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THUCYDIDE

HISTOIRE DE LA GUERRE DU PÉLOPONNÈSE

LIVRE DEUXIÈME 

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XVIII XIX XX XXI XXII XXIII XXIV XXV XXVI XXVII XXVIII XXIX XXX XXXI XXXII XXXIII XXXIV
XXXV XXXVI XXXVII XXXVIII XXIX XL XLI XLII XLIII XLIV XLV XLVI XLVII XLVIII XLIX L  
LI LII LIII LIV LV LVI LVII LVIII LIX LX LXI LXII LXIII LXIV LXV LXVI LXVII
LXVIII LXIX LXX LXXI LXXII LXXIII LXXIV LXXV LXXVI LXXVII LXXVIII LXXIX LXXX LXXXI LXXXII LXXXIII LXXXIV
LXXXV LXXXVI LXXXVII LXXXVIII LXXXIX XC XCI XCII XCIII XCIV XCV XCVI XCVII XCVIII XCIX C CI
CII CIII
 

 

I . - Ici commence la guerre des Athéniens et des Péloponnésiens, aidés respectivement par leurs alliés . Au cours des hostilités, ils n'eurent de rapports que par l'intermédiaire du héraut et la lutte une fois engagée ne connut plus de répit . Les événements sont rapportés dans l'ordre chronologique, par étés et par hivers .

431

Affaire de Platée : Thèbes attaque Platée, cité alliée d'Athènes. L'assaut est repoussé mais, la trêve de 30 ans est rompue de facto (avril)

II. - La trêve de Trente Ans, qui avait été conclue après la prise de l'Eubée, ne subsista que pendant quatorze ans. Au cours de la quinzième année, Chrysis étant prêtresse à Argos depuis quarante-huit ans, Aenêsias étant éphore à Sparte et Pythodoros ayant encore à exercer l'archontat à Athènes pendant quatre mois, le sixième ceux qui les avaient introduits ; au lieu de se mettre à l'oeuvre immédiatement et de pénétrer dans les maisons de leurs ennemis, ils préfèrent user de proclamations conciliantes et amener les habitants à composer à l'amiable : un héraut fit savoir que quiconque voudrait entrer dans la confédération nationale de la Panbéotie n'avait qu'à se ranger en armes aux côtés des Thébains. Ils pensaient de cette manière gagner facilement la ville à leur cause.

III. - Les Platéens, voyant les Thébains à l'intérieur des murs et la ville instantanément occupée, furent pris de peur et crurent les occupants beaucoup plus nombreux qu'ils ne l'étaient ; rien d'étonnant à cela, car dans la nuit ils ne pouvaient rien distinguer. Aussi se décidèrent-ils à négocier ; ils acceptèrent les conditions des Thébains et se tinrent tranquilles, d'autant plus qu'aucune mesure d'exception n'était prise. Mais au cours des pourparlers ils s'aperçurent du petit nombre des Thébains et pensèrent qu'en les attaquant ils en viendraient facilement à bout ; en réalité la masse des Platéens ne désirait pas quitter le parti des Athéniens. Ils décidèrent donc de tenter la chance. Pour éviter de se faire repérer dans les rues, ils percèrent les murs des maisons et parvinrent ainsi à se concerter. Ils barrèrent les rues avec des chariots dépourvus de leurs attelages et dressèrent des sortes de barricades ; bref ils prirent toutes les mesures que semblait exiger la situation. Quand tout fut prêt autant qu'il était possible, les Platéens mettant à profit la fin de la nuit, aux approches du petit jour, sortirent des maisons pour attaquer les Thébains. Ils voulaient éviter que le grand jour augmentât leur audace et les mettre ainsi en état d'infériorité. La nuit devait les rendre plus timorés et faciliter leur défaite, parce qu'ils ne connaissaient pas la ville. Ils attaquèrent donc immédiatement et en vinrent tout de suite aux mains.

IV. - Les Thébains, voyant qu'ils étaient tombés dans le panneau, se massèrent en rangs serrés et commencèrent à repousser les attaques, là où les Platéens fonçaient sur eux. Deux fois, trois fois, ils les refoulèrent. Mais le tumulte ne tarda pas à augmenter : les Platéens revenaient à la charge ; les femmes et les serviteurs, de l'intérieur des maisons, avec des cris et des hurlements, les canardaient à coups de pierres et de tuiles ; bien plus une violente averse survint dans les ténèbres. Bref, les Thébains pris de panique firent demi-tour et s'enfuirent à travers la ville. La plupart dans l'obscurité et la boue ne parvenaient pas à trouver les issues qui auraient facilité leur fuite, de fait on n'y voyait goutte, la lune étant à son déclin. Par contre les poursuivants connaissaient le moyen de leur couper la retraite. Aussi la plupart périrent. Un Platéen ferma la porte de la ville par laquelle les Thébains étaient entrés et qui seule était ouverte. Il utilisa, en guise de pêne, un fer de javelot, qu'il fit entrer dans la gâche. Ainsi par là toute sortie était impossible. Poursuivis à travers la ville, les uns escaladèrent la muraille et se précipitèrent à l'extérieur, la plupart périrent. D'autres parvinrent à une porte qui n'était pas gardée ; une femme leur donna en cachette une hache avec laquelle ils firent sauter la barre ; ils s'échappèrent, mais en petit nombre, car leur fuite fut bientôt éventée. D'autres périrent en différents endroits de la ville. Le plus grand nombre, principalement ceux qui étaient restés groupés, tomba sur une vaste construction, qui dépendait des remparts et dont la porte la plus voisine était ouverte. Ils s'imaginèrent que cette porte état la porte de la ville et qu'elle donnait directement sur l'extérieur. Les Platéens, les voyant pris dans cette souricière, se demandèrent s'il fallait les brûler sur-le-champ en mettant le feu à l'édifice ou leur réserver un autre traitement. Finalement ceux de ce groupe et tous ceux qui vivaient encore et qui erraient à travers la ville décidèrent de se rendre aux Platéens sans condition. Tel fut le sort de ceux qui entrèrent à Platée.

V. - D'autres Thébains, qui devaient avec toute l'armée être rendus de nuit à Platée en prévision d'un échec possible des assaillants, apprirent en cours de route ce qui s'était passé et se portèrent au secours de leurs compatriotes. Or Platée se trouve à soixante-dix stades de Thèbes ; l'orage de la nuit retarda leur marche ; l'Asopos avait grossi et était difficilement guéable. La pluie, les difficultés de la traversée du fleuve les empêchèrent de suivre leur horaire et à leur arrivée leurs camarades avaient péri ou avaient été pris vivants. A la nouvelle de ce désastre ils se mirent à traquer les Platéens qui étaient en dehors de la ville ; il y avait du monde dans la campagne et tout l'attirail qui s'y trouve quand un danger imprévu surgit en pleine paix. Les Thébains voulaient en se saisissant de leurs personnes avoir une monnaie d'échange pour ceux de l'intérieur, au cas où quelques-uns seraient encore vivants. Telles étaient leurs intentions. Ils étaient encore à délibérer, quand les Platéens, soupçonnant leurs desseins et craignant pour ceux du dehors, envoyèrent un héraut aux Thébains : ils dénonçaient l'impiété que ceux-ci avaient commise en essayant de s'emparer de la ville en pleine paix ; pour les gens du dehors les Thébains ne devaient leur faire aucun mal, s'ils ne voulaient pas voir les prisonniers massacrés par les Platéens. Si les Thébains évacuaient le territoire de Platée, leurs hommes leur seraient rendus. Telle est la version des Thébains, ces conditions, ils l'affirment, furent faites sous la foi du serment. Les Platéens nient avoir promis la reddition immédiate des prisonniers ; des négociations préalables devaient avoir lieu en vue d'un arrangement définitif ; ils déclarent n'avoir fait aucun serment. Les Thébains évacuèrent le territoire, sans avoir fait le moindre mal aux habitants. Mais les Platéens en toute hâte firent rentrer dans la ville ce qui se trouvait dans la campagne, puis, sans délai, massacrèrent les prisonniers. Ils étaient cent quatre-vingts : parmi eux se trouvait Eurymachos, avec qui les traîtres avaient négocié. 

VI. - Cela fait, ils envoyèrent à Athènes un messager, rendirent par traité aux Thébains les cadavres et prirent dans la ville les dispositions que paraissaient exiger les circonstances. Les Athéniens avaient été informés immédiatement des événements de Platée ; ils avaient arrêté sur-le-champ tous les Béotiens qui se trouvaient en Attique, puis avaient envoyé un héraut à Platée ; ils recommandaient aux Platéens de ne prendre contre leurs prisonniers aucune mesure d'exception, avant qu'eux-mêmes eussent statué sur le sort des Béotiens. Car ils ignoraient encore la mort des Thébains. En effet le premier messager était parti, au moment où les Thébains pénétraient dans Platée ; et le second, à l'instant où les assaillants venaient d'être vaincus et pris ; les Athéniens n'avaient rien su des événements postérieurs. C'est dans cette ignorance qu'ils avaient envoyé le héraut ; à son arrivée, les prisonniers avaient péri. Là-dessus les Athéniens envoyèrent un corps de troupe à Platée, y concentrèrent des approvisionnements, y laissèrent une garnison et évacuèrent, avec les femmes et les enfants, toutes les bouches inutiles.

VII. - Après cette affaire de Platée, après cette rupture éclatante de la trêve, les Athéniens se préparèrent à la guerre. Les Lacédémoniens et leurs alliés s'y préparèrent également. Des deux côtés on se disposa à envoyer des ambassades auprès du Roi et dans les pays barbares, partout où l'on espérait obtenir quelque secours. Les deux partis firent entrer dans leur alliance des cités qui jusque-là n'étaient pas soumises à leur domination. Les Lacédémoniens intimèrent l'ordre à leurs congénères d'Italie et de Sicile qui avaient pris leur parti, de fournir, en plus des vaisseaux qui se trouvaient dans le Péloponnèse, et selon l'importance de chaque cité, des bâtiments jusqu'au nombre de cinq cents ; de préparer une somme d'argent fixée ; pour le reste de se tenir tranquilles, de ne laisser entrer dans les ports qu'un seul navire athénien à la fois, jusqu'à ce que les préparatifs fussent terminés. Les Athéniens, de leur côté, firent le dénombrement de leurs alliés et sollicitèrent plus particulièrement par leurs ambassadeurs les pays du pourtour du Péloponnèse : Corcyre, Céphallènie, l'Acarnanie et Zacynthe ; ils se rendaient compte que, s'ils pouvaient compter fermement sur leur amitié, ils porteraient la guerre tout autour du Péloponnèse.

VIII. - Des deux côtés, on nourrissait de grands desseins, on consacrait toutes ses forces à la préparation de la guerre. Rien de plus naturel : dans les débuts d'une affaire tout le monde montre plus d'ardeur. Les hommes en état de porter les armes, nombreux alors dans le Péloponnèse et à Athènes, se lançaient, faute d'expérience, avec empressement dans la lutte. Tout le reste de la Grèce était surexcité en présence du conflit qui mettait aux prises les cités les plus puissantes. On colportait maintes prédictions les devins multipliaient les oracles dans les cités qui se préparaient à la guerre, comme dans les autres. Peu de temps avant ces événements, Délos subit un tremblement de terre (121), ce qui de mémoire d'homme n'était jamais arrivé. On dit et on crut qu'il y avait là un présage pour les événements à venir. On recherchait avec soin tous les faits de ce genre qui avaient pu se produire. La sympathie générale inclinait du côté des Lacédémoniens, d'autant plus qu'ils proclamaient leur intention de délivrer la Grèce (122). Tous, les particuliers comme les villes, déployaient leurs efforts, tant en paroles qu'en action, pour leur venir en aide. Chacun croyait entraver la marche des affaires en n'y participant pas, si vive était l'irritation de la plupart des Grecs contre les Athéniens, les uns voulant secouer leur domination, les autres craignant d'être dominés. 

 

IX. - C'est avec ces préparatifs et dans cet état d'esprit qu'on se jeta tête baissée dans la guerre. Voici les alliés des deux partis au début des hostilités. Aux côtés des Lacédémoniens combattaient : tous les Péloponnésiens qui habitent à l'intérieur de l'isthme, à l'exception des Argiens et des Achéens dont les sympathies étaient partagées entre les deux camps. Seuls au début parmi les Achéens, les habitants de Pellénè leur donnèrent leur concours ; par la suite, tous les imitèrent. En dehors du Péloponnèse : les Mégariens, les Phocidiens, les Locriens, les Béotiens, les Ambracáotes, les Leucadiens, les Anactoriens. Leur flotte était fourme par les Corinthiens, les Mégariens, les Sicyoniens, les Pellèniens, les Eléens, les Ambraciotes, les Leucadiens ; la cavalerie par les Béotiens, les Phocidiens, les Locriens ; les autres villes fournissaient l'infanterie. Tels étaient les alliés des Lacédémoniens. Ceux des Athéniens étaient les habitants de Chios, de Lesbos, de Platée, les Messéniens de Naupacte, la majorité des Acarnaniens, les habitants de Corcyre, de Zacynthe et d'autres villes tributaires dans les différents pays suivants la partie maritime de la Carie, les Doriens voisins de la Carie, l'Ionie, l'Hellespont, les villes voisines du littoral de la Thrace, toutes les îles situées au Levant, entre le Péloponnèse et la Crète, toutes les Cyclades, à l'exception de Mélos et de Théra . Leur flotte était fournie par les habitants de Chios, de Lesbos, de Corcyre ; d'autres fournissaient l'infanterie et de l'argent. Tels étaient les alliés des deux côtés et les préparatifs de guerre (123). 

X. - Aussitôt après les événements de Platée, les Lacédémoniens envoyèrent, tant à leurs alliés du Péloponnèse qu'à ceux de l'extérieur, l'ordre d'équiper une armée et de faire les préparatifs nécessaires pour une expédition hors du pays, car ils se disposaient à envahir l'Attique. Quand tout fut prêt, au moment fixé, les deux tiers des troupes alliées se concentrèrent à l'isthme (124). Puis, au moment où l'armée entière se trouva rassemblée, Archidamos, roi de Lacédémone, qui était à la tête de ce corps expéditionnaire, convoqua les généraux de toutes les cités, les officiers supérieurs et tous les hommes les plus considérés et leur dit : 

XI. - « Péloponnésiens et alliés ! nos pères eux aussi ont fait bien des expéditions à l'intérieur du Péloponnèse et au dehors ; et les plus âgés d'entre nous ne laissent pas d'avoir l'expérience de la guerre. Toutefois aucune de nos expéditions au dehors n'a provoqué de préparatifs plus importants. C'est que la ville contre laquelle nous marchons maintenant est très puissante et nous-mêmes avons une armée très nombreuse et excellente. Il convient donc que nous nous montrions à la hauteur de nos pères et au niveau de notre propre gloire. Car toute la Grèce est exaltée par cette expédition et la suit avec attention en haine d'Athènes, elle souhaite le succès de notre entreprise. Il ne faut donc pas, quelque idée qu'on ait de notre supériorité numérique, quelque forte que soit notre assurance que l'ennemi n'en viendra pas aux mains, négliger les précautions dans notre avance : chaque chef, chaque soldat doit, dans la mesure de ses moyens, s'attendre à tomber dans quelque danger. La guerre est pleine d'incertitudes. Très souvent les attaques se produisent à l'improviste et dans un état d'irritation. Souvent aussi des troupes inférieures en nombre, parce qu'elles sont sur leurs gardes, repoussent des forces plus nombreuses, qui par dédain de l'adversaire ne prennent pas de précautions. Il faut donc constamment, en pays ennemi, faire preuve d'audace dans ses desseins, mais de précaution et de prudence dans l'action. C'est ainsi que dans la marche à l'ennemi on est plein d'assurance et plein de sécurité dans la défense. La ville contre laquelle nous marchons, loin d'être dans l'impossibilité de se défendre, est mieux équipée que toute autre. Aussi devons-nous nous attendre à voir l'ennemi nous livrer bataille ; s'il ne le fait pas maintenant que nous sommes à quelque distance, il le fera quand il nous verra sur son territoire, ravageant et détruisant ses biens. La vue d'un dommage inaccoutumé irrite immédiatement notre colère ; moins on réfléchit, plus on agit avec emportement. Il est vraisemblable que telle douve être la conduite des Athéniens : ils ont la prétention de commander aux autres et sont plus habitués à aller ravager le territoire d'autrui qu'à voir le leur saccagé. Puisque telle est la puissance de la ville que nous attaquons, puisque nos succès ou nos revers doivent mesurer la gloire que nous acquerrons pour nos ancêtres et pour nous-mêmes, suivez vos chefs partout où ils vous conduiront, respectez toujours l'ordre et la discipline et exécutez promptement les commandements. Rien n'est plus beau, rien ne garantit mieux la sécurité qu'une armée nombreuse obéissant à une stricte discipline. »  

XII. -Sur ces mots, Archidamos congédia l'assemblée. Puis il envoya d'abord à Athènes le Spartiate Mélésippos, fils de Diacritos ; il voulait voir si les Athéniens ne feraient pas quelques concessions, maintenant que l'armée péloponnésienne était en marche. Les Athéniens ne le reçurent ni dans l'Assemblée ni même dans la ville. C'est que l'avis de Périclès avait prévalu de ne recevoir ni héraut ni ambassade, une fois que les Lacédémoniens seraient en campagne. Ils le renvoyèrent donc sans l'entendre et lui intimèrent l'ordre de repasser la frontière le jour même du reste, quand les Lacédémoniens seraient rentrés chez eux, ils pourraient envoyer une ambassade, s'ils le voulaient. On fit accompagner Mélésippos, pour éviter qu'il s'entretînt avec qui que ce fût. Arrivé à la frontière, au moment de prendre congé de ses guides, il prononça en partant ces seules paroles : « Ce jour marquera pour les Grecs le début de grands malheurs. »  Par son retour au camp, Archidamos fut convaincu que les Athéniens n'étaient pas, plus qu'auparavant, décidés à faire des concessions ; il leva le camp et se porta avec son armée dans la direction de l'Attique. Les Béotiens, qui avaient fourni aux Péloponnésiens leur contingent et leurs cavaliers, s'avancèrent avec ce qui leur restait de troupes dans la direction de Platée et ravagèrent le pays. 

Première invasion des Lacédémoniens en Attique (mai 431)

XIII. - Les Péloponnésiens se rassemblaient encore à l'isthme et déjà se mettaient en route pour envahir l'Attique, quand Périclès, fils de Xanthippos, un des dix stratèges (125) d'Athènes, prévoyant l'invasion, conçut ce soupçon Archidamos était son hôte (126) ; il pourrait bien arriver que pour lui faire plaisir et de son initiative personnelle, il épargnât ses domaines et évitât de les saccager ; même il n'était pas impossible qu'il agit ainsi sur l'ordre des Lacédémoniens pour discréditer Périclès, comme on avait demandé naguère pour l'atteindre l'expiation des sacrilèges. Il déclara aux Athéniens dans l'Assemblée (127) qu'Archidamos était son hôte, mais que, pour éviter que ces relations portassent préjudice à la cité, au cas où l'ennemi ne saccagerait pas ses propriétés et ses villas, il en faisait abandon à l'État ; ainsi, sur ce point, nul soupçon ne pourrait l'atteindre. Au sujet des événements il répéta les conseils qu'il avait déjà donnés : il fallait se préparer à la guerre, transporter à la ville ce qui se trouvait à la campagne, ne pas faire de sortie pour livrer bataille, au contraire se réfugier à l'intérieur de la ville et la défendre, donner tous ses soins à la flotte, qui faisait la force d'Athènes, tenir en bride les alliés, car « la puissance des Athéniens venait des subsides qu'ils leur versaient ; et la victoire à la guerre vient` de l'intelligence et de l'argent  » . Les Athéniens devaient asseoir leur confiance sur les six cents talents (128) que, bon an, mal an, la cité percevait du tribut des alliés ; mis à part les autres revenus, il y avait encore disponibles à l'Acropole, six mille talents d'argent monnayé ; il y en avait eu neuf mille sept cents, mais on y avait puisé pour les dépenses des Propylées (129) de l'Acropole, pour d'autres édifices et pour le siège de Potidée. En outre il y avait de l'or et de l'argent non monnayés constitués par des offrandes (130) particulières et publiques, les vases sacrés servant aux cortèges (131) et aux jeux (132), le butin conquis sur les Mèdes, et autres objets analogues ; le tout valant bien cinq cents talents. A ce total il ajoutait les richesses qui provenaient des autres temples elles étaient loin d'être négligeables et on pourrait s'en servir ; si l'on état à toute extrémité, on prendrait les ornements d'or d'Athéna ; Périclès montra que le revêtement d'or fin ferait quarante talents et qu'on pourrait le détacher entièrement ; mais, si on l'utilisait pour le salut de la patrie, il faudrait le remplacer intégralement. Tels étaient les encouragements qu'il tirait de leurs richesses. Les hoplites étaient au nombre de treize mille, sans compter les seize mille qui tenaient les forts et les remparts. C'était le nombre affecté primitivement lors des invasions ennemies au service de garde. Ils comprenaient les hommes très âgés et les tout jeunes gens et les métèques (133) qui servaient comme hoplites. Le mur de Phalère (134) s'étendait sur trente-cinq stades, jusqu'à l'enceinte de la ville ; la partie occupée de celle-ci était de quarante-cinq stades ; la partie comprise entre le Long-Mur et celui de Phalère état dépourvue de garnison. Les Longs-Murs jusqu'au Pirée étaient de quarante stades ; on ne gardait que la partie extérieure. Toute l'enceinte du Pirée et de Munychie était de soixante stades (135) ; on en gardait la moitié seulement. Les cavaliers, avec les archers à cheval, étaient au nombre de douze cents, les archers de seize cents (136) ; les trières en état de prendre la mer au nombre de trois cents. Telles étaient, exactement dénombrées, les ressources des Athéniens, lors de la première invasion des Péloponnésiens au début de la guerre. Périclès ajouta encore d'autres considérations, selon son habitude, pour fortifier la confiance des Athéniens dans la victoire. 

Attique : évacuation des habitants derrière les longs murs en prévision de l'offensive lacédémonienne (mai)

XIV. - Les Athéniens furent convaincus par cet exposé et transportèrent de la campagne à la ville femmes et enfants et tous les objets mobiliers ; ils enlevèrent même la charpente de leurs maisons. Ils firent passer leurs troupeaux et leurs attelages en Eubée et dans les îles voisines. Ils ne se résolurent qu'à grand'peine à ce déplacement, car la plupart des Athéniens avaient accoutumé de tout temps à vivre aux champs. 

