Paris

MATTHIEU PARIS

 

GRANDE CHRONIQUE : TOME QUATRIEME : PARTIE V

tome quatrième partie IV - tome quatrième partie VI

Œuvre mise en page par Patrick Hoffman

GRANDE CHRONIQUE

DE

MATTHIEU PARIS

 

TRADUITE EN FRANÇAIS

PAR A. HUILLARD-BRÉHOLLES,

 

ACCOMPAGNEE DE NOTES,

ET PRÉCÉDÉE D'UNE INTRODUCTION

 

PAR M. LE DUC DE LUYNES,

Membre de l'Institut.

 

TOME QUATRIÈME.

 

PARIS,

PAULIN, LIBRAIRE-ÉDITEUR,

33, RUE DE SEINE-SAlNT-GERMAIN.

1840.

 

 

(1) GRANDE CHRONIQUE

DE

MATTHIEU PARIS

(historia major anglorum).

 

 

précédent

Comète. — Simon de Montfort renvoyé injurieusement par le roi. — Assemblée des évêques d'Angleterre et du légat. — Le légat entre en Écosse. — L'excommunication de l'empereur publiée en Angleterre. — Lettre du pape contre l'empereur. — Colère de l'empereur. — Lettre à Richard, comte de Cornouailles. — Vers le même temps, la veille de la fête de saint Jacques, à ce moment du crépuscule où les étoiles ne paraissent point encore, le ciel étant se- (465) rein et empourpré, une grande étoile semblable à une torche apparut tout à coup. Partie du midi, elle monta au point culminant du ciel et se dirigea, à travers les airs, du côté du nord, en parcourant l'espace, non point avec une grande vitesse, mais à peu près comme le pourrait faire le vol d'un aigle de mer. Lorsqu'elle fut arrivée au milieu du firmament qui est visible pour notre hémisphère, elle s'évanouit, laissant dans l'air de la fumée et des étincelles. Cette étoile, soit comète, soit dragon, était plus grande à l'œil nu. que celle qu'on appelle Lucifer. Elle avait la forme d'un muge; sa partie antérieure était très-brillante; on voyait de la fumée et des étincelles dans sa partie postérieure. Tous ceux qui aperçurent ce phénomène furent très-étonnés, ignorant ce qu'il présageait. Mais ce qu'il y a de surprenant, c'est que jusqu'alors une pluie opiniâtre avait fait avorter presque toutes les moissons, et qu'à dater de l'apparition de cette étoile, le temps changea subitement et devint magnifique; en sorte que les fruits de la terre purent mûrir et attendre la faux des moissonneurs, sans que rien contrariât les récoltes.

Vers le même temps, c'est-à-dire le cinquième jour avant les ides d'août, de nobles dames se réunirent à Londres pour accompagner la reine qui allait faire, selon l'usage, ses relevailles au monastère: Simon de Montfort, comte de Leicester, y étant venu avec son épouse, le roi le traita d'excommunié et défendit que ni lui ni sa femme, qu'il avait polluée méchamment et furtivement avant le mariage con- (466) tracté entre eux, assistassent à la cérémonie. Comme le roi multipliait ses invectives, le comte, honteux, se disposa à se rendre par eau avec sa femme à son hôtel: c'était le palais du seigneur évêque de Winchester, alors défunt, que le roi avait libéralement prêté au comte. Mais le roi donna aussitôt l'ordre de les mettre injurieusement dehors. Comme ils s'en revenaient, pleurant et se lamentant, et demandant grâce, ils ne purent réussir à apaiser la colère du roi, qui s'écria: «Tu as séduit ma sœur avant qu'elle fût ta femme. L'ayant appris, j'ai voulu éviter le scandale et je te l'ai donnée quoique à regret. Pour que le vœu quelle avait fait ne mît point obstacle à ce mariage, tu es allé à Rome, et tu as corrompu la cour romaine par des présents et de magnifiques promesses, pour qu'il te fût permis de goûter des jouissances illicites. J'en atteste l'archevêque de Cantorbéry Edmond, ici présent, qui a fait connaître au pape la vérité sur cette affaire. Cependant grâce à tes dons multipliés, l'avarice romaine l'a emporté sur la vérité. Mais comme tu n'as pu remplir les engagements pécuniers que tu avais pris, tu as mérité d'être lié par une sentence d'excommunication. Pour mettre le comble à tes criminelles actions, tu n'as pas craint de faire un faux témoignage en me présentant comme caution, sans m'avoir consulté et à mon insu.» Le comte, en entendant ces paroles, rougit de honte, et quand la nuit fut venue, il monta sur un bateau avec sa femme et quelques serviteurs, se hâta de descendre (467) la Tamise jusqu'à la mer et passa sur-le-champ le détroit.

Vers le même temps, la veille des calendes d'août, tous les évêques se réunirent à Londres pour s'y occuper des oppressions que souffrait l'église d'Angleterre. En effet, le légat, outre ce qu'il demandait pour son entretien de chaque jour, exigeait encore des procurations. Les évêques, après avoir tenu conseil, lui répondirent d'un commun accord: «L'importunité romaine a tant de fois épuisé les biens de l'église, que nous sommes décidés à ne plus souffrir de pareilles exigences. Que celui-là fournisse à vos dépenses, qui vous a appelé inconsidérément.» Puis l'assemblée se sépara, non sans plaintes et sans murmures.

Vers le même temps, le légat se prépara à entrer en Écosse. Ayant disposé tout ce qui était nécessaire, et ayant pris des guides anglais pour reconnaître les chemins et le prévenir des embûches qu'on pourrait lui tendre, il se mit en route, s'arrêtant dans les abbayes et dans les églises cathédrales, et s'y faisant recevoir somptueusement; mais avant qu'il entrât dans le royaume d'Écosse, le roi d'Écosse se présenta à lui et parut peu content de son arrivée. Jusqu'ici, lui dit-il, aucun légat n'est entré en Écosse, excepté vous seul. En effet, le besoin ne s'en est pas fait sentir; car la religion chrétienne y a toujours été florissante, et l'église dans un plein état de prospérité.»Comme la discussion devenait assez vive, et que le roi était sur le point de s'opposer formelle- (468) ment à l'entrée du légat, les seigneurs des deux royaumes s'interposèrent entre eux et réussirent à faire rédiger un écrit, par lequel il fut convenu que jamais on ne s'autoriserait de l'arrivée du légal pour en tirer conséquence et faire passer la chose en habitude. Il fut stipulé, en outre, qu'il signerait cet écrit au moment de son départ. Et cet accommodement eut lieu pour qu'il ne retournât pas en Angleterre avec la honte d'avoir été repoussé. Néanmoins, le légat ne passa point la mer209, mais demeura dans les bonnes villes d'en deçà de la mer; il y convoqua les évêques et les nobles détenteurs de bénéfices, régla les affaires ecclésiastiques comme il lui plut, ramassa de fortes sommes d'argent; puis, profitant du moment où le roi se trouvait dans le fond de l'Écosse, le légat, sans lui en demander permission, partit brusquement et en secret, et emporta avec lui l'écrit dont nous avons parlé.

Tandis que le seigneur légat dirigeait sa roule vers l'Écosse, il entra dans le chapitre de Saint-Albans; et après y avoir prononcé un sermon sur l'assomption de la bienheureuse Vierge (car cet événement se passa avant l'octave), il excommunia le seigneur empereur. Quant aux moines, ils obtinrent des lettres qui les dispensaient d'une pareille commission. Vers la même époque, le même empereur fut excommu- (469) nié solennellement à plusieurs reprises dans l'église de Saint-Paul, à Londres, sur l'ordre formel qu'en donnait un bref original du pape, trausmis au légat.

«Grégoire, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à son cher fils Othon, cardinal diacre de Saint-Nicolas, en prison Tullienne, et légat du saint-siége apostolique. La sainte église romaine, comme le monde entier a pu en être instruit par l'évidence des faits, a reçu sur ses genoux ledit empereur Frédéric au sortir du ventre de sa mère; elle a veillé sur lui avec une affection maternelle, l'a allaité avec ses mamelles et l'a porté sur ses épaules. Alors qu'il était presque abandonné de tout secours et exposé à des événements qui ne lui promettaient que des dangers, elle l'a pris sous son patronage et l'a réchauffé dans son sein. Elle s'est puisamment opposée aux envahisseurs du royaume dudit Frédéric, qui jetaient sur sa terre des yeux de convoitise, et qui, étant déjà entrés dans ce pays, cherchaient à s'en emparer, sans trouver aucun obstacle. Elle l'a défendu contre ceux qui en voulaient à sa vie, et qui, jaloux de son salut, s'efforçaient de le faire périr et d'effacer sa mémoire de sa terre. Il grandit ainsi, abrité derrière le bouclier de la protection ecclésiastique, et atteignit l'âge de majorité sous la garde de Grégoire (?) de Gualgène, de bonne mémoire, prêtre-cardinal, du titre de saint Anastase, qui avait été commis, pendant plusieurs années, par le saint siège apostolique, à la conservation de sa personne et de son royaume. Enfin, c'est encore à l'église qu'il dut de parvenir au faîte (470) d'une dignité plus élevée [que celle de roi]. Mais, malgré le zèle ardent témoigné pour sa personne, l'église semble avoir perdu toutes les peines qu'elle s'est données pour lui; puisqu'il ne se souvient pas de tant de bienfaits, et est ingrat après tant de bienveillance. Plût à Dieu qu'il ne dépassât point les bornes de l'ingratitude, et qu'il se contentât de nier les biens qu'il a reçus! En effet, quoiqu'une offense, quelle qu'elle soit, fasse sentir les aiguillons de la douleur, celle-là, cependant, frappe d'un coup bien plus violent quand elle est de telle sorte, que la bienveillance est payée par l'ingratitude, et les bons services par des méchancetés. Or, quelle que soit l'affection que le saint-siége a eue pour ledit Frédéric, quoiqu'il l'ait élevé, tout séculier qu'il était, au comble de la puissance suprême, nous ne considérons plus que ses fautes, pour lesquelles, quoique maintes fois averti par nous, il a refusé de donner réparation, et nous sommes forcé, quoiqu'à regret, de sévir contre lui. En effet, quoique la providence divine ait investi Adam de l'excellence de la dignité et de l'autorité, en lui soumettant tous les animaux de la terre, comme il a désobéi aux ordres de son créateur, son créateur ne l'a point épargné après sa faute. Or, nous voulons instruire la discrétion des récompenses que l'église a reçues dudit Frédéric pour tous les services qu'elle lui avait rendus; nous ne mentionnerons dans la présente lettre qu'un petit nombre de nos nombreux griefs. Il souleva dans la ville une sédition terrible, à l'aide de laquelle il fit tous ses ef- (471) forts pour nous chasser, nous et nos frères, pour abaisser ainsi l'honneur du saint-siége apostolique, et pour fouler tout à fait aux pieds la liberté du saint-siége, en allant audacieusement à l'encontre des serments jurés. Au moment où nous nous disposions à envoyer notre vénérable frère l'évêque de Préneste dans le pays des Albigeois, pour la corroboration de la foi catholique, il donna ordre à quelques-uns de ses féaux de l'arrêter en chemin. Il ne souffre en aucune façon qu'on pourvoie aux églises cathédrales et autres vacantes dans son royaume: ce qui met les âmes en danger et leur nuit beaucoup [pour le salut]. Il n'en dépouille pas moins ces églises et quelques autres de presque tous leurs biens, imposant des tailles et des exactions imméritées aux prélats, aux religieux et aux autres clercs séculiers. Les nobles, les pauvres, les orphelins et les veuves sont réduits au plus affreux dénûment; les exigences dures et cruelles des exacteurs impériaux ne les laissent point respirer un peu; et ainsi tout le royaume, qui est le patrimoine spirituel du bienheureux Pierre, pour lequel ledit Frédéric est tenu de jurer fidélité au saint-siége apostolique, et se trouve être son vassal lige, se trouve être réduit pour ainsi dire en cendre et en poussière par toutes les vexations dudit Frédéric. Si après avoir été averti par nous, il ne cherche pointa corriger un pareil état de choses, nous procéderons à cet égard, avec la grâce de Dieu, selon qu'il nous semblera convenable. De plus, il met obstacle à l'expédition de Terre-Sainte et au rétablisse- (472) ment de L'empire de Romanie. En outre, quand la concorde fut rétablie entre lui et l'église, il jura entre les mains des légats du saint-siége apostolique d'obéir aux ordres de l'église, et il reçut d'eux la recommandation de ne prendre ni dévaster, eu aucune façon, la terre de l'église ou de ceux que l'Église avait alors sous son vasselage, ni de se saisir de leurs personnes. Mais il a dédaigné de se soumettre à ces recommandations en s emparant de la terre du l'église, à savoir, dans la Lombardie, de Ferrare, de Bologne et de Fusignano; en saisissant la terre de Sardaigue et les diocèses de Massa et de Lucques210; en chassant ceux que l'église y entretenait pour son service, et en dévastant leurs terres; quoiqu'à l'époque de la réconciliation, les susdits légats aient prononcé sentence d'excommunication contre lui et en sa présence, dans le cas où il ne suivrait pas sur ce point leurs recommandations. Il retient encore au fond d'une prison le neveu du roi de Tunis, qui était venu vers la cour romaine et vers l'église, pour recevoir l'eau régénératrice du saint baptême, ainsi que notre cher fils Pierre Sarrasin, noble citoyen romain, envoyé vers le saint-siége apostolique de la part de notre très-cher fils en Jésus-Christ, l'illustre roi d'Angleterre; il retient aussi le fils dudit Pierre Sar- (473) rasin. C'est pourquoi, comme, après avoir été averti maintes fois par nous à cause de ces excès et d'une foule d'autres, il n'a point senti quel était le remède de correction à leur donner; comme les ulcères de ses fautes sont endurcis, et comme il ne craint pas de commettre chaque jour des attentats plus grands encore, nous ne pouvons passer plus longtemps de pareilles choses sous silence, sans offenser le Christ. Aussi, sur l'avis de nos frères, et au nom du Dieu tout-puissant, que nous remplaçons sur la terre, et en vertu de l'autorité des bienheureux apôtres Pierre et Paul, et de la nôtre, nous avons jugé bon, quoiqu'à regret, de promulguer contre lui sentence d'excommunication et d'anathème, livrant ledit Frédéric aux mains de Satan, pour la perdition de sa chair, afin que son âme soit sauvée au jour du Seigneur. Nous décidons que tous ceux qui sont tenus envers lui par le serment de fidélité sont absous de l'observation dudit serment, et leur défendons formellement de lui être fidèles, tant qu'il sera enveloppé dans les liens de l'excommunication. C'est pourquoi nous avertissons voire dévotion, et lui recommandons expressément, et vous enjoignons, par ce rescrit apostolique, de faire publier solennellement au son des cloches et à la lueur des cierges, chaque jour de dimanche et de fête, ladite sentence d'excommunication et d'anathème, d'avoir soin que l'absolution [du serment de fidélité] et la défense [de l'observer] soient proclamées, et qu'une pareille publication et proclamation ait lieu avec les mêmes cérémonies dans (474) toute la terre de votre légation; enfin, d'accomplir notre ordre de telle façon, que votre dévotion puisse être justement louée. En outre, comme ledit Frédéric est fortement inculpé d'autres crimes grands et odieux, nous procéderons sur ce point en temps et lieu avec la grâce du Seigneur, selon que la nature [du droit] requiert d'agir en pareil cas. Cependant comme des bruits effrayants résonnent toujours aux oreilles des impies, et qu'ils soupçonnent des embûches, même quand la paix subsiste, parce qu'une conscience troublée s'attend toujours à des événements fâcheux, le même Frédéric, avant que la sentence d'excommunication eût été lancée contre lui, a jugé à propos de faire passer à nos frères des lettres mentionnées plus bas en partie; lettres qui ne fureut présentées aux cardinaux, et n'arrivèrent à notre connaissance et à la leur qu'après la sentence prononcée. Comme le Seigneur, qui fait jaillir la lumière des ténèbres et qui révèle les secrets des cœurs, a voulu nous découvrir ce que Frédéric pensait au fond de l'âme, nous avons appris, parla teneur de ces mêmes lettres, quel est son dévouement envers l'église romaine, qui est sa mère; quel respect il porte au souverain pontife, à ses frères et au saint siège apostolique dont il est le vassal, à raison de son royaume. En effet, il paraît avoir conspiré contre nous et contre eux, d'où il ressort évidemment quelle accusation il a mérité d'encourir. Entre autres choses que contenait sa lettre, on y trouvait ce passage: C'est pourquoi nous nous affligeons, non sans raison, de (475) ce que le père apostolique cherche à nous offenser si grièvement. Aussi, puisqu'une si violente injure tombe sur un homme de cœur, et quoique nous voulions la supporter avec patience, la grandeur de l'outrage ne permet point que nous ne soyons poussé par tant d'affronts à ces vengeances auxquelles les Césars ont ordinairement recours. Cependant, quand nous considérons l'emportement de celui qui nous attaque, et quand nous réfléchissons aux embarras de celui qui se défend211, nous trouverions notre position plus tolérable, s'il était permis, selon l'équité, d'exercer des vengeances privées, de façon que nous puissions les répandre sur l'homme qui est l'auteur de ce scandale, ainsi que sur ceux qui sont de son sang, et que l'injure qui est venue de son siège retombât sur lui et sur les siens. Mais comme en pareille occasion, ni lui ni toute sa famille, dût-elle souffrir avec lui, ne sont gens d'assez grande importance pour que la grandeur impériale soit jalouse d'en tirer vengeance, comme l'autorité du siège de Rome ne connaît plus de bornes à son audace; comme, enfin, la réunion de tant de vénérables frères parait le favoriser dans ses projets orgueilleux, nous ressentons dans l'âme un trouble encore plus grand, parce qu'en cherchant à nous défendre contre celui qui nous persécute, il nous faudra, en nous défendant, offenser plus gravement ceux qui résistent.» — Donné à Latran, le treizième jour avant les ides d'avril, l'an treizième de notre pontificat.»

