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 texte numérisé et mis en page par François-Dominique FOURNIER

HISTOIRE ANCIENNE DES PEUPLES DE L'ORIENT  

Gaston MASPERO

Membre de l’Institut

Professeur de langue et d’archéologie égyptiennes au Collège de France

Directeur Général des Antiquités de l’Égypte

 

LIVRE IV – L’empire assyrien et le monde oriental jusqu'à l’avènement des Sargonides

Chapitre X – Les Sargonides.

Sargon (722-705) ; guerres contre l'Égypte, l'Élam et l'Arménie ; conquête de la Chaldée.

L'Assyrie s'était accrue jusqu'alors aux dépens de tribus à moitié barbares ou de petits royaumes incapables de résister longtemps au choc de forces supérieures. La destruction systématique des unes et l'annexion progressive des autres la conduisirent partout en présence d'E' tais aussi solidement organisés qu'elle l'était elle-même et assez vigoureux non seulement pour lui tenir tête, mais pour la battre. Au sud-ouest, l'Égypte se dressait devant elle ; au nord, elle confluait à l'Ourartou ; au sud-est, la conquête des principautés araméennes la plaçait en contact direct avec le vieil empire d'Élam. L'Égypte, l'Ourartou, l'Elam endiguèrent son élan et formèrent entre elle et le reste du monde une barrière qu'elle ne parvint jamais à abaisser complètement. Sargon et ses successeurs bataillèrent, plus d'un demi-siècle durant, contre ces trois royaumes, et ils finirent par triompher d'eux. Ils y installèrent des gouverneurs, des garnisons, tout un système d'occupation à main armée et de vasselage ; mais il n'était pas aussi facile de conserver une province comme l'Égypte ou comme l'Elam qu'il l'était de confisquer Gargamish, Hamath ou Samarie, et leurs succès aux bords du Nil, de l'Aras et de l'Oulaï ne furent que succès éphémères, vite effacés par des désastres. Bien est-il vrai qu'ils usèrent leurs ennemis à la longue, à force de victoires ; mais ces victoires les usèrent eux-mêmes, et les laissèrent sans nerf et sans ressort contre l'irruption de peuples nouveaux. Dans la réalité, lorsqu'ils abattaient l'Égypte, l'Ourartou et l'Élam, ce n'était pas pour eux qu ils travaillaient, mais pour des rivaux qu'ils ne pressentaient pas encore, pour les Mèdes et les Perses.

La prise de Samarie avait compensé si peu l'échec de Kalou que, dès l'année 721, une coalition se forma en Syrie, avec l'appui secret de l'Égypte. Tafnakhti était mort vers le moment même que Sargon saisissait le pouvoir en 722, et son fils Boukounrinif (Bocchoris) lui avait succédé. Le nouveau roi de Saïs et de Memphis était, ce semble, résolu et habile. Longtemps après sa mort, le peuple raconta toute sorte d'histoires merveilleuses sur son compte. Il était, dit-on, faible de corps et n'avait point d'extérieur, mais il rachetait ces défauts par la finesse de son esprit[1] : il avait laissé la renommée d'un prince simple dans son genre de vie[2], d'un législateur prudent[3] et d'un juge intègre[4]. Les rares monuments que nous avons de son temps sont muets sur ses actions[5], mais ce que nous savons de la vie de Tafnakhti éclaire celle de son fils d'une vive lumière. Ce fut une querelle incessante avec les princes, une série de courses, d'abord pour conquérir le Delta et l'Égypte moyenne, en¬suite pour consolider la conquête et pour y continuer une suprématie précaire. Il réussit pourtant à se faire obéir de tous, et son règne compte dans l'histoire pour une dynastie entière, la XXIVe. A peine maître, il jeta les yeux au delà de l'isthme, et son intervention fut bien accueillie de tous ceux qui redoutaient l'ambition de l’Assyrie. Si naguère encore Israël et Juda avaient recherché l’appui d’un roitelet confiné à Tanis, dans un coin du Delta, que ne devaient-ils pas faire pour s'assurer l'amitié d'un Pharaon dont la domination pesait sur l'Égypte entière ? Phéniciens, Juifs et Philistins, tous les peuples que la rudesse de Tiglatphalasar avait effrayés, sentirent que le salut leur viendrait d'Égypte, s'il pouvait leur venir de quelque part, et divers motifs poussèrent le souverain à bien accueillir leurs ouvertures. Il savait que ses prédécesseurs avaient possédé la Palestine et porté leurs armes jusqu'au Tigre ; ce qui avait été jadis possible et glorieux lui paraissait être possible encore à l'heure présente. Et quand même le désir d'ajouter un nom de plus à la longue liste des conquérants ne l'aurait pas bien disposé, la prudence lui conseillait de ne pas décourager les alliances qui s'offraient à lui spontanées. Le progrès des Assyriens vers l'isthme de Suez, lent d'abord, s'était accéléré depuis vingt ans d'une façon redoutable. Et il devenait pour l'Égypte un sujet de craintes perpétuelles. Il fallait ou vaincre les vainqueurs de l'Asie et les rejeter au delà de l'Euphrate, ou du moins entretenir devant eux une barrière de petits royaumes, contre laquelle l'élan de leurs attaques s'amortirait avant d'atteindre la vallée du Nil.

La coalition, qui se forma sous les auspices de Bocchoris, englobait presque tout ce qui subsistait de Syriens valides. C'était au nord Jahoubîd[6], roi de Hamath, usurpateur comme Sargon lui-même et le personnage le plus important de la région, depuis que Rézon II était mort ; c'étaient encore les chefs d'Arpad et de Damas, les Phéniciens de Simyra, les quelques Hébreux demeurés à Samarie. Les Tyriens, toujours en armes depuis la mort de Tiglatphalasar, défiaient tous les efforts tentés pour les réduire. Les chefs philistins, les rois de Moab et d'Ammon, Juda lui-même, étaient ouvertement ou secrètement hostiles à l'Assyrie. Depuis 727, Jérusalem était gouvernée par Hizkiah (Ezéchias), fils d'Achaz. Ezéchias avait montré dès sa jeunesse une piété ardente : le plus célèbres des prophètes hébreux. Isaïe, fils d'Amoz, devint son conseiller et presque son ministre. La vocation d'Isaïe s'était décidée l'année de la mort d'Azariah, et lui-même en a conté l'occasion dans une page célèbre : « J'aperçus le Seigneur assis sur un trône élevé, et les pans de son vêtement emplissaient le temple. Les séraphins étaient prés de lui et chacun d'eux avait six ailes : de deux ils se couvraient la face, de deux ils se couvraient les pieds, et de deux ils volaient. Et ils se criaient l'un à l'autre et disaient : “Saint, saint, saint est Jahvé des armées ! toute la terre est pleine de sa gloire !” Et le seuil trembla jusqu'en ses fondements à la voix de celui qui criait, et la salle s'emplit de fumée. Lors je dis : “Hélas sur moi ! c'en est fait de moi, car je suis un homme aux lèvres souillées, et je demeure parmi un peuple aux lèvres souillées, et mes yeux ont vu le roi Jahvé des armées!” Mais l'un des séraphins vola vers moi, tenant à la main un char¬e bon vif qu'il avait pris sur l'autel avec des pincettes, et il en toucha ma bouche et dit : “Voici, ceci a touché tes lèvres; c'est pourquoi ton iniquité te sera ôtée et ton péché te sera pardonné”[7] ». Ce sont bien là tous les traits du dogme primitif, le sol ébranlé jusque dans ses fondements rien qu'à la voix des messagers divins, la fumée qui obscurcit la salle ; mais ils ne représentent plus rien de réel aux yeux du prophète, et ils ne sont que des images destinées à rehausser la grandeur de Dieu[8]. Isaïe sentait le danger de Jérusalem plus vivement encore qu'Amos et que Hoshéa ; aussi quand Achaz, menacé par Rézon Il et par Pékakh, eut son coeur « et le coeur de son peuple ébranlé comme les arbres des forêts sont secoués par le vent », et implora l'appui de l'Assyrie, il s'éleva de toutes ses forces contre cette alliance impie. Les projets des ennemis de Juda sont vains, et Jahvé en dit : « Ils n'auront point d'effet et ne s'exécuteront point ; avant qu'un enfant conçu au moment où il parle soit arrivé à l'âge où l'on sait rejeter le mal et choisir le bien, les deux rois ne seront déjà plus. Mais si les descendants de David appellent eux-mêmes l'étranger, Jahvé fera venir sur toi, Achaz, et sur ton peuple et sur la maison de ton père, par le roi d'Assour, des jours tels qu'il n'y en a pas en de semblables depuis qu'Éphraïm se sépara de Juda. Et il arrivera qu'en ce jour-là Jahvé sifflera aux moustiques qui sont aux rives des canaux d'Égypte, et aux abeilles qui sont en Assour, et elles viendront, elles se poseront dans toutes les vallées désertes et dans les trous des rochers, et sur tous les buissons et par tous les halliers[9] ». Sa voix ne fut entendue d'abord que de quelques témoins fidèles, d'Urie, le prêtre, et de Zacharie, fils de Jérébékhiah[10] : Achaz dédaigna de l'écouter. Ezéchias fut plus docile que son père : quand le moment vint de décider si Juda se joindrait à la ligue sous les auspices de Pharaon, il se rangea à l'avis du prophète et il resta neutre dans la querelle. L'événement montra combien il avait eu raison d'agir de la sorte. Iahoubid fut battu à Karkar, assiégé, pris et écorché vif[11] ; lui tombé, la Cœlé-Syrie se soumit, et la résistance se concentra au Sud. Elle n'y fut pas plus heureuse. Sargon choqua les troupes ce Hannon, roi de Gaza, à Rapihoui (Raphia), dans l'endroit même où, cinq siècles plus lard, Ptolémée Philopator assaillit Antiochus le Grand : les Philistins furent vaincus, Hannon fait prisonnier, et la défaite de Raphia dissipa les rêves de liberté dont la Syrie s'était bercée un instant  la répression fut Si terrible que sept années s'écoulèrent avant qu'elle songeât à reprendre les armes (720)[12].

La paix, à peine confirmée à l'Ouest, fut rompue au Nord par l'Ourartou. Shardouris, assagi par sa défaite, s'était tenu tranquille jusqu'à sa mort (750), mais son successeur, Rousas, que les inscriptions ninivites appellent Oursa, reprit les projets ambitieux de Menouas et d'Argishtis ; dix années durant, de 730 à 720, il travailla à rétablir l'hégémonie qu'ils avaient exercée sur les tribus du Nord et de l'Est et à susciter une coalition contre l'Assyrie. Vers l'Ouest, il trouva un auxiliaire fidèle et résolu dans Mitâ, le chef des Moushki ; à l'Est, le prince de Mannaï, Iranzou, fit la sourde oreille à ses propositions. Rousas, impuissant à le détourner de ses devoirs, noua des intrigues secrètes avec plusieurs des roitelets qui dépendaient de lui : Mitatti, de Zikartou, se souleva à l'instigation de l'Ourartou. Sargon se hâta au secours de son vassal : il enleva d'assaut les deux villes de Souandakhoul et de Dourdoukka, qui avaient ouvert leurs portes à Mitatti, il les livra aux flammes et il en exila les habitants en Syrie (719). Mais tandis qu'elles l'occupaient, des révoltes graves, fomentées encore par Rousas, éclatèrent à l'autre extrémité de l'empire et l'empêchèrent de poursuivre ses avantages ; il lui fallut user deux années à vaincre le seigneur de Shinoukhta (718) et à détrôner Pisiris de Gargamish (717). Lorsqu'il revint au Mannaï, Iranzou était mort, son fils Aza avait été poignardé dans une émeute et remplacé par Oullousoun, qui avait remis vingt-deux de ses forteresses à Rousas, en gage de fidélité. Il battit Oullousoun et Mitatti, et il ravagea leurs territoires, depuis le lac d'Ouroumiyèh jusqu'au lac de Van ; il écorcha vif Bagadatti, roi du mont Mildish, à l'endroit même où Aza avait été assassiné. Oullousoun, craignant un sort pareil, « s'enfuit comme un oiseau », puis vint se prosterner aux genoux du vainqueur : Sargon le reçut en grâce et lui restitua ses domaines. Rousas allait être atteint quand une insurrection le sauva : la province de Kharkhar contraignit son gouverneur à appeler Dalta, roi d'Ellibi. Sargon la châtia rudement (716) ; ramené un moment vers le nord par une révolte d'Oullousoun, il n'eut qu'à paraître pour faire rentrer tout dans le devoir, puis il redescendit au sud afin d'achever la conquête de l'Ellibi (715). Libre de ce côté, il frappa enfin le coup décisif : il envahit brusquement l'Ourartou, défit l'armée royale, saccagea méthodiquement les campagnes (714). Rousas s'échappa presque seul dans les montagnes, et il y erra prés de cinq mois sans trouver un asile. Partout où il allait, Sargon le suivait et faisait le désert autour de lui : il ne lui resta plus bientôt qu'un seul allié, Ourzana de Moussassir, encore celui-ci ne tarda-t-il pas à être vaincu et dépossédé[13]. A la nouvelle de ce malheur, il désespéra de sa cause et il se tua.

Sa mort n'entraîna pas la soumission des siens; son frère Argishtis Il lui succéda et affronta les Assyriens non sans bonheur. Toutefois, la puissance de l'Ourartou pour l'offensive était brisée, et désormais ce pays n'obtint qu'une place secondaire dans les préoccupations de l'Assyrie : il retomba dans la médiocrité d'où trois générations de grands rois l'avaient tiré, et le résultat de son affaiblissement fut de donner à Sargon ses coudées franches pour abattre l'un après l'autre tous les souverains que Rousas avait impliqués dans sa coalition. En 715, il parcourut la Médie et il y mit des garnisons à ombreuses (713), puis il passa aux régions du nord-ouest, Cilicie et pays de Koumanou (Comana), et il leur imposa un roi de sa façon (712) ; son autorité sur l'Asie Mineure s'étendit jusqu'à l'Halys et au Saros. Cependant, les peuples de Syrie commençaient à oublier la leçon qu'ils avaient reçue au début du règne : Sargon avait levé, vers 715, le blocus de Tyr, en se contentant d'une soumission nominale, et cet insuccès avait été mal balancé par l'hommage du Mouzri et d'une reine des Arabes (715). D'ailleurs une révolution venait de s'accomplir en Égypte, qui pouvait avoir des conséquences graves pour la paix de la Syrie. La vingt-quatrième dynastie n'avait pas triomphé des divisions qui nuisaient à la prospérité de la vallée : les princes féodaux, d'abord inclinés devant Bocchoris, avaient redressé la tête promptement, et le peuple, perdant sa foi dans la fortune des Saïtes, ne s'inquiétait plus que des prodiges menaçants qui semblaient leur présager une fin prochaine[14]. Kashto était mort vers 715, laissant pour héritiers un fils, Shabakou (Sabacon), qui eut l'Éthiopie, et une fille, Amenertais, qui fut installée à Thèbes comme souveraine. Sabacon était, ainsi que l'événement le prouva bientôt, un prince ambitieux et tenace, aux yeux de qui les Pharaons indigènes étaient des usurpateurs qu'il importait de châtier. Sitôt couronné à Napata, il partit pour l'Égypte comme Piônkhi naguère, et une partie des nomes se rallia à lui aussitôt par jalousie contre la maison de Tafnakhti : Bocchoris, pris dans Saïs après sept ans de règne, subit le supplice des rebelles aux mains de son vainqueur et périt par le feu[15]. On dut croire cette fois que c'en était fait des Saïtes : les héritiers de Bocchoris se réfugièrent dans les marais de la côte, et l'histoire de leur vie précaire donna naissance à la légende de l'aveugle Anysis, caché dans un îlot du Menzaleh et y attendant cinquante ans l'expulsion des Ethiopiens[16].

Sabacon ne voulut pas se contenter, comme Piônkhi l'avait fait, d'une sorte de protectorat sur l'Égypte : il fut couronné roi selon les formes, et il imposa si bien sa suprématie qu'on le considéra comme le chef d'une dynastie légitime que les annalistes inscrivirent officiellement dans la série chronologique comme la vingt-cinquième de leurs dynasties humaines. Il venait à peine de s'affermir sur le trône, que les mécontents syriens s'adressèrent à lui : commandait-il pas à la vallée entière, des régions fabuleuses de l'Éthiopie aux bords de la Méditerranée, et ne pouvait-il pas opposer aux régiments assyriens les hordes sans nombre des nègres africains. Ses agents éveillèrent partout les mêmes sympathies et les mêmes méfiances que ceux de Bocchoris avaient rencontrées sept ans auparavant. Édom, les Philistins, la Phénicie, Moab manifestèrent les meilleures dispositions à leur égard : Juda et son roi les auraient suivis volontiers, si le prophète Isaïe ne les en eût détournés par ses prédictions. Une révolution de palais, survenue dans Ashdod, précipita les événements. Azouri, qui régnait sur cette ville, avait refusé le tribut aux Assyriens. Le gouverneur de Syrie le remplaça par son frère Akhmiti, mais les habitants ne voulurent pas accepter cette substitution : ils chassèrent leur nouveau maître et ils donnèrent la couronne à un aventurier, peut-être à un Ionien de Chypre. Celui-ci, inquiet pour son pouvoir et pour sa vie, précipita les pourparlers avec ses voisins, avec Juda, avec Édom, avec l'Égypte, mais la décision et l'énergie de Sargon empêchèrent les négociations d'aboutir. Avant même que les confédérés eussent eu le temps de rassembler leurs troupes, le général en chef des Assyriens, le Tartan, était en Palestine. Juda, Édom et les Philistins ne firent même pas mine de résister ; l'Ionien s'enfuit au pays de Miloukhkha[17], dont le roi le livra enchaîné aux Assyriens (711). L'année était sans doute trop avancée pour qu'on poussât plus loin ces succès et qu'on attaquât Pharaon. Les contemporains eurent pourtant l'impression qu'un choc entre les deux empires était imminent, et Isaïe s'aventura même à en préciser la date. Il se promena nu et déchaux dans les rues de Jérusalem, et il expliqua sa conduite en répétant ces mots que Jahvé lui avait dictés : « De même que mon serviteur Isaïe a marché nu et déchaux trois années durant comme un signe et un prodige contre l'Égypte et contre Koush, de même le roi d'Assyrie emmènera les prisonniers de l'Égypte et les déportés de Koush, les jeunes et les vieux, nus et déchaux, les reins découverts, à la honte de l'Égypte. Et ils seront contristés et humiliés à cause de Koush, leur espoir, et de l'Égypte, leur gloire. Et les habitants de la côte diront : “Voilà donc ce qu'était notre espoir, le peuple en qui nous nous sommes confiés pour nous aider, afin d'être délivrés du roi d'Assyrie ; nous donc, comment échapperons-nous à notre sort ?”[18] »

La prophétie ne s'accomplit pas aussi vite qu'Isaïe le supposait. L'Égypte paraissait trop redoutable pour être affrontée avec une partie seulement des bataillons assyriens ; et comment disposer de l'armée entière, tant que la Chaldée était là, prête à intervenir quand son ennemi serait engagé au loin dans le continent africain ? Les circonstances étaient favorables à un assaut contre Babylone. Mérodachbaladan, d'abord acclamé par ses sujets, avait bientôt mérité leur haine pour la préférence qu'il témoignait à ses Chaldéens : il dut châtier sévèrement Coutha, Sippar, Borsippa, et sa domination ne se perpétua désormais que par la terreur. C'était là pour lui une cause de faiblesse, et de plus l'Élam, son alliée, ne pouvait plus lui prêter un appui aussi énergique que précédemment : Shoutrouknakhounta[19], qui avait succédé à Khoumbanigash en 717, avait fort à faire de contraindre ses vassaux à le respecter. Sargon décida de reprendre l'offensive, et il manoeuvra de manière à séparer Mérodachbaladan de Shoutrouknakhounta. Il partagea son armée en deux corps. Le premier, opposé aux Susiens, entra dans le canton de Râshi[20] et força les Elamites à se replier dans la montagne pour couvrir Suse et Madaktou. Le second, aux ordres du roi lui-même, descendit vers la mer en côtoyant le Tigre, soumit au passage le pays d'Yatbour, défit un des généraux de Mérodachbaladan sous les  murs de Dour-Atkharas, prit cette ville, y logea une garnison et s'empara de tout le Gamboulou. Le but principal de la campagne était atteint ; Mérodachbaladan, coupé de ses alliés, n'essaya même pas de défendre Babylone. Il déroba une marche aux Assyriens, franchit le Tigre et tenta de briser la ligne de postes qui l'enveloppait à l'est. Repoussé, il n'eut plus d'autre ressource que de se rencoigner vers le sud, au bord de la mer, dans son ancienne principauté de Bît-Iâkîn, où il se fortifia de son mieux. Babylone ouvrit ses portes, mais « Mérodachbaladan avait mis à contribution les villes d'Ourou, de Larsam et de Kisik, la demeure du dieu Lagouda ; il avait concentré ses forces à Dour-Iakîn et il avait armé sa citadelle ». La bataille décisive se livra sous les murs de Dour-Iakîn, en vue de la mer. « J'étendis mes combattants en même temps sur toute la ligne de ses canaux, et ils mirent l'ennemi en fuite. Les eaux du fleuve roulèrent les cadavres de ses soldats comme des troncs d'arbres… J'anéantis les gardes du corps et les gens de Marsan, et j'emplis de la terreur de la mort le reste des bataillons ennemis. Mérodachbaladan abandonna dans son camp les insignes de la royauté, le palanquin d'or, le trône d'or, le sceptre d'or, le char d'argent, les ornements d'or, et il s'échappa par une fuite clandestine. Dour-Iakîn tomba bientôt après aux mains du vainqueur et fut détruite. Mérodachbaladan, reconnaissant sa propre faiblesse, fut terrifié, la crainte immense de ma royauté s'empara de lui ; il quitta son sceptre et son trône en présence de mon envoyé, il baisa la terre. Il abandonna ses châteaux, il s'enfuit, et l'on ne revit plus ses traces. » Sargon établit le fils du vieux roi comme prince de Bît-Iâkîn (709), puis il revint à Babylone et il s'y fit investir roi, de la même manière que Tiglatphalasar et Salmanasar avant lui[21]. Un succès inattendu couronna la fin de cette année. Chypre était alors partagée à peu près également entre les Phéniciens et les Grecs. Ces derniers possédaient le nord et le centre de l'île, l'Ias ou terre ionienne : sept de leurs rois payèrent le tribut de plein gré.

Deux échecs assombrirent les derniers jours de cette vie glorieuse. Pendant que les armées assyriennes étaient occupées en Chaldée, l'Ourartou était sorti de ses ruines. Moitié force, moitié adresse, Argishtis II avait reconquis presque toutes les provinces que son frère avait possédées ; les Assyriens eux-mêmes avaient été l'objet de ses attaques et n'avaient pu garder le Mannaï. En 708, menacé par le retour de Sargon, il détourna l'orage sur le Koummoukh ; il en coûta la couronne et la vie au roi de ce pays, mais Argishtis ne fut pas inquiété et resta en possession du Mannaï, dont il fit une de ses résidences favorites. Une guerre contre l'Élam ne tourna pas mieux. Shoutrouknakhounta, battu dans l'Ellibi en 707, eut sa revanche l'année suivante ; non seulement il recouvra les districts qui lui avaient été ravis en 710, mais il ravit aux Assyriens plusieurs de leurs villes frontières (706). Sargon ne survécut pas longtemps à sa défaite : en 705, il fut assassiné dans le palais de Dour-Sharoukîn[22] qu'il achevait de construire, et remplacé par son fils, Sinakhêirbâ, le Sennachérib de la Bible[23]. Son règne marque l'apogée de la grandeur assyrienne. A l'exemple de Tiglatphalasar, il s'efforça de substituer aux rois vassaux des gouverneurs assyriens mouvant directement de Ninive ; la Syrie du Nord, Israël, la Cœlé-Syrie perdirent leurs dynasties nationales et s'abaissèrent à la condition de simples provinces. Autour de ce noyau central, il laissa subsister une ceinture de principautés tributaires destinées à tenir à distance les invasions des peuples étrangers et à servir comme de cuirasse à l'empire. Ses descendants continuèrent et jusqu'à un certain point agrandirent son oeuvre : ils ne réussirent pas à la consolider et à la rendre durable.

Sennachérib (705-681) et Ezéchias ; guerres contre l'Élam ; Asarhaddon (681-667).

La nouvelle du meurtre se répandit rapidement par tout l'empire et elle y réveilla les instincts de révolte que Sargon avait mal étouffés. La Chaldée donna le signal. Un des frères du nouveau roi, qu'il avait donné aux Babyloniens pour les gouverner, fut assassiné au bout de quelques mois, et un certain Mardoukzakirshoumou, d'ailleurs parfaitement inconnu, lui succéda  (704). Moins d'un mois plus lard, Mardoukzakirshoumou fut tué par ordre de Mérodachbaladan, qui reparaissait en scène. Dès son  retour, il chercha des alliés qui pussent faire diversion en sa faveur et dont l'action simultanée obligeât les Assyriens à diviser leurs forces. Il s'adressa naturellement à l'Élam, puis aux États de la Syrie. Ceux-ci étaient, comme toujours, prêts à agir. Louliya (Elulæos), de Sidon, refusa le tribut, et son exemple entraîna le prince d'Ascalon. Les habitants d'Ékron, mécontents de Padi, le chef que Sargon leur avait imposé, le saisirent et l'envoyèrent enchaîné à Ezéchias de Juda. Celui-ci hésita un instant à accepter leur cadeau, mais l'arrivée des messagers de Mérodachbaladan et l'appui qu'ils lui offraient le décidèrent enfin. Il jeta Padi en prison, il mit dans la ville une garnison juive ; puis, ce pas franchi, il se retourna vers la puissance qui, depuis un demi-siècle, apparaissait à tous les Syriens comme leur protectrice naturelle contre la rapacité Ninivite, à l'Égypte. Celle-ci avait accru considérablement ses ressources depuis quelques années, et elle semblait être plus que jamais en état de balancer la fortune de sa rivale. Si Sabacon s'était montré brutal à ses débuts, il avait eu l'habileté de faire oublier l'odieux de son origine étrangère par la sagesse de son administration. Il respecta l'autonomie des princes ses vassaux, mais il les surveilla de près et il les contraignit à remplir leurs devoirs d'allégeance avec la même exactitude que s'ils eussent été de simples officiers royaux. La paix rétablie entre eux, il reprit les travaux de construction que les guerres civiles avaient suspendus depuis plus d'un siècle  il répara les chaussées, il nettoya les canaux, il exhaussa le sol des villes principales pour les mettre à l'abri des inondations. Bubastis surtout gagna à ce régime[24], mais Memphis ne fut pas négligée. Plusieurs de ses temples, qui étaient en ruines, furent relevés, et les inscriptions effacées par le temps furent gravées à nouveau[25]. Thèbes profita largement de la présence d'Amenertais, la soeur de Sabacon : la décoration de la porte principale du temple de Louxor y fut refaite en entier, et plusieurs des édifices de Karnak furent restaurés dans la limite du possible. On dit, plus tard, qu'afin de se procurer les bras nécessaires Sabacon remplaça la peine de mort par celle des travaux publics, et que cette mesure de politique bien entendue lui valut son renom de clémence[26]. Le pays entier, ainsi administré, refleurit sous l'influence de cette vitalité merveilleuse dont il avait fourni tant de preuves. Depuis l'échauffourée d'Ashdod, en 714, Sabacon avait vécu en paix avec l'Assyrie ; toutefois, la fin tragique de Sargon dut lui inspirer l'espoir d'intervenir heureusement en Asie, et peut-être avait-il noué déjà quelques relations avec les princes syriens lorsque lui-même mourut en 703[27]. Son fils Shabitkou se trouva appelé, dès son avènement, à prendre part dans les affaires d'Assyrie. Il accueillit les ouvertures d'Ezéchias, et la promesse de son appui réconforta un peu le roi juif des mauvaises nouvelles qui lui arrivaient des bords de l'Euphrate.

La Chaldée venait, en effet, de succomber avant même qu'aucun de ses alliés eût pu lever le bras pour sa défense. Sennachérib, se sentant menacé de toutes parts, avait couru sus aux Babyloniens, contre le point où le danger était le plus pressant. Il les battit près de Kishou[28], et Mérodachbaladan, échappé presque seul au carnage, se réfugia auprès du roi d'Élam. Après huit mois de domination araméenne, Babylone retomba aux mains de ses maîtres assyriens ; soixante-dix-neuf villes fortes et plus de quatre cents villages furent la proie du vainqueur. Pourtant Sennachérib ne se soucia pas d'assumer la royauté lui-même : il la conféra à un Assyrien, « Belibni, le fils d'un devin, qui avait été nourri dans son palais, comme un petit chien ». Pendant le retour, il saccagea à loisir le territoire des Araméens du moyen Euphrate, il empala leurs chefs, il razzia leur bétail et il rentra à Ninive avec un butin considérable. Une marche rapide dans les montagnes du Kourdistan ramena au sentiment du devoir les peuples de l'Ellibi : une partie de leurs terres fut colonisée militairement avec les prisonniers araméens, élamites et chaldéens de l'année précédente, et réduite en province assyrienne. La tranquillité était assurée au nord, à l'est et au sud, par cette suite de succès ininterrompus ; mais la Syrie demeurait inquiétante, et l'intervention annoncée de l'Égypte menaçait de rendre l'insurrection universelle. Là encore la célérité de l'attaque déjoua les projets de l'ennemi. Louliya fut le premier atteint, et se retira dans une des colonies insulaires. Sidon la Grande, Sidon la Petite, Bît-Zitti, Sarepta, Mahallib, Oushou, Akzib, Akko, toutes ses villes ouvrirent l'une après l'autre leurs portes aux vainqueurs ; son royaume dévolut à Ithobaal II, et Sennachérib, comme ses prédécesseurs, grava sa stèle de victoire sur les rochers du Nahr-el-Kelb, à côté des stèles de Ramsès II. Les cheikhs d'Arad, de Byblos, d'Ashdod, d'Ammon, de Moab, d'Édom, s'empressèrent de faire acte d'obéissance et d'apporter leurs présents au camp assyrien, près d'Oushou. Le roi d'Ascalon, Zidkia, s'obstinant dans la révolte, Joppé, Bné-Barak, Azor, les villages qui dépendaient de lui, se rendirent à discrétion ; lui-même fut saisi, déporté en Assyrie avec toute sa famille, et Sharloudari, fils de Roukibti, intronisé en sa place. La résistance sérieuse ne commença que sous les murs d'Ékron : au premier bruit de l'arrivée des Assyriens, Shabitkou avait donné ordre aux princes du Delta de convoquer leurs milices et de passer l'isthme. La rencontre eut lieu prés d'Altakou[29], mais la fortune d'Assour prévalut sur celle de l’Égypte : les Égyptiens perdirent dans la déroute la majeure partie de leurs chars et les enfants d'un de leurs rois. Le fruit immédiat de la victoire fut la prise d'Altakou, puis celle de Timnath, forteresse voisine : Ékron succomba la dernière. « Je dégradai les officiers et les dignitaires qui s'étaient révoltés, et je les tuai ; j'empalai leurs cadavres sur les enceintes de la ville ; je vendis comme esclaves les hommes qui avaient commis des violences et des vilenies. Quant aux personnes qui n'avaient pas perpétré de crimes ou de péchés et qui ne méprisaient pas leurs maîtres, je prononçai leur absolution.[30] »

Seul de tous les rebelles, Ezéchias était encore debout. On se demande pourquoi il n'avait pas joint son contingent aux bandes égyptiennes, afin d'écraser les Assyriens dans une affaire décisive ; peut-être comptait-il calmer les rancunes du monarque assyrien en s'abstenant de faire acte d'hostilité patente. Il se trompait. Après la prise d'Ékron, Sennachérib envahit Juda. « Aidé, dit-il, par le feu, le massacre, les combats et les tours de siège, j'emportai les villes, je les occupai : j'en fis sortir 200.150 personnes, grandes et petites, mâles et femelles, des chevaux, des ânes, des mulets, des chameaux, des boeufs, des moutons sans nombre, et je les saisis comme butin. » Le souvenir resta si amer au coeur des Juifs, que, six siècles après, leur historien Démétrius considérait cette expédition comme leur ayant été aussi funeste que la ruine de Samarie ou que la captivité finale de Babylone[31]. Ezéchias cependant essayait de mettre sa résidence en état de défense[32]. Depuis quelque temps seulement on avait observé que les brèches de la cité de David étaient grandes, et l'on avait jeté bas des maisons afin de rapiécer la muraille. On boucha à la hâte les fontaines qui sont hors de la ville et le torrent qui coulait dans la vallée. On établit un réservoir entre les deux remparts pour emmagasiner les eaux du vieil étang. « Et le roi ordonna des capitaines de guerre sur le peuple et les assembla auprès de lui dans la place de la porte de la ville et leur parla selon leur coeur en disant : “Fortifiez-vous, ne craignez point et ne soyez pas effrayés à cause du roi des Assyriens et de toute la multitude qui est avec lui ; mais Jahvé, notre Dieu, est avec vous pour vous aider et pour conduire vos batailles”.[33] » Cependant, Sennachérib n'avait pas daigné présider lui-même au siège : il bloqua Lakish et il envoya devant la capitale deux de ses officiers, le tartan et le rabchakèh. Jérusalem passa de longs jours isolée du reste du monde. A la fin, Ezéchias, se rangeant aux conseils d'Isaïe, se décida à traiter et il députa à cet effet Éliakîm son préfet du palais, Shebna le scribe, et le chancelier Joah. Le tartan reçut ces délégués avec des paroles hautaines, au nom de son maître : « Où est maintenant ta confiance présomptueuse ? Tu parles, mais ce ne sont que des paroles vaines, de projets et de moyens de guerre, et en qui t'es-tu confié pour te rebeller contre moi ? Tu t'es confié en l'Égypte, en ce roseau cassé qui perce et blesse la main de qui s'y appuie ; car tel est Pharaon, roi d'Égypte, à tous ceux qui se confient à lui. Que si vous me dites : “Nous nous confions à Jahvé, notre Dieu !” n'est-ce pas lui dont Ezéchias a détruit les hauts lieux et les autels, disant à Juda et à Jérusalem : “Vous vous prosternerez devant cet autel qui est à Jérusalem !” » Comme il criait dans sa colère, si bien que la foule entassée sur le mur l'entendait, les légats d'Ezéchias le supplièrent d'employer la langue araméenne, mais non point la langue judaïque, afin que le peuple ne le comprît point. Au lieu de se rendre à leurs prières, le rabchakèh s'exclama à haute voix en langue judaïque, et parla, et dit : « Ecoutez la parole du grand roi, le roi des Assyriens. Ainsi a dit le roi : “Qu'Ezéchias ne vous abuse point, car il ne pourra point vous sauver de ma main. Et ne vous laissez pas entraîner par Ezéchias à vous confier en Jahvé, disant : Jahvé indubitablement nous délivrera, et cette ville ne sera point livrée entre les mains du roi des Assyriens. N'écoutez point Ezéchias, car ainsi a dit le roi des Assyriens : Composez avec moi, et sortez vers moi ; et vous mangerez chacun de sa vigne, et chacun de son figuier, et vous boirez chacun de l'eau de sa citerne, jusqu'à ce que je vienne, et que je vous emmène en un pays qui est, comme votre pays, un pays de froment et de bon vin, un pays de pain et de vignes, un pays d'oliviers à huile, et un pays de miel, afin que vous y viviez et que vous n'y mouriez point. Mais n'écoutez point Ezéchias, quand il vous voudra persuader, en disant : Jahvé nous sauvera. Les dieux des nations ont-ils sauvé chacun leur pays de la main du roi des Assyriens ? Où sont les dieux de Hamath et d'Arpad ? Où sont les dieux de Sépharvaïm, de Hénah et d'Ivah ? Même ont-ils délivré Samarie de ma main ? Qui sont ceux d'entre tous les dieux de ces pays-là qui aient sauvé leur pays de ma main, pour dire que Jahvé sauvera Jérusalem de ma main ?” Et le peuple se tut, et on ne lui répondit pas un mot, car le roi avait commandé, disant : “Vous ne lui répondrez point ». Après cela, Éliakîm, fils de Hilkiah, maître d'hôtel, et Shebnah le secrétaire, et Joah, fils d'Asaph, commis sur les registres, s'en revinrent, les vêtements déchirés, vers Ezéchias, et ils lui rapportèrent les paroles de l'échanson”.[34] »

Les conditions furent moins dures que ces discours brutaux ne donnaient lieu de l'espérer. Ezéchias livra ses femmes et ses filles en otages, il s'engagea à payer un tribut et il versa immédiatement une rançon de 30 talents d'or et de 800 talents d'argent : le trésor royal n’y suffisant pas, il dut arracher les feuilles d'or dont il avait revêtu les portes et les linteaux du temple quelque temps auparavant[35]. Il relâcha Padi, qui se réinstalla dans Ékron, et qui reçut quelques villes de Juda comme une indemnité après sa longue captivité. Mitintî d'Ashdod et Zillibel de Gaza eurent chacun une ou deux parcelles du territoire hébreu en récompense de leur fidélité. Il ne restait plus à Sennachérib qu'à continuer vers le Sud et à franchir le désert de l'isthme pour punir l'Éthiopien de son attaque injustifiée : il tenta l'entreprise, mais son armée fut à moitié détruite en route par quelque épidémie. La tradition juive disait qu'en partant il avait menacé Jérusalem de sa vengeance une fois encore : « Que ton Dieu en qui tu te confies ne t'abuse point en te disant Jérusalem ne sera point livrée entre les mains du roi des Assyriens. Voilà, tu as entendu ce que les rois des Assyriens ont fait à tous les pays, de manière à les ruiner entièrement ; et tu échapperais ? Les dieux des nations que mes ancêtres ont détruites, ceux de Gozan, de Kharran, de Rezeph, et des enfants d'Eden, qui sont en Télassar, les ont-ils délivrées ? Où est le roi de Hamath, le roi d'Arpad, et le roi de la ville de Sépharvaïm, de Hénah et d'Ivah ?[36] » Ezéchias, après avoir entendu ce message, se serait prosterné en larmes et en prières, et Dieu lui aurait parlé par la bouche d'Isaïe : « Je t'ai exaucé dans ce que tu m'as demandé touchant Sennachérib. Il n'entrera point dans cette ville, il n'y jettera même aucune flèche, il ne se présentera point contre elle avec le bouclier, et il ne se dressera point de terrasse contre elle. Il s'en retournera par le chemin par lequel il est venu, et il n'entrera point dans cette ville, dit Jahvé. Car je garantirai cette ville, afin de la sauver, pour l'amour de moi, et pour l'amour de David, mon serviteur ». Il arriva donc cette nuit-là qu'un ange de Jahvé sortit, et tua cent quatre-vingt-cinq mille hommes en l'armée des Assyriens ; et quand on fut levé d'un bon matin, voilà, c'étaient des corps morts. Et Sennachérib, roi des Assyriens, leva son camp, s'en alla, et s'en retourna, et demeura à Ninive.[37] » Les Egyptiens de leur côté firent honneur de la catastrophe à leurs dieux. Quand Sennachérib pénétra en Égypte, « la caste guerrière refusa de se battre pour le roi Séthon, prêtre de Phtah, qui l'avait dépouillée d'une partie de ses privilèges. Le prêtre, enveloppé dans ces difficultés, monta au temple et, devant la statue, se lamenta au sujet des dangers qu'il allait courir. Pendant qu'il gémissait, le sommeil vint à lui et il lui sembla, en une vision, qu'un dieu, se tenant à ses côtés, le rassurait et lui promettait qu'il n'éprouverait aucun échec en résistant à l'armée des Arabes : car lui-même devait envoyer des auxiliaires. Plein de confiance en ce songe, il réunit ceux des Égyptiens qui voulurent le suivre pour les conduire en armes à Péluse, porte de l'Égypte de ce côté. Nul des guerriers ne l'accompagna, mais de petits marchands, des foulons, des vivandiers. Ils arrivèrent à leur poste, et, durant la nuit, une nuée de rats des champs se répandit sur leurs adversaires, dévorant leurs carquois, les cordes de leurs arcs, les poignées de leurs boucliers, de telle sorte que, le lendemain, les envahisseurs, se voyant dépouillés de leurs armes, s'enfuirent, et qu'un grand nombre fut tué. On voit maintenant dans le temple de Phtah la statue en pierre de ce roi, ayant sur la main un rat, et cette inscription : « Que celui qui me regarde soit pieux.[38] »

Sennachérib ne revit jamais la Palestine. Non que la perte d'une seule armée fût une épreuve assez rude pour amener, comme le prétend Josèphe, la destruction de son empire : il se guérit promptement de sa blessure, et il reparut sur les champs de bataille plus formidable que jamais, mais des guerres sanglantes vers l'orient et le nord ne lui permirent plus d'envoyer des forces suffisantes pour triompher de l'Égypte. Tandis qu'il était occupé aux confins de la Syrie, la Chaldée, fatiguée du gouvernement de Belibni, avait rappelé Mérodachbaladan une fois de plus. Celui-ci, qui s'attendait à une attaque immédiate, avait tâché tout d'abord de se ménager des auxiliaires : la complicité d'un certain Mardoukoushézib lui valut l'appui des Araméens et il se tourna du côté des Élamites. Mais Sennachérib ne laissa pas à ses rivaux le temps de se concerter : il fondit à l'improviste sur Mardoukoushézib et sur Mérodachbaladan Les deux complices, culbutés et poursuivis jusque dans les marais de la Basse Chaldée, se réfugièrent en Élam, où le premier mourut peu après. Sennachérib, de retour à Babylone, y établit comme roi Assournâdinshoumou, son fils aîné. Toutefois la paix n'était rien moins que sûre tant que les vaincus se trouvaient encore libres sur la frontière ; il résolut donc de franchir la mer à son tour et de frapper les Araméens de telle sorte qu'ils fussent désormais sans ressort contre lui : des troubles éclatés au nord-ouest l'empêchèrent d'accomplir son projet sur-le-champ. Il alla relancer les tribus du mont Nippour jusque dans leurs repaires[39]. « Elles avaient perché leurs demeures comme des nids d'oiseaux, en citadelles imprenables, au-dessus des monticules du pays de Nippour, sur de hautes montagnes, et ne s'étaient pas soumises. Je laissai les bagages dans les plaines du pays de Nippour, avec les frondeurs et les porteurs de lances, et les guerriers de mes batailles incomparables ; je me posai devant elles comme un portique de colonnes. Les débris des torrents, les fragments des hautes et inaccessibles montagnes, j'en façonnai un trône ; j'aplanis une des cimes pour y poser ce trône, et je bus l'eau de ces montagnes, l'eau auguste, pure, afin d'étancher ma soif. Quant aux hommes, je les surpris dans les replis des collines boisées ; je les vainquis, j'attaquai leurs villes, et, les dépouillant de leurs habitants, je les détruisis, je les démolis, je les réduisis en cendres. » Au delà du Nippour, il fut entraîné à entreprendre une expédition contre les Dahæ, et contre les peuples pillards de la Cilicie-Trachée et de la Mélitène. « Perché sur les hauteurs des crêtes inaccessibles, le roi Maniya, fils de Bouti, attendait l'approche de mon armée ; il avait abandonné la ville d'Oukkou, la ville de sa royauté, et s'était enfui vers le loin. J'assiégeai et je pris la ville d'Oukkou, j'emmenai les habitants, j'emportai de la ville ses biens, ses dépouilles, le trésor de son palais, je le gardai comme bonne prise. J'occupai trente-trois villes de son territoire ; les hommes, les bêtes de somme, les boeufs et les moutons, je les enlevai des villes que je détruisis, démolis et réduisis en cendres. »

La défaite de Mérodachbaladan avait eu son contrecoup en Élam : les nobles, inquiets de la mollesse que Shoutrouknakhounta avait déployée en cette circonstance, l'avaient emprisonné et remplacé par son frère Khalloudoush. Sennachérib, certain maintenant d'une intervention Élamite, résolut d'en finir avec les deux princes chaldéens avant que Khalloudoush fût en état de les joindre. Ils se croyaient bien en sûreté à Nagîtou, derrière la mer, dans leurs marais ; il employa une année entière à préparer une flotte qui pût jeter son armée à l'improviste sur un point de la côte susienne. Comme les marins de la Chaldée n'y suffisaient pas, il se procura des matelots phéniciens et grecs[40]. « Leurs guerres fréquentes sur la côte syrienne avaient familiarisé les Assyriens avec l'idée, sinon avec la pratique de la navigation ; comme la suzeraineté qu'ils exerçaient sur la Phénicie mettait à leur disposition une quantité considérable d'ouvriers habiles et nombre des meilleurs marins qu'il y eût au monde, ils furent tout naturellement amenés à employer des forces de mer aussi bien que des forces de terre à l'agrandissement de leur domination. Nous avons vu que, dès le temps de Salmanasar, ils s'étaient hasardés sur des vaisseaux et, d'accord avec les Phéniciens du continent, avaient livré bataille aux galères de la Tyr insulaire. Il est probable que le précédent ainsi établi fut suivi par les rois postérieurs, et que Sargon et Sennachérib eurent, sinon d'une manière permanente, du moins par occasion, l'appui d'une flotte opérant sur la Méditerranée. Mais il y avait une énorme différence à se servir des marines vassales dans les parages où elles étaient accoutumées, et à transférer aux extrémités opposées de l'empire les forces jusqu'alors confinées dans la Méditerranée. Le premier, Sennachérib, conçut l'idée d'avoir une escadre sur les deux mers qui baignaient son empire, et, comme c'était sur la côte occidentale seulement qu'il possédait une quantité suffisante d'ouvriers adroits et de matelots, il résolut de transférer de la côte occidentale à la côte orientale ce qu'il faudrait de Phéniciens pour lui permettre d'accomplir son projet. Les constructeurs de Tyr et de Sidon furent amenés à travers la Mésopotamie sur les bords du Tigre ; ils y construisirent pour le monarque assyrien des navires semblables aux leurs, qui descendirent la rivière jusqu'à son embouchure, et étonnèrent les populations riveraines du golfe Persique par la vue d'un spectacle jusqu'alors inconnu sur ces eaux. Bien que les Chaldéens eussent navigué depuis des siècles dans cette mer intérieure, cependant, ni comme matelots, ni comme constructeurs, leur habileté n'était comparable à celle des Phéniciens. Les mâts et les voiles, la double rangée de rames, les éperons pointus des nefs syriennes, furent probablement des nouveautés pour les habitants de ces contrées lorsqu'ils virent pour la première fois déboucher du Tigre une flotte, avec laquelle les leurs étaient incapables de lutter.[41] » Mérodachbaladan et les gens de Bît-Iâkîn avaient tout prévu pour une attaque par terre, et ils avaient massé leurs soldats le long de l'Euphrate. L'invasion maritime les prit entièrement au dépourvu. « J'emmenai captifs les hommes de Bît-Iâkîn, et leurs dieux, et les serviteurs du roi d'Élam. Je n'y laissai pas le moindre reste debout, et je les embarquai dans des vaisseaux et les menai sur les bords opposés ; je dirigeai leurs pas vers l'Assyrie, je détruisis les villes de ces districts, je les démolis, je les réduisis en cendres, je les changeai en déserts et en monceaux de ruines. » Il rentra à Ninive avec son butin, mais Khalloudoush, exaspéré de l'affront que lui infligeait cette violation de son territoire, envahit la Chaldée presque sur les talons des arrière-gardes assyriennes, et la révolte suivit son apparition. Assournâdinshoumou, saisi par ses sujets, fut dépêché à Suse, et son trône usurpé par un Nergaloushézîb, qui se mit aussitôt en campagne (694) : il remporta d'abord des succès, mais il fut fait prisonnier dès 695 près de Nippour. Remplacé par Moushézibmardouk, celui-ci se défendit si vaillamment, avec l'aide des Élamites, que Sennachérib dut renoncer à le forcer pour le moment et le laissa en paix (692). Le résultat dernier du coup de main de Nagîtou fut donc pour l'Assyrie la perte momentanée de Babylone. Les révolutions de l'Élam lui fournirent bientôt une occasion de prendre une revanche éclatante. La déroute de Nergaloushézîb avait provoqué un mécontentement général à Suse : Koutournakhounta en profita pour détrôner Khalloudoush, comme celui-ci avait détrôné Shoutrouknakhounta. Dès que Sennachérib le sut, il franchit la frontière aux environs de Dourîlou. « Trente-quatre grandes villes et les petites villes des environs, dont le nombre est sans égal, je les assiégeai et les pris ; j'enlevai les captifs, je les démolis et les réduisis en cendres ; je fis monter dans les vastes cieux la fumée de leurs incendies comme celle d’un seul sacrifice. » La nouvelle de ces désastres déconcerta Koutournakhounta étrangement ; il évacua Madaktou, où il se sentait en danger, et il rétrograda avec toutes ses milices vers la ville de Khaïdali, dans les districts peu connus qui bordaient la Médie, afin d'y préparer une résistance désespérée, à l'abri de ses montagnes. Au moment où Sennachérib l'allait relancer dans sa retraite, « des orages violents éclatèrent, il plut et il neigea sans relâche, les torrents et les ruisseaux de la montagne débordèrent » : il préféra renoncer à son entreprise.  Trois  mois après,  Koutournakhounta mourut, et, selon la coutume du pays, son jeune frère Oummanminanou lui succéda (692).

