Ermold le Noir

RIGORD

 

VIE DE PHILIPPE AUGUSTE (partie II)

 

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

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COLLECTION

DES MÉMOIRES

RELATIFS

A L'HISTOIRE DE FRANCE,

depuis la fondation de la monarchie française jusqu'au 13e siècle

AVEC UNE INTRODUCTION DES SUPPLÉMENS, DES NOTICES ET DES NOTES;

Par M. GUIZOT,

PROFESSEUR D'HISTOIRE MODERNE A L’ACADÉMIE DE PARIS.


 

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VIE

DE

PHILIPPE AUGUSTE

Par

RIGORD.

 

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L'an du Seigneur 1193, le 12 avril, le roi Philippe leva des troupes et alla prendre Gisors, peu de temps après, il réduisit en son pouvoir tout le Vexin normand, que le roi d'Angleterre avait usurpé. Après la réduction de Gisors et de toute la Marche de Normandie, le roi Philippe rendit à Saint-Denis, Neufchâtel,[58] que le roi d'Angleterre Henri, et après lui son fils Richard, avaient longtemps gardé par force, contre tout droit.

Ce fut alors que Saladin, roi de Syrie et d'Egypte, mourut à Damas, laissant pour successeur ses deux fils, l'un, nommé Saphadin, en Syrie, l'autre nommé Méralice, en Egypte.

La même année, à la fête du bienheureux Denis, un enfant qui venait de mourir subitement fut porté dévotement, par ses parents, dans l'église du bienheureux martyr Denis. Ils le placèrent sur l'autel en face des saintes reliques, et s'écrièrent avec des larmes et des soupirs: « Saint Denis, venez à notre aide. » Aussitôt le Seigneur ressuscita l'enfant en présence de tout le peuple, par les mérites et l'intercession des saints martyrs.

Vers le même temps, le roi Philippe députa Etienne, évêque de Noyon, personnage vénérable, à Canut, roi des Danois, pour le prier et le supplier de daigner lui envoyer une de ses sœurs, qu'il voulait prendre pour légitime épouse. Le roi des Danois accueillit avec empressement cette demande, et remit entre les mains des envoyés du roi de France, Ingeburge, la plus belle de ses sœurs, jeune princesse qu'embellissaient encore la sainteté et l'innocence de ses mœurs; Elle partit comblée des présents de son frère, se confia aux vents et à la mer, et trouva à Arras Philippe, roi des Français, qui accourait plein de joie, avec les évêques et les grands de son royaume, au devant de la princesse, depuis longtemps l'objet de ses vœux. C'est dans cette ville qu'elle devint sa légitime épouse et qu'elle fut couronnée reine des Français, mais, ô prodige ! Ce jour même le roi, sans doute à l'instigation du diable, ou, selon d'autres, par les maléfices de quelques sorcières, ne vit plus qu'avec horreur cette épouse si longtemps désirée. Peu de jours après, ses évêques et barons dressèrent un tableau généalogique qui établissait des degrés de parenté entre Philippe et son épouse, par Charles, comte de Flandre, et la censure ecclésiastique rompit aussitôt ce mariage. Cependant, la reine Ingeburge, ne voulant plus retourner en Danemark, se décida à rester en France dans quelque saint lieu, car elle aimait mieux conserver la continence conjugale et consacrer à la prière le reste de sa vie, que d'altérer la pureté de ses premiers engagements, en acceptant un nouvel époux. Cependant on accusa d'injustice l'acte qui avait autorisé la rupture de ce mariage; les Danois se plaignirent au pontife romain, et Célestin envoya en France ses légats, savoir; Melier, prêtre cardinal, et Cenci, son diacre. Ils vinrent à Paris, convoquèrent un concile des archevêques, évêques et abbés du royaume; ils s'occupèrent de renouer le mariage entre le roi Philippe et son épouse Ingeburge. Mais bientôt ils devinrent comme des chiens muets qui ne peuvent plus aboyer, et craignant même pour leur peau, ils finirent par ne rien décider.

La même année, le dixième jour de novembre, il y eut une éclipse totale de lune qui dura deux heures. La même année aussi un possédé fut guéri miraculeusement, dans l'église du bienheureux martyr Denis.

Aux approches du mois de février, le roi Philippe ayant levé une armée, fit une nouvelle incursion en Normandie. Il y prit les villes d'Evreux, Neubourg, Vaudreuil, soumit d'autres places fortes, en détruisit plusieurs, fit un grand nombre de prisonniers, et mit le siège devant Rouen. Mais, après avoir examiné les fortifications de cette ville, et calculé ce qu'une pareille attaque lui coûterait, il désespéra du succès; et, dans les transports de sa fureur, il fît mettre le feu à ses pierriers et à ses machines, puis se retira enfin, vers le saint temps du carême; il cessa la guerre, et conclut avec Jean, surnommé Sans Terre, frère du roi d'Angleterre, un traité d'alliance peu sûr, car l'événement lui prouva bientôt toute la mauvaise foi de son ennemi.

Convention arrêtée à Paris entre Philippe, roi des Français, et Jean, frère de Richard, roi d'Angleterre, l’an 1194.

Jean, comte de Mortain, à tous ceux qui les présentes lettres verront, salut.

« On vous fait savoir à tous que telles sont les conventions faites entre moi et mon très cher seigneur Philippe, roi de France:

« 1. Qu'il doit avoir en perpétuité, dans la Normandie, toute la terre qui est en deçà de la Seine, depuis le lieu où elle se jette dans la mer, jusqu'au pays de France, en suivant le cours de ce même fleuve, et de ce côté de la Normandie où est située Rouen, excepté la ville de Rouen elle-même, et deux lieues à l'entour.

« 2. En outre le roi de France doit avoir Vaudreuil avec le château et ses appartenances, et toute la partie de Normandie qui est en deçà de la rivière dite Iton, en suivant le cours de cette rivière jusqu'à Chesnebrin, avec Chesnebrin et ses appartenances, et le château de Verneuil avec ses appartenances, et la ville d'Ivry avec ses appartenances et autres châteaux forts, et terres en deçà de l'Iton.

« 3. En Touraine, le roi de France doit avoir la ville de Tours avec ses appartenances jusqu'à Azay et le fief de Montrichard et d'Amboise, ainsi que Montbazon avec ses appartenances. Le château de Loches, celui de Châtillon, celui de Buzançais, avec leurs appartenances, resteront à perpétuité au roi de France.

« 4. Quant au comte [de Blois] Louis, mon parent, il aura les châteaux de Troo et de la Châtre avec leurs appartenances, et les fiefs de Fréteval et de Vendôme.

« 5. Le comte du Perche [Geoffroi] aura en Normandie les châteaux de Moulins et de Bonmoulins avec leurs appartenances.

« 6. Le comte d'Angoulême tiendra sa terre du roi de France, savoir: celle dont il lui a fait hommage, et il tiendra de moi l'autre terre qu'il doit tenir de moi.

« 7. Je ferai la paix avec le comte de Saint-Gilles, à la considération et par le conseil du roi de France.

« 8. Je donnerai à Philippe de Giene quelque terre sur celles que je pourrai conquérir, toujours par l'avis et en considération du roi de France.

« 9. L'église de Saint-Martin de Tours aura en Poitou, en Anjou, dans la Touraine, dans le Maine, ses droits, ses libertés et ses coutumes, comme elle les avait au temps de Geoffroi comte d'Anjou, et de; Guillaume comte de Poitou.

« 10. Moi, j'aurai la ville de Rouen avec deux lieues à l'entour, toute la terre de Normandie, excepté la portion qu'il est convenu que le roi de France doit avoir, toute la terre du Maine, de l'Anjou, de l'Aquitaine, de la Touraine, excepté ce que le roi de France et le comte Louis, mon neveu, doivent avoir en Touraine, comme il est écrit plus haut.

« 11. Pour ces terres, je ferai au roi de France et à ses successeurs les rois de France, des services et justices en leur cour, pour chaque fief, autant que chaque fief le comporte, et comme mes prédécesseurs l'ont fait à l'égard de ses prédécesseurs. Si j'avais deux héritiers ou davantage, chacun d'eux tiendrait du roi de France la baronnie qu'il posséderait.

« 12. Pour ceux qui feront alliance avec le roi de France, je leur donnerai de la terre, en considération et par l'avis du roi de France.

« 13. Si Richard mon frère, roi d'Angleterre, voulait faire la paix avec le roi de France, et m'offrait aussi la paix pour moi-même, je ne pourrais l'accepter sans le consentement du roi de France. Et si le roi de France faisait la paix avec le roi d'Angleterre, il la ferait aussi pour moi, de manière que je tiendrais du roi de France, s'il était possible, la terre que j'avais en deçà de la mer, avant la paix: si cette condition ne pouvait être convenue, et que son avis fût que je fisse la paix en tenant du roi d'Angleterre la terre que je possédais avant la paix, du moins je la tiendrais du roi d'Angleterre à condition que je ne serais forcé, pour aucune cause, de venir à sa sommation, mais qu'il suffirait de me représenter dans mes actions et dans mes réponses par un avocat ou par un envoyé, et que je ne serais pas tenu d'aller à l'armée ou aux rendez-vous des chevaliers, mais seulement d'envoyer autant de chevaliers qu'il aurait été convenu dans le traité de paix, quand on fera la paix.

« 14 Le comte Louis, mon neveu, tiendra du roi de France en fief et hommage les châteaux de Troo et de la Châtre avec leurs appartenances, et les fiefs de Fréteval et de Vendôme, et le comte du Perche tiendra de moi Moulins et Bonmoulins.

« 15. En outre le roi de France a accordé à notre ami et féal Hugues, évêque de Coutances, que s'il vient à faire la paix avec Richard, mon frère, roi d'Angleterre, il fera participer ce même évêque à la paix, de manière que ledit évêque aura son église de Coutances et ses possessions avec les droits y appartenant, aussi librement et paisiblement qu'avant la guerre. Et si le roi d'Angleterre ne lui tenait pas paix dont on serait convenu, le roi de France y prendrait le même intérêt que si le roi d'Angleterre avait violé les articles relatifs au roi de France lui-même.

« 16. J'ai donc juré en personne, que j'observerai toutes les susdites conventions, et que je les tiendrai en bonne foi et sans malice. Le roi de France de son côté a fait jurer par Barthélemy,[59] son chevalier, qu'il observera aussi en bonne foi et sans malice les susdites conventions.

« Pour que le présent traité soit ratifié et considéré comme immuable, je l'ai scellé de mon sceau.

« Fait à Paris, l'an du Verbe incarné 1193[60] au mois de janvier. »

L'an du Seigneur 1194, Michel, doyen de Paris, fut élu patriarche de Jérusalem; mais Dieu en ayant ordonné autrement, il fut nommé archevêque quinze jours après par le clergé de Sens, avec l'assentiment du roi Philippe et de tout le peuple de cette ville, et sacré archevêque le huit des calendes du mois de mai suivant (24 avril). Je regrette que mes moyens ne me permettent pas de louer dignement sa sagesse et son habileté dans la direction des écoles de Paris, aussi bien que ses largesses infinies, et toutes les vertus dont il donna l'exemple avant de recevoir le titre d'archevêque.

La même année, un petit enfant de la Courneuve, âgé de trois ans, que l’on avait trouvé noyé, fut ressuscité par les prières et les mérites du bienheureux martyr Denis.

Trois mois après, le dixième jour de mai, le roi Philippe leva une armée, entra en Normandie et mit le siège devant Verneuil. Il y était depuis trois semaines, et avait déjà détruit une partie des murs quand il reçut la nouvelle que la ville d'Evreux, où il tenait garnison, venait d'être prise par les Normands, que ses chevaliers avaient été faits prisonniers, et plusieurs même d'entre eux honteusement décapités. Aussitôt le roi, troublé et enflammé de colère, abandonne le siège, marche sur les Normands, les met en fuite, renverse de fond en comble la ville même, et, dans les transports de sa fureur, détruit aussi les églises de Dieu. Le reste de l'armée, qu'il avait laissé sous les murs de Verneuil, découragé par l'absence du roi et par la défense des assiégés, plia tout à coup tentes et pavillons, laissant à j'ennemi la plus grande partie des vivres, fis battirent en retraite pour aller retrouver le roi. Les assiégés, après leur départ, sortirent de la ville et s'enrichirent des provisions et des dépouilles que les Français avaient abandonnées en toute hâte.

La même année, le quinzième jour de juin, Guillaume, comte de Leicester, homme brave et de grand cœur, fut fait prisonnier par le roi Philippe, et emprisonné à Etampes. De son côté, le roi d'Angleterre prit Loches à la tête de son armée, chassa les chanoines de Saint-Martin de Tours, les dépouilla violemment de leurs biens, et fît beaucoup de mal aux églises de Dieu dans ces contrées.