(476) Lorsque le seigneur empereur fut instruit de cette diffamation qui le présentait non plus comme roi, mais comme tyran, il s'indigna de plus en plus et non sans raison contre les Milanais et les autres rebelles à son autorité, que le pape animait et soutenait efficacement contre lui. Les Milanais devenus plus entreprenants par les secours du pape, et comprenant qu'il y allait de leur existence, tirent des sorties furieuses, et accompagnés d'un certain légat à latere, envoyé à leur aide par le seigneur pape, ils s'emparèrent de Ferrare et de quelques autres villes et châteaux impériaux, profitant du moment où le seigneur empereur s'était transporté dans des provinces plus éloignées. Ils dévastèrent aussi les lieux voisins, répandant sur leur passage le carnage et l'extermination. Les villes assiégées par eux ne purent trouver merci. Les habitants eurent beau demander avec larmes au légat qu'on épargnât au moins leurs personnes an nom de Dieu, promettant de livrer leurs villes et leurs biens de toute espèce; ils ne furent point écoutés, et il leur fallut se soumettre eux et leurs biens sans restriction ni condition. Aussi les hommes saints et les religieux qui habitaient les pays chrétiens, s'étonnant outre mesure de trouver une férocité si inhumaine et si cruelle dans un prélat ecclésiastique, maudissaient avec des imprécations de toute espèce celui qui ne se servant que du glaive matériel, ne songeait point à faire miséricorde La crainte et l'horreur s'emparèrent de tous les cœurs. On redoutait que le seigneur Dieu des armées ne ver- (477) sât son indignation sur les hommes endurcis, et que l'église ne souffrît une grande ruine, surtout parce que le parti papal n'ordonnait ni prières ni jeûnes ni messes ni processions; qu'il ne recommandait point universellement d'adresser à Dieu d'humbles prières et de fléchir ainsi la colère de Dieu, puisque c'est par les prières que l'église a coutume de respirer dans ses tribulations et de remporter fréquemment des triomphes sur ses oppresseurs; mais qu'au contraire il mettait tout son souci dans les trésors d'argent et dans les rapines, et qu'il se précipitait tète baissée dans les mêlées sanglantes et dans les vengeances particulières. De là douleur et désolation des chrétiens, menaces des puissants, ressentiment et fureur, haine et colère entre l'église et l'empereur, guerre odieuse qui, née d'une source déplorable, menaçait d'avoir une issue plus déplorable encore. Blessé par ces aiguillons de la douleur, le seigneur empereur cherchant à s'excuser et à accuser le seigneur pape, écrivit en ces termes à plusieurs rois et princes, mais principalement au roi d'Angleterre et à Richard, comte de Cornouailles, frère dudit roi, comme à ses beaux-frères très-chéris et à ceux sur lesquels il comptait le plus.

«Frédéric, par la grâce de Dieu, empereur des Romains, toujours Auguste, roi de Jérusalem et de Sicile, à Richard, comte de Cornouailles, son cher beau frère, salut et toute prospérité Levez les yeux autour de vous et dressez vos oreilles, ô enfants des hommes! pleurez sur le scandale du monde, sur les (478) dissensions des nations et sur l'exil général de la justice; car la perversité de Babylone est sortie des plus âgés du peuple qui étaient appelés à le gouverner et qui changent le jugement en amertume et le fruit de la justice en absinthe. Asseyez-vous, ô princes! Peuples, comprenez votre cause. Que votre jugement vienne de la face du Seigneur, et que vos yeux aperçoivent l'équité. En effet, nous avons confiance dans la puissance du juge suprême, et nous savons qu'auprès de vous il n'y a pas deux poids ni deux mesures; sans aucun doute vous trouverez que notre modération et notre innocence doivent l'emporter dans la balance de votre jugement sur les calomnies tombées des lèvres de nos détracteurs, et sur les mensonges empoisonnés qu'on invente contre nous. Néanmoins nous voyons bien que la justice de notre cause et la perversité de celui qui est assis sur le siège du Seigneur ne sont point encore assez bien connues au monde entier; si ce n'est d'après les bruits vagues répandus par l'agile renommée qui presque toujours déflore les oreilles vierges. Aujourd'hui c'est à notre sérénité elle-même qu'il appartient de confirmer par les assertions suivantes ce que le bruit public avait fait soupçonner primitivement, à savoir comment ce nouvel athlète, élu souverain pontife sous de funestes auspices. fut d'abord notre plus intime ami alors qu'il était dans un rang inférieur; comment il oublia tous lés bienfaits dont l'empire chrétien avait comblé la très-sainte et sacrée église; comment aussitôt après sa promotion, il changea de foi avec les circonstances (479) et de caractère en changeant de dignité; comment possédé, pour ainsi dire, d'une démangeaison de troubles publics, il aiguisa contre nous, fils suprême et unique de l'église, les piquants de sa malignité, jusqu'à ce que saisissant l'occasion où nous avions prêté serment pour éviter un scandale imminent, et où par crainte de l'excommunication lancée contre nous, nous nous étions engagé à passer la mer à une époque fixée; voyant que nous en étions empêché par notre mauvaise santé; ajoutant plusieurs autres griefs dont cous n'avions été jusque-là ni prévenu ni averti; rejetant absolument nos excuses an mépris de Dieu et de la justice, il déclara que la sentence d'excommunication nous était dès lors applicable. Nous obéîmes humblement à cette sentence comme étant portée primitivement d'après notre propre volonté; puis quand l'ancienne vigueur de notre corps nous fut revenue, nous sollicitâmes le bénéfice d'absolution tandis que nous nous préparions sans relâche à passer la mer. Après avoir demandé avec instance cette absolution et voyant qu'il nous la refusait injurieusement, nous passâmes au secours de la Terre-Sainte pour accomplir pieusement notre vœu, pensant que le vicaire de Jésus-Christ poursuivrait avec plus de zèle le succès de l'entreprise que le cours de sa malveillance et de sa haine contre nous. Nous espérions et croyions fermement qu'occupé de la connaissance des choses d'en haut, et contemplant les cieux du regard, son esprit habitait parmi les esprits célestes. Loin de là, nous n'avons trouvé en lui (480) qu'un homme et encore un homme que ses notes odieux écartaient non-seulement du sentier de la vérité, mais encore de tout sentiment d'humanité; puisque, outre les empêchements qu'il nous suscita en Syrie, il envoya au soudan, par des messagers et des députés, certaines lettres dont nous nous emparâmes avec ceux qui les portaient, et que nous gardons pour témoigner contre lui. Ces lettres engageaient le soudan à ne point nous rendre les possessions qui appartenaient au culte divin et aux droits du royaume de Jérusalem. De plus il entra à main armée dans notre royaume de Sicile, s'autorisant de ce que Renauld, fils de l'ancien duc de Spolete, se préparait à entrer sur la terre de l'église, sans notre aveu et à notre insu, comme le prouva évidemment dans la suite le châtiment que nous lui infligeâmes; agissant, non point comme les saints qui ont vaincu les royaumes par la foi, mais au moyen de la perfidie; prêchant le parjure à tout le monde, et provoquant au parjure, par l'exemple, ceux qui n'avaient pu être déterminés par la prédication, puisque les chefs de l'armée papale, pour s'emparer de notre terre avec plus de facilité, juraient publiquement que nous avions été pris en Syrie. A notre retour des pays d'outre-mer, nous nous bornâmes à repousser ceux qui nous attaquaient, et nous ne marchâmes point à la vengeance, selon la noble coutume de l'empire; nous accueillîmes même volontiers les paroles de paix prononcées par les médiateurs de la concorde. Si nous reconnaissons, en bon catholi- (481) que, que nous avons trouvé dans l'église une vraie mère, nous n'avons toujours eu [dans le pontife romain] qu'un père simulé. Car, le jour même de la réconciliation, il chercha à nous couvrir de confusion en nous persuadant très-instamment de revenir en Italie, avec un simple cortège de serviteurs et sans armes; il prétendit que, par notre ancienne escorte d'hommes d'armes, nous inspirerions des motifs de crainte à nos féaux, et promit d'aplanir devant nous tous les obstacles. Puis il envoya des ordre tout contraires, par lettres et par messagers, ainsi que la chose est avérée d'après le témoignage de plusieurs de nos féaux, qui, à cette époque, savaient tout se qui ce passait, étant les uns complices, les autres chefs de la faction. Par suite de ces ordres, quand notre fils et nos seigneurs vinrent de la Germanie vers nous, ils trouvèrent que les chemins publics avaient été rendus impraticables par nos rebelles. Notre susdit fils se procura à grand'peine des vaisseaux de transport à Aquilée, et repassa en Germanie, tandis que nous revenions forcément dans notre royaume; mais les conseils, ou plutôt l'astuce de notre père, nous y envoyaient sans aucun moyen de réprimer la méchanceté de nos rebelles. Nous respirions en quelque façon dans notre royaume, et nous y prenions du repos après tant de fatigues, lorsque notre très-saint père, jaloux de notre repos, joua auprès de nous le rôle de conseiller, et nous conseilla, avec toutes sortes d'instances, de procéder avec énergie contre les Romains dévoués (482) à notre excellence et contre les gens de la Toscane rebelles [du reste] envers nous, qui avaient usurpé les droits de l'église et de l'empire. Il nous dit de compter sur sa faveur, parce qu'il voulait partager avec nous nos charges et celles de l'empire. Alors, cédant à ses nombreuses instances, il nous fallut défier, dans l'intérêt de l'église, les Romains qui en ce moment assiégeaient Viterbe. Mais le pape envoya secrètement à Rome des lettres par lesquelles il déclarait que nous agissions ainsi en haine des Romains, et de notre plein gré, sans son aveu et sans sa participation. Pendant ce temps une sédition s'étant élevée en Sicile, nous fûmes obligé de nous transporter à Messine, pour arrêter les troubles dans leur principe, et en donnant pour unique prétexte que nous ne voulions point perdre notre magnifique île de Sicile. Aussitôt, à notre insu, et sans nous demander avis, le pape, au mépris du droit des gens, qui pose en principe qu'on ne doit pas abandonner ses auxiliaires et ses alliés, conclut un traité avec les Romains que nous n'avions défiés que pour lui plaire, comme nous l'avons dit. Il ne fit pas attention non plus que nous étions exposé à de grands dangers, pour notre vie et pour notre honneur, en restant presque sans défense au milieu de gens rebelles et séditieux, puisque nous avions envoyé à son aide, tout en ne pouvant nous y rendre en personne, une troupe brave et nombreuse de chevaliers et d'hommes d'armes. De plus, comme l'intégrité de notre conscience, et la pure dévotion dont nous fai- (483) sions profession envers notre mère l'église, nous empêchaient, en bon fils, de croire à l'inimitié dénaturée de notre père, nous attribuâmes au hasard ce qui était le fait de l'astuce, et nous remîmes fréquemment à l'arbitrage de ce père simulé la détermination de la satisfaction qui nous était due. Or, à chaque fois il se jouait de nous avec d'autant plus d'aigreur qu'il nous promettait plus vivement d'embrasser nos intérêts. Sur ces entrefaites, au moment où, d'après l'examen des circonstances passées, il ne nous restait pour l'avenir aucune espérance, même la plus faible, que les affaires d'Italie fussent terminées par la médiation du pape, d'une manière honorable pour l'empire; au moment où nous réservions la poursuite de ce projet pour un temps convenable, et où nous étions dans l'attente, la fortune sembla nous sourire tout à coup en renouvelant la discorde entre l'église et les Romains. Nous offrîmes en cette occasion nos trésors et notre personne avec tant de libéralité et tant de piété, que nous pensions avoir enlevé complètement des cœurs de ceux qui nous voulaient du mal la rouille de l'inimitié. Non content de ces sacrifices, nous voulûmes offrir à l'église toute sécurité de notre part. Enflammé à son égard du zèle d'une dévotion ardente, et animé dans le Seigneur par une charité parfaite, nous nous rendîmes en personne même, sans y avoir été appelé, en présence du même souverain pontife; et nous conduisîmes avec nous notre très-cher fils Conrad, aujourd'hui élu roi des Ro- (484) mains et héritier du royaume de Jérusalem, qu'à cette époque la révolte manifeste de son frère avait laissé pour fiis unique à la tendresse de notre affection paternelle. Après avoir offert notre personne au service de l'église, nous ne rougîmes point de le présenter au souverain pontife comme un otage dans toute la valeur du mot, demandant humblement, en invoquant le jugement divin, une union complète entre l'église et nous; demande que jadis ce chef de l'église générale nous avait instamment conseillé de faire quand il n'était encore qu'évêque d'Ostie. Nos offres et nos protestations ayant été accueillies d'un air favorable par toute la cour romaine, et le souverain pontife, aussi bien que tous les cardinaux nous ayant adressé des paroles gracieuses qui semblaient témoigner d'une affection sincère, nous crûmes en avoir fini avec eux. Poursuivant nos saintes intentions, et confiant dans les assurances de bons offices que nous avions faites, nous résolûmes de lui confier, avec la dévotion 1a plus prompte, la pacification entre les Lombards et nous, affaire tant de fois étouffée dans le sein d'un juge corrompu, ainsi que le rétablissement de la concorde entre nous et les citoyens et seigneurs de la ville d'Ancône. Ainsi tranquille sur l'heureuse conclusion qui devait être donnée à toutes nos affaires, nous nous avançâmes en personne, avec un empressement plein d'allégresse et suivi d'une armée nombreuse, au secours de l'église. Nous avions fait rassembler cette armée tant en Germanie qu'en Italie, et nous l'entretenions (485) à grands frais. Nous persévérâmes dans la poursuite de notre projet jusqu'à ce que notre puissance eût rétabli dans leur ancien et légitime état, à Rome, la liberté ecclésiastique foulée aux pieds, et, à l'extérieur, la terre de l'église envahie; pensant alors sans nul doute que ce que la justice de notre cause n'avait pu obtenir précédemment, nous l'obtiendrions au moins par le dévouement de nos services. Mais apprenez quelle est l'admirable récompense que le vicaire de Jésus-Christ, le pasteur de notre église, le prédicateur de la foi catholique, a eu soin de nous donner sur chaque chose en reconnaissance d'un pareil dévouement, de tant de bienfaits, et d'une confiance si inaltérable. En premier lieu, et relativement à l'affaire d'outre-mer, l'archevêque de Ravenne, notre ami et prince de l'empire, alors légat du saint-siége apostolique, suivant à la lettre les instructions qui lui avaient été données par l'église, avait réglé d'une manière raisonnable tout ce qui avait rapport au rétablissement de nous-mêmes et de notre fils Conrad, dans l'ancienne et pleine possession des droits qui nous avaient été enlevés212 dans le royaume [de Jérusalem?]; mais, aussitôt qu'à l'arrivée de l'archevêque de Césarée, le pape put compter les besans d'or qu'on lui apportait, sans attendre que le susdit légat ou nos députés fussent arrivés à sa cour, et sans admettre un plus long délai, il annula irrégulièrement ce qui avait (486) réglé213. Quant à l'affaire de l'Italie, loin de la régler pour notre honneur et celui de l'empire, comme il l'avait promis, il ne fit point attention aux demandes et aux instances que nous lui adressions pour qu'il rappelât nos ennemis; car, à cette époque, il faisait ravager par son armée partagée en plusieurs corps de troupes les possessions de nos féaux en Lombardie et en Toscane. Il ne nous permit point non plus de nous mettre en marche avec les chevaliers que nous entretenions dans ces pays, comme nous l'avons dit, pour les intérêts temporels de l'église, ni ne voulut envoyer aucun messager ni aucune lettre; en sorte qu'il s'ensuivit beaucoup de sang versé sur les champs de bataille et l'incendie des églises. Non content d'une action si perverse, et qui dépassait toutes les autres, il conserva la ville de Castellana dont il s'était emparé à l'époque des troubles, et qu'il devait nous rendre aux termes du traité de paix et d'après l'avis de tous ses frères, quoiqu'il ne reçût pour ce manque de foi qu'une somme qui s'élevait à cinquante marcs tout au plus; et il refusa de nous rendre cette ville quand nous étions avec lui à Rieti, et après que nous avions dépensé plusieurs milliers de marcs pour son service. Voilà de quelle manière notre très-saint père nous aimait! Alors, nous voyant forcé de ne plus compter sur aucune bienveillance de la part de notre père, ou plutôt de notre père simulé, nous saisîmes les armes (487) et le bouclier pour faire triompher nos droits et faire rentrer l'Italie dans le devoir; nous réunîmes des forces dans les pays de Germanie où la prévarication de notre fils nous avait nécessairement appelé à cette époque, et, préparant une descente en Italie, nous fortifiâmes par la bravoure de nos chevaliers la justice d'une cause que nous n'avions pu faire valoir par nos prières. Lorsque ces préparatifs furent venus à la connaissance du souverain pontife, il saisit le prétexte de la trêve qui avait été imposée aux peuples fidèles et aux princes de la terre, dans l'intérêt de la croisade, pour nous défendre par lettres apostoliques d'entrer à main armée dans l'Italie; oubliant que, le jour même où il avait ordonné ladite trêve, il nous avait appelé comme défenseur et avocat de