XV. - Cette tradition était fort ancienne et plus forte chez les Athéniens que chez tout autre peuple. En effet, au temps de Cécrops et des premiers rois jusqu'à Thésée, les habitants de l'Attique étaient répartis par bourgades, dont chacune avait son prytanée (137) et ses archontes. En dehors des périodes critiques, on ne se réunissait pas pour délibérer aux côtés du roi ; chaque bourgade s'administrait et prenait des décisions séparément. On en vit même faire la guerre aux rois, comme il arriva aux gens d'Eleusis conduits par Eumolpos contre Erechthée. Mais quand Thésée fut devenu roi, quand par son habileté il eut conquis le pouvoir, entre autres améliorations il supprima les consuls et les magistratures des bourgades ; les concentra dans la ville actuelle où il fonda un conseil et un prytanée uniques et forma avec tous les citoyens une seule cité. Pour ceux qui continuèrent comme devant à cultiver leurs terres, il les contraignit à n'avoir que cette cité. Tous dépendant d'Athènes, la ville se trouva considérablement agrandie, quand Thésée la transmit à ses successeurs. La fête du syncecisme (138) date de ce moment et les Athéniens maintenant encore la célèbrent aux frais de l'État en l'honneur de la déesse. Auparavant, ce qui est maintenant l'Acropole (139) était la ville proprement dite ; elle comprenait également la partie située à ses pieds, face au sud. En voici la preuve. C'est sur l'Acropole même que se trouvent les temples de plusieurs divinités et de ce côté de la ville s'élèvent la plupart des sanctuaires celui de Zeus Olympien, ceux d'Apollon Pythien, de la Terre, de Dionysos Limnéen ; en l'honneur de ce Dieu l'on célèbre, le douzième jour du mois d'Anthestérion, les vieilles Dionysies, coutume encore pratiquée par les Ioniens, originaires d'Athènes. Dans cette région se trouvent également d'autres temples anciens ; on y voit aussi la Fontaine aux Neuf Bouches que les tyrans ont aménagée ; c'était autrefois la Source Callirhoé, car l'eau coulait à ciel ouvert ; comme elle était voisine de l'Acropole, elle servait pour les principaux usages ; aujourd'hui encore, selon la tradition, on utilise son eau pour la cérémonie du mariage et pour d'autres lustrations. Du fait des habitations qui s'y trouvaient, les Athéniens ont jusqu'à nos jours conservé l'habitude d'appeler l'Acropole la Ville. 

XVI. - Ainsi donc les Athéniens, pendant longtemps, vécurent indépendants à la campagne. Même quand ils formèrent une seule cité, du fait que la plupart d'entre eux, jusqu'à la guerre du Péloponnèse, naissaient à la campagne et y vivaient avec leurs familles, ils acceptaient d'autant moins de quitter leurs foyers qu'ils venaient seulement de réparer les ruines causées par les guerres médiques. Leur peine et leur souffrance étaient grandes d'abandonner leurs demeures et leurs temples qui, en raison de leur ancienne organisation, constituaient des biens consacrés par une longue tradition ; il leur fallait changer de genre de vie et chacun croyait dire adieu à sa ville natale. 

XVII. - Arrivés à la ville, un petit nombre seulement trouva un abri ou un refuge chez des amis ou chez des parents. La plupart campèrent dans les quartiers inhabités, dans tous les temples ou les sanctuaires des héros, sauf à l'Acropole, dans l'Eleusinion (140) et dans les lieux strictement fermés. Au pied de l'Acropole s'étendait le Pélasgicon. Il état interdit sous peine de malédiction de l'habiter, défense aggravée encore par la fin de vers de l'oracle de Delphes : Mieux vaut que Pélasgicon reste inoccupé. Néanmoins, en raison de la nécessité pressante, on y logea du monde. Mon avis est que l'oracle s'accomplit contrairement à ce qu'on avait prévu. Ce n'est pas parce qu'on avait transgressé l'oracle que les malheurs fondirent sur la ville, c'est la guerre qui fit de l'occupation de cet endroit une nécessité ; l'oracle ne l'avait pas annoncé, mais avait prédit qu'on n'occuperait le Pélasgicon qu'en cas de malheur. Beaucoup s'installèrent sur les tours des remparts, bref chacun se débrouilla comme il put. Comme la ville ne pouvait contenir les arrivants, on se partagea les Longs-Murs et la plus grande partie du Pirée, et l'on s'y installa. En même temps on poussait les préparatifs de guerre, on rassemblait des alliés, on équipait une flotte de cent vaisseaux contre le Péloponnèse. Telle était la situation du côté des Athéniens.

XVIII. - Cependant, l'armée des Péloponnésiens avançait. Elle arriva d'abord devant Oenoè, bourg d'Attique (141) ; c'est par là qu'ils se proposaient d'envahir le territoire athénien ; elle y établit son camp et se disposa à attaquer le rempart avec des machines (142) et par tout autre moyen. Car Oenoè, située aux confins de l'Attique et de la Boétie, état fortifiée et servait de place forte aux Athéniens en cas de guerre. En préparant l'attaque, les Péloponnésiens perdirent du temps. On en fit vivement grief à Archidamos : on croyait avoir à lui reprocher sa mollesse à réunir tes alliés et à diriger les hostilités et ses relations avec les Athéniens, car il avait montré peu d'empressement pour conseiller la guerre. Ce qui le rendit suspect également, ce fut le retard imposé à l'armée rassemblée à l'isthme, la lenteur de sa marche et surtout l'arrêt devant Oenoè. Les Athéniens profitaient de ce répit pour transporter à Athènes ce qui leur appartenait. Les Péloponnésiens, semblait-il, n'eût été l'irrésolution d'Archidamos, eussent pu par une attaque brusquée tout saisir hors des murs. L'armée était irritée de cette inaction ; mais Archidamos qui, dit-on, s'attendait à voir les Athéniens faire des concessions, avant qu'on saccageât leur pays et pensait qu'ils hésiteraient à voir de sang-froid les dévastations, n'en bougeait pas davantage.

XIX. - L'attaque d'Oenoè fut décidée ; tous les moyens mis en oeuvre ne permirent pas de s'en emparer. Les Athéniens n'envoyant aucun héraut, les Péloponnésiens levèrent le siège, quatre-vingts jours après les événements de Platée, en plein été, au moment de la maturité des blés et envahirent l'Attique. Archidamos, fils de Zeuxidamos roi de Lacédémone, était encore à leur tête. Ils établirent leur camp, saccagèrent Eleusis et la plaine de Thria et mirent en fuite la cavalerie athénienne, près d'un endroit appelé les Courants (143). Puis ils s'avancèrent en traversant le dème de Cropia et en laissant sur la droite le mont Aegaléon ; ils arrivèrent à Acharnes (144) le plus important par son territoire des dèmes de l'Attique. Ils s'arrêtèrent devant cette ville, établirent leur camp et restèrent longtemps occupés à ravager le pays. 

XX. - Voici la raison pour laquelle dit-on, Archidamos restait en ordre de bataille aux environs d'Acharnes, sans descendre dans la plaine au cours de cette première invasion. Il comptait que les Athéniens, dont la jeunesse état pleine d'ardeur et dont les préparatifs guerriers n'avaient jamais été aussi importants, ne supporteraient pas de voir ravager leur pays et feraient une sortie. Mais, voyant qu'ils ne s'avançaient pas dans la direction d'Eleusis et dans la plaine de Thria, il s'installa aux environs d'Acharnes, espérant les y décider. En même temps, le pays lui semblait convenir à l'installation de son camp ; de plus, les Acharniens, pensait-il, qui formaient une partie importante de la cité - ils ne fournissaient pas moins de trois mille hoplites - ne resteraient pas insensibles à la ruine de leurs biens et pousseraient au combat l'ensemble des Athéniens. Et quand bien même les Athéniens, au cours de cette première invasion, n'effectueraient pas de sortie, les Péloponnésiens éprouveraient moins de crainte à l'avenir à saccager le territoire et à s'avancer jusqu'à la ville. Car les Acharniens, privés de leurs biens, mettraient moins d'ardeur à s'exposer pour la défense du territoire d'autrui et les esprits à Athènes se trouveraient divisés. Tel était le raisonnement qui expliquait le séjour d'Archidamos à Acharnes. 

XXI. - Tout le temps que l'armée ennemie se tint aux abords d'Eleusis et dans la plaine de Thria, les Athéniens purent espérer qu'elle n'avancerait pas davantage. Ils se rappelaient que quatorze ans avant cette guerre, Pleistoanax, fils de Pausanias roi de Lacédémone, à la tête d'une armée péloponnésienne, ne s'était avancé que jusqu'à Eleusis et à Thria ; il avait fait ensuite demi-tour, ce qui lui avait valu d'être banni de Sparte, sous prétexte que l'ennemi avait obtenu sa retraite à prix d'argent. Mais quand ils virent Archidamos à Acharnes, à soixante stades d'Athènes, ils n'y purent plus tenir. Tout naturellement, la vue des pays ravagés sous leurs yeux leur fut intolérable ; les plus jeunes n'avaient jamais vu pareil spectacle ; les plus vieux non plus sauf à l'époque des guerres médiques. La jeunesse particulièrement voulait effectuer une sortie et mettre un terme à ces dévastations. On formait des rassemblements et l'irritation était extrême ; les uns voulaient marcher à l'ennemi, les autres en petit nombre s'y opposaient ; des devins colportaient toute espèce d'oracles (145) ; chacun tendait l'oreille pour les entendre. Les Acharniens, estimant qu'ils formaient une partie importante de la population athénienne, à la vue des ravages obérés sur leur territoire, étaient les plus ardents à conseiller la sortie. Bref la surexcitation de la cité était à son comble. Périclès se trouvait exposé à la haine générale : on avait oublié tous ses conseils antérieurs ; on le vilipendait, parce qu'étant stratège, il n'ordonnait pas de sortie ; enfin il était regardé comme l'auteur de tous les maux.

XXII. - Irrités, comme ils l'étaient, de la situation actuelle, les Athéniens étaient sur le point de prendre les pires décisions. Ce que voyant et convaincu d'ailleurs qu'il avait raison de s'opposer à toute sortie, Périclès refusait de convoquer l'assemblée (146) et de tenir la moindre réunion, dans la crainte qu'une fois assemblés, ils ne se laissassent guider par la colère plus que par le jugement. Il se contentait de garder la ville et d'y maintenir le calme le plus possible. Néanmoins il envoyait constamment des cavaliers pour empêcher les avant-gardes ennemies d'arriver jusqu'aux propriétés voisines de la ville et d'y causer des dégâts. Un léger engagement eut lieu à Phrygies entre un détachement de cavaliers athéniens renforcé de Thessaliens et la cavalerie béotienne. Les Athéniens et les Thessaliens résistèrent jusqu'au moment où les hoplites vinrent à la rescousse des Béotiens. Ils durent alors battre en retraite ; leurs pertes furent minimes, malgré leur infériorité ils purent ce jour même enlever leurs morts sans demande d'armistice. Le lendemain, les Péloponnésiens dressèrent un trophée. C'était en vertu de leur ancienne alliance que les Thessaliens avaient porté aide aux Athéniens. Dans leurs rangs se trouvaient des gens de Larissa, de Pharsale, de Peirésies, de Crannon, de Gyrton et de Phères. A la tête des Larisséens se trouvaient Polymédès et Aristonoos (147), envoyés chacun par son parti ; à la tête des Pharsaliens, Ménon. Les contingents des autres cités avaient chacun leur chef.

Péloponnèse : envoi d'une flotte chargée de ravager les côtes (été 431)

XXIII. - Comme les Athéniens n'effectuaient pas de sortie, les Péloponnésiens s'éloignèrent d'Acharnes et ravagèrent quelques dèmes entre le Parnès et le mont Brilessos. Au moment où l'ennemi état dans le pays, les Athéniens envoyèrent les cent vaisseaux qu'ils avaient équipés faire une croisière autour du Péloponnèse ; ils étaient montés par mille hoplites et par quatre cents archers (148). A la tête de cette expédition se trouvaient Carcinos fils de Xénotimos, Protéas fils d'Epiclès, et Socratès fils d'Antigénès. Ce fut avec ces forces qu'ils prirent la mer pour faire le tour du Péloponnèse. Les Péloponnésiens restèrent en Attique, tant qu'ils eurent des vivres, puis se retirèrent par la Béotie, mais sans emprunter la route qu'ils avaient suivie à l'aller. Et passant près d'Oropos, ils dévastèrent la terre qu'on appelle la Graïque et qui est habitée par les Oropiens, sujets d'Athènes. Arrivés dans le Péloponnèse, ils se disloquèrent et rentrèrent dans leurs foyers. 

XXIV. - Après leur retraite, les Athéniens établirent sur terre et sur mer un service de garde qui devait durer pendant toute la guerre. Ils décidèrent de prélever sur les richesses de l'Acropole mille talents, de les mettre à part et en réserve ; le reste serait consacré à la guerre. Quiconque ferait ou mettrait aux voix la proposition d'affecter ces fonds à une autre destination serait puni de mort (149), sauf pour repousser l'ennemi en cas d'attaque de la ville par une expédition navale. En même temps on mit en réserve chaque année les cent meilleures trières, dont on désigna les triérarques ; elles ne devaient être utilisées qu'avec l'argent réservé, pour parer au même danger en cas de nécessité.

 

XXV. - La flotte athénienne de cent vaisseaux qui faisait le tour du Péloponnèse avait été renforcée par cinquante vaisseaux de Corcyre et par quelques alliés de ces régions. Au cours de son périple, elle ravagea certains points du territoire. Elle débarqua à Méthonè de Laconie des troupes qui donnèrent l'assaut à la muraille ; celle-ci était faible et dégarnie de défenseurs. Le Spartiate Brasidas fils de Tellis se trouvait aux environs avec un corps de troupes ; informé de l'attaque, il se porta au secours des assiégés avec cent hoplites. Il traversa à la course le camp des Athéniens, qui étaient dispersés dans la campagne et occupés aux travaux du siège. Il se jeta dans Méthonè après avoir perdu quelques hommes dans sa course. Il réussit à garder la ville et cet exploit audacieux lui valut d'être le premier, au cours de cette guerre, cité à Sparte. Les Athéniens levèrent l'ancre, poursuivirent leur navigation et ayant mis le cap sur Pheia en Elide, ils ravagèrent le pays pendant deux jours. Trois cents hommes d'élite, venus de l'Elide-Creuse et des régions voisines, qui étaient accourus au secours de Pheia, furent défaits dans une rencontre. Un vent violent se leva ; comme la flotte se trouvait dans une situation critique sur cette côte sans ports, la plus grande parte des troupes se rembarqua ; elles tournèrent le promontoire appelé Ichthys et gagnèrent le port de Pheia. Sur ces entrefaites, les Messéniens et d'autres troupes qui n'avaient pu embarquer s'étaient avancés par terre et avaient pris Pheia. Ces navires continuant leur route ne tardèrent pas à les reprendre. Ils gagnèrent le large en abandonnant cette place au secours de laquelle venait d'arriver une importante armée éléenne. En suivant la côte, les Athéniens ravagèrent d'autres contrées.

XXVI. - Vers la même époque, les Athéniens envoyèrent trente vaisseaux faire le tour de la Locride et garder l'Eubée ; Cléopompos fils de Clinias les commandait. Il fit plusieurs descentes et ravagea une partie du littoral, prit Thronion, se fit donner des otages et défit, à Alopè, les Locriens qui étaient venus au secours de la ville. 

Expulsion des éginètes et attaque contre Mégare (été 431)

XXVII. - Le même été, les Athéniens firent évacuer Égine (150) toute la population, y compris les femmes et les enfants. Ils reprochaient aux Éginètes d'être une des causes principales de la guerre. De plus Égine étant voisine du Péloponnèse, la possession de cette ville leur semblait devoir être mieux assurée, s'ils y installaient des gens de chez eux. Effectivement, peu de temps après, ils y envoyèrent une colonie. Les Lacédémoniens permirent aux Éginètes expulsés d'habiter Thyréa et de cultiver les campagnes voisines. Ils le firent par ressentiment contre les Athéniens et en souvenir des services que leur avaient rendus les Éginètes à l'époque du tremblement de terre et de la révolte des Hilotes. Le territoire de Thyréa est situé aux confins de l'Argolide et de la Laconie et s'étend jusqu'à la mer. Un certain nombre d'Éginètes s'y établit, tandis que les autres se dispersaient dans le reste de la Grèce. 

XXVIII. - Le même été, au moment de la pleine lune, seule époque où le phénomène paraisse possible, on vit une éclipse de soleil après midi (151). Le soleil prit la forme d'un croissant de lune ; quelques étoiles furent visibles, puis le disque de l'astre reparut ensuite dans son plein. 

Négociation avec la Macédoine et le royaume des Odrysses (été 431)

XXIX. - Le même été, les Athéniens nommèrent proxène (152) et mandèrent à Athènes Nymphodäros, fils de Pythès, citoyen d'Abdère, dont Sitalcès avait épousé la soeur et qui jouissait auprès de ce prince d'un grand crédit ; il avait passé jusqu'alors pour leur ennemi. Ils voulaient obtenir l'alliance de Sitalcès, fils de Térès et roi de Thrace. Ce Térès, père de Sitalcès, avait fondé le puissant royaume des Odryses, qu'il avait étendu à la plus grande partie du reste de la Thrace. Cependant une grande région de la Thrace est aussi indépendante. Ce Térès n'a pas le moindre rapport avec Térée (153) qui avait épousé Procné, fille de Pandion, d'Athènes. Ces deux hommes n'étaient pas non plus de la même Thrace. L'un, Térée, habitait Daulis, ville de la contrée qu'on appelle maintenant la Phocide et qui était alors occupée par les Thraces, et c'est là que les femmes commirent sur Itys l'attentat que l'on sait. Aussi bien les poètes, en parlant du rossignol, l'appellent-ils l'oiseau de Daulis. II est vraisemblable du reste que Pandion maria sa fille à Térée, en raison de la proximité des deux pays ; les deux princes pouvaient se porter réciproquement secours ; tandis que plusieurs journées de route le séparaient des Odryses. Térès, dont le nom état différent de celui de Térée, fut le premier roi puissant des Odryses. Les Athéniens obtinrent l'alliance de son fils Sitalcès ; ils voulaient qu'il entraînât dans leur parti les villes de Thrace et Perdiccas. Nymphodoros vint à Athènes, négocia l'alliance (154) de Sitalcès, fit donner le droit de cité (155) à son fils Sadocos. Il promit de mettre fin à la guerre de Thrace, d'obtenir de Sitalcès l'envoi d'une armée thrace composée de cavaliers et de peltastes. Il réconcilia aussi Perdiccas avec les Athéniens qu'il décida à lui rendre Thermè. Perdiccas se mit immédiatement en campagne contre les Chalcidiens avec les Athéniens et Phormian. C'est ainsi que les Athéniens firent entrer dans leur alliance Sitalcès fils de Térès roi de Thrace et Perdiccas fils d'Alexandros roi de Macédoine.

XXX. - Les hommes qui montaient les cent vaisseaux athéniens, au cours de leur croisière autour du Péloponnèse, s'emparèrent de SoIlion, place qui appartenait aux Corinthiens ; ils concédèrent aux seuls habitants de Palaeros, à l'exclusion des autres Acarnaniens, le droit d'habiter la ville et d'exploiter la terre. Ils s'emparèrent par force d'Astacos, chassèrent Evarchos, qui y exerçait la tyrannie et firent entrer le pays dans leur alliance. Ils cinglèrent ensuite sur l’îile de Céphallénie qu'ils réduisirent sans combat . Cette île, située en face de l'Acarnanie et de Leucas, comprend quatre cités Palè, Cranies, Samè, Prännies . Peu de temps après les vaisseaux retournèrent à Athènes .

XXXI. - Vers la fin de l'automne, les Athéniens, en corps de nation, citoyens et métèques, envahirent la Mégaride sous le commandement de Périclès, fils de Xanthippos. Les cent vaisseaux affectés à la croisière autour du Péloponnèse, qui se trouvaient à Égine sur le chemin du retour, à la nouvelle que les troupes de la ville étaient à Mégare, firent voile pour les rejoindre et les renforcer. Jamais on ne vit masse plus importante d'Athéniens sous les armes : les forces de la cité étaient dans toute leur puissance ; la maladie ne les avait pas encore atteintes. Les citoyens athéniens ne comptaient pas moins de dix mille hoplites, compte non tenu des trois mille qui se trouvaient à Potidée. Trois mille métèques au moins participaient à cette invasion comme hoplites. En outre, le nombre des soldats armés à la légère était considérable. On ravagea la plus grande partie du pays, puis on se retira. Par la suite au cours de cette guerre, les Athéniens recommencèrent chaque année leurs invasions en Mégaride, soit avec de la cavalerie, soit avec l'armée entière, jusqu'à ce qu'ils se fussent rendus maîtres de Nisaea. 

XXXII. - A la fin de cet été, les Athéniens firent d'Atalantè un réduit fortifié (156) ; cette île, voisine du pays des Locriens-Opuntiens, et jusqu'alors inoccupée, devait protéger l'Eubée contre les incursions des pirates d'Opunte et du reste de la Locride. Tels furent les événements qui se passèrent au cours de cet été après l'évacuation de l'Attique par les troupes du Péloponnèse. 

XXXIII. - L'hiver suivant, l'Acarnanien Evarchos, qui voulait rentrer à Astacos, obtint des Corinthiens qu'ils l'y ramenassent avec quarante vaisseaux et quinze cents hoplites, renforcés de quelques mercenaires à sa solde. A la tête de cette expédition, se trouvaient Euphamidas fils d'Aristonymos, Timoxénos fils de Timocratès et Evmachos fils de Chrysis. Ils prirent la mer et rétablirent Euarchos. Ils tentèrent également de soumettre quelques places fortes maritimes ; mais, ayant échoué dans leur tentative, ils reprirent la mer pour rentrer chez eux. Lors de leur retour, ils mirent le cap sur Céphallénie, opérèrent une descente sur le territoire des Craniens. Les Craniens qui étaient entrés en composition avec eux, les trompèrent, leur tuèrent quelques hommes, en les attaquant à l'improviste. Vivement pressés, ils se rembarquèrent pour rentrer chez eux. 

Oraison funêbre prononcée par Périclès (hiver 431)

XXXIV. - Le même hiver, les Athéniens, conformément à la tradition, célébrèrent aux frais de l'État les funérailles des premières victimes de la guerre. En voici l'ordonnance. On dresse une tente sous laquelle l'on expose trois jours auparavant les restes des défunts. Chacun apporte à son gré des offrandes à celui qu'il a perdu. Lors du convoi, des chars amènent des cercueils de cyprès ; il y en a un par tribu, où l'on renferme les restes de tous les membres d'une tribu. Une litière vide et drapée est portée en l'honneur des disparus, dont on n'a pas retrouvé les corps, lors de la relève des cadavres. Tous ceux qui le désirent, citoyens et étrangers, participent au cortège. Les femmes de la parenté se placent près du sépulcre et poussent des lamentations (157). Puis on dépose les restes dans le monument public, qui se dresse dans le plus beau faubourg. C'est là que de tout temps on inhume ceux qui sont morts à la guerre ; on a fait néanmoins une exception pour les morts de Marathon ; en raison de leur courage éminent on les a inhumés sur le lieu même du combat. L'inhumation terminée, un orateur, désigné par la république parmi les hommes les plus remarquables et les plus considérés, fait l'éloge funèbre qui s'impose. Puis l'on se retire. Tel est le cérémonial des funérailles. Durant toute cette guerre, chaque fois que l'occasion s'en présenta, on respecta cette tradition. Pour faire l'éloge des premières victimes, ce fut Périclès, fils de Xanthippos, qui fut choisi. Le moment venu, il s'éloigna du sépulcre, prit place sur une estrade élevée à dessein, pour que la foule pût l'entendre plus facilement, et prononça le discours suivant : 

XXXV. - « La plupart de ceux qui avant moi ont pris ici la parole, ont fait un mérite au législateur d'avoir ajouté aux funérailles prévues par la loi l'oraison funèbre en l'honneur des guerriers morts à la guerre. Pour moi, j'eusse volontiers pensé qu'à des hommes dont la vaillance s'est manifestée par des faits, il suffisait que fussent rendus, par des faits également, des honneurs tels que ceux que la république leur a accordés sous vos yeux ; et que les vertus de tant de guerriers ne dussent pas être exposées, par l'habileté plus ou moins grande d'un orateur à trouver plus ou moins de créance. Il est difficile en effet de parler comme il convient, dans une circonstance où la vérité est si difficile à établir dans les esprits. L'auditeur informé et bienveillant est tenté de croire que l'éloge est insuffisant, étant donné ce qu'il désire et ce qu'il sait ; celui qui n'a pas d'expérience sera tenté de croire, poussé par l'envie, qu'il y a de l'exagération dans ce qui dépasse sa propre nature. Les louanges adressées à d'autres ne sont supportables que dans la mesure où l'on s'estime soi-même susceptible d'accomplir les mêmes actions. Ce qui nous dépasse excite l'envie et en outre la méfiance. Mais puisque nos ancêtres ont jugé excellente cette coutume, je dois, moi aussi, m'y soumettre et tâcher de satisfaire de mon mieux au désir et au sentiment de chacun de vous. 

