peu de discrétion[cxxiv]. Le soir du 17 Thot, Hérodote vit les habitants, riches ou pauvres, ranger autour de leur maison les grandes lampes plates remplies d'huile et de sel qu'on tenait allumées, la nuit durant, en l'honneur d'Osiris et des morts[cxxv]. Il pénétra dans le temple du dieu au nom ineffable, et il assista, perdu dans la foule, aux scènes de la vie, de la passion et de la résurrection que les prêtres représentaient sur le lac sacré[cxxvi]. Les théologiens ne dévoilaient pas aux barbares le fond même de leur doctrine, mais le peu qu'ils en laissaient entrevoir remplissait les voyageurs grecs de respect et d'étonnement.
Comme aujourd'hui on parcourait peu alors les villes Situées au centre et à l'est du Delta. On tâchait cependant d'en visiter une ou deux en guise d'échantillons, et on recueillait sur les autres le plus de renseignements qu'on pouvait. Ce qu'on apprenait d'elles par les dires des indigènes était de nature à piquer la curiosité. Mendès adorait son dieu sous la forme d'un bouc vivant[cxxvii], et elle accordait à tous les individus de l'espèce un peu de la vénération qu'elle avait pour le bouc divin[cxxviii]. Les habitants d'Atarbêchis, dans l'île de Prosopitis, se vouaient au culte du taureau. Quand un de ces animaux mourait là ou ailleurs, on l'enfouissait dans les faubourgs, ne laissant sortir de terre qu'une seule corne ou les deux afin de marquer la place. Une fois l'an, des barques parties d'Atarbêchis faisaient le tour du pays pour ramasser les corps en putréfaction ou les ossements décharnés, qu'on ensevelissait ensuite avec soin dans une nécropole commune[cxxix]. Les Égyptiens de Bousins avaient la religion belliqueuse : pendant la fête d'Isis, ils en venaient aux mains, et leur fureur fanatique se communiquait aux étrangers présents. Même les Cariens avaient imaginé le moyen de renchérir sur les indigènes ; ainsi qu'aujourd'hui les musulmans chutes à l'anniversaire de la mort de Hussein, ils se tailladaient le front avec leurs couteaux[cxxx]. A Paprêmis la bataille faisait également partie des pratiques du culte, mais on la réglait d'une façon particulière. Le soir de la fête d'Anhouri[cxxxi], au soleil couchant, quelques prêtres accomplissaient un sacrifice hâtif dans le temple, tandis que le reste du clergé local se postait à la porte, armé de gros gourdins. La cérémonie achevée, les célébrants chargeaient l'image du dieu sur un chariot à quatre roues, comme pour l'emmener dans une autre localité, mais leurs confrères s'opposaient au départ et barraient le chemin. C'est alors que les fidèles intervenaient : ils enfonçaient la porte et ils tombaient à force triques sur les révérends, qui les recevaient en bon point. Les bâtons étaient lourds, les bras vigoureux et la mêlée se prolongeait, sans que jamais personne mourût d'un mauvais coup ; du moins les prêtres l'affirmaient, et je ne comprends pas pourquoi Hérodote, qui n'était pas clerc à Paprêmis, se permet malignement de récuser leur témoignage[cxxxii].
C'est presque toujours à propos d'un temple ou d'une fête qu'il cite les villes du Delta, et de fait, dans les cités secondaires de l'Égypte comme dans les petites républiques italiennes, il n'y avait d'intérêt qu'aux monuments du culte ou aux cérémonies. Hérodote visitait Bouto ou Tanis, comme on visite aujourd'hui Orviéto ou Lorette, afin d'admirer un temple ou de faire ses dévotions dans un sanctuaire célèbre. Le plus souvent l'endroit n'était rien par lui-même : une enceinte fortifiée, quelques maisons d'apparence médiocre, où les riches et les employés du gouvernement logeaient, puis, sur des monticules d'antiques décombres accrus de siècle en siècle, des masures éphémères en pisé ou en briques crues, divisées en groupes irréguliers par des ruelles sinueuses. Tout l'intérêt se concentrait sur le temple et sur les habitants, hommes et dieux. Le voyageur y pénétrait comme il pouvait, s'extasiait devant ce qu'on voulait bien lui montrer, et s'en allait recommencer plus loin, heureux s'il lui arrivait parfois, comme Hérodote à Bubaste, d'arriver au moment de la fête annuelle. Les pèlerins affluaient en bandes de tous les points de l'Égypte, hommes et femmes entassés pêle-mêle sur des bateaux, et ce n'était le long du chemin qu'une sorte de mascarade perpétuelle. Chaque fois qu'on touchait terre, les femmes s'échappaient à grand bruit de castagnettes et de flûtes, et elles s'en allaient provoquer d’insultes les femmes de l'endroit, dansant et se troussant à qui mieux mieux. La fête de Bastit n'avait pour les étrangers rien qui la distinguât beaucoup des autres fêtes égyptiennes : c'était une procession solennelle avec hymnes et sacrifices, mais, pendant les quelques semaines qui précédaient ou qui suivaient le jour même, la ville se transformait en un vaste lieu de plaisirs. « Les dieux du ciel jubilaient, les ancêtres se réjouissaient, ceux qui se trouvaient là s'enivraient de vin, une couronne de fleurs sur la tête ; la populace courait çà et là gaiement, la tête ruisselante de parfums, les enfants s'ébattaient en l'honneur de la déesse, depuis le lever du soleil jusqu'à son coucher.[cxxxiii] » Les drogmans contaient, non sans fierté, qu'alors on buvait plus de vin en un seul jour qu'on ne faisait le reste de l'année[cxxxiv].
