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THUCYDIDE

 

HISTOIRE DE LA GUERRE DU PÉLOPONNÈSE

 

LIVRE PREMIER 

I

II

III

IV

V

VI

VII

VIII

IX

X

XI

XII

XIII

XIV

XV

XVI

XVII

XVIII

XIX

XX

XXI

XXII

XXIII

XXIV

XXV

XXVI

XXVII

XXVIII

XXIX

XXX

XXXI

XXXII

XXXIII

XXXIV

XXXV

XXXVI

XXXVII

XXXVIII

XXIX

XL

XLI

XLII

XLIII

XLIV

XLV

XLVI

XLVII

XLVIII

XLIX

L

 

LI

LII

LIII

LIV

LV

LVI

LVII

LVIII

LIX

LX

LXI

LXII

LXIII

LXIV

LXV

LXVI

LXVII

LXVIII

LXIX

LXX

LXXI

LXXII

LXXIII

LXXIV

LXXV

LXXVI

LXXVII

LXXVIII

LXXIX

LXXX

LXXXI

LXXXII

LXXXIII

LXXXIV

LXXXV

LXXXVI

LXXXVII

LXXXVIII

LXXXIX

XC

XCI

XCII

XCIII

XCIV

XCV

XCVI

XCVII

XCVIII

XCIX

C

 

CI

CII

CIII

CIV

CV

CVI

CVII

CVIII

CIX

CX

CXI

CXII

CXIII

CXIV

CXV

CXVI

CXVII

CXVIII

CXIX

CXX

CXXI

CXXII

CXXIII

CXXIV

CXXV

CXXVI

CXXVII

CXXVII

CXXIX

CXXX

CXXXI

CXXXII

CXXXIII

CXXXIV

CXXXV

CXXXVI

CXXXVII

CXXXVIII

CXXXIX

CLX

CXLI

CXLII

CXLIII

CXLIV

CXLV

CXLVI

 

 

 

 

 

 



I
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- Thucydide l'Athénien a raconté les différentes péripéties de la guerre des Péloponnésiens et des Athéniens ; il s'est mis à l'oeuvre dès le début de la guerre, car il prévoyait qu'elle serait importante et plus mémorable que les précédentes. Sa conjecture s'appuyait sur le fait que les deux peuples étaient arrivés au sommet de leur puissance. De plus il voyait le reste du monde grec, soit se ranger immédiatement aux côtés des uns et des autres, soit méditer de le faire. Ce fut l'ébranlement le plus considérable qui ait remué le peuple grec, une partie des Barbares (1), et pour ainsi dire presque tout le genre humain.
Pour les événements antérieurs et ceux de l'époque héroïque, il était impossible, en raison du temps écoulé, de les reconstituer exactement. D'après les témoignages dignes de foi qu'on peut trouver pour la période la plus reculée, je ne les estime pas bien importants ni en ce qui concerne les guerres, ni sur les autres questions.

II. - Le pays que l'on appelle maintenant la Grèce ne semble pas avoir été habité dès l'origine d'une manière stable ; il s'y produisit d'abord des migrations, car les habitants changeaient souvent de région, sous la pression d'arrivants sans cesse plus nombreux. Le commerce n'existait pas ; les relations entre les peuples n'étaient sûres, ni sur terre ni sur mer ; les habitants ne tiraient chacun de leur terre que de quoi ne pas mourir de faim ; ils n'amassaient pas de richesses et ne faisaient pas de plantations, car, faute de villes fortifiées, on ne savait pas si un envahisseur ne surviendrait pas et ne s'emparerait pas de tous les biens. Dans ces conditions, les gens pensaient qu'ils trouveraient n'importe où leur nourriture quotidienne, ne faisaient pas de difficultés pour émigrer et ne cherchaient pas à acquérir la suprématie ni par des villes puissantes ni par quelque autre moyen.
C'étaient surtout les meilleures terres qui avaient le plus à souffrir des changements de population : la région qu'on appelle maintenant la Thessalie, la Béotie, la plus grande partie du Péloponnèse, à l'exception de l'Arcadie, bref en général les régions les plus favorisées. En effet grâce à la fertilité du sol, les ressources, en s'accroissant sans cesse, provoquaient des révolutions qui ruinaient le pays et l'exposaient aussi davantage aux attaques des étrangers.
Quant à l'Attique, depuis longtemps, en raison même de l'aridité de son sol, elle ignorait les révoltes et fut occupée sans interruption par les mêmes habitants.
Et voici qui confirme très fortement mon opinion que les migrations ont amené un développement bien différent dans les diverses cités : c'est chez les Athéniens que se réfugiaient, pensant y trouver la retraite la plus sûre, les plus puissants de ceux qu'avaient chassés du reste de la Grèce les guerres ou les révolutions ; et ce sont eux qui par leur nombre ont contribué à faire la grandeur de la ville ; aussi plus tard, quand le territoire de l'Attique fut devenu insuffisant, Athènes envoya des colonies en Ionie.

III. - Voici qui montre encore parfaitement la faiblesse de l'ancienne Grèce avant la guerre de Troie (2), la Grèce ne paraît pas avoir entrepris quoi que ce soit en commun ; et, à mon avis, ce nom même ne s'appliquait pas à la totalité de la Grèce. Avant Hellen, fils de Deucalion, cette appellation ne semble même pas avoir existé ; chaque peuple, surtout celui des Pélasges, prêtait à la Grèce une appellation tirée de son nom particulier. Mais quand Hellen et ses fils eurent établi leur puissance dans la Phtiotide, quand d'autres cités les appelèrent à leur secours, par suite de leurs rapports plus nombreux, ils se nommèrent réciproquement Hellènes ; cette appellation néanmoins dura peu et ne fut pas admise pour tous. Homère le montre parfaitement ; bien qu'il eût vécu bien longtemps encore après la prise de Troie, nulle part, il n'appela Hellènes l'ensemble des Grecs ; les seuls qu'il appelle ainsi sont les compagnons d'Achille venant de la Phtiotide, qui étaient effectivement les premiers Hellènes ; pour les autres il emploie, dans ses vers, le nom de Danaens, d'Argiens et d'Achéens. Il n'utilise pas non plus l'expression de Barbares, pour la raison qu'il n'y avait pas encore, à ce qu'il me semble, une seule expression correspondante pour les Hellènes. Ces peuples donc qui reçurent peu à peu le nom d'Hellènes, d'abord cité par cité, c'est-à-dire par groupe d'individus de même langue, puis tous ensemble, n'entreprirent rien en commun avant la guerre de Troie, en raison de leur faiblesse et de leur manque de relations (3). Et encore cette expédition ne la tentèrent-ils que lorsque leur expérience de la mer fut devenue plus grande.

IV. - C'est Minos (4) qui, selon la tradition, fut le premier à posséder une flotte ; il établit sa puissance sur la plus grande partie de ce que nous appelons maintenant la mer grecque ; il soumit les Cyclades et, le premier, établit des colonies dans la plupart de ces îles, d'où il avait chassé les Cariens ; il avait établi comme gouverneurs ses propres enfants ; de plus, comme il est naturel, il fit disparaître autant qu'il put la piraterie, en vue de s'assurer plus facilement le recouvrement des impôts.

V. - En effet, les Grecs d'autrefois, ceux des Barbares qui habitaient le bord de la mer et ceux qui occupaient les îles, quand ils se mirent à se fréquenter davantage par mer, se livrèrent à la piraterie (5) ; les plus puissants y cherchaient un moyen de s'enrichir et de nourrir les faibles ; ils s'attaquaient aux villes démunies de fortifications et aux peuplades répandues dans des bourgades, les pillaient et tiraient de ces expéditions la plupart de leurs ressources ; car la piraterie ne comportait aucun déshonneur ; bien au contraire, elle n'allait pas sans rapporter quelque gloire. Ce qui le montre bien, c'est qu'aujourd'hui encore quelques populations maritimes se font honneur de la pratiquer et les vieux poètes font, partout également, demander aux navigateurs par les personnages de leurs poèmes, s'ils sont des pirates ; on voit bien que ceux à qui on adresse cette question, ne désavouent pas cette occupation et que ceux qui la posent ne considèrent pas la question comme offensante. Sur le continent aussi, on se razziait réciproquement. Et aujourd'hui encore, dans bien des contrées de la Grèce, on vit à l'ancienne manière, dans la région des Locriens Ozoles, des Étoliens, des Acarnaniens, et de ce côté du continent. De ce brigandage d'autrefois a subsisté la coutume pour les habitants de l'intérieur de circuler en armes.

VI. - Tous les Grecs portaient une armure de fer ; c'est que les habitations n'étaient pas défendues par des murs (6) et que les communications n'étaient pas sûres ; comme les Barbares ils restaient perpétuellement en armes. Ce qui le prouve, ce sont les régions de la Grèce qui ont conservé ce genre de vie, lequel s'étendait à l'ensemble même de la Grèce. Les Athéniens furent des premiers à quitter l'armure de fer et à adopter un genre de vie plus relâché et plus délicat. Et il n'y a pas longtemps que parmi eux les plus âgés des vieillards, amollis (7) par la fortune, suivant une coutume due au relâchement des moeurs, ont maintenant cessé de porter des tuniques de lin et de nouer au sommet de la tête leurs cheveux par des cigales d'or formant agrafe ; en raison de la communauté de race, les vieillards d'Ionie gardèrent longtemps cette façon de se vêtir et de se coiffer. La tunique courte à la mode actuelle fut adoptée d'abord par les Lacédémoniens, et les plus riches d'entre eux se conformèrent pour le reste à la manière de vivre de la multitude. Les premiers aussi ils se dépouillèrent de leurs vêtements et se montrèrent nus et frottés d'huile pour les exercices gymniques. Autrefois, dans les Jeux Olympiques, les athlètes portaient pour la lutte des ceintures voilant les parties honteuses et il y a peu de temps que cette coutume a disparu. Certains peuples barbares, et principalement en Asie, quand ils font des concours de pugilat et de lutte, portent des ceintures. On pourrait invoquer encore beaucoup d'exemples montrant que les Grecs d'autrefois vivaient comme les Barbares d'aujourd’hui.

VII. - Toutes les villes qui furent fondées plus récemment, quand on eut plus de facilité pour naviguer, et qu'on disposa d'un excédent de richesses, se bâtirent sur le bord de la mer, se fortifièrent et occupèrent les isthmes (8) ; le commerce était ainsi facilité et la sûreté de chacune à l'égard de ses voisins était plus grande. Au contraire les villes anciennes, en raison de la piraterie qui avait longtemps duré, avaient été bâties de préférence à distance de la mer, aussi bien dans les îles que sur le continent et jusqu'à l'époque actuelle elles sont demeurées à l'intérieur des terres ; c'est qu'on se pillait les uns les autres et l'on razziait même les populations qui, sans être maritimes, habitaient les rivages.

VIII. - Les habitants des îles, Cariens et Phéniciens, s'adonnaient tout autant à la piraterie ; car c'étaient eux qui avaient occupé la plupart des îles. En voici une preuve : dans la présente guerre, quand les Athéniens purifièrent Délos et qu'on enleva toutes les tombes de l'île, on constata que plus de la moitié appartenait à des Cariens, ainsi que l'attestèrent les armes enfouies avec les morts et le mode de sépulture, encore en usage chez les Cariens d'aujourd’hui. Quand Minos eut constitué sa puissance maritime, les communications par mer devinrent plus faciles de peuple à peuple ; il fit disparaître des îles les pirates, d'autant mieux qu'il colonisa beaucoup d'entre elles ; les habitants du bord de la mer commencèrent à acquérir des richesses et à se construire des habitations plus solides ; quelques-uns même devenus plus riches entourèrent leurs villes de murailles ; dans leur amour du gain, les faibles subissaient la domination des forts, et les plus riches, avec les ressources dont ils disposaient, se soumettaient les cités plus faibles. Telles étaient encore les moeurs quand, longtemps après, les Grecs entreprirent leur expédition contre Troie.

IX. - Agamemnon, me semble-t-il, réunit la flotte des Grecs, plus parce que sa puissance était supérieure que parce que les prétendants d'Hélène se croyaient engagés par les serments prêtés à Tyndare. Ceux qui ont recueilli les faits les mieux assurés dans la tradition des Péloponnésiens prétendent que c'est Pélops qui, le premier, disposant de richesses considérables ramenées d'Asie et, venant s'installer chez des hommes sans ressources, s'arrogea la domination et obtint, tout en étant étranger au pays, l'honneur de lui donner son nom. Plus tard la puissance de ses descendants s'accrut encore, quand Eurysthée eut péri en Attique par le fait des Héraclides et quand Atrée, son oncle maternel, eut reçu d'Eurysthée, au moment des on départ en campagne et en raison même de cette parenté, Mycènes et son empire. Il se trouvait qu'Atrée fuyait son père, par suite du meurtre de Chrysippe. Comme d'autre part, Eurysthée ne revint pas de son expédition, avec le consentement des Mycéniens qui craignaient les Héraclides et à qui Atrée paraissait capable de régner, Atrée, ayant su flatter la foule des Mycéniens et des sujets d'Eurysthée, s'empara de la royauté et les Pélopides furent plus puissants que les Perséides. Voilà ce que, me semble-t-il, Agamemnon reçut en héritage ; en même temps sa marine fut plus puissante que celle des autres ; ce qui lui permit de rassembler son expédition, en faisant appel plus à la crainte qu'à la persuasion. Les navires qu'il emmena étaient, semble-t-il, les plus nombreux ; il en fournit en outre aux Arcadiens, comme Homère l'a montré, si l'on veut en croire son témoignage. Dans le récit de la transmission du sceptre, le poète a dit « qu'il régnait sur de nombreuses fies et sur Argos tout entière ». Habitant du continent il n'aurait pas dominé sur des îles, en dehors de celles qui avoisinent la terre (et encore n'eussent-elles pas été nombreuses), s'il n'eût possédé quelque puissance navale. Par cette expédition on peut conjecturer ce qu'étaient celles qui l'ont précédée.

X. - S'appuyer sur le fait que Mycènes était petite et que son importance ne semble pas alors égaler celle de telle autre ville serait invoquer un argument insuffisant, trompeur, pour refuser de croire que l'expédition de Troie n'eut pas l'importance que les poètes et la tradition lui ont reconnue. Admettons que la ville des Lacédémoniens soit détruite et que subsistent seulement les temples et les fondations des constructions de toute sorte, la postérité, longtemps après, mettrait vivement en doute que la puissance des Lacédémoniens a égalé leur renommée. Pourtant ceux-ci, sur les cinq parties du Péloponnèse, en habitent deux ; ils commandent au Péloponnèse enter et à de nombreux alliés (9) au dehors ; néanmoins, comme leur ville n'est pas bâtie pour former un ensemble, comme elle ne montre ni temples ni constructions magnifiques, comme les habitants sont dispersés en bourgades selon l'antique habitude de l'Hellade, elle paraîtrait inférieure à sa réputation ; en revanche, si Athènes subissait le même sort, à en juger sur t'apparence, on lui attribuerait une puissance double de celle qu'elle a réellement. Il ne convient donc pas de se montrer sceptique ; c'est plutôt la puissance réelle des cités que leur aspect extérieur qu'il faut avoir en vue ; et il faut, tout en pensant que cette expédition a été plus importante que celles qui l'ont précédée, estimer qu'elle est inférieure à celles d'aujourd’hui. Si l'on doit ici encore accorder quelque confiance au poème d'Homère, que tout naturellement il a orné et embelli, en poète qu'il était, l'infériorité de cette expédition n'est pas moins visible. En effet, sur les douze cents vaisseaux il a représenté ceux des Béotiens comme portant cent vingt hommes et ceux de Philoctète cinquante ; il a voulu indiquer, à ce qu'il me semble, ce qu'étaient les plus grands et les plus petits ; aussi n'a-t-il pas fait mention dans le Catalogue de l'importance des autres. Parlant des vaisseaux de Philoctète, il a montré que tous les hommes étaient à la fois rameurs et combattants (10) ; car il a fait de tous ceux qui maniaient la rame des archers. Il n'est pas vraisemblable qu'il y ait eu beaucoup de passagers à proprement parler, en dehors des rois et de ceux qui occupaient des charges importantes ; d'autant plus que les Grecs devaient traverser la mer avec un matériel de guerre et qu'ils n'avaient pas de vaisseaux protégés (11), puisqu'ils étaient équipés comme ceux des anciens pirates. A envisager les plus grands et les plus petits navires et à faire la moyenne, cette expédition fut, semble-t-il, peu nombreuse, si l'on songe qu'elle fut envoyée en commun par la Grèce entière.

XI. - La raison en était moins la pénurie d'hommes que le manque de ressources. En effet, c'est par suite de la disette de ravitaillement que les Grecs emmenèrent une armée peu considérable et qui ne comportait que les troupes qu'ils pouvaient entretenir en combattant, même quand arrivés là-bas ils furent victorieux. Car il est évident qu'ils le furent ; autrement ils n'auraient pu défendre leur camp par un retranchement ; ils paraissent n'avoir pas utilisé toutes leurs forces et s'être adonnés faute de vivres à la culture en Chersonèse et au brigandage. Comme ils étaient dispersés, les Troyens leur résistèrent d'autant mieux pendant dix ans et purent tenir tête à la partie de l'armée qu'on laissait à tour de rôle pour faire le siège. S'ils eussent disposé d'un ravitaillement abondant, s'ils eussent pu rester groupés et mener sans arrêt la guerre, sans avoir à s'adonner à la culture et au brigandage, ils auraient pu facilement être victorieux dans le combat, puisqu'ils n'étaient pas toujours groupés et n'opposaient aux Troyens que les troupes présentes dans le camp. En assiégeant Troie, ils auraient pu prendre la ville en moins de temps et avec moins de peine. Ainsi, faute de ressources suffisantes, les expéditions antérieures à celles-là furent de peu d'importance et la guerre de Troie elle-même, la plus célèbre des expéditions d'autrefois, apparaît en réalité inférieure à ce qu'on en a dit et à la renommée qui lui a été faite par les poètes.

XII. - De plus, même après les événements de Troie, la Grèce connut des émigrations et reçut des colonies (12) ; elle manqua du calme nécessaire pour se développer. Le retour des Grecs qui traîna en longueur après la chute de Troie changea bien des choses ; il se produisit naturellement bien des révolutions ; par suite les citoyens exilés fondaient de nouvelles cités. C'est ainsi que les Béotiens, la soixantième année après la prise de Troie, furent chassés d'Arnè par les Thessaliens et colonisèrent la Béotie actuelle, appelée auparavant la Cadméide ; antérieurement, il y avait en ce pays un détachement de ce peuple qui envoya à Troie un contingent. Des Doriens, quatre-vingts ans après la prise de Troie, occupèrent avec les Héraclides le Péloponnèse ; la Grèce ne parvint que longtemps après et avec difficulté à un état de paix et de stabilité. C'est alors qu'elle envoya des colonies les Athéniens colonisèrent l'Ionie et la plupart des îles ; les Péloponnésiens fondèrent la plus grande parte des colonies d'Italie et de Sicile et quelques pays du reste de la Grèce. Toutes ces colonies sont postérieures aux événements de Troie.

XIII. - La Grèce était devenue plus puissante, les richesses plus nombreuses qu'auparavant ; c'est alors qu'avec l'augmentation des ressources, des tyrannies (13) s'établirent la plupart du temps ; auparavant il n'y avait que des royautés héréditaires jouissant de privilèges déterminés. C'est alors que la Grèce se mit à équiper des flottes (14) et que l'on s'adonna davantage à la marine. D'après la tradition, ce sont les Corinthiens qui les premiers construisirent les navires les plus semblables à ceux d'aujourd'hui ; les premières trières, en Grèce, furent construites à Corinthe ; et le Corinthien Ameinoclès construisit, comme on sait, quatre navires pour les Samiens ; il s'est écoulé environ trois cents ans jusqu'à la fin de cette guerre, depuis qu'Ameinoclès est venu à Samos. Le plus ancien combat naval que nous connaissions est celui des Corinthiens contre les Corcyréens ; en partant de la même date, il remonte à environ deux cent soixante ans. Les Corinthiens habitant une ville située sur l'isthme eurent de tout temps un port de commerce ; les Grecs d'alors aimaient mieux emprunter la voie de terre que la voie de mer et c'est par cet isthme que communiquaient ceux du Péloponnèse avec ceux du dehors. Les richesses de Corinthe étaient grandes, comme le montrent les anciens poètes, qui ont donné à cette ville le surnom d'opulente. Quand les Grecs naviguèrent plus volontiers, les Corinthiens armèrent des navires et firent disparaître la piraterie. Disposant d'une place de commerce par terre et par mer, leur ville devint puissante par l'abondance de ses revenus.  Les Ioniens, beaucoup plus tard, créèrent leur marine sous Cyrus, premier roi des Perses, et sous Cambyse, son fils ; dans leur lutte contre Cyrus, ils dominèrent quelque temps sur la mer qui les avoisine. Polycrate, tyran de Samos au temps de Cyrus, possédant une forte marine, soumit à sa domination quelques îles, en particulier l'île de Rhénie, qu'il consacra à Apollon Délien. Les Phocéens, fondateurs de Marseille, vainquirent dans un combat naval les Carthaginois (15).

XIV. - Telles étaient les plus puissantes marines. Il est évident qu'elles furent fondées plusieurs générations après la guerre de Troie ; qu'elles n'utilisaient qu'un petit nombre de trières ; qu'elles étaient composées de pentécontères et de vaisseaux longs (16). Peu de temps avant les guerres médiques et la mort de Darius, qui régna sur la Perse après Cambyse, les tyrans de Sicile et les Corcyréens possédaient un nombre considérable de trières. Telles furent, en dernier lieu, avant l'expédition de Xerxès, les marnes importantes de la Grèce. Car les Eginètes et les Athéniens et quelques autres peuples ne possédaient qu'un nombre restreint de vaisseaux, et encore la plupart des pentécontères. Ce fut même tardivement, quand Thémistocle les en eut persuadés, que les Athéniens, en guerre contre les Eginètes et sous la menace des Barbares, construisirent des navires, avec lesquels ils combattirent et encore n'étaient-ils pas entièrement pontés.

XV. - Telles étaient les anciennes marines des Grecs et celles qui furent construites postérieurement. Aussi les peuples qui s'appliquèrent aux choses de la mer acquirent une puissance considérable par les rentrées d'argent et la domination sur d'autres peuples. En effet, avec leurs flottes, ils se soumettaient les îles, particulièrement ceux dont le territoire était insuffisant. Mais sur terre, il ne se produisit aucune guerre, qui pût donner lieu à un accroissement de puissance ; toutes les guerres, quelles qu'elles fussent, n'avaient lieu qu'entre voisins. Pendant longtemps, les Grecs n'envoyèrent pas d'expéditions hors de leurs frontières pour se soumettre d'autres peuples. On ne voyait pas encore des cités moins puissantes alliées aux plus puissantes et soumises à elles ; elles ne s'alliaient pas non plus, sur un pied d'égalité, pour des expéditions en commun. C'étaient plutôt des guerres de voisins à voisins que chaque peuple entreprenait pour son compte (17). Ce fut principalement dans la guerre qui eut lieu entre les habitants de Chalcis et ceux d'Érétrie que le reste des Grecs se partagea en deux camps rivaux.

XVI. - D'autres cités virent surgir d'autres obstacles à leur agrandissement. Quand les Ioniens eurent développé leur puissance, Cyrus avec les forces perses abattit Crésus dans une expédition qui soumit tout le pays entre le fleuve Halys et la mer ; il asservit les villes du continent ; par la suite Darius, fort de la marine phénicienne, asservit aussi les îles.

XVII. - Tous les tyrans des cités grecques n'avaient en vue que leur intérêt personnel, le souci de leur sauvegarde et celui d'accroître tranquillement et le plus possible leur propre maison ; ils habitaient de préférence les villes ; rien de mémorable ne fut accompli par eux, sinon quelques expéditions contre leurs voisins ; quant aux tyrans de Sicile ils avaient acquis une puissance considérable (18). Ainsi la Grèce, pendant longtemps, ne put rien entreprendre de remarquable en commun et chaque ville était dépourvue d'esprit d'initiative.

XVIII. - Finalement les tyrans furent chassés par les Lacédémoniens et d'Athènes et de la plupart des cités grecques, sauf de Sicile ; la Grèce en effet a été longtemps et presque partout soumise aux tyrans (19). Lacédémone, après avoir été fondée par les Doriens qui l'habitent encore, fut plus longtemps qu'aucune cité exposée à des séditions ; néanmoins elle fut régie par d'excellentes lois dès une haute antiquité et ne connut jamais la tyrannie ; à compter à partir de la fin de la présente guerre, il y a environ quatre cents ans et un peu plus que les Lacédémoniens sont soumis au même régime ; c'est lui qui a fait leur force et les a poussés à intervenir dans les autres cités. Peu de temps après que les tyrans eurent été chassés de Grèce eut lieu la bataille de Marathon entre les Mèdes et les Athéniens ; dix ans après, les Barbares qui voulaient asservir la Grèce lancèrent contre elle une grande expédition ; devant l'imminence et l'importance du danger les Lacédémoniens, dont la puissance était grande, furent mis à la tête des Grecs coalisés. Les Athéniens, devant l'invasion des Mèdes, décidèrent d'abandonner leur ville et prenant ce qu'ils pouvaient emporter s'embarquèrent et devinrent ainsi gens de mer. Peu après avoir repoussé ensemble le Barbare, ils prirent le parti, les uns des Athéniens, les autres celui des Lacédémoniens, aussi bien ceux qui s'étaient révoltés contre le Grand Roi que ceux qui avaient combattu avec lui ; car Athènes et Lacédémone étaient les plus grandes puissances, l'une sur terre, l'autre sur mer. Pendant quelque temps, leur alliance subsista. Puis Lacédémoniens et Athéniens se brouillèrent et, aidés de leurs alliés, se firent la guerre. Survenait-il une brouille chez les autres Grecs, ils passaient dans un camp ou dans l'autre. Ainsi, depuis les guerres médiques, sans interruption jusqu'à la guerre du Péloponnèse, tantôt en paix, tantôt en guerre entre eux ou avec leurs alliés révoltés, ils acquirent la pratique de la guerre et firent leur apprentissage au milieu des dangers.

XlX. - Les Lacédémoniens n'imposaient pas de tributs à leurs alliés ; mais ils avaient soin, dans leur propre intérêt, qu'ils se gouvernassent selon les principes oligarchiques. Les Athéniens, avec le temps, exigèrent des navres de toutes les cités, sauf de Chios et de Lesbos (20), et imposèrent à tous un tribut en argent. Et au moment de la guerre du Péloponnèse, les uns et les autres avaient un matériel plus important qu'à l'époque même où ils étaient les plus puissants avec l'aide de leurs alliés.

XX. - Tel était, d'après mes recherches, l'antique état de la Grèce. Car il est difficile d'accorder créance aux documents dans leur ensemble. Les hommes acceptent sans examen les récits des faits passés, même ceux qui concernent leur pays. Ainsi la majorité des Athéniens s'imagine que c'est Hipparque, qui, parce qu'il était au pouvoir, a péri sous les coups d'Harmodios et d'Aristogiton ; ils ignorent que c'est Hippias, l’aîné des fils de Pisistrate, qui était à la tête du gouvernement ; Hipparque et Thessalos étaient ses frères. Le jour proposé pour le meurtre et au moment même d'agir, Harmodios et Aristogiton soupçonnèrent que quelques-uns des conjurés avaient prévenu Hippias ; aussi ne l'attaquèrent-ils pas, puisqu'ils le supposaient averti ; mais ne voulant pas être pris sans avoir rien fait, ils tuèrent Hipparque, qu'ils avaient rencontré près du temple du Léocorion (21), au moment où il organisait la procession des Panathénées. Sur bien d'autres questions contemporaines, je dis bien sur des questions que le temps n'a pu faire oublier, le reste de la Grèce n'a pas d'idées exactes : on s'imagine que les rois de Sparte disposent de deux et non d'un seul suffrage ; qu'ils ont à leur disposition un corps de troupes formé de la tribu de Pitanè ; ce qui n'a jamais eu lieu. On voit avec quelle négligence la plupart des gens recherchent la vérité et comment ils accueillent les premières informations venues (22).

XXI. - D'après les indices que j'ai signalés, on ne se trompera pas en jugeant les faits tels à peu près que je les ai rapportés. On n'accordera pas la confiance aux poètes, qui amplifient les événements, ni aux Logographes (23) qui, plus pour charmer les oreilles que pour servir la vérité, rassemblent des faits impossibles à vérifier rigoureusement et aboutissent finalement pour la plupart à un récit incroyable et merveilleux. On doit penser que mes informations proviennent des sources les plus sûres et présentent, étant donné leur antiquité, une certitude suffisante. Les hommes engagés dans la guerre jugent toujours la guerre qu'ils font la plus importante, et quand ils ont déposé les armes, leur admiration va davantage aux exploits d'autrefois ; néanmoins, à envisager les faits, cette guerre-ci apparaîtra la plus grande de toutes.

XXII. - Pour ce qui est des discours tenus par chacun des belligérants, soit avant d'engager la guerre, soit quand celle-ci était déjà commencée, il m'était aussi difficile de rapporter avec exactitude les paroles qui ont été prononcées, tant celles que j'ai entendues moi-même, que celles que l'on m'a rapportées de divers côtés. Comme il m'a semblé que les orateurs devaient parler pour dire ce qui était le plus à propos, eu égard aux circonstances, je me suis efforcé de restituer le plus exactement possible la pensée complète des paroles exactement prononcées. Quant aux événements de la guerre, je n'ai pas jugé bon de les rapporter sur la foi du premier venu, ni d'après mon opinion ; je n'ai écrit que ce dont j'avais été témoin ou pour le reste ce que je savais par des informations aussi exactes que possible. Cette recherche n'allait pas sans peine, parce que ceux qui ont assisté aux événements ne les rapportaient pas de la même manière et parlaient selon les intérêts de leur parti ou selon leurs souvenirs variables. L'absence de merveilleux dans mes récits les rendra peut-être moins agréables à entendre. Il me suffira que ceux qui veulent voir clair dans les faits passés et, par conséquent, aussi dans les faits analogues que l'avenir selon la loi des choses humaines ne peut manquer de ramener, jugent utile mon histoire. C'est une oeuvre d'un profit solide et durable plutôt qu'un morceau d'apparat (24) composé pour une satisfaction d'un instant.

XXIII. -Le plus important parmi les événements qui précèdent, fut la guerre contre les Mèdes ; elle eut néanmoins une solution rapide en deux combats sur mer et deux combats sur terre (25). Mais la longueur de la présente guerre fut considérable ; au cours de cette guerre des malheurs fondirent sur la Grèce en une proportion jusque-là inconnue. Jamais tant de villes ne furent prises et détruites, les unes par les Barbares, les autres par les Grecs mêmes en lutte les uns contre les autres, quelques unes furent prises et changèrent d'habitants ; jamais tant de gens ne furent exilés ; jamais tant de meurtres, les uns causés par la guerre, les autres par les révolutions. Des malheurs dont on faisait le récit, mais qui n'étaient que bien rarement confirmés par les faits, devinrent croyables : des tremblements de terre qui ravagèrent la plus grande partie de la terre et les plus violents qu'on eût vus ; des éclipses de soleil plus nombreuses que celles qu'on avait enregistrées jusque-là ; parfois des sécheresses terribles et par suite aussi des famines et surtout cette terrible peste qui atteignit et fit périr une partie des Grecs. Tous ces maux, en même temps que la guerre, fondirent à la fois sur la Grèce (26). Elle commença quand Athéniens et Péloponnésiens rompirent la trêve de Trente Ans qu'ils avaient conclue après la prise de l'Eubée. J'ai commencé par écrire les causes de cette rupture et les différends qui l'amenèrent, pour qu'un jour on ne se demande pas d'où provint une pareille guerre. La cause véritable, mais non avouée, en fut, à mon avis, la puissance à laquelle les Athéniens étaient parvenus et la crainte qu'ils inspiraient aux Lacédémoniens qui contraignirent ceux-ci à la guerre (27). Les causes qu'on invoqua des deux côtés pour rompre la trêve et commencer les hostilités furent les suivantes :

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Affaire d’Épidamne, colonie de Corcyre, qui amène cette dernière à demander l’aide d’Athènes contre Corinthe qui a pris le parti d’Épidamne.

