PROCOPE

HISTOIRE DE LA GUERRE DES VANDALES

 

LIVRE II

LIVRE I

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

Les discours qui manquent ont été ajoutés (en bleu) à partir de la traduction de Mr. Cousin

 

 

 
 

 

HISTOIRE DE LA GUERRE DES VANDALES,

PAR PROCOPE

 

LIVRE DEUXIÈME.

CHAPITRE PREMIER.

1. Intelligence de Gélimer dans Carthage. 2. harangue de Bélisaire.

1. Dès que Gélimer eut réuni tous ses Vandales, il marcha vers Carthage avec son armée. Arrivés près de la ville, ils coupèrent l'aqueduc, ouvrage d'une structure admirable,[44] y restèrent campés pendant quelque temps, et se retirèrent ensuite lorsqu'ils virent que l'ennemi se tenait obstinément renfermé plans ses murailles. Ils se divisèrent alors en plusieurs corps, et occupèrent toutes les routes, dans l'espérance de réduire Carthage par la famine. Ils ne pillaient ni ne ravageaient les campagnes; ils les ménageaient et les conservaient au contraire comme leur patrimoine. Gélimer comptait encore sur quelque trahison en sa faveur de la part des Carthaginois, et même des soldats ariens de l'armée de Bélisaire. Il avait fait aussi de grandes promesses aux chefs des Massagètes, pour les attirer sous ses drapeaux. Ces barbares, peu affectionnés à l'empire, ne se soumettaient qu'à regret au service militaire, car ils affirmaient qu'ils avaient été attirés à Constantinople par un serment du général Pierre, qui s'était ensuite parjuré. Ils avaient donc accédé aux propositions des Vandales, et promis que, lorsque le combat serait engagé, ils tourneraient leurs armes contre les Romains. Bélisaire, instruit par les transfuges de ces menées secrètes, ne voulut pas se hasarder à faire de sortie contre l'ennemi avant d'avoir achevé la réparation des murailles, et affermi son pouvoir dans l'intérieur de la ville. D'abord il fit pendre, sur une colline voisine de Carthage, un citoyen nommé Laurus, qui avait été convaincu de trahison par le témoignage de son secrétaire. Cet exemple porta l'épouvante dans tous tes cœurs, et y étouffa tous tes germes de trahison. Enfin il sut si bien gagner les Massagètes en les admettant à sa table, en les comblant de présents et de caresses, qu'il obtint d'eux-mêmes l'aveu des promesses que leur avait faites Gélimer, et de la défection qu'ils avaient méditée. Ces barbares ne lui dissimulèrent pas qu'ils ne se sentaient pas beaucoup de zèle pour cette guerre, parce qu'ils craignaient que les Romains, même après la ruine des Vandales, ne leur permissent pas de retourner dans leur patrie, et ne les contraignissent à vieillir et à mourir sur le sol africain. Ils témoignèrent aussi la crainte d'être privés de leur part dans le butin. Alors Bélisaire leur engagea sa parole que, la guerre finie, il les renverrait aussitôt dans leur pays avec tout leur butin; et, à leur tour, ils jurèrent qu'ils le serviraient avec zèle et fidélité.

Bélisaire ayant tout remis en bon ordre et terminé la reconstruction des remparts, rassembla toute son armée, et l'encouragea en ces termes, [en lui retraçant le tableau de ses victoires et des désastres de ses ennemis, à combattre vaillamment les Vandales.[45]]

2.  Mes compagnons, je n'estime pas qu'il soit besoin d'animer vos courages par un grand discours, en un temps où vous voyez Carthage et toute l'Afrique conquise par votre valeur. Les victorieux n'ont pas accoutumé de manquer de coeur. J'ai cru seulement qu'il était bon de vous avertir , que si vous demeurez semblables à vous-mêmes et que vous vous  comportez normalement, ce sera pour les Vandales  la fin de leurs espoirs, et pour vous la fin des combats. C'est pourquoi vous devez y aller avec le plus grand enthousiasme. La tâche est toujours douce pour les hommes quand elle touche à sa fin. Maintenant examinons ce qu'il en est des Vandales. Ce n'est pas sur le nombre d'hommes, ni sur la force des corps, mais sur la vaillance de l'âme que se décide le sort de la guerre. Le plus fort motif qui fait agir les hommes, quand on y pense, c'est la réalisation des exploits du passé. Car il est honteux, du moins pour ceux qui ont de la raison, de ne pas être égal à soi-même et d'être inférieur à son propre niveau de courage. Car je sais bien que la terreur et la mémoire de leurs malheurs ont tenu l'ennemi à l'écart et les a obligés à moins de courage : les uns étaient terrifiés  de ce qui s'était produit,  les autres laissaient de côté le moindre espoir de succès. Quand la fortune est contre quelqu'un, elle asservit son esprit. Et je vais vous expliquer pourquoi la lutte actuelle vous intéresse beaucoup plus qu'auparavant. Dans les précédentes batailles le danger était, si les choses tournaient mal, de ne pas s'emparer de terres ennemies. Mais maintenant, si nous ne gagnons pas le combat, nous perdrons la terre qui est la nôtre. Il est en effet plus facile de ne rien posséder que d'être privé de ce que l'on a : c'est pourquoi nous avons plus de soucis qu'auparavant de garder ce que nous possédons. Autrefois, nous avons eu l'occasion de remporter la victoire sans infanterie, alors que maintenant, nous allons engager le combat avec l'aide de Dieu et avec l'ensemble de notre armée c'est pourquoi  j'ai l'espoir de capturer le camp de l'ennemi, et tous ses soldats. Et comme la fin de la guerre est à portée de main, il ne faut pas en raison d'une négligence, la remettre à plus tard, de peur d'être obligé de vous demander un moment opportun alors qu'il est déjà passé. Quand la fortune de la guerre est reportée, ordinairement elle ne procède pas de la même manière que précédemment, surtout si la guerre se prolonge par la volonté de ceux qui la font. Le Ciel habituellement  châtie toujours ceux qui abandonnent la fortune présente. Mais si quelqu'un considère que l'ennemi, en voyant ses enfants et épouses et ses biens les plus précieux en nos mains, aura d'autant plus d'audace et combattra avec plus de courage que d'habitude : il se trompe. Une violente passion qui s'attaque au coeur, a pour habitude de diminuer la vraie valeur  des hommes et ne leur permet pas de tirer pleinement profit de leurs propres forces. En considérant, dès lors, tout cela, il vous appartient d'aller avec le plus grand mépris contre l'ennemi. "

CHAPITRE II

1. Le même jour, il fit sortir de Carthage Jean l'Arménien avec l'infanterie légère et toute la cavalerie, dont il ne se réserva que cinq cents hommes. Il lui ordonna d'inquiéter l'ennemi, de le harceler par des escarmouches, s'il en trouvait l'occasion favorable. Il partit lui-même le lendemain avec le reste de l'infanterie et les cinq cents cavaliers. Les Massagètes tinrent conseil entre eux, et, pour se donner l'apparence d'avoir tenu les promesses qu'ils avaient faites à Gélimer et à Bélisaire, ils résolurent de rester inactifs au commencement du combat, et de ne prendre part à l'action que lorsqu'ils en pourraient prévoir l'issue: alors seulement ils se joindraient aux vainqueurs pour achever la défaite de celle des deux armées qui aurait plié la première.

2. L'armée romaine rencontra les Vandales campés près de Tricamara, à cent quarante stades de Carthage.[46] Les deux armées passèrent la nuit à une assez grande distance l'une de l'autre. Au milieu de la nuit arriva, dans le camp des Romains: le phénomène que je vais rapporter. On vit du feu briller à la pointe des lances, dont le fer sembla tout embrasé. Le petit nombre de ceux qui aperçurent ce prodige en furent étonnés, mais ne devinèrent pas ce qu'il présageait. Longtemps après, la même chose arriva en Italie: les Romains, instruits par l'expérience, y virent un présage de la victoire. Mais comme il s'offrait alors à leurs yeux pour la première fois, ils en furent effrayés, et passèrent la nuit entière dans les alarmes.

3. Le lendemain, Gélimer ordonna aux Vandales de rassembler au milieu du camp, quoiqu'il ne fût pas fortifié, les femmes, les enfants, et tout le bagage. Ensuite ayant rassemblé ses soldats, il leur fit un discours en ces termes : [pour les encourager à bien combattre, tandis que, non loin du camp, Tzazon exhortait de son côté les Vandales qu'il avait ramenés de Sardaigne.[47]]

Nous n'allons pas combattre pour la possession de la gloire et de l'Empire ; de sorte qu'après  less avoir perdus , nous puissions. encore demeurer en repos dans nos maisons, et y
jouir de nos biens. Nos affaires sont réduites à un tel malheur, que si nous ne défaisons nos ennemis, ou en mourant nous les laisserons maîtres de nos femmes, de nos enfants, de notre pays et de nos richesses; ou en survivant nous deviendrons leurs esclaves et les témoins de nos propres misères. Que si au contraire, nous remportons la victoire, ou nous vivrons dans l'abondance de toutes sortes de biens, ou nous aurons une mort glorieuse, et nous laisserons des richesses dans nos familles et l'Empire dans notre nation. Si jamais il y a eu de rencontre où il se soit agi de la décision de notre fortune, et où nous ayons dû mettre notre confiance en nous-mêmes ,c'est celle qui se présente. N'appréhendons point pour nos personnes: Le danger n'est pas de perdre la vie, mais de perdre la bataille. Si elle était perdue, il nous serait avantageux de mourir. Que personne ne perde courage, et que chacun préfère une mort honorable à la honte d'une défaite. Quiconque appréhende bien l'infamie n'appréhende point le péril. Ne rappelez point dans votre esprit la mémoire de la dernière journée. Le succès qu'elle eut ne vint pas de notre faute, il ne vint que du malheur. Le cours de la fortune n'est pas égal, il a coutume de changer souvent. Nous pouvons nous vanter de surpasser les ennemis en valeur, comme nous les surpassons aussi en nombre, parce que nous sommes dix contre un. J'ajouterai qu'il y a deux puissants motifs qui doivent animer notre courage, 
la réputation de nos ancêtres, et la puissance qu'ils nous ont laissée. Leur gloire sera ternie par notre lâcheté, si nous dégénérons de leur vertu. , et leur bien nous sera ravi, si nous n'avons la force de le conserver. Que dirai-je des cris de nos femmes, et des pleurs de nos enfants, qui interrompent mon disours ? Je le finis donc , en vous disant que nous ne reverrons jamais ces personnes qui nous sont si chères , que nous ne soyons victorieux. Retenez , je vous en conjure , cette pensée, et agissez de telle sorte, que vous ne fassiez point de honte au nom du grand Gizéric.

Gélimer ayant parlé de cette sorte , manda à son frère Tzazon de haranguer séparément les Vandales qu'ils avait amenés de Sardaigne : Ce qu'il fit ainsi, un peu à l'écart.

Mes Compagnons , le discours que vous venez d'entendre regarde tout les Vandales ; mais vous avez des raisons particulières de vous surpasser vous-mêmes.  Il n'y a pas longtemps que vous avez remporté la victoire , et que vous avez réduit sous notre puissance une île considérable. Il faut que vous donniez maintenant encore de plus illustres preuves de votre valeur, et que la grandeur du danger fasse davantage éclater la grandeur de vôtre courage. Quand on ne combat que sous le commandement, en perdant la bataille , l'on ne perd rien, dont n ait besoin en absolument ; mais quand on combat pour la conservation de son propre état , on ne saurait perdre la  bataille, que l'on ne perde aussi la vie. Vous ne pouvez conserver la réputation que vous possédez d'avoir ruiné la tyrannie de Godas, qu'en vous portant vaillamment et vous la pouvez perdre par le moindre manquement de coeur. C'est ce qui vous oblige à. vous signaler par dessus les autres Vandales. Car ceux qui ont eu du malheur sont effrayés par le souvenir qui leur en reste ; au lieu que ceux qui ont eu du bonheur, en ont aussi plus de hardiesse. Je crois que l'on peut assurer avec raison, que si les ennemis sont défaits,  on vous en donnera la gloire , et on vous regardera comme les conservateurs de la nation ; puisqu'il n'y a point de doute, que ceux qui joignant leurs armes avec des alliés qui avaient été vaincus, leur font gagner des batailles, méritent que l'on leur attribue la plus grande partie de la victoire. Je vous prie de faire réflexion sur toutes ces choses, d'arrêter les cris de vos femmes et de vos enfants, et de les exhorter à concevoir de bonnes espérances, et à implorer le secours du Ciel. Pour vous, allez courageusement contre l'ennemi, et donnez à tous vos compatriotes des exemples de générosité.

CHAPITRE III.

1. Disposition des deux armées. 2. Défaite des Vandales. 3. Fuite de Gélimer.

1. Les deux princes conduisent aussitôt leurs troupes contre les Romains. C'était l'heure du dîner, et les soldats de Bélisaire, qui ne s'attendaient pas à être attaqués, s'occupaient à préparer leur repas. Les Vandales se rangèrent en bataille à quelque distance du bord d'un ruisseau qui ne tarit jamais, mais dont le cours est si faible que les habitants du pays ne lui ont pas donné de nom. Les Romains s'étant armés et préparés à la hâte, s'avancèrent vers l'autre bord du ruisseau, et se disposèrent pour le combat dans l'ordre suivant: A l'aile gauche étaient placés Martin, Valérien, Jean, Cyprien, Althias, Marcellus, et les autres chefs des fédérés; à la droite, Pappus, Barbatus, Aigan et les autres commandants de la cavalerie romaine. Au centre, autour du drapeau impérial, se tenait Jean l'Arménien, avec un corps de cavalerie d'élite et tous les gardes de Bélisaire. Il y fut rejoint fort à propos par le général lui-même, qui, à la tête de ses cinq cents cavaliers, avait devancé la marche trop lente de son infanterie. Les Massagètes se tenaient à l'écart, séparés des Romains. C'était à la vérité chez eux un ancien usage; mais la résolution qu'ils venaient d'adopter était le principal motif qui les empêchait de se réunir au reste de l'armée. Tel était l'ordre de bataille des Romains. Aux deux ailes de l'armée des Vandales étaient placés les chiliarques, chacun à la tête de leurs corps de mille hommes;[48] au centre, Tzazon, frère de Gélimer; les Maures, sur les derrières de l'armée, formaient un corps de réserve. Gélimer était partout; il exhortait ses soldats, il excitait leur courage; il leur avait interdit la lance et le javelot, et leur avait ordonné de ne se servir que de leurs épées.

2. Les deux armées étaient depuis longtemps en présence, lorsque Jean l'Arménien, par ordre de Bélisaire, passa le ruisseau avec quelques cavaliers d'élite, et attaqua le centre des Vandales. Repoussé et poursuivi ensuite par Tzazon, il se replia sur son corps d'armée; les Vandales, dans leur poursuite, s'avancèrent jusqu'au ruisseau, mais ne le traversèrent point. Jean, à la tête d'un plus grand nombre de gardes de Bélisaire, fait une seconde charge contre Tzazon; il est encore repoussé, et se replie de nouveau sur l'armée romaine. Enfin, saisissant la bannière impériale, il entraîne à sa suite toute la garde de Bélisaire, il s'élance avec des menaces et des clameurs terribles, et attaque l'ennemi pour la troisième fois. Les barbares avec leurs seules épées soutiennent vigoureusement le choc, et la mêlée devient terrible. Les plus braves des Vandales y périrent en grand nombre, et parmi eux Tzazon, frère de Gélimer. Alors toute l'armée romaine s'ébranle, passe le ruisseau, et fond sur l'ennemi. Le centre ayant commencé à plier, tous les barbares lâchèrent pied, et furent mis facilement en déroute par les corps qui leur étaient opposés. A cette vue, les Massagètes, ainsi qu'ils l'avaient résolu, s'élancèrent avec l'armée romaine sur la trace des fuyards. Mais la poursuite ne fut pas longue, car les Vandales rentrèrent promptement dans leur camp. Les Romains, n'espérant pas les y forcer, dépouillèrent les morts, et retournèrent dans leurs retranchements. Nous perdîmes dans cette action moins de cinquante soldats; la perte des Vandales fut d'environ huit cents hommes.

3. Enfin Bélisaire, ayant été rejoint par son infanterie, se mit en marche vers le soir, et avec toutes ses troupes se porta rapidement sur le camp des Vandales. Gélimer, instruit de l'approche de l'armée romaine, sauta sur son cheval, et, sans prononcer une parole, sans laisser aucun ordre, il s'enfuit à toute bride vers la Numidie, avec quelques parents et quelques serviteurs qui le suivaient tremblants et en silence. Les Vandales ignorèrent quelque temps la fuite de leur roi; mais le bruit s'en étant répandu, ce ne fut plus parmi eux que désordre et que tumulte: les hommes criaient, les enfants glapissaient, les femmes hurlaient; tous se sauvaient éperdus, abandonnant le soin de tout ce qu'ils avaient de plus cher et de plus précieux. Les Romains accourent, s'emparent du camp désert, de toutes les richesses qu'il renferme; puis, se mettant à la poursuite des fuyards, pendant toute la nuit ils massacrent les hommes qu'ils rencontrent, enlèvent les femmes et les enfants, qu'ils destinent à l'esclavage. On trouva dans le camp une énorme quantité d'or et d'argent. Depuis longtemps les Vandales ravageaient les provinces de l'empire romain, et rapportaient en Afrique le fruit de leurs rapines et de leurs pillages. De plus, comme cette contrée est extrêmement fertile, qu'elle produit en abondance tout ce qui est nécessaire aux besoins de la vie, ils n'avaient rien dépensé pour leur nourriture, et avaient accumulé les revenus des propriétés, dont ils avaient joui pendant les quatre-vingt-quinze années de leur domination sur l'Afrique. Tous ces trésors entassés par l'avarice furent en ce jour la proie des vainqueurs. Le jour de la bataille où les Vandales furent battus et perdirent leur camp arriva trois mois après l'entrée de l'armée romaine dans Carthage, vers le milieu du dernier mois de l'année, que les Romains appellent décembre.

CHAPITRE IV.

1.  Bélisaire rappelle ses soldats qui étaient acharnés au pillage. 2. Il envoie poursuivre Gélimer par Jean. 3.  Celui-ci est tué par l'imprudence d'Uliaris. 4. Bélisaire fonde une rente à son tombeau. 5.  Gélimer se sauve sur la montagne de Papua. 6. Faras y met le siège. 7. Bélisaire est rendu maître des trésors de Gélimer.

1. Bélisaire passa toute la nuit dans de vives inquiétudes. Il voyait toute son armée désunie et dispersée de toutes parts, et craignait qu'elle ne fût taillée en pièces, si les Vandales venaient à se rallier. Pour moi, je suis convaincu que s'ils nous eussent attaqués dans ce moment, aucun de nos soldats n'en eût réchappé, ni profité du butin acquis par la victoire. Les soldats, hommes grossiers et en proie à toutes les passions humaines, se voyant possesseurs de si grandes richesses et d'esclaves d'une beauté si remarquable, ne pouvaient ni modérer ni rassasier leurs désirs; enivrés de leur bonheur, ils ne songeaient qu'à enlever tout ce qui se trouvait devant eux, et à retourner à Carthage. Dispersés de toutes parts, seuls, ou au plus deux ou trois ensemble, ils s'enfonçaient dans les bois, dans les rochers, fouillaient les grottes et les cavernes, dans l'espoir d'y trouver quelque chose à prendre. La crainte de l'ennemi, le respect pour leur général, le sentiment de leurs devoirs, étaient bannis de leur esprit; tout cédait à leur avidité pour le pillage. Bélisaire, considérant cet état des choses et des Esprits, ne savait quel parti prendre. Sitôt qu'il fît jour, il monta sur une éminence voisine de la grande route, et, s'efforçant de rétablir l'ordre, il adressa à tous, soldats et capitaines, de vives réprimandes. Ceux qui étaient à portée de le voir et de l'entendre, et surtout ses gardes, envoient à Carthage leur butin et leurs prisonniers, sous la garde de quelques-uns de leurs camarades, et, entourant leur général, se montrent prêts à exécuter ses ordres.

2. Bélisaire commanda à Jean l'Arménien de prendre deux cents cavaliers, et de poursuivre Gélimer jour et nuit, jusqu'à ce qu'il l'eût pris vif ou mort. Il écrivit au gouverneur de Carthage d'épargner tous les Vandales qui s'étaient réfugiés dans les églises des environs; de se contenter de les désarmer pour leur ôter tout moyen de révolte; de les faire entrer dans la ville, et de les y garder jusqu'à son retour. Cependant il courait de tous côtés avec ses gardes; il redoublait d'activité pour rassembler ses soldats épars, et lorsqu'il rencontrait des Vandales, leur donnait sa parole qu'il ne leur serait fait aucun mal. Déjà tous les Vandales s'étaient réfugies en suppliants dans les églises; on se contentait de les désarmer, et de les envoyer à Carthage avec une escorte et par bandes séparées, pour leur enlever tout moyen de se rallier et de tenter une nouvelle résistance. Après avoir donné ordre à tout, il s'avance lui-même à grandes journées contre Gélimer, et prend avec lui la plus grande partie de ses troupes.

3. Il y avait déjà cinq jours et cinq nuits que Jean poursuivait le prince fugitif; il était près de l'atteindre, et même le lendemain il devait l'attaquer. Mais Dieu, ne voulant pas sans doute que Jean eût l'honneur de la prise de Gélimer, retarda l'événement par un accident fortuit. Il y avait, dans la troupe envoyée avec Jean à la poursuite du prince vandale, un garde de Bélisaire nommé Uliaris, homme très brave, doué d'une force de corps et d'âme remarquable, mais peu réglé dans ses mœurs, fort adonné au vin et à la raillerie. Le matin du sixième jour que l'on poursuivait Gélimer, Uliaris, déjà ivre, vit un oiseau se poser sur un arbre; il tendit à l'instant son arc, et fit partir la flèche; mais au lieu d'abattre l'oiseau, il perça d'outre en outre le cou de Jean l'Arménien. Celui-ci, frappé d'une blessure mortelle, mourut peu de temps après, extrêmement regretté par l'empereur Justinien, par Bélisaire son général, par tous les Romains, et même par les Carthaginois; car cet homme, remarquable par sa grandeur d'âme et ses talents militaires, ne le cédait à personne en douceur et en affabilité. Lorsqu’Uliaris eut repris sa raison, il gagna un bourg voisin, et s'y réfugia dans l'église. Les soldats, suspendant la poursuite de Gélimer, prodiguèrent leurs soins au blessé tant qu'il vécut, célébrèrent ses obsèques après sa mort, et instruisirent Bélisaire de cet événement.

4. Quand il eut appris cette triste nouvelle, il accourut au tombeau de Jean, répandit des larmes sur sa fin déplorable, et assigna une rente annuelle pour l'entretien de ce monument. Il ne sévit point contre Uliaris, les soldats lui ayant assuré que Jean leur avait fait promettre avec serment de faire tous leurs efforts pour obtenir l'impunité de cet officier, qui n'était coupable que d'une imprudence.

5. C’est ainsi que Gélimer échappa, pour le moment, aux mains de ses ennemis. Bélisaire se mit lui-même à sa poursuite. Mais arrivé à Hippone, ville de Numidie, bien fortifiée, bâtie aux bords de la mer, à dix journées de Carthage, il reconnut qu'il lui était impossible de le prendre, parce qu'il s'était réfugié sur le mont Pappua. Cette montagne, située à l'extrémité de la Numidie, est entièrement bordée de rochers aigus, partout escarpés et presque inaccessibles. Elle était habitée par des Maures, amis et alliés de Gélimer. Sur les derniers contreforts s'élève une ville ancienne, nommée Medenos, où le roi des Vandales s'était réfugié avec sa suite.