Les marais du littoral abritaient une population spéciale contre les invasions des Perses[cxxxv] et contre la visite des touristes. C'étaient gens de grand courage, sans cesse en lutte avec l'étranger, mais pauvres, farouches et mal nourris. Ils extrayaient leur huile à brûler non de l'olive, mais du ricin commun[cxxxvi], et ils ne buvaient que de la bière[cxxxvii] ; faute de blé, ils mangeaient la racine ou les graines du lotus, quelques-uns la tige du papyrus bouillie ou rôtie[cxxxviii]. Le fond de leur alimentation était le poisson que le Menzaléh et les lacs voisins leur fournissaient en quantité considérable[cxxxix]. Leurs bourgs et leurs monuments, on n'en parlait pas et probablement ne valaient-ils pas la peine d'une excursion. Sauf quelques marchands ou quelques soldats d'aventure, que l'appât du gain attirait dans ces marais, la plupart des étrangers qui venaient de l'Asie ou qui s'y rendaient suivaient la route militaire, de Péluse à Daphné puis de Daphné à Bubaste. A Kerkasôron, vers le Ventre du Delta, les pyramides pointaient à l'horizon, humbles d'abord, mais bientôt si altières qu'en temps d'inondation, au moment où la vallée entière, des montagnes d'Arabie aux montagnes de Libye, ne forme plus qu'un fleuve immense, la barque semblait naviguer presque dans leur ombre[cxl]. On laissait sur la gauche Héliopolis et son temple du soleil, les carrières de Troja, et l'on abordait enfin aux quais de Memphis.
Memphis était, pour le Grec d'alors, ce que le Caire a longtemps été pour nos modernes : la cité orientale par excellence, le représentant et comme le type vivant de la vieille Égypte. Malgré les désastres qui l'avaient frappée dans les derniers siècles, c'était encore une très belle ville, la plus vaste qu'il y eût au monde avec Babylone. Les fêtes religieuses, surtout celle d'Apis, y attiraient, à certains jours de l'année, des myriades de pèlerins. Le commerce y amenait sans cesse des bandes d'étrangers venus de tous les coins de l'Afrique et de l'Asie. Son port et ses rues devaient présenter, comme aujourd'hui les rues du Caire, le spectacle bariolé de cent races et de cent costumes divers, Phéniciens, Juifs, Araméens, Grecs, Libyens, depuis le prêtre indigène à tête rase, enjuponné de blanc, jusqu'au soldat perse de la forteresse du Mur-Blanc et au nègre du Soudan, cheveux feutrés de graisse, plumes d'autruche sur la tête, anneaux dans le nez, aux oreilles, aux bras, aux jambes, et caleçon court rayé de couleurs éclatantes. La plupart des peuples qui fréquentaient la ville y possédaient chacun un quartier particulier qui portait son nom : les Phéniciens, le Camp tyrien[cxli] ; les Cariens, le Mur Carien ; il y avait des Caromemphites et des Hellénomemphites à côté des Memphites proprement dits[cxlii]. Les animaux qu'on s'attend à rencontrer le moins dans les rues d'une grosse ville circulaient sans façon au milieu de la foule, des vaches, des moutons, des chèvres ; car les gens du commun, au lieu de se tenir séparés des brutes, vivaient familièrement avec elles[cxliii] et les logeaient dans leur propre maison. Et ce n'était pas le seul trait de mœurs qui dût paraître bizarre au nouvel arrivé. On eût dit que les Égyptiens avaient à cœur de prendre en tout le contre-pied des autres nations. Le boulanger qu'on apercevait à l’œuvre par la porte de sa boutique pétrissait la pâte avec le pied ; en revanche, le maçon n'employait aucun instrument pour appliquer son mortier, et les gens du peuple ramassaient à deux mains la boue des rues mêlée d'ordures pour en réparer le mur de leur cahute[cxliv]. En Grèce, les plus pauvres rentraient chez eux afin de dîner à portes closes : les Égyptiens n'avaient aucune répugnance à manger et à boire dans la rue, car, disaient-ils, les choses laides et vilaines se doivent faire en secret et les honnêtes en public[cxlv]. Le premier coin d'impasse venu, un enfoncement entre deux masures, une marche sur laquelle on s'accroupit à la porte d'une maison ou d'un temple, tout leur était bon à servir de salle à manger. Le menu n'était pas riche. Une sorte de galette plate, au goût aigre, pétrie non de blé ou d'orge mais d'épeautre[cxlvi], parfois un oignon ou un poireau, parfois un lambeau de viande ou de volaille, arrosé d'un cruchon de vin ou de bière : ce n'était pas de quoi tenter l'étranger, et d'ailleurs il aurait été mal venu à s'inviter lui-même. Le Grec, qui se nourrit de vache, était impur au premier chef : jamais homme ou femme du commun n'aurait consenti à manger au même plat que lui, non plus qu'à le baiser sur la bouche par manière de salut[cxlvii]. La politesse égyptienne n'admettait pas autant de familiarité que la grecque : deux amis qui se rencontraient s'arrêtaient à bonne distance l'un de l'autre, ils se tiraient la révérence et ils s'embrassaient mutuellement les genoux ou du moins ils faisaient mine de se les embrasser[cxlviii]. Les jeunes gens cédaient le pas à un vieillard, ou, s'ils étaient assis, ils se levaient pour le laisser passer. Le voyageur se rappelait que les Lacédémoniens en agissaient de même et il ne s'étonnait pas trop de cette marque de déférence[cxlix] ; mais rien en Grèce ne l'avait préparé à voir les femmes honnêtes aller et venir librement, sans escorte et sans voile, les épaules chargées, au contraire des hommes qui portent les fardeaux, sur la tête, courir les marchés, tenir boutique, tandis que le mari ou le père, enfermé à la maison, tissait la toile, pétrissait la terre à potier et travaillait de son métier[cl]. De là à croire que l'homme était esclave et la femme maîtresse, il ne s'en fallait guère. Les uns faisaient remonter l'origine de cette coutume jusqu'à Osiris, les autres jusqu'à Sésostris : Sésostris était la ressource extrême des historiens grecs dans l'embarras[cli].