XXIV. - Épidamne est une ville qu'on trouve à main droite quand on entre dans la mer Adriatique. Elle touche au pays des Taulausiens barbares de race illyrique ; elle fut fondée par des colons de Corcyre et son fondateur fut Phalios (28), fils d'Eratoclide, Corinthien de race, descendant d'Héraclès, que suivant l'antique usage on avait appelé de la métropole. A la fondation d'Épidamne participèrent des Corinthiens et d'autres gens d'origine dorienne. Avec le temps, la ville devint puissante et peuplée ; mais des révolutions intérieures s'y produisirent pendant de longues années et, à la suite d'une guerre contre les Barbares du voisinage, les habitants périrent et perdirent une partie de leur puissance. Enfin avant la guerre du Péloponnèse le parti démocratique d'Épidamne exila les aristocrates. Ceux-ci revinrent avec les Barbares et commirent sur terre et sur mer des actes de brigandage contre ceux qui étaient demeurés dans la ville (29). Ces derniers se voyant opprimés envoyèrent à Corcyre, leur métropole, une ambassade ; ils demandaient aux Corcyréens de ne pas les lasser périr sans secours, de se joindre aux exilés et de mettre fin à la guerre des Barbares. Voilà la prière qu'ils leur adressèrent, assis en suppliants dans le temple d'Hera (30). Mais les Corcyréens ne prirent pas en grâce leurs supplications et les renvoyèrent sans rien leur accorder.

XXV. - Les Epidamniens, voyant qu'ils n'avaient aucun secours à attendre de Corcyre, ne savaient comment sortir de cette situation. Ils envoyèrent à Delphes demander au dieu s'ils devaient remettre la ville aux Corinthiens, qui en étaient les fondateurs, et tâcher d'obtenir d'eux quelque assistance. Le dieu leur répandit de remettre la ville aux Corinthiens et de se placer sous leur commandement. Les Epidamniens obéirent donc à l'oracle, se rendirent à Corinthe, lui remirent la colonie ; ils rappelèrent aux Corinthiens que le fondateur d'Épidamne était corinthien et, leur communiquant l'oracle, ils les supplièrent de ne pas les laisser périr sans secours et de leur venir en aide. Les Corinthiens, eu égard à la justice de la cause des Epidamniens (31), promirent assistance : de plus, ils estimaient que la colonie leur appartenait tout autant qu'aux Corcyréens, qu'ils détestaient ; ceux-ci, quoique étant leurs colons, ne s'acquittaient pas de leurs devoirs envers eux ; dans les cérémonies publiques, les Corcyréens ne leur accordaient pas les marques d'honneur traditionnelles ; dans les sacrifices ils n'offraient pas les prémices à un citoyen de Corinthe, comme le faisaient les autres colonies. Ils dédaignaient leur métropole, car à cette époque leurs richesses les avaient mis sur le même plan que les plus riches cités de la Grèce ; leur matériel de guerre les rendait plus puissants qu'eux ; ils se vantaient parfois de leur supériorité navale, et du fait que les Phéaciens, qui avaient habité l'île de Corcyre avant eux, étaient réputés par leur marine ; aussi s'appliquaient-ils de plus en plus à la navigation qui était très développée chez eux : ils avaient en effet cent vingt navires, lorsqu'ils commencèrent la guerre.  

XXVI. - Tels étaient dans l'ensemble les griefs des Corinthiens ; aussi envoyèrent-ils volontiers des secours à Épidamne ; ils invitèrent ceux d'entre eux qui le voudraient à y aller comme habitants et envoyèrent une garnison composée de citoyens d'Ambracie, de Leucas et de Corinthe même. Les troupes s'avancèrent par terre dans la direction d'Apollonia, colonie de Corinthe ; elles craignaient qu'en prenant la voie de mer les Corcyréens ne leur coupassent le passage. A la nouvelle que colons et garnison étaient arrivés à Épidamne et que la colonie s'était livrée à Corinthe, les Corcyréens s'irritèrent ; aussitôt ils firent voile avec vingt-cinq vaisseaux, bientôt suivis d'une autre flotte, menacèrent les Epidamniens de recevoir les exilés d'Épidamne (32). Ceux-ci étaient venus à Corcyre, montrant les tombeaux de leurs ancêtres et, se prévalant de leur origine commune, conjuraient les Corcyréens de les laisser rentrer dans leur patrie. Les Corcyréens demandaient également aux Epidamniens de renvoyer la garnison et les colons venus de Corinthe. Les Epidamniens ne firent droit à aucune de ces demandes. Quarante vaisseaux de Corcyre qui avaient pris un renfort d'Illyriens allèrent attaquer Épidamne pour rétablir les exilés. Les Corcyréens campèrent devant la ville et firent proclamer que les Epidamniens et les étrangers qui le voudraient pourraient quitter la ville sans subir aucun mal ; sinon, ils seraient traités en ennemis. Les Epidamniens refusèrent ; alors les Corcyréens assiégèrent la ville qui est bâtie sur un isthme.  

XXVII. - Les Corinthiens à la nouvelle du siège d'Épidamne préparèrent une expédition ; ils firent proclamer qu'une colonie serait dirigée sur Épidamne ; et que les partants auraient l'égalité des droits. Ceux qui ne voulaient pas partir immédiatement, tout en participant à la colonie, pouvaient rester à Corinthe en déposant cinquante drachmes corinthiennes. Nombreux furent ceux qui s'embarquèrent, nombreux ceux qui consignèrent de l'argent (33). On demanda aux Mégariens de fournir des vaisseaux, dans la crainte que les Corcyréens n'empêchassent l'expédition. Ceux-ci se préparèrent à envoyer huit vaisseaux et les Paliens de Céphallénie quatre. Ils en demandèrent aux Épidauriens ; ceux-ci en fournirent cinq, les Hermtoniens un, les Trézéniens deux : les Leucadiens dix et les Ambraciotes huit. On demanda de l'argent aux Thébains et aux Phliasiens, tandis qu'aux Éléens on demandait des vaisseaux vides (34) et de l'argent. Les Corinthiens eux-mêmes équipèrent trente vaisseaux et trois mille hoplites (35).  

XXVIII. - A l'annonce de ces préparatifs les Corcyréens vinrent à Corinthe avec des ambassadeurs de Lacédéritone et de Sicyione, qu'ils avaient pris avec eux ; ils enjoignirent aux Corinthiens de retirer la garnison et les colons d'Épidamne, sous prétexte qu'ils n'avaient aucun droit sur cette ville ; si ceux-ci avaient des revendications à faire valoir, ils consentaient à soumettre la question aux villes du Péloponnèse, qu'on désignerait d'un commun accord ; ceux à qui il serait reconnu qu'appartenait la colonie en resteraient les maîtres ; ils consentaient aussi à s'en remettre à l'oracle de Delphes, tellement ils voulaient éviter la guerre. Sinon, disaient-ils, puisqu'on leur faisait violence, ils seraient obligés de chercher des alliés qu'ils ne souhaitaient pas autres que ceux qu'ils avaient actuellement. Les Corinthiens leur répondirent que s'ils retiraient les vaisseaux et les Barbares qui étaient devant Epidarmne, ils consentaient à délibérer ; mais qu'en attendant il n'était pas juste qu'on fit d'un côté le siège et qu'on acceptât en même temps un arbitrage (36). Les Corcyréens apostèrent que, si les Corinthiens retiraient les troupes d'Épidamne, ils consentaient à ces propositions ; ils étaient prêts, à condition que des deux côtés on restât sur ses positions, à faire une trêve jusqu'au jugement des arbitres.  

XXIX. - Les Corinthiens n'écoutèrent aucune de ces propositions ; quand les vaisseaux furent équipés et les alliés arrivés, ils commencèrent par envoyer un héraut pour signifier la guerre aux Corcyréens ; puis, avec soixante-quinze vaisseaux et deux mille hoplites (37), ils mirent le cap sur Épidamne pour livrer bataille aux Corcyréens ; l'armée de mer était commandée par Aristeus fils de Pellichos, Calhcratès fils de Callias et Timanor, fils de Timanthès ; l'armée de terre était commandée par Archétimos fils d'Eurytimos et Isarchidas fils d'Isarchos ; arrivés près d'Actium, sur le territoire d'Anactorion, où se trouve le temple d'Apollon, à l'entrée du golfe d'Ambracie, ils virent venir à leur rencontre monté sur une barque un héraut de Corcyre (38) ; celui-ci leur défendit d'avancer contre eux ; en même temps les Corcyréens équipaient leur flotte, consolidaient de baux neufs les vieux vaisseaux pour les mettre en état de tenir la mer et armaient les autres. Le héraut leur rapporta que les Corinthiens ne consentaient à aucune mesure pacifique ; quand leurs vaisseaux au nombre de quatre-vingts furent équipés (ils en avaient quarante autres au siège d'Épidamne) ils s'avancèrent et les disposèrent pour la bataille. Les Corcyréens remportèrent une grande victoire et détruisirent quinze vaisseaux corinthiens. Le même jour ceux qui assiégeaient Épidamne, en s'emparant de la ville convinrent de vendre les étrangers et de mettre aux fers les Corinthiens, en attendant qu'on fixât leur sort.  

XXX. - Après le combat naval, les Corcyréens élevèrent un trophée à Leucimnè, promontoire de Corcyre, et mirent à mort les prisonniers qu'ils avaient faits, à l'exception des Corinthiens qui furent mis aux fers (39). Les Corinthiens vaincus et leurs alliés s'étant retirés, les Corcyréens restèrent maîtres de la mer dans ces parages, firent vole vers Leucas, colonie de Corinthe, et ravagèrent une parte de son territoire ; ils brûlèrent Cytlénè, port de radoub des Eléens, pour se venger de ceux-ci qui avaient fourni des vaisseaux et de l'argent aux Corinthiens. La plupart du temps, après la bataille navale, ils demeurèrent maîtres de la mer et, abordant chez les alliés des Corinthiens, ils y commirent des dégâts. Enfin vers la fin de l'été, les Corinthiens, voyant leurs alliés dans une situation critique, envoyèrent des vaisseaux et une armée ; ils campèrent près d'Actium et à Cheimérion de Thesprotide, pour défendre Leucas et les autres villes qui leur étaient dévouées. Les Corcyréens envoyèrent contre eux une flotte et une armée, qui vint s'établir à Leucimnè ; mais il n'y eut aucune rencontre sur mer ; ils passèrent l'été chacun dans leur camp et avec l'hiver ils se retirèrent tous chez eux. 

XXXI. - Pendant tout le reste de l'année qui suivit le combat naval et l'année suivante, les Corinthiens, irrités de la guerre contre les Corcyréens, construisirent des vaisseaux et consacrèrent tous leurs efforts à équiper une flotte ; ils rassemblèrent des rameurs provenant du Péloponnèse même et du reste de la Grèce, auxquels ils promettaient une solde. A l'annonce de leurs préparatifs les Corcyréens prirent peur ; ils n'étaient liés par traité avec aucun peuple de Grèce et ils n'avaient conclu aucune convention (40) ni avec les Athéniens, ni avec les Lacédémoniens. Aussi décidèrent-ils d'aller trouver les Athéniens pour obtenir leur alliance et tâcher de trouver auprès d'eux quelque secours. A cette nouvelle, les Corinthiens eux aussi vinrent à Athènes ; ils voulaient éviter que la flotte athénienne ne s'unît à la flotte corcyréenne et que les forces combinées ne les empêchassent de mener la guerre comme ils l'entendaient. L'assemblée fut constituée et ils parlèrent contradictoirement. Voici ce que dirent les Corcyréens : 

XXXII. - « Il est juste, Athéniens, que des gens qui ne vous ont rendu aucun service important et ne sont pas vos alliés, en venant demander de l'aide à autrui, comme nous le faisons maintenant, montrent en premier lieu que leur demande est avantageuse, ou tout au moins n'est pas nuisible ; ensuite que leur reconnaissance sera certaine. S'ils n'établissent pas nettement chacun de ces points, ils ne doivent pas s'irriter en cas d'échec. Les Corcyréens nous ont envoyés vous demander votre alliance, avec la ferme conviction de vous fournir des raisons solides. Car il se trouve que dans notre nécessité actuelle, la conduite que nous avons tenue à votre égard, pour avoir été inconsidérée, s'avère maintenant défavorable. Nous qui, jusqu'à présent, par notre volonté n'avons été les alliés de personne, nous venons maintenant vous demander votre alliance ; c'est précisément ce qui a causé notre isolement dans la présente guerre contre les Corinthiens. Ainsi notre prétendue sagesse d'autrefois, qui nous interdisait d'entrer dans l'alliance d'un autre peuple et de nous associer aux desseins d'autrui, nous paraît maintenant impuissance et faiblesse. Dans le combat naval avec les Corinthiens, nous les avons nous-mêmes repoussés par nos propres forces, mais maintenant qu'ils se disposent à nous attaquer avec des forces plus considérables, rassemblées du Péloponnèse et du reste de la Grèce, nous voyons que nous sommes dans l'impossibilité de vaincre avec nos seuls moyens et que le péril est immense pour nous, si nous succombons. Aussi sommes-nous contraints à vous demander du secours, ainsi qu'à tout autre peuple ; et vous devez nous pardonner, si nous renonçons à notre inaction d'autrefois qui fut inspirée moins par mauvais vouloir que par erreur de jugement.  

XXXIII. - « La circonstance qui nous fait solliciter votre appui vous sera avantageuse sur bien des points ; tout d'abord vous accorderez de l'aide à un peuple injustement traité et qui ne fait tort à personne ; ensuite, en accueillant des gens qui sont très gravement menacés, par ce bienfait inoubliable vous mériterez ta plus vive des reconnaissances. De plus nous possédons une marine, qui n'est inférieure qu'à la vôtre. Examinez aussi s'il est un avantage plus rare et plus redoutable pour les ennemis, que de voir une puissance dont vous estimerez devoir acheter l'alliance au prix de riches trésors et d'une vive reconnaissance, venir s'offrir d'elle-même à vous de son plein gré, se remettre en vos mains, sans risques et sans frais, et vous apporter en outre l'estime publique ; ceux que vous défendrez vous en auront de la reconnaissance ; vous-mêmes en tirerez une augmentation de votre puissance. Voilà des avantages qui, en tout temps, ont été rarement réunis ; il est peu ordinaire que des gens qui sollicitent du secours apportent à ceux qu'ils appellent à leur aide autant de sécurité et d'éclat qu'ils en doivent recevoir (41), Croire que la guerre où nous pourrions vous être utiles n'aura pas lieu, c'est se tromper : c'est ne pas s'apercevoir que les Lacédémoniens feront la guerre précisément parce qu'ils vous redoutent ; que les Corinthiens sont puissants auprès d'eux et sont vos ennemis ; qu'ils commenceront par nous attaquer, pour se porter ensuite contre vous, car ils craignent dans leur haine commune que nous ne nous unissions contre eux et ils veulent atteindre l'un ou l'autre de ces objectifs : ou nous nuire ou se fortifier eux-mêmes. Il nous faut les devancer : vous en nous accordant votre alliance, nous en la sollicitant ; et mieux vaut prévenir leurs attaques que d'avoir à y riposter.  

XXXIV. - « S'ils disent qu'il n'est pas juste que vous accueilliez les colons des Corinthiens, qu'ils sachent que toute colonie, lorsqu'elle est bien traitée, honore sa métropole ; mais que mal traitée, elle s'en éloigne. Car si des colons émigrent, ce n'est pas pour être les esclaves, mais les égaux des gens de la métropole. Qu'ils nous aient traités injustement, la chose est évidente quand nous leur avons offert un arbitrage pour l'affaire d'Épidamne, ils ont mieux aimé obtenir le règlement de leurs griefs par les armes que par les moyens légaux. Que leur conduite envers nous qui sommes leurs parents vous serve de leçon : ne vous lassez pas tromper par eux, ne cédez pas immédiatement à leurs prières. Car c'est en évitant de se créer des regrets pour avoir servi ses ennemis qu'on vit avec le moins de dangers. 

XXXV. - « En nous accueillant vous ne romprez pas le traité conclu avec les Lacédémoniens, puisque nous ne sommes les alliés ni des uns ni des autres. Car il est spécifié dans le traité qu'une ville grecque qui n'est l'alliée de personne peut s'unir à ceux à qui il lui plaira et il serait révoltant qu'eux-mêmes pussent équiper leurs vaisseaux non seulement avec les gens compris dans le traité, mais encore avec d'autres pris dans le reste de la Grèce, et même avec vos sujets, alors qu'ils nous empêcheraient d'entrer dans l'alliance dont il s'agit et de recevoir d'où que ce fût du secours ; et ils nous feraient un crime d'obtenir de vous ce dont nous avons besoin ! C'est nous qui aurons de bien plus graves griefs, si nous ne l'obtenons pas ! Est-il possible que vous nous repoussiez, quand nous sommes en danger, nous qui ne sommes pas vos ennemis ? Non seulement vous ne vous opposerez pas à ceux qui sont vos ennemis et qui déjà s'avancent, mais de plus vous les laisseriez sans protester accroître leurs forces même sur les pays qui vous sont soumis ; ce serait bien injuste ! Il faut ou les empêcher de tirer des mercenaires de chez vous, ou nous envoyer du secours dans la mesure du possible, et surtout nous admettre dans votre alliance et nous secourir ouvertement. Nous vous l'avons dit dès le début, nombreux sont les avantages que nous vous indiquons le plus grand, le plus propre à vous décider, c'est que nos ennemis sont les mêmes (42), qu'ils sont forts et capables de nuire à ceux qui se détacheront d'eux. C'est une alliance avec une puissance maritime et non avec une puissance continentale qui vous est offerte ; la refuser vous causerait une perte bien plus grande. L'essentiel pour vous est de ne laisser personne acquérir une marine ; sinon, d'avoir, si vous le pouvez, l'amitié du peuple le plus puissant sur mer.  

XXXVI. - « Que celui qui reconnaît la justesse de ces arguments, mais craint en se lassant convaincre de rompre la trêve, sache que la peur qu'il inspire, appuyée sur la force, effrayera davantage les ennemis, tandis que la sécurité que son refus lui donnera, dénuée de cette force, inspirera moins de crainte à de puissants ennemis. II faut savoir que c'est davantage sur le sort d'Athènes que sur celui de Corcyre que porte la présente délibération ; et c'est ne pas prendre le meilleur parti, si vous ne considérez que le présent, quand il s'agit d'une guerre prochaine et presque commencée et si vous hésitez à vous ranger aux côtés d'une ville dont la situation et l'inimitié sont peur vous de la plus grande importance. Son emplacement est des plus avantageux pour qui se rend en Italie et en Sicile ; elle peut empêcher une flotte d'aller de ces pays dans le Péloponnèse et interdire le passage du Péloponnèse dans ces contrées. Sur les autres points elle présente de très grands avantages. Bref, à envisager la question tant dans l'ensemble que dans les détails, sachez pour la raison suivante ne pas nous abandonner : il y a chez les Grecs trois marines importantes : la vôtre, la nôtre et celle des Corinthiens ; si vous laissez se joindre les deux dernières, si les Corinthiens tombent sur nous à l'improviste, vous aurez à combattre à la fois contre les Corcyréens et les Péloponnésiens. Mais si vous nous accueillez, vous pourrez les combattre avec des vaisseaux plus nombreux grâce aux nôtres. » Telles furent les paroles des Corcyréens. Les Corinthiens à leur tour parlèrent ainsi :  

XXXVII. - « Puisque ces gens de Corcyre ne se sont pas contentés dans leur discours de demander votre alliance ; puisqu'ils ont déclaré qu'ils étaient victimes de notre injustice et que c'est à tort que nous leur faisons la guerre, il nous faut d'abord répondre à ces deux griefs ; il nous faut ensuite poursuivre notre discours, afin que vous connaissiez plus sûrement le bien-fondé de notre demande et que vous ne repoussiez pas sans bonnes raisons les prières auxquelles sont réduits les Corcyréens. C'est par sagesse, prétendent-ils, qu'ils n'ont encore accepté l'alliance de personne ; mais c'est par scélératesse et non par vertu qu'ils ont gardé cette attitude ; ils ne voulaient avoir aucun allié, ni aucun témoin de leurs injustices ; ils ne voulaient pas non plus s'abaisser à demander l'aide d'autrui. En même temps, la situation indépendante de leur ville leur permet d'être les arbitres de ceux qu'ils maltraitent, aussi refusent-ils d'avoir envers eux à se conformer à des traités, car ils naviguent très peu chez les autres, tandis que les autres sont forcés de venir aborder chez eux. Voilà l'explication de ce bel isolement dont ils se font gloire ; ce n'est pas pour éviter de commettre des injustices avec d'autres, mais pour en commettre seuls ; ils veulent, quand ils sont forts, exercer la violence, tirer des avantages en secret, et se montrer impudents quand ils ont exercé leurs rapines. S'ils étaient d'honnêtes gens, comme ils le prétendent, plus ils sont à l'abri des attaques, plus il leur serait possible de montrer leur vertu en recourant à la justice dans leurs différends avec autrui.  

XXXVIII. - « Mais ils sont loin de se comporter ainsi envers les autres et envers nous-mêmes. Quoiqu'ils soient nos colons, ils ont fait défection en toute circonstance et maintenant ils nous font la guerre, sous prétexte qu'ils n'ont pas été envoyés en colonie pour subir l'injustice. De notre côté nous ripostons que nous n'avons pas fondé leur colonie pour être insultés par eux, mais pour être leurs chefs et recevoir d'eux les hommages ordinaires. Nos autres colonies nous honorent ; bien plus, elles nous aiment. Il serait étrange, que, plaisant à la plupart d'entre elles, nous déplaisions à eux seuls. Nous aurons mauvaise grâce à venir les attaquer, si l'offense n'avait pas dépassé la mesure ; même si nous avions des torts, il serait convenable pour eux de céder à notre ressentiment et il serait honteux pour nous d'opposer la violence à leur modération. Mais leur insolence et la licence que leur donnent leurs richesses leur ont fait commettre bien des fautes à notre égard, entre autres celle-ci : quand Épidamne, notre colonie, était dans le malheur, ils ne la revendiquaient pas ; mais quand nous sommes venus à son secours, ils l'ont prise de force et veulent la garder.  

XXXIX. - Ils prétendent aussi qu'ils ont consenti tout d'abord à accepter le jugement des arbitres ; mais quand on fait appel à l'arbitrage, il ne faut pas commencer par assurer sa supériorité et sa sûreté, il faut avoir mis d'accord, avant d'entamer le procès, ses actes avec ses paroles. Ce n'est pas avant d'assiéger Épidamne qu'ils ont fait cette offre spécieuse d'un arbitrage, mais quand ils ont pensé que nous ne resterions pas indifférents à cet affront. Coupables de cette première faute, ils viennent ici vous demander encore, non pas votre alliance, mais votre complicité et vous supplier de les accueillir, quand ils se sont déjà séparés de nous. C'est quand ils n'avaient rien à redouter, qu'ils auraient dû venir et non au moment où nous sommes victimes de leurs injustices et où ils sont en danger. Vous qui n'avez eu jadis aucune part à leur puissance, vous ne leur accorderez pas maintenant votre secours ; vous qui n'avez pas participé à leurs fautes, vous ne vous rendrez pas leurs complices à nos yeux ; non, il eût fallu que vous ayez partagé depuis longtemps leur puissance pour avoir le droit aujourd'hui d'être associés aux conséquences.  

XL. - « Que les griefs que nous apportons ici sont fondés, que ces gens -là sont coupables de violence et de cupidité, la preuve est faite. Aussi faut-il comprendre que vous ne sauriez les accueillir justement. Car s'il est spécifié dans le traité que chacune des cités qui n'y figurent pas peut se ranger au parti qui lui plaît, cette clause ne s 'applique pas à celles qui veulent nuire aux autres, maïs à celles qui, ne refusant pas l'autorité d'autrui, ont besoin d'assurer leur défense, et à celles qui plus sages n'apportent pas à qui les accueille la guerre au lieu de la paix. C'est ce qui vous arriverait, si nous ne parvenions pas à vous persuader ; vous ne deviendriez pas seulement leurs auxiliaires, loin d'être nos alliés, vous deviendrez nos ennemis ; car si vous prenez leur parti, nécessairement c'est avec vous qu'ils se défendront contre nous. Aussi l'attitude la plus juste pour vous est de vous tenir en dehors des deux parts ; sinon, c'est plutôt de venir avec nous. Car vous êtes liés par un traité avec les Corinthiens et vous n'avez même jamais conclu de trêve (43) avec les Corcyréens. Vous ne sauriez établir la loi d'accueillir ceux qui se rebellent. Nous-mêmes, quand les Samiens se révoltèrent, quand les Péloponnésiens se trouvèrent divisés sur la question de savoir s'il fallait leur porter secours, nous n'avons pas voté contre vous ; nous avons été d'avis que chacun châtiât ses propres alliés. Si vous accueillez, si vous secourez des coupables, on verra autant de vos sujets recourir à notre protection et votre loi tournera plus à votre désavantage qu'au nôtre.  

XLI. - « Tels sont les droits que nous avons envers vous ils sont conformes aux lois de la Grèce ; d'autre part, nous avons un juste titre à votre bienveillance. Comme nous ne sommes ni assez vos ennemis pour vous nuire, ni assez vos amis pour abuser de la situation, nous prétendons qu'il faut nous payer de réciprocité. Avant les guerres médiques dans votre lutte contre les Eginètes, au moment où vous manquiez de vaisseaux longs, vous en avez obtenu vingt des Corinthiens. Ce service et celui que nous vous avons rendu contre les Samiens, en empêchant les Péloponnésiens de venir à leur secours, vous ont permis de vaincre les Eginètes et de châtier les Samiens : et cela dans des circonstances, où les hommes marchant contre leurs ennemis négligent toute autre considération que celle de la victoire ; où ils comptent parmi leurs amis ceux qui les servent, eussent-ils été autrefois leurs ennemis, et comme ennemis ceux qui s'opposent à leurs desseins, même s'ils se trouvent être leurs amis, tant ils sacrifient jusqu'à leurs propres intérêts pour satisfaire à la passion de vaincre du moment.  

XLII. - « Réfléchissez bien à ces faits ; que les jeunes gens les apprennent de leurs aînés et jugent bon de nous traiter comme nous vous avons traités. Qu'on ne s'imagine pas que ces raisons sont justes, mais que votre intérêt est différent, en cas de guerre. L'intérêt est surtout du côté de celui qui commet le moins de fautes. Car les résultats de cette guerre, dont les Corcyréens se servent pour vous effrayer et vous inviter à commettre l'injustice, sont encore incertains ; il n'est pas digne de vous de vous laisser emporter par cette crainte, au risque de provoquer la haine manifeste et immédiate des Corinthiens. Mieux vaut effacer la méfiance que vous avez suscitée à propos de Mégare (44) ; car le service qu'on a rendu en dernier lieu, s'il vient à propos, et même s'il est léger, peut effacer un tort plus grand. Ne vous laissez pas entraîner non plus par la considération qu'ils vous apportent un appui naval important. Il vaut mieux ne pas se montrer injuste envers des égaux que se laisser entraîner par l'apparence et avec mille risques obtenir la supériorité.  

XLIII. - « Puisque nous sommes tombés dans la situation qui a inspiré notre réponse aux Lacédémoniens que chacun eût à châtier ses propres alliés, nous vous demandons maintenant la même attitude : puisque nous vous avons aidés par notre vote, ne nous faites pas tort par le vôtre. Rendez-nous la pareille. Reconnaissez que c'est maintenant ou jamais que celui qui nous sert paraîtra notre ami et celui qui se dresse contre nous notre ennemi. N'accueillez pas malgré nous les Corcyréens comme alliés ; ne favorisez pas leurs injustices. En leur refusant votre aide vous agirez comme il convient et vous prendrez pour vous-mêmes le meilleur parti. »  

XLIV. - Telles furent les paroles des Corinthiens . Les Athéniens, après avoir écouté les deux discours, tinrent deux assemblées. Dans la première ils approuvèrent néanmoins les raisons des Corinthiens, dans la seconde ils revinrent sur leur décision, mais ne voulurent pas conclure avec les Corcyréens une alliance par laquelle ils déclareraient avoir mêmes amis et mêmes ennemis ; car si les Corcyréens leur demandaient de s'unir à une expédition contre Corinthe, la trêve conclue avec les Lacédémoniens se serait trouvée rompue ; mais par une alliance seulement défensive, ils décidèrent de se porter secours les uns aux autres, au cas où une expédition aurait lieu contre Corcyre, contre Athènes, ou contre les alliés de l'une ou l'autre cité. Car la guerre contre les Péloponnésiens paraissait inévitable et les Athéniens ne voulaient pas abandonner aux Corinthiens une cité possédant une aussi forte marine. On préférait voir les peuples aux prises les uns avec les autres, afin que les Corinthiens et les autres cités ayant une marine fussent affaiblis, quand les Athéniens entreraient en guerre. D'ailleurs l'île de Corcyre leur paraissait bien située sur la route de l'Italie et de la Sicile (45).  

XLV. - C'est à cette pensée que les Athéniens obéirent en accordant leur alliance aux Corcyréens. Peu de temps après le départ des Corinthiens, ils envoyèrent aux Corcyréens un secours de dix vaisseaux. A leur tête se trouvaient Lacédémonios, fils de Cimon (46), et Diotimos, fils de Strombichos, et Protéas, fils d'Epiclès. Les Athéniens leur prescrivirent de ne pas engager la bataille avec les Corinthiens, sauf au cas où ceux-ci voudraient débarquer à Corcyre ou sur quelques-uns des territoires lui appartenant. En ce cas, ils devaient tout faire pour les en empêcher. Cette recommandation avait pour but d'éviter la rupture de la trêve. Les navires arrivèrent à Corcyre.  

XLVI. - Les Corinthiens, une fois leurs préparatifs terminés, se dirigèrent vers Corcyre avec cent cinquante vaisseaux. Les Eléens en avaient fourni dix ; les Mégariens, douze ; les Leucadiens, douze ; les Ambraciotes, vingt-sept ; les habitants d'Anactorion, un, et les Corinthiens, quatre-vingt-dix. Il y avait des généraux pour chacun de ces détachements ; les Corinthiens en avaient cinq, dont Xénocléidès, fils d'Euthyclès. Ils se rassemblèrent sur le côté qui regarde Corcyre, puis ils parurent de Leucas et allèrent aborder à Cheimérion (47) en Thesprotide. C'est un port que surplombe une ville quelque peu éloignée de la mer, nommée Ephyrè, appartenant à l'Eléatide, district de la Thesprotide. Le lac Achéron vient non loin de là se jeter dans la mer. Le fleuve Achéron, qui traverse la Thesprotide, se jette dans ce lac, qui lui a emprunté son nom. Un autre fleuve, le Thyamis, arrose aussi cette région, séparant la Thesprotide de la Cestrinè. Entre ces deux fleuves se dresse le cap de Cheimérion ; c'est à cet endroit du rivage que les Corinthiens vinrent aborder et établir leur camp.  