La même année, dans le Beauvaisis, entre Clermont et Compiègne, tombèrent des pluies accompagnées de tonnerres, de foudres et de tempêtes, telles qu'on n'en trouve point de comparables dans l'histoire la plus reculée. Des pierres de la grosseur d'un œuf, de forme triangulaire ou carrée, tombèrent du ciel avec la pluie, et détruisirent complètement tous les vergers, les vignes et les moissons. Des villages furent aussi réduits en cendres par la foudre ou par l'incendie. On vit souvent, au milieu de ces orages, des corbeaux voler dans les airs de tous côtés, portant dans leur bec des charbons ardents, dont ils embrasaient les maisons. Des hommes et des femmes périrent frappés de la foudre. Tous ces miracles saisissaient le peuple d'étonnement; et l'on vit encore dans ces jours malheureux une foule d'autres prodiges. Ces grandes merveilles doivent nous inspirer un effroi salutaire, et détourner les hommes de la pratique du vice. En même temps, dans l'évêché de Laon, le château de Chaumont fut aussi, dit-on, consumé par le feu du ciel. La même année, l'église de la bienheureuse Marie à Chartres fut la proie des flammes. La même année encore un homme de Vierzon fut délivré de prison à Rouen, par les prières du bienheureux Denis. Philippe, roi des Français, ayant, appris que le roi d'Angleterre avait chassé et dépouillé de leurs biens les clercs de l'église de Saint-Martin de Tours, prit en revanche toutes les églises de son territoire, appartenant aux évêchés ou abbayes qui étaient au pouvoir du roi d'Angleterre, et se laissant séduire par de mauvais conseils, il chassa les moines et les clercs qui s'y consacraient au service de Dieu, s'appropria leurs revenus, et même accabla sans ménagement d'exactions odieuses et extraordinaires les églises de son propre royaume. Il amassa aussi beaucoup de trésors en différents lieux et se réduisit à des dépenses modiques, disant que ses prédécesseurs les rois de France, pour avoir été trop pauvres et n'avoir pu dans des temps de nécessité donner une paie à leurs chevaliers, s’étaient vu enlever par la guerre une bonne partie de leurs Etats. Cependant la véritable intention du roi, en amassant ainsi des trésors, était de les faire servir à délivrer la terre de Jérusalem du joug des païens, à la rendre aux Chrétiens, et à défendre vigoureusement le royaume de France contre ses ennemis, quoi qu'en disent certains indiscrets qui, faute d'avoir bien connu les projets et la volonté du roi, l’ont accusé d'ambition et de cupidité. Mais comme il avait appris à l'école de la sagesse qu'il est un temps pour amasser, aussi bien que pour dépenser ses trésors, il saisit l'occasion de mettre les siens en réserve, pour avoir plus à répandre dans les temps d'un besoin pressant, comme le prouvent jusqu'à l'évidence les villes qu'il a fortifiées, les murs qu'il a réparés, et les châteaux innombrables qu'il a fait élever.

Quelque temps après, comme le roi Philippe passait avec son armée sur la terre du comte Louis, le roi d'Angleterre sortit tout à coup des bois avec une troupe nombreuse de chevaliers, et enleva de vive force les sommiers du roi Philippe, charges de ses deniers, de beaucoup d'argent et de riches bagages. Pendant que cet événement se passait sur la terre de Louis, comte de Blois, Jean Sans Terre et le comte d'Arundel, avec leur armée et les bourgeois de Rouen, assiégèrent Vaudreuil, où le roi Philippe tenait garnison. Mais au bout de sept jours, le roi Philippe survint pendant la nuit avec quelques arbalétriers, et fondit sur le camp des ennemis, au point du jour. Aussitôt les Normands prirent la fuite et se retirèrent dans les bois, abandonnant pierriers et machines de toute espèce, avec tout l'attirail de guerre, et une grande abondance de vivres. Quelques-uns d'entre eux furent tués dans leur fuite, d'autres pris et mis à rançon.

La même année,[61] l'empereur Henri soumit à son pouvoir toute la Pouille, la Calabre et la Sicile, qui lui appartenaient par droit héréditaire, du chef de sa femme.

La même année, mourut Raimond, comte de Toulouse: il eut pour successeur son fils Raimond, parent du roi des Français par Constance, sœur du roi Louis.

Une température funeste, des tourbillons, des orages, des grêles détruisirent les vignes et les moissons, et produisirent, l'année suivante, une violente famine.

L'an du Seigneur 1195, au mois de juillet, le roi d'Angleterre rompit la trêve, et la guerre recommença. Alors le roi Philippe renversa de fond en comble Vaudreuil, où il tenait garnison, et quelques jours après, c'est-à-dire le 19 août, il donna pour épouse au comte de Ponthieu sa sœur Alix, que Richard, roi d'Angleterre, lui avait renvoyée.

Dans le même temps, le roi des Moaviades, nommé Hémimomelin, c'est-à-dire roi des Croyants, entra dans les Espagnes avec une armée innombrable de Moaviades et dévasta les terres des Chrétiens. Hildefonce,[62] roi de Castille, marcha à sa rencontre avec une nombreuse armée, lui livra bataille et fut vaincu.[63] Il s'enfuit du combat avec un petit nombre des siens; laissant, dit-on, plus de cinquante mille Chrétiens sur le champ de bataille. Il faut attribuer ce désastre à la conduite du roi Hildefonce, qui opprimait sans pitié ses chevaliers pour élever la puissance des paysans. Aussi ses chevaliers appauvris n'avaient plus d'armes ni de chevaux, et les paysans, qui n'avaient pas l'habitude des armes, s'enfuirent précipitamment devant les Moaviades, qui coururent à leur poursuite et en firent un horrible carnage.

Pendant que ces événements se passaient en Espagne, Richard, roi d'Angleterre, levant partout des soldats, vint assiéger le château d'Arqués, où le roi des Français tenait garnison. Mais, peu de jours après, Philippe survint avec six cents chevaliers d'élite, tous enfants de France, mit les Normands en fuite, détruisit la ville de Dieppe, emmena les habitants et brûla les vaisseaux. A son retour, comme il passait avec les siens le long de ces bois, que le peuple appelle des forêts, le roi d'Angleterre sortit à l'improviste de ces forets, avec ses gens, et tua quelques chevaliers de l'arrière-garde.

Merchadier, qui était alors chef des Cottereaux, détruisit avec sa troupe un faubourg d'Issoudun en Berri, prit la place, et y mit garnison pour le compte du roi d'Angleterre. Mais peu de temps après on fit une trêve, et les deux rois cessèrent la guerre.

La même année, autres calamités; les pluies inondèrent les campagnes, et les grains germèrent en épis, avant même qu'on pût en faire la récolte. Ces pluies excessives, jointes à l'intempérie de l'année précédente, amenèrent une si grande cherté, que le froment se vendait à Paris seize sols le setier, l'orge dix sols, la mouture treize ou quatorze sols, le sel quarante sols. C'est pourquoi le roi Philippe, touché de compassion pour les misères publiques, fit distribuer à ses frais de larges aumônes aux pauvres, et publia des lettres où il exhortait, en termes affectueux, les évêques, les abbés, et tout le peuple de son royaume, à suivre son exemple. Le couvent de Saint-Denis donna aux pauvres tout l'argent qu'il avait à sa disposition.

La même année, un prêtre nommé Foulques commença à prêcher dans les Gaules. Ses prédications et ses instructions salutaires convertirent beaucoup d'usuriers et les engagèrent à restituer le fruit de leurs usures aux pauvres chrétiens.

Le mois de novembre suivant, au terme convenu, la trêve expira, et la guerre recommença entre les deux rois. Philippe assembla son armée dans le Berri, près d'Issoudun, où le roi d'Angleterre se trouvait aussi avec son armée. Au moment où de part et d'autre on se disposait bravement au combat, tout à coup, par un miracle de la puissance divine, qui change quand il lui plaît les conseils des rois, et confond les pensées des peuples, le roi d'Angleterre, contre l'attente générale, déposa les armes et vint dans le camp des Français avec une suite peu nombreuse. Là, en présence de tout le monde, il fit hommage au roi Philippe du duché de Normandie et des comtés de Poitiers et d'Angers: les deux rois jurèrent aussi, dans le même lieu, le maintien de la paix, et remirent à l'octave de l'Epiphanie l'entrevue où ils devaient s'occuper de régler et de consolider entre eux cette paix. Le rendez-vous fut donné entre Vaudreuil et le château Gaillon, et les deux armées retournèrent pleines de joie dans leurs foyers. Mais le roi Philippe, qui n'oubliait jamais le bienheureux Denis, son défenseur et son patron, ne manqua pas de se rendre à l'église du saint martyr, où il offrit humblement sur l'autel, comme gage de son amour, un manteau de soie du plus grand prix, en reconnaissance des bienfaits de Dieu et des saints martyrs.

Le 15 du mois de janvier suivait, les archevêques, évêques et barons des deux royaumes se rendirent à la conférence, et la paix fut solennellement réglée entre les deux rois; de part et d'autre on la confirma par serment et par otages, telle qu'elle est contenue dans cet acte authentique.

Convention de paix entre Philippe, roi des Français, et Richard, roi d'Angleterre,

« Richard, par la grâce de Dieu roi d'Angleterre, duc de Normandie et d'Aquitaine, comte d'Anjou, à tous ceux qui ces présentes verront, salut en Dieu.

Nous vous faisons savoir que telles sont les conventions de paix arrêtées entre notre seigneur Philippe, illustre roi des Français, et nous, la veille de Saint-Nicolas, entre Issoudun et Charost:

« 1. Que nous cédons en perpétuité à Philippe et à ses héritiers légitimes, Gisors, Neaufle et le Vexin normand; à cette condition, qu'Etienne de LongChamp doit avoir Baudemont et ses terres, et qu'il les tiendra du roi de France.

« 2. Pour Hugues de Gournay, voici ce qu'il en sera. Son hommage reste au roi de France tant que ledit Hugues vivra, s'il ne veut pas revenir à moi; et après sa mort, tout son fief de Normandie doit revenir à nous et à nos héritiers.

« 3. La terre que ledit Hugues possédait en Angleterre et en Normandie doit être donnée à Richard de Vernon, par suite de l'échange que le roi de France doit faire avec le même Richard, pour le château de Vernon, en lui donnant quatre-vingts livres parisis de rente; et si la susdite terre de Hugues ne valait pas quatre-vingts livres par an, le roi de France parfairait le reste sur sa propre terre. Ainsi Richard et son fils, de mon aveu et par mon ordre, ont cédé, en perpétuité, Vernon avec sa châtellenie, au roi de France et à ses héritiers, en foi de quoi ils ont prêté serment.

« 4. En outre nous tenons aussi pour bien et dûment confirmée, la cession que le comte de Leicester a faite en perpétuité à notre seigneur Philippe, roi de France, du château de Pacy,[64] tant en fief qu'en domaine, avec sa châtellenie et ses appartenances.

« 5. Nous cédons encore à perpétuité, au roi de France et à ses héritiers, par droit d'hérédité, Neufmarché, Vernon, Gaillon, Pacy, Ivry, Nonancourt, avec leurs châtellenies. Il est à savoir qu'on posera des limites entre le fort de Gaillon et le fort de Vaudreuil au milieu du chemin, et qu'à partir de ces limites jusqu'à la Seine d'une part, et jusqu'à l'Eure de l'autre, tout ce qui sera du côté de Gaillon appartiendra au roi de France, et tout ce qui sera du côté de Vaudreuil m'appartiendra.

« 6. Nous cédons aussi à perpétuité au même roi Philippe et à ses héritiers l'Auvergne, fief et domaine, et tout ce que nous y possédons, avec ce que nous pouvions prétendre d'y posséder un jour.

« 7. De plus, si le comte de Leicester, ou Richard de Vernon, ou son fils, ou quelqu'un de nos gens, à l'occasion des fiefs et domaines que nous cédons au roi dans ce traité de paix, faisait quelque tort à Philippe ou aux siens, nous remettrions leurs terres entre les mains du roi de France, et lui en garantirions la possession jusqu'à réparation du dommage que Philippe ou les siens auraient pu souffrir, ou bien nous nous chargerions nous-mêmes de les satisfaire de nos propres deniers, et nous chasserions les coupables de notre terre.

« 8. Pour établir une paix solide entre nous et notre seigneur le roi des Français, il nous cède et nous abandonne à perpétuité, ainsi qu'à nos héritiers Issoudun, Graçay, et tous les fiefs dépendants d'Issoudun et de Graçay, le fief de la Châtre, de Saint Chartier, de Châtillon sur Cher, pour les posséder, aux mêmes conditions qu'André de Chauvigny les tenait du roi des Français, et le fief de Château-Meillan, comme Eudes de Dole le tenait du roi de France; Souillac, avec ses dépendances, excepté ce qui était encore entre les mains du comte de Saint-Gilles et des siens, ou des vicomtes de Touraine et des siens, la veille de la Saint-Michel. Si le roi de France voulait bâtir un fort à Villeneuve sur Cher, il pourra le faire.

« 9. Nous conservons le comté d'Eu, avec toutes ses appartenances, comme le comte d'Eu et les siens l'ont toujours tenu; le comté d'Aumale, avec ses appartenances, Arques et Driencourt, avec leurs appartenances. Les terres des chevaliers de Hugues de Gournay, qui nous ont suivi à la guerre, leur seront rendues ils en feront hommage et service à Hugues de Gournay, mais sans aucun préjudice de la fidélité qu'ils nous devaient.

« 10. Le roi de France nous donne encore Beauvoir et son territoire, et tout le reste de la terre qui appartenait à mes hommes ainsi qu'à moi, avant que je l'eusse perdue dans ma captivité en Allemagne: seront exceptées les terres déjà désignées pour devenir la propriété perpétuelle du roi des Français et de ses héritiers, selon nos conventions.

« 11. Nous et le comte de Saint-Gilles nous posséderons au même titre toute la terre que nous tenions la veille de Saint-Nicolas, et nous agirons et construirons sur cette terre à notre volonté, comme sur la nôtre. Le comte de Saint-Gilles aura le même droit de son côté. Si le comte de Saint-Gilles refusait cette condition, le roi des Français, notre seigneur, ne lui prêtera pas secours contre nous, et nous pourrions lui faire tout le mal qu'il nous plairait par le fer ou par le feu. Si nous ne voulions retenir ce que nous aurions pris, quand le comte de Saint-Gilles voudrait faire la paix, nous lui rendrions toute la terre que nous aurions conquise depuis la veille de Saint-Nicolas; le comte en ferait autant avec nous. Si le comte de Saint-Gilles ne veut pas entrer dans la paix actuelle, nous ne lui ferons ni guerre, ni dommage, tant qu'il réclamera l'arbitrage du roi de France.

« 12. Le comte de Périgueux aura sa terre, comme il l'avait quand il s'est retiré de nous. Il en sera de même du vicomte de Broque. Le comte d'Angoulême, et ses hommes, recouvreront leurs terres, et ces trois seigneurs nous feront hommage et service comme devant.

« 13. Le vicomte de Touraine tiendra du roi des Français ce que de droit, et de nous aussi ce qu'il en doit tenir. Quant à Fortunat de Gordon, si nous pouvons prouver par serment de vingt ou trente hommes légitimes que nous avons tenu pendant au moins un an et un jour les deux châteaux de Casal et de Pérille, après quoi nous les aurions remis audit Fortunat, et que nous veuillions les posséder encore, le roi de France, notre seigneur, ne s'entremettra point dans cette affaire.