6. Bélisaire, reconnaissant l'impossibilité de s'emparer de cette forteresse naturelle surtout pendant l'hiver, et jugeant d'ailleurs en ce moment sa présence nécessaire à Carthage, laissa quelques troupes d'élite, mit Pharas à leur tête, et le chargea de bloquer étroitement la montagne. Pharas était actif, vigilant, et, quoique Érule de nation, fidèle et vertueux. Je le remarque, parce que c'est une chose bien rare de trouver un Érule qui ne soit ni ivrogne, ni perfide, ni entaché de vice. Pharas n'en est que plus digne de louanges, puisque tous les Érules qui servaient sous ses ordres suivaient son exemple. Bélisaire, connaissant bien ce capitaine, lui enjoignit de camper tout l'hiver au pied du mont Pappua, et d'y faire une garde vigilante, pour empêcher Gélimer d'en sortir et les vivres d'y entrer. Pharas exécuta fidèlement cet ordre. Un grand nombre de Vandales des plus distingués s'était réfugié dans les églises d'Hippone. Bélisaire, en leur engageant sa parole, les tira de leurs asiles, et les envoya à Carthage, où ils furent soigneusement gardés.

7. Gélimer avait parmi ses domestiques un secrétaire africain, nommé Boniface, natif de la Byzacène, dont il avait éprouvé la fidélité. Au commencement de la guerre, il lui avait confié un vaisseau très léger, chargé de tous ses trésors, et lui avait donné ordre de jeter l'ancre à Hippone. De là, s'il voyait chanceler la puissance des Vandales, il devait se diriger en hâte sur l'Espagne avec le trésor royal, et se rendre auprès de Theudis, prince des Visigoths, chez qui Gélimer se promettait de trouver lui-même, dans sa disgrâce, un asile assuré. Tant que les affaires des Vandales ne furent pas désespérées, Boniface resta dans Hippone; mais, après la bataille de Tricamara et les autres événements que nous avons racontés, il exécuta l'ordre de Gélimer, et fit voile pour l'Espagne. Un vent impétueux l'ayant rejeté dans le port d'Hippone, où il apprit l'approche de l'ennemi, il obtint des matelots, à force de prières et de promesses, qu'ils feraient tous leurs efforts pour gagner soit une île, soit quelque côte du continent. Mais toutes les tentatives furent inutiles. La tempête se déchaînant avec fureur, et les vagues, comme il arrive ordinairement dans la mer Tyrrhénienne, s'élevant à une hauteur immense, Boniface et l'équipage crurent, dans ce désordre des éléments, reconnaître la main de Dieu, qui arrêtait la marche du vaisseau pour livrer aux Romains les trésors des Vandales. Étant sortis du port non sans difficulté, ils jetèrent l'ancre, et s'arrêtèrent, en courant de grands dangers, à peu de distance de la côte. Aussitôt que Bélisaire fut arrivé à Hippone, Boniface y expédia des messagers qui devaient se réfugier dans une église, se dire envoyés par Boniface, dépositaire des trésors de Gélimer; mais cacher le lieu de sa retraite Jusqu'à ce que le général lui eût garanti pleine sûreté pour lui et la jouissance de ses biens propres, moyennant qu'il remettrait les richesses du prince vandale. Bélisaire, ravi de cette proposition, s'engagea par un serment solennel, et envoya quelques-uns de ses affidés pour recevoir le trésor de Gélimer. Boniface s'en était approprié une bonne partie; néanmoins il le laissa partir en liberté avec son équipage.

CHAPITRE V.

1.  Bélisaire réunit à l'Empire la Sardaigne, la Corse, Césarée de Mauritanie, le fort de Sept, les îles d'Ebuse, de Majorque et de Minorque. 2. Il redemande le promontoire de Lilybée. 3. Lettre de Bélisaire aux Goths, avec la réponse.

1. De retour à Carthage, Bélisaire commanda que tous les Vandales prisonniers fussent prêts à faire voile vers Constantinople au commencement du printemps. En même temps il expédia sur divers points divers corps de troupes, pour remettre l'empire en possession de ce que les Vandales lui avaient enlevé. Il dépêcha ensuite en Sardaigne Cyrille avec un corps de troupes considérable, et la tête de Tzazon. Les insulaires refusaient de se soumettre aux Romains, redoutant le ressentiment des Vandales, et regardant comme une fable le bruit de leur défaite à Tricamara. Cyrille avait aussi reçu l'ordre d'envoyer une partie de son armée en Corse, de purger cette île des Vandales, et d'y reconstituer l'autorité impériale. La Corse, située près de la Sardaigne, portait anciennement le nom de Cyrnus. Cyrille, arrivé en Sardaigne, montra aux habitants la tête de Tzazon, et rétablit sans peine dans les deux îles les tributs qu'elles payaient auparavant à l'empire romain. Jean, à la tête de la cohorte d'infanterie qu'il commandait, fut envoyé par Bélisaire à Césarée dans la Mauritanie, ville maritime, grande, et depuis longtemps bien peuplée, qui est située à trente journées de Carthage. Un autre officier des gardes de Bélisaire, nommé aussi Jean, fut expédié vers le détroit de Cadix, pour s'emparer d'une forteresse appelée Septum,[49] qui en domine l'entrée. L'Italien Apollinaire reçut la mission de s'emparer des îles situées non loin de l'endroit où l'Océan se joint à la Méditerranée,[50] savoir, l'île d'Ébuse et celles qu'en langue vulgaire on appelle Majorque et Minorque. Cet officier, arrivé fort jeune en Afrique, y avait été enrichi par la libéralité d'Ildéric, roi des Vandales. Lorsque ce prince eut été détrôné et jeté dans une prison, ainsi que nous l'avons raconté, Apollinaire se joignit aux fidèles Africains, qui allèrent implorer la protection de l'empereur. Il suivit ensuite la flotte romaine dans son expédition contre Gélimer et les Vandales, se distingua par sa bravoure dans tout le cours de la guerre, et particulièrement à la bataille de Tricamara. Ce fut ce qui décida Bélisaire à lui confier le recouvrement des îles de la Méditerranée. Le général romain expédia ensuite une armée à Tripoli pour aider Pudentius et Thattimulh contre les Maures, et raffermit ainsi dans cette contrée l'autorité des Romains .

2. Il envoya encore des troupes en Sicile , pour reprendre un fort dans le promontoire et Lilybée, dont les Vandales s'étaient emparés; mais les Goths  ne le voulurent pas permettre , prétendant que les Vandales n'y avoient jamais eu de droit. Quand cela fut rapporté à Bélisaire , il écrivit en ces termes à ceux qui commandaient dans l'île.

3. Vous commettez, une injustice , de nous priver du fort de Lilybée que possédaient les Vandales. En cela vous agissez, en l'absence de notre Maître, contre ses intérêts et contre ses intentions ; et vous tâchez, de le mettre en mauvaise intelligence avec l'Empereur, dont il a recherché la bienveillance. Gardez-vous de lui rendre ce mauvais office, et considérez, que comme l'amitié dissimule tous les sujets de plainte quelle pourrait avoir, l'inimitié les recherche , et ne souffre jamais que des ennemis demeurent en possession d'un bien qui n'est pas à eux. Elle se venge  par les armes: Si elle a du malheur, elle ne perd rien su sien ; et si le succès lui est avantageux , elle apprend  aux vaincus à n'être plut si superbes. Ne nous faites point de mal, afin de n'en pas souffrir vous-mêmes , et n'obligez, pas l'Empereur à déclarer la guerre aux Goths, avec qui je souhaite qu'il demeure en paix. Vous savez bien que si vous prétendez retenir ce fort, nous prendrons les armes , non seulement pour le retirer , mais pour vous ôter tout ce que vous possédez, sans juste titre.

Voilà ce que contenait la lettre. Après qu'elle eut été communiquée à la Reine-mère d'Atalaric, les Goths y firent cette réponse.

Illustre Bélisaire, votre lettre contient  un sage avis ; mais il nous convient moins qu'à personne. Nous ne possédons rien qui appartienne à Justinien; Dieu nous garde d'une telle folie. Nous prétendons que toute l'île, dont le Lilybée n'est qu'un promontoire, est à nous. Si Théodoric a donné une portion de la Sicile à sa soeur, lors qu'il l'a mariée au roi des Vandales, n'en faites, s'il vous plaît, aucune considération, parce que cela ne tient pat lieu de loi parmi nous. Vous nous ferez justice, si vous avez agréable de terminer ce différent en ami, et non pas en ennemi. Les amis décident leurs contestations par une conférence, et les ennemis par un combat. Nous consentons que Justinien en soit juge et nous nous nous soumettons à ce qu'il lui plaira d'en ordonner. Du reste, nous vous prions de ne rien précipiter, et d'attendre sa résolution.

Voilà la réponse que les Goths firent à la lettre de Bélisaire, qui ne voulut rien faire de lui-même , se contentant d'informer l'Empereur de toute l'affaire. 

 CHAPITRE VI.

1. Faras attaque en vain Gélilmer sur la montagne de Papua. 2. Différence de la vie des Vandales et de celle des Maures. 3.  Lettres de Faras et de Gélimer.

1. Cependant Pharas, ennuyé de la longueur du blocus durant les rigueurs de l'hiver, se persuadant d'ailleurs que les Maures ne pourraient lui résister, essaya une attaque de vive force sur le mont Pappua. Ayant donc bien armé tous ses soldats, il se met à leur tête, s'avance sur la montagne, et l'escalade hardiment. Les Maures viennent à sa rencontre, et, favorisés par l'inclinaison d'un terrain si difficile à gravir, si contraire aux assaillants, ils les repoussent avec perte. Pharas s'étant obstiné à une nouvelle attaque, vit tomber à ses côtés cent dix de ses soldats, et fut obligé de faire retraite avec ceux qui lui restaient. A partir de ce moment, il n'osa plus tenter une entreprise trop difficile: il se contenta de bloquer étroitement le mont Pappua, et de n'y point laisser entrer de vivres, pour que la faim contraignit à se rendre ceux qui y étaient renfermés. Alors Gélimer, ses neveux, et les nobles Vandales qui l'avaient suivi, souffrirent des misères si grandes, que la parole est impuissante à les exprimer.

2. Les Vandales sont de tous les peuples que nous connaissons, ceux qui mènent la vie la plus délicate; et les Maures, au contraire, ceux qui vivent le plus misérablement. Ceux-là, depuis qu'ils s'étaient emparés de l'Afrique, s'étaient accoutumés à l'usage journalier des bains, et à des festins où la terre et la mer fournissaient à l'envi ce qu'elles produisaient de plus exquis. L'or brillait sur leurs parures et sur leurs robes de soie, flottantes comme celles des aèdes. Ils employaient presque toutes leurs journées en spectacles, enjeux du cirque, en de frivoles amusements, et surtout à la chasse, qu'ils aimaient avec passion. Des danseurs, des comédiens des pantomimes enivraient leurs yeux et leurs oreilles de toutes les jouissances que procurent aux hommes des spectacles variés et d'harmonieux concerts. La plupart d'entre eux habitaient des maisons de plaisance, entourées de vergers fertiles et abondamment arrosées. Ils se donnaient de fréquents repas, et l'amour était la principale occupation de leur vie. Les Maures, au contraire, passent l'hiver, l'été, toutes les saisons, dans des huttes étroites où l'on peut à peine respirer, et ni le froid, ni la chaleur, ni aucune autre incommodité, ne saurait les en faire sortir. Ils ont pour lit la terre; les riches quelquefois y étendent la peau velue d'un animal. Toujours vêtus d'un épais manteau et d'une tunique grossière, jamais ils ne changent d'habits selon les saisons de l'année. Ils ignorent l'usage du pain, du vin, et des autres aliments que l'homme doit à la civilisation. Le blé, l'orge, l'épeautre, ils les mangent, comme les animaux, sans les moudre ni les faire bouillir. Gélimer et ses compagnons, depuis longtemps renfermés avec ces Maures, étaient tombés du faste de la prospérité sans un abîme de misère. Privés des choses les plus nécessaires à la vie, ils succombaient à l'horreur de leur position, et déjà ne trouvaient plus dans leurs pensées ni la mort pénible, ni la servitude honteuse.

3. Pharas, instruit de leur situation, écrivit ainsi à Gélimer: Je ne suis moi-même qu'un barbare; je n'ai jamais ni étudié les lettres ni appris l'art de la parole; je n'ai reçu d'autres leçons que celles de la nature: c'est elle qui me dicte ce que je vais vous écrire. Comment est-il possible, mon cher Gélimer, que vous restiez plongé, vous et votre famille, dans cet abyme de misère, au lieu de vous soumettre à votre vainqueur ? Vous chérissez la liberté, direz-vous sans doute, et vous la considérez comme un bien qui mérite qu'on s'expose à tout pour le conserver. Mais, dites-moi, n'êtes-vous pas l'esclave de ces misérables Maures, quand vous attendez de leur secours la conservation de votre vie et de votre dignité ? Ne vaudrait-il pas mieux servir ou mendier chez les Romains, que d'être roi des Maures et souverain du mont Pappua? Il est donc dégradant et honteux, selon vous, d'obéir à un prince auquel obéit Bélisaire. Revenez de cette erreur, illustre Gélimer. Je suis né prince, et je me fais gloire de servir l'empereur. On dit que le dessein de Justinien est de vous faire entrer dans le sénat, de vous élever à l'éminente dignité de Patrice, de vous donner de vastes domaines, une fortune considérable; que Bélisaire, vous engagera sa foi, et vous sera garant de tous ces avantages. Peut-être pensez-vous qu'étant homme, vous êtes né pour supporter avec patience tous les caprices de la fortune. Mais si Dieu veut adoucir votre condition malheureuse, pourquoi vous y refuser ? Les faveurs de la fortune ne sont-elles pas faites pour les hommes, aussi bien que ses rigueurs ? L'aveugle et stupide désespoir pourrait seul le nier. Étourdi par des coups si rudes, vous n'êtes peut-être pas en état de prendre conseil de vous-même, car le poids de la tristesse accable l'esprit et le rend incapable de résolution. Si vous pouvez ranimer votre courage, et supporter avec résignation le changement de votre fortune, vous serez délivré des maux qui vous oppriment, et vous jouirez en échange de brillants avantages. »

1.  Gélimer ne put lire cette lettre sans la tremper de ses larmes. Il répondit en ces termes: « Je vous remercie de votre conseil; mais je ne puis me résoudre à me rendre l'esclave d'un injuste agresseur. Si Dieu exauçait mes désirs, je voudrais me venger d'un homme qui, sans aucun motif légitime, sans que je l'eusse jamais offensé par mes paroles ou par mes actions, me fait une guerre cruelle, et m'envoie, je ne sais d'où, un Bélisaire pour me réduire en l'état où je suis. Qu'il apprenne de moi qu'étant homme et prince, il peut lui arriver de semblables revers. Je ne puis en écrire davantage; le chagrin qui m'accable me trouble l'esprit. Adieu, cher Pharas; envoyez-moi, je vous en supplie, une cithare, un pain, et une éponge. » Ces derniers mots semblaient une énigme à Pharas, jusqu'à ce que le porteur de la lettre lui eut rendu raison d'une demande si singulière. « Gélimer, dit-il, demande du pain, parce qu'il n'en a ni goûté, ni même vu, depuis qu'il est chez les Maures; il a besoin d'une éponge pour nettoyer ses yeux, enflammés par l'air fétide et malsain de sa demeure; enfin il est habile à jouer de la cithare, et voudrait accompagner de notes plaintives un chant qu'il a composé sur ses malheurs. » Pharas, touché de compassion du déplorable état où était Gélimer, lui envoya ce qu'il demandait. Mais il continua le blocus, et garda attentivement toutes les avenues de la montagne.

CHAPITRE VII.

1. Histoire pitoyable de deux enfants pressés par la faim.  2. Lettre de Gélimer à Faras. 3.  Gélimer se rend et est mené à Carthage, où il aborde Bélisaire en riant. 4. Jugement de Procope sur cette guerre.

1. Il y avait trois mois que durait l'investissement; l'hiver approchait de sa tin, et Gélimer, agité de continuelles alarmes, s'attendait chaque jour à voir les Romains escalader les rocs qui lui servaient d'asile. Plusieurs de ses jeunes parents avaient le corps presque entièrement rongé par la pourriture. Quelque douleur qu'il en ressentit, il supportait néanmoins ces maux avec une constance inébranlable, et sa résignation opiniâtre trompait toutes les prévisions, lorsque enfin il fut témoin du spectacle que je vais décrire. Une femme maure avait fait un petit gâteau d'un reste d'orge à peine broyé, et l'avait placé, pour le cuire, sous la cendre du foyer, selon la coutume du pays. Devant le feu étaient assis deux enfants, dont l'un était le neveu de Gélimer, et l'autre le fils de la femme qui avait pétri le gâteau. Tous deux, poussés par l'aiguillon de la faim, dévoraient des yeux ce gâteau, tout prêts à s'en saisir sitôt qu'il leur paraîtrait cuit. Le jeune Vandale s'en empare le premier, et, égaré par la faim, il se met à le dévorer avidement, bien qu'il fût encore brûlant et couvert de cendre. Le Maure lui saute aux cheveux, et, le frappant à coups redoublés sur les joues, il lui arrache de force le gâteau du gosier. Gélimer, qui avait assisté dès le commencement à cette scène déplorable, sentit faiblir son courage et sa résolution. Il écrivit aussitôt à Pharas la lettre suivante:

2. « Je suis homme, cher Pharas, et je change de sentiment après avoir supporté l'adversité avec constance. Loin de rejeter aujourd'hui votre conseil, je me décide à le suivre. Je cesse de résister à la fortune, et de lutter contre ma destinée: partout où elle m'appelle, me voici prêt à la suivre. Faites en sorte seulement que Bélisaire consente à me garantir, sur sa parole et au nom de l'empereur, les conditions que vous m'avez récemment offertes. Sitôt que j'aurai reçu sa promesse, je me livrerai entre vos mains avec mes parents et les Vandales qui sont avec moi. »

3. Telle fut la lettre de Gélimer. Pharas l'ayant envoyée, avec les lettres précédentes, à Bélisaire, le prie de lui faire connaître sa décision le plus promptement possible. Le général, gui souhaitait ardemment de conduire à l'empereur cet illustre prisonnier, fut ravi de joie à la lecture de ces lettres. Il envoya, vers le mont Pappua, Cyprien, chef des fédérés, et quelques autres capitaines, avec ordre de promettre en son nom et avec serment que Gélimer et ses parents auraient la vie sauve; que le prince vandale serait même traité avec distinction par l'empereur, et qu'on pourvoirait honorablement à son existence. Ceux-ci, arrivés au camp de Pharas, se rendirent avec lui au pied de la montagne. Gélimer vint les y trouver; et ayant reçu d'eux leur serment et toutes les garanties qu'il pouvait désirer, il partit avec eux pour Carthage. Bélisaire faisait sa résidence dans le faubourg d'Aclas: ce fut là qu'il reçut Gélimer, qui, au moment où il parut devant le général romain, partit d'un grand éclat de rire. Quelques-uns pensèrent que son esprit avait été ébranlé par les violentes secousses de la mauvaise fortune, et que ce rire sans sujet était un indice de folie. Ses amis assuraient ou contraire qu'il avait le plein usage de sa raison. Gélimer, disaient-ils, issu de race royale, roi lui-même, nourri depuis l'enfance jusqu'à la vieillesse dans les splendeurs et l'opulence, ensuite vaincu, fugitif, accablé de misères, et enfin privé de sa liberté, jugeait, pour en avoir fait une complète expérience, que toutes les grandeurs et les infortunes humaines n'étaient dignes que de risée .... Bientôt Bélisaire informa l'empereur que Gélimer était prisonnier à Carthage, et demanda la permission de le conduire lui-même à Constantinople. En attendant il fit préparer sa flotte, et garder avec honneur le prince et ses Vandales.

4. Je ne sais s'il est jamais arrivé des événements plus extraordinaires que ceux que je viens de raconter. On a vu en effet l'arrière-petit-fils de Genséric, et un empire florissant appuyé sur une armée nombreuse, soutenu par d'immenses richesses, renversés en un clin d'œil par cinq mille étrangers, qui d'abord ne savaient pas même où ils pourraient aborder; car la cavalerie, qui seule prit part à la guerre sous les ordres de Bélisaire, ne dépassait pas le nombre de cinq mille hommes. Œuvre certainement admirable, soit qu'on l'attribue à la fortune, soit qu'on la considère comme le résultat du courage de nos troupes. Maintenant je reviens à mon sujet.

CHAPITRE VIII.

1. Bélisaire faussement accusé devant Justinien. 2. Humeur des Maures. 3. Prédiction faite par des femmes de cette nation.

1. La prise de Gélimer termina la guerre des Vandales. Mais l'envie, qui attaque toujours les grandes fortunes, méditait déjà la ruine de Bélisaire, quoique sa conduite fût à l'abri de tout reproche. Quelques capitaines l'accusèrent auprès de l'empereur d'aspirer à se créer en Afrique un État indépendant, ce qui était bien loin de sa pensée. Justinien ne divulgua point cette accusation, soit qu'il la méprisât, soit qu'il crût le silence plus utile à sa politique; mais il lui envoya Salomon, et laissa à Bélisaire le choix ou de venir lui-même à Constantinople avec Gélimer et les Vandales, ou d'envoyer ses prisonniers et de rester en Afrique. Celui-ci, n'ignorant pas les malveillantes accusations de ses capitaines, se hâta de se rendre à Constantinople, pour dissiper la calomnie et confondre les calomniateurs. Je vais expliquer de quelle manière il découvrit la trame ourdie par ses délateurs. Ces derniers, craignant de manquer leur but si le courrier qu'ils envoyaient à l'empereur venait à faire naufrage, écrivirent deux lettres contenant leur dénonciation, et les confièrent à deux messagers qu'ils expédièrent par deux vaisseaux différents. L'un d'eux traversa la mer sans obstacle; l'autre, ayant inspiré quelques soupçons, fut arrêté à Carthage, dans le Mandracium, et, se voyant pris, il livra la lettre dont il était chargé, et révéla toute l'intrigue: c'est ce qui excita Bélisaire à se rendre en toute hâte auprès de l'empereur.

2. Cependant les Maures de la Byzacène et de la Numidie, sans autre sujet que l'inconstance et la mobilité de leur caractère, rompirent les traités, et se soulevèrent à l'improviste contre les Romains. De pareils actes ne sont pas rares chez des peuples lui n'ont ni vénération pour la Divinité, ni respect pour les hommes; qui ne sont retenus ni par les liens sacrés du serment, ni par la crainte de compromettre leurs otages, dont ils s'inquiètent fort peu, lors même qu'ils seraient les enfants ou les frères de leurs rois; qui, enfin, ne sauraient être maintenus dans la tranquillité que par la présence d'un ennemi redoutable. Voici de quelle manière les Maures avaient fait un traité avec Bélisaire, et comment ils le rompirent.