XLVII. - A l'annonce de leur approche, les Corcyréens équipèrent cent dix vaisseaux sous le commandement de Miciadès, d'Aesimidès et d'Eurybatos ; ils établirent leur camp dans une des îles qu'on appelle Sybota. Ils avaient avec eux les dix vaisseaux athéniens. Leurs troupes de terre, avec mille hoplites de Zacynthe venus à leur secours, étaient installées sur le promontoire de Leucimnè. Les Corinthiens avaient également comme auxiliaires sur le continent un grand nombre de Barbares, car les habitants de cette région ont été de tout temps leurs allés.   

XLVIII. - Leurs préparatifs terminés, les Corinthiens, munis de trois jours de vivres, quittèrent de nuit Cheimérion, avec l'intention de livrer bataille. Au lever du jour, ils aperçurent en pleine mer la flotte de Corcyre, qui s'avançait contre eux. A cette vue les deux flottes se rangèrent en bataille : à l'aile droite des Corcyréens se trouvaient les vaisseaux athéniens ; l'autre aile était tenue par les Corcyréens, qui avaient réparti leurs vaisseaux en trois divisions commandées chacune par un stratège. Tel était l'ordre de bataille des Corcyréens, Les navires de Mégare et d'Ambracie occupaient l'aile droite de la flotte corinthienne ; le centre état tenu par les alliés, chacun à part. Les Corinthiens en personne étaient à l'aile gauche avec les vaisseaux les plus rapides face aux Athéniens et à l'agile droite de la flotte de Corcyre.  

XLIX. - Quand les signaux (48) eurent été hissés de part et d'autre, le combat s'engagea. Des deux côtés, les ponts étaient couverts d'hoplites, d'archers et de gens armés de javelots, disposés selon l'ancienne façon de combattre assez maladroitement. On se battait avec plus de vigueur que d'habileté. La plupart du temps on eût dit un combat sur terre. Une fois aux prises, on ne pouvait se dégager facilement en raison du nombre et de l'entassement des navires ; on attendait la victoire principalement des hoplites rangés sur les ponts ; au cours du combat les vaisseaux restaient immobilisés. On ne cherchait pas à forcer la ligne ennemie et l'on combattait avec moins de science que de courage et de violence. Sur tous les points le combat n'était que tumulte et confusion extrêmes. Les vaisseaux athéniens chargés d'assister les Corcyréens, au cas où ils seraient en infériorité, causaient de l'effroi aux adversaires, mais les stratèges se conformant aux instructions d'Athènes n'attaquaient pas. C'était surtout l'aile droite des Corinthiens qui se trouvait en danger : les Corcyréens avec vingt vaisseaux la mirent en fuite, la dispersèrent, la poursuivirent dans la direction de la côte jusqu'au camp ; puis les hommes débarquèrent, brûlèrent les tentes abandonnées après les avoir pillées. De ce côté donc les Corinthiens étaient vaincus et les Corcyréens victorieux. Mais à gauche où ils se trouvaient en personne, les Corinthiens l'emportaient nettement, car les Corcyréens, déjà en infériorité, se trouvaient affaiblis par l'absence des vingt vaisseaux occupés à la poursuite de l'ennemi. Quand les Athéniens virent les Corcyréens qui succombaient, ils accoururent à leur secours avec moins d'hésitation ; tout d'abord, ils s'étaient tenus à quelque distance, évitant l'abordage. Mais, quand ils virent les Corcyréens en fuite et les Corinthiens s'acharnant à leur poursuite, chacun se mit à l'oeuvre ; on ne fit plus aucune distinction et Corinthiens et Athéniens furent contraints d'en venir aux mains.  

L. - Après la déroute, les Corinthiens ne remorquèrent pas les coques des bâtiments ayant des voies d'eau ; mais parcourant le lieu du combat ils cherchaient à massacrer les équipages et non à les faire prisonniers. Ils ne distinguaient pas leurs propres alliés, car ils ignoraient la défaite de l'aile droite. Comme les deux flottes étaient nombreuses et qu'elles couvraient une grande surface, il était difficile, dans la confusion où elles se trouvaient, de distinguer entre vainqueurs et vaincus. Par le nombre des vaisseaux, ce combat entre Grecs fut le plus considérable qui eût été livré jusqu'alors. Les Corinthiens poursuivirent les Corcyréens jusqu'à terre, puis ils rassemblèrent les débris des bâtiments et leurs morts ; ils en recueillirent la plus grande partie qu'ils ramenèrent aux îles Sybota, port désert de la Thesprôtide où se trouvait l'armée des Barbares auxiliaires. Après quoi, ils se rallièrent et cinglèrent contre les Corcyréens. Ceux-ci avec les bâtiments en état de tenir la mer et ceux qui leur restaient, renforcés des navires athéniens, partirent à leur rencontre, car ils craignaient une descente sur leur territoire. Il était déjà tard et on commençait à chanter le péan (49), comme si la bataille allait s'engager, quand aussitôt les Corinthiens se mirent à ramer sens arrière : ils avaient vu vingt vaisseaux athéniens arriver dans leur direction ; c'étaient les vaisseaux qui après le départ des dix premiers avaient été envoyés d'Athènes. On y avait craint, ce que les faits devaient confirmer, la défaite des Corcyréens et l'insuffisance à les secourir des dix premiers navires.  

LI. - Les Corinthiens les aperçurent les premiers. Soupçonnant qu'il survenait plus de vaisseaux athéniens qu'ils n'en voyaient, ils se retirèrent lentement. Les Corcyréens ne pouvaient les voir, car ils dérobaient leur marche, aussi furent -ils étonnés de la retraite des Corinthiens. Enfin quelques-uns ayant aperçu ces vaisseaux qui venaient dans leur direction, eux aussi firent demi-tour. C'était au crépuscule : les Corinthiens virèrent de bord et rompirent le combat. Ainsi chacun se retira de son côté et la bataille prit fin à la tombée de la nuit. Les Corcyréens avaient leur camp à Leucimnè ; ces vingt vaisseaux d'Athènes, sous le commandement de Glaucon fils de Léagros et d'Andocidès fils de Leogoras, s'avancèrent à travers les morts et les débris de navires et gagnèrent le camp, peu de temps après avoir été aperçus. Les Corcyréens, dans l'obscurité, avaient craint que ce ne fussent des vaisseaux ennemis ; ensuite ils les reconnurent et les reçurent dans le port.  

LII. - Le lendemain, les trente vaisseaux d'Athènes et tous ceux de Corcyre en état de tenir la mer gagnèrent le large et mirent le cap vers le port des îles Sybota, où mouillaient les Corinthiens ; ils voulaient voir si l'adversaire engagerait la bataille. Celui-ci mit les vaisseaux à flot, se rangea au large en ordre de bataille, mais n'engagea pas le combat. Les Corinthiens ne se montraient pas décidés à entamer l'action en raison des bâtiments intacts qui venaient d'arriver d'Athènes ; de plus, bien des difficultés les arrêtaient : la garde des prisonniers qu'ils avaient embarqués ; l'absence, sur une côte écartée, des moyens de réparer leurs vaisseaux. Ils se préoccupaient davantage de se ménager des possibilités de retraite ; car ils craignaient que les Athéniens, qui pour en être venus aux mains devaient estimer la trêve rompue, ne les empêchassent de s'échapper.  

LIII. - Les Corinthiens décidèrent d'embarquer sur une chaloupe (50) des hommes dépourvus de caducée (51) de les envoyer aux Athéniens pour sonder leurs intentions. Par leur entremise ils leur dirent : « Vous commettez une injustice, Athéniens, en commençant la guerre et en rompant la trêve. Vous voulez nous empêcher de châtier nos ennemis, vous prenez les armes contre nous. S'il est dans vos intentions de nous empêcher de débarquer à Corcyre ou ailleurs à notre gré, si vous voulez rompre la trêve, commencez par vous emparer de nos personnes et traitez-nous en ennemis. » Telles furent leurs paroles. Ceux des Corcyréens qui les entendirent du camp s'écrièrent qu'il fallait immédiatement s'emparer d'eux et les mettre à mort. Mais les Athéniens leur firent cette réponse : « Nous ne commençons pas la guerre, Péloponnésiens, et nous ne rompons pas la trêve ; nous sommes venus au secours des Corcyréens, que voici et qui sont nos alliés. Si vous voulez aller ailleurs, nous ne vous en empêchons pas. Mais si vous vous dirigez vers Corcyre ou vers quelque autre place qui en dépende, nous ferons tout notre possible pour vous en empêcher. »

LIV. - Telle fut la réponse des Athéniens. Les Corinthiens alors se disposèrent à retourner chez eux et dressèrent un trophée (52) à Sybota, mais sur le continent. Les Corcyréens recueillirent les débris de vaisseaux et les morts qui avaient été portés dans leur direction par le courant et le vent ; celui-ci s'était élevé pendant la nuit et les avait dispersés. En signe de victoire ils élevèrent, eux aussi, un trophée à Sybota, dans l'île. Ainsi des deux côtés, on s'attribua la victoire ; et voici pourquoi les Corinthiens avaient eu l'avantage dans le combat jusqu'à la nuit ; ils avaient pu recueillir la plupart des débris de leurs vaisseaux et de leurs morts ; ils avaient fait au moins mille prisonniers ; ils avaient coulé environ soixante-dix vaisseaux ; aussi élevèrent-ils un trophée. Les Corcyréens de leur côté avaient détruit environ trente bâtiments ; après l'arrivée des Athéniens, ils avaient recueilli aussi les débris des vaisseaux et leurs morts ; la veille les Corinthiens, à la vue des vaisseaux athéniens, avaient fait marche arrière, puis s'étaient retirés ; une fois les Athéniens sur le lieu du combat, ils n'avaient pas quitté l'abri de Sybota. Telles furent leurs raisons d'ériger un trophée. Ainsi, des deux parts, on estimait avoir remporté la victoire.  

LV. - Les Corinthiens, en s'en retournant chez eux, s'emparèrent par surprise d'Anactorion, ville située à l'entrée du golfe d'Ambracie ; elle leur appartenait en commun avec les Corcyréens ; ils y établirent des colons corinthiens, puis se retirèrent. Ils vendirent huit cents Corcyréens, qui étaient esclaves, ils gardèrent en prison deux cent cinquante citoyens qu'ils traitèrent avec beaucoup d'égards ; ils espéraient qu'une fois rentrés à Corcyre, ils gagneraient la ville à leur cause, car c'étaient pour la plupart les plus riches de la cité. C'est ainsi que Corcyre l'emporta dans la guerre sur les Corinthiens. Les vaisseaux d'Athènes se retirèrent. Voilà la première cause de la guerre entre les Corinthiens et les Athéniens, à qui les premiers reprochaient de s'être joints aux Corcyréens dans le combat naval en pleine paix.  

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en automne

Athènes impose à Potidée (colonie corinthienne de la Ligue athénienne, en Chalcidique) une série de mesures qui réduit ses capacités militaires et desserre les liens avec Corinthe.

LVI. - Immédiatement après ces événements, d'autres motifs de guerre s'élevèrent entre les Athéniens et les Péloponnésiens. Les Corinthiens cherchaient à se venger ; les Athéniens devinaient leur haine ; ils donnèrent l'ordre aux habitants de Potidée (53), sur l'isthme de Pallénè, qui, tout en étant colons de Corinthe, étaient leurs alliés et leurs tributaires (54), de détruire leurs murs du côté de Pallénè, de donner des otages, de chasser les Épidémiurges (55) et de ne plus recevoir à l'avenir ceux que les Corinthiens leur envoyaient chaque année. Les Athéniens craignaient que Perdiccas (56) et les Corinthiens ne les poussassent à la révolte et n'entraînassent avec eux leurs alliés de Thrace. 

 LVII. - Telles furent les dispositions prises à l'égard des Potidéates par les Athéniens aussitôt après la bataille navale de Corcyre. Déjà les Corinthiens ne dissimulaient plus leur hostilité ; de plus Perdiccas fils d'Alexandre, auparavant allié et ami des Athéniens, s'était déclaré contre eux. Or, il l'avait fait, parce que Philippos son frère et Derdas, qui s'étaient ensemble révoltés contre lui, avaient obtenu l'alliance des Athéniens. La crainte lui fit envoyer une députation à Lacédémone pour susciter les Péloponnésiens contre Athènes ; en même temps il cherchait à gagner à sa cause tes Corinthiens pour obtenir la défection de Potidée. Il entamait des négociations pour soulever les Chalcidiens et les Bottiaees de Thrace. Comme leurs territoires étaient limitrophes, il estimait qu'avec leur alliance il lui serait plus facile de conduire la guerre. Les Athéniens, se doutant de ses intentions, voulurent prévenir la révolte de leurs villes. Comme ils avaient envoyé trente navires, mille hoplites dans cette région avec Archestratos, fils de Lycomédès, et quatre autres stratèges, ils donnèrent l'ordre à ces commandants de la flotte de prendre des otages parmi les habitants de Potidée, de faire raser la muraille et de surveiller les villes des alentours pour empêcher leur défection.  

LVIII. - Les Potidéates envoyèrent à Athènes une ambassade pour la détourner de faire des changements à leur statut. Ils allèrent aussi à Lacédémone, accompagnés des Corinthiens, pour y obtenir du secours en cas de besoin. Ils étaient depuis longtemps à Athènes qu'ils n'avaient encore rien obtenu ; au contraire, les vaisseaux qu'on envoyait contre la Macédoine et contre eux prenaient la mer. En revanche, les autorités de Lacédémone leur promirent, au cas où les Athéniens attaqueraient Potidée, de faire une incursion en Attique ; ils saisirent cette occasion de faire défection avec les Chalcidiens et les Bottiaees, en s'engageant par un serment commun. Perdiccas persuada aux Chalcidiens de quitter les villes du littoral, de les détruire (57), de s'installer dans l'intérieur des terres à Olynthe et de fortifier uniquement cette ville ; à ces émigrants Perdiccas accorda des terres lui appartenant en Mygdonie, près du lac Bolbè, pour tout le temps que durerait la guerre contre les Athéniens. Ces peuples rasèrent leurs villes, se transportèrent à Olynthe et se préparèrent à la guerre.  

LIX. - Les trente vaisseaux athéniens arrivent sur les côtes de Thrace ; la révolte de Potidée et des autres villes est chose accomplie. Les stratèges estiment qu'avec les seules troupes dont ils disposent ils ne peuvent lutter contre Perdiccas et les villes soulevées. Aussi se tournent-ils vers la Macédoine, qui était primitivement leur but. Ils s'y établissent et joignent leurs troupes à celles de Philippos et des frères de Derdas, qui de l'intérieur du pays y avaient pénétré avec leur armée.  

LX. - Sur ces entrefaites, les Corinthiens, apprenant la révolte de Potidée et la présence des vaisseaux athéniens sur les côtes de Macédoine, craignent pour la ville et estiment que le péril les vise directement. Ils envoient des volontaires corinthiens et des mercenaires levés dans le reste du Péloponnèse : en tout seize cents hoplites et quatre cents hommes d'infanterie légère (58). A leur tête se trouvait Aristeus, fils d'Adeimantos. La plupart des Corinthiens l'avaient suivi comme volontaires par amitié pour lui et lui-même avait de tout temps lié amitié avec les Potidéates. Cette expédition arrive sur les côtes de Thrace quarante jours après la révolte de Potidée.  

LXI. - Immédiatement la nouvelle parvint à Athènes que les villes s'étaient soulevées. En apprenant que les troupes commandées par Aristeus étaient arrivées, Athènes envoie contre les villes révoltées deux mille hoplites et quarante vaisseaux. A leur tête se trouvait Callias, fils de Calliadès, avec quatre autres stratèges. Arrivés en Macédoine ils rencontrent les mille hoplites qui y étaient déjà et qui, maîtres de Thermè, assiégeaient Pydna. Ils se joignirent à eux et assiégèrent Pydna. Comme l'affaire de Pydna les pressait et qu'Aristeus était arrivé, ils se voient contraints de conclure une convention et une alliance avec Perdiccas. Enfin ils lèvent le camp et évacuent la Macédoine. Ils arrivent à Béroea, de là marchent sur Strepsa et tentent de s'emparer de cette ville. N'ayant pu la prendre, ils s'avancent par terre vers Potidée, avec les trois mille hoplites athéniens, un grand nombre d'alliés et six cents cavaliers macédoniens, commandés par Philippos et Pausanias ; pendant ce temps, soixante-dix vaisseaux longeaient la côte. En marchant à petites étapes, ils parvinrent le troisième jour à Gigonos où ils établirent leur camp (59).  

LXII. - Les Potidéates et les Péloponnésiens sous la conduite d'Aristeus attendaient les Athéniens et campaient près d'Olynthe dans l'isthme. Ils avaient établi un marché hors de la ville. Les alliés avaient nommé Aristeus commandant de toute l'infanterie et Perdiccas de la cavalerie. Ce dernier venait de quitter à nouveau le parti des Athéniens et s'était joint aux Potidéates, après avoir mis à la tête de ses troupes pour le remplacer Iolaos. Aristeus se proposait, avec les troupes qu'il avait dans l'isthme, de surveiller l'arrivée des Athéniens ; les Chalcidéens et les alliés, qui étaient hors de l'isthme, ainsi que les deux cents cavaliers de Perdiccas devaient attendre à Olynthe. Lorsque les Athéniens s'avanceraient, ils les prendraient à revers et les encercleraient. De son côté Callias, stratège athénien, et ses collègues envoient à Olynthe les cavaliers macédoniens de Philippos avec une petite troupe alliée. Leur mission consistait à empêcher les ennemis d'opérer leur jonction et de secourir Potidée. Ils levèrent le camp et s'avancèrent dans la direction de cette ville. Arrivés à l'isthme, ils virent l'ennemi qui paraissait se disposer à la bataille ; eux aussi, ils prirent leurs emplacements de combat. Peu de temps après, on en vint aux mains. L'aile d'Aristeus, les troupes corinthiennes et autres qui étaient à ses côtés, mirent en fuite les ennemis qui leur faisaient face et les poursuivirent au loin. Mais le reste des troupes, composé des Potidéates et des Péloponnésiens, fut vaincu par les Athéniens et se réfugia à l'intérieur de la place.  

LXIII. - En revenant de la poursuite, Aristeus, voyant le reste de l'armée vaincu, se demanda avec inquiétude de quel côté il tenterait de s'échapper du côté d'Olynthe ou dans la direction de Potidée ? Il se résolut enfin à former ses troupes en une masse compacte et à foncer au plus court vers Potidée. II s'avança, mais non sans difficulté, par la côte le long de la digue malgré l'état de la mer : il perdit quelques-uns de ses hommes, mais en sauva le plus grand nombre. Ceux qui venaient d'Olynthe au secours des Potidéates (la distance est d'environ soixante stades (60) et le terrain n'est pas accidenté), dès le début du combat et voyant qu'on élevait les signaux (61), s'avancèrent pour leur venir en aide ; les cavaliers macédoniens se rangèrent en bataille pour empêcher la manoeuvre. Mais bientôt la victoire appartint aux Athéniens ; les signaux furent abaissés. Alors les troupes firent demi-tour dans la direction d'Olynthe et les Macédoniens rejoignirent les Athéniens. D'un coté comme de l'autre la cavalerie ne donna pas. Après le combat les Athéniens dressèrent un trophée, et, par une convention, laissèrent les Potidéates enlever leurs morts. Ceux-ci et leurs alliés ne perdirent pas moins de trois cents hommes ; les Athéniens en perdirent cent cinquante (62), parmi lesquels leur stratège Callias.  

LXIV. - Les Athéniens immédiatement élevèrent un mur du côté de l'isthme et y mirent des troupes ; mais la partie qui regardait Pallénè n'était pas fortifiée. Ils jugeaient qu'ils n'étaient pas en état de garder la région de l'isthme et de jeter en même temps des troupes à Pallénè pour y faire des fortifications. Ils craignaient, au cas où ils se diviseraient, d'être attaqués par les Potidéates et leurs alliés. Lorsqu'à Athènes on apprit que du côté de Pallénè il n'avait pas été élevé de rempart, on envoya seize cents hoplites athéniens sous le commandement de Phormion, fils d'Asopios. Phormion arriva à Pallénè, prit Aphytis comme base d'opération, puis poussa ses troupes dans la direction de Potidée, en avançant par petites étapes et en dévastant le pays. Personne ne se présentant pour lui livrer combat, il éleva un retranchement pour bloquer Potidée du côté de Pallénè. Ainsi le siège de Potidée se poursuivait vivement sur terre des deux côtés et sur mer la flotte était mouillée en face.  

LXV. - Potidée se trouvant bloquée, Aristeus ne voyait plus aucun espoir de salut ; il eût fallu que contre toute attente quelque secours vînt du Péloponnèse ou d'ailleurs. Il fut d'avis, qu'à l'exception de cinq cents hommes, les autres profitassent d'un vent favorable pour quitter la elle par mer. Ainsi les vivres pourraient durer plus longtemps. Il proposait de demeurer avec les assiégés. Son avis ne prévalut pas. Alors prenant ses dispositions à l'intérieur et voulant pourvoir le mieux possible à l'extérieur, il sortit par mer, en réussissant à échapper à la surveillance des Athéniens. Il demeura en Chalcidique, y fit quelques opérations, tendit près de Sermylè une embuscade, où il fit périr beaucoup d'hommes. Il négocia avec le Péloponnèse pour en obtenir quelques secours. Par ailleurs quand Phormion eut terminé le blocus de Potidée et reçu les seize cents hommes de renfort, il ravagea la Chalcidique et la Bottique, où il s'empara de quelques villes. 

LXVI. - Tels furent les griefs qu'avaient les uns contre les autres les Athéniens et les Péloponnésiens ; les Corinthiens se plaignaient que les Athéniens bloquassent Potidée, qui était une de leurs colonies et où se trouvaient des Corinthiens et des Péloponnésiens. Les Athéniens, de leur côté, accusaient les Péloponnésiens d'avoir poussé à la révolte une ville qui était leur alliée et qui leur devait tribut ; de plus, ils étaient venus ouvertement combattre dans les rangs des Potidéates. Néanmoins la guerre n'avait pas encore éclaté. L'armistice durait toujours, car c'était de leur propre initiative que les Corinthiens avaient agi (63).  

LXVII. - Ceux-ci, pendant le siège de Potidée, ne demeuraient pas inactifs, car ils avaient des hommes à l'intérieur de la place et ils craignaient pour la ville. Immédiatement ils convoquèrent à Lacédémone leurs alliés et, une fois arrivés, ils se mirent à accabler de reproches les Athéniens, parce qu'ils avaient rompu la trêve et faisaient tort aux Péloponnésiens. Les Eginètes (64), par crainte des Athéniens, n'envoyèrent pas ouvertement une ambassade, mais en secret ils se joignaient aux autres pour pousser à la guerre, disant qu'ils n'avaient plus la liberté que leur garantissait le traité. Les Lacédémoniens convoquèrent leurs alliés et tous ceux qui se prétendaient victimes des Athéniens et, s'étant réunis à la manière habituelle, ils les invitèrent à prendre la parole. Chaque cité formula séparément ses griefs. Les Mégariens firent entendre plusieurs sujets de plaintes importantes, et particulièrement celui-ci : contrairement au traité, ils se trouvaient écartés des ports au pouvoir des Athéniens et du marché d'Athènes. Les Corinthiens se firent entendre les derniers après avoir laissé les autres exciter la colère des Lacédémoniens et parlèrent ainsi :  

LXVIII. - « La bonne foi qu'on reconnaît dans votre administration intérieure et dans vos relatons privées vous disposera à accueillir avec une excessive méfiance les griefs que nous pouvons avoir contre autrui. Si vous y gagnez en modération, vous ne montrez pas une grande compréhension des questions extérieures. Souvent nous vous avons prévenus des dangers qui nous menaçaient du fait des Athéniens ; chaque fois vous avez refusé de vous instruire sur ce dont nous vous donnions avis ; au contraire vous supposiez que c'était des dissentiments personnels qui nous faisaient parler de la sorte. Aussi, loin de prévenir nos maux, avez-vous attendu que nous fussions engagés dans des difficultés pour convoquer les alliés ici présents, et devons-nous faire entendre d'autant plus notre voix, que nous avons de plus graves sujets de plantes ; car, si les Athéniens nous outragent, vous, vous vous désintéressez de nous. S'ils outrageaient en secret la Grèce, il nous faudrait tenir compte de l'ignorance de ceux qui nous écouteraient pour les instruire. Mais à quoi bon élever la voix, puisque parmi nous, vous le voyez, les uns sont réduits en esclavage, tandis que les autres et particulièrement nos alliés sont menacés du même sort et que les Athéniens se sont préparés depuis longtemps à une attaque possible. Ils ne se seraient pas emparés malgré nous de Corcyre, ils ne garderaient pas cette ville, ils n'assiégeraient pas Potidée. Potidée est la place la plus propre à des opérations en Thrace, Corcyre est la ville qui eût pu fournir le plus de vaisseaux aux Péloponnésiens.  

LXIX. - « Cest vous qui êtes responsables de cette situation, car c'est vous qui les avez lassés fortifier leur ville après les guerres médiques et qui ensuite avez permis qu'ils élevassent les longs-murs. C'est vous encore qui avez privé de la liberté non seulement les États qu'ils ont asservis, mais encore vos propres alliés. Car il faut tenir pour véritables responsables non pas ceux qui imposent l'esclavage à autrui, mais celui qui pouvant empêcher ce malheur néglige de le faire, surtout s'il cherche à s'attribuer le mérite d'être le libérateur de la Grèce. Nous avons eu bien de la peine à nous rassembler ici et maintenant encore le but de notre réunion est-il mal défini. Car ce que nous avons à envisager, ce n'est plus l'injustice que nous subissons, mais la manière dont nous nous défendrons. Les Athéniens nous attaquent injustement et délibérément et, nous, nous ne savons à quel parti nous ranger. Il n'est plus dans leurs intentions de nous attaquer, car déjà ils nous attaquent. Nous savons la tactique des Athéniens petit à petit ils avancent contre leurs voisins. Tant qu'ils s'imaginent que votre ignorance leur facilite de poursuivre dans l'ombre leurs manoeuvres, ils ne déploient pas toute leur audace ; mais quand ils auront reconnu que, tout en étant informés de ce qui se passe, vous n'y prêtez aucune attention, ils redoubleront d'efforts énergiques. Seuls, parmi les Grecs, vous demeurez dans l'inaction, Lacédémoniens ; ce n'est pas sur la force, mais sur la temporisation que vous comptez pour repousser l'adversaire ; seuls vous attendez que l'ennemi ait doublé ses forces pour l'attaquer, au lieu de le faire quand elles sont encore mal assurées. On dit cependant que vous êtes un peuple plein de prudence ; mais cette affirmation ne résiste pas aux faits. Car nous savons bien que le Mède s'est avancé des extrémités de la terre jusqu'au Péloponnèse, avant que vous vous décidiez à aller à sa rencontre, comme il eût fallu le faire. Et maintenant, voici les Athéniens qui sont tout près de vous - non pas au loin - comme le Mède ! et vous n'ouvrez pas les yeux. Vous n'allez pas à leur rencontre ; vous préférez attendre, pour les repousser, qu'ils marchent contre vous. Pour combattre vous attendez que la situation ait beaucoup empiré. Pourtant, vous savez que les échecs du Barbare furent dus, pour la plus grande partie, à ses propres fautes. En ce qui concerne les Athéniens, vous n'ignorez pas que c'est à leurs erreurs que nous avons dû de l'emporter sur eux et non aux ressources que nous avons tirées de vous-mêmes. Les espérances placées en vous ont déjà fait périr quelques-uns de vos alliés ; par excès de confiance ils ont été pris à l'improviste. Nos paroles, croyez-le bien, ne sont pas inspirées par la haine, ce ne sont que de justes reproches. On fait des reproches à des amis qui se trompent, mais on accuse des ennemis qui vous font subir l'injustice.  

LXX. - « En outre nous pensons avoir, plus que d'autres, le droit d'adresser un blâme à autrui ; car de grands intérêts sont engagés et vous ne paraissez pas vous douter de leur importance ; vous ne songez pas non plus à quels adversaires vous avez affaire avec les Athéniens. Quelle différence, quelle différence totale avec vous ! Ils aiment les innovations, sont prompts à concevoir et à réaliser ce qu'ils ont résolu ; vous, si vous vous entendez à sauvegarder ce qui existe, vous manquez d'invention et vous ne faites même pas le nécessaire. Eux se montrent audacieux, au delà même de leurs forces ; hardis, au delà de toute attente, pleins d'espoir même dans les dangers. Votre ligne de conduite consiste à faire moins que vous ne pouvez ; vous vous défiez même de ce qui est certain ; vous vous imaginez que jamais vous ne pourrez vous tirer des situations difficiles. Ils agissent et vous temporisez ; ils voyagent à l'étranger et vous êtes les plus casaniers des hommes. Eux, en quittant leur pays, ils pensent tirer quelque profit ; vous, en sortant de chez vous, vous imaginez que vous nuirez à votre situation présente. Victorieux, ils vont de l'avant tant qu'ils peuvent. Sont-ils vaincus, ils cèdent le moins de terrain possible. Quand il s'agit de défendre leur ville, ils font abandon complet de leur corps ; mais ils ne se laissent pas ébranler dans leurs résolutions, quand il faut agir pour elle. S'ils échouent dans leurs conceptions, ils se croient dépouillés de leurs propres possessions ; s'ils acquièrent par la guerre des territoires, c'est peu de chose en comparaison de ce qu'ils espèrent obtenir. Si l'expérience les déçoit, ils conçoivent d'autres espoirs et se rattrapent de leur insuccès. Pour eux seuls, la réussite et l'espoir sont d'accord avec leurs projets, tant ils les exécutent rapidement. Toutes leurs entreprises, ils les poursuivent à travers des difficultés et des dangers incessants. Ils jouissent très peu du présent, parce qu'ils veulent toujours acquérir davantage ; c'est qu'à leurs yeux, il n'y a pas d'autre fête que l'accomplissement du devoir : un repos sans occupation leur pèse plus qu'une activité pénible. Bref, en disant que de leur naturel, ils sont aussi incapables de se tenir tranquilles que de laisser les autres tranquilles, on dirait la stricte vérité (65).  