Les abords de la ville, surtout ceux de l'ancien quartier royal, étaient défendus par plusieurs étangs, restes des anciens lacs sacrés qu'Apriès avait recreusés jadis[clii], Le vieux palais des Pharaons commençait dès lors à tomber en ruine, mais le Mur-Blanc était encore bruyant et animé. Il renfermait, au temps d'Hérodote, une véritable armée perse, celle-là même qui avait réprimé la révolte d'Amyrtée et qu'on avait laissée à la disposition du satrape en cas de sédition nouvelle. La ville propre était remplie de temples dans le quartier étranger, temple d'Astarté phénicienne, où, depuis la dix-huitième dynastie, des prêtres d'origine syrienne célébraient les mystères de la déesse, temple de Baalzéphon, temple de Marna ; dans la ville égyptienne, temple de Râ, temple d'Amon, temple de Toumou, temple de Bastit, temple d'Isis[cliii]. Le temple de Phtah, encore intact, offrait à l'admiration du visiteur un spectacle au moins comparable à celui qu'offre le temple d'Amon thébain à Karnak. Chaque roi en avait modifié le plan primitif selon son caprice, ajoutant, qui des obélisques ou des statues colossales, qui un pylône, qui une salle hypostyle. Ainsi complété par le labeur successif de trente dynasties, il était une sorte de musée de l'antiquité égyptienne, où chaque image, chaque inscription, chaque statue attirait l'attention du curieux. On voulait savoir qui étaient les peuples étrangement vêtus qu'on apercevait dans un tableau de bataille, le nom du roi qui les avait vaincus, les raisons qui l'avaient déterminé à construire telle partie de l'édifice, et il ne manquait pas de gens prêts à satisfaire de leur mieux la curiosité des visiteurs. Les interprètes étaient là pour donner des informations, et nos contemporains, qui ont en l'occasion d'employer un drogman, se figurent aisément ce que valaient des renseignements obtenus de la sorte. Les prêtres de la basse classe, portiers ou sacristains, étaient dressés au métier d'exégètes et ils connaissaient en gros l'histoire du temple où ils vivaient. Ménès l'avait fondé ; Moeris avait bâti les propylées du Nord[cliv], Rhampsinite ceux de l'Ouest[clv], Psammétique ceux du Sud[clvi], Asychis ceux de l'Est, les plus beaux de tous[clvii]. On savait de reste qui était Ménès. Un homme de Memphis, né au pied du temple de Phtah et des Pyramides, était familier avec Ménès et Kheops et disposé, par conséquent, à leur attribuer tout ce que les Pharaons des anciennes dynasties avaient fait de grand. Ménès n'avait pas seulement devisé le temple, il avait créé la ville ; il n'avait pas seulement créé la ville, il avait tiré des eaux le sol même sur lequel elle reposait. Avant lui, l'Égypte entière n'était qu'un marais, hormis la province de Thèbes, et rien n'était visible encore des cantons qui sont au nord du lac Moeris. Les alluvions avaient comblé peu à peu le golfe, les couches s'étaient accumulées ; Ménès avait détourné le cours du fleuve pour les assainir, et il avait bâti Memphis sur le terrain asséché par ses soins. Et le voyageur instruit d'approuver, car il avait observé par lui-même le travail des boues : à une journée de distance de la côte, on ne pouvait jeter la sonde sans la retirer couverte d'un limon noirâtre, preuve évidente que le Nil continuait d'empiéter sur la mer.
Nous avons retrouvé Ménès en tête de la liste des Pharaons, mais je n'inviterai personne à chercher sur les monuments Moeris, Asychis, Phéron, Protée et la plupart des personnages dont Hérodote raconte l'histoire. Le protocole égyptien comportait plusieurs manières de désigner un souverain. Sur tel pylône l'inscription est gravée au nom même, sur tel autre au prénom ou au sobriquet populaire, comme Sésostris ; ailleurs enfin un simple titre, Prouti ou Phérô, entouré ou non du cartouche, marque d'une manière générale, au courant du récit, le souverain dont le nom a été inscrit tout au long sur une autre partie de l'édifice. Ces façons de parler induisaient en erreur jusqu'aux touristes égyptiens ; ils prenaient une des tombes de Béni-Hassan pour une chapelle de Chéos[clviii]. Les étrangers, livrés à la bonne foi des drogmans, étaient excusables d'animer un titre royal et de métamorphoser Prouti ou Phérô en un personnage constructeur de temples, Pharaon Protée ou Pharaon Phéron[clix]. Les récits sont à l'avenant des noms : parfois ils avaient un fond de vérité historique, souvent ils n'étaient qu'une adaptation des romans qui avaient cour dans la population de Memphis. Les guides contèrent à Hérodote, et Hérodote nous conte à son tour avec la gravité de l'historien, le remède dont le roi Phéron usa pour recouvrer la vue[clx], les aventures de Pâris et d'Hélène à la cour de Protée[clxi], les bons tours que l'habile voleur joua au roi Rhampsinite[clxii]. Et partout, aux Pyramides, à Héliopolis, dans le Fayoum, le voyageur recueillait les mêmes noms de rois qui l'avaient frappé à Memphis : un même cycle d'histoire populaire enfermait tous les monuments, et ce qu'on entendait dans un endroit complétait ou paraissait compléter ce qu'on avait entendu dans un autre[clxiii].