3. Quand le bruit de l'approche de la flotte romaine se répandit parmi eux, les Maures, alarmés pour leur indépendance, consultèrent leurs devineresses. Car chez eux il n'est pas permis aux hommes de prédire l'avenir; ce sont les femmes qui, après avoir accompli certaines cérémonies, remplies de l'esprit divin comme les anciennes pythonisses, ont le privilège de dévoiler les événements futurs. Elles répondirent à ceux qui les interrogèrent: que du sein des eaux sortirait une armée, la ruine des Vandales, la défaite et la perte des Maures, quand les Romains auraient un général sans barbe. D'après cette prophétie, lorsqu'ils virent l'armée impériale s'élancer de la mer, les Maures épouvantés renoncèrent à l'alliance des Vandales, traitèrent avec Bélisaire ainsi que je l'ai dit plus haut, et gardèrent une neutralité complète en attendant l'issue de la guerre. Quand la puissance des Vandales fut abattue, ils envoyèrent des espions dans l'armée romaine, pour s'assurer si elle n'avait point parmi ses commandants un officier sans barbe. Lorsqu'on leur eut assuré que tous les chefs en étaient bien pourvus, ils s'imaginèrent que la prophétie ne s'appliquait pas au moment présent, mais quelle ne devait s'accomplir que dans les générations futures. Ils prirent donc la résolution de rompre les traités, et ne furent contenus que par la terreur que leur inspirait le nom de Bélisaire, et leur intime conviction qu'ils ne pourraient l'emporter sur les Romains tant que ceux-ci auraient ce grand général à leur tête. Lorsqu'ils apprirent que Bélisaire partait avec ses gardes et l'élite de ses troupes, et qu'il avait déjà embarqué les Vandales, ils reprirent tout à coup les armes, et exercèrent contre les indigènes toutes sortes de ravages. Les soldats romains postés sur les frontières n'étaient ni assez nombreux, ni assez bien équipés, pour réprimer les pillages incessants et les incursions furtives par lesquelles ces barbares désolaient tout le pays. Les hommes étaient cruellement massacrés, les femmes avec leurs enfants traînées en esclavage; toutes les frontières étaient ravagées; partout la fuite et la terreur. Bélisaire n'apprit cette nouvelle que lorsqu'il mettait à la voile, et, ne pouvant retourner sur ses pas, il confia à Salomon le gouvernement de l'Afrique, lui laissa les plus braves officiers et la plus grande partie de ses gardes, pour réprimer le plus tôt possible les déprédations des Maures. Justinien envoya de son côté à Salomon un renfort considérable, commandé par Théodore de Cappadoce et par Ildiger, gendre d'Antonine, femme de Bélisaire. Et comme on ne pouvait plus lever les impôts d'après les ordonnances et les registres administratifs établis autrefois par les Romains, car Genséric les avait anéantis au commencement de son règne, l'empereur envoya aussi Tryphon et Eustratius pour faire une nouvelle répartition basée sur la valeur des propriétés, ce qui parut intolérable aux habitants de l'Afrique.

CHAPITRE IX.

1. Triomphe de Bélisaire. 2. Justinien donne à l'église de Jérusalem les vases du temple de Salomon.  3. Gélimer est mené devant lui et contraint de se prosterner pour le saluer.

1. Arrivé à Constantinople avec Gélimer et les Vandales, Bélisaire y reçut les honneurs décernés autrefois aux généraux romains qui avaient remporté les plus éclatantes victoires. Personne, depuis six cents ans, n'en avait obtenu de pareils, excepté Titus, Trajan, et les autres empereurs qui avaient ramené à Rome leur armée victorieuse de quelque nation barbare. Il traversa la ville avec une brillante pompe, étalant aux regards le butin et les prisonniers, mais sans observer toutes les antiques cérémonies du triomphe. Il s'avança à pied depuis sa maison jusqu'à l'entrée du cirque, et de là jusqu'au trône de l'empereur. On portait devant lui toute la dépouille des rois vandales: des trônes d'or, les chars de parade qui servaient à la reine, une immense quantité de bijoux ornés de pierreries, des coupes d'or, toute la vaisselle des banquets royaux, des vases précieux de toutes sortes, et plusieurs myriades de talents d'argent. Toutes ces richesses, comme je l'ai dit, avaient été enlevées par Genséric dans le palais des empereurs à Rome.

2. Parmi ces riches dépouilles on remarquait les vases sacrés des Juifs, que Titus, fils de Vespasien, avait transportés à Rome après la ruine de Jérusalem. Un Juif les ayant aperçus, s'adressa à un officier de l'empereur, et lui dit: « Autant que j'en puis juger, il n'est ni utile ni convenable que ces vases soient gardés dans le palais de Constantinople. Ils ne peuvent être conservés que dans le lieu où ils furent placés d'abord par Salomon, roi des Juifs. C'est leur enlèvement sacrilège qui a causé autrefois le pillage de Rome par Genséric, et tout récemment celui du palais des rois vandales par l'armée romaine. » Ces paroles, rapportées à Justinien, lui tirent craindre de retenir ces redoutables dépouilles; il les envoya de suite aux églises de Jérusalem. Les prisonniers marchaient ainsi dans la pompe de ce triomphe

3. Gélimer, revêtu d'un manteau de pourpre flottant sur ses épaules, puis tous ses parents, puis ceux des Vandales qui étaient les plus remarquables par la grandeur de leur stature et la beauté de leurs traits. Quand Gélimer fut entré dans le cirque, qu'il vit l'empereur assis sur un trône élevé, et tout le peuple debout alentour, il sentit plus encore qu'auparavant la grandeur de son infortune, et, sans verser une larme, sans jeter un soupir, il eut toujours à la bouche cette parole empruntée aux livres des Hébreux: Vanité des vanités ! tout est vanité. Lorsqu'il fut arrivé devant le trône impérial, on l'obligea de quitter la pourpre, et de se prosterner devant l'empereur pour l'adorer. Bélisaire rendit à Justinien le même hommage, avec autant d'humilité que Gélimer. L'empereur Justinien et l'impératrice Théodora assignèrent des revenus considérables aux filles d'Ildéric et à toute la famille de Valentinien. Ils donnèrent à Gélimer de beaux domaines en Galatie, où il lui fut permis de se retirer avec ses parents. Mais on n'accorda pas au prince vandale la dignité de patrice, parce qu'il refusa de renoncer à l'arianisme.

Peu de temps après, Bélisaire, élevé au consulat, reçut l'honneur d'un second triomphe, gui fut célébré selon les anciens usages des Romains. Il fut porté au sénat dans la chaise curule, sur les épaules des prisonniers; et, pendant sa marche, il distribua au peuple les dépouilles des Vandales. Le peuple s'arracha les vases d'argent, les ceintures d'or, une foule d'objets précieux qui avaient servi à l'usage des vaincus; et ce jour sembla ressusciter de vieilles coutumes que le temps et la désuétude avaient abolies.

CHAPITRE X.

1. Aigan et Rufin sont surpris et tués par les Maures. 2.  origine des Maures et leur établissement en Afrique.

1. Cependant Salomon, qui avait reçu, comme nous l'avons dit, le commandement de l'armée d'Afrique et le gouvernement de cette province, voyant les Maures en révolte et la nouvelle domination mal affermie, ne savait quel parti prendre, ni quels remèdes apporter à ce désordre. Il avait appris, par des messagers fidèles, que les barbares, après avoir détruit les garnisons de la Byzacène et de la Numidie, brûlaient et ravageaient tout le pays. Mais ce qui lui causa le plus de douleur, ce qui répandit le deuil dans toute la ville, ce fut la cruelle destinée que trouvèrent, dans la Byzacène, le Massagète Aigan et le Thrace Rufin. Ils étaient tous deux attachés à la personne de Bélisaire, et très distingués dans l'armée romaine; Aigan faisait partie de la garde du général: quant à Rufin, sa vigueur et sa bravoure lui avaient mérité l'honneur de porter dans tous les combats la bannière impériale. Ces deux officiers, qui étaient dans la Byzacène à la tête d'un corps de cavalerie, indignés de voir le pays ravagé et les habitants traînés en esclavage, se postèrent en embuscade dans un défilé, surprirent les Maures chargés de butin, les taillèrent en pièces, et délivrèrent tous les prisonniers. Au premier avis de cette défaite, les chefs des Maures Cuzinas, Isdilasas, Juphruthes et Medisinissas, qui n'étaient pas loin de là, accoururent vers la fin du jour, avec toutes leurs forces. Les Romains en fort petit nombre, et resserrés dans un étroit espace par plusieurs milliers d'hommes qui les enveloppaient de toutes parts, ne purent soutenir une lutte aussi inégale. De quelque côté qu'ils se tournassent, ils étaient criblés de traits. Aigan et Rufin, avec quelques-uns de leurs soldats, s'emparent d'une roche élevée, d'où ils arrêtent les Maures. Tant qu'ils purent faire usage de leurs arcs, l'ennemi n'osa ni les attaquer de front, ni en venir aux mains avec eux: il se contenta de les harceler de loin, en leur lançant des traits. Mais quand leurs carquois furent épuisés, ils se virent insensiblement pressés par une multitude de Maures, contre lesquels ils n'avaient plus d'autre arme que leurs épées. Enfin il fallut céder au nombre; Aigan tomba criblé de blessures; Rufin fut pris et emmené par le chef maure Médisinissas, qui, pour se délivrer de la crainte que lui inspirait un si terrible adversaire, lui fit sur-le-champ trancher la tête. Le barbare rapporta en trophée dans sa maison et offrit à ses femmes cette tête, remarquable par la longueur et l'épaisseur de sa chevelure.

2. Puisque le plan de notre histoire nous a conduit à parler des Maures, il ne sera pas hors de propos de reprendre les choses de plus haut, et de dire d'où ils sont partis pour venir en Afrique, et de quelle manière ils s'y sont établis.

Lorsque les Hébreux, après leur sortie d'Égypte, atteignirent les frontières de la Palestine, ils perdirent Moyse, leur sage législateur, qui les avait conduits pendant le voyage. Il eut pour successeur Jésus, fils de Navé,[51] qui, ayant introduit sa nation dans la Palestine, s'empara de cette contrée, et, déployant dans la guerre une valeur surhumaine, subjugua tous les indigènes, se rendit facilement maître de leurs villes, et s'acquit la réputation d'un générai invincible. Alors, toute la région maritime qui s'étend depuis Sidon jusqu'aux frontières de l'Égypte se nommait Phénicie; elle avait de tout temps obéi à un seul roi, ainsi que l'attestent tous les auteurs qui ont écrit sur les antiquités phéniciennes. Là, vivaient un grand nombre de peuplades différentes, les Gergéséens, les Jébuséens, et d'autres dont les noms sont inscrits dans les livres historiques des Hébreux. Lorsqu'elles virent qu'elles ne pouvaient résister aux armes du conquérant, elles abandonnèrent leur patrie, et se retirèrent d'abord en Égypte. Mais s'y trouvant trop à l'étroit, parce que, depuis fort longtemps, ce royaume était encombré d'une population considérable, ils passèrent en Afrique, occupèrent ce pays jusqu'au détroit de Cadix, et y fondèrent de nombreuses villes, dont les habitants parlent encore aujourd'hui la langue phénicienne. Ils construisirent aussi un fort dans une ville nommée alors Numidie, qui porte aujourd'hui le nom de Tigisis. Là, près d'une source très abondante, s'élèvent deux colonnes de marbre blanc, portant, gravée en lettres phéniciennes, une inscription dont le sens est: « Nous sommes ceux qui avons fui loin de la face du brigand Jésus, fils de Navé. » Avant leur arrivée, l'Afrique était habitée par d'autres peuples qui, s'y trouvant tirés depuis des siècles, étaient appelés les enfants du pays. C'est de là qu'on a donné le nom de fils de la terre à Antée, leur roi, avec lequel Hercule soutint une lutte à Clipea. Dans la suite, ceux qui émigrèrent de Phénicie avec Didon allèrent retrouver les habitants de l'Afrique, qui leur étaient unis par la communauté d'origine, et, avec leur consentement, ils fondèrent Carthage, et s'y établirent. Ces Carthaginois étant devenus dans la suite des temps puissants en nombre et en richesses, firent la guerre à leurs voisins, qui, comme nous venons de le dire, étaient les premiers arrivés de Palestine, et qu'on appelle aujourd'hui les Maures, les battirent en plusieurs rencontres, et les forcèrent à transporter leurs foyers bien loin de Carthage. Plus tard, les Romains, après avoir subjugué les uns et les autres, assignèrent pour demeures aux Maures les régions les plus éloignées de l'Afrique habitable, et soumirent au tribut les Carthaginois et les autres peuples libyens. Enfin les maures, après avoir souvent défait les Vandales, s'emparèrent du pays nommé aujourd'hui Mauritanie, qui s'étend depuis le détroit de Cadix jusqu'à la ville de Césarée, et de la plus grande partie du reste de l'Afrique.

CHAPITRE XI.

XI. 1. Lettre de Salomon aux Maures, avec la réponse. 2. Disposition des deux armées. 3.  harangue de Salomon. 4. Harangue des commandants des Maures. 5. Victoire des Romains.

1. Quand Salomon eut appris le massacre d'Aigan et de Rufin, il se prépara pour la guerre, et écrivit en ces termes aux chefs des Maures:

« Le monde a toujours vu assez d'insensés, qui ont couru à leur perte, sans qu'il leur ait été possible de prévoir l'issue de leurs folles entreprises. Mais vous qui avez devant les yeux l'exemple de vos voisins les Vandales, qui avez été avertis par leur chute, quelle démence vous pousse à sacrifier votre vie, et à prendre les armes contre un si puissant empereur ? Oubliez-vous les serments solennels signés de votre main, et vos enfants livrés en otage ? Voulez-vous donc faire connaître à toute la terre que vous n'avez ni Dieu, ni foi, ni soin de vos proches et de vous-mêmes ? Si-vous traitez Dieu de cette manière, quel sera votre appui dans la guerre contre l'empereur des Romains ? Si vous ne la savez commencer sans perdre vos enfants, quel est donc le puissant motif qui vous fait affronter les périls ? Réfléchissez; et si vous avez quelque repentir de vos torts, témoignez-le-moi par une lettre. Si vous ne mettez un terme à vos coupables fureurs, attendez-vous à nous voir marcher contre vous, armés des serments que vous avez viol, et des supplices que vous avez imposés à vos otages.» Telle fut la lettre de Salomon; voici la réponse des Maures: «Bélisaire nous a engagés par de magnifiques promesses à reconnaître l'autorité de l'empereur Justinien; mais les Romains, sans nous faire aucun bien, en nous apportant même la famine, veulent nous avoir pour amis et pour alliés. N'est-il pas clair que c'est vous et non les Maures qu'on doit taxer de perfidie ? Les infracteurs des traités sont ceux qui violent leurs promesses, et non ceux qui rompent une alliance pour des injustices palpables. Ils n'encourent pas la haine de Dieu, ceux qui attaquent les ravisseurs pour reprendre leurs propres biens, mais ceux qui commencent la guerre et qui volent le bien d'autrui. C'est à vous qui ne pouvez avoir qu'une femme, à être touchés du soin de vos enfants; mais nous qui pouvons en avoir cinquante, nous n'appréhendons pas de manquer de postérité.»

2. Quand Salomon eut lu cette réponse, il résolut de s'avancer contre les Maures; et, après avoir pourvu à la sûreté de Carthage, il marcha avec toutes ses troupes vers la Byzacène. Lorsqu'il fut arrivé dans la plaine de Mamma, où s'étaient campés les quatre chefs des Maures dont j'ai parlé plus haut, il s'y retrancha.

Là s'élèvent de hautes montagnes; à leur pied s'étend une plaine où les barbares, se préparant au combat, disposèrent ainsi leur ordre de bataille. Le front était formé de douze rangs de chameaux, disposés en cercle, à peu près de la même manière que Gabaon les avait employés, comme nous l'avons vu dans le livre précédent. La coutume de ces barbares est d'admettre parmi les combattants et de mêler dans les rangs quelques enfants et quelques femmes; la majeure partie des femmes était placée au centre du cercle. Ce sont les femmes qui construisent les huttes et les retranchements, qui soignent habilement les chevaux, qui nourrissent les chameaux, qui aiguisent les armes, et qui soulagent leurs maris d'une grande part des travaux de la guerre. Les fantassins étaient debout, entre les jambes des chameaux, armés de boucliers et d'épées, et pourvus de javelots qu'ils lançaient avec adresse. La cavalerie, peu nombreuse, se tenait sur le penchant des montagnes. Salomon n'opposa aucune portion de ses forces à la partie de la phalange orbiculaire des Maures qui regardait la montagne. Il craignait que le corps d'armée qu'il aurait chargé de cette attaque, placé entre les cavaliers maures qui descendraient des hauteurs, et les fantassins qui, pour envelopper l'ennemi, changeraient leur ligne circulaire, ne succombât sous les traits dont on l'aurait ainsi accablé de deux côtés à la fois. Il opposa donc toute son armée au demi-cercle des troupes ennemies qui regardait la plaine; et, voyant que le souvenir de la défaite d'Aigan et de Rufin inspirait à beaucoup de ses soldats un sentiment de frayeur et de défiance, il leur parla en ces termes pour relever leur courage :

[il les rassura et releva leur courage par ses exhortations.[52]

Les chefs des Maures, de leur côté, encouragèrent leurs soldats, que la belle disposition des troupes romaines avait un peu épouvantés.]

Mes Compagnons, qui avez eu l'honneur de combattre sous les auspices de Bélisaire, ne redoutez pas les ennemis, et ne vous figurez pas que l'avantage que cinq mille Maures ont remporté sur cinq cents Romains, soit un exemple qui doive servir de règle à  tous les combats. Souvenez-vous de votre valeur, et faites réflexion que les Vandales ont vaincu les Maures , et que vous avez vaincu les Vandales. Quelle apparence de craindre de faibles ennemis, après avoir défait de vaillants hommes ? Tout le monde demeure d'accord que les Maures sont les plus méprisables de tous les soldats.  Ils sont presque nus. Ils n'ont point de boucliers, ou ils n'en ont que de fort courts, et qui ne sont pas à l'épreuve du trait.  Ils n'ont que deux dards. Si en les jetant ils manquent leur coup, il faut qu'ils prennent aussitôt la fuite.  Ainsi, il ne faut qu'éluder leur premier effort, pour être assurés de la victoire. Vous voyez assez quel avantage vos armes vous donnent sur eux. De plus , la force du corps et de l'esprit, la longue expérience dans les armes , le souvenir des heureux succès de tant d'expéditions militaires, doivent augmenter votre confiance. Les Maures,  qui n'ont aucun de ces avantages, ne peuvent se fier qu'en leur nombre. Un petit nombre de vaillants hommes défont aisément une grande multitude de lâches. Un bon soldat met sa principale espérance dans son courage. Celui qui ne met  la sienne que dans le nombre de ses compagnons, se trompe le plus souvent. Il faut vous moquer de ces chameaux., qui ne sauraient couvrir l'ennemi, et qui, quand ils seront une fois effarouchés, ne feront que l'embarrasser. L'ardeur même que le dernier succès de leurs armes leur inspire, ne nous sera pas inutile, parce que comme la hardiesse qui vient de la force peut servir, aussi celle que l'on prend au dessus de ses forces, n'est propre qu'à jeter inconsidérément dans le danger. Si vous vous souvenez de ce que je vous dis, que vous méprisiez l'ennemi, et que vous l'attaquiez sans désordre, vous gagnerez la bataille.

Voilà ce que dit Salomon.

4. Les Capitaines des Maures ayant aperçu que leurs soldats étaient étonnés du bel ordre où étaient les Romains, leur parlèrent en ces termes.

Mes Compagnons, nous avons reconnu depuis peu, que les Romains ne sont pas invulnérables, puisque nous les avons percés de nos dards , et que nous les avons faits nos esclaves. Nous avons plus de forces que nous n'en avions alors , et nous combattons pour une plus noble récompense , qui est la possession de toute l'Afrique , et notre propre liberté. Il faut donc employer en cette importante occasion , nos efforts et notre courare. Quand il s'agit de tout, , on perd tout, si l'on ne se sauve par une valeur extraordinaire. Il n'y a rien dans les ennemis qui ne soit digne de votre mépris. S'ils nous attaquent à pied , la pesanteur de leurs armes les fera surmonter par la vitesse des Maures. S'ils nous attaquent à cheval, leur cavalerie sera mise en désordre, par l'aspect et par le cri de nos chameaux. Ce serait se tromper que les croire invincibles, à cause qu'ils ont vaincu les Vandales. C'est le mérite du général qui fait le plus souvent la décision des batailles. Or la fortune a éloigné Bélisaire , à qui la gloire de la dernière victoire était due. Si ce n'est qu'elle ne nous soit encore plutôt due à nous-mêmes, parce qu'en affaiblissant les Vandales , par les fréquentes pertes que nous leur avions fait souffrir, nous les avions réduits en état d'être très aisément défaits. Ainsi il  n'y a nul doute que nous ne battions les Romains, si nous voulons nous porter en gens de coeur.

5.Les Capitaines des Maures ayant ainsi exhorté leurs soldats , commencèrent le combat, &
à.coups de dards , tuèrent un grand nombre de Romains ,

Le combat s'engage, et, dès la première charge, le désordre se met dans les escadrons des Romains. Leurs chevaux en effet, effarouchés par l'aspect et les cris des chameaux, n'avançaient qu'en regimbant, et la plupart, après avoir renversé leurs cavaliers, s'enfuyaient au hasard dans la plaine. Alors les Maures s'élancent, accourent, dardent leurs javelots, portent dans les lignes ennemies le trouble et le désordre, et percent impunément leurs adversaires désunis, et qui n'opposent aucune résistance. A cet aspect, Salomon saute le premier à bas de son cheval, et commande à tous ses cavaliers d'en faire autant. Ceux-ci ayant mis pied à terre, il ordonne à une partie d'entre eux de se tenir fermes, les rangs serrés, et d'opposer leurs boucliers aux traits de l'ennemi. Lui-même, à la tête de cinq cents soldats, il fond sur le cercle des Maures, et commande à ses guerriers de diriger surtout contre les chameaux les coups de leurs épées. Alors tous les Maures, que protégeaient ces animaux, se mirent à prendre la fuite. Salomon et sa troupe tuèrent environ deux cents chameaux, et par cette brèche les Romains pénètrent au cœur de l'armée ennemie. Ils s'élancent aussitôt vers le milieu de l'enceinte, où les femmes des Maures avaient été déposées. Les barbares, consternés, se sauvent vers les montagnes voisines, pressés par leurs ennemis, qui eu font un horrible carnage. On rapporte que dix mille Maures périrent dans ce combat. Les femmes furent prises avec leurs enfants, et réduites en esclavage; et les soldats s'emparèrent des chameaux que le fer avait épargnés. Les Romains, avec tout leur butin, retournèrent à Carthage, où leur victoire fut célébrée par des fêtes publiques.

CHAPITRE XII.

1.  Les Maures recommencent la guerre. 2. Description de la montagne de Burgaon. 3. Harangue de Salomon. 4. Grande défaite des Maures.

1. Irrités de leur défaite, les barbares rassemblent tous les hommes de leur nation en état de porter les armes, recommencent la guerre contre les Romains, et ravagent la Byzacène, massacrant tout ce qu'ils rencontrent, sans distinction de sexe ni d'âge. A peine Salomon était-il rentré à Carthage, qu'il reçut la nouvelle qu'une grande armée de Maures avait envahi la Byzacène et dévastait toute la contrée. Il part aussitôt avec toute son armée, et se hâte d'aller à leur rencontre.