l'église, afin que nous dussions agir avec vigueur contre les Romains qui, disait-il, s'étaient emparés de droits appartenant à l'église. Ainsi il regardait comme injuste de notre part que nous fissions tous nos efforts pour rentrer à main armée dans nos possessions héréditaires dont nous étions frustré par la furieuse trahison de nos rebelles, tandis que lui-même avait trouvé bon d'agir contre les Romains, qui n'étaient tenus a rien envers son père, son grand-père, ou ses parents. Il ajouta, en outre, dans les lettres susdites que nous devions, relativement à l'affaire de Lombardie, nous en remettre absolument à lui, sans stipulation de temps, sans condition aucune, sans réserve des droits et honneurs de l'empire. C'était un moyen, ou de nous arrêter à perpétuité dans la poursuite de (488) notre droit, ou d'étouffer en toute liberté les droits et honneurs de l'empire. L'avis commun de nos princes et le souvenir de nos anciennes disgrâces nous ayant fait rejeter cette proposition, il eut recours à d'autres ruses, et il envoya au-devant de nous un loup ravissant sous la peau d'une brebis, à savoir l'évêque de Préneste, qu'il nous recommanda dans ses lettres apostoliques comme le plus saint des hommes; tandis qu'il se servit de lui pour faire rentrer Plaisance, qui nous était soumise et qui nous aimait, dans le parti des Milanais parjures; croyant fermement que, par l'entretremise de cet homme, il détacherait nos féaux de nous généralement et si irrévocablement, que nous ne pourrions faire aucun progrès en Italie. Mais il fut frustré complètement dans cette espérance, grâce à la clémence divine qui protège son empire. Les rebelles et les coupables Lombards exposés à l'incendie, aux dévastations et au carnage, élevèrent la voix contre lui. Tous l'accusèrent publiquement de les avoir encouragés dans leur rébellion et d'avoir menti à sa foi, puisqu'il leur avait promis de les assister contre nous et contre l'empire. Or, comme le prétexte dont nous avons parlé n'était point suffisant pour qu'il pût nous excommunier justement. ainsi que le demandaient les rebelles, il suscita de toutes parts des obstacles secrets à nos progrès, envoyant des lettres et des légats dans l'empire et dans tout l'univers, pour éloigner tous ceux qu'il pourrait de la foi et de l'assistance qui nous étaient dues. La foi de nos féaux et l'affection do nos amis ne nous laissèrent (489) point ignorer toutes ces démarches. Alors, ne voulant point être vaincu par le mal, mais désirant vaincre le mal dans le bien, nous jugeâmes bon d'envoyer au saint-siége apostolique une ambassade solennelle composée du vénérable archevêque de Palerme214, des vénérables évêques de Florence et de Ratisbonne, de maître Taddeo de Sessa, juge de notre grande cour et de maître Roger de Porcastrelle, notre chapelain, tous, nos amés et féaux. Après avoir présenté de notre part nos assurances de dévouement, nos députés s'occupèrent des mesures à prendre contre la perversité hérétique, des moyens d'assurer la liberté ecclésiastique, de rétablir les droits de l'église et de l'empire, qui depuis longtemps étaient en litige et en suspens entre nous et l'église. Le souverain pontife, sur l'avis de ses frères qui étaient présents, accepta en tous points les propositions de nos députés; il promit à notre excellence, par le moyen de ces mêmes députés et de l'archevêque de Messine, qu'il nous envoya à titre de nonce pour débattre ses intérêts, de faire cesser en tous lieux les obstacles de toute nature qu'il avait suscités lui-même pour arrêter nos progrès, ainsi qu'il l'avoua publiquement en présence de ses frères et de nos députés: les lettres de tous les prélats susdits sont là pour en porter le plus éclatant témoignage. Nos députés et le sien revinrent vers nous avec cette réponse; mais ils n'étaient pas éloignés de la cour de Rome de trois journées de (490) marche, que le pape, à leur insu et à leur grande confusion, envoya en Lombardie comme légat et avec pleins pouvoirs, Grégoire de Monte-Longo qu'il avait envoyé primitivement ver s nous avec titre de légat, et à qui il avait ensuite donné mission contre nous de ruiner Mantoue et les terres de nos autres féaux. Il pensa bien que plus serait grande l'autorité qu'il donnerait au susdit légat, plus il susciterait de fâcheux embarras à nous et aux nôtres. En même temps il adressa à quelques-uns de nos princes, prélats en Italie et en Germanie, et séjournant avec nous dans notre cour, des lettres qui dénigraient grandement notre renommée et qui contenaient certains griefs relatifs surtout aux vexations souffertes, disait-on, par quelques églises de notre royaume; griefs sur lesquels il voulait que nous fussions admonesté par les mêmes princes. Aussi avons-nous voulu mettre sous vos yeux, d'une manière authentique, la série de tous ces griefs et les réponses que nous avons faites à chacun d'eux. En présence des princes, des prélats et d'une foule de religieux de tout ordre, nous exposâmes ces articles chacun à part; et quoique, en bons fils, ils fussent confus pour leur père d'une pareille versatilité, quoique le sang, leur montant à la tête, répandît la rougeur sur leurs fronts, ils nous donnèrent cependant l'avis suivant, que nous adoptâmes: ce fut de renvoyer vers le saint-siége apostolique l'archevêque de Palerme, maître Taddeo et maître Roger de Porcastrelle, notre chapelain, avec des députés de nos villes fidèles; et nous les (491) chargeâmes de nous représenter comme prêt à donner toute espèce de satisfaction sans aucun délai ni aucun obstacle: mais toutes ces tentatives ne purent détourner sa fureur. Cet homme, appelé à tort le vicaire d'un Dieu qui est venu annoncer la paix, se montra le digne artisan du schisme et l'ami de la discorde; car, au mépris des traditions des saints pères, dès qu'il apprit que nos députés lui apportaient l'hommage de notre dévouement à toute épreuve, il craignit que leur arrivée n'élevât un rempart dans l'intérêt de la justice, et qu'il ne pût procéder contre nous sans exciter un scandale public. Alors il mit au jour avec précipitation l'avorton qu'il avait conçu [en lançant un manifeste] contre nous, prince suprême des chrétiens, et cela le dimanche des Rameaux, ce qui est contre la coutume solennelle de notre très-sainte et sacrée mère l'église; puis, le jour de la cène du Seigneur, malgré l'opposition de la plus saine partie de ses frères (c'est du moins le bruit qui court, quoique nous devions ne rien en croire), il se hâta de rendre la sentence par laquelle, sur l'avis de quelques cardinaux lombards, il nous a, dit-on, enveloppé dans les liens de l'excommunication. Quant à nos députés, qui déjà avaient abordé, il envoya à leur rencontre ses fauteurs et ses satellites, soudoyés avec le patrimoine des pauvres, pour qu'ils ne pussent faire triompher noire justice et notre innocence, ni offrir satisfaction, ni même une garantie [de notre part], en les empêchant de parvenir jusqu'à lui et d'être vus du public. Quoiqu'en cette occasion, pour (492) des raisons particulières, vu notre justice et l'infamie de notre persécuteur, nous devions légitimement préférer qu'il ait procédé contre nous au mépris de tout droit et irrégulièrement, puisque sa méchanceté, qui devait éclater de toutes les façons, n'aurait point eu sans cela autant de retentissement; nous n'en sommes pas moins affligé, et affligé de cœur, à cause de la honte qui rejaillit sur notre mère l'église universelle, que Notre-Seigneur Jésus-Christ a recommandée à son disciple, dans le testament de sa passion, sous l'allégorie d'une vierge glorieuse. D'ailleurs nous pensons qu'il ne peut nous arriver aucun dommage par l'attaque de cet homme, que nous ne reconnaissons point pour notre juge, puisqu'il s'est montré précédemment, et par ses œuvres et par ses paroles, notre ennemi capital, plutôt que notre juge, en favorisant publiquement des sujets rebelles envers nous et notre empire. Il s'est en outre rendu indigne d'avoir le droit de réprimer un aussi grand prince [que nous sommes], et généralement de rendre aucun jugement pontifical qui ait quelque valeur, puisqu'il soutient avec une faveur manifeste, contre nous et contre l'empire, la ville de Milan, qui est en grande partie habitée par les hérétiques, selon le témoignage d'un grand nombre de religieux dignes de foi. Par haine pour nous, et par faveur pour les Milanais, il n'a point admis la plainte215 portée par l'évêque de Florence, homme d'une vie recommandable et d'une (493) réputation intacte, contre Richard (?) de Mandello, citoyen de Milan, jadis podestat de Florence et de Carrara (?), qu'il accusait en plusieurs points de perversité hérétique. Nous avouons que c'est à tort qu'on regarde le souverain pontife comme le vicaire du Christ, le successeur de Pierre, pouvant légitimement accorder des dispenses aux fidèles; et si nous parlons ainsi, ce n'est point pour faire tort à la dignité papale, mais seulement pour signaler les abus commis par la personne qui en est revêtue. En effet, tandis que les dispenses ne devraient être accordées qu'après une mûre délibération de la part des frères [cardinaux], il en fait trafic dans sa chambre comme un marchand, les pèse pour ainsi dire dans une balance mercantile, et, sans en référer à l'avis de ses frères avec qui il serait tenu de délibérer selon la discipline ecclésiastique, il est à la fois le rédacteur de la bulle, l'écrivain, et sans doute aussi le compteur d'écus. Nous ne voulons point passer sous silence deux exemples remarquables de ces iniques dispenses: il a donné pour épouse à Balian de Jocelyn Sipha, fille de l'ancien connétable du royaume de Chypre, malgré une sentence de séparation prononcée à cet effet par l'évêque de Nicosie, et malgré le serment prêté de ne plus avoir commerce ensemble. Il a donné de même la sœur de Jean de Césarée à Jacques d'Amendeuil, qui avait en premières noces épousé la sœur de cette même femme, quoique lesdits Balian et Jacques fussent traîtres envers nous, et quoique les conjoints fussent parents au troisième degré: ce (494) n'est pas qu'il ait reçu beaucoup d'argent pour cette concession; mais la vigueur de la haine qu'il nous porte a compensé ce qui manquait à la somme en nombre et en quantité. Nous déplorons aussi ses excès et ses prévarications, en ce qu'il cherche à obtenir à force d'argent, pour satellites et pour fauteurs, les nobles et les puissants de la Romagne qu'il soulève contre nous; et que, non content de cela, il leur distribue les châteaux et les possessions donnés aux saints pères par la pieuse dévotion des fidèles, dilapidant ainsi l'église romaine confiée à notre patronage. Aussi que l'église universelle et le peuple chrétien ne s'étonnent point si nous ne faisons nul cas de la sentence d'un pareil juge, non pas par mépris pour l'office papal, ou pour la dignité apostolique, à laquelle tous les sectateurs de la foi orthodoxe, et nous, plus que qui que ce soit, devons être soumis; mais parce que nous accusons le personnage de prévarications qui l'ont rendu indigne d'un si noble gouvernement. Que tous les primats du nom chrétien reconnaissent donc en nous la sainte persévérance de nos intentions et le zèle de notre dévotion pieuse; qu'ils sachent bien que ce n'est point par une haine aveugle, mais par de très-justes motifs que le prince romain se soulève contre le prélat romain, parce qu'il craint que le troupeau du Seigneur ne soit conduit dans de fausses routes par un pareil pasteur. Voilà ce que nous déclarons aux cardinaux216 de la très (495) sainte et sacrée église romaine par des lettres et nos députés, au nom du sang de Jésus-Christ, et en invoquant le jugement dernier, pour qu'ils avisent à convoquer un concile général des prélats et des autres fidèles du Christ, où seront appelés nos députés et ceux des autres princes; et nous sommes prêt à y assister en personne, et à y montrer et prouver en leur présence la vérité de tout, ce que nous avons avancé, et de plusieurs autres imputations plus graves encore. Nous n'avons pas moins de raisons concevables pour être irrité, en voyant que ce recteur de l'église, qui devrait être le vase choisi, plein de toutes les vertus et surtout de la fermeté, sans une seule tache de cupidité, de peur que l'erreur des chefs ne se propage et ne s'augmente parmi les sujets, a violé la promesse qu'il nous avait faite, sur l'avis de ses frères, dans des lettres où il s'engageait non seulement à ne point nous manquer, mais encore à nous soutenir par aide, conseil et faveur dans le rétablissement des forces de l'empire, et qu'il cherche à fouler aux pieds les droits de l'empire, en ayant recours à la calomnie pour diffamer notre personne; surtout puisqu'en feuilletant avec soin le livre entier de notre conscience, nous ne trouvons en nous aucun prétexte ni motif pour lequel cet homme, notre ennemi, ait dû s'emporter si violemment contre nous; à moins qu'il ne soit indigné de ce que notre magnificence avait regardé comme malséant et peu convenable de contracter alliance avec lui, en mariant sa nièce avec Henri, notre fils naturel, aujourd'hui roi (496) de Torres217 et de Gallury. C'est donc à vous que nous aimons, ainsi qu'à ceux que vous aimez, à vous qui serez un jour prince de la terre, de vous affliger non-seulement avec nous, mais encore avec l'église, qui est la réunion de tous les fidèles: car sa tête est languissante, puisque son prince est devenu comme un lion rugissant, puisque son prophète est un insensé et un homme infidèle, puisque son prêtre souille le sanctuaire en agissant injustement contre la loi. Cependant c'est à nous, plutôt qu'à aucun autre prince du monde, de déplorer avec raison les attentats du souverain pontife, à nous qui, étant les plus voisins de lui par nos états, et les plus rapprochés par notre office, partageons les mêmes honneurs et sentons les mêmes fardeaux. Mais nous ne devons pas oublier de vous prier affectueusement, au nom de la parenté qui nous lie, de ressentir l'opprobre qu'on nous fait autant que si c'était votre propre injure. Quand le feu prend aux maisons voisines, puisez de l'eau, et courez à vos maisons. Faites bien attention aux motifs de la colère pontificale, qui n'est excitée que par amitié pour nos rebelles. Si, pour le moment, ce motif n'est pas avoué hautement, ce n'en est pas moins lui, soyez-en sûrs, qui détermine le pape à une pareille conduite: craignez d'être à votre tour exposés à de pareils dangers dans vos états. En effet, on regarde comme aisé l'abaisse- (497) ment des rois et de tous les autres princes, si l'on parvient à écraser la puissance du César des Romains, dont le bouclier soutient le choc des premiers traits lances par les ennemis. L'affaire de Lombardie, voilà donc la véritable cause de cette inimitié! voilà ce qui rongeait le cœur du pape, et le brûlait intérieurement! voilà ce qu'il n'osait faire éclater publiquement, de peur de nous scandaliser, nous et ceux qui auraient entendu pareille chose! Toujours est-il qu'il nous envoya son nonce spécial, homme digne de foi, et dont nous invoquons le témoignage à cet égard, pour nous transmettre de vive voix la promesse formelle qu'il nous faisait, non-seulement de ne léser en rien notre magnificence, mais encore d'appliquer à nos besoins les décimes du monde entier, consacrées aux nécessités de la Terre-Sainte, à condition que que nous remettrions l'affaire des Lombards à son arbitrage. Et cela n'a rien d'étonnant. Il était aiguillonné sans cesse par les reproches acérés des Lombards, à qui (comme nous tenons le fait de l'aveu même de quelques prélats) il avait promis, par un serment prêté en personne, son secours contre nous et contre l'empire, à l'époque où il les fit passer dans notre royaume, pendant que nous combattions pour Jésus-Christ dans les provinces de Syrie. Mais quand arriva le temps d'accomplir sa promesse, il pouvait licitement se dégager de son serment et renoncer au projet qu'il avait conçu. Loin de là, il ne craignit nullement de faire en leur faveur une chose horrible à rapporter, et qui était dépourvue de toute prudence (498) et de toute raison. En effet, après qu'il nous eut fait avertir par Grégoire (?), évêque de Brescia, par Henri, évêque de Côme218, et par d'autres évêques, que nous devions accepter la satisfaction que les Lombards nous offraient par son entremise, ou au moins la trêve accordée aux Lombards, comme nous, l'avons dit, pour quatre ans, à cause des affaires de la Terre-Sainte, lorsque déjà cinq ans s'étaient écoulés depuis la conclusion de ladite trêve; après que nous eûmes demandé un délai fort court pour soumettre une chose de cette importance à la délibération de nos féaux; tandis que les prélats chargés de nous avertir219 approuvaient le délai susdit, sur l'approbation du légat susdit, à savoir, Grégoire de Montelongo, qui, pendant ce temps, séjournait à Milan (comme tout cela est prouvé clairement par le témoignage des prélats eux-mêmes); au milieu de ces négociations, disons-nous, il a vomi le venin conçu contre nous, sans attendre le jugement de notre volonté, ni les réponses de nos féaux conseillers, comme dans la suite le rapport de quelques-uns l'a déclaré. Enfin, nous vous adjurons et sollicitons, non-seulement vous, mais vous tous aussi, seigneurs et princes du monde entier, de tenir ferme pour nous; non pas que nos forces ne suffisent pour repousser une pareille injure, mais afin que le monde entier sache qu'on s'attaque à l'honneur de tous, quand on offense quelqu'un qui fait partie du corps (499) des princes séculiers. Donné à Trévise, le vingtième jour du mois d'avril, neuvième indiction.220»