LXXI. - « Et c'est au moment où une pareille ville se dresse en face de vous, Lacédémoniens, que vous temporisez (66) ! Vous pensez qu'un peuple ne saurait fort longtemps demeurer en paix, quand il prend de justes dispositions militaires et qu'il est résolu, si on l'attaque, à ne pas supporter l'injustice. Ne pas léser les autres et rester sur la défensive sans subir de dommages, voilà où vous mettez l'équité. Vous auriez déjà bien de la peine à obtenir un semblable résultat avec une cité semblable à la vôtre. Mais, comme nous venons de vous le montrer, vos institutions comparées aux leurs sont archaïques. Sur ce point, comme dans les arts, ce sont toujours les nouveautés qui l'emportent. Pour une cité paisible, les lois immuables sont les meilleures ; mais, quand on est contraint de faire tête à plusieurs entreprises, il faut faire preuve de beaucoup de souplesse. Aussi, en raison de leur grande expérience, les Athéniens ont-ils renouvelé plus que vous leurs institutions. A partir de maintenant votre lenteur doit prendre fin. Comme vous l'avez promis, portez secours rapidement à vos alliés et principalement aux Potidéates, en faisant une incursion en Attique. N'abandonnez pas à vos pires ennemis des gens, qui sont vos amis et vos frères ; ne nous obligez pas nous-mêmes à nous tourner par désespoir vers d'autres alliés. Dans cette extrémité, nous ne serons répréhensibles ni aux regards des dieux, témoins de nos serments, ni à ceux des hommes de bon sens. La responsabilité de rompre les conventions retombe non sur ceux qui, se voyant abandonnés, se tournent d'un autre côté, mais sur ceux qui ne secourent pas les alliés qu'ils ont juré de défendre. Montrez-nous de l'empressement et nous vous resterons fidèles. Alors nous serions criminels en passant dans l'autre camp et nous ne pourrions trouver d'alliés plus sympathiques. Délibérez avec soin sur ce sujet ; tâchez que votre hégémonie dans le Péloponnèse ne soit pas inférieure, entre vos mains, à ce qu'elle était du temps de vos pères (67).  »  

LXXII. - Telles furent les paroles des Corinthiens . Il y avait précisément à Lacédémone une ambassade athénienne, qui y état venue traiter d'autres questions . Instruits des paroles des Corinthiens, les Athéniens décidèrent de se présenter devant les Lacédémoniens ; leur intention n'était pas de répondre aux griefs qu'avaient formulés les cités, mais de montrer en général aux Lacédémoniens qu'ils ne devaient pas prendre une décision précipitée et sans mûr examen . Ils se proposaient également de montrer la puissance de leur ville, de rappeler aux vieillards ce qu'ils savaient et d'instruire les jeunes gens de ce qu'ils ignoraient . Leurs paroles, pensaient-ils, engageraient les Lacédémoniens au repos plus qu'à la guerre . Ils allèrent donc trouver les magistrats et leur firent part de leur désir de prendre, à moins d'empêchement, la parole devant le peuple . Les magistrats y consentirent et voici comment les Athéniens s'exprimèrent devant l'assemblée :  

LXXIII. - « Notre ambassade n'avait pas pour but d'entrer en discussion avec vos alliés, mais de traiter l’objet de notre mission. Cependant comme nous avons appris les clameurs qui s'élèvent contre nous, nous nous sommes présentés devant vous ; nous n'entendons pas répondre aux griefs des cités, car nous ne saurions, non plus qu'elles, vous prendre pour juges. Nous voulons éviter que vous ne preniez à la légère et dans une affaire importante une décision regrettable, à l'instigation de vos alliés. Au sujet de toute l'accusation portée contre nous, nous voulons vous prouver que ce n'est pas à tort que nous détenons nos possessions et que notre ville est digne de considération. A quoi bon rappeler les faits très anciens, sur lesquels nous n'avons que des témoignages oraux sans nuls témoins oculaires ? Mais les guerres médiques et les faits que vous connaissez par vous-mêmes, au risque d'être importuns par notre insistance à les évoquer, il faut que nous en parlions. Quand nous combattions, c'était dans l'intérêt de tous, dont vous avez eu votre part ; qu'il nous soit donc permis d'en parler, si cela peut nous être utile. Nous le ferons moins pour nous vanter que pour vous montrer et vous prouver la puissance de la ville que vous aurez à combattre, si vous écoutez les mauvais conseils. Oui, nous prétendons qu'à Marathon (68) nous avons été les seuls à nous mesurer avec le Barbare ; quand il vint pour la seconde fois, comme nous n'étions pas en état de le repousser sur terre, nous sommes montés en masse sur nos navires et nous lui avons livré la bataille de Salamine (69). Elle l'a empêché d'atteindre par mer les villes une à une et de dévaster le Péloponnèse dont les habitants étaient impuissants à se porter secours les uns aux autres contre un ennemi disposant d'une flotte nombreuses. La preuve la plus éclatante en a été fournie par le Barbare lui-même vaincu sur mer, ne disposant plus d'une force égale à la nôtre, il s'est retiré en toute hâte avec la plus grande partie de son armée.  

LXXIV. - « Devant de tels événements qui prouvèrent clairement que la puissance des Grecs résidait dans leur marine, nous avons procuré les trois éléments les plus décisifs : le plus grand nombre de vaisseaux, un stratège particulièrement avisé et un courage sans la moindre défaillance. Sur un total de trois cents vaisseaux nous n'en avons pas fourni moins des deux tiers ; Thémistocle était à notre tête, à qui revient particulièrement la décision d'avoir livré la bataille dans un détroit. C'est cette décision qui a sauvé la situation ; et c'est la raison qui vous a fait accorder à Thémistocle plus d'honneur qu'à aucun étranger venu à Lacédémone. Bref nous avons montré, plus que quiconque, un courage plein d'audace : nul par terre ne venait à notre aide ; jusqu'à notre frontière les autres peuples étaient asservis ; néanmoins nous avons décidé de quitter notre ville, nous avons anéanti nos biens, sans vouloir abandonner les alliés qui nous restaient encore, sans nous disperser au risque de leur devenir inutiles. Au contraire, nous nous sommes embarqués et avons affronté le danger ; nous ne nous sommes pas irrités de vous voir venir si lentement à notre secours. Aussi affirmons-nous que nous vous avons rendu service tout autant qu'à nous-mêmes. Vos villes étaient encore occupées, vous aviez toute possibilité de les habiter par la suite, quand, craignant pour votre sort plus que pour le nôtre, vous êtes venus à notre secours. Car, tant que notre situation ne fut pas compromise, vous ne vous trouviez pas à nos côtés. Nous, nous sommes partis d'une ville qui n'existait plus ; sa situation était presque désespérée, quand nous avons risqué la bataille et que nous vous avons sauvés en nous sauvant nous-mêmes. Si tout d'abord, craignant comme les autres pour notre pays, nous étions passés du côté du Mède ; si ensuite considérant la situation comme perdue, nous ne nous étions pas embarqués, il n'eût servi de rien que vous livriez bataille sur mer, car votre flotte n'était pas suffisante et le Mède serait arrivé sans peine à ses fins.  

LXXV. - « Pour notre courage d'alors et notre intelligence politique, méritons-nous, Lacédémoniens, la jalousie excessive qu'excite chez les Grecs notre puissance ? Nous l'avons acquise sans violence ; vous-mêmes vous n'avez pas voulu être à nos côtés contre ce qui restait de Barbares et ce sont les alliés qui vinrent nous trouver et nous demandèrent de prendre le commandement. Par là même nous avons été contraints dès l'abord d'amener notre empire à son état actuel, conduits par la crainte, puis par l'honneur, enfin par l'intérêt. Nous étions en butte à la haine générale ; quelques-uns de nos sujets s'étaient déjà révoltés (70) ; vous-mêmes ne nous montriez plus les mêmes sentiments d'amitié qu'auparavant ; vous étiez soupçonneux et hostiles (71) ; dans ces conditions il nous a paru dangereux de nous relâcher de notre pouvoir, car on nous eût abandonnés pour passer de votre côté. Or nul ne saurait trouver mauvais qu'on ait égard à ses intérêts, quand on se trouve au milieu des pires dangers.  

LXXVI. - « Vous aussi, Lacédémoniens, vous gouvernez les villes du Péloponnèse où vous êtes établis, en vous inspirant de votre intérêt ; mais, si alors vous aviez continué à exercer l'hégémonie et encouru la haine, comme cela nous est arrivé, sachez-le bien, vous vous seriez rendus odieux comme nous à vos alliés et vous auriez été contraints ou de gouverner avec vigueur ou de vous trouver vous-mêmes dans une situation périlleuse. Ainsi nous n'avons rien fait d'extraordinaire ni de contraire à l'humanité, en acceptant le pouvoir qu'on nous donnait et en ne le relâchant pas, dominés que nous sommes par les plus impérieuses nécessités, l'honneur, la crainte et l'utilité. Nous ne sommes pas les premiers non plus à nous être comportés de la sorte, il est courant que de tout temps le plus faible se trouve sous la domination du plus fort. Cette situation nous en sommes dignes et vous l'avez reconnu vous-mêmes, jusqu'au moment où par égard pour vos intérêts vous vous êtes mis à vous parer de ces principes de justice ; pourtant nul ne les met en avant et n'y voit un empêchement d'augmenter sa puissance par la force, quand l'occasion s'en présente. On doit louer ceux qui tout en obéissant à la nature humaine, qui veut qu'on impose sa domination aux autres n'usent pas néanmoins de tous les droits que leur confère leur puissance du moment. Supposons que d'autres disposent de nos moyens, ils ferment éclater alors la modération dont nous avons fait preuve. Pourtant notre douceur nous a valu moires d'éloges que de blâmes, et bien à tort certainement (72).  

LXXVII. - « Tout en faisant des concessions dans les jugements publics et tout en respectant chez nous l'égalité devant la loi, nous avons la réputation de chercher des querelles. Nul ne considère pourquoi ceux qui détiennent ailleurs le pouvoir, tout en étant moins modérés que nous, n 'encourent pas le même reproche ; c'est que celui qui peut user de la force n'a pas besoin de recourir à la justice. Mais nos alliés, qui sont habitués à être traités par nous sur un pied d'égalité, s'il leur arrive de subir le moindre dommage, par suite d'une de nos décisions ou de l'autorité attachée à notre puissance, ne nous savent aucun gré de notre modération dans nos exigences, et ils insistent plus que si dès le début nous avions négligé la loi et abusé manifestement de nos avantages. En ce cas ils n'eussent même pas protesté et osé déclarer que le faible ne devait pas céder au fort. C'est que les hommes, semble-t-il, s'irritent plus de subir l'injustice que la violence. L'une, venant d'un égal, semble un abus ; l'autre, venant d'un plus fort que soi, semble une nécessité. Quoique les Mèdes fissent subir à nos alliés un traitement beaucoup plus rigoureux que le nôtre, c'est notre autorité qui leur semble pénible. Ne nous en étonnons pas. La domination du moment est toujours lourde pour des sujets. Pour vous, s'il arrivait que sur notre ruine vous puissiez établir votre commandement, vous perdriez plus vite cette bienveillance, que la crainte que nous inspirons vous a permis d'obtenir, surtout si vous gardez la ligne de conduite qui a été la vôtre, au temps de votre bref commandement contre le Mède. Car vos propres lois sont incompatibles avec celles des autres ; de plus chacun de vous, hors de son pays, ne suit même plus les lois de sa patrie ni celles du reste de la Grèce (73).  

LXXVIII. - « Délibérez donc mûrement ; la question en vaut la peine ; n'allez pas, pour obéir aux sentiments et aux griefs d'autrui, vous jeter vous-mêmes dans l'embarras. Avant de vous lancer dans la guerre, calculez l'importance des mécomptes qu'elle réserve. En se prolongeant, elle se plaît à multiplier les hasards ; pour l'instant, nous en sommes également éloignés et il est impossible de dire en faveur de qui elle se dénouera. Quand on entreprend une guerre, on commence par où on devrait finir ; mais, dès qu'on éprouve des revers, on a recours aux raisonnements. Pour nous, qui n'avons jamais commis ce genre de fautes et qui ne vous voyons pas non plus décidés à le commettre, nous vous recommandons, tant que nous sommes libres d'agir avec prudence, de ne pas rompre la paix, de ne pas transgresser les serments. Réglons nos différends à l'amiable, selon nos conventions. Sinon, invoquant les dieux garants des serments, nous tâcherons de repousser les agresseurs selon l'exemple que vous nous avez donné. »  

LXXIX. - Tel fut le discours des Athéniens. Les Lacédémoniens, après avoir écouté les griefs formulés à l'adresse des Athéniens et la réponse de ceux-ci, firent retirer chacun et délibérèrent entre eux sur la situation. La majorité inclinait à juger que les Athéniens étaient coupables et qu'il fallait aussitôt entreprendre la guerre. Alors prit la parole Archidamos, roi des Lacédémoniens, réputé pour son intelligence et sa modération. Voici comment il s'exprima :  

LXXX. - « Moi aussi, Lacédémoniens, j'ai participé à bien des guerres. Bien des gens de mon âge que j'aperçois ici en peuvent dire autant. Ce n'est donc pas faute d'expérience, comme tant d'autres, qu'ils désireront la guerre, la croyant utile et sans danger. A y bien réfléchir, ce qui fait l'objet de vos délibérations actuelles n'est pas de peu d'importance : quand il ne s'agit que des Péloponnésiens dans les États nos voisins, nos forces sont sensiblement égales aux leurs et nous pouvons les atteindre sur tous les points. Mais comment déclarer la guerre à la légère à des gens dont le territoire est éloigné, qui de plus ont une grande expérience des choses de la mer, qui sont abondamment pourvus de richesses particulières et publiques (74), de navires, de cavalerie, d'armes de toute sorte, disposent d'une population plus nombreuse qu'aucune contrée de la Grèce et ont beaucoup d'alliés tributaires ? Et sur quoi compterions-nous pour les attaquer avant d'être prêts ? Sur notre marine ? Mais sur ce point nous leur sommes inférieurs. Si nous voulons nous entraîner sur mer et leur opposer une flotte, il faudra du temps. Alors, par nos finances ? Mais sur ce point ils ont une grande avance sur nous ; nous n'avons pas de trésor fédéral et nul n'est disposé à contribuer de ses deniers aux frais de la guerre.  

LXXXI. - « Peut-être se fie-t-on sur le fait que nous l'emportons sur eux par l'armement et par le nombre des combattants ; ainsi pourrons-nous ravager leur pays par des incursions répétées ? Mais ils ont bien d'autres territoires sous leur domination et ils font venir par mer ce dont ils ont besoin. Si nous cherchons à provoquer la défection de leurs alliés, il nous faudra aussi leur envoyer du secours par mer, puisque ce sont, pour la plupart, des insulaires. Quel genre de guerre aurons-nous donc alors à mener ? A moins d'avoir la supériorité maritime, à moins de leur enlever les revenus dont ils disposent, les dommages que nous subirons seront plus élevés que les leurs. Et dans ces circonstances ne nous flattons pas de mettre fin honorablement à la guerre, surtout si nous nous donnons l'air d'avoir commencé les hostilités. Ne nous leurrons pas non plus de l'espoir de mettre rapidement fin au conflit, en dévastant leur territoire. Je crains plutôt que nous ne laissions cette guerre à nos enfants. Car il est bien peu vraisemblable que les Athéniens, étant donné leur orgueil, soient comme des esclaves liés à leur territoire et, par manque d'expérience, soient frappés de stupeur par cette guerre.  

LXXXII. - « Ce n'est pas que dépouillant toute sensibilité je vous recommande de laisser l'adversaire attaquer impunément vos alliés et de ne pas tenir compte des attaques dont ils sont l'objet. Je vous recommande seulement de ne pas prendre les armes pour le moment ; il faut envoyer des délégués pour exposer nos griefs, sans montrer ouvertement nos intentions belliqueuses, sans abandonner non plus nos alliés. Pendant ce temps, nous ferons nos préparatifs, en nous adjoignant des alliés, Grecs et Barbares (75). Si nous pouvons acquérir ainsi un surcroît de puissance maritime ou financière, qui pourrait en faire un crime à des gens comme nous qui, victimes des attaques préméditées des Athéniens, entendons nous sauver en appelant à notre aide non seulement des Grecs, mais aussi des Barbares ? En même temps, procurons-nous ce qui nous est utile. Si l'on veut entendre nos envoyés, tout sera pour le mieux. Dans le cas contraire, au bout de deux ou trois ans, nous serons en meilleure posture pour marcher contre eux, si nous le jugeons bon. Peut-être, lorsqu'ils verront nos préparatifs et nos paroles s'accorder, seront-ils plus disposés à céder, car leur territoire sera encore intact et ils auront à délibérer sans que leurs biens soient atteints. Car il ne faut pas estimer que leur pays soit autre chose pour vous qu'un gage, d'autant plus sûr qu'il est mieux cultivé. Il faut le ménager le plus possible, ne pas réduire les ennemis au désespoir et ne pas les contraindre à une résistance farouche. Si nous cédons aux doléances de nos alliés sans être dans l'état de préparation suffisante et si nous ravageons l'Attique, nous pourrions causer au Péloponnèse bien de la honte et de l'embarras. En effet, il est possible de mettre un terme aux différends des villes et des particuliers. Mais si, pour des intérêts particuliers nous entreprenons une guerre dont nul ne peut prévoir l'issue, il sera difficile d'y mettre fin honorablement.  

LXXXIII. - « Que nul ne s'imagine qu'il y ait de la lâcheté, pour des adversaires nombreux comme vous l'êtes, à ne pas attaquer sur-le-champ une seule ville. Car les Athéniens ont tout autant que nous des alliés et qui payent un tribut. Or la guerre dépend plus de l'argent que des armes ; c'est l'argent qui fournit les armes, principalement à des peuples continentaux contre des peuples maritimes. Procurons-nous d'abord de l'argent et ne nous laissons pas entraîner auparavant par les discours de nos alliés. Puisque c'est nous qui supporterons de toute façon la majeure partie des responsabilités de cette guerre, donnons-nous au moins la possibilité d'examiner à loisir la situation.  

LXXXIV. - « Quant à cette lenteur et à cette temporisation qu'on nous reproche, n'en rougissez pas. La hâte à entreprendre la guerre, quand on n'est pas préparé, n'aboutit qu'à une plus grande lenteur à la terminer. De plus nous habitons une ville libre et dont la réputation est tout à fait illustre ; et c'est ce qui fait que notre sagesse peut être pleine de raison. C'est par là que seuls nous ne montrons pas d'insolence dans le succès et que nous cédons moins que d'autres à l'infortune. Nous ne nous laissons pas emporter par les flatteries de ceux qui nous poussent au danger contre notre propre sentiment et nous n'obéissons pas davantage à l'irritation que nous procurent les plaintes dont on nous aiguillonne. Aussi, par la sagesse de notre constitution, sommes-nous à la fois valeureux à la guerre et sages dans nos résolutions, parce que le sentiment de l'honneur prend généralement sa source dans la sagesse et le courage dans l'honnêteté. Nous sommes de bon consul, parce que nous avons été élevés trop simplement pour mépriser les lois et avec une sévérité trop grande pour leur désobéir ; moins versés que d'autres dans les connaissances oiseuses, nous ignorons l'art de critiquer avec de belles phrases les préparatifs d'autrui, sans nous préoccuper de mettre nos actes d'accord avec nos paroles. Nous pensons aussi que l'intelligence des autres vaut sensiblement la nôtre et que ce ne sont pas les paroles qui fixent les incertitudes du hasard. Ne cessons pas d'opposer à des adversaires qu'on doit supposer animés de bonnes résolutions, des préparatifs effectifs. Ne plaçons pas nos espérances dans les fautes qu'ils peuvent commettre, mais dans la sagesse de nos prévisions. Car l'homme, sachez-le, ne diffère pas sensiblement de l'homme, et celui-là l'emporte qui a été formé par les plus rudes circonstances.  

LXXXV. - « Ainsi donc, n'abandonnons pas la ligne de conduite que nous ont léguée nos ancêtres et qui nous a servi en toutes occasions. Ne nous hâtons pas de délibérer si rapidement sur une question qui met en jeu le sort de tant de gens, de tant de richesses, de tant de villes, de tant de gloire. Prenons tout notre temps. Nous le pouvons, plus que d'autres, en raison de notre force. Envoyez aux Athéniens une ambassade au sujet de Potidée ; envoyez-en une autre s'enquérir des injustices dont les alliés se disent victimes ; faites-le d'autant plus volontiers qu'ils se déclarent prêts à accepter un jugement ; quand on consent à un arbitrage, il n'est pas juste d'être traité dès l'abord en coupable. En même temps, préparez la guerre. Vous prendrez ainsi la meilleure décision et la plus redoutable pour les adversaires. » Telles furent les paroles d'Archidamos. Sthénélaïdas, qui était un des éphores (76) en charge, s'avança le dernier et parla ainsi :  

LXXXVI. - « Aux longs discours des Athéniens, je n'entends rien ; ils ont fait longuement leur propre éloge, mais ils n'ont rien répondu sur la question des injustices commises à l'endroit de nos alliés et du Péloponnèse. S'ils se sont montrés valeureux contre les Mèdes et s'ils se montrent maintenant coupables envers nous, ils doivent être doublement punis, pour avoir ainsi dégénéré. Pour nous, tels nous avons été, tels nous sommes maintenant encore. Et si nous sommes sages, nous ne laisserons pas maltraiter nos alliés et nous nous empresserons de prendre leur défense. Il ne faut plus qu'on les malmène. Si les autres ont en quantité de l'argent, des navires, de la cavalerie, nous avons de braves alliés, qu'il ne faut pas livrer aux Athéniens. Il ne faut pas non plus trancher la question par des jugements et des discours, car ce n'est pas en paroles que nous sommes attaqués ; châtions au contraire nos agresseurs rapidement et avec toutes nos forces. Puisque nous sommes leurs victimes, qu'on ne vienne pas soutenir que c'est à nous qu'il convient de délibérer ; c'est à ceux qui se proposent de commettre l'injustice qu'il convient de délibérer longtemps. Votez donc la guerre, Lacédémoniens, d'une façon digne de Sparte et ne laissez pas les Athéniens développer leur puissance. N'abandonnez pas vos alliés, et, avec l'aide des dieux, marchons contre les coupables. »  

LXXXVII. - Telles furent ses paroles. Ensuite, en sa qualité d'éphore, il mit la question aux voix dans l'assemblée des Lacédémoniens. Ceux-ci votent par acclamation et non au scrutin (77). Il prétendit qu'il était impossible de décider de quel côté étaient les acclamations les plus nombreuses, et, voulant les pousser davantage à la guerre, en les obligeant à exprimer sans ambiguïté leur avis, il leur dit : « Lacédémoniens, que ceux qui estiment que la trêve est rompue et que les Athéniens sont coupables, se rangent de ce côté » - en même temps il joignait le geste à la parole - « que ceux qui sont d'un avis contraire, se rangent de ce côté-là. » Les Lacédémoniens se levèrent et se partagèrent. Une majorité importante décida que la trêve avait été rompue. On rappela ensuite les alliés pour leur dire que l'assemblée jugeait les Athéniens coupables. Mais on voulut auparavant faire voter chez eux tous les alliés, afin de n'entreprendre la guerre que d'un commun accord, si telle était leur opinion (78). Après quoi les alliés retournèrent dans leurs pays respectifs ; un peu plus tard, les Athéniens partirent après avoir réglé les affaires qui les avaient amenés à Sparte. La décision de l'assemblée, qui déclarait la trêve rompue, eut lieu la quatorzième année après la paix de Trente Ans, conclue à la suite des événements d'Eubée.  

LXXXVIII. - En décidant que la trêve était rompue et qu'il fallait recourir à la guerre, les Lacédémoniens obéissaient moins aux discours de leurs alliés qu'à la crainte de voir augmenter la puissance des Athéniens, car ils s'apercevaient que la majeure partie de la Grèce était déjà sous leur dépendance.  

Le récit du livre I chapitre III de Thucydide a pour but de relater l'expansion athénienne de 479 à 432 avant notre ère, c'est à dire de la période comprise entre les défaites perses de Platées et Mycale et le début de la 2ème guerre du Péloponnèse. Les informations chronologiques sont mises en évidence. 

(I, 89) Prise de Sestos par les Athéniens et leurs alliés et début de la reconstruction des murailles d'Athènes.

LXXXIX. - Voici maintenant la manière dont les Athéniens étaient parvenus à développer ainsi leur puissance. Quand les Mèdes, vaincus sur mer et sur terre par les Grecs, eurent quitté l'Europe ; quand ceux d'entre eux qui avaient cherché avec leurs navires un refuge à Mycalè eurent péri, Léotychidès, roi de Lacédémone, qui commandait les Grecs à Mycalè, se retira à Lacédémone avec ses alliés du Péloponnèse. Quant aux Athéniens, aux Ioniens et à leurs alliés de l'Hellespont, révoltés déjà contre le Roi, ils restèrent sous les murs de Sestos, qu'occupaient les Mèdes et l'assiégèrent ; ils y passèrent l'hiver et, quand les Mèdes eurent abandonné la ville, ils l'occupèrent, après quoi ils quittèrent l'Hellespont, chacun s'en retournant chez soi. Après le départ des Barbares, le peuple athénien se mit en devoir de faire revenir à Athènes les enfants, les femmes et tous les objets mobiliers qui lui restaient (79) il se disposa aussi à reconstruire la ville et les remparts. De l'enceinte, il ne subsistait que peu de chose ; la plupart des maisons étaient en ruine ; il n'en restait que quelques-unes, où avaient cantonné les principaux des Perses.  

(I, 90-93) Manœuvres des Athéniens pour reconstruire les murailles d'Athènes et mettre Sparte sur le fait accompli.

XC. - Les Lacédémoniens informés de ce projet envoyèrent une ambassade à Athènes. D'un côté ils auraient vu avec satisfaction que ni Athènes ni une autre ville n'eût de murailles. Surtout ils obéissaient aux excitations de leurs alliés ; ils redoutaient aussi l'importance de la marine athénienne, qui n'existait pas auparavant, et l'audace qu'Athènes avait montrée dans la guerre contre le Mède. Selon eux, les Athéniens ne devaient pas élever de remparts ; ils les invitaient même à détruire avec eux les fortifications construites en dehors du Péloponnèse. Mais ils se gardèrent de laisser voir leurs intentions et leur défiance secrète. Ils prenaient pour prétexte qu'en cas de retour du Barbare, celui-ci ne devait pas trouver une base solide d'opérations, comme la chose s'était produite récemment pour Thèbes. Le Péloponnèse était, pour tous, prétendaient-ils, un refuge et une base suffisante. Sur le conseil de Thémistocle les Athéniens congédièrent sur-le-champ les Lacédémoniens, en leur disant qu'ils allaient envoyer à Lacédémone une ambassade à ce sujet. Thémistocle leur conseilla de l'envoyer lui-même le plus rapidement possible à Lacédémone, mais sans faire partir en même temps que lui les envoyés choisis pour être ses collègues. « Il fallait attendre jusqu'au moment où la muraille aurait atteint la hauteur nécessaire pour y organiser la résistance. Tous ceux qui se trouvaient dans la ville, sans distinction, hommes, femmes et enfants, devaient participer à ces travaux ; sans épargner aucun édifice privé ou public dont les matériaux pussent servir à la construction du rempart, il fallait les détruire tous. » Telles furent ses instructions ; il ajouta que pour les autres questions il les traiterait là-bas, puis il partit. Arrivé à Lacédémone, il ne se rendit pas auprès des autorités ; mais il fit traîner les choses en longueur et chercha des prétextes. Chaque fois qu'un personnage en charge lui demandait pourquoi il ne comparaissait pas devant l'assemblée, il alléguait le retard de ses collègues « quelque affaire avait dû les retenir, mais il attendait sous peu leur arrivée et s'étonnait même qu'ils ne fussent pas encore là ! »  

XCI. - Ces paroles de Thémistocle, en raison de l'affection qu'on avait pour lui, n'éveillaient aucune méfiance. Mais des gens survenaient qui accusaient les Athéniens de s'entourer de remparts ; ceux-ci atteignaient déjà une certaine hauteur, il n'y avait plus moyen d'en douter. Informé de ces rumeurs, Thémistocle invita les Lacédémoniens à ne pas ajouter foi à ces bruits mensongers et à envoyer plutôt une ambassade composée de gens de confiance qui rapporteraient fidèlement ce qu'ils auraient constaté. Thémistocle prévient en secret les Athéniens de leur arrivée et recommande de retenir les Lacédémoniens de la manière la moins apparente possible et de ne pas les laisser repartir avant son retour et celui de ses collègues. Déjà ceux-ci étaient arrivés à Lacédémone : Abronichos, fils de Lysiclès, et Aristidès, fils de Lysimachos, qui venaient annoncer que les murailles avaient la hauteur nécessaire. Thémistocle en effet redoutait qu'une fois exactement informés, les Lacédémoniens ne voulussent plus les laisser partir. Les Athéniens, selon sa recommandation, retinrent les Lacédémoniens. Alors Thémistocle s'adressa au peuple et lui dit sans détours qu'Athènes était suffisamment fortifiée pour garantir la vie de ses habitants. « Si les Lacédémoniens et leurs alliés voulaient y envoyer une ambassade, ce devait être comme à des gens qui discernaient aussi bien l'intérêt général de la Grèce que le leur propre. Quand ils avaient jugé que le parti le meilleur consistait à quitter la ville pour monter sur leurs vaisseaux, c'était sans le concours des Lacédémoniens qu'ils avaient pris cette résolution hardie ; pour toutes les décisions prises en commun, les Athéniens ne s'étaient montrés inférieurs en intelligence à personne. Maintenant, ils étaient d'avis que le mieux était que leur ville fût fortifiée : c'était la solution la plus avantageuse pour les citoyens en particulier et pour les alliés en général ; car il n'était pas possible avec des préparatifs inégaux de prendre des décisions égales ou identiques pour tous. Ou il fallait que tous fussent démunis de murailles pour combattre ou il fallait estimer que la conduite des Athéniens était la bonne (80).  

XCII. - A ces paroles, les Lacédémoniens se gardèrent de manifester leur colère aux Athéniens. S'ils avaient envoyé une ambassade, ce n'était pas pour les empêcher de fortifier Athènes, mais soi-disant pour leur donner un conseil inspiré de l'intérêt général ; d'autant plus qu'ils étaient alors particulièrement animés de sympathie à leur endroit, en raison de l'ardeur apportée par les Athéniens contre le Mède. Néanmoins ils étaient secrètement irrités de voir leurs désirs trompés. Les délégués des deux pays s'en retournèrent chez eux, sans avoir exprimé de récriminations.  

XCIII. - C'est ainsi que les Athéniens arrivèrent en peu de temps à fortifier leur ville. La construction, qui existe encore, montre la précipitation avec laquelle elle a été entreprise ; les fondations sont faites de pierres de toute sorte, non assemblées, mais disposées au fur et à mesure qu'on les apportait. On y entassa en grand nombre des colonnes funéraires et des pierres sculptées (81) ; partout l'enceinte de la ville fut élargie ; aussi poursuivait-on tous ces travaux à la fois et ne se donnait-on pas de répit. Thémistocle persuada aussi les Athéniens de terminer les fortifications du Pirée, qu'on avait commencé à élever l'année de son archontat. Il estimait que l'endroit était favorable, car il comprenait trois ports naturels ; de plus les Athéniens s'étant adonnés à la marine, ils tireraient de cet emplacement un grand avantage pour leur puissance. En effet, c'est lui qui, le premier, osa leur dire qu'ils devaient devenir les maîtres de la mer et qui dès l'abord leur facilita les débuts de cette domination. Telle fut la pensée qui les guida dans la construction de cette épaisse muraille qui à l'heure actuelle est encore visible aux abords du Pirée. Deux chars, qui se croisaient, amenaient les pierres. A l'intérieur, on n'employait ni chaux mortier ; on assemblait de grandes pierres taillées à angle droit et celles du parement réunies par des crampons de fer et du plomb fondu. La hauteur du mur n'atteignit qu'à la moitié environ de celle que Thémistocle avait projetée. Il eût voulu que la hauteur et la largeur de la muraille permissent de résister aux attaques des ennemis et il estimait qu'un petit nombre d'hommes, les moins valides, suffirait à en assurer la garde, les autres montant sur les vaisseaux. C'était surtout à la marine qu'il consacrait toute sa vigilance, car il avait constaté, me semble-t-il, que l'accès par mer était, pour l'armée du Grand Roi, plus facile que par terre. A ses yeux le Pirée était plus utile que la ville haute. Souvent même il donnait aux Athéniens le conseil, au cas où ils seraient pressés sur terre, de descendre au Pirée, de s'y embarquer pour résister envers et contre tous. C’est ainsi que les Athéniens s'entourèrent de murailles et prirent toutes autres dispositions, aussitôt après la retraite des Mèdes.  