Je ne sais si beaucoup de voyageurs avaient le loisir ou l'envie de remonter au delà du lac Moeris : les guerres avaient, ce semble, interrompu le commerce régulier que les Grecs contemporains des Saïtes et des premiers rois perses entretenaient avec les oasis par la voie d'Abydos. L'étranger qui s'aventurait en Thébaïde était dans la position de l'Européen qui, au siècle dernier, entreprenait d'aller jusqu'à la première cataracte. Même point de départ, ou à peu près, Memphis et le Caire ; même point d'arrivée, Éléphantine et Assouan. Mêmes moyens de transport : rien ne ressemble plus aux dahabiehs modernes que les barques figurées sur les monuments. Même saison de l'année : on partait après le retrait de l'inondation, en novembre ou en décembre. Même temps consacré à l'excursion : le trajet du Caire à Assouan exige un mois seulement, si l'on a bon vent et si l'on marche sans s'arrêter plus qu'il n'est strictement nécessaire afin de renouveler les provisions. Pockocke, ayant quitté le Caire le 6 décembre 1737, vers midi, était à Akhmîm le 17 du même mois, repartait le 28, arrivait le 13 janvier 1738 à Thèbes, où il séjournait jusqu'au 17, et abordait le port d'Assouan le 20 janvier au soir. Total quarante-cinq jours, dont quatorze passés à terre. Si le journal de voyage d'un contemporain d'Alexandre était parvenu jusqu'à nous, nous y lirions sans doute des dates semblables. Départ de Memphis en novembre-décembre, arrivée douze ou treize jours plus tard à Panopolis (Akhmîm) ; de Panopolis à Éléphantine, par Coptos et par Thèbes, environ un mois, y compris le séjour obligé à Thèbes ; puis retour à Memphis en février ou en mars. La meilleure partie du temps se perdait en allées d'un point vers un autre ; la nécessité de profiter d'un bon vent obligeait les voyageurs à négliger plus d'une localité intéressante. Dans les quelques endroits où le patron de la barque consentait à s'arrêter, la population était hostile au Grec. Ajoutez que les interprètes, presque tous originaires du Delta, n'avaient pas souvent l'occasion de faire le voyage du Nil, et devaient se sentir à Thèbes presque autant dépaysés que l'étranger lui-même. Leur rôle se bornait à traduire les renseignements fournis par les gens de l'endroit, quand les gens de l'endroit consentaient à en fournir.
A Panopolis, ce qui avait frappé le plus vivement Hérodote, c'est un temple et des combats gymniques consacrés à Persée, le fils de Danaé. Comment le dieu Minou était-il devenu Persée ? les inscriptions nous l'apprendront peut-être un jour. Les drogmans contaient que Danaos et Lyncée étaient de la ville, que Persée, revenant de Libye avec la tête de Méduse, se détourna de son chemin pour visiter le lieu de son origine, et qu'il institua, en souvenir de son passage, des jeux où le vainqueur recevait, avec le prix, du bétail, des robes et des peaux[clxiv]. Thèbes n'était plus qu'une cité morte : les gouverneurs perses ne se donnaient point la peine d'y réparer les temples, et ses princes étaient ou trop pauvres ou trop avares pour suppléer à la négligence des maîtres du pays. Hérodote ne dit presque rien de la ville et de ses monuments[clxv] : Hécatée l'avait décrite avant lui, et son ouvrage suffisait aux curieux[clxvi]. Il se borna à constater que les dires des Thébains étaient généralement d'accord avec ceux des Memphites : une question seulement l'intéressa et lui parut digne de longs développements. Les prêtres d'Amon lui avaient raconté entre autres choses que deux prêtresses enlevées de Thèbes par les Phéniciens, et vendues, l'une en Afrique, l'autre en Grèce, avaient établi les premiers oracles dans ces deux pays. Il se rappela aussitôt le récit qu'on lui avait fait en Épire de deux colombes noires envolées de Thèbes et parvenues, l'une dans l'oasis d'Amon, l'autre à Dodone : celle-ci se posa sur un hêtre et elle assuma la voix humaine pour réclamer l'établissement d'un oracle à Jupiter[clxvii]. Hérodote ne se sent pas de joie à l'idée que la divination grecque se rattachait par un point à la divination égyptienne : il croyait, et ses compatriotes avec lui, ennoblir les origines des cultes helléniques en les déduisant de ceux de l'Égypte. Arrivé à Éléphantine, on rebroussait chemin. Éléphantine était en effet la dernière garnison perse. Au delà commençait le territoire de la Nubie, toujours contesté entre les maîtres de l'Égypte et de l'Éthiopie. Heureusement pour les curieux, Éléphantine était, comme Assouan aujourd'hui, le centre d'un commerce important : on y coudoyait dans les bazars des Éthiopiens de Méroé, des noirs du Haut-Nil et du lac Tchad, des Ammoniens, auprès desquels on pouvait se renseigner. La cataracte, dont les premiers rochers dominent l'entrée même du port, n'était infranchissable en aucun temps ; les riverains avaient le privilège de la faire passer aux bateaux de commerce. La montée durait quatre jours au lieu de deux ou même de trois qu'elle dure aujourd'hui : à la sortie, le Nil formait comme un lac semé d'îles dont deux ou trois, Philæ, Bégeh, étaient des sanctuaires célèbres que les Égyptiens se partageaient de moitié avec les Éthiopiens.