« 14. Pour les maisons du Châteauneuf de Tours, nous en référerons au conseil de l'archevêque de Reims, et de Drogon de Mellot.

« 15. Pour Andely, ni le roi de France, notre seigneur, ni nous, n'en réclamons fief ou hommage; et s'il arrivait que l'archevêque de Rouen envoyât sur la terre du roi de France ou des siens une sentence d'excommunication ou d'interdit, le roi de Fiance, notre seigneur, pourra l'assigner aux Andelys et aux possessions que l'archevêque y peut avoir, avec leurs appartenances, jusqu'à ce que deux diacres on prêtres choisis ad hoc par le roi de France, sous serment et en bonne foi, aient décidé avec deux autres diacres ou prêtres choisis par nous, sous serment et en bonne foi, si l'interdiction ou l'excommunication a été mal ou dûment prononcée. S'ils décident qu'elle est juste, le roi des Français rendra audit archevêque les Andelys, avec ce qu'il en aura tiré dans cet intervalle, conformément à la décision des arbitres. Si, au contraire, la sentence de l'archevêque est trouvée injuste, ce que le roi de France aura lire des Andelys et de ses appartenances sera au détriment de l'archevêque, qui lèvera en outre l'interdit ou l'excommunication. Le présent article est réciproque pour nous.

« 16. Si quelqu'un de ces arbitres venait à mourir, de part ou d'autre, il serait de même remplacé par un autre, que l'un de nous choisirait sous serment.

« 17. À la mort de l'archevêque, les revenus des Andelys et de ses appartenances demeureront entre les mains du chapitre de la bienheureuse Marie de Rouen, jusqu'à ce qu'il ait un successeur. Et nous promettons de ne faire aucun mal aux arbitres pour leurs décisions.

« 18. Les Andelys ne pourront être fortifiés.

« 19. Nous ferons restituer par notre seigneur, le roi de France, tout ce qu'il a pris aux églises que nous avons sur sa terre, et le roi de France exigera de nous la même restitution. Ni nous, ni le roi de France, ne pourrons désormais, dans quelque guerre que ce soit, prendre ou surprendre rien qui appartienne aux églises, sur les terres l'un de l'autre; et des deux côtés, les églises jouiront des mêmes libertés que pendant la paix.

« 20. Nous ne nous entremettrons plus des hommes du royaume de France, ni des fiefs qui lui appartiennent, ni lui des nôtres, sauf toutefois les services que nous devons au roi de France, pour les fiefs que nous tenons de lui, selon qu'ils le comportent.

« 21. Nous ne recevrons pas non plus d'hommes liges du roi de France contre lui, tant qu'il vivra, ni lui de nos hommes liges, pendant notre vie.

« 22. Après tout cela, le comte de Leicester, et tous les prisonniers ou otages, seront délivrés de part et d'autre, selon le partage qui en a été fait.

« 23. Nous avons juré en bonne foi que nous tiendrons ces conditions, et le roi de France de même.

« En confirmation de toutes ces conventions, nous les avons munies de notre sceau. Fait entre Gaillon et Vaudreuil, l'an du Seigneur mcxcv (1196, mois de janvier). »

L'an du Seigneur 1196, au mois de mars, il y eut une inondation et des débordements qui submergèrent, dans plusieurs endroits, des villages entiers avec leurs habitants, et rompirent les ponts de la Seine. Le clergé et le peuple de Dieu, à la vue des signes et des prodiges qui les menaçaient dans le ciel et sur la terre, craignirent un second déluge; et le peuple fidèle se mit en dévotion avec des gémissements, des larmes et des soupirs, passant les jours dans les jeûnes et les prières. On faisait des processions, à pieds mis, on criait vers le Seigneur, pour qu'il pardonnât au repentir, pour qu'il détournât des pécheurs, dans sa clémence, le fouet de sa colère, et qu'il daignât les exaucer, recevant en miséricorde leur pénitence et la satisfaction qu'ils lui offraient du fond du cœur. Le roi Philippe suivit lui-même ces processions, comme le plus humble de ses sujets, avec des larmes et des soupirs. Le saint couvent du bienheureux Denis, portant le saint clou du Seigneur, avec la couronne d'épines et le bras du saint vieillard Siméon, élevant sa voix et ses soupirs vers le Seigneur, bénit les eaux en croix, et dit: « Au nom du signe de la sainte Passion, que le Seigneur ramène ces eaux dans leur lit. » Et en effet, quelques jours après, la colère de Dieu fut apaisée, et les eaux rentrèrent dans leur lit. La même année, au mois de mai, Jean, prieur de l'église Saint-Denis, fut fait abbé de Corbie.

La même année, au mois de juin, Baudouin, comte de Flandre, fit hommage au roi Philippe, à Compiègne, en présence de Guillaume, archevêque de Reims, de Marie, comtesse de Champagne, et de beaucoup d'autres.

La même année et dans le même mois, le roi Philippe prit une épouse du nom de Marie, fille du duc de Bohême et de Méranie et marquis d'Istrie.

Mais peu de temps après, Richard, roi d'Angleterre, au mépris des serments et des conventions que nous avons transcrites, attaqua les armes à la main Philippe, roi de France. Il surprit, par ruse, et rasa le château de Vierzon, en Berri, quoiqu'il eût juré au seigneur de Vierzon de ne lui faire aucun dommage. Aussi le roi, rassemblant son armée, alla mettre, sans délai, le siège devant Aumale. Pendant que Philippe était arrêté sons les murs de cette place, le roi d'Angleterre se rendit maître, par fraude et par trahison, du château de Nonancourt, dont il corrompit la garnison à prix d'argent. Il y fit entrer lui-même des soldats et des arbalétriers avec des armes et des provisions en abondance, puis il revint contre le roi avec ses Normands et ses Cottereaux. Le roi des Français fit dresser tout autour de la ville assiégée ses pierriers et ses machines, et l'assaillit bravement pendant sept semaines et plus; mais les assiégés ne se défendaient pas avec moins de bravoure, repoussaient à leur tour les Français par la force, et souvent même en faisaient un grand carnage. Un jour le roi d'Angleterre fit une sortie contre l'ennemi à la tête des siens, mais, à la vue des Français, il tourna le dos et s'enfuit. C'est dans cette fuite que l'on prit, avec quelques autres chevaliers, Gui de Thouars, brave homme de guerre, redouté de ses ennemis. Les Français revinrent alors au siège, qu'ils poussèrent avec vigueur nuit et jour. Enfin, ils parvinrent à faire une brèche à l'une des tours, avec leurs pierriers et leurs mangonneaux. A la vue de ses murs ouverts, la garnison, moyennant une somme d'argent donnée au roi Philippe, obtint de se retirer paisiblement, la vie sauve, avec ses armes, son avoir, ses chevaux. Quelques Français, ignorant les intentions et la volonté du roi, blâmèrent cette capitulation; mais quand les assiégés furent sortis de la ville, et retirés en sûreté chez eux avec leurs biens, Philippe rasa le château. Enfin il revint à Gisors, et peu de jours après assiégea Nonancourt. Il fil; dresser ses machines autour de la place, pressa vivement le siège, et en peu de temps se rendit maître du château, dans une action mémorable où il prit quinze chevaliers, dix-huit arbalétriers, et beaucoup d'autres, sans parler des vivres qu'il y trouva en abondance: il confia la garde de cette ville au comte Robert de Dreux.

La même année, le onzième jour de septembre, Maurice, de vénérable mémoire, évêque de Paris, le père des pauvres et des orphelins, retourna en paix dans le sein du Seigneur. Dans le nombre infini des bonnes actions de sa vie, il faut compter quatre abbayes qu'il a fondées à ses frais, et dotées avec la plus grande dévotion, savoir: Hériviau, Hermerie, Ierre et Gif, sans parler de bien d'autres, dont il serait trop long de citer les noms. En un mot, tout ce qu'il avait en propre il le donnait aux pauvres, et comme il croyait fermement à la résurrection des corps, dont il savait que bien des habiles de son temps étaient encore en doute, il voulut en mourant guérir leur incrédulité, et se fit donner un rouleau, où il écrivit ces mots: « Je sais que mon Rédempteur est vivant, et que je ressusciterai de la terre au dernier jour, que je verrai mon Dieu dans ma chair, que je le verrai, dis-je, moi-même et non un autre, et que je le contemplerai de mes propres yeux. C'est-là l'espérance que j'ai et qui reposera toujours dans mon cœur. » Quand il fut à l'extrémité, il ordonna à ses fidèles et à ses familiers d'étendre ce rouleau sur sa poitrine pour que tous les hommes lettrés qui viendraient le jour de sa mort assister à ses funérailles, s'affermissent, en lisant ces saints caractères, dans la croyance de la résurrection de tous les corps, pour ne plus en douter. Il eut pour successeur Eude, né à Souilly, frère d'Henri, archevêque de Bourges, et qui fut loin d'imiter la vie et les mœurs de son prédécesseur.

L'an du Seigneur 1197, Baudouin, comte de Flandre, renonçant ouvertement à la fidélité qu'il devait au roi des Français, fit alliance avec Richard, roi d'Angleterre, et ils affligèrent de mille maux Philippe et son royaume.

Confédération entre Richard, roi d'Angleterre, et Baudouin, comte de Flandre, contre Philippe, roi des Français.

« Nous faisons savoir à tous ceux qui verront cet écrit que telle est l'alliance et la convention faite entre Richard, roi d'Angleterre, et Baudouin, comte de Flandre et du Hainaut, son parent:

« 1. Que ledit roi d'Angleterre ne pourra faire paix ou trêve avec le roi de France sans la volonté et le consentement dudit comte; et ledit comte ne fera ou ne pourra faire paix ni trêve avec le roi de France sans la volonté et le consentement du roi d'Angleterre. Si, par hasard, ils venaient d'un commun accord à faire ensemble paix et alliance avec le roi des Français, et que ce dernier déclarât ensuite la guerre à l'un ou à l'autre, ledit comte et le roi d'Angleterre seraient tenus tous deux de se prêter mutuellement aide et secours du mieux qu'ils pourraient, et comme ils l'ont fait à l'époque où ce traité a été conclu entre eux.

« 2. Il faut observer que cette alliance et cette convention ne doit pas durer seulement tout le temps de la guerre, mais qu'elle les engage à jamais eux et leurs héritiers, soit en paix, soit en guerre. De sorte que, si le roi d'Angleterre viole ce traité et cette convention, ceux qui l'ont jurée pour le roi d'Angleterre se rendront prisonniers dudit comte dans le premier mois, après qu'ils en auront été bien informés, sans attendre la sommation dudit comte. De même si ledit comte manque au traité convenu, ceux qui l'ont juré pour lui se rendront prisonniers du roi d'Angleterre dans le premier mois, après qu'ils en auront été bien informés, sans attendre la sommation dudit roi.

« 3. A juré l'observation exacte de la présente convention, pour le roi d'Angleterre, et sur l’âme dudit roi, Jean, comte de Mortain, son frère; le même comte jure aussi l'exécution rigoureuse du traité, pour lui-même et sur son âme, aussi bien que ceux dont suivent les noms:

Othon, comte de Poitou; Baudouin, comte d'Aumale; Guillaume Maréchal, Guillaume de Humel, connétable de Normandie; Hugues de Gournay, Robert d'Harcourt, Robert, fils de Roger; Guillaume, comte d'Arundel; Roger de Torny, Guillaume, sénéchal de Normandie; Robert Marmion, Robert Bertran, Raoul, comte de Chester; Guillaume de l'Etang, Guillaume de Caty, Robert Tecson, Pierre du Bois, Hugues de Colones, Germain de Fournival, Foulques Stainel, Symphorien de Kyma, Hubert de Carency, Guillaume de Hundescot, Vauquelin de Ferrières, Hascoil de Solmy, Raoul d'Ardres, qui ont juré en Normandie, devant ledit roi d'Angleterre et ledit Baudouin, comte de Flandre.

« 4. Robert, comte de Leicester; Raoul, comte d'Eu, Guillaume de Varennes, Guillaume de Malion, Guerin de Clapion, Robert de Tresgoz, Henri de Bohun, Guillaume, fils d'Hamon, Philippe de Columbar, Guillaume Maengot, Renaud Basset, Henri de Ferrières, Johel de Mayenne, Guillaume de Mortemar, Hugues de Ferrières, Rogon de Sarcy, Robert, comte de Meulan; Thomas Basset, Alain Basset, Robert de Tiebouill, Gauthier Pippard, Richard de Humet, Guillaume Mallet de Gerarville, Henri Bistet, Henri d'Estouteville, Guillaume de Mowbray, Guillaume Martel, Robert, fds de Gautier, ont prêté le même serment en Normandie, en présence du même roi, de Liger, châtelain de Gand, et de Nicolas de Condé, qui ont été envoyés à cet effet en Normandie par ledit comte de Flandre.

« 5. Ledit comte Baudouin a signé de sa propre main le serment par lequel il s'engage à exécuter fidèlement ce traité et cette convention, et avec lui ont juré ses frères, Philippe, comte de Namur; et Henri, ses barons et ses autres hommes, dont voici les noms;

Roger de Courtray, Hugues de Saint-Hubert, Régnier de Trie, Nicolas de Condé, Théodore, fils du comte Philippe; Autel Sacherell, Théodore de Beuvron, Baudouin de Commines, Guillaume de Hundescot, Simon d'Haveret, Henri de Parkendal. Les susdits témoins ont juré, en Normandie, en présence du roi d'Angleterre et du comte de Flandre, excepté ledit comte de Namur, qui l'a juré en Flandre en présence de Baudouin, comte d'Aumale; de Guillaume de Hundescot, et de Guillaume de l'Etang, qui ont été envoyés à cet effet en Flandre par le roi d'Angleterre.