Oummanminanou fut, dés ses débuts, saisi, comme ses prédécesseurs, dans l'engrenage des affaires chaldéennes. Moushézibmardouk lui envoya les trésors des temples babyloniens afin de l'attirer de son côté au jour du danger. « Il ouvrit le trésor du grand temple pyramidal ; l'or et l'argent de Bel et de Zarpanit et des temples, il le pilla pour le donner à Oummanminanou, roi d'Élam, qui manquait de sagesse et de jugement, et lui manda : « Dispose tes troupes et assemble ton camp, marche vers Babylone et fortifie nos mains, car tu es un maître en l'art de la guerre ». Le Susien convoqua le ban et l'arrière-ban de ses feudataires. Les tribus de Parsouas, d'Anzan, d'Ellibi et du bas Euphrate opérèrent leur jonction avec lui, et se réunirent à Babylone aux levées araméennes de Moushézibmardouk. « Leurs bataillons se précipitèrent, comme des essaims de sauterelles sur la campagne. Quand ils se présentèrent pour me livrer bataille, au-dessus de la terre monta aux vastes cieux, sous leurs pas, comme une nuée d'orage prête à crever, la poussière de leur marche. » L'action s'engagea près de Khalouli, sur le Tigre, non loin du confluent de cette rivière avec le Tournât. « Je ceignis ma tête de la tiare et de la couronne pour le combat, je chevauchai joyeusement sur mon chariot redoutable, le destructeur des ennemis ; le coeur enflammé du désir de la vengeance, je saisis l’arc puissant qu’Assour m'avait donné et je serrai entre mes doigts la massue destructive de vie. Contre l'armée entière des infâmes rebelles, je chargeai hardiment et superbement, je me ruai comme Adad. »  Le général en chef des Élamites, Khoumbaoundash, tomba au premier choc, et sa chute sema le trouble dans les rangs des alliés ; Nabouzikinshkoun, fils de Mérodachbaladan, fut fait prisonnier ; Oummanminanou et Moushézibmardouk s'enfuirent sains et saufs, mais l'aristocratie chaldéenne périt presque entière dans la mêlée. Il semble que les Assyriens remportèrent vraiment la victoire, ainsi qu'ils s'en vantent, mais l'affaire avait été si chaude et les pertes furent si considérables des deux côtés que la campagne fut suspendue d'accord commun : chacun des rois regagna sa capitale et les choses demeurèrent à peu près en l'état où elles étaient avant la bataille (690). Sennachérib revint pourtant à la charge l'année suivante et la fortune le favorisa. Oummanminanou fut frappé d'apoplexie ; il demeura paralysé, et son incapacité à gouverner désorganisa les forces de la Susiane. Moushézibmardouk, réduit à ses seules ressources, n'osa pas affronter les Assyriens en rase campagne ; assiégé dans Babylone, il se rendit après une résistance très légère et Sennachérib eut enfin à sa merci la cité qui le bravait depuis si longtemps. Ses prédécesseurs, fascinés par le prestige que lui prêtaient son antiquité et la sainteté de ses religions, l'avaient toujours traitée doucement exaspéré par ses révoltes perpétuelles. Il en ordonna la destruction. « La ville et les temples, depuis leurs fondations jusqu'à leur toit, je les abattis, les minai, les brûlai par le feu ; le mur, le rempart, les chapelles des dieux, les pyramides en briques et en terre, je les abattis, et je comblai le grand canal de leurs débris. » Dans un des sanctuaires violés, il découvrit les statues du dieu Adad et de la déesse Shala, que le roi Mardoukiddinakhè avait ravies dans la ville de Hékali, après la défaite de Tiglatphalasar 1er, quatre cent dix-huit ans auparavant, et le sceau de Salmanasar 1er, consacré par Adadbaliddina victorieux aux dieux de sa patrie. Ces souvenirs des antiques défaites, devenus les trophées d'une revanche éclatante, furent rapportés à Ninive et réintégrés solennellement dans un des temples d'Assour[42]. Pendant huit années, Babylone resta sans roi et presque sans habitants, sous l'autorité d'un des fils du vainqueur, Asarhaddon[43]. Sa ruine termina triomphalement la carrière militaire de Sennachérib. Au moins ne connaît-on que deux expéditions, toutes deux assez insignifiantes, qu'on puisse attribuer à ses dernières années : l'une, dirigée contre les Arabes, se dénoua par la soumission de leur roi Khazael ; dans l'autre, qui eut la Cilicie pour théâtre, il eut affaire aux Grecs, qu'il battit sur terre et sur mer[44].

Au milieu de ces guerres incessantes, on se demande comment il eut le loisir de songer à l'administration de son empire et à la construction de temples ou de palais. Cependant, il est peut-être celui de tous les rois d'Assyrie qui nous a légué le plus de monuments. Grâce à sa prodigalité, grâce aussi aux nombreux prisonniers qu'il enleva de leur pays natal et qu'il emmena travailler à ses édifices, l'art assyrien prit sous son règne un essor extraordinaire, et dépassa tout ce qu'on avait imaginé jusqu'alors. « Le caractère le plus frappant de l'ornementation qu'il adopta est un réalisme très puissant et très accentué. Ce fut sous lui que la coutume se généralisa de compléter chaque tableau par un fond semblable à celui qui existait au temps et dans la localité de l'événement représenté ; les montagnes, les rochers, les arbres, les routes, les rivières, les lacs furent figurés régulièrement, et l'on s'ingénia à reproduire les lieux tels qu’ils étaient avec autant de vérité que le permettaient l'habileté de l'artiste et la nature des matériaux. Dans ces essais on ne se bornait pas à reproduire les traits principaux et les grandes lignes de la scène. Evidemment, on voulait comprendre tous les menus accessoires que l'oeil observateur de l'artiste aurait notés s'il avait tracé son croquis d'après nature. Les différentes espèces d'arbres sont indiquées dans les bas-reliefs ; les jardins, les champs, les étangs, les joncs sont dessinés avec soin ; les animaux sauvages, cerfs, sangliers, antilopes, sont introduits avec leurs signes caractéristiques ; les oiseaux volent d'arbre en arbre, ou sont perchés sur leurs nids, tandis que leurs petits allongent le cou vers eux ; les poissons jouent dans l'eau ; les pêcheurs exercent leur métier ; les bateliers et les ouvriers des champs s'adonnent à leurs travaux, la scène est pour ainsi dire photographiée, et tous les détails - les moindres comme les plus importants - sont également marqués, sans qu'on ait essayé de choisir entre eux ou de poursuivre l'unité artistique.

« Dans le même esprit de réalisme, Sennachérib élut, comme sujet de décoration, les scènes triviales de la vie journalière. Les longues files de serviteurs qui circulaient chaque jour dans son palais avec du gibier pour son dîner, des gâteaux et du fruit pour son dessert, ont encore sur les murs des corridors l'apparence exacte qu'ils avaient au temps où ils passaient à travers les cours chargés des friandises que le roi aimait. Ailleurs il expose devant nous les procédés employés à la sculpture et au transport d'un taureau colossal, depuis le moment où l'on tire de la carrière l'énorme bloc dégrossi jusqu'au moment où on le dresse sur le tertre artificiel qui sert de soubassement à la résidence royale, afin d'en décorer la porte monumentale. Ce sont d'abord les gens du halage qui traînent au cours d'une rivière la pierre brute posée sur un bateau à fond plat : ils sont groupés par peloton, sous les ordres de contremaîtres qui jouent du bâton à la moindre provocation. La scène doit être représentée entière : aussi tous les haleurs sont-ils là, au nombre de trois cents, costumés chacun à la mode de son pays, et sculptés avec autant de soin que s'ils n'étaient pas la reproduction exacte de quatre-vingt-dix-neuf autres. Puis le bloc est tiré à terre, et taillé rudement en forme de taureau : dégrossi, on le charge sur un traîneau, et des compagnies d'ouvriers, arrangés à peu près de la même manière qu'auparavant, l'amènent par un terrain uni jusqu'au pied du tertre où il doit être placé. La construction du tertre lui-même est représentée en détail : les briquetiers moulent les briques à la base, tandis que des maçons, la hotte au dos, pleine de terre, de briques, de pierres ou de décombres, montent péniblement - car déjà le tertre est à moitié de sa hauteur   et  déchargent leur fardeau. Alors le taureau, toujours couché sur son traîneau, est hissé jusqu'au sommet, le long d'un plan incliné, par quatre escouades de manoeuvres, en présence du monarque et de sa suite. Après quoi, on achève de le sculpter : le colosse, debout sur ses pieds, est conduit à travers la plate-forme jusqu'à la place exacte qu'il doit occuper.[45] »

De toutes les villes de l'empire, Ninive fut celle qu'il se plut à embellir. Abandonnée par Sargon et déchue du rang de capitale, elle s'était dépeuplée rapidement. Ses murailles étaient percées de brèches en maint endroit, ses aqueducs étaient rompus ; le Tigre, mal encaissé entre ses quais, la menaçait de ses débordements. Quant au palais, ce n'était plus qu'une ruine. « La cour des dépendances, les rois, mes pères et prédécesseurs, l'avaient construite pour y déposer les bagages, pour exercer les chevaux, pour la remplir d'ustensiles. Son soubassement ne se prêtait plus à ce qu'on l'habitât ; son pourtour sculpté était rongé du temps ; sa pierre angulaire avait cédé ; ses assises s'étaient effondrées ; son sommet s'était incliné. » Il rendit à ces édifices désolés leur antique splendeur, il récura les aqueducs envasés et il en devisa de neufs, il consolida les quais du Tigre, il rectifia l'enceinte, il répara les monuments. « J'ai reconstruit les rues anciennes, j'ai élargi les rues étroites et j'ai fait de la ville entière une cité resplendissante comme le soleil. » Le vieux sérail fut abattu et une vaste colline artificielle élevée de ses débris, « puis dans un mois heureux, au jour fortuné, je construisis, selon le voeu de mon coeur, au-dessus de ce soubassement, un palais d'albâtre et de cèdre, produit de la Syrie, et son donjon, dans le style de l'Assyrie… Je le restaurai et le complétai, depuis ses fondations jusqu'à son pignon, puis j'y mis la consécration de mon nom. A celui de mes fils qui, dans la suite des jours, sera appelé à la garde du pays et des hommes par Assour et Ishtar, je dis ceci : Ce palais vieillira et s'effondrera dans la suite des jours ! Que mon successeur en relève les ruines, qu'il rétablisse les lignes qui contiennent l'écriture de mon nom. Qu'il retouche les peintures, qu'il nettoie les bas-reliefs et qu'il les rajuste en leur place ! Alors Assour et Ishtar écouteront sa prière. Mais celui qui altérera mon écriture et mon nom, qu’Assour le grand dieu, le père des dieux, le traite en rebelle, qu'il lui enlève son sceptre et son trône, qu'il abaisse son glaive. » L'avenir, et un avenir prochain, se chargea de démentir les promesses d'éternité que renfermaient ces paroles orgueilleuses ; entre la dédicace du palais et la destruction irréparable, il n'y a guère plus de quatre-vingts ans[46].

Le règne se termina par une tragédie. Un jour que Sennachérib priait dans la maison de Nisroch, son Dieu, « il arriva qu'Adrammelech et Sharézer, ses fils, le tuèrent avec l'épée[47] ». Les meurtriers ne profitèrent pas de leur crime. Sharézer ceignit aussitôt le diadème, et une moitié de l'armée le reconnut, ainsi que les provinces du Nord ; mais son frère aîné, Ashshourakhéiddin (Asarhaddon), né d'une Babylonienne, fut acclamé par les troupes d'Arménie qu'il commandait, et le défit au delà de l'Euphrate, à Khanigalbat. Au dire des uns, Sharézer périt dans le combat ; d'après les autres, il s'échappa avec son frère et il se réfugia en Arménie[48]. Sa révolte aurait pu tourner autrement si les provinces babyloniennes avaient pris partie pour lui contre son frère. Mais Asarhaddon avait pour mère une Babylonienne, et il avait toujours traité ses demi compatriotes avec bienveillance du temps qu'il était prince héritier : la Mésopotamie ne bougea pas, et sa fidélité facilita la répression. Une fois consolidé sur le trône, Asarhaddon voulut la récompenser et il se résolut à relever Babylone. Ce ne fut pas sans avoir délibéré pendant longtemps qu'il prit cette décision si grave. Sennachérib, en détruisant la ville, n'avait pas commis un acte de sauvagerie irréfléchi : il avait fait ou cru faire oeuvre de saine politique. Il avait supprimé la rivale qui balançait l'autorité de l'Assyrie depuis des siècles et qui l'empêchait de dominer le bassin entier du Tigre et de l'Euphrate : n'était-ce pas rétablir la situation qu'il avait tranchée si radicalement et remettre en danger Ninive que de ressusciter Babylone ? Asarhaddon crut que la leçon infligée par son père porterait ses fruits, et, de fait, Babylone semblait considérer le désastre qui l'avait atteinte comme une punition de Mardouk pour ses insurrections perpétuelles contre ses maîtres assyriens. Le dieu avait déchaîné contre elle les pouvoirs malfaisants, et l'Arakhtou[49], débordant parmi les ruines, les avait balayées : dix années durant, la solitude avait régné sur le site maudit. Et voici que, la onzième année, la colère des dieux s'apaisa soudain : Asarhaddon supplia Shamash, Adad, Mardouk lui-même, de lui révéler leur volonté à l'égard de la cité, et les devins consultés lui apportèrent bientôt comme réponse l'ordre de rebâtir les maisons et de relever le temple d'Ésagilla.

Il rassembla donc tous les prisonniers de guerre qu'il avait à sa disposition et il les mit à la fabrication des briques : il creusa ensuite les fondations, dans lesquelles il versa des libations d'huile, de miel, de vin de palme et de diverses espèces de vins, puis il saisit lui-même la truelle du maçon et, avec des outils d'ébène, de cyprès et de chêne, il moula la première brique pour le sanctuaire nouveau (680). L'oeuvre était colossale : elle exigea plusieurs années (680-676) d'un labeur ininterrompu avant d'aboutir. Asarhaddon n'épargna rien pour en hâter l'achèvement, ni l'or, ni l'argent, ni les pierres dures, ni les émaux : il rebâtit tout ensemble, les palais, les temples et les deux murs de la ville, Imgourbel et Nimittibel, il nettoya le lit des canaux, il replanta les bois sacrés et les jardins du harem. Les habitants furent rapatriés aux frais du trésor des provinces éloignées où ils avaient été bannis, et ils furent réintégrés dans leurs propriétés, avec une indemnité qui leur permit de subvenir aux difficultés de la première installation. La renaissance de la cité éveilla des inquiétudes et des jalousies chez ses voisines. Dès 680, les Chaldéens se révoltèrent aux ordres de Nabouzîroukinishlishîr ; mais celui-ci, débusqué de ses positions par le préfet d'Ourou, se sauva en Élam où Khoumbankhaldash II avait succédé à Khoumbankhaldash 1er, quelques semaines seulement avant la mort de Sennachérib. L'Élamite, au lieu de lui faire bon accueil, l'empoigna et l'égorgea, pour éviter toute cause de conflit avec l'Assyrie (679).

Cette échauffourée, si vite terminée, n'en eut pas moins des conséquences funestes. C'était la première fois, depuis l'accession de Tiglatphalasar, que les troubles presque inévitables qui accompagnent un changement de dynastie aboutissaient à la guerre ouverte. La grande armée de Sargon et de Sennachérib s'était dissoute, et les deux fractions en lesquelles elle s'était scindée, commandées qu'elles étaient par des généraux expérimentés, avaient plus souffert en se choquant un seul jour qu'elles ne l'auraient fait pendant toute une campagne contre leurs ennemis ordinaires. Et cela arrivait après une série d'efforts qui avaient épuisé déjà la population, au moment où des ennemis frais surgissaient partout sur la scène et menaçaient l'empire au Nord et à l'Est. Bien loin vers le Nord, au delà des fleuves de l'Arménie et des pics du Caucase, dans les steppes du continent européen, des tribus sauvages vivaient, les Gimirri, que les Grecs ont connus sous le nom légèrement altéré de Cimmériens. Les légendes qui couraient sur eux les représentaient comme relégués aux confins de l'univers : « Jamais le soleil brillant ne les atteint de ses rayons, ni lorsqu'il monte au ciel, ni lorsqu'il redescend du ciel vers la terre, mais une nuit funeste s'étend toujours sur ces misérables mortels[50] ». Des animaux fabuleux, des griffons au corps de lion, au cou et aux oreilles de renard, aux ailes et au bec d'aigle erraient autour de leurs campements et parfois les assaillaient : ils se défendaient tant bien que mal à coups de haches, et ils ne sortaient pas toujours indemnes de ces rencontres. Les quelques marchands qui pénétraient chez eux rapportaient des notions moins fantastiques sur la nature du sol qu'ils habitaient ; mais ils commençaient seulement à entretenir des relations avec le monde méditerranéen, lorsque des circonstances imprévues les obligèrent à émigrer. Les Scythes chassés des plaines de l'Iaxarte par une invasion de Massagètes, se précipitèrent dans la direction de la Volga et du Don : la terreur qu'ils inspiraient était telle que les Cimmériens préférèrent s'expatrier plutôt que d'affronter ce choc (750). Une tradition, vulgaire en Asie trois siècles plus tard, racontait comment leurs rois les supplièrent de tenir tête aux agresseurs : le peuple ayant refusé de les écouter, ils s'entretuèrent avec leurs fidèles, et l'on montrait encore leurs sépultures sur les rives du Tyras[51]. Quelques-unes des tribus se réfugièrent dans la Chersonèse Taurique : le plus grand nombre dépassa les Marais Méotide et poussa vers le Sud, le long de la côte, poursuivi par des hordes Scythes. Cette masse hétérogène, tombant dans le bassin du Cyrus, s'y heurta à l'Ourartou, puis se rejeta au Sud-est contre le Mannaï : repoussée par les généraux de Sargon contre 720, elle se reporta vers d'autres contrées moins bien protégées. Les Scythes se fixèrent dans le bassin oriental de l'Araxe, aux frontières de l'Ourartou et du Mannaï, et ils y formèrent une sorte de communauté pillarde, sans cesse en querelle avec ses voisins[52]. Les Cimmériens filèrent à l'Ouest et s'échelonnèrent sur le Haut Euphrate, ainsi que dans les bassins de l'Halys et du Thermodon, au grand dommage des souverains de l'Ourartou ils débordèrent de là sur l'Asie Mineure, et, évitant les marches du Taurus, trop bien gardées par les Assyriens, ils s'emparèrent de Sinope, où les Grecs avaient fondé récemment une colonie[53], puis ils se ruèrent sur la Phrygie. Ils y rencontrèrent des bandes qui avaient franchi le Bosphore de Thrace vers 710, et parmi lesquelles les historiens anciens citent plus particulièrement les Trères[54]. Les deux peuples se joignirent et se fondirent pendant les premières années du viie siècle, et d'abord ils n'attaquèrent point la Phrygie, mais ils occupèrent la côte de l'embouchure du Rhyndakos à celle de l'Halys, et ils constituèrent une confédération, dont Héraclée et Sinope furent les villes principales[55] : ils en sortaient chaque année pour se répandre sur les pays voisins, tantôt dans une direction, tantôt dans une autre[56]. Il semble que Sharézer comptait sur leur appui pour lutter contre son frère ; en tout cas, ils profitèrent des troubles que son crime souleva pour tâter les Assyriens. Leur roi Tioushpa chassa les garnisons qui tenaient la Cappadoce et il groupa autour de lui les populations indisciplinées de la plaine Cilicienne. Asarhaddon l'arrêta sur le Saros, le battit près de Khouboushna et le rejeta au delà de l'Halys[57]. Tandis que ses généraux achevaient de remettre l'ordre de ce côté, lui-même travaillait à réprimer les révoltes que le bruit de l'invasion cimmérienne avait suscitées un peu partout en Syrie. Il écrasa successivement les gens de Parnaki entre l'Euphrate et le Balikh, puis la Cilicie et la Phénicie. Abdimilkôt, roi de Sidon, avait lié partie avec un certain Sandouarri, qui possédait les deux forteresses de Koundou et de Sizou en Cilicie[58] : ils furent pris l'un et l'autre, et Sidon livrée à la fureur des soldats. Les autres princes de la Syrie, convoqués en hâte, assistèrent aux châtiments de la cité rebelle, et, après avoir rendu leur hommage au souverain, ils retournèrent dans leurs Etats, convaincus que l'Assyrie n'avait rien perdu de sa vigueur (679).

La mésaventure des Cimmériens ne servit pas de leçon aux Scythes. En 678, leur roi Ishpakaï[59] s'allia aux Mannaï et tenta la fortune avec eux : il fut repoussé avec pertes au Nord du lac d'Ouroumiyèh, mais cet insuccès ne fut pas assez grave pour couper court aux intrigues scythiques, et un autre chef de hordes, Kashtariti, essaya de réunir les Mèdes, les Ourartiens, les Mannaï et les Cimmériens contre l'Assyrie. Le mariage d'une fille d'Asarhaddon avec un troisième roitelet Scythe du nom de Bartatoua[60] rompit l'entente et empêcha la coalition de se nouer. Il fallut néanmoins une surveillance active pour contrebalancer les manoeuvres de Kashtariti, et deux fois au moins Asarhaddon dut aller étouffer au fond de la Médie des rebellions qu'elles avaient provoquées. « Le pays de Patousharra est situé chez les Mèdes lointains et compris dans le Bikni, montagne de cristal, et dont personne parmi les rois mes pères n'avait foulé le sol. » Deux de ses chefs, Sidirparna et Éparna, dont les noms ont une physionomie arienne, furent emmenés en esclavage. Un peu plus tard, trois autres princes voisins, Ouppiz, maître de la ville de Partakka, Zamasana de Partoukka, Ramativa d'Ourakazabarna, implorèrent l'aman. Les marches mèdes jouirent d'un calme profond jusqu'à la fin du règne : le gouverneur de Kharkhar, de qui elles mouvaient, n'eut plus que des actes de brigandage insignifiants à réprimer.

La restauration de Babylone ne s'était pas achevée sans produire quelques complications nouvelles. Le même sentiment de jalousie qui avait mis les armes aux mains des Chaldéens trois ans plus tôt souleva les gens du Bît-Dakkoûri en 676. Lorsqu'il leur fallut restituer aux Babyloniens revenus d'exil les terres qu'ils avaient saisies, ils s'y refusèrent énergiquement : pour triompher de leur mauvais vouloir, Asarhaddon dut déposer leur roi Shamashibni et lui substituer Naboushallim, fils de Bélésys. Peut-être, les Araméens du désert et les tribus arabes qui rôdaient entre l'Euphrate et la Syrie s'étaient-ils compromis avec le prince du Bît-Dakkoûri, ou peut-être avaient-ils profité des guerres du Nord pour pousser sur le territoire babylonien des razzias plus sauvages qu'à l'ordinaire. Déjà, vers la fin de son règne, Sennachérib, afin de châtier l'un des cheikhs de Kédar, Khazael d'Adoumou, avait emporté les statues d'Atar-Samaïn et des autres dieux de la tribu : la perte de leurs idoles avait affligé tellement les Arabes, qu'au début du règne d'Asarhaddon, Khazael était venu lui-même à Ninive et qu'il en avait réclamé humblement la restitution. « J'eus pitié de lui, dit l'Assyrien. Je fis réparer ses dieux, j'y inscrivis l'éloge d'Assour, mon maître, accompagné de ma signature, et je les lui rendis. » Les Arabes payèrent cette concession assez cher : on leur imposa pour reine Tabouya, qui avait été nourrie dans le palais de Ninive et dont le dévouement était acquis à la politique assyrienne ; le tribut payé jadis à Sennachérib fut augmenté de soixante-cinq chameaux. C'était la rançon des idoles ; une occasion se présenta bientôt d'aggraver encore les charges qui pesaient sur les habitants du désert. Khazael mourut, et un petit chef, nommé Wahab, brigua sa succession ; sur quoi Asarhaddon le fit emprisonner et investit Yatailou, fils de Khazael, puis, afin de se rembourser des frais de l'opération, il obligea son protégé à livrer chaque année au trésor dix mines d'or, mille escarboucles et cinquante chameaux de l'espèce la plus estimée. Il avait ainsi confirmé sa suprématie sur la portion de l'Arabie qui séparait Babylone de Damas ; en 675, il s'aventura plus au Sud, mais les sables arrêtèrent sa marche. Il se contenta d'annexer le pays de Bâzou, « dont le site est lointain, un passage de dépérissement, une région de défaillance, un lieu où règne la soif », et celui de Khâzou, dans lequel il tua huit rois. « Je traînai en Assyrie leurs dieux, leurs dépouilles, leurs trésors et leurs sujets. Layalé, roi de Yadiah, s'était soustrait à ma domination ; quand il apprit le rapt de ses idoles, il comparut devant moi à Ninive, la ville de ma royauté, il s'inclina devant moi, et je lui pardonnai son péché, je l'accueillis avec bienveillance. Quant à ses dieux, j’écrivis au-dessous de leurs images les éloges d'Assour, mon maître, je les apportai et les lui restituai, puis je lui confiai ce pays de Bâzou et je lui ordonnai de payer un tribut à ma royauté.[61] » La nouveauté n'était pas le seul mérite de ces exploits. La soumission de ces tribus avait pour résultat et d'empêcher les ravages qu'elles opéraient dans la Chaldée et d'ouvrir aux caravanes la route la plus directe entre Babylone et Damas ; elle compléta heureusement l'oeuvre de pacification entreprise sur les frontières. Asarhaddon avait vaincu les Cimmériens et les Scythes, étouffé les troubles de la Babylonie, entretenu de bonnes relations avec l'Elam, pacifié l'Arabie ; il était libre maintenant de consacrer toute son attention à l'Égypte, dont les intrigues l'inquiétaient depuis longtemps.

Les Assyriens en Égypte, Taharqou (692-666) conquête de l'Égypte par Asarhaddon (670) ; Assourbanabal (667-625 ?) ; conquête de l'Élam.

Depuis le désastre d'Altakou et la catastrophe de Sennachérib, Shabitkou s'était tenu toujours sur la défensive : il s'était renfermé dans les frontières de l'Égypte, et il avait lutté énergiquement pour dominer sur les princes du Delta. Mais ses efforts n'avaient point prévenu la catastrophe  le prince qui régnait alors au Gebel Barkal l'attaqua, le prit et le tua[62], Les barons transférèrent leur allégeance au vainqueur, et le plus considérable d'entre eux, Stéphinatès, qui commandait à Saïs et à Memphis, reconnut l'Éthiopien pour seigneur (692). Taharqou appela de Napata sa mère qu'il qualifia grande régente, dame des deux pays, maîtresse de toutes les nations. Elle descendait probablement des premiers prophètes d'Amon, et elle lui avait transmis les droits qu'elle avait à la couronne ; c’était donc sa propre usurpation qu'il légitimait en lui prodiguant tant d'épithètes pompeuses[63]. L'antiquité classique admit ses titres à la gloire du conquérant : une tradition en vogue à l'époque gréco-romaine assurait qu'il avait parcouru l'Afrique entière de la mer Rouge aux colonnes d'Hercule[64]. Ses portraits le représentent avec une tête lourde, carrée, aux joues pleines, à la bouche ferme, au menton obstiné, et ce que nous connaissons de son histoire confirme l'impression de vigueur physique et morale qu'ils nous donnent. Il est certain qu'aussitôt entré en possession du Delta, il suivit avec attention ce qui se passait au delà de l'isthme. Nous n'avons, il est vrai, aucune indication sur la politique qu'il suivit à l'égard de la Judée, mais nous pouvons être assurés qu'elle porta ombrage à l'Assyrie, car Asarhaddon résolut, dés qu'il fut libre par ailleurs, d'en finir une fois pour toute avec l'Égypte. Depuis un demi-siècle que les deux puissances se heurtaient par intervalles et ne cessaient jamais de s'observer, les Assyriens avaient eu plus d'une occasion de constater que Pharaon n'était pas de taille à tenir devant eux : les armées de l'Égypte et même celles de l'Éthiopie, si braves qu'elles fussent, avaient un armement et une tactique trop arriérées pour se mesurer avec avantage aux bandes Ninivites, aguerries au contact des nations les plus vigoureuses de l'Asie, les Élamites, les gens de l'Ourartou, les Mèdes, les Cimmériens, les Scythes. Leur principale défense était la région presque sans eau qui sépare la Philistie et la Judée du Delta : si l'on réussissait à mener une armée nombreuse au delà de ce désert inhospitalier, Memphis serait une proie aussi facile que Babylone l'avait été. Asarhaddon se prépara donc méthodiquement à la lutte. En 675, il avait pacifié le Miloukhkha et gagné les Nomades du désert Iduméen, de façon à ne pas être inquiété pendant le trajet des solitudes, mais une diversion opérée par les Elamites l'avait arrêté. Khoumbankhaldash II avait franchi le Tigre et ravagé la plaine jusqu'à Borsippa, sans que les garnisons pussent empêcher ses déprédations. Par bonheur il mourut soudainement quelques jours après son retour à Suse, et son frère Ourtaki eut trop à faire de s'asseoir sur le trône solidement pour songer à recommencer les hostilités (674). Asarhaddon se retourna donc vers l'Égypte, mais cette première attaque échoua, et Taharqou conçut un orgueil immense pour s’être tiré de cette épreuve à son honneur. Comme beaucoup des contrées sur lesquelles son ennemi dominait comptaient parmi celles que ses ancêtres thébains avaient possédées jadis, il orna la base de sa statue d'une liste de nations et de villes copiées sur les monuments de Ramsès II : les Khâti, le Mitanni, Gargamish, Arvad y figurent côte à côte avec Assour. C'était là pure fanfaronnade, car il ne mit jamais le pied sur le sol de l'Asie, mais sa victoire lui créa des alliés parmi ceux des petits Etats Syriens qui nourrissaient encore l'espoir de recouvrer leur indépendance. Tyr n'avait jamais reconnu l'autorité de l'Assyrie depuis les jours d'Éloulaeos, mais elle ne conservait que son île ; son roi Baâlou jugea la circonstance bonne pour recouvrer la portion du continent qu'elle avait perdue alors, et il conclut alliance avec Taharqou. Les gouverneurs assyriens de la Phénicie proclamèrent aussitôt le blocus et construisirent sur la côte une série de redoutes qui en interdirent l'accès aux Tyriens (672), mais Asarhaddon ne vint pas à leur aide aussitôt qu'ils l'espéraient : une révolte dans le bassin du Haut Tigre, au canton de Shoupria, l'occupa toute l'année 672, et il dut passer l'année 671 entière à observer les mouvements des peuples qui bordaient la frontière septentrionale, les Tabal, l'Ourartou, les Scythes. Enfin, en 670, il quitta Ninive dans les premiers jours du mois de Nisan ; il inspecta en passant le corps qui tenait Baâlou en échec, puis il poussa jusqu'à Aphek sur le territoire de l'ancienne tribu de Siméon, et il parcourut le Miloukhkha afin d'assurer ses derrières. Après une incursion de six semaines dans des parages sans eau, « infestés de monstres étranges et de serpents à deux têtes », il se replia sur Raphia, et, longeant la côte, il atteignit la frontière de l'Égypte. Le 5 Tammouz, il défit les avant-gardes  éthiopiennes prés du bourg d'Ishkhoupri : Taharqou, accouru avec le gros de ses forces, livra et perdit deux batailles sanglantes le 16 et le 18 Tammouz. Memphis ouvrit ses portes le 22, après quelques heures d'assaut et fut saccagée. Les Éthiopiens décimés s'enfuirent dans la direction de Thèbes. L'assaut avait été si rapide que Taharqou n'eut pas le temps d'éloigner sa cour : la reine, les concubines, le prince héritier Oushanahorou, plusieurs autres enfants du roi lui-même, une  partie de la famille de Sabacon  et  de celle de Shabitkou tombèrent aux mains des Assyriens. La victoire avait coûté si cher et les Éthiopiens, même en retraite, paraissaient encore si redoutables qu'Asarhaddon renonça à les poursuivre. Il fit bon accueil aux petits princes lorsqu'ils vinrent prêter hommage entre ses mains, et il les confirma chacun dans la possession de leurs domaines, mais il installa à côté d'eux des résidents assyriens pour les surveiller, et il changea les noms égyptiens de leurs villes en noms sémitiques : ainsi, Athribis devint officiellement Limirpatêshiassour. Il leur imposa une redevance annuelle de six talents d'or et de six cents talents d'argent, outre des étoffes de lin et des tissus précieux, du vin, des peaux de bêtes sauvages, des chevaux, des moutons, des ânes, puis il revint en Asie à la tête d'un convoi immense de butin et de prisonniers. Son retour fut un triomphe perpétuel : il parada sur toutes les voies et par toutes les cités syriennes ces bandes d'Égyptiens et d'Éthiopiens sur la valeur desquelles les princes et les peuples avaient établi de si vains espoirs depuis tant d'années. Il grava une stèle commémorative de sa prouesse au Nahr el Kelb à côté de celles que Ramsès II y avait laissées, et il érigea partout des monuments dont un, découvert à Sindjirli, nous montre Taharqou et son allié Baâlou agenouillés devant lui, l'anneau de servitude aux narines. Il s'intitula désormais le roi d'Égypte, le roi des rois d'Égypte, le roi du Saïd et de Koush, tant ce lui fut grand orgueil d'avoir foulé aux pieds les principautés du Delta. Et vraiment, l'Égypte était le seul des anciens États Orientaux qui eût toujours défié jusqu'alors les attaques de l'Assyrie. Les Élamites avaient subi des défaites désastreuses et il leur en avait coûté plusieurs de leurs provinces. Les gens de l'Ourartou avaient été refoulés dans leurs montagnes. Babylone avait été détruite ; les Khâti, les Phéniciens, Damas, Israël avaient été absorbés l'un après l'autre. L'Égypte, qui les avait encouragés dans leurs résistances inutiles, n'avait jamais porté la peine de ses intrigues, et lors même qu'elle s'était risquée sur les champs de bataille de la Palestine, elle s'était tirée à bon compte de l'aventure : une fois ses armées revenues au bord de son Nil, nul n'avait osé les y poursuivre, et l'idée s'était enracinée chez ses ennemis comme chez ses amis que le désert la protégeait efficacement contre toutes les atteintes. L'événement prouva qu'elle n'était pas moins invulnérable que les autres royaumes de ce monde, et qu'une attaque hardie avait raison aisément de tous les obstacles placés par la nature sur le chemin de l'envahisseur  la difficulté était moins de la conquérir que de la conserver une fois conquise[65].

Asarhaddon est une des figures les plus originales et les plus attachantes de l'histoire d'Assyrie. Actif et résolu, il l'était autant qu'Assournazirabal ou que Tiglatphalasar mais il ne joignait à leurs qualités ni leur dureté contre les sujets, ni leur férocité à l'égard des vaincus. Il saisissait l’occasion d'être clément avec autant de soin que ses prédécesseurs recherchaient celle de se montrer impitoyables ; les récits de ses guerres ne parlent pas sans cesse de captifs écorchés vifs, de rois empalés devant la porte de leurs cités, de populations entières décimées par le fer. Il s'appliqua partout à réparer les ruines dont son père et son grand-père avaient couvert le sol. Dès la première année de son règne, il avait relevé Babylone : en dehors de ce travail énorme, il consacra, en Assour et en Accad, trente-six sanctuaires « plaqués de lames d'or et d'argent et resplendissants comme le jour ». Le palais qu'il se bâtit à Ninive sur l'emplacement d'un ancien garde-meuble surpassait tout ce qu'on avait vu jusqu'à lui. Les carrières d'albâtre des monts Gordiyæens et les forêts de la Phénicie avaient été mises également à contribution pour en panneler les salles d'apparat : trente-deux rois des Hittites et de la côte méditerranéenne envoyèrent à Ninive des troncs de sapins, de cèdres, de cyprès, débités en larges ballots. La toiture était en poutres de cèdre sculpté, supportées par des colonnes de cyprès cerclées d'argent et de fer ; des lions et des taureaux de pierre se dressaient aux portails ; le battant des portes était en ébène et en cyprès incrusté de fer, d'argent et d'ivoire. Le palais de Babylone est entièrement détruit, et celui qui fut commencé à Kalakh avec le butin d'Égypte ne fut jamais terminé. La vue des longues avenues de sphinx qui précédaient l'entrée des temples de Memphis avait vivement impressionné l'esprit des conquérants : Asarhaddon imita les vaincus et maria les sphinx aux taureaux et aux lions qui décoraient l'accès de ses édifices. La construction continua pendant trois années (671-669) ; le gros oeuvre était achevé, mais l'ornementation ébauchée à peine, lorsque des événements encore mal connus obligèrent les architectes à l'interrompre. Il semble que l’affection que le roi avait toujours marquée pour Babylone inspira des inquiétudes à son entourage : ses officiers assyriens craignirent qu'il ne choisît pour lui succéder le fils qu'il avait eu d'une de ses femmes babyloniennes, Shamashshoumoukîn ? Ils complotèrent en faveur d'un autre de ses fils dont la mère était ninivite, Assourbanabal, et leur conspiration découverte coûta la vie à plusieurs d'entre eux (669), mais contraignit le maître à la réflexion. Convaincu qu'il était impossible de maintenir Ninive et Babylone pendant longtemps sous l'administration d'un même prince, il se décida à diviser son empire : il donnerait l'Assyrie à Assourbanabal, et la Babylonie à Shamashshoumoukîn sous la suzeraineté de son frère. La meilleure manière d'assurer l'exécution de ses volontés était de les accomplir lui-même : les révoltes qui éclatèrent soudain au delà de l'isthme lui en fournirent soudain l'occasion.