A tout prendre, ce n'était pas l'Égypte elle-même que les étrangers apercevaient, mais le décor extérieur de la civilisation égyptienne. La grandeur des monuments et des tombes, la pompe des cérémonies, la gravité et l'ampleur mystique des formules religieuses, frappaient leurs regards et leur inspiraient le respect de ce qu'ils ne voyaient pas la sagesse des Égyptiens était proverbiale chez les Hébreux et chez les Grecs. Et pourtant ces beaux dehors dissimulaient à peine une décadence irrémédiable. A y regarder de plus près, on reconnaissait que l'art n'avançait plus, que les sciences étaient une routine, que la religion se dégradait chaque jour. La chute des dynasties thébaines avait entraîné celle du monothéisme ; du moment qu'Amon était impuissant à maintenir ses fidèles et ses prêtres au premier rang, que signifiaient ses prétentions à la royauté divine ? Un dieu qui n'était plus assez fort pour triompher des autres dieux n'était pas le dieu un. D'autre part, l'autorité des dynasties qui avaient suivi la vingtième n'avait jamais duré assez longtemps pour permettre aux divinités sous la protection desquelles elles vivaient, d'hériter du rôle important que la trinité thébaine avait eu. La féodalité divine triompha partout à l'ombre de la féodalité humaine, et les dieux de Mendés ne consentirent pas plus à se laisser absorber par ceux de Saïs que les Mendésiens à courber la tête devant les Saïtes. Le sentiment religieux, divisé de la sorte, ne s'affaiblit pas cependant : loin de là, il redoubla d'intensité et il devint bientôt le seul sentiment commun à toute l'Égypte. L'instinct national n'avait jamais été bien fort dans l'homme des basses classes : peu lui importait qui touchait l'impôt, puisqu'il était forcé de payer aussi cher dans tous les cas. Les seigneurs féodaux ne tenaient guère à la patrie ils se révoltaient aussi bien contre les Pharaons que contre le grand roi, et leur turbulence avait à mainte reprise été funeste au pays. Sur un terrain seulement, celui de la religion, fellahs et princes se réunissaient d'un accord unanime. Ce qui les humiliait le plus dans leur défaite, c'était de voir les divinités de l'Égypte battues par celles de la Perse et de la Grèce : l'oppression ne lassait point leur patience, mais la moindre insulte à leurs animaux sacrés soulevait une révolte. Ils se résignaient à tout souffrir pourvu qu'on ne touchât pas à leurs dieux : les dieux étaient ce qui leur restait vivant de leur passé.
[i] Arrien, Anabase, III, 47.
[ii] Strabon, l. XV, III, 2.
[iii] Loftus, Chaldæa and Susiana, p. 347.
[iv] J. Oppert, Inscriptions of the Persian Monarchs, dans les Records of the Past, t. IX, p. 79.
[v] J. Oppert, Inscriptions of the Persian Monarchs, dans les Records of the Past, 8, IX, p. 85.
[vi] Antalcidas en 387 et en 372 ; Pélopidas et Isménias en 567.
[vii] Ctésias, Persica, § 28, 30, 42, édit. Müller-Didot, p. 51.58.
[viii] Ctésias, Persica, § 48, 53-57, 59-62, édit. Müller-Didot, p. 54-58.
[ix] Ctésias, Persica, § 29, édit. Müller-Didot, p. 51.
[x] Diodore de Sicile, l. II, 22, l. IV, 75 ; Pausanias, X, 31, § 2. D'après Hérodote (V, LIII), Suse avait été fondée par Memnon ; d'après Strabon (l. XV, III, 2), par Tithon, père Memnon.
[xi] Gelzer, Kappadocien und seine Bewohner, dans la Zeitschrift, 1865, p. 25.
[xii] Strabon (l. XII, 4, § 2) insiste sur les différences qui séparaient les Cataoniens du reste des habitants de la Cappadoce ; cf. Gelzer, Kappadocien und seine Bewohner, p. 15.
[xiii] Hérodote, III, xciv, VII, lxxviii-lxxix.
[xiv] Le nom paraît être hybride et emprunté en partie aux langues sémitiques. Cf. Kiepert, Handbuch der alten Geographie, p. 90-91.
[xv] Sayce, The Ancient Empires of the East, p. 42, note 3.
[xvi] Hérodote, l. LXXIII. Le témoignage d'Eudoxe était encore plus décisif (Eustache, Comment. ad Dionysii Periegesin, v. 694, dans les Geographi Græci Minbres, t. II, p. 341).
[xvii] Dans Hérodote, I, LXXII, la montagne où l'Halys prend sa source s'appelle le mont d'Arménie.
[xviii] Hérodote, I, CXCIV.
[xix] Hérodote, II, XCIII.
[xx] Hérodote, III, XCIV.
[xxi] Strabon, l. XI, II, 14, 17, 18 ; Pline, H. N., VI, 4 ; Procope, De bello Gothico, IV, 2.
[xxii] H. Rawlinson, On the Alarodians of Herodotus, dans G. Rawlinson, Herodotus, t. IV., p. 205-206 ; Fr. Lenormant, les Origines de l'histoire, t. II, p. 2 sqq.