2. Arrivé au pied du mont Burgaon, où les ennemis s'étaient retranchés, il s'y arrêta quelques jours, eu face de leur camp, prêt à les combattre s'ils descendaient dans la plaine. Ceux-ci restaient toujours sur leur montagne. Alors Salomon rangea lui-même son armée en bataille. Mais les Maures s'obstinaient à ne point hasarder un combat dans la plaine, et, saisis d'une terreur profonde, ils ne se sentaient rassurés que par l'avantage de leur position. Le mont Burgaon est presque partout escarpé; du côté de l'orient, il est inaccessible; du côté opposé, il s'abaisse en pente douce et présente un accès facile. Il est couronné par deux pics, que sépare une gorge étroite, profonde et impraticable. Les Maures n'avaient pas placé de troupes sur la montagne; ils ne croyaient pas que l'ennemi pût les attaquer par ce point. Ils n'avaient pas non plus occupé le pied de la montagne du côté où elle offre un abord facile. Ils avaient établi leur camp a mi-côte, afin d'avoir l'avantage du terrain, si l'ennemi osait gravir la hauteur pour les attaquer. Ils tenaient à côté d'eux, sur la montagne, un grand nombre de chevaux, prêts à s'en servir soit pour fuir, soit pour poursuivre l'ennemi, s'ils remportaient la victoire.

3. Salomon, voyant que les Maures ne voulaient pas livrer bataille dans la plaine, et qu'un plus long séjour dans un pays désert ferait souffrir son armée, se hâte d'en venir aux mains avec eux sur le mont Burgaon. Il commence par raffermir le courage de ses soldats, qu'avait ébranlé le nombre extraordinaire de leurs ennemis.[53]

Il n'est pas besoin de chercher des preuves de la crainte dont les ennemis sont saisis ; elle se découvre assez d'elle-même.  Ces millions d'hommes n'oseraient en venir aux mains avec vous en rase campagne; et comme ils ne se fient pas en leur valeur, ils ont recours à la hauteur de leur montagne.  Je n'ai pas besoin de paroles pour vous rassurer ; l'état des affaires et la faiblesse des ennemis, vous doit donner assez d'assurance.  je vous prie seulement de vous souvenir, que si le succès de cette bataille nous est heureux, nous jouirons seuls des biens et des richesses de toute l'Afrique, puisque nous en aurons exterminé les Maures, comme nous avons déjà chassé les Vandales.  Au reste, j'aurai soin que les ennemis ne puissent, en aucune façon, vous endommager du haut de leur montagne.

4. Puis, au déclin du jour, il envoie Théodore, commandant des vigiles, avec mille fantassins et quelques enseignes, vers la partie du mont Burgaon qui regarde l'orient. Il lui ordonne de gravir la montagne, du côté où elle est escarpée et presque inaccessible, de s'arrêter lorsqu'ils seront parvenus près de la cime, et d'y passer la nuit; de se montrer au point du jour, de déployer leurs enseignes, et de profiter de leur position élevée pour accabler l'ennemi de leurs traits. Ces ordres furent exécutés. Pendant une nuit obscure, ce détachement gravit les rochers, et atteignit l'une des cimes à l'insu des Maures et même de tous les Romains; car il était parti en apparence pour battre la campagne et garder les avenues du camp. Au premier point du jour, Salomon, avec toutes ses troupes, marche à l'ennemi par la pente occidentale du mont Burgaon. Lorsque le jour permit aux deux armées de se reconnaître, et que la lumière augmentant insensiblement eut éclairé le sommet de la montagne, non plus désert comme auparavant, mais couvert de guerriers déployant les enseignes romaines, tous les esprits de part et d'autre restèrent en suspens. Enfin, quand le détachement qui occupait l'éminence eut commencé le combat, alors les Romains reconnurent que c'étaient leurs compagnons d'armes; et les barbares, qu'ils étaient enveloppés par leurs ennemis. Bientôt, attaqués de deux côtés à la fois et désespérant de se défendre, les Maures ne songent plus à résister, et cherchent leur salut dans la fuite. Ils ne pouvaient ni se réfugier sur la cime du Burgaon, déjà occupée par l'ennemi, ni se sauver dans la plaine, dont la route leur était fermée par l'armée de Salomon. Ils gagnèrent donc en désordre, les uns à pied, les autres à cheval, cette gorge impraticable qui coupe en deux le mont Burgaon, dans l'espoir d'atteindre le pic opposé à celui dont s'était emparé Théodore. Au milieu du tumulte de cette foule pressée, dont une aveugle terreur précipitait la fuite, les uns se perçaient mutuellement de leurs armes, les autres tombaient dans l'abîme ouvert à leurs pieds, et y périssaient, sans que ceux qui les suivaient s'aperçussent de leur mort. Enfin lorsque les corps amoncelés des hommes et des chevaux ayant comblé la gorge, eurent aplani le passage d'un pic à l'autre du Burgaon, les Maures qui restèrent se sauvèrent en marchant sur les cadavres de leurs frères. Dans cet horrible désastre, si on en croit ceux qui en sont réchappés, il périt cinquante mille Maures et pas un seul Romain. Aucun même des soldats de Salomon ne reçut une blessure ni par accident, ni par les armes de l'ennemi; et cette grande victoire ne leur coûta pas une goutte de sang. Les chefs des barbares parvinrent à s'évader, excepté Esdilasas, qui, sur la promesse qu'on lui fit de lui laisser la vie, se rendit aux Romains. Ceux-ci prirent une si grande multitude de femmes et d'enfants, qu'ils vendaient un enfant maure au même prix qu'une brebis. Alors seulement ceux qui avaient échappé au carnage comprirent cette prédiction des femmes maures, qui avaient annoncé qu'un général sans barbe, causerait la ruine de leur nation.[54] L'armée romaine, avec Esdilasas et tout le butin qu'elle avait fait, reprit le chemin de Carthage. Le reste des Maures, ne trouvant plus assez de sûreté dans la Byzacène, où leur petit nombre courait le risque d'être écrasé par les Libyens du voisinage, se retirèrent avec leurs chefs en Numidie, et implorèrent la protection d'Iadas, que les Maures du mont Aurès reconnaissaient pour leur souverain. Il ne resta en Byzacène que les Maures sujets d'Antalas, qui, étant demeurés fidèles aux traités conclus avec les Romains, n'avaient eu aucun dommage à souffrir dans cette guerre.

CHAPITRE XIII.

1. Combat singulier entre Altias et Jabdas. 2. Description du mont Aurase. 3.  Efforts inutiles de Salomon contre les Maures. 4. Préparatifs pour une nouvelle expédition.

1. Pendant que ces événements se passaient dans la Byzacène, Iabdas, prince des Maures du mont Aurès, suivi de trente mille combattants, ravageait la Numidie et emmenait prisonniers un grand nombre d'habitants du pays. Althias, placé dans la ville de Centuria, était chargé de la garde des forts de ce canton. Il désirait vivement reprendre à l'ennemi quelques prisonniers, et fit sortir de la place les Massagètes qu'il commandait, et qui n'étaient qu'au nombre de soixante-dix. Réfléchissant ensuite qu'il ne pouvait, avec soixante-dix hommes, attaquer une nombreuse armée de Maures, il songeait à s'emparer de quelque défilé au passage duquel il pût surprendre les barbares et leur enlever leur butin. Mais comme ces plaines, rases et d'une vaste étendue, ne lui offraient point de lieu propre à une embuscade, il imagina cet expédient: Tigisis, ville située dans le voisinage, et qui était alors entourée de fortes murailles, possédait dans une gorge étroite une source abondante. Althias résolut de s'emparer de cette fontaine, persuadé que la soif y amènerait les Maures, qui du reste n'auraient pu trouver une goutte d'eau dans le voisinage. Il n'y a personne qui, en considérant l'inégalité ses forces des Huns et des Maures, ne juge l'entreprise d'Althias comme un acte de démence. Cependant les Maures, dévorés par la soif ardente que produit la fatigue et la chaleur, car on était alors au fort de l'été, accourent sans défiance vers la fontaine. Lorsqu'ils la virent occupée par l'ennemi, ils s'arrêtèrent tous, ne sachant quel parti prendre, et sentirent défaillir le peu de forces que la soif leur avait laissées. Iabdas, s'étant approché du capitaine romain, lui offrit le tiers de son butin, s'il voulait permettre à tous les Maures de se désaltérer. Althias rejeta cette offre, et proposa au roi maure de trancher leur différend par un combat singulier. Iabdas avant accepté le défi, il fut convenu que si Althias était vaincu, les Maures auraient le libre usage de la source. L'espérance et la joie se répandirent alors dans l'armée africaine, qui comptait sur une victoire assurée parce qu'Althias était petit et grêle, tandis qu'Iabdas était le plus grand et le plus robuste des guerriers de sa nation. Ils s'avancèrent donc à cheval l'un contre l'autre. Iabdas lance le premier son javelot. Althias, par un rapide mouvement de la Main droite, saisit le trait au vol avant d'en être atteint, et par cette preuve d'adresse frappe d'étonnement Iabdas et les Maures; ensuite, ayant tendu son arc de la main gauche, dont il se servait aussi habilement que de la droite, il abat d'un coup de flèche le cheval de son adversaire. Les Maures amènent un nouveau cheval à leur roi, qui le monte précipitamment et prend la fuite, suivi de toute son armée en désordre. Althias se rendit maître des prisonniers et du butin, et cet exploit mémorable lui acquit dans toute l'Afrique une brillante réputation.

2. Salomon, après avoir séjourné quelque temps à Carthage, conduisit ses troupes vers le mont Aurès, accusant Iabdas, et non sans raison, d'avoir profité des embarras de l'armée romaine dans la Byzacène pour ravager une partie de la Numidie. Il était encore excité à cette guerre par deux princes maures, Massonas et Orthaïas, qui avaient contre Iabdas de graves motifs d'inimitié. Massonas l'accusait de la mort de son père Méphanias, qu'Iabdas avait fait périr par trahison, quoiqu'il eût épousé l'une de ses filles. Orthaïas avait pour grief la ligue formée entre Iabdas et Massonas, roi des barbares de la Mauritanie, pour l'expulser, lui et ses Maures, de la contrée qu'il avait de tout temps possédée. L'armée romaine, commandée par Salomon et guidée par les Maures alliés, alla camper sur les bords de l'Amigas, qui coule en avant du mont Auras et arrose toute la contrée. Iabdas, persuadé qu'il ne serait pas en état de résister aux Romains dans la plaine, s'occupa à fortifier de toutes parts le mont Aurès, et à le rendre de plus en plus impraticable à l'ennemi. Cette montagne, la plus grande que nous connaissions, est située à treize journées de Carthage. Son circuit est de trois fortes journées de marche. On ne peut la gravir que par des sentiers escarpés et des solitudes sauvages; mais, parvenu au sommet, on trouve un plateau immense, arrosé par des sources jaillissantes qui donnent naissance à des rivières, et, couvert d'une prodigieuse quantité de vergers. Les grains et les fruits y ont une grosseur double de celle qu'ils atteignent dans le reste de l'Afrique. Les habitants ne se sont point occupés d'y bâtir des forteresses, le lieu se défendant assez de lui-même; et, depuis que les Maures avaient chassé les Vandales du mont Aurès, ils croyaient n'avoir plus rien à craindre. Ils avaient même détruit Tamugadis, ville grande et peuplée adossée au flanc oriental de la montagne, et dominant de l'autre côté toute la plaine; ils en avaient transporté ailleurs les habitants, et en avaient rasé les murs jusqu'au sol, pour que les ennemis ne pussent s'y retrancher, ni s'en servir comme de place d'armes dans leurs attaques contre l'Auras. Les mêmes Maures s'étaient aussi rendus maîtres de la grande et fertile contrée qui s'étend à l'occident de l'Auras et touche à la région habitée par les Maures sujets d'Orthaïas, prince qui, ainsi que je l'ai dit, avait fait alliance avec les Romains. Il m'a raconté lui-même qu'à la frontière de ses États commence un vaste désert, au delà duquel habite une race d'hommes qui ne sont pas basanés comme les Maures, mais qui ont la peau blanche et la chevelure blonde.

3. Salomon ayant distribué de grandes sommes d'argent aux Maures ses alliés, et les ayant exhortés à bien faire leur devoir, commence à gravir le mont Aurès avec toutes ses troupes rangées en ordre de bataille, persuada qu'il en viendrait ce jour-là aux mains avec l'ennemi, et résolu de s'en remettre à la décision de la fortune. C'est par cette raison que les soldats ne s'étaient pas suffisamment pourvus de vivres pour eux et leurs chevaux. Ils s'arrêtèrent pour se reposer la nuit, après avoir fait, à travers des pentes escarpées, une marche d'environ cinquante stades. Ils firent le même chemin pendant les six jours suivants. Enfin le septième jour, ils arrivèrent dans un lieu que les Romains, dans leur langue, appellent mons Aspidis. Là, s'élève une vieille forteresse, baignée par une rivière qui ne tarit jamais, et l'on disait que l'ennemi avait pris position dans le voisinage. Les Romains ayant atteint cette montagne sans que personne s'opposât à leur passage, y établirent leur camp, et attendirent pendant trois jours, prêts à combattre l'ennemi, qui s'était éloigné avant leur arrivée. Alors, comme il ne reparaissait plus et que les vivres commentaient à manquer, Salomon et ses soldats conçurent des soupçons sur la fidélité des Maures leurs alliés. Ceux-ci s'étaient chargés du soin de guider la marche de l'armée romaine sur le mont Aurès. Mais quoiqu'ils fussent vraisemblablement instruis des mouvements de l'ennemi, puisqu'ils avaient, disait-on, avec lui des conférence, secrètes et journalières, quoique très souvent ils eussent été envoyés en avant pour explorer le pays, jamais ils n'avaient donné de renseignements vrais, de peur que les Romains, bien informés des difficultés qu'ils auraient à vaincre, ne fissent de plus grandes provisions de vivres, et ne se déterminassent à tenter l'ascension de l'Aurès qu'après avoir fait tous les préparatifs nécessaires. Ces soupçons de la trahison de ses alliés jetaient la crainte dans l'armée, qui se rappelait que les, Maures étaient naturellement perfides, surtout lorsqu'ils servaient les Romains ou quelques autres peuples, contre les hommes de leur nation. Salomon, ayant pesé ces difficultés et d'ailleurs manquant de vivres, renonce à l'entreprise, opère sa retraite et ramène son armée dans la plaine, où il construit un camp retranché.

4. Comme l'hiver approchait, il laissa en Numidie une partie de ses troupes pour défendre la province, et ramena le reste à Carthage. Là, il fit tous les préparatifs nécessaires pour entreprendre, au retour du printemps, une nouvelle expédition dans le mont Aurès, mais avec de plus grands moyens et, si c'était possible, sans la coopération des Maures alliés. Il envoya en même temps d'autres capitaines, des troupes et des vaisseaux, contre les Maures qui occupaient la Sardaigne. Cette île est vaste et surtout opulente. Elle égale en étendue les deux tiers de la Sicile, car un marcheur agile n'en peut fait le tour eu moins de vingt journées. Placée entre Rome et Carthage, elle est ravagée par les déprédations des Maures qui l'habitent. Irrités autrefois contre ces barbares, les Vandales en avaient relégué en Sardaigne un petit nombre avec leurs femmes, et les y avaient emprisonnés. Avec le temps, ils s'échappèrent, se cantonnèrent dans les montagnes voisines de Calaris, et commencèrent par faire secrètement des incursions sur les pays d'alentour. Lorsqu'ils se furent accrus jusqu'au nombre de trois mille, ils renoncèrent à leur retraite, et se mirent à piller ouvertement les campagnes. Les indigènes leur donnaient le nom de Barbaricins. Ce fut contre eux que Salomon envoya cet hiver une flotte.

CHAPITRE XIV.

1.  Bélisaire prend la Sicile. 2. Le soleil paraît comme éclipsé  pendant un an. 3. Sédition furieuse des gens de guerre en Afrique.

1. BELISAIRE fut envoyé dans le même tems par Justinien contre Théodat, et contre les Goths, sur qui il reprit assez aisément la Sicile. J'en remarquerai les circonstances particulières dans les livres suivants, lorsque l'ordre du temps m'aura conduit aux affaires d'Italie, mais j'achèverai de raconter ici celles d'Afrique. Bélisaire passa l'hiver à Syracuse, et Salomon à Carthage.

2.  On remarqua cette année un prodige extraordinaire. Le soleil parut sans rayons, de même que la  lune, et il ne jeta qu'une lumière languissante comme s'il eût été en défaillance. Les Romains ont toujours été affligés depuis , par la guerre, par la famine  et par les calamités les plus funestes. Cela arriva dans la dixième année du règne de Justinien.

3. Au commencement du printemps, pendant que les chrétiens célébraient la fête de Pâques, il éclata dans l'armée d'Afrique une sédition dont je vais rapporter l'origine et l'issue. Après la défaite des Vandales que j'ai rapportée plus haut, leurs veuves et leurs filles épousèrent des soldats romains. Chacune d'elles excitait son mari à ressaisir les terres qu'elles avaient autrefois possédées. N'était-il pas souverainement injuste, disaient-elles, que ces biens dont elles avaient joui lorsqu'elles étaient les femmes des Vandales, elles en fussent dépouillées aujourd'hui qu'elles avaient épousé les vainqueurs ? Gagnés par ces insinuations, ils résolurent de s'opposer au projet de Salomon, qui voulait réunir, soit au domaine public, soit au domaine de l'empereur, les propriétés prises sur les Vandales. Salomon s'efforça vainement de leur faire entendre que les soldats n'avaient droit qu'au partage du butin, de l'argent et des prisonniers; que les biens immeubles appartenaient à l'empereur et à l'État; que, nourris et entretenus par le prince, leur devoir était, non d'envahir au préjudice de l'empire les propriétés conquises sur les barbares, mais d'en assurer la possession au trésor public, d'où l'armée tout entière tirait sa subsistance. Ce fut l'une des causes de la sédition. A celle-ci s'enjoignit une autre qui jeta le trouble dans toute l'Afrique. Il y avait dans l'armée romaine environ mille soldats ariens, presque tous étrangers, parmi lesquels on comptait quelques Érules. Ils étaient surtout excités à la rébellion par les prêtres vandales, irrités de se voir privés de leurs fonctions sacerdotales, et même du libre exercice de leur religion. Il est vrai que Justinien avait interdit l'usage du baptême et des autres mystères à tous les chrétiens qui n'étaient pas dans des sentiments orthodoxes. Leur rage redoubla au retour de la fête de Pâques, où il leur fut défendu de porter leurs enfants sur les fonts sacrés, et de célébrer aucune des solennités de ce grand jour. Il arriva en outre un incident favorable aux desseins de ceux qui machinaient la sédition. L'empereur avait formé, avec les Vandales que Bélisaire avait transportés à Constantinople, cinq régiments de cavalerie qui devaient tenir garnison dans les villes de l'Orient. Il leur avait donné le nom de Vandales Justiniens, et les avait envoyés par mer à leur destination. La plupart arrivèrent dans les corps qu'ils étaient destinés à compléter, et font encore maintenant la guerre contre les Perses. Les autres, au nombre d'environ quatre cents, parvenus à Lesbos, changèrent, malgré la résistance de l'équipage, la direction des navires qui les portaient, touchèrent la côte du Péloponnèse, et allèrent ensuite prendre terre sur la partie déserte du rivage d'Afrique. Là, ayant abandonné leurs vaisseaux et s'étant chargés du bagage, ils se retirèrent sur le mont Aurès et dans la Mauritanie. Toutes ces causes agirent puissamment sur l'esprit des soldats, déjà disposés à la révolte. Ils se rassemblaient fréquemment, s'excitaient les uns les autres, se liaient par des serments réciproques. Les ariens de leur côté, à mesure que la fête de Pâques approchait, pressaient d'autant plus vivement l'explosion du complot, qu'ils sentaient davantage la sévérité de l'interdit qui pesait sur eux.

Les chefs de la conspiration résolurent donc d'assassiner Salomon dans l'église le premier jour de la fête, qu'on nomme le Grand Jour. Cette résolution ne transpira point au dehors. Le nombre des conspirateurs était, il est vrai, considérable; mais ils ne parlaient de leurs projets que devant les personnes qui en avaient accepté la complicité. Quant à Salomon, il lui était d'autant plus difficile de pénétrer ce complot, que la plupart de ses officiers, de ses gardes et de ses domestiques s'y étaient engagés, dans l'espoir d'obtenir la propriété des terres dont ils n'avaient que la jouissance. Déjà le jour convenu était arrivé, et Salomon, agenouillé dans l'église, était loin de se douter du danger qui le menaçait, lorsque les conjurés entrèrent dans le temple, s'exhortèrent mutuellement du regard, et portèrent la main à leurs épées. Mais ils furent arrêtés dans l'exécution de leur crime, soit par la sainteté du lieu et la solennité des cérémonies, soit par un retour du respect qu'ils avaient jusque-là porté à leur illustre général; soit enfin par une secrète influence de la puissance divine. L'office terminé, les conjurés rentrèrent dans leurs maisons, se reprochèrent mutuellement leur faiblesse, et remirent l'exécution au lendemain. Ce jour-là, ils furent assaillis des mêmes impressions que la veille, et sortirent une seconde fois de l'église sans avoir rien fait. Arrivés sur la place publique, ils s'injurient publiquement les uns les autres, et se reprochent mutuellement leur lâcheté, leur perfidie, leur servile condescendance envers Salomon. La conspiration ayant été ainsi divulguée, plusieurs des conjurés, ne se jugeant plus en sûreté dans Carthage, sortirent précipitamment de la ville, et se mirent bientôt à piller les bourgs et à traiter en ennemis les habitants de la campagne. Ceux qui étaient restés dans la ville ne donnaient aucun signe de leur participation au complot, et feignaient sur ce point une complète ignorance.

Instruit et vivement alarmé des désordres que commettait dans la campagne une partie de ses soldats, Salomon ne cessait d'exhorter ceux qui étaient dans Carthage à garder la soumission et la fidélité qu'ils devaient à l'empereur. Ils semblèrent d'abord l'écouter avec faveur. Mais, au bout de cinq jours, lorsqu'ils virent que leurs compagnons, qui s'étaient jetés dans la campagne, s'y livraient impunément à toute leur violence, ils se rassemblèrent dans le cirque, et, abjurant toute retenue, ils se répandirent en propos insultants contre leur général et leurs autres capitaines. Salomon leur envoya Théodore de Cappadoce, qui essaya vainement de les adoucir par de flatteuses paroles; ils ne lui prêtèrent aucune attention. Cependant il s'était élevé quelques différends entre Salomon et Théodore, qui était même soupçonné d'avoir conspiré contre son général. Les factieux, qui ne l'ignoraient point, choisissent Théodore pour leur chef, le proclament à grands cris, lui forment une garde, et se précipitent en tumulte vers le palais. Ils égorgent, en y entrant, un autre Théodore, capitaine des gardes, guerrier aussi distingué par sa valeur que par ses talents militaires. Enivrés par ce premier meurtre, ils ne connaissent plus de frein. Africains et Romains prodiguent inutilement l'or pour conserver leur vie; ils tombent indistinctement sous le fer implacable des factieux; le titre d'ami de Salomon est à lui seul un arrêt de mort, ils s'abandonnent ensuite au pillage, pénètrent dans les maisons, en enlèvent les objets les plus précieux, et ne s'arrêtent dans leurs déprédations que lorsque la nuit et l'ivresse viennent les contraindre au repos. Cependant Salomon se tenait caché dans la grande église du palais, où Martin vint le trouver vers la fin du jour. Ils en sortirent lorsque les révoltés furent ensevelis dans le sommeil, et se rendirent dans la maison de Théodore de Cappadoce. Celui-ci, les ayant forcés à prendre quelque nourriture, les accompagna jusqu'au port, où il les fit embarquer sur la chaloupe d'un grand vaisseau qui avait été préparée pour Martin. Procope, l'auteur de cette histoire, se joignit à eux avec cinq seulement des domestiques de Salomon. Après avoir parcouru trois cents stades, ils arrivèrent à Messua, où était l'arsenal de la marine carthaginoise. Une fois en sûreté, Salomon envoie Martin à Valérien et aux autres officiers qui commandaient en Numidie; il leur recommande de faire tous leurs efforts pour se concilier l'affection du soldat, et d'employer l'argent et tous les moyens qui seront en leur pouvoir pour le maintenir deus la fidélité. Il écrit aussi à Théodore, lui ordonne de veiller à la sûreté de Carthage, et de prendre les mesures qu'il jugera les plus propres à y rétablir l'ordre et la subordination. Ensuite il se rend lui-même à Syracuse avec Procope, expose à Bélisaire l'état des affaires d'Afrique, et le supplie instamment de se transporter au plus tôt à Carthage, afin d'y venger l'autorité impériale, outrageusement méconnue par les soldats.