XXXVI. - « Je commencerai donc par nos aïeux. Car il est juste et équitable, dans de telles circonstances, de leur faire l'hommage d'un souvenir. Cette contrée, que sans interruption ont habitée des gens de même race (158), est passée de mains en mains jusqu'à ce jour, en sauvegardant grâce à leur valeur sa liberté. Ils méritent des éloges ; mais nos pères en méritent davantage encore. A l'héritage qu'ils avaient reçu, ils ont ajouté et nous ont légué, au prix de mille labeurs, la puissance que nous possédons. Nous l'avons accrue, nous qui vivons encore et qui sommes parvenus à la pleine maturité. C'est nous qui avons mis la cité en état de se suffire à elle-même en tout dans la guerre comme dans la paix. Les exploits guerriers qui nous ont permis d'acquérir ces avantages, l'ardeur avec laquelle nous-mêmes ou nos pères nous avons repoussé les attaques des Barbares ou des Grecs, je ne veux pas m'y attarder ; vous les connaissez tous, aussi je les passerai sous silence. Mais la formation qui nous a permis d'arriver à ce résultat, la nature des institutions politiques et des moeurs qui nous ont valu ces avantages, voilà ce que je vous montrerai d'abord ; je continuerai par l'éloge de nos morts, car j'estime que dans les circonstances présentes un pareil sujet est d'actualité et que la foule entière des citoyens et des étrangers peut en tirer un grand profit. 

XXXVII. - « Notre constitution politique n'a rien à envier aux lois qui régissent nos voisins ; loin d'imiter les autres, nous donnons l'exemple à suivre. Du fait que l'État, chez nous, est administré dans l'intérêt de la masse et non d'une minorité, notre régime a pris le nom de démocratie. En ce qui concerne les différends particuliers, l'égalité est assurée à tous par les lois ; mais en ce qui concerne la participation à la vie publique, chacun obtient la considération en raison de son mérite, et la classe à laquelle il appartient importe moins que sa valeur personnelle ; enfin nul n'est gêné par la pauvreté et par l'obscurité de sa condition sociale, s'il peut rendre des services à la cité. La liberté est notre règle dans le gouvernement de la république et dans nos relations quotidiennes la suspicion n'a aucune place ; nous ne nous irritons pas contre le voisin, s'il agit à sa tête ; enfin nous n'usons pas de ces humiliations qui, pour n'entraîner aucune perte matérielle, n'en sont pas moins douloureuses par le spectacle qu'elles donnent. La contrainte n'intervient pas dans nos relations particulières ; une crainte salutaire nous retient de transgresser les lois de la république ; nous obéissons toujours aux magistrats et aux lois et, parmi celles-ci, surtout à celles qui assurent la défense des opprimés et qui, tout en n'étant pas codifiées, impriment à celui qui les viole un mépris universel (159). 

XXXVIII. - « En outre pour dissiper tant de fatigues, nous avons ménagé à l'âme des délassements fort nombreux ; nous avons institué des jeux et des fêtes qui se succèdent d'un bout de l'année à l'autre, de merveilleux divertissements particuliers dont l'agrément journalier bannit la tristesse. L'importance de la cité y fait affluer toutes les ressources de la terre et nous jouissons aussi bien des productions de l'univers que de celles de notre pays. 

XXXIX. - « En ce qui concerne la guerre, voici en quoi nous différons de nos adversaires. Notre ville est ouverte à tous ; jamais nous n'usons de Xénélasies (160) pour écarter qui que ce soit d'une connaissance ou d'un spectacle, dont la révélation pourrait être profitable à nos ennemis. Nous fondons moins notre confiance sur les préparatifs et les ruses de guerre que sur notre propre courage au moment de l'action. En matière d'éducation, d'autres peuples, par un entraînement pénible, accoutument les enfants dès le tout jeune âge au courage viril ; mais nous, malgré notre genre de vie sans contrainte, nous affrontons avec autant de bravoure qu'eux des dangers semblables. En voici une preuve ; les Lacédémoniens, quand ils se mettent en campagne contre nous, n'opèrent pas seuls, mais avec tous leurs alliés ; nous, nous pénétrons seuls dans le territoire de nos voisins et très souvent nous n'avons pas trop de peine à triompher, en pays étranger, d'adversaires qui défendent leurs propres foyers. De plus, jamais jusqu'ici nos ennemis ne se sont trouvés face à face avec toutes nos forces rassemblées ; c'est qu'il nous faut donner nos soins à notre marine et distraire de nos forces pour envoyer des détachements sur bien des points de notre territoire. Qu'ils en viennent aux mains avec une fraction de nos troupes : vainqueurs, ils se vantent de nous avoir tous repoussés ; vaincus, d'avoir été défaits par l'ensemble de nos forces. Admettons que nous affrontons les dangers avec plus d'insouciance que de pénible application, que notre courage procède davantage de notre valeur naturelle que des obligations légales, nous avons au moins l'avantage de ne pas nous inquiéter des maux à venir et d'être, à l'heure du danger, aussi braves que ceux qui n'ont cessé de s'y préparer. Notre cité a également d'autres titres à l'admiration générale.  

XL. - Nous savons concilier le goût du beau avec la simplicité et le goût des études avec l'énergie. Nous usons de la richesse pour l’action et non pour une vaine parade en paroles. Chez nous, il n'est pas honteux d'avouer sa pauvreté ; il l'est bien davantage de ne pas chercher à l'éviter. Les mêmes hommes peuvent s'adonner à leurs affaires particulières et à celles de l'Etat ; les simples artisans peuvent entendre suffisamment les questions de politique. Seuls nous considérons l'homme qui n 'y participe pas comme un mutile et non comme un oisif. C'est par nous-mêmes que nous décidons des affaires, que nous nous en faisons un compte exact pour nous, la parole n'est pas nuisible à l'action, ce qui l'est, c'est de ne pas se renseigner par la parole avant de se lancer dans l'action. Voici donc en quoi nous nous distinguons : nous savons à la fois apporter de l'audace et de la réflexion dans nos entreprises. Les autres, l'ignorance les rend hardis, la réflexion indécis. Or ceux-là doivent être jugés les plus valeureux qui, tout en connaissant exactement les difficultés et les agréments de la vie, ne se détournent pas des dangers. En ce qui concerne la générosité, nous différons également du grand nombre ; car ce n'est pas par les bons offices que nous recevons, mais par ceux que nous rendons, que nous acquérons des amis. Le bienfaiteur se montre un ami plus sûr que l'obligé ; il veut, en lui continuant sa bienveillance, sauvegarder la reconnaissance qui lui est due ; l'obligé se montre plus froid, car il sait qu'en payant de retour son bienfaiteur, il ne se ménage pas de la reconnaissance, mais acquitte une dette. Seuls nous obéissons à la confiance propre aux âmes libérales et non à un calcul intéressé, quand nous accordons hardiment nos bienfaits. 

XLI. - « En un mot, je l'affirme, notre cité dans son ensemble est l'école de la Grèce (161) et, à considérer les individus, le même homme sait plier son corps à toutes les circonstances avec une grâce et une souplesse extraordinaires. Et ce n'est pas là un vain étalage de paroles, commandées par les circonstances, mais la vérité même ; la puissance que ces qualités nous ont permis d'acquérir vous l'indique. Athènes est la seule cité qui, à l'expérience, se montre supérieure à sa réputation ; elle est la seule qui ne laisse pas de rancune à ses ennemis, pour les défaites qu'elle leur inflige, ni de mépris à ses sujets pour l'indignité de leurs maîtres. Cette puissance est affirmée par d'importants témoignages et d'une façon éclatante à nos yeux et à ceux de nos descendants ; ils nous vaudront l'admiration, sans que nous ayons besoin des éloges d'un Homère ou d'un autre poète épique capable de séduire momentanément, mais dont les fictions seront contredites par la réalité des faits. Nous avons forcé la terre et la mer entières à devenir accessibles à notre audace, partout nous avons laissé des monuments éternels des défaites infligées à nos ennemis et de nos victoires. Telle est la cité dont, avec raison, ces hommes n'ont pas voulu se laisser dépouiller et pour laquelle ils ont péri courageusement dans le combat ; pour sa défense nos descendants consentiront à tout souffrir. 

XLII. - « Je me suis étendu sur les mérites de notre cité, car je voulais vous montrer que la partie n'est pas égale entre nous et ceux qui ne jouissent d'aucun de ces avantages et étayer de preuves l'éloge des hommes qui font l'objet de ce discours. J'en ai fini avec la partie principale. La gloire de la république, qui m'a inspiré, éclate dans la valeur de ces soldats et de leurs pareils. Leurs actes sont à la hauteur de leur réputation. Il est peu de Grecs dont on en puisse dire autant. Rien ne fait mieux voir à mon avis la valeur d 'un homme que cette fin, qui chez les jeunes gens signale et chez les vieillards confirme la valeur. En effet ceux qui par ailleurs ont montré des faiblesses méritent qu'on mette en avant leur bravoure à la guerre ; car ils ont effacé le mal par le bien et leurs services publics ont largement compensé les torts de leur vie privée. Aucun d’eux ne s'est lassé amollir par la richesse au point d'en préférer les satisfactions à son devoir ; aucun d'eux par l'espoir d'échapper à la pauvreté et de s'enrichir n'a hésité devant le danger. Convaincus qu'il fallait préférer à ces biens le châtiment de l'ennemi, regardant ce risque comme le plus beau, ils ont voulu en l'affrontant châtier l'ennemi et aspirer à ces honneurs. Si l'espérance les soutenait dans l'incertitude du succès, au moment d 'agir et à la vue du danger, ils ne mettaient de confiance qu'en eux-mêmes. Ils ont mieux aimé chercher leur salut dans la défaite de l'ennemi et dans la mort même que dans un lâche abandon ; ainsi ils ont échappé au déshonneur et risqué leur vie. Par le hasard d'un instant, c'est au plus fort de la gloire et non de la peur qu'ils nous ont quittés. 

XLIII. - « C'est ainsi qu'ils se sont montrés les dignes fils de la cité. Les survivants peuvent bien faire des voeux pour obtenir un sort meilleur, mais ils doivent se montrer tout aussi intrépides à l'égard de l'ennemi ; qu'ils ne se bornent pas à assurer leur salut par des paroles. Ce serait aussi s'attarder bien inutilement que d'énumérer, devant des gens parfaitement informés comme vous l'êtes, tous les biens attachés à la défense du pays. Mais plutôt ayez chaque jour sous les yeux la puissance de la cité ; servez -la avec passion et quand vous serez bien convaincus de sa grandeur, dites-vous que c'est pour avoir pratiqué l'audace, comme le sentiment du devoir et observé l'honneur dans leur conduite que ces guerriers la lui ont procurée. Quand ils échouaient, ils ne se croyaient pas en droit de priver la cité de leur valeur et c'est ainsi qu'ils lui ont sacrifié leur vertu comme la plus noble contribution. Faisant en commun le sacrifice de leur vie, ils ont acquis chacun pour sa part une gloire immortelle et obtenu la plus honorable sépulture. C'est moins celle où ils reposent maintenant que le souvenir immortel sans cesse renouvelé par les discours et les commémorations. Les hommes éminents ont la terre entière pour tombeau. Ce qui les signale à l'attention, ce n'est pas seulement dans leur patrie les inscriptions funéraires gravées sur la pierre ; même dans les pays les plus éloignés leur souvenir persiste, à défaut d'épitaphe, conservé dans la pensée et non dans les monuments. Enviez donc leur sort, dites-vous que la liberté se confond avec le bonheur et le courage avec la liberté et ne regardez pas avec dédain les périls de la guerre. Ce ne sont pas les malheureux, privés de l'espoir d'un sort meilleur, qui ont le plus de raisons de sacrifier leur vie, mais ceux qui de leur vivant risquent de passer d'une bonne à une mauvaise fortune et qui en cas d'échec verront leur sort complètement changé. Car pour un homme plein de fierté, l'amoindrissement causé par la lâcheté est plus douloureux qu'une mort qu'on affronte avec courage, animé par l 'espérance commune et qu'on ne sent même pas. 

XLIV. - « Aussi ne m'apitoierai-je pas sur le sort des pères ici présents, je me contenterai de les réconforter. Ils savent qu'ils ont grandi au milieu des vicissitudes de la vie et que le bonheur est pour ceux qui obtiennent comme ces guerriers la fin la plus glorieuse ou comme vous le deuil le plus glorieux et qui voient coïncider l'heure de leur mort avec la mesure de leur félicité. Je sais néanmoins qu'il est difficile de vous persuader ; devant le bonheur d'autrui, bonheur dont vous avez joui, il vous arrivera de vous souvenir souvent de vos disparus. Or l'on souffre moins de la privation des biens dont on n'a pas profité que de la perte de ceux auxquels on était habitué. II faut pourtant reprendre courage ; que ceux d'entre vous à qui l'âge le permet aient d'autres enfants ; dans vos familles les nouveau-nés vous feront oublier ceux qui ne sont plus ; la cité en retirera un double avantage sa population ne diminuera pas et sa sécurité sera garantie. Car il est impossible de prendre des décisions justes et équitables, si l'on n'a pas comme vous d'enfants à proposer comme enjeu et à exposer au danger. Quant à vous qui n'avez plus cet espoir, songez à l'avantage que vous a conféré une vie dont la plus grande partie a été heureuse ; le reste sera court ; que la gloire des vôtres allège votre peine ; seul l'amour de la gloire ne vieillit pas et, dans la vieillesse, ce n'est pas l'amour de l'argent, comme certains le prétendent, qui est capable de nous charmer, mais les honneurs qu'on nous accorde. 

XLV. - « Et vous, fils et frères ici présents de ces guerriers, je vois pour vous une grande lutte à soutenir. Chacun aime à faire l'éloge de celui qui n'est plus. Vous aurez bien du mal, en dépit de votre vertu éclatante, à vous mettre je ne dis pas à leur niveau, mais un peu au-dessous. Car l'émulation entre vivants provoque l'envie, tandis que ce qui ne fait plus obstacle obtient tous les honneurs d'une sympathie incontestée. S'il me faut aussi faire mention des femmes réduites au veuvage, j'exprimerai toute ma pensée en une brève exhortation : toute leur gloire consiste à ne pas se montrer inférieures à leur nature et à faire parler d'elles le moins possible parmi les hommes, en bien comme en mal. 

XLVI. - « J'ai terminé ; conformément à la loi, mes paroles ont exprimé ce que je croyais utile ; quant aux honneurs réels, déjà une partie a été rendue à ceux qu'on ensevelit de plus leurs enfants désormais et jusqu'à leur adolescence seront élevés aux frais de l'État (162) ; c'est une couronne offerte par la cité pour récompenser les victimes de ces combats et leurs survivants ; car les peuples qui proposent à la vertu de magnifiques récompenses ont aussi les meilleurs citoyens. Maintenant après avoir versé des pleurs sur ceux que vous avez perdus, retirez-vous (163). »  

430

Déclenchement de la Peste à Athènes (début juin)

XLVII. - Telles furent les funérailles célébrées cet hiver. Avec lui finit la première année de la guerre. Dès le début de l'été, les Péloponnésiens et leurs alliés, avec les deux tiers de leurs troupes, comme la première fois, envahirent l'Attique, sous le commandement d'Archidamos, fils de Zeuxidamos, roi de Lacédémone. Ils y campèrent et ravagèrent le pays. Ils n'étaient que depuis quelques jours en Attique, quand la maladie se déclara à Athènes ; elle s'était abattue, dit-on, auparavant en plusieurs endroits, notamment à Lemnos ; mais nulle part on ne se rappelait pareil fléau et des victimes si nombreuses. Les médecins étaient impuissants, car ils ignoraient au début la nature de la maladie ; de plus, en contact plus étroit avec les malades, ils étaient plus particulièrement atteints. Toute science humaine était inefficace ; en vain on multipliait les supplications dans les temples ; en vain on avait recours aux oracles ou à de semblables pratiques ; tout était inutile ; finalement on y renonça, vaincu par le fléau.

XLVIII. - Le mal, dit-on, fit son apparition en Ethiopie, au-dessus de l'Egypte : de là il descendit en Egypte et en Libye et se répandit sur la majeure partie des territoires du Roi. Il se déclara subitement à Athènes et, comme il fit au Pirée ses premières victimes, on colporta le bruit que les Péloponnésiens avaient empoisonné les puits ; car au Pirée il n'y avait pas encore de fontaines. Il atteignit ensuite la ville haute et c'est là que la mortalité fut de beaucoup la plus élevée. Que chacun, médecin ou non, se prononce selon ses capacités sur les origines probables de cette épidémie, sur les causes qui ont pu occasionner une pareille perturbation, je me contenterai d'en décrire les caractères et les symptômes capables de faire diagnostiquer le mal au cas où elle se reproduirait. Voilà ce que je me propose, en homme qui a été lui-même atteint et qui a vu souffrir d'autres personnes. 

XLIX. - Cette année-là, de l'aveu général, la population avait été particulièrement indemne de toute maladie ; mais toutes celles qui sévissaient aboutissaient à ce mal. En général on était atteint sans indice précurseur, subitement en pleine santé. On éprouvait de violentes chaleurs à la tête ; les yeux étaient rouges et enflammés ; à l'intérieur, le pharynx et la langue devenaient sanguinolents, la respiration irrégulière, l'haleine fétide. A ces symptômes succédaient l'éternuement et l'enrouement ; peu de temps après la douleur gagnait la poitrine, s'accompagnant d'une toux violente ; quand le mal s'attaquait à l'estomac, il y provoquait des troubles et y déterminait, avec des souffrances aiguës, toutes les sortes d'évacuation de bile auxquelles les médecins ont donné des noms. Presque tous les malades étaient pris de hoquets non suivis de vomissements, mais accompagnés de convulsions ; chez les uns ce hoquet cessait immédiatement, chez d'autres il durait fort longtemps. Au toucher, la peau n'était pas très chaude ; elle n'était pas livide non plus, mais rougeâtre avec une éruption de phlyctènes et d'ulcères ; mais à l'intérieur le corps était si brûlant qu'il ne supportait pas le contact des vêtements et des tissus les plus légers ; les malades demeuraient nus et étaient tentés de se jeter dans l'eau froide ; c'est ce qui arriva à beaucoup, faute de surveillance ; en proie à une soif inextinguible, ils se précipitèrent dans des puits. On n'était pas plus soulagé, qu'on bût beaucoup ou peu. L'on souffrait constamment du manque de repos et de sommeil. Le corps, tant que la maladie était dans toute sa force, ne se flétrissait pas et résistait contre toute attente à la souffrance. La plupart mouraient au bout de neuf ou de sept jours, consumés par le feu intérieur, sans avoir perdu toutes leurs forces. Si l'on dépassait ce stade, le mal descendait dans l'intestin ; une violente ulcération s'y déclarait, accompagnée d'une diarrhée rebelle qui faisait périr de faiblesse beaucoup de malades. Le mal, qui commençait par la partie supérieure du corps et qui avait au début son siège dans la tête, gagnait ensuite le corps entier et ceux qui survivaient aux accidents les plus graves en gardaient aux extrémités les traces. Il attaquait les parties sexuelles, l'extrémité des mains et des pieds et l'on n'échappait souvent qu'en perdant une de ces parties ; quelques-uns même perdirent la vue. D'autres, aussitôt guéris, n'avaient plus dès lors souvenir de rien, oubliaient leur personnalité et ne reconnaissaient plus leurs proches. 

L. - La maladie, impossible à décrire, sévissait avec une violence qui déconcertait la nature humaine . Voici qui montre combien elle différait des épidémies ordinaires les oiseaux et les quadrupèdes carnassiers ne s'attaquaient pas aux cadavres pourtant nombreux, restés sans sépulture ou, s'ils y touchaient, ils périssaient. Ce qui le prouve, c'est leur disparition avérée ; on n'en voyait ni autour des cadavres, ni ailleurs. C'est ce que l'on pouvait constater sur les chiens accoutumés à vivre en compagnie de l'homme.

LI. - Sans parler de bien d'autres traits secondaires de la maladie, selon le tempérament de chaque malade, telles étaient en général ses caractéristiques. Pendant sa durée, aucune des affections ordinaires n'atteignait l'homme ; s'il en survenait quelqu'une, elle aboutissait à ce mal. On mourait, soit faute de soins, soit en dépit des soins qu'on vous prodiguait. Aucun remède, pour ainsi dire, ne se montra d'une efficacité générale ; car cela même qui soulageait l'un, nuisait à l'autre. Aucun tempérament, qu'il fût robuste ou faible, ne résista au mal. Tous étaient indistinctement emportés, quel que fût le régime suivi. Ce qui était le plus terrible, c'était le découragement qui s'emparait de chacun aux premières attaques : immédiatement les malades perdaient tout espoir et, loin de résister, s'abandonnaient entièrement. Ils se contaminaient en se soignant réciproquement et mouraient comme des troupeaux. C'est ce qui fit le plus de victimes. Ceux qui par crainte évitaient tout contact avec les malades périssaient dans l'abandon : plusieurs maisons se vidèrent ainsi faute de secours. Ceux qui approchaient les malades périssaient également, surtout ceux qui se piquaient de courage : mus par le sentiment de l'honneur, ils négligeaient toute précaution, allaient soigner leurs amis ; car, à la fin, les gens de la maison eux-mêmes se lassaient, vaincus par l'excès du mal, d'entendre les gémissements des moribonds. C'étaient ceux qui avaient échappé à la maladie qui se montraient les plus compatissants pour les mourants et les malades, car connaissant déjà le mal, ils étaient en sécurité. En effet les rechutes n’étaient pas mortelles. Enviés par tes autres, dans l'excès de leur bonne fortune présente, ils se laissaient bercer par l'espoir d'échapper à l'avenir à toute maladie. 

LII. --- Ce qui aggrava le fléau, ce fut l'affluence des gens de la campagne dans la ville : ces réfugiés étaient particulièrement touchés. Comme ils n'avaient pas de maisons et qu'au fort de l'été ils vivaient dans des baraques où on étouffait, ils rendaient l'âme au milieu d'une affreuse confusion ; ils mouraient pêle-mêle et les cadavres s'entassaient les uns sur les autres ; on les voyait, moribonds, se rouler au milieu des rues et autour de toutes les fontaines pour s'y désaltérer. Les lieux sacrés où ils campaient étaient pleins de cadavres qu'on n'enlevait pas. La violence du mal était telle qu'on ne savait plus que devenir et que t'on perdait tout respect de ce qui est divin et respectable. Toutes les coutumes auparavant en vigueur pour les sépultures furent bouleversées. On inhumait comme on pouvait. Beaucoup avaient recours à d'inconvenantes sépultures, aussi bien manquait-on des objets nécessaires, depuis qu'on avait perdu tant de monde. Les uns déposaient leurs morts sur des bûchers qui ne leur appartenaient pas, devançant ceux qui les avaient construits et y mettaient le feu ; d'autres sur un bûcher déjà allumé, jetaient leurs morts par-dessus les autres cadavres et s'enfuyaient (164).