« 6. Gautier d'Avesne, Gérard, prévôt de Bruges; Baudouin, chambellan; Poilly de Villiers, Gérard de Bailleul, Siger, châtelain de Gand; Eustache de Malines, Gosvin de Wavres, Auguste de l'Arbre, Hugues de Ruet, Gautier de Stotenghen, Gérard de Rode, Théodore de Formente, Raoul Millepieds, Henri de Bailleul, Gérard de Puz, Gérard de Stailhon, Eustache de Ruet, Roger, châtelain de Courtray, Régnier Des monts ont prêté le même serment en Flandre pour le comte de Flandre, en présence desdits Baudouin, comte d'Aumale, Guillaume de Hundescot, et Guillaume de l'Etang. »

Renaud, fils du comte de Dammartin, fit une alliance entièrement pareille avec le roi d'Angleterre. C'était pourtant à l'affection sincère et à la familiarité du roi de France qu'il devait son comté et la main de la comtesse de Boulogne, mais il céda aux instigations du diable, et, malgré ses traités, au mépris de ses serments, il vint, les armes à la main, attaquer le roi de France, son seigneur. Il se joignit aux Cottereaux et autres ennemis du roi des Français pour ravager et piller ses terres, et pour affliger le royaume d'une foule de maux.

La même année, le vendredi 24 octobre, mourut Hugues de Foucault, abbé de Saint-Denis, à la troisième heure du jour. Il eut pour successeur Hugues de Milan, prieur de Sainte-Marie d'Argenteuil.

La même année, mourut Henri, empereur des Romains, qui avait soumis la Sicile à son pouvoir tyrannique, et avait fait périr dans ce pays un grand nombre d'hommes distingués par leur naissance; sans respect pour la religion chrétienne, il avait aussi égorgé des évêques et des archevêques. En outre, à l'exemple de ses prédécesseurs, il avait accablé l'Eglise romaine sons le poids de sa tyrannie. C'est pour cela que le pape Innocent III s'opposa à l'élection de Philippe, son frère, excommunia tous ses partisans, et se déclara ouvertement pour Othon, fils du duc de Saxe, qu'il fit couronner roi de Germanie à Aix-la-Chapelle.

Vers le même temps, Henri, comte de Troyes, qui, depuis le retour des deux rois, avait reçu dans les pays d'outre-mer, le titre de roi de Jérusalem, mourut à Acre. Son frère, Thibaut, lui succéda au comté de Troyes.

La même année,[65] le 8 janvier, le pape Célestin III retourna vers le Seigneur. Il eut pour successeur Innocent III, romain de nation, qui portait auparavant le nom de Lothaire.

La même année, mourut l'illustre Marie, comtesse de Troyes, sœur de Philippe, roi de France, du côté paternel; et de Richard, roi d'Angleterre, du côté maternel. Elle était aussi mère des deux seigneurs nommés plus haut, Henri, roi de Jérusalem, et Thibaut, comte de Troyes.

La même année, c'est-à-dire trois ans après les premières prédications du prêtre Foulques, le Seigneur Jésus-Christ opéra, par ce saint prêtre, une foule de miracles. Par ses oraisons et par l'imposition des mains, il rendait la vue aux aveugles, l'ouïe aux sourds, la parole aux muets, l'usage de leurs jambes aux boiteux, sans compter d'autres prodiges qu'il serait trop long d'énumérer, et que la trop grande incrédulité des hommes nous force de passer sous silence.

L'an du Seigneur 1198, ce Foulques s'associa, pour l'aider dans ses prédications, un prêtre nommé Pierre de Roissy, du même évêché de Paris; c'était un homme lettré et, je crois aussi, plein de l'esprit de Dieu. Tous les jours, en accompagnant les diverses prédications, il retirait quelques âmes du péché d'usure, et plus encore des fureurs de la luxure. Il sut même ramener à la continence conjugale des femmes qui vivaient dans des lieux de prostitution, et s'y livraient, à vil prix et sans pudeur, à tous les passa Il s; car elles ne choisissaient pas même leurs complices. D'autres qui montraient du dégoût pour le mariage, et ne voulaient se consacrer qu'au service de Dieu, prirent l'habit régulier et furent placées dans la nouvelle abbaye de Saint-Antoine, à Paris, qu'on venait de fonder pour elles. D'autres encore allèrent, pieds nus, faire divers pèlerinages et se condamnèrent à divers travaux. Mais, pour savoir dans quelle intention chacun aura prêché, il faut examiner la fin; car c'est la fin qui déclare évidemment les intentions secrètes des hommes; c'est par les œuvres qu'on juge les cœurs.

Outre ces deux prêtres, Herluin, moine de Saint-Denis, né à Paris, homme versé dans la connaissance des lettres sacrées, alla prêcher sur les côtes de la Bretagne. Son ministère et ses prédications eurent un plein succès. Une foule innombrable de Bretons reçurent la croix de sa main, et tout à coup traversant les mers avec d'autres pèlerins, abordèrent, sous sa conduite, au port d'Acre; mais là, se trouvant divisés et sans chef, ils n'accomplirent rien d'utile.

Cette année, on vit apparaître des prodiges nouveaux. A Rosoy, en Brie, au moment du sacrifice divin, le pain se changea visiblement en chair sur l'autel, et le vin en sang. Dans le Vermandois, un chevalier mort ressuscita, prédit à bien des personnes les événements futurs de leur vie, et vécut, ensuite longtemps sans Loire et sans manger. Dans la Gaule, aux approches de la Saint Jean Baptiste, il tomba du ciel, pendant la nuit, une rosée de miel qui s'attacha aux épis dans les champs, de manière que bien des personnes, en portant ces épis à leur bouche, sentaient en effet un goût de miel véritable. Dans un orage, la foudre tua un homme à Paris, et une grêle soudaine dévasta dans quelques endroits les vignes et les moissons. Peu de jours après, au mois de juillet, il y eut encore un orage violent: depuis Tremblay jusqu'au monastère de Chelles et ses environs, les moissons, les vignes, les bois, tout fut détruit. En effet, on vit tomber du ciel, des pierres de la grosseur d'une noix; dans d'autres endroits, elles étaient; grosses comme des œufs, ou même plus grosses encore, s'il faut en croire la renommée. Le bruit public annonçait aussi la naissance de l'Antéchrist à Babylone, et nous menaçait de la fin du monde. Pendant ces trois dernières années, les moissons détruites par des pluies excessives, refusèrent à l'homme sa nourriture, et amenèrent en France une grande disette.

La même année, au mois de juillet, le roi Philippe, contre l'attente générale et malgré son propre édit, rappela les Juifs à Paris, et fît éprouver de grandes persécutions aux églises de Dieu. Aussi, dès le mois de septembre suivant, la veille de la Saint-Michel, il en fut bien puni. Le roi d'Angleterre parut à l'improviste, et vint surprendre le roi de France avec quinze cents hommes d'armes, un grand nombre de Cottereaux, et une multitude infinie d'hommes de pied. Il ravagea le Vexin dans les environs de Gisors, détruisit un fort nommé Courcelles, brûla plusieurs villages dans la campagne, et emmena le butin qu'il y avait trouvé. Le roi Philippe, enflammé de colère, voulait pénétrer jusqu'au château de Gisors avec cinq cents chevaliers seulement, mais le passage n'était pas facile, les ennemis lui fermaient le chemin. A cette vue, avec une ardeur égale à son courage, il s'élance furieux au milieu des rangs ennemis, et après avoir combattu vaillamment à la tête d'un petit nombre de chevaliers, il s'échappe sain et sauf, grâces à la miséricorde divine, et parvient à Gisors, laissant beaucoup de ses chevaliers prisonniers et le reste en fuite,

Parmi les prisonniers qui tombèrent entre les mains de Richard, dans cette déconfiture, se trouvaient Alain de Roussy, Mathieu de Marie, le jeune Guillaume de Mellot, Philippe de Nanteuil, et plusieurs autres dont je ne puis écrire les noms, car mon âme est trop émue de ces souvenirs: et ainsi le roi d'Angleterre s'en retourna cette fois triomphant, et distribua nos dépouilles.

Le roi de France, troublé de ce triste événement, au lieu der rappeler en sa mémoire l'offense qu'il avait faite au Seigneur, rassembla une année, entra en Normandie et ravagea le pays jusqu'à Neubourg et Beaumont-le-Roger. Il rapporta de cette expédition un grand butin, et aussitôt après il congédia ses troupes, de manière que chacun rentra dans ses foyers; bien des personnes trouvèrent que ce n'était pas agir prudemment. En effet, le roi d'Angleterre, à cette nouvelle, vint peu de jours après avec ses Cottereaux, commandés par Merchadier, pour piller: le Vexin et le Beauvaisis. L'évêque de Beauvais, brave homme de guerre, et Guillaume de Mellot, se mirent vivement à sa poursuite, pour lui enlever le riche butin qu'il avait fait mais il leur dressa des embûches, les fît prisonniers, et les garda longtemps en prison. Le comte de Flandre prit en même temps Saint-Omer. Philippe, duc de Souabe, frère de l'empereur Henri, avait pour lui la plus grande partie de l'empire, mais Othon, son rival, fils du duc de Saxe, soutenu par Richard, son oncle, roi d'Angleterre, le comte de Flandre, et l'archevêque de Cologne, fut couronné, à Aix-la-Chapelle, roi de Germanie. Philippe, roi des Français, fit alliance avec ledit Philippe, roi d'Allemagne et duc de Souabe, espérant, avec son aide, soumettre le comte de Flandre, et résister plus aisément au roi d'Angleterre.

Alliance entre Philippe, roi des Romains, et Philippe, roi des Français, particulièrement contre Richard, roi d'Angleterre, et Othon, élu roi des Romains.

« Moi, Philippe, roi des Romains, toujours auguste, je fais savoir, etc., que, vu l'attachement réciproque qui a toujours uni le seigneur Philippe, roi des Français avec Frédéric notre père, et Henri notre frère, de pieuse mémoire, tous deux empereurs des Romains, nous avons résolu de former, avec notre très cher ami Philippe, illustre roi des Français, l'alliance suivante, pour le bien de la paix et pour l'utilité publique.

« 1. Nous lui prêterons aide, particulièrement contre Richard, roi d'Angleterre, le comte Othon, son neveu, Baudouin, comte de Flandre, Adolphe, archevêque de Cologne, et contre tous ses autres ennemis, de bonne foi et sans malice, partout où notre; honneur nous permettra de le faire, et toutes les fois que nous en trouverons l'occasion et le temps.

« 2. Si quelqu'un de notre empire porte dommage audit roi des Français, ou à son royaume, sans réparer ses torts par nous ou par nos gens, par paix ou par droit, dans des termes convenables, quarante jours après que nous en aurons reçu la nouvelle dudit roi de France (si nous sommes en deçà les monts), ou que l'évêque de Metz l'aura appris (si nous sommes par delà les monts), le seigneur roi des Français pourra se venger du coupable sans aucun obstacle, et nous l'y aiderons de bonne foi.

« 3. Nous ne retiendrons pas en notre empire quelque homme que ce soit, du royaume de France, soit clerc, soit laïque, contre la volonté de notre très cher ami Philippe, roi de France.

« 4. Ledit roi de France pourra, quand il le voudra, se venger du comte de Flandre, sur la terre que ledit comte a dans l'empire, soit en fief soit en domaine, sans aucun obstacle.

« 5. Si nous venions à savoir que quelqu'un cherchât à porter dommage à l'illustre roi des Français, ou à son royaume, nous lui promettons de bonne foi que nous déjouerons ces complots, on, si nous ne pouvons les déjouer, que nous ne manquerons pas du moins de les lui dénoncer.

« 6. Et, quand nous serons couronné empereur, avec l'aide de Dieu, nous renouvellerons ces conventions avec l'illustre roi des Français, et les confirmerons de notre sceau.

« 7. Nous avons promis entre les mains de Nivelon, respectable évêque de Soissons, l'accomplissement fidèle de tous ces articles, et de même, sur notre ordre, nos dévoués seigneurs et princes: Conrad, évêque de Wirtemberg; Bertrand, évêque de Metz, Chietelme, évêque de Constance Théoderic de Greuch, Frédéric de Ceorle, Hartmann de Kirchberg, Geoffroi de Vehingre, Evrard d'Everstein, comtes; et de notre côté, Trusard, notre chambellan, Garnier de Rossewich, Garnier de Bollands, Garnier de Ceangue, chevaliers, ont juré qu'ils feront de bonne foi tous leurs efforts pour nous faire observer et tenir ces conditions. Nous le ferons jurer encore par un évêque et un archevêque.

« Donné à Worms, l'an 1198 de l'Incarnation du Verbe, le premier de notre règne, le 3 des calendes de juillet, de la main de Conrad, pronotaire de la cour impériale. »

Sur ces entrefaites, le pape Innocent III envoya en France le légat Pierre de Capoue, diacre cardinal de Sainte-Marie, pour établir la paix entre Philippe, roi des Français, et Richard, roi d'Angleterre. Cet homme vénérable vint en France vers l'époque de la Nativité du Seigneur, mais la paix étant trop difficile à rétablir, il ne put y réussir. Il obtint seulement, sur la foi des deux rois, une trêve de cinq ans. Encore le roi d'Angleterre fit toujours intervenir quelques ruses, pour empêcher qu'elle ne fût confirmée par des otages.

L'an du Seigneur 1199, le huitième jour d'avril, Richard, roi d'Angleterre, mourut d'une blessure grave qu'il reçut près de Limoges. Il venait d'assiéger un château nommé par les Limousins Chalus-Chabrol, pendant la semaine de la Passion du Seigneur, à l'occasion d'un trésor qu'un soldat y avait trouvé, et que le prince avide voulait à toute force se faire rendre par le vicomte de Limoges, car c'est chez lui que s'était réfugié le soldat qui avait fait cette découverte. Comme Richard était arrêté sous les murs du château dont il faisait le siège, et auquel il livrait tous les jours quelque nouvel assaut, un arbalétrier lui lança tout à coup un trait dont il fut percé. La blessure fut mortelle: et, quelques jours après, le roi d'Angleterre entra dans la voie de toute chair. Ses restes reposent à Fontevrault, dans une abbaye de moines, auprès de son père. Quant au trésor qui fut l'occasion de sa mort, c'était, dit-on, un empereur, de l'or le plus pur, assis avec sa femme, ses fils et ses filles, à une table d'or. L'inscription indiquait exactement le temps où ils avaient vécu. Le roi Richard eut pour successeur son frère Jean, surnommé Sans Terre, qui fut couronné, le jour de l'Ascension suivante, à Cantorbéry.