Les vingt petites principautés en lesquelles l'Égypte s'était démembrée n'avaient pas toutes accepté la domination de l'Assyrie en 670. Le grand fief théocratique de Thèbes était demeuré virtuellement sous l'autorité de l'Éthiopie, et les baronnies de l'Égypte moyenne, Thinis, Siout, Hermopolis, Héracléopolis, n'ayant pas été touchées par l'invasion, avaient admis très superficiellement la suzeraineté du maître nouveau. Seuls les seigneurs du Delta, qui vivaient en contact perpétuel avec les garnisons étrangères, pouvaient être considérés comme obéissant réellement à l'Assyrie, mais leur esprit inquiet et turbulent rendait leur fidélité très douteuse. Deux familles se disputaient l'hégémonie parmi eux : l'une à l'Orient, représentée alors par Pakrourou, chef du nome arabique ; l'autre à l'Occident, qui descendait de Bocchoris en droite ligne. Stéphinatès, prince de Saïs et de Memphis, était mort vers 680,et son fils Néchepsô, qui lui avait succédé, n'avait pas eu l'occasion de se distinguer : c'était, si l'on en croit la tradition classique, un bon devin et un excellent astronome[66], mais qui demeura l'humble vassal des Ethiopiens sa vie durant (680-674). Néchao 1er, qui le remplaça, était au pouvoir depuis trois ou quatre ans, quand l'arrivée des Assyriens le délivra de l'Éthiopie. Les documents contemporains nous le laissent entrevoir actif, remuant, prêt à tout oser pour atteindre le but que l'ambition de ses ancêtres poursuivait depuis un siècle, la restauration de l'ancienne monarchie égyptienne sous les auspices de leur maison. L'étendue de ses domaines et par-dessus tout la possession de Memphis lui assurant une supériorité réelle sur ses rivaux, Asarhaddon le considéra comme leur chef ; il l'inscrivit au premier rang sur la liste des vassaux égyptiens et il eut bientôt à se féliciter d'avoir eu confiance en lui. Taharqou n'avait pas accepté sa défaite : dés qu'il eut recruté une armée fraîche, vers le milieu de 669, il reprit l'offensive, et il rentra à Memphis presque sans coup férir, mais Néchao et les princes du Delta, au lieu de le joindre, firent cause commune avec les Assyriens contre lui. Asarhaddon était malade gravement lorsqu'il en reçut la nouvelle. Il n'en convoqua pas moins ses troupes aussitôt, mais, avant de partir, il mit à exécution le projet que le complot de l'année précédente lui avait suggéré : il proclama Shamashshoumoukîn roi de Babylone, Assourbanabal roi d'Assyrie et chef de l'empire, puis il se mit en route pour l'Afrique. Comme il traversait la Syrie, son mal empira, et il expira le 40 du mois Arakhsamna, dans la douzième année de son règne (668)[67].

Lui mort, la scission des deux moitiés de la monarchie s'opéra presque mécaniquement. Assourbanabal renvoya à Babylone la statue de Bel Mardouk qui était en captivité au temple de Ninive depuis Sennachérib ; Shamashshoumoukîn la reçut en pompe et, l'ayant introduite dans le sanctuaire restauré, il saisit les mains de Bel, et il se trouva par cette cérémonie traditionnelle intronisé régulièrement roi de la Chaldée. Le changement de règne ne provoqua aucune insurrection grave. A l'Est seulement, un petit chef montagnard, Tandaï de Kirbit, envahit le canton d'Yamoutbal, et se fit prendre : il fut déporté avec son peuple en Égypte, où le tartan, succédant à Asarhaddon dans le commandement de l'armée, venait de remporter de grands succès. Taharqou avait été battu près de Karbanit, et contraint d'évacuer Memphis (668). Pour en finir avec lui, les Assyriens se résolurent à l'aller relancer dans Thèbes et s'il le fallait jusqu’en Éthiopie ; ils convoquèrent les contingents des rois Syriens et les vaisseaux des villes phéniciennes, puis ils remontèrent le Nil. Ils étaient déjà assez avant dans la Moyenne-Égypte, lorsqu'ils furent rappelés dans les nomes de la côte par la menace de troubles. Taharqou vaincu paraissait encore plus redoutable aux dynastes égyptiens que le monarque ninivite ; ils nouèrent des négociations avec lui et ils conclurent un traité secret par lequel ils s'engageaient à le restaurer sur le trône des Pharaons à condition qu'il les laissât libres chez eux. Des dépêches interceptées ayant instruit les généraux assyriens de ces menées, ils rebroussèrent, saisirent les chefs de la conjuration, Sharloudari de Tanis, Paqrourou de Pisoupti et Néchao, qu'ils envoyèrent à Ninive chargés de chaînes ; ils saccagèrent, pour l'exemple, Saïs, Mendès et Tanis qui avaient été les premières du complot, et leurs succès arrêtèrent la marche de Taharqou. L'Éthiopien se retira à Napata, abandonnant Thèbes à son sort. La cité se racheta par la remise d'une moitié du trésor sacré que le temple d'Amon possédait, et Montoumhaît, qui exerçait la régence au nom de la princesse Shapenouapît II, fut nommé gouverneur pour l'Assyrie. La victoire fut si complète qu'Assourbanabal crut pouvoir user de clémence envers ses prisonniers. Après avoir mandé Néchao devant son trône, il l'habilla d'un vêtement d'honneur, lui donna un cimeterre à fourreau d'or, un chariot, des chevaux, des mules ; non content de lui restituer Saïs, il lui octroya pour son fils aîné Psammétique le fief d'Athribis[68]. Néchao, de retour en Égypte, y fut réintégré dans son rang sous la surveillance d'un résident assyrien, et il se comporta désormais en vassal fidèle du souverain ninivite.

Les événements d'Égypte produisirent leurs effets ordinaires sur les peuples de la Syrie et de l’Asie Mineure. Les deux seules cités phéniciennes qui affectaient encore des allures indépendantes, Tyr et Arvad, mirent bas les armes : Baâlou de Tyr fut confirmé dans la possession de son royaume moyennant l'obligation d'acquitter un tribut annuel, mais Yakinlou d'Arvad fut détrôné, emmené à Ninive et remplacé aux affaires par son fils aîné, Azibaal. Deux chefs du Taurus, Mougallou le Tabal et Sandasarmé, se firent pardonner leurs incursions par des dons de chevaux pour la remonte de la cavalerie assyrienne. L'insignifiance de ces faits prouve combien les riverains de la Méditerranée s'étaient résignés à la domination étrangère. Ils avaient cessé de s'imaginer qu'une mutation de souverain était de nature à leur apporter des chances d'indépendance, et ils ne se considéraient plus comme les serfs d'un conquérant de passage dont la mort les délivrait : ils se sentaient les sujets perpétuels d'un empire dont la puissance ne reposait plus sur le génie ou sur l'incapacité d'un homme, mais se continuait de génération en génération par la vertu de son propre prestige quelles que fussent les qualités du souverain régnant. Les États indépendants de l'Asie étaient à la longue parvenus aux mêmes conclusions, et la nouvelle de l'avènement d'un roi d'Assyrie ne réveillait plus en eux des espoirs de conquêtes ou tout au moins de pillages : ce leur était devenu l'occasion d'ambassades envoyées pour féliciter le souverain nouveau et pour resserrer les liens d'amitié qui réunissent les deux États[69]. Une de ces ambassades, qui arriva vers 667, suscita à Ninive un étonnement mêlé d'orgueil. « Gygès, le roi de Lydie, une contrée d'au delà les mers, une terre lointaine, dont les rois, nies pères, n'avaient pas même entendu le nom, Assour, mon générateur divin, lui révéla mon nom en un rêve, disant : “Assourbanabal, le roi d'Assyrie, mets-toi à ses pieds, et tu vaincras tes ennemis par son nom !” Le même jour qu’il eut ce rêve, il envoya ses cavaliers me saluer, et il me manda ce rêve qu'il avait eu, par l'entremise de son messager : Quand celui-ci parvint aux frontières de mon empire, mes gens lui dirent : “Qui donc es-tu, mon frère, toi dont le pays n'a jamais été visité encore par un de nos courriers ?” On l'expédia donc à Ninive, le siège de ma royauté, et on l'amena devant moi ? Les langues de l'Orient et de l'Occident dont Assour m'avait donné plein les mains, personne de ceux qui les connaissaient ne savait son langage, et personne de ceux qui m'entouraient n'avait entendu son parler. Dans l'étendue de mon empire je rencontrai enfin quelqu'un qui me comprit et me conta le rêve. » Assourbanabal agréa complaisamment l'hommage qu'on lui apportait de si loin, et pendant quelques années une sorte d'alliance exista entre l'Assyrie et la Lydie : ce fut d'ailleurs une alliance toute platonique d'où chacun des deux contractants dériva fort peu d'avantage.

L'Ourartou était calmé, et ses rois Rousas II, puis Eriménas, ne songeaient plus qu'à construire des châteaux et des jardins de plaisance autour de leur capitale. Les Mèdes et les tribus bordières du plateau iranien continuaient à observer la paix comme sous le règne précédent. L'Élam entretenait des relations de bon voisinage avec Ninive et Babylone. Les tribus araméennes des embouchures de l'Euphrate et du Tigre se remuaient sourdement, mais rien ne transpirait encore de leurs complots. L'Égypte seule inspirait des craintes trop justifiées. Elle était placée de façon si excentrique par rapport au reste de l'Empire qu'elle devait échapper à l'influence ninivite sitôt qu'un accident se produirait qui obligerait le suzerain à relâcher un moment sa surveillance. L'Éthiopie d'ailleurs était là, derrière l'Égypte toujours prête à fomenter les troubles ou à redescendre dans la lice dés qu'elle en verrait l'occasion. Taharqou, immobilisé, dit-on, par un rêve qui lui ordonnait de ne plus s'éloigner de Napata[70] n'avait pas reparu au nord de la cataracte, mais son beau-fils Tandamani était rentré à Thèbes et se préparait à marcher vers le Delta, quand il reçut en songe la prédiction de sa royauté prochaine (666). L'annonce de la mort de Taharqou lui parvenant aussitôt après, il courut se faire couronner au Gebel Barkal, puis il s'embarqua sur le Nil pour reconquérir l'Égypte. La Thébaïde l'accueillit avec des démonstrations de joie sincère, disant : « Va en paix ! Sois en paix ! Rends la vie à l'Égypte ! Relève les temples qui tombent en ruines, redresse les statues et les images des divinités ! Rétablis les fondations faites aux dieux et aux déesses, les offrandes pour les Mânes ! Remets le prêtre à sa place pour accomplir toutes les cérémonies du culte ». Les troupes assyriennes et les contingents égyptiens commandés probablement par Néchao l'attendaient sous les murs de Memphis : il les battit, prit la ville et s'enfonça dans le Delta à la poursuite des vaincus. Néchao périt dans quelque escarmouche ou fut fait prisonnier et mis à mort[71] : son fils Psammétique se sauva en Syrie, mais les princes se renfermèrent chacun dans sa citadelle pour y attendre des secours d'Asie, et une guerre de sièges interminable commença. Impatienté de leur résistance, Tandamani se replia sur Memphis, et il ne savait comment sortir à son honneur de cette entreprise difficile, quand ils le tirèrent d'embarras : ils entrèrent en négociations avec lui. Pakrourou de Pisoupti, qui était leur chef depuis la disparition de Néchao, les amena au conquérant. « Ils dirent : “Accorde-nous les souffles de vie, car il ne peut plus vivre celui qui te méconnaît ? Nous serons tes vassaux, ainsi que tu l'as déclaré dès le début, le jour que tu devins roi ?” Le coeur de sa majesté fut rempli de joie quand elle entendit ce discours : elle leur fit donner des pains, de la bière, toutes sortes de bonnes choses. » Après qu'ils eurent séjourné quelques jours à Memphis, ils dirent : « Pourquoi demeurons-nous ici, ô roi, notre maître ! » Sa majesté leur répondit : « Pourquoi ? » Ils dirent : « Laisse-nous aller dans les villes que nous donnions des ordres à nos gens et que nous t'apportions nos tributs ». Ils revinrent bientôt avec les cadeaux qu'ils avaient promis, et Tandamani regagna Napata avec ses richesses[72]. Son autorité sur le Nord ne dura probablement que le temps de sa résidence à Memphis ; mais Thèbes la reconnut deux ou trois années encore[73].

Ce ne fut ni l'indolence, ni la crainte d'un échec qui empêcha Assourbanabal de châtier aussitôt l'audace  de l'Ethiopien, mais des complications surgirent alors au Sud-est qui le contraignirent à différer sa vengeance. L'Élam était tout à coup rentré en scène, et Ourtakou, cédant aux instances des tribus araméennes, avait franchi le Tigre (665). Shamashshoumoukîn ne put que s'enfermer dans Babylone et appeler son frère à l'aide. Celui-ci accourut et l'envahisseur se retira devant lui : on s'attendait à ce qu'il revînt l'année suivante, mais il mourut soudain d'une attaque d'apoplexie, et comme il avait fait aux enfants de Khoumbankhaldash son frère, son plus jeune frère, Tioummân, fit aux siens. Chassés d'Élam, ils se sauvèrent à Ninive où ils furent reçus honorablement, en vue d'une intervention éventuelle dans les affaires de leur patrie. Assourbanabal saisit ce moment, où Tioummân était encore mal assuré sur le trône, pour se jeter sur l'Égypte. Tandamani concentra ses forces en Thébaïde, mais quand il vit arriver les Assyriens, il renonça à se défendre et il s'enfuit à Kipkip, en Ethiopie (664). Thèbes fut saccagée sans pitié, la population entière, hommes et femmes, partit en esclavage ; « l'or, l'argent, les métaux et les pierres précieuses, tous les trésors des palais, les étoffes teintes en berom », que le gouverneur Montoumhaît venait de placer dans le sanctuaire[74], « deux obélisques du poids de cent talents » qui étaient à la porte d'un temple, furent transportés à Ninive[75]. Thèbes ne se releva jamais du coup dont Assourbanabal l'avait frappée[76]. Appauvrie qu'elle était depuis longtemps, les peuples qu'elle avait malmenés si rudement aux jours de sa gloire avaient conservé l'habitude de la craindre et de la respecter : le bruit de sa chute retentit par tout l'Orient, et le remplit d'étonnement et de pitié. Un demi-siècle plus tard, le souvenir était encore présent à la mémoire des Hébreux et le prophète Nahoum demandait à Ninive si elle valait mieux que « No-Amon, sise sur les Nils, entourée d'eau, qui avait une mer pour rempart et un lac pour muraille ? L'Éthiopien était sa force, et les Égyptiens sans nombre, la Libye et les Nubiens venaient à son secours. Elle aussi cependant s'en est allée captive en exil ; ses enfants aussi ont été écrasés au coin des rues, ses nobles ont été tirés au sort et tous ses grands chargés de fers[77] ». Elle fut reconstituée à l'assyrienne et les vingt rois remontèrent sur le trône, pour la troisième fois depuis six ou sept ans. Psammétique hérita de la principauté, mais non du rang de son père ; Pakrourou resta le chef de la ligue. Tandamani, réfugié en Éthiopie, ne reparut plus, et l'Égypte fut pour quelques années la vassale docile de l'Assyrie (663-660)[78].

Assourbanabal en avait à peine fini de ce côté que d'autres ennemis se levèrent à l'autre extrémité de son empire  Les Mannaï s'insurgèrent, mais bientôt, se sentant incapables de tenir, ils tuèrent leur roi Akhshéri et le remplacèrent par son fils Oualli qui se hâta de faire sa soumission. Ce n'était là, toutefois, qu'un épisode ordinaire de la vie de frontière : le danger sérieux venait de l'Élam. Tioummân, assis solidement sur le trône, avait commencé aussitôt ses préparatifs de guerre et envoyé des émissaires aux Araméens du Tigre pour les exciter à se joindre à lui. Ils déclinèrent ses avances, mais les Gamboulou les accueillirent et leur roi Dounânou conclut une alliance avec lui. Restait un prétexte à provoquer les hostilités : Tioummân le trouva dans l'hospitalité que ses neveux recevaient à Ninive. Il envoya en réclamer l'extradition  la requête, présentée par deux de ses principaux officiers, Oumbadara et Naboudamiq, ne fut pas écoutée, et Assourbanabal y répondit par une déclaration de guerre. Les prodiges se multiplièrent en sa faveur. Le soleil s'éclipsa au matin ; la déesse Ishtar, consultée, prédit la ruine des Susiens et confirma l'oracle de sa statue par un songe prophétique. « Ne crains rien », dit-elle, et elle combla par là mon coeur de joie, « tu n'auras qu'à lever la main pour voir s'accomplir mon arrêt, car c'est la faveur que je t'accorde ». Cette nuit même où je l'invoquais, un devin s'endormit et rêva un rêve remarquable : Ishtar lui parla et il me répéta ses paroles. « Ishtar d'Arbèles m'est apparue, enveloppée dans sa gloire à droite et à gauche, l'arc à la main, la flèche de guerre prête à partir, la figure courroucée… « Je te larderai, dit-elle, puis j’irai me reposer au temple de Nabo ! Mange donc, bois le vin, fais résonner la musique, glorifie ma divinité jusqu'à ce que je vienne et que ce message soit accompli. Car je t'accorderai de satisfaire ton cœur : l'ennemi ne te résistera pas, il ne s'opposera pas à ta charge. » Ne crains rien pour toi : au milieu de la bataille, elle veillera sur toi et culbutera les rebelles. » Tioummân se retira derrière l'Oulaï et se retrancha dans le bourg de Toulliz, la rivière en front, un bois sur ses derrières. Au moment de livrer bataille, le coeur lui faillit et il dépêcha un de ses généraux, Itouni, au camp assyrien, pour négocier une trêve. Les pourparlers étaient à peine commencés que les avant-postes des deux armées en vinrent aux mains : en quelques moments l'action s'engagea sur toute la ligne. Tioummân eut le dessous. Poursuivi à travers les arbres, son chariot se brisa, lui-même fut blessé et tué, après une courte défense, avec son fils aîné Tammaritou. Ses deux neveux, qui avaient combattu dans les rangs des Assyriens, furent proclamés, Tammaritou vice-roi de Khaïdalou, Khoumbanigash, roi de Suse et de Madaktou sous la suzeraineté d'Assour. Une expédition au pays de Gamboulou, contre le seigneur Dounânou, acheva la guerre. Les vaincus furent traités avec toute la cruauté assyrienne (660)[79], mais l'horreur causée par tant de supplices n'abattit pas le courage des Élamites : Khoumbanigash se laissa bientôt gagner à leurs haines et il devint l'ennemi acharné de ses anciens protecteurs.

Il attendit huit ans l'occasion de manifester ses sentiments. Shamashshoumoukîn avait vécu d'abord en bonne intelligence avec son frère. Il avait complété les travaux qu’Asarhaddon avait commencés et ses constructions avaient absorbé toutes ses ressources. Il semble pourtant qu'après la victoire de Toulliz, Assourbanabal assuma à son égard des allures qui le remplirent d'inquiétude et qui lui inspirèrent des idées de révolte. « Les enfants de Babilou, je les avais exaltés sur des trônes, je les avais revêtus de vêtements superbes, je leur avais mis aux pieds des anneaux d'or : les enfants de Babilou, ils avaient été exaltés en Assour et honorés suivant mon ordre exprès. Et pourtant, lui, Shamashshoumoukîn, mon jeune frère, il ne tint aucun compte de ma suprématie, il souleva le peuple d'Accad, de Kaldou et d'Aram, et les peuples de la côte, d'Aqaba à Babsaliméti, tous mes tributaires, et il les suscita contre mon pouvoir. » Pour obtenir les secours de l'Élam, Shamashshoumoukîn lui prodigua les trésors du temple de Bel à Babylone et du temple de Nabo à Barsip. Ses agents secrets décidèrent les « princes du pays de Gouti, du pays de Martou, du pays de Miloukhkhi, à faire cause commune avec lui ». Amouladdin, cheikh de Kédar, se chargea d'opérer une diversion sur les frontières de Syrie. Ouaïtéh, roi des Arabes, promit d'envoyer son contingent à Babylone sous la conduite de deux émirs renommés, Ama et Abiatéh. La coalition allait de l'Égypte aux bords du golfe Persique, et Assourbanabal ne savait rien encore. Il poussait même la confiance jusqu'à réclamer de Khoumbanigash la restitution d'une image de la déesse Nana que les conquérants élamites avaient enlevée nombre de siècles auparavant. Un incident imprévu le tira soudain de sa tranquillité et lui découvrit l'étendue du danger. Le gouverneur assyrien d'Ourouk apprit de celui d'Ourou qu'un émissaire de Shamashshoumoukîn s'était introduit dans cette ville et qu'il y travaillait sourdement le peuple : après avoir en vain essayé de contrebalancer ces manoeuvres, il avisa son suzerain de ce qui se passait. Shamashshoumoukîn essaya de conjurer l'effet de cette révélation prématurée en protestant de son dévouement à l'Assyrie par une ambassade solennelle. Il gagna de la sorte le temps nécessaire pour compléter ses préparatifs : au retour des ambassadeurs, il jeta, le masque et il déclara la guerre.

Assourbanabal faiblit d'abord devant l'imprévu de cette attaque. Mais, « en ces jours, un devin s'endormit et rêva un rêve : « Voilà, dit le dieu Sin, ce que je prépare à ceux qui complotent contre Assourbanabal, roi du pays d'Assour : un combat aura lieu, après lequel une mort honteuse les attend. Ninip détruira leurs vies par l'épée, par le feu, par la famine ». J'entendis ces paroles et je me fiai à la volonté de Sin, mon seigneur. » Les discordes du clan royal paralysèrent les forces de l'Élam. Khoumbanigash avait dépêché la fleur de son armée à Babylone.  « Oundash, fils de Tioummân, roi d'Élam, Zazaz, chef de Billaté, Parron, chef de Khilmou, Attamitou, chef de ses archers, Nésou, son général ; même il avait dit à Oundash : « Va, venge sur Assour le meurtre du père qui t'a engendré ! » Tammaritou, fils de Khoumbanigash, voyant son père demeuré presque seul en Élam, se révolta contre lui avec la complicité de son oncle Tammaritou, vice-roi de Khaïdalou. L'adhésion de ce dernier fit d'abord hésiter les Susiens ; on se rappelait qu'il avait combattu dans les rangs des Assyriens et tué Tioummân de ses propres mains. Il n'hésita pas à se parjurer pour dissiper ces inquiétudes : « Je n'ai pas coupé, dit-il, la tête du roi d'Élam; c'est Khoumbanigash, et Khoumbanigash seul, qui a baisé la terre devant les messagers d'Assourbanabal ». Khoumbanigash fut décapité avec la plupart des princes de sa famille. A la faveur de cette diversion inespéré, Assourbanabal vainquit Shamashshoumoukîn en rase campagne et il cerna les débris de l'armée dans Babylone, dans Sippar, dans Barsip et dans Kouta. Il assiégeait ces quatre places quand Tammaritou s'avança contre lui pour combattre. « J'adressai, dit-il, ma prière à Assour et à Ishtar ; ils accueillirent mes supplications et ils entendirent les paroles de mes lèvres. Son serviteur Indabigash se déclara contre lui et le mît en déroute sur le champ de bataille. » Tammaritou n'eut d'autre ressource que de s'enfuir à Ninive et de se livrer à la merci du roi d'Assyrie. « Il embrassa mon pied royal et se couvrit la tête de poussière devant l'escabeau de mes pieds. Moi, Assourbanabal, au coeur généreux, je l'ai relevé de sa trahison, je l'ai reçu, lui et les rejetons de la famille de son père, dans mon palais. » Indabigash ne pouvait songer à prendre la campagne aussitôt après la révolution qui l'avait élevé au trône, et, d'autre part, il ne voulait pas traiter avec l'Assyrie ; il rappela ses troupes de Babylonie, et c'était tout ce que les Assyriens attendaient de lui pour le moment (650). Shamashshoumoukîn, privé ainsi de son allié le plus efficace, ne pouvait plus compter sur la victoire. Il résista du moins jusqu'à la dernière extrémité : la famine fut telle, que les assiégés « en furent réduits, pour se nourrir, à manger la chair de leurs fils et de leurs filles ». Les Arabes tentèrent vainement de se frayer un passage à travers les lignes ennemies. Leurs émirs se rendirent à condition qu'ils auraient la vie sauve, et leur défection, tombant sur une population démoralisée, acheva d'y briser les courages : elle se révolta contre ses chefs et elle entama des négociations en dehors d'eux.

Shamashshoumoukîn ne voulut pas tomber vivant entre les mains de son frère : il mit le feu à son palais et il périt dans les flammes avec ses femmes, ses enfants, ses fidèles, au moment même où les Assyriens forçaient les portes. La répression fut impitoyable. « Ce qui ne fut pas brûlé avec Shamashshoumoukîn, son maître, s'enfuit dans le tranchant du fer, l'horreur de la famine et les flammes dévorantes, pour trouver un refuge. La colère des grands Dieux, mes seigneurs, qui n'était pas éloignée, s'appesantit sur eux ; pas un ne s'échappa, pas un ne fut épargné, ils tombèrent tous dans mes mains. Leurs chariots de guerre, leurs harnais, leurs femmes, les trésors de leurs palais, furent apportés devant moi: les hommes dont la bouche avait tramé des complots perfides contre moi et contre Assour, mon seigneur, j'arrachai leur langue et j'accomplis leur perte. Le reste du peuple fut exposé vivant devant les grands taureaux de pierre que Sennachérib, le père de mon père, avait élevés, et moi, je les jetai dans le fossé, je coupai leurs membres, je les livrai en pâture aux chiens, aux bêtes fauves, aux oiseaux de proie, aux animaux du ciel et des eaux. En accomplissant ces choses, j'ai réjoui le coeur des grands Dieux, mes seigneurs. » C'était la deuxième fois, en moins d'un demi-siècle, que Babylone était saccagée par les Assyriens. Quand les soldats et le roi lui-même furent fatigués du massacre, « le reste des enfants de Babilou, de Kouta, de Sippar, qui avait résisté aux souffrances et aux privations, reçut son pardon. J'ordonnai qu'on épargnât leur vie. Je leur imposai les lois d'Assour et de Beltis, les dieux du pays d'Assour, les tributs et les redevances des provinces soumises à ma domination ». S'il eût été sage, il aurait poussé l'oeuvre de destruction jusqu'au bout et il aurait rasé la cité turbulente ; le même respect religieux qui avait désarmé tant de ses prédécesseurs le retint, et il ne résista pas à la tentation de se faire roi de Babylone. Il saisit donc les mains de Bel et il assuma dans son nouveau royaume le nom de Kandalanou, puis il confia le gouvernement de Babylone à un officier assyrien, Shamashdanâni (648)[80].

Une crise aussi violente et aussi prolongée ne pouvait se produire sans nuire  quelque peu au prestige de l'empire. Les alliés et les sujets de vieille date ne bougèrent point, mais les provinces d'annexion récente et les royaumes indépendants rejetèrent la suzeraineté et l'amitié obligatoire qu'ils avaient été contraints de subir. L'Égypte s'était affranchie aussitôt que les affaires s'étaient embrouillées du côté de l'Élam, et ce fut Psammétique le Saïte, le fils de Néchao, qui mena la campagne contre son bienfaiteur : il expulsa les garnisons assyriennes, il réduisit Pakrourou et les princes du Delta, il rétablit l'unité du royaume des Pharaons d'Éléphantine à la Méditerranée. Le détail de ces événements est ignoré de nous. Nous savons seulement qu'il dut ses succès à des bandes de mercenaires venues d'Asie, et que les Assyriens crurent qu'elles lui avaient été fournies par Gygès : ils virent même le châtiment d'Assour pour cette infraction aux relations nouées antérieurement dans le désastre qui frappa la Lydie du fait des Cimmériens vers 645. Pour le moment, Assourbanabal, négligeant ces portions excentriques de sa sphère d'influence, ne songea qu'à punir les peuples qui s'étaient associés directement au crime de Babylone. Il en finit promptement avec les Arabes : il prit leurs chefs Yaouta et Amouladdin de Kédar, et il les remplaça par des cheikhs à sa dévotion, puis il se tourna contre l'Élam. Indabigash, bien que secrètement favorable à Shamashshoumoukîn, avait dû, nous le savons, se tenir sur la réserve : il craignait, en s'aventurant au secours de son allié, de s'exposer à quelque révolte des princes de sa famille. Après la chute de Babylone il donna asile à plusieurs chefs chaldéens, et entre autres à Naboubelzikri, petit-fils de Mérodachbaladan, et, comme son grand-père, roi de Bît-Iâkin. Assourbanabal en tira prétexte  pour provoquer les hostilités. Il réclama les fugitifs : « Si tu ne me rends pas ces hommes, j'irai, je détruirai tes cités, j'emmènerai le peuple de Shoushan, de Madaktou et de Khaïdalou, je te jetterai à bas de ton trône et j'y assiérai un autre en ta place ; comme jadis j'écrasai Tioummân, je t'anéantirai ». Indabigash refusa de livrer ses hôtes ; des négociations s'engagèrent, pendant lesquelles un général susien, Khoumbankhaldash, assassina son maître et saisit le diadème. Assourbanabal profita de ces dissensions. « Bît-Imbi l'ancienne est la capitale des places fortes du pays d'Élam, elle en divise la frontière comme une muraille. Sennachérib, roi d'Assour, le père du père qui m'a engendré, l'avait prise ; mais les Élamites avaient construit devant Bît-Imbi l'ancienne une autre ville, ils l'avaient fortifiée, ils avaient élevé ses remparts et l'avaient nommée Bît-Imbi. Je la forçai au cours de mon expédition, j'en détruisis les habitants qui n'étaient pas venus solliciter l'alliance de ma royauté, je leur coupai la tête, je leur arrachai les lèvres, et pour les montrer aux habitants de mon empire, je les envoyai au pays d'Assour. » Khoumbankhaldash quitta Madaktou et s'enfuit dans les montagnes. Tammaritou qui avait suivi Assourbanabal, fut restauré sur le trône comme vassal de l'Assyrie. Mais bientôt, las du rôle odieux qu'il jouait, il complota de massacrer les garnisons assyriennes : il fut trahi et livré au vainqueur[81].

Cette diversion permit à Khoumbankhaldash de respirer ; il rentra dans Madaktou et il s'empara même de Bît-Imbi. Ce ne fut qu'un succès passager. Au printemps de l'année suivante, Assourbanabal descendit en Élam, emporta l'une après l'autre toutes les lignes de défense établies en avant de Suse, et enleva la ville même. « Par la volonté d'Assour et d'Ishtar, j'entrai dans ses palais et je m'y reposai avec orgueil. J'ouvris leurs trésors, je pris l'or et l'argent, leurs richesses, tous ces biens que le premier roi d'Élam et les rois qui l'avaient suivi avaient réunis et sur lesquels aucun ennemi encore n'avait étendu la main, je m'en emparai comme d'un butin… J'enlevai Shoushinak, le dieu qui habite dans les forêts, et dont personne n'avait encore vu la divine image, et les dieux Soumoudou,  Lagamar, Partikira, Amman-Kashibar, Oudouran, Shapak, dont les rois du pays d’Élam adoraient la divinité, Ragiba, Shoungourshara, Karsha, Kirshamas, Soudounou, Aipakshina, Bilala, Panintimri, Shilagara, Napsha, Nalirtou et Kindakarbou, j'enlevai tous ces dieux et toutes ces déesses avec leurs richesses, leurs trésors, leurs pompeux appareils, leurs prêtres et leurs adorateurs, je transportai tout au pays d'Assour. Trente-deux statues des rois en argent, en or, en bronze et en marbre, provenant des villes de Shoushan, de Madaktou, de Khouradi, la statue de Khoumbanigash, le fils de Khoumbadara, la statue d'Ishtarnakhounta, celle de Khalloudoush, la statue de Tammaritou, le dernier roi qui, d'après l'ordre d'Assour et d'Ishtar, m'avait fait sa soumission, j'envoyai tout au pays d'Assour. » La statue de Khalloudoush fut l’objet d'outrages indignes : « La bouche qui souriait menaçante, je la mutilai ; ses lèvres qui respiraient le défi, je les arrachai ; ses mains qui avaient tenu l'arc contre l'Assyrie, je les tranchai net ». Le crime de Khalloudoush était d'avoir battu Sennachérib. « Je brisai les lions ailés et les taureaux qui veillaient à la garde des temples. Je renversai les taureaux ailés fixés aux portes des palais du pays d'Élam et qui jusqu'alors n'avaient pas été touchés ; je les ruai bas. J'emmenai en captivité les dieux et les déesses. Leurs forêts sacrées, dans lesquelles personne n'avait encore pénétré, dont les frontières n'avaient pas été franchies, mes soldats les envahirent, admirant leurs retraites, et les livrèrent aux flammes. Les hauts lieux de leurs rois, les anciens et les nouveaux qui n'avaient pas craint Assour et Ishtar, mes seigneurs, et qui étaient opposés aux rois mes pères, je les renversai, je les détruisis, je les brûlai au soleil ; je déportai leurs serviteurs au pays d'Assour, je laissai leurs croyants sans refuge, je desséchai les citernes. » Pendant un mois et vingt-cinq jours toute la région basse de l'Élam fut livrée aux soldats et saccagée sans merci. Ce qui resta de la population au bout de ce temps fut dispersé, « comme des troupeaux de moutons », dans les villes où siégeaient les préfets, les commandants militaires et les gouverneurs de l'Assyrie (640).

Khoumbankhaldash conservait la montagne ; pour obtenir la paix, il offrit au monarque assyrien de lui livrer Naboubelzikri. Plutôt que de venir vivant au pouvoir de l'ennemi, Naboubelzikri se fit tuer par son écuyer (645). Son corps fut remis aux messagers du roi d'Assyrie, qui le décapita et le jeta à la voirie en défendant de lui donner la sépulture. Cette lâcheté ne sauva pas Khoumbankhaldash ; les vainqueurs le poursuivirent jusque dans les solitudes où il s'était retiré et ils le contraignirent à s'abandonner lui-même à leurs mains. Mené à Babylone, il y rencontra deux de ses compétiteurs, Tammaritou et Pakhé, ainsi que Ouaïtéh, roi d'Arabie. Assourbanabal se plut à les réunir tous quatre dans un même châtiment et dans une même honte ; un jour qu'il offrait un sacrifice, il les attela au timon de son char de guerre et il se fit traîner par eux jusqu'à la porte du temple. La défaite de Khoumbankhaldash acheva l'abaissement des Susiens. Une partie des contrées sur lesquelles il avait régné fut annexée et administrée directement par les généraux assyriens ; les clans sauvages des montagnes échappèrent à la servitude, et réussirent plus tard à délivrer les tribus de la plaine. Mais le coup porté par Assourbanabal avait été trop rude pour que les effets ne s’en fissent pas sentir longtemps encore d'une manière désastreuse. L'Élam, le plus ancien des États de l'Asie antérieure, disparut de la scène du monde. Les souvenirs de son histoire réelle s’effacèrent bientôt au milieu des légendes : le fabuleux Memnon remplaça dans la mémoire des peuples ces lignées de souverains ambitieux et de hardis conquérants qui avaient possédé Babylone et la Syrie, en des temps où Ninive n'était qu'une simple bourgade (643). Le dernier acte de ce drame sanglant eut le désert pour théâtre. A peine assis sur le trône d'Arabie, Abiatéh avait rejeté le joug assyrien et s'était allié avec Nathan le Nabatéen. Tant que l'Élam avait résisté, Assourbanabal avait fermé les yeux sur la trahison de son vassal Khoumbankhaldash abattu, il songea à la vengeance. Il quitta Ninive au printemps de 642, franchit l'Euphrate, traversa la ligne de collines alors boisées qui borde à l'orient le cours de ce fleuve, s'approvisionna d'eau à la station de Laribda, et s'enfonça dans le désert à la recherche des rebelles. Malgré les souffrances de son armée, il traversa le pays de Mash et de Kédar, pillant les bourgs, brûlant les tentes, comblant les puits, ramassant les femmes et les bestiaux, et il arriva à Damas avec un butin immense. Les Arabes terrifiés désarmèrent : restaient les Nabatéens, que l'éloignement encourageait à persévérer. Assourbanabal ne s'attarda pas à célébrer longuement sa victoire dans la capitale de la Syrie : le 3 Ab, quarante jours après avoir quitté la frontière chaldéenne, il partit de Damas dans la direction du sud, enleva la forteresse de Khalkhouliti, au pied du plateau que dominent les montagnes du Hauran, et toutes les bourgades du pays l'une après l'autre, bloqua les habitants dans leurs retraites et les réduisit par la famine. Abiatéh fut pris, Nathan se racheta par la promesse d'un tribut. Au retour, on châtia plusieurs villes de la côte phénicienne, Akko, Oushou, et on raffermit par ce trait de vigueur la fidélité chancelante des vassaux syriens. Ninive regorgea de richesses : les chameaux volés aux Arabes étaient en si grand nombre qu'on les vendit, « comme des moutons », aux portes de la ville pour un demi shekel d'argent pièce.

Jamais la victoire d'Assour n'avait été plus complète, et pourtant, à bien y regarder, il sortait de la lutte presque aussi affaibli que l'Élam. En résumé, c'étaient toujours les mêmes dangers et les mêmes difficultés qu'au temps d'Assournazirabal ou de Tiglatphalasar ; pour conserver leur autorité, les rois étaient contraints de courir sans relâche d'une extrémité de leur empire à l'autre. Toute guerre qui se continuait pendant quelques années et qui les retenait à l'est, relâchait à l'ouest les liens d'allégeance ; il fallait régulièrement recommencer la conquête ou renoncer à l'acquis des expéditions précédentes. Assourbanabal, épuisé par sa lutte contre l'Élam, dut renoncer à la guerre perpétuelle et il résigna ses droits à la suzeraineté de l'Égypte, sur les Tabal, sur la Lydie. Il n'en resta pas moins le souverain le plus puissant du monde oriental. Presque le dernier de sa race, il fut celui dont la domination s'étendit le plus et il dépassa ses prédécesseurs en activité, en énergie, en cruauté, comme si l'Assyrie, se sentant près de sa ruine, avait voulu réunir en un seul homme toutes les qualités qui avaient fait sa grandeur et tous les défauts qui ont souillé sa gloire[82].

Chapitre XI - Les débuts de la Médie

Les Mèdes et les Perses : Déiôkês.

Les Sargonides avait fondé sur les débris des royautés partielles un grand empire sémite. Araméens, Juifs, Phéniciens, les gens de l'Assyrie, même quelques tribus arabes, tout ce qui parlait un dialecte sémitique entre l'isthme de Suez et l'embouchure de l'Euphrate, reconnaissait un même chef et était réuni pour la première fois sous une même domination : les peuples conquérants d'autrefois, Égyptiens, Élamites, clans de la Chaldée, avaient succombé tour à tour. Mais le triomphe de la race sémitique sur ces vieilles races civilisées de l'ancien monde avait été acheté chèrement. Nous avons vu quel avait été le sort de Babylone et des Araméens d'Orient pendant les dernières guerres ; les Sémites occidentaux avaient souffert encore plus que leurs cousins de Mésopotamie et de Chaldée. La Syrie, jadis si riche et peuplée si dru, était en pleine décadence : Qodshou n'existait plus que dans le souvenir confus des scribes égyptiens ; Gargamish, Damas, Hamath, perdaient chaque jour de leur importance politique ou commerciale. La Cœlé-Syrie, écrasée par dix siècles de combat, restait inerte à la merci du premier ennemi ; Moab, Ammon, les Philistins, étaient plus qu'à moitié ruinés, Israël avait disparu : les Phéniciens et les Juifs conservaient encore quelques signes de vie, mais leurs révoltes et leurs intrigues ne nuisaient plus qu'à eux-mêmes, et le jour où le puissant souverain de Ninive se lasserait d’avoir à les réprimer, il n'aurait qu'à lever le doigt pour les précipiter de l'état de tributaires autonomes à l'état de sujets.

Et pourtant, au moment même où il semblait qu'Assourbanabal n'eût plus qu'à jouir en paix du fruit de ses victoires, le peuple se levait et s'organisait qui, dans l'espace d'une génération, allait détruire son oeuvre et celle de ses ancêtres. Le pays à l'Est de l'Assyrie se divise assez naturellement en deux zones : l'une de montagnes, qui sépare le bassin du Tigre de celui de la Caspienne, l'autre de plaines, qui s'en va, au Sud vers l'Océan Indien, à l'Est vers l'Helmend. La partie montagneuse s'appuie contre un massif à peu près triangulaire, élevé sur les côtés, creux au centre les eaux, descendues au fond de la dépression, s'y amassent en un lac sans issue[83], situé, comme la Mer Morte, bien au-dessous du niveau de l'Océan et tellement saturé de sel que nul poisson n'y vit. L'Elbourz se détache de ce plateau à l'Est, et, après avoir côtoyé la Caspienne, il va rejoindre au loin l'Indou-Koush ; un de ses sommets, le Demavend, s'élance en pyramide à prés de vingt mille pieds dans les airs, et il passe pour le pic le plus haut de cette région[84]. Sur le côté opposé, cinq ou six rangées parallèles courent, bien connues des géographes grecs et romains sous les noms de Khoatras et de Zagros. Elles s'inclinent en général du N.N.O. au S.S.E. et elles étreignent une contrée entrecoupée de torrents et de ravins profonds, de crêtes presque inaccessibles et de vallées fertiles, qui débouchent sur l'Assyrie ou sur l'Élam et qui versent leurs fleuves dans le Tigre. Derrière ces lignes naturelles, comme derrière les murs d'un vaste camp retranché, s'étale un plateau ondulé légèrement dont la lisière, bien arrosée par de nombreux cours d'eau, nourrit une population nombreuse ; mais, à mesure qu'on s'enfonce dans l'intérieur, les rivières se tarissent et la sécheresse règne en maîtresse. Le sol, sans approcher celui de l'Égypte ou de la Chaldée, abonde en ressources. Les montagnes renferment du cuivre, du fer, du plomb, un peu d'or et d'argent, plusieurs espèces de marbre blanc et coloré[85], des pierres précieuses et surtout un lapis-lazuli fort estimé des anciens[86]. Nues par endroit, elles se revêtent le plus souvent d'épaisses forêts dont les pins, les chênes, les peupliers, s'associent au plane oriental, au noisetier, au saule. Les flancs du Zagros et les rives de l'Ouroumiyéh sont de véritables vergers où prospèrent la poire, la pomme, le coing, la cerise, la pêche, l'olive. Le plateau est plus pauvre et de moindre apparence : des arbres en petite quantité, au voisinage des rivières et des étangs ; du froment, de l'orge, du seigle et des légumes excellents, dans les cantons où l'eau ne manque pas. On y trouvait, à côté des bêtes féroces appartenant aux espèces les plus redoutables, le lion, le tigre, le léopard[87], l'ours, beaucoup d'animaux domestiques ou susceptibles de le devenir, l'âne sauvage, le buffle, la chèvre, le chien, le dromadaire et le chameau à deux bosses, alors presque inconnu en Assyrie et en Égypte, même plusieurs races de chevaux, dont une, la niséenne, était renommée pour sa force, sa taille et son agilité[88]. Les premiers conquérants assyriens, Tougoultininip et Tiglatphalasar 1er, ne franchirent pas la barrière du Zagros et du Khoatras. Leur effort porta presque entièrement sur les tribus à demi civilisées qui s'agitaient entre le Tigre et le plateau de l'Iran, et, s'ils se hasardèrent quelquefois au delà, ce fut comme au hasard et sans idées de conquête sérieuse. Assournazirabal eut trop d'occupation en Syrie et en Arménie pour rien entreprendre à l'est ; Salmanasar, plus libre que son prédécesseur, pénétra probablement jusqu'à la lisière du désert, et son fils Shamshiadad s'avança à trois reprises assez loin vers l'orient pour qu'on puisse le soupçonner d'avoir été en contact avec le peuple des Mèdes[89].