[xxiii] Fr. Lenormant, les Origines de l'histoire, t. II, p. 370 sqq.
[xxiv] Sur l'histoire de ces peuples, voir Ed. Meyer, Geschichte des Kœnigsgsreichs Pontos, p. 25 sqq.
[xxv] Tyr avait été détruite par Alexandre.
[xxvi] Xénophon, Anabase, I, V, 1-3.
[xxvii] Xénophon, Anabase, I, V, 4-6.
[xxviii] C'est ce qu'on peut déduire d'un passage du cylindre de Cyrus publié par H. Rawlinson dans le Journal of The Royal Asiatic Society, t. XII, p. 70 sqq.
[xxix] Xénophon, Anabase, II, 4, dit que la ville était grande et riche. Il l'appelle Kænæ, et ce nom n'est peut-être que la traduction grecque du nom qu'elle portait. Rien n'était plus naturel pour les exilés assyriens que de nommer la Neuve ou les Neuves les bourgades qu'ils avaient construites à leur retour.
[xxx] Xénophon appelle ce pays la Médie, contrée déserte que les Dix Mille traversent en six étapes.
[xxxi] Xénophon, Anabase, II, 4.
[xxxii] Le nom de Larissa rappelle celui de Larsam qu'on rencontre en Chaldée ; celui de Mespila peut-être une mauvaise interprétation d'un mot local, peut-être mappèla, ruines (Kiepert, Handbuch der alte Geographie, p. 152, n. 2, 3).
[xxxiii] Diodore de Sicile, l. II, 7, 2 sqq. d'après Ctésias (Fragm., 8-10, édit. Müller-Didot, p. 19-23).
[xxxiv] Ecbatane (Diodore de Sicile, l. II, 136), Semiramocarta, identique à la ville de Chauônp lacée par Ctésias (dans Diodore, l. II, 13, 3) en Médie (cf. Kiepert, Handbuch der alte Geographie, p. 81, note 1).
[xxxv] Diodore de Sicile, l. II, 13, 2 : ce sont probablement les inscriptions gravées par Darius 1er au mont Bagistanos (Behistoun) qui ont été attribuées par Ctésias à Sémiramis.
[xxxvi] Diodore de Sicile, l. II, 14, 5.
[xxxvii] Amyntas, fragm. 2, dans les Fragments Historicorum de rebus Alexandri, édit. Müller-Didot, p. 136.
[xxxviii] Cf. Apollodore, fragm. 69 (dans les Fragm. H. Græc., t. I, p. 440) où l'inscription à la variante : « Bois, mange, aime, car le reste ne vaut rien », et Cléarque de Soles, fragm. 5 (dans les Fragm. H. Græc., t. II, p. 305).
[xxxix] On n'a rien trouvé dans les ruines d'Ourou qui descende au delà de la conquête perse (Loftus, Chaldæa and Susiana, p. 133).
[xl] Strabon, l. XVI, I, 6.
[xli] Hérodote, I, CC.
[xlii] Hérodote, I, CLXXVIII-CLXXIX.
[xliii] C'est ce qui résulte du témoignage d'Arrien, Anabase, VII, 17, 12.
[xliv] Hérodote, I, CLXXXII, rapporte seulement que Xerxès avait dépouillé le temple ; Strabon, l. XVI, I, 5, raconte qu'Alexandre voulut le restaurer, mais qu'il était tellement ruiné que le seul enlèvement des décombres aurait exigé deux mois de temps et dix mille ouvriers.
[xlv] Hérodote I, cxcvi.
[xlvi] Diodore de Sicile, II, 10, qui a emprunté probablement sa description à Ctésias.
[xlvii] Hérodote, I, clxxx.
[xlviii] Hérodote, I, cxcv.
[xlix] Hérodote, I, cxcvii.
[l] Hérodote, I, cxcix. On trouve le même usage en Phénicie.
[li] Hérodote, I, cxcvi.
[lii] Philon de Byblos, fragm. 9 dans les Fragm. H. Gr., t. III, p. 572.
[liii] Sur les rapports de Pythagore et de l’Assyrie, cf. Néanthès de Cyzique, fragm. 50 (Fragm. H. Gr., t. III, p. 9) ; et Alexandre Polyhistor, fragm. 458 (Fragm. H. Gr., t. III, p. 239). Le récit d'après lequel Pythagore aurait servi dans l'armée de Nergilos, roi d'Assyrie (Abydène, fragm. 7 dans les Fragm. H. Gr., t. III, p. 282), repose probablement sur une confusion de noms ; parmi les rois grecs de Chypre mentionnés dans les inscriptions d'Asarhaddon et d'Assourbanabal, il y a un prince dont le nom Pis’agourou rappellerait le nom de Pythagore, si la lecture en était certaine.
[liv] Cf. Fragm. H. Gr., t. 11, p. 24-26 ; Démocrite aurait traduit un ouvrage d'assyrien en grec. Sur la légende de Démocrite alchimiste, voir Berthelot, les Origines de l’alchimie, p. 145 sqq.
[lv] Simplicius, Commentaire sur Aristote, De Cœlo, p. 503, A.
[lvi] Hipparque décrivit cependant, d'après des sources babyloniennes, plusieurs observations d'éclipses de lune, celles des années 720, 740, 621, 523 (Ptolémée, Magna Syntaxis, IV, 5, 8 ; V, 14).
[lvii] Vitruve, IX, 4.