Scandale de la dispute entre le pape et l'empereur. — Réponse du pape à la lettre de Frédéric II. — Le seigneur empereur adressa cette lettre, en changeant seulement les titres et quelques mots à la fin, au roi d'Angleterre et à une foule de princes du monde, pour prouver son innocence, et rendre évidente l'insolence du pape; et le scandale commença à se répandre dans l'étendue du monde entier. Le pape, de son côté, ayant eu connaissance de cette lettre par un rapport confidentiel, diffama de plus en plus l'empereur, le chargeant d'opprobres et l'accusant même d'hérésie; puis il envoya aux princes et aux prélats de l'univers une lettre plus prolixe encore et remplie d'invectives, pour le rendre infâme et détestable aux yeux du monde entier. Voici cette lettre:

«Grégoire, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à ses vénérables frères l'archevêque de Cantorbéry et ses suffragants, salut et bénédiction apostolique. Une bête est sortie du fond de la mer, n'ayant à prononcer que des paroles de blasphème. Elle a les pieds d'un ours, la gueule furieuse d'un lion; elle est formée de membres divers comme un léopard; elle ouvre la gueule pour blasphémer le nom divin, et ne craint point de s'attaquer, avec la même rage, au (500) tabernacle du Seigneur et aux saints qui habitent dans les cieux. Elle veut tout déchirer avec ses dents et ses ongles de fer; elle brûle de fouler toutes choses sous ses pieds. Jadis elle a préparé à l'église des embûches secrètes; aujourd'hui elle construit ouvertement les machines des Ismaélites, elle bâtit des gymnases221 pour la perdition des âmes, et se soulève contre le Christ rédempteur du genre humain, en s'efforçant d'effacer les tables de son testament, avec le stylet de la perversité hérétique, ainsi que sa forme l'atteste. Cessez donc tous de vous étonner, vous tous à qui sont parvenus les blasphèmes répandus par cette bête contre nous; il n'y a rien de surprenant à ce que nous, qui sommes soumis à Dieu en toute humilité, soyons en butte aux flèches de ses détractions, puisque le Seigneur lui-même n'est pas exempt de ces opprobres. Cessez de vous étonner si elle tire coutre nous le poignard des injures, puisqu'elle s'est levée pour abolir de ce monde le nom du Seigneur; mais plutôt, afin de pouvoir par la simple vérité résister à ses mensonges, et réfuter ses tromperies par les arguments de pureté, examinez attentivement la tête, le milieu et les extrémités de cette bête, qui n'est autre que l'empereur Frédéric. Alors, ne trouvant dans ses paroles que des abominations et des crimes, armez vos esprits sincères du bouclier de la vérité, pour repousser ses ruses. Considérez comment ledit Frédéric, par des lettres envoyées dans les différents (501) climats du monde, cherche à noircir par ses criminels récits la sincérité du saint-siége apostolique et la nôtre. Cet artisan de fausseté, incapable de modération, et ignorant ce que c'est que la honte, ment quand il dit que nous avons été son ancien ami, quand nous étions dans un rang moins élevé; que nous avons changé de foi et de mœurs, après avoir obtenu l'office d'apostolat; que, se trouvant tenu par le serment qu'il avait prêté et par la sentence d'excommunication prononcée contre lui, de se rendre à la défense ou au secours de la Terre-Sainte dans un temps donné, et n'ayant pu opérer son passage pour cause de maladie, nous l'avons enveloppé dans les liens de l'excommunication; que nous lui avons refusé le bénéfice d'absolution, quand il nous le demandait après avoir recouvré la santé; qu'à l'époque où il effectua le susdit passage en Terre-Sainte, nous avons envoyé au soudan, par nos députés et par nos légats, des lettres pour mettre obstacle à ses progrès, pour faire en sorte qu'il fût frustré dans l'espérance qu'il avait de recouvrer le royaume de Jérusalem. C'est faussement aussi qu'il se plaint de ce que nous sommes entré injustement et violemment sur sa terre, et de ce que nous avons provoqué ses hommes au parjure, parce que Regnauld, fils de l'ancien duc de Spolète, avait envahi la terre de l'église, mais sans son aveu. Il se glorifie de même d'avoir négligé de venger son injure à son retour de Syrie en Apulie, d'avoir consenti à la concorde, et d'être revenu vers l'église sa mère. Or, quoique l'esprit public ait ré- (502) prouvé toutes ces assertions mensongères dudit Frédéric, comme néanmoins une calomnie qui est voilée sous l'apparence de la sincérité trouve quelquefois des oreilles complaisantes, quelle que soit la droiture de ceux qui écoutent, quand la vérité n'a pas d'avocat pour la défendre; il convient, de peur que la fausseté ne puisse se glisser par fraude dans vos cœurs, de vous faire le récit exact et vrai de la conduite que nous avons tenue; nous qui, avant d'avoir reçu sur nos épaules le fardeau apostolique, comme après l'avoir reçu, avons cherché à combler de notre bienveillance ledit Frédéric, alors caché sous la peau du renard, jusqu'à ce que toutes les espérances qu'un père a coutume de fonder sur son fils eussent été déçues, et que ce même Frédéric, enivré de sa grandeur, perdant la tête par sa puissance même, rendant à l'église, sa mère, le mal pour le bien, après l'avoir quelque temps flattée par des paroles caressantes et trompeuses, eût commencé à répandre sur elle son venin, en tournant contre elle le dard de sa queue, à la manière des scorpions. En effet, tandis que les besoins de la Terre-Sainte, la susdite sentence, le serment prêté, la venue du terme fixé demandaient son passage en Asie; tandis que plusieurs milliers de croisés qui l'attendaient à Brindes, sollicitaient la même chose; tandis que les susdits croisés, exposés à l'inclémence d'un air auquel ils n'étaient pas habitués, périssaient en foule par les divers accidents d'une mort déplorable, ledit Frédéric les retint en ce lieu, et encourant gratuitement le reproche (503) de parjure et la sentence d'excommunication, il se mit quelques jours au lit, faible de foi, mais sain de corps, feignant d'être malade pour mentir à Dieu avec plus de sécurité et pour tromper l'église en refusant de passer en Terre-Sainte. Il ne craignit point de laisser les saints lieux exposés aux incursions des ennemis du Christ, et ne ressentit aucune douleur de ce qu'un noble seigneur, d'illustre mémoire, à savoir, le landgrave de Thuringe, trouva la mort en cet endroit: plaise à Dieu que ce n'ait point été par le poison, comme c'est le bruit public. Lorsque nous eûmes été instruit, par les lettres des prélats qui demeuraient aussi en cet endroit, de cette feinte maladie et des autres choses plus haut dites, nous ne voulûmes pas nous rendre répréhensibles, nous et le saint-siége apostolique, en empêchant la verge de la discipline de sévir contre un pareil attentat, et déplorant la mort des croisés et les périls de la Terre-Sainte, nous voulûmes qu'au moins les larmes de la tristesse fussent essuyées dans le sein222 de l'église par une main justement consolatrice; alors nous déclarâmes que le susdit Frédéric était frappé désormais par la sentence d'excommunication portée déjà contre lui, et de son propre consentement, par l'autorité de notre prédécesseur le pape Honorius, d'heureuse mémoire. Nous souhaitâmes, avec le plus vif désir, qu'il reconnût sa faute en apprenant les maux qu'il avait causés, et qu'il finît par fournir les secours (504) tant désirés. Nous lui écrivîmes aussi, pour lui offrir de lui octroyer dans les formes le bénéfice d'absolution, aussitôt qu'il se mettrait en route pour la délivrance de la Terre-Sainte; mais lui, dont c'était là le moindre souci, s'inquiéta peu des clefs de l'église, et passa en Syrie sans être absous. Là, il ne se fit rendre par le Soudan que les seules murailles de Jérusalem; il lui donna pour attaquer les chrétiens une nombreuse armée de cavaliers et d'hommes d'armes; et concluant une alliance avec lui pour six ans, il abandonna le temple du Seigneur aux soins des Sarrasins, qui y chantaient les louanges de Machometh. Ainsi, de défenseur des Chrétiens, devenu leur ennemi, il attaqua de toutes ses forces notre vénérable frère, le patriarche de Jérusalem, et les Templiers. Or, peut-il être croyable pour des hommes de bon sens, que nous ou nos légats ayons cherché à l'empêcher de recouvrer le royaume de Jérusalem, puisque l'église avait travaillé pour ce but avec tant de zèle, et avait supporté tant de charges et de dépenses. Mais ce qui est parvenu à la connaissance du monde entier, c'est que, pendant que le même Frédéric, dans les pays de Syrie, persécutait l'église en la propre personne de Dieu, il lui faisait éprouver de l'autre côté de la mer diverses tribulations, par le ministère dudit Regnauld, qu'il avait laissé pour lieutenant dans son royaume, contre notre avis. En effet, le susdit Regnauld, en vertu de lettres scellées du sceau d'or, et seconde par l'argent et par les vassaux du même Frédéric, osa envahir la terre de l'église, prendre, mu- (505) tiler, ou faire périr sous le bâton quelques prêtres et clercs; enfin, nous troubler dans le gouvernement [du patrimoine de saint Pierre], en s'emparant d'une partie de la terre de Pérouse. Quoique nos féaux et nos dévoués, ne pouvant supporter plus longtemps pareille chose, et secondés par ledit Christ, qui donne la victoire à son épouse, eussent chassé ledit Regnauld de la terre de Pérouse; comme ce Regnauld ne cessait point de persécuter l'église, ils pensèrent qu'ils agiraient plus sagement, s'ils coupaient les veines d'où cette milice tirait sa force première, que s'ils attendaient que ce torrent impétueux se fût grossi par de nouveaux ruisseaux. Ils entrèrent donc dans le royaume de Sicile, qui est le patrimoine spirituel de l'église, de peur qu'on ne forgeât des traits contre nous dans l'endroit même d'où nous aurions dû plutôt attendre du secours; et s'il y avait parmi eux un grand nombre d'habitants de ce royaume, qui obéissaient au saint-siége apostolique, on ne peut nullement les réputer coupables de parjure, puisqu'ils étaient déliés du serment de fidélité qu'ils avaient prêté au même Frédéric, en vertu de la sentence d'excommunication portée contre lui. Quand ledit Frédéric est revenu des pays d'outre-mer et quand il est rentré dans le giron de l'église sa mère, nous lui avons présenté le sein de la piété apostolique, et étant nous-mêmes disposé à la concorde qu'il sollicitait, nous lui avons octroyé le bénéfice d'absolution. Après cela, ce fils de mensonge accumulant faussetés sur faussetés, a6n que plus il aurait ourdi de filets men- (506) songers, plus il se plaignit d'être enveloppé dans de grands dangers, a recours à de nouveaux mensonges, et déclare [dans son manifeste] que nous lui avons suggéré, à sa grande confusion, d'entrer en Lombardie avec un cortège pacifique et sans armes, promettant d'aplanir devant lui tous les obstacles, et que nous n'avons point permis qu'il atteignît le but de ses intentions en les contrariant par nos députés et par nos lettres. Il ajoute que n'étant point soutenu par la puissance des armes, il a été forcé de revenir dans son royaume; qu'il a défié sur nos instances les Romains qui alors assiégeaient Viterbe; il assure, faussement aussi, qu'il a envoyé au secours des habitants de Viterbe une vaillante chevalerie; il nous accuse d'avoir écrit aux Romains que cela avait lieu malgré notre aveu, et d'avoir rétabli la concorde entre eux et nous, sans l'en prévenir. Par un nouveau mensonge qui est dans ses intérêts, il se plaint encore d'être venu nous trouver en personne et sans être appelé, à l'époque où les Romains troublèrent de nouveau la paix de l'église, accompagné de son fils Conrad, qu'il dit nous avoir offert pour otage; d'avoir remis à notre arbitrage la discorde soulevée entre lui et les Lombards; d'avoir restitué aux droits du saint-siége apostolique la terre qui lui avait été enlevée, et d'avoir rétabli la liberté ecclésiastique dans son ancien et légitime état. Plût à Dieu que cet artisan de fausseté fût un homme ayant une âme droite! plût à Dieu que ces assertions mensongères se fussent réalisées en vérités! Il nous reproche en- (507) cote d'avoir annulé223 ce qui avait été réglé par notre vénérable frère, l'archevêque de Ravenne, relativement à la restitution, envers ledit Frédéric et son fils Conrad, des droits qui leur avaient été enlevés dans le royaume de Jérusalem, et cela aussitôt que nous pûmes compter l'argent qu'on nous apportait; de l'avoir empêché de porter secours à ses féaux qu'une invasion hostile désolait, non sans incendies d'église et sans carnages d'hommes; enfin, de nous être refusé à envoyer des députés et des lettres à ce sujet; mais ce ne sont que faussetés. Il ne craint point non plus d'écrire dans ses lettres avec le stylet du mensonge, que nous détenons la ville de Castellana contre la teneur du traité de paix et l'avis de nos frères. Or, comme toutes ces fictions se trouvent mélangées d'un peu de vérité qui leur donne quelque couleur, nous désirons que vous compreniez clairement qu'une forte dose de fausseté décolore la plus grande partie de ces assertions. Sachez donc pour sûr, que nous lui donnions un conseil vraisemblablement fondé sur la prudence, comme les événements qui se passent aujourd'hui sont là pour le prouver, et qu'il aurait pu bien mieux accomplir ses desseins à l'égard des Lombards, s'il s'était montré un père de piété et un seigneur de clémence envers ceux que leur grand nombre, la profondeur de leurs retranchements, la multitude de leurs hommes d'armes, et la hauteur, (508) de leur murailles rendent puissants, qu'en se présentant d'un air terrible, entouré de guerriers et le glaive des vengeances tire hors du fourreau, à ses sujets tremblants à cause des fautes qu'il leur reprochait. Aussi nous qui sommes tenu de procurer les biens de la paix, lui donnâmes-nous de bonne foi le conseil de les ramener à l'obéissance de l'empire, en renonçant à l'appareil effrayant d'une chevalerie armée, en négligeant d'exercer les vengeances promises, et en donnant des témoignages de bienveillance. Or, quoiqu'il se soit rendu en Lombardie avec un cortège pacifique, comme il a oublié notre fidèle conseil, comme il s'est montré du côté de Crémone un artisan de massacre et de schisme, comme il s'est étudié à diviser encore plus la Lombardie déjà divisée parles discordes, et à s'aliéner par la terreur et la menace les Milanais qu'il aurait dû tout au contraire attirer vers l'unité en leur présentant la corde de la charité; nous sommes fort innocent de tout cela, et il n'y a. point de notre faute s'il est revenu en Apulie, frustré dans ses espérances, puisque c'est lui-même qui a tué ses propres espérances. Il dit encore qu'il s'est montré disposé à agir, selon notre bon plaisir, pour la défense de la liberté ecclésiastique et pour l'extirpation de la perversité hérétique; notre lettre répond suffisamment à son assertion et la réfute: comme dans son royaume, où personne ne remue ni la main ni le pied sans son commandement, l'hérésie avait répandu au loin ses poisons contre la foi catholique et que la liberté de l'église y gisait presque foulée aux (509) pieds, il ne parut point convenable de confier le remède de salut à un homme dont le pied avait gagné la maladie au contact de l'hérésie; et bientôt la suite des événements prouva la justesse de notre réponse; car ayant appris que quelques-uns, séduits par de mauvais conseils, voulaient entrer sur lu terre de l'église, il se retira aussitôt en Sicile, comme s'il prenait la fuite, de peur que son manque de foi ne le convainquît de fausseté; et il ne procéda nullement contre ces gens-là, ni en paroles ni en actions, tandis qu'il nous reprochait d'avoir mis nos soins paternels à rappeler à l'amour de leur mère les fils spéciaux de l'église, c'est-à-dire les Romains qui revenaient vers la ville. Puis le même Frédéric ayant appris que quelques fils d'iniquité cherchaient à séparer les Romains de la charité de l'église, et ayant réfléchi qu'il les opprimerait plus facilement elle et eux, s'il blessait plus profondément ladite charité avec sa fourberie habituelle, il courut vers le saint-siége apostolique même sans en avoir été prié, alors que nous séjournions à Riéti, et il nous promit en toute humilité de rétablir dans son premier état la terre que l'église avait perdue et de la défendre selon son pouvoir: cependant il empêcha que, dans la Toscane où il s'était transporté avec son armée, un certain château qui aurait pu être reconquis sans beaucoup de peine rentrât sous les lois de l'église. Et tandis que ses mains en gage de foi étaient encore dans les nôtres, tandis qu'il était avec nous à la table [sainte?], son lieutenant, à un signal donné (comme ledit Frédéric en est ou- (510) vertement convaincu par la conséquence du fait et par ses lettres que nous tenons en réserve comme témoignage d'une si grande trahison), a fait une convention avec les ennemis de l'église au sujet de ce château qui devait être évacué à jour fixe, et cette montagne empoisonnée leur a fourni services et protection pour rester en armes contre nous. Voyez donc quels services rend à l'église cet ennemi secret qui ne rougit point de se transformer en serviteur ecclésiastique pour être plus à portée de nuire à l'église. Cependant (et nous désirons que vous en soyez bien sûrs) nous passâmes cette perfidie sous silence et ne voulant point que rien fût changé à son égard dans la pureté de l'affection apostolique, nous confiâmes audit archevêque [de Ravenne] l'office de légation et nous lui recommandâmes de faire rendre audit Frédéric et audit Conrad, les droits qui leur avaient été enlevés dans le royaume de Jérusalem. S'il remplit sa mission sur ce point, il outre-passa les pouvoirs qui lui avaient été donnés, et sans égard pour l'appel interjeté devant nous, il mit la Terre-Sainte en interdit, ce qui ne s'était jamais vu jusqu'à présent et cela après qu'on en avait appelé de cette sentence. Alors, considérant que cette mesure était fort préjudiciable à la Terre-Sainte, parce que les pèlerins l'abandonnaient ou que les autres différaient le passage qu'ils se disposaient à faire, nous jugeâmes à propos en toute sincérité et sur l'avis de nos frères, après avoir reçu caution suffisante des barons, seigneurs et comtes du royaume susdit, de casser cette sentence qui était (511) nulle de plein droit comme ayant été portée après appel légitime; sans pour cela toucher en rien à ce qui avait été réglé par ledit archevêque sur tous les autres points. Si ledit Frédéric ouvré ses lèvres impures pour répandre des calomnies contre nous, que votre esprit n'en soit point troublé; parce qu'étant un vase rempli des immondices du vice, il pense que les mauvaises pensées qui souillent son âme, veillent aussi dans les âmes des autres en punition de leurs crimes. Aussi comme les invectives des méchants valent des louanges et que leurs louanges valent des invectives, nous aimons beaucoup mieux être noirci par des insinuations perverses, que recevoir des éloges de la part d'un homme dont toutes les paroles sont un tissu d'infamies. Mais peut-être croit-il, par ses invectives, effacer la tache qui souille sa renommée, en présentant sous de fausses couleurs son séjour à Viterbe: lui qui s'est enfui sans rougir devant la face des ennemis de l'église et qui n'a point volé à la défense de ses féaux, que ses ennemis attaquaient sous ses yeux, et dont ils dévastaient la terre sans aucun obstacle, prétendant que c'était nous qui l'empêchions de leur porter secours; lui qui prodigue de l'honneur impérial, mais arrêté par la peur, a voulu faire un crime à notre innocence de ce que nous n'avions pas envoyé un nonce à latere, pour mettre un terme aux dommages qu'il éprouvait dans cette guerre. Mais il n'y a là rien d'étonnant, puisqu'à cette époque l'état ecclésiastique était troublé par des afflictions et des persécutions multi- (512) pliées. Mous arrivons maintenant au grief qu'il met en avant relativement à la ville de Castellana. Les habitants de cette ville, en se donnant à lui à l'insu de l'église et au mépris de leur serment, n'ont pu lui donner, par cette fraude, aucun droit sur eux-mêmes, ni occasionner envers nous aucun préjudice relativement à la possession, en trahissant