Alors le roi des Français, profitant de l'heureux changement que la mort de Richard avait apporté dans les affaires, prit Evreux, avec les forts voisins, Avrilly, Aquigny, y laissa garnison, et dévasta toute la Normandie jusqu'au Mans. Arthur, encore enfant, comte de Bretagne et neveu du roi d'Angleterre, entra dans l'Anjou avec une troupe considérable, se rendit maître du comté d'Angers; et, ayant trouve le roi des Français au Mans, il lui fit hommage, et lui jura fidélité, ainsi que sa mère.[66]

Cependant Philippe, comte de Namur, frère du comte de Flandre, fut pris, pendant le mois de mai, près du château de Lens, par Robert de Blois et par Eustache de Neuville, avec douze chevaliers, et livré au roi Philippe, avec un prêtre nommé Pierre de Douai, qui avait plus d'une fois cherché à nuire aux intérêts du roi de France. L'évêque élu de Cambrai[67] fut pris aussi par Hugues d'Amelencourt; et à cette nouvelle, Pierre de Capoue, légat de la sainte Eglise romaine, mit toute la France en interdit. Mais, trois mois après, le roi, mieux conseillé, remit en liberté Pierre de Douai, et le rendit à la sainte Eglise.

Aliénor, autrefois reine d'Angleterre, vint trouver le roi Philippe à Tours, et lui fit hommage du comté de Poitiers, qu'elle possédait à titre d'héritage. Le roi amena alors à Paris le jeune Arthur, le 28 juillet. Trois jours après, c'est-à-dire le 30 du même mois, il se rendit humblement en pèlerinage à l'église de Saint-Denis, et y déposa dévotement sur l'autel un manteau de soie, qu'il offrit à Dieu et aux saints martyrs, comme gage de son amour et de sa piété.

Au mois d'octobre,[68] les deux rois jurèrent une trêve jusqu'à la Saint-Jean suivante. La même trêve fut aussi jurée entre Baudouin, comte de Flandre, et Philippe, roi des Français.

La même année, mourut Henri, archevêque de Bourges. Il eut pour successeur Guillaume, abbé de Chaulieu. Au mois de novembre suivant, Michel, archevêque de Sens, homme de grand savoir en théologie, et agréable à Dieu, retourna vers le Seigneur. Il eut pour successeur Pierre de Corbeil, autrefois précepteur du pape Innocent, dont l'autorité et la protection conférèrent d'abord à ses mérites l’évêché de Cambrai, puis celui de Sens.

La même année, au mois de décembre, le jour de la fête de saint Nicolas, il y eut un concile convoqué à Dijon par Pierre, prêtre cardinal, et légat de Rome. Tous les évêques, abbés et prieurs du royaume y furent réunis. Mais comme Pierre voulait, en haine du roi, faire placer tout son royaume en interdit, les envoyés de Philippe en appelèrent au Siège de Rome. Cependant le cardinal, loin de déférer à l'appel, n'en porta pas moins la sentence d'interdiction, en présence de tous les évêques réunis, recommandant seulement de la tenir secrète jusque vingt jours après la Nativité du Seigneur. Et en effet, vingt jours après la Nativité, toute la terre du roi des Français fut mise en interdit. Le roi, transporté de colère en apprenant que ses évêques y avaient donné leur consentement, les chassa de leurs sièges, dépouilla clercs et chanoines de tout ce qu'ils possédaient, les renvoya de sa terre et confisqua leurs biens. Enfin, pour comble d'outrages, il enferma dans le château d'Etampes Ingeburge, sa légitime épouse, cette sainte" reine, ornée de toutes les vertus, modèle d'innocence, qui déjà, depuis longtemps, était privée des consolations de sa famille. Non content de ces excès, il porta le trouble dans toute la France: les chevaliers, qui étaient accoutumés autrefois à jouir d'une entière liberté, furent tiercés, aussi bien que leurs hommes; c'est-à-dire que le roi les dépouilla violemment du tiers de leurs biens. Il imposa aussi à ses bourgeois des tailles insupportables, et les accabla sous le poids d'exactions inouïes.

L'an du Seigneur 1200, au mois de mai, le jour de l'Ascension du Seigneur, Philippe, roi des Français, et Jean, roi d'Angleterre, conclurent ensemble la paix, entre Vernon et l'île des Andelys. Cette pièce authentique, scellée de leur sceau, contient exactement toutes les conditions qu'ils arrêtèrent entre eux pour le rétablissement de la paix et le partage des terres.

Traité de paix conclu à Gueuleton entra Philippe, roi des Français, et Jean, roi d'Angleterre.

« Jean, par la grâce de Dieu, roi d'Angleterre, seigneur d'Irlande, duc de Normandie et d'Aquitaine, comte d'Angers et de Poitiers, à tous ceux qui ces présentes lettres verront, salut. Vous saurez que tel est le traité de paix conclu entre notre seigneur Philippe, illustre roi de France, et nous:

« 1. Nous garderons à Philippe et à ses héritiers la paix que le roi Richard, notre frère, a faite avec lui, entre Issoudun et Charot, à l'exception des articles auxquels la présente charte apporte quelques changements, d'après les rétractations que notre dit frère a faites, concernant cette paix.

« 2. Nous donnons à Philippe et à ses héritiers, comme héritier direct du roi Richard, notre frère, la ville et le pays d'Evreux, avec tous ses fiefs et domaines circonscrits dans les limites suivantes. Les limites sont au milieu de la route, entre Evreux et Neubourg. Tout ce qui sera dans l'intérieur de ces bornes, du côté de la France, appartiendra au seigneur Philippe; tout ce qui sera de l'autre côté, vers Neubourg, sera à nous. Et autant notre seigneur le roi de France aura de terre vers Neubourg, autant il en recevra vers Conches et Aquigny de la même mesure, du côté où est située l'abbaye de Noé, en suivant le cours de l'Iton

« 3. Quant à Quillebeuf, quelle que soit sa position, nous le donnons au roi de France. Tillières, avec ses dépendances, et Danville nous restent soumis. Cependant le seigneur de Bresolles aura ce qu'il doit avoir dans la seigneurie de Tillières, comme le comte de Tillières possédera aussi ce que de droit dans la seigneurie de Bresolles.

« 4. Nous avons aussi cédé au seigneur Philippe, dans l'évêché d'Evreux, tout ce qui est dans les limites; l'évêque d'Evreux en répondra au roi de France et à ses héritiers. L'évêque d'Evreux répondra de même à nos héritiers et à nous de tout ce qui sera hors de ces limites.

« 5. Il est à savoir que ni le seigneur roi de France, ni nous, ne pourrons construire au-dessous des bornes établies entre Neubourg et le pays d'Evreux, ni à Quillebeuf; le roi de France de son côté, comme nous du nôtre, nous ne pourrons le faire que dans les bornes prescrites. De plus, les forts de Portes et de Landes seront détruits incontinent, sans qu'on puisse y reconstruire d'autres forts.

 « 6. Nous avons fait donner au roi de France par l'héritier direct d'Evreux, tout ce que le comte d'Evreux possédait dans ces limites.

« 7. Voici pour le Vexin normand. Nous et nos héritiers, nous garderons fiefs et domaines, au même titre que le seigneur archevêque de Rouen les tenait ayant l'échange des Andelys, et tout le reste du Vexin nous demeure. Le roi de France ne pourra élever de forts ni au-delà de Gamaches, du côté de la Normandie, ni au-delà des limites de la forêt de Vernon, mais seulement au-dessous. Nous ne pourrons de même construire au-delà des bornes de la forêt des Andelys, mais seulement au-dessous.

« 8. Nous avons donné à Louis, fils du roi de France, pour son mariage avec la fille du roi de Castille, notre nièce, le fief d'Issoudun, celui de Graçai, et les fiefs de Bourges, comme André de Chauvigny les tenait du roi d'Angleterre, et le roi de France sera saisi de tous ces fiefs jusqu'à la consommation dudit mariage. Quelque chose qu'il arrive avant l'accomplissement de ce mariage, le seigneur roi de France tiendra lesdits fiefs toute sa vie, et après sa mort ils reviendront à nos héritiers ou à nous, si ledit Louis n'a pas d'héritiers de ladite Blanche, notre nièce.

« 9. Si nous mourions sans héritiers de notre épouse légitime, nous donnons de plus en mariage aux mêmes futurs avec lesdits fiefs, celui de Hugues de Gournay, en deçà de la mer d'Angleterre, aux mêmes titres qu'ils le tiennent de nous; et celui d'Aumale et celui du comte du Perche, en deçà de la mer d'Angleterre, aux mêmes titres encore qu'ils les tiennent de nous.

« 10. En outre, nous avons donné au seigneur roi de France vingt mille marcs sterling, au taux où ils sont, c'est-à-dire à raison de 13 sous 4 deniers le marc, pour son rachat et pour les fiefs de Bretagne que le roi de France nous a cédés. Nous recevrons Arthur en homme lige, et c'est de nous qu'il tiendra la Bretagne.

« 11. De notre côté, comme héritier direct, nous tiendrons du seigneur roi de France tous les fiefs, comme notre père et Richard notre frère les ont tenus du seigneur roi de France, et selon les lois des fiefs, excepte les fiefs susdits qui restent au roi de France, selon nos conventions ci-dessus.

« 12. Pour le comte d'Angoulême et le vicomte de Limoges, nous les recevrons en hommage, et nous leur remettrons leurs droits.

« 13. Pour les comtes de Flandre et de Boulogne, voici ce qu'il en sera. Le comte de Flandre tiendra de la terre du roi de France ce qu'il en tient, et le seigneur roi de France aura fief et domaine de ce qu'il possède au comté de Boulogne: tout ce que le comte de Ponthieu tient maintenant de cette terre, fief et domaine, demeure au roi de France et au comte de Ponthieu.

« 14. Pour ce que le comte de Flandre tient de la terre du roi de France, il en fera hommage lige au seigneur Philippe. Et si ledit comte de Flandre, ou quelques hommes du roi de France qui soient ou doivent être plutôt les hommes du roi de France que les nôtres, voulaient causer dommage ou porter préjudice au roi de France, nous ne pourrions leur prêter aide ou les retenir, contre le seigneur roi de France, et pareillement le roi de France, conformément à la présente convention, ne pourra retenir ou défendre ceux qui seraient ou devraient être plutôt nos hommes que les siens.

« 15. Dans ces conventions nous nous engageons aussi envers le roi de France à ne donner aucun secours à notre neveu Othon, ni d'argent, ni de chevaliers, ni par nos gens, ni par nous-même, ni par tout autre, sans le conseil et l'assentiment du seigneur roi de France.

« 16. Pour Arthur, nous ne lui retrancherons rien de son fief ou de son domaine de Bretagne, sans un jugement légitime de notre cour.

« 17. Nous avons donné pour sûreté au roi de France les hommes dont suivent les noms: Baudouin, comte d'Aumale; le comte Guillaume, maréchal; Hugues de Gournay, Guillaume de Hum et, connétable de Normandie; Robert d'Harcourt, Jean des Prés, Guillaume de Ket, Roger de Touny, Garnier de Clapion, qui ont juré de passer au roi de France avec tous les fiefs qu'ils ont en deçà de la nier, si nous ne gardons pas les conditions de la présente paix.

« 18. Le seigneur roi de France nous a pareillement donné pour sûreté les hommes dont suivent les noms: le comte Robert de Dreux, Geoffroy, comte du Perche; Gervais du Châtel, Guillaume de Garlande, Barthélémy de Roie, Gauthier l'aîné, chambellan; Ursion son fils, Philippe de Lévis, Gauthier le jeune, chambellan, qui ont également juré de venir à nous avec tous leurs fiefs, si le roi de France ne garde pas les conditions de la présente paix.

« 19. Les susdits otages et nous, avons juré d'observer de bonne foi et sans malice toutes ces conventions, et pour leur donner une sanction plus durable, nous avons apposé a la présente page l'autorité de notre sceau.

« Fait à Gueuleton, l'an 1200 de l'Incarnation du Seigneur, au mois de mai. »

Or, le lundi suivant, Louis, fils unique du roi des Fiançais, épousa dans le même lieu Blanche, fille d'Alphonse, roi de Castille, et nièce de Jean, roi d'Angleterre; et pour ce mariage le roi Jean céda tous les forts, villes et châteaux, enfin toute la terre que le roi des Français lui avait prise, à Louis et à ses héritiers, à perpétuité. Il lui donna même sans contradiction toute sa terre en deçà de la mer, après sa mort, s'il venait à mourir sans héritier légitime.

L'an du Seigneur 1201, à la Nativité de la bienheureuse Vierge, Octavien, évêque d'Ostie et de Velletri, vint en France en qualité de légat. Le roi, par ses conseils, parut se résigner à recevoir en grâce la reine Ingeburge, et éloigna pour quelque temps celle qu'il avait depuis épousée. Alors Octavien et Jean de Saint-Paul, prêtre cardinal, tous deux légats du Siège apostolique, convoquèrent à Soissons, dans le mois d'avril, un concile auquel assista le roi Philippe, avec les archevêques, évêques et princes de tout le royaume. On y traita pendant quinze jours de la rupture ou de la confirmation du mariage de la reine Ingeburge. Après bien des débats et des disputes entre les jurisconsultes, le roi, ennuyé d'un si long retard, laissa là les cardinaux et les évêques, et partit un matin avec son épouse Ingeburge, sans avoir seulement salué le concile: il se contenta de lui faire savoir par ses envoyés qu'il emmenait avec lui son épouse, parce qu'elle était à lui, et qu'il ne voulait plus désormais s'en séparer. A cette nouvelle, le concile fut dissous, au grand étonnement des cardinaux, et des évêques qui s'étaient réunis pour prononcer l'interdit. Jean de Saint-Paul s'en retourna tout honteux, mais Octavien resta en France, et cette fois Philippe échappa aux Romains.

La même année, le 24 mai, mourut Thibaut, comte de Troyes, à l'âge de vingt-cinq ans; et comme il n'avait pas d'héritier mâle, le roi des Français prit sa terre sous sa garde et sous sa tutelle, avec son épouse et sa fille unique. Mais bientôt la comtesse de Troyes sa femme, qu'il avait laissée enceinte, mit au monde un fils.