Llll. - La maladie déclencha également dans la ville d'autres désordres plus graves. Chacun se livra à la poursuite du plaisir avec une audace qu'il cachait auparavant. A la vue de ces brusques changements, des riches qui mouraient subitement et des pauvres qui s'enrichissaient tout à coup des biens des morts, on chercha les profits et les jouissances rapides, puisque la vie et les richesses étaient également éphémères. Nul ne montrait d'empressement à atteindre avec quelque peine un but honnête ; car on ne savait pas si on vivrait assez pour y parvenir. Le plaisir et tous les moyens pour l'atteindre, voilà ce qu'on jugeait beau et utile. Nul n'était retenu ni par la crainte des dieux, ni par les lois humaines ; on ne faisait pas plus de cas de la piété que de l'impiété, depuis que l'on voyait tout le monde périr indistinctement ; de plus, on ne pensait pas vivre assez longtemps pour avoir à rendre compte de ses fautes. Ce qui importait bien davantage, c'était l'arrêt déjà rendu et menaçant ; avant de le subir mieux valait tirer de la vie quelque jouissance (165). 

LIV. - Tels furent les maux dont les Athéniens furent accablés : à l'intérieur les morts, au dehors la dévastation des campagnes. Dans le malheur, comme il est naturel, on se souvint de ce vers que les vieillards déclaraient avoir entendu autrefois :
Viendra la guerre dorienne et avec elle la peste.

Mais une contestation s'éleva : les uns disaient que dans le vers ancien il n'était pas question de la peste (loimos}, mais de la famine (limos) ; bien entendu, vu les circonstances présentes, l'opinion qui prévalut fut qu'il s'agissait de la peste. Car les gens faisaient concorder leurs souvenirs avec les maux qu'ils subissaient. A mon sens si jamais éclate une autre guerre dorienne et qu'il survienne une famine, vraisemblablement ils modifieront le vers en conséquence (166). Ceux qui le connaissaient rappelaient également l'oracle rendu aux Lacédémoniens : au moment où ils consultaient le Dieu sur l'opportunité de la guerre, celui-ci leur avait répondu que, s'ils combattaient avec ardeur, ils seraient victorieux et qu'il combattrait à leurs côtés (167). Ils s'imaginaient que les événements confirmaient l'oracle ; car aussitôt après l'invasion des Péloponnésiens, la maladie avait commencé et elle n'avait pas sévi sur le Péloponnèse, du moins d'une manière qui vaille la peine qu'on en parle. C'est Athènes surtout qui avait été désolée, pins les parties les plus peuplées du territoire. Telles furent les particularités de la peste. 

Seconde invasion des Lacédémoniens en Attique (début juin 430)

LV. - Les Péloponnésiens, après avoir ravagé la plaine, s'avancèrent dans la région du littoral (168) jusqu'au Laurion, où se trouvent les mines d'argent d'Athènes. Ils en dévastèrent d'abord la partie qui regarde le Péloponnèse, puis celle qui est orientée vers l'Eubée et Andros. Périclès, en ce moment encore stratège, se montrait, comme lors de l'invasion précédente, opposé à toute sortie des Athéniens.

Grandes attaques athéniennes contre Epidaure, Trézène et Prasies sous le commandement de Périclès (fin juin 430)

LVI. - Les ennemis étaient toujours dans la plaine et n'avaient pas encore pénétré dans la région côtière, quand Périclès fit équiper une escadre de cent vaisseaux pour attaquer le Péloponnèse ; dès qu'ils furent prêts, il prit la mer. Il emmenait quatre mille hoplites athéniens et trois cents cavaliers sur des transports aménagés à cet effet, pour la première fois, avec de vieux vaisseaux. Cinquante bâtiments de Chios et de Lesbos participaient à cette expédition. Quand l'escadre athénienne prit la mer, les Péloponnésiens se trouvaient sur le littoral de l'Attique. Arrivés à Epidaure dans le Péloponnèse, les Athéniens ravagèrent une grande partie du pays et attaquèrent la ville dans l'espoir de la prendre, mais ils n'y parvinrent pas. Ils quittèrent donc Épidaure et ravagèrent le territoire de Trézène, celui d'Halias et celui d'Hermionè ; toutes ces contrées du Péloponnèse touchant à la mer. Puis ils levèrent l'ancre et arrivèrent à Prasies, ville forte de Laconie auprès de la mer ; ils ravagèrent une partie du territoire, prirent la ville et la mirent à sac. Après quoi ils revinrent chez eux. Ils ne trouvèrent plus en Attique les Péloponnésiens qui s'étaient retirés.

LVII. - Pendant tout le temps de l'invasion péloponnésienne en Attique et de la croisière athénienne, la peste fit des victimes parmi les Athéniens, à l'armée comme à l'intérieur de la ville. Les Péloponnésiens, informés par des transfuges que la peste sévissait à l'intérieur des murs et témoins oculaires des incessantes funérailles prirent peur, à ce qu'on dit, et accélérèrent leur départ. En effet, cette invasion fut la plus longue et tout le pays fut ravagé par eux. Ils restèrent exactement quarante jours en Attique. 

LVIII. - Le même été, Hagnon fils de Nicias et Cléopompos fils de Clinias, collègues de Périclès, avec le corps d'armée qu'avait commandé ce stratège, se mirent en campagne immédiatement contre les Chalcidiens de Thrace et contre Potidée encore assiégée. Dès leur arrivée ils employèrent des machines et mirent tout en oeuvre pour prendre la ville. Néanmoins ils ne parvinrent ni à s'en emparer, ni à obtenir quoi que ce fût qui répondît aux importants moyens mis à leur disposition. La peste éclata dans le pays, sévit avec une violence particulière sur les Athéniens et détruisit leur armée. Même les soldats de la première expédition jusqu'alors en parfaite santé furent contaminés par le corps d'armée d'Hagnon. Phormion avec ses seize cents hommes n'était plus alors en Chalcidique ; Hagnon se vit contraint de revenir à Athènes avec sa flotte. Sur quatre mille hoplites il avait perdu par la peste, en quarante jours, mille cinquante hommes. La première expédition demeura dans le pays et continua le siège de Potidée.

Mécontentement des Athèniens -  Une ambassade Athénienne propose la paix aux Péloponnésiens (juin)

LIX. - Après la seconde invasion des Péloponnésiens, les dispositions des Athéniens, dont le territoire était ravagé et qui souffraient de la peste en même temps que de la guerre, changèrent du tout au tout. Ils accusaient Périclès de les avoir poussés à la guerre et d'être responsable de leurs malheurs. Ils désiraient arriver à un accord avec les Lacédémoniens. Ils leur envoyèrent même des ambassadeurs, mais sans résultat. Dans leur détresse complète ils s'en prenaient à Périclès. Quand il les vit, poussés à bout par leurs maux, réaliser ses prévisions, il convoqua une assemblée extraordinaire, car il était encore stratège. Il voulut leur rendre courage, dissiper leur colère et incliner leurs esprits irrités à plus de bienveillance et de confiance. Il monta donc à la tribune et leur tint ce discours : 

Discours de Périclès

LX. - « Je m'attendais bien à voir votre colère se manifester contre moi ; j 'en connais les raisons. Aussi ai-je convoqué cette assemblée ici pour faire appel à vos souvenirs et vous adresser des reproches, si votre irritation à mon égard ne repose sur rien et si vous perdez courage dans l'adversité. Mon opinion est qu'il vaut mieux pour les individus voir un État florissant dans son ensemble, qu'un État qui dépérit alors que les particuliers prospèrent. Car un homme dont les affaires réussissent, alors que sa patrie est menacée, n'en est pas moins condamné à périr avec elle ; tandis que, s'il éprouve l'infortune au milieu de la fortune commune, il a beaucoup plus de chances de salut. Puisqu'une cité peut supporter les malheurs de ses membres, tandis que chacun d'eux est incapable de supporter les malheurs de la communauté, comment refuser de nous assembler pour sa défense ? Ne vous laissez pas ébranler, comme vous le faites maintenant, par vos malheurs individuels, n'abandonnez pas la défense commune et ne m'accusez pas de vous avoir conseillé la guerre, puisque vous m'avez donné votre approbation. Néanmoins c'est ce que vous faites ; vous vous irritez contre moi qui ne suis pourtant inférieur à nul autre, quand il s'agit de distinguer l'intérêt public et d'exprimer sa pensée par la parole, contre moi qui suis dévoué à la cité et inaccessible à la corruption. Discerner l'intérêt public, mais ne pas le faire voir nettement à ses concitoyens, c'est exactement comme si l'on n'y avait pas réfléchi. Qu'on ait ces deux talents et que l'on soit malintentionné pour la patrie, c'est être condamné à ne donner aucun conseil utile à l'Etat. Qu'on ait l'amour de la patrie, mais qu'on soit accessible à la corruption, l'on est capable de tout vendre à prix d'argent. Si vous avez admis que j'avais, ne fût-ce que modérément et plus que d'autres, ces différentes qualités et si en conséquence vous avez suivi mes conseils pour la guerre, vous auriez tort de m'en faire un crime maintenant. 

LXI. - « Quand on a le choix et que par ailleurs on est heureux, c'est une grande folie de faire la guerre. Mais lorsque, comme c'était votre cas, on n'a le choix qu'entre la soumission et l'asservissement immédiats à l'ennemi et la victoire, au prix des dangers, c'est celui qui fuit les périls qui mérite le blâme et non celui qui les affronte. Pour moi, je suis toujours le même, je ne change pas d'opinion. C'est vous qui variez : vous vous êtes laissé convaincre dans la prospérité ; vous regrettez vos décisions dans l'adversité. Maintenant dans la débilité de votre pensée, vous me reprochez mes paroles, parce qu'aujourd'hui le mal se fait sentir à chacun, tandis que l'utilité n'est pas encore visible à tous. Un grand malheur, un malheur récent vous a touchés. Vos esprits déconcertés ne savent pas se raidir dans vos résolutions d'autrefois. Ce qui abat le courage, c'est le mal soudain, imprévu, qui déconcerte toutes les prévisions. Voilà ce qui vous est arrivé, quand la maladie est venue s'ajouter à vos autres maux. Vous qui habitez une puissante cité, vous qui avez été nourris dans des sentiments dignes d'elle, vous devez supporter de plein gré les plus grands malheurs et ne pas ternir une telle réputation. Car l'on a autant de mépris pour quiconque, par lâcheté, est inférieur à sa réputation que de haine pour qui impudemment vise à s'arroger celle d'autrui. Oubliez donc vos peines domestiques pour ne vous occuper que du salut public. 

LXII. - « Et les fatigues de la guerre, direz-vous ? Vous craignez qu'elle ne dure longtemps sans nous apporter la victoire. Qu'il me suffise de vous montrer, comme je l'ai déjà fait, que vos craintes ne sont pas fondées. Je vous ferai voir également un pont sur lequel vous n'avez pas suffisamment réfléchi, dont je n'ai pas parlé dans mes précédents discours et fort important pour l'extension de votre empire. Aujourd'hui même je ne recourrais pas à cet argument quelque peu ambitieux, si je ne vous voyais pas vous affliger plus qu'il ne convient. Vous pensez ne commander qu'à vos alliés. Pour moi, je vous le déclare, des deux parties du monde utilisables pour l'homme, la terre et la mer, vous êtes les maîtres absolus de l'une sur toute l'étendue que vous en occupez et davantage aussi, si vous le voulez. Et il n'est ni roi ni peuple qui, actuellement, puisse vous interdire la mer, dans l'état présent de votre marine. Aussi n'est-ce pas dans l'usage de vos maisons et de votre territoire, dont la privation vous est si sensible, que se trouve votre puissance. Il n'est donc pas raisonnable que vous vous affligiez de leur perte ; vous devez la juger aussi peu importante par rapport à votre empire que celle d'un jardinet ou d'une riche parure. Au contraire vous devez vous convaincre que la liberté, si par nos efforts nous réussissons à la sauvegarder, nous permettra de les ressaisir facilement, tandis que la sujétion compromet généralement même les autres biens. Sur ces deux points ne nous montrons pas inférieurs à nos pères qui, sans avoir hérité cet empire, l'ont avec tant de peines établi, l'ont conservé et nous l'ont transmis. Il y a plus de honte à se laisser dépouiller des biens qu'on possède qu'à échouer en cherchant à les acquérir. Il faut marcher à l'ennemi pleins de confiance et pleins de mépris. Une orgueilleuse présomption naît, quand le succès favorise l'ignorance, dans l'âme du lâche même ; le mépris n'appartient qu'à celui qui a conscience de sa supériorité intellectuelle. Nous possédons ce sentiment. A égalité de fortune, l'intelligence qui s'appuie sur la grandeur d'âme inspire plus d'assurance et d'audace ; elle repose moins sur l'espérance, qui est chancelante, que sur la connaissance raisonnée des événements, qui permet de connaître plus sûrement l'avenir. 

LXIII. - « Ce respect que vaut à notre cité son empire et dont vous êtes si fiers, il vous faut le maintenir et ne pas fuir les fatigues de la guerre, sinon renoncer aux honneurs. Ne pensez pas non plus que la lutte n'ait qu'un seul enjeu la servitude ou la liberté ; il s'agit aussi de la perte de votre empire et du danger des haines qu'a suscitées votre domination. Cet empire vous ne pouvez pas y renoncer, même si actuellement, par crainte et amour du repos, vous accomplissiez cet acte héroique. Considérez-le comme la tyrannie s'en emparer peut paraître une injustice ; y renoncer constitue un danger. Inspirer à la cité une semblable conduite, ce serait la ruiner immédiatement, en admettant même que ceux qui vous le conseilleraient pussent garder leur liberté. Le goût du repos ne peut se conserver que s'il s'unit au goût de l'action ; il ne convient pas à une cité souveraine et c'est seulement dans une cité sujette que l'on peut jouir d'un esclavage sans danger.

LXIV. - « Pour vous, ne vous lassez pas séduire par des citoyens de cette sorte ; ne vous emportez pas contre moi puisque c'est en plein accord avec moi que vous avez décidé la guerre. Les ennemis, en marchant contre nous, n'ont fait que ce à quoi il était raisonnable de s'attendre, puisque vous refusiez de leur céder. Un seul événement a déconcerté nos prévisions ce mal terrible, qui est venu s'ajouter à nos autres maux, ce mal, qui, je le sais, est pour beaucoup dans la haine que vous me montrez. Mais ce n'est pas juste, ou alors il faudra m'attribuer tous les événements heureux que vous n'aurez pas prévus. Supportez donc avec résignation les maux qui nous viennent des dieux et avec courage ceux qui nous viennent des hommes. Telle était auparavant la règle de conduite de notre cité ; n'y renoncez pas. Songez au renom immense qu'elle a acquis partout, pour avoir résisté aux malheurs et sacrifié dans la guerre plus de vies et plus d'efforts qu'aucune autre. C'est ainsi qu'elle a acquis jusqu'à ce jour une puissance considérable et dont le souvenir - même si aujourd'hui nous montrons quelque relâchement, car la nature veut que tout décroisse - persistera éternellement chez nos descendants. Grecs, nous avons commandé à la plus grande partie des Grecs ; nous avons résisté à des ennemis très puissants, soit réunis, soit séparés ; nous sommes citoyens de la ville la plus opulente et la plus puissante. Tous ces avantages, l'ami du repos pourrait y voir une raison de dénigrement ; mais celui qui aime à agir, y verra un sujet d'émulation ; celui qui ne les possède pas, un sujet d'envie. La haine et l'hostilité sont toujours le lot sur le moment de ceux qui prétendent commander aux autres. Mais s'exposer à la haine pour un noble but est bien inspiré. Car la haine ne subsiste pas longtemps, tandis que l'illustration dans le présent et la gloire dans l'avenir dureront éternellement. Acquérir la gloire pour l'avenir, éviter le déshonneur dans le présent, voilà le double avantage qu'il faut vous assurer avec ardeur. Cessez d'envoyer des hérauts aux Lacédémoniens ; ne vous montrez pas accablés des maux présents. Ceux-là qui, peuples ou particuliers, résistent le plus énergiquement à l'adversité, avec tous les moyens de la pensée et de l'action, sont assurés d'être les premiers. »  

Périclès est déposé et condamné à une amende de 50 talents (septembre-octobre 430)

LXV. - Périclès, par ces paroles, tentait de dissiper la colère dont il était l'objet et de détourner des maux présents la pensée des Athéniens. En ce qui concerne les affaires publiques, ils se rendirent à ses raisons. Ils n'envoyèrent plus désormais d'ambassades aux Lacédémoniens et mirent plus d'ardeur à poursuivre la guerre. Mais les particuliers s'affligeaient de leurs souffrances le peuple se voyait privé des maigres ressources qu'il possédait ; les riches avaient perdu leurs beaux domaines de la campagne, leurs constructions et installations dispendieuses ; on se plaignait surtout d'avoir la guerre au lieu de la paix (169). Leur colère à tous ne cessa que lorsqu'ils eurent infligé une amende à Périclès (170), Pourtant peu de temps après, par un revirement dont le peuple est coutumier, ils le réélurent stratège en lui confiant la direction suprême des affaires ; le sentiment des maux particuliers s'émoussait quelque peu et on l'estimait le plus capable de remédier à la situation critique de l'État. Tout le temps que, pendant la paix, il fut à la tête des affaires, il avait fait preuve de modération et de fermeté dans la conduite de l'État, qui sous lui parvint au comble de la puissance la guerre une fois déclarée, on constata qu'il avait évalué exactement la puissance d'Athènes. II ne survécut que deux ans et six mois. Après sa mort on vit mieux encore l'exactitude de ses prévisions. Il avait prédit le succès aux Athéniens s'ils se tenaient en repos, s'ils donnaient tous leurs soins à la marine, s'ils renonçaient à augmenter leur empire pendant la guerre et s'ils ne mettaient pas l'État en danger. Mais sur tous ces points on fit juste le contraire. D'autres entreprises, qui paraissaient sans rapport avec la guerre, furent menées avec la seule préoccupation de la gloriole et de l'intérêt personnels ; elles furent désastreuses pour les Athéniens et leurs alliés. En cas de succès, elles eussent procuré gloire et profit aux particuliers ; leur échec faisait tort à l'État et gênait la conduite des hostilités. Voici la cause de ce changement Périclès avait de l'influence en raison de la considération qui l'entourait et de la profondeur de son intelligence ; il était d'un désintéressement absolu sans attenter à la liberté ; il contenait la multitude qu'il menait, beaucoup plus qu'elle ne le menait. N'ayant acquis son influence que par des moyens honnêtes, il n'avait pas à flatter la foule. Grâce à son autorité personnelle, il pouvait lui tenir tête et même lui montrer son irritation. Chaque fois que les Athéniens s'abandonnaient à contretemps à l'audace et à l'orgueil, il les frappait de crainte s'ils s'effrayaient sans motif, il les ramenait à la confiance. Ce gouvernement portant le nom de démocratie, en réalité c'était le gouvernement d'un seul homme. Mais ses successeurs, dont aucun n'avait sa supériorité et qui voulaient tous se hisser au premier rang étaient portés, pour flatter le peuple, à lui abandonner les affaires. De là tant de fautes, explicables dans un État puissant et possesseur d'un empire étendu ; de là surtout l'expédition de Sicile. Elle échoua moins parce qu'on avait évalué inexactement les forces de l'ennemi que parce que les inspirateurs de l'expédition ne discernèrent pas ce qui dans la suite était nécessaire aux troupes ; préoccupés qu'ils étaient de leurs intrigues, aspirant au premier rang, ils affaiblirent les opérations de l'armée et, pour la première fois, ils provoquèrent des troubles dans le gouvernement intérieur de la ville. Malgré l'échec de Sicile et principalement la perte presque totale de leur marine, malgré la sédition qui régnait à l'intérieur de la ville, ils résistèrent pendant trois ans à leurs ennemis du début, auxquels s'étaient joints les Siciliens et la majorité de nos alliés révoltés, enfin à Cyrus, fils du Roi, qui joignit ses forces aux leurs et fournit aux Péloponnésiens de l'argent pour l'équipement de leur flotte. Ils ne cédèrent qu'une fois abattus par leurs dissensions intestines, tant étaient considérables les ressources qui permettaient à Périclès de prévoir pour les Athéniens une victoire facile sur les seuls Péloponnésiens (171). 

Une flotte lacédémonienne et corinthienne attaque Zacyntos qui tient bon

LXVI. - Le même été, les Lacédémoniens et leurs alliés firent une expédition avec cent vaisseaux contre l'île de Zacynthe, située en face de l'Elide. C'est une colonie des Achéens du Péloponnèse, dont les habitants étaient alors les alliés d'Athènes. Mille hoplites lacédémoniens s'étaient embarqués sur cette flotte que commandait comme navarque (172) le Spartiate Cnémos. Ils débarquèrent et saccagèrent la majeure partie du pays ; mais leur tentative de soumettre l'île échoua et ils rentrèrent chez eux. 

Arrestation en Thrace, puis exécution à Athènes d'ambassadeurs Péloponnésiens chargés de négocier avec la Perse

LXVII. -A la fin du même été, le Corinthien Aristeus, des ambassadeurs lacédémoniens Anéristos, Nicolaos, Pratodémos, le Tégéate Timagoras, l'Argien Pollis, qui les accompagnait à titre de simple particulier, se mirent en route pour aller en Asie trouver le Roi. Ils voulaient obtenir de l'argent et son alliance. Ils allèrent d'abord en Thrace trouver Sitalcès, fils de Térès, pour qu'il abandonnât l'alliance athénienne et envoyât des troupes délivrer Potidée dont les Athéniens continuaient à faire le siège. Ils voulaient aussi qu'il leur facilitât la traversée de l'Hellespont pour se rendre auprès de Pharnacès, fils de Pharnabazos ; celui-ci à son tour devait les acheminer à travers le haut pays vers le Roi, Justement il se trouvait auprès de Sitalcès des ambassadeurs athéniens : Léarchos fils de Callimachos et Ameiniadès fils de Philémon. Ceux-ci obtinrent du fils de Sitalcès, Sadocos, devenu citoyen d'Athènes, qu'il leur livrât les ambassadeurs ennemis ; en leur coupant la route pour se rendre auprès du Roi, on les mettrait hors d'état de nuire à Athènes, sa ville adoptive. Sadocos se laissa persuader et, dans leur passage en Thrace pour se rendre à bord du navire sur lequel ils devaient traverser l'Hellespont, il les fit arrêter avant leur embarquement par des gens envoyés à leur poursuite avec Léarchos et Ameiniadès. Ces ambassadeurs furent donc remis par son ordre aux députés athéniens qui les conduisirent à Athènes. Dès leur arrivée, les Athéniens craignaient qu'Aristeus ne leur fît plus de mal encore s'il parvenait à s'échapper, car il était à leurs yeux l'auteur de tout ce qui s'était passé auparavant à Potidée et en Thrace. Aussi firent-ils mettre à mort, sans jugement, le jour même, les ambassadeurs sans leur permettre de se défendre. Ils jetèrent leurs corps dans des précipices, estimant de bonne guerre d'user ainsi de représailles envers les Lacédémoniens qui, les premiers, avaient mis à mort et jeté dans des précipices les marchands athéniens et alliés qu'ils avaient pris sur des bâtiments de commerce autour du Péloponnèse. Dès le début de la guerre, les Lacédémoniens massacrèrent comme ennemis tous ceux qu'ils arrêtaient en mer, qu'ils fussent alliés des Athéniens ou neutres (173).