l'église, puisque c'est à elle qu'appartient, presque à titre de possession, la juridiction de la ville et des habitants; et comme ce ne sont pas eux224, possesseurs pour le compte d'autrui, et non pour le leur qui ont eu la possession en principe, il n'a pu détruire les lois des possessions, ni conférer à des étrangers les droits225 des possesseurs. Aussi bien, lui qui avait maintes fois fait le serment de rendre les possessions qui ne lui appartenaient que pour le compte de l'église, semble agir avec assez peu de sagesse quand il exige de nous ce qu'il ne pouvait garder sans parjure. On ne doit point croire non plus que nous qui étions prêt à lui donner pleine justice sur ce point, soit par devant arbitres, soit de toute autre façon, ayons méprisé l'avis de nos frères, puisque, ses députés refusant de poursuivre le jugement commencé, il n'y avait plus lieu à requérir. D'où l'on peut voir qu'il n'avait suscité cette question que par fraude et seulement dans l'intention de trouver un prétexte pour déclamer contre l'église, et pour rompre la (513) paix conclue entre lui et nous. Si notre plume consent, dans le présent manifeste, à insister sur le grief impérial suivant, qu'il mentionne entre autres dans sa détestable lettre, c'est afin que, plus ses mensonges seront connus, plus il reste confus de sa fausseté. Voici donc ce qu'il nous reproche. Quand nous eûmes appris qu'il allait entrer en Italie avec plusieurs milliers d'hommes d'armes pour reconquérir les droits impériaux, nous lui envoyâmes, dit-il, un rescrit apostolique pour lui défendre d'entrer à main armée en Italie, et pour lui ordonner formellement de s'en remettre à nous sur l'affaire de Lombardie; voulant ainsi ou recourir à des délais interminables, ou être à même d'étouffer en toute liberté le droit de l'empire: il ajoute que nous fîmes partir notre vénérable frère l'évêque de Préneste, pour rendre sa tentative inutile, et que nous lui suscitâmes de toutes parts, dans le monde, des empêchements clandestins au moyen de nos légats et de nos lettres. Puis cet homme, à qui sans doute l'indignation divine a refusé le pouvoir d'avouer la vérité et de parler selon la justice, et qui ne rougit point de répandre des imputations calomnieuses contre notre personne, pas plus qu'il ne craint de présenter des justifications fondées sur de pareilles calomnies, prétend qu'il a envoyé en ambassade vers le saint-siége apostolique notre vénérable frère l'archevêque de Palerme et quelques autres, pour nous assurer de son entier dévouement au sujet de la liberté ecclésiastique et de la détermination des (514) droits de l'église et de l'empire; que nous avons accueilli ces offres et avons promis de faire cesser tous les obstacles qui se présentaient à lui; qu'au départ de ses députés nous avons confié l'office de légation à notre cher fils Grégoire de Monte Longo, notre notaire, pour la ruine de ses féaux; que lui-même, ayant néanmoins renvoyé vers le saint-siége apostolique ledit archevêque et ses autres députés, et nous ayant offert pleine et entière satisfaction, nous l'avons excommunié injustement malgré l'opposition de la plus saine partie de nos frères, contre les traditions des saints pères, et la coutume solennelle de l'église. Mais tout cela est faux aussi bien que sa conclusion; et il fait entendre, à sa grande honte, que nous, qui sommes le vicaire du bienheureux Pierre, n'avons pas le pouvoir de lier et de délier, comme s'il voulait déclarer que nous n'avons point l'usage des clefs célestes confiées au prince des apôtres. Prenez donc, nous vous en prions, la balance de la raison; considérez la conduite qu'a tenue ledit Frédéric envers l'église; pesez, d'un côté, ses excès, et de l'autre les bienfaits qu'il a reçus d'elle. En effet, quoique ce dragon, qui a été fait pour être notre jouet, et qui a été donné en pâture au peuple d'Éthiopie, ait fait sortir de sa gueule les eaux de la persécution, comme un torrent destiné à inonder l'église, le saint-siége apostolique a cependant surpassé la méchanceté de cette bête par l'inestimable miséricorde de ses bienfaits. Car jadis, alors qu'il n'était qu'un enfant, alors qu'il était exposé, pour sa grande confusion, aux (515) attaques de ceux qui avaient faim de sa chair226 et soif de son sang, l'église romaine sa mère, le voyant abandonné de ses parents et de ses amis, et presque nu, remplit aussitôt à son égard l'office de nourrice, le porta dans ses bras, le couvrit sous le manteau du saint-siége apostolique, l'arracha aux pièges des chasseurs, l'éleva, à force de travaux et de dépenses, sur le trône des rois, et lui mit en tête la couronne impériale. De plus, regardant comme peu de chose ce qu'elle avait déjà fait pour lui, elle eut soin de lui soumettre le royaume de Jérusalem, et d'exalter son nom dans tout l'univers; quoiqu'elle eût dès lors à se plaindre d'avoir éprouvé de sa part de nombreux chagrins, elle le secourut puissamment, au bout de quelque temps, contre son fils Henri qui avait soustrait à son obéissance une grande partie de l'Allemagne. Oubliant les blessures qu'elle avait reçues de lui, elle le fit presque empereur pour la seconde fois, en disposant la Germanie au gré de ses désirs par des lettres apostoliques. Tels sont les bienfaits, et d'autres encore, que nous ne suffisons pas à rappeler, par lesquels nous construisîmes le rempart de sa gloire; mais lui, bâton des impies et marteau de la terre entière, voulant bouleverser l'univers, écraser les royaumes et faire du monde un désert, réduisit, dans son royaume de Sicile, la liberté ecclésiastique aux opprobres de la misère la plus abjecte. Il désossa pour ainsi dire les églises, (516) afin de se remplir le ventre de leur chair encore tendre; les couvrit de souillures, les chargea de fardeaux, les accabla de tortures, les dépouilla de leurs biens consacrés aux usages des saints, jeta dans les prisons les personnes ecclésiastiques, les soumit, contre tout droit, à des accusations criminelles, les força de payer des tailles, d'épuiser les biens ecclésiastiques pour se racheter de ses vexations, et enfin de vivre dans l'exil. Il ne permit point aux églises, veuves des consolations pastorales, de se choisir des époux et de déposer les habits du veuvage, jusqu'à ce qu'elles fussent obligées de souffrir, par viol, des embrassements adultères. Il construisit, avec les habitations chrétiennes, les murailles de Babylone; il transféra les édifices où l'on rend un culte au nom divin dans les lieux où Mahomet, l'homme de perdition, est adoré. Réunissant des troupes de toutes parts, il défendit qu'on prêchât publiquement, dans le même royaume, la foi et le nom du Dieu crucifié; mettant obstacle aux affaires et au recouvrement de la Terre-Sainte, il interdit à ses féaux de contribuer de leurs biens à la réussite de cette entreprise. Au mépris du serment juré et de l'alliance pacifique conclue entre lui et l'église, il priva de nobles hommes de leurs châteaux et de leurs autres biens, après avoir réduit leurs femmes et leurs enfants en captivité; les força, par la proscription, à quitter leurs demeures pour se transporter dans des colonies étrangères, les obligea, eux qui avaient été nourris dans le luxe, a ramper dans la fange, enfin les amena à la dernière (517) misère. Il fit aussi éprouver aux pauvres les mêmes afflictions, et nous croyons que de pareils excès excitent d'autant plus violemment le courroux de Dieu que nous avons de meilleures raisons pour les regarder comme innocents. Que dirons-nous de plus? Par ses cruautés inouïes, les barons, les chevaliers et les autres hommes du même royaume de Sicile ont été réduits à la fortune et à la condition des esclaves; déjà pour la majeure partie les habitants de ce royaume n'ont pas en propre de quoi reposer sur une paille grossière, de quoi couvrir leur nudité avec les plus rudes habits, de quoi rassasier à peine leur ventre avec du pain de millet. Or, comme déjà à l'époque de notre prédécesseur Honorius, les hurlements et les cris des églises susdites et des malheureux habitants avaient frappé les oreilles de l'église par de perpétuelles lamentations, et comme nous ne pouvions plus, sans blesser notre conscience, passer pareille chose sous silence, nous eûmes soin d'avertir ledit Frédéric, non pas une fois, mais maintes fois, par nos députés et par nos lettres, de réparer les crimes susdits; nous attendîmes avec une longue patience, dans les temps passés, espérant que peut-être il lèverait les yeux vers le ciel, et que, dépouillant le vieil homme pour devenir un homme nouveau, il s'abstiendrait de souiller ses mains par de pareils crimes. Encore incertain sur les réparations que nous demandions, mais voulant néanmoins contribuer à ses succès, nous lui écrivîmes au moment où il entrait à main armée en Lombardie, pour lui dire (518) que dès qu'il paraîtrait l'interdit ne serait nullement observé dans les lieux soumis à l'interdit pour quelque cause que ce fût; et nous exhortâmes aussi par nos lettres le même Frédéric à nous remettre expressément le soin de cette affaire, de peur qu'il ne pût nuire à la croisade projetée pour le bien de l'église, de l'empire et de toute la chrétienté; lui remontrant que s'il procédait contre les Lombards à main armée, il donnerait un exemple tellement pernicieux, que l'église, aux yeux du plus grand nombre, serait regardée comme ayant trompé les autres. De plus, comme il nous appartient d'après le fardeau qui nous a été imposé, de fermer les plaies du schisme, nous confiâmes, pour apaiser la discorde entre l'empire et les Lombards, l'office de légation à l'évêque de Préneste, et nous jugeâmes à propos de le choisir de préférence à tout autre par cette considération que les parties discordantes n'avaient point de raisons pour le regarder comme suspect, et qu'il ne devait témoigner dans sa conduite ni haine ni partialité favorable, étant un homme détaché du monde et de la chair par l'exercice de notre sainte religion, et qui planait déjà dans les hautes régions de l'amour divin. Que notre détracteur réponde; qu'il dise s'il doit encore nous reprocher à nous et au même évêque d'avoir heureusement réglé et conclu un accord à Plaisance entre les pères, les fils, les alliés, les cousins et les frères, ledit évêque étant présent et protestant que cet accommodement avait lieu sauf les honneurs et droits de l'empereur, de l'empire et de toutes les (519) autres personnes. Que notre blasphémateur, comprenne aussi quelle honte rejaillit à bon droit sur lui, de ce que, après que nous eûmes envoyé eu Lombardie, sur ses instances et celles de ses députés, notre vénérable frère l'évêque d'Ostie, et notre fils Thomas, cardinal-prêtre du titre de sainte Sabine à l'effet de rétablir la paix entre les Lombards et l'empire selon la forme fixée par les mêmes députés, il refusa d'accepter par leur entremise le rétablissement de la paix, en se moquant de nous, et au moment où les légats susdits étaient disposés à accéder à ses demandes et même à de plus grandes exigences. Voilà comment, vous le comprenez maintenant, nous avons foulé aux pieds les droits de l'empire: considérez d'après ce que nous avons dit, quels sont les empêchements que nous lui avons suscités; n'est-ce pas plutôt lui qui, malgré nos longues et inutiles peines, a résolu de se faire marcher sur le corps à lui et aux siens, plutôt que de souffrir que les droits de l'empire fussent rétablis par notre entremise? En outre, le même Frédéric, non content des outrages qu'il avait fait éprouver à l'église, a donné à quelques-uns de nos rebelles de fortes sommes d'argent, et a tenté maintes fois de soulever contre nous des séditions dans la ville pour nous chasser de nos sièges nous et nos frères, et pour que la base de la foi, sur laquelle le Seigneur a élevé son édifice, s'écroulât plus facilement par l'impulsion dudit Frédéric. Il s'est emparé de Ferrare et de quelques autres terres de l'église, en pénétrant audacieusement dans (520) la Lombardie au mépris du serment juré. Puis croyant, relativement à cet excès et aux autres, se jouer de nous par de vaines paroles, il jugea à propos d'envoyer vers notre présence ledit archevêque de Palerme et ses autres députés avec des lettres de créance. Ceux-ci nous offrirent satisfaction au sujet de la réparation des offenses susdites; mais avant et après leur vénérable départ de notre cour, il ne craignit point de s'emparer de la terre de Sardaigne et des diocèses de Massa et de Lune, qui appartenaient à l'église romaine. Il nous montra par le fait même que nous ne devions plus attendre de lui désormais aucune réparation, et il nous prouva jusqu'à l'évidence par ses actions qu'il ne fallait ajouter foi ni à lui ni à ses députés. Aussi, comme en lisant au fond de sa conscience ledit Frédéric y voit que son cœur est disposé à écraser les églises et la foi catholique, il se défie de nous à juste titre, voyant qu'il ne peut se cacher à nous, de quelque manteau de fraude qu'il s'enveloppe; et il se plaint de ce que nous avons confié l'office de légation audit notaire pour l'arrêter dans le cours de ses succès; mais nous avons agi ainsi parce que nous avions de justes raisons pour suspecter sa puissance et que nous jugions qu'il vaut mieux prévenir le mal qu'y appliquer remède quand la blessure est faite. D'ailleurs nous n'avons pas tant fait cela à cause des soupçons qu'il nous inspirait, que pour être à même d'obvier, par le moyen dudit légat, aux désastres des guerres et aux périls des âmes et des corps. Ne pouvant espérer de sa part au- (521) cune réparation aux excès que nous avons mentionnés, sans compter ceux que nous avons omis, et nous désolant d'avoir été tant et tant de fois joué par ses promesses, nous avons jugé à propos, sur l'avis commun de nos frères, d'envelopper ledit Frédéric dans les liens de l'excommunication. Cette sentence devrait lui rendre le sens qu'il a perdu et le déterminer à s'humilier devant Dieu; mais loin de là, sa fureur s'en est accrue; et plus il reconnaît sa confusion, plus il craint fortement que l'église, faisant auprès de lui l'office de sage-femme, ne tire de son corps une couleuvre tortueuse. Il déclare que le démérite de notre personne nous a rendu indigne d'exercer l'autorité papale; il assure présomptueusement dans ses lettres que la sentence lancée par nous ne peut nullement l'enchaîner. et que nous, qui pendant notre gouvernement avons grandement augmenté, avec la grâce de Dieu, le patrimoine de l'église, avons au contraire dilapidé les biens ecclésiastiques, nous accusant d'avoir distribué des dispenses, d'avoir reçu des présents et de nous être souillé de la vilenie avaricieuse. Il fait entendre faussement que nous nous sommes irrité contre lui parce qu'il a refusé son consentement au mariage projeté entre notre nièce et son fils naturel. Il ment avec plus d'impudeur encore quand il dit que nous avons prêté en personne serment aux Lombards contre lui et contre l'empire, et que nous lui avons promis de convertir à son usage les dîmes du monde entier réservées pour les besoins de la Terre-Sainte, (522) à condition qu'il remettrait à notre arbitrage l'affaire de Lombardie. Or, nous avouons que nous sommes par l'imperfection de nos mérites, l'indigne vicaire du Christ; nous avouons que nous sommes insuffisant pour un fardeau tel que la faiblesse humaine ne peut le supporter sans le secours divin: néanmoins nous remplissons l'emploi qui nous a été confié aussi bien que notre fragilité nous le permet; nous réglons ce qu'il y a à régler selon que l'exigent la qualité et la nature des lieux, des temps, des personnes et des choses; et d'accord avec d'éminents personnages, nous octroyons des dispenses quand la nécessité le demande, purement et selon Dieu, en vertu de la plénitude de notre pouvoir. Cependant nous ne sommes pas affligé de ce qu'il blesse si profondément le caractère apostolique; parce que, tout en outrepassant l'autorité royale, il ne peut porter atteinte à la dignité sacerdotale. A ce propos, lui qui, possédé par la soif de l'or, a déjà réduit en cendres le royaume de Sicile; lui qui, à toutes les époques de sa vie, a rendu la justice avec pureté à un petit nombre de personnes, et au contraire avec vénalité et corruption à la plupart, a cru ressusciter en sa personne Simon le magicien. Il a espéré souiller la pureté de l'église par la boue des biens temporels; afin de pouvoir porter la main aux choses spirituelles, et d'obtenir la permission de croupir dans sa fange, il a essayé d'abattre le mur d'impartialité dont l'église est fîère, en lui faisant diverses avances, et particulièrement en lui offrant des châ- (523) teaux, et en lui faisant proposer maintes fois, par ses députés et par des prélats haut placés, une alliance de parenté entre les siens et les nôtres. Aujourd'hui, comme il n'a pu obtenir cela de nous par aucune instance ni aucun artifice, ainsi que la chose est presque notoire dans notre cour; comme il reconnaît plutôt qu'il est abandonné, lui et les siens, dans le gouffre de perdition, et que ses fraudes fallacieuses réussissent de moins en moins; comme il ne sait plus que faire maintenant, il se déshonore lui-même par ses mensonges en noircissant les autres: semblable à cette courtisane égyptienne qui, ayant excité Joseph à l'adultère et ayant été méprisée par lui, l'accusa auprès de son mari, pour n'avoir pas voulu ce qu'elle voulait. Quoiqu'on doive pleurer sur la perdition d'un homme, il y a cependant une chose pour laquelle vous pouvez vous réjouir beaucoup et rendre grâces à Dieu: c'est que le Seigneur a voulu que l'ombre de la mort ne cachât pas plus longtemps celui qui se glorifie d'être nommé le précurseur de l'antechrist; celui qui sans attendre le prochain jugement qui doit tourner à sa honte, élève de ses propres mains la muraille de ses abominations, en mettant au grand jour, par ses dites lettres, les œuvres de ses ténèbres, et en y assurant formellement qu'il n'a pu être enchaîné par la sentence d'excommunication que nous, vicaire du Christ, avons portée contre lui. Or, en prétendant ainsi que le Seigneur n'a point remis à l'église, dans la personne du bienheureux Pierre et de ses successeurs, le pouvoir de (524) lier et de délier, il prononce une hérésie et a recours à un argument qui tourne contre lui: car la conséquence de son raisonnement, c'est qu'il a des opinions perverses sur les autres points de la foi orthodoxe, puisqu'il cherche à enlever à l'église, sur laquelle la foi est basée et établie, le privilège d'autorité qu'elle tient de la parole de Dieu. Mais si quelques-uns étaient peu disposés à croire qu'il se soit pris dans les pièges de ses propres paroles, des preuves victorieuses sont toutes prêtes. En effet, ce roi de pestilence assure que l'univers a été trompé par trois barateurs227, pour nous servir de ses expressions, à savoir Jésus-Christ, Moïse et Machometh; que deux d'entre eux sont morts dans la gloire tandis que Jésus a été suspendu à une croix; de plus, il soutient clairement et à haute voix, ou plutôt il ose mentir au point de dire que tous ceux-là sont des sots qui croient qu'un Dieu créateur du monde et tout-puissant soit né d'une vierge. Il prétend même appuyer son hérésie par une nouvelle erreur en disant que nul ne peut naître si le commerce entre l'homme et la femme n'a précédé la conception, et qu'on ne doit absolument croire qu'à ce qui peut être prouvé par les lois des choses et par la raison natu- (525) relle. Tout cela et beaucoup d'autres choses par lesquelles il a attaqué et attaque la foi catholique en paroles et en actions, pourront être prouvées manifestement en temps et lieu, comme il convient et est avantageux de le faire. C'est pourquoi nous vous prions tous tant que vous êtes, vous avertissons, vous recommandons expressément, et vous enjoignons par ce rescrit apostolique, en vertu de l'obédience, d'exposer fidèlement et pleinement les choses susdites au clergé et au peuple de votre juridiction, de peur que ledit Frédéric ne puisse séduire, par ses paroles trompeuses, les cœurs des fidèles, ni souiller par sa contagion, de quelque manière que ce soit, le troupeau du Seigneur. Donné à Latran, le douzième jour avant les calendes de juin, l'an treizième de notre pontificat.»