La même année, le 31 mai, Jean, roi d'Angleterre, vint en France. Il y fut reçu avec honneur par le roi Philippe. On lui fît donner une place d'honneur dans l'église de Saint-Denis, où il fut conduit dans une procession solennelle, au chant des hymnes et des cantiques; puis le roi des Français le ramena à Paris, où les habitants lui firent un accueil plein de respect. Après cette réception brillante, il fut conduit au palais du roi, où l'on pourvut avec magnificence à tous ses besoins. Des vins de toute espèce furent tirés pour lui des celliers du roi de France, et prodigués à Jean et à sa suite. Le roi de France lui donna avec libéralité des présents de tous genres, de l'or, de l'argent, de riches habillements, des destriers d'Espagne, des palefrois, et bien d'autres objets précieux. Puis le roi d'Angleterre prit congé de Philippe, après ces marques d'amour et de bonne intelligence, et se retira dans ses Etats.

La même année, avant le retour d'Octavien à Rome, Marie, la seconde femme de Philippe, fut rappelée par le Seigneur, et entra dans la voie de toute chair. Le roi en avait eu un fils, nommé Philippe, et une fille nommée Jeanne. Il l'avait gardée cinq ans contre le droit et contre la volonté de Dieu. Quand Marie fut morte, Philippe sollicita et obtint une déclaration du pape Innocent in, qui reconnut les en fans de cette princesse pour héritiers légitimes du roi de France, et la confirma par une bulle. Cette condescendance fut loin d'être approuvée de tout le monde.

La même année, le roi Philippe assembla son armée, et vint à Soissons. Il se proposait de ravager la terre du comte de Rhétel,[69] et celle de Roger du Rosoy. Ces seigneurs avaient persécuté tyranniquement les églises de Dieu, et les avait dépouillées de leurs biens: le roi les avait en vain mandés par lettres et par envoyés, ils refusaient de venir à sa cour mais quand ils surent la prochaine arrivée de Philippe, ils se hâtèrent d'aller à sa rencontre. Ils lui donnèrent des sûretés et des otages, et jurèrent de restituer entièrement, selon la volonté du roi, ce qu'ils avaient enlevé aux églises, et de donner satisfaction de l'offense qu'ils avaient faite à leur seigneur et roi: Philippe revint alors à Vernon, où il eut, entre cette ville et l'île des Andelys, une conférence avec le roi d'Angleterre. Voici quel en était le sujet.

Le roi des Français somma Jean, roi d'Angleterre, comme son homme lige, devenir, quinze jours après Pâques, à Paris pour faire une réponse satisfaisante aux plaintes de Philippe, relativement aux comtés d'Angers, de Poitiers et au duché d'Aquitaine: mais comme le roi d'Angleterre, au lieu de venir en personne au jour marqué, ne voulut pas même envoyer une réponse satisfaisante, le roi des Français tint conseil avec ses princes et barons, rassembla une armée, entra en Normandie, et prit le petit fort de Boutavant, qu'il détruisit. Orgueil, Mortemer, et toute la terre que tenait Hugues de Gournay, tombèrent bientôt en son pouvoir. A Gournay il fit Arthur chevalier, en lui livrant le comté de Bretagne, qui lui était dévolu par droit héréditaire: il y ajouta même les comtés d'Angers et de Poitiers, qu'il s'était acquis par le droit des armes; enfin, il lui donna un secours de deux cents chevaliers, avec une somme d'argent considérable. Le roi reçut alors Arthur en qualité d'homme lige à perpétuité, et le comte de Bretagne prit ensuite congé du roi, et se retira dans le mois de juillet.

Arthur, duc de Bretagne, fait hommage à Philippe, roi des Français.

« 1. Arthur, duc de Bretagne et d'Aquitaine, comte d'Anjou et du Maine, à tous ceux qui les présentes lettres verront, salut. Vous saurez que nous avons fait à notre très cher seigneur Philippe, illustre roi des Français, hommage lige contre tous ceux qui peuvent vivre ou mourir, relativement aux fiefs de Bretagne, d'Anjou, du Maine, de Touraine, quand nous les aurons conquis, avec la grâce de Dieu, l'un ou l'autre, sauf toutes les tenances auxquelles étaient obligés notre seigneur et ses hommes, le jour même où il a défié Jean, roi d'Angleterre, et selon les restrictions qu'il y avait faites dans la dernière guerre où il a assiégé Boutavant. De manière que, lorsque je recevrai les hommages de l'Anjou, du Maine et de la Touraine, je ne les recevrai que sous les conditions convenues entre nous, et si je manque à ces conventions, hommes et fiefs passeront au seigneur Philippe, pour lui prêter aide contre moi.

« 2. De plus, nous avons fait encore hommage lige à notre seigneur et roi, du domaine du Poitou, quand nous l'aurons en notre pouvoir, si telle est la volonté de Dieu. Les barons du Poitou, qui sont de l'empire du seigneur Philippe, et les autres qu'il voudra désigner, lui feront hommage lige de leurs terres contre tous ceux, qui peuvent vivre ou mourir, ils me feront aussi hommage lige, d'après ses ordres et sans préjudice de la fidélité qu'ils lui doivent.

« 3. Si l'illustre roi de Castille réclame aussi quelque droit sur notre terre, on s'en rapportera au jugement de la cour de notre seigneur le roi de France, si notre seigneur le roi de France ne peut pacifier d'un consentement commun ledit roi de Castille et nous.

« 4. Voici pour la Normandie. Le roi de France, notre seigneur, retiendra pour lui autant qu'il lui plaira de la terre de Normandie, et ce qu'il a conquis et ce que le seigneur lui laissera conquérir encore.

« Fait à Gournay, l'an du Seigneur 1202, au mois de juillet. »

Peu de jours après, Arthur s'était engagé trop hardiment, avec une troupe peu nombreuse, sur la terre du roi d'Angleterre, celui-ci survint à l'improviste avec une multitude infinie de gens armes, le défit et le prit avec Hugues le Brun, Geoffroi de Lusignan, et plusieurs autres chevaliers. Le roi Philippe, ayant appris ces nouvelles, abandonna aussitôt le siège du château d'Arqués, parut avec son armée devant Tours, prit la ville et la livra aux flammes. Le roi d'Angleterre, de son côté, arriva à la tête des siens, après le départ du roi de France, et détruisit entièrement la même ville avec son château. Quelques jours après, le roi d'Angleterre prit le vicomte de Limoges,[70] et l'emmena avec lui. Cependant Hugues le Brun, le vicomte de Thouars,[71] Geoffroi de Lusignan et le vicomte de Limoges étaient tous hommes liges du roi d'Angleterre, mais depuis qu'il avait enlevé, par perfidie, la femme[72] de Hugues le Brun, fille du comte d'Angoulême (et cet outrage, joint à d'autres griefs des mêmes seigneurs du Poitou, lui avait aliéné leur fidélité, ils s'étaient alliés, sous serment et par otages, au roi des Français. L'hiver survint, et les deux rois cessèrent la guerre sans paix ni trêve, après avoir garni leurs frontières.

Nous avons cru dignes de trouver place dans cette histoire les faits mémorables qui illustrèrent dans Constantinople les barons de France, secondés par le doge de Venise avec ses Vénitiens et sa flotte: c'étaient Baudouin, comte de Flandre, Louis, comte de Blois; Etienne du Perche, le marquis de Montferrat, et beaucoup d'autres braves et vaillants guerriers qui avaient pris la croix pour la délivrance de la Terre Sainte, après la mort du roi Richard. Mais pour mieux graver dans la nié moire l'enchaînement des faits, je vais entrer dans plus de détails.

De notre temps, nous avons vu régner à Constantinople l'empereur Emmanuel, prince également illustre et par sa magnificence et par la sainteté de sa vie. Il avait un fils nommé Alexis, qui épousa Agnès, fille de Louis, roi très chrétien des Français. Après la mort de l'empereur Emmanuel, son fils Alexis fut jeté dans les flots de la mer[73] par l'ordre d'Andronic, son oncle, qui voulait régner à sa place. Agnès, son épouse, demeura dans un saint veuvage. Andronic jouit plus de six ans de l'heureux succès du crime qui lui avait donné l'empire. Enfin, Conzerac[74] survint tout à coup, fit attacher le tyran au poteau dans les carrefours de Constantinople, et pour prix de ses forfaits voulut qu'il servît de but à ses archers, en sorte qu'il fut percé à coups de flèches.

Conzerac monta sur le trône à sa place. Il avait un frère,[75] brave guerrier, mais plein d'iniquité, à qui il avait confié le pouvoir impérial, comme à un frère bien-aimé, tellement qu'il ne lui manquait que la couronne et le titre d'empereur. Enfin, cédant aux instigations du diable, et à son avidité du pouvoir, cet ambitieux commença par s'assurer, à force de largesses, des grands de l'empire, puis le cruel fit crever les yeux de Conzerac, son seigneur et son frère, et ne craignit pas d'usurper le titre d'empereur.[76] Il voulait faire subir au fils de Conzerac[77] le même sort qu'à son père, mais ce jeune prince, protégé par la miséricorde de Dieu, sortit du noir cachot où il était retenu, s'enfuit des côtes de la Grèce, pour venir trouver en Allemagne sa sœur et Philippe, son beau-frère, roi de Germanie. En entrant en Italie, ce jeune héros rencontra quelques Français qui y allaient aussi.

Les Français, ayant débarqué à Venise, reçurent du jeune Alexis des envoyés qui leur exposèrent à la fois la triste destinée du père et du fils, et les sollicitèrent de rendre l'empire à ces deux princes. Pour prix de leurs services, on leur promettait de payer pour eux trente-trois mille marcs d'argent qu'ils devaient aux Vénitiens; on leur donnerait en sus l'argent convenu pour le passage; le jeune empereur marcherait avec eux et avec les forces de son empire à la délivrance de la Terre Sainte, et pourvoirait, à ses frais, à tous les besoins de leur armée. Enfin, il devait unir l'Eglise de Constantinople à l'Eglise de Rome, et la soumettre au Pape son seigneur, comme un membre à son chef. On fit venir l'enfant, on lui fit prêter serment d'observer inviolablement les conditions proposées par les envoyés, et aussitôt les Français, braves et fidèles, se confiant aux vents et à la mer, emmenèrent tranquillement Alexis à travers les flots, et allèrent aborder à Constantinople.

Les Grecs qui étaient hors de la ville, à la vue de l'audace des Français et de la confiance intrépide qu'ils montraient dans le secours du Seigneur, prirent la fuite sans attendre le combat, et rentrèrent dans les murs de Constantinople. Mais les Français, après sept jours de siège par terre et par mer, après des prodiges de valeur, après des victoires remportées dans leurs combats journaliers, virent enfin l'empereur, qui s'était jusque là tenu caché derrière ses murailles, sortir, à la tête de soixante mille cavaliers et d'une multitude infinie de fantassins armés. Il les rangea donc en bataille pour combattre contre les Français. Ceux-ci, malgré l'infériorité de leur nombre, n'en attendaient pas le combat avec moins d'impatience et de joie, car ils comptaient sur une victoire assurée. Combien leur courage s'enflamma plus encore, lorsqu'ils virent le traître, qui régnait à Constantinople, se réfugier presque aussitôt dans ses murs, après de vaines bravades; car il les menaçait de venir le lendemain leur livrer bataille, et le lâche s'enfuit secrètement la nuit mémo avec sa femme et ses enfants. Le jour suivant, les Français donnèrent un rude assaut à la ville, escaladèrent les murs avec une ardeur admirable, se précipitèrent au bas des remparts sur les Grecs, avec leur audace accoutumée, et en firent un grand carnage.

Cependant le doge de Venise, ayant su que les Français, cernés par la multitude des Grecs, allaient être massacrés et succomber sous le nombre, vint aussitôt à leur secours avec ses Vénitiens; il fit avancer sa flotte, pour prendre part au combat, et marcha lui-même à leur tête. Il était vieux, et son corps affaibli par l'âge, mais son âme n'avait rien perdu de son courage; et on le vit, le casque en tête, se joindre des premiers aux Français dans le combat. Cette vue sembla leur donner une force nouvelle et ranimer leur audace; la bataille recommença avec plus de chaleur, le tyran impie et perfide fut repoussé avec ses hérétiques forcenés, qui voulaient donner à nos enfants un second baptême. La ville de Constantinople est emportée vaillamment par les Français et les Vénitiens réunis. Le vieux Conzerac passa de sa prison dans le palais impérial son jeune fils fut reçu dans Constantinople aux acclamations du peuple et du clergé, qui chantèrent à l'envi ses louanges, et il fui solennellement couronné du précieux diadème, dans la grande église et dans le palais de l'empereur.

Le fils de Conzerac l'aveugle ayant donc recouvré le trône, acquitta aussitôt les dettes des Français, leur paya exactement le prix du passage, et fournit à leur armée des vivres en abondance, aux dépens du fisc impérial. Le doge de Venise, et ses Vénitiens, jurèrent de fournir des vaisseaux aux Français et le secours de leur flotte, promettant aussi que si Dieu favorisait leur entreprise, comme ils étaient loin d'en douter, ils ne les abandonneraient jamais qu'après avoir entièrement soumis et confondu les ennemis de Jésus-Christ. Ils furent encore entraînés à cette promesse par les libéralités de l'empereur, qui leur fit donner cent mille marcs d'argent, pour les bons offices qu'ils avaient rendus aux Français, et qu'ils devaient leur rendre encore.

Le jeune empereur étant mort dans une bataille, Baudouin, comte de Flandre, fut élu et couronné empereur, de l'avis du doge de Venise et des autres princes, aussi bien que de l'accord général du peuple et du clergé. C'est lui qui unit et soumit, avec le consentement des princes de sa cour, l'église d'Orient au pape et à la sainte Église romaine, comme un membre à son chef. Tels sont les exploits que nous trouvons détaillés dans leurs écrits, mais nous devons, avec l'aide de Dieu, espérer de leur valeur des progrès plus étonnants encore en Terre Sainte, quand il suffira d'un homme pour en poursuivre mille, et que deux guerriers pourront en mettre dix mille en fuite.