(I, 94) Appareillage de la flotte grecque commandée par le Spartiate Pausanias. l'expédition se dirige d'abord vers Chypre puis assiège et prend Byzance.

XCIV. - Pausanias, fils de Cléombrote, fut envoyé de Lacédémone comme stratège avec vingt vaisseaux du Péloponnèse . Trente vaisseaux athéniens et des alliés en grand nombre l'accompagnèrent. Ils se dirigèrent vers Chypre, où ils soumirent la plus grande partie de l'île . De là, ils se rendirent à Byzance, que les Mèdes occupaient et qui fut réduite à la suite d'un siège mené sous les ordres de Pausanias . 

(I, 95) Pausanias est rappelé à Sparte suite à des accusations d'abus de pouvoir et d'intelligence avec l'ennemi, il est innocenté pour manque de preuves puis remplacé par Dorcis mais celui-ci n'est pas reconnu par les alliés. Les Spartiates se retirent et laisse Athènes diriger l'alliance. 

XCV. - Déjà Pausanias usait de violence ; les Grecs en montrèrent de l'irritation, particulièrement les Ioniens et tous ceux qui venaient de s'affranchir de la domination du Roi. Ils allèrent trouver les Athéniens, auxquels ils proposèrent de se mettre à leur tête, en raison de leur communauté d'origine. Les Athéniens, disaient-ils, ne devaient pas laisser toute latitude à Pausanias pour exercer ses violences. Les Athéniens accueillirent cette demande et prirent leurs dispositions pour parer à cette éventualité et adopter les mesures qui leur paraîtraient les meilleures. C'est alors que les Lacédémoniens rappelèrent Pausanias pour le mettre en jugement au sujet des faits dont ils avaient été informés. Les Grecs qui venaient à Lacédémone l'accusaient de ne commettre que des injustices et d'exercer sa charge de stratège à la manière d'un tyran. Il fut rappelé précisément au moment où les alliés, à l'exception des soldats du Péloponnèse, passaient en haine de sa personne du côté des Athéniens. Arrivé à Lacédémone il fut traduit en justice pour des torts causés à des particuliers, mais fut acquitté sur les accusations les plus importantes. On lui reprochait particulièrement son médisme, grief qui paraissait tout à fait fondé. Par la suite les Lacédémoniens ne lui accordèrent plus de commandement ; ils envoyèrent Dorcis et quelques autres avec des troupes peu nombreuses . Les alliés leur refusèrent le commandement en chef, aussi Dorcis et les autres revinrent-ils chez eux. Les Lacédémoniens n'expédièrent plus personne, dans la crainte de voir leurs envoyés se corrompre hors du pays, comme c'était arrivé avec Pausanias. D'ailleurs ils désiraient en finir avec la guerre contre le Mède, estimaient que les Athéniens étaient en état de la conduire et, pour l'instant, les deux peuples entretenaient de bonnes relations.  

(I, 96, 97) Création de la ligue de Délos.

XCVI. - C'est ainsi que les Athéniens obtinrent l'hégémonie du consentement des alliés et grâce à l'hostilité que ceux-ci nourrissaient contre Pausanias. Ils fixèrent les villes qui devaient fournir des contributions contre le Barbare et celles qui devaient fournir des vaisseaux. Le prétexte était de se venger, en ravageant les terres du Roi, des maux subis. C'est alors que pour la première fois on institua chez les Athéniens la magistrature des Hellénotames (82), chargés de percevoir le tribut. C'est de ce nom (phoros) qu'on appela la contribution en argent. Le premier tribut fut fixé à quatre cent soixante talents. Le trésor se trouvait à Délos et les assemblées se tenaient dans le temple.  

XCVII. - A la tête des alliés, d'abord autonomes et délibérant en commun à égalité dans les assemblées, les Athéniens, par la guerre et l'administration, affermirent considérablement leur prééminence dans la période comprise entre la guerre contre le Mède et la guerre du Péloponnèse. Ils se trouvèrent aux prises avec le Barbare, avec leurs propres alliés révoltés et avec des Péloponnésiens qui, en maintes affaires, se dressaient contre eux. J'ai raconté ces événements, ainsi amené à faire une digression ; la raison en est que ce point a été laissé de côté par tous mes prédécesseurs, qui n'ont rapporté que les événements de la Grèce avant les guerres médiques et les guerres elles-mêmes. Il est vrai qu'Hellanicos (83) dans son histoire d'Athènes a abordé la question, mais il l'a traitée rapidement et d'une manière inexacte quant à la chronologie. Du reste ma narration montre la façon dont s'est édifiée la puissance athénienne.  

(I, 98) Siège et prise d'Éïon. Ensuite, attaque et prise de Scyros. Guerre contre Carystos qui se termine par un accommodement. Puis Athènes assiégea et prit Naxos qui s'était révoltée, elle devint ainsi le premier état sujet d'Athènes.

XCVIII. - D'abord sous la conduite de Cimon, fils de Miltiade, les Athéniens assiégèrent et prirent Eion, à l'embouchure du Strymon, ville occupée par les Mèdes et réduisirent en esclavage la population ; les habitants de Scyros, île de la mer Égée, qu'habitaient les Dolopes, eurent le même sort et les Athéniens y installèrent une colonie. Ils firent la guerre aux Carystiens, sans qu'intervînt le reste de l'Eubée, finalement conclurent un accord. Les habitants de Naxos, qui voulaient quitter la ligue, eurent à subir une guerre et par un siège furent mis à la raison. Ce fut la première ville alliée qui perdit la liberté, contrairement aux conventions fédérales ; chacune des autres par la suite subit le même sort.  

XCIX. - Les tentatives de sécession des cités alliées avaient d'autres causes encore la principale était l'insuffisance des tributs et des vaisseaux fournis, et parfois le refus du service militaire. Car les Athéniens avaient de grandes exigences et par leurs moyens de répression étaient à charge à leurs alliés, qui n'avaient ni l'habitude ni la volonté de supporter un pareil traitement. D'autre part, le commandement des Athéniens était loin de donner la même satisfaction qu'autrefois ; ils ne participaient plus sur un pied d'égalité aux expéditions ; enfin il leur était facile de réduire les révoltés. Les alliés y furent bien pour quelque chose. La plupart d'entre eux, par répulsion pour le service militaire et pour éviter de quitter leur pays, avaient, au lieu de fournir des vaisseaux, fixé une somme d'argent équivalente. Ainsi la marine athénienne se développait grâce à la contribution des alliés ; en revanche, quand ils se révoltaient, ils se trouvaient sans préparatifs et sans expérience pour la guerre (84).  

(I, 100) Plus tard, victoires navale et terrestre de l'Eurymédon sur les Perses. Ensuite, défection puis siège de Thassos, établissement d'une colonie à Dabrescos. 

C. - Après ces événements, eurent lieu, à l'embouchure du fleuve Eurymédon, en Pamphylie, un combat sur terre et un combat sur mer, entre les Athéniens et leurs alliés et les Mèdes. Les Athéniens sous le commandement de Cimon, fils de Miltiade, remportèrent le même jour une double victoire, s'emparèrent des trières phéniciennes (85) et en détruisirent deux cents. Peu de temps après, les habitants de Thasos firent défection, à la suite de différends au sujet de leurs ports de commerce en Thrace sur la côte opposée et de mines (86) qu'ils exploitaient. La flotte athénienne fit route vers Thasos, remporta une bataille navale et opéra un débarquement. Vers la même époque, les Athéniens envoyèrent dix mille colons, athéniens et alliés, pour occuper l'endroit appelé alors les Neuf-Voies, la ville actuelle d'Amphipolis. Ils s'emparèrent des Neuf-Voies, occupées par les Edoniens ; ensuite, ils s'avancèrent dans I'intérieur des terres, mais périrent en grand nombre à Drabescos d'Edonie sous les coups des Thraces réunis, qui voyaient d'un mauvais oeil la fondation de la ville des Neuf-Voies.

(I, 101) Les Thassiens assiégés font appel aux Spartiates. Ceux-ci répondent favorablement mais une révolte des hilotes et des Périèques de Thouria faisant suite au tremblement de terre à Sparte les empêche d'intervenir. Prise de Thassos par les Athéniens après plus de deux ans de siège.

CI. - Après quelques défaites les Thasiens assiégés firent appel aux Lacédémoniens ; ils les supplièrent de venir à leur aide en envahissant l'Attique. Les Lacédémoniens promirent du secours, à l'insu des Athéniens (87), mais ils tardèrent à l'envoyer et furent empêchés par le séisme qui se produisit. C'est alors que les Hilotes (88) et, parmi les Périèques (89), ceux de Thouria et d'Aethrea se révoltèrent et se réfugièrent au Mont Ithome. La plupart des Hilotes descendaient des anciens Messéniens qui, jadis, avaient été réduits en esclavage. Aussi les désignait-on sous du nom de Messéniens. Les Lacédémoniens firent la guerre contre ces réfugiés du Mont Ithome. Les Thasiens étaient assiégés depuis plus de deux ans, quand ils signèrent une convention avec les Athéniens. Ils s'engageaient à détruire leurs murailles, à livrer des vaisseaux, à fournir immédiatement tout l'argent qu'on leur demandait, à payer tribut à l'avenir et à abandonner le continent et les mines.

(I, 102) Les Spartiates font appel aux Athéniens pour les aider à mater la révolte. Les Spartiates congédient les Athéniens par crainte de les voir s'allier avec les révoltés. Alliance des Athéniens avec les Argiens ennemis de Sparte.

CII. - Les Lacédémoniens, voyant que les hostilités contre les réfugiés de l'Ithome se prolongeaient, firent appel à quelques-uns de leurs alliés et particulièrement aux Athéniens. Ceux-ci arrivèrent avec des forces assez considérables, sous le commandement de Cimon. Si on avait fait appel à leurs services, c'est surtout parce qu'ils passaient pour être habiles dans l'art de conduire les sièges (90). Mais, comme l'investissement se prolongeait, on douta de leurs capacités. Si l'on eût employé la force, on eût pris la forteresse. Tel fut, à la suite de cette campagne, le premier dissentiment déclaré entre Lacédémoniens et Athéniens. Ne parvenant pas à s'emparer de force de la place, les Lacédémoniens commencèrent à redouter l'audace et l'esprit révolutionnaire des Athéniens ; ils les considéraient aussi comme d 'une autre race et craignaient qu'à l'instigation des gens de l'Ithome ils ne tentassent quelque révolution. Aussi les renvoyèrent-ils seuls parmi les alliés, en se gardant bien de leur montrer la suspicion dans laquelle ils les tenaient et en leur déclarant qu'ils n'avaient plus besoin d'eux. Les Athéniens devinèrent qu'on ne leur donnait pas le motif véritable de leur renvoi et qu'on se défait d'eux. Ils en furent irrités et estimèrent qu'ils n'avaient pas mérité ce traitement de la part des Lacédémoniens. Aussitôt rentrés chez eux, ils renoncèrent à l'alliance lacédémonienne conclue contre le Mède et s'unirent contre les Lacédémoniens aux Argiens, leurs ennemis. Un traité et une alliance réciproques furent également conclus avec les Thessaliens.

(I,103) Dans la 10ème année les révoltés sont contraints à traiter et sont accueillis par Athènes. Les Mégariens en guerre contre Corinthe se détachent de Sparte et s'allient avec Athènes.

CIII. - Les assiégés de l'Ithome, voyant qu'ils ne pouvaient prolonger une lutte qui durait depuis dix ans, conclurent une capitulation avec les Lacédémoniens ; ils s'engageaient à quitter le Péloponnèse sur la foi d'un traité et à n'y plus jamais mettre le pied ; au cas où l'un d'eux y serait pris, il deviendrait l'esclave de celui qui l'aurait arrêté. Avant ces événements un oracle d'Apollon Pythien (91) avait prescrit aux Lacédémoniens de relâcher le suppliant de Zeus de l'Ithome. Les révoltés quittèrent donc le Péloponnèse avec femmes et enfants ; les Athéniens, par haine des Lacédémoniens, les accueillirent et les établirent à Naupacte, ville qu'ils avaient enlevée récemment aux Locriens -Ozoles. Les Mégariens, à leur tour, se révoltèrent contre les Lacédémoniens et vinrent grossir le nombre des alliés d'Athènes ; la raison de cette défection était qu’ils se trouvaient, pour une question de frontières, en butte aux attaques de Corinthiens. Les Athéniens furent alors maîtres de Mégare et de Pèges ; ils construisirent pour les Mégariens les murs qui relient la ville à Nisaea et y montèrent eux-mêmes la garde. C'est de là que naquit principalement la haine inexpiable des Corinthiens contre les Athéniens (92).

(I,104) Révolte d'une partie de l'Égypte contre Artaxerxès. Leur chef Inaros fait appel aux Athéniens. A ce moment les Athéniens abandonnent leur campagne contre Chypre et partent pour l'Égypte. Début de l'expédition athénienne en Égypte.

CIV. - Le Libyen Inaros, fils de Psammétichos, roi des Libyens qui confinent à l'Égypte, prenant comme base Marèia qui se trouve au-dessus de la ville de Pharos, souleva la plus grande partie du pays contre le roi Artaxerxès. S'étant mis à la tête des insurgés, il appela les Athéniens. Ceux-ci, qui combattaient contre Chypre avec deux cents vaisseaux (93), tant athéniens qu'alliés, abandonnèrent Chypre pour venir le rejoindre. De la mer, ils remontèrent le Nil, se rendirent maîtres du fleuve et de deux quartiers de Memphis ; ils attaquèrent le troisième qu'on appelle le Mur Blanc où se trouvaient les réfugiés Perses et Mèdes et ceux des Egyptiens qui n'avaient pas pris part à la révolte.

(I, 105) Défaite athénienne face à Corinthe et Épidaure. Victoire navale sur une flotte péloponnésienne. Guerre entre Égine et Athènes. Victoire navale d'Athènes et prise d'Égine. Les Péloponnésiens viennent au secours d'Égine mais n'arrivent pas à libérer la ville.

CV. - Les Athéniens, qui avaient débarqué sur le territoire d'Halies, livrèrent combat aux Corinthiens et aux Épidauriens ; les Corinthiens furent vainqueurs. Ensuite devant Cecryphaleia, la flotte athénienne combattit la flotte péloponnésienne. La victoire resta aux Athéniens. Les Athéniens firent ensuite la guerre aux habitants d'Égine un grand combat naval eut lieu, en vue d'Égine, entre Athéniens et Eginètes, qu'assistaient leurs alliés respectifs. Les Athéniens furent vainqueurs ; ils capturèrent soixante -dix vaisseaux, débarquèrent et sous le commandement de Léocratès, fils de Stroebos, assiégèrent la ville. Les Péloponnésiens, voulant venir au secours des Eginètes, firent passer dans l'île trois cents hoplites qui auparavant avaient combattu à côté des Corinthiens et des Épidauriens ; ils s'emparèrent de la position élevée de Géraneia. Puis, les Corinthiens descendirent en Mégaride avec leurs alliés ; ils pensaient que les Athéniens seraient dans l'impossibilité de venir au secours des Mégariens, car une grande partie de leur armée se trouvait à Égine et en Égypte ; ils espéraient au moins, si les Athéniens les secouraient, les voir quitter Égine. Les Athéniens ne firent pas appel à leurs troupes du siège d'Égine ; mais les classes les plus âgées et les plus jeunes restées à Athènes quittèrent la ville et se dirigèrent vers Mégare sous la conduite de Myronidès. La bataille qu'ils livrèrent aux Corinthiens fut indécise et les deux partis se séparèrent, chacun d'eux estimant qu'il avait remporté la victoire. Les Athéniens, qui toutefois avaient eu plutôt l'avantage, élevèrent un trophée après la retraite des Corinthiens. Ceux-ci furent raillés par les vieillards demeurés dans la ville, mirent douze jours environ pour se préparer, puis revinrent élever, en face eux aussi, un trophée, comme s'ils avaient été vainqueurs. Les Athéniens sortirent de Mégare et massacrèrent les ennemis qui cherchaient à élever le trophée, puis en vinrent aux mains avec les autres qui furent défaits. 

CVI. - Vaincus, les Corinthiens se retirèrent et un de leurs détachements, assez important, talonné et égaré, fut contraint de s'abriter dans une propriété particulière, entourée d'un fossé profond et sans issue. Les Athéniens s'en aperçurent, fermèrent l'entrée avec des hoplites, disposèrent à l'entour des troupes légères et lapidèrent tous les Corinthiens, quand ils tentèrent de sortir ; les Corinthiens furent très affligés de cet échec. Le gros de leur armée regagna ses foyers.

(I, 107) A ce moment là, construction des murs reliant Athènes au Pirée et à Phalère. Les Phocidiens envahissent la Doride et sont contraints à traiter suite à l'intervention des Péloponnésiens. Ceux-ci se retrouvent bloqués en Béotie par les Athéniens qui envoient une armée.

CVII. - Vers cette époque, les Athéniens se mirent à élever les Longs-Murs, qui relient la ville à la mer, l'un dans la direction de Phalère, l'autre dans la direction du Pirée. Les Phocidiens firent une expédition contre la Doride, berceau des Lacédémoniens, et principalement contre Boeon, Cytinion et Erinéon et s'emparèrent d'une de ces bourgades. Alors, les Lacédémoniens, sous le commandement de Nicomédès, fils de Cléombrote, tuteur de Pleistoanax, fils de Pausanias, trop jeune pour exercer la royauté, se portèrent au secours des Doriens avec quinze cents de leurs hoplites et dix mille alliés. Ils contraignirent les Phocidiens à rendre la place par capitulation, puis se retirèrent. Ils se trouvaient bien embarrassés. Car les Athéniens, au cas où ils voudraient faire route par mer à travers le golfe de Crisa, les en empêcheraient ; la route de la Géraneia n'était pas sûre, les Athéniens possédant Mégare et Pèges ; la route de la Géraneia est difficilement praticable et les Athéniens y montaient constamment la garde. Ils se rendaient compte que par là aussi ils se heurteraient à l'ennemi. Finalement ils décidèrent de rester en Béotie et d'y attendre le moment favorable pour s'en retourner. Il faut tenir compte aussi qu'à Athènes une faction (94) les encourageait en cachette, espérant mettre fin au régime démocratique et empêcher la construction des Longs-Murs. Les Athéniens en masse se portèrent à leur rencontre, avec mille Argiens et avec des contingents de tous les alliés. Au total, ils étaient quatorze mille. Ils avaient justement pensé que les Lacédémoniens se trouveraient embarrassés pour leur retour et ils soupçonnaient aussi quelque machination pour détruire le régime démocratique. Des cavaliers thessaliens vinrent aussi, en vertu du traité, se joindre aux Athéniens, mais au cours de l'action ils passèrent du côté des Lacédémoniens.

(I, 108) Victoire de Sparte et de ses alliés à Tanagra. Les Péloponnésiens rentrent chez eux puis Athènes envahie la Béotie et la Phocide. Achèvement de la construction des murs. Capitulation d'Égine. Expédition athénienne autour du Péloponnèse, incendie de l'arsenal maritime de Sparte, prise de Chalcis et victoire sur les troupes de Sicyon.

CVIII. - Le combat eut lieu à Tanagra de Béotie ; les Lacédémoniens et leurs alliés furent vainqueurs ; les pertes furent lourdes des deux côtés. Les Lacédémoniens poussèrent une pointe en Mégaride, y abattirent les arbres, puis rentrèrent chez eux par la Géraneia et l'isthme. Soixante-deux jours après ce combat, les Athéniens, sous le commandement de Myronidès, marchèrent contre les Béotiens ; ils les défirent dans une rencontre aux Oenophytes, s'emparèrent de la Béotie et de la Phocide. Ils rasèrent les murailles de Tanagra et se firent donner comme otages cent des plus riches citoyens parmi les Locriens Opuntiens. A Athènes la construction des Longs-Murs fut terminée. Après ces événements, les Athéniens reçurent la capitulation des Eginètes ; ceux-ci rasèrent leurs murailles, livrèrent des vaisseaux, s'imposèrent pour l'avenir un tribut. Les Athéniens, sous la conduite de Tolmidès, fils de Tolmaeos, firent avec leur flotte le tour du Péloponnèse et vinrent brûler à Gythion l'arsenal des Lacédémoniens ; ils prirent aussi aux Corinthiens Chalcis et au cours d'une descente dans leur pays défirent les Sicyoniens.

(I, 109, 110) En Égypte, les Perses chassent les Grecs de Memphis et les bloquent sur l'île de Prosopitis. Le siège dure dix-huit mois puis l'île est prise. Une escadre athénienne venue relever les troupes est presque entièrement détruite, l'expédition aura duré six ans. Seul la région des marais, ou règne Amyrtaïos, résiste aux Perses.

CIX. - Les Athéniens et leurs alliés qui se trouvaient en Égypte s'y maintenaient. Ils y connurent maintes vicissitudes. Tout d'abord ils se rendirent maîtres du pays. Le Grand Roi envoya alors à Lacédémone un Perse, Mégabazos, avec de l'argent ; il devait amener les Lacédémoniens à se jeter sur l'Attique, ce qui eût contrant les Athéniens à abandonner l'Égypte. Mais il n'y réussit pas ; l'argent fut dépensé en vain. Alors Mégabazos, avec les fonds qui lui restaient, s'en retourna en Asie. A la suite de cet échec, le Roi envoya un autre Perse, Mégabyzos, fils de Zopyros, à la tête d'une nombreuse armée. Arrivé dans le pays, il défit les Égyptiens et leurs alliés, chassa les Grecs de Memphis et les enferma dans l'île de Prosopitis, où il les assiégea pendant dix-huit mois. Finalement, il assécha le canal, détourna l'eau, mettant ainsi à sec les navires et transformant presque entièrement l'île en continent ; il y passa à pied et s'en rendu maître.

CX. - C'est ainsi que les Grecs, qui combattaient là depuis six ans, se trouvèrent dans une situation désespérée. De cette nombreuse armée, quelques-uns seulement se sauvèrent en traversant la Libye jusqu'à Cyrène ; la plupart périrent. L'Égypte retomba au pouvoir du Roi, à l'exception des planes basses où régnait Amyrtaos. Les dimensions de cette partie du pays le rendaient imprenable ; les habitants y sont aussi les plus belliqueux. Inaros, ce roi de Libye qui avait mené toute cette affaire, fut pris par trahison et empalé. Cinquante trières, appartenant aux Athéniens et à leurs alliés, qui venaient relever les troupes d'Égypte, se trouvaient alors près de la bouche Mendésienne : elles ignoraient tout des événements. Des forces d'infanterie sur terre et la flotte phénicienne sur mer les attaquèrent et détruisirent la plupart des vaisseaux ; très peu parvinrent à s'échapper. Telle fut la fin de la grande expédition envoyée en Égypte par les Athéniens et leurs alliés (95).

(I, 111) Expédition athénienne ratée en Thessalie. Victoire sur les Sicyoniens puis siège d'Oïniadaï qui résiste.

CXI. - Orestès, fils d'Echécratidès, roi de Thessalie, banni de son pays, avait persuadé aux Athéniens de le rétablir sur le trône ; avec l'aide des Béotiens et des Phocidiens, leurs alliés, les Athéniens dirigèrent une expédition contre Pharsale en Thessalie. Contenus par les cavaliers thessaliens, ils ne purent occuper que le pays à proximité de leur camp. La ville ne tomba pas entre leurs mains ; aucun de leurs buts de guerre ne se trouva atteint ; ils se retirèrent alors, suivis d'Orestès, comme ils étaient venus. Peu après, mille Athéniens s'embarquèrent dans le port de Pèges qui leur appartenait et gagnèrent Sicyanè sous la conduite de Péricles, fils de Xanthippos. Une fois débarqués, ils défirent les troupes ennemies qui en vinrent aux mains. Sans tarder ils s'adjoignirent des Achéens, passèrent sur la rive opposée et marchèrent contre Oeniades en Acarnanie ; ils ne réussirent pas à prendre la ville et rentrèrent chez eux.

(I, 112) 3 ans plus tard, une trêve de cinq ans est conclue entre Athéniens et Péloponnésiens. Expédition contre Chypre. Une partie de la flotte se dirige vers l'Égypte à la demande d'Amyrtaïos. Les Athéniens se retirent de Chypre suite à la mort de Cimon puis battent une flotte ennemie avant de rentrer à Athènes avec la flotte revenue d'Égypte. Expédition de Sparte pour rendre le sanctuaire de Delphes aux Delphiens mais sitôt retirés les Athéniens le rende aux Phocidiens.

CXII. - Trois années encore s'écoulèrent. Une trêve de cinq ans fut conclue alors entre Lacédémoniens et Athéniens. Débarrassée de toute guerre en Grèce, Athènes envoya contre Chypre une flotte de deux cents vaisseaux, tant athéniens qu'alliés, sous le commandement de Cimon. Soixante de ces navires cinglèrent vers l'Égypte sur la demande d'Amyrtaeos, roi de la partie basse, les autres assiégèrent Cition. Mais Cimon mourut ; la famine survint ; les assiégeants se retirèrent de Cition. Ils avaient déjà dépassé Salamine de Chypre, quand les Phéniciens, les Chypriotes et les Ciliciens les attaquèrent sur mer et sur le rivage ; victorieux dans ces deux combats, ils rentrèrent chez eux suivis des vaisseaux qui s'en retournaient d'Égypte. Après ces événements, les Lacédémoniens firent la guerre dite sacrée. Ils s'emparèrent du temple de Delphes qu'ils remirent aux Delphiens ; mais ils se retirèrent, les Athéniens survinrent qui, victorieux à leur tour, le rendirent aux Phocidiens.

(I, 113) Expédition athénienne en Béotie, prise de Chaïronéia puis défaite à Coronéia. Athènes évacue la Béotie et les cités recouvrent leur indépendance.

CXIII. - Quelque temps après il se trouva que des exilés béotiens occupèrent Orchomène, Chéronée et quelques autres places de Béotie. Les Athéniens avec mille de leurs hoplites, des contingents de tous leurs alliés, lancèrent une expédition contre ces villes ennemies. Tolmidés, fils de Tolmaeos, était à sa tête. On prit Chéronée, on rendit esclave la population, on y installa une garnison, puis on se retira. L'armée athénienne traversait le territoire de Chéronée, quand elle fut attaquée par les exilés béotiens d'Orchomène, aidés par des Locriens, par des exilés d'Eubée et par tous ceux qui étaient de leur parti. Ils défirent les Athéniens dont les uns furent massacrés, les autres furent faits prisonniers. Une trêve fut conclue par laquelle les Athéniens abandonnaient la Béotie tout entière, à la condition que leurs prisonniers leur fussent rendus. Les exilés béotiens rentrèrent chez eux et tous les autres recouvrèrent leur liberté.

(I, 114) Révolte de l'Eubée puis de Mégare contre Athènes. Les Péloponnésiens envahissent l'Attique jusqu'à Éleusis puis se retirent. Les Athéniens soumettent l'Eubée.

CXIV. - Peu de temps après, l'Eubée se révolta contre les Athéniens. Périclès avait déjà débarqué dans l'île, avec des troupes athéniennes, quand on vint lui annoncer la défection de Mégare, les préparatifs des Péloponnésiens pour une incursion en Attique, le massacre de la garnison athénienne par des Mégariens à l'exception des hommes qui s'étaient réfugiés à Nisaea. Les Mégariens avaient entraîné dans leur révolte les Corinthiens, les Sicyoniens et les Épidauriens. En toute hâte Périclès retira ses troupes d'Eubée. Après quoi sous la conduite de Pleistoanax, fils de Pausanias, roi de Lacédémone, les Péloponnésiens firent une incursion en Attique jusqu'à Éleusis et à la plane de Thria, qu'ils ravagèrent ; mais ils n'allèrent pas plus loin et se retirèrent. Les Athéniens passèrent de nouveau en Eubée, toujours sous la conduite de Périclès et soumirent l'île entière. Une convention en régla le sort ; mais ils chassèrent les habitants d'Hestiaea et occupèrent leur territoire.

(I, 115-117) Conclusion d'un traité de paix pour trente ans entre Athéniens et Péloponnésiens. Athènes restitue ce qu'elle a pris aux Péloponnésiens (Nisaïa, Pègaï, Trézène et l'Achaïe). Cinq ans plus tard, guerre entre Samos et Milet. Athènes intervient contre Samos et y établit une démocratie. Certains Samiens réfugiés sur le continent reviennent avec l'aide des Perses et se soulèvent contre les Athéniens puis préparent une expédition contre Milet. Byzance se révolte. Victoire navale d'Athènes sur Samos et prise de la ville après neuf mois de siège.

CXV. - Peu après l'évacuation de l'Eubée, ils conclurent avec les Lacédémoniens et leurs alliés une trêve de Trente Ans. Les Athéniens restituaient Nisaea, Péges, Trézène et l'Achaïe, ce qu'ils avaient enlevé aux Péloponnésiens. Six ans plus tard au sujet de Priène, une guerre éclata entre Samiens et Milésiens. En état d'infériorité, les Milésiens vinrent à Athènes et ils clamèrent bruyamment leurs griefs à l'adresse des Samiens. Ils s'étaient fait accompagner par quelques particuliers de Samos, qui voulaient changer la forme du gouvernement. Les Athéniens se décidèrent à envoyer quarante vaisseaux à Samos ; ils y établirent le régime démocratique ; ils prirent comme otages cinquante enfants samiens et autant d'adultes : ils les établirent à Lemnos, y laissèrent une garnison, puis se retirèrent. Un certain nombre de Samiens, hostiles à la démocratie, se réfugièrent sur le continent ; ils se concertèrent avec les plus puissants de la ville et avec Pissouthnès, fils d'Hystaspos, gouverneur de Sardes. Ils levèrent environ sept cents mercenaires et passèrent de nuit à Samos ; ils commencèrent par s'élever contre le parti démocratique et se le soumirent presque entièrement. Puis ils enlevèrent par surprise à Lemnos leurs otages, se révoltèrent ouvertement et livrèrent à Pissouthnès la garnison et les magistrats athéniens qui étaient auprès d'eux. Ils se préparèrent aussitôt à attaquer Milet. Les habitants de Byzance les suivirent dans leur révolte.