[lviii] Voir, sur l'introduction de l'astrologie chaldéenne en Grèce, les observations de Bouché-Leclercq, Histoire de la Divination dans l'antiquité, t. I, p. 206 sqq.
[lix] Clermont-Ganneau, Origine perse des monuments araméens d'Égypte, 1880.
[lx] Renan, Histoire des langues sémitiques, 1875, p. 196.
[lxi] Renan, Histoire des langues sémitiques, 1875, p. 144 sqq.
[lxii] Esdras, II, 1 sqq.
[lxiii] L'Acrabattène était la portion de territoire qui s'étend le long du Jourdain, entre Jéricho et les frontières de la Samarie.
[lxiv] Esdras, III. Le texte semble dire qu'on avait retrouvé les fondements de l'ancien autel et qu'on y avait construit l'autel nouveau.
[lxv] Esdras, III, 10-13.
[lxvi] Esdras, I, 4-6.
[lxvii] Anonyme (Isaïe, LX, v, 11, 16).
[lxviii] Haggaï, I, 5.
[lxix] II Rois, xvii, 24-40.
[lxx] C'est l'expression de Kuenen, Religion nationale et religion universelle, p. 214.
[lxxi] Esdras, IV-VI.
[lxxii] Le récit de Josèphe (Ant. Jud., XI, 4.2) sur deux expéditions de Zorobabel paraît être emprunté, partie au livre canonique d'Esdras, partie à l'écrit non canonique qui porte le nom de troisième livre d'Esdras.
[lxxiii] Reuss, Bible, l'Histoire sainte et la Loi, t. I, p. 229-230.
[lxxiv] Kuenen, The religion of Israël, t. II, p. 202-204.
[lxxv] Le huitième, d'après ce nombre total donné par Esdras, II, 64 ; le sixième, si l'on s'en réfère aux nombres partiels donnés pour chacune des familles composant la colonie.
[lxxvi] Néhémie, XII, 40.
[lxxvii] Sur cette constitution du pouvoir des grands prêtres, voir Kuenen, The religion of Israël, t. II, p. 214-215.
[lxxviii] Deutéronome, VI, 5.
[lxxix] Kuenen, Religion nationale et religion universelle, p. 121.
[lxxx] Esdras, IV-X ; Néhémie, XIII, 24-31.
[lxxxi] Voir sur ces questions : Reuss, l'Histoire sainte et la Loi, t. I, p. 231 sqq. ; Kuenen, The religion of Israël, t. II, p. 148 sqq.
[lxxxii] Genèse, I, ii, 4.
[lxxxiii] Genèse, XVII.
[lxxxiv] Sur le Tabernacle, voir Wellhausen, Prolegomena zur Geschichte Israels, p. 35 sqq. Le récit, de la construction du Tabernacle n'existait pas encore sous sa forme actuelle à l'époque où fut faite la traduction des Septante.
[lxxxv] Exode, xxv, 4-xxxi, 47 ; xxxv, sqq. ; Lévitique, viii-x, etc.
[lxxxvi] Lévitique, xix, 4 ; Exode, xxii, 20.
[lxxxvii] Lévitique, xx, 4.
[lxxxviii] Lévitique, xviii, 5, xx, 10.
[lxxxix] Lévitique, xix, 25.
[xc] Hoshéa, VI, 6.
[xci] Kuenen, Religion nationale et religion universelle, p. 126.
[xcii] Lévitique, I, 3-9.
[xciii] Lévitique, I, 10-13.
[xciv] Lévitique, I, 14-17.
[xcv] Lévitique, XIX, 2.
[xcvi] Lévitique, XX, 8.
[xcvii] Michée, V, 7-10.
[xcviii] Ainsi par le cadavre d'un animal impur (Lévitique, v, 2), même d'un insecte (Lévitique, XI, 20-25).
[xcix] Lévitique, xvi, I, 29-34. Cf. Kuenen, The religion of Israël, t. II, p. 251 sqq, ; Religion nationale et religion universelle, p. 125-126.
[c] C'est celui qu'on nomme à tort Malachie : une tradition assez ancienne veut que ce prophète dont le nom est perdu ait été Esdras.
[ci] Néhémie, I.
[cii] Néhémie, II-VI.
[ciii] Esdras, VII, 5-10.
[civ] Esdras, VII, 11-29.
[cv] Esdras, VIII, 1-35.
[cvi] Esdras, VIII, 35-IX.
[cvii] Esdras, X, 14.
[cviii] Esdras, X, 5-44. Cf. Kuenen, The Religion of Israël, t. Il, p. 218-223.
[cix] Néhémie, VIII, 1-12.
[cx] Néhémie, VIII, 13-18.
[cxi] Néhémie, IX.
[cxii] Néhémie, X. Cf. sur l'authenticité des renseignements contenus dans ce chapitre et dans les précédents, Kuenen, The religion of Israël, t. II, p. 286 sqq.
[cxiii] Néhémie, XIII.
[cxiv] Josèphe, Ant. jud., XI, vii, 2 ; viii, 2-4.
[cxv] Kuenen, The religion of Israël, t. II, p. 240 sqq.
[cxvi] Voir dans Reuss, l'Histoire sainte et la Loi, t. I, Introduction, la démonstration de ces faits.
[cxvii] Josèphe, Ant. Jud., XI, vii, § 1 ; cf. Nöldeke, Aufsätze zur Persischen Geschichte, p. 78.
[cxviii] Sur les écrivains grecs qui ont traité de l'Égypte antérieurement à Alexandre, cf. les renseignements rassemblés par A. von Gutschmid, Scriptorum rerum ægyptiacarum series (Philologus, t. X).