L'an du Seigneur 1202, dans la première quinzaine après Pâques, le roi des Français ayant levé une armée entra en Aquitaine, et, avec l'aide des Poitevins et des Bretons, prit plusieurs forts. C'est alors que le comte d'Alençon[78] forma une alliance avec le roi Philippe, et mit toute sa terre sous la garde de ce prince. Celui-ci revint ensuite en Normandie, avec son armée, s'emparer de Conques, de l'île des Andelys et de Vaudreuil.

Pendant que ces choses se passaient en France, le pape Innocent m envoya vers les deux rois de France et d'Angleterre l'abbé de Casemar, pour rétablir entre eux la paix. Conformément aux ordres du pape, son seigneur, il s'adjoignit l'abbé de Trois Fontaines, et exposa avec lui les volontés du pape aux deux princes. Il leur recommanda de convoquer les archevêques, évêques et grands de tout le royaume, pour faire devant eux la paix, en ménageant leurs droits réciproques, et de rétablir dans leur premier état les abbayes de nonnes et de moines, aussi bien que les autres églises détruites dans le cours de leurs guerres. Philippe reçut communication de cette injonction à Mantes, dans l'octave de l'Assomption de la bienheureuse Vierge Marie il interjeta appel, en présence des évêques, abbés et barons du royaume, et on renvoya cette affaire à l'examen du souverain pontife.

Le dernier jour du même mois, le roi de France rassembla une armée, et assiégea Radepont. Ayant fait élever autour de la place ses tours de bois ambulantes, et dresser ses autres machines de guerre, il prit la ville en quinze jours de siège. Il fit prisonniers vingt chevaliers qui s'étaient bravement défend us, cent sergents et trente arbalétriers. Quand il eut repris des forces et réparé son armée, il assiégea Gaillard, le mois de septembre suivant. C'était un château fort, que le roi Richard avait fait construire sur une roche élevée qui dominait la Seine, près de l'île des Andelys. Le roi des Français et son armée furent arrêtés au siège de cette place pendant plus de cinq mois, car il ne voulait pas livrer d'assaut à ce fort, pour épargner le sang de ses hommes, et pour ne pas endommager les murs et la tour. Il espérait amener les assiégeants à se rendre par la famine et la disette. Cependant, comme il se doutait qu'ils chercheraient à fuir, il fit creuser de bons fossés tout autour de la place; son armée y dressa ses tentes, et l'on éleva dix tours de bois sous les murs. Enfin, aux approches de la fête de saint Pierre,[79] le roi des Francs fit dresser ses pierriers, ses mangonneaux, une tour ambulante, une machine en bois dite truie, et livra bravement l'assaut. Les assiégés se défendirent de même, et repoussèrent vivement les attaques des Français. Mais au bout de quinze jours, la veille des nones de mars, les Français s'emparèrent du château, à la suite d'un grand combat, où les murs avaient été brisés. On y fît prisonniers trente-six chevaliers, braves guerriers, et qui avaient fait une belle défense, quatre de leurs compagnons étaient morts pendant le siège.

L'an du Seigneur 1203, Philippe, roi des Français, ayant rassemblé son armée, entra en Normandie, le 6 des nones de mai (2 mai); il prit Falaise, château très fort, Domfront, et un bourg très riche que le peuple nomme Caen. Il soumit aussi tous les environs, jusqu'au mont Saint-Michel, en péril de mer. Les Normands vinrent ensuite lui demander merci, et lui livrèrent les villes confiées à leur garde, Coutances, Bayeux, Lisieux et Avranches, avec leurs châteaux et leurs faubourgs; pour Évreux et Sées, il les avait déjà en son pouvoir. De toute la Normandie, il ne restait plus que Rouen, ville très opulente, pleine de nobles nommes, et capitale de la Normandie toute entière, Verneuil et Arques, villes fortes, bien situées et bien défendues. A son retour de Caen, le roi laissa d'abord des garnisons dans les villes et dans les châteaux puis il mit le siège devant Rouen. Les Normands, voyant qu'ils ne pouvaient pas se défendre, ni attendre de secours du roi d'Angleterre, songèrent à se rendre. Cependant ils prirent sagement leurs précautions pour conserver fidélité au roi d'Angleterre; ils demandèrent humblement au roi des Français, pour leur ville et pour Verneuil et Arques, villes liguées avec Rouen, une trêve de trente jours, qui finissait à la Saint-Jean. Dans cet intervalle, ils pourraient envoyer prier le roi d'Angleterre de leur donner du secours dans un danger si pressant. S'il s'y refusait, les Normands s'engageaient à remettre entre les mains de Philippe le victorieux, roi des Français, leurs biens, leurs personnes, la ville et lesdits châteaux, en donnant pour otages soixante fils de bourgeois de Rouen.

Convention faite entre les citoyens de Rouen et le roi des Français, pour la reddition de la ville.

« Pierre Després, et les autres chevaliers qui sont avec lui à Rouen, les jurés et la commune de ladite ville, à tous ceux qui les présentes lettres verront, salut. Toute notre ville saura que telles sont les conventions entre le seigneur roi de France et nous, excepté le comte de Meulan,[80] Guillaume le Gros, Roger de Thoëni et ses fils, que le seigneur roi de France a exclus de toutes les conventions suivantes:

« 1. Le seigneur roi de France nous a donné une trêve de trente jours, à compter du premier du présent mois de juin, à telle condition que si Jean, roi d'Angleterre, dans les trente jours convenus, ne fait pas la paix avec le roi de France, et à sa volonté, ou s’il ne le repousse pas d'ici par la force des armes, nous livrerons audit roi de France, ou à son ordre, la ville de Rouen toute entière, avec ses forteresses. En foi de quoi nous avons juré, moi, Pierre Després, Geoffroi du Bois, Henri d'Estouteville, Robert de Hivesneval, Thomas de Panillac, Richard de Huillecher, Pierre de Hottot, et tous les autres chevaliers qui sont à Rouen jureront aussi, l'observation fidèle de ces conventions, le premier dimanche après l'Ascension du Seigneur.

« 2. Pour les bourgeois ont juré: moi, Robert, maire; Geoffroi, changeur; Mathieu Legros, Hugues, fils de la vicomtesse; Raoul de Chilliac, Jean Lucas, Raoul Grommet, Enard de la Rive, Jean de Fesard, Clérambault, Jean Batiecot, Roger Malasne, Wallon de la Rive, Hosmond Poirier, Bernier Fabre, Guillaume Grommet, Guillaume Freschet, Robert de Mesnil-le-Lac, Auger de Surrives, Robert du Châtel, Nicolas de Dieppe, Robert Poirier, Robert de Villars, Roger de Gautier, Robert de Maupalu, Silvestre de Gatteville, Martin de Courvoisier, Hugues, neveu de Wallon; Richard de Saint-Wandrégisile, Geoffroi Villain, Petit, pécheur; Lucas de Baudry, Guillaume Meunier; et tous les autres bourgeois de Rouen, doivent jurer pareillement l'exécution fidèle du traité, le premier dimanche après l'Ascension du Seigneur.

« 3. En garantie des conventions précédentes et de celles qui vont suivre, les soussignés doivent donner des otages au roi de France à l'Ascension prochaine: moi, Pierre Després, je donnerai Guillaume, mon neveu, fils de Jean Després, Renaud du Bois donnera Geoffroi son fils; Geoffroi du Bois donnera Guillaume son neveu, fils de sa sœur Hâve, et tous les autres chevaliers qui ont des forteresse doivent livrer au seigneur roi de France des otages pour l'honneur de Jean Després et de Jean de Roberet.

« 4. Nous aussi, bourgeois de Rouen, nous devons livrer pareillement au roi de France, pour la prochaine Ascension, en garantie des conventions précédentes et de celles qui vont suivre, quarante otages, tant fils que proches héritiers de nos familles, au choix du roi.

« 5. Nous livrerons encore audit roi de France la barbacane entière, qui est à la tête du pont du côté du roi, avec dix pieds d'eau de la Seine en long, en face du pont, où le roi pourra construire et élever une forteresse à volonté, et quanti il lui plaira. Outre ces dix pieds, nous détruirons quatre arches du pont, à sa volonté, et quand il lui plaira, et à la tête de ces arches que nous aurons détruites du côté de Rouen, nous ouvrirons ou nous boucherons une porte, selon la volonté dudit roi.

« 6. Après l'exécution des conventions susdites et des suivantes, le roi fera remise aux chevaliers, bourgeois et sergents d'armes qui se trouvaient à Rouen le premier du présent mois de juin, de toutes les tenances dont ils étaient saisis ledit jour, s'ils lui rendent hommage et service; cependant les services qu'ils feront audit roi seront toujours mesurés sur les droits de leurs fiefs et de leurs terres.

« 7. Les chevaliers et bourgeois du comte d'Eu qui se trouvaient ledit jour à Rouen, seront saisis de leurs terres, et agiront avec le comte d'Eu comme ils le doivent.

« 8. Les bourgeois de Driencourt, d'Eu et d'Aumale recouvreront leurs tenances et rendront les services attachés aux dites tenances, selon leurs droits, pourvu cependant qu'ils reviennent dans le lieu de leurs tenances.

« 9. Les chevaliers et valets de la terre du comte Robert d'Alençon qui se trouvaient aussi ledit jour à Rouen, seront de même saisis de leurs terres, et agiront envers le comte Robert, comme de droit.

« 10. Après l'accomplissement de toutes ces clauses, ainsi qu'il a été dit plus haut, et qu'il sera dit plus bas; après que nous aurons rendu en entier audit roi la ville de Rouen avec toutes ses forteresses, il nous garantit de son côté la liberté des péages et les coutumes y appartenant, telles que nous les avions en Normandie, excepté dans le comté d'Evreux, dans le Vexin normand, à Pacy-sur-Eure, sur la terre de Hugues de Gournay, depuis Pont-de-l'Arche, du côté de Rouen, par eau et par terre, ainsi que dans le Poitou, l'Anjou, le Maine et la Gascogne.

« 11. Ledit roi de France fera donner un sauf-conduit aux chevaliers et sergents qui se trouvaient à Rouen le premier du présent mois de juin, et qui n'auront pas voulu accepter ces conditions dans les trente jours prescrits, s'ils préfèrent se retirer, soit par terre, soit par eau.

« 12. Ledit roi de France pourra mener et ramener par eau ses vaisseaux, navires et galères sans marché d'achat, à moins que ce marché ne soit à son profit; et si les gens dudit roi qui se trouveraient sur ses vaisseaux ou navires prenaient quelque chose qui appartînt à nous ou a d'antres, soumis aux présentes conventions, à compter du 1er de juin, le roi ferait rendre à nous ou à ceux qui sont soumis à ces conventions, tout ce que nous pourrions légitimement prouver, et par témoins légitimes, avoir appartenu à nous ou à ceux qui ont pris part à ces conventions, sans exception.

« 13. Après ces trente jours, les chevaliers et sergents qui étaient au 1er juin à Rouen, pourront aller aux tenances qu'ils occupaient ledit jour. Et si dans l'intervalle ils font hommage audit roi des terres dont ils étaient saisis ce jour-là, le roi les recevra en qualité d'hommes de ces terres.

« 14. Les marchands de Rouen pourront porter leurs marchandises par terre et par eau, pendant ces trente jours, sur la terre dudit roi, et les rapporter sans pain ni blé, en payant leurs coutumes et péages légitimes où ils le doivent; et après l'accomplissement de toutes les susdites conventions, ledit roi nous rendra nos otages.

« 15. Moi, Robert, maire de Rouen, je jurerai avec vingt autres, que loin d'avoir fait décapiter des hommes du roi de France dans la ville de Rouen, nous en avons éprouvé plus de douleur que de joie; et si nous pouvons atteindre les coupables, nous les livrerons nous-mêmes à discrétion au seigneur roi de France.

« 16. Voici pour Verneuil et Arques. Si tes hommes de Verneuil veulent faire la paix avec le seigneur roi et lui donner sûreté, ils n'auront qu'à le lui faire savoir pour l'Ascension prochaine, et ledit roi leur accordera une trêve, aux mêmes conditions qu'à nous.

« 17. De même, si ceux d'Arqués veulent faire la paix avec le seigneur roi, et lui donner bonne sûreté, ils n'auront qu'à le lui faire savoir pour l'Ascension prochaine, et ledit roi leur accordera la trêve, aux mêmes conditions qu'à nous.

« 18. Ledit roi nous a garanti l'observation de ces conditions, en foi de quoi ont juré les soussignés: Hervey, comte de Nevers; Robert, comte de Dreux, Pierre, comte d'Auxerre; Dreux de Mellot, connétable, Gui de Dampierre, Barthélémy de Roye, Guillaume de Garlande, Henri Clément, maréchal, Jean de Roboret, Albert de Hangest; Gauthier l'aîné, chambellan; Gaucher de Châtillon, le comte Guillaume de Joigny, Gaucher son frère, le comte Milon de Bar, Robert de Courtenay, Gauthier le jeune, Hugues de Malaunet, Raoul Ploquet, Raoul de Roye.

« Fait devant Rouen, l'an du Seigneur 1204, le 1er de juin. »

A la Saint-Jean, les bourgeois ne recevant aucun secours du roi d'Angleterre acquittèrent leur promesse, et livrèrent sans contradiction au roi des Français la ville de Rouen, cité opulente, capitale et principauté de toute la Normandie, avec les deux châteaux dont il a été parlé plus haut. Il y avait trois cent seize ans que cette ville avec toute la Normandie avait cessé d'appartenir aux rois de France. C'était le Danois Rollon qui, étant survenu avec ses païens, l'avait enlevée par le droit des armes à Charles le Simple. Bientôt après, à la Saint-Laurent,[81] le roi Philippe rassembla une armée, entra en Aquitaine, prit la ville de Poitiers avec toute la terre voisine, châteaux, bourgs, villages environnants, et les barons de cette terre lui prêtèrent serment de fidélité, comme ils avaient coutume de le faire à leur seigneur lige. L'hiver le força de quitter La Rochelle, Chinon et Loches, après avoir laissé ses troupes au siège de ces deux dernières places. Il revint en France.