CHAPITRE XV.

1. Siège de Carthage. 2. Fuite des séditieux. 3.  Harangue de Bélisaire. 4.  Harangue de Stoza. 5. Bélisaire donne la chasse aux Barbares et retourne en Sicile. 6. Stoza corrompt les soldats et trompe les chefs.

1. Les séditieux, après avoir pillé Carthage, se rassemblent dans la plaine de Bulla, y choisissent pour les commander Stozas, l'un des gardes de Martin, homme entreprenant et hardi, persuadés qu'ils étaient qu'après s'être débarrassés des généraux nommés par l'empereur, ils s'empareraient aisément de l'Afrique tout entière. Stozas ayant réuni et armé environ huit mille soldats, marcha vers Carthage avec autant d'assurance que si la prise de cette capitale n'avait dû lui coûter aucun effort. Il envoya aussi des émissaires chez les Vandales, et appela sous ses drapeaux non-seulement ceux qui s'étaient échappés par mer de Constantinople, mais encore ceux qui, s'étant cachés ou ayant été oubliés par les officiers chargés de la conduite des prisonniers, n'avaient pas quitté l'Afrique à la suite de Bélisaire. Tous ces Vandales, au nombre de mille au moins, se rendirent avec empressement au camp de Stozas, où accoururent en même temps un grand nombre d'esclaves. Aussitôt que l'armée fut en vue de la ville, Stozas la fit sommer de se rendre, si elle voulait éviter les violences et le pillage. Théodore et ceux qui occupaient Carthage avec lui, sans tenir compte de cette sommation, déclarèrent qu'ils tenaient la ville au nom de l'empereur, et enjoignirent à Stozas de s'abstenir de toute violence ultérieure. Ils chargèrent de ce message Joséphius, autrefois secrétaire des gardes du palais, attaché maintenant à la maison de Bélisaire, et qui venait d'arriver à Carthage pour une commission particulière. Irrité de la réponse de Théodore, Stozas fit tuer Joséphius, et commença le siège. Les habitants, effrayés du danger qui les menaçait, songeaient à capituler et à se sauver eux et leur ville, en se livrant aux mains de Stozas. Tel était l'état des affaires en Afrique.

2. Cependant Bélisaire, avec un seul vaisseau, n'amenant avec lui que Salomon et cent hommes choisis dans sa garde, aborda au port de Carthage à l'entrée de la nuit. C'était le lendemain que la ville devait ouvrir ses portes; et les assiégeants, qui attendaient ce moment avec une vive impatience, passèrent la nuit éveillés par cette brillante perspective. Mais sitôt qu'il fit jour, la seule annonce de la présence de Bélisaire jeta le trouble et le désordre parmi les factieux, qui décampèrent en toute hâte et prirent honteusement la fuite. Bélisaire réunit à peine deux mille soldats, dont il sut animer le zèle par ses exhortations et par ras libéralités; il se mit à la poursuite des rebelles, et les atteignit près de la ville de Membresa, à trois cent cinquante stades de Carthage. Les deux corps d'armée campèrent en cet endroit, et se préparèrent au combat. Bélisaire se retrancha sur le bord du fleuve Bagrada, Stozas sur une colline élevée et d'un accès difficile; aucun d'eux n'ayant voulu s'enfermer dans la ville, qui était dépourvue de remparts. Le lendemain, on se rangea en bataille de part et d'autre. Les factieux se fiaient à la supériorité de leur nombre; les soldats de Bélisaire n'avaient que du mépris pour une troupe sans chef, sans ordre et sans discipline.

Bélisaire, qui voulait imprimer encore plus profondément, sil était possible, ce mépris et cette fierté dans l'esprit de ses soldats les assembla, et leur dit.

3. Mes compagnons, l'état présent de nos affaires ne répond pas à nos espérances et à nos désirs. Nous allons donner une bataille, dont le succès le plus heureux ne nous peut être que triste, puisque ceux qui nous font la guerre sont nos parents et nos alliés. Il est vrai que nous avons la consolation de n'être pas les auteurs de ce désordre; car nous ne faisons que repousser la violence , qui nous est faite. Si celui qui tend un piège à ses proches, et qui rompt par sa perfidie les liens les plus sacrés , vient a périr , lors qu'il pensait exécuter ses entreprises criminelles , on ne doit pas imputer sa mort aux personnes amies qu'il a outragées ; mais elle doit être considérée comme une peine qui lui était justement due. L'Afrique mise à feu et à sang ; les habitants passés au fil de l'épée; les soldats massacrés , à cause de la fidélité qui les attachait aux intérêts de l'Empereur, ne font que trop voir que ceux contre qui nous prenons les armes, sont des ennemis et des Barbares. Nous allons pour venger tous ces outrages, maintenant que d'amis que nous étions, nous sommes devenus ennemis. Ce n'est pas la Nature qui met l'affection ou la haine parmi les hommes , ce sont leurs actions , qui forment entre eux , ou la bienveillance, par la conformité des inclinations, ou l'aversion, par la diversité des sentiments. Il est  donc assez évident qu'ils sont nos ennemis, et il ne me reste qu'à vous faire voir, que nous ne les devons pas redouter. Ce n'est qu'une multitude de gens ramassés ensemble , par le dessein d'une conspiration criminelle, qui ne sera capable d'aucune action générale, puisqu'il est certain que le crime n'a pas accoutumé d'être soutenus par la valeur. Ils  ne savent ni garder leurs rangs, ni obéir aux ordres d'un commandant. Une puissance mal établie, et qui ne se fait pas encore faire respecter, est méprisée par ses sujets. La tyrannie ne gouverne pas ses soldats par amour , parce quelle est odieuse : Elle ne les gouverne pas aussi par la crainte qu'elle leur donne, parce que celle qu'elle ressent elle-même , lui en ôte la liberté.  Il est bien aisé de vaincre ceux, à qui la valeur et la discipline manquent également. Marchez donc fièrement contre des ennemis, tels que je viens de vous les représenter; et vous souvenez que ce n'est pas le nombre des combattant, mais le courage, qui décide les batailles.

Voilà ce que dit Bélisaire.  Stoza harangua aussi les gens de cette sorte.

4. Mes compagnons , qui avez eu le courage de vous délivrer de la tyrannie des Romains ; je vous prie de ne point feindre de vous exposer à la mort, pour conserver la liberté que vous avez acquise par votre valeur. Il est moins fâcheux de vieillir, et de mourir dans la misère, que d'y retomber, après que l'on en est une fois sorti ; parce qu'une si courte jouissance que l'on a du bien , dans un entre-temps de prospérité, ne sert qu'à rendre les maux plus sensibles. Cela étant ainsi, souvenez-vous, je vous prie , qu'après que vous avez défait les Vandales et les Maures, d'autres prennent le butin, et ne vous laissent que les fatigues en partage. Votre condition de soldats vous oblige a passer toute vôtre vie dans les hasards ou pour l'Empereur , si vous continuez à le servir, ou pour vous-mêmes , si vous maintenez vôtre liberté. Le choix, dépend de vous, et vous ferez, voir , ou par votre vigueur , ou par vôtre lâcheté , lequel vous aurez choisi. faites aussi réflexion, que si après avoir pris les armes contre les Romains , vous tombez sous leur puissance , vous trouverez en leurs personnes des maîtres impitoyables , qui vous feront toutes sortes de maux, et que pour comble de malheurs, l'on croira que vous les aurez mérités. Si vous mourez dans la bataille, la mort vous sera glorieuse. Si vous échappez, et que vous remportiez la victoire , vous mènerez une vie heureuse, et indépendante : Mais si vous êtes vaincus , votre sort sera déplorable, et il ne vous restera d'espérance, qu'en la compassion du vainqueur. Au reste, les forces ne sont pas égales: Nous avons l'avantage du nombre, et je pense que les ennemis n'auront pas celui de la vigueur , parce qu'ils font privés de la liberté, dont nous jouissons.

Stoza n'en dit pas davantage.

5. Tout à coup, lorsque les deux armées s'avancèrent l'une contre l'autre pour en venir aux mains, il s'éleva un vent violent et très incommode qui frappait au visage les factieux de Stozas. Celui-ci, persuadé qu'il combattrait avec désavantage parce que le vent redoublerait la force des traits de l'ennemi et arrêterait ceux de ses soldats, fit un mouvement oblique, espérant que les Romains, dans la crainte d'être attaqués par derrière, feraient un mouvement analogue, et se trouveraient ainsi à leur tour directement exposés au souffle du vent. Comme cette évolution ne se faisait pas sans trouble et sans désordre, Bélisaire profita du moment, et les fit charger avec vigueur. Étourdis de cette brusque attaque, sans résister, sans se rallier, ils s'enfuient de toutes leurs forces jusqu'en Numidie, où, s'étant enfin réunis, ils reconnurent qu'ils n'avaient perdu que peu de soldats, dont la plupart étaient des Vandales. Bélisaire ayant si peu de troupes, ne jugea pas à propos de poursuivre les rebelles; il se contenta de les avoir vaincus et de les avoir chassés du pays. Ses soldats, avec sa permission, entrèrent dans le camp ennemi, dont il leur abandonna le pillage. On n'y trouva point d'hommes, mais beaucoup d'argent, et un grand nombre de ces femmes qui avaient été la première cause de la révolte. Bélisaire, après cette expédition, retourna à Carthage. Il y reçut de Sicile la nouvelle qu'il s'était élevé une sédition dans son armée, et qu'il était à craindre qu'elle n'eût des suites funestes, si, par un prompt retour, il ne se hâtait de la réprimer. Ayant donc mis ordre de son mieux aux affaires d'Afrique, et confié la garde de Carthage à Ildiger et à Théodore, il repassa en Sicile.

Cependant les officiers romains qui stationnaient en Numidie, sitôt qu'ils apprirent que Stozas y avait ramené et rallié ses troupes, se préparèrent à la guerre. Marcellus et Cyrille commandaient les fédérés, Barbatus la cavalerie, Terentius et Sarapis l'infanterie; mais tous ces officiers étaient sous les ordres de Marcellus, qui avait le gouvernement de la Numidie. Celui-ci apprenant que Stozas était, avec peu de monde, à Gazophyla, ville située à deux journées de Constantine, y conduisit rapidement son armée, résolu à le combattre avant qu'il eût rallié sous son drapeau tous les soldats rebelles. Les deux corps étaient en présence et prêts à en venir aux mains, lorsque Stozas, s'avançant seul vers le centre de l'armée romaine:

« Camarades, s'écria-t-il, quelle aveugle fureur vous pousse à combattre des amis, des parents, que le sentiment de vos misères et des injustices dont vous êtes victimes a seul entraînés à prendre les armes contre l'empereur et contre les Romains? Avez-vous donc oublié qu'on vous refuse la solde qui vous est due depuis si longtemps, qu'on vous enlève les dépouilles de l'ennemi, récompense bien légitime que les lois de la guerre attribuent au vainqueur pour prix des dangers qu'il a courus ? D'autres s'arrogent insolemment tout l'honneur et tous les fruits de la victoire; et vous, réduits à la vile condition d'esclaves, vous vous mettez humblement à leur suite. Si vous me regardez comme votre ennemi, me voilà; exercez votre colère sur moi seul, et ne l'étendez pas sur les autres. Si vous n'avez contre moi aucun sujet de plainte, c'est le moment de joindre nos armes pour la défense de nos intérêts communs. » Les soldats romains accueillirent avec faveur le discours de Stozas, et lui témoignèrent par leurs gestes la plus vive sympathie. A cette vue, les officiers se retirent sans bruit, et se réfugient dans l'église de Gazophyla. Stozas ayant réuni les deux corps d'armée sous son commandement, les poursuit, les prend dans leur asile, et, par un parjure sacrilège, les fait tous égorger sous ses yeux.

CHAPITRE XVI.

1. Germain gagne l'affection des soldats. 2.  Stoza se prépare au combat. Harangue des Germains.

1. Instruit de ces événements, l'empereur envoie son neveu le patrice Germain, accompagné d'une faible escorte, et suivi de Symmaque et de Domnicus, tous deux sénateurs, et chargés de fonctions importantes. Le premier était intendant et trésorier de l'armée; le second, maître de l'infanterie, avait succédé dans cette charge à Jean, récemment mort de maladie. Sitôt qu'il fut arrivé à Carthage, Germain se fit donner l'état des soldats présents sous les drapeaux. En lisant les rôles où sont consignés les noms de tous les soldats, il s'aperçut qu'il en restait seulement le tiers à Carthage et dans les autres villes; que tout le reste combattait pour Stozas contre les Romains. Cet état de choses fut pour lui un motif de différer les opérations militaires, et d'employer d'abord tous ses soins à reconstruire une armée. Comme parmi les soldats qui restaient à Carthage beaucoup étaient parents ou amis des factieux, il s'attacha à les gagner par des caresses, et les assura que l'empereur l'avait envoyé en Afrique pour soulager les soldats opprimés, et pour châtier leurs oppresseurs. Les rebelles, instruits des dispositions bienveillantes du nouveau général, commencèrent à revenir peu à peu se ranger sous ses drapeaux. Germain les reçut avec bonté dans Carthage, leur promit un entier oubli du passé, et leur fit payer la solde, même pour le temps qu'ils avaient servi contre l'empire. Quand la renommée eut répandu partout le bruit d'un si généreux accueil, les soldats de Stozas désertèrent par bandes, et s'empressèrent de retourner à Carthage. Alors Germain, se voyant en état d'attaquer l'ennemi pans désavantage, commenta les préparatifs de la guerre.

2. Cependant Stozas, voyant le mal s'étendre et craignant de voir enfin son armée anéantie par la défection, résolut d'employer au plus tôt ce qui lui restait de forces, et de saisir la première occasion qui s'offrirait d'en venir aux mains. Il avait quelque espoir d'attirer à lui les soldats de la garnison de Carthage, et comptait que, s'il se rapprochait de la ville, il les déterminerait plus facilement à passer dans son parti. Ayant raffermi le courage des siens en leur faisant part de ses espérances, il marcha rapidement vers Carthage avec toutes ses forces, et campa dans un lieu voisin de la mer, à trente-cinq stades de la ville. Germain fit prendre les armes à ses soldats, et les rangea en bataille hors des murs. Il n'ignorait pas les projets de Stozas, et les insinuations que ce chef rebelle avait fait répandre dans la ville.[55] Pour en arrêter l'effet, il développa, dans un long discours, tous les motifs qui devaient porter ses soldats à la fidélité et à la reconnaissance envers l'empereur.

[ Il leur reprocha doucement aussi leurs fautes passées, et les exhorta à saisir avec empressement l'occasion qui s'offrait de les réparer. ]

Je crois que tout le monde demeurera d'accord, que vous n'avez aucun sujet de vous plaindre de l'Empereur. Il vous a tirés de la campagne, où vous n'aviez qu'un habit de toile et une besace, pour vous confier la défense de l'Empire. Vous ne lui avez rendu pour tant de bienfaits, que des injures et des outrages, dont il ne vous veut faire conserver la mémoire, que par le pardon qu'il vous en accorde. Il exige de vous qu'un  peu de honte du passé, pour effacer votre ingratitude, et pour vous remettre dans votre devoir. Le regret réconcilie les personnes offensées avec les coupables, et un service rendu à propos fait un ami d'un ennemi. Ne doutez nullement que l'Empereur n'oublie toutes vos fautes passées, si vous le servez fidèlement en cette rencontre. La plupart des actions prennent leur nom de la dernière catastrophe qui les termine. Il n'est pas possible qu'un crime qui a été une fois commis, ne l'ait pas été, mais des exploits tout-à-fait contraires le réparent, le couvrent , l'ensevelissent dans le silence , et quelquefois dans l'oubli. Si vous agissez lâchement contre cette troupe détestable, et que vous fassiez moins courageusement votre devoir, qu'en d'autres occasions, on croira que c'est que vous aurez manqué d'affection pour l'Empereur. Il n'y a point de si forte apologie, que de bien faire en cela-même, en quoi l'on avait mal fait auparavant. Voilà ce qui regarde l'Empereur; sur quoi je vous prie de faire une sérieuse réflexion. Pour moi, de qui vous n'avez point reçu de mauvais traitement, mais de qui vous avez plutôt reçu quelques marques de bienveillance ; je n'ai qu'une chose à vous demander, qui est que pas un ne se batte contre son inclination , et que ceux, qui auront envie de passer dans le parti ennemi, le fassent publiquement. J'aime mieux des ennemis déclarés, que des ennemis couverts. J'ai voulu vous faire ce discours au milieu de la campagne, plutôt que dans l'enceinte d'une ville, afin que chacun puisse se retirer librement, s'il en a envie, et que personne ne soit empêché de faire paraître ouvertement en quelle disposition il est , pour le service de l'Empire.

Le discours de Germain fut accueilli par des acclamations unanimes, et chaque soldat s'empressa de prêter, entre les mains du général, un serment de fidélité envers l'empereur.

CHAPITRE XVII.

1. Germain poursuit Stoza en Numidie. 2.  Il le combat et le défait.

1. Lorsque les deux armées furent restées pendant quelque temps en présence, et que les factieux eurent vainement attendu la réalisation des promesses de Stozas, alors à leurs espérances déçues succéda un invincible sentiment de terreur. Ils rompirent leurs rangs et se retirèrent en Numidie, où ils avaient laissé leurs femmes et le butin de toute espèce, fruit de leurs pillages. Germain s'y porta bientôt avec toutes ses troupes, traînant après lui, indépendamment des bagages nécessaires, une immense quantité de chariots. Ayant atteint l'ennemi dans une plaine appelée par les Romains Scalæ Veteres, voici comment il disposa son armée: Il forme, en face de l'ennemi, une ligne de chariots. En avant de cette ligne il place toute son infanterie, commandée par Domnicus, afin que, n'ayant rien à craindre pour ses derrières, elle combatte avec plus de confiance et de valeur. Il se posta lui-même à la gauche des fantassins avec l'élite de la cavalerie et le petit nombre de soldats qu'il avait amenés de Constantinople. Le reste des cavaliers forma l'aile droite, non pas réunis en masse, mais divisés en trois corps commandés, le premier par Ildiger, le second par Théodore de Cappadoce, le dernier, qui était aussi le plus considérable, par Jean, frère de Pappus. En face de l'armée romaine ainsi disposée se tenaient les rebelles, mais sans aucun ordre, et dispersés à la manière des barbares. Non loin de là étaient postés des milliers de Maures, commandés par Iabdas, Orthaïas et d'autres chefs dont je passe les noms sous silence. Tous ces barbares ne gardaient point la foi qu'ils avaient jurée à Stozas; déjà plusieurs d'entre eux avaient promis à Germain, par l'intermédiaire de leurs messagers, que lorsque le combat serait commencé, ils se tourneraient contre les rebelles. Germain, qui connaissait le caractère naturellement perfide des Maures, n'ajouta point à leur parole une confiance entière. Ces barbares s'étaient donc placés à l'écart derrière l'armée des factieux, attendant l'événement du combat, afin de se joindre aux vainqueurs dans la poursuite des vaincus. De plus, ils étaient convenus entre eux de laisser les rebelles engager tout seuls la bataille. Quand Stozas, s'étant approché de l'ennemi, eut aperçu la bannière de Germain, il encouragea les soldats qui l'entouraient, et voulut les conduire contre ce général. Mais il fut retenu par les Érules ses complices. Ceux-ci lui représentèrent qu'il ne connaissait point les forces de Germain; que l'aile droite des ennemis ne ferait certainement pas la moindre résistance; que si on l'attaquait elle plierait au premier choc, et que sa déroute jetterait à coup sûr le désordre dans toute l'armée; que si au contraire, repoussés par Germain, ils étaient obligés de prendre la fuite, leurs affaires seraient en un moment ruinées sans ressource.

2. Convaincu par ces raisons, Stozas laisse à d'autres le soin d'engager le combat contre Germain; lui-même, avec l'élite de ses soldats, il attaque Jean et la troupe qu'il commandait. Ceux-ci, enfoncés du premier choc, prennent la fuite en désordre, vivement poursuivis par les rebelles, qui s'emparent en un instant de tous leurs drapeaux. Quelques-uns même avaient attaqué l'infanterie, dont les rangs déjà commençaient à se rompre, lorsque Germain s'élançant, l'épée nue à la nain, à la tête de toute son aile gauche, disperse, après un vif combat, le corps des factieux qui lui était opposé, et se retourne en toute hâte contre la troupe de Stozas. Il fut promptement secondé par les efforts combinés d'Ildiger et de Théodore; et les deux armées se mêlèrent au point que plusieurs factieux furent faits prisonniers, tandis qu'ils poursuivaient les soldats romains qu'ils avaient vaincus et forcés à fuir devant eux. Au milieu de cette effroyable confusion qui redoublait de moment en moment, Germain pressait l'ennemi par derrière avec tant de vigueur, que déjà, frappé d'épouvante, il ne songeait plus à ce défendre. Personne ne pouvait distinguer un ami d'un ennemi; dans l'un et dans l'autre parti c'étaient la même langue, les mêmes armes, la même physionomie, le même vêtement. C'est pourquoi Germain commanda à ses soldats de demander à tous ceux qu'ils prendraient quelle était leur bannière. S'ils se disaient de l'armée de Germain, on leur demandait le mot d'ordre, et ceux qui ne pouvaient répondre étaient tués à l'instant. Ce fut alors qu'un trait, lancé au hasard, frappa mortellement le cheval de Germain. Ce général fut renversé, et aurait couru risque de la vie, si ses gardes, se jetant promptement autour de lui, ne lui eussent fait un rempart de leurs armes, et ne l'eussent monté sur un autre cheval.