[cxix] Brugsch, Dict. géographique, p. 66, 68, 451.
[cxx] Odyssée, IV, 354-359.
[cxxi] Hérodote, II, xcvii-xcviii. L'emplacement de ces deux villes n'a pas été encore déterminé avec certitude.
[cxxii] Hérodote, II, ccxxv ; Diodore, I, 95, rapporte la même anecdote au règne d'Amasis.
[cxxiii] Hérodote, II, cix.
[cxxiv] Hérodote, Il, clxxx.
[cxxv] Hérodote, II, lxii. C'est la fête d’allumer la flamme dont la date est donnée, entre autres, par la grande inscription de Siout.
[cxxvi] Hérodote, II, clxxi.
[cxxvii] Hérodote assure que le bouc et le dieu portaient le nom de Mendès ; les inscriptions appellent en effet Binibdîdou, âme du dieu maître de Didou, le bouc adoré à Mendès, et ce nom, prononcé Bindîdi par le peuple, a donné aux Grecs la forme Mend®w, Mend®tow.
[cxxviii] Hérodote, II, xlvi.
[cxxix] Hérodote, II, xli. La façon dont sont faites les momies de boeufs qu'on trouve à Sakkarah montre qu'une coutume analogue prévalait aux environs de Memphis.
[cxxx] Hérodote, II, lix, lxi.
[cxxxi] C'est le nom égyptien du dieu qu'Hérodote appelle Arès.
[cxxxii] Hérodote. II, lxiii. De même on affirmait au Caire qu'aucun des musulmans qui se soumettaient à l'épreuve de la dosèh n'était blessé par les sabots du cheval qui piétinait leur corps.
[cxxxiii] Dümichen, Dendera, pl. XXVIII, l. 17-19. C'est la description de la fête de l'ivresse à Dendérah, mais elle est vraie de la fête de Bubaste.
[cxxxiv] Hérodote, II, cxxxvii-cxxxviii.
[cxxxv] Hérodote, II, xciv.
[cxxxvi] Thucydide, I, 110.
[cxxxvii] Hérodote, II, lxxvii. Le passage où il est question de la bière ne peut s'appliquer qu'aux Égyptiens dans les marais.
[cxxxviii] Hérodote, II, xcii.
[cxxxix] Hérodote, II, xciii.
[cxl] Hérodote, II, xvii, xix, xcvii. A partir de Kerkasôron, il n'y avait plus qu'une seule route, le Nil, qu'on vînt de l’ouest ou de l'est, de Saïs ou de Bubaste.
[cxli] Hérodote, II, cxii : TurÛvn stratñpedon.
[cxlii] Aristagoras de Milet (fragm. 5 dans Müller-Didot, Fragm. H. Gr., t. Il, p. 98), d'après Etienne de Byzance.
[cxliii] Hérodote, II, xxxvi.
[cxliv] Hérodote, II, xxxvi.
[cxlv] Hérodote, II, xxxv.
[cxlvi] Hérodote, II, xxxvi. Ailleurs, il appelle ce pain xull®stiw et ce nom, qu'Hécatée de Milet connaissait déjà (fragm. 290, dans Müller-Didot. Fragm. H. Gr., t. I, p. 20), n'est que la transcription exacte de l'égyptien koulishti, mentionné à plusieurs reprises dans les documents d'époque pharaonique (Papyrus Anastasi, V, pl. XXI, l. 5).
[cxlvii] Hérodote, II, xli.
[cxlviii] Hérodote, II, xxxvii, lxxx.
[cxlix] Hérodote, II, lxxx.
[cl] Hérodote, II, xxxv.
[cli] Nymphodore de Syracuse (fragm. 21, dans Müller-Didot, Fragm. H. Græc., t. II, p. 380), où le chapitre xxxv du second livre d'Hérodote est transcrit presque entier, avec des additions d'origine inconnue.
[clii] Brugsch, Monuments, t. I, pl. III ; Mariette, Mon. divers, pl. 30, b.
[cliii] L'énumération est empruntée en grande partie au Papyrus Sallier n° IV, verso, pl. I, l. 1, pl. II, l. 11.
[cliv] Hérodote, II, ci.
[clv] Hérodote, II, cxxi.
[clvi] Hérodote, II, cxiii.
[clvii] Hérodote, II, cxxxvi.
[clviii] Champollion, Monuments de l'Égypte, Notices, t. II, p. 423-425 ; Maspero, la Mosaïque de Palestrina et les peintures des tombeaux égyptiens, dans les Mélanges publiés par l'École pratique des Hautes Études, 1878, p. 49-50.
[clix] Sur Prouti, voir Lauth, Ægyptische Chronologie, 1877, p. 181-182 ; sur Phéron, Maspero, Fragment de commentaire sur le livre II d'Hérodote, dans l'Annuaire de l'Association pour l'encouragement des études grecques, 1877, p. 133-135.
[clx] Hérodote, II,CXI.
[clxi] Hérodote, II, CXII-CXX.
[clxii] Hérodote, II, CXXI.
[clxiii] Sur ces contes voir Maspero, Fragment de commentaire, 1878, p. 8, 17.
[clxiv] Hérodote, II, xxix.
[clxv] Il cite quelques légendes sur Amon (II, xlii, liv, lvi sqq., lxxxiii, etc.), sur Hercule (II, xlii), sur les serpents (II, lxxiv), sur les pluies (II, v), etc.
[clxvi] Hérodote le cite au sujet de Thèbes (II, cxliii).
[clxvii] Hérodote, II, liv-lv.