Les Mèdes se qualifiaient eux-mêmes d'Ariens[90] : vers le ve siècle avant notre ère, ils se partageaient en six tribus, les Buses, les Parétacènes, les Strouchates, les Arizantes, les Budiens et les Mages[91]. Ils avaient conservé vaguement le souvenir de l'époque où, réunis à d'autres nations de même souche, ils erraient dans L'Airyanêm–Vâedjô[92]. Les historiens modernes ont placé d'abord cette contrée mythique sur les bords de l'Oxus et de l'Iaxarte, non loin de ce prétendu plateau de Pamir qu'ils regardaient comme le point de départ des races indo-européennes. Ils conjecturèrent qu'une partie des tribus descendit vers le sud dans le bassin de l'Indus et de ses affluents, tandis que d'autres mettaient en culture les oasis fertiles du Margou et du Hvârazmi[93]. Les rédacteurs des livres sacrés de l'Iran prétendaient même connaître les étapes de la roule que les Mèdes et les Perses parcoururent avant de s'enraciner sur le sol de l'Iran[94]. Ils assuraient que leurs ancêtres avaient habité des régions diverses qu'Ahouramazdâ, le dieu bienfaisant, créait pour eux, mais d'où les manoeuvres du mauvais principe, Angrômaïnyous, les chassaient toujours. Forcés par le froid de déserter l'Airyanêm-Vâedjô, ils se répandirent sur la Çoughdhâ[95] et la province de Moûrou[96]. Les guerres civiles et les incursions des nomades voisins les contraignirent à s'exiler et ils se détournèrent vers l'est, dans Bâkhdhi, « le pays des hautes bannières[97] », puis vers le sud-est, dans la contrée de Niçâya « qui est entre Bâkhdhi et Moûrou[98] ». A partir de Niçâya, ils pénétrèrent sur le plateau de l'Iran par l'Harôyou[99] et ils débordèrent sur le Vaêkereta-Douhzaka[100], où ils se séparèrent en plusieurs corps de nation[101]. Les uns traversèrent l'Haraqaïti[102], l'Haêtoumat[103], et débouchèrent dans l'Heptahendou[104] ; les autres inclinèrent à l'ouest par l'Ourvâ[105], le Khnentâ-Vehrkanâ[106],  Rhagâ[107], le Tchakhrâ[108],  jusqu'au Varena et aux rives occidentales de la mer Caspienne[109]. Ce ne sont là que des légendes inventées après coup. Il est vraisemblable que les Iraniens vinrent d'Europe à travers le Caucase, et que leur pays traditionnel d'origine, l'Aryanêm-Vaêdjô, doit être cherché vers les plaines de l'Araxe et du Kour[110].

Les Mèdes conquirent pied à pied le sol de leur nouvelle patrie. L'histoire a perdu le détail de leurs premières luttes contre les maîtres anciens du pays, mais les traditions persanes ont conservé jusqu'au moyen âge le récit des exploits fabuleux qui les signalèrent et les noms des héros légendaires qui y furent engagés. Dés l'antiquité, les Perses, ne pouvant admettre qu'un peuple de leur race eût joué si récemment encore un rôle insignifiant dans l'histoire du monde, composèrent pour cette époque une sorte de roman glorieux, dont Ctésias de Cnide recueillit et consigna dans ses livres les inventions principales. Il plaça vers 788 la révolte d'Arbakès, la prise de Ninive, la fondation d'un vaste empire mède qui se prolongea sans interruption jusqu'à Cyrus. Les noms de ces prétendus rois manquaient, ainsi que les années de leur règne : il créa une dynastie de toutes pièces un Arbacès, un Mandaukas, un Sosarmos, et cinq autres à la file[111]. Les monuments assyriens nous ont donné la preuve de cette fraude. Lorsque Tiglatphalasar III effleura la Médie, dans les années qui correspondent au règne du prétendu Mandaukas, le pays était réparti entre un grand nombre de chefs indépendants qui exerçaient l'autorité chacun sur son canton, et qui ne relevaient d'aucun pouvoir supérieur : il se borna à opérer quelques razzias productives. Vingt ans plus tard, vers 783, Sargon monta sur le plateau même, s'empara de la plupart des villes, les annexa à l'Assyrie, et construisit des forteresses sur plusieurs des points importants. Fidèle aux traditions de la politique assyrienne, il déporta des Mèdes dans les provinces occidentales de son empire, à Hamath, dans la Cœlé-Syrie, et il sema la Médie de colonies syriennes : une partie des Juifs de Samarie y fut exilée de la sorte[112]. Comme tribut enfin, il exigea chaque année le don d'un certain nombre d'étalons niséens. Il régnait en souverain sur tous les chefs de la région, sur celui d’Allabria et sur celui d'Ellibi[113], sur les princes d'Agazi, d'Ouriakkou, d'Ambanda, de Zikartou, et sur vingt autres dont nous ne savons où placer les domaines. Deux ou trois noms de chefs ont la forme iranienne, Pharnês, Ariya, Vastakkou, et le seul district dont on puisse dire qu'il était à coup sûr occupé par les Ariens, celui de Partakanou, figure le dernier et le plus lointain sur la liste des tributaires. Un seul nom tranche sur la masse, celui d'un Dayaoukkou, dont la légende s'empara bientôt pour lui attribuer la fondation de l'empire mède[114].

Hérodote nous raconte, on effet, que vers 708, c'est-à-dire au moment où Sargon était tout-puissant, les tribus éparses de la Médie s'étaient réunies en un corps de nation et que les principautés isolées s'étaient fondues en un royaume unique. « Il y avait chez les Mèdes un homme sage, à qui était nom Déiôkès, le fils de Phraortès. Ce Déiôkès, enamouré du pouvoir, fit comme il suit : Les Mèdes vivaient par bourgades ; lui qui était, dés avant cela, des plus considérés dans la sienne, mit de plus en plus son étude à la pratique de la justice ; et il en agissait ainsi quand le désordre était grand par toute la Médie, sachant combien l'injustice est ennemie du juste. Les Mèdes de sa bourgade, voyant ses manières, le choisirent pour leur juge, et lui, comme il courtisait le pouvoir, était droit et juste. Agissant de la sorte, il eut louange non petite de ses concitoyens, à ce point qu'apprenant ceux des autres bourgades qui avaient été jusqu'alors frappés d'injustes sentences, comment Déiôkès était le seul homme qui jugeât selon le droit, dés qu'ouïrent la chose, tout contents accoururent vers Déiôkès et, jugés eux aussi, à la fin ne s'adressèrent plus à aucun autre. Comme la foule des clients augmentait toujours à mesure qu'on se persuadait de l'équité de ses jugements, voyant Déiôkès que tout reposait sur lui, plus ne voulut s'asseoir au lieu où s'asseyant jusqu'alors avait rendu justice, et assura qu'il ne voulait plus juger ; car point ne trouvait son compte à négliger ses propres affaires pour juger tous les jours celles d'autrui. Les rapines et le désordre revenant dans les cantons plus qu'ils n'avaient fait auparavant, les Mèdes s'assemblèrent en un même lieu et se consultèrent entre eux, parlant pour ce qu'il convenait faire. Selon ce que je pense, les amis de Déiôkès parlèrent plus que tous les autres : “Nous ne pouvons continuer d'habiter le pays dans l'état où nous sommes. Allons, établissons un d'entre nous comme roi, et ainsi le pays sera bien gouverné et nous retournerons à nos affaires, et nous ne serons pas maintenus par l'injustice dans un état de trouble perpétuel”. Parlant à peu prés ainsi, ils se persuadèrent qu'ils voulaient un roi. Et sur-le-champ on examina qui on élirait roi  Déiôkès fut proposé et fort loué par un chacun, si bien qu'ils convinrent de l'élire roi[115]. » Une fois maître, Déiôkès se construisit un grand palais et s'entoura d'une garde royale. Il commanda ensuite à ses sujets d'abandonner leurs villages et de s'assembler auprès de lui, dans les murs d'une grande capitale. « Les Mèdes, dociles à ses ordres, bâtirent cette ville immense et bien fortifiée qu'on nomme Acbatana. Ses enceintes sont excentriques et construites de telle sorte que chacune dépasse l'enceinte inférieure seulement de la hauteur de ses créneaux. L'assiette du lieu, qui s'élève en colline, favorisa cet arrangement. Il y avait en tout sept enceintes, et dans la dernière le palais et le trésor du roi. Le pourtour de la plus grande égale à peu prés le pourtour d'Athènes. Les créneaux de la première sont peints en blanc ; ceux de la seconde en noir ; ceux de la troisième en pourpre ; ceux de la quatrième en bleu ; ceux de la cinquième sont d'un rouge orangé. Aux deux dernières, les créneaux sont argentés pour l'une et dorés pour l'autre. Toutes ces fortifications, Déiôkès les fit élever pour lui-même et pour son palais ; il commanda au peuple de se loger hors de la citadelle. La ville terminée, il posa le premier en règle que nul n'entrerait chez le roi, mais que toutes les affaires s'expédieraient par l'entremise de certains officiers qui les rapporteraient au monarque ; qu'il serait indécent de regarder le prince en face, de rire ou de cracher en sa présence. Il établissait ce cérémonial autour de lui pour ne pas donner à ses contemporains élevés avec lui, aussi bien nés et aussi bien doués que lui, l'occasion de s'aigrir à sa vue et conspirer contre lui : il pensait qu'en se rendant invisible à ses sujets, ils finiraient par le considérer comme un être d'une nature différente.[116] »

Deux ou trois faits à peu prés positifs se détachent sur ce fond de légendes. Il est vraisemblable que le Dayaoukkou des textes assyriens, le Déiôkès d'Hérodote, se créa réellement une principauté importante aux pieds de l'Elvend et qu'il y fonda Ecbatane la Grande, ou du moins qu'il l'éleva au rang de capitale. Il ne devint jamais le souverain vénérable que la postérité s'imagina qu'il était, et le territoire soumis à son autorité représente à peine la moitié de ce qu'était la Médie à l'époque classique. Il n'en réussit pas moins - et c'est ce qui lui valut sa renommée par la suite - à fournir aux tribus Mèdes un centre autour duquel elles se rallièrent peu à peu. L'oeuvre de concentration était à peine commencée sous Sennachérib, et ce n'est pas sans raison que la légende considérait le long règne de Déiôkès comme une époque de paix. Le demi-siècle de durée qu'elle lui assigne correspond au moment de la plus grande puissance assyrienne : sous Sennachérib, sous Asarhaddon, sous Assourbanabal, la Médie, trop faible encore pour se rendre indépendante, relevait des gouverneurs installés à Kharkhar et elle leur versait son tribut avec résignation[117].

La tradition assignait un certain Phraortès[118] pour successeur au pacifique Déiôkès. Il monta sur le trône vers 655, en un temps où l'étoile d'Assourbanabal était encore dans l'ascendant, et il ne semble pas qu'il ait essayé tout d'abord de secouer le joug assyrien. Il débuta par l'annexion des petits États les plus proches, puis il s'attaqua à l'autre branche de la race, celle qui, par le nombre et par la valeur militaire de ses clans, était seule capable d'entrer en compétition avec son propre peuple[119]. Les Perses, concentrés à l'origine dans les vallées étroites qui coupent le plateau iranien, vers le sud, avaient pris occasion des embarras de l'Élam et de ses luttes avec l'Assyrie, pour se développer à ses dépens, depuis la fin du viiie siècle. Ils choisissaient leurs rois dans la famille d'un certain Akhamanish, l'Achéménès des Grecs, lequel, au temps de l'invasion iranienne, aurait été le chef de la principale des tribus persanes, celle des Pasargades. Achéménès aurait eu pour successeur un Téispès, qui régnait pendant les années où Assourbanabal consomma la ruine de Suse : il acquit la partie orientale de l'Élam et il s'intitula roi d'Anshân[120]. La Perse, telle qu'elle se trouva constituée par cette annexion, s'étendait depuis l'embouchure de l'Oroatis, le Tab des modernes, jusqu'à l'entrée du détroit d'Ormuzd. La région des côtes, dont les alluvions ont grandement modifié le tracé depuis l'antiquité, est formée de bancs de sable et d'argile rangés parallèlement : elle est stérile et mal arrosée. Le reste du pays est coupé par plusieurs chaînes de montagnes qui vont s'élevant toujours, de la mer au plateau : il est infécond par places, surtout au Nord et à l'Est, mais boisé ailleurs et riche en céréales. Quelques rivières seulement, l'Oroatis, l'Araxès (Bendamir) et le Kyros (Kourab) rompent la barrière côtière jusqu'à la mer : la plupart des eaux n'ont pas d'écoulement et elles s'accumulent au fond des vallées, en lacs qui varient de surface selon les saisons. Les dix ou douze tribus, en lesquelles les Perses se divisaient, se répartirent ce territoire assez inégalement. Les Pasargades, parmi lesquels on élisait les rois, les Maraspiens et les Maspiens, dont les chefs appartenaient aux sept familles les plus nobles de la nation, se cantonnèrent sur le rebord du plateau, autour de la ville de Pasargades. Les Panthialéens, les Derusiéens et les Carmanes menaient la vie sédentaire dans les régions de l'Est, tandis que les Daens, les Mardiens, les Dropiques et les Sagartiens séjournaient, à l'état nomade, dans les districts les plus rapprochés de la Susiane. Les Perses étaient une race intelligente et fine, dure à la fatigue, belliqueuse d'instinct. Ils étaient hauts et minces de taille, larges d'épaules et de hanches, avec une tête petite et une abondance de cheveux et de barbe bouclée, un nez droit, une bouche ferme, un oeil perçant et alerte. Phraorte triompha d'eux, malgré leur vaillance, et, renforcé de leurs contingents, il réussit à conquérir tous ses voisins[121].

Ce succès l'enivra au point qu'il se crut de taille à affronter les Assyriens. Cela se passait vers 635, une dizaine d'années après la chute de l'Élam, et il n'est pas probable que l'Assyrie eût décliné sensiblement pendant cet intervalle de temps. Assourbanabal, vieilli et saoul de victoires, se tenait partout sur la défensive, et il ne se mettait en mouvement qu'à la dernière extrémité, sur la menace d'une révolte à l'intérieur ou d'une agression étrangère. Il employait ses loisirs à construire des temples ou à décorer des palais et à recueillir dans les bibliothèques sacrées, surtout dans celles de Babylone, les vieux livres qui renfermaient la littérature, les sciences, les arts, l'histoire de la Chaldée ancienne. Il les faisait transcrire par ses scribes et, de ces copies, il formait à Ninive une bibliothèque dont les débris sont arrivés jusqu'à nous[122]. C'est ce moment de prospérité unique que Phraorte choisit pour le défier. Nous n'avons aucun renseignement sur la marche de la guerre : nous savons seulement que les Mèdes furent vaincus et que leur roi tomba sur le champ de bataille avec la plus grande partie de ses troupes[123]. Son fils Cyaxare n'abandonna point la partie, mais, avant de reprendre l'offensive, il réforma le recrutement et l'organisation de son armée. Jusqu'alors, celle-ci n'avait été qu'une assemblée hétérogène de milices féodales : chaque tribu fournissait son contingent, qui agissait séparément sous les ordres du roi. Cyaxare en rompit l'unité, et il rangea, d'après les affinités, les éléments dont ils se composaient, groupant les cavaliers avec les cavaliers, les archers avec les archers, les piquiers avec les piquiers, selon l'ordonnance assyrienne. Nul danger ne pouvait être plus sérieux pour l'Assyrie que l'établissement d'une grande puissance militaire sur ses marches orientales. Une agression lancée d'Égypte ou d'Asie-Mineure avait à traverser l'empire dans toute sa largeur avant d'atteindre les bords du Tigre. La distance était moins longue à parcourir pour un ennemi venant de l'Ourartou ou de l'Élam, mais les obstacles naturels opposés par les montagnes et par les rivières étaient presque insurmontables. Il n'en était pas de même lorsque la Médie était le point de départ : une fois forcée la chaîne de forteresses qui couvrait la frontière, l'attaque tombait droit sur Ninive par une route courte et facile, et elle frappait l'empire au coeur. Cyaxare défit les généraux d'Assourbanal, et pour la première fois depuis un siècle, l'Assyrie propre connut les horreurs de l'invasion étrangère. Les Sargonides, prévoyants de l'avenir, avaient transformé lentement le triangle compris entre le confluent du petit Zab et du Tigre en un vaste camp retranché, dont le front nord était couvert d'une ligne de châteaux forts et à qui Ninive et Kalakh servaient de réduits. Les obstacles y étaient accumulés avec une telle profusion que Cyaxare aurait dû reculer devant les difficultés de l'entreprise. L'idée que les trésors de Susa, de Babylone, de la Syrie, de l'Égypte, étaient là, presque à portée de se main, derrière les murailles, stimula son courage : il refoula les restes des vaincus dans Ninive et il commença le blocus de la place[124].

La Judée : la renaissance de l'Égypte

Le bruit de ce désastre dut produire un mouvement d'attente et de surprise dans toutes les provinces et chez les vassaux, qui s'étaient habitués à considérer leurs maîtres comme vraiment invincibles. Ils pensèrent sans doute que l'heure de la délivrance était proche ; étaient-ils eux-mêmes en état de profiter des circonstances et de faciliter sa tâche au Mède qui les vengeait ?

La Babylonie était trop fortement sous l'impression de sa dernière défaite, mais les petits royaumes encore indépendants de la Syrie, les Phéniciens, les Juifs, les gens de Moab et d'Ammon, relégués aux extrémités de l'Empire, avaient la partie belle. Le désastre que Sennachérib avait éprouvé dans le désert d'Égypte avait été l'occasion d'un grand triomphe pour les prophètes hébreux. Isaïe et le petit cercle qui l'entourait, Ezéchias lui-même et ses proches, avaient attribué la délivrance à un miracle, et ils s'étaient sentis confirmés dans leur piété par la destruction soudaine des bataillons vainqueurs. La preuve était faite du pouvoir de Jahvé et de son aversion pour tout ce qui était culte idolâtre ou alliance avec l'étranger. Samarie avait suivi les anciens errements et elle avait imploré le secours de Pharaon, malgré les avertissements répétés d'en haut[125] : elle avait succombé sans espoir de relèvement. Jérusalem s'était repentie au bon moment et elle avait surmonté la rage de son adversaire ; Sennachérib avait vu « la vierge fille de Sion le mépriser, la fille de Jérusalem hocher la tête derrière lui[126] », La joie d'échapper au danger ne fut pas cependant assez vive pour faire oublier à Ezéchias combien la puissance de l'Assyrie restait redoutable. Non seulement il respecta les conditions de la paix, mais tout semble montrer qu'il se renferma jusqu'à sa mort dans une réserve complète, et qu'il s'appliqua à ne pas provoquer un retour offensif par quelque manoeuvre inconsidérée. Cette prudence, que la politique mondaine lui conseillait, Isaïe et les prophètes ne cessaient de la lui recommander au nom de Dieu.  Sans doute Jahvé est tout-puissant et s'il promet de détruire les ennemis, « comme je l'ai résolu, ainsi cela sera ; - comme je l'ai arrêté, ainsi cela s'accomplira ! - J'écraserai l'Assyrien dans son pays, sur mes montagnes je le foulerai aux pieds. - pour que son joug ne pèse plus sur eux, - pour que son fardeau soit ôté de leurs épaulés ![127] » Mais le peuple n'est pas encore mûr pour la religion idéale. Il regrette au fond du coeur les hauts lieux, les bois mystiques, la pompe des holocaustes, les joies bruyantes et les voluptés des fêtes d'autrefois ; avant d'être complètement digne de sa destinée, il doit périr presque entier ; et les désastres récents de Damas et de Samarie, ces deux rivaux héréditaires de Juda, laissent assez comprendre quel sort l'Assyrien préparait au reste des douze tribus, le jour où le roi de Ninive, fatigué des révoltes du peuple de Dieu, songerait sérieusement à la vengeance. Le massacre, l'exil, la déportation en pays lointain étaient procédés habituels de la politique orientale. Juda les avait vu appliquer à ses voisins trop souvent pour ne pas pressentir le jour où on les lui appliquerait à lui-même. Mais il ne saurait être mauvais tout entier, sinon, Dieu l'aurait-il choisi pour être son peuple ? Il porte en lui une « semence sainte[128] » qui ne germera que dans l'exil, au milieu du remords et de l'angoisse. Si Jérusalem est brûlée, si le temple est rasé, si Juda est emmené en servitude, ce ne sont qu'épreuves passagères : Dieu veut purifier Sion par la douleur et par le sang. Lorsque les jugements dont il accable toutes les nations, les fortes aussi bien que les faibles, seront accomplis, quand, dans Juda, le criminel et le pécheur, le serviteur des idoles et le faux prophète, auront disparu, « quand il aura lavé la souillure des filles de Sion, et qu'il aura essuyé le sang de Jérusalem d'au milieu d'elle[129] », quand « le reste d'Israël et les débris de la maison de Jacob seront convertis au Dieu fort et puissant[130] », des ruines de la Jérusalem coupable une Jérusalem parfaite sortira, gouvernée par un roi idéal, dont ta gloire se répandra partout. « Or il arrivera, sur la fin des jours, - que la montagne de la maison de l'Éternel - se dressera à la tête des montagnes et s'élèvera au-dessus des collines. - Et toutes les nations y afflueront, et des peuples nombreux viendront et diront - Allons monter à la montagne de Jahvé, - à la maison du Dieu de Jacob, - pour qu'il nous instruise dans ses voies et que nous marchions dans ses sentiers ! - Car c'est de Sion que viendra l'enseignement, - et la parole de l'Éternel de Jérusalem. - Et il sera l'arbitre des générations, - et à de nombreux peuples il dictera ses arrêts, - et de leurs épées ils forgeront des socs de charrue, - et de leurs lances des serpettes : - une nation ne lèvera plus l'épée contre l'autre, - et elles ne sauront plus rien de la guerre. - Maison de Jacob ! allons, marchons dans la lumière de l'Éternel ![131] » Ainsi s'exprimait un prophète inconnu, et plus d'un parmi les gens de l'entourage d'Ezéchias devait partager son sentiment, car Isaïe et Michée ont recueilli ses paroles et les ont insérées dans leurs propres prédictions. On n'en était déjà plus, comme au temps d'Amos, à crier « malheur contre ceux qui désiraient le jour de Jahvé », ce jour « qui est ténèbres et non lumière ». L'espoir certain d'un bonheur éternel dans un Juda nouveau rendait la vue des misères présentes presque supportable[132].

Les vieilles idées et leurs défenseurs, les prophètes et les prêtres de l'ancienne école, s'étaient tus tant qu'Ezéchias régna. Lorsque son fils Manashshèh monta sur le trône, à l'âge de douze ans, ils relevèrent la tête et, remontés au pouvoir, ils rétablirent le culte de Jahvé tel qu'il avait été au temps d'Achaz. Ils rouvrirent les chapelles locales, ils remirent les images sur pied, ils replantèrent les bois sacrés, « ils bâtirent des autels à toute l'armée des cieux dans les deux parvis de la maison de l'Éternel ». Le Baal et l'Astarté phénicienne furent adorés sur la montagne de Sion ; la vallée de Hinnom, où Achaz avait déjà sacrifié un de ses enfants, vit s'allumer de nouveau le bûcher. « Manashshèh passa son fils par les flammes, pronostiqua les temps et observa les augures, dressa un oracle de démons et de diseurs de bonne aventure ; il fit de plus en plus ce qui déplaît à Jahvé pour l'irriter.[133] » C'étaient là des scandales en Israël, mais la plus grande partie du peuple ne s'en offusqua point. Il y eut, comme devant, autant de dieux qu'il y avait de villes[134], et, en multipliant les lieux d'adoration, on crut, d'accord avec le dogme antique,  multiplier les liens qui rattachaient Jahvé aux siens. Si, au temps de Sennachérib, la campagne avait été ravagée tandis que Jérusalem était épargnée, n'était-ce point que les sanctuaires provinciaux avaient été renversés par Ezéchias et que le temple restait seul debout ? Où Jahvé avait des autels, il veillait sur son peuple : sa protection ne couvrait point les places où on ne lui offrait pas de sacrifices. La réaction ne fut pas sans rencontrer quelque résistance parmi les prophètes et leurs fidèles. « Manashshèh répandit une grande abondance de sang innocent jusques à en remplir Jérusalem d'un bout à l'autre.[135] » D'après les traditions rabbiniques, le vieil Isaïe périt pendant la persécution : le roi, importuné de ses conseils et de ses anathèmes, le fit enfermer dans un tronc d'arbre évidé et scier en deux. Un prince absorbé par les préoccupations religieuses n'était guère à craindre pour l'Assyrie : le fils du rival de Sennachérib resta l'humble vassal d'Assourbanabal sa vie durant, et il mérita par là de mourir en paix sur le trône (640)[136].

Le règne d'Amon ne fut que le prolongement de celui de Manashshèh. Il se termina par un crime : Amon fut assassiné (638), remplacé par Josias, un enfant de huit ans, et le parti de la réforme l'emporta de nouveau. Un royaume en minorité, divisé entre des sectes religieuses, n'eût pu songer à profiter de ce qui se passait en Assyrie que s'il y eût été incité par son voisin puissant, par l'Égypte, or l'Égypte, rendue méfiante par l'expérience du passé, demeurait dans l'expectative et ne se bâtait pas de renouer les fils de sa politique syrienne. Le récit de la manière dont Psammétique y devint seul maître nous est parvenu sous la forme d'un roman populaire[137]. En ce temps-là, disait-on, la vallée était partagée entre douze princes confédérés ; mais un oracle avait prédit qu'elle appartiendrait entière à celui des douze qui verserait une libation au dieu Phtah dans une coupe d'airain. Un jour qu'ils étaient au temple de Memphis, le grand-prêtre leur présenta les coupes d'or dont ils avaient accoutumé de se servir ; il se trompa sur le nombre, et Psammétique n'en eut point. Alors il ôta le casque d'airain qu'il avait sur la tête et il en usa pour faire la libation. Les autres s'en aperçurent : ils se rappelèrent l'oracle et ils exilèrent le suspect dans les marais du Delta, avec défense de jamais en sortir. Là donc, la déesse de Bouto lui prédit que la vengeance lui viendrait de la mer, le jour où les hommes d'airain en sortiraient. Il crut d'abord que les prêtres se raillaient de lui ; mais, peu de temps après, des pirates cariens et ioniens descendirent à terre revêtus de leurs cuirasses. L'Égyptien qui en apporta la nouvelle n'avait jamais vu un soldat armé de toutes pièces : il raconta que des hommes d'airain, sortis de la mer, pillaient la campagne. Psammétique reconnut aussitôt que l'oracle était accompli il courut à la rencontre des étrangers, les enrôla à son service et renversa les onze rois[138].

Ecartons de ce récit ce qu'il renferme de merveilleux. Quand Psammétique reprit les projets ambitieux de sa famille, il avait devant lui les barons du Delta, commandés sans doute encore par ce même Paqrourou qui était leur chef principal depuis la mort de Néchao. Vaincu une première fois et contraint de se réfugier dans les marais, il enrôla des bandes de mercenaires ioniens et cariens que le hasard avait amenés en Égypte, et il implora l'assistance de Gygès le Lydien qui venait de vaincre les Cimmériens[139]. C'était le moment où Shamashshoumoukîn cherchait des alliés pour l'aider dans sa révolte contre l'Assyrien, et envoyait des ambassadeurs partout afin de s'assurer l'appui des mécontents[140]. La certitude d'une diversion puissante sur le Tigre et sur l'Euphrate encouragea le Saïte à tenter la fortune. La bravoure de ses auxiliaires cariens et grecs lui assura la victoire : les confédérés, battus près de Momemphis, furent détrônés ou réduits à la condition de vassaux[141]. S'il y avait encore des troupes assyriennes en garnison dans les places fortes, elles furent entraînées dans la défaite des roitelets égyptiens, et Assourbanabal, empêché par la révolte de Babylone, ne fit rien pour ressaisir la province qui lui échappait. Le Delta délivré, la Thébaïde, qui depuis longtemps déjà ne pesait plus d'aucun poids dans les destinées du pays, se soumit sans résistance. Sabacon en avait jadis confié le gouvernement à sa soeur Amenertaïs, et celle-ci épousa un certain Piônkhi dont nous avons quelques monuments. De cette union était née une fille,  Shapenouapît, en qui s'incarna le droit héréditaire des vieilles dynasties. Psammétique l'obligea à adopter comme héritière une de ses filles, qui prit le nom de Shapenouapît, et cette adoption prêta à son autorité le caractère de légitimité qui lui manquait. Jusqu'alors il n'avait été qu'un usurpateur heureux : il fut désormais le seul roi légal au Sud comme au Nord[142]. On ne sait pas exactement  en quelle année cet événement s'accomplit. Psammétique faisait dater son avènement officiel de la mort de Taharqou (666). L'expulsion des Assyriens, la  dernière conquête éthiopienne, les guerres contre les petits princes, remplirent au moins une dizaine d'années. Ce fut en 658 que l'adoption eut lieu, et qu'il resta seul maître du pays situé entre la première cataracte et les côtes de la Méditerranée[143]. Le but que ses ancêtres avaient poursuivi sans défaillance depuis un siècle était enfin atteint.

L'Égypte était dans un état déplorable de misère et d'abandon. Toutes les grandes villes avaient plus ou moins souffert. Memphis avait été assiégée et pillée à plusieurs reprises, Thèbes saccagée et brûlée deux fois par les Assyriens : de Syène à Tanis il n'y avait pas une bourgade qui n'eût été maltraitée par l'une ou par l'autre des invasions. Les canaux et les routes, réparés sous Sabacon, avaient été négligés après lui ; les campagnes avaient été dévastées et la population décimée périodiquement. Psammétique évoqua une Égypte nouvelle des ruines de l'ancienne. Il rétablit les canaux et les routes, rendit la tranquillité aux campagnes, favorisa le développement de la population, exécuta les travaux nécessaires à l'achèvement et à la restauration des édifices sacrés. A Memphis, il construisit les propylées du temple de Phtah, qui sont à l'orient et au midi[144], et la grande cour où l'on nourrissait l'Apis régnant[145]. L'Apis mort eut, lui aussi, à se louer de ses bons offices. Depuis que Ramsès II avait creusé le grand souterrain du Sérapéum pour les taureaux défunts, tous les princes qui avaient commandé à Memphis s'étaient fait un point d'honneur d'entretenir soigneusement la tombe commune et d'y célébrer en pompe les rites de l'enterrement divin. Taharqou avait encore enseveli un taureau la dernière année de son règne, au moment même où les Assyriens le menaçaient le plus sérieusement[146] : Psammétique n'eut garde de dédaigner cette partie importante de ses devoirs royaux. Il se contenta d'abord d'agir comme ses prédécesseurs, mais, un éboulement s'étant produit dans la partie de l'hypogée où le dernier Apis, décédé en l'an XX, avait été déposé, il ordonna aux ingénieurs, en l'an LII, d'entamer une galerie nouvelle dans une veine de calcaire plus solide. Ce fut le point de départ d'une restauration complète. Les caveaux des anciens Apis furent inspectés un à un, les maillots et les coffres des momies réparés, la chapelle remontée et pourvue des bois, des étoffes, des parfums, des huiles indispensables aux cérémonies funèbres[147]. A Thèbes, il releva les portions du temple de Karnak détruites pendant l'invasion assyrienne. La vallée du Nil devint comme un vaste atelier où l'on travailla avec une activité sans égale, et les arts, encouragés par le roi lui-même et par les hauts fonctionnaires, ne tardèrent pas à refleurir. La peinture et la gravure des hiéroglyphes atteignirent une finesse admirable ; les belles statues et les bas-reliefs se multiplièrent. L'école saïte est caractérisée par une élégance un peu sèche, par l'entente du détail, par une habileté merveilleuse dans la façon d'assouplir les matières les plus rebelles au ciseau. Les proportions du corps s'amincissent et s'allongent ; les membres sont traités avec plus de souplesse et de vérité. Ce n'est plus le style large et quelque peu réaliste des époques memphites, ce n'est pas la manière grandiose et souvent rude des monuments de Ramsès II : c'est un faire doux et pur, plein de finesse et de chasteté[148]. Il excelle surtout dans les sujets de petite dimension, amulettes en terre émaillée ou en lapis-lazuli, statuettes en bronze, en argent et en or, bagues, bijoux : jamais on n'a su mieux donner une allure libre et puissante à des figures dont beaucoup ont à peine quelques centimètres de haut.

Ce ne fut pas seulement dans les arts que l'avènement de la vingt-sixième dynastie marqua une renaissance véritable ; la politique extérieure redevint ce qu'elle avait été au temps des rois thébains, large et intelligente. L'Égypte n'était plus comme jadis entourée de petits Etats ; au sud et au nord-est, elle touchait à deux empires conquérants, l'Éthiopie et l'Assyrie ; même à l'est, la fondation de Cyrène par les Grecs (entre 648 et 625 av. J.-C.) avait prêté quelque consistance aux populations flottantes de la Libye. Il s'agissait avant tout de fortifier les points vulnérables du pays, les débouchés de la route de Syrie à l'est, les environs du lac Maréotis à l'ouest, et au sud ceux de la première cataracte. Contre les Assyriens, Psammétique fortifia Daphné, prés de l'ancienne forteresse de Zarou. Des garnisons nombreuses, cantonnées prés d'Abou et Maréa, protégèrent la Thébaïde et les régions occidentales du Delta contre les Libyens et les Éthiopiens[149]. En Syrie, les souvenirs de sa jeunesse ne devaient pas lui inspirer le désir de se mêler aux affaires : la moindre intervention de sa part aurait risqué d'attirer des représailles terribles, et une défaite l'aurait exposé à être traité en vassal rebelle. Il se serait pourtant laissé tenter peut-être à profiter de l'occasion que la victoire de Cyaxare semblait lui offrir, si une révolution accomplie récemment à l'intérieur de son royaume ne l'eût privé d'une partie de ses ressources.

A l'imitation des grands Pharaons d'autrefois, il avait attiré les étrangers auprès de lui. Après la chute de Samarie et les guerres de Sennachérib, un grand nombre de Juifs et de Syriens s'étaient réfugiés dans le Delta. A côté de ces populations sémitiques toujours croissantes il voulut placer des tribus de race différente : il concéda des terres le long de la branche pélusiaque aux Cariens et aux Ioniens, dont les services lui avaient été utiles[150]. Il eut soin de séparer les Ioniens des autres par toute la largeur du Nil : la précaution n'était pas superflue, car leur réunion sous un même drapeau n'avait pas éteint leurs haines nationales et ne suffit pas toujours à prévenir les hostilités entre mercenaires d'origine diverse[151]. Les colons milésiens, encouragés par leur exemple, abordèrent avec trente navires à l'entrée de la branche bolbitine, et y fondèrent un comptoir qu'ils nommèrent le Camp des Milésiens[152]. D'autres bandes vinrent successivement les renforcer, et le roi leur confia des enfants auxquels ils enseignèrent la langue grecque[153]. Le nombre des interprètes s'accrut rapidement, à mesure que les relations de commerce et d'amitié devenaient plus fréquentes ; ils formèrent dans les villes du Delta une véritable classe, dont la fonction unique était de servir d'intermédiaire entre les deux peuples[154]. En mettant ses sujets en contact avec une nation active, industrieuse, entreprenante, pleine de sève et de jeunesse, Psammétique espérait sans doute se faire bien voir d'eux. Il se trompait : l'Égypte avait trop souffert depuis deux siècles des étrangers de toute nature pour être disposée à les bien accueillir sur son territoire, même quand ils se présentaient comme alliés. Elle tolérait les peuples qu'elle connaissait depuis longtemps, et dont les moeurs n'étaient pas trop éloignées de ses usages, les Phéniciens, les Juifs, même les Assyriens : elle refusa d'accepter les Grecs. Les Grecs, au contraire, frappés d'étonnement à la vue de cette civilisation si forte encore et si imposante dans sa décadence, s'enamourèrent d'elle : ils rattachèrent à ses dieux l'origine de leurs dieux, à ses races royales la généalogie de leurs familles héroïques. Mille légendes naquirent dans les marines du Delta sur le roi Danaos et sur son exil en Grèce après une révolte contre son frère Armaïs[155], sur les migrations de Kékrops et sur l'identité d'Athênê avec la Nît de Saïs[156], sur la lutte d'Hercule contre le tyran Busiris, sur le séjour d'Hélène et de Ménélas à la cour du roi Protée[157]. En retour de tant d'admiration l'Égypte ne rendit à la Grèce que mépris et défiance. L'Hellène fut pour elle un être impur, à côté duquel on ne pouvait vivre sans se souiller. Les gens des classes inférieures refusaient de manger avec lui, d'employer son couteau ou sa marmite[158]. Les gens des hautes classes le traitaient comme un enfant sans passé et sans expérience, dont les ancêtres n'étaient que des barbares quelques siècles auparavant[159].

Sourde au début, l'hostilité contre les Septentrionaux ne tarda pas à se manifester ouvertement. Psammétique avait comblé de ses faveurs les Ioniens et les Cariens qui avaient travaillé à l'introniser roi : il avait fait d'eux sa garde du corps et il leur avait confié le poste d'honneur à l'aile droite de l'armée. Les Grecs avaient là ce qu'ils prisaient si fort, l'honneur et le profit : au titre de garde du corps était attachée une haute paye considérable[160]. Quand les Mashouasha et les soldats indigènes se virent dépouillés par les nouveaux venus des avantages qui leur avaient été réservés jusqu'alors, ils commencèrent à murmurer. Une circonstance fâcheuse mit le comble à leur mécontentement : les garnisons établies à Daphné, à Maréa et dans l'île d'Abou ne furent pas relevées une seule fois dans l'espace de trois ans. Ils résolurent donc d'en finir, et, comme une tentative de révolte leur parut présenter peu de chances de succès, ils prirent le parti de s'exiler. Deux cent quarante mille d'entre eux s'assemblèrent avec armes et bagages et se dirigèrent vers l'Éthiopie. Psammétique, averti trop tard de leur projet, se lança à leur poursuite avec une poignée de monde, les atteignit en les supplia de ne pas abandonner les dieux de leur patrie, leurs femmes, leurs enfants. L'un d'eux lui répondit, avec un geste brutal, qu'ils étaient sûrs de se créer une famille partout où ils iraient. Le roi de Napata les accueillit avec joie ; il les enrôla à son service et il leur accorda la permission de conquérir pour son compte un territoire occupé par ses ennemis. Ils s'établirent dans la presqu'île que le Bahr-el-Azrek et le Bahr-el-Abyad forment à partir de leur réunion, et ils s'y multiplièrent au point de devenir un peuple considérable. En souvenir de l'insulte qui leur avait été faite, ils s'appelèrent eux-mêmes les Asmakh, les gens à la gauche du roi[161]. Les voyageurs grecs leur donnèrent tour à tour les noms d'Automoles et de Sembrites, qu'ils conservèrent jusque vers les premiers siècles de notre ère[162].

Cette désertion en masse, au moment où l'Égypte avait plus que jamais besoin de toutes ses ressources, ne lui permettait pas d'intervenir utilement en Syrie ni d'y fomenter les intrigues qui auraient pu y susciter des révoltes décisives. Assourbanabal put concentrer ses forces pour repousser l'irruption des Mèdes. Le siège se prolongea, et le moment semblait si proche où Ninive allait subir enfin le sort qu'elle avait infligé à ses rivales, qu'une voix de prophète s'éleva en Judée pour l'annoncer. « Malheur à la cité sanguinaire, cria Nahoum l'Elkoshite, toute de fraudes, pleine de crimes et qui ne cesse ses rapines ! – Ecoutez ! le fouet ! Ecoutez ! un bruit de roues, un galop de chevaux et de chars qui bondissent ! les cavaliers se ruent, l'épée brille, la pique étincelle. Quelle multitude de tués ? quelle masse de cadavres ! Des morts à n'en pas finir, on butte partout contre leurs corps ! Et tout cela pour les intrigues de cette cité perverse, de cette belle et artificieuse enchanteresse, qui séduisait les nations par ses caresses et les peuples par ses enchantements ! Me voici ? c'est ton tour, dit Jahvé Sabaoth ; je relèverai ta jupe sur ton visage pour montrer ta nudité aux nations, ta honte aux royaumes. Je jetterai des ordures sur toi, je te conspuerai, je t'exposerai en spectacle et quiconque te verra fuira en disant : Ninive est ruinée ! Qui voudra la plaindre ? Où te chercherais-je des consolateurs ? Thèbes, la cité d'Amon, n'a pas échappé à la ruine, pourquoi Ninive serait-elle soustraite au sien ? Puise de l'eau pour le siège ! Refais tes remparts ! Foule l'argile et corroie la glaise ! Répare le four à briques ! Malgré tout le feu te dévorera, l'épée t'exterminera, elle te rongera comme la sauterelle, fusses-tu en masse comme la sauterelle et comme le criquet ! Tes marchands étaient nombreux comme la sauterelle ! - La sauterelle dépouille, puis s'envole. Tes soldats étaient comme des sauterelles, et tes officiers comme des essaims d'insectes campés dans des haies par un jour de froid ; le soleil paraît-il ? ils partent et l'on ne sait plus la place où ils sont. Tes bergers sommeillent, roi d'Assyrie ; tes capitaines sont au repos ; ton peuple est dispersé sur les montagnes et il n'y a plus personne pour le rassembler ! - Point de remède à ta blessure, ta plaie est mortelle. Tous ceux qui entendent parler de toi applaudissent à la destinée : car sur qui ta méchanceté n'a-t-elle pas passé ?[163] »

L'invasion scythe : Josias et Néchao. La chute de Ninive (608).