Dans le manifeste précédent qui fut envoyé au seigneur roi, la phrase qui le termine était ainsi conçue: «C'est pourquoi nous avons jugé à propos d'avertir votre sérénité royale et de lui recommander de se faire exposer soigneusement les choses plus haut dites, de peur que la pureté de l'innocence royale ne puisse être souillée par des paroles fallacieuses. Donné à Latran.....» Le reste, comme plus haut.

Effets produits par les manifestes précédents. — Robert de Thinge se rend à Rome. — Il présente au pape les réclamations des seigneurs d'Angleterre privés du patronage des églises. — Réponse du pape. — Lettre du pape à son légat. — Quand ce manifeste (526) eut été répandu et eut été envoyé à une foule de rois, de princes et de seigneurs dans l'univers entier, en changeant seulement de titre, les cœurs des fidèles furent saisis d'effroi, d'horreur228 et d'étonnement; et la lettre impériale, quoiqu'elle contînt des faits probables, devint suspecte. Aussi les cœurs de plusieurs qui avaient d'abord pris parti pour l'un ou pour l'autre, flottèrent dans l'hésitation. Si l'avarice romaine n'eut détaché du seigneur pape la dévotion des peuples plus qu'il ne convenait et n'était avantageux, le monde entier exaspéré par la lettre pontificale, se serait soulevé violemment et unanimement contre l'empereur, le regardant comme l'adversaire déclaré de l'église et comme l'ennemi du Christ. Mais, ô douleur! beaucoup de fils se séparant de leur père le pape et se joignant à l'empereur, assuraient qu'il y avait depuis longtemps entre eux une haine inexorable, et que c'était cette haine qui donnait lieu à ce démêlé et à ces invectives réciproques. «Le seigneur pape, disaient-ils, prétend avoir chéri ledit Frédéric et avoir contribué à sa grandeur, au commencement de son pontificat, il lui reproche de l'avoir oublié; mais c'est à tort, car tout cela a été fait en haine d'Othon que l'église persécutait jusqu'à la mort au moyen dudit Frédéric, parce qu'Othon, d'après son serment, avait entrepris avec vigueur de réunir les membres dispersés de l'empire: ce que Frédéric présentement empereur, se propose de faire à son (527) tour. En agissant contre Othon, Frédéric a combattu pour l'église, et l'église romaine est plus tenue envers lui que l'empereur n'est raisonnablement tenu et obligé envers l'église romaine. L'église d'Occident, principalement les communautés religieuses, et l'église d'Angleterre dévouée à Dieu par-dessus toutes les autres, sont en butte chaque jour aux vexations des Romains, tandis qu'elles n'ont pas jusqu'ici éprouvé d'oppressions de la part de l'empereur.» Le peuple ajoutait de son côté: «Que veut dire cela? Anciennement le pape reprochait à l'empereur d'être plus attaché à Mahomet et à la loi mahométane qu'au Christ et qu'à la loi chrétienne. Voici qu'aujourd'hui dans sa lettre d'invectives il l'accuse d'appeler barateur, Mahomet aussi bien que Jésus et Moïse: ce qui est horrible à répéter. L'empereur, dans ses lettres, parle de Dieu en termes humbles et catholiques: si ce n'est que dans cette dernière, il attaque la personne du pape, mais nullement l'autorité pontificale. Il ne prêche publiquement ni ne soutient impudemment, que nous sachions, rien d'hérétique et de profane; il n'a pas envoyé contre nous des usuriers ou des ravisseurs de revenus.» C'est ainsi que naissait parmi les peuples un schisme redoutable.

Vers le même temps, un chevalier, natif du nord de l'Angleterre, refusa avec fermeté de présenter le cou au joug des Romains. Or, il possédait le patronage d'une église, et les Romains avaient porté des mains cupides sur cette église au moyen de l'archevêque d'York. Ledit chevalier s'étant rendu à Rome (528) à ce sujet, et s'étant plaint grandement au pape de cette violation de son droit, mérita d'obtenir de lui des lettres qu'on trouvera plus bas. Ce fait peut servir à prouver avec quelle tendresse l'église romaine, toujours avide et toujours importune, se conduit envers les ecclésiastiques, croyant qu'il lui est permis de leur enlever impunément leurs biens ecclésiastiques qui leur ont été conférés par les pieuses intentions de nos pères pour le soulagement des pauvres.

Vers le même temps, les comtes, barons et autres seigneurs d'Angleterre à qui l'on sait qu'appartient de temps immémorial le patronage des églises, se plaignant d'être privés de leur liberté et d'être dépouillés, contre toute règle, par la cupidité de l'église romaine du droit de conférer les églises, qui servaient à enrichir, sur l'ordre du pape, des étrangers dont ils ignoraient complètement la condition et le caractère, écrivirent, quoique tardivement, au seigneur pape; et ils chargèrent de cette lettre le chevalier dont nous avons parlé, à savoir Robert de Thinge qui avait été privé par la même violence de son droit sur le patronage de l'église de Linton, dans le diocèse d'York, et qui s'était plaint amèrement auprès des seigneurs du royaume, de ce que l'archevêque déclarait être impuissant dans cette affaire et ne pas vouloir résister à l'église romaine. Ledit Robert se rendit donc en toute hâte à la cour de Rome et présenta la lettre suivante au nom des seigneurs d'Angleterre.

«A leur très-excellent père et seigneur Grégoire, par (529) la grâce de Dieu, souverain pontife, ses dévoués [les comtes] de Chester, de Winchester, etc., salut, révérence prompte, et dévouement empressé, s'il veut l'accepter. La barque de notre liberté acquise par le sang de nos ancêtres, étant prête à sombrer à cause des tempêtes furieuses qui se déchaînent contre nous plus qu'à l'ordinaire, nous sommes forcés de réveiller le Seigneur qui dort dans la nacelle de Pierre, et de lui crier ardemment et d'une seule voix: «Seigneur, sauvez nous; car nous périssons;» afin qu'il rende à chacun de nous ce qui nous est dû, et conserve nos droits intacts, puisque le jugement et la distribution de la justice appartiennent à son siège. S'il en arrivait autrement, on pourrait craindre que la charité périssant, et la dévotion étant, détruite, les fils ne se soulevassent contre les entrailles de leur père, et que les sentiments d'une affection mutuelle ne s'évanouissent complètement par l'introduction de l'injustice. Or, très-saint père, depuis l'établissement du christianisme en Angleterre, nos ancêtres se sont réjouis jusqu'ici du privilège suivant: Au décès des recteurs des églises, ils choisissaient pour elles, comme patrons des églises, des personnes convenables qu'ils présentaient aux évêques diocésains pour être mises par eux à la tête desdites églises; mais sous votre gouvernement, peut-être même de votre aveu et par votre volonté (ce que nous ignorons), une si grande violation de droit a prévalu contre nous, qu'au décès des recteurs des églises, quelques gens délégués ad hoc, et agissant en votre (530) nom, confèrent en tous lieux les églises qui sont de notre patronage, au préjudice de notre liberté et au péril éminent de notre droit patronal; quoique depuis longtemps vous nous ayez donné une garantie à cet égard par des lettres apostoliques qui portent qu'au décès des recteurs des églises, Italiens et Romains, promus à ces églises, en vertu de votre autorité spéciale, nous pourrions librement présenter des personnes convenables. Or nous voyons chaque jour qu'on agit d'après des ordres contraires à ce privilège; ce dont nous nous étonnons grandement, parer que d'une seule et même fontaine il ne doit pas couler à la fois de l'eau douce et de l'eau amère. Quoique, certes, nous ayons tous généralement à souffrir de ce fléau, qui ne peut manquer de donner lieu à des disputes, des jalousies, des colères, des rixes et même des morts d'hommes, nous avons résolu de nous en tenir à un seul exemple, en vous exposant l'affliction d'un de nos collègues en violation de droit; afin que ce qui a été fait imprudemment jusqu'ici contre lui, et au péril de son droit patronal, soit cassé et annulé, s'il vous plaît, par votre autorité. En effet, Robert de Thinge, patron de l'église de Linton, ayant présenté une personne convenable pour y être installée après le décès de N***229, Italien, qui en était recteur, le seigneur d'York, sur un ordre contraire de vous, a différé d'admettre cette personne, (531) quoiqu'il ne trouvât aucun obstacle canonique à opposer contre elle, mais en se fondant seulement sur votre prohibition. Aussi, comme dans l'incendie de la maison voisine, il y a péril pour nos maisons, nous vous supplions, comme notre père, de permettre, tant audit Robert qu'à nous tous en général et en particulier, d'user librement du privilège qui nous donne pouvoir de présenter nos clercs à nos églises vacantes. Veuillez aussi ordonner audit archevêque d'admettre, à moins qu'il n'y ait quelque empêchement canonique, nonobstant même vos ordres précédents, le clerc Jean, présenté à ladite église de Linton par le même Robert: ledit clerc est un homme dans l'intérêt de qui nous vous adressons de vives prières, surtout parce qu'il est nécessaire aux affaires du roi et à notre royaume. En agissant ainsi, vous nous exciterez à un dévouement et à un service plus empressés envers l'église; et vous empêcherez que, le droit de patronage étant un de ces fiefs pour lesquels nous relevons militairement de notre seigneur, nous ne soyons forcés d'invoquer le secours de celui qui est tenu de protéger et de soutenir les droits et les libertés des laïques. Portez-vous bien.»

«Grégoire, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à ses chers fils, les nobles hommes, Richard, comte de Poitou et de Cornouailles, et les barons d'Angleterre, qui ces présentes verront, salut et bénédiction apostolique. Comme d'après nos œuvres, qui rendent plein témoignage à la vérité, il est clair pour tous (532) que nous portons spécialement dans les entrailles de la charité la personne de notre très-cher fils en Jésus-Christ l'illustre roi et [celle] de la reine parmi tous les autres rois et princes orthodoxes des royaumes où l'on vénère le nom chrétien, et que nous désirons ardemment leur paix et leur tranquillité; on ne peut naturellement présumer, et on ne doit croire en aucune façon que nous, qui voulons les leur conserver autant que nous le pouvons selon Dieu, veuillions faire ou souffrir qu'on puisse, à juste titre, léser l'honneur de la sérénité royale, ou faire naître du scandale dans le même royaume. Aussi n'a-t-il jamais été et n'est-il point dans nos intentions que les bénéfices établis dans le royaume d'Angleterre, et sur lesquels les patrons séculiers ont droit de présentation, soient conférés à qui que ce soit par gens qui s'autorisent de notre nom; comme la chose ressort évidemment de quelques-unes de nos lettres envoyées jadis en Angleterre, et dont nous avons jugé à propos de transmettre mot à mot la teneur à l'altesse royale dans une bulle scellée de nous. Ayant donc appris récemment, par des lettres du même roi et par les vôtres, qu'un certain chevalier dudit royaume possède droit de patronage sur l'église de Linton dans le diocèse d'York, laquelle église nous avions conférée jadis à un clerc de nos pays, ignorant que la présentation appartenait à un laïque, nous acquiesçons aux prières du susdit roi et aux vôtres, révoquons la même concession en vertu de notre autorité apostolique, et donnons ordre par nos lettres, à notre vénérable (533) frère l'archevêque d'York, d'admettre et d'installer dans ladite église celui que ledit chevalier a jugé à propos de présenter pour elle, comme il en a le droit, nonobstant le laps de temps, puisque cette possession n'a nullement obtenu son assentiment; pourvu qu'il ne s'élève point d'autre empêchement raisonnable. Nous défendons aussi formellement par la teneur des présentes qu'il soit permis désormais à personne de s'autoriser de la puissance du saint-siége pour conférer les églises dudit royaume dont les patrons sont des laïques, sans l'aveu de ceux-ci. Donné, etc.»

«Grégoire, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, au légat, salut. Nous voulons que tu sois bien assuré qu'il n'a jamais été ni n'est dans nos intentions que les bénéfices du royaume d'Angleterre, sur lesquels les patrons séculiers ont droit de présentation, soient conférés à qui que ce soit par gens qui s'autorisent de notre nom. Ayant appris récemment par le rapport de notre très-cher fils en Jésus-Christ l'illustre roi, et des nobles hommes, comtes et barons d'Angleterre, qu'un certain chevalier du royaume d'Angleterre possède droit de patronage sur l'église de Linton dans le diocèse d'York, laquelle église nous avions conférée jadis à un clerc de nos pays, ignorant que la présentation appartenait à un laïque, nous acquiesçons aux prières du roi et des mêmes seigneurs, révoquons ladite concession en vertu de notre autorité apostolique, et avons donné ordre par nos lettres à notre vénérable frère l'archevêque d'York d'admettre et d'installer dans ladite église celui que le- (534) dit chevalier a jugé à propos de présenter pour elle, comme il en a le droit, nonobstant le laps de temps, puisque cette possession n'a nullement obtenu son assentiment; pourvu qu'il ne s'élève point d'autre empêchement raisonnable. Nous défendons aussi formellement qu'il soit permis désormais à personne de s'autoriser de la puissance du saint-siége pour conférer les églises dudit royaume dont les patrons sont des laïques, sans l'aveu de ceux-ci. Donné, etc.»

D'après ce fait et d'autres semblables, on peut voir évidemment, en les pesant dans la balance de la raison, comment à cette époque de décrépitude on pratiquait l'austérité du droit, le respect dû à l'église, et la piété de la religion. En effet, ou ne faisait que livrer au pillage et aux rapines les possessions des personnes ecclésiastiques et des religieux sans défense. Aussi le monde menaçait de retomber dans l'antique chaos.

Les seigneurs de France, réunis à Lyon pour la croisade, sont détournés de l'entreprise par le pape. — Assemblée des évêques à Londres. — Le comte de Flandre vient à Londres. — Vers le même temps, les nobles croisés de France et des provinces adjacentes se réunirent dans une ville fameuse, située sur le Rhône, qu'on appelle Agauno ou Lugdunum, vulgairement Lyon230, à l'effet d'y régler les derniers prépa- (535) ratifs pour la prochaine expédition. Au moment où ils tombaient d'accord sur ce point, arriva en toute hâte un nonce, député par le seigneur pape. C'était le même qui précédemment les avait excités à presser leur départ, et avait réussi à les persuader; maintenant, par un avis contraire, il les dissuadait de se mettre en route; car il leur ordonna, au nom de son seigneur le pape, de retourner au plus loi chacun chez eux, et il leur montra à tous en témoignage un bref original du seigneur pape. Ils répondirent unanimement à cela: «D'où vient cette versatilité dans la cour romaine et chez le pape? N'est-ce pas ici le lieu, n'est-ce pas maintenant le terme qui nous ont été fixés depuis longtemps pour effectuer notre passage par les légats et les prédicateurs papaux? D'après les paroles et les promesses des prédicateurs, nous nous sommes préparés au voyage, par amour pour Dieu; nous avons amassé des provisions et des armes, et tout ce qui est nécessaire à des gens qui vont partir; nous avons ou mis en gage ou vendu nos terres, tout notre mobilier et nos maisons; nous avons dit adieu à nos amis; nous avons envoyé avant nous nos trésors en Terre-Sainte. Nous avons déjà donné avis de notre arrivée; nous nous sommes approches du port. Et voilà que, changeant de paroles, nos pasteurs se lèvent pour nuire aux intérêts du Dieu crucifié!» Puis, transportés d'une violente indignation, ils auraient lait un mauvais parti au nonce du pape, si la prudence des prélats n'avait apaisé la fureur du peuple.

(536) Bientôt arrivèrent aussi des messagers du seigneur empereur, qui leur conseillèrent fortement de ne pas se mettre en route précipitamment et en désordre, sans être guidés et accompagnés par l'empereur lui-même; leur apportant à cet égard des lettres impériales à eux adressées. Dans cette lettre, le seigneur empereur s'excusait suffisamment et en bons termes de ne pouvoir effectuer son passage en ce moment. Aussi la position des croisés devint misérable; il n'y eut plus d'accord dans leurs résolutions, et ils furent comme un mortier sans chaux, et comme une muraille sans ciment. Beaucoup d'entre eux revinrent dans leurs foyers, murmurant, se plaignant et détestant les fausses assurances de quelques prélats. Un grand nombre, bravant les périls de la mer, s'embarquèrent au port de Marseille, et firent voile vers la Terre-Sainte, le cœur plein de désespoir. D'autres, attendant l'arrivée des chefs, séjournèrent en Sicile jusqu'au retour du printemps231; d'autres enfin, avec la permission et grâce aux bons offices de l'empereur, côtoyèrent les rivages de la mer; puis, laissant sur la gauche le golfe Italique, se dirigèrent du côté de Brindes.

Vers le même temps, tous les évêques se réunirent à Londres, la veille des calendes d'août, croyant avoir à traiter, de concert avec le légat, des oppressions de l'église anglicane; mais le légat, dont c'était là le (537) moindre souci, fit revivre ses anciennes prétentions, et exigea d'eux de nouvelles procurations. Après avoir tenu conseil, ils répondirent que l'importunité romaine, toujours avide, avait trop de fois épuisé, par différents moyens, les biens de l'église; qu'après avoir donné toutes leurs richesses, il ne leur était pas même permis de respirer un peu; qu'ils ne pouvaient eu aucune façon supporter davantage de pareilles extorsions. Et ils ajoutèrent: «Quel profit ont retiré jusqu'ici le royaume et l'église de la domination déplorable de cet homme; lui qui n'est que le fauteur du roi, et qui écrase les églises par ses exactions de toute espèce, nous enlevant jusqu'aux dernières consolations qui nous restaient: que celui-là fournisse à son entretien, qui l'a appelé dans son royaume, sans l'aveu de ses hommes naturels.» Le légat, voyant donc que la plupart des évêques déployaient une pareille fermeté, retomba sur l'humilité des religieux, auxquels il extorqua une grosse somme à titre de procuration. Alors l'assemblée fut rompue, non sans de violents murmures de la part des prélats.