Stozas profita de ce moment de tumulte, pour s'échapper avec un petit nombre des siens. Germain, encourageant ses soldats du geste et de la voix, les conduit directement au camp de l'ennemi. La garnison, à qui Stozas en avait confié la garde, sortit des retranchements pour tenir tête à l'ennemi. Un combat acharné s'engagea à l'entrée du camp, et peu s'en fallut que les assaillants ne fussent repoussés par les rebelles. Germain alors détacha une partie des troupes qu'il avait avec lui, et l'envoya tenter une attaque sur un autre point. Ceux-ci ayant trouvé un endroit qui n'était pas défendu, pénétrèrent dans les retranchements. Les rebelles prirent aussitôt la fuite, et Germain entra dans le camp avec toute son armée. Là, les soldats trouvant un butin facile, se livrèrent ardemment au pillage, sans songer aucunement à l'ennemi, sans égard pour les représentations de leur général. Germain, craignant que les rebelles ne se rallient et ne reviennent fondre sur lui, se tient debout à l'entrée du camp avec quelques amis, se fatigue et s'épuise à rappeler aux règles de la discipline des soldats qui ne l'écoutent point. Alors, parmi les Maures, les uns se mirent à la poursuite des factieux; les autres prirent part au pillage du camp avec les soldats de Germain. Stozas, qui se fiait aux promesses des Maures, s'était d'abord enfui de leur côté, comptant qu'avec leur secours il pourrait rétablir le combat. Mais, s'apercevant de leur perfidie, il eut à peine le temps de leur échapper avec une centaine d'hommes. Le nombre de ses compagnons s'étant insensiblement accru dans la suite, ils essayèrent de recommencer la guerre; mais, repoussés avec plus de vigueur encore que dans leur première attaque, ils furent tous contraints de faire leur soumission. Quant à Stozas, tout à fait abandonné des Romains ses complices, il se retira dans la Mauritanie avec quelques Vandales, y épousa la fille d'un prince du pays, et y passa le reste de ses jours. Telle fut la fin de la sédition.

CHAPITRE XVIII.

1.  Maximin forme une conjuration. 2.  Germain la dissipe et fait mourir les chefs.

1. Il y avait parmi les gardes de Théodore de Cappadoce un très méchant homme, nommé Maximin, qui aspirait à se faire chef de parti, en s'appuyant sur les nombreux soldats qui avaient conspiré contre l'empereur. En cherchant à étendre le nombre de ses complices, il s'ouvrit de ses projets avec plusieurs personnes, entre autres avec Asclépiade, qui était d'une des plus illustres familles de la Palestine et l'ami intime de Théodore. Asclépiade, après en avoir conféré avec son ami, dénonce à Germain la conspiration qui se formait.

2. Mais comme la soumission de l'Afrique était récente et encore mal affermie, Germain, afin de prévenir de nouveaux troubles, résolut d'employer les caresses plutôt que les châtiments pour contenir Maximin dans le devoir, et de tirer de lui un nouveau serment de fidélité à l'empire. C'est une très ancienne coutume chez les Romains, que personne ne soit admis au nombre des gardes d'un gouverneur de province, s'il n'a d'abord solennellement juré d'être fidèle au gouverneur et à l'empereur lui-même. Germain appela donc auprès de lui Maximin; et, après avoir donné des éloges à sa bravoure, il lui dit qu'il voulait l'avoir au nombre de ses gardes. Celui-ci, joyeux d'un si brillant honneur, et le considérant comme un acheminement à l'exécution de ses perfides projets, prêta le double serment d'usage. Mais à peine fut-il inscrit au nombre des gardes de Germain, qu'il foula aux pieds la sainteté de la foi jurée, et redoubla d'activité pour organiser la révolte. Un jour enfin que toute la ville célébrait- une fête solennelle, vers l'heure du dîner, les complices de Maximin se rendirent en grand nombre au palais, selon qu'ils en étaient convenus. Germain donnait un festin à ses amis; Maximin et les autres gardes étaient debout autour de la table. Le repas était déjà avancé, lorsqu'on vint annoncer à Germain qu'aux portes du palais il y avait une multitude confuse de soldats, se plaignant qu'on ne leur payât pas leur solde depuis longtemps arriérée. Aussitôt il enjoint secrètement à des gardes dont la fidélité lui était connue, de veiller sur Maximin sans qu'il s'en aperçût. Alors les factieux, poussant des cris menaçants, courent au cirque, où leurs complices, sortant de leurs maisons, se hâtent de les rejoindre; et s'ils avaient eu le temps de se réunir tous, personne, à mon avis, n'aurait été assez fort pour réprimer leur audace. Mais Germain les prévint par sa diligence: il envoya sans retard dans le cirque, où il n'y avait encore qu'un petit nombre de séditieux, tous les soldats qu'il savait être restés fidèles à lui et à l'empereur. Ceux-ci attaquèrent brusquement les factieux, qui, n'ayant avec eux ni Maximin, qu'ils désiraient ardemment voir à leur tête pendant le combat, ni cette multitude de complices sur le secours desquels ils avaient compté, surpris d'ailleurs par l'attaque inopinée des soldats de Germain, perdirent courage, et furent facilement vaincus et dispersés. Beaucoup d'entre eux périrent sur la place, d'autres en assez grand nombre furent faits prisonniers et conduits à Germain. Ceux des conjurés qui ne s'étaient pas encore réunis dans le cirque dissimulèrent leurs sentiments envers Maximin, et Germain ne voulut point les rechercher. Quant à Maximin, on lui demanda si, depuis le serment qu'il avait prononcé, il s'était occupé de la conjuration. Convaincu de l'avoir encore plus activement propagée depuis qu'il avait été reçu au nombre des gardes de Germain, il fut conduit, par ordre du général, hors des murs de Carthage, et pendu à un gibet. C'est ainsi que la sédition fut étouffée, et que les intrigues de Maximin reçurent leur châtiment.

CHAPITRE XIX.

1.  Salomon retourne en Afrique avec plusieurs chefs. 2.  Il envoie Gontharis contre les Maures du mont Aurase, et vient ensuite lui-même le venger de sa défaite. 3.  Il prend le fort de Zerbulon.

1. Justinien, dans la treizième année de son empire, rappela à Constantinople Germain, Symmaque et Domnicus, et confia de nouveau à Salomon le gouvernement de l'Afrique. Il lui donna de nouvelles troupes et de nouveaux capitaines, parmi lesquels Rufin et Léonce, fils de Zanna, petit-fils de Pharesmane, et Jean, fils de Sisinniole. Déjà auparavant Martin et Valérien étaient retournés à Constantinople. Lorsque Salomon fut débarqué à Carthage, trouvant la faction de Stozas entièrement détruite, il ne songea qu'à gouverner l'Afrique avec modération, et à pourvoir a la sûreté du pays. Donnant surtout ses soins au rétablissement de la discipline, il envoyait, soit à Constantinople, soit à Bélisaire, tous les soldats dont la fidélité lui paraissait suspecte, et s'occupait à remplir par des recrues les cadres des légions. Enfin il bannit à jamais tous les Vandales, hommes ou femmes, qui étaient restés en Afrique. Il environna de murailles toutes les villes, fit observer exactement les lois, rétablit l'administration publique, et rendit l'Afrique riche et heureuse par la sagesse de son gouvernement.

2. Après avoir partout rétabli l'ordre, Salomon entreprit une nouvelle expédition contre Iabdas et les Maures qui habitent le mont Aurès. Gontharis, l'un de ses gardes, capitaine distingué, envoyé en avant avec une partie de l'armée, arriva au fleuve Abigas, et établit son camp non loin d'une ville déserte, nommée Bagaï. Dans ce lieu il eut un engagement avec l'ennemi, fut vaincu et forcé de se retirer dans ses retranchements, où il commençait à être étroitement bloqué pair les maures, lorsque Salomon, arrivant avec le reste de l'armée, établit son camp à soixante stades du camp de Gontharis. Il apprend dans ce lieu la défaite de ce capitaine, et il envoie, pour le secourir, une partie de ses soldats, avec ordre d'attaquer vigoureusement l'ennemi. Mais les Maures, quoiqu'ils eussent été vainqueurs, comme nous l'avons dit, eurent recours à cet artifice. L'Abigas prend sa source dans le mont Auras, et, en descendant dans la plaine, arrose les campagnes au gré des habitants, qui en dérivent les eaux selon les besoins de leurs cultures. Car cette plaine est coupée par de nombreux conduits dans lesquels le fleuve se partage, et d'où il ressort après avoir longtemps coulé sous la terre, et réuni toutes ses eaux en un seul lit. Ces dispositions existant dans la plus grande partie de la vallée, l'eau du fleuve est réellement entre les mains des habitants, qui peuvent la porter où ils veulent, en bouchant ou en ouvrant les conduits. Les Maures ayant alors fermé toutes les issues de ces canaux, dirigèrent le fleure entier contre le camp romain, qui devint tout à coup un lac profond et impraticable. Les troupes furent saisies d'épouvante, et se trouvèrent réduites aux dernières extrémités. Salomon, instruit de leur détresse, se hâte de venir à leur secours. Les Maures n'osent l'attendre; ils se retirent au pied de l'Aurès, et s'y retranchent dans un lieu qu'ils appellent Babosis. Salomon les y poursuit, leur livre bataille avec toutes ses forces, les bat complètement et les met en déroute. Les Maures, après cette défaite, renoncèrent à disputer la victoire aux Romains en bataille rangée. Ils comptaient que la nature abrupte et escarpée de l'Aurès, et les fatigues d'une poursuite à travers ces obstacles, contraindraient bientôt les Romains à se retirer, comme cela était arrivé dans leur première expédition. Dans cette persuasion, une partie des Maures se retira dans la Mauritanie (Sitifensienne) et chez les barbares qui habitent au sud de l'Auras. Iabdas resta dans ces montagnes à la tête de vingt mille hommes, et s'enferma avec eux dans une place forte nommée Zerbulé, qu'il y avait bâtie. Salomon, au lieu de perdre son temps à l'assiéger, se porte, aussitôt que les grains soit mûrs, sur la ville de Tamugadis, y fait entrer son armée, et de là ravage les campagnes. Après avoir tout dévasté par le fer et par le feu, il revient contre le fort de Zerbulé.

3. Pendant que les Romains ravageaient le pays, Iabdas, craignant de manquer de vivres s'il était assiégé dans Zerbulé, laisse dans cette forteresse ceux de ses Maures qu'il juge les plus valables de la défendre, et avec le reste de ses troupes il va se poster sur la cime de l'Aurès. Il y choisit une position défendue de tous cotés par des précipices et des rochers taillés à pic; ce lieu est nommé Tumar. Les Romains attaquèrent pendant trois jours le fort de Zerbulé. Ils avaient des archers habiles; et comme les murailles étaient très basses, un grand nombre de Maures furent tués sur les créneaux, et, par un hasard singulier, tous leurs chefs y perdirent la vie. Les Romains, ignorant cette heureuse circonstance, se décidèrent à lever le siège pendant la nuit qui suivit le troisième jour de l'attaque. En effet, Salomon jugeait plus convenable de marcher contre Iabdas et l'armée des Maures, pensant que, s'il venait à bout de les vaincre, la forteresse de Zerbulé ne tarderait pas ensuite à capituler. Pendant ce temps les barbares, se sentant trop faibles pour soutenir plus longtemps le siège, et se voyant privés de tous leurs chefs, prenaient la résolution de s'enfuir au plus vite et d'abandonner le château. Ils l'exécutèrent sur-le-champ, dans le plus profond silence, et sans éveiller l'attention de l'ennemi. Au point du jour, les Romains ployèrent leurs bagages et se préparèrent à la retraite. Mais n'apercevant personne sur les murailles, où leurs apprêts de départ auraient dû attirer les assiégés, ils furent étonnés, et restèrent quelque temps dans le doute et l'incertitude. En proie à cette irrésolution, ils font le tour du château, et aperçoivent ouverte la porte par où les Maures s'étaient enfuis. Ils entrent dans la place et pillent tout ce qu'ils y trouvent, renonçant à poursuivre les fuyards, à qui la légèreté de leurs armes et leur connaissance des chemins donnaient trop d'avantages. Après avoir recueilli tout le butin, ils y laissèrent une garnison dans le fort, et marchèrent tous à pied vers le sommet de la montagne.

CHAPITRE XX.

1.  Salomon assiège Tumar. 2.  Il anime ses soldats. 3. Il prend la montagne par l'adresse et par la valeur d'un soldat, nommé Gizon.  Il prend la roche de Géminien. 5.  Il établit un impôt dans la première Mauritanie.

1. Lorsqu'ils furent arrivés à Tumar, où l'ennemi s'était renfermé et se tenait en repos, ils campèrent à quelque distance de la place, dans un lieu aride et couvert de rochers, où ils eurent à souffrir du manque d'eau et de vivres. Ils y consumèrent beaucoup de temps, sans que les barbares fissent une seule sortie; et ils souffrirent eux-mêmes autant et plus que les assiégés. Leur privation la plus sensible était la disette d'eau; elle était si rare que Salomon la distribuait lui-même, et n'en donnait à chaque soldat qu'un verre par jour. Enfin, lorsqu'il vit que les plaintes des soldats éclataient publiquement, et qu'ils ne pouvaient plus supporter l'excès de leur misère, il résolut de braver les difficultés de la position, et d'essayer une attaque contre la place.[56]

Il exhorta les gens à cette entreprise , en ces termes.

2. Après que le ciel nous a tant favorisé , que de nous donner un heureux succès du siège du mont Aurase , dont l'entreprise surpassait nos espérances , et qui ne pourra être cru que par ceux qui en ont été témoins, il ne faut pas que nous méprisions une faveur signalée , en manquant au secours qui nous est offert. Mais , il faut que nous recherchions au milieu des dangers le bonheur , qui est le prix des belles actions. Les plus importantes affaires ne dépendent que d'une occasion d'un moment. Ceux qui trahissent leur fortune par leur lâcheté, ne la doivent pas accuser des fautes dont ils sont coupables. Vous voyez la faiblesse des Maures ; vous voyez où ils se sont renfermés eux-mêmes. Vous êtes obligés maintenant, ou d'attendre qu'ils se rendent, ou d'aller chercher la victoire dans le danger. Mais je me persuade que ce danger, ne fera point affaiblis par la faim qu'ils ont soufferte. Ayez, je vous prie , cette pensée présente à l'esprit , et faites bien votre devoir.

3. Après que Salomon eut ainsi exhorté ses gens, il fit donc une reconnaissance pour découvrir le point sur lequel il pourrait diriger ses efforts avec le plus d'avantage; mais la position lui sembla de tous les côtés également inaccessible. Pendant qu'il était plongé dans une incertitude voisine du découragement, la fortune lui offrit un moyen d'arriver au but de ses désirs. Un fantassin, nommé Gezon, payeur de sa cohorte,[57] soit par jactance, soit par désespoir, soit enfin par une sorte d'inspiration divine, résolut de marcher à l'ennemi, et se mit seul à gravir la montagne. Quelques-uns de ses compagnons, étonnés de la hardiesse de son entreprise, le suivirent à quelque distance. Trois Maures qui gardaient les avenues du fort, le voyant s'avancer contre eux, coururent à lui, mais séparément, le sentier étant trop étroit pour les laisser marcher de front. Gezon frappe et tue le premier qui se présente; les deux autres subissent le même sort. Animés par ce beau fait d'armes, ceux qui étaient derrière lui s'élancent avec ardeur sur l'ennemi en poussant leur cri de guerre. Soudain tous les corps de l'armée, enflammés à l'aspect de cet exploit inespéré, sans attendre ni l'ordre du général ni le signal de la trompette, sans garder aucun rang, mais poussant de grands cris et s'animant les uns les autres, s'élancent ensemble vers le camp de l'ennemi. Là, Rufin et Léonce, fils de Zanna, petit-fils de Pharesmane, se signalèrent par de mémorables exploits. Les Maures, frappés d'épouvante, découragés par la perte de leurs gardes avancés, se mettent à fuir de tous les côtés, et périssent la plupart dans les précipices. Iabdas, quoique blessé d'une flèche à la cuisse, parvint à s'échapper, et se sauva dans la Mauritanie. Les Romains, après avoir pillé le camp des ennemis, résolurent de ne jamais abandonner le mont Aurès; et ils gardent encore avec soin les forteresses que Salomon y fit construire, afin d'empêcher les Maures de se rendre de nouveau les maîtres de cette montagne.

4. Il existe dans l'Aurès une roche abrupte, entourée de précipices, appelée le rocher de Géminien. Les anciens habitants du pays y avaient construit une tour, petite à la vérité, mais qui, grâce à la nature du terrain, offrait une retraite sûre et inexpugnable. Iabdas y avait, déposé, quelques jours auparavant, ses femmes et ses trésors sous la garde d'un vieux capitaine; car il n'avait pas songé que jamais l'ennemi pût approcher de cette position, bien moins encore prendre la tour de vive force. Mais les Romains, qui fouillaient alors les parties les plus inaccessibles de la montagne, arrivèrent au pied de cette tour. Un d'entre eux par bravade essaya d'y monter, et servit d'abord de risée aux femmes, qui se moquaient de sa présomption et de sa témérité. Le vieil officier, qui le regardait de la tour, s'en moquait de même. Cependant, lorsqu'en s'aidant des pieds et des mains, le soldat romain se fut approché, il tira sans bruit son épée, et, s'élançant légèrement, frappa d'un bras sûr le col du vieillard, dont la tête roula sur la terre. Les soldats, enflammés par cet exemple, se soulèvent mutuellement, et atteignent le haut de la tour, d'où ils enlèvent les femmes, et des sommes énormes en argent qui servirent à Salomon pour la reconstruction des remparts de plusieurs villes.

5. Lorsque les Maures, après la défaite que je viens de raconter, eurent abandonné la Numidie, Salomon rendit tributaire la province de Zaba, située au delà de l'Aurès. Cette province se nomme aussi la première Mauritanie, et a la ville de Sétifis pour métropole. Césarée est le chef-lieu de la seconde Mauritanie, occupée par Mastigas et ses Maures. Toute cette province est soumise à ce chef maure et lui paye tribut, excepté la ville de Césarée, que Bélisaire, ainsi que je l'ai raconté, avait reconquise. Les Romains communiquent par mer avec cette capitale; mais ils ne peuvent s'y rendre par terre, à cause que les Maures occupent tout le pays. Depuis ce moment, tous les Africains sujets de l'empire romain, jouissant d'une paix assurée sous le gouvernement sage et modéré de Salomon, ont abjuré toute idée de rébellion, et sont devenus le plus heureux peuple de l'empire.

CHAPITRE XXI.

1.  Justinien donne le gouvernement de la Pentapolie à Cyrus, et celui de Tripoli à Sergius. 2. Les Maures tués dans un festin chez Sergius, sont l'occasion d'une guerre. 3.  Salomon y est tué.

1. Cette félicité fut troublée au bout de quatre ans, lorsque Justinien, dans la dix-septième année de son règne, confia la garde des villes de l'Afrique à Cyrus et à Sergias, fils de Bacchus, frère de Salomon. Cyrus, l'aîné, eut le gouvernement de la Pentapole; Sergius, celui de la province de Tripoli.

2. Ce dernier était dans la ville de Leptis Magna, lorsque les Maures, qu'on appelle Lévathes, allèrent le trouver en grand nombre et en armes, faisant courir le bruit qu'ils venaient, selon les anciens usages, recevoir les présents, les insignes du pouvoir, et sanctionner ainsi la paix. Sergius, d'après te conseil du Tripolitain Pudentius, qui dès le commencement de la guerre contre les Vandales avait, comme je l'ai dit plus haut, servi utilement l'empereur Justinien, reçut dans la ville quatre-vingts des plus considérables de ces barbares, promit de satisfaire à leurs demandes, et exigea seulement que leur suite restât dans les faubourgs. Bientôt, après leur avoir donné sa parole pour garantie de leur sûreté, il invita à un festin ces quatre-vingts chefs, qui, disait-on, étaient venus avec des intentions perfides, et le dessein de le surprendre et de l'assassiner. Lorsqu'ils furent réunis dans la salle du festin, les Maures alléguèrent plusieurs sujets de mécontentement, et se plaignirent entre autres des ravages que les Romains causaient à leurs moissons. Sergius, sans tenir compte de leurs représentations, se leva de son siège et voulut s'en aller. Un des barbares, lui portant la main sur l'épaule, s'efforça de l'arrêter; et tous les autres, se levant en tumulte, se pressaient déjà autour de Sergius, lorsqu'un des gardes de ce dernier tira son épée et tua le Maure qui s'était opposé à sa sortie. De là, comme on devait s'y attendre, une rixe terrible, dans laquelle tous les Maures périrent sous les coups des gardes de Sergius, à l'exception d'un seul qui, voyant le massacre de ses compagnons, parvint à s échapper sans être aperçu, et alla porter à ses compatriotes la nouvelle de cet événement. Aussitôt les Maures s'empressent de retourner dans leur camp, et toute la nation prend les armes. Quand ils approchèrent de Leptis, Sergius et Pudentius conduisirent à leur rencontre toute l'armée romaine. Le combat s'étant engagé de très près, les Romains furent d'abord vainqueurs, firent un grand carnage des barbares, pillèrent leur camp, s'emparèrent de toutes leurs richesses, et emmenèrent en esclavage une prodigieuse multitude de femmes et d'enfants. Mais bientôt Pudentius ayant péri victime de sa témérité, Sergius, au commencement de la nuit, rentra dans Leptis avec l'armée romaine.

Bientôt les barbares ayant réuni contre les Romains des forces plus considérables, Sergius alla trouver Salomon, son oncle, pour le prier de marcher lui-même contre eux avec une armée plus nombreuse. Il trouva auprès de lui son frère Cyrus. Les barbares étaient entrés dans la Byzacène, et avaient dévasté, par leurs incursions, la plus grande partie de cette province. Déjà même Antalas, qui, pour prix de sa fidélité constante envers les Romains, avait obtenu seul, ainsi que je l'ai déjà raconté, le commandement des Maures de la Byzacène, était en mauvaise intelligence avec Salomon. Il accusait ce général de lui avoir arbitrairement retranché la solde en vivres qui lui était assignée par l'empereur; il lui imputait aussi la perte de son frère, que Salomon avait fait mourir, sous le prétexte qu'il avait excité quelques troubles dans la Byzacène. Par ces motifs, Antalas vit avec plaisir le soulèvement des barbares; et, s'étant ligué avec eux, il les mena contre Salomon et contre Carthage. Salomon, instruit des projets de l'ennemi, marcha au-devant de lui avec toutes ses troupes; et, l'ayant rencontré près de Théveste, ville située à six journées de Carthage, il campa dans ce lieu avec les fils de son frère Bacchus, Sergius, Cyrus, et le plus jeune, qui portait le nom de Salomon. Effrayé par le nombre des barbares, il envoya une députation aux chefs des Lévathes. Il leur exposait qu'il avait sujet de se plaindre qu'au mépris des anciens traités d'alliance, ils eussent pris les armes contre les Romains; il les exhortait fortement à la paix, et leur offrait de s'engager, par les serments les plus saints, à mettre complètement en oubli leurs fautes passées. Les barbares se raillèrent de ces propositions; ils lui répondirent que le serment qu'on leur offrait se ferait probablement sur ces livres sacrés nommés par les chrétiens les Évangiles; que Sergius, après un serment pareil, n'avait pas craint de massacrer ceux qui s'étaient fiés à sa foi; qu'ils étaient conséquemment bien aises d'éprouver par une bataille si ces livres, qu'on dit être divins, ont en effet quelque vertu pour punir les parjures; qu'après cette expérience, ils se trouveraient plus disposés à traiter. Quand Salomon eut reçu cette réponse, il se prépara au combat.

Le lendemain, avant rencontré un détachement ennemi chargé d'un riche butin, il le battit, le dépouilla, et répondit à ses soldats, qui se plaignaient hautement de n'être pas admis au partage de cette proie, qu'il fallait attendre la fin de la guerre; que chacun alors serait récompensé suivant ses services. Les barbares étant revenus présenter la bataille avec toutes leurs forces, une partie des soldats refusa de combattre; les autres ne s'y résolurent qu'avec hésitation, et comme à contrecœur. Toutefois, dans le commencement, l'avantage fut égal; mais bientôt les Maures, par la supériorité de leur nombre, mirent en déroute la plus grande partie de l'armée romaine.