Assour échappa, pour peu de temps encore, à la désolation que le prophète lui annonçait. Si l'on en croyait la tradition courante deux siècles plus tard dans l'Asie Mineure, une horde de Scythes qui s'était lancée à la poursuite des Cimmériens franchit le Caucase par les Portes Caspiennes, et se heurta contre les Mèdes dans le bassin de Gyms ; elle les battit et leur défaite obligea Cyaxare à lever le siège de Ninive[164]. Le hasard ne joua probablement aucun rôle dans cette crise. Depuis quatre-vingts ans bientôt que les Assyriens étaient entrés en rapport avec les Scythes, ils avaient toujours essayé d'entretenir de bons rapports avec eux, et Asarhaddon avait donné une de ses filles en mariage à leur roi Bartatoua. Je ne sais si Madyès, fils de Bartatoua avait, pour mère la princesse en question et s'il n'était pas le propre neveu d'Assourbanal : il me paraît certain que, puisqu'il intervint aussi opportunément dans la lutte, ce ne fut point par aventure, mais pour répondre à un appel du roi d'Assyrie. Il prit la Médie à revers, et Cyaxare ne put faire autrement que de lâcher sa proie et de courir à la rencontre de cet adversaire inattendu. Le choc eut lieu, soit sur les bords de l'Araxe inférieur, soit en tout cas au nord du lac d'Ouroumiyéh, dans la région habitée jadis par les Mannaï. Vainqueur, Madyès ne s'arrêta pas au point où son allié l'aurait souhaité, mais, après avoir mis à sac le territoire des Mèdes, il se rua sur Assourbanabal et sur ses vassaux. L'Assyrie propre fut la première à souffrir des barbares. Elle était épuisée par ses longues guerres contre l'Élam, contre la Chaldée, contre la Médie, et elle n'avait plus la vigueur nécessaire pour réagir : elle fut dévastée tout entière, et, si Ninive échappa, les autres villes royales, Kalakh, Assour, furent brûlées et saccagées de fond en comble. Comme les Huns dix siècles plus tard, les Scythes n'épargnaient ni l'âge ni le sexe. Ils détruisaient les moissons, ils abattaient ou ils volaient les troupeaux, ils incendiaient les villages, pour le seul plaisir de détruire ou d'effrayer ; les habitants qui n'avaient pas réussi à se sauver dans la montagne ou à s'enfermer dans les citadelles étaient massacrés ou ravis en esclavage. Trop ignorants en l'art de la guerre pour mener un siège selon les règles, ils laissaient d'ordinaire les villes fortes en repos moyennant un léger tribut ; si les richesses que l'une d'elles renfermait leur faisaient espérer un riche butin, ils la bloquaient jusqu'à ce que la famine la contraignît a se rendre. Mainte vieille cité où les trésors s'étaient accumulés fut mise à feu et à sang ; maint canton fertile et populeux fut ruiné et désolé. Le royaume d'Ourarti disparut dans la tourmente. Les Mouskhi et les Tabal, qui avaient, huit siècles durant, résisté avec succès aux armes des Assyriens, n'échappèrent à la destruction qu'en très petit nombre. « Ils sont descendus au tombeau et tout leur monde avec eux, - et leurs sépulcres sont autour d'eux, - incirconcis tous, égorgés par l'épée, - pour avoir répandu la terreur dans le séjour des vivants. - Mais ils ne reposent pas avec les guerriers -tombés d’entre les incirconcis, - qui sont descendus dans le tombeau avec leurs armes, et à qui on a mis leurs épées sous la tête[165]. - Leurs crimes sont restés sur leurs ossements, - parce qu'ils ont semé la terreur dans le séjour des vivants.[166] » Leurs débris furent refoulés vers le Nord, dans les montagnes de Pont-Euxin, où les Grecs connurent leurs descendants, les Mosques et les Tibarènes[167]. Les Cimmériens eurent le même sort que leurs voisins. Après quelques succès partiels, près de Zéla[168] notamment, leur roi Kôbos, dont la tradition ancienne inscrivait les exploits sur la même ligne que ceux de Sésostris, fut fait prisonnier par Madyès[169]. Ses sujets, incorporés aux hordes scythiques, s'associèrent désormais à leurs incursions, et les nations civilisées de l'Asie, qui avaient appris à les redouter de longue date, appliquèrent leur nom à leurs maîtres[170]. Scythes et Cimmériens, ils s'en allèrent de province on province, de la Mésopotamie à la Syrie du Nord et à la Phénicie, de la Syrie du Nord et de la Phénicie au pays de Damas et à la Palestine[171].

Il y avait douze ans déjà que Josias régnait sur Jérusalem, quand le péril scythe se leva sur l'horizon de la Judée. Lorsque les prophètes apprirent coup sur coup et la défaite de Cyaxare et l'humiliation de l'Assyrie et le malheur de tant d'États puissants, ils commencèrent à se demander si ce n'étaient pas les signes de la colère de Dieu et si le jour de Jahvé n'était point proche. Un arrière-petit-fils d'Ezéchias, un certain Zéphaniah, surgit pour l'annoncer : « Je vais effacer complètement toute chose de dessus la face de la terre, dit Jahvé, je vais consumer homme et bête ; je vais consumer les oiseaux du ciel et les poissons de la mer, et les criminels et les méchants, et je retrancherai l'homme de dessus la face de la terre, dit Jahvé. EL j'étendrai ma main sur Juda et sur tous les habitants de Jérusalem... Car ce jour est un jour de colère, un jour de trouble et de détresse, un jour de ravages et de désolation, un jour de ténèbres et d'obscurité, un jour de nuages et de ténèbres épaisses, un jour de trompettes et d'alarmes contre les cités murées et contre les hautes murailles. Et j'amènerai la misère aux hommes, si bien qu'ils marcheront comme des aveugles, parce qu'ils ont pêché contre Jahvé, et leur sang sera répandu comme de la poussière, et leur chair comme de l'ordure. Ni leur or, ni leur argent ne les pourra sauver le jour de la colère de Jahvé, mais tout le pays sera dévoré par le feu de sa jalousie, car il en finira, oui, terriblement, avec tous ceux qui habitent en ce pays.[172] » Une autre voix plus puissante retentit sous le coup de l'émotion, celle de Jérémie, fils de Hilkiah, qui devait être l'un des plus grands parmi les prophètes d'Israël. Lorsque Jahvé lui ordonna d'aller proclamer sa parole, il s'écria, plein de terreur : « Eh ! Seigneur Dieu, vois, je ne puis parler, je ne suis qu'un enfant ! » Mais Jahvé le rassura, et touchant ses lèvres, il lui dit : « Vois, j’ai mis mes paroles dans ta bouche ; ce jourd'hui, je t'ai élevé sur les nations et sur les royaumes, pour arracher et pour briser, pour détruire et pour renverser, pour bâtir et pour planter ». Le prophète aperçut donc une chaudière bouillante dont la forme se montrait vers le Nord, car « voici le mal qui fondra du Nord sur les habitants du pays[173] ». Déjà l'ennemi approche : « Voici, il viendra comme une nuée et ses chars seront comme des tourbillons, et ses chevaux seront plus rapides que des aigles ». C'est à peine si les Scythes ont été annoncés et déjà ils menacent Jérusalem, et le prophète s'évanouit presque d'horreur au bruit de leur approche : « Mes entrailles, mes entrailles ! Je souffre au fond même de mon coeur et mon coeur est inquiet en moi : Je ne puis me tenir en repos, car tu l'as entendu, ô mon coeur, le son de la trompette, le tumulte de la guerre. On crie partout destruction sur destruction, car tout le pays est dévasté, et c'est à moi dans un moment. Combien de temps encore verrai-je les étendards et entendrai-je le son de la trompette ?[174] » Il est probable que les montagnes sauvèrent Juda des attaques mais l'impression de terreur fut si vive qu'elle n'était pas encore effacée plus de quarante ans après, et qu'elle fournissait au prophète Ezéchiel les traits les plus énergiques : « C'est à toi que j'en veux, Gog, prince de Rosh[175], de Meshekh et de Toubal ! Je vais te faire marcher, toi et toute ton armée, chevaux et cavaliers, tous dans le plus bel accoutrement, une foule immense avec boucliers et rondaches, tous l'épée à la main… Gomer avec tous ses bataillons, ceux de Togarmah, du fond du Nord, avec tous leurs bataillons des peuples nombreux, tes alliés ! … tu t'avanceras, tu viendras comme l'ouragan, comme la nuée orageuse pour couvrir le pays, toi et tous tes bataillons et des peuples nombreux avec toi ![176] »

Le flot de l'invasion expira aux frontières de l'Égypte : Psammétique 1er écarta les Scythes par de riches présents. Ils revinrent sur leurs pas et ils ravagèrent le pays des Philistins. « Gaza sera déserte, disait vers ce temps le prophète Zéphaniah, et Ascalon en ruines ; Ashdod, on la chassera en plein midi, et Égron sera dévastée. Malheur aux habitants du pays de la côte, au peuple des Crétois ! Le district de la côte ne sera plus qu'une steppe à huttes de pâtres et à parcs de moutons.[177] » Ils pillèrent au passage le temple de Derkéto, près d'Ascalon, mais, à partir de ce moment, leur pouvoir ne cessa de décliner, et les générations suivantes virent dans leur chute un châtiment de la déesse dont ils avaient violé le sanctuaire[178]. Il n'y avait pas besoin d'inventer des causes surnaturelles pour expliquer leur affaiblissement. Engagés chaque année dans des entreprises nouvelles, ils comblaient difficilement les vides que la victoire creusait dans leurs rangs ; les excès de toutes sortes les décimèrent, leur nombre diminua et leur empire s'écroula aussi vite qu'il s'était élevé. On ne voit trop ce qu'il advint d'eux en Syrie et dans l'Asie Mineure : les Mèdes portèrent le coup mortel au gros de la nation. Ils avaient réparé leurs pertes assez promptement, mais, avant d'affronter la lutte ouverte, ils voulurent se débarrasser de Madyès. Hérodote raconte que Cyaxare l'invita lui et ses principaux officiers à un grand banquet ; après les avoir enivrés, il les tua et, dès le lendemain, prit la campagne[179]. Malgré la trahison qui les avait privés de leurs généraux, les barbares tinrent bravement tête à l’orage : ils ne furent expulsés qu'après une guerre longue et sanglante, dont la légende ne nous a pas conservé les détails. Selon son habitude, Ctésias de Cnide a brodé sur ce thème toutes sortes d'aventures merveilleuses ou romanesques. Les Scythes unis aux Parthes étaient, dit-il, commandés par la reine Zarinæa, qui battit les Mèdes plusieurs fois et traita enfin avec eux à conditions égales ; la paix signée, elle se retira dans sa capitale Roxanaké et elle y termina ses jours[180]. Le seul fait certain, c'est que Cyaxare chassa les Scythes de Médie : ce qu'ils devinrent ensuite, nul ne le sait. Une bande rentra, dit-on, en Europe par le Caucase[181] ; une autre erra quelque temps entre l'Araxe et l'Halys, cherchant un canton vide où s'établir. Hérodote affirme qu'ils dominèrent vingt-huit ans en Asie, depuis leur première victoire jusqu'au soulèvement des Mèdes[182]. Il semble que leur pouvoir dura une vingtaine d'années au plus, de 634 à 614.

Ce cours espace de temps suffit à changer la face du monde asiatique. Les vieux États, qui jusqu'alors avaient joué le rôle principal dans l'histoire, avaient été bouleversés ou même supprimés. Le vieil Assourbanabal était mort en 625, terminant dans la misère un des règnes les plus glorieux de l'histoire. Son fils Assourétililâni essaya vainement de réparer le désordre. Sur les ruines des palais somptueux élevés à Kalakh par ses ancêtres, il rebâtit à la hâte une sorte de maison grossièrement façonnée et plus grossièrement décorée. Ce sont des pièces de petites dimensions, dont les murs en briques crues sont revêtus jusqu'à la hauteur d'un mètre environ de dalles en calcaire à peine dégrossies, sans sculptures et sans inscriptions : au-dessus, il n'y a qu'un enduit de plâtre mal plané[183]. On ne sait combien de temps il demeura sur le trône, mais vers 620, on trouve à sa place un de ses frères, Sinsharishkoun, le Saracos des Grecs, qui d'abord régna sur Babylone comme sur Ninive. Toutefois la Chaldée ne lui obéissait plus que par la force de l'habitude, et un prétexte s'offrit à elle, vers 611, de rompre le lien qui l'attachait à l'Assyrie. Elle avait, pour la gouverner, un Chaldéen d'ancienne race, un certain Nabopolassar, qui prit le titre de roi à la mort d'Assourétililâni, tout en restant le vassal de Saracos. La tradition rapporte qu'une armée immense de barbares venue on ne sait d'où débarqua soudain aux embouchures du Tigre et de l'Euphrate ; peut-être faut-il comprendre qu'il s'agit d'une révolte du Bît-Iâkim et des districts maritimes, analogue à celles qui causèrent tant de soucis à Sargon, à Sennachérib, et même à Asarhaddon. Saracos ordonna à Nabopolassar de marcher contre ces barbares, ce qu'il fit ; toutefois, au lieu de les attaquer, il négocia avec eux et, quand il se fut assuré leur appui, il se déclara indépendant. Affaiblie qu'était Ninive, elle inspirait encore une terreur telle que les cités du Bas Euphrate lui demeurèrent fidèles. Saracos se mît en mesure de châtier son vassal insolent, et peut-être y aurait-il réussi, si Mardouk, qui jamais n'abandonne ses dévots, « n'avait point suscité du secours à Nabopolassar et ne lui avait gagné un allié[184] ».

Les yeux de l'Asie étaient tournés vers Cyaxare depuis qu il avait brisé pour toujours le pouvoir des Scythes. C'est à Cyaxare que Nabopolassar s'adressa, et celui-ci lui promit son aide : on dit que, pour cimenter l'alliance, un mariage fut arrangé entre la fille du roi Mède, Amytis, et l'héritier du trône de Babylone, Nabuchodorosor[185]. Il semble que, même alors, le prestige assyrien demeurait si vivant que nul des sujets de l'empire n'osa se joindre à l'attaque suprême. Nabopolassar lui-même se borna à réduire les garnisons qui détenaient les villes de la Chaldée méridionale, et il laissa aux Mèdes la gloire d'en finir avec l'ennemi commun. Sinsharishkoun fut vaincu en rase campagne, et s'enferma dans le triangle assyrien avec le reste de ses troupes. Il y tint longtemps, plusieurs années dit-on, et l'énergie de sa résistance fit espérer jusqu'au bout qu'il finirait par lasser la patience des Iraniens et par reprendre l'ascendant : l'histoire de Josias en est la preuve. L'invasion des Scythes écoulée, Psammétique 1er s’était hasardé enfin à mettre le pied en Syrie, et il avait rétabli la vieille autorité de l'Égypte, sinon sur la Philistie entière, au moins sur l'une des grandes cités philistines, Ashdod[186]. Peut-être avait-il tenté de négocier avec Juda, mais le parti prophétique s'était déclaré hostile à toute alliance avec lui, et il n'avait pas insisté. Il avait employé les dernières années de sa vie à refaire ses milices désorganisées par la défection des Mashaouasha et à équiper une flotte. Mais lorsqu'il mourut en 511, après un règne de cinquante-quatre ans, son successeur, qui s'appelait Néchao comme son grand-père, passa outre aux considérations qui l'avaient arrêté. C'était, autant qu'on en peut juger un roi actif et hardi, taillé sur le modèle des grands Pharaons thébains, et à qui il ne manqua, pour égaler les succès des Thoutmosis et des Ramsès, que de disposer de ressources égales aux leurs. Psammétique lui avait légué une armée solide ; il acheva de la mettre sur le pied de guerre. Ninive, toujours assiégée par Cyaxare, était aux abois : il voulut avoir sa part des dépouilles, et il se jeta sur la Syrie. Il pensait bien que les petits Etats syriens l’accueilleraient comme un libérateur, et il avait raison en ce qui concernait Tyr et la Phénicie : l'événement lui montra qu'il s'était trompé en escomptant le bon vouloir de Josias. Celui-ci n'avait pas souffert de l'invasion scythe ; mais l'impression qu'il en avait reçue avait redoublé sa ferveur religieuse. Juda, déclaraient les prophètes dont il s'entourait, Juda n'avait plus de refuge qu'en Jahvé seul, et tout espoir de salut lui était ravi, s'il persistait dans les doctrines qui avaient enflammé la colère de Jahvé contre les infidèles : il fallait briser les idoles, réformer les rites, concentrer le peuple autour de l'autel unique et du temple de Salomon, en un mot, en revenir à l'observance stricte de la Loi telle que les ancêtres l'avaient connue. Mais, comme cette Loi vénérable ne se trouvait dans aucun des Livres sacrés qui avaient cours en Israël, on se demandait, non sans anxiété, si elle existait encore et dans quelle cachette elle reposait, oubliée de tous.

Dans la dix-huitième année de son règne (623), le roi Josias envoya au temple Shaphan, fils d'Açalijahou, fils de Meshoullam, pour recevoir du grand prêtre Hilqiah l’argent recueilli aux portes et qui servait à l'entretien de l'édifice. L'affaire achevée, Hilqiah dit : « J'ai trouvé dans le temple le livre de la Loi », et il donna le livre à Shaphan, qui le parcourut. De retour au palais, le scribe présenta son rapport : « Tes serviteurs ont versé l'argent qui s'est trouvé au temple, et l'ont réparti entre les directeurs des travaux » ; puis il ajouta : « Le prêtre Hilqiah m'a remis un livre », et il le lut devant le roi. Lorsque Josias entendit les paroles du livre de la Loi, il fut saisi d'anxiété et il déchira ses vêtements ; puis, se sentant incapable de prendre une décision par lui-même, il envoya Hilqiah, Shaphan et d'autres officiers royaux consulter Jahvé pour lui et pour le peuple. Ceux-ci, au lieu de s'adresser aux prophètes officiels, recoururent à une prophétesse Houldah, qui demeurait à Jérusalem, au deuxième quartier, et qui était attachée à la cour par un office que son mari y exerçait. Elle leur répondit au nom de l'Eternel : « Voyez, l'amène une calamité sur ce lieu et sur ses habitants, tout ce qui est dans le livre que le roi de Juda vient de lire, parce qu'ils n'ont abandonné et ont encensé d'autres dieux. Quant au roi lui-même, puisque son coeur est docile et qu'il s'est humilié devant Jahvé en entendant ce que j'ai dit contre ce lieu et contre ses habitants, et qu'il a déchiré ses vêtements et qu'il a pleuré devant moi, moi aussi j’écoute, dit Jahvé, et pour cela, vois-tu, je te réunirai à tes pères, et tu iras les rejoindre dans ton sépulcre en paix, et tes yeux ne verront pas tous les malheurs que l'amènerai sur ces lieux ». Alors le roi convoqua tous les cheikhs de Juda et de Jérusalem, puis il monta au temple, et, avec lui, la population entière, les prêtres, les prophètes, et on lut en leur présence les paroles du Livre de l'alliance[187].

On sait ce que les Orientaux entendent dire lorsqu'ils affirment que tel ou tel livre a été découvert dans le temple d'un dieu : la formule marque simplement que l'auteur, pour prêter plus d'autorité à son oeuvre, le place sous la protection divine ou en attribue l'origine à une révélation d'en haut. Les prêtres égyptiens prétendaient avoir reçu de la sorte les chapitres les plus vénérés de leur Livre des Morts et les traités les plus importants de leur littérature scientifique. Le rédacteur inconnu du Livre de la loi était allé chercher, bien loin dans le passé d'Israël, le nom du chef qui passait pour avoir délivré le peuple, au temps de la captivité d'Égypte ; il supposait que Moïse, déjà maître de Galaad et sentant sa fin approcher, voulut promulguer les lois et les ordonnances que l'Éternel lui avait dictées pour les Hébreux. Les idées depuis si longtemps prêchées par les prophètes sont exprimées dans une langue large et pleine de mouvement. Dès le début, l'unité de Dieu est proclamée bien haut : « Moi, Jahvé, je suis ton dieu, qui t'a délivré du pays d'Égypte, de ce lieu de servitude : tu n'auras point d'autre dieu en face de moi. -Tu ne te fabriqueras point d'idole, ni aucune figure de choses qui sont au ciel en haut, ou sur la terre en bas, ou dans les eaux plus bas que la terre ; tu ne te prosterneras pas devant elles ni ne les adoreras. Car moi, Jahvé, ton dieu, je suis un dieu jaloux, punissant la faute des pères sur les fils, sur la troisième et la quatrième génération de mes ennemis, et accordant ma grâce à la millième génération de ceux qui m'aiment et gardent mes commandements[188] ». C'est à ce Dieu seul qu'il faut rendre un culte. Les sanctuaires consacrés aux dieux des nations doivent être renversés impitoyablement, et « s'il se présente un prophète ou quelqu'un qui aurait un songe, si votre frère, le fils de votre mère ou votre fils ou votre fille ou la femme de votre sein, ou votre ami intime voulait vous séduire secrètement en vous disant : “Allons servir d'autres dieux !” vous n'aurez pas pitié de lui, ni ne l'épargnerez, ni ne le cacherez, au contraire, vous devrez le livrer à la mort[189] ». Et ce Jahvé n’est pas le Jahvé d'une place spéciale, le Jahvé de Béthel ou de Dan, celui de Mizpah, de Geba ni de Beersheba ; il est simplement Jahvé. Toutefois, l'endroit où son culte lui sera rendu ne lui est pas indiffèrent : il entend ne le recevoir « qu'au lieu choisi par Jahvé lui-même pour y établir son nom », c'est-à-dire, et bien que le nom ne soit pas prononcé, à Jérusalem. Une partie des règlements détermine la condition des divers membres de la communauté juive les uns par rapport aux autres. Le roi se rapprochera autant que possible du prêtre idéal : il n'exaltera pas son coeur au-dessus de ses frères, et il ne placera pas la grandeur dans la possession de chariots, de chevaux et de femmes, mais il méditera la Loi de Dieu et il la lira chaque jour. A la guerre, il ne se confiera pas en ses soldats ou en sa bravoure, mais en l'aide de Jahvé ; il consultera toujours et partout le prêtre intermédiaire entre les armées terrestres et le Dieu des armées. La loi met d'ailleurs les pauvres, les veuves, les esclaves sous la protection divine : tout Juif devenu la propriété d'un compatriote sera libéré au bout de la sixième année, et recevra de son maître un petit pécule qui lui permettra de vivre pendant quelque temps. Joignez à cela des prescriptions destinées à procurer la bonne administration de la justice, à prévenir les rixes et les vengeances privées ; ce sont moins des lois proprement dites que des exhortations à remplir les devoirs de l'honnête homme.

Les ordonnances relatives au culte ne sont pas conçues d'après cet esprit minutieux et tracassier qui devint plus tard comme la marque de la législation hébraïque. Sans doute on insiste sur la nécessité de concentrer le culte dans un temple unique, mais on ne fait pas de ce temple une sorte de vaste abattoir géré par une caste privilégiée. Les grandes fêtes ne sont qu'au nombre de trois : la plus importante, la Pâque, se célébrait en Abîb, au mois des épis, et l'on s'était habitué à la considérer comme une commémoration de la sortie d'Égypte ; mais les deux autres, celle des semailles et celle des Tabernacles, se rattachaient simplement aux phases de l'année et avaient lieu, la première sept semaines après le commencement de la moisson, la seconde lors de la rentrée des dernières récoltes. Le prêtre prend sa part de la victime offerte en ces circonstances diverses et de la dîme annuelle ou triennale que le législateur impose sur le blé, sur le vin, sur les premiers-nés du bétail, et dont le produit était consacré à une sorte de fête de famille célébrée dans le lieu saint. Il est donc assimilé aux pauvres de Dieu, à la veuve, à l'orphelin, à l'étranger, et son pouvoir n'est guère plus grand qu'il n'était au début de la monarchie. C'est en effet au prophète qu'appartient le devoir de diriger le peuple dans tous les cas non prévus par la loi. « Je mettrai mes ordres en sa bouche, dit Jahvé, pour qu'il proclame ce que je lui commanderai. Et si quelqu'un devait ne pas écouter mes ordres qu'il proclamera en mon nom, je lui en demanderai compte. Mais un prophète qui aurait l'audace de proclamer en mon nom des ordres que je ne lui aurais pas donnés, ou qui parlerait au nom d'autres dieux, ce prophète-là doit mourir. Et si vous vous dites en vous-mêmes : “Comment saurons-nous quel est l'ordre que Jahvé n'aura point donné ?” Si un prophète parle au nom de Jahvé et que la chose n'arrive pas et ne s'accomplit pas, c'est un ordre que l'Éternel n'aura point donné : le prophète aura parlé dans sa présomption, vous ne devez pas en avoir peur.[190] »

Le code soi-disant mosaïque existe encore, au moins dans ses parties principales. Il a été intercalé plus tard dans ce qu'on appelle aujourd'hui le Deutéronome, et il en forme la section législative[191]. La lecture achevée, Josias, se plaçant sur l'estrade, proclama le pacte avec Jahvé, savoir de suivre Jahvé de coeur et d'âme, de garder ses commandements, préceptes et ordonnances, et de valider ainsi les paroles de ce pacte, telles qu'elles  étaient « écrites dans ce livre ». En terminant la rédaction de son code, l'auteur avait adopté une fois de plus le ton menaçant des prophètes à l'égard de Juda. « Si vous n'obéissez point à Jahvé, si vous ne pratiquez point ses commandements et ses lois que je vous prescris aujourd'hui, toutes les malédictions vous frapperont et s'accompliront sur vous. Vous serez maudits à la ville, maudits à la campagne. Maudit sera votre panier et votre pétrin, maudit le fruit de vos entrailles et le fruit de vos champs ; vos vaches et vos brebis seront stériles. Vous serez maudits dans toutes vos entreprises… Le ciel au-dessus de vos têtes sera d'airain, et la terre sous vos pieds sera de fer : Jahvé fera que la pluie qu'il faut à votre terre soit du sable et de la poussière qui tombera du ciel jusqu'à ce que vous soyez ruinés… Quand vous vous fiancerez à une femme, un autre la possédera ; quand vous habiterez une maison, vous n'y demeurerez pas ; quand vous planterez une vigne, vous n'en goûterez pas le fruit… Vos fils et vos filles seront livrés à d'autres peuples ; vos yeux le verront et ne cesseront de se consumer de regrets, et votre main sera impuissante… Jahvé fera lever contre vous un peuple venant de loin, de l'extrémité de la terre, et fondant sur vous avec la rapidité de l'aigle ; un peuple dont vous ne comprendrez point la langue, un peuple au regard farouche, qui ne respectera pas le vieillard, ni n'aura pitié de l'enfant… Il vous assiégera dans vos villes, jusqu'à ce qu'il ait abattu dans tout le pays vos plus hautes et vos plus fortes murailles, dans lesquelles vous mettez votre confiance, et, quand il vous assiégera dans toutes les villes du pays que Jahvé votre Dieu vous donne, vous en viendrez, dans la détresse et l'angoisse où vous réduiront vos ennemis, à manger le fruit de vos entrailles, la chair de vos fils et de vos filles que Jahvé vous aura donnés… Et Jahvé vous dispersera parmi toutes les nations d'une extrémité de la terre à l'autre, et vous y servirez d'autres dieux inconnus à vous et à vos pères, du bois et de la pierre. Et chez ces nations vous n'aurez ni repos, ni place tranquille où vous mettrez le pied… Votre vie vous apparaîtra comme suspendue à un fil, vous n'en serez jamais sûrs, mais vous serez en larmes nuit et jour. Le matin vous direz: “Que n'est-il déjà soir!” et le soir vous direz : “Que n'est-il déjà matin !” par suite des terreurs qui vous hanteront et du spectacle que vous aurez sous les yeux.[192] » L'invasion, récente encore, des Cimmériens avait rempli les esprits d'épouvante : le peuple s'humilia et la persécution commença contre les païens et les partisans du vieux culte. Les dieux étrangers furent détruits, les hauts lieux souillés à plaisir, les prêtres des Baalim égorgés sur leurs propres autels. Quand tout fut fini, Josias ordonna de célébrer la Pâque « en la manière qu'il est prescrit au Livre de cette alliance. - Et certes jamais Pâque ne fut célébrée, ni au temps des Juges, qui avaient jugé en Israël, ni au temps des rois d'Israël et des rois de Juda, comme cette Pâque qui fut célébrée en l'honneur de Jahvé, dans Jérusalem, la dix-huitième année du roi Josias[193] ».

Le premier enthousiasme une fois calmé, la réaction se fit sentir, dans les hautes classes, comme dans le peuple, et de vrai, le spectacle que l'Asie présentait était de nature à provoquer le doute parmi les fidèles. L'Assyrie, cette Assyrie que leurs prophètes leur avaient montrée comme l'instrument irrésistible des vengeances du Très-Haut, non seulement elle avait été culbutée du rang qu'elle occupait parmi les nations, mais elle agonisait sous l'étreinte de Cyaxare. Et d'autre part, cette Égypte dont ils leur avaient prédit la destruction sous les coups de l'Assyrie, elle sortait de ses ruines plus vigoureuse que jamais. Si elle se décidait à reparaître au-delà de l'isthme, quelle attitude Juda devrait-il adopter entre ce pouvoir rajeuni et l'Assyrie moribonde ? La crise éclata au printemps de 608. Ninive, assiégée par les Mèdes, était sur le point de capituler, et l'ouverture de sa succession n'était plus qu'une question de jours : si Néchao tardait plus longtemps à saisir sa part, il risquait de voir la succession se régler sans lui et de trouver un autre en possession. Il quitta Memphis, et une fois de plus une armée égyptienne s'achemina sur la route traditionnelle de l'Euphrate. Ce n'était plus, comme un siècle auparavant, un assemblage aventureux de bandes éthiopiennes et de contingents féodaux, condamnés à la défaite par la haine et les méfiances qui 1e8 divisaient. Tous les éléments qui la constituaient, Égyptiens, Libyens, Grecs, Cariens, étaient bien dans la main de leur chef et s'avançaient en une masse compacte et irrésistible « comme le Nil ; ses flots roulent en avant ainsi qu'une rivière. Il dit : « Je me lève, j'inonde la terre, je vais noyer cités et peuples ! Chargez chevaux, chars, élancez-vous au galop ! Que les guerriers marchent, l'Éthiopien et le Libyen bien abrités sous son bouclier, l'Égyptien tendant son arc[194] ». Sitôt que Josias l'apprit, il n'hésita pas : il convoqua ses troupes et il se prépara a repousser l'attaque. Néchao affecta de dédaigner cet ennemi : « Qu'ai-je à faire avec toi, roi de Juda ? lui demanda-t-il. Je ne viens pas contre toi aujourd'hui, mais contre la maison avec qui j'ai guerre, et Dieu m'a commandé de me presser. Abstiens-toi de provoquer Dieu qui est avec moi, de peur qu'il ne te détruise[195] ». Il pensa que son message serait écouté, et il poussa au Nord sans attendre la réponse ; mais si bas que Ninive fut déchue, Josias ne se crut pas délié des serments qu'il lui avait prêtés. Confiant dans l'aide de Jahvé, il marcha parallèlement à l'envahisseur et il alla l'attendre à Mageddo, dans l'endroit même où neuf siècles plus tôt Thoutmosis III avait vaincu les Syriens confédérés. Les Juifs plièrent sous le choc et se débandèrent ; Josias fut percé d'une flèche, et Néchao, sans plus s'inquiéter de lui, continua sa course. Il s'arrêta à l'Euphrate, sous les murs de Carchémis, puis, après avoir placé des garnisons dans quelques postes importants, il redescendit vers le Sud. Il séjourna quelque temps à Riblah pour y recevoir les hommages des princes syriens, et là il apprit que les Juifs, sans consulter son bon plaisir, avaient proclamé roi Joachaz, fils de Josias, qu’ils jugeaient sans doute disposé à suivre la politique de son père. Il le déposa après trois mois de règne, et il le remplaça par son frère aîné Éliakim, auquel il imposa le nom de Joïakîm : la Judée fut frappée d'une amende de cent talents d'argent et d'un talent d'or. De retour à Memphis il voulut glorifier la mémoire des mercenaires grecs qui l'avaient aidé, et il consacra dans le temple d'Apollon Branchides, à Milet, la cuirasse qu'il avait portée durant la campagne[196]. Après cinq siècles de faiblesses et de discordes, l'Égypte se retrouvait une fois encore maîtresse de la Syrie[197].

Tandis qu'elle triomphait, Ninive achevait de succomber : Sinsharishkoun, à bout de ressources, agit comme tant de rois orientaux, et il se brûla dans son palais plutôt que de tomber aux mai us de Cyaxare (608). Les Babyloniens ne participèrent pas au pillage des temples par respect pour les dieux qui étaient identiques aux leurs, mais les Mèdes n'éprouvèrent point les mêmes scrupules : « Leur roi, l'intrépide, détruisit entièrement les sanctuaires des dieux d'Assour et des cités d'Accad qui s'étaient montrées hostiles envers lui et ne lui avaient point prêté assistance. Il détruisit leurs livres saints sans en laisser subsister un seul. Il ravagea leurs cités et il les dévasta comme si elles n'avaient jamais existé[198] ». Ninive à bas, l'empire s'effondra du coup : au bout de quelques années, son histoire n'était qu'un thème de légende ; moins de deux siècles après, on ne connaissait plus d'une manière certaine le site de sa capitale, et une armée grecque passa presque à l'ombre de ses tours démantelées, sans soupçonner qu'elle avait devant elle ce qui demeurait de la cité, où vingt générations de monarques tout puissants avaient résidé dans leur gloire[199]. Certes les autres grandes nations de l'Orient, l'Égypte et la Chaldée, n'avaient pas épargné les vaincus aux jours de leur prospérité : les Pharaons des dynasties thébaines avaient foulé l'Afrique et l'Asie sous leurs sandales et emmené en esclavage des populations entières. Mais du moins, à côté de leur oeuvre de colère, ils avaient accompli une oeuvre de civilisation. C'est d'Égypte et de Chaldée que les arts et les sciences de l'antiquité sont venus ; l'Égypte et la Chaldée nous ont légué les premières connaissances sérieuses qu'on ait eues en astronomie, en médecine, en géométrie, dans les sciences physiques et naturelles ; si les monuments de la Chaldée ont péri sans retour, ceux de l'Égypte sont encore debout pour nous prouver à quel degré de perfection les premiers-nés des hommes avaient haussé l'architecture. Et si maintenant nous demandons à l’Assyrie autre chose que des conquêtes, elle ne possédait rien en elle qu'elle n'eût emprunté à ses voisins. Elle emprunta ses sciences à la Chaldée, ses arts à la Chaldée et un peu à l'Égypte, son écriture à la Chaldée, sa littérature scientifique et religieuse à la Chaldée ; la seule chose qui lui appartienne en propre, c'est la férocité de ses généraux et la bravoure de ses soldats. Du jour qu'elle surgit dans l'histoire, elle ne vécut que pour la guerre et pour la conquête ; le jour où l'épuisement de sa population ne lui permit plus les succès du champ de bataille, elle n'eut plus sa raison de vivre et elle disparut[200].

Chapitre XII – Le monde oriental au temps de l’empire des Mèdes

L'empire mède et Cyaxare : la Lydie.

Deux grands royaumes sortirent à la fois de ses ruines. Cyaxare s'attribua l'Assyrie propre et ses dépendances sur le haut Tigre. Nabopolassar joignit à la possession de Babylone la suzeraineté sur la Mésopotamie, la Syrie et la Palestine, l'Élam : il prétendit même étendre sa domination au delà de l'isthme, et il considéra les rois d'Égypte comme ses feudataires, pour ce qu'ils avaient, quelques années durant, relevé de Ninive[201]. On pouvait craindre qu'après avoir fourni un effort commun dans l'action contre l'ennemi, ils ne fussent mécontents l'un et l'autre de leur part des dépouilles et qu'ils ne se heurtassent bientôt, mais il n'en fut rien. Soit tolérance, soit crainte mutuelle, ils s'évitèrent, et leur neutralité réciproque assura la paix du monde oriental pendant plus d'un demi-siècle.

L'histoire de Cyaxare nous est presque inconnue durant les années qui suivirent son triomphe : on devine seulement les obstacles qu'il rencontra, et l'on constate le résultat des guerres qu il entreprit pour les surmonter. Les régions qui s'étendent entre la Caspienne et le Pont-Euxin avaient été bouleversées par les Cimmériens et par les Scythes. Rien n'y subsistait plus de l'ordre de choses qui y avait prévalu si longtemps, et les barbares semblaient être incapables d'édifier quoi que ce fût à la place de ce qu'ils avaient renversé. L'Ourartou était rentré dans ses limites anciennes au pied de l'Ararat, et l'on ne sait qui le gouvernait : la civilisation d'Argishtis et de Ménouas s'était évanouie presque complètement avec leur dynastie, et le peuple, qui ne s'en était jamais imprégné profondément, était retombé bientôt dans une demi barbarie. Des masses confuses d'aventuriers européens se remuaient dans les régions de l'Araxe, cherchant un canton où s'établir, et ils ne réussirent que beaucoup plus tard à s'emparer de celui qui tira son nom de Sacasène[202] de la principale de leurs tribus. Les Moushkou et les Tabal, ceux du moins qui n'avaient pas péri sous la tourmente, s'étaient réfugiés dans les montagnes qui bordent la Mer Noire, et où les Grecs les fréquentèrent sous les noms de Mosynèques et de Tibaréniens[203]. Les restes des Cimmériens les avaient remplacés dans la Cappadoce, tandis que les Phrygiens gagnaient du côté de l'Est et se répandaient sur le bassin du Haut Halys, puis sur l'ancien Miliddou[204], qui bientôt reçut d'eux le nom d'Arménie. Tout cela s'agitait, se choquait, se chassait de contrée en contrée, formait bien « le chaudron bouillant » que le prophète hébreu entrevoyait dans ses visions[205], et qui tantôt débordait sur les nations voisines, tantôt se consumait en grondements inutiles.

Cyaxare employa près d'un quart de siècle à conquérir et à régulariser ce chaos : il y réussit enfin et, toujours victorieux, il parvint aux bords de l'Halys, mais là il se trouva soudain face à face avec des ennemis d'autre valeur, les Lydiens. La Lydie avait changé deux fois de dynastie depuis l'émigration des Toursha et des « peuples de la mer ». Selon la tradition nationale, la lignée des Atyades avait été remplacée par une famille d'Héraclides, dont le fondateur Agron possède une généalogie plus mythique encore que sa personne : il descendait d'Hercule et d'une esclave de Jardanos par Alkæos, Bêlos et Ninos. Faut-il voir dans les noms assyriens de ces derniers un souvenir de la domination hittite[206] ? Agron eut pour successeurs vingt et un rois, chacun fils du précédent et dont les règnes additionnés forment un total de cinq cents ans[207]. On ignore ce qu'ils furent pour la plupart, et ce qu'on nous dit des autres nous transporte en pleine légende. Kamblês était tourmenté d'une faim si féroce qu'une nuit, pendant son sommeil, il dévora la reine[208] ; la femme de Mêlés enfanta un lion[209]. Le récit de l'expédition, en Palestine, d'un général lydien qui aurait fondé Ascalon au temps d'Alkimos[210], peut être un souvenir effacé des migrations tyrrhéniennes et semble montrer que, longtemps encore après la crise des peuples de la mer, les Lydiens partaient en course aux côtes d'Égypte et de Syrie. Vers 687, ces Héraclides furent renversés à leur tour[211].