CXVI. - A cette nouvelle, les Athéniens, qui avaient pris la mer avec soixante vaisseaux, en détachèrent seize, les uns pour surveiller dans les parages de la Carie la flotte phénicienne, les autres pour demander du secours à Chios et à Lesbos. Ils avaient donc quarante-quatre vaisseaux, quand sous le commandement de Périclès et de neuf autres stratèges, ils livrèrent bataille face à l'île de Tragia à la flotte samiennes : celle-ci comprenait soixante-dix unités, dont vingt transportant des troupes, qui étaient parties de conserve de Milet. Les Athéniens furent victorieux. Par la suite, un renfort de quarante vaisseaux athéniens, de vingt-cinq de Chios et de Lesbos vint les rejoindre ; les troupes débarquèrent, défirent l'adversaire et investirent la ville au moyen de trois murs, la bloquant également par mer. A la nouvelle qu'une flotte phénicienne venait à la rescousse, Périclès, avec soixante vaisseaux qui coopéraient au blocus, se porta en toute hâte vers Caunos et la Carie. Effectivement, Stésagoras et d'autres Samiens étaient partis avec cinq vaisseaux de Samos pour rejoindre la flotte phénicienne.

CXVII. - La flotte des Samiens fit alors une sortie inattendue, tomba sur le camp ennemi non retranché, détruisit les vedettes placées en observation, livra combat à celles qui s'avancèrent à sa rencontre et les défit. Les Samiens, pendant quatorze jours, furent maîtres de la mer aux alentours de l'île ; ils importèrent et exportèrent tout ce qu'ils voulurent . Mais, au retour de Périclès, ils furent de nouveau bloqués par la flotte athénienne. De plus Athènes envoya par la suite un renfort de quarante vaisseaux avec Thucydide, Hagnon et Phormion vingt autres encore avec Tlépolémos et Anticlès ; trente vinrent de Chios et de Lesbos . Les Samiens livrèrent un bref combat naval, mais ne pouvant résister ils durent capituler après neuf mois de siège . Ils s'engagèrent par une convention à détruire leurs murailles, à donner des otages, à livrer des vaisseaux, à rembourser à échéances fixées les frais de la guerre. Les Byzantins eux aussi acceptèrent de devenir sujets, comme ils l'étaient auparavant (96).

(I, 118) Quelques années plus tard, début de la guerre du Péloponnèse.

CXVIII. - C'est peu d'années après ces événements que se placent les faits que nous avons déjà relatés les affaires de Corcyre et de Potidée et toutes celles qui servirent de prétexte à la guerre du Péloponnèse. Toutes ces luttes des Grecs entre eux et contre le Barbare se placent dans la période de cinquante années qui va de la retraite de Xerxès au début de la présente guerre. Les athéniens la mirent à profit pour affermir leur domination et développer leur puissance. Les Lacédémoniens, tout en constatant le fait, ne s'y opposèrent que faiblement ; ils demeurèrent la plupart du temps dans l'inaction, car il était dans leurs habitudes de ne pas se décider facilement à la guerre ; ils n'y recouraient que sous la contrainte des événements. De plus, ils étaient empêchés par des guerres intestines. Mais enfin, voyant les Athéniens étendre nettement leur domination et s'attaquer à leurs alliés, ils jugèrent qu'ils n'en pouvaient tolérer davantage et décidèrent d'employer toutes leurs forces à détruire cette puissance, s'il était possible, et ils recoururent à la guerre. Ainsi les Lacédémoniens eux-mêmes étaient-ils résolus à rompre la trêve et à attaquer les Athéniens. Ils envoyèrent à Delphes demander au dieu si la guerre se terminerait heureusement pour eux. Le dieu leur répondit, à ce qu'on rapporte, qu'en combattant avec énergie, ils seraient victorieux. Il ajouta que lui-même les aiderait, qu'ils l'invoquassent ou non.

CXIX. -- Ils convoquèrent donc de nouveau leurs alliés dans l'intention de les consulter sur la nécessité de la guerre. Les alliés envoyèrent des députations et l'assemblée se réunit. Chacun exprima son avis ; la plupart accusèrent les Athéniens et furent d'avis de recourir aux armes. Quant aux Corinthiens, ils avaient déjà demandé à chaque cité en particulier de voter la guerre, car ils craignaient que dans l'intervalle Potidée ne fût anéantie. Arrivés à Lacédémone, ils s'avancèrent les derniers et s'exprimèrent ainsi qu'il suit :

CXX. - « O alliés, nous ne saurions plus reprocher aux Lacédémoniens de ne pas avoir déclaré la guerre, puisque c'est précisément dans cette intention qu'ils nous ont rassemblés aujourd’hui. Ils ont eu raison, car il faut que les chefs, tout en réglant sur un pied d'égalité les intérêts particuliers de chaque cité, veillent à l'intérêt commun, puisque tous s'accordent à les honorer d'une manière spéciale. Tous ceux d'entre nous qui ont déjà eu affaire aux Athéniens n'ont pas besoin de consuls pour se tenir sur leurs gardes. Mais il faut que ceux qui sont installés au milieu des terres et non au bord de la mer sachent bien ceci : en refusant leur aide aux populations maritimes, ils ne pourront qu'avec des difficultés plus grandes exporter leurs produits et recevoir ceux que la mer fournit au continent. Qu'ils n'aillent pas faire fi de nos avis, sous prétexte qu'ils ne les concernent pas. Au contraire, qu'ils prennent garde en abandonnant le littoral, ils risquent de voir le danger les atteindre également. Car la délibération présente les intéresse autant que les autres. Aussi, doivent-ils, sans hésitation, préférer la guerre à la paix. La sagesse consiste, tant qu'on n'est pas attaqué, à se tenir tranquille ; mais la bravoure exige qu'une fois attaqué on renonce à la paix et qu'on recoure à la guerre. D'autre part, quand les circonstances le permettent, il faut arriver à composition, car les succès militaires ne doivent pas nous enorgueillir, non plus que le charme de la paix ne doit nous amollir au point de subir l'injustice. L'homme que les plaisirs feraient hésiter se verrait bientôt dépouillé des agréments d'une vie heureuse qui causent son hésitation ; et celui qui s'enorgueillit de ses succès ne songe pas qu'il se laisse emporter par une confiance aveugle. Il arrive souvent que des opérations mal engagées se rétablissent par suite de l'imprudence de l'adversaire ; il arrive plus souvent encore que des entreprises qui paraissent judicieusement combinées, tournent à une confusion lamentable. Car nul ne met la même ardeur à concevoir et à exécuter ; toute notre assurance va à décider, mais la crainte nous fait échouer au moment d'agir.

CXXI. - « Pour nous, qui sommes attaqués, nous avons des motifs suffisants pour prendre aujourd'hui les armes ; nous les déposerons au moment opportun, quand nous aurons tiré vengeance des Athéniens. Notre victoire ne fait aucun doute pour plusieurs raisons : d'abord nous l'emportons sur nos adversaires par le nombre de nos troupes et par l'expérience de la guerre de plus tous sans distinction nous nous soumettons aux ordres donnés. Pour la marine, qui fait la force de nos adversaires, nous nous en procurerons une en utilisant nos ressources particulières et les trésors de Delphes et d'Olympie (97). En leur faisant un emprunt, nous sommes en état, par l'offre d'une solde plus élevée, de débaucher les étrangers qui servent sur leur flotte ; car la puissance des Athéniens est plus mercenaire que nationale : risque qui ne saurait nous attendre, la nôtre reposant sur les hommes plus que sur l'argent. Une seule victoire navale permet, selon toute vraisemblance, d'en finir avec eux. Au cas où ils prolongeraient la résistance, nous disposerions de plus de temps pour organiser notre marine ; lorsque notre science des choses de la mer égalera la leur, il y a toutes les chances pour que nous l'emportions par le courage. Car nos qualités naturelles, l'instruction ne saurait les leur donner. La supériorité qui leur vient de leurs connaissances, c'est à nous de la réduire à néant par la pratique. Pour arriver à cette fin, nous contribuerons de nos deniers. Car voici qui serait bien étrange : leurs alliés ne se lasseraient point de fournir les fonds pour leur asservissement, et nous, nous reculerions devant la dépense, quand il s'agit de châtier l'ennemi et d'assurer notre salut, quand il s'agit de ne pas nous laisser dépouiller de nos richesses et d'éviter la misère qui suivrait leur perte.

CXXII. - « Nous avons aussi d'autres moyens de faire la guerre la révolte de leurs alliés, excellente manière de les priver des ressources qui font leur force, la construction de forteresses menaçant leur pays et d'autres procédés qu'on ne saurait envisager pour l'instant. Car la guerre ne se développe pas le moins du monde selon un plan arrêté ; c'est elle qui trouve en elle-même bien des ressources pour parer aux surprises du hasard. La mener avec calme, c'est s'assurer la victoire ; au contraire, se laisser emporter par elle, c'est commettre d'autant plus de fautes. Aussi, il faut bien se le dire, s'il n'y avait pour chacun d'entre nous que des discussions de frontières avec des adversaires égaux en force, on le supporterait. En réalité les Athéniens sont en état de résister à toutes nos forces réunies ; à plus forte raison, l'emportent-ils sur chaque ville isolément. Si donc nous ne formons pas contre eux un bloc de tous les peuples et de toutes les villes, un bloc animé d'une seule pensée, ils triompheront sans la moindre difficulté de nos divisions. Et la défaite, sachez-le bien, quelque pénible que soit cet aveu, nous mène tout droit à l'esclavage. Le seul fait d'envisager la chose comme possible est outrageant pour des Péloponnésiens ; et il serait honteux que tant de cités fussent, du fait d'une seule, réduites à toute extrémité. Alors cette triste situation paraîtrait méritée ; notre lâcheté en serait tenue pour responsable. Nous paraîtrions inférieurs à nos ancêtres qui ont délivré la Grèce. Incapables d'assurer chez nous la liberté, coupables de laisser une cité s'ériger en tyran, nous prétendons briser les tyrannies dans chaque ville. Oui, nous nous le demandons, comment pareille conduite éviterait-elle d'être taxée d'ineptie, de mollesse, de négligence ? Ces reproches vous ne les avez pas évités et vous êtes allés jusqu'à ce mépris qui a déjà fait tort à tant de gens et qui, pour avoir égaré bien des hommes, a perdu son nom pour prendre celui de sottise.

CXXIII. - Mais pourquoi récriminer si longtemps sur le passé, si ce n'est pour le profit du présent ? C'est en vue de l'avenir qu'il faut veiller au présent et redoubler nos pénibles efforts ; car c'est chez nous une tradition de puiser ses vertus dans les difficultés mêmes. Si vous l'emportez quelque peu sur vos ancêtres par la richesse et la puissance, ce n'est pas une raison pour modifier votre conduite ; il n'est pas juste de perdre par l'opulence ce qu'on a gagné par l'indigence. Au contraire, vous avez bien des motifs de partir en guerre avec confiance l'oracle d'Apollon, qui vous promet de se ranger à vos côtés, tout le reste de la Grèce qui vous assistera, tant par crainte que par intérêt. De plus, vous ne serez pas les premiers à rompre le traité, puisque le dieu, en vous incitant à la guerre, convient qu'il a été violé ; au contraire, vous en vengerez la violation. Celle-ci est le fait, non de ceux qui se défendent, mais de ceux qui attaquent les premiers. 

CXXIV. - « Ainsi sur tous les points, les circonstances nous sont favorables pour la guerre ; c'est d'un commun accord que nous vous engageons à prendre cette décision, et la condition la plus sûre du succès, c'est que cités et particuliers aient les mêmes intérêts. Aussi ne tardez pas à secourir les Potidéates, qui sont des Doriens et assiégés par des Ioniens c'était l'inverse autrefois ; hâtez-vous en même temps d'assurer la liberté des autres Grecs. Car il n'est plus admissible que par notre temporisation les uns soient déjà maltraités et les autres à la veille de subir le même sort ; et c'est ce qui arrivera si l'on s'aperçoit que nous nous sommes réunis, mais sans avoir le courage de leur porter secours. Au contraire, dites-vous bien que la nécessité vous y pousse, ô alliés ; décidez la guerre, car c'est la meilleure solution. Oui, votez-la, sans crainte du danger immédiat et avec le désir d'assurer par elle une paix plus durable. Oui, c'est la guerre qui assure la paix, bien mieux que le refus de combattre par amour de la tranquillité. Ayez la conviction que la cité qui s'est faite le tyran de la Grèce nous menace tous également, puisqu'elle a déjà soumis certains peuples et projette de soumettre les autres ; marchons contre elle et réduisons-la, vivons désormais à l'abri du danger et délivrons les Grecs actuellement asservis. » Telles furent les paroles des Corinthiens. 

CXXV. - Les Lacédémoniens, quand tous leurs alliés eurent exprimé leur avis, firent voter successivement toutes les cités présentes, qu'elles fussent puissantes ou non. Mais comme ils étaient d'avis qu'ils ne pouvaient rien entreprendre pour le moment, en raison de leur manque de préparation, ils décidèrent que chacun se procurerait ce qu'il fallait, et cela sans le moindre retard. En moins d'une année, les préparatifs se trouvèrent terminés, l'Attique envahie et les hostilités ouvertement déclarées. 

CXXVI. - Sur ces entrefaites, les Lacédémoniens envoyèrent à Athènes une ambassade pour faire entendre leurs griefs. Ils voulaient avoir ainsi, au cas où l'on ne tiendrait pas compte de leurs réclamations, un prétexte excellent de faire la guerre. Ces envoyés lacédémoniens commencèrent par exiger des Athéniens l'expiation du sacrilège commis à l'égard de la déesse (98). Voici de quoi il s'agissait . Un certain Cylon, vainqueur aux Jeux Olympiques (99), Athénien de bonne et ancienne famille, avait épousé une fille de Théagène, à cette époque tyran de Mégare. Un jour que Cylon consultait l'oracle de Delphes, le dieu lui répondit de s'emparer de l'Acropole d'Athènes lors de la plus grande fête de Zeus ; il obtint de Théagène des hommes et décida des amis à l'aider. Quand arrivèrent les Fêtes Olympiques dans le Péloponnèse, il s'empara de l'Acropole, pour y établir la tyrannie. Il avait cru que c'était la plus grande fête de Zeus et qu'elle le concernait, vu qu'il avait été vainqueur à Olympie. Que la plus grande fête de Zeus eût lieu en Attique ou quelque part ailleurs, voilà à quoi il ne réfléchit pas et d'ailleurs l'oracle ne l'indiquait pas . Or, il y a, à Athènes, les Diasies, qui passent peur la plus grande fête de Zeus Meilichios (100) ; elles se célèbrent en dehors de la ville ; tout le peuple offre des sacrifices, non pas des victimes sanglantes, mais les produits de la contrée. Bref Cylon, qui s'imaginait interpréter convenablement l'oracle, tenta son coup de force. A cette nouvelle, les Athéniens accoururent en foule de la campagne pour s'opposer à cette tentative, puis se mirent en devoir d'assiéger les occupants de l'Acropole. Comme le siège se prolongeait, les Athéniens fatigués s'en retournèrent pour la plupart, en abandonnant aux neuf archontes (101) le soin de le poursuivre et en leur accordant tous pouvoirs de prendre les mesures utiles. Car à cette époque c'étaient les neuf archontes qui traitaient la majeure partie des affaires de l'Etat. Les assiégés avec Cylon souffraient beaucoup du manque de vivres et d'eau ; Cylon et son frère réussirent à s'enfuir. Les autres se virent réduits à toute extrémité ; quelques-uns même étaient déjà morts de faim. Les survivants allèrent s'asseoir en suppliants près de l'autel qui est dans l'Acropole. Ceux des Athéniens à qui était confiée la poursuite du siège, les voyant agoniser dans le temple, les relevèrent et promirent de ne leur faire aucun mal ; mais ils les emmenèrent à l'écart pour les massacrer. En passant, ils en exterminèrent aussi quelques-uns qui s'étaient assis au pied des autels des Déesses Vénérables (102). On déclara impies et coupables envers la divinité les meurtriers et leurs descendants ; les Athéniens les chassèrent et le Lacédémonien Cléoménès en fit autant par la suite, avec une faction d'Athènes ; non seulement les vivants se virent chassés, mais les ossements des morts furent exhumés et jetés hors de l'Attique. Néanmoins, les bannis revinrent à Athènes et leur descendance existe encore dans la ville. 

CXXVII. - Les Lacédémoniens, en demandant aux Athéniens l'expiation de ce sacrilège, se donnaient l'apparence de venger les deux (103) ; mais ils savaient bien que Périclès, fils de Xanthippos, y était impliqué par sa mère et ils pensaient que sa chute leur permettrait de réussir plus facilement auprès des Athéniens. Ce qu'ils attendaient de cette manoeuvre, c'était moins le dommage personnel qui l'atteindrait, que la déconsidération où il tomberait auprès de ses concitoyens, comme étant par sa naissance une des causes de la guerre. Périclès en effet, qui état le plus influent des Athéniens et qui dirigeait l'État, s'opposait en tout aux Lacédémoniens, ne leur faisait aucune concession et poussait les Athéniens à la guerre. 

CXXVIII. - Les Athéniens ripostèrent en demandant aux Lacédémoniens d'expier le sacrilège de Ténare. Ces derniers avaient jadis fait lever les Hilotes suppliants qui se trouvaient dans le sanctuaire de Poséidon, à Ténare (104), puis les avaient entraînés à l'écart et massacrés. Selon eux-mêmes, cette impiété avait causé le grand tremblement de terre de Sparte. Les Athéniens demandaient également l'expiation du sacrilège commis envers Athéna Chalcioecos (105). Voici de quoi il s'agissait : Le Lacédémonien Pausanias avait été rappelé une première fois de son commandement dans l'Hellespont ; mis en jugement, il avait été acquitté. Mais on ne lui confia plus de mission publique ; c'est à titre de simple particulier, et sans l'aveu des Lacédémoniens, qu'avec une trière d'Hermionè il arriva dans l'Hellespont, sous prétexte de participer à la guerre des Grecs, en réalité pour nouer des intrigues avec le Roi, comme il avait déjà fait dans son ambition d'établir son pouvoir sur les Grecs. Voici le premier service qu'il rendit au Roi et l'origine de toute l'affaire. Lors de sa première expédition, après sa retraite de Chypre, Pausanias s'était emparé de Byzance ; c'était une ville que tenaient les Mèdes ; des parents et des alliés du Roi y furent faits prisonniers. Il les renvoya au Roi, à l'insu des alliés, en déclarant qu'ils s'étaient enfuis. II avait agi avec la complicité de Gongylos d'Érétrie à qui il avait remis le gouvernement de Byzance et la garde des prisonniers. Bien plus il envoya Gongylos porteur d'une lettre à l'adresse du Grand Roi. Il lui mandait ceci, comme on le sut par la suite : « Pausanias, général spartiate voulant t'obliger, te renvoie ces prisonniers qu'il a faits. Son désir, si tu y consens, est d'épouser ta fille et de soumettre à ta domination Sparte et le reste de la Grèce. Je crois être capable d'y parvenir, en m'entendant avec toi. Si ma proposition t'agrée, envoie-moi vers la côte un homme de confiance, par qui désormais je pourrai communiquer avec toi. » 

CXXIX. - Voilà ce que contenait la lettre. Xerxès accueillit avec faveur ces propositions. Il envoya jusqu'au littoral Artabaze, fils de Pharnacès, à qui il donna l'ordre de prendre le gouvernement de la satrapie de Dascylcion, en remplacement du précédent satrape Mégabatès. Il lui remit pour Pausanias, à Byzance, une lettre avec ordre de la faire parvenir le plus tôt possible et de lui montrer le sceau royal. En même temps, il lui recommandait, au cas où Pausanias lui demanderait quelque service, de l'exécuter au mieux et le plus fidèlement possible. Artabaze, arrivé dans sa satrapie, exécuta les ordres reçus et fit passer la lettre à Pausanias. Elle contenait cette réponse : «  Xerxès, Roi des Perses, à Pausanias. Par les prisonniers que tu as sauvés et renvoyés à Byzance par delà la mer, tu t'es acquis une reconnaissance à jamais écrite dans notre maison. Tes propositions me sont agréables. Que ni jour ni nuit ne t'arrêtent dans l'accomplissement de tes promesses. Ne te laisse arrêter ni par la dépense en or et en argent, ni par le nombre des soldats, si tu en as besoin. Aie confiance pour exécuter tes projets en la loyauté d'Artabaze que je t'ai adressé et agis au mieux dans mon intérêt et dans le tien. » 

CXXX. - Au reçu de cette lettre, Pausanias, qui était déjà en haute considération auprès des Grecs, en raison de son commandement à Platée, s'enorgueillit encore davantage. Incapable désormais de suivre les coutumes établies, il sortit de Byzance vêtu à la perse (106) et, dans sa traversée de la Thrace, il se faisait suivre par une escorte de Mèdes et d'Égyptiens. Sa table était servie à la mode perse. Bref il s'avérait incapable de contenir ses intentions et, même dans des actes de peu d'importance, il révélait les orgueilleux desseins qu'il se proposait de réaliser. Il se montrait d'un abord difficile et si hautain envers tous que nul ne pouvait l'approcher. Ce ne fut pas la moindre des raisons qui firent passer la plupart des alliés du côté des Athéniens. 

CXXXI. - Informés de sa conduite, les Lacédémoniens en avaient pris prétexte pour le rappeler. Quand il fut parti pour la seconde fois sans leur aveu avec un navire d'Hermionè, il ne fut plus possible de douter de ses desseins. Contraint par les Athéniens de sortir de Byzance, il ne revint pas à Sparte ; il s'établit à Colones en Troade ; on apprit alors qu'il intriguait avec les Barbares et que son retard n'était pas explicable par de bonnes intentions. Les Lacédémoniens n'en purent supporter davantage et lui dépêchèrent un héraut porteur d'un message sur scytale (107) lui enjoignant de suivre le héraut, sinon les Spartiates lui déclareraient la guerre. Pausanias voulant éviter le plus possible la suspicion et confiant dans ses richesses pour dissiper l'accusation, revint une seconde fois à Sparte. D'abord les éphores le firent jeter en prison ; car ils ont le droit de condamner le Roi à cette peine (108) ; puis il obtint sa liberté et s'offrit à comparaître en jugement devant ses accusateurs. 

CXXXII. - En fait, les Spartiates, aussi bien ses ennemis que tous ses autres concitoyens, ne possédaient aucune preuve irréfutable pour asseoir leur accusation et punir un homme de race royale et qui, pour l'instant, était revêtu d'une haute dignité en effet, cousin de Pleistarchos, fils de Léonidas roi de Sparte, mais trop jeune encore pour gouverner, il était son tuteur. Cependant il autorisait bien des soupçons : par son mépris des lois, par son imitation des Barbares il était suspect de vouloir le renversement de l'ordre actuel. Entre autres choses, on examinait sa conduite pour voir s'il s'était écarté des coutumes établies. On lui reprochait d'avoir fait graver, de sa propre initiative, sur le trépied (109) issu du butin conquis sur les Mèdes et jadis consacré à Delphes le distique ci-dessous : « Chef des Hellènes, après avoir détruit l'armée des Mèdes, Pausanias a consacré à Phébus ce monument. » Ce distique, les Lacédémoniens l'avaient effacé immédiatement du trépied et à la place avaient inscrit nommément toutes les villes qui avaient contribué à la défaite du Barbare et à l'érection du monument. Néanmoins on continuait à incriminer Pausanias de cette action et, maintenant que les soupçons étaient établis, on y voyait une analogie plus frappante avec ses desseins actuels. On apprenait également qu'il intriguait avec les Hilotes de la manière suivante : il leur promettait la liberté et le droit de cité, s'ils se soulevaient avec lui et l'avaient dans toutes ses entreprises. En dépit de ces présomptions, en dépit des dénonciations faites par quelques Hilotes, les Lacédémoniens ne voulurent rien innover contre Pausanias. Ils se conformaient à leur attitude traditionnelle, en se refusant à prononcer contre un Spartiate sans preuves incontestables une peine irréparable. Mais enfin, à ce qu'on dit, le messager qui devait porter à Artabaze la dernière lettre pour le Roi, un homme d'Argilos, qui avait été jadis le mignon de Pausanias et qui lui inspirait toute confiance, se fit son dénonciateur. Il constata qu'aucun des messagers qui l'avaient précédé n'était revenu ; ce qui l'effraya. II contrefit le sceau, pour qu'au cas où ses soupçons ne serment pas fondés et où Pausanias lui redemanderait la lettre pour y ajouter quelque chose, on ne s'aperçût pas de son subterfuge ; puis il ouvrit la lettre. Ses pressentiments étaient fondés et il vit qu'on recommandait de mettre à mort le messager. 

CXXXIII. - Les éphores, à la vue de cette lettre, furent édifiés ; mais ils voulurent encore entendre de leurs propres oreilles les aveux de Pausanias. Ils convinrent que le messager se réfugierait au Ténare comme un suppliant ; il y construirait une hutte séparée en deux parties par une cloison. Il dissimula à l'intérieur quelques éphores. Pausanias vint trouver le messager et lui demanda pourquoi il se constituait ainsi suppliant. Rien n'échappa aux éphores : l'Argilien reprocha à Pausanias ce qu'il avait écrit à son sujet, le confondit sur tous les points ; à l'occasion des messages adressés au Roi, jamais il n'avait exposé Pausanias et, en récompense, on le jugeait digne de la mort comme le commun des serviteurs. Pausanias dut en convenir, chercha à calmer son irritation présente, lui donna sa parole qu'il pouvait sortir du lieu d'asile et l'invita à se mettre en route le plus tôt possible et à ne pas gêner les affaires en cours. 

CXXXIV. - Les éphores, qui n'avaient pas perdu un mot de la conversation, retournèrent alors en ville ; pleinement édifiés, ils se préparèrent à se saisir de la personne de Pausanias dans la ville même. Mais on raconte qu'au moment où on allait l'arrêter sur le chemin Pausanias, à la mine d'un des éphores, devina leurs intentions. L'un d'eux lui adressa par bienveillance un signe d'intelligence. Alors Pausanias se réfugia à toutes jambes dans l'hiéron (110) de la Déesse Chalcioecos échappant ainsi aux poursuites. L'enceinte sacrée n'était pas éloignée. Il pénétra dans un petit édifice, une dépendance du temple, pour éviter de demeurer en plein air et s'y reposa. Les éphores, à qui il avait échappé, se mirent en devoir, après s'être assurés qu'il était à l'intérieur, de détruire la toiture de l'édifice et de l'enfermer. Ils se mirent en faction et le réduisirent par la faim. Quand ils s'aperçurent qu'il était sur le point de rendre l'âme dans l'édifice même, ils le firent emmener hors de l'enceinte sacrée il respirait encore, mais aussitôt dehors, il expira. On eut d'abord l'intention de le jeter dans le Caeadas où l'on précipite les malfaiteurs. Mais on se ravisa et décida de l'enterrer tout près de là. Le dieu de Delphes prescrivit par la suite aux Lacédémoniens de transférer sa tombe à l'endroit où il était mort : maintenant encore, elle est située à l'entrée de l'enceinte et des stèles ornées d'une inscription la signalent aux regards ; il leur recommanda également, en expiation de cet acte sacrilège, de consacrer à Athéna Chalcicecos deux corps pour un. Ceux-ci élevèrent et consacrèrent deux statues d'airain pour racheter le meurtre de Pausanias.

CXXXV. - Les Athéniens, se basant sur le jugement du dieu qui avait proclamé sacrilège la mort de Pausanias, en réclamèrent de leur côté l'expiation. Une ambassade lacédémonienne vint accuser, devant les Athéniens, Thémistocle du même crime de médisme que Pausanias. Les Lacédémoniens disaient en avoir trouvé les preuves au cours de l'enquête menée sur Pausanias il fallait donc que Thémistocle fût puni d'une manière identique. Celui-ci avait subi l'ostracisme et résidait à Argos, tout en faisant des séjours dans le reste du Péloponnèse. Les Athéniens firent droit à la demande des Lacédémoniens et envoyèrent, de concert avec les gens chargés de cette mission, des hommes pour se saisir de Thémistocle en quelque lieu qu'ils le trouvassent. 

CXXXVI. - Thémistocle, informé à temps, quitta le Péloponnèse pour se réfugier chez les Corcyréens, dont il avait reçu le titre d'évergète (111). Mais ceux-ci prétextèrent qu'en le gardant ils s'attireraient l'inimitié des Lacédémoniens et des Athéniens. Aussi le firent-ils passer sur le continent en face de leur île. Traqué par ses poursuivants toujours à l'affût des lieux de sa retraite, il se vit contraint, dans la situation critique où il se trouvait, de chercher asile auprès d'Admète, roi des Molosses, qui n'était pas de ses amis. Admète était absent. Thémistocle se présenta en suppliant devant sa femme qui lui recommanda de prendre dans ses bras son enfant et de s'asseoir auprès du foyer. Admète revint peu de temps après. Thémistocle se fit connaître et déclara que, même pour s'être opposé autrefois aux demandes adressées par ce prince aux Athéniens, il ne méritait pas qu'on se vengeât d'un exilé ; pour l'instant un homme beaucoup moins puissant qu'Admète pouvait lui nuire gravement ; mais la générosité consistait à ne se venger que des égaux et sur un pied d'égalité. D'ailleurs lui, Thémistocle, ne s'était opposé aux demandes d'Admète que sur un point important sans doute, mais non capital ; mais si le roi le livrait, il risquait de perdre la vie, ajouta-t-il en lui donnant les noms et les raisons de ses poursuivants. 

CXXXVII. - A ces mots le roi releva Thémistocle qui continuait à tenir l'enfant dans ses bras ; c'est le genre de supplication le plus émouvant. Peu de temps après les Lacédémoniens et les Athéniens arrivèrent et, malgré leur insistance, Admète se refusa à livrer Thémistocle. Comme celui-ci avait manifesté son désir de se rendre auprès du Roi, il le fit conduire par terre jusqu'à Pydna, ville d'Alexandre située sur l'autre mer. Là Thémistocle trouva un vaisseau marchand qui se rendait en Ionie ; il y prit place. Mais la tempête poussa le navire dans la direction du camp des Athéniens, qui assiégeaient Naxos. Craignant d'être pris, il révéla au patron du navre son identité ignorée jusque-là et lui dit les raisons de son exil. Au cas où l'autre le livrerait, ajouta-t-il, il dirait qu'il s'était lassé acheter pour le conduire. La sécurité exigeait que nul ne sortît du navire, jusqu'à ce qu'on pût reprendre la mer. S'il y consentait, Thémistocle n'oublierait pas ce bienfait et le récompenserait dignement. Le patron s'exécuta, mouilla au large un jour et une nuit, au-dessus du camp athénien, puis atteignit Ephèse. Thémistocle, pour montrer sa gratitude, lui donna une somme d'argent, car il en reçut d'Athènes par l'entremise de ses amis et d'Argos où il en avait déposé. Un Perse de la côte le conduisit dans le haut pays ; de là il adressa au Roi Artaxerxès, fils de Xerxès, qui venait de monter sur le trône, une lettre ainsi conçue « Moi, Thémistocle, je viens auprès de toi. Plus qu'aucun Grec, j'ai fait du mal à votre maison, tant que j'ai dû combattre ton père qui m'attaquait ; mais je lui ai fait encore plus de bien au moment de la retraite, quand je fus en sécurité et lui en danger. Tu me dois de la reconnaissance - il rappelait ainsi l'annonce du départ des Grecs et la destruction des ponts qu'il avait empêchée, après avoir fait semblant de l'exécuter -. Et maintenant je viens auprès de toi avec la conviction de pouvoir te rendre d'importants services, poursuivi par les Grecs en raison de ton amitié. Je désire attendre un an pour te faire connaître de vive voix ce qui m'amène vers toi. » 

CXXXVIII. - Le Roi, dit-on, admira la résolution de Thémistocle et accepta ses propositions. Thémistocle, pendant son année d'attente, apprit, autant qu'il put, la langue perse et s'initia aux usages du pays. Un an après, il vint à la cour du Roi et y acquit une considération et une autorité que n'avait jamais eues aucun Grec ; il les devait à l'estime dont il avait joui précédemment, à l'espoir qu'il avait fait naître chez le Roi de lui soumettre le monde grec et surtout aux preuves manifestes de son intelligence. Car Thémistocle, qui avait montré toute la puissance de ses dons naturels, provoquait particulièrement sur ce point l'admiration. Ses qualités d'intuition, sans l'aide d'aucune étude préalable ou subséquente, le mettaient à même de juger excellemment, sans longue réflexion, des circonstances présentes ; quant à l'avenir, il en prévoyait merveilleusement les conséquences les plus lointaines. Pour les problèmes qui lui étaient familiers, il excellait à les exposer en détail ; pour ceux qui lui étaient étrangers, il était capable d'en juger d'une manière suffisante. Il discernait parfaitement le fort et le faible des questions encore obscures. En bref, par ses dons naturels et la promptitude de son intelligence, il trouvait sur-le-champ, pour tous les sujets, la solution adéquate. Il tomba malade et mourut. Quelques-uns prétendent même qu'il s'empoisonna volontairement, parce qu'il ne se sentait pas en état d'accomplir les promesses qu'il avait faites au Roi. Son tombeau se trouve à Magnésie d'Asie, sur la place publique. Il gouvernait cette contrée, le Roi lui ayant donné Magnésie pour son pain - ville qui rapportait annuellement cinquante talents -, Lampsacos pour son vin - territoire qui passait alors pour le plus riche vignoble - et Myunte pour sa table. On dit que, selon ses volontés, ses parents rapportèrent ses ossements dans sa patrie et qu'ils furent inhumés, à l'insu des Athéniens, en Attique. L'inhumation en était interdite, car il avait été banni pour trahison. Ainsi finirent le Lacédémonien Pausanias et l'Athénien Thémistocle (112), les hommes les plus éminents de leur temps.  