3.  Salomon, entouré d'un petit nombre de ses gardes, soutint quelque temps l'effort de l'ennemi. Enfin, ne pouvant plus résister, ils se sauvèrent à toute bride jusqu'au bord d'un torrent qui coulait dans le voisinage. Là, le cheval de Salomon s'abattit, et le général lui-même fut renversé. Il fut tout de suite relevé et remis à cheval par ses gardes; mais les douleurs qu'il ressentait de sa chute le mettant hors d'état de se conduire, il fut pris et massacré par les barbares, avec une partie de ceux qui l'entouraient. C'est ainsi que Salomon termina ses jours.

CHAPITRE XXII.

1.  Sergius succède à Salomon et se rend odieux. 2.  Lettres d'Antalas à l'Empereur. 3. Salomon, frère de Sergius prisonnier chez les Maures se délivre par adresse. 4.  Il est cause par son imprudence de la prise de la ville de l'Aribe.

1. Après la mort de Salomon, Sergius, neveu de ce général, fut nommé par l'empereur au gouvernement de l'Afrique. C'est surtout à lui qu'on peut attribuer les nombreuses calamités qui affligèrent la Province. Son administration devint odieuse à tous: aux officiers, que, malgré son inexpérience et sa jeunesse, il traitait avec une insupportable arrogance, les outrageant sans raison, leur témoignant du mépris, abusant souvent de ses richesses, de sa puissance, et des prérogatives attachées à sa dignité; aux soldats, qui le savaient plongé dans une mollesse honteuse; aux Africains enfin, qui, indépendamment Je tous les vices que je viens d'énumérer, avaient à lui reprocher une passion effrénée pour les femmes, et une insatiable avidité pour l'argent d'autrui. Mais celui que l'élévation de Sergius avait le plus vivement blessé était Jean, fils de Sisimiole, qui, en dépit de ses talents militaires et de la grande renommée qu'il s'était acquise, n'avait trouvé auprès du nouveau général qu'indifférence et ingratitude. Aussi ni cet officier, ni aucun de ses collègues, n'était disposé à prendre les armes et à repousser l'ennemi. Presque tous les Maures s'étaient réunis sous les ordres d'Antalas; Stozas lui-même, appelé par ce prince, était accouru de la Mauritanie; et tous ensemble, ne rencontrant aucune résistance, pillaient et ravageaient le pays impunément.

2. Antalas écrivit alors à Justinien une lettre conçue en ces termes: « Je ne nie point que je ne sois l'esclave de votre majesté. Mais, depuis l'alliance qui a été conclue entre nous, les Maures, traités par Salomon avec la dernière injustice, ont pris les armes malgré eux, non contre vous, mais contre un ennemi qui les opprimait, et dont, plus que tout autre, j'avais moi-même à me plaindre. En effet, il ne s'est pas contenté de me supprimer la solde en vivres que, sur la proposition de Bélisaire, vous m'aviez depuis longtemps accordée; il a osé plus encore, il a fait mourir mon frère, quoiqu'il fût innocent. Le trépas de cet inique gouverneur a satisfait ma juste vengeance. Si vous voulez à présent maintenir les Maures dans la soumission et en recevoir les services qu'ils sont habitués à vous rendre, rappelez Sergius, le neveu de Salomon, et envoyez en Afrique un autre général. Vous ne manquez certainement pas d'hommes habiles qui l'emportent sur Sergius en tout genre de mérite. Jamais, tant que celui-ci commandera vos armées, il n'y aura de paix possible entre les Romains et les Maures» Lorsque l'empereur eut lu cette lettre, bien que tout s'accordât à prouver que Sergius s'était rendu généralement odieux, il ne put cependant se résoudre à lui ôter le commandement: c'était un hommage qu'il croyait devoir aux vertus et à la mort funeste de Salomon.

3. Le jeune Salomon, frère de Sergius, passait pour avoir péri avec Salomon, son oncle. Aussi personne ne songeait plus à lui, et Sergius moins que tout autre. Cependant il vivait encore; car les Maures, après l'avoir fait prisonnier, avaient épargné ses jours, en considération de sa jeunesse. Interrogé par eux sur sa patrie et sur sa famille, il répondit qu'il était Vandale, esclave de Salomon, et qu'à Laribe, ville voisine, il avait pour ami un médecin nommé Pégasius, qui paierait sa rançon. Les Maures s'approchent des murs de Laribe, font venir Pégasius, lui montrent Salomon, et lui demandent s'il veut le racheter ? Le prix est fixé à 50 aureus: Salomon est remis à Pégasius.

4. Le jeune homme, à peine entré dans la ville, se mit à railler les Maures, qui s'étaient laissé tromper par un enfant; et il leur déclara qu'il était le fils de Bacchus, frère de Salomon. Les Maures, irrités de s'être laissé surprendre, et d'avoir perdu par leur négligence un otage si précieux pour Sergius et pour les Romains, se rassemblent en foule sous les murs de Laribe et l'assiègent, résolus à s'emparer à la fois de la ville et de Salomon. Les habitants, frappés de terreur, et n'ayant d'ailleurs aucune provision de vivres, traitent avec les Maures, et offrent une grande somme d'argent, s'ils veulent lever le siège et se retirer aussitôt. Les Maures, désespérant d'emporter la ville de force, car ils sont complètement inexpérimentés dans l'attaque des places, ignorant d'ailleurs que les assiégés manquaient de vivres, acceptent la proposition, et se retirent moyennant 3.000 aureus. Alors tous les Lévathes retournèrent dans leurs foyers.

CHAPITRE XXIII.

1. Imérius est pris par les Maures, et forcé de les aider à surprendre la ville d'Adrumas. 2.  Elle est reprise par l'adresse d'un prêtre nommé Paul. 3. Déplorable état de l'Afrique.

1. Cependant Antalas, à qui Stozas s'était joint avec une poignée de soldats romains et vandales, réunissait l'armée des Maures dans la Byzacène. Jean, fils de Sisinniole, vaincu par les sollicitations des Africains, rassembla quelques troupes, et donna ordre à Himérius de Thrace, qui commandait les garnisons de la Byzacène, de venir le joindre à Ménéphèse, ville de cette province, avec tous ses soldats et leurs officiers. Plus tard, ayant appris que l'ennemi était campé près de cette ville, il écrivit à Himérius pour l'en instruire, et lui indiquer un autre lieu où ils devraient réunir leurs forces. Le hasard voulut que le courrier porteur de la lettre se trompa de chemin et manqua Himérius, qui, n'étant pas prévenu, alla donner dans le camp ennemi, et fut fait prisonnier. Il y avait dans l'armée d'Himérius un jeune capitaine de cavalerie, nommé Sévérianus, fils d'Asiaticus, Phénicien d'origine, et natif d'Émèse. Seul, à la tête de ses cinquante cavaliers, il osa en venir aux mains avec l'ennemi. Ces braves soutinrent quelque temps le combat; mais enfin, accablés par le nombre, ils gagnèrent à toute bride une colline voisine, sur laquelle s'élevait un fort à demi ruiné; aussi furent-ils obligés de se rendre aux ennemis, qui les y poursuivirent. Les Maures épargnèrent la vie de Sévérianus et de tous les Romains. Ils livrèrent à Stozas tous les soldats, qui s'empressèrent de promettre qu'ils porteraient les armes contre l'empire. Quant à Himérius, après l'avoir jeté en prison, ils le menacèrent de la mort, s'il refusait d'exécuter les ordres qu'on lui donnerait. Ensuite ils lui commandèrent de trouver quelques moyens pour faire tomber Adrumète, ville maritime, au pouvoir des maures. Himérius ayant témoigné qu'il était prêt à s'y employer, ils marchent avec lui vers cette ville. Lorsqu'ils furent proche des murailles, ils l'envoyèrent devant eux, accompagné de quelques soldats de Stozas, et de quelques Maures qu'ils traînaient enchaînés comme des prisonniers de guerre. Eux-mêmes les suivaient à quelque distance. Himérius avait reçu l'ordre d'annoncer aux gardes des portes que l'ennemi avait été battu et mis en déroute par l'armée impériale, et que Jean allait bientôt arriver avec une quantité innombrable de Maures prisonniers. Il devait ainsi se faire ouvrir la porte, et entrer dans la ville avec ses compagnons. Il exécuta les ordres qu'il avait reçus, et trompa les habitants d'Adrumète, qui, n'ayant aucune raison de se défier du commandant de toutes les garnisons de la Byzacène, ouvrirent leurs portes, et introduisirent leurs ennemis dans la ville. Ceux qui accompagnaient Himérius tirèrent tout à coup leurs épées, empêchèrent les gardes de fermer la porte, et firent entrer dans la ville toute l'armée des Maures. Ceux-ci se retirèrent après l'avoir pillée, et n'y laissèrent qu'une faible garnison. Quelques-uns des Romains qui étaient tombés vivants au pouvoir des Maures s'échappèrent, et se retirèrent à Carthage; de ce nombre furent Sévérianus et Himérius. La fuite était d'ailleurs facile à ceux qui voulaient se soustraire à l'esclavage des Maures; mais la plus grande partie des soldats ne voulut point se séparer de Stozas.

2. Quelque temps après, un prêtre nommé Paul, qui avait l'administration de l'hôpital, se concerta avec quelques-uns des principaux citoyens d'Adrumète. « Je pars, leur dit-il, pour Carthage; j'ai l'espoir d'en revenir bientôt avec un corps de troupes, si vous voulez vous charger d'introduire dans la ville les soldats de l'empereur. Il se fit lier avec des cordes, et descendre, pendant la nuit, du haut des murs de la cité. Arrivé au bord de la mer, il y trouva un bateau de pécheur, et obtint, à force d'argent, que le patron de cette barque le conduirait à Carthage. Lorsqu'il y fut arrivé, Paul se fit présenter à Sergius, lui fit le récit de ce qui s'était passé, et lui demanda des forces suffisantes pour exécuter le dessein qu'il avait conçu de reprendre Adrumète. Sergius refusait, alléguant la faiblesse de la garnison de Carthage; mais Paul fit de nouvelles instances, et demanda au moins quelques soldats. N'ayant pu en obtenir plus de quatre-vingts, il imagina ce stratagème: Il rassembla un grand nombre d'esquifs et d'autres embarcations, qu'il remplit de matelots et de paysans vêtus à la manière des soldats romains. Ensuite il mit à la voile, et se dirigea en droite ligne vers Adrumète avec cette flotte improvisée. Arrivé à quelque distance de la ville, il envoie des messagers annoncer aux principaux citoyens que Germain, neveu de l'empereur, vient d'arriver à Carthage; qu'il amène au secours des habitants d'Adrumète une armée florissante; qu'ils aient en conséquence à tenir, la nuit suivante, une des portes ouvertes. Cet ordre fut exécuté; et Paul, pénétrant dans la ville avec son escorte, massacra la garnison ennemie, et rendit Adrumète à l'empire. Le bruit qu'il avait fait courir de l'arrivée de Germain se répandit jusqu'à Carthage. Cette nouvelle et la prise d'Adrumète portèrent la terreur parmi les Maures et les soldats de Stozas, qui, dans le premier mouvement de leur frayeur, abandonnèrent la Byzacène. Mais ensuite, mieux instruits du véritable état des choses, ils furent violemment irrités d'avoir été traités aussi inhumainement par les habitants d'Adrumète, qu'ils avaient tous épargnés. Ils se jetèrent de nouveau sur la province, et tous les Africains, sans aucune distinction d'âge ni de sexe, furent les victimes de leur brutale férocité. Les campagnes d'Afrique devinrent presque désertes; car les habitants qu'avait épargnés le fer ennemi s'étaient réfugiés les uns dans les villes, les autres en Sicile et dans les autres îles voisines. Les plus distingués se rendirent à Constantinople, et dans le nombre fut le prêtre Paul, qui avait remis Adrumète sous l'autorité de l'empereur.

3. Cependant tous les Maures étaient soulevés, et, ne rencontrant aucune résistance, ils ravageaient impunément tout le pays. Avec eux était Stozas, qui avait recouvré son ancienne puissance. Il traînait à sa suite un grand nombre de soldats romains, dont une partie s'était volontairement rangée sous ses drapeaux; les autres, faits prisonniers et contraints d'abord par la force à le servir, en étaient venus enfin à le suivre librement et de plein gré. Quant à Jean, dont les Maures avaient encore quelque crainte, ses sujets de plainte contre Sergius le retenaient dans une inaction complète.

CHAPITRE XXIV.

1. Aréobinde est envoyé en Afrique avec des troupes. 2. Il en partage le gouvernement avec Sergius. 3.  jean, fils de Sisinniole tue Stoza dans un combat et est tué incontinent après.

 

1. A cette époque, Justinien envoya en Afrique un autre général, accompagné d'un petit nombre de soldats. C'était Aréobinde, sénateur d'une naissance distinguée, mais tout à fait inexpérimenté dans l'art militaire. Justinien envoya aussi, avec Aréobinde, le préfet Athanase, récemment revenu d'Italie, un corps d'Arméniens commandé par Artabane et par Jean, fils de Jean, de la race des Arsacides: ces deux chefs venaient de passer au service de l'empereur, dans le temps que les Arméniens avaient abandonné le parti des Perses pour rentrer sous l'obéissance des Romains. Aréobinde avait avec lui sa sœur, et Projecta, sa femme, qui était fille de Vigilantia, sœur de Justinien.

2. L'empereur ne révoqua pourtant pas Sergius; il voulut qu'ils exerçassent tous deux avec une égale autorité le pouvoir militaire en Afrique; et leur partageant par égale part les provinces et les légions, il chargea Sergius de la guerre contre les barbares de Numidie, et ordonna à Aréobinde de soumettre les Maures de la Byzacène. Quand la flotte fut arrivée à Carthage, Sergius partit avec ses troupes pour la Numidie.

3. Aréobinde, ayant appris que Stozas était campé près de Sicca Veneria, ville située à trois journées de Carthage, fit partir Jean, fils de Sisinniole, avec l'élite de son armée, et écrivit à Sergius de se joindre à ce capitaine, afin d'attaquer l'ennemi avec toutes leurs forces réunies. Celui-ci n'ayant tenu aucun compte ni de la lettre, ni de l'opération importante qu'elle concernait, Jean se vit obligé de combattre, avec une poignée de soldats, contre une immense multitude d'ennemis. Il y avait longtemps que Jean et Stozas étaient animés l'un contre l'autre d'une haine implacable; elle était si vive, que chacun d'eux eût trouvé la mort douce, s'il eût vu auparavant son ennemi périr de sa main. Dans cette circonstance, avant que le combat commençât, ils sortirent tous deux des rangs, et, poussant leurs chevaux, ils coururent l'un contre l'autre. Stozas s'avançait encore, lorsque Jean, ayant tendu son arc, envoya une flèche dans l'aine droite de son ennemi. Stozas, frappé mortellement, tomba de cheval; il respirait encore; mais la blessure qu'il avait reçue ne lui laissait que quelques instants de vie. Tous ses soldats maures et romains accoururent à l'instant. Après avoir placé leur chef défaillant au pied d'un arbre, ils s'élancent avec impétuosité contre Jean et sa troupe, et les mettent en fuite sans effort, par la seule supériorité de leur nombre. On rapporte que Jean dit alors que la mort lui serait agréable, à présent que sa haine et sa vengeance contre Stozas étaient satisfaites. Comme il achevait ces mots, son cheval s'abattit dans une descente, et le jeta par terre. Pendant qu'il s'efforçait de se remettre en selle, il fut pris par les ennemis, percé de plusieurs coups, et termina ainsi une vie glorieuse et illustrée par de nombreux exploits. Stozas ayant appris la nouvelle de cette mort, rendit le dernier soupir en disant que maintenant il mourait avec joie. Jean l'Arménien, frère d'Artabane, périt aussi dans cette rencontre, après s'être signalé par des exploits dignes d'un grand cœur. L'empereur fut vivement affligé de cette défaite; il plaignit le courage malheureux de ses capitaines, et, comprenant enfin les graves inconvénients que produisait le partage du commandement militaire, il révoqua Sergius, l'envoya en Italie avec une armée, et chargea Aréobinde du gouvernement de l'Afrique entière.

CHAPITRE XXV.

1.  Gontharis excite les Maures contre les Romains, et traite secrètement avec Antalus. 2. Aréobinde corrompt Curtzinas. 3.  Gontharis tend un piège à Aréobinde.

1. Deux mois après le départ de Sergius, Gontharis essaya de se rendre indépendant, et voici les moyens qu'il employa: Comme il commandait les garnisons de la Numidie, et qu'il était retenu dans cette province par les devoirs de sa charge, il excita secrètement les Maures à marcher en armes contre Carthage. En conséquence, des troupes nombreuses levées dans la Numidie et dans la Byzacène, se réunirent en un seul corps d'armée, qui se dirigea tout à coup sur la capitale de l'Afrique. Cutzinas et Iabdas commandaient aux Numides; Antalas, aux Maures de la Byzacène: à ce dernier s'était joint, avec ses partisans, un aventurier nommé Jean, que les soldats romains révoltés s'étaient donné pour chef, après la mort de Stozas. Aréobinde, instruit de l'approche de cette armée, rappela aussitôt à Carthage tous les capitaines et tous les soldats, et avec eux Gontharis lui-même, sous les ordres duquel était Artabane et les Arméniens attachés à ce prince. Ayant reçu d'Aréobinde l'ordre de conduire toutes les troupes contre l'ennemi, Gontharis, tout en prodiguant au général les plus belles promesses, se prépara à le trahir. Il avait parmi ses serviteurs un cuisinier maure, qu'il envoya dans le camp ennemi, avec ordre de se donner en public pour un esclave échappé, et de dire en secret à Antalas que Gontharis était disposé à partager avec lui l'empire de l'Afrique. Le Maure s'acquitta habilement de sa commission. Antalas accueillit avec plaisir ces ouvertures, mais répondit seulement que des affaires de cette importance ne se traitaient pas d'ordinaire par l'entremise d'un cuisinier. Cette réponse ayant été rapportée à Gontharis, il choisit un de ses gardes nommé Ulithée, en qui il avait pleine confiance, et l'envoie promptement auprès d'Antalas, pour l'engager à s'approcher des murs de Carthage, assurant que par ce moyen il serait facile de se débarrasser d'Aréobinde. Ulithée parvint à conclure avec Antalas, à l'insu des autres barbares, un accord par lequel le prince maure aurait la Byzacène avec la moitié du trésor d'Aréobinde et quinze cents soldats romains, et Gontharis, avec le titre de roi, posséderait Carthage et le reste de l'Afrique. Après avoir arrêté cette convention, Ulithée retourne à l'armée romaine, qui était rangée tout entière autour de l'enceinte extérieure, et qui avait partagé entre les divers corps la garde des portes. Peu de temps après, les barbares se hâtèrent de marcher directement sur Carthage, et campèrent au lieu appelé Decimum. Le lendemain, ils quittèrent cette position, et ils s'avançaient vers la ville, lorsqu'une partie de l'armée romaine les surprit dans leur marche, et par une attaque imprévue leur fit éprouver un assez rude échec. Mais Gontharis se hâta de faire rentrer ses soldats dans leurs retranchements, leur reprocha leur audace inconsidérée, et les accusa d'avoir exposé à un péril évident la puissance romaine.

2. Cependant Aréobinde, qui par de secrets messages exhortait Cutzinas à la défection, obtint de ce prince maure la promesse qu'au fort du combat il tournerait ses armes contre Antalas et les Maures de la Byzacène; car ces barbares n'ont pas entre eux plus de bonne foi qu'envers les nations étrangères. Gontharis, instruit de ce projet par Aréobinde, et désirant en empêcher ou du moins en retarder l'exécution, engagea le général à ne pas se fier à Cutzinas avant qu'il lui eût livré ses enfants pour otages. Pendant que Cutzinas et Aréobinde emploient beaucoup de temps à préparer, par de fréquents messages, la perte d'Antalas, Gontharis envoie de nouveau Ulithée au chef des Maures de la Byzacène, pour le prévenir de ce qui se tramait contre lui. Celui-ci résolut en lui-même de ne faire aucun reproche à Cutzinas, et de feindre avec lui une ignorance complète de sa trahison: il ensevelit aussi dans un profond secret les conventions qu'il avait lui-même arrêtées avec Gontharis. Ainsi ces deux chefs, divisés d'affection et nourrissant des projets différents, restaient associés par des vues criminelles, et, réunis sous le même drapeau, n'aspiraient pourtant qu'à se perdre l'un l'autre.

3. Pendant que, dans ces dispositions, Cutzinas et Antalas menaient l'armée des Maures vers Carthage, Gontharis méditait le meurtre d'Aréobinde. Mais, afin d'éviter tout soupçon d'avoir ambitionné la royauté, il voulait que le général fût tué dans une bataille: de cette manière sa mort pourrait être imputée aux ennemis, et lui-même semblerait ne s'être emparé du pouvoir que par nécessité, et pour ne pas le laisser tomber aux mains de la soldatesque. Dans ce dessein, il va trouver Aréobinde, l'exhorte à marcher avec lui contre les Maures qui approchaient de Carthage, et le décide à partir le lendemain, au lever du soleil, avec toute l'armée. Mais Aréobinde, qui n'avait ni courage, ni expérience dans le métier des armes, traîna le temps en longueur sous divers prétextes, et consuma la plus grande partie du jour à se faire ajuster son armure et à préparer sa sortie. Il remit donc la bataille au jour suivant, et se renferma dans son palais. Gontharis, s'imaginant que ces délais étaient concertés et que sa trahison était découverte, se détermina à poursuivre ouvertement l'exécution de ses desseins, et à se défaire d'Aréobinde par la violence.

CHAPITRE XXVI.

1. Gontharis épouvante Aréobinde, et anime les gens de guerre contre lui. 2. Aréobinde s'enfuit, et se sauve dans une église. 3. Gontharis l'en fait sortir sur sa parole, et la viole à l'heure même.

1. Le lendemain, Gontharis ouvrit la porte dont il avait la garde, fit rouler contre ses panneaux inférieurs de grosses pierres pour qu'on ne pût facilement la fermer, plaça aux créneaux des murailles un grand nombre d'archers revêtus de cuirasses, et lui-même, couvert d'une armure pareille, se plaça au milieu de la porte. Son dessein, en agissant ainsi, n'était pas de faciliter l'entrée des Maures dans la ville. En effet, ces peuples, qui n'ont aucune bonne foi, doivent naturellement suspecter tout le monde. Il est dans la nature d'un caractère perfide, de ne se fier à personne; car, jugeant les autres d'après lui-même, il doit supposer partout de la trahison et de la mauvaise foi. Gontharis n'espérait donc pas que les Maures, s'en rapportant à sa parole, entreraient dans Carthage. Mais il se flattait qu'Aréobinde épouvanté se hâterait de fuir, abandonnerait Carthage, et retournerait à Constantinople. Son projet eût réussi, s'il n'avait été contrarié par une tempête qui s'éleva tout à coup sur la mer. Aréobinde, instruit de ce qui se passait, fait venir Athanase et quelques-uns des principaux officiers. Artabane, qui revenait du camp avec deux autres capitaines, se présente devant le général. Il l'exhorte à ne pas se laisser abattre, à ne pas plier devant l'audace de Gontharis; il le presse de se mettre à la tête de ceux qui l'entourent, et d'attaquer aussitôt le rebelle avant que la révolte ait eu le temps de se propager. Mais d'abord Aréobinde envoie Phrédas, l'un de ses amis, s'assurer des dispositions de Gontharis; et ce ne fut que lorsque Phrédas, de retour, eut annoncé que Gontharis usurpait ouvertement l'autorité souveraine, que le gouverneur se résolut enfin à l'attaquer.