La Lydie était, comme les autres contrées de l'Asie Mineure, un véritable État féodal. Au-dessous du roi, qui résidait à Sardes, s'échelonnait une hiérarchie de grands vassaux et de princes, alliés pour la plupart à la famille régnante et munis chacun de privilèges spéciaux. Thyessos, Kelænæ, Daskylion, Tyrrha, étaient le siège d'autant de dynasties subalternes, dont les prétentions et les rébellions perpétuelles restreignaient singulièrement le pouvoir du suzerain. Depuis près d'un siècle déjà, les Héraclides n'exerçaient plus que l'apparence du pouvoir : deux clans issus du sang royal, celui des Tylonides et celui des Mermnades, se disputaient le poste de compagnon du roi, qui mettait toutes les forces de l'État à la disposition du titulaire. Un certain Gygès, le premier des Mermnades dont nous ayons le nom, avait été élevé à cette dignité par le vieux Kadys, et son fils Daskylos, lui avait succédé pendant le principat d'Ardys, vers 740. Une conspiration à la tête de laquelle était Alyattés, l'héritier du trône, substitua pour un temps l'influence des Tylonides à celle des Mermnades. Sadyattès, le dernier des Héraclides, crut peut-être contenter les deux factions rivales en leur partageant les emplois les plus élevés : tandis que le Tylonide était le compagnon du roi et à ce titre dépositaire de la hache à deux tranchants, symbole de l'autorité suprême, Gygès, prince de Tyrrha, remplissait les fonctions de majordome. Mécontent de la part qui lui était dévolue, il se révolta ouvertement, tua Sadyattès et ceignit le diadème (687)[212]. Son histoire devint plus tard pour les Grecs un sujet de roman sur lequel leur fantaisie travailla sans contrôle. Gygès ne fut plus pour eux un vassal qu'une rébellion heureuse avait porté au trône : ils lui attribuèrent une origine des plus basses. Les Cariens avaient alors le privilège de fournir aux armées orientales un de leurs éléments les mieux disciplinés. Opprimés par les colons grecs, ils s’expatriaient volontiers et ils allaient prendre du service au dehors, en Égypte ou en Phénicie : en Lydie, ils remplissaient la garde royale, et leurs chefs exerçaient une influence prépondérante. Gygès, fils de Daskylès, était un chef d'aventuriers de race carienne, entré aux gages de la Lydie ; il usurpa graduellement les prérogatives de la royauté, puis il assassina, d'accord avec la reine, Candaule, le dernier descendant des Héraclides. Hérodote contait déjà, d'après le poète Archiloque, que Candaule, affolé par la beauté de sa femme, la montra nue à Gygès : la reine, outrée de ce qu'elle considérait comme un affront, força le favori à tuer son maître, puis elle lui donna sa main et la couronne[213]. Le récit de Platon est plus merveilleux. Après un orage terrible, un berger du roi de Lydie aperçoit une fente dans le sol et il y descend. Il y trouve un grand cheval de cuivre à moitié brisé, et, dans les flancs du cheval, le cadavre d'un géant, qui porte au doigt une bague d'or. Il s'aperçoit que la bague peut le rendre invisible à volonté, va chercher fortune à la cour, séduit la reine, poignarde le roi et se substitue à lui[214]. D'après une troisième légende, il ne commet son crime et ne monte sur le trône que pour accomplir un oracle. Tandis que Toudô, fille du roi des Mysiens, n'était encore que la fiancée de Sadyattès, deux aigles géants s'abattirent sur le toit de sa chambre à coucher, et les devins conclurent de ce présage qu'elle serait en une seule nuit la femme de deux rois : la nuit des noces, Gygès tua son maître, et il épousa la reine sur place[215]. Le changement de dynastie ne s'accomplit pas sans lutte. Les partisans des Héraclides coururent aux armes et se préparèrent à défendre la cause des souverains légitimes. Gygès, appuyé par les mercenaires cariens, préféra s'en rapporter à la décision d'Apollon Delphien ; elle lui fut favorable. « Dés qu'il fut assis fermement sur le trône, il envoya à Delphes des présents considérables, comme en font foi les offrandes en argent qu'il plaça dans le sanctuaire. Outre cet argent, il donna un grand nombre de vases en or, parmi lesquels les plus remarquables sont les gobelets, au nombre de six, et du poids de trente talents, qui sont déposés dans le trésor corinthien.[216] »

L'avènement des Mermnades fut pour la Lydie le commencement d'une ère nouvelle. Elle avait toujours été une terre vaillante et belliqueuse, féconde en hommes, nourricière de chevaux vigoureux ; mais les Héraclides n'avaient pas exploité les ressources qu'elle offrait pour la conquête. Gygès n'eut pas de peine à réveiller les instincts guerriers de son peuple. Sardes, appuyée sur un rocher dont les flancs à pic défient de trois côtés l'escalade, était naturellement presque imprenable : il la changea en un vrai camp retranché, où sa cavalerie se reposait chaque hiver, et d'où elle partait presque chaque printemps pour quelque aventure nouvelle. De ses campagnes à l'intérieur on ne sait rien, si ce n'est qu'il annexa plusieurs cantons de la Phrygie à son royaume[217]. Ce n'était toutefois là que le moindre de sa tâche : le plus pressé pour lui était de se frayer un chemin à la mer. Les colonies grecques, éoliennes et ioniennes, barraient l'embouchure de toutes les rivières qui arrosaient son territoire : Smyrne et Phocée fermaient la vallée de l'Hermos et bloquaient Sardes ; Colophon commandait l'entrée du Caystros, Milet celle du Méandre. Gygès débuta par s'emparer de la côte carienne au sud, au nord de la Troade[218] et de la Mysie, depuis le golfe d'Adramyttion jusqu'au delà du Rhyndakos. Les Grecs le secondèrent d'abord dans ses ambitions : les Milésiens se liguèrent même avec lui pour établir la colonie d'Abydos sur l'Hellespont[219]. Mais leurs intérêts différaient trop des siens pour que l'entente persistât longtemps. La guerre éclata entre les Lydiens et l'Ionie, et se prolongea sans trêve pendant un siècle et demi : la cavalerie lydienne se répandait dans la banlieue des cités helléniques, brûlait les vergers, détruisait les villages, pillait les temples, razziait les hommes et les bestiaux. Gygès assiégea Milet et Smyrne sans succès, mais il prit Colophon[220] : ici encore la légende s'est mêlée à l'histoire pour attribuer une cause extraordinaire à ses succès. On conta qu'il avait pour favori un jeune homme d'une beauté merveilleuse, nommé Magnés, et que les Magnésiens défigurèrent au point de le rendre méconnaissable : il les assiégea et il ne se retira qu'après les avoir châtiés cruellement[221]. Rien ne prouve qu'il ait jamais possédé une cité grecque autre que Colophon, mais, malgré divers échecs, la politique qu'il avait inaugurée eut les résultats les plus heureux pour sa dynastie. La Lydie était demeurée jusqu'alors un État purement oriental, et elle n'avait eu qu'une part modeste dans le développement général de l'histoire. Gygès l'arracha au milieu dans lequel elle avait vécu, et il l'introduisit dans le concert des Etats helléniques. La culture de l'Ionie s'infiltra à la cour des Mermnades, et elle y effaça peu à peu la trace des influences hittites et assyriennes qui l'avaient précédée.

Les anciens se demandaient qui avait inventé la monnaie, Phidon d'Argos ou les rois lydiens[222] : les modernes se sont décidés en faveur de ces derniers[223]. Les peuples les plus policés, les Égyptiens, les Assyriens, les Hittites, les Phéniciens, avaient pourvu par l'échange aux opérations journalières entre gens d'une même ville et à celles du commerce international. Les marchés étaient un simple troc de denrées nécessaires ou de produits de luxe : un monument d'époque memphite nous montre des ménagères allant au bazar et y achetant des souliers, des légumes, des liqueurs avec des éventails, des colliers en verroterie et d'autres menus objets. On avait cependant reconnu déjà que les métaux nobles, l'or, l'argent, et, parmi les métaux vils, le cuivre, étaient l'instrument le plus sûr et le plus commode des transactions. D'abord employés à l'état brut, en poudre ou morceaux irréguliers, on s'habitua bientôt à leur imposer des figures régulières et à les couler en lingots, échelonnés selon le système de poids en usage chez chaque peuple, et ramenés à des tailles assez faibles pour représenter les valeurs minimes dont on a besoin au courant de la vie. Ces lingots ne recevaient aucune marque officielle destinée à garantir l'exactitude du poids et la pureté du titre ; c'était une marchandise dont il fallait vérifier la qualité et évaluer la quantité à la balance, chaque fois qu'elle changeait de main. Les banquiers lydiens et les rois de Lydie, Gygès le premier[224], imaginèrent de les timbrer d'une empreinte déterminée qui leur assurât un cours légal. Le métal qu'ils choisirent pour cet usage fut non pas l'argent ou l'or pur, mais cet alliage naturel d'or et d'argent que les anciens appelaient électrum, et qu'ils recueillaient dans les lavages du Pactole ou dans les filons quartzeux du Tmolos ou du Sipylos[225]. Le type de ces monnaies primitives diffère assez sensiblement de celui qui a prévalu depuis. Ce sont des pastilles de métal, ovoïdes, légèrement aplaties sur les côtés ; n'offrant au droit qu'une surface striée, et montrant au revers l'empreinte profondément enfoncée en creux de trois poinçons, dans l'un desquels on distingue encore le renard, emblème d'Apollon Bassareus. L'usage s'en répandit rapidement, et les Grecs ne furent pas les moins prompts à imiter l'exemple que les Lydiens leur donnaient. Phidon d'Argos appliqua à l'argent ce qui n'avait été encore essayé qu'avec l'électrum, et il frappa des pièces au type de la tortue dans l'île d'Egine, dont il était le maître. Moins de deux siècles plus tard, l'usage de la monnaie s'était répandu dans tout le monde antique.

Le règne de Gygès se termina par un désastre. Pressé des Cimmériens, il avait reçu en rêve l'avis de prêter hommage au roi d'Assyrie, Assourbanabal, dont les premiers succès remplissaient de bruit le monde oriental. Du jour qu'il eut obéi à l'ordre d'en haut, la fortune se déclara pour lui : il choisit parmi ses prisonniers deux chefs qu'il manda enchaînés à Ninive. Mais, le péril passé, il se repentit de sa démarche et il expédia des secours aux Égyptiens révoltés. Bientôt après, les Cimmériens, ayant groupé autour d'eux les Trères et d'autres tribus thraces, revinrent à la charge sous la conduite d'un certain Tougdamis. Cette fois, la chance les favorisa. Gygès fit de son mieux pour soutenir leur choc, mais ses lanciers se débandèrent devant l'élan désordonné des Barbares ; il fut tué dans la déroute de ses soldats, et son corps demeura sans sépulture[226]. La Lydie entière fut dévastée et Sardes prise, à l'exception de la citadelle (652) : Ardys, revenant à la politique première de son père, implora le secours de l'Assyrie. Il s'en trouva bien vers 640, Tougdamis succomba dans les gorges du Taurus sous les coups des généraux d'Assourbanabal. Ardys recouvra dès lors la plus grande partie du territoire perdu et s'agrandit aux dépens des cités grecques[227] ; il isola Milet du reste de la confédération ionienne, en occupant l'acropole fortifiée de Priène[228]. Sadyattès (645-610) écrasa deux fois l'infanterie milésienne dans les plaines basses du Méandre. Alyatte, qui lui succéda en 610, désespérant de forcer la ville, essaya de la réduire par la famine. « Chaque été, dés que les fruits et les moissons commençaient à mûrir, il partait à la tête de son armée, qu'il faisait marcher et camper au son des instruments. Arrivé sur le territoire des Milésiens, il gâtait entièrement les récoltes et les fruits. » Il se conduisait avec une modération relative dont les Grecs lui surent gré. Il évitait de détruire les habitations et les édifices consacrés au culte : une fois, l'incendie qui ravageait la plaine ayant gagné le temple d'Athéna, près d'Assêsos, il le rebâtit à ses frais. Son obstination échoua devant la fermeté des Milésiens. Il traita avec eux, se rejeta sur d'autres cités moins fortes, enleva Smyrne[229] : il avait établi sa suzeraineté jusque sur la rive gauche de l'Halys, quand les Mèdes parurent à la rive opposée.

La Lydie était trop riche et trop fertile pour ne pas exciter la convoitise de Cyaxare : la tradition courante chez les Grecs, un siècle plus tard, avait inventé un véritable roman pour expliquer les origines du conflit. Un corps de Scythes nomades, que le Mède avait à son service, le quitta soudain, disait-on, et se réfugia auprès d'Alyatte : il réclama ces transfuges, n'obtint pas leur extradition et déclara la guerre. Il s'aperçut bientôt que l'ennemi qu'il avait devant lui était trempé d'autre façon que les barbares de la Haute Asie. De vrai, l'armée d'Alyatte était inférieure en nombre à la sienne, mais elle l'emportait par la valeur des éléments qui la composaient et des chefs qui la commandaient  Cyaxare n'avait rien qu'il pût comparer aux lanciers cariens, aux hoplites d'Ionie, à la grosse cavalerie lydienne. La lutte se prolongea six ans à succès égal, et les deux armées, après plusieurs batailles indécises, allaient se rencontrer une fois encore, lorsque le soleil s'éclipsa soudain. Les peuples de l'Iran ne voulaient combattre qu'à la pleine lumière du soleil, et les Lydiens, bien que prévenus, dit-on, par Thalès, du phénomène qui se préparait, n'étaient peut-être pas plus rassurés que leurs adversaires : on se sépara sur-le-champ. La tradition recueillie par Hérodote racontait que le Syennésis de Cilicie, allié du roi lydien, et le Babylonien Nabonide[230] (Labynètos), qui soutenait Cyaxare, proposèrent un armistice et persuadèrent aux rivaux de s'accommoder. L'Halys resta la limite officielle des deux royaumes ; pour consolider l'alliance, Alyatte maria sa fille Aryènis avec Astyage, fils de Cyaxare. Selon l'usage du temps, les deux princes, après s'être prêté le serment d'amitié l'un à l'autre, scellèrent le contrat en se piquant le bras mutuellement et en buvant le sang qui coulait de la blessure (585)[231].

Cyaxare ne survécut pas longtemps à la conclusion du traité : il mourut en 584, plein de gloire et de jours. Peu de princes eurent une destinée aussi brillante que la sienne, même dans ce siècle de fortunes soudaines et de triomphes éclatants. Héritier d'un royaume sans cohésion et sans organisation, proclamé roi au lendemain d'une défaite où son père avait succombé, assailli par des hordes barbares, il surmonta tous les obstacles par sa ténacité et par sa vaillance ; les Scythes détruits, il écrasa les Assyriens, conquit l'Asie orientale, l'Arménie, la Cappadoce. A son avènement, la Médie était confinée dans une petite portion du plateau de l'Iran : à sa mort, l'empire mède s'étendait des bords de l'Helmend à la rive orientale de l'Halys[232].

La religion iranienne : Zoroastre, les Mages.

Il est à coup sûr le moins connu de tous ceux qui régirent l'Orient : les historiens de l'âge classique n'ont pu que recueillir les traditions courantes sur lui chez les Perses, et ses princes ne nous ont légué aucun monument qui nous renseigne directement sur leur histoire. Nous l'entrevoyons donc comme à travers un brouillard, organisé à peu près de la même manière que l'empire achéménide, mais plus imparfait, plus fruste, plus proche de la barbarie : c'est une Perse à l'état rudimentaire et dont les rouages sont encore mal engrenés. La machine politique y était montée sur les mêmes principes qui avaient prévalu en Assyrie, en Élam, en Chaldée, dans tous les États avec lesquelles il avait eu des rapports de vassalité, d'alliance ou de guerre : dès que nous perçons ce vernis superficiel, nous rencontrons dans sa vie intérieure et dans sa religion des éléments dont l'originalité nous transporte au milieu d'un monde entièrement nouveau.

La religion y était établie dans ses grandes lignes lorsque le peuple s’éleva contre Assourbanabal, et le nom même de Fravartish, le confesseur, que porte le souverain d'alors, prouve qu'elle était pratiquée dans la famille royale. Nous ne saisissons presque rien des diverses évolutions qu'elle accomplit avant de revêtir la forme la plus ancienne que les livres sacrés nous en ont conservée. Selon les uns, le mazdéisme naquit dans l'Aryanêm Vâedô ; selon les autres, il ne se développa qu'en Médie[233] presque au dernier terme des migrations iraniennes. Plus tard on attribua à l'influence d'un seul homme ce qui avait été l'oeuvre des siècles : les légendes nationales attribuèrent au prophète Zarathoustra (Zoroastre)[234] l'honneur d'avoir établi la vraie religion. Presque tous les écrivains de l'époque classique s'accordent à placer ce personnage sur les plans les plus reculés de l'antiquité fabuleuse. Hermippos et Eudoxe prétendaient qu'il florissait six ou sept mille ans avant Alexandre, mais Pline le disait de mille ans antérieur à Moïse[235], et Xanthos de Lydie affirmait que six cents années seulement s'étaient écoulées entre sa mort et la campagne de Xerxès contre Athènes. Selon la tradition la plus ancienne, il était né à Raghà en Médie[236], ou en Atropatène[237], et il vivait aux premiers âges de la race iranienne, au temps où les tribus étaient encore campées en Bactriane. Il était de race royale et il fut choisi par Dieu, dès avant sa naissance, pour régénérer le monde. Son enfance et sa jeunesse ne furent qu'une lutte incessante contre les démons : toujours assailli, il était toujours vainqueur et il sortait plus parfait de chaque épreuve. Quand il eut trente ans, un génie supérieur, Vôhoumanô, lui apparut et le conduisit en présence d'Ahouramazdâ, invité à interroger Dieu, il demanda « quelle était la meilleure des créatures qui sont sur la terre ». On lui répondit que celui-là était excellent parmi les hommes dont le coeur est pur. Il voulut ensuite connaître le nom et la fonction de chacun des anges, la nature et les attributs du mauvais principe. Il traversa une montagne de flammes, se laissa ouvrir le corps et verser dans le sein du métal fondu, sans éprouver aucun mal ; après quoi il reçut des mains de Dieu l'Avesta, le livre de la loi, et il fut renvoyé sur la terre[238]. Il se rendit à Balkh, auprès de Vistâçpa, fils d'Aourvatàçpa, qui régnait alors sur la Bactriane, et il y défia les savants de la cour. Pendant trois jours ils essayèrent de le combattre et de l'égarer, trente à sa droite, trente à sa gauche. Lorsqu'ils se furent avoués vaincus, il déclara qu'il venait de Dieu et il commença de lire l'Avesta au souverain. Persécuté par les sages, accusé par eux de magie et d'impiété, il l'emporta sur eux à force d'éloquence et de miracles. Vistâçpa, sa femme, son fils, crurent en lui, et la plus grande partie du peuple suivit cet exemple. La légende ajoute qu'il vécut longtemps encore, honoré de tous pour la sainteté de sa conduite. Selon les uns, il mourut frappé de la foudre ; selon les autres, il fut tué à Balkh par un soldat touranien. On s'est demandé souvent s'il était un personnage historique, ou seulement un héros mythique égaré dans l'histoire. On ne saurait trancher pareille question d'une manière décisive : ce dont on peut être assuré, c'est que, s'il vécut réellement, rien ne nous est arrivé de lui que le nom[239].

Au début, le dieu suprême des Iraniens était « le cercle entier du ciel[240] », « le plus solide des dieux, car il a pour vêtement la voûte solide du firmament », le plus beau, le plus intelligent, celui dont les membres ont les proportions les plus harmonieuses. Son corps est la lumière « souveraine et infinie », ses yeux sont le soleil et la lune[241]. Plus tard, sans perdre tout à fait son caractère originel, il devint de plus en plus abstrait et il se dégagea presque entièrement de la matière. On emprunta au début pour le représenter le symbole d'Assour, et les sculpteurs le montrèrent sortant à mi-corps du disque ailé qui plane au front des monuments de Ninive ; on se le figura par la suite comme un roi de stature imposante qui se révélait de temps en temps aux souverains de l'Iran. On l'appelait Ahouramazdâ[242] « l'omniscient », Çpentomainyous, l'esprit du bien, le sage par excellence, « le lumineux, le resplendissant, le très grand et très bon, le très parfait et très actif, le très intelligent et très beau[243] ». Il est incréé, mais il a créé toute chose[244] et il est assisté dans l'administration de son oeuvre par des légions d'êtres qui lui sont soumis. Les plus puissants de ses coadjuteurs sont six génies d'ordre supérieur qu'on appelle les Ameshaçpentas (Amshaspands), « les immortels bienfaisants ». Ils étaient à l'origine des dieux de la nature, le Soleil, la Lune, la terre, les vents, les eaux, mais on leur attribua ensuite des fonctions moins matérielles, et l'on fit d’eux, Vôhoumanô, le « Bon esprit », Ashavahista, le « très pur », Khshathravairya, le « royaume désirable », Çpenta ârmaïti, la « sagesse parfaite », Haourvatât, la santé, Ameretât, l'immortalité[245]. Lumineux comme leur maître, « ils ont tous les sept même pensée, même parole, même action, même père, même Seigneur[246] ». Toutefois, chacun d'eux avait son domaine propre dont il s'occupait sans contrôle étranger ; Vôhoumanô veillait sur le bétail, Ashavahista sur le feu, Khshathravairya sur les métaux, Çpenta ârmaïti sur la terre, Haourvatât et Ameretât sur les végétaux et sur l'air. Au-dessous d'eux, les Yazatas (Yzeds)[247], répandus par milliers dans l'univers, veillent à la conservation et au jeu de ses organes : l'esprit de la lumière divine, Mithra « aux beaux pâturages », le vigilant Mithra, « qui, le premier des Yazatas célestes, pointe au-dessus du mont Hara[248], avant le soleil immortel aux chevaux rapides, qui le premier, en pompe dorée, saisit les beaux sommets et abaisse son regard bienfaisant sur la demeure des Ariens[249] » ; Mâo, le génie de la lune ; le vent, Vâto ; l'atmosphère, Vayou, « le grand des grands, le fort des forts, le dieu à l'armure d'or », qui amasse l'orage et le lance contre le démon[250] ;  Atar, le feu ; Verethraghna, qui suscite la guerre et qui accorde la victoire ; les différents génies de l'eau, du feu, de l'air et des astres[251]. Ils touchent de près à une classe d'êtres spéciaux, les Fravashis (Frohar ou Feroüer). La Fravashi est « le type divin de chacun des êtres doués d'intelligence, son idée dans la pensée d'Ormazd[252] ». Chaque homme, chaque créature née ou à naître, chaque Yazata et Ahouramazdâ lui-même avait sa Fravashi qui veillait sur lui et qui se dévouait entière à son salut. Après la mort de l'homme, les Fravashis restaient au ciel et elles y devenaient une sorte d'esprit indépendant, d'autant plus puissant pour le bien que les créatures auxquelles elles avaient été attachées sur la terre avaient mieux pratiqué la pureté et la vertu[253]. Pendant les six derniers jours de l'année, elles erraient par les villes, demandant : « Qui veut nous louer ? Qui nous offrir un sacrifice ? Qui songer à nous et nous saluer, nous accueillir par un don de viande, de vêtements purs et de prières ? » Et s'il se trouve un homme qui réponde à leur prière, elles le bénissent : « Puisse-t-il y avoir en sa maison troupes d'animaux et d'hommes, un cheval léger et un chariot solide, un homme qui sache la manière de prier Dieu et de présider dans une assemblée[254] ».

Ahouramazdâ avait fait le monde non par l'acte de ses mains, mais par la magie de sa parole, et il avait voulu que son oeuvre fût exempte de fautes. Mais la création ne peut subsister que par l’équilibre des forces qu'elle met en jeu, et l'opposition de ces forces inspira aux Iraniens l'idée qu'elles étaient mues par deux principes ennemis, l'un créateur et utile, l'autre mauvais et meurtrier. Le dieu de l'obscurité et de la mort, Angrômainyous, se dressa contre Ahouramazdâ, le dieu de la lumière et de la vie. Au début, ils régnèrent chacun dans son domaine, rivaux mais non pas adversaires irréconciliables : ils coexistèrent pendant des âges sans entrer en conflit direct, séparés qu'ils étaient par le vide. Tant qu'Ahouramazdâ se renferma inactif dans sa splendeur stérile, le principe du mal sommeilla inconscient de lui-même sous la nuit qui n'avait pas eu de commencement ; mais le jour où l'esprit qui accroît (Çpentomainyous) résolut enfin de se mettre au travail, les premiers essais de son activité vivifiante éveillèrent Angrômainyous[255]. Le ciel n'existait pas encore, ni l'eau, ni la terre, ni le feu, ni le boeuf, ni l'homme, ni les démons, quand le mauvais se rua sur la lumière pour l'étouffer ; mais Ahouramazdâ avait déjà évoqué les ministres de sa volonté, Ameshaçpentas, Yazatas, Fravashis, et il récita la prière de vingt et un mots dans laquelle tous les éléments de la morale sont résumés, l'Ahouna-vairya : « La volonté du Seigneur est la règle du bien. Que les bienfaits de Vôhoumanô soient accordés aux oeuvres accomplies pour Mazdâ en ce moment : celui-là fait régner Ahoura qui protège le pauvre ». Angrômainyous fut repoussé, mais de même qu'Ahouramazdâ se manifestait dans tout ce qu'il y a d'utile et de beau, dans la lumière, dans la justice, dans la vertu, il voulut percer dans tout ce qui est nuisible et laid, dans les ténèbres, dans le crime, dans le péché[256]. Il opposa aux six Ameshaçpentas six esprits égaux en force et en puissance : Akômanô, la « pensée mauvaise » ; Andra, le feu destructeur, qui cherche à semer dans le monde le chagrin et le péché ; Çaourou, « la flèche de la mort[257] », qui pousse les rois à la tyrannie, les hommes au vol et au meurtre ; Nâonghaithya, l'arrogance et l'orgueil ; Taourou, la soif ; Zaïri, la faim[258]. il suscita contre les Yazatas les Daêvas (devs) ou démons, qui ne cessent d'assiéger la nature et de s'opposer à la régularité de ses mouvements[259]. Au moment de la création, tandis qu'Ahouramazdâ émettait la lumière, l'homme, tout ce qu'il y a de bon en ce monde, Angrômainyous évoquait les ténèbres, les animaux et les plantes nuisibles : jaloux de l'homme, il chercha à le faire déchoir. Avant l'arrivée de Zoroastre, ses créatures mâles (Yatous) et femelles (Païrikas, Péris) se mêlaient librement à l'humanité et contractaient des alliances avec elle : Zoroastre brisa leurs corps et leur défendit de se révéler autrement que sous forme de bêtes[260], mais leur pouvoir ne sera complètement détruit qu'à la fin des temps. Alors trois prophètes issus de Zoroastre, Oukhshyatereta, Oukhshyatnémô, Çaoshyañt ou Açtvatereta, dicteront trois nouveaux livres de la loi qui compléteront le salut du monde, mais à Çaoshyañt est réservé l'honneur de porter le coup décisif. La lumière souveraine s'attachera à lui et à ses compagnons ; il affranchira les créatures de la corruption et de la pourriture, puis il « rendra l'univers éternellement vivant, éternellement accroissant, maître de lui-même ». Les ténèbres se dissiperont devant la lumière, la mort devant la vie, le mal devant le bien. « Akoumanô frappe, mais Vôhoumanô le frappera à son tour. La parole de mensonge frappe, mais la parole de vérité la frappera à son tour. Haourvatât et Ameretât frapperont et la faim et la soif ; Haourvatât et Ameretât frapperont la faim terrible, la soif terrible.[261] » Angrômainyous lui-même devra confesser la supériorité d'Ahouramazdâ, et la perfection régnera souveraine[262].

Au milieu de ce conflit des deux principes, l'homme, assailli par les Daêvas, défendu par les Yazatas, vit selon la loi et la justice dans la condition où le sort l'a jeté. Il doit contribuer autant qu'il est en lui à l'accroissement de la vie et du bien, et suivant qu'il travaille à remplir cette fin naturelle ou qu'il agit pour la contrarier, il est l'ashavan, le pur, le fidèle ici-bas et le bienheureux en l'autre monde, ou l'anashavan, le maudit qui se révolte contre la pureté. La plus haute place dans la hiérarchie appartient à l'âthravan, au mage dont la voix glace les démons de terreur, puis au soldat dont la massue terrasse les impies ; mais, à côté d'eux, le législateur a réservé une place d'honneur à celui qui cultive la terre. « C'est un saint, celui qui s'est construit ici-bas une maison, dans laquelle il entretient le feu, du bétail, sa femme, ses enfants et de bons troupeaux. Celui qui fait produire du blé à la terre, celui qui cultive les fruits des champs, celui-là cultive la pureté : il avance la loi d'Ahouramazdâ autant que s'il offrit des sacrifices.[263] » L'homme a été placé ici-bas afin de disputer à Angrômainyous les parties stériles du sol : labourer est son premier devoir. Son second est de protéger les créatures d'Ahouramazdâ et d'anéantir celles d'Angrômainyous. Il aidera donc ses coreligionnaires ; il leur donnera un vêtement s'ils sont nus, et il ne refusera jamais du pain au laboureur affamé sous peine de tourments éternels. Même sa charité s'étendra aux bêtes mazdéennes, au taureau, au mouton, au hérisson, au chien. Le chien est la meilleure des créatures d'Ahouramazdâ, celle pour laquelle il faut avoir le plus de respect ; c'est pêché non seulement que le tuer[264], mais que lui servir « des os dans lesquels il ne peut mordre ou des aliments assez chauds pour lui brûler la gueule ou la langue[265] ».

Pour le reste, on avait soin de ne pas surcharger la vie de formules ; on exigeait de l'Iranien qu'il crût en Dieu, qu'il lui adressât des prières et des sacrifices, qu'il fût simple de coeur, sincère en paroles, loyal dans tous ses actes. « Nous adorons Ahouramazdâ, le pur, le seigneur de pureté ; nous adorons les Ameshaçpentas, les possesseurs du bien, les distributeurs du bien ; nous adorons tout ce que le bon esprit a créé, tout ce qui peut servir au bien de sa création et à l'extension de la vraie foi. - Nous louons toutes les bonnes pensées, toutes les bonnes paroles, toutes les bonnes actions qui sont ou qui seront, et nous conservons en pureté tout ce qui est bon. - Ahouramazdâ, être toujours bon, toujours heureux, nous nous efforçons de penser, de parler, d'agir comme il convient pour assister les deux vies[266] », celle de l'âme et celle du corps. L'homme de bien par excellence (ashavan) est celui qui a bonne pensée, bonne parole, bonne action ; quiconque réunit en soi ces trois vertus est en état d'ordre et de pureté complète (asha)[267]. Une fois sorti de la perfection, ou n'y rentrait que par le repentir accompagné de bonnes œuvres : détruire les animaux malfaisants la grenouille, le serpent, la fourmi[268], transformer les terres incultes en terres cultivées, marier une jeune fille pure et saine à un homme juste[269], étaient autant de modes d'expiation recommandés par la loi. Le mariage était strictement obligatoire, et, comme il paraissait d'autant plus recommandable que la parenté était plus étroite entre les deux époux, non seulement on accouplait la soeur au frère, mais le père à la fille et le fils à la mère, au moins parmi les mages[270]. Nulle loi ne restreignait le nombre des épouses ou des concubines : loin de là, l'on estimait qu'un homme devait s'unir à autant de femmes que sa fortune lui permettait d'en entretenir. Après la mort, il était défendu de brûler le corps, de l'ensevelir[271], ou de le jeter dans la rivière : à le faire, on eût souillé le feu, la terre ou l'eau. On avait deux manières différentes de se débarrasser du cadavre sans dommage pour la pureté des éléments. On le recouvrait d'une couche de cire et on l'enfouissait[272] : l’enduit était censé empêcher l'impureté qu'un contact direct avec la terre aurait produite. On l'exposait en plein air et on le laissait dévorer aux oiseaux et aux bêtes de proie[273] : en ce cas, de grandes tours rondes servaient de cimetières[274]. L'âme, après être restée trois jours encore dans le voisinage de sa dépouille mortelle, la quittait à l'aube du quatrième pour se rendre au jugement. Le génie Rashnou Razishta, le véridique par excellence, pesait ses actions bonnes et mauvaises dans la balance infaillible et l'acquittait ou la condamnait, selon le témoignage de sa propre vie. Au sortir du tribunal, on la menait à l'entrée du pont Chinvat, qui était jeté sur l'enfer et qui menait au paradis. Impie, elle ne le franchissait pas, mais elle tombait dans l'abîme, où elle devenait l'esclave d'Angrômainyous ; pure, elle le passait sans peine avec l'aide de l'ange Çraosha. Vôhoumanô lui souhaitait la bienvenue, la présentait au trône d'Ahouramazdâ comme il avait fait Zoroastre, puis lui assignait la place qu'elle devait occuper désormais jusqu'au jour de la résurrection des corps[275].

L'Avesta avec les doctrines qu'il renferme, « c'est le code d'une secte religieuse très bornée ; c'est un Talmud, un livre de casuistique et d'étroite observance. J'ai peine à croire que ce grand empire perse ait eut une loi aussi stricte[276] ». Les livres sacrés de l'Iran, tels que nous les possédons aujourd'hui, ont été rédigés probablement à l'époque des Sassanides : une tradition fort ancienne raconte que le roi des Parthes, Vologèse 1er, ordonna qu'on recueillît tous ceux de leurs fragments qui avaient échappé aux persécutions d'Alexandre, et que l'édition définitive en fut publiée sous Sapor II Anoushirvân, vers le milieu du vie siècle de notre ère[277]. La collection renferme des chapitres fort anciens, écrits dans une langue plus archaïque[278], et une partie des idées qui y sont exprimées découle de textes déjà considérés comme étant canoniques au temps des rois achéménides ; mais le peu que les historiens grecs nous racontent des religions mèdes et perses diffère sur bien des points de ce que l'Avesta nous enseigne. Il n'est pas certain que le dualisme ait été aussi nettement réglé alors qu'il l'est dans les livres de la loi, ni que les rois achéménides aient connu l'existence d'Angrômainyous. La coutume qu'ils avaient de se construire, en vue de leur capitale, des tombes monumentales, dont quelques-unes existent encore, montre que le fait d'enterrer un cadavre n'était pas considéré comme un sacrilège. Il semble cependant que beaucoup de préceptes, qui n'étaient pas observés par le peuple, étaient pratiqués par les prêtres, par ces Mages qui formaient une des six tribus de la nation médique[279]. En tout cas les observances que la loi leur imposait étaient innombrables et minutieuses. Ahouramazdâ et ses aides n'avaient ni temples, ni tabernacles, et bien qu'on les figurât parfois dans les bas-reliefs sous des espèces humaines et animales, personne ne se serait risqué à ériger dans leurs sanctuaires ces statues soi-disant animées ou prophétiques auxquelles les Égyptiens et les Assyriens rendaient hommage. Toutefois on leur élevait, au sommet des collines, dans les palais, au centre des cités, des pyrées, c'est-à-dire des abris où la flamme s'allumait en leur honneur, et ne s'éteignait plus d'âge en âge. Ces pyrées allaient d'ordinaire deux par deux, et c'est ainsi qu'on les rencontre çà et là parmi les ruines, à Nakhsh-î-Roustem, par exemple[280]. Ils ont la forme d'un cube et ils ressemblent à des tours flanquées aux quatre angles de colonnes reliées par des arches demi-circulaires ; une rangée de créneaux triangulaires les surmonte et le haut en est creusé légèrement pour réserver la place du foyer.

Les rites du sacrifice duraient longtemps, et ils se compliquaient de manipulations, de gestes cérémoniels et d'incantations interminables. Où le pyrée ne devait pas abriter un feu perpétuel, on l'allumait avec des brindilles écorcées et purifiées par avance, puis on l'entretenait avec des bois précieux, de préférence du cyprès ou du laurier, mais on avait soin de ne pas souffler sur la flamme pour l'activer : l'haleine humaine la souillait, et celui qui commettait volontairement cette grave offense était puni de mort[281]. L'offrande ordinaire consistait en pains, en fruits, en parfums, en fleurs, mais, quand l'occasion exigeait un sacrifice sanglant, le cheval était la victime préférée[282], puis le boeuf, la vache, la brebis, le chameau, l'âne, le cerf : dans certaines circonstances même, lorsqu'on souhaitait se concilier la faveur du dieu des morts, on offrait un homme[283]. Le roi, représentant d'Ahouramazdâ sur la terre, officiait quand il lui plaisait, mais, lui excepté, nul ne pouvait se dispenser de l'entremise des Mages. Les fidèles se rendaient en procession à l'endroit où la cérémonie devait s'exécuter, et le prêtre, coiffant la tiare, récitait une invocation d'une voix basse et mystérieuse, afin d'appeler les bénédictions du ciel sur le roi et sur la nation[284]. Il tuait ensuite la victime d'un coup sur la tête, et il la coupait en portions qu'il distribuait aux assistants, sans se rien réserver, car Ahouramazdâ ne voulait pour lui que l'âme : dans quelques cas, la victime était brûlée en entier, le plus souvent, on ne mettait sur le feu qu'un peu de la graisse et des entrailles[285]. L'officiant se couvrait la bouche avec les rubans qui tombaient de sa mitre, pour empêcher son haleine d'effleurer la flamme ; il tenait dans ses mains le petit fagot de brindilles de tamarisque, le baresman[286], et il préparait la liqueur mystérieuse du haoma[287]. Tous les membres de la tribu des mages n'étaient pas nécessairement des prêtres, mais ceux-là seuls qui avaient été voués au sacerdoce dès leur enfance, et qui, après avoir reçu l'instruction nécessaire, étaient ordonnés régulièrement. Ceux-là se divisaient en plusieurs classes dont trois au moins avaient des fonctions séparées, les magiciens, les interprètes des songes, et les prophètes, parmi lesquels on choisissait le conseil de l'ordre et son chef suprême. Leur existence était austère : ils devaient s'abstenir de toute nourriture ayant eu vie, et même les classes auxquelles la viande était permise n'en pouvaient user que sous de certaines restrictions. Leurs vêtements étaient simples ; ils ne se paraient d'aucun bijou, et ils observaient la plus stricte fidélité dans le mariage : les, vertus qu'ils avaient ou qu'on leur prêtait leur assuraient un ascendant incontestable sur le peuple aussi bien que sur les nobles, et le roi lui-même n'entreprenait rien avant d'avoir consulté Ahouramazdâ par leur entremise. Plusieurs auteurs classiques affirment que, sous des apparences d'austérité, ils cachaient des vices monstrueux, et ce que nous savons d'eux par les monuments originaux ne nous permet pas de combattre ou d'approuver ce jugement ; toutefois il est probable que, même dans les derniers temps, la dépravation fut chez eux la particularité de quelques-uns plutôt que le tort de tous. Ils restèrent jusqu'au bout fidèles aux règles de pureté cérémonielle et d'honnêteté que les livres sacrés de leurs ancêtres leur imposaient.

L'empire chaldéen et le monde oriental depuis la chute de Ninive jusqu'à la chute de l'empire mède.

La Chaldée avait dû lutter elle aussi pour saisir la part qui lui avait été attribuée dans l'héritage de l'Assyrie. Non seulement Néchao lui avait ravi la Judée, la Phénicie et la Syrie, qu'elle estimait lui revenir de droit, mais les Araméens nomades du Khabour et du Balikh lui refusaient leur hommage, et les bandes de Cimmériens ou de Scythes qui battaient encore la campagne depuis l'invasion de Madyés se joignaient souvent à eux pour attaquer les cités de la Mésopotamie : récemment encore elles avaient pillé la cité sainte de Harrân et dévasté le temple du dieu Sin[288]. Nabopolassar, trop vieux pour partir lui-même en expédition contre elles, confia probablement le commandement de ses troupes au fils qu'il avait choisi afin de lui succéder, Nabuchodorosor[289], le mari de la princesse mède. Il ne fallut pas à celui-ci moins de trois ans pour remettre tout en ordre : Harrân demeura aux barbares sous condition d'un tribut, mais le district des Soubarou fut annexé à l’empire, et la domination babylonienne escalada les versants méridionaux du Masios[290]. Allait-elle en rester là et laisser les pays d'au delà l'Euphrate, aux mains de ce Néchao qu'on affectait de considérer comme un satrape rebelle ? Nabuchodorosor franchit l'Euphrate en 604. On ne sait rien des débuts de la guerre, mais la rencontre décisive eut lieu sur les bords du fleuve, non loin de Gargamish[291] ; les Égyptiens furent complètement battus, et les Syriens surent désormais à quoi s'en tenir sur la force des deux grands empires qui se disputaient leur allégeance. La Judée, qui avait le plus souffert des Égyptiens, accueillit la nouvelle de leur désastre avec joie, et le prophète Jérémie le célébra en strophes ironiques : « Que vois-je ? les voilà culbutés, reculant d'épouvante ! Leurs guerriers sont écrasés, ils courent, ils fuient sans tourner la tête… Ah ! le plus agile n'échappera pas ! Là, au nord, sur les bords de l'Euphrate, ils trébuchent, ils tombent ! … Ce jour est pour le Seigneur, pour le Dieu des astres un jour de vengeance, où il frappera ses ennemis ; l'épée doit se rassasier, s'abreuver de leur sang ; car le Seigneur, le Dieu des astres veut avoir son hécatombe au pays du Nord, sur l'Euphrate ! Et maintenant monte en Galaad et cherche du baume, vierge fille de l'Égypte. C'est en vain que tu multiplies les remèdes ; pour toi, il n'y a plus rien qui puisse panser ta blessure ! Les nations ont appris ta honte, et la terre est remplie de tes cris : c'est que tes guerriers se renversent l'un sur l'autre et tombent à la fois tous ensemble[292] ». Nabuchodorosor rentra en possession de tout le territoire, reçut en chemin la soumission de Joïakîm et des rois indigènes ; il était déjà à Péluse, et il se préparait à passer en Afrique, quand la mort de son père l'arrêta dans sa marche. Il craignit qu'un compétiteur ne s'élevât en Chaldée pendant son absence, il conclut un traité avec Néchao et il partit en toute hâte. Son impatience d'arriver ne s'accommodant pas aux longueurs de la route ordinaire par Gargamish et la Mésopotamie, il se lança à travers le désert d'Arabie avec une légère escorte, et il entra dans Babylone au moment où on l'y attendait le moins. Les prêtres avaient pris la direction des affaires et ils lui avaient gardé le trône : il n'eut qu'à paraître pour se faire acclamer et obéir[293].

Son règne fut long, prospère, et somme toute pacifique. Les changements politiques survenus en Asie lui fermaient la plupart des champs de bataille ouverts jadis aux Assyriens. Il n'y avait plus ni Ourartou, ni Mannai, ni Parsua, ni Ellipi, ni Élam, mais un seul royaume Mède, où ce qui subsistait de la plupart de ces pays était incorporé : même l'Assyrie propre depuis le Radanou et le bassin du Haut Tigre appartenaient à Cyaxare. Du côté de l'Asie-Mineure, la Cilicie relevait peut-être de Babylone, mais là, derrière la Cilicie c'étaient la Médie encore, puis les tribus à demi barbares du Golfe de Pamphylie, et la Lydie par delà. Nabuchodorosor ne rencontrait d'ennemis sérieux qu'à l'Ouest et au Sud, où il avait une position analogue à celle des rois d'Assyrie moins d'un siècle auparavant. L'expérience d'alors avait prouvé que le dernier but où tendait l'ambition des conquérants asiatiques était la possession de Memphis et de Thèbes, voire de l'Éthiopie : comme Sargon, comme Sennachérib, comme Assourbanabal, Nabuchodorosor, maître de la Syrie, était un danger perpétuel pour l'existence de l'Égypte. Les Pharaons des dynasties précédentes avaient essayé de s'abriter derrière les États syriens, et la politique de Sabacon avait consisté à maintenir la barrière de royaumes qui s'interposait entre lui et l'Assyrie. Damas et Samarie tombées, il ne restait plus à Pharaon d'autre ressource que d'être conquérant et de s’emparer, s'il le pouvait, de la côte phénicienne. Psammétique 1er avait commencé cette oeuvre par la prise d'Ashdod ; Néchao II avait paru l'achever après la bataille de Mageddo. La défaite de Gargamish avait tout renversé, mais en prouvant la justesse de vue des hommes d'État égyptiens. Si la bataille perdue par Néchao l'avait été entre Péluse et Gaza, c'en eut été fait de l'Égypte[294] : livrée sur les bords de l'Euphrate, les vaincus avaient eu le temps de rassembler des forces nouvelles et d'en garnir le front est du Delta. Néchao ne se découragea donc pas malgré son insuccès. Il appartenait à une race persévérante, qu'un siècle de revers n'avait pas découragée de ses aspirations à la couronne, et qui ne l'avait gagnée qu'à force de patience et d'obstination. Il remonta sa flotte et son armée en silence, comptant sur l'esprit remuant des Phéniciens et des Juifs pour lui fournir une prompte occasion de revanche.