CXXXIX. - Telles furent les sommations faites et reçues par les Lacédémoniens au cours de leur première ambassade pour l'expulsion des sacrilèges. Les Lacédémoniens revinrent une seconde fois à Athènes et réclamèrent la levée du siège de Potidée et l'indépendance d'Égine. Mais ils mettaient comme condition primordiale et essentielle pour le maintien de la paix l'abrogation du décret relatif aux Mégariens ; ce décret leur interdisait l'accès des ports soumis à la domination athénienne et du marché d'Athènes. Les Athéniens ne voulurent ni accepter les autres conditions ni abroger le décret : ils reprochaient aux Mégariens d'exploiter le territoire non borné de la terre sacrée (113) et d'accueillir les esclaves fugitifs. Finalement arriva à Athènes une dernière ambassade, composée de Ramphias, de Mélésippos et d'Agésandros. Ces envoyés n'articulèrent aucun des griefs ordinaires et se contentèrent de dire : « Les Lacédémoniens veulent la paix ; elle ne subsistera qu'à la condition que les Athéniens respectent l'indépendance des Grecs » Les Athéniens convoquèrent l'assemblée (114) ; et purent exprimer leur avis. On décida de donner, une fois pour toutes après délibération, réponse aux Lacédémoniens. Bien des assistants prirent la parole et les avis se trouvèrent partagés : les uns pensaient que la guerre était inévitable ; les autres, qu'il ne fallait pas faire du décret un obstacle à la paix et conseillaient son abrogation. Enfin Périclès, fils de Xanthippos, s'avança à la tribune. C'était alors l'homme le plus influent d'Athènes, le plus habile dans la parole et l'action. Voici les conseils qu'il donna aux Athéniens : 

Discours de Périclès

CXL. - « Mon opinion, Athéniens, est toujours qu'il ne faut pas céder aux Péloponnésiens. Je sais bien pourtant qu'on n'apporte pas, quand le moment d'agir est venu, le même empressement qu'à décréter la guerre et que les opinions humaines varient selon les circonstances. Aussi les conseils que je dois vous donner sont-ils, je le vois, toujours les mêmes, toujours identiques. Et je me flatte que ceux d'entre vous que je réussirai à convaincre défendront, en cas d'insuccès, nos résolutions communes, à moins qu'ils ne renoncent, en cas de succès, à s'en attribuer le mérite. Car il arrive que les affaires publiques, aussi bien que les résolutions individuelles, déçoivent les prévisions. Aussi, dans le cas où nos calculs se trouvent en défaut, nous en prenons-nous d'ordinaire à la fortune. Les Lacédémoniens nous ont déjà donné des preuves de leur mauvais vouloir ; elles sont aujourd'hui particulièrement flagrantes. Il avait été convenu que les uns et les autres nous soumettrions nos différends à l'arbitrage, que nous garderions nos possessions respectives. Mais jusqu'ici ils n'ont encore jamais demandé d'arbitrage et ils n'acceptent pas celui que nous leur offrons ; pour régler les différends, ils aiment mieux recourir à la guerre qu'à des discussions juridiques. Les voilà maintenant qui parlent en maîtres, au lieu de formuler des réclamations. En effet, ils nous intiment l'ordre de lever le siège de Potidée, de rendre à Égine son indépendance et d'abroger le décret relatif aux Mégariens. En dernier lieu, leurs députés récemment arrivés nous somment de respecter l'indépendance des Grecs. Que nul d'entre vous ne s'imagine que, si nous refusons d'abroger le décret relatif aux Mégariens, ce serait faire la guerre pour un motif futile, quoiqu'ils aillent partout clamant qu'en l'abrogeant, on éviterait les hostilités. Ne laissez pas subsister en vous le remords d'avoir fait la guerre pour un motif futile. Car c'est de cette affaire soi-disant sans importance que dépendent l'affirmation et la preuve de votre caractère. Si vous faites droit à leur demande, immédiatement ils accroîtront leurs exigences, en se disant qu'en cela aussi vous avez obéi à la crainte. Mais en repoussant leur ultimatum, vous leur ferez voir clairement la nécessité de vous traiter sur le pied d'égalité. 

CXLI. - « Décidez-vous donc sur-le-champ à obéir à leurs exigences, avant de subir le moindre dommage ou bien, si nous faisons la guerre, ce qui me paraît la meilleure solution, refusez de céder à tout prétexte, important ou non ; restons sans la moindre crainte maîtres de ce que nous possédons. Car toute revendication, qu'elle soit de la plus haute ou de la moindre importance, venant de peuples égaux en droit et imposée à des voisins avant tout débat judiciaire, aboutit à un véritable asservissement. Quant aux ressources des deux partis, écoutez-moi et vous conviendrez qui sur tous les points notre situation n'est pas inférieure à celle de nos ennemis. Les Péloponnésiens sont des cultivateurs (115) et ne possèdent ni richesses particulières ni richesses publiques. De plus ils n'ont pas l'expérience des guerres qui se prolongent ou se poursuivent au delà des mers ; celles qu'ils se font entre eux sont courtes en raison de leur pauvreté. Les peuples qui sont dans cette situation ne peuvent ni équiper des vaisseaux ni envoyer souvent au dehors des armées de terre ; c'est qu'il leur faut dans ce cas négliger leurs occupations, alors qu'ils tirent d'eux-mêmes leur subsistance et qu'en outre l'usage de la mer leur est interdit. Ce qui permet de soutenir la guerre, ce sont les richesses plus que les contributions imposées par la force. Or des paysans sont plus disposés à payer de leurs personnes que de leur argent, car ils ont l'espoir de se tirer des dangers, mais ils ne sont pas sûrs de ne pas épuiser leurs ressources, surtout si, comme il est vraisemblable, la guerre se prolonge contre leur attente. Les Péloponnésiens et leurs alliés sont en état de résister, en un seul combat, à tous les Grecs ; mais ils sont incapables de soutenir la guerre contre un peuple organisé différemment : ils n'ont pas un conseil unique pour agir sur-le-champ et rapidement, ce qui fait que chez eux d'ordinaire nulle entreprise n'est menée à sa fin. De plus comme ils ont tous les mêmes droits de suffrage, sans être d'un même peuple, chacun pense uniquement à son intérêt. Les uns en effet songent surtout à tirer vengeance d'autrui ; les autres à sauvegarder le plus possible leurs propriétés. En outre, lents à s'assembler, ils ne consacrent que peu de temps aux affaires communes ; ils en consacrent bien davantage à leurs affaires particulières. Nul ne pense que par sa propre négligence il fait tort aux intérêts communs ; tous attendent que le voisin avise à leur place. Et comme chacun a en particulier la même pensée, ils ne s'aperçoivent pas que tous ensemble ils sacrifient l'intérêt général. 

CXLII. - « La principale difficulté pour eux sera le mangue d'argent, car ils mettront bien de la lenteur à s'en procurer. Or à la guerre il faut saisir l'occasion favorable. Du reste, ni leurs constructions de forts chez nous, ni leur marine ne peuvent nous effrayer. Pour les premières, il est difficile en pleine paix, à plus forte raison sur un territoire en état de guerre, de les élever capables de résister efficacement ; d'autant plus que nous avons déjà, nous aussi, nos moyens de défense tout prêts. Supposons qu'ils établissent un fort dans notre pays ; ils pourront sur un point du territoire nous gêner par des incursions et par la désertion des esclaves. Mais cela ne nous empêchera pas de prendre la mer, de construire à notre tour des forteresses menaçant leur pays et de les châtier avec les vaisseaux qui constituent notre puissance. Car la pratique de la guerre sur mer nous vaut plus d'habileté pour le combat sur terre, qu'à eux la pratique de la guerre à terre pour le combat sur mer. Ils n'arriveront pas facilement à devenir des marins habiles. Vous-mêmes n'y êtes pas encore parvenus, tout en vous y étant efforcés dès les guerres médiques. Comment des populations agricoles et nullement maritimes, que nous harcèlerons perpétuellement par nos escadres nombreuses, arriveraient-elles à quelque résultat ? Peut-être, malgré leur ignorance, enhardis par le nombre, pourraient-ils risquer le combat contre des vaisseaux peu nombreux ; mais nous aurons une flotte en nombre pour les contenir et les contraindre à l'inaction ; faute de pouvoir s'exercer, ils seront plus maladroits et par suite moins hardis. La marine est affaire de métier, comme toute autre chose et ne s'improvise pas au gré des circonstances et accessoirement ; c'est elle au contraire qui n'admet pas d'être traitée comme un accessoire. 

CXLIII. - « A supposer en outre qu'ils s'emparent d'une partie des richesses d'Olympie et de Delphes pour tenter de débaucher, par l'appât d'une solde plus élevée, nos matelots (116) étrangers, si nous n'étions pas en état de leur résister, en nous embarquant avec nos métèques, ce serait bien malheureux. Mais en réalité, ce risque n'est pas à craindre et, avantage considérable, nos pilotes sont des citoyens d'Athènes ; et nos équipages sont plus nombreux et meilleurs que ceux de tout le reste de la Grèce. Et outre le danger à courir, aucun étranger ne consentirait, pour quelques jours d'une paye plus forte, à combattre à leurs côtés, avec moins de chance de succès et en risquant de perdre ses droits de citoyen. Telle me paraît être, ou à peu près, la situation des Péloponnésiens : la nôtre me semble à l'abri des critiques que j'ai formulées ; par ailleurs, elle comporte des avantages bien plus importants. S'ils attaquent notre territoire par terre, nous irons les attaquer par mer. Et le ravage d'une partie du Péloponnèse ne sera pas comparable avec celui de l'Attique entière. Ils n'auront pas d'autre territoire à occuper sans combat ; tandis que nous pourrons nous installer largement, dans les îles et sur le continent. Tant c'est une chose importante que la maîtrise de la mer ! Voyez plutôt : si nous étions des insulaires (117), quel peuple serait plus inexpugnable que nous ? Eh bien I il faut que nous nous rapprochions le plus possible de cette situation, que nous abandonnions nos campagnes et nos maisons pour garder seulement la mer et notre ville. Nous ne devons pas nous entêter à défendre nos biens pour livrer une bataille décisive avec les Péloponnésiens. Ils sont bien plus nombreux que nous ; victorieux, nous les trouverons devant nous en aussi grand nombre ; vaincus, nous perdrons le secours des alliés, qui font notre force ; car ils ne se tiendront pas tranquilles, s'ils nous voient hors d'état de marcher contre eux. Ne déplorons pas la perte de nos maisons et de notre territoire, mais bien celle des vies humaines. Car ce ne sont pas les biens qui acquièrent les hommes, mais les hommes qui acquièrent les biens. Si je pensais pouvoir vous persuader, je vous engagerais à sortir de chez vous et à ravager vos champs pour montrer aux Péloponnésiens que ce n'est pas la considération de ces avantages qui vous fera obéir à leurs injonctions. 

CXLIV. - « J'ai encore bien des raisons d'espérer le succès, à condition que vous ne cherchiez pas à acquérir, au cours de la guerre, une domination (118) nouvelle et que vous ne courez pas volontairement d'autres risques. Car je redoute nos propres fautes plus que les desseins de nos ennemis. Mais cette question sera traitée dans un autre discours, quand nous serons entrés dans l'action. Pour l'instant renvoyons les ambassadeurs en leur répondant ceci : nous permettrons aux Mégariens l'accès du marché et des ports, si les Lacédémoniens renoncent aux expulsions (119) d'étrangers, qui nous frappent ainsi que nos alliés - car il n'y a pas plus d'empêchement dans le traité pour cela que pour ceci ; nous laisserons l'autonomie aux villes, si elles la possédaient au moment de la conclusion du traité ; pourvu que les Lacédémoniens veuillent laisser les villes sous leur dépendance libres de se gouverner chacune selon son propre intérêt et non selon le leur ; nous consentons à comparaître en justice selon les conventions ; nous ne commencerons pas la guerre, mais nous repousserons les agresseurs. Voilà la réponse juste qu'il faut faire et qui convient à notre cité. Mais il faut savoir aussi que nous n'échapperons pas à la guerre ; plus nous la ferons volontiers, moins nous serons accablés par nos adversaires. Sachons-le pour les cités comme pour les individus, les plus grands périls permettent d'acquérir la plus haute gloire. C'est ainsi que nos ancêtres qui n'avaient pas notre puissance pour subir le choc des Mèdes, qui même ont abandonné le peu qu'ils avaient, ont repoussé le Barbare moins par leur chance que par leur intelligence, moins par leur puissance que par leur audace, et développé leur empire jusqu'au point où vous le voyez. Ne leur soyons pas inférieurs, repoussons l'ennemi de toutes nos forces et tâchons de donner à nos descendants une puissance qui ne soit pas moindre que celle qui nous a été laissée. 

CXLV. - Telle fut la harangue de Périclès. Les Athéniens, convaincus de l'excellence de ses conseils, adoptèrent ses propositions. Leur réponse aux Lacédémoniens fut conforme à l'avis qu'il avait exprimé et libellé dans les termes mêmes dont il s'était servi. Elle portait en substance que les Athéniens ne feraient rien par ordre, qu'ils étaient disposés à régler les différends selon les conventions et sur un pied d'égalité. Les ambassadeurs se retirèrent et cette ambassade fut la dernière. 

CXLVI. - Telles furent les causes de la guerre et les différends qui, d'un côté comme de l'autre, la provoquèrent. Ils éclatèrent à partir des affaires d'Épidamne et de Corcyre. Néanmoins toutes relations n'étaient pas interrompues. On allait d'un pays à l'autre, sans ministère de héraut, mais non sans défiance. Car les événements constituaient une violation des traités et un prétexte de guerre.

NOTES

(1) La qualité d'Hellène se reconnaît à la communauté de langue (malgré les différences dialectales), de religion, de moeurs. Ce monde hellénique n'arrivera pas à l'unité nationale, les cités subsisteront, mais au IVe siècle l'unité morale se fera entre tous ceux, hellènes ou étrangers hellénisés, qui accepteront la même civilisation.
Le Barbare se trouve défini par l'absence des caractères qui constituent l'Hellène. Ce terme s'applique également aux Perses, aux Égyptiens plus anciennement civilisés que les Achéens de la guerre de Troie et à des peuplades arriérées des Balkans.

(2) La plus ancienne des familles helléniques serait les Achéens arrivés du Nord par Ia Thessalie chez les autochtones de la péninsule (Pélasges) autour de l'an 2000 . A ce moment (1700) les Crétois ou Égéens, sortant de leur île, abordent en Grèce pour leur trafic et civilisent (1700-1400) les Achéens. Entre 1400 et 1200, on place la période d'éclat de la civilisation des Achéens ou « mycénienne » à laquelle participent d'autres bandes d'Éoliens et d'Ioniens, leurs parents, venus les rejoindre en Grèce. Vers 1100 se produit la dernière invasion d'éléments helléniques, celle des Doriens, arrivant du Nord par l'Épire à l'ouest et la Thessalie à l'est. Vers 1193 le Mycénien Agamemnon dirige la lutte des Achéens de Grèce contre les Phrygiens établis sur les bords de l'Hellespont.

(3) Les résultats des fouilles permettent à notre temps d'en savoir plus que Thucydide : « On peut conclure qu'à la veille de l'invasion dorienne : 1°les Achéens, Ioniens, Éoliens se sont intimement mêlés aux indigènes et aux Crétois et constituent, aux yeux des autres peuples, une seule et même nation ; 2° que tous ces groupes sont prêts à essaimer en dehors de la péninsule et se sont déjà habitués à la vie de pirates et de trafiquants :ils sont déjà les peuples de la mer.  » R. Cohen, page 36.
Les Achéens « crétisés » sont les animateurs de la Méditerranée orientale, après les Égéens.

(4) Grâce aux fouilles commencées en Crète en 1900 par Sir A. Evans, l'histoire peut être plus explicite que Thucydide.  Ces fouilles ont été une révélation de l'éclat et du rôle de la civilisation égéo-crétoise (2100-1100) qui par la voie maritime se répandit sur le pourtour de la Méditerranée et provoqua la Mycénienne. L'apogée de la thalassocratie crétoise se place entre 1750 et 1450. Minos aurait régné vers 1500. « On peut à peine énumérer en quelques lignes les bienfaits dont les Minoens ont comblé les premiers habitans de la Grèce . . . La Grèce antique n'a fait parfois que transmettre aux civilisations européennes les enseignements de la Crète. » R . Cohen, p. 17.
oikestês désigne le fondateur d' une cité suivant les rites religieux traditionnels.

(5) La piraterie, pratiquée en Méditerranée dés la plus haute antiquité, était encore au Ve siècle une façon honorable de gagner sa vie, sauf si elle état exercée contre des concitoyens.
L'insécurité qu'elle provoquait habitua les populations à ne circuler qu'en armes. Ainsi faisaient encore au XVIIIe siècle et au début du XIXe les clephtes de Thessalie (voleurs de bétail et de chevaux), et aussi les indigènes du Maghreb.
Les Athéniens, de tempérament plus doux, furent les premiers à sortir sans armes.

(6) Les cités se composaient d'habitants, non pas agglomérés dans une ville , mais disséminés dans des bourgades non fortifiées.
Sparte traditionaliste n'eut jamais de citadelle, d'acropole.

(7) Thucydide fait allusion aux modes efféminées que partagèrent avec les Ioniens les Athéniens jusqu'au Ve siècle.  Ce chiton long fait de toile ou de laine se portait sur la peau, il était fermé d'un côté avec un trou pour le passage du bras et cousu de l'autre, les coins retenus sur l'épaule par une agrafe. Le chiton dorien adopté au Ve siècle ne descendait pas au-dessous du genou. Le choix de ce vêtement , comme la mode des cheveux plus courts, indique une influence dorienne à Athènes. La tettix est une broche représentant une cigale dont s'ornait la chevelure longue des hommes.
Cet ornement devait être nécessaire pour maintenir les cheveux réunis en chignon, soit sur la nuque, soit sur le sommet de la tête.
Le diadzoma est une sorte de pagne, il est porté par des figurines masculines crétoises.

(8) L'auteur appelle isthme la partie basse et étroite par laquelle un promontoire, sorte de presqu'île ou Chersonèse, se rattache au continent.

(9) Le traité d'alliance appelé summachia est une convention entre États de caractère défensif. II consiste à se porter secours mutuellement, à ne pas faire de guerre ni de paix séparément, à avoir les mêmes amis et les mêmes ennemis.

(10) La distinction entre les rameurs (environ 120 par trière au Ve siècle) et les combattants (une dizaine de soldats) n'était pas encore faite.

(11) Les cataphracta sont des bordages en planches qui, pendant le combat, abritaient les rameurs.

(12) Colonie . C'est la fondation par des citoyens d'une ville neuve, filiale de leur patrie d'origine. Elle est provoquée par une invasion, des discordes civiles, la recherche de terres fertiles, le désir d'une expansion commerciale. Les liens politiques, religieux avec la métropole sont plus ou moins étroits . La langue et e culte sont les mêmes. A ce moment ni Sparte, ni Athènes n'ont participé beaucoup à la colonisation (VIIIe, VIIe, VIe siècles).

(13) Tyran signifie, sans acception défavorable, chef usurpateur du pouvoir, en général en s'appuyant sur le peuple contre l'aristocratie. Ce terme s'oppose au roi « basileus », chef héréditaire, lequel préside aux actes de la religion et à la guerre. Un roi, qui gouverne contrairement à la constitution, est parfois appelé tyran, quoique monarque légitime.
Sparte travailla à chasser les tyrans des cités grecques .

(14) Vers 704, les Corinthiens, qui gardaient secrets les procédés de leur architecture navale, envoyèrent leur ingénieur Ameinoclès à Samos, alors leur alliée, pour y construire quatre navires de guerre.

(15) Thucydide insiste sur les origines de la marine grecque, parce que les grands centres maritimes, Athènes, Corinthe, Corcyre, Syracuse ont joué un rôle considérable dans l'histoire grecque et que la maîtrise de la mer, au cours de la guerre du Péloponnèse, comme en 1914-18, donna la victoire à celui des antagonistes qui la posséda.

(16) La trière est le vaisseau de guerre par excellence. Long de 40 mètres environ, large de 6, jaugeant 250 tonneaux, muni de trois mâts et de trois rangs de rames, il pouvait arriver à faire dix miles à l'heure.  Pentecontère navire à cinquante rames ou d'un équipage de 50 hommes, issu du croiseur phénicien ; le ploion, de forme ronde, était le navire de commerce, marchant de préférence à la vole.  Mais le navire appelé long est aussi un navire de guerre, à qui sa forme effilée donne de la rapidité.  Les navires de guerre n'étaient qu'incomplètement pontés. Ils embarquaient des matelots pour la manoeuvre des voiles, des rameurs et des combattants.

(17) Thucydide passe bien rapidement sur ces guerres entre voisins qui manifestent une jalousie féroce, fille de l'individualisme extrême et de la passion d'autonomie des États grecs : Syracuse contre Camarina, Crotonè contre Sybaris, Milet contre Samos, Corinthe contre Égine et Mégare. Que de sang répandu, que de souvenirs de haine, qui empêcheront toute entente grecque, toute formation d'une puissance hellénique unitaire ou fédérative !

(18) Ces tyrans de Sicile au Ve siècle, Gélon et Hiéron son frère, à Gela et Syracuse, Théron á Agrigente, gendre de Gélon, postérieurs à ceux de la Grèce propre, furent puissants et firent le meilleur usage de l'autorité qu'ils détenaient.

(19) En travaillant à l'expulsion des tyrans, de Périandre à Corinthe, de Théagène à Mégare, des Plsistritides à Athènes, Lacédémone acquit une réputation de libératrice de la Grèce qui lui valut dans chaque cité les sympathies du parti aristocratique et conservateur et celles des petits États, menacés par l'impérialisme d'Athènes de perdre leur autonomie. Cependant les tyrans, si honnis dans la suite, ont eu un rôle bienfaisant, ne serait-ce qu'en faisant taire les factions et cesser les tueries qui ensanglantaient et épuisaient les cités.

(20) Cette ligue de Délos se constitua peu à peu. Chios, Samos, Lesbos menacées par les Perses transfèrent à Athènes le commandement de leurs escadres (478). Bien des villes aimèrent mieux verser de l'argent qu'entretenir une flotte. Avec leur argent Athènes se donna des navires et s'attribua la prééminence dans la Ligue. Le tribut de 460 talents (près de 14 millions en francs papier) permit d'entretenir 200 trières pendant 7 mois de mer navigable.

(21) Le Leocorion est un sanctuaire consacré aux filles du roi Léos, qui se dévouèrent pour le salut d'Athènes en se laissant mourir de faim.

(22) Thucydide relève deux erreurs d'Hérodote.  Dans la première il s'agit des votes du sénat spartiate de 28 membres où les deux rois de Sparte n'ont chacun qu'une voix et non pas deux. Dans la seconde il s'agit des hommes do Pitané, village spartiate, qui auraient formé une compagnie spéciale. Les quatre villages - Pitanè, Mésoa, Cynosoura, Limnai, - réunis en une seule polis formèrent Sparte. Lacédémone est le nom de la capitale du temps des Achéens, nom conservé par les Doriens envahisseurs . Ils joignirent plus tard Amyclées à ces quatre quartiers.

(23) Bien que le récit du logographe soit écrit en prose, et non plus en vers, il ne représente pas pour cela un sens critique développé.  On peut appeler son auteur, avec A . Croiset, a un chroniqueur naïf.

(24) Le terme agonisma qui s'oppose à ktêma est encore une critique d'Hérodote, qui avait lu des fragments de son oeuvre aux jeux olympiques (agon).

(25)  Il s'agit de l'expédition de Xerxès qui donna lieu aux deux combats des Thermopyles et de Platée et sur mer aux deux batailles de Salamine et d'Artémision.

(26) Les villes dévastées, anéanties, furent Platée, Mytilène, Thyrea. La dispersion des habitants se produisit à Égine, Potidée, Anactorion, Scidnè, Mélos. Des massacres en masse des vaincus eurent lieu, des Thébains à Platée, puis des Platéens eux-mêmes, des Méliens. Les dissensions entre concitoyens amenèrent les troubles sanglants de Corcyre, Mégare, Samos.

(27) La guerre du Péloponnèse dura de 431 à 404. La paix de 445 entre Athènes et Sparte ne dura pas longtemps : le choc était inévitable entre la démocratie impérialiste d'Athènes et l'oligarchie de Sparte, hostile à toute confédération, entre les visées commerciales d'Athènes et le riche trafic de Corinthe, alliée de Sparte, jalouse de fermer à ses rivaux la route de l'Italie et de la Sicile.

(28) Phalios l'oikistès, ce nom désigne le chef de l'expédition coloniale qui choisit l'emplacement de la ville nouvelle et règle le partage des terres entre les émigrants. La tradition voulait qu'il fût demandé à la métropole, ici Corinthe.

(29) Les luttes fratricides entre classes d'une même cité, aristocrates et démocrates, étaient plus féroces que les guerres entre cités grecques voisines ou contre les Barbares.

(30) Le suppliant se présentait en vêtements de deuil, à la main une branche d'olivier entourée de bandelettes de laine, près de l'autel domestique du personnage qu'il implorait, ou se tenait contre la statue de la divinité dans le temple, s'il implorait l'intervention de la cité.

(31) La colonie d'Épidamne n'avait pas en fait des rapports si étroits avec Corinthe. La colonie avait été fondée comme une entreprise privée partie de Corcyre et se considérant comme autonome. Les Corcyréens eux-mêmes n'étaient plus rattachés à leur métropole Corinthe que par un lien très lâche et une rivalité maritime et commerciale existait entre les deux villes. Corinthe trouvait là une occasion de s'immiscer dans les affaires de Corcyre, de surveiller la route de l'Adriatique, d'imposer son autorité aux colonies, comme Athènes le faisait dans ses clérouquies.

(32) Les bannis d'Épidamne sont des aristocrates.

(33) La drachme est l'unité monétaire du poids de 425 centigrammes d'argent fin, ce qui correspond à 5 francs-papier et à 1 franc-or. C'est la valeur de la drachme attique, acceptée dans tout le bassin de la Méditerranée. Il existait des pièces de 2, 4, 10 drachmes . Elle se divisait en triobole (1/2 dr.), diobole (1/3 dr.), obole (1/6 dr . ou 0,17 centimes-or), demi-obole (0,085).

(34) Ce dépôt de 50 drachmes montre bien le lien économique et financier que la métropole veut imposer à la colonie. Cet argent pouvait servir autant à payer l'expédition protectrice des Epidamniens qu'à fournir des crédits à leur commerce ; la drachme de Corinthe valait 4 oboles de plus que l'attique, soit 10 oboles à 0 fr. 80 papler l'obole ; la somme est de 400 francs-papier. 
Vaisseaux vides veut dire sans équipages ni soldats .

(35) Hoplite, homme de l'infanterie lourde, portant le casque, la cuirasse sur une tunique rouge, un ceinturon protecteur, des jambières (cnémides), armé d'un boucher, d'une épée suspendue à un baudrier, d'une lance de 2 mètres environ, accompagné d'un valet, porteur de ses armes et de trois jours de vivres.

(36) Le sentiment d'une communauté de nature entre toutes les populations helléniques a dicté, de bonne heure (VIe s.), le recours à l'arbitrage, dikè, pour éviter le conflit. Mais cette institution resta bien précaire, tant que les adversaires se sentirent en état de gagner la guerre.

(37) 2.000 hoplites pour 75 trières, cela fait environ 27 combattants par navire. Alors qu'il n'y en avait guère que 18 à 20, et parfois seulement 10 sur les trières d'Athènes.

(38) Le héraut, assermenté et salarié, dont la personne est inviolable et la charge héréditaire, est l'intermédiaire du pouvoir, soit dans ses relations avec les citoyens (assemblées, jugements, cérémonies religieuses), soit avec les autres États et remplit alors le rôle de parlementaire, d'ambassadeur.

(39) Le bon plaisir du vainqueur règne à la guerre. La qualité d'Hellène est oubliée. Les étrangers prisonniers sont vendus comme esclaves et parfois égorgés, si l'on estime la vente peu rémunératrice ; les Grecs, s'ils ne sont pas égorgés ou mutilés, sont mis aux fers.

(40) Spondè désigne ici pour Sparte une entente en temps de guerre qui groupait sous son commandement presque tous les États du Péloponnèse, et pour Athènes sa ligue maritime atticodélienne organisée avec les îles et les villes du littoral d'Asie, de Thrace, de l'Hellespont.

(41) La thalassocratie, qu'envisageait la politique d'Athènes, recevait de l'offre des Corcyréens un accroissement de puissance, soit en Grèce insulaire même, soit dans la direction de la Méditerranée occidentale. C'était un gage et un encouragement aux visées impérialistes sur la Sicile.

(42) Avoir les mêmes ennemis est une des conditions de la symmachie ou traité d'alliance.

(43) Cette trêve est du genre de celles que l'on concluait à l'occasion d'une fête pour permettre le libre parcours à ceux qui venaient y assister. Or rien n'appelait à Corcyre des pèlerins athéniens.

(44) L'orateur fait allusion à ce fait que les Mégariens, grâce au secours de Corinthe, avaient pu recouvrer leur indépendance ravie par les Athéniens.

(45) Jusqu'ici un accord tacite lassait aux Corinthiens le commerce avec le Péloponnèse et la Méditerranée occidentale, Athènes se réservant l'est, y compris le littoral de l'Asie, de la Thrace, de la mer Noire . Mais les Athéniens souhaitaient l'affaiblissement de la marine corinthienne afin de prendre sa place à l'ouest. Ils soutinrent Corcyre comme la France a soutenu les insurgents de l'Amérique du Nord, afin d'affaiblir une rivale, l'Angleterre.
A cette époque de navigation côtière, la route maritime passait par Corcyre (Corfou) pour traverser l'Adriatique dans sa moindre largeur, au 40e de latitude nord, au canal d'Otrante.