LXVIII. - Vers le même temps, à la fin de l'été, les Ambraciotes avec un grand nombre de Barbares, qu'ils avaient soulevés, firent une expédition contre Argos d'Amphilochie et tout le reste de l'Amphilochie. L'origine de leur hostilité contre les Argiens était la suivante. Argos d'Amphilochie et toute l'Amphilochie avaient été colonisées après la guerre de Troie par Amphilochos qui, de retour dans sa patrie et mécontent de ce qui se passait à Argos, s'était établi dans le golfe d'Ambracie et y avait fondé une ville nommée Argos, du nom de sa patrie. Cette ville devint la plus puissante de l'Amphilochie et sa population était très riche. Plusieurs générations après, les Argiens, accablés par le malheur, invitèrent leurs voisins, les Ambraciotes, à venir s'établir avec eux dans leur ville. Vivant avec les Ambraciotes, ils commencèrent à faire usage de la langue grecque ; car les autres Amphilochiens sont barbares. Avec le temps, les Ambraciotes chassèrent les Argiens et se rendirent maîtres de la ville. Ainsi traités, les Argiens se mirent entre les mains des Acarnaniens, puis les deux peuples appelèrent à leur secours les Athéniens. Ceux-ci envoyèrent Phormion comme stratège avec trente vaisseaux. Avec l'aide de Phormion, ils reprirent Argos, réduisirent les Ambraciotes en esclavage et Amphilochiens et Acarnaniens habitèrent en commun la ville. Pour la première fois, à la suite de ces événements, une alliance se noua entre Athéniens et Acarnaniens. C'est ainsi que débuta la haine des Ambraciotes contre les Argiens, auxquels ils ne pardonnaient pas leur esclavage ; elle leur fit entreprendre, au cours de la guerre, cette expédition à laquelle s'associèrent les Chaones et quelques autres Barbares du voisinage. Ils arrivèrent aux environs d'Argos, se rendirent maîtres du pays, mais, n'ayant pu prendre la ville d'assaut, ils se retirèrent. Chaque peuplade rentra chez elle. Tels furent les événements de l'été. 

LXIX. - L'hiver suivant, les Athéniens envoyèrent vingt vaisseaux croiser autour du Péloponnèse sous le commandement de Phormion. Il partit de Naupacte pour empêcher que nul n'entrât à Corinthe ou dans le golfe de Crisa ou n'en sortit. On envoya six vaisseaux sur les côtes de la Carie et de la Lycie, sous le commandement de Mélésandros. Ils avaient mission de lever les tributs et d'empêcher les pirates péloponnésiens de quitter ces régions pour donner la chasse aux bâtiments de commerce venant de Phasélis, de Phénicie et de cette partie du continent (174). Mélésandros, avec une troupe composée des Athéniens embarqués sur ses vaisseaux et d'alliés, pénétra à l'intérieur de la Lycie, mais il fut vaincu et tué et une partie de son armée périt avec lui. 

Potidée assiégée par les Athéniens capitule (hiver 430)

LXX. - Le même hiver, les Potidéates assiégés se trouvèrent dans l'impossibilité de prolonger leur résistance. Les invasions des Péloponnésiens en Attique n'empêchaient pas les Athéniens de poursuivre le siège. Les vivres manquaient et la disette était si complète que quelques habitants en vinrent à se nourrir de chair humaine. Réduits à cette extrémité ils firent aux stratèges athéniens qui commandaient devant la place, Xénophon fils d'Euripidès, Hestiodoros fils d'Aristocleidès et Phanomachos fils de Callimachos, des propositions de reddition. Ceux-ci les accueillirent, eu égard à la souffrance de leur propre armée, sous ce climat rigoureux et aux deux mille talents qu'avait coûté le siège (175). Les Potidéates capitulèrent aux conditions suivantes : les assiégés, leurs enfants, leurs femmes et leurs mercenaires sortiraient de la ville, les hommes avec un seul vêtement, les femmes avec deux, et n'emporteraient qu'une somme d'argent déterminée pour le voyage. En vertu de cette convention, ils se retirèrent en Chalcidique et partout où ils purent trouver un asile. Les Athéniens reprochèrent à leurs stratèges d'avoir accordé cette capitulation sans les consulter ; à leur avis, ils auraient pu, s'ils l'avaient voulu, réduire la ville sans conditions. Par la suite, ils envoyèrent des colons d'Athènes repeupler Potidée. Ainsi finit la seconde année de la guerre que Thucydide a racontée. 

429

Au lieu d'attaquer l'Attique, l'armée lacédémonienne s'emploie à assiéger Platée (mi-juin)

 

LXXI. - L'été suivant, les Péloponnésiens et leurs alliés n'envahirent pas l'Attique : ils marchèrent contre Platée, sous le commandement d'Archidamos, fils de Zeuxidamos, roi de Lacédémone. Il établit son camp et se disposait à ravager leur territoire, quand les Platéens lui dépêchèrent des députés qui lui parlèrent ainsi : « Archidamos et vous Lacédémoniens, vous vous conduisez d'une manière injuste et indigne de vous-mêmes et de vos ancêtres, en attaquant le pays de Platée. Quand le Lacédémonien Pausanias, fils de Cléombrotos, eut délivré la Grèce de l'invasion des Mèdes, avec l'aide des Grecs qui consentirent à partager les risques du combat livré sur notre territoire, il sacrifia sur l'agora de Platée à Zeus Eleuthérios (176) et, en présence de tous les alliés, il remit aux Platéens leur pays et leur ville pour les habiter, en toute liberté, interdisant à quiconque de les attaquer injustement et de tenter de les asservir. Dans ce cas, tous les alliés présents devraient les défendre, dans la mesure de leurs forces. Voilà ce que vos ancêtres nous ont garanti, en récompense de notre valeur et de notre empressement dans ces heures critiques. Et vous, vous faites juste le contraire ! Avec l'appui des Thébains, nos pires ennemis, vous venez pour nous asservir. Nous prenons à témoin les dieux qui furent alors les garants de ce serment, les dieux de vos pères et les dieux de notre pays et nous vous disons de ne pas attaquer le territoire de Platée, de ne pas violer les serments, de nous laisser vivre en toute liberté, suivant la juste décision de Pausanias.

LXXII. - Telles furent les paroles des Platéens. Archidamos leur répondit : « Ce que vous dites est juste, Platéens, à condition que vos actes répondent à vos paroles. Conformément aux engagements de Pausanias, gardez votre indépendance et joignez vos forces aux nôtres pour délivrer les autres Grecs qui, après avoir partagé alors vos dangers et s'être liés par le même serment, se trouvent maintenant sous la domination d'Athènes. Leur défense, la libération des autres, voilà l'objet d 'un si grand armement et de cette guerre. Vous qui vous êtes rangés avec tant d'empressement à nos côtés, restez fidèles à vos serments. Sinon, ainsi que nous vous y avons déjà engagés, tenez-vous en repos, jouissez de vos biens, gardez la neutralité, ne renoncez à l'amitié ni des uns ni des autres et ne prenez part à la guerre ni d'un côté ni de l'autre. Telle est la conduite qui nous suffira. »  Telle fut la réponse d'Archidamos. Les députés platéens rentrèrent dans la ville et la communiquèrent au peuple. Ils furent chargés de répondre qu'ils ne pouvaient se conformer à ces conditions qu'avec l'aveu des Athéniens. Leurs enfants et leurs femmes se trouvaient à Athènes ; ils craignaient aussi pour la ville entière, soit qu'après le départ des Lacédémoniens, les Athéniens ne survinssent et ne les empêchassent de tenir leur parole ; soit que les Thébains, compris dans l'obligation imposée à Platée de recevoir les deux partis, ne cherchassent à occuper une seconde fois leur ville. Archidamos tenta de les rassurer et leur dit : « Eh bien ! remettez votre ville et vos maisons aux Lacédémoniens ; indiquez les limites de votre territoire ; faites le dénombrement de vos arbres et de tout ce qui peut se compter. Retirez-vous, vous-mêmes où vous voulez, jusqu'à la fin de la guerre. A la paix, nous vous rendrons ce que nous aurons reçu de vous ; jusqu'à ce moment, nous considérerons vos biens comme un dépôt ; nous travaillerons la terre ; nous vous payerons une contribution en rapport avec vos besoins (177). »  

LXXIII. - Les députés rentrèrent de nouveau dans la ville et conférèrent avec le peuple. Leur réponse fut que les Platéens désiraient communiquer aux Athéniens les propositions d'Archidamos ; ils y souscriraient ensuite avec leur aveu. En attendant ils demandaient aux Lacédémoniens de leur accorder une trêve et d'épargner leur territoire. Archidamos conclut un armistice, pour le temps que devait raisonnablement exiger l'envoi d'une délégation à Athènes et ne ravagea pas le pays. Les députés platéens se rendirent à Athènes, conférèrent avec les Athéniens ; à leur retour ils firent part à leurs concitoyens de la déclaration suivante : «  Platéens, les Athéniens disent que jamais, depuis le moment où vous êtes devenus leurs alliés, ils ne vous ont abandonnés, quand on vous attaquait ; ils ne vous abandonneront pas non plus maintenant et vous secourront dans la mesure de leurs forces. Ils vous adjurent, par les serments de vos pères, de ne rien innover en ce qui concerne l'alliance. »  

LXXIV. - Sur ce rapport des députés, les Platéens décidèrent de ne pas trahir les Athéniens, de supporter, s'il le fallait, le ravage de leur territoire et d'endurer plutôt tous les maux. Personne ne devait désormais sortir et l'on répondrait du rempart qu'il était impossible de se conformer aux conditions posées par les Lacédémoniens. Alors Archidamos prit d'abord à témoin les dieux et les héros du pays et parla ainsi : « Dieux protecteurs du pays de Platée (178) et vous héros, soyez témoins que ces gens ont commencé par violer leur serment et que c'est sans injustice que nous avons pénétré sur leur territoire où nos pères, avec votre secours, ont vaincu les Mèdes et dont vous avez fait pour les Grecs un champ de bataille favorable. Rien de ce que nous ferons maintenant ne constituera une injustice. Nous leur avons fait maintes fois de justes propositions, mais sans succès. Souffrez que les agresseurs soient punis et que ceux qui exercent de justes représailles satisfassent leur vengeance. 

LXXV. - Après cette invocation, Archidamos fit ses préparatifs d'attaque (179). Il commença par faire abattre les arbres et par entourer la ville d'une palissade pour empêcher toute sortie. Puis les assiégeants élevèrent face au rempart une terrasse, espérant se rendre maîtres de la place en peu de temps, car le nombre des travailleurs était considérable. Ils coupèrent sur le Cithéron des troncs d'arbres qu'ils disposèrent en long et en large en guise de mur des deux côtés de la terrasse, pour empêcher la terre de s'ébouler au loin. On combla l'intérieur avec du bois, des pierres, de la terre et tout ce qui était susceptible d'en accroître la hauteur. Ce travail dura soixante -dix jours et soixante-dix nuits sans interruption, les hommes étant répartis par équipes, dont les unes apportaient les matériaux, pendant que les autres dormaient ou mangeaient. Les Lacédémoniens commandant les troupes alliées et les officiers de chaque contingent pressaient le travail. Quand les Platéens virent la terrasse s'élever, ils ajoutèrent à leur muraille primitive une superstructure en bois, du côté où l'ennemi dressait sa terrasse. Ils emplirent les intervalles de cette charpente avec des briques enlevées aux maisons voisines. Les pièces de bois donnaient à l'ensemble de la consistance et empêchaient qu'en s'élevant la construction ne s'effondrât. Ils en recouvrirent la partie extérieure de peaux et de cuirs pour mettre à l'abri des traits enflammés les travailleurs et la charpente. Cette construction s'élevait à une hauteur considérable et la terrasse avançait avec tout autant de rapidité. Les Platéens alors imaginèrent le stratagème suivant : ils percèrent la muraille du côté de la terrasse et se mirent à soutirer la terre du remblai. 

LXXVI. - Les Péloponnésiens s'en aperçurent et remplirent d'argile des gabions de roseaux avec lesquels ils comblèrent les vides pour que la terrasse ne s'éboulât pas, à mesure que la terre était enlevée. Devant cet échec, les assiégés renoncèrent à leur tentative ; mais à partir de la ville ils creusèrent une sape et au juger la prolongèrent jusqu'à la terrasse, en recommençant à tirer la terre. Les assiégeants ne s'aperçurent que longtemps après de cette manoeuvre ; plus ils entassaient de matériaux, moins la terrasse s'élevait ; la terrasse minée s'effondrait, les vides déterminant des affaissements. Les Platéens craignaient néanmoins, en raison de leur petit nombre, de ne pouvoir résister à des adversaires si nombreux ; ils recoururent à un autre moyen. Ils renoncèrent à travailler à la haute construction qu'ils opposaient à la terrasse. Entre les deux extrémités où la grande muraille était surélevée par rapport à l'ancienne enceinte, ils se mirent à construire, à l'intérieur de la ville, un mur en forme de croissant ; au cas où la grande muraille serait prise, on pourrait résister sur celui-là ; les assaillants devraient élever une seconde terrasse, se donner en s'avançant double peine et se mettre dans une situation bien plus défavorable. Cependant, les Péloponnésiens, tout en poursuivant leurs travaux, firent avancer des machines de guerre. L'une d'elles amenée sur la terrasse provoqua une brèche énorme dans la grande muraille, au grand effroi des Platéens ; d'autres s'attaquèrent à d'autres points de la muraille ; mais les Platéens les saisissaient avec des noeuds coulants et les brisaient en les attirant à eux. Ils attachaient aussi par les deux extrémités de gros madriers à de longues chaînes en fer qu'ils faisaient glisser transversalement sur deux mâteraux en saillie sur le mur. Quand la machine allait frapper quelque partie de la muraille, ils lâchaient les chaînes, et les madriers, ainsi lancés, brisaient la tête du bélier. 

LXXVII. - Les Péloponnésiens, voyant qu'ils n'arrivaient pas à leurs fins avec leurs machines et qu'un mur s'élevait face à leur terrasse, jugèrent impossible au milieu des difficultés actuelles de prendre la ville. Ils se préparèrent donc à l'entourer d'une ligne de circonvallation. Mais auparavant ils voulurent tenter de l'incendier, s'ils le pouvaient, par un vent favorable, car la ville état petite. Ils recouraient à tous les moyens pour s'en emparer sans dépense et sans recourir à un siège en règle. Du haut de la terrasse, ils jetèrent des fascines dans l'espace compris entre la muraille et la terrasse. Comme ils disposaient de beaucoup de bras, cet intervalle fut bientôt comblé et ils en entassèrent encore. De cette hauteur, ils en jetèrent sur tous les points de la ville qu'ils purent atteindre ; puis ils lancèrent un mélange de soufre et de poix enflammés pour mettre le feu à tout ce bois. Une flamme s'éleva, si haute qu'on n'en avait jamais vu de pareille, du moins allumée par la main des hommes. Car il arrive que dans les montagnes les arbres battus des vents s'embrasent spontanément et que les chocs répétés produisent des flammes. L'embrasement était immense et peu s'en fallut que les Platéens, qui avaient échappé aux autres dangers, ne périssent dans celui-ci. Bien des quartiers de la ville étaient inaccessibles. Et si le vent eût activé l'incendie, comme l'espérait l'ennemi, nul n'eût survécu. Mais on dit qu'il survint une pluie violente accompagnée de tonnerre qui éteignit le feu et mit fin au danger. 

LXXVIII. - Après ce nouvel échec, les Péloponnésiens ne gardèrent qu'une partie de leurs troupes et congédièrent le reste. Ils investirent alors la ville d'une circonvallation ; le travail fut réparti entre les divers contingents. De chaque côté, on creusa un fossé, d'où l'on trait l'argile pour faire des briques. Quand l'ouvrage fut achevé, vers le lever d'Arctouros (mi-septembre), ils laissèrent des hommes pour garder la moitié du rempart, l'autre moitié étant tenue par les Béotiens ; le reste de l'armée se retira et chaque peuple rentra dans ses foyers. Dès avant le siège, les Platéens avaient envoyé à Athènes les enfants, les femmes, les vieillards et toutes les bouches mutiles. Il n'était demeuré dans la ville pour soutenir le siège que quatre cents Platéens, quatre-vingts Athéniens, cent dix femmes pour faire le pain. Tel était, en tout, le nombre des défenseurs au début du siège. Il n'y avait à l'intérieur de l'enceinte, aucune personne de plus, ni homme libre ni esclave. Telles furent les dispositions prises au siège de Platée.

Campagne athénienne en Thrace: échec de Spartolos (juin 429)

Été 429 : les hoplites athéniens sont battus par l’infanterie légère de Spartolos, coordonnée avec la cavalerie chalcidienne

LXXIX. - Le même été, pendant le siège de Platée, les Athéniens, avec deux mille hoplites athéniens et deux cents cavaliers, firent campagne contre les Chalcidiens du littoral de Thrace et les Bottiaees. On était à l'époque de la maturité des blés. Xénophon, fils d'Euripidès, les commandait avec deux autres stratèges. Ils parvinrent aux abords de Spartolos, ville de Bottie, et anéantirent les moissons. Ils s'attendaient à voir la ville se rendre grâce aux complicités qu'ils y avaient. Mais la faction opposée demanda de l'aide à Olynthe, qui envoya une garnison de quelques troupes parmi lesquelles des hoplites. Celle-ci fit une sortie et les Athéniens livrèrent une bataille sous les murs mêmes de Spartolos. Les hoplites chalcidiens, renforcés de mercenaires, vaincus par les Athéniens se réfugièrent dans la place. Par contre les cavaliers chalcidiens et les troupes légères furent victorieux des cavaliers et des troupes légères des Athéniens. Aux côtés des Chalcidiens combattaient également quelques peltastes du pays appelé Crousis. Peu de temps après le combat, il leur arriva d'Olynthe un renfort de peltastes. A cette vue les troupes légères de Spartolos, ainsi renforcées et fières de leur premier succès, prononcèrent aussitôt une seconde attaque contre les Athéniens, avec les cavaliers chalcidiens et les renforts. Les Athéniens reculèrent jusqu'aux deux détachements qu'ils avaient laissés à la garde des bagages. Chaque fois que les Athéniens s'avançaient, l'ennemi cédait du terrain ; quand ils se retiraient, il les poursuivait et les criblait de traits. Les cavaliers chalcidiens chargeaient, partout où leur intervention était opportune. Ce furent eux surtout qui jetèrent l'effroi dans les rangs athéniens ; ils les mirent en déroute et les poursuivirent au loin. Les Athéniens se réfugièrent à Potidée et en vertu d'une convention ils enlevèrent leurs morts, puis retournèrent à Athènes avec le reste de l'armée. Dans cette rencontre, quatre cent trente Athéniens et tous les stratèges avaient péri (180). Les Chalcidiens et les Bottaees élevèrent un trophée, recueillirent leurs morts et rentrèrent chez eux. 

LXXX. - Le même été peu de temps après ces événements, les Ambraciotes et les Chaones, qui voulaient soumettre toute l'Acarnanie et la détacher d'Athènes, demandèrent aux Lacédémoniens d'équiper une flotte levée chez leurs alliés et d'envoyer mille hoplites en Acarnanie. Ils assuraient qu'ainsi soutenus sur mer et sur terre, ils mettraient les Acarnaniens du littoral dans l'impossibilité d'aider ceux de l'intérieur et qu'une fois maîtres du pays, ils réduiraient facilement Zacynthe et Céphallénie ; les Athéniens ne pourraient plus aussi facilement croiser autour du Péloponnèse ; on pouvait même espérer s'emparer de Naupacte . Les Lacédémoniens se laissèrent convaincre et envoyèrent aussitôt sur quelques bâtiments leurs hoplites sous le commandement de Cnémos, encore navarque à cette date . Tous les vaisseaux alliés en état de tenir la mer reçurent l'ordre de rallier Leucas au plus vite. Les Corinthiens étaient les plus ardents à soutenir les Ambraciotes, leurs colons . La flotte de Corinthe, de Sicyonè et des villes de cette région se disposait à appareiller ; les escadres de Leucas, d'Anactorion et d'Ambracie, qui avaient pris la mer les premières, les attendaient à Leucas . Cnémos, avec ses mille hoplites, échappa dans sa traversée à Phormion qui, à la tête des vingt vaisseaux athéniens, surveillait les parages de Naupacte ; il prépara immédiatement son expédition par terre . Parmi les Grecs que comptait son armée, il y avait des Ambraciotes, des Leucadiens, des Anactoriens et les mille hoplites qu'il avait amenés ; parmi les Barbares, mille Chaones, qui ne reconnaissaient pas de roi, et que commandaient, en vertu d'un pouvoir annuel, deux chefs appartenant à la famille dominante, Photios et Nicanor . Avec les Chaones marchaient également des Thesprotes, eux aussi ne reconnaissant pas de rois . Les Molosses et les Atintanes étaient commandés par Sabylinthos, tuteur du roi Tharypas, encore enfant ; les riverains du fleuve Auos par leur roi Oroedos . Mille Orestes, dont Antiochos était le roi, faisaient campagne avec les gens d'Oroedos à qui Antiochos les avait confiés . Perdiccas avait envoyé, à l'insu des Athéniens, mille Macédoniens, mais qui n'arrivèrent pas à la date fixée . Tels furent les effectifs avec lesquels Cnémos se mit en marche, sans attendre la flotte de Corinthe . En traversant le pays des Argiens d'Amphilochie, les troupes ravagèrent le bourg non fortifié de Limnaea et se portèrent dans la direction de Stratos, la ville la plus importante de l'Acarnanie. Cnémos pensait que, s'il parvenait à la prendre, le reste du pays se rendrait sans résistance .