Une fois de plus il recourut à la Grèce. Des ingénieurs ioniens lui construisirent des chantiers maritimes et lui remplacèrent son vieux matériel par une flotte de trières. En même temps, il essayait de restaurer le canal des deux Mers, abandonné ou ensablé depuis la chute de la vingtième dynastie ; il comptait le creuser assez large pour que deux trières pussent y voguer de front ou s'y croiser, sans déborder. Le canal s'embranchait sur le Nil un peu en amont de Bubastis, non loin de Patoumos : il longeait le pied des collines arabiques de l'est à l'ouest, puis il s'enfonçait dans la gorge de l'Ouady Toumilât, et il déviait au sud dans la direction de la mer Rouge. La tradition contait qu'après avoir perdu cent vingt mille hommes dans cette entreprise, Néchao la suspendit sur la foi d'un oracle : on lui avait prédit qu'il travaillait pour les barbares[295]. Déçu de ce côté, il tourna son activité vers un autre objet. Les Tyriens et les Carthaginois avaient exploré, le long de la côte d'Afrique, des pays abondants en or, en ivoire, en bois précieux, en épices, mais la politique jalouse des deux peuples empêchait les autres nations d'arriver à travers la Méditerranée jusque dans ces régions lointaines. Les Égyptiens avaient encore présent le souvenir des campagnes maritimes d'autrefois, au siècle où l'escadre de la reine Hatshopsouîtou naviguait les mers d'Arabie et relâchait aux Échelles de l'Encens. Néchao lança les matelots phéniciens de sa flotte à la recherche des terres nouvelles ; ils partirent du golfe d'Arabie sans trop savoir où ils allaient. L'entreprise, hardie en tout temps, était des plus périlleuses pour les petits vaisseaux de l'époque ; ils devaient toujours cheminer en vue des côtes, et les côtes de l'Afrique sont d'une navigation difficile. Pendant plusieurs mois les Phéniciens continuèrent vers le sud, la droite au continent qui s'allongeait devant eux, la gauche à l'orient. Vers l'automne, ils débarquèrent sur la plage la plus proche, semèrent le blé dont ils s'étaient munis et attendirent que le grain fût mûr : aussitôt après la moisson, ils reprirent la mer. Le souvenir précis de leurs observations et de leurs découvertes se brouilla bientôt. On se rappela pourtant qu'arrivés à un certain endroit ils virent avec stupeur que le soleil sembla modifier son cours et ne cessa plus de se lever à leur droite : ils avaient doublé la pointe méridionale de l'Afrique et ils commençaient à remonter vers le nord. La troisième année ils franchirent les Colonnes d'Hercule et ils rentrèrent au port : l'amitié étroite qui mussait Tyr à l'Égypte les protégea sans doute contre la jalousie des Carthaginois pendant cette dernière croisière. La faiblesse des moyens dont la marine de cet âge disposait rendit leur voyage inutile ; il n'ouvrit aucune voie nouvelle au commerce, et il demeura comme un fait curieux, mais sans résultat. Les prêtres égyptiens le racontèrent à Hérodote, et Hérodote lui-même nous en a parlé sans trop y croire[296].

Ce n'était là qu'un épisode curieux : tout en poussant ses explorations aussi loin qu'il le pouvait vers le sud, Néchao suivait d'un oeil vigilant les événements qui s'accomplissaient en Asie. Depuis ses luttes désastreuses contre l'Assyrie, la Phénicie avait conservé une aversion profonde pour tous ceux de ses maîtres qui lui venaient de l'est. Il en était de même de la plupart des États syriens qui avaient encore un semblant d'indépendance, Ammon, Moab, les Nabatéens, les Philistins, Juda. Néchao exploita habilement ces haines ; quatre ans après sa défaite, il décida Joïakîm à se révolter. La mort de Josias avait porté un coup terrible aux espérances des prophètes. « Jamais avant lui il n'y avait eu roi qui lui fût comparable pour s'être dévoué à l'Éternel de tout son coeur et de toute son âme, et de toute sa force, en toutes choses, conformément à la loi de Moïse, et après lui jamais il n'en surgit de pareil[297] ». Les événements qui suivirent la déposition de Joachaz, puis le brusque renversement de la puissance égyptienne, l'avènement de la domination chaldéenne ébranlèrent plus profondément encore la foi en l'efficacité de la réforme. Le peuple sembla n'y voir qu'une vengeance de Jahvé contre les impies qui avaient renversé ses temples et prétendu l'enfermer dans un sanctuaire unique. Le culte du Dieu d'Israël reprit ses allures d'autrefois, et celui des divinités étrangères fut pratiqué avec plus de ferveur que jamais. Le désappointement des prophètes et de leurs partisans fut d'autant plus amer qu'ils avaient cru un instant toucher presque au but de leurs efforts[298]. Un jour de fête, le plus connu d'entre eux, Jérémie, fils d'Hilkiah, se présenta sur le parvis et apostropha violemment la foule : « Ainsi a dit Jahvé : « Si vous ne m'écoutez point et ne marchez dans la loi que je vous ai proposée, si vous n'obéissez aux paroles des prophètes mes serviteurs que je vous mandé et que vous n'écoutez point, je mettrai ce temple en même état que celui de Silo, et je livrerai cette ville en malédiction à toutes les nations de la terre ». On était au commencement du règne de Joïakîm, au moment le plus fort de la réaction contre les tendances de Josias ; « aussitôt que Jérémie eut achevé, les sacrificateurs, les prophètes et le peuple entier le saisirent, disant : « Tu mourras la mort ». La foule s’amassa dans le temple, les principaux de Juda montèrent de la maison du roi à celle de l'Éternel, et s'assirent à l'entrée de la porte neuve. L'accusation énoncée, quelques-uns des juges déclarèrent que l'inculpé ne méritait aucun châtiment, puisqu'il avait parlé au nom de Jahvé, et les anciens alléguèrent en sa faveur l'exemple de Michée : « Le roi Ezéchias et ceux de Juda le firent-ils mourir ? » Il échappa cette fois, mais d'autres n'eurent pas le même bonheur. Uriah de Kiriath-Jéarim, dont le seul crime avait été de prophétiser contre Jérusalem en la même manière, eut beau se sauver en Égypte ; Joïakîm dépêcha à ses trousses Elnathan, fils de Hakbor, et quelques hommes avec lui, qui le ramenèrent à Jérusalem, le décapitèrent, et jetèrent son corps à la fosse commune[299].

Cette séparation entre le peuple et l'homme qui représentait la grande tradition prophétique s'accentua rapidement ; le moment vint où Israël sembla s'être réduit à Jérémie et à son disciple Baruch. Jérémie était en effet de ceux à qui le désastre de Mageddo avait enlevé toute espérance au présent. Lorsqu'il présenta son premier recueil de prophéties au roi, celui-ci le déchira, puis le brûla, et il fallut que plus tard le prophète et Baruch, en restituassent le texte entier de mémoire[300]. Le plus grand nombre ne pouvait en effet s'habituer à l'idée que Jahvé déserterait Juda ainsi qu'il avait déserté Israël. Toute tentative contraire aux intérêts du Chaldéen, toute alliance avec ses ennemis paraissait légitime, et les conseils de l'Égypte trouvaient un accueil favorable auprès de la masse. Nabuchodorosor se rendit sur les lieux, de sa personne, et sa présence enraya le mouvement ; Joïakîm ne sortit pas du devoir[301], mais trois ans plus tard, il se souleva de vrai, toujours à l'instigation de Néchao. Nabuchodorosor ne jugea pas la conjoncture assez grave pour diriger lui-même les opérations militaires. Il se contenta d'envoyer un de ses généraux avec les contingents d'Ammon et de Moab, toujours prêts à oublier leur horreur du Chaldéen lorsqu'il s'agissait de satisfaire leur haine contre le Juif. Joïakîm, laissé à ses propres forces, résista avec tant de vigueur que Nabuchodorosor fut contraint d'amener ses vétérans à la rescousse. Son armée était encore en route quand Joïakîm mourut et fut remplacé par son fils, un jeune homme de dix-huit ans, qui assuma le nom de Jékoniah ou Joïakîn. Celui-ci ne régna pas longtemps. Nabuchodorosor arriva au moment même où il montait sur le trône, et sa présence précipita le dénouement ; trois mois après, Joïakîn se rendit à discrétion. Les trésors du temple furent saisis, le roi exilé en Chaldée, l'armée réduite en esclavage, la population ouvrière transportée à Babylone, où on l'employa aux grandes constructions ; le demeurant fut remis au dernier fils de Josias, Mattaniah, alors âgé de vingt et un ans (597). Mattaniah, comme ses prédécesseurs, changea de nom en changeant de condition : il s'appela désormais Zédékias[302].

Néchao n'avait rien fait pour secourir les Juifs. Il mourut deux ans plus tard, sans avoir rencontré l'occasion qu'il cherchait (595)[303], et son fils Psammétique II n'eut pas le loisir d'entreprendre quoi que ce fût contre l'Asie : une incursion en Éthiopie (594) signala son règne[304], mais il disparut avant d'avoir rien accompli de grand (589)[305]. Pendant cet intervalle, la Syrie, tranquille en apparence, n'avait cessé de s'agiter sourdement ; les partis qui ne voyaient de salut que dans une alliance étroite avec l'Égypte s'étaient remis du coup brutal dont l'échec de Néchao et de Joïakîm les avait frappés. A Jérusalem, le courant qui portait les esprits vers Pharaon devint si fort que Zédékias, créature de Nabuchodorosor, y fut entraîné. Les prophètes de l'ancienne école, pleins de foi en Jahvé, continuaient à penser que l'humiliation de leur patrie ne pouvait durer longtemps encore. Plus les désastres s'accumulaient sur elle, plus l'heure de la délivrance leur paraissait voisine. Ceux d'entre eux qui avaient accompagné Joïakîn dans l'exil, Achab, Zédékiah, fils de Maassiah, Shémaïah, se prédisaient à eux-mêmes un retour prochain. Ceux qui étaient demeurés à Jérusalem ne cessaient de répéter au peuple : « Vous ne serez point asservis au roi de Chaldée ; les vases sacrés du temple sortiront de Babylone ». Jérémie essayait en vain de combattre l'effet de leurs déclamations. Il écrivait aux exilés de s'armer de patience : « Bâtissez des maisons et demeurez-y, plantez des jardins et mangez-en les fruits ! Mariez-vous, engendrez des fils et des filles, donnez des femmes à vos fils et des époux à vos filles pour qu'elles deviennent mères à leur tour. Multipliez-vous là et ne laissez pas diminuer votre nombre… Gardez-vous d'écouter vos prophètes qui sont au milieu de vous ou vos devins et ne croyez pas aux songes que vous auriez, car ils mentent en prophétisant en mon nom : je ne leur ai pas donné mission, dit Jahvé. Car voici ce que dit Jahvé : « Quand soixante-dix ans seront accomplis pour Babel, je vous visiterai et je ratifierai pour vous une bonne promesse de vous ramener dans votre patrie[306] ». L'un de ceux qu'il dénonçait de la sorte, Shémaïah, s'indigna de ces conseils pacifiques et adressa au grand prêtre Zéphaniah une lettre, dans laquelle il le sommait de condamner aux ceps et au carcan ce brouillon d'Anatôt, qui faisait le prophète à Jérusalem et ne savait que recommander la patience aux déportés. Jérémie n'était jamais en reste d'invectives avec ses adversaires : il maudit Shémaïah dans sa personne et dans sa race[307], et il n'en continua que plus fort à prêcher contre les partisans de la politique agressive : « N'écoutez point ces gens-là, mais rendez-vous plutôt sujets du roi de Babylone, et peut-être vous vivrez ; pourquoi cette ville serait-elle réduite en un désert ». Mais s'ils sont prophètes, et que la parole de Jahvé soit en eux, qu'ils intercèdent maintenant auprès de Jahvé des armées, afin que les vases sacrés qui sont demeurés au temple et au palais des rois et à Jérusalem n'aillent pas rejoindre les autres à Babylone[308] ». Un jour il descendit en public le joug au cou, tandis que le prophète Hananiah-ben-Azzour de Gibéon prêchait devant les prêtres et le peuple en ces termes : « Ainsi a dit l'Éternel des armées, le Dieu d'Israël : « J'ai rompu le joug du roi de Babylone. Dans deux ans accomplis je ramènerai ici Jékoniah, fils de Joïakîm, roi de Juda, et tous ceux qui ont été déportés de Juda et Babylone ». Puis, levant le joug de dessus le cou de Jérémie, il le rompit, car « ainsi a dit Jahvé ; « Entre ceci et deux ans accomplis, je romprai de même le joug de Nabuchodorosor, roi de Babylone, de dessus le cou de toutes les nations ». Le jour d'après, Jérémie reparut chargé d'un nouveau joug, mais d'un joug de fer, emblème de celui que Jahvé devait jeter « sur le cou de toutes les nations afin qu’elles soient asservies au roi de Babylone[309] ».

L'avènement d'Apriès au trône d'Egypte suggéra de nouveaux arguments aux partisans de la révolte. On le savait entreprenant, ambitieux, préparé de longue main aux chances d'une guerre : Tyr et la Phénicie, Jérusalem et les pays situés au delà du Jourdain coururent aux armes d'un commun accord. Nabuchodorosor, placé entre trois adversaires, hésita un moment. « Il s'arrête au carrefour des chemins pour consulter l'avenir ; il mêle les flèches divinatoires, interroge les Téraphim, inspecte le foie des victimes.[310] » Son indécision ne fut pas de longue durée. Juda était le noeud de la coalition ; son territoire reliait les confédérés de la côte à ceux du désert, les forces de l'Égypte à celles de la Syrie. Tandis qu'une division ravageait la Phénicie et commençait le blocus de Tyr, le gros de l'armée se rua sur la Judée. Zédékias n'osa l'affronter en rase campagne et il se renferma dans Jérusalem, cette fois le Chaldéen était à bout de patience ; il ravagea le pays sans miséricorde, livra les habitants des campagnes à la merci des Philistins et des Edomites, bloqua les deux forteresses de Lakhish et d'Azèkah, et ne se présenta devant la capitale qu'après avoir tout mis à feu et à sang[311]. Il la serrait déjà de prés quand il apprit qu'Apriès débouchait du côté de Gaza ; Zédékias dans sa détresse avait « mandé ses agents en Égypte pour qu'on lui donnât des chevaux et une armée considérable[312] ». Le Chaldéen leva aussitôt le siège et marcha à la rencontre de ce nouvel ennemi. Le parti populaire triomphait déjà du succès de sa politique ; Jérémie pourtant n'avait pas foi en l'heureuse issue de l'entreprise : « Ne vous faites pas d'illusion à vous-mêmes, disant : « les Chaldéens se retireront de Judée », car ils ne se retireront point. Quand même vous battriez toute l'armée qui vous assiège, et qu'il ne restât d'eux qu'un homme blessé sous chaque tente, ils se lèveraient tout de même et bouteraient le feu à la ville[313] ».  On ne sait pas exactement ce se passa en cette occurrence : selon les uns, le roi d'Égypte se retira sans combattre[314] ; selon d'autres, il accepta la bataille et il fut vaincu[315].

Lui parti, la chute de la ville n'était plus qu'une question de jours, et la résistance ne pouvait plus servir qu’à irriter le vainqueur. Les Juifs ne s'en défendirent pas moins avec l'obstination héroïque et, malheureusement aussi, avec l'esprit de discorde qui fut toujours au fond de leur caractère. Pendant le court moment de répit que la diversion d'Apriès leur avait procuré, Jérémie avait voulu sortir de Jérusalem pour continuer sa prédication en Benjamin. Arrêté à la porte sous prétexte de trahison, il fut fouetté, incarcéré, et il n'obtint d'adoucissement aux rigueurs de ses geôliers que par l'intervention personnelle du roi[316]. Interné dans la cour de la prison, il continuait de prêcher à tout venant : « Celui qui demeurera dans cette ville mourra par l'épée, par la famine, par les maladies ; mais celui qui sortira vers les Chaldéens vivra, et son âme lui sera pour butin, et il vivra. Car ainsi a dit Jahvé : « Cette ville sera livrée certainement à l'armée du roi de Babylone et il la prendra ». Les généraux de Zédékias et les partisans de la résistance interpellèrent le roi : « Qu'on fasse mourir cet homme, car il rend lâches les mains des hommes de guerre et de tout le peuple par de telles paroles ». Livré à ses accusateurs, jeté au fond d'une citerne à moitié remplie de boue, il n'échappa, grâce à la compassion d'un eunuque de la maison royale, que pour renouveler ses ordres de soumission plus impérieusement. Zédékias lui demandait secrètement son avis : « Si tu sors volontairement pour aller vers les officiers du roi de Babylone, ta vie sera sauve, cette ville ne sera pas consumée des flammes, et tu vivras toi et ta maison. Mais, si tu ne sors pas vers les officiers du roi de Babylone, cette ville sera livrée aux Chaldéens qui l'incendieront, et tu n'échapperas pas à leur main ». Zédékias inclinait à suivre les conseils du prophète, mais il s'était trop avancé pour pouvoir reculer sans ignominie[317]. La famine se joignit bientôt aux ravages de la guerre et des maladies, sans abattre la constance des assiégés : on n'avait plus de pain, et l'on ne parlait pas encore de se rendre. Enfin, après un an et demi de souffrances, « la onzième année de Zédékias, au quatrième mois, au neuvième jour du mois, il y eut une brèche pratiquée au mur de la ville. - Et tous les principaux capitaines du roi de Babylone y entrèrent et se portèrent à la porte du milieu ». Zédékias essaya de s'enfuir au delà du Jourdain : pris dans la plaine de Jéricho, il fût conduit à Riblah, où Nabuchodorosor tenait cour plénière. Celui-ci traita le vaincu comme les gens de sa race avaient accoutumé de traiter les rebelles : il fit égorger ses fils et tous les magistrats de Juda en sa présence, puis il commanda qu'on lui crevât les yeux et qu'on l'expédiât à Babylone chargé de doubles chaînes. La ville fut démolie et brûlée sous la direction de Nabousaradan, un des grands officiers de la couronne ; les soldats, les prêtres, les scribes, les gens de haute classe furent transportés en Chaldée et dispersés dans différentes villes. Il ne resta plus au pays que le petit peuple des campagnes, à qui le vainqueur abandonna les vignes et les champs des riches. L'oeuvre de destruction accomplie, les Chaldéens se retirèrent, laissant le gouvernement de la nouvelle province à un ami de Jérémie, nommé Guédaliah[318] (586).

Guédaliah ne vécut pas longtemps : il fut massacré à Mizpah, avec les troupes juives et chaldéennes qui l'appuyaient par Ismaël, fils de Nataniah, de la race de David[319]. Ismaël fut attaqué à son tour par Jokhanan, fils de Karéah, et se réfugia presque seul chez les Ammonites[320]. Ceux qui avaient vengé Guédaliah et expulsé Ismaël craignirent à leur tour la colère du maître, et ils s'enfuirent en Égypte, entraînant Jérémie et une partie du peuple[321]. Apriès leur concéda des terres près de Daphné, d'où ils se répandirent à Migdol, à Memphis et jusque dans la Thébaïde[322]. Même après cette catastrophe, la mesure des maux de Juda ne fut pas comble. En 581, les débris de la population s'allièrent aux Moabites et tentèrent la fortune des armes : une dernière défaite, suivie d'un dernier exil, acheva leur ruine. Les bannis de la première heure ne purent que pleurer de loin l'anéantissement de leur race. « La Judée a été emmenée captive, tant elle est affligée et tant est grande sa servitude ; elle demeure maintenant parmi les nations et ne trouve point de repos. Les chemins vers Sion mènent deuil, parce que personne ne vient plus aux fêtes ; ses portes sont béantes, ses sacrificateurs sanglotent, ses vierges sont accablées de tristesse - ses enfants vont en captivité par devant l'ennemi. - O Jahvé, tu demeures éternellement et ton trône dure d'âge en âge ! - Pourquoi nous oublierais-tu à jamais ? Pourquoi nous délaisserais-tu à toujours ? Ramène-nous à toi, que nous nous convertissions ; - renouvelle nos jours comme ils étaient autrefois.[323] » La défaite des peuples situés au delà du Jourdain suivit de prés, Moab d'abord, puis Ammon[324], puis Édom et l'Arabie elle-même[325] : les tribus de Kédar et leurs voisins, « ces hommes aux tempes rasées », virent réprimer sévèrement leurs brigandages. Plus tard, la tradition arabe transforma ces razzias en guerres sérieuses menées jusqu'au fond de la péninsule. Elle affirma qu'après avoir dispersé, près du bourg de Dhât-îrk, les Djorhom Joctanides qui lui barraient le chemin de la Kaâbab, Nabuchodorosor atteignit aux frontières de l'Yémen occidental, mais que la fatigue de son armée l'empêcha de pousser plus loin : il revint sur ses pas, emmenant une foule de captifs et deux tribus entières, celles d'Hadhourâ et d'Ouabar, qu'il établit en Chaldée[326].

Tyr et l'Égypte restaient seules debout. Tyr, à l'abri derrière les murailles de son île, commandait la mer et brava la colère impuissante des Chaldéens ; après treize années d'efforts infructueux, ils se résignèrent à traiter avec le roi Ithobaal III, qui avait conduit la défense[327] (574), et ils furent libres désormais de se tourner contre l'Egypte. Dès le lendemain de la défaite de Néchao, il ne s'était guère passé d'année où les prophètes juifs n'eussent proclamé prochaine la lutte entre Pharaon et la Chaldée. Jérémie l'avait prédite plusieurs fois sans se laisser décourager par le néant de ses prédictions[328] : en apprenant la reddition de Tyr, un des captifs de Babylone, Ézéchiel, l'annonça de nouveau. « Ainsi a dit le Seigneur Jahvé : « J'en finirai avec le faste d'Égypte par la main du roi de Babel. - Lui, et son peuple avec lui, les plus barbares d'entre les nations, seront amenés pour ruiner le pays, et ils dégaineront contre l'Égyptien, et ils joncheront le sol de cadavres. - Or je mettrai les canaux à sec, et je livrerai le pays aux mains des méchants ; je le désolerai et tout ce qu'il contient par la main des étrangers. Moi, Jahvé, j'ai parlé ainsi ». Ainsi a dit le Seigneur Jahvé : « Je détruirai aussi les idoles, j'anéantirai les faux dieux de Memphis, et il n'y aura plus de prince égyptien, et je répandrai la terreur au pays d'Égypte. - Je désolerai la Thébaïde, j'incendierai Tanis, et je ferai bonne justice de Thèbes ; - et je répandrai une fureur sur Péluse, qui est la force d'Égypte, et j'exterminerai la multitude qui est à Thèbes. - Quand je mettrai le feu en Égypte, Péluse sera grièvement tourmentée et Thèbes sera rompue par diverses brèches, et il n'y aura à Memphis que détresse en plein jour. - La jeunesse d'On et de Bubaste tombera par l'épée ou s'en ira en captivité ; - et le jour faudra dans Daphné, lorsque je romprai les appuis de l'Égypte et que l'orgueil de sa force sera abattu ; une nuée la couvrira, et ses villes iront en captivité[329] ». A en croire Josèphe, la prédiction du prophète aurait reçu son entier accomplissement : Nabuchodorosor aurait envahi l'Egypte, battu et tué Apriès, puis installé un gouverneur sur sa nouvelle conquête, et serait rentré en Asie, emmenant avec lui les Juifs établis dans le Delta[330]. Les récits égyptiens prouvent, au contraire, que Nabuchodorosor subit un échec sérieux. La flotte d'Apriès, équipée par des Grecs, détruisit la flotte phénicienne au service des Chaldéens, enleva Sidon et força les autres villes à se rendre sans combat[331]. Toute la côte syrienne tomba aux mains de Pharaon sans que Nabuchodorosor fit rien pour la lui disputer ou la lui reprendre. Des garnisons africaines occupèrent Gébel et y construisirent, en pierres du pays, un temple dont on a déterré récemment les ruines[332]. Par un coup de fortune, Apriès atteignit en quelques semaines le but que ses ancêtres avaient vainement poursuivi pendant un demi-siècle : il put s'intituler « le plus heureux des rois qui avaient vécu auparavant » et s'imaginer, dans son orgueil, que « les dieux eux-mêmes seraient  incapables de lui nuire[333] ».

Les dieux ne lui accordèrent pas de jouir longtemps du fruit de ses succès. Les tribus libyennes de la côte, sans cesse harcelées par les colons grecs de la Cyrénaïque, s’étaient adressées à lui comme à leur protecteur naturel et elles lui avaient demandé secours contre les empiétements de leurs voisins. Il n'eût pas été prudent de mettre les mercenaires en face de leurs compatriotes : Apriès dépêcha contre Cyrène une armée égyptienne, qui fut vaincue près du bourg d'Irasa et qui souffrit si cruellement dans la déroute qu'un petit nombre de fuyards seulement regagna la frontière du Delta[334]. Leur retour produisit des troubles. Apriès avait encouru la haine des prêtres et de la populace pour la protection qu'il avait accordée aux étrangers. On crut ou on affecta de croire qu'il avait envoyé les soldats indigènes en Libye pour les y exposer à une mort certaine et pour se débarrasser de gens dont la fidélité lui était suspecte  une sédition éclata[335]. Il y avait alors à la cour un homme de basse extraction, Amasis, que sa bonne humeur perpétuelle et son habileté avaient élevé des derniers rangs de l'armée au grade de général[336]. Il l'envoya au camp des rebelles avec ordre de les ramener au devoir. Amasis haranguait les troupes, quand un soldat lui posa un casque sur la tête et le proclama roi. Devenu d'ambassadeur chef de la révolte, il marcha contre Saïs et anéantit, près de Momemphis[337], les trente mille mercenaires qui défendaient encore le roi légitime (569). Apriès, pris dans la déroute, fut d'abord épargné et traité avec honneur : il demeura associé au trône, et son nom figura sur les monuments au même titre que celui de son vainqueur[338]. Mais, réclamé au bout de quelque temps par la populace de Saïs, il fut livré à ses ennemis et assassiné[339]. A Thèbes, la reine Onknas-Nofiribi, fille de Psammétique II, qui avait succédé à Nitokris dans l'exercice du pouvoir sacerdotal[340], reconnut son autorité ; mais, en Asie, il dut presque aussitôt repousser l'attaque des Chaldéens. Un document découvert récemment raconte, qu'en l'an 37 de son règne, Nabuchodorosor partit en campagne contre Ahmassou, roi d'Égypte. Nous ne connaissons point malheureusement l'issue de la lutte[341]. La tradition chaldéenne assure que l'Egypte fut conquise; la tradition égyptienne est muette à cet égard[342]. Il est probable qu'Amasis perdit les conquêtes phéniciennes de son prédécesseur et fut réduit à l'Égypte : rien n'indique que l'Égypte même ait été entamée et que les Chaldéens aient renouvelé à un siècle de distance l'exploit d'Asarhaddon et d'Assourbanabal.

Ce fut la dernière guerre de Nabuchodorosor, la dernière du moins dont l'histoire ait gardé la trace. Au temps où elle se termina, il était déjà vieux et il devait songer à toute autre chose qu'aux armes ; son ambition se borna désormais à terminer les grands travaux de construction qui rendirent sa mémoire fameuse dans l'antiquité. Pendant le siècle qui avait précédé la chute de Ninive, Babylone avait souffert cruellement des Assyriens. Elle avait été saccagée deux fois par Sennachérib et par Assourbanabal, sans compter les sièges et les pillages partiels qu'elle avait subis au cours de ses révoltes perpétuelles. Nabopolassar avait déjà commencé l'oeuvre de réparation ; il semble l'avoir menée pour le compte d'une de ses femmes qui, par un hasard étrange, porte dans la tradition classique le nom égyptien de Nitôkris[343]. Nabuchodorosor utilisa aux corvées les nombreux captifs syriens, juifs, égyptiens, arabes, qu'il s'était procurés dans ses campagnes, et Babylone, qui n'était guère avant lui qu'une ville de province, devint grâce à lui l'une des cités les plus belles du monde entier. Au centre la ziggourat, la tour à sept étages de Bel, se dressait gigantesque, couronnée d'une statue du dieu en or, haute de quarante pieds, à laquelle une rampe tournante conduisait. Le palais royal, achevé en cinquante jours, était célèbre par ses jardins suspendus, où les femmes du harem se promenaient dévoilées, à l'abri des regards profanes. Dans le même temps on rétablissait les canaux qui amenaient les eaux du Tigre et qui unissaient ce fleuve à l'Euphrate ; on réparait les réservoirs où les rois des vieilles dynasties avaient reçu et emmagasiné les crûes annuelles ; on reconstruisait le pont par lequel les deux rives communiquaient entre elles ; on bâtissait le temple de Nabo à Barsip. Toutes les ressources dont les ingénieurs du temps pouvaient disposer furent employées à protéger la capitale. Un double mur l'entoura ainsi que Barsip : il était percé de cent portes fermées par des battants en bronze, et l'épaisseur en était telle que deux chariots couraient de front sur la crête. Les districts environnants eurent leur part des embellissements : on nettoya le réservoir de Sippar, le canal royal, une partie au moins du lac Pallacopas. Les richesses accumulées dans ce coin de terre étaient de nature à tenter les voisins, et d'ailleurs les rapports avec la Médie étaient moins amicaux, depuis l'intervention de la Chaldée dans les affaires de Lydie[344]. Nabuchodorosor, dans la prévision d’une guerre prochaine, traça, en avant des grands canaux, le mur médique dont la ligne, appuyée sur Sippar, barrait entièrement l'espèce d'isthme formé en cet endroit par le Tigre et par l'Euphrate. Infatigable dans ses entreprises, il fut pour la Chaldée ce que Ramsès II avait jadis été pour l'Égypte, le roi maçon par excellence. Il travailla sans relâche à toutes les cités et à tous les temples : il n'y a pas autour de Babylone un endroit où l'on ne lise son nom et où l'on ne signale la trace de sa merveilleuse activité (562)[345].

Son successeur, Amilmardouk (Evilmérodach), fut assassiné, après deux ans de règne (560), par son beau-frère Nergalsharoussour (Nériglissor), qui lui-même s'éteignit en 556, sans autre héritier qu'un enfant du nom de Lâbashi-mardouk (Laborosoarkhod). Neuf mois après son avènement, Lâbashi-mardouk fut tué et remplacé par Nabounâhîd (555)[346]. La lignée de Nabopolassar finit avec lui, et l'imagination populaire, étonnée d'une chute si rapide après tant de grandeur, vit la main de Dieu dans cet événement. La tradition nationale racontait que, vers la fin de ses jours, Nabuchodorosor, saisi de l'esprit prophétique, était monté sur le toit de son palais et avait prédit aux Chaldéens la ruine prochaine de leur empire[347]. La légende juive, implacable pour le prince qui avait renversé Jérusalem et détruit le temple, disait qu'enivré de sa gloire il s'était cru l'égal de Dieu et qu'il avait été changé en bête par la colère de Jahvé. Sept années durant il avait vécu dans les champs, se nourrissant d'herbes comme les bestiaux, puis il avait recouvré sa forme première et il avait repris possession de la royauté[348].

Si, pendant son règne, Nabuchodorosor n'était pas entré en lutte avec la Médie, cela tenait partie à la prudence qu'il avait apportée dans ses relations avec son puissant voisin, partie au caractère pacifique du prince qui siégeait alors à Ecbatane. Ishtouvègou, que les Grecs ont nommé Astyagès, fils de Cyaxare, n'avait pas été élevé, comme son père, pour la vie des champs de bataille. Sauf une attaque dirigée contre les Cadusiens[349], et qui se termina par la soumission momentanée de ce peuple, il n'entreprit aucune expédition. Cruel et superstitieux, il végéta dans le faste d'une cour orientale, entouré de gardes et d'eunuques, sans autre passe-temps que la chasse à travers les parcs de ses palais ou sur les confins du désert[350]. La révolte de son vassal Kouroush (Cyrus) ne le tira de son engourdissement que pour lui ravir sa couronne. Cent ans à peine après l'événement, la tradition se plaisait déjà à compliquer de fables romanesques le récit de sa chute[351]. Quelques-unes de celles qui nous sont parvenues se ressentent de la tendance qu'ont les conteurs populaires à prêter une origine ignoble aux fondateurs d'empire. Comme Shargina en Chaldée, comme Gygès en Lydie, Cyrus n'aurait été issu d'aucune famille royale : sa mère gardait les chèvres, son père appartenait à la tribu sauvage des Mardes et vivait de rapines. Remarqué pour sa bravoure et envoyé contre les Cadusiens à la tête d'une armée, il noue des intrigues secrètes avec l'ennemi, conspire avec le Perse Œbaras, puis, dénoncé par une chanteuse et rappelé à Ecbatane, il se déclare ouvertement en rébellion, bat Astyage et le fait prisonnier. Astyage avait marié sa fille Amytis à un seigneur mède nommé Spitamas : Cyrus tue Spitamas, épouse la veuve et se proclame roi à la place de son beau-père[352]. Le plus grand nombre des légendes semble inspiré par la vanité nationale et n'a d'autre objet que de rattacher le destructeur de l'empire mède à la lignée de Cyaxare. Astyage n'avait pas d'enfant mâle : le sceptre devait passer après lui entre les mains de sa fille Mandanê et des fils de sa fille. Une nuit, il rêva que l'eau jaillissait d'elle en telle abondance que non, seulement Ecbatane, mais l'Asie entière en était inondée, et les devins lui conseillent de ne pas la marier avec un Mède. Il la donne donc à un seigneur perse, de sang royal, Cambyse : car les Perses étaient alors tributaires des Mèdes. Un second rêve trouble bientôt la sécurité que ce mariage lui inspirait : il voit sortir du sein de sa fille une vigne dont les rameaux couvraient toute l'Asie, et les devins consultés de nouveau lui prédisent que son petit-fils le détrônera. L'enfant né, il le confie à Harpage, qui, après bien des hésitations, se décide à le faire exposer dans les bois par un des bergers royaux. L'enfant, allaité par une chienne, aurait néanmoins succombé si la femme du berger n'avait pas accouché d'un enfant mort[353]. Elle persuade à son mari de recueillir le jeune Cyrus, et elle l'élève comme son fils. Le chien était un animal sacré chez les Iraniens : l'intervention de la chienne est donc en réalité une sorte d'intervention divine, mais les Grecs, qui soupçonnaient peu cette particularité du mazdéisme, en furent choqués et ils cherchèrent une explication rationaliste à la tradition perse. Ils supposèrent que la femme du berger avait porté le nom de Spako : Spako signifie en effet chienne en langue médique[354]. Cyrus grandit, est reconnu pour le fils de Mandanê et revient auprès de son grand-père. Il ne tarde pas à remarquer combien l'humeur pacifique d'Astyage avait affaibli la constitution militaire des Aryens de Médie et les laissait impuissants sous leur apparence de force et de grandeur. Il conçoit donc le dessein hardi de substituer à leur empire l'empire du peuple dont lui-même était issu. Abrités par leur éloignement contre la corruption des moeurs babyloniennes, les Perses avaient conservé plus de simplicité et plus d'énergie que les Mèdes ; Cyrus, qui le savait, décide son père à courir les risques d'une révolte. Il s'échappe de la cour, disperse une troupe envoyée à sa poursuite et rentre en Perse. Vaincu dans une première bataille et son père tué, il est vainqueur dans la seconde et il fait Astyage prisonnier : le roi captif, la Médie ne résiste plus et elle s'abandonne tout entière au vainqueur[355].

L'histoire réelle, ou du moins le peu que nous en entrevoyons, est moins romanesque. D'après les inscriptions, Cyrus appartenait à la famille Achéménide, et il était roi d'Anshân comme ses trois prédécesseurs immédiats l'avaient été avant lui, Téispès, Cyrus 1er et Cambyse 1er. Nous avons vu qu'on peut attribuer la conquête de l'Anshân à Téispès : la tradition classique assure que les rois perses demeurèrent les vassaux des Mèdes, et rien ne prouve qu'elle se soit trompée en cela comme en tant d'autres choses. Deux générations plus tard, Cyrus II monta sur le trône vers 558. Il prit les armes contre son suzerain vers 553 ou 552, et il battit Astyage ; sur quoi, l'armée mède se révolta et elle livra son maître à l'ennemi, puis Ecbatane succomba et ses dépouilles enrichirent le trésor du vainqueur[356]. L'empire de Cyaxare s'écroula (549), mais ce fut un changement de dynastie plutôt qu'une conquête étrangère : Astyage et ses prédécesseurs avaient été rois des Mèdes et des Perses, Cyrus et ses successeurs furent rois des Perses et des Mèdes.

 

 



[1] Diodore, I, 65, 94.

[2] Alexis, dans Athénée, X, 13, 418.

[3] Diodore, II, 94.

[4] Plutarque, De vitios. Pud., 5.

[5] Ils sont aujourd'hui au Louvre, et se rapportent tous aux funérailles de l'Apis mort en l'an VI de Boukounrinif. Cf. Mariette, Renseignements sur les Apis, dans le Bulletin archéologique de l'Athenœum français, 1856, p. 58-62. Voici d'ailleurs, autant qu'il est possible de le recomposer jusqu'à présent, le tableau des vingt-deuxième, vingt-troisième et vingt-quatrième dynasties égyptiennes, d'après Manéthon et les monuments :

[6] Il est nommé ailleurs Iloubid, par échange du nom divin Iahou Jahvé, avec le nom divin Ilou.

[7] Isaïe, VI, 1-7.

[8] Tiele, Vergelukende Geschiedenis, p. 700 sqq.

[9] Isaïe, VII, 2-7, 14-19.

[10] Ibid., VIII, 2.

[11] Oppert, Grande Inscription du palais de Khorsabad, p. 84-93 ; J. Ménant, Annales, p. 182 et 200-201 ; G. Smith, Assyrien History, dans la Zeitschrift, 1869, p. 97.

[12] Maspero, les Empires, p. 232-237. Hannon avait, parmi ses alliés, le général d'une principauté de Mousri que les premiers Assyriologues crûrent être l'Égypte : ils identifièrent avec Sabacon, ce général qui s'appelait Shabé (Oppert, Mémoire sur tes rapports de l'Égypte, p. 14-15) ; l'erreur a été reconnue par Winckler.

[13] Le cachet d'Ourzana est aujourd'hui au Musée de la Haye. Il a été publié par Dorow, Die Assyriche Keilschrift, t. I, et par Cullimore, Cylinders, pl. VIII, 40.

[14] Ainsi l'apparition d'un bélier à deux têtes et à huit pattes qui trouva la parole pour prédire la ruine de l'Égypte (Élien, H. An., XII, 3 ; cf. Manéthon, éd. Unger, p. 241).

[15] Manéthon, éd. Unger, p. 246.

[16] Hérodote II cxxxvii-cxi. L'îlot où Anysis se réfugia ne serait, d'après Lepsius, autre que celui de Thennésis.

[17] On a considéré parfois Miloukhkha comme le nom de Méroé : mais Méroé s'appelait Beroua et ne renfermait aucun h ou kh final. Le Miloukhkha est ici la partie de la péninsule arabique voisine de l'Égypte.

[18] Isaïe, XX.

[19] C'est l’orthographe des inscriptions susiennes : les textes de Sargon appellent ce prince Soutikraknakhoundi.

[20] La Mésobatère des géographes classiques. Cf. Fr. Delitzsch, Wo lag das Paradies ? p. 322.

[21] Son nom, légèrement altéré en Ara¡anow pour [S]ara¡anow figure à partir du commencement de 709 dans le canon royal de Ptolémée.

[22] Aujourd'hui Khorsabad. C'est de là que viennent la plupart des monuments assyriens du Louvre.

[23] Pour les sources et le détail de l'histoire de Sargon, voir Maspero, les Empires, p. 221-275.

[24] Hérodote, II, cxxxvii ; Diodore de Sicile, I, 65.

[25] Sharpe, Egyptian Inscriptions, I, 30 ; cf. E. de Rougé, Sur quelques monuments du règne de Tahraka, dans les Mélanges, t. I, p. 12, 20-21.

[26] Hérodote, II, cxxvi-xcxxxviii ; Diodore, I, 65.

[27] Maspero, les Empires, p. 275-276.

[28] Aujourd'hui Hymer, a dix milles environ au sud de Babylone (G. Smith, History of Sennacherib, p. 41).

[29] Eltékéh, sur l'ancien territoire de la tribu de Dan (Josué, XIX, 44)

[30] Cylindre de Taylor, col. III, l. 47-83, col. IV, l. 1-7 ; cf. G. Smith, History of Sennacherib, p. 53-60.

[31] Démétrius ap. Cl. d'Alexandrie, Strom., I, p. 403.

[32] Isaïe, XXII, 9-11.

[33] II Chron., XXXII, 6-8.

[34] II Rois, xviii, 28-37.

[35] Isaïe, xxvii, 14-16.

[36] II Rois, xix, 10-13.

[37] II Rois, xix, 32-36.

[38] Hérodote, II, ch. cxli ; cf. Maspero, les Empires, p. 279-295.

[39] Elles étaient situées non loin du haut Tigre, près d'Amida.

[40] Fr. Lenormant, les Origines de l'histoire, p. 11 ; c'étaient probablement des Grecs de Chypre ou de Cilicie.

[41] G. Rawlinson, The five great Monarchies, t. II, p. 171-172.

[42] Maspero, les Empires, p. 295-309.

[43] D'après Polyhistor, Sennachérib aurait donné la royauté de Babylone à son fils Asordanès (Polyhistor, apud Eusèbe, Chron., Can., I, 5), qui ne serait autre qu'Esarhaddon (Budge, The history of Esarhaddon, p. 2).

[44] Bérose dans Alexandre Polyhistor, apud Eusèbe, Chron. arm., édit. Mai, p. 19. Un autre fragment, conservé par Abydène, parle d'un Pythagore qui aurait été au service du roi d'Assyrie, et qu'on prétendait avoir été le philosophe, contre toute vraisemblance.

[45] G. Rawlinson, The five great Monarchies, t. II, p. 181-183.

[46] Maspero, les Empires, p. 309-520.

[47] II Rois, XIX, 37.

[48] Moïse de Khorène, Hist. Arm., t. I, p. 32. Les fragments mutilés du seul récit qui nous ait été conservé de cette guerre montrent le roi courant sans s'arrêter du Sud-est au Nord-ouest de l'empire pour rejoindre les rebelles et pour les écraser, avant que leur révolte n'eût le temps de gagner les provinces du centre et la Syrie.

[49] C'est le nom du grand canal qui arrosait Babylone.

[50] Odyssée, XI, 14-19. Éphore applique ce passage aux Cimmériens de son temps qui siégeaient en Crimée, et il l'explique en disant qu'ils étaient un peuple de mineurs vivant perpétuellement sous terre (Fragm. 45, dans Müller-Didot, Fragmenta Historicorum Græcorum, t. I, p. 245).

[51] Hérodote IV, xi-xii. La version d'Aristéas de Proconnèse, telle que la donnent Hérodote (IV, xiii) et Damaste de Sigée (Müller-Didot, Fragmenta Historicorum Græcorum, t. II, p. 65), présente les choses d'une manière plus compliquée : les Arimaspes auraient chassé les Issédons qui jetèrent les Scythes sur les Cimmériens.

[52] Ce sont les Ashkoizai on Ishkouzai des inscriptions assyriennes, comme Winckler l'a démontré (Altorienlalische Forschungen, t. I, p. 187-188).

[53] Hérodote, IV, xii. Scymnus de Chios, 941-952, dans Müller-Didot, Geographie Græci Minores, t. I, p. 236.

[54] Strabon dit que les Trères étaient à la fois des Cimmériens (XIV, I § 40, p. 647) et des Thraces (XIII, I § 8, p. 586).

[55] Arrien parlait de leur séjour aux bords du Sangarios, chez les Maryandiniens (Fragm. 47, dans Müller-Didot, Fragmenta Historicorum Græcorum, t. III, p. 595).

[56] Leur empire a été définit très exactement dès le xviiie siècle par Fréret, Mémoire sur les Cimmériens, dans les Mémoires de l'Académie des Inscriptions, 1745, t XIX, p. 609.

[57] Khouboushna est peut-être la Kabessos des géographes grecs et latins.

[58] Koundou est la ville que les géographes classiques nomment Kouinda (Strabon, XIV, 5 §, 40, 617), entre Tarse et Anazarbe.

[59] Ce nom, qui a une physionomie iranienne, semble se rattacher à la même racine que le mède Spakô, qui signifiait chienne (Hérodote, I, cx).

[60] Probablement le Protothouès d'Hérodote, I, ciii.