Cependant Gontharis ne cessait d'invectiver contre Aréobinde devant les soldats; il le représentait comme un lâche, qui, épouvanté par l'approche de l'ennemi et enflammé du désir de s'approprier la caisse de l'armée, se disposait à s'enfuir avec Athanase. Tous deux, ajoute-t-il, vont quitter le port de Carthage, laissant les soldats aux prises avec la faim et les Maures. Il leur demande ensuite s'ils ne jugeaient pas à propos de les arrêter tous deux et de les mettre en prison. Il espérait ainsi ou qu'Aréobinde s'enfuirait en apprenant la révolte, ou que, jeté entre les mains du soldat, il serait tué au milieu du désordre. Du reste, il promettait à l'armée de loi payer toute la solde arriérée qui lui était due par le trésor.

2. Pendant que les soldats applaudissent à ces propositions, Aréobinde arrive avec Artabane et sa troupe; le combat s'engage et sur le: créneaux et au dessous, devant la porte qu'occupait Gontharis. La victoire restait incertaine, et déjà l'on voyait accourir du camp tous ceux qui, restés fidèles à l'empereur, se disposaient à réduire les factieux. En effet, les insinuations perfides de Gontharis n'avaient pas gagné tous les esprits, et la plus grande partie des soldats était restée fidèle et soumise au représentant de l'empereur. Mais Aréobinde, qui voyait pour la première fois répandre le sang sous ses yeux, et qui n'était pas accoutumé aux terribles scènes de la guerre, fut saisi d'épouvante, trembla de tous ses membres, et, ne pouvant soutenir la vue d'un pareil spectacle, se hâta de prendre la fuite. Il y a dans les murs de Carthage, sur le bord de la mer, une église desservie par ces hommes dévoués au service de Dieu, que nous appelons des moines. Salomon, qui l'avait fondée peu de temps auparavant, l'avait environnée de murailles, afin que, dans l'occasion, elle pût servir de forteresse. Aréobinde se réfugia dans cet asile, où il avait envoyé d'avance sa femme et sa sœur. Arta-bane parvint à s'échapper aussi; les autres se sauvèrent où ils purent. Gontharis, ayant obtenu une victoire complète, s'empara du palais à l'aide des factieux, et confia à de forts détachements la garde du port et des portes de la ville. Il fait d'abord appeler Athanase, qui, s'empressant d'accourir et composant sa physionomie, prodigue au chef rebelle de flatteuses paroles, et l'assure qu'il approuve tout ce qui s'est passé.

3. Gontharis fait dire ensuite par l'évêque de Carthage, à Aréobinde, que, s'il veut se rendre au palais sur sa parole, il ne lui sera fait aucun mal; mais que s'il refuse, au lieu des garanties qu'on lui offre, il doit s'attendre à être assiégé, forcé dans sa retraite, et enfin mis à mort. Réparatus (c'était le nom de l'évêque) promit avec serment à Aréobinde, au nom de Gontharis, qu'il n'aurait à supporter aucun mauvais traitement; mais il lui retraça aussi tous les malheurs qu'attirerait sur lui son refus. Aréobinde, frappé de terreur, promit au prélat de le suivre aussitôt, s'il voulait, en administrant le baptême à un enfant avec les cérémonies accoutumées, jurer de nouveau, par ce sacrement, que sa vie ne courait aucun danger. L'évêque y ayant consenti, Aréobinde le suivit sans retard, vêtu non comme un gouverneur de province ou un général d'armée, mais d'un habit grossier qui aurait plutôt convenu à un esclave, ou tout au plus à un simple particulier. Arrivé près du palais, il reçut de mains du prélat le livre des Évangiles; et quand il fut en présence de Gontharis, il se prosterna à ses pieds et y resta longtemps, lui présentant l'Évangile d'une main, de l'autre l'enfant que l'évêque venait de baptiser, et qui était en quelque sorte le témoin du serment fait au nom de Gontharis. Aréobinde se relève enfin, et conjure Gontharis, par tout ce qu'il y a de plus sacré, de lui dire si sa vie est en sûreté. Celui-ci le rassure, et lui promet qu'il quittera Carthage le lendemain avec sa femme et sa fortune. Ensuite ayant congédié Réparatus, il engagea Aréobinde et Athanase à souper avec lui. A table, Aréobinde eut la première place; et Gontharis, après lui avoir fait les honneurs du repas, le retint auprès de lui, et lui fit accepter un lit à part dans un appartement du palais. Mais bientôt il y envoya Ulithée avec quelques soldats, qui le massacrèrent malgré ses cris, ses pleurs et ses lamentables supplications. Ils laissèrent vivre Athanase, et ne l'épargnèrent, je crois, que par mépris pour sa vieillesse.

CHAPITRE XXVII.

1.  Antalas se sépare de Gontharus. 2. Artabane conjure contre lui. 3.  Discours de Grégoire. 4. Gontharus traite humainement la femme, et la soeur d'Archéchinde. 5.  Il envoie Artabane contre les Maures.

1. Le jour suivant, Gontharis envoya à Antalas la tête d'Aréobinde; mais il garda l'argent et les soldats qu'il avait promis de lui donner. Antalas, irrité de cette infraction du traité, et considérant la gravité des serments par lesquels Gontharis s'était engagé envers Aréobinde, était plongé dans une perplexité cruelle. Il n'était pas probable, en effet, qu'un homme qui avait violé de pareils serments, attachât beaucoup d'importance aux promesses qu'il avait faites à Antalas ou à tout autre. Après avoir longtemps délibéré, il résolut d'embrasser le parti de l'empereur. Il retourna donc sur ses pas; et ayant appris que Marcentius, commandant des garnisons de la Byzacène, s'était retiré dans une île voisine de la côte, il lui envoya un messager pour lui communiquer son projet et l'appeler auprès de lui, en lui garantissant sa sûreté. Pendant que Marcentius restait dans le camp d'Antalas, tous les soldats des garnisons de la Byzacène, qui étaient demeurés fidèles à l'empereur, gardaient la ville d'Adrumète. Cependant les anciens soldats de Stozas, au nombre de mille environ, ayant été informés de ce qui était arrivé, vinrent, avec Jean leur général, se joindre à Gontharis, qui les reçut avec plaisir dans Carthage. Il y avait parmi eux cinq cents Romains et quatre-vingts Massagètes; le reste était composé de Vandales.

2. Artabane, ayant obtenu des garanties suffisantes, se rendit au palais avec ses Arméniens. Il promit ses services au tyran, mais il n'en commença pas moins à conspirer sa perte, de concert avec Grégoire son neveu et un officier nommé Artasires.

Grégoire l'excita par ce discours à l'exécuter.

3. Mon cher Artabane, vous avez maintenant l'occasion d'égaler, ou même de surpasser la gloire de Bélisaire. Il est venu ici avec une une puissante armée, composée de braves soldats , et de sages chefs. Les flottes dont nous avons entendu parler par les citoyens, n'approchaient point de la sienne. Il ne manquait ni d'argent, ni d'armes , ni d'hommes. Enfin  il avait un équipage digne de la majorité de l'Empire. Cependant il a eu peine, avec des forces si considérables, de remettre l'Afrique sous l'obéissance de Justinien.  Nous sommes maintenant aussi destitués de tous ces avantages, que si nous ne les avions jamais possédés. L'unique différence qui s'y trouve est que les victoires de Bélisaire nous ont tellement épuisé d'hommes et de finances, que nous ne sommes plus capables de conserver nos conquêtes. L'espérance qui nous reste de les retenir , consiste dans votre bras et dans votre courage. Souvenez-vous que vous êtes issu su sang des Arsacides, et que ceux qui ont une origine aussi illustre que la vôtre, ont aussi un grand engagement a faire des actions héroïques. Vous vous êtes signalé par de glorieux exploits, pour la défense de la liberté publique. Vous étiez encore jeune, quand vous tuâtes Acace, gouverneur d'Arménie , et un capitaine nommé Sittas. Votre mérite a été connu de Corsès, lorsque vous avez combattu dans ses armées. Vous êtes trop généreux pour souffrir que l'Empire demeure assujetti à la fureur d'un brutal. Faites voir que tout ce que vous avez, exécuté par le passé, précédait de la grandeur de vôtre âme. Nous vous seconderons Artasire et moi, en tout ce que vous désirerez.

4.  Gontharis ayant fait sortir du couvent fortifié la sœur et la femme d'Aréobinde, leur assigna une demeure convenable, pourvut généreusement à leurs besoins, et veilla surtout à ce que personne ne les molestât, soit en action, soit en paroles. Il leur laissa aussi une pleine liberté de parler et d'agir; seulement il exigea de Préjecta une lettre par laquelle elle assurait Justinien, son oncle, que Gontharis la traitait avec beaucoup d'honneur, et qu'il était tout à fait innocent du meurtre d'Aréobinde, meurtre commis contre son gré par Ulithée. Gontharis suivait en cela les conseils de Pasiphile, chef des factieux de la Byzacène, et l'un des principaux fauteurs de la rébellion. Ce Pasiphile l'assurait que par ce moyen il déterminerait l'empereur à lui accorder Préjecta en mariage, et la famille de la veuve à lui donner une riche dot.

5. Cependant Artabane reçut ordre de conduire l'armée contre Antalas et les Maures de la Byzacène. Cutzinas, depuis longtemps en mésintelligence avec Antalas, était ouvertement passé dans le parti de Gontharis, auquel il livra son fils et sa mère en otages. L'armée marcha directement à la rencontre d'Antalas, sous la conduite d'Artabane, auquel s'étaient joints Jean, capitaine des soldats de Stozas, Ulithée, chef des gardes de Gontharis, et les Maures de Cutzinas. Elle rencontra l'ennemi un peu au delà d'Adrumète, s'arrêta dans cet endroit, s'y retrancha et y passa la nuit. Le lendemain, Artabane, laissant à la garde du camp Jean, Ulithée et une partie des troupes, s'avance avec le reste et les Maures de Cutzinas, et attaque l'armée d'Antalas, qui, enfoncée au premier choc, se débande et prend la fuite. Artabane, réprimant à dessein l'ardeur de ses soldats, fait tout à coup retourner les enseignes, et ramène ses troupes en arrière: ce mouvement excita si vivement la défiance d'Ulithée, qu'il pensa à se défaire d'Artabane aussitôt que ce capitaine serait rentré dans le camp. Celui-ci parvint à se justifier: il avait craint, dit-il, que Marcentius, maître d'Adrumète, ne vint les attaquer par derrière et ne leur fît éprouver une perte considérable; il ajouta que, pour terminer cette guerre, il était nécessaire que Gontharis se mit lui-même en campagne avec toutes ses forces. Artabane avait songé d'abord à se réfugier dans Adrumète, et à se réunir, avec ses Arméniens, aux soldats restés fidèles à l'empereur. Mais ensuite, ayant mûrement examiné l'état des choses, il jugea que la mort de Gontharis pouvait seule délivrer l'empereur et l'Afrique des maux que leur avait causés la révolte de l'usurpateur. Il retourna donc à Carthage, et déclara au tyran qu'il était besoin de forces plus considérables. Gontharis, après en avoir délibéré avec Pasiphile, résolut de faire prendre les armes à tous ses soldats, et de les conduire lui-même contre l'ennemi, après avoir laissé dans la ville une garnison suffisante. Ensuite, il se défit peu à peu d'un grand nombre de personnes qui lui étaient suspectes, la plupart sans motif réel, et donna ordre à Pasiphile, qu'il devait laisser à Carthage en qualité de gouverneur, de faire tuer tout ce qu'il y restait de Grecs, sans en épargner aucun.

CHAPITRE XXVIII.

1. Gontharis est tué dans un festin. 2. Artabane est fait gouverneur de l'Afrique. 3.  jean lui succède et fait divers exploits.

1. Lorsque Gontharis eut achevé de régler à son gré les affaires, il résolut de donner un festin à ses amis, la veille de son départ. Le banquet fut préparé dans une salle depuis longtemps consacrée à cet usage, et dans laquelle il y avait trois lits disposés autour de la table. Gontharis occupa le premier, comme de raison, avec Athanase, Artabane, Pierre de Thrace, ancien garde de Salomon, et quelques autres de ses amis; les deux autres lits furent donnés aux Vandales les plus distingués par leur naissance et par leur bravoure. Pasiphile traitait chez lui Jean, capitaine des soldats de Stozas; et le reste des officiers dînait en divers endroits chez les amis de Gontharis. Aussitôt qu'il eut été convié à ce festin, Artabane, jugeant l'occasion favorable pour se défaire du tyran, se mit à préparer l'exécution du projet qu'il avait conçu. Il s'en ouvrit à Grégoire, à Artasire, et à trois autres gardes. Ceux-ci devaient entrer avec leurs épées dans la salle du festin; car il est d'usage que lorsqu'un gouverneur est à table, les gardes se tiennent debout et armés derrière lui. Artabane leur recommanda de se tenir prêts à frapper le tyran quand le moment serait venu, et quand Artasire, qui devait commencer, leur en aurait donné le signal. Il ordonna à Grégoire de choisir parmi les Arméniens une troupe de soldats d'élite armés seulement de leurs épées (c'est la seule arme qu'il soit permis de porter dans la ville, à la suite des officiers supérieurs), de les placer dans le vestibule du palais, d'entrer lui-même ensuite avec les gardes sans laisser deviner son projet à personne, de dire seulement qu'il avait craint que l'invitation de Gontharis à Artabane ne cachât quelque intention malveillante, et qu'il avait amené ses Arméniens pour partager en quelque sorte, avec les soldats de Gontharis, la garde du palais. Les soldats arméniens devaient aussi prendre, comme par désœuvrement, les boucliers des autres gardes, s'amuser à les agiter, à les manier dans tous les sens, et s'ils entendaient du bruit et des cris dans l'intérieur du palais, s'emparer de ces mêmes boucliers et accourir aussitôt. Grégoire exécuta ponctuellement les ordres d'Artabane. Artasire de son côté eut recours à cet expédient: Ayant coupé en deux le bois de quelques flèches, il disposa ces fragments autour de son bras gauche depuis le poignet jusqu'au coude, les assujettit avec des courroies, et recouvrit cet appareil avec la manche de sa tunique. Par ce moyen, s'il était attaqué à coups de sabre, il se garantirait en présentant son bras gauche en guise de bouclier, et le fer, amorti par le bois, ne pourrait même entamer sa peau. Après avoir terminé ces préparatifs, Artasire pria Artabane de le tuer lui-même sur-le-champ, s'il manquait son coup, «de crainte, lui dit-il, que la violence du supplice n'arrache de ma bouche un aveu qui vous serait funeste.[58] »

Ensuite il entra dans la salle du festin avec Grégoire et l'un des gardes, et se tint debout derrière Artabane. Les soldats arméniens exécutèrent auprès des gardes extérieurs du palais les ordres qu'ils avaient reçus.

Dès le commencement du repas, Artasire, impatient d'exécuter son projet, portait déjà la main à la garde de son cimeterre, lorsque Grégoire l'arrêta, et lui dit, en langue arménienne, que Gontharis n'avait pas assez bu, et qu'il jouissait encore de toute sa raison. Artasire lui répondit en soupirent: « Mon ami, que vous m'avez arrêté mal à propos, quand j'étais si bien disposé ! » Le repas durait depuis longtemps, quand Gontharis déjà échauffé par le vin, dans un mouvement de libéralité fastueuse, donna quelques parts à ses gardes, qui sortirent de la salle pour aller manger, excepté trois, parmi lesquels était Ulithée. Artasire sortit aussi, comme pour aller prendre sa part du repas. Il lui vint alors en pensée qu'il pourrait, le moment venu, éprouver quelque difficulté pour tirer son cimeterre. Il en jette donc le fourreau sans être aperçu, et, plaçant sous son bras la lame nue recouverte par sa robe, il rentre, et court à Gontharis comme pour lui dire quelque chose en secret. Aussitôt qu'Artabane l'aperçut, dévoré d'une vive impatience et plongé dans de cruelles appréhensions, il secoua la tête, changea plusieurs fois de couleur, et donna des marques évidentes d'une forte préoccupation. A ces signes, Pierre devina ce qui se préparait; mais il n'en témoigna rien à personne, parce que, dans son dévouement pour l'empereur, il se réjouissait d'avance de la perte du tyran. Artasire s'était approché de Gontharis, lorsqu'un des domestiques de ce dernier le repoussa en arrière, et, apercevant la lame du sabre, jeta un cri d'étonnement. Gontharis, portant la main droite à son oreille, se retourna pour le regarder. Au même instant Artasire, le frappant de son cimeterre, lui enlève une partie du crâne et les doigts de la main. Alors Pierre, élevant la voix, exhorte Artasire à tuer le plus scélérat de tous les hommes. Gontharis allait s'élancer pour se défendre; mais Artabane, qui était près de lui, tire aussitôt une épée longue et à deux tranchants qu'il portait sur la cuisse, l'enfonce jusqu'à la garde dans le côté gauche du tyran, et la laisse dans la blessure. Gontharis fit encore un effort pour se relever; mais la blessure était mortelle, et il retomba aussitôt. A l'instant Ulithée porte à Artasire un coup de sabre qui devait l'atteindre au visage; mais celui-ci, couvrant sa tète avec son bras gauche, recueillit, dans ce péril extrême, le fruit de son ingénieuse invention; car les fragments de flèche dont il avait entouré son bras l'ayant garanti contre le tranchant du fer, il vint facilement à bout de tuer Ulithée. Cependant Pierre et Artabane s'étant armés des épées de Gontharis et d'Ulithée, massacrèrent les autres gardes. Le tumulte et les cris inséparables d'une pareille exécution frappèrent les oreilles des Arméniens qui étaient restés avec les gardes extérieurs du palais. Aussitôt, suivant l'ordre qu'ils en avaient reçu, ils s'emparèrent des boucliers et accoururent dans la salle du festin, où ils taillèrent en pièces les Vandales et les amis du tyran. Alors Artabane charge Athanase de veiller sur le trésor caché dans le palais, et qui devait renfermer tout l'argent laissé par Aréobinde. Enfin les gardes extérieurs, qui avaient été pour la plupart au service de ce gouverneur, en apprenant la mort de Gontharis, se joignirent aux soldats arméniens, et tous d'une seule voix proclamèrent le nom de l'empereur. Des cris, répétés par la foule qui s'accroissait à chaque instant, se firent entendre dans une grande partie de la ville. Aussitôt les partisans de l'empereur pénétrèrent de force dans les maisons des factieux, et les massacrèrent les uns au lit, les autres à table, d'autres dans le trouble que causent la frayeur et l'indécision: Pasiphile périt dans ce carnage. Jean, avec quelques Vandales, s'était réfugié dans une église; Artabane, les ayant fait sortir en leur engageant sa parole, les envoya à Constantinople, et garda Carthage, qu'il avait remise sous l'obéissance de l'empereur. C'est ainsi que Gontharis fut abattu, la dix-neuvième année du règne de Justinien, trente-six jours après avoir usurpé la suprême puissance.2. Cette action jeta un grand éclat sur le nom d'Artabane. Prejecta, veuve d'Aréobinde, s'empressa de lui offrir de très riches présents; puis ayant été nominé par l'empereur gouverneur de toute l'Afrique, il demanda bientôt et obtint la permission de retourner à Constantinople.

3. Il fut remplacé par Jean, frère de Pappus, qui ne partagea le commandement avec personne. Ce général, à peine arrivé en Afrique, défit en bataille rangée Antalas et les Maures de la Byzacène reprit sur eux et envoya à l'empereur tous les drapeaux dont ces barbares s'étaient emparés après la défaite et la mort de Salomon, et repoussa, jusqu'aux dernières limites des possessions romaines en Afrique, les débris de l'armée vaincue. Ensuite les Lébathes, partis avec une armée nombreuse du fond de la Tripolitaine, entrèrent dans la Byzacène, et se joignirent aux troupes d'Antalas. Jean, ayant marché à leur rencontre, fut défait à son tour et obligé de se réfugier à Laribe, après avoir perdu un grand nombre de ses soldats. A partir de ce moment, les ennemis, poussant leurs incursions jusque sous les murs de Carthage, exercèrent d'horribles cruautés sur les habitants du pays. Mais, quelque temps après, Jean ayant réuni les débris de son armée vaincue, et attiré dans son alliance les Maures de Cutzinas et quelques autres tribus, livra de nouveau bataille à l'ennemi, et remporta sur lui une victoire inespérée. Les Romains se mirent à la poursuite des Maures qui fuyaient en désordre, en massacrèrent une grande partie, et repoussèrent le reste dans les contrées les plus reculées de l'Afrique. Depuis lors, le petit nombre des Africains que la guerre avait épargnés, bien déchus de leur ancienne opulence, commencèrent à goûter quelque tranquillité.

 


 

[44] J'ai cru devoir attribuer à l'empereur Adrien, dans mes Recherches sur ha topographie de Carthage, la construction de ce grand monument hydraulique, lui, depuis la montagne de Zaghocian jusqu'à cette ville, parcourt une distance de vingt lieues. Voy. ma Topographie de Carthage, p. 136-139, et la dissertation de M. Dusgate, ibid., p. 259 et suiv.

[45] Nous supprimons le reste du discours de Bélisaire, qui remplit le reste du ch. I.

[46] Cette position de Tricamara, au bord d'un ruisseau qui ne tarit pas, mais qui est si petit que les indigènes ne lui ont pas donné de nom (voyez plus bas), reste encore incertaine, malgré ces détails, et la distance soigneusement indiquée par Procope. La suite du récit fait connaître seulement que Tricamara devait être à huit lieues environ au sud-ouest de Carthage; car Gélimer, après la perte de la bataille, s'enfuit par la route qui conduisait en Numidie. Nous le voyons ensuite (ci-dessous, ch. IV) près d'Hippo-Regius, sur le mont Pappua, l'Edough de Bône. De plus, le bon sens indique cette direction, car la seule retraite de Gélimer était la Sardaigne, qu'il tenait encore, ou l'Espagne occupée par ses compatriotes; et c'était près du mont Pappua, situé aux confins de la Numidie et de la Mauritanie, qu'était restée la flotte qui avait amené de Sardaigne les troupes de Tzazon.

[47] Nous supprimons ici les discours des deux généraux, qui remplissent le reste du ch. II.

[48] Ci-dessus, liv. I, ch. v.

[49] Aujourd'hui Ceuta.

[50] Ἀγχοῦ τῆς ὠκεανοῦ Ἐσβυκῆς. Procope n'avait pas sans doute la carte sous les yeux, puisqu'il mit près du détroit de Cadix les Baléares, qui y sont éloignées de cent quarante lieues.

[51] Josué.

[52] Nous omettons ici la harangue militaire de Salomon et celle des chefs Maures.

[53] Nous omettons ici la harangue de Salomon.

[54] Salomon était eunuque.

[55] Cette phrase est destinée à remplacer le long discours de Germain, que nous supprimons.

[56] Nous omettons ici un discours de Salomon à ses soldats.

[57] Procope l'appelle τοῦ καταλόγου ὀπτίων εἰς ὃν αὐτὸς ἀνεγέγραπτο; et il ajoute: οὕτω γὰρ τὸν τῶν συντάξεων χορηγὸν καλοῦσι Ῥωμαῖοι.

[58] Nous remplaçons par cette phrase de Lebeau le discours que Procope met dans la bouche d'Artasire. Histoire du Bas-Empire, t. IX, p. 90.