Demi-victoire navale de Phormion à Naupacte (octobre 429)

LXXXI. - Les Acarnaniens, à l'annonce qu'une puissante armée avait envahi leur territoire et que, du côté de la mer, les vaisseaux ennemis allaient arriver, ne réunirent pas leurs forces ; chacun se contenta de tâcher de sauver ce qui lui appartenait. En même temps ils pressaient Phormion de venir à leur secours ; il répondit qu'il lui était impossible d'abandonner Naupacte, d'où il guettait la venue de la flotte de Corinthe. Les Péloponnésiens et leurs alliés répartirent leurs troupes en trois corps (181) et s'avancèrent dans la direction de la ville de Stratos. Ils se proposaient de camper sous ses murs et de lui donner l'assaut, si par des négociations ils n'amenaient pas sa reddition. Au centre se trouvaient les Chaones et les autres Barbares ; à droite les Leucadiens, les Anactoriens et leurs alliés ; à gauche, Cnémos, les Péloponnésiens et les Ambraciotes. Les intervalles entre ces colonnes étaient considérables et à certains moments elles étaient sans liaison. Les Grecs avançaient en bon ordre, toujours sur leurs gardes, n'installant leur camp que dans des endroits propices. Mais les Chaones, pleins de confiance en eux-mêmes et réputés d'ailleurs pour leur vaillance parmi les peuples de cette contrée, ne voulurent pas perdre de temps à installer leur camp ; ils s'avancèrent impétueusement avec les autres Barbares, s'imaginant prendre la ville du premier coup et recueillir la gloire de ce haut fait. Informés de leur approche, les Stratiens se dirent que, s'ils défaisaient ces troupes isolées, les Grecs montreraient moins d'ardeur dans l'attaque. Ils dressèrent donc des embuscades aux environs de la ville et quand l'ennemi fut proche, ils sortirent de la place, lui marchèrent sus et s'élancèrent des endroits où ils s'étaient embusqués. Les Chaones pris de peur périrent en grand nombre. Les autres Barbares, les voyant céder, cessèrent toute résistance et prirent la fuite. Les Grecs des deux autres colonnes ne s'aperçurent pas de ce combat, car ils étaient fort loin des Chaones et pensaient que ceux-ci avaient accéléré leur marche pour établir leur camp. Mais quand les Barbares refluèrent sur eux en désordre, ils les recueillirent ; ils formèrent un seul camp et se tinrent en repos le reste de la journée. Les Stratiens n'en vinrent pas aux mains, car ils n'avaient pas encore reçu les renforts des autres Acarnaniens ; ils se bornèrent à les harceler de loin à coups de fronde (182), les mettant ainsi en un grand embarras, car on ne pouvait plus circuler qu'avec son armure ; or les Acarnaniens passent pour être de très redoutables frondeurs. 

LXXXII. - La nuit venue, Cnémos se hâta de se replier avec ses troupes sur le fleuve Anapos, qui coule à quatre-vingts stades de Stratos. Le lendemain, il fit enlever ses morts en vertu d'une convention. Puis, comme les Oeniades étaient venus le rejoindre en qualité d'amis, il se retira sur leur territoire avant l'arrivée des renforts ennemis. Puis chacun s'en retourna dans ses foyers. Les Stratiens élevèrent un trophée pour commémorer leur combat avec les Barbares. 

LXXXIII. - La flotte des Corinthiens et des autres alliés, qui devait sortir du golfe de Crisa pour se porter au secours de Cnémos et empêcher les Acarnaniens du littoral d'unir leurs forces à ceux de l'intérieur, ne put exécuter ce plan. Environ le moment que se livrait la bataille de Stratos, elle fut contrainte de livrer combat à Phormion, qui avec ses vingt vaisseaux athéniens gardait la mer aux environs de Naupacte, Phormion épiait pour attaquer la flotte ennemie en pleine mer le moment où elle sortirait du golfe en longeant la côte. Les Corinthiens et leurs alliés, cinglant vers l'Acarnanie, n'étaient pas disposés à livrer un combat naval, mais bien un combat sur terre ; ils ne croyaient pas que l'escadre athénienne, forte seulement de vingt vaisseaux, aurait l'audace d'attaquer leur flotte qui en comprenait quarante-sept. Ils suivaient donc la côte et de Patras en Achaïe ils tâchaient d'atteindre la rive opposée de l'Acarnanie, quand ils aperçurent la flotte athénienne qui longeait la cote opposée et de Chalcis et de l'embouchure de l'Evénos s'avançait sur eux. Comme la nuit ne pouvait empêcher l'ennemi de les voir jeter l'ancre, ils furent contraints d'accepter le combat au milieu du détroit. Les stratèges de chaque côté leur firent prendre leurs formations de combat c'étaient Machaon, Isocratès et Agatharchidas pour les Corinthiens. Les Péloponnésiens prirent une formation circulaire, la plus étendue possible, impénétrable aux navires ennemis, proues au dehors, poupes au dedans ; quant aux bâtiments légers, qui naviguaient de conserve, ils les disposèrent à l'intérieur avec cinq de leurs navires les plus rapides pour qu'ils fussent à portée de venir rapidement à la rescousse sur les points les plus menacés. 

LXXXIV. - Les vaisseaux athéniens, en ligne de file, tournaient autour du cercle, qu'ils rétrécissaient sans cesse, en serrant de près l'ennemi et en donnant continuellement l'impression qu'ils allaient fondre sur lui. Phormion leur avait recommandé de n'engager le combat qu'à un signal donné par lui. Il comptait que la flotte ennemie ne pourrait garder son ordre de bataille, comme le fait une armée de terre, que les vaisseaux se gêneraient réciproquement, que les bâtiments légers leur causeraient de l'embarras et que, si le vent se mettait à souffler de la direction du golfe, comme cela se produit d'ordinaire au lever du jour, le trouble serait complet dans leurs rangs. Il attendait donc cette éventualité, en continuant à tourner autour de la flotte lacédémonienne. Comme ses navires étaient meilleurs manoeuvriers, il pensait que l'initiative du combat lui appartiendrait à son heure et qu'elle serait tout à son avantage. Le vent s'éleva ; les vaisseaux ennemis sans espace pour manoeuvrer se trouvèrent gênés, à la fois par le vent et par les bâtiments légers ; ils se bousculaient, se repoussaient les uns les autres avec les gaffes, ce n'étaient que cris de « gare à vous » , qu'injures qui empêchaient d'entendre les commandements et la voix des céleustes (183). Les équipages, sans expérience et incapables de soulever leurs rames dans cette agitation, empêchaient les vaisseaux d'obéir aux ordres des pilotes. C'est alors que Phormion, saisissant le moment opportun, donna le signal (184). Les Athéniens s'élancèrent et commencèrent par couler un des vaisseaux amiraux ; tous ceux qu'ils purent atteindre furent détruits ; le trouble fut tel qu'aucun ne put essayer de résister et que la flotte corinthienne s'enfuit vers Patras et Dymè d'Achaïe. Les Athéniens les poursuivirent, prirent douze vaisseaux, firent prisonniers la plupart des équipages et mirent le cap sur Molycreion. Ils élevèrent un trophée sur le promontoire de Rhion et consacrèrent un navire à Poseidon. Puis ils se retirèrent à Naupacte. Les Péloponnésiens, avec les vaisseaux qui leur restaient, s'empressèrent de quitter Dymè et Patras pour Cyllénè, l'arsenal (185) des Eléens ; Cnémos et les navires, qui auraient dû se joindre aux Corinthiens venant de Leucas, arrivèrent à Cyllénè après la bataille de Stratos. 

LXXXV. - Les Lacédémoniens envoyèrent alors à Cnémos, comme conseillers dans les opérations navales, Timocratès, Brasidas et Lycophron. Ils leur donnèrent l'ordre de préparer dans de meilleures conditions un autre combat naval et de ne pas se laisser interdire la mer par une flotte si peu nombreuse. Comme c'était là leur premier combat sur mer, cet échec leur semblait extraordinaire ; au lieu de l'attribuer à l'insuffisance de leur marine, ils l'imputaient à la mollesse des équipages, sans mettre en parallèle l'expérience de longue date des Athéniens et leur propre et récente pratique de la mer. Ces conseillers, qu'ils avaient envoyés dans un moment de colère, dès leur arrivée, enjoignirent, d'accord avec Cnémas, aux différents États de fournir des vaisseaux, et équipèrent ceux qui leur restaient, avec l'intention de livrer bataille. De son côté, Phormion (186) informa Athènes de ces préparatifs et y fit connaître la victoire qu'il venait de remporter. Il demandait qu'on lui envoyât le plus grand nombre possible de vaisseaux, et cela incontinent, car on s'attendait d'un jour à l'autre à un combat naval. On lui envoya vingt vaisseaux, en ordonnant à leur commandant de gagner d'abord la Crète. C'était un Crétois de Gortyne, nommé Nicias, proxène (187) des Athéniens, qui les avait engagés à aborder à Cydonia, leur promettant de gagner à leur cause cette ville leur ennemie. La raison de cette expédition était qu'il voulait complaire aux Polichnites, voisins de Cydonia. Il conduisit donc la flotte en Crète et, avec l'aide des Polichnites, il ravagea le territoire de Cydonia. Mais les vents et l'état défavorable de la mer le retinrent longtemps. 

LXXXVI. - Pendant que les Athéniens étaient retenus en Crète, la flotte péloponnésienne de Cyllénè faisait ses préparatifs pour un nouveau combat naval. Elle se dirigea en longeant la côte vers Panormos d'Achaïe où se trouvait l'armée de terre des Péloponnésiens, accourue à leur secours. De son côté Phormion, en suivant le rivage, se dirigea à Rhion de Molycrie et jeta l'ancre, à quelque distance du promontoire, avec les vingt vaisseaux qui avaient livré la précédente bataille. Les habitants de ce Rhion étaient bienveillants pour les Athéniens : tandis que l'autre, Antirhion, situé en face, appartient au Péloponnèse. Un bras de mer de sept stades (188), qui forme l'entrée du golfe de Crisa, les sépare. Ce fut donc au Rhion d'Achaïe, à peu de distance de Panormos, où se trouvait leur armée de terre, que les Péloponnésiens mouillèrent avec cinquante-sept vaisseaux, dès qu'ils eurent aperçu les Athéniens. Pendant six ou sept jours les deux flottes restèrent à l'ancre, face à face, s'entraînant et faisant leurs préparatifs de combat. Les Péloponnésiens, effrayés par leur précédente défaite, redoutaient de s'éloigner des promontoires et de s'aventurer en haute mer ; les Athéniens de s'engager dans le bras de mer, pensant qu'une rencontre dans le détroit tournerait à l'avantage de l'ennemi. Enfin Cnémos, Brasidas et les autres stratèges péloponnésiens, décidés à livrer promptement bataille, avant que les Athéniens eussent reçu des renforts, réunirent leurs soldats. Comme la majorité d'entre eux était sous le coup de la défaite et manquait de mordant, ils les encouragèrent comme il suit : 

LXXXVII. - « Péloponnésiens, si l'issue du combat précédent vous fait redouter celle du combat qui va avoir lieu, votre crainte est tout à fait injustifiée. Nos préparatifs étaient insuffisants, vous le savez, et notre objectif était, non pas de livrer bataille sur mer, mais de faire une expédition sur terre. Bien des circonstances imputables au hasard nous ont été contraires. C'était notre premier combat naval et notre inexpérience nous a été en quelque mesure fatale. Aussi n'est-ce pas à notre lâcheté qu'il faut attribuer notre défaite. Il ne faut pas qu'un courage, que la force n'a pas réussi à abattre et qui trouve en lui-même sa justification, se laisse émousser par des circonstances accidentelles. Songez au contraire que la fortune peut trahir tous les hommes, que les vrais braves sont toujours d'une fermeté inébranlable et que devant un tel courage l'inexpérience ne saurait être un prétexte suffisant pour excuser la lâcheté. Votre manque de pratique est largement compensé par votre audace. Le savoir de l'adversaire que vous redoutez si fort, s'il s'alliait au courage, le mettrait en état de se rappeler dans le danger ce qu'il a appris ; mais sans courage, aucun savoir ne résiste au danger. Car la crainte trouble la mémoire et la science sans force d'âme ne mène à rien. A la supériorité que leur confère leur expérience, opposez la supériorité de votre courage, et à la crainte, que vous inspire votre défaite, l'insuffisance de votre préparation. Ce qui vous assure l'avantage, pour une bataille navale, c'est le nombre de nos vaisseaux et la proximité d'une rive qui nous appartient et que tiennent nos hoplites. En général, la supériorité du nombre et de la préparation assure la victoire. Ainsi, de quelque côté que nous cherchions, nous ne trouvons pas un seul point sur lequel vos craintes soient justifiées. Toutes nos fautes précédentes nous serviront maintenant de leçons. Ayez donc confiance ; que chacun, pilote ou matelot, fasse son devoir sans jamais abandonner le poste où il aura été placé. Nos dispositifs seront pris par nous avec autant de soin que par vos chefs de naguère et nul n'aura de prétexte de se montrer lâche. Si quelqu'un est tenté de l'être, il sera châtié comme il convient ; les braves recevront le juste prix de leur valeur (189). »

LXXXVIII. - Telles furent les exhortations adressées par leurs chefs aux Péloponnésiens. Phormiôn redoutait lui aussi le découragement de ses marins ; il était informé que se rassemblant par groupes ils s'effrayaient du nombre des vaisseaux ennemis. Il résolut de les convoquer pour leur donner confiance et, vu les circonstances, de les rassurer. Déjà auparavant, il ne manquait aucune occasion de raffermir leurs âmes et de les habituer à l'idée qu'il n'était aucune flotte, si nombreuse fût-elle, dont ils ne dussent soutenir l'attaque. D'ailleurs ses soldats, depuis longtemps avaient conçu l'opinion que des Athéniens comme eux ne devaient pas céder devant des vaisseaux péloponnésiens, quel qu'en fût le nombre. Néanmoins les sentant découragés à la vue de cet ennemi, il voulut rappeler leur courage ; il les rassembla donc et leur dit : 

LXXXIX. - « Je vois, soldats, que vous vous effrayez du nombre des ennemis ; aussi vous ai-je réunis pour vous montrer que votre crainte ne repose sur rien. C'est à cause de leur défaite précédente, c'est à cause du sentiment de leur infériorité qu'ils ont armé tant de vaisseaux, n'osant pas vous attaquer à forces égales. Ce qui leur donne surtout confiance, comme s'ils avaient le monopole du courage, c'est simplement leur habitude du combat sur terre. Ils y ont souvent réussi et ils espèrent avoir sur mer la même supériorité. Il est juste que l'avantage nous appartienne sur mer, puisqu'ils ont le leur sur terre. Pour le courage, ils n'en ont pas plus que nous et l'audace croit avec l'expérience. Les Lacédémoniens, qui doivent le commandement suprême à leur réputation, mènent au péril des alliés qui les suivent, pour la plupart, bien malgré eux ; ils n'auraient pas accepté de leur plein gré de livrer une bataille navale, aussitôt après une si rude défaite. Vous n'avez donc pas à redouter leur audace. C'est vous qui leur inspirez une crainte bien plus vive et plus fondée : d'abord vous les avez vaincus et ils pensent que nous n'accepterions pas la lutte, si nous ne devions pas nous surpasser encore. Au combat, ceux qui ont la supériorité du nombre, comme nos ennemis, mettent leur confiance dans ce nombre plutôt que dans leur valeur. Ceux qui, disposant de moyens beaucoup plus faibles n'agissent pas par contrainte, s'appuient sur quelque grand sentiment pour oser résister. Voilà ce que se disent nos ennemis l'invraisemblance de notre résolution les effraie plus qu'un armement convenable. Bien des armées ont succombé sous les coups d'adversaires bien moins nombreux, soit par impéritie, soit aussi par lâcheté ; nous sommes à l'abri de ces deux reproches. De mon plein gré je n'accepterai pas le combat dans le golfe, je me garderai même d'y entrer. Je sais parfaitement que des vaisseaux peu nombreux, exercés et meilleurs manoeuvriers se trouvent dans un détroit dans de mauvaises conditions pour attaquer une flotte nombreuse aux équipages peu exercés. Si l'on ne voit pas l'ennemi de loin, on est dans l'impossibilité de l'aborder à l'éperon et de lui échapper au besoin, si l'on est serré de près. On ne peut alors ni percer la ligne ennemie, ni virer de bord, tactique qui convient à des bâtiments plus maniables ; on est amené à substituer au combat naval une lutte comme à terre ; et dans ce cas la supériorité du nombre assure la victoire. J'aurai soin, dans la mesure du possible, que ces conditions soient réalisées. Pour vous, restez en bon ordre à vos postes à bord ; exécutez ponctuellement les commandements ; cela sera d'autant plus facile que le mouillage de la flotte ennemie est tout près. Dites-vous que l'ordre et le silence au combat sont indispensables sur mer plus encore que sur terre. Montrez-vous dignes de vos précédents exploits. La lutte est décisive ou les Péloponnésiens perdront toute espérance maritime, ou les Athéniens craindront de perdre sous peu leur empire sur la mer. Je vous le rappelle encore, vous avez déjà vaincu la plupart d'entre eux. Or des vaincus n'ont plus la même assurance pour aborder les mêmes dangers. »  

XC. - Telles furent les exhortations de Phormion. Les Péloponnésiens, voyant que les Athéniens refusaient de s'engager à leur rencontre dans le golfe et le détroit, voulurent les y attirer malgré eux. Ils appareillèrent à l'aurore, formés en quatre colonnes, dans la direction de leur littoral et vers l'intérieur du golfe. L'aile droite était en tête, selon l'ordre du mouillage. A cette aile ils avaient placé leurs vingt vaisseaux les plus rapides ; leur plan consistait, au cas où Phormion croirait Naupacte menacée et voudrait se porter au secours de cette place, à empêcher les Athéniens d'éviter leur attaque débordant leur agile et à les encercler avec ces vingt navires. C'est ce qui arriva. Phormion fut effrayé à la pensée que la place était déserte, et, dès qu'il les vit appareiller, malgré lui et en toute hâte, il fit embarquer ses troupes et se mit à longer le rivage. L'infanterie des Messéniens suivait la côte, prêta à intervenir. A la vue de la flotte athénienne qui s'avançait sur une seule ligne, état déjà à l'intérieur du golfe et rasait la côte, les conditions que les Péloponnésiens avaient tant souhaitées se trouvèrent réalisées. Soudain, à un signal unique, ils virèrent de bord et avancèrent de front à toute vitesse sur les Athéniens. Ils espéraient s'emparer de toute cette flotte. Mais les onze vaisseaux qui étaient en tête, évitèrent cette conversion de l'aile droite des Péloponnésiens et purent gagner le large. Les autres vaisseaux se laissèrent surprendre, furent poussés à la côte dans leur fuite et détruits. Les Athéniens qui ne purent se sauver à la nage furent massacrés. Déjà les Péloponnésiens remorquaient quelques navires vides et ils en avaient même capturé un avec son équipage, quand les Messéniens arrivèrent à la rescousse, avancèrent dans l'eau tout armés, se hissèrent sur quelques-uns de ces navires que l'ennemi remorquait déjà et, combattant du haut des ponts, réussirent à les reprendre. 

XCI. -- Sur ce point, les Péloponnésiens étaient donc victorieux ils avaient détruit les vaisseaux athéniens. Les vingt vaisseaux de leur aile droite continuèrent à poursuivre les onze unités athéniennes, qui, en se dirigeant au large du golfe, avaient échappé à leur mouvement de conversion. Tous parvinrent à les gagnez de vitesse, à l'exception d'un seul, et à se réfugier à Naupacte. Devant le temple d'Apollon (190), ils virent de bord, font face à l'ennemi et arrêtés se préparent à le repousser, s'il faisait mine d'approcher du rivage. Les Péloponnésiens arrivèrent plus tard et tout en naviguant ils chantaient le péan, comme s'ils étaient déjà victorieux. Le seul vaisseau athénien resté à la traîne fut poursuivi par un vaisseau de Leucas, qui avait poussé fort en avant des autres. Un bâtiment de commerce se trouvait tranquillement à l'ancre au large. Le vaisseau athénien a le temps d'en faire le tour, fonce sur le navre de Leucas qui le poursuivait, l'éperonne dans le flanc et le coule. Cet événement inattendu emplit d'effroi les Péloponnésiens. Déjà confiants en leur victoire, ils s'étaient lancés sans ordre à la poursuite ; sur quelques vaisseaux on abaisse les rames et l'on s'arrête pour attendre le gros de la flotte, manoeuvre périlleuse vu la proximité de l'ennemi ; d'autres qui ne connaissaient pas la plage s'échouèrent sur des hauts fonds. 

XCII. - A cette vue les Athéniens reprirent confiance ; tous à un seul commandement foncèrent à grands cris sur les vaisseaux ennemis. Les fautes que ceux-ci venaient de commettre, le désordre qui régnait dans leurs rangs les empêchèrent de résister longtemps. Ils virèrent de bord en direction de Panormos, d'où ils étaient partis. Lancés à leur poursuite, les Athéniens capturèrent les six vaisseaux les plus proches et reprirent leurs bâtiments que les Péloponnésiens avaient mis hors de combat et qu'ils avaient remorqués sur la rive . La plupart des hommes furent tués, quelques-uns faits prisonniers. Le Lacédémonien Timocrate (191) était à bord du vaisseau de Leucas qui coula près du bâtiment de commerce. Au moment où le navire sombrait, il se frappa de son épée et la mer rejeta son cadavre dans le port de Naupacte. Les Athéniens rebroussèrent chemin et élevèrent un trophée à l'endroit d'où ils étaient parts pour remporter la victoire. Ils recueillirent les cadavres et les débris sur la rive, où ils se trouvaient. Une convention permit à l'ennemi d'en faire autant. Les Péloponnésiens, de leur côté, élevèrent un trophée pour marquer la victoire qu'ils avaient remportée en obligeant l'ennemi à fuir et la destruction des navires sur le rivage. Ils consacrèrent sur le Rhion d'Achaïe, près de leur trophée, le vaisseau qu'ils avaient capturé. Puis par crainte de la venue des renforts athéniens, ils profitèrent de la nuit pour rentrer tous, à l'exception des Leucadiens, dans le golfe de Crisa et à Corinthe. Les vingt vaisseaux athéniens venant de Crète, qui auraient dû se joindre à ceux de Phormion avant la bataille, arrivèrent à Naupacte peu après la retraite de l'ennemi. L'été prit fin. 

Coup de main de Brasidas contre le Pirée: terreur à Athènes (octobre-novembre 429)

XCIII. - Avant que la flotte qui s'était retirée dans le golfe de Crisa et à Corinthe se séparât, Cnémos, Brasidas et les autres commandants péloponnésiens voulurent, au début de l'hiver et à l'instigation des Mégariens, tenter un coup de force sur le Pirée, le port d'Athènes. Il n'était ni gardé ni fermé, ce qui n'est pas surprenant, étant donné la supériorité manifeste sur mer des Athéniens. Ils décidèrent que chaque matelot prendrait sa rame, son coussin, sa courroie et irait par terre (192) de Corinthe jusqu'au rivage de la mer orientée vers Athènes ; ils se rendraient en toute hâte à Mégare, mettraient à la mer quarante vaisseaux qui étaient sur les chantiers de Nisaea, leur port de radoub et cingleraient immédiatement sur le Pirée. Aucune escadre n'y montait la garde et nul ne s'attendait à subir une attaque par mer aussi soudaine. Les Athéniens ne présumaient pas que l'ennemi eût l'audace de déclencher une agression au grand jour sans qu'on l'en empêchât et que, s'il y songeait, on n'en fût pas informé. Le plan fut aussitôt mis à exécution. Les Péloponnésiens arrivèrent de nuit à Nisaea et tirèrent à flot leurs vaisseaux, mais renonçant à leur premier objectif, le Pirée, ils mirent le cap sur le promontoire de Salamine, qui regarde Mégare. Le danger de l'entreprise les avait effrayés et l'on prétend aussi que le vent les avait empêchés d'exécuter leur dessein. Il y avait là un fort et une station de trois vaisseaux qui bloquaient la ville de Mégare. Ils attaquèrent le fort, s'emparèrent des trois vaisseaux vides, tombèrent à l'improviste sur Salamine et la pillèrent. 