[61] Maspero, les Empires, p. 348-360. Les pays de Bizou et de Khâzou sont bien certainement Bouz et Khouz de la Bible (Genèse, xxii, 21 ; Jérémie, xxv, 32). Le site en doit être cherché au sud-est des montagnes du Hauran, dans les régions explorées récemment par Huber.

[62] Manéthon, édit. Unger, p. 251.

[63] E. de Bougé, Sur quelques monuments du règne de Tahraka, dans les Mélanges d'archéologie égyptienne et assyrienne, t. I, p. 82, et inscriptions hiéroglyphiques, pl. lxxiv. S. Birch, Monuments of the reign of Tirhakak, dans les Transactions of the Society of Biblical Archælogy, t. VII, p. 199 ; Petrie, Tanis, t. II, p. 29-30, pl. IX, n° 162.

[64] Strabon, xv, 1 § 6, qui paraît avoir emprunté ce renseignement à Mégasthènes.

[65] Maspero, les Empires, p. 360-376.

[66] Galien, De simpl. medicam. facult., IX, 2519 ; Firmicus, Astronom., VIII, 5. Ausone, Epigr. 49 ; cf. Boucher-Leclercq, l'Astrologie grecque, où ce qui traite de ce personnage est exposé et discuté en plusieurs endroits.

[67] Maspero, les Empires, p. 376-381.

[68] Psammétique prit par reconnaissance le nom assyrien de Naboushézibanni.

[69] Maspero, les Empires, p. 393-400.

[70] Dans la légende citée par Hérodote (II, cliii), c'est Sabacon et non Taharqou qui évacue l'Égypte à la suite d'un rêve.

[71] Hérodote II, cliii, attribue le meurtre de Néchao à Sabacon.

[72] Mariette, Monuments divers, pl. 7-8 et p. 2. Maspero, Mélanges de Mythologie, t. III, p. 5-18, 217-223. J'ai hésité longtemps à admettre l'identité du Tanouatamani des monuments égyptiens avec le personnage que les documents assyriens présentaient comme le successeur de Taharqou et dont on lisait le nom Ourdamani. La découverte de la lecture Tandamani a écarté tous les doutes (Steindorff, die Keilschriftliche Wiedergabe ägyplischer Eigennamen, dans les Beiträge zur Assyriologie, t. I, p. 356-359).

[73] Champollion, Monuments de l'Égypte et de la Nubie, t. IV, pl. cccxlix, à signaler à Thèbes un monument qui porte la date de l'an III de son règne.

[74] E. de Rougé, dans les Mélanges d'archéologie égyptienne et assyrienne, t. I, p. 17-20.

[75] G. Smith, History of Assurbanipal, p. 84-99.

[76] Ammien Marcellin, XVII, 4, attribue le sac de Thèbes aux Carthaginois.

[77] Nahoum, III, 8-10.

[78] Le canon des Limmou assyriens cesse brusquement en 665 à la troisième année d'Assourbanabal. A partir de ce moment il devient difficile d'établir pour l'histoire de l'Assyrie une chronologie certaine.

[79] Maspero, les Empires, p. 400-414.

[80] Maspero, les Empires, p. 414-424.

[81] Maspero, les Empires, p. 424-434.

[82] Maspero, les Empires, p. 434-442.

[83] Aujourd'hui le lac d'Ouroumiyéh.

[84] L'Ararat n'atteint que 17.000 pieds et le plus haut pic du Caucase n'en dépasse pas 18.000.

[85] Entre autres le marbre de Tebriz.

[86] On ne trouve plus aujourd'hui de lapis-lazuli dans ces contrées.

[87] Le lion, le tigre et le léopard ont presque disparu aujourd'hui.

[88] G. Rawlinson, The five great Monarchies, t. II, p. 251-305.

[89] Delattre, le Peuple et l'empire des Mèdes, p. 57-74, a fort bien résumé et commenté le passage des textes assyriens relatifs aux rapports de Ninive avec la Médie.

[90] Hérodote, VII, lxii.

[91] Hérodote, I, ci.

[92] La « demeure des Aryens ».

[93] Merv et le Kharîsm.

[94] Sur les migrations iraniennes telles qu'elles sont représentées au premier fargard du Vendidad (James Darmsteter, The Zend Avesta, t. I. p. 1-10), voir M. Bréal, Fragments de critique zende : de la Géographie de l'Avesta (Extrait du Journal asiatique, 1862, et dans les Mélanges de mythologie et de linguistique, p. 487, sqq.), et Spiegel, Eranische Alterthumskunde, t. I. p. 190-196.

[95] La Sogdiane des auteurs classiques.

[96] La Margiane, le Margous des inscriptions achéménides ; aujourd'hui le canton de Merv.

[97] C'est-à-dire « le siège de ta royauté ». Bâkhdhi est la Bâkhtris des textes perses, la Bactriane.

[98] La NisaÛa de Strabon et de Ptolémée (VI, 10, 4).

[99] Haraïva des Perses, Aria ou Ariana des auteurs classiques.

[100] D'après Lassen et Haug, le Seïstan actuel, où se trouve la ville ruinée de Doushak (Djellabad), sur la rive orientale du lac Hamoun, au sud des embouchures de l'Helmend.

[101] Le Vendidad-Sadé n'indique en cet endroit que deux directions vers la Médie et vers l'Inde.

[102] Arachosia des géographes grecs.

[103] Position incertaine.

[104] Le Pendjab actuel.

[105] D'après Lenormant, l'Ourivân des monuments assyriens, l'Apavarctisene d'Isidore, § 13, l'Apavortene de Pline, vi, 18.

[106] Le Vârkana des inscriptions perses, l'Hyrcanie des Grecs et des Romains, aujourd'hui le Djouardjân.

[107] Rhagæ, « la plus grande ville de Médie », au dire d’Isidore, § 7.

[108] Karkh, à l'extrémité nord-ouest du Khorasan, d'après M. Haug.

[109] Peut-être la Khorènè de Strabon (I, XI), la Khoarinê d'Isidore, § 8, la Choara de Pline, VI, 17.

[110] Spiegel, Eranische Alterlhumskunde, t. 1, p. 194, 211-212 ; J. Darmstelter, The Zend-Avesta, t. I, p. 3 et le Zend-Avesta, t II, p. 5, note 4.

[111] Volney a découvert la méthode dont Ctésias s'est servi pour fabriquer sa dynastie. Plaçant la liste qu'il donne des rois mèdes à côté de celle que fournit Hérodote :

Hérodote

 

Ctésias

Interrègne

x

 

Arbakès

28

Déiôkês

53

 

Mandaukas

50

 

 

 

Sosarmos

30

 

 

 

Artykas

50

Phraortès

22

 

Arbianès

22

 

 

 

Artæos

40

 

 

 

Artynès

22

Kyaxarès

40

 

Astybaras

40

on voit que, tout en changeant les noms d’Hérodote, Ctésias répète ses nombres deux à deux :

A la place des quatre premiers rois, Hérodote indiquait Déiôkès et un interrègne de longueur indéterminée : Ctésias prit pour les cinquante-trois ans de Déiôkès le nombre rond de cinquante ans, et substitua à l'interrègne un règne qu'il évalua à la durée moyenne d'une génération humaine. Il appliqua à ce nouveau couple royal le procédé de reproduction dont il s'était servi pour le couple précédent :

La substitution de vingt-huit pour trente au règne d'Arbakès n'est la que pour donner à tout le catalogue un air de vraisemblance (cf. Volney, Recherches sur l'histoire ancienne, t I, p. 144, sqq. ; G. Rawlinson, Herodotus, t. I, p. 329-330). Selon Oppert (le Peuple et la langue des Mèdes, p. 17 sqq.), les noms d'Hérodote représenteraient « les formes aryanisées des noms touraniens, dont Ctésias nous a donné la traduction perse ».

[112] II Rois, xvii, 6 ; xviii, 11.

[113] Sur l'Ellibi, voir livre 3, la note 302.

[114] Delattre, le Peuple et l'empire des Mèdes, p. 99-125.

[115] Hérodote, I, xcvi-xcviii.

[116] Hérodote, I, xcviii-xcix.

[117] Maspero, les Empires, p. 324-328, 446-454.

[118] Hérodote, I, cii. Un passage de l'inscription de Béhistoun (ii, l. 14) nous fait connaître la forme originale du nom, Frawarti ou Fravartish : il signifie le croyant, celui qui proclame sa loi en Ahouramazda (Justi, Eranisches Namenbuch, p. 105).

[119] Hérodote, I, cii.

[120] Hérodote dit formellement que Téispès succéda à Achéménès (vii, xi), et son témoignage est confirmé par celui du roi Darius (inscription de Behistoun, col. I, l. 56).

[121] Hérodote, I, cii.

[122] Maspero, les Empires, p. 459-464.

[123] Hérodote, I, cii.

[124] Hérodote, I, ciii. Pour la mise en oeuvre du témoignage d’Hérodote et des autres documents, v. Maspero, les Empires, p 467-471.

[125] Isaïe, xxxi, 1-5. « Malheur à ceux qui en appellent au secours de l'Égypte … Les Égyptiens sont des hommes, et non Dieu, leurs chevaux sont chair et non esprit ».

[126] Isaïe, xxxvii, 22.

[127] Isaïe, xiv, 24-25 (trad. Reuss).

[128] Isaïe, iv, 13.

[129] Isaïe, x, 20-21.

[130] Isaïe, v, 4.

[131] Isaïe, ii, 2-12 ; cf. Michée, iv, 1-4.

[132] Kuenen, Religion nationale et religion universelle, p. 98-99, 111, etc.

[133] II Rois, xxi, 1-9 ; cf. Kuenen, The religion of Israel, t. II, p. 2-6.

[134] Jérémie, II, 26-30 ; cf. xi, 45, où il compare le nombre des autels à celui des rues de Jérusalem.

[135] II Rois, xxi, 16.

[136] Je n'ai pas cru devoir parler de sa captivité en Assyrie, cet événement ne nous étant connu que par le témoignage des Chroniques (II Chron., xxxiii, 11-13). Cf. cependant le mémoire de J. Halévy, Manassé, roi de Juda, et ses contemporains, dans les Mélanges de critique et d'histoire relatifs aux peuples sémitiques, p. 24-37, et Schrader, Die Keilinschriften und des Alte Testament, 1883, p. 366-372.

[137] Pour l'indication des monuments relatifs à la XXVIe dynastie, cf. Wiedemann, Geschichte Ægyptens von Psametich Ibis auf Alexander den Grossen, Leipzig, 1880.

[138] Hérodote, II, cxlvii-clii. Selon Polyen, Strat., l. VII, § 3, l'oracle avait conseillé au roi d'Égypte, Témenthès, de se méfier des coqs. Psammétique apprit que les Cariens avaient les premiers piqué des aigrettes sur leurs casques et prit un grand nombre d'entre eux à sa solde.

[139] G. Smith, History of Assurbanipal, p. 66.

[140] G. Smith, History of Assurbanipal, p. 158, où par Miloukhkhi il faut nécessairement entendre l'Égypte (cf. Schrader, Keilinschriften und Geschichtsforschung, p. 286 sqq., note 4).

[141] Diodore, I, 66.

[142] Legrain, deux stèles trouvées à Karnak et Erman, Zu den Legrain’schen Inschriften, dans la Zeitschrift, t. xxxv, p. 16-19, 24-29.

[143] Diodore fait durer la dodécarchie quinze années après la retraite des Éthiopiens (I, 66)

[144] Hérodote, II, clx ; Diodore, I, 67.

[145] Hérodote, II, clii.

[146] Louvre, Sérapéum, st. n° 190, publiée par Mariette, Renseignements sur les soixante-quatre Apis trouvés dans les souterrains du Sérapéum, dans le Bulletin archéologique de l'Athénéum français, août et septembre 1856, et dans le Sérapéum de Memphis, III. pl. 56 ; Lepsius, Königsbuch.

[147] Louvre, Sérapéum, st. n° 239, publiée par Mariette, Renseignements, dans le Bulletin archéologique, août et septembre 1856.

[148] Voyez au Musée du Caire la statue de la reine Amenertaïs ; au Musée du Louvre, les statues A 85, 84, 86, 88, 94, 91, 94, les sarcophages D 8, 9, 40 ; le naos D 29 ; les stèles d'Apis S 2240, 2243, 2244, 259, et le beau lion de Sérapéum.

[149] Hérodote, II, 30.

[150] Hérodote, II, cxlv.

[151] L'observation est de Kenrick, Ancient Egypt under the Pharahos, l. II, p. 223.

[152] MilhsÛvn teäxow, Strabon, l. XVII, 1.

[153] Hérodote, II, cxliv.

[154] Hérodote, II, cliv.

[155] Manéthon, édit. Unger, p. 158, 195-198.

[156] Diodore, I, 14.

[157] Hérodote, II, cxii-cxxi ; cf. Odyssée, IV, 82 sqq. ; Clém. d'Alex., Strom., I, p. 326, a.

[158] Hérodote, II, xli.

[159] On sait l'apostrophe un prêtre égyptien à Platon.

[160] Hérodote, II, clxviii.

[161] Cf. J. de Horrack, dans la Revue archéologique, 1864.

[162] Hérodote II, xxx ; Diodore, I, 67 ; Eratosthène dans Strabon, I, xvii, 2 ; Pline l. VI, 30 ; Ptolémée, IV, 7. Malgré l'exagération des nombres et la bizarrerie de certains détails, je tiens le fond du récit d'Hérodote pour véritable, contrairement à l'opinion de M. Wiedemann, Geschichte Ægyptens, p. 134-138.

[163] Nahoum, III, 2-7, 12-19.

[164] Hérodote, I, ciii-civ ; les détails empruntés par Justin (II, 5) et par Jordanès (de Origine Getarum, 6) à Trogue Pompée dérivent probablement de Dinon.

[165] Cela signifie sans doute que les Tabal ont été assez complètement vaincus pour n'être plus en état de donner à leurs guerriers morts sur les champs de bataille une sépulture honorable, l'épée sous la tête et les armes sur le corps.

[166] Ezéchiel, XXXIII, 26-27.

[167] Fr. Lenormant, les Origines de l'Histoire, t. II, p. 458-461.

[168] Strabon, XI, VIII, 4, où la défaite des Saces est attribuée à des Perses.

[169] Strabon, I, III, 21.

[170] Schrader, Keilinschriften und Geschichtsforschung, p. 150 ; Fr. Lenormant, les Origines de l’Histoire, t. II, p. 547 sqq.

[171] Hérodote, I, cv ; Justin, II, 3.

[172] Zéphaniah, I, 2-7.

[173] Jérémie, I, 4-14.

[174] Jérémie, IV, 15-16, 19-21.

[175] Cf. Lenormant, les Origines de l'histoire, t. II, p. 453 sqq., où le pays de Rosh est identifié au pays de Rashi des inscriptions cunéiformes.

[176] Ezéchiel, XXVIII, 1-9.

[177] Zéphaniah, II, 4-6.

[178] Hérodote, I, cv ; d'après Trogue Pompée (Justin, II, 3, 14) les marais seuls auraient arrêté les Cimmériens.

[179] Hérodote, I, cv. Pour des exemples analogues empruntés à l'histoire moderne de l'Asie, cf. Nöldeke, Aufsätze zur Persischen Geschichte, p. 8, note 2.

[180] Diodore, II, 34, d'après Ctésias de Cnide (cf. Ctésias, Medica, fr. 26-27, édit. Müller-Didot, p. 44-45) ; Nicolas de Damas, fr. 12, dans les Fragm. H. Græc., t. III, p. 364-365; Anonymus declaris mulieribus, § 2.

[181] Hérodote, IV, i.

[182] Hérodote, I, cvi.

[183] Layard, Nineveh and Babylon, p. 655.

[184] Cylindre de Nabonide, col. II, l. 1-12.

[185] Syncelle, p. 596, note. Les sources classiques la donnent pour la fille d'Astyage, ce que la comparaison des dates rend impossible à admettre.

[186] Hérodote, II, clvii, où il est dit, d'après un récit de drogman, que le siège de la ville dura vingt-neuf ans.

[187] II Rois, XXII-XXIII.

[188] Deutéronome, V, 6-10.

[189] Deutéronome, XIII, 1-13.

[190] Deutéronome, XVIII, 18-22.

[191] Les chapitres iv, 44-xxvi et xxxviii (Kuenen, The Religion of Israel, t. II, p. 15-17 ; Reuss, la Bible : l'Histoire sainte et la Loi, t. I, p. 160).

[192] Deutéronome, XXVIII.

[193] II Rois, XXXII-XXXIII ; II Chron., XXXIV-XXXV. Pour l'histoire de Josias et de sa réforme religieuse, voir Kuenen, The Religion of Israel, t. II, p. 6-42 ; Reuss, la Bible : l'Histoire sainte et la Loi, t. I, p. 154-211.

[194] Jérémie, XLIV, 7-9, où cette description est donnée de l'armée vaincue à Carchémis, mais qui était identique à celle-là pour la composition.

[195] II Chroniques, XXXV, 20-22.

[196] II Rois, XXIII, 29-35 ; cf. II Chroniques, XXXVI, 1-4. Hérodote, II, clix, nomme Magdolos la ville où la bataille fut livrée.

[197] Hérodote, II, clix. Le gros scarabée du Musée du Caire, déjà publié par Mariette, Monuments divers, pl. 48 c, est le seul monument connu jusqu'à présent des victoires de Néchao.

[198] Cylindre de Nabonide, Col. II, l. 2-41.

[199] Xénophon, Anabase, III, iv, § 4, où les citées ruinées de Mespila et de Larissa ne sont autres que Kalakh et Ninive.

[200] Voici, autant qu'on peut le rétablir, le tableau de la dynastie des Sargonides :

Sharoukîn (721-704) - Sargon II

Sinakhéïrba (704-680) - Sennachérib

Ashbouranhéiddin (680-667) - Asarhaddon

Ashshourbanapal (667-625) - Sardanapale

Ashshourétilinani (625-620)

Sinsharisukoun (620-608) - Saracos

[201] La trace de cette prétention se retrouve dans les fragments de Bérose, où le roi d'Égypte est traité de satrape (Fragm. 44, dans Müller-Didot, Fragm. H. Græc, t. II, p. 506).

[202] Strabon, XI, VIII, § 4, p. 511.

[203] Fr. Lenormant, les Origines de l'Histoire, t. III, p. 245-246.

[204] L'origine phrygienne des Arméniens est indiquée déjà par Hérodote, VII, lxxxiii.

[205] Jérémie, I, 13.

[206] Sayce, The Ancient Empires of the East, t. I, p. 427.

[207] Hérodote, I, vii.

[208] Athénée, X, 8, probablement d'après Xanthos de Lydie (Fragm. H. Græc., t. I, p. 38-39) ; cf. Nicolas de Damas (Fragm. H. Græc., t. III, p. 372).

[209] Hérodote, I, lxxxiv.

[210] Xanthos (Fragm. H. Græc., t. I, p. 43) et Nicolas de Damas (Fragm. H. Græc., t. III, p. 573) dans Étienne de Byzance, s. v. ’Asx‹lvn.

[211] En 724 d'après la chronologie ordinaire. Les monuments assyriens prouvent que Gygès vivait encore entre 666 et 660, et ils nous forcent d'abaisser ce chiffre.

[212] Les principaux traits de cette histoire sont empruntés à Nicolas de Damas (Fragm. Hist. Græcorum, t. III, p. 580-586), qui lui-même les avait tirés probablement de Xanthos le Lydien. Gelzer (Das Zeitalter des Gyges (Rheinisches Museum, t. XXXV, p. 518-528) a rétabli la suite des événements avec beaucoup de vraisemblance, et je n'ai pas cru pouvoir mieux faire que de reproduire son récit.

[213] Hérodote, I, VIII-XIII. Voir l'analyse de cette légende dans Gelzer, Des Zeitalter des Gyges (Rh. Museum, t. XXXV, p. 515-518).

[214] Platon, République, II, 5.

[215] Nicolas de Damas, dans Müller-Didot, Fragm. H. Græc., t. III, p. 380-386.

[216] Hérodote, I, XIII-XIV.

[217] Strabon, l. XIII, I, 22.

[218] Strabon, l. XIII, I, 22 ; XIV, I, 6.

[219] Strabon, l. XIII, 2.

[220] Hérodote, I, XIV.

[221] Nicolas de Damas, dans les Fragm. H. Græc., t. III, p. 395, probablement d'après Xanthos de Lydie (Fragm. H. Græc., t. I, p. 40) ; cf. Suidas, s. v. M‹gnhw, où il est question du poète Magnès de Smyrne.

[222] Pollux, IX, 83.

[223] Rawlinson, 0n the invention of coining and the earliest Specimens of Coined Money, dans son Herodotus, t. I, p. 563-568 ; H. Lenormant, les Monnaies royales de la Lydie, 1876, Paris, et la Monnaie dans l'antiquité, t. I (1878), 425 sqq. ; Barcley Head, Coinage of Lydia and Persia, 1877, dans les Numismata Orientalia, I.

[224] L'or de Gygès, Gugad‹w, xrusñw est cité par Pollux, III, 87.

[225] L'électrum était, à probablement parler, un alliage renfermant plus de 20 pour 100 d'argent ; toutefois le duc de Luynes a démontré (Revue numismatique, 1856, p. 89) que l'électrum des pièces lydiennes contient une proportion d'argent très supérieure à ce chiffre.

[226] G. Smith, History of Assarbanipal, p. 64-68, 71-75.

[227] Hérodote, I, xv. Je considère la mention d'Hérodote comme se rapportant à la grande invasion où périt Gygès, et non pas à une invasion postérieure (Cf. Fr. Lenormant, Lettres assyriologiques, 1ère série, t. I, p. 79).

[228] Hérodote, I, xv, attribue quarante-neuf ans de règne à Ardys ; Eusèbe lui en donne trente-sept, qui est le chiffre adopté ici.

[229] Hérodote, I, xvi-xxv.

[230] Le nom de Nabonide est dû à une erreur d'Hérodote ou de ses informations : c'est en effet Nabuchodorosor qui régnait alors à Babylone.

[231] Hérodote, I, LXXIII-LXXIV. La date de 640 a été admise par la plupart des historiens (cf. Grote, History of Greece, t. II, p. 418; Rawlinson, Herodotus, t. I. p. 302-304, et The five great Monarchies, t. Il, p. 409-415) ; d'autres ont préféré voir dans l'éclipse mentionnée par Hérodote celle de 597 (Fr. Lenormant, Histoire, t. II, p. 333) il me semble que la date du 28 mai 585 (Bosanquet, Fall of Nineveh, p. 44 ; Unger, Kyaxares und Astyages, p. 55-57) convient mieux que les autres à ce que nous savons présentement de l'histoire du temps. Cicéron (de Divin., I, 86), Pline (H. N., II, 12) et Eusèbe (Chron. Can., II, p. 551) placent la guerre sous le règne d'Astyage.

[232] Pour l'histoire de la Lydie et de ses guerres avec Cyaxare, j'ai suivi presque partout les résultats auxquels est parvenu Radet, la Lydie et le Monde grec au temps des Mermnades.

[233] James Darmsteter, Etudes iraniennes, t. I, p. 40, sqq. ; The Zend Avesta, p. xlvi sqq. ; cf. Spiegel dans la Zeits. der D. Morgenl. Ges., t. XXXV, p. 629 sqq.

[234] Le nom de Zarathoustra peut signifier la splendeur de l'or (Oppert, l'Honnover, le verbe créateur de Zoroastre, p. 4), rouge, couleur d'or (J. Darmsteter, Ormazd et Ahriman, p. 494), adonné à l'agriculture (Ascoli, dans les Beiträge zur vergleichende Sprachforschung, t. V, p. 210), semence de la déesse Ishtar (H. Rawlinson dans le Journal of the R. Asiatic Society, t. XV, p. 227) ; il y a d'autres étymologies possibles. La plus généralement adoptée aujourd'hui est celle d'Eugène Burnouf, d'après laquelle il signifierait le possesseur de chameaux fauves (J. Darmsteter, le Zend-Avesta, t. III, p. LXXVI, note 1).

[235] Müller-Didot, Fragm. H. Gr., t. I, p. 44. Ctésias faisait de Zoroastre un roi de Bactriane contemporain de Ainos et Sémiramis (édit. C. Müller-Didot, p 49).

[236] C'est la tradition défendue par M. de Harlez dans son Introduction à l'étude de l'Avesta, Maisonneuve, in-8°, 1882.

[237] J. Darmsteter, The Zend-Avesta. p. XLXII-L.

[238] J. Darmsteter, The Zend-Avesta, p. XLXII-L. Les livres persans modernes nomment ce roi Goushtasp, fils de Lohrasp. Vistâçpa-Goushtasp est devenu en grec 'Ust‹sphw, mais le personnage de Vistâçpa n'a rien de commun avec le père de Darius.

[239] Spiegel, Eranische Alterthumskunde, t. I, p. 668-711.

[240] Hérodote, I, cxxxi.

[241] James Darmsteter, Ormzda et Ahriman, p. 30-37, et le Dieu suprême des Aryens, dans les Essais orientaux, p. 120-121.

[242] Les inscriptions cunéiformes en caractères perses écrivent ce nom Aouramazda ; le zend dit Ahouròmazdâo et le persan moderne Ormouzd, Ormazd. De Mazdâ vient le nom mazdéisme, qu'on donne au système religieux des Iraniens.

[243] Yaçna, I, 1.

[244] Spiegel, Eranische Alterthumskunde, t. 11, p. 21-31, a résumé tous les passages des textes sacrés où il est question d'Ahouramazdâ.

[245] Spiegel, Eranische Alterthumskunde, t. II, p. 31-40 : sur les deux derniers, voir James Darmsteter, Haurvatât et Ameretât, dans la Bibliothèque de l'École des hautes études, fasc. XXIII.

[246] J. Darmsteter, Ormazd et Ahriman, p. 38-43.

[247] Yazata, « celui à qui on doit offrir le sacrifice », cf. yaz, sacrifier, Yaçna, sacrifice (J. Darmsteter, Ormazd et Ahriman, p. 265-266) ; ou « digne d'adoration » (E. Burnouf, Commentaire sur le Yaçna, p. 218).

[248] Haro Berezaiti, l'Elbourz, sur lequel le soleil se lève, « autour de laquelle tourne mainte étoile, où il n'y a ni nuit ni ténèbres, ni vent froid ou chaud et dont les nuages n'atteignent pas le sommet », (J. Darmsteter, The Zend Avesta, t. II, p. 121-132).

[249] J. Darmsteter, The Zend-Avesta, t. I, p. LXI, et t. II, p. 122-123.

[250] J. Darmsteter, Ormazd et Ahriman, p. 110-144.

[251] Spiegel, Eranische Alterthumskunde, t. II, p. 41-91.

[252] E. Burnouf, Commentaire sur le Yaçna, p. 270.

[253] Spiegel, Eranische Alterthumskunde, t. II, p. 91.

[254] J. Darmsteter, The Zend Avesta, t. I, I, p. 192-193 ; cf. Ormazd et Ahriman, p. 130-132.

[255] J. Darmsteter, Ormazd et Ahriman, p. 88-94.

[256] Spiegel, Eranische Alterthumskunde, t. II, p. 121-126.

[257] J. Darmsteter, The Zend-Avesta, t. I, p. LXXIII et LXXII.

[258] Spiegel, Eranische Alterthumskunde, t. II, p. 126-130 ; J. Darmsteter, Ormazd et Ahriman, p. 259-265.

[259] Spiegel, Eranische Alterthumskunde, t. II, p. 130-141 ; J. Darmsteter, Ormazd et Ahriman, p. 265-272. Le mot Daêva, qui signifiait primitivement dieu, a passé au sens de démon.

[260] Spiegel, Eranische Alterthumskunde, t. II, p. 145-148.

[261] J. Darmsteter, The Zend-Avesta, t. II, p. 308

[262] Spiegel, Eranische Alterthumskunde, t. Il, p. 153-158 ; J. Darmsteter, Ormazd et Ahriman, p. 224 sqq.

[263] Yaçna, XXXIII, 2-5.

[264] Hérodote, I, CXL, note déjà le soin que prenaient les Mages de ne jamais tuer un chien.

[265] J. Darmsteter, The Vendidad Sadé, t. I, p. 151 ; Hovelacque, l'Avesta, Zoroastre et le Mazdéisme, p. 336-356.

[266] Yaçna, XXXV, 1-3.

[267] J. Darmsteter, Ormazd et Ahriman, p. 7.

[268] Cf. Hérodote, I, cxi ; Agathias, II, 24.

[269] J. Darmsteter, The Zend Avesta, t. I. p. 171.

[270] J. Darmsteter, le Zend Avesta, t. I, p. 126-134.

[271] Hérodote I, cxxxv. Au temps de Strabon, brûler un cadavre était puni de mort (l. XV, 14) ; dans le Zend Avesta, « c'est un crime qu'on ne peut expier » (J. Darmsteter, The Zend Avesta, t. I p. 9). « A sin for which there is no atonement, the burying of the dead » (J. Darmsteter, The Vendidad Sadé, t. I, p. 8) ; l'une des plus grandes douleurs qu'on puisse causer à la terre est d'y enterrer un chien (id., p. 24-25). On connaît pourtant les tombeaux des rois (Arrien, Anabase, LVI, LXIX). Il semble donc que la défense d'enterrer les cadavres est postérieure aux Achéménides (J. Darmsteter, The Zend Avesta, t. I, p. XC-XCI).

[272] Strabon, l. XV, 5 ; Hérodote, I, CXL.

[273] Strabon, 1. XV, 5 (d'après Onésicrite) ; Hérodote (I, CXL), dont le témoignage a été accepté par Cicéron (Tusculanes, I, 45), affirme que les corps étaient enterrés après avoir été dévorés seulement en partie par les chiens ou par les oiseaux.

[274] Ces tours s'appellent dakhmas, « monuments » (Vendidad, édit. Darmsteter, Farg., VI, 44 sqq.; VIII, 10 sqq.).

[275] G. Rawlinson, The five great Monarchies, t. II, p. 335-340 ; Spiegel, Eranische Alterthumskunde, t. II, p. 148-151.

[276] E. Renan, Rapport sur les travaux de la Société asiatique, 1880, p. 29.

[277] J. Darmsteter, The Zend Avesta, t. I, p. xxxiii-xxxvii.

[278] Ainsi es Gâthas, qui sont cités dans le Yaçna et le Vendidad (J. Darmsteter, The Zend Avesta, t. I, p. liii).

[279] Hérodote, I, CI.

[280] Perrot et Chipier, Histoire de l'Art antique, t. V, p. 643 ; Marcel Dieulafoy, l'Art antique de la Perse, t. III, pl. V.

[281] Strabon, XV, iii, § 14, p. 732.

[282] Hérodote VII, cxlii ; Xénophon, Cyropédie, VIII, iii, § 24; Arrien, Anabase, VI, xix, § 7 ; J. Darmsteter, le Zend Avesta, t. II, p. 592-594.

[283] Hérodote, VII, cxiii-cxvi.

[284] Hérodote, I, cxxxii.

[285] Hérodote, I, cxxxii ; Strabon, XV, iii, § 45, p. 733.

[286] Dinon, Fragm., 8, dans Müller-Didot, Fragmenta Historicum Græcorum, t. I, p. 91 ; Strabon. XV, III, § 14-15, p. 732-733.

[287] De Iside, § 46.

[288] Cylindre de Nabonide, col. X, l. 12-21.

[289] Le nom de ce prince est écrit d'ordinaire Nabuchodonosor, Nabucadnezzar, par suite d'une confusion entre le r et le n hébreu. Les Septante transcrivent Nabuchodorosor, et les textes originaux nous donnent la forme pleine Naboukoudouroussour, « Nabo, protége la couronne », pour laquelle j'ai préféré la vocalisation Nabuchodorosor, comme étant la plus proche de la forme traditionnelle.

[290] Cylindre de Nabonide, col. II, l. 1-4 ; cf. Maspero, les Empires, p. 516-517.

[291] Jérémie, XLVI, 2 ; II Rois, XXIV, 7 ; Josèphe, Antiq. jud., X, 7.

[292] Jérémie, XLVI, 5-6, 40-42.

[293] Bérose, Fragm. 11, dans Josèphe, Antiq. jud., I. X, c. 11.

[294] On le vit bien, plus tard, lors de la guerre entre Psammétique III et Cambyse.

[295] Hérodote, II, clviii ; IV, xlii. Cf. Diodore, I, 55. Le chiffre de cent vingt mille hommes est évidemment exagéré ; dans une entreprise pareille, le creusement du canal d'Alexandrie, Méhémet-Ali ne perdit que dix mille hommes. Sur le canal, voir Ebers, Durch Gosen zum Sinai, p. 471 sqq.

[296] Hérodote, IV, XLII ; cf. Robiou, Recherches nouvelles sur quelques peuples d'Afrique dans l'antiquité, p. 4-14. Les écrivains grecs postérieurs à Hérodote niaient la possibilité d'un pareil voyage comme Ephore (Fragm., H. Grec., t. I, p. 26), ou disaient qu'on ne pouvait affirmer si l'Afrique était entourée d'eau entièrement (Polybe, III, 38), ou pensaient qu’aucun voyageur n'était descendu à plus de cinq mille stades au delà de la mer Rouge (Strabon, XVI, iii, § 40).

[297] II Rois, XXIII, 25.

[298] Kuenen, The religion of Israel, t. I, p. 45 sqq., Religion naturelle et religion universelle, p. 199 sqq.

[299] Jérémie, XXVI.

[300] Jérémie, XXXVI.

[301] II Rois, XXIV, 1.

[302] II Rois, xxiv ; II Chroniques, xxxvi, 5-11. Cf. Jérémie, xxiv, xxv, xxvi, xxxv, xxxvi, etc.

[303] Manéthon (édit Unger, p. 280) attribue six années de règne à Néchao II, et Hérodote (II, clix) seize. Deux stèles de Florence et de Leyde confirment ce dernier chiffre (Leemans, Lettre à Rosellini, p. 125-132).

[304] Hérodote, II, CLX. C'est à cette expédition que se rapportent les graffiti grecs et phéniciens d'Istanbul.

[305] Plusieurs indices m'avaient porté à croire qu'il était mort avant d'avoir atteint sa majorité. Les découvertes de Karnak ne me permettent plus de maintenir cette opinion.

[306] Jérémie, xxii, 1-11.

[307] Jérémie, xxix, 23-32.

[308] Jérémie, xxvii, 14, 16-18.

[309] Jérémie, XXVIII.

[310] Ézéchiel, xxi, 26, Cf. Fr. Lenormant, la Divination chez les Chaldéens, 1875, p. 48.

[311] Jérémie, xxxiv, 7.

[312] Ézéchiel, xvii, 15.

[313] Jérémie, xxxvii, 11.

[314] Jérémie, xxxvii, 7 : « L'armée de Pharaon, qui est sortie il votre secours, va retourner en Egypte ».

[315] Josèphe, Ant. Jud., X, 7, § 3.

[316] Jérémie, xxxvii, 11-21.

[317] Jérémie, XXXVIII, 1-19.

[318] Jérémie, xxxix ; II Rois, xxv, 1-24 ; II Chron., xxxvi, 13-21. Voici le tableau des rois de Juda, depuis la mort de Salomon jusqu'à la chute de Jérusalem :

[319] Jérémie, XL-XLI, 1-4.

[320] Jérémie, XLI, 11-15.

[321] Id., XLI, 17-18 ; XLII.

[322] Id., XLIII-XLIV, 1.

[323] Lamentations, i, 3-5 ; v. 19-21.

[324] Jérémie, XLIX, 13, 21.

[325] Jérémie, XLIII.

[326] Caussin de Perceval, Histoire des Arabes, t. I, p. 81-99. La plupart des légendes arabes relatives à Nabuchodorosor dérivent des récits de la Bible ; il semble pourtant que l'histoire des expéditions contre l'Yémen renferme un fond de vérité.

[327] Ménandre dans Josèphe, Cont. Apionem, I, 21, § 127. La plupart des auteurs ecclésiastiques ont soutenu que Tyr avait été prise par Nabuchodorosor, contre le témoignage formel des annales phéniciennes et des historiens grecs (Jérôme, Comment. in Ezech., c. xxvi, xxix ; Op. Omnia. t. III, p. 875, 908; Cyrille d'Alexandrie, Comment. in-Jesaïam 23, Op. Omnia, t. II, édit Aubert). Le Chaldéen, disent-ils, avait rattaché l'île au continent par le moyen d'une digue analogue à celle que construisit plus tard Alexandre. Encore au onzième siècle de notre ère, la tradition locale voulait qu'il n'eût pas réussi dans son entreprise (Guillaume de Tyr, Hist., XIII, 4.).

[328] Jérémie, IX, 25-20 ; XLIII, 8-13 ; XLIX, 30; XLV.

[329] Ézéchiel, XXX, 10-18.

[330] Josèphe, Ant. jud., X, 11, d'où dérivent probablement les passages des écrivains arabes relatifs a la conquête de l'Égypte, cf. S. de Sacy, Relation de l'Égypte par Abd-Allatif, p. 184, 246.

[331] Hérodote, II, CLXI ; Diodore, I, 68.

[332] E. Renan, Mission de Phénicie, p. 26 sqq., 179, et le mémoire de M. E. de Rongé sur les débris égyptiens trouvés en Phénicie par M. Renan (Revue archéologique, 1864, t. VII, p. 194 sqq.). M. Wiedemann (Geschichte Ægyptens von Psamitik 1, p. 151) attribue ces constructions au règne de Psammétique 1er.

[333] Hérodote, II. CLXI. La guerre d'Apriès contre la Phénicie ne put avoir lieu tant que le siège de Tyr durait encore, c'est-à-dire de 588 à 575. D'autre par Apriès ne régna que dix-neuf ans, de 589 à 569 (Manéthon, édit. Unger, p. 281-285). La guerre de Phénicie doit donc se placer entre 574, date de la soumission de Tyr par les Chaldéens, et 569, date de la révolte d'Amasis.

[334] Hérodote, IV, CLIX.

[335] Hérodote, II, CLXI ; Diodore, I, 68.

[336] Hérodote, II, CLXII, CLXIV, où il est dit qu’Amasis était de Siouph, prés Saïs. Hellanicos de Lesbos (Fragm. 151, dans Müller-Didot, Fragm. Hist. Græc., t. I, p. 66) contait qu’Amasis avait gagné la faveur du roi par le don d'une couronne de fleurs le jour anniversaire de sa naissance. Platon (Timée, t. II, p. 199, édit. Didot) assure qu'Amasis était de Saïs même.

[337] Hérodote, II, CLXIII, CLXIX; d'après Diodore, I, 68, la bataille s'engagea près de Maréa.

[338] Champollion, Monuments, t. IV, pl. CCCCXLIII, 4 ; Wiedemann, Geschichte Ægyptens von Psamitik, I, p. 420, 467 sqq.

[339] Hérodote, II, CLIII, CLXIII, CLXIV ; Diodore, I, 68; cf. Hellanicos, dans Müller-Didot, Fragm. H. Græc., t. I, fragm. 451, p. 66, où Apriès est nommé Patarmis. Un monument du Musée du Caire, récemment publié par Daressy (Guide du Visiteur, p. 405, n° 1609), nous donne la version égyptienne de cette guerre : autant qu'on en peut juger, elle s'accorde en gros avec la version grecque.

[340] Maspero, Deux Monuments de la princesse Ankhnasnofiribri, dans les Annales du Service des Antiquités, t. V, p. 84-92.

[341] Pinches, A new Fragment of the History of Nabucadnezzar III, dans les Transactions of the Society of Biblical Archœology, t. III, p. 210-225.

[342] Wiedemann (Der Zug Nebucadnezar's gegen Ægypten bestätigt durch eine gleichzeitige hieroglyphische Inschrift, dans la Zeitschrift, 1878, p. 2-6) a essayé de montrer que Nabuchodorosor aurait pénétré jusqu'à la première cataracte, puis qu'il aurait été battu et chassé d'Égypte par un général Nsihor : il combine cette donnée avec celle du texte cunéiforme de Pinches (Nebucadnezar und Ægypten dans la Zeitschrift, 1878, p. 87-89). J'ai montré ailleurs (Notes sur quelques points de grammaire et d'histoire dans la Zeitschrift, 1884, p. 87-90 ; cf. Brugsch, Beiträge, dans la Zeitschrift, 1884, p. 93-97) ce qu'il faut penser de cette hypothèse.

[343] Hérodote, I, CLXXIV ; Oppert, Rapport adressé au ministre de l'instruction publique, p. 46 ; Fr. Lenormant, Histoire, t. II, p. 216-218.

[344] Evers, Das Emporkommen der Persischen Macht unter Cyrus, p. 4-5.

[345] Oppert, Inscription de Nabuchodonosor sur les merveilles de Babylone, in-12, Reims, 1866; cf. G. Rawlinson, The five great Monarchies, t. III, p. 55-58 ; J. Ménant, Babylone et la Chaldée, p. 196-248.

[346] Bérose, dans Josèphe, C. Apion, I, 21, et dans Eusèbe, Prœp. Evang., IX, 40-41 ; Fr. Lenormant, Histoire, t. II, p. 239-241 ; cf. G. Rawlinson, The five great Monarchies, t. III, p. 62-64. Une variante du nom de Nanounâbîd est Nabounîtouk, d'où semble provenir la variante grecque Nabonn®doxow.

[347] Bérose et Abydène dans Eusèbe, Prœp. Evang., IX, 41.

[348] Daniel, IV.

[349] Nicolas de Damas, dans les Fragm. H. Græc., t. III, p. 599. Moïse de Khoren (I, 23-29) lui attribue de longues guerres avec un monarque arménien du nom de Tigrane.

[350] Cf. Rawlinson, The five great Monarchies, t. II, 413-417. Sur sa cruauté, Hérodote, I, cxxx ; Diodore, I, IX, fragm. 24.

[351] Hérodote (I, CXV) dit avoir connu quatre versions de l'histoire de Cyrus et ne donner que celle qui lui a paru la plus vraisemblable.

[352] Cette légende a été recueillie par Ctésias, Persica, § 2 sqq., édit. Müller-Didot, p. 45-46 (A. Bauer, Die Kyros-Sage, p. 29-33). La légende de l'origine liarde de Cyrus (Nicolas de Damas, dans les Fragm. H. Græc., t. III, p. 398) n'est peut-être qu'un souvenir lointain du titre de roi d'Anshân que ce prince portait.

[353] L'épisode de la chienne est dans Justin, I, 4, probablement sur l'autorité de Dinon (A. Bauer, Die Kyros-Sage, p. 12-15).

[354] Hérodote nous a transmis cette version rationaliste de l'histoire (I, CX). Il l'avait trouvée dans un écrivain antérieur, probablement dans Xanthos de Lydie (A. Bauer, Die Kyros-Sage, p. 25).

[355] Les légendes relatives aux premières années de Cyrus ont été recueillies et analysées dans le remarquable mémoire de A. Bauer, Die Kyros-Sage und Verwandtes, Wien, in-8°, 1882 (Extrait des Sitzungsberichte de l'Académie de Vienne, 1882, p. 495-578).

[356] Maspero, les Empires, p. 600, où l'on trouvera l'indication des documents originaux.