Vers la fête de l'Assomption de la bienheureuse Marie, le comte de Flandre, Thomas, oncle de la reine, se rendit en Angleterre, et aborda à Douvres. Le roi, ayant été informé de son arrivée, témoigna plus de joie qu'il ne convenait; il alla à sa rencontre, et ordonna aux habitants de Londres de déblayer en toute bâte, pour le jour de son arrivée, les rues de leur ville des troncs d'arbres, du fumier, de la boue, (538) et de toutes les autres immondices qui les obstruaient. Il voulut aussi qu'une députation de bourgeois, vêtus de leurs habits de fête et montés sur des chevaux richement caparaçonnés, allât gracieusement à la rencontre du comte. En agissant ainsi, le roi excita les risées et les moqueries de beaucoup de gens. Le comte, en quittant l'Angleterre, après y être resté quelques jours (car le roi de France ne lui avait pas accordé un long congé), emporta cinq cents marcs qu'il avait reçus du roi; il obtint même sans difficulté ni délai un revenu annuel de pareille somme, qu'il prétendit lui être dû, d'après un droit antique, par l'échiquier royal, pour prix de son hommage.

Défense du pape aux croisés de passer en Terre-Sainte. — Consécration de Guillaume de Rale, élu évêque de Norwich. — Nouvelles accusations de Henri III contre Hubert, comte de Kent. — Vers le même temps, le seigneur pape donna mission au légat de défendre expressément aux croisés de se mettre en route vers la Terre Sainte avant la saison du printemps et le passage, qui est en mars, malgré le terme qui leur avait été fixé par les prédicateurs, et contrairement à leurs intentions et aux espérances qu'ils avaient conçues, d'après les promesses des prédicateurs. Le pape menaça, s'ils n'obtempéraient pas à ses ordres, de les priver du bénéfice d'indulgence qui leur avait été accordé.

Cette même année, Guillaume de Rale, élu régulièrement à l’évêché de Norwich, reçut le bénéfice de (539) consécration dans l'église de Saint-Paul, à Londres, des mains d'Edmond, archevêque de Cantorbéry, en présence d'une infinité de prélats et de seigneurs. On lui appliqua comme pronostic le verset suivant: «C'est une joie pour les anges de Dieu que de voir le repentir d'un pêcheur.» Tous conçurent de lui une bonne espérance, parce que, semblable à Matthieu, qui avait quitté le métier de receveur aux impôts pour l'apostolat et l'autorité de l'Évangile, ledit Guillaume avait renoncé aux fonctions de courtisan pour s'élever au faîte d'une grande sainteté.

Vers le même temps, le roi, voyant que le vénérable comte de Kent était vieux et accablé d'infirmités, lui intenta de graves accusations; exigeant formellement de lui une énorme somme d'argent, et lui reprochant d'horribles attentats. Le roi choisissait d'autant mieux son temps, que, dans le cas où le comte serait venu à mourir pendant que le procès qu'il lui intentait serait encore en suspens, ledit roi eût été en droit de confisquer irrévocablement toutes ses possessions et tous ses biens. Il lui reprocha donc avec force invectives, d'avoir souillé traîtreusement, sous le règne de son père, une noble vierge, la fille du roi d'Écosse, confiée à sa tutelle; d'avoir causé la perte de La Rochelle et de tout le Poitou, en envoyant aux assiégés et aux chevaliers du roi, enfermés dans cette ville, qui n'attendaient de secours que de l'Angleterre, des tonneaux pleins de sable, au lieu de l'argent destiné à sauver la ville et la terre; lequel argent il avait méchamment et furtivement soustrait; item, d'a- (540) voir donné en trahison des conseils qui avaient entraîné la destruction et la perte du château de Bedfort; item, d'avoir infidèlement géré et d'avoir dissipé selon son bon plaisir le trésor royal, à l'époque où le roi était sous sa garde, appliquant ces richesses à son usage, et acquérant par ce moyen des revenus et des terres vastes et opulentes; et le roi déclara qu'il exigeait un compte rigoureux de ce trésor. Il se plaignit aussi d'avoir perdu irréparablement de grandes possessions et une forte partie de son armée, dans la guerre soulevée en Bretagne contre le roi de France, par la trahison du même comte, d'après le témoignage même du comte de Bretagne. Il l'accusa encore d'avoir machiné une grande trahison contre son seigneur le roi, en concluant ou en cherchant à conclure un mariage clandestin entre Richard de Clare et Mathilde (?), sa fille. Item, d'avoir empêché méchamment qu'un mariage eût lieu entre le seigneur roi et une noble dame, en écrivant secrètement à cette même dame et à sa famille que le roi était louche, sot et mal bâti; qu'il y avait sur lui quelque apparence de lèpre; qu'il était trompeur et parjure; qu'il était mou, et plus mou qu'une femme; assurant qu'il n'avait de vigueur que contre les siens, et qu'il était totalement incapable de satisfaire aux exigences amoureuses d'aucune femme de noble race. Item, d'avoir fait raser jusqu'au sol des bois et des forêts royales confiées à sa garde, et d'en avoir retiré un prix, dont il aurait un nouveau compte à rendre. Item, de s'être jeté avec fureur et violence sur le roi, (541) un jour qu'il se trouvait par hasard seul avec lui dans une chambre, pendant qu'ils demeuraient tous deux à Woodstock; d'avoir voulu traîtreusement et méchamment égorger son seigneur le roi avec un couteau nu qu'il tenait à la main, et de ne l'avoir lâché qu'effrayé par les cris qu'il poussait; d'avoir ainsi commis un crime pour lequel il avait mérité non-seulement d'être étranglé ou pendu, mais encore d'être écartelé. A cette dernière accusation, qui le blessait plus douloureusement encore que les autres, le comte Hubert répondit avec retenue, et s'humiliant devant le roi, lui dit: «Je n'ai jamais été traître envers vous ni envers votre père, et cela, grâce à Dieu, apparaît bien en vous:» il entendait dire par là: Si j'avais voulu vous trahir, vous n'auriez point obtenu le royaume.» Quant à tous les autres griefs, il chargea de le défendre et de répondre pour lui un homme fidèle et bien capable de remplir cet office, à savoir, Laurent, clerc de Saint-Albans, qui était resté inséparablement attaché audit comte dans toutes ses tribulations. Par son entremise, Hubert répondit clairement et élégamment article par article; il porta la conviction dans l'esprit de tous les auditeurs, en démontrant et prouvant suffisamment son innocence, quoique le roi et les orateurs du banc du roi, que nous nommons vulgairement narrateurs, s'efforçassent d'établir le contraire. Cependant pour que le ressentiment et la colère du roi contre le comte fussent apaisés, il fut stipulé que, pour le bien de la paix et le rétablissement de l'an- (542) cienne affection qui les unissait, le comte résignerait au roi les quatre châteaux auxquels il tenait le plus, à savoir, Blank-Castle, Grosmund232, dans le pays de Galles, Skiuffrith et Hanfeld. Or le comte, dont la vieille fidélité, mise tant de fois à l'épreuve, avait conservé l'Angleterre aux Anglais, supporta avec patience et fermeté l'ingratitude et la malveillance du roi, les opprobres et les injures dont il l'abreuvait, ainsi que tous les coups de la fortune. Si quelqu'un désire connaître plus à fond la discussion qui eut lieu entre les accusateurs dudit Hubert comte de Kent, et le susdit maître Laurent de Saint-Albans, il en trouvera le détail dans le livre des Additions 233.

Le comte Richard et d'autres seigneurs s'engagent entre eux à partir pour la Terre-Sainte. — La querelle de l'empereur et du pape continue. — Expéditions contre les Bolonais et autres fauteurs du pape. — A la même époque, la veille de la fête de Saint-Martin, les seigneurs croisés d'Angleterre, se réunirent à Northampton, pour s'y occuper de leur prochain voyage en Terre-Sainte. De peur que les arguments captieux de l'église romaine ne missent obstacle à leur vœu honorable, de peur aussi, comme on le leur avait fait craindre et supposer, qu'on ne détournât leurs bras, pour verser le sang chrétien, soit en-Grèce, soit (543) en Italie, ils jurèrent tous de se rendre cette année même en Terre-Sainte, pour la défense de la sainte église de Dieu. Le comte Richard, qui était le chef de tous les autres, jura le premier sur le maître autel de l'église de tous les Saints, au milieu de la ville. Le comte Gilbert Maréchal répéta ensuite le même serment, en ajoutant cette restriction, qu'il lui faudrait auparavant se réconcilier avec le roi. Alors le comte Richard lui dit: «Ne te mets pas en peine, beau-frère très-chéri, je me charge de cette affaire.» Après Gilbert, vint le tour de Richard Suard, et ensuite de Henri de Trubleville, ainsi que d'une foule de seigneurs, qu'il serait trop long d'énumérer. Tous en6n se préparèrent vigoureusement au service de la croix, avec le même bras et le même cœur.

Vers le même temps, le seigneur pape voyant que la puissance et la fermeté du seigneur empereur n'étaient point encore ébranlées, et qu'il n'était pas disposé à plier devant lui et devant l'église romaine, envoya aux prélats et magnifiques princes d'Allemagne, et aux autres demeurant en d'autres lieux, de longues lettres commonitoires. Il leur ordonna formellement de se soulever tous contre leur empereur, rebelle envers Dieu et l'église romaine; et il le diffama par de grandes invectives. Il délia même tous ceux qui étaient tenus envers lui du serment de fidélité, cherchant à leur persuader que la fidélité consistait dans l'infidélité et l'obéissance dans la désobéissance. Mais la méchanceté de l'église romaine n'y gagna que l'exécration de tous, et l'autorité pa- (544) pale ne trouva que peu ou point de serviteurs complaisants.

Dans la saison d'été de cette même année, c'est-à-dire vers la fin de l'automne, le seigneur empereur voulant priver les Milanais, traîtres envers lui, des secours qu'ils tiraient des Bolonais, entreprit une expédition formidable contre ces derniers. Les Bolonais ayant voulu par amour pour le pape et pour les Milanais, leurs alliés, faire une sortie afin de vaincre l'armée impériale, l'empereur se présenta à l'improviste, au moment où ils étaient hors de leurs murs, et leur ayant coupé la retraite, en se plaçant avec son armée entre eux et la ville, il dispersa en quelques instants, par un choc impétueux, les bataillons des Bolonais. Ceux-ci, en fuyant, prirent des chemins détournés, espérant rentrer dans la ville; mais ils se précipitèrent dans un fleuve qu'il leur fallait nécessairement traverser, et un plus grand nombre encore périt misérablement dans les flots, qu'il n'y en eut de passés au fil de l'épée. Ensuite le seigneur empereur ayant reçu la soumission des Bolonais qui étaient restés dans la ville, dirigea ses légions d'hommes d'armes du côté de Milan; et en fort peu de temps, en élevant des machines et en jetant plusieurs ponts, il franchit, avec sa nombreuse armée, les. retranchements dont les Milanais s'étaient entourés de toutes parts. Aussi la terreur et l'effroi s'emparèrent des habitants surpris, et quand ils curent appris le désastre des Bolonais, les gémissements s'ajoutèrent aux gémissements. C'est pourquoi l'empereur eût terminé (545) cette affaire selon ses vœux, si le trouble dangereux suscité par le pape n'eût porté jusqu'aux contrées les plus reculées le défi adressé au seigneur empereur. Les habitants en étant instruits reprirent courage et relevèrent la tête. Ils sortirent par les faubourgs et vinrent assiéger le camp impérial. Réconfortés par un certain légat que le seigneur pape leur avait envoyé pour les secourir, ils assiégèrent Ferrare, l'investirent à main armée et ne voulurent admettre d'autre satisfaction des habitants que celle d'une soumission absolue. C'était le légat qui leur donnait ce conseil, et qui poussait les Milanais à agir sans miséricorde. A cette même époque, furent découverts les restes d'un des compagnons de saint Oswin.

Le roi introduit de force un étranger comme prieur dans la communauté de Winchester. — Mort de Guillaume élu à Valence. — Douleur du roi. — Le pape et la cour romaine élisent pour empereur Robert, frère du roi de France. — Refus de Robert et réponse de Louis IX. — Vers le même temps, le roi opprima violemment l'église de Winchester, et il y introduisit de force un étranger, contre la volonté de tout le couvent, en exigeant qu'on le mît à la tête de la communauté. Cet intrus se conduisit sans règle ni mesure, et n'ayant point la crainte de Dieu devant les yeux, bouleversa tout, scandalisa tous les frères, et dilapida le trésor de l'église: son unique soin était de plaire au roi. Aussi la libre élection que les moines devaient faire d'un pasteur courait de grands (546) risques, parce que ce prieur adultérin entraînait avec sa queue presque la moitié des étoiles, et qu'en pervertissant les cœurs de beaucoup de frères, il les avait déterminés à élire pour évêque Guillaume, oncle de la reine. Or c était à cela que le roi tendait de toutes parts.

Aux approches de la fête de la Toussaint, Guillaume, élu à Valence, dont nous avons fait mention plus haut, après avoir obtenu du seigneur pape l'autorisation d'être élu évêque de Liège, et d'être promu à l'évêché de Winchester, tomba malade à Viterbe, et expira le jour de la Toussaint, empoisonné, à ce qu'on prétend. On accusa de ce crime maître Laurent, Anglais, qui dans la suite se purgea dans les règles. Le pape ayant appris cette mort, en fut d'autant plus affligé, qu'il se proposait de le mettre à la tête de son armée dans la guerre qu'il allait soutenir contre l'empereur. Aussi l'avait-il rendu comme un monstre spirituel et comme une bête à plusieurs têtes. En effet, il connaissait Guillaume pour un homme brave au combat, prompt au meurtre, disposé à l'incendie. C'était le conseiller du roi d'Angleterre, l'ami du roi de France, le beau-frère234 de l'un et  (547) de l'autre, l'onde des deux reines, le frère du comte de Savoie; il touchait à beaucoup d'autres hommes puissants, soit par alliance, soit par consanguinité. Mais cette mort inopinée changea toutes les dispositions du pape.

Le roi ayant appris cette rumeur lugubre, ne put se contenir de douleur; il déchira ses vêtements et les jeta au feu; et poussant de grands rugissements, il ne voulut accueillir les consolations de personne. La reine, dont le degré de parenté excusait la douleur, pleura aussi pendant longtemps le trépas de son oncle.

Vers le même temps mourut Éveline, comtesse d'Albemarle, femme d'une merveilleuse beauté. Et (548) le douzième jour avant les calendes de janvier, expira le seigneur Henri de Trubleville, très-brave chevalier, homme très-expérimenté et très-habile dans les expéditions guerrières.

Pendant que ces choses se passaient, le seigneur pape envoya une ambassade solennelle au roi de France, et lui fil savoir qu'il voulait que la lettre dont ses députés étaient porteurs fût lue solennellement à haute et intelligible voix, devant ledit roi et devant tout le baronnage de France. Or, voici quels étaient, à ce qu'on prétend, la teneur et le sens général de cette lettre. «Que le fils chéri et spirituel de l'église, l'illustre roi de France, et que tout le baronnage de France, sachent qu'après mûre délibération de tous nos frères, et sur leur résolution, nous avons condamné et renversé du faite impérial ledit empereur Frédéric; et que nous avons choisi, pour mettre à sa place, le comte Robert, frère du roi de France; lequel Robert, non-seulement l'église romaine, mais encore l'église universelle, a jugé à propos d'aider avec empressement et de soutenir avec efficacité. Ne différez donc en aucune façon d'accepter à bras ouverts une dignité qui est offerte si volontiers, et pour l'obtention de laquelle nous verserons abondamment nos trésors et donnerons nos peines et notre aide. En effet, les crimes multipliés dudit Frédéric, crimes dont le monde a connaissance, l'ont condamné irrévocablement.» Après avoir tenu conseil, le roi de France répondit à cette proposition avec une prudence circonspecte: «D'où vie-  (549) nent au pape cet orgueil et cette audace téméraire, de déshériter et de renverser du faîte impérial un prince qui est tel qu'il n'a point son supérieur, ni même son pareil parmi les chrétiens, un prince qui même n'a point été convaincu ni par autrui, ni par ses propres aveux des crimes qu'on lui reproche? En supposant que ses torts exigeassent sa déposition, il n'y aurait qu'un concile général qui pût le casser légitimement. Quant aux excès dont on l'accuse, il ne faut pas ajouter foi à ses ennemis: or, il est avéré que le pape est son ennemi capital. Non-seulement il nous a paru innocent jusqu'ici, mais encore il a été pour nous un bon voisin; nous ne voyons en lui rien de fâcheux ni sous le rapport de la fidélité séculière, ni sous celui de la foi catholique. Ce que nous savons bien, c'est qu'il a combattu fidèlement pour notre seigneur Jésus-Christ, s'exposant avec intrépidité aux périls de la mer et de la guerre. Or, nous ne trouvons pas tant de religion chez le pape; lui qui a cherché à confondre pendant son absence et à supplanter méchamment celui qu'il devait soutenir et protéger pendant qu'il combattait pour Dieu. Nous ne voulons pas nous jeter de gaieté de cœur dans de si grands périls, ni attaquer ledit Frédéric qui est si puissant, que tant de royaumes soutiendraient contre nous, et à qui la justice de sa cause prêterait secours. Qu'importe aux Romains que nous versions largement tout notre sang, pourvu que nous soyons les instruments de leur colère? Si par (550) nous ou par d'autres le pape triomphe de Frédéric, il foulera aux pieds tous les princes du monde, et lèvera les cornes de la jactance et de l'orgueil, puisqu'il aura réussi à écraser le grand empereur Frédéric. Toutefois, pour ne point paraître avoir reçu en vain un ordre papal, quoiqu'il soit constant qu'il nous vient de l'église romaine, bien plutôt par haine pour l'empereur que par amour pour nous, nous enverrons de notre part des messagers prudents à l'empereur; ils s'enquerront soigneusement de lui, relativement aux opinions qu'il professe sur la foi catholique, et ils nous en donneront avis. S'ils ne trouvent en lui rien que de bien pensé, pourquoi doit-on lui chercher querelle? Mais s'il n'en est pas ainsi, nous le poursuivrions jusqu'à la mort, de même que nous poursuivrons le pape lui-même, ou tout homme quel qu'il fût, qui penserait mal de Dieu.» Les ambassadeurs du pape, ayant entendu cette réponse, se retirèrent avec confusion. Une ambassade solennelle de Français alla donc trouver le seigneur empereur, pour lui annoncer textuellement les propositions qui avaient été faites par le seigneur pape. Quand le seigneur empereur eut appris cela, il resta stupéfait d'une haine si implacable, et répondit qu'il était bon catholique et bon chrétien, et qu'il pensait sainement sur tous les points de la foi orthodoxe. Il ajouta: «Qu'il ne plaise jamais à mon seigneur Jésus-Christ que je m'écarte de la foi adoptée par mes magnifiques ancêtres et prédécesseurs, pour suivre les (551) voies de perdition. Que le Seigneur juge entre moi et cet homme qui me diffame si méchamment par tout l'univers.» Puis, tendant les mains au ciel et versant des torrents de larmes, il s'écria en sanglotant: «Que le seigneur Dieu des vengeances lui rende ce qu'il mérite.» Alors, se tournant vers les députés, il leur dit: «Mes amis et très-chers voisins, je crois en vérité ce que croit tout autre chrétien, quoi qu'en dise mon ennemi, cet homme qui a soif de mon sang et qui veut détruire mon honneur. Si vous êtes disposés à me faire la guerre, ne vous étonnez pas que je me défende contre ceux qui m'attaqueront; car j'espère que Dieu, protecteur des innocents, me délivrera puissamment. Et Dieu sait que c'est par amour pour mes rebelles, et principalement pour les Milanais hérétiques, que le pape lève le talon contre moi et s'emporte avec colère. Il ne me reste plus qu'à vous tendre grâces de tout mon cœur d'avoir bien voulu,» avant de consentir, vous assurer par mes réponses des faits dont il est question.» Les députés répondirent à cela: «A Dieu ne plaise qu'il nous vienne jamais à l'esprit d'attaquer aucun chrétien sans cause manifeste. L'ambition ne nous pousse pas; et nous croyons que notre seigneur le roi de France, que la ligne directe du sang royal a fait parvenir au sceptre de France, est plus haut placé encore qu'un empereur qui ne doit son rang qu'à une élection toute volontaire. Il suffit donc au seigneur comte Robert d'être frère d'un si grand (552) roi.» A ces mots ils se retirèrent comblés par l'empereur de témoignages de bienveillance. Ainsi les efforts du pape restèrent impuissants à cet égard.