XCIV. - En direction d'Athènes, on faisait des signaux nocturnes (193) pour annoncer l'approche de l'ennemi. Jamais au cours de la guerre on ne vit pareille consternation. Dans la ville on croyait déjà l'ennemi au Pirée ; au Pirée on croyait qu'il était maître de Salamine et qu'il n'allait pas tarder d'atteindre le port. La chose eût été facile, s'il eût agi sans retard et n'eût pas été gêné par le vent. Dès la pointe du jour les Athéniens se portèrent en masse au secours du Pirée, ils mirent les vaisseaux à flot, s'embarquèrent en toute hâte au milieu d'un grand désordre et cinglèrent vers Salamine. Ils laissèrent des troupes de terre pour garder le Pirée. Les Péloponnésiens, avertis de leur approche, après maintes incursions en différentes parties de l'île, au cours desquelles ils prirent des hommes, du butin et les trois vaisseaux du fort de Boudoron, firent force de rames vers Nisaea. Il faut dire qu'ils n'étaient pas rassurés du tout sur leurs vaisseaux, qui ayant été longtemps à sec, faisaient eau de toutes parts. Ils arrivèrent à Mégare, puis regagnèrent Corinthe par terre. Les Athéniens, ne les trouvant pas aux environs de Salamine, rebroussèrent chemin eux aussi. Désormais la garde du Pirée fut mieux assurée ; on ferma les ports et on prit les autres dispositions qui s'imposaient (194).

Invasion Thrace de Sitalcès

 

XCV. - Vers la même époque au commencement de l'hiver, l'Odryse Sitalcès, fils de Térès roi des Thraces, se mit en campagne contre Perdiccas, fils d'Alexandros, roi de Macédoine et contre les Chalcidiens de Thrace. Il s'agissait de deux promesses ; il voulait faire remplir l'une et exécuter l'autre. Perdiccas, qui se trouvait dans une situation critique au début de la guerre, avait pris envers lui certains engagements, s'il le réconciliait avec les Athéniens et ne remettait pas sur le trône son frère Philippos avec lequel il était brouillé. Mais ces promesses n'avaient pas été tenues. D'un autre côté, il avait convenu avec les Athéniens, en contractant avec eux une alliance, de mettre fin à la guerre en Chalcidique. Telles étaient les deux rasons de son expédition. Sitalcès emmenait avec lui Amyntas, fils de Phihppos, qu'il avait l'intention de mettre sur le trône de Macédoine ; des ambassadeurs athéniens se trouvaient à ses cités pour faire exécuter ce projet et Hagnon en qualité de général. Les Athéniens devaient l'aider dans son expédition contre les Chalcidiens en lui fournissant des vaisseaux et une armée aussi nombreuse que possible. 

XLVI. - Parti de chez les Odryses, il lève des troupes d'abord chez les Thraces qui habitent entre les monts Haemos et du Rhodope et qui se trouvaient sous sa domination jusqu’au Pont-Euxin et à l'Hellespont. Ensuite chez les Gètes, au delà de l'Haemos et chez tous les autres peuples qui habitent en deçà de l'Istros dans le pays orienté vers le Pont-Euxin. Les Gètes et les peuples de cette contrée confinent aux Scythes ; tous sont semblablement équipés et sont des archers à cheval. Il appela également un grand nombre de montagnards de la Thrace, tribus indépendantes et armées du coutelas (195) ; ils portent le nom de Dies et habitent pour la plupart le Rhodope. Il décida les uns en leur promettant une solde ; les autres l'accompagnaient comme volontaires. Il leva également des troupes chez les Agrianes, les Laeaees et les autres peuples de la Paeonie qu'il commandait. C'étaient les derniers peuples soumis à sa domination qui s'étendait jusqu'aux Laeaees de Paeonie et au Strymon. Ce fleuve prend sa source au mont Scombros, coule à travers le pays des Agrianes et des Laeaees ; il sert de limite à l'empire de Sitalcès qui confine, de ce côté, à la Paeonie indépendante. Du côté des Triballes, également indépendants, sa domination s'arrête aux Trères et aux Tilataees, qui habitent au nord du mont Scombros et s'étendent à l'occident jusqu'au fleuve Oscios. Ce fleuve a sa source dans la même montagne que le Nestos et l'Hèbre. Cette montagne, qui appartient à la chaîne du Rhodope, est déserte et fort élevée. 

XCVII. - Le royaume des Odryses s'étendait, sur le rivage de la mer, de la ville d'Abdère au Pont-Euxin jusqu'à l'embouchure de l'Istros. A prendre au plus court et à condition d'avoir le vent en poupe, il faut à un navire rond quatre jours et quatre nuits pour longer cette côte. Par terre, en prenant au plus court, d'Abdère à l'embouchure de l'Isiros, un bon marcheur fait le trajet en onze jours (196). Telle est l'étendue de la côte. En remontant de la côte à l'intérieur, de Byzance jusqu'au pays des Laeees et jusqu'au Strymon, c'est-à-dire dans le sens de la plus grande largeur, un bon marcheur accomplit le trajet en treize jours. Le tribut fourni par tous les Barbares et les villes grecques, tel que l'a établi Seuthès, successeur de Sitalcès, s'élevait en numéraire à quatre cents talents tant en or qu'en argent. Les présents en or et en argent n'étaient pas inférieurs à cette somme, sans compter les étoffes brodées ou non et les autres cadeaux. Ces présents étaient faits non seulement au roi, mais aussi aux grands et aux nobles. Contrairement à ce qui se passe dans le royaume de Perse, c'est une coutume établie chez les Odryses, comme chez les autres Thraces, que les grands reçoivent plus qu'ils ne donnent (197). Il est plus déshonorant de ne pas donner ce qu'on vous demande que de ne pas obtenir ce que vous demandez. Chez les Odryses néanmoins chacun selon son pouvoir use de cette coutume ; il n'y a moyen de rien faire, si l'on n'apporte pas de cadeau. C'est ainsi que cette royauté avait augmenté si fort son pouvoir. De tous les peuples qui habitent en Europe, entre le golfe Ionien et le Pont-Euxin, c'est de beaucoup le plus puissant par ses revenus et les biens de toutes sortes. Il est vrai que, pour la puissance guerrière et le nombre des soldats, il ne vient que loin après les Scythes. Sur ce point nul peuple d'Europe ne peut leur être comparé ; même en Asie, il n'est pas un peuple qui, isolément, soit en état de résister à tous les Scythes réunis ; mais pour l'habileté et la conduite à tenir dans les diverses circonstances de la vie, ils sont loin d'être sur le même pied que les autres peuples (198).

XCVIII. - Tel était l'immense empire que gouvernait Sitalcès quand il prépara son expédition. Quand ses troupes furent prêtes, il se mit en marche en direction de la Macédoine. Il traversa d'abord son territoire, puis franchit la Cercinè, montagne déserte qui sert de frontière aux Sintes et aux Paeoniens. Pour la passer, il emprunta la route qu'il avait fait construire lui-même en abattant la forêt, lors de son expédition contre les Paeoniens. Venant du pays des Odryses, il avait, en franchissant la montagne, à sa droite les Paeoniens, à sa gauche les Sintes et les Maedes. Ses troupes arrivèrent ensuite à Dobéros de Paeonie. Dans sa marche il ne perdit que quelques hommes par suite de maladie. Bien plus ses forces s'accrurent : les Thraces indépendants le suivirent spontanément en grand nombre, attirés par l'espoir du pillage. Aussi évalue-t-on l'ensemble de son armée à cent cinquante mille hommes au moins. Les fantassins en constituaient la plus grande partie ; le tiers au plus était formé de cavaliers. Cette cavalerie était fournie en majorité par les Odryses et après eux par les Gètes. Parmi les fantassins, les plus belliqueux étaient les montagnards indépendants armés du coutelas qui étaient descendus du Rhodope. Suivait une foule composite redoutable surtout par le nombre. 

XCIX. - Les troupes, rassemblées à Dobéros, se préparèrent à descendre dans la plaine et à fondre sur la Basse-Macédoine, où régnait Perdiccas. A la Macédoine appartiennent également les Lyncestes, les Elimiotes et d'autres peuples de l'intérieur, qui sont ou ses alliés ou ses sujets, mais qui ont leurs rois à eux. La région qu'on appelle aujourd'hui la Macédoine Maritime avait été conquise d'abord par Alexandros, père de Perdiccas, et par ses aïeux, descendants de Téménos et venus d'Argos. Ils établirent leur domination en défaisant et en chassant de la Piérie ses habitants qui allèrent s'établir au pied du Pangaeon, de l'autre côté du Strymon, à Phagrès et dans d'autres places. Aujourd'hui encore la contrée qui est au pied du Pangaeon, le long de la mer, porte le nom de golfe de Piérie. Ils expulsèrent de la Bottie les Bottiaees, qui sont maintenant limitrophes des Chalcidiens. Ils s'approprièrent également, sur les gens de Paeonie, le long du fleuve Axios, une étroite bande de terre qui s'étend des montagnes jusqu'à Pella et jusqu'à la mer. Ils occupent de l'autre côté de l'Axios jusqu'au Strymon la contrée appelée la Mygdonie, d'où ils chassèrent les Edoniens. Du pays appelé maintenant l'Eordie ils expulsèrent les Eordes qui périrent en masse et dont quelques-uns se sont établis autour de Physca, et de l'Almopie les Almopes. Enfin ces Macédoniens ont établi leur pouvoir sur des populations qui aujourd'hui encore leur appartiennent, sur Anthémunthe, la Grestonie et la Bisaltie et une grande partie des Macédoniens eux-mêmes. Le tout forme la Macédoine dont le roi était Perdiccas, fils d'Alexandros, lors de la marche en avant de Sitalcès. 

C. - A l'approche d'une armée si considérable, les Macédoniens se sentant hors d'état de lui résister se retirèrent sur toutes les positons naturelles et dans toutes les citadelles du pays. Celles-ci étaient peu nombreuses. Mais par la suite Archelaos, fils de Perdiccas, quand il devint roi, fit bâtir les forteresses actuellement existantes, traça des routes en ligne droite et prit toutes les mesures concernant la guerre relatives à la cavalerie et à l'infanterie lourde ; par tous ces préparatifs il s'assura une puissance comme n'en avaient jamais eu les huit rois ensemble, qui l'avaient précédé. L'armée des Thraces venant de Dobéros envahit d'abord l'ancien royaume de Philippos, prit de force Eidoménè ; Gortynia et Atalantè et quelques autres places se soumirent par amitié pour Amyntas, fils de Philippos, qui état aux côtés de Sitalcès. Elle assiégea Europos, mais ne put s'en emparer. Puis elle s'avança à travers la partie de la Macédoine située à la gauche de Pella et de Cyrrhos. Elle ne pénétra pas plus avant, jusqu'à la Bottie et la Piérie, mais ravagea la Mygdonie, la Grestonie et Anthémunthe. Les Macédoniens ne songèrent pas à opposer à l'ennemi de l'infanterie. Mais à leurs alliés de l'intérieur qui pouvaient leur en fournir ils demandèrent de la cavalerie ; et, malgré leur infériorité numérique, ils attaquaient à l'improviste le camp des Thraces. Là où ils fonçaient, nul ne pouvait soutenir le choc de ces cavaliers hardis et cuirassés. Mais, cernés par la foule des ennemis bien supérieurs en nombre, ils se trouvaient dans une situation critique. Finalement ils renoncèrent à leurs attaques, à cause de la disproportion de leurs forces. 

CI. -- Cependant, Sitalcès entamait avec Perdiccas des pourparlers pour lui exposer les motifs de son expédition. La flotte athénienne n'arrivait pas ; car les Athéniens, qui comptaient peu sur l'entrée en guerre de Sitalcès, ne lui avaient envoyé que des présents et une députation. Il expédia seulement une partie de son armée contre les Chalcidiens et les Bottixes, les bloqua dans leurs forts, en même temps qu'il ravageait leur pays. Pendant qu'il campait dans ces régions, les Thessaliens du Sud, les Magnètes, les autres sujets de la Thessalie, les Grecs jusqu'aux Thermopyles craignirent que cette armée ne s'avançât contre eux ; aussi se préparaient-ils à la repousser. La crainte n'était pas moins vive chez les Thraces qui habitent de l'autre côté du Strymon les plaines septentrionales, à savoir les Panes, les Odomantes, les Droes et les Dersaees, tous peuples indépendants. Le bruit courut même chez les Grecs, ennemis d'Athènes, que ces troupes appelées par les Athéniens en qualité d'alliés pourraient bien marcher contre eux. Sitalcès occupa et ravagea simultanément la Chalcidique, la Bottie et la Macédoine. Néanmoins, il n'atteignit aucun des buts de son expédition. Son armée n'avait plus de vivres et souffrait de l'hiver ; aussi se laissa-t-il convaincre par Seuthès, fils de Sparadocos, son neveu et l'homme après lui le plus puissant du royaume, de revenir sur ses pas. Seuthès avait été gagné en secret par Perdiccas, qui avait promis de lui donner sa soeur en mariage et de grandes richesses. Sitalcès se laissa convaincre, et après une campagne de trente jours pleins, dont huit en Chalcidique, il revint en toute hâte avec son armée dans ses États. Plus tard Perdiccas tint sa promesse et donna sa soeur Stratonicè en mariage à Seuthès. Telle fut l'expédition de Sitalcès.

CII. - Cet hiver après le licenciement de la flotte péloponnésienne, les Athéniens qui étaient à Naupacte sous le commandement de Phormion se mirent en campagne. Ils longèrent la côte jusqu'à Astacos. Là, ils débarquèrent, pénétrèrent à l'intérieur de l'Acarnanie avec quatre cents hoplites athéniens fournis par la flotte et quatre cents Messéniens. Ils expulsèrent de Stratos, de Corontes et d'autres places les gens dont la fidélité était douteuse ; à Corontes, ils rétablirent Cynès, fils de Théolytos ; puis ils regagnèrent leurs vaisseaux. Mais en raison de l'hiver, ils ne crurent pas possible de marcher contre les Oeniades, seul peuple d'Acarnanie qui ait été de tout temps leur ennemi. En effet le fleuve Acheloos, qui prend sa source dans le Pinde, traverse le pays des Dolopes, des Agraees et des Amphilochiens, coule dans la plaine d'Acarnanie, passe au pied de la ville de Stratos, va se jeter dans la mer près de la ville des Oeniades qu'il entoure de marais et dont il rend en hiver les abords inaccessibles. En face des Oeniades se trouvent la plupart des îles Echinades, à peu de distance des embouchures de l'Acheloos, si bien que les crues du fleuve les ensablent perpétuellement. Quelques-unes de ces îles se trouvent reliées au continent et l'on peut s'attendre que, dans peu de temps, toutes les îles le seront (199) ; le courant est violent, abondant et bourbeux. Ces îles rapprochées les unes des autres, forment une barre qui empêche la vase de s'écouler dans la mer ; elles sont disposées irrégulièrement et non en ligne droite, ce qui gêne l'écoulement direct de l'eau dans la mer. De plus elles sont désertes et de médiocre étendue. On rapporte qu'Alcméon, fils d'Amphiaraos, lorsqu'il errait après le meurtre de sa mère, reçut de l'oracle d'Apollon le conseil d'habiter cet endroit ; il laissait entendre qu'Alcméon ne serait délivré de ses terreurs, que le jour où il trouverait à s'établir dans un pays que le soleil n'eût jamais éclairé et qui ne fût pas une terre, comme si son crime eût souillé le reste de la terre. Alcméon, dit-on, eut bien de la peine à découvrir qu'il s'agissait de ces alluvions de l'Acheloos. Il lui sembla que depuis le meurtre de sa mère et pendant la durée de ses longues pérégrinations, la terre avait dû prendre assez de consistance pour qu'il pût y vivre. Il se fixa donc aux environs des Oeniades, y fonda un royaume et donna à toute la contrée le nom d'Acarnan, son fils. Telle est la tradition que nous avons recueillie au sujet d'Alcméon. 

CIII. - Les Athéniens, qui sous la conduite de Phormion avaient quitté l'Acarnanie et gagné Naupacte, reprirent au début du printemps la route d'Athènes, Ils y amenèrent tous les hommes libres qu'ils avaient faits prisonniers dans les combats sur mer et les vaisseaux qu'ils avaient capturés. Les prisonniers furent échangés, homme pour homme. Là-dessus se termine cet hiver, en même temps que la troisième année de la guerre racontée par Thucydide.

 

 

(121) Thucydide en affirmant que le tremblement de terre qui ébranla Délos était le premier de mémoire d'homme contredit formellement Hérodote (VI, 98) qui en signale un avant la bataille de Marathon (490).

(122) Ainsi 3 confédérations d'esprit différent essayent d'arracher à leur individualisme et d'unifier les petits États helléniques Sparte aristocratique, plus timorée que libérale, n'exigeant pas de tribut, passait pour vouloir libérer la Grèce du joug athénien et à ce titre avait pour elle l'opinion publique.
Athènes démocratique, inquiétant les aristocraties par son exemple et sa propagande et traitant ses alliés presque en sujets prenait figure d'État tyrannique.
Enfin Thèbes, aristocratique aussi, traitait les confédérés sur un pied d'égalité.
Ce raccourci d'Europe, travaillé par la jalousie, allait par ses discordes et ses guerres préparer sa propre perte .

(123). Voici quel est le rapport des forces des deux antagonistes.
Celles de Sparte sont groupées d'un seul tenant, elles comprennent presque toutes les cités du Péloponnèse et de la Grèce Continentale, depuis le canal de l'Eubée jusqu'à la mer Ionienne, avec Corinthe comme alliée maritime. Soit 3 degrés 1/2 de latitude.
Les forces d'Athènes sont plus nombreuses, mais éparpillées dans les îles de la mer Égée, sur les côtes de Macédoine, de  Thrace, autour de l'Hellespont jusqu'à Byzance et sur le rivage de l'Asie Mineure depuis Byzance jusqu'à l'île de Rhodes, soit 5 degrés de latitude ; en plus à l'ouest : Naupacte commandant le golfe de Corinthe, l'Acarnanie, Zacinthe, Corcyre, maîtresse du passage vers l'Italie, ce qui valait à Athènes l'hostilité tenace de la marine corinthienne jalouse de son hégémonie dans la mer de Sicile et dans l'Adriatique.
En résumé Sparte puissance territoriale à faible marine, Athènes puissance maritime, mais adossée à des voisins continentaux hostiles et vulnérable par terre.
L'empire de la mer va se disputer entre Corinthe et Athènes soutenant Corcyre.
Le triomphe d'Athènes équivaudrait à un blocus total du Péloponnèse.

(124) . Deux tiers des troupes mobilisées marchaient à l'ennemi, un tiers constituait une réserve assurant la garde du territoire.

(125) Le terme stratège sert à désigner les officiers généraux des troupes grecques. 
A Athènes leur compétence est plus étendue. Ce sont des magistrats au nombre de 10, élus pour un an (non tirés au sort, puisqu'il y faut des capacités), rééligibles. Leurs fonctions correspondent à celles des ministres de la Guerre, de la Marine, des Affaires étrangères et même des Finances. Ils veillent à l'armement et à l'entretien de la flotte, des armées en campagne, aux ravitaillements, ils concluent les armistices et les traités qui terminent les hostilités, ils engagent des dépenses et en contrôlent l'emploi, même ils lèvent les tributs des alliés.  Deux ou trois d'entre eux seulement prenaient le commandement des armées et de la flotte, même l'un d'eux avait la haute main sur la conduite de toutes les opérations.  Ces diverses fonctions faisaient de celui d'entre eux qui avait le plus de mérite personnel le chef de la cité, ce qui remédiait aux inconvénients inhérents au régime démocratique. C'est ainsi que Périclès fut stratège quinze ans de suite 454-430 et gouverna effectivement la république athénienne.

(126) En l'absence de droit entre les cités et d'hôtels ou auberges, l'hospitalité privée exercée largement assurait à l'étranger en voyage, protection, logis, nourriture, cadeaux, et créait entre l'habitant et son hôte des relations d'un caractère amical très prononcé et placées sous la protection des dieux Zeus, Athéna.

(127). L'assemblée du peuple ou ecclésia dans les États à régime démocratique avait la souveraineté politique et l'administration suprême de la justice (tribunal des héliastes constitué par une délégation des citoyens). L'assemblée s'occupait de la ratification des lois, de l'élection des magistrats et de la reddition de comptes des magistrats sortant de charge.

(128). 600 talents représentent 18 millions francs-papier.  6.000 talents valent 180 millions francs-papier ; il avait donc été dépensé de cette réserve 111 millions de francs-papier.  Les 500 autres talents représentent des llngots et des objets mobiliers précieux d'une valeur de 15 millions de francs-papier.  Toutes ces richesses étaient renfermées dans le Parthénon, soit dans la cella, soit dans l'opisthodome, au total 195 millions de francs-papier.  Enfin la statue d'Athéna Parthénos, statue chryséléphantine, contenait de 14 à 15 millions d'or en francs-papier.

(129) Le Propylée s'entend d'une sorte de vestibule monumental construit sur la voie donnant accès à un sanctuaire, à un palais. II est constitué par un mur transversal percé de portes, auquel sont adossés sur chaque face une salle et un portique. Ces deux salles servent à abriter visiteurs et gardiens.  Les plus célèbres sont ceux de l'Acropole, édifiés par Mnésiclés, sous la direction de Phidias (437-432), 24 mètres de long sur 18 m. 20 de large. Chaque portique est de 6 colonnes doriques.  Du côté de l'extérieur deux ailes en saillie encadraient les Propylées : celle de gauche, au nord, renfermait une galerie de tableaux (Pinacothèque) ; celle de droite, au sud, étalt plus petite, à cause du voisinage du temple de la Victoire-Agtére. Pausanias vante l'appareil en marbre.
Ces Propylées annonçaient dignement au visiteur de l'Acropole les merveilles d'art contenues dans cette enceinte.  Propylées, Parthénon et statue d'Athéna coûtèrent 60 millions de francs-papier environ.

(130) Des offrandes, telles que vases précieux, statues et même temple, donation de terres, étaient faites à tel dieu et à tel temple pour remercier la divinité d'un bienfait ou en obtenir un. C'est le prêtre du dieu qui reçoit l'objet. Les dépouilles des Mèdes comprenaient, entre autres, le trône d'argent de Xerxès, le sabre d'or de Mardonios.

(131) Les Athéniens se plaisaient à honorer les dieux dans de solennelles cérémonies religieuses, où la procession jouait son rôle.  Destinée primitivement à conduire à l'autel de la divinité le bétail offert en sacrifice, elle donna lieu à un défilé à travers la ville des personnages offciels, des porteurs d'offrandes et d'objets du culte et à une parade militaire.
La plus éclatante est celle des Grandes Panathénées qui attirait à Athènes des représentants des colonies et même des cités étrangères.
La frise du Parthénon est le tableau pris sur le vif de la procession.

(132) Ce terme de jeux sert à désigner toutes les réunions sportives, jeux, courses et aussi concours de musique, de poésie et même de beauté.

(133) Il y avait des forts avec garnison à Éleusis, à Phylè. Tous les citoyens d'Athènes et les métèques devaient le service militaire de 18 à 60 ans, mais les jeunes classes de 18 à 20 ans, qui faisaient l'apprentissage du métier des armes (éphèbes) et les hommes âgés de plus de 50 ans constituaient une sorte d'armée territoriale, faisant des patrouilles et du service de place, dans l'Attique seulement. 
D'après le chiffre des incorporés on a cru pouvoir déduire que la population d'Athènes vers 432 était de 400.000 âmes environ, à savoir : 138.000 Athéniens de naissance ; 70.000 métèques ; 200.000 esclaves. Ce calcul reste très hypothétique.