Aux approches de la solennité de Pâques, l'an 1204, le roi Philippe convoqua les comtes, ducs et magistrats du royaume de France, leva plusieurs milliers de fantassins armés, des archers à cheval, fit partir devant lui ses bagages, avec des vivres en abondance pour les besoins de l'armée, et lui-même se mit bientôt en marche, et vint à Loches avec des chars, des chevaliers, des archers, et un immense attirail de machines de siège. Il les fît dresser autour du château, qu'il prit d'assaut. Il y fit prisonniers environ cent vingt hommes d'armes, tant chevaliers que sergents. Il donna le château à Dreux de Mellot, après lui avoir fait prêter serment de fidélité et avoir mis garnison dans la place. Puis, il dirigea toute son armée sur Chinon, et y dressa son camp, avec un grand appareil de machines de siège. Peu de jours après, il fit assaillir vivement le château et l'emporta. Les chevaliers, arbalétriers et fantassins qu'il y trouva en grand nombre, et qui avaient fait une courageuse résistance, furent conduits en prison à Compiègne. Il fit fortifier encore le château, puis il y. laissa garnison, et revint en France vers la Saint Jean Baptiste.

L'an du Seigneur 1205, Philippe, roi des Français, offrit à l'église du bienheureux Denis l'Aréopagite, comme un gage de dévouement et d'amour, les précieuses reliques que Baudouin, empereur de Constantinople, avait prises avec crainte et respect, au milieu des jeûnes et des prières, dans la sainte chapelle des Empereurs, qu'on appelle la Gueule du Lion. C'était un morceau de la sainte croix où fut attaché le Sauveur du monde. Il était long d'un pied; et pour la grosseur, on aurait pu le tenir dans la main, entre le pouce et l'index réunis. Il y avait aussi des cheveux de notre Seigneur Jésus-Christ encore enfant; une épine de la couronne de Notre Seigneur; une côte et une dent de l'apôtre Philippe; un tissu de lin blanc, dans lequel notre Sauveur fut enveloppé dans sa crèche, et enfui son manteau de pourpre. La croix fut placée dans un vase d'or orné de pierres précieuses, et proportionné à sa grandeur. Les autres reliques sont conservées dans un autre vase d'or. Le roi très chrétien remit donc de sa propre main ces offrandes précieuses à Henri, abbé de Saint-Denis, le 7 des ides de juin, à Paris. L'abbé, charmé de la munificence du roi, les reçut avec une joie qu'il exprimait assez par ses larmes, et se rendit jusqu'à la foire en chantant des psaumes, et récitant des oraisons. Là, vint à sa rencontre une procession des moines de Saint-Denis, couverts d'aubes et de chapes de soie, les pieds nus, accompagnés de tout le peuple et de tout le clergé. Il donna dans le même endroit la bénédiction avec les saintes reliques, qu'on alla déposer, au son des cloches, au chant des hymnes et des cantiques, dans l'église du trois fois bienheureux Denis, sur les corps des saints martyrs, dans de grands vases d'or pur couverts de pierres précieuses. C'est là qu'elles reposent, avec la tête du précieux martyr Denis lui-même, et l'épaule de saint Jean-Baptiste. Béni soit le Seigneur en toutes choses, lui, dont la divine bonté m'a permis, à moi, son indigne serviteur, à un misérable pécheur, déjà presque accablé par la vieillesse, de voir encore un si beau jour!

L'an du Seigneur 1206, la veille des calendes de mars, il y eut une éclipse[82] partielle de lune à la sixième heure du jour, dans le seizième degré des Poissons. Le mois de juin suivant, la veille des nones, mourut à Paris la reine Adèle, mère du roi des Français. Depuis elle fut ensevelie à Pontigny, en Bourgogne, auprès de son père Thibaut, comte de Troyes et de Blois, dans l'abbaye même dont on m'a dit qu'il était fondateur.

La même année, au mois de juin, le roi Philippe rassembla ses hommes, et entra en Poitou, sur la nouvelle que Jean, roi d'Angleterre, avait abordé à La Rochelle avec une armée nombreuse. Louis, fils unique du roi, fut quelque temps malade à Orléans, mais il se rétablit bientôt, grâces à la miséricorde divine. Philippe conduisit son armée d'abord à Chinon, puis il fît fortifier Poitiers. Après avoir laissé des garnisons suffisantes de chevaliers et de sergents dans Loudun, Mirebel et autres châteaux qu'il possédait en cette terre, il revint à Paris. Mais Jean prit Angers, qu'il détruisit entièrement. Le vicomte de Thouars, oubliant la fidélité qu'il devait au roi des Français, fit alliance avec le roi d'Angleterre. Philippe l'ayant appris, retourna en Poitou avec une forte armée, et ayant rangé son armée en bataille, il ravagea la terre du vicomte de Thouars, sous les yeux, du roi d'Angleterre, qui était alors à Thouars même. Enfin les deux rois convinrent d'une trêve de deux ans, à compter de la Toussaint. Philippe revint en France, et Jean reprit le chemin de l'Angleterre.

Conditions de la trêve de deux ans conclue entre Jean, roi d Angleterre, et Philippe, roi des Français.

« Jean, par la grâce de Dieu, roi d'Angleterre, seigneur d'Irlande, duc de Normandie et d'Aquitaine, comte d'Angers, à ceux qui les présentes verront, salut. Vous saurez que voici la forme de la trêve conclue pour deux ans entre le roi de France et nous, à compter du dernier vendredi qui a précédé la fête de saint Luc l’évangéliste.

« 1. Le roi de France aura les hommes et les alliés qui ont combattu ouvertement pour lui contre nous dans cette dernière guerre, et nous aurons pareillement pour hommes et pour alliés ceux qui ont ouvertement combattu pour nous contre le roi de France dans cette guerre. Cependant durant cette trêve, nous n'aurons plus ni terre, ni hommes, ni alliés au-delà de la Loire, du côté d'Angers, dans la Normandie, le Maine, la Bretagne, la Touraine et l'Anjou.

« 2. Le roi de France et nous, nos hommes, nos alliés et les siens, nous tiendrons nos terres comme nous les tenions le vendredi avant la Saint Luc. S'il s'élève quelque différend sur la tenure des hommes du roi de France, on le terminera par la parole et le serment de Raoul, comte d'Eu; de Hugues, comte de Châtellerault, nommés à cet effet par le roi de France, d'une part; de l'autre, par la parole et le serment de Savari de Mauléon et Guillaume de Chantmerle, nommés aussi par nous à cet effet.

« 3. De même, s'il s'élève quelques différends sur la tenure de nos hommes, en deçà de la Loire, du côté du Poitou, ils seront encore terminés par la parole et le serment desdits jurés.

« 4. Si l'on fait des infractions à la trêve pour la prise d'un château, ou de quelques vilains, ou de quelque butin, réparation sera faite par ces quatre jurés, dans l'espace de quarante jours, après qu'ils auront rendu leur sentence sur la sommation qui leur en aura été faite.

« 5. Si les infractions reposent sur la prise d'une forteresse ou d'un château muré (fortifié), ou de la personne d'un baron, réparation sera faite encore par les mêmes arbitres, dans l'espace de quarante jours, après qu'ils auront rendu leur sentence, ou, s'ils ne veulent donner tous leur avis, deux seulement suffiront. Après l'expiration des quarante jours, on pourra, sans infraction, rompre la trêve.

« 6. Cette trêve sera garantie, du côté du roi de France, par le comte de Bretagne (Gui de Thouars), Hugues Lebrun (comte de la Marche); le comte d'Eu; Geoffroi de Lusignan; Gui, vicomte de Limoges; Hugues, comte de Châtellerault; Guillaume de Mauléon; Thibaut de Blazon; Gérard de Toch; Sulpice d'Ambaz, Gérard Sonnebaut, vicomte de Bruges; Eschivard de Preuilly.

« 7. De notre côté, par Aimeri, vicomte de Thouars; Savari de Mauléon; Guillaume de Mausée; Guillaume Meingot, Henri, archevêque, Gérard Martel; Baudouin de Maulevrier; Thibaut de Crispin, Raoul de Marthai; Gérard de Taun; Gautier de Rancogne; Renaud Desponts le jeune; Thibaut de Chabot.

« 8. Tous les susnommés jureront de part et d'autre de tenir fidèlement la trêve, et exigeront qu'on l'observe fidèlement avec eux et avec leurs hommes.

« 9. Si quelques-uns des quatre arbitres nommes pour décider des tenures et des infractions à la trêve avaient des empêchements légitimes, ils se feraient remplacer par d'autres, dont ils répondraient par serment, jusqu'à ce qu'ils pussent reprendre eux-mêmes leurs fonctions. Si l’un des quatre mourait pendant la trêve, le parti auquel il appartiendrait le remplacerait par un autre capable de lui succéder.

« 10. Les hommes et les terres du roi de France, comme les nôtres, seront compris dans cette trêve. On pourra, dans l'intervalle, aller, venir, trafiquer en sûreté dans les deux royaumes, excepté dans la cour du roi de France et dans la nôtre, où nuls ne seront admis que les religieux et les marchands connus, sans le congé du roi de France, ou sans le nôtre. En attendant, les terres seront communes, et les marchands pourront aller et venir, selon les usages légitimes de l'ancien temps.

« 11. Le roi de France a fait jurer cette trêve pour lui, et sur son âme. Nous avons fait de même. Philippe a reçu le serment que Guillaume des Roches, Maurice de Créon, Guillaume de Guerche et Geoffroi d'Ancenis, ont fait, par notre ordre, de tenir l'exécution de la trêve.

« 12. Le roi de Castille sera compris dans cette trêve, s'il le veut; et pendant cette trêve, il pourra terminer ses différends avec nous, si cela nous convient.

« Fait à Thouars, l'an du Seigneur 1206, au mois d'octobre. Témoins: Pierre des Roches, évêque de Winchester; Guillaume Brière; Robert, fils de Gautier. De la main de Hugues, archidiacre de Wells, près Thouars, le 26 octobre, la huitième année de notre règne. »

La même année, au mois de décembre, en punition des péchés des hommes, il y eut une telle inondation causée par les débordements et les pluies, que jamais les hommes de notre temps n'en avaient vu à Paris de semblables, et que personne ne se rappelait avoir entendu dire qu'il y en eût eu de pareilles avant lui. Trois arches du Petit Pont furent rompues, bien des maisons renversées, de grands dommages causés en tous lieux. C'est pourquoi le couvent de Saint-Denis fit une procession, les pieds nus, avec son abbé Henri, tout le peuple et le clergé, et bénir les eaux avec le clou, la couronne d'épines et le saint bois de la croix du Seigneur. Après cette bénédiction, qui fut accompagnée d'un déluge de pleurs, les eaux commencèrent aussitôt à baisser. Béni soit en toutes choses le Seigneur, qui sauve ceux qui espèrent en lui.

L'an du Seigneur 1207, le roi Philippe rassembla une armée, entra en Aquitaine, dévasta la terre du vicomte de Thouars, prit Parthenay, détruisit plusieurs autres forts, en laissa d'autres avec garnison, sous la garde de son maréchal[83] et de Guillaume des Roches. Il revint ensuite à Paris.

L'année suivante, c'est-à-dire 1208, Eudes, évêque de Paris, mourut le 3 des ides de juillet. Pierre, trésorier de Tours, lui succéda.

La même année, le susdit maréchal et Guillaume des Roches, ayant rassemblé près de trois cents chevaliers, attaquèrent à l’improviste et défirent le vicomte de Thouars et Savari de Mauléon, qui étaient entrés sur les terres du roi avec des troupes nombreuses, et remportaient de leur expédition un grand butin. Dans cette défaite, on prit quarante chevaliers du Poitou, et même plus. Parmi eux se trouvaient Hugues de Thouars, frère du vicomte; Aimeri de Lusignan, fils du vicomte; Porcelain, et bien d'autres braves guerriers dont je ne veux pas citer ici les noms. Tous ces prisonniers furent envoyés, sous bonne garde, à Paris, au roi de France. Une trêve mit fin à la guerre.

La même année, un certain comte palatin, que dans la langue du pays on appelle landgrave, c'est-à-dire comte du Palais, tua Philippe, roi des Romains. Après sa mort, Othon, fils du duc de Saxe, s'efforça d'obtenir l'empire, par l'entremise et par l'autorité du pape Innocent III.

La même année, le pape envoya en France un légat. Il se nommait Gualon; c'était un diacre cardinal du titre de Sainte Marie du Porche, habile dans la jurisprudence, doué de mœurs irréprochables, assidu à visiter toutes les églises, plein de bienveillance et de dévotion en particulier pour celle de Saint-Denis. Le pape Innocent écrivit alors au roi Philippe et à tous les princes de son royaume, pour leur recommander avec instance d'aller, avec une nombreuse armée, en vrais catholiques et en fidèles serviteurs de Jésus-Christ, envahir la terre de Toulouse, d'Albi, de Cahors, de Narbonne et de Bigorre, pour y détruire tous les hérétiques qui infestaient le pays. Si la mort venait à les surprendre dans ce voyage, ou dans cette guerre contre les Infidèles, le pape, au nom de Dieu, et par l'autorité des apôtres Pierre et Paul, aussi bien que par la sienne, leur donnait l'absolution de tous les péchés commis depuis le jour de leur naissance, dont ils se seraient confessés, sans en avoir fait pénitence.

FIN DE LA VIE DE PHILIPPE AUGUSTE PAR RIGORD.

 


 

[59] De Roye.

[60] En 1194.

[61] En 1194.

[62] Alphonse IX.

[63] Le 18 juillet 1195.

[64] Pacy sur Eure.

[65] En 1198.

[66] Constance.

[67] Jean de Béthune.

[68] En 1199.

[69] Hugues, fils de Manassé

[70] Guy.

[71] Aimeri.

[72] Isabelle.

[73] En 1183.

[74] Isaac Comnène.

[75] Alexis.

[76] En 1195.

[77] Alexis.

[78] Robert.

[79] En 1202

[80] Robert

[81] Le 10 août 1204.

[82] Le 11 mars 1207.

[83] Henri Clément