(46) Cimon était proxène de Sparte auprès de l'État athénien.
De là ce nom de Lacédoemonios donné à son fils aîné, les deux autres s'appelant Aeolos et Thessalos.

(47) Ce promontoire Cheimerion était voisin de la rade Glucus ; l'île Sybota est au nord, à proximité du continent ; le promontoire Leucimnè est en face, à l'extrémité sud de l'île de Corcyre : la bataille eut lieu entre le Sybota et Leucimnè.

(48) Les signaux étaient transmis à l'aide de pavillons, hissés ou amenés, selon l'ordre à transmettre. C'est le service de la timonerie.
Sur le pont des trières se tenaient les combattants ou épibates ; les archers, soldats mercenaires ou citoyens pauvres, étaient munis d'un arc et d'un carquois avec une quinzaine de flèches.  
Les acontistes, même recrutement, combattaient avec le javelot.

(49) Le péan, à l'origine hymne religieux d'un caractère apollinien, devint un chant guerrier, une sorte de Marseillaise, entonné par les soldats au début du combat après les libations et l'immolation des victimes. Il existait aussi un péan d'actions de grâce.
Ramer arrière ou scier de façon à culer est une manoeuvre qui dispense de virer de bord.

(50) Le célétès, d'après la mosaïque d'Althiburos (Tunisie,1895), est un bateau à rames, à l'avant et l'arrière très relevés, remplissant le rôle d'une baleinière.

(51) Le caducée est l'insigne des messagers, des parlementaires en temps de guerre et contribue à les rendre inviolables. Ainsi, par cette précaution omise, les Corinthiens se refusent encore à se considérer en état de guerre avec les Athéniens.

(52) Trophée, monument commémoratif, érigé après une victoire. Il consistait à mettre en tas sur le sol les armes des vaincus ou à les suspendre à un arbre, ou à tout autre support.
II n'y eut ni vainqueur ni vaincu dans cette rencontre navale, puisque chaque partie enleva librement ses morts.

(53) La ville de Potidée, sur l'un des trois isthmes de la Chalcidique, celui de Pallénè était protégé par une muraille au nord contre les Thraces du continent, au sud contre tout débarquement. C'est cette dernière fortification que les Athéniens tenaient à faire raser, afin d'avoir libre accès dans la ville.

(54). Alors que Sparte n'exerce pas sur ses alliés une autorité oppressive, Athènes leur impose, sans les consulter, une contribution fixée pour quatre ans par le Sénat.

(55) L'épidémiurge chez les Doriens était une sorte d'inspecteur annuel que la métropole envoyait à une colonie, afin de conserver le contact.

(56)  Perdiccas, le fondateur de la dynastie macédonienne, soutenait tantôt les Péloponnésiens, tantôt les Athéniens selon l'intérêt du moment.

(57) Cette destruction de villes par leurs propres habitants nous étonne, c'est une mesure de précaution pour priver de points d'appui et de ressources un envahisseur. Les Athéniens avant Salamine avaient abandonné leur ville et détruit leurs biens pour se réfugier sur leurs vaisseaux.

(58) On groupait sous le nom de psiloi toutes les troupes légères, généralement des mercenaires, peltastes, archers, lanceurs de javelot, frondeurs.
Elles combattaient en ordre dispersé, comme des tirailleurs, alors que les hoplites chargeaient l'ennemi en formation serrée.

(59) Le camp grec ne comportait pas des fortifications de campagne comme ceux des Romains.

(60) Stade. Cette unité de longueur correspond chez les Athéniens à 177 m . 55 soit 10 km. 1/2 pour les 60 stades.

(61) Le signal pouvait être donné par la parole, le son de la trompette, ou en élevant ou abaissant une sorte d'étendard.

(62). Le monument funèbre en l'honneur de ces 150 soldats, qui s'élevait au Céramique, a été transporté au Musée Britannique à Londres.

(63). Les affaires de Corcyre et de Potidée, dans lesquelles chacun soutient son allié révolté, sans que la paix de Trente Ans soit officiellement rompue, ne sont que les hostilités préliminaires du grand conflit imminent.

(64) Les Eginètes, conquis par les Athéniens depuis 454, se plaignaient de n'avoir pas pu obtenir leur retour à l'autonomie, contenu dans les clauses du traité de 445 .
Les mégariens se plaignaient que depuis 432 environ les Athéniens leur avaient fait subir dans toute l'étendue de leur empire, en dépit de la liberté du commerce, une sorte de boycottage de leurs marchandises. Cette mesure était destinée à punir Mégare de favoriser Corinthe et d'avoir un régime hostile à celui des Athéniens.

(65) Moins de cent ans après, Démosthène reprochera leur nonchalance aux descendants de ces Athéniens dont Thucydide se plaît à faire remarquer ici l'activité, le patriotisme, l'ardeur guerrière.

(66) La lenteur des Lacédémoniens á s'émouvoir s'explique par leur connaissance de ces populations querelleuses, processives, difficiles à gouverner que le Levant et la Grèce ont toujours offertes, et aussi par leur prudence cauteleuse qui ne s'engage pas à la légère dans une guerre . N'étant riche ni en argent ni en hommes, Sparte s'entend à ménager le sang de ses hoplites ; pour combler les vides parmi ses soldats-citoyens, elle ne veut pas être obligée de faire appel aux périèques et aux hilotes, prompts á user de leurs armes pour se soulever ou pour exiger plus de considération et de place dans l cité.

(67) Corinthe, puissance de second ordre, entre les deux grandes puissances d'alors, Sparte et Athènes, eut pour politique de modérer ces deux rivales et de vivre libre entre elles, sans se lier complètement à l'une ou à l'autre, jusqu'au jour où, inquiétée par l'alliance d'Athènes avec Argos et les progrès de la marine athénienne dans la mer Ionienne, sa zone d'influence, elle excita Sparte la tête de l'entente péloponnésienne à détruire la confédération attico-argienne.

(68) « Les Athéniens, nous dit M. R. Cohen, p. 164, ont exalté leur victoire par tous les moyens dont ils disposaient et manifestement ils ont exagéré son importance. On retiendra de Marathon cette définition de F. Maurice, The campaign of Marathon (J. H. S., t. LII, p. 24) : « un incident dans une expédition punitive perse, en partie victorieuse. » Leur excuse, c'est que pour la première fois des Grecs battaient des Perses.

(69) Eschyle a raison d'avoir célébré Salamine (Sept . 480) comme une victoire de ses concitoyens plus que comme une victoire hellénique. D'autres peuples, ce jour-là, combattirent avec vaillance . Mais le mérite d'avoir ressaisi l'initiative stratégique et renversé la situation générale n'en revenait pas moins à la cité de Thémistocle. » R . Cohen, p . 153 .
On sait que Sparte ne se décida á sortir du Péloponnèse qu'un an après, devant la menace dix général perse Mardonios, arrivant jusqu'à l'isthme de Corinthe et campant en Béotie. Ce fut Platée (août 479).

(70) Allusion à la tentative de sécession de Naxos que Cimon obligea de rester à la ligue attico-délienne (472-69).

(71). La victoire navale de l'Eurymédon (468) qui chasse le Barbare du littoral asiatique, les progrès de la confédération maritime athénienne rendaient les Spartiates jaloux, au point qu'ils n'utilisèrent pas une expédition de secours à eux envoyée par Athènes (462), lors d'un tremblement de terre et d'une révolte de la Messénie.

(72) Les envoyés d'Athènes - ou Thucydide lui-même par leur bouche - exposent les principes de la politique réaliste.  Ils mettent en maximes, crûment et sans les habiller de prétextes spécieux, les pratiques quotidiennes des cités grecques : les faibles sont destinés, de gré ou de force, à subir la loi des plus forts ; qui dispose de la force doit oser l'employer dans son intérêt.  C'est du Machiavel avant la lettre .  Ainsi la sécurité de leur empire, la gloire d'exercer l'hégémonie, les avantages positifs qu'aucun État ne dédaigne ont commandé la politique d'Athènes envers ses alliés.

(73) Déjà Pausanias, le vainqueur de Platée, avait montré ce dont était capable un général spartiate contre les cités grecques, en recherchant l'amitié du roi de Perse pour les asservir. Après 395 les harmostes de Sparte, sans lois ni règles de conduite à l'égard des petits États, leur firent sentir le poids de leur dureté capricieuse .

(74) Les ressources financières d'Athènes comprenaient
1° le trésor public alimenté par les revenus annuels des mines d'argent du Laurion, d'or de Thrace, des domaines, des frais de justice, des amendes, des taxes, d'une part du butin de guerre. Ces revenus au début du Ve siècle sont par an de 500 talents, soit 3 millions de francs-or ; 
2° le trésor de la déesse Athéna, alimenté par la piété des fidèles et accru par les prêts à intérêt au taux de 6 % . En 440 il atteignait une centaine de talents, soit 600 .000 francs-or ; 
3° le trésor fédéral alimenté par les contributions des alliés.  En 440 il était de 3 .000 talents ou 18 millions de francs-or . Autrefois déposé à Délos, il avait été vers 454, pour plus de sécurité, transporté à l'Acropole.  
Les mêmes magistrats les administraient tous les trois : ils étaient déposés depuis 440 dans l'opisthodome du Parthénon.
Par contre Sparte n'a ni trésor public ni fortune des particuliers en espèces monnayées. Le pays vit sur soi, tirant du sol, du sous-sol, de son industrie les produits nécessaires. Les échanges et les versements se font en nature le plus souvent. Ses alliés ne payent pas de tribut.

(75) Archidamos s'excuse de proposer d'avoir recours aux Barbares ; l'opinion publique, n'ayant pas encore perdu le souvenir de l'invasion perse, répugne aux alliances avec ces Barbares. Tout de même Sparte acceptera l'argent des satrapes d'Asie Mineure, comme elle puisera dans les trésors de Delphes et d'Olympie, villes soumises à son influence et achètera, avec l'or étranger, la Pythie de Delphes pour se la rendre favorable, la faire « laconiser ».

(76). Éphores, magistrats de Sparte au nombre de cinq, élus par le peuple pour un an et à pouvoirs très étendus. Ils surveillent les deux rois et aussi le peuple.
Ce sont les vrais maîtres de l'État, ils ont la haute main sur tous les fonctionnaires . Rien n'échappe à leur autorité diplomatie, armée, justice, finances, police, censure des moeurs, éducation nationale, sont de leur ressort . Il est difficile de déterminer dans leurs actes leur part d'initiative et leur part d'obéissance aux suggestions du sénat ou Gérousia.

(77) A Sparte on votait à l'assemblée du peuple par acclamation, ou par division des votants en deux groupes, l'un pour, l'autre contre la proposition, moyen de pointage très imparfait d'ailleurs. A Athènes on se servit d'abord de cailloux ou de coquillages de couleur, les blancs pour l'acceptation, les noirs pour le rejet, plus tard de disques pleins ou perforés, suivant l'opinion à émettre .

(78). Dans l'entente péloponnésienne, toutes les cités, quelles que soient leur superficie et leurs ressources, ont droit chacune à un suffrage et sont considérées comme autonomes et égales. La réunion de leurs délégués a lieu à Sparte d'ordinaire et l'opinion du peuple lacédémonien est d'un grand poids auprès des autres cités. Dans la confédération maritime les villes alliées perdent pour la plupart leur indépendance, peuvent recevoir d'Athènes une constitution, sont inspectées, contraintes parfois de recevoir une garnison et n'ont pas le droit de se retirer de l'union fédérale : Naxos et Thasos sont punies pour une tentative de défection. C'est l'alliance obligatoire.

(79) Lors de l'évacuation de l'Attique à la veille de Salamine, les femmes et les enfants athéniens furent hospitalisés en partie à Trézène (en Argolide) où Athènes avait conservé des sympathies.

(80). C'est Thémistocle qui le premier, parlant aux Lacédémoniens, refusa de s'incliner devant la vieille hégémonie de Sparte, acquise par sa lutte contre les tyrans des cités grecques.

(81). Des matériaux de prix (colonnes, statues, stèles) provenant des monuments détruits par les Perses furent utilisés. Les fouilles y ont fait retrouver les statues de jeunes filles appelées Corai, trois bases représentant des jeux sportifs, des stèles avec leurs inscriptions funéraires.
Les cités romaines ne procédèrent pas autrement au IVe siècle pour se protéger contre les incursions des Germains. Furent relevés les remparts de l'Acropole, le mur d'enceinte de la ville basse (6 km . de pourtour) . Les Longs-Murs, reliant la ville au port (6 km. 1/2), encadraient une route militaire de 164 mètres de large ; leur hauteur semble avoir été de 6 m. 47, La presqu'île, qui comprend le grand port du Pirée à l'ouest et les deux ports plus petits de Zea et de Munychie, fut protégée par une ceinture de remparts . L'avenir d'Athènes, pensait Thémistocle, était sur l'eau .

(82) Les Hellénotames athéniens, institués en 477, au nombre de dix et nommés pour un an, perçoivent le tribut des villes confédérées, en règlent l'emploi, en réservant 1/60 pour le trésor d'Athéna . Le trésor fut d'abord déposé à Délos centre religieux de la confédération, puis transféré à Athènes, pour plus de sûreté.
Le tribut de 460 talents est évalué en francs-papier à la somme de 13.800 .000.  
La nouveauté dans cette organisation d'une confédération fut le versement du tribut, jamais demandé auparavant dans des ententes analogues . Aristide en fixa d'abord le taux et la répartition.  Vers 443 l'empire athénien comprend 202 cités tributaires, réparties en cinq districts : Ionie, Carie, les îles, Thrace, Hellespont.

(83)  Hellanicos, de Mitylène (Ve s. : des fragments), est l'auteur de la Chronique d'Athènes, qui va des origines à la guerre du Péloponnèse inclusivement . Quoique contemporain d'Hérodote et de Thucydide il ne saurait être considéré comme un historien informé. Il faut le ranger parmi les logographes que les progrès de la méthode historique feront dédaigner.

(84) Les Athéniens n'étaient pas sûrs de la fidélité de leurs alliés ; pour les empêcher de sortir de la confédération ils leur imposèrent une discipline que Cléon qualifia de tyrannique. Certaines villes perdirent leur autonomie et furent traitées en sujettes, ainsi Naxos en 467. Athènes frappait d'une amende les paiements en retard et faisait même une démonstration navale pour obtenir la rentrée du tribut . Cette rigueur nécessaire contrastait avec la conduite de Sparte qui n'exigeait pas de tribut de ses alliés.

(85). Les Perses utilisaient la marine phénicienne.

(86). Ces mines d'or étaient celles du mont Pangée en Thrace, dont l'exploitation rapportait à l'État athénien 80 talents par an, soit 2.400 .000 francs-papier. La famille de Thucydide était concessionnaire de ces mines.

87) Par cette réponse des Lacédémoniens à l'appel de Thasos, on peut juger que la guerre était inévitable tôt ou tard entre Sparte et Athènes, puisque Sparte se croyait en droit de s'immiscer dans la politique intérieure de la confédération attico-délienne.
Cette hostilité se manifeste encore davantage au paragraphe suivant où les Lacédémoniens redoutent que le secours des Athéniens à leur ville ne fasse insurger contre eux toute la Laconie.

(88) Les Hilotes sont les descendants des populations indigènes vaincues par l'invasion dorienne, surtout des Messéniens.  Ce sont des fermiers héréditaires, payant une redevance en nature (orge, vin, huile), assurés de gagner leur vte sur la propriété qu'ils cultivent, mais ne pouvant pas en changer. A l'année, ils sont des valets, puis forment l'infanterie légère dans la proportion de 7 pour 1 hoplite, sur la flotte ils sont rameurs ; ils peuvent même devenir hoplites, mais après avoir été affranchis par l'État qui leur donne des droits civils, mais non des droits politiques. On ne saurait dire exactement dans quelle mesure les hilotes étaient méprisés ou maltraités par les citoyens. Est-ce la dureté de leurs maîtres ou le regret de leur antique indépendance qui a le plus contribué à susciter cette révolte d'Ithomè ?

(89) Les Périèques, provenant en partie des Laconiens soumis par les Spartiates doriens, sont au-dessus des hilotes . Ils jouissent des droits civils et dans leurs bourgades, tout de même surveillées par des magistrats de Sparte, les harmostes, ils participent à l'administration locale.
Quoique possédant des lots de terre, choisis parmi les moins bons d'ailleurs, ils se livrent surtout au commerce, à l'industrie.  lls payent à l'État une contribution et servent dans l'armée, à côté des citoyens, comme hoplites, mais sans accéder aux grades supérieurs . On les emploie de préférence dans les expéditions lointaines hors du Péloponnèse, comme chez nous la légion et les troupes noires. N'étant pas soumis à la vie en commun qui fait à Sparte de la condition de citoyen un véritable esclavage, ils jouissent relativement d'une grande liberté. Aussi est-ce le petit nombre qui se révolta .

(90) L'art des sièges ne disposait pas encore des machines de jet, on n'avait que des machines de choc du type du bélier, poutre garnie de fer à une extrémité qui servait par ses coups redoublés à ouvrir une brèche dans le rempart ; du type de la tortue, groupement de boucliers à l'abri desquels le mineur sapait le mur de la place assiégée .

(91) Les divinités prophétiques sont Zeus et Apollon. Zeus rendait ses oracles à Dodone, à Olympie, en Libye (Zeus-Ammon).  Apollon est le plus interrogé des dieux dans les sanctuaires de Delphes et de Didyme. A Delphes la réponse est donnée par la Pythie, assise sur un trépied au-dessus de l'antre et mise dans un état de tension nerveuse. Les prêtres d'Apollon expliquaient les réponses.
Cet oracle de Delphes a joué un rôle dans la fondation des colonies, dans les directions politiques données aux États et a eu par le rite de la purification une influence morale sur les pèlerins. Le rôle politique est important : c'est autour des sanctuaires comme Delphes et Délos que se fondèrent les premières fédérations d'un caractère religieux, nommées Amphictyonies . Elles habituèrent les confédérés à prendre conscience de la communauté de leur nature et de leurs intérêts . Delphes a entrevu l'unité religieuse qui aurait pu conduire à l'unité nationale. Mais la Pythie, favorable aux Doriens, aux régimes aristocratiques, mécontente les Ioniens portés vers la démocratie . Elle « médise et philippise » sans acquérir le sens national . Elle est du parti du plus fort, du plus généreux .

(92) Les Corinthiens ne pouvaient admettre qu'Athènes, grâce à Naupacte, surveillât l'entrée de leur golfe. De là leur haine implacable.

(93) Thucydide parle de 200 vaisseaux, Diodore de Sicile en indique 300 et Ctésias 40. Il est peu vraisemblable que la ligue de Délos aurait pu supporter une perte de 200 vaisseaux.

(94) Le parti conservateur, affaibli par la réforme de l'Aréopage, ne se contenta pas d'en faire assassiner l'auteur, Ephialte, il noua des intelligences avec Sparte pour la faire intervenir en Béotie et menacer Athènes.

(95) L'expédition d'Égypte état une occasion d'abattre sur ce point, au sud de leurs possessions, la puissance des Perses, qui venait de subir des défaites au nord dans l'Hellespont . De plus le blé d'Égypte était utile aux Athéniens. Athènes perdit là, dit-on, 6.000 citoyens.

(96). La guerre de Samos, véritable guerre de Sécession, si elle s'était terminée par une défaite, aurait porté atteinte au prestige d'Athènes et compromis l'existence de sa confédération maritime.

(97) Les trésors des sanctuaires vénérés, tels que ceux de Delphes, d'Olympie, enrichis par la piété des fidèles pouvaient être mis sous forme de prêts au service des belligérants de la région.

(98) La déesse, quand on parle d'Athènes, désigne Athéna.

(99) La qualité de vainqueur aux Jeux Olympiques conférait une sorte de noblesse à celui qui l'avait acquise, non seulement il faisait une entrée triomphale dans sa patrie, mais il jouissait de divers privilèges comme celui d'avoir une place d'honneur au théâtre, ou de se voir honoré d'une statue. Il état un objet d'orgueil et d'admiration pour ses concitoyens.
Cylon profita des loisirs et de l'éloignement des Athéniens attirés à Olympie par les jeux, pour s'emparer de la citadelle.

(100) Zeus Melicheios. c'est le dieu bienveillant ; clément sans qu'on puisse savoir d'où lui vient cette épithète. Divinité de la végétation, il est devenu le dieu purificateur qui lave le meurtrier de sa souillure.
Les rites des deux fêtes de ce Zeus sont assez singuliers : La première, les Maimactéria, se célébrait à ce mois qui correspond à novembre-décembre et comportait des lustrations, une offrande de végétaux et une expiation consistant pour le coupable dans un contact avec la peau d'un animal sacrifié.
La seconde, les Diasia (14 mars), était une très grande et très ancienne fête athénienne, à laquelle l'État et les particuliers participaient par des offrandes de menu bétail et par des cérémonies nocturnes d'un caractère mystérieux. Bien que ce fût une divinité essentiellement hellénique, les étrangers l'imploraient comme en font preuve les ex-voto trouvés au Pirée, l'assimilant sans doute à leurs dieux nationaux .

(101) L'archontat est la magistrature la plus élevée de la constitution athénienne. Au nombre de neuf, les archontes sont tirés au sort, à l'origine, dans les classes riches et subissent avant d'entrer en charge pour un an un examen de civisme et de moralité appelé docimasie.
Les trois premiers, l'éponyme, le roi, le polémarque détiennent le pouvoir exécutif comme nos ministres, les six autres ou thesmothètes sont solidairement à la tête de l'administration judiciaire.

(102) Les Déesses Vénérables, Erinnyes ou Euménides. Elles sont justement chargées de poursuivre et de punir les criminels.
Leur sanctuaire se trouvait contre la colline de l'aréopage, qui fut l'arbitre dans le procès intenté à Oreste, meurtrier de sa mère, par les Erinnyes. L'impiété était d'autant plus grande, que ces suppliants avaient été égorgés au pied même des autels de ces déesses, vengeresses des assassinats.
Parmi ces sacrilèges sont les Alcméonides descendants de Mégaclès.
En 508 le chef des aristocrates Isagoras appela Cléomène de Sparte à son secours contre l'Alcméonide Clisthène, réformateur de la constitution athénienne. Cela finit par la fuite d'Isagoras, la mise à mort de ses partisans et le rappel des Alcméonides.

(103). Sparte se considérait comme la gardienne de la religion, comme chargée du maintien du droit sacré en terre hellénique.  Ce prétexte religieux couvrait un but politique : faire bannir Périclès, de la race des sacrilèges, dont elle redoutait l'activité.

(104) L'hieron de Poséidon est celui du fils de Cronos, frère de Zeus et d'Hadès ; ce dieu compte parmi les plus grands des Olympiens. C'est le dieu des eaux (sources, fleuves, mer), des tremblements de terre, de la végétation . Il est aussi associé à la vie politique. Le taureau et surtout le cheval sont ses animaux préférés. Son culte est très répandu dans les îles et sur le littoral, mais surtout dans le Péloponnèse que Diodore appelle son « domicile ». Son temple du cap Ténare, à l'extrémité sud du Péloponnèse, face à la haute mer, était justement l'objet d'une vénération spéciale.

(105) Ce temple de bronze (sans doute à cause du métal de la couverture) était consacré á Athéna, vénérée comme gardienne de la cité, polias, qualité qu'elle eut essentiellement à Athènes.  A Sparte, out fêtes en son honneur, figuraient les éphèbes en armes.

(106) Le costume des Perses se composait d'une sorte de pantalon et d'une robe longue, analogue au caftan.

(107) La scytale ou bâton constitue un procédé de correspondance secrète usité à Sparte entre les éphores et les ambassadeurs et les généraux en campagne. Une bande de cuir ayant été enroulée sur un bâton, on y écrivait le message, qui ne pouvait être déchiffré que par le destinataire possédant un bâton du même calibre.

(108) L'autorité à Sparte réside dans le Sénat ou Gérousia, les éphores, les deux rois, l'assemblée du peuple, où les citoyens actifs, peu nombreux, sont rarement convoqués. La royauté héréditaire dans les deus branches de la famille des Héraclides n'est plus que le souvenir d'un pouvoir politique. Les deux rois n'ont que des attributions religieuses (sacrifices publics), judiciaires (affaires concernant le droit familial, militaires (commandement des troupes en temps de guerre) . Ils restent sous la surveillance et l'autorité des éphores.

(109) Dans les usages domestiques le trépied était le support d'un bassin en métal. II avait d'autres usages, tels que de constituer une récompense pour les vainqueurs des divers jeux, un ex-voto aux dieux après une victoire. Dans le sanctuaire d'Apollon Pythien à Delphes se trouvait, à côté des trésors des villes et des statues votives, ce trépied d'or offert au dieu en souvenir de la victoire de Platée (470) . Il en reste quelques assises. Une colonne de bronze dorée découverte à Constantinople en 1856 serait un fragment de cet ex-voto.

(110) L'hieron est l'édifice contenant la statue du dieu, le parvis et l'autel, le tout de dimension moindre que le temple ou naos. L'enceinte sacrée ou téménos renferme dans un petit mur, soit un arbre sacré, soit un autel, soit l'ensemble fermé par des édifices du culte et un bois sacré . Le téménos d'Olympie jouissait du droit d'asile. L'oikèma est une dépendance de l'hieron comprise dans le téménos.
Le Caeiadas était un gouffre en montagne non loin de Sparte.

(111) Le titre d'évergète était décerné par un décret public aux bienfaiteurs de l'État. Cette distinction honorifique prodiguée perdit de sa valeur. Thémistocle avait disculpé Corcyre du reproche de n'avoir pas pris les armes contre les Perses, ce qui lui valut ce titre.

(112) L'ingratitude habituelle des démocraties envers leurs grands hommes éclate dans ce procès intenté à Thémistocle.  Curtius écrit à ce sujet : « L'Hellade assista à un spectacle indigne.  Le sauveur de son indépendance, le plus grand homme d'État qu'Athènes eût possédé depuis Solon, le libérateur de la mer hellénique, l'homme le mieux doué et le plus vanté de son temps, fut, comme un criminel vulgaire, poursuivi par des sbires et traqué de retraite en retraite, sur terre et sur mer . Jamais ces deux cités, Athènes et Sparte, n'ont montré pour atteindre un but élevé un accord si parfait et une énergie si obstinée. »

(113) Ce territoire sacré était celui des déesses d'Éleusis dont la possession était contestée entre Mégariens et Athéniens.  Ces esclaves que Mégare accueille sont des prisonniers de guerre évadés d'Athènes et que Mégare refuse d'extrader.

(114) L'Assemblée des citoyens à Athènes ou ecclésia se tenait sur la Pnyx ou au théâtre de Dionysos. Le gouvernement direct exigeait la présence des citoyens aux assemblées, qui rares au début, devinrent fréquentes, surtout quand les assistants reçurent une rétribution. Au milieu du Ve siècle le nombre des citoyens était de 42.000. Il eût été impossible de les réunir tous et de les faire voter. Le nombre des présents oscillait entre 2 .000 et 5 .000, suivant l'importance de l'ordre du jour. Ne venaient pas d'ordinaire les campagnards occupés aux travaux agricoles, les marchands, les membres de l'aristocratie ; les voyages et les expéditions retenaient au loin matelots et soldats. C'étaient surtout les petites gens qui étaient les plus assidus, la partie la moins instruite et la moins raisonnable de la cité. Le nombre des citoyens qui osaient prendre la parole pour soutenir une motion n'était pas considérable, une cinquantaine au plus. Cependant à côté des orateurs réputés et hommes d'État comme Périclès, on voyait monter à la tribune, pour flatter les passions populaires Cléon le corroyeur, Hyperbolos le charcutier, Cléophon un démagogue.

(115). La majeure partie des Péloponnésiens, sauf sur la côte, se composait de propriétaires fonciers. Les citoyens spartiates ou les égaux vivaient des produits des lots de terre, inaliénables et indivisibles, à eux concédés par l'État. Le sol restant appartenait aux périèques qui en jouissaient librement. L'agriculture et l'élevage constituaient les principales ressources de cette région.

(116) Athènes recrutait aussi ses mutes, matelots chargés de la voilure, gabiers, parmi des étrangers mercenaires, qu'il était facile aux ennemis de débaucher. Mais le cubernétès ou timonier était pris parmi les citoyens, parce qu'il avait rang d'officier (second à bord), commandait la manoeuvre, avait tout l'équipage sous ses ordres, surtout lorsque le triérarque ou capitaine du navire, homme politique ou officier d'infanterie, manquait de connaissances maritimes.  Les rameurs, huit fois plus nombreux que les nautes, étaient fournis par la quatrième classe des citoyens, celle des thétes, comprenant des travailleurs agricoles, des artisans, des marins du commerce ou de la pêche ; à déserter, ils risquaient l'exil.  Le métèque est l'étranger domicilié dans la cité et y jouissant d'un statut spécial.  C'est à Athènes que leur condition état la plus douce . A mesure que l'industrie, le commerce, l'armement, la banque ont besoin de main-d'oeuvre qualifiée ou de capitaux, à mesure que progresse l'esprit égalitaire de la démocrate, les métèques voient leur condition se rapprocher de celle des citoyens.  Ils sent soumis aux mêmes charges financières (sauf pour la liturgie navale ou triérarchie), payent en plus un impôt personnel ou capitation, sont admis aux cultes de la cité et ont le droit de pratiquer le leur dans des temples à eux, sont astreints en particulier au service militaire sur mer ; à terre ils sont appelés comme hoplites ou dans les troupes légères pour défendre l'Attique, mais ils obtiennent rarement le droit de cité. Ils jouissent d'une grande liberté, à condition de se montrer « convenables » envers les citoyens. Vers le milieu du Ve siècle vivaient à Athènes environ 100 .000 métèques pour 125 .000 citoyens .

(117) Les avantages de la situation insulaire n'ont pas échappé aux penseurs athéniens, notamment à l'auteur du Traité de la république athénienne (Xénophon?) et à Aristote dans sa Politique . Au cours de cette guerre Athènes ne fut longtemps vulnérable que sur le continent, grâce à la supériorité de ses escadres .

(118) Cette domination que Périclès veut qu'Athènes s'interdise, ce sont les visées impérialistes immédiates sur la Sicile .

(119) A la facilité d'installation des étrangers à Athènes s'oppose l'attitude hostile des Lacédémoniens, pour qui par principe l'étranger est indésirable. Il leur fallait pour résider à Sparte une autorisation spéciale, sujette à retrait à la moindre faute.  Une économie fermée, une vie en grande partie agricole sur des biens incessibles, le goût du secret, la crainte de voir s'adultérer le caractère des institutions et des moeurs au contact d'autres façons de vivre et de penser expliquent ces précautions du gouvernement spartiate contre l'infiltration des étrangers.  Athènes n'avait pris qu'exceptionnellement cette mesure de boycottage contre les Mégariens, aussi offre-t-elle habilement de l'abroger, à condition que Sparte renonce à ses propres mesures de défiance à l'égard des Athéniens et de leurs alliés, leur accorde le statut des métèques, attitude libérale qui devait conquérir aux Athéniens des sympathies dans les cités démocratiques et chez leurs confédérés.