(134) A l'est des deux Longs-Murs qui protégeaient la route du Pirée à Athènes, il en avait été construit un troisième pour englober dans le système de défense le 48 port, celui de Phalère.

(135) 35 stades ou 6 km. 475 ; 43 stades ou 8 km. ; 40 stades ou 7 km. 400 ; 60 stades ou 11 km. 100.

(136) Les archers, troupe légère, étaient munis d'un arc et d'un carquois contenant de douze à quinze flèches. On les recrutait parmi les métèques, les citoyens pauvres et des mercenaires, des Crétois habiles à manier cette arme.  Les archers scythes faisaient à Athènes le service de nos agents de police.  Les archers à cheval qui se recrutaient aussi chez les Scythes (Russie de la mer Noire) servaient de cavalerie légère et remplissaient le rôle d'éclaireurs, il y en avait deux cents. Les mille autres cavaliers se recrutaient dans l'aristocratie athénienne et constituaient un corps d'élite.

(137). Le prytanée était l'hôtel de ville, la maison commune de ces agglomérations rurales autonomes et ces archontes correspondent à des maires avec pouvoirs étendus.

(138) A l'origine les diverses bourgades de l'Attique, tout en ayant le sentiment d'appartenir à une même nation, ne formaient pas un corps politique unifié, chacune se gouvernait à sa façon. Thésée organisa un pouvoir central établi dans l'Acropole, fit disparaître ces autonomies locales et fonda la cité unique pour toute l'Attique.
Une fête appelée synoecisme consacra le souvenir de l'installation à Athènes du gouvernement (mi-juillet). On entend aussi par synoecisme, la fondation d'une ville généralement fortifiée pour y réunir des habitants jusque-là épars dans la campagne : c'est le passage de la vie rurale à la vie urbaine.

(139)  L'Acropole, qui avec le quartier sud à son pied continua à s'appeler « la ville », comme nous disons la Cité pour l'île berceau de Paris, contenait les habitants d'Athènes, puis l'Acropole fut réservée au culte et porte encore les ruines des édifices célèbres : Propylées, Victoire Aptère, Erechthéion, Parthénon.
Le temple de Zeus Olympien, dont les ruines existent encore, est celui qui fut construit au IIe siècle après J.-C. sous Hadrien, sur l'emplacement du précédent, à l'est de l'Acropole.
Le Pythion et la source Callirhoè se trouvaient à proximité de l'Olympieion . Les Limnae à la même hauteur, et à peu de distance vers l'ouest. Dionysos, en tant que dieu du principe humide, avait un temple dans ce quartier marécageux. Les Anciennes Dionysies ou Anthestéries (février) perdirent de leur éclat quand les Grandes furent célébrées en mars . La Fontaine aux Neuf Bouches fut édifiée par Pisistrate. Ce fut le point d'eau potable ou « belle eau » qui probablement vit se former la première agglomération athénienne.

(140) L'Eleusinion est le temple de Déméter et Cora. On le place sur la pente est de l'Acropole près du monument choragique de Lysicratès. 
Le Pélasgicon était un grand espace abandonné aux Pélasges pour les indemniser du rempart qu'ils avaient construit autour de l'Acropole. Dans la suite ils furent expulsés.

(141). Oenoè, bourg fortifié à 35 kilomètres N.-O . d'Athènes, près de la frontière de Béotie, commandait la route d'invasion par la vallée du Céphise.
On appelle bourg ou dème une division territoriale et administrative un peu analogue à nos communes. Il y en avait environ 160 au Ve siècle. Les assemblées des dèmes, dont les questions municipales sont plus à la portée des électeurs, étaient plus suives que l'ecclésia d'Athènes, assemblée politique.

(142) Voir sur les machines, livre II, note 179.

(143) Éleusis, au bord de la mer, n'est qu'à 20 kilomètres d'Athènes à l'ouest. La plaine de Thria est renommée pour sa fertilité.
Ces courants sont des étangs d'eau salée, comme il y en a sur les côtes basses et sablonneuses de la Méditerranée.

(144) Acharnes était le dème le plus peuplé d'Athènes et depuis longtemps, sauf lors de l'invasion perse, n'avait pas vu les coureurs ennemis à 11 kilomètres d'Athènes.

(145) Le chresmos est la réponse donnée par l'oracle. C'est aussi la bonne aventure que prédisaient des devins d'après des poésies, censément inspirées par la divinité.

(146) Sagement Périclès gouverne sans réunir l'Assemblée du peuple ni permettre les réunions publiques. C'est la dictature de guerre. Il accepte comme un mal nécessaire la dévastation des régions envahies, plutôt que de livrer et perdre une bataille décisive

(147) On manque de renseignements sur les deux factions ou partis de Larissa qui ont fourni deux commandants.

(148) Les troupes de terre, embarquées sur les trières comme combattants, comprenaient 10 hoplites et 3 archers par navire.

(149) Pour mettre un frein aux propositions démagogiques dans l'Assemblée, Périclès fit menacer d'une condamnation à mort les citoyens qui oseraient proposer d'employer à autre chose qu'à la défense nationale ce fonds de réserve de 1.000 talents . C'était le seul moyen de tempérer l'extrême liberté dans le gaspillage des deniers publics.

(150) Les procédés les plus cruels étalent employés dans les guerres de l'antiquité, même par l'État athénien. La population civile tout entière est expulsée de l'île d'Égine et remplacée par des colons d'Athènes, afin que le Pirée ne soit plus à la merci d'un coup de main venu de la station navale de l'île d'Égine qui commande le golfe Saronique à proximité d'Athènes. Ainsi après la dernière guerre gréco-turque, les populations helléniques de la Turquie d'Asie ont été contraintes d'aller s'établir dans la Grèce propre.

(151) Eclipse de soleil du 3 août 431.

(152) Le proxène est le citoyen d'un État auquel est confié le soin de protéger les ressortissants d'un autre État, de passage ou fixés dans son pays. C'est l'analogue des agents consulaires actuels, et il joue le rôle du patron romain. L'État étranger choisit ce citoyen chargé des intérêts de ses, habitants.
Il existait aussi une proxénie honorifique décernée à un étranger résidant en Attique, cette qualité le mettait au-dessus des autres métèques et lui assurait des privilèges en matière d'impôts et d'acquisition de biens-fonds.

(153) Thucydide fait allusion au meurtre du fils de Térée et de Procnè par Philomèle, soeur de Procnè, pour se venger de l'outrage que lui fit subir le brutal amour de son beau-frère. Itys égorgé fut servi à sors père. A la suite de ces atrocités, Philomèle fut changée en rossignol, Térée en huppe et Procnè en hirondelle (cf . Ovide, Métam.) et aussi A. Chénier
Fille de Pandion, ô jeune Athénienne,
La cigale est ta proie, hirondelle inhumaine .
Il est probable que par cette explication Thucydide veut rectifier une erreur de ses concitoyens qui rattachaient ce Térès à Térée, pour justifier l'alliance.

(154) La symmachie est une alliance militaire qui joue en cas de guerre. Sadocos fils de Sitalcès obtient la qualité d'Athénien. Ce Nymphodore assura à Athènes le concours du roi de Thrace, et celui de Perdiccas, tous deux utiles auxiliaires pendant le siège de Potidée et la révolte des villes de Chalcidique. Il importait aux Athéniens, pour la sécurité de leurs mines d'or et pour le recrutement de troupes auxiliaires, d'entretenir des relations amicales avec la Thrace.

(155) La naturalisation conférait la qualité et les privilèges de citoyen sans permettre toutefois l'accès à l'archontat et aux sacerdoces. Elle était accordée par l'assemblée du peuple et le postulant devait obtenir au moins 6.000 suffrages. Si le naturalisé épousait une athénienne, ses enfants naissaient citoyens.

(156) La petite île d'Atalantè, dans le canal de l'Eubée, renferme encore des restes de ces fortifications.

(157) Toutes les restrictions apportées par les lois aux démonstrations de douleur à l'occasion des enterrements étaient levées, quand il s'agissait de funérailles nationales. Tout le monde, citoyens, métèques, même les femmes, était autorisé à suivre le cortège. - Solon passe pour avoir chargé un orateur en renom de l'éloge des combattants tombés à l'ennemi.
Ce faubourg est le Céramique extérieur, au N .-O de la ville, où existait une nécropole non loin de la porte Dipyle, une des entrées les plus fréquentées de la ville. On y a découvert de grands vases et sont encore debout des édicules, des stèles funéraires (de Dexiléos, d'Hégéso, etc .) dont les sculptures comptent parmi les oeuvres caractéristiques du plus pur style attique. 
Les parents des morts, outre les vases ou lécythes, apportaient des bandelettes, des couronnes, des rameaux .

(158) Les Athéniens étaient très fiers de leur qualité d'autochtones. Ils ne sont pas installés dans l'Attique en pays conquis comme les Spartiates campés dans la Laconie très peuplée, qu'ils contiennent dans l'obéissance avec leurs 9.000 hoplites. 
Périclès le leur rappelle pour les flatter.

(159) Périclès fait l'éloge du gouvernement démocratique qu'il a contribué à substituer à un régime aristocratique et qui aurait pu faire la grandeur d'Athènes, à condition qu'il y eût toujours des Périclès ou des Démosthène pour diriger l'Assemblée du peuple et que ces hommes nécessaires, ces hommes providentiels fussent écoutés plus que les Cléon, les Alcibiade, les Eschine.
On peut discerner dans cet éloge des Athéniens la critique des moeurs et du régime de Sparte.

(160) La xénélasie, manifestation de xénophobie, pratiquée à Sparte consistait dans l'obligation pour les étrangers d'obtenir des magistrats l'autorisation de résider à Sparte, autorisation révocable d'ailleurs pour cause de mauvais exemple.

(161) Périclès ne pouvait qu'exciter contre Athènes la jalousie des autres cités et de Sparte en particulier, en proclamant que sa ville était l'École de la Grèce et que les citoyens pouvaient s'enorgueillir d'être gouvernés par les maîtres les plus dignes. Justement les villes alliées de la thalassocratie athénienne ne cessaient de se plaindre de ne pas jouir de « l'isonomie » , d'être traitées en « sujettes » . Elles se tournaient vers Sparte, s'imaginant que l'État dorien respectait mieux que sa rivale, Athènes, la liberté des États grecs. Athènes et Périclès se faisaient des illusions en croyant qu'ils seraient récompensés de la prospérité que leur puissance assurait à leurs alliés.

(162) Les enfants des guerriers morts étaient élevés aux frais de l'État jusqu'à l'âge de 16 ans environ. C'est la conséquence logique du service militaire obligatoire. La France n'a fait que suivre ce lointain exemple en créant l'oeuvre des pupilles de la nation.

(163) Périclès, Thucydide aidant, trace un portrait, très certainement embelli, d'Athènes, ou de ce qu'aurait dû être Athènes . La réalité, présentée au cours de la politique et de la conduite de la guerre, n'est pas aussi flatteuse. Dans ces pages Thucydide a créé en faveur de la république athénienne un courant de sympathie et d'admiration, contre lequel les alliés des îles et des rivages d'Asie auraient certainement protesté. L'historien laisse percer sa fierté patriotique, en présentant ce portrait idéalisé comme un exemple et une leçon pour tout le monde grec.

164) On peut considérer cette épidémie comme une fièvre du type de la « dengue » , favorisée par des excès de pluie et l'absence de vents purificateurs, développée par l'entassement dans la ville des ruraux mal installés, par la rareté de l'eau potable, par la dépression physique et morale consécutive à la guerre.
L'épidémie dura quatre ans, violente en 430 et 429, elle s'apaisa dix-huit mois environ pour recommencer en 427 et disparaître à la fin de cette année-là. Le nombre des victimes fut considérable rien que pour l'armée, Thucydide (III, 87) l'évalue à 4.400 hoplites et 300 cavaliers ; pour la population civile, il ne peut pas fournir le chiffre, tant il fut élevé . Cf. Dr. J. P. Béteau,  La Peste d'Athènes, 1934.

(165) Dans le récit de la peste de Milan (1630), Manzoni signale aussi l'accroissement de la dépravation dans des proportions effrayantes. Une frénésie de jouissance s'empara de ceux que le fléau épargnait et tous les moyens parurent bons pour s'enrichir, afin de satisfaire cette soif de voluptés, avant de succomber à l'épidémie.

(166) Le rationaliste à l'esprit critique se révèle dans cette réflexion de l'auteur sur les deux interprétations possibles de la vieille prédiction également utilisable dans les deux cas. On dirait déjà du Fontenelle de l'Histoire des Oracles.

(167) Apollon, dieu de la médecine, guérit les maladies, mais il les envoie aussi, notamment la peste. L'épidémie est un moyen qu'il emploie ici pour faire triompher la cause des Péloponnésiens, ses fidèles adorateurs doriens.

(168) On distinguait dans le territoire de l'Attique les districts urbains, ceux de l'intérieur du pays ou mésogée, ceux de la côte ou paralie. Chaque Tribu possédait des districts ou dèmes de ces trois régions différentes.

(169) Aristophane se fera plus tard (425) dans les Acharniens l'écho de ces regrets et de ces lamentations.

(170) Thucydide, en mentionnant l'amende infligée à Périclès sur l'initiative de ses ennemis, pour négligence dans la gestion des deniers publics, omet comme connu de tous alors le fait qu'elle entraînait l'interdiction de prendre part aux affaires publiques, peine qui mettait le grand homme d'Athènes au-dessous d'un simple citoyen.

(171) Périclès comprenait que les appétits de conquête des Athéniens rêvant de se soumettre la Sicile, Carthage, l'Étrurie ne cadraient pas avec la politique intérieure, avec le régime électif de son pays. Cette démocrate belliqueuse saurait-elle s'en tenir à la lutte contre Sparte, ménager ses alliés et conserver l'empire de la mer? Le gouvernement populaire ne convient pas à un grand État, pensait déjà Périclès ou Thucydide, dont Montesquieu, Voltaire et Jean-Jacques Rousseau refléteront l'opinion.

(172) A Athènes navarque est synonyme de capitaine de vaisseau. A Sparte le navarque, désigné par les Éphores, a rang d'amiral, a la direction suprême de la marine de guerre, le commandement des escadres, règle les rapports avec les alliés, peut conclure alliances, armistices, traités.

(173) II semble qu'il n'existait entre gens de mer en guerre aucun principe du droit des gens. Les Spartiates ne se contentaient pas de saisir les cargaisons des navires marchands d'Athènes, de ses alliés et aussi des neutres, surpris dans les parages du Péloponnèse, ils faisaient périr équipages et passagers, actes de piraterie que nous avons vus se reproduire dans la dernière guerre 14-18. Les Athéniens ne sont pas plus excusables, même par mesure de représailles, d'avoir fait prisonniers, pour les condamner à mort sans jugement, les ambassadeurs lacédémoniens auprès du roi de Perse.
Au Caeadas de Sparte correspondent ces précipices, ces gouffres de l'Attique, analogues au Barathre, dans lesquels disparaissaient les cadavres des condamnés que l'on voulait encore punir en les lassant sans sépulture.

(174) Ces navires expédiés par le fisc pour contraindre à payer les villes contribuables en retard, ce sont les « croiseurs de la perception »  comme les appelle Aristophane. Cher. 1070 (424). Mais cet argent, strictement exigé, n'était-il pas nécessaire à la politique d'Athènes qui se chargeait de la sécurité et de la prospérité de la Confédération ?

(175) 2.000 talents valent 60 millions de francs-papier.

(176) Zeus Eleuthérios, libérateur, équivalent de Soter, sauveur.  Zeus est la divinité de la mythologie grecque la plus riche en significations physiques et morales, si bien que sous l'influence de l'esprit philosophique il n'a pas été loin de transformer à son profit le paganisme en monothéisme (cf. l'hymne du stoicïen Cléanthe IIIe siècle av. J.-C.). En tant que sauveur, libérateur, Zeus est un dieu de la guerre qui dans les grandes batailles a donné la victoire aux Grecs.
A Platée notamment il a sauvé la Grèce du joug des Perses. On l'adorait sous ce nom dans beaucoup de villes et notamment à Athènes et à Platée.

(177). Combien cette proposition lacédémonienne, émigration temporaire avec promesse de retour, occupation sans dégâts par l'ennemi, parait empreinte d'hypocrisie ! Elle fait songer à la demande de passage à travers la Belgique.

(178) Les dieux et les héros indigètes sont spécialement chargés de la protection de la contrée qui les honore d'un culte. Les Lacédémoniens s'exposeraient à leur vengeance, surtout à celle des héros, considérés comme divinités Chthoniennes et puissances malfaisantes, s'ils s'emparaient injustement de la terre des Platéens ; aussi proclament-ils à plusieurs reprises que l'injustice a été commise non par eux, mais par Platée. Religieux et formalistes, ils croient s'être mis ainsi en règle avec les puissances suprêmes et les avoir persuadées de la justice de leur agression.

(179) L'art des sièges, la poliorcétique, n'était pas aussi perfectionné au ve siècle qu'il le deviendra dans la suite.  Les Grecs manquaient encore de machines de jet et n'usaient que de machines de choc du type bélier.

(180) La mort des quatre stratèges induirait à penser que les officiers généraux étaient dans la nécessité de beaucoup s'exposer, parce que leurs troupes manquaient d'entraînement, de discipline et de cohésion.

(181) Le mot télos désigne un corps de troupes de toutes armes au complet.

(182) Les frondeurs faisaient partie des troupes légères. Recrutés parmi les montagnards, ils servaient comme mercenaires. Ils lançaient jusqu'à 177 mètres des balles de pierre, de bronze ou de plomb, dont ils avaient une provision dans un sac.

(183) Le céleustés est un officier marinier commandant la nage des 174 rameurs de la trière, analogue au comite, chef de la chiourme sur une galère. Il reçoit les ordres de l'officier de navigation le proreus, dont le poste est à l'avant.

(184) Les signaux se transmettaient avec des sortes de pavillons ou avec des torches, élevés pour l'attaque, abaissés pour la cessation du combat et la retraite. Ce service de timonerie était assuré par des matelots distincts des rameurs, lesquels, surtout chez les Péloponnésiens, n'étaient pas très amarinés.

(185) L'épineion est à la fois un chantier de construction navale, un arsenal , un entrepôt, ici celui des Éléens. Il en existait plusieurs au Pirée, l'un de 125 mètres sur 17. Ils étaient surveillés par un collège de 10 Inspecteurs ou Epimélétes, sous la haute autorité du Conseil des Cinq-Cents.

(186) Phormion fut un de ces généraux qu'intimidaient les orateurs populaires. Lui, qui dans le golfe de Crisa avait remporté d'éclatantes victoires navales, fut traduit en justice, condamné à use amende de 50.000 francs-papier. Sans fortune il ne put la payer, se vit retirer ses honneurs et sa qualité d'électeur (atimie) et alla finir ses jours à la campagne.

(187) Sans faire à proprement parler de l'espionnage, les proxènes pouvaient renseigner le gouvernement d'Athènes sur les dispositions du pays d'origine des nationaux dont ils avaient la charge, en leur qualité d'agents consulaires.

(188) La largeur du détroit évaluée à 7 stades par Thucydide (1 km. 200) serait selon les mesures de Leake de 11 stades (2 km. environ).

(189). Le pilote, ou plutôt le second, et les matelots de pont étaient souvent des mercenaires ou parfois des déserteurs des flottes rivales ; ils avaient besoln pour rester à leur poste de combat, de menaces de châtiment et de promesses de récompense. Leur valeur professionnelle n'atteignait pas celle des équipages athéniens, qui considéraient leur navire comme un morceau du sol de la patrle.

(190) Cet Apollanion sur un promontoire au bord de la mer est bien à sa place. Une des fonctions primitives d'Apollon nous le montre comme dieu des vents, de la mer, de la navigation, protecteur des matelots et des naufragés. Le dauphin lui est consacré.

(191) Le Lacédémonien Timocrate, conseiller naval de l'amiral, se tuant pendant que coulait son navire, créait ainsi un glorieux exemple, suivi par nos commandants qui, refusant de survivre à la perte de leur unité, restent à leur poste et périssent avec leur navire.

(192) Corinthe avait construit de chaque côté de l'isthme deux ports artificiels, à l'ouest Léchaeon réuni à la ville par de longs murs, à l'est Cenchrées protégé par deux digues. C'était pour éviter aux navires de faire le tour du Péloponnèse estimé à un millier de kilomètres. Ils rompaient charge dans ces deux ports, ou bien ceux d'un faible tonnage étaient transbordés d'une rive à l'autre par une glissière qui les halait à l'aide de cabestans : c'était le diolcos, sorte de route de madriers. Chaque rameur avec son aviron emportait son coussin et la courroie en forme d'anneau ou estrope, qui servait à attacher la rame au tolet du bordage.

(193) Ces signaux lumineux (phryctos) allumés sur les hauteurs, ou au sommet d'une tour, consistaient en torches et bûchers de bois d'essence résineux. Ils assuraient une transmission assez rapide des nouvelles. Ils étaient déjà employés au temps de la guerre de Troie.

(194) Cette alerte fit prendre deux mesures à l'autorité maritime : tendre des chaînes au goulet des ports et faire garder le front de mer par des troupes recrutées sur le littoral.

(195) La machaera est une lame à un seul tranchant de la dimension d'une courte épée ou d'un grand couteau de chasse. On la portait à la ceinture ou à l'épaule au moyen d'une courroie.

(196) Les navires de commerce étaient plus pansus que les vaisseaux de guerre dits longs, à qui on demandait la vitesse bien plus qu'un tonnage élevé . Ils employaient de préférence la voile, moyen de propulsion plus économique. Par vent arrière cette sorte de gros chaland de mer pouvait faire de 9 à 10 kilomètres à l'heure, soit 5 à 6 noeuds. La distance par mer d'Abdère à Istros (à l'une des embouchures du Danube) atteint de 900 à 1.000 kilomètres pour une navigation côtière.  D'Abdère à Istros, à vol d'oiseau, il y a au moins 500 kilomètres.  Le bon marcheur devrait faire 45 à 50 kilomètres par jour pour effectuer ce trajet en onze jours.

(197) Cette coutume de la bonne main, ou « backchich » , donnée aux fonctionnaires et aux puissants personnages dénote en Orient une vénalité qui ne date pas de notre temps.

(198) Le royaume des Odryses, allié barbare d'Athènes, correspondait à peu près à la Bulgarie actuelle ; Athènes avait tout intérêt à entretenir de bons rapports avec un royaume qui occupait tout l'arrière-pays, tout l'hinterland de ses colonies en bordure de la mer jusqu'au Danube et qui pouvait lui servir contre l'ambition des princes de la Macédoine, alors alliés de mauvaise foi, en attendant de devenir hostiles. La politique d'Athènes, comme celle des Anglais, s'efforçait de posséder des bases navales aux points stratégiques, afin d'abriter, réparer, ravitailler ses flottes et commander les routes maritimes. Pour ce motif lui était indispensable la possession des détroits (Dardanelles et Bosphore) par où passaient ses navires acheteurs du blé de Scythie (Russie du Sud) . Cf : A. Thibaudet : La Campagne avec Thucydide.  Démosthène après Périclès reprendra contre Philippe de Macédoine cette politique des détroits, dont l'Assemblée du peuple, peu experte en géographie, ne comprenait pas l'importance.

(199) Cette prévision de Thucydide s'est réalisée : la lagune est devenue terre ferme.  Cet Alcméon n'a aucun rapport avec la noble et puissante famille des Alcméonides à laquelle appartiennent Clisthène, Périclès et Alcibiade.