Le pape recueille de l'argent pour se défendre contre l'empereur. — L'empereur persuade les croisés de différer leur départ. — Simon-le-Normand et frère Geoffroi chassés du conseil du roi. — Les moines de Winchester obtiennent du pape la liberté d'élire un Anglais pour évêque. — Sur ces entrefaites le seigneur pape, par le ministère des Prêcheurs et des Mineurs, mit en œuvre la persuasion et différents moyens pour extorquer de l'argent de toutes parts, et s'en procurer afin de nuire à l'empereur. A cette époque les Prêcheurs et les Mineurs devinrent les conseillers et les députés spéciaux des rois; en sorte que jadis on ne voyait, dans les maisons des rois, que des courtisans vêtus d'habits délicats, et que maintenant c'étaient des moines aux habits grossiers qui remplissaient les maisons, les chambres et les palais des princes. Le seigneur roi appela à cette époque, dans son conseil, frère Jean de Saint-Gilles. Beaucoup s'étonnèrent de ce que le seigneur pape ne s'inquiétait point des prières des fidèles, qui, comme on le lit [dans l'Écriture], sauvèrent Pierre de sa prison.

Cependant le seigneur empereur conseilla par ses lettres aux croisés de tous les pays, de ne se point mettre en route pour Jérusalem, quoiqu'ils fussent préparés, et que le retard leur semblât pénible; mais (553) d'attendre avec patience que, la violence de la colère papale s'étant apaisée, il pût les accompagner avec joie, ajoutant qu'une multitude infinie de guerriers était prête à leur faire la guerre dans les pays d'orient. Les croisés ayant méprisé cet avis, l'empereur s'indigna et défendit de fournir à l'armée des Français les provisions tirées de ses terres voisines les plus fertiles, à savoir, de l'Apulie et de l'île de Chypre; de leur vendre rien de ce qui provenait de ses autres terres, ou de leur faire rien passer d'aucune manière. A cette nouvelle, les Sarrasins relevèrent la tête, et, redoublant d'audace, firent éprouver aux chrétiens de grands dommages dans leurs corps et dans leurs possessions, et se livrèrent audacieusement à l'incendie et au carnage. Pour comble de douleurs, la Grèce éleva contre l'église son antipape Germain; et le seigneur empereur opposa au pape frère Hélie, ancien supérieur général de l'ordre des Mineurs et prédicateur de grand renom. Ainsi les maux commencèrent à se multiplier sur la face de la terre; car ledit Hélie donna l'absolution à tous ceux que le seigneur pape avait liés par l'anathème, et le scandale fut engendré dans l'église. Par toutes les paroles de ce grand artisan de discorde, l'église romaine était couverte d'infamie à cause de ses usures, de sa simonie et de ses rapines de tout genre; et les fils étaient changés en faux fils. En effet, ledit frère Hélie assurait que le seigneur pape se déchaînait contre les droits de l'empire, qu'il n'avait soif que d'argent, et qu'il en extorquait par tous les moyens; (554) qu'il n'avait nul souci des prières, des messes, des processions, des jeûnes, qui ont coutume de délivrer les opprimés de la persécution; selon qu'il est écrit: «Pierre était retenu en prison: or, l'église ne cessait point de prier pour lui;» qu'il disposait frauduleusement de l'argent levé pour secourir la Terre-Sainte; qu'il scellait furtivement dans sa chambre des écrits selon son bon plaisir et sans l'assentiment de ses frères; qu'il confiait même à ses nonces des cédules blanches, mais signées, pour qu'ils y écrivissent ce qu'il leur conviendrait d'écrire, ce qui était un horrible abus; enfin il accusa le seigneur pape de beaucoup d'autres énormités, en lançant ses paroles jusqu'au ciel. C'est ce qui fit que le seigneur pape excommunia le même Hélie235.

Cette même année, pendant que les fêtes de Pâques étaient célébrées avec allégresse, la solennité se changea en lamentations, et la harpe de maître Simon-le-Normand rendit des accents lugubres. Ledit (555) Simon, pendant fort longtemps, avait été non-seulement l'homme le plus influent du royaume et le détenteur du sceau royal; mais encore c'était lui qui gouvernait et dirigeait à son gré le roi et les courtisans; rien ne se faisait que par son ordre, et il moissonnait là où il n'avait point semé. C'était un homme austère, qui n'avait su gagner la faveur de personne, et qui, enivré outre-mesure de sa puissance, s'était attiré de jour en jour l'indignation et la haine de tous les nobles. Le roi, ne pouvant supporter plus longtemps son orgueil insolent, donna ordre qu'on le chassât de sa cour, et il fit jeter hors des appartements royaux les bagages, le mobilier, les livres et les vêtements précieux qui appartenaient audit Simon. Il lui retira de plus le sceau royal, qu'il confia au seigneur Richard, abbé d'Evesham. homme fidèle, prudent et circonspect dans sa conduite. Animé par un semblable accès de colère, le roi donna aussi ordre qu'on éloignât de sa cour frère Geoffroi, Templier: ce que beaucoup de personnes désiraient. L'origine et la principale cause de cette grande colère du roi fut que le même Simon avait refusé d'enregistrer un certain écrit fort odieux, qui portait atteinte à la couronne du seigneur roi. La teneur de cet écrit portait que le comte de Flandre, Thomas, percevrait un certain droit sur chaque sac de laine qui serait apporté d'Angleterre dans ses états. Ce droit devait être de quatre deniers pour chaque sac. Le templier Geoffroi avait aussi refusé de consentir à cet abus criant, (556) quoique le roi eût témoigné le plus vif empressement pour l'établissement de cet impôt.

Vers le même temps, les moines de Winchester revinrent de la cour de Rome après avoir obtenu du seigneur pape de ne point élire pour évêque et pour gardien de leurs âmes aucune personne étrangère et odieuse à la généralité du royaume, comme le voulaient les violentes instances du roi et ses prières impérieuses; mais de prendre régulièrement, comme il est juste et canonique, pour leur pontife et leur pasteur, celui qu'il leur semblerait bon d'élire, et cela en toute liberté et sans avoir d'exaction à subir. A cette nouvelle, le roi ressentit une colère véhémente, comme s'il était impossible de trouver aucun homme de naissance anglaise qui fût capable de remplir cette dignité. Depuis ce moment, ce prieur, que le roi avait intrus de force, mit tous ses soins à ébranler la fermeté des moines, et à détruire la concorde et l'unité de ceux qui jusque-là avaient défendu avec énergie la liberté de leur église.

L'empereur Frédéric marche sur Rome. — Lettre de l'empereur au roi d'Angleterre. — Vers le même temps, le seigneur empereur voyant que non-seulement le pape avait une soif dévorante de son sang, mais encore qu'il soutenait les Milanais rebelles et hérétiques afin de réussir à le renverser d'une manière ignominieuse, abandonna et suspendit pour le moment l'expédition guerrière qu'il avait entre- (557) prise et commença à s'approcher audacieusement de Rome, afin d'inspirer plus d'effroi à ses ennemis. Sachant qu'il arrivait, les habitants de Viterbe allèrent au-devant de lui comme au-devant de leur seigneur. Plusieurs podestats de villes puissantes, des députations de citoyens, et même une foule nombreuse de Romains suivirent cet exemple et le reçurent avec honneur et respect, comme on le peut voir clairement dans une lettre de l'empereur adressée à ce sujet au roi d'Angleterre.

«Frédéric, par la grâce de Dieu, empereur des Romains toujours Auguste, roi de Jérusalem et de Sicile, à l'illustre roi d'Angleterre, son beau-frère chéri, salut et sentiments d'affection sincère. Le triple aiguillon de douleur qui perce et dévore notre cœur ne nous permet plus de nous contenter des larmes: il faut que notre douleur s'exhale en gémissements, et que nos gémissements se changent en cris, parce que, en considérant la nouvelle dissension à laquelle le recteur et le pontife de l'église universelle nous a poussé par sa violente agression, nous reconnaissons combien la foi catholique doit perdre à cette querelle; nous examinons d'une manière claire l'éclipse de la justice, et nous déplorons misérablement le détriment qui en résulte pour la Terre-Sainte. Mais nous ne sommes pas troublé par une moindre angoisse, de ce que les yeux du prêtre Héli236, obscur- (558) cis par les ténèbres, ne voient aucun de ces dangers, mais de ce qu'au contraire il est excité contre nous par une si grande colère, et aveuglé par un si grand amour pour les Milanais et pour leurs fauteurs, rebelles envers l'empire, qu'il précipite l'univers entier dans des événements incertains, et l'expose à toutes les chances de la fortune, dans le seul but de fouler aux pieds la justice du saint empire et d'employer tout son pouvoir pour venir en aide aux Milanais rebelles envers nous. Quant à nous, nous ne sommes torturé par aucun remords de conscience, et nous ne redoutons pas que la voix publique puisse nous accuser: loin de là, averti comme par une inspiration divine de tous les périls qui naissent aujourd'hui, nous avons cherché depuis fort longtemps à éviter le présent scandale; nous avons mis en œuvre tous les moyens possibles, quoique inutilement, pour obtenir la bienveillance du souverain pontife; nous n'avons point épargné notre personne et nos peines; nous n'avons point regardé à dépenser nos trésors; nous avons même très-souvent été prodigue de la vie de nos féaux pour le secourir lui et l'église romaine. Mais (ce que nous avons peine à dire) nous n'avons absolument rien gagné à nos longs services; pour tous nos bons offices nous n'avons obtenu de lui aucune affection: toujours il s'est présenté comme notre adversaire; toujours il s'est opposé aux progrès du saint empire. De plus, ce que tous doivent regarder comme plus odieux encore, il a soustrait à l'empire la ville de Castellana, pendant que nous étions auprès (559) de lui pour le soutien de la sainte église, comme la chose est évidemment prouvée par ses propres lettres, que les habitants de Castellana nous ont fait passer dernièrement. Tout récemment encore, malgré nos sollicitations, nous n'avons pu obtenir de lui une réponse favorable pour nous et pour l'empire. Il a prétendu avoir envoyé un légat en Syrie, dans nos intérêts, à l'effet de réparer les injustices commises envers nous et envers notre fils par les habitants d'Acre et par quelques seigneurs du royaume de Jérusalem; mais il a enlevé toute autorité à ce légat par certaines lettres secrètes qui arrivèrent après lui et qui contenaient des ordres tout contraires. Dans ce même temps, nous n'avons pu obtenir de lui aucune lettre pour empêcher les Milanais d'attaquer les Crémonais fidèles envers l'empire, et les Florentins, de se soulever contre nos féaux Siennois237, tandis qu'il nous refusait la permission de marcher à leur secours, sous prétexte que nous laisserions l'église sans défense. Quand ensuite "nous nous sommes rendu en Germanie pour réprimer la malioe de notre fils aîné, il nous a promis, mais en paroles seulement, de nous seconder; car, par l'entremise d'un légatqui porta il des lettres de créance, il a eujoint secrètement, dans les termes les plus forts dout il ait pu se servir, à tous nos princes séants avec nous dans la cour de Mayence de ne consentir en aucune façon à l'élection (560) de notre fils puîné ou de toute autre personne de notre famille et de notre sang. Puis, sachant que nous voulions rétablir les droits de l'empire, il a mis obstacle à nos progrès en Italie, en la remuant par tous les moyens en son pouvoir et à sa connaissance, ainsi que par l'envoi de lettres et de nonces, et principalement de l'évêque de Préneste qui bouleversa238, par les plus noires intrigues, Plaisance et Mantoue. Enfin, quand nous eûmes triomphé, grâce au Seigneur, en faisant un grand carnage des Milanais, le pape, voyant que ses légations de cette espèce et ses lettres furtives ne lui servaient à rien, et que l'épée de notre justice l'emportait sur les ruses de la méchanceté, commença à s'opposer à nos progrès avec moins de dissimulation, en défendant publiquement aux villes et aux seigneurs de la marche d'Ancône et du val de Spolète, qui sont tenus de prêter main forte à l'empire, bien loin de lui nuire, d'oser ou se rendre en Lombardie ou y envoyer des soldats. Il ordonna même à Ancône et aux autres villes maritimes, sous peine d'excommunication et d'une contribution de dix mille marcs, de fournir aux Vénitiens rebelles envers notre excellence tout ce qui leur serait nécessaire, au mépris de nos ordres et de notre interdiction: tous ces faits sont prouvés de la manière la plus évidente par des lettres de lui. Il adressa aussi des lettres à quelques seigneurs de la marche de Trévise qu'il avait rendus faibles et vacillants dans leur fidé- (561) lité à l'empire pour les déterminer à nous abandonner ouvertement; leur faisant savoir pour certain que, si nous ne voulions pas remettre sans condition, à son bon plaisir et à son arbitrage, l'affaire de Lombardie, il fulminerait contre nous une sentence d'excommunication. Alors voyant tout cela, et voulant, comme nous l'avons dit, prévenir tout scandale entre l'église et nous, nous prîmes l'avis de nos chers princes et autres, nos féaux, qui nous assistaient en ce moment au siège de Brescia, et nous jugeâmes à propos d'envoyer des ambassadeurs solennels au saint-siége apostolique; nous fîmes offrir par eux satisfaction, même sur quelques autres griefs frivoles que le pape mettait en avant, prétendant que, dans notre royaume de Sicile, les droits et la liberté de l'église avaient été violés; et nous demandâmes de nouveau, par les mêmes ambassadeurs, ce que nous avions tant de fois sollicité par une foule d'ambassades, à savoir: l'union tant désirée entre nous et l'église, union qui, pour être bien affermie, avait besoin de députés mutuels et de cautions réciproques. Or, après avoir dit qu'il désirait volontiers cette union, après s'en être remis à notre jugement du mode et de la forme de la caution, pendant que nos députés et les siens revenaient joyeusement vers nous confiants dans ses promesses d'union et de paix, il donna, tout à fait à leur insu, pleins pouvoirs de légation dans la province de Lombardie, pour nuire à nous et aux nôtres, à Grégoire de Monte-Longo qui déjà, dans la même province, nous avait paru suspect à (562) nous et aux nôtres, quand il n'avait que le titre de simple nonce, et que le pape avait promis de rappeler de ce pays. Pour augmenter encore sa méchanceté, profitant du moment où notre confiance dans les promesses d'union qu'il nous avait faites nous empêchait d'être sur nos gardes il donna mission à quelques-uns de nos princes et de nos féaux de nous avertir relativement à quelques vexations qu'il disait avoir été commises contre lui et contre l'église dans notre royaume de Sicile et dans la ville de Rome par nos officiaux et nos députés. Après que notre sérénité eut répondu pleinement sur tous ces griefs avec l'aide du Seigneur, de manière à entraîner l'assentiment de ceux mêmes qui nous avertissaient, non moins que d'une foule d'autres religieux alors présents, nous ne nous contentâmes point d'avoir répondu à chaque chose article par article, et nous ajoutâmes d'une manière générale que nous remettions à son jugement notre volonté et notre réponse sur chaque chose; et tout cela est prouvé de la manière la plus claire par les lettres et le témoignage d'un grand nombre de prélats dignes de toute créance. Alors au moment où, à cause de tout cela, nous avions envoyé une nouvelle députation munie du plein pouvoir d'agir en notre nom, relativement à ces réponses mêmes et à l'offre d'une entière et complète satisfaction, lui, pour prévenir leur arrivée avec une astuce suffisante239, procéda méchamment et inju- (563) rieusement contre nous le jour des Rameaux, ce qui est contre la coutume de l'église puisque ce jour-là n'est jamais employé à de telles démarches. Nous qui regardions cet attentat comme plein de témérité et comme exempt de justice, nous envoyâmes aux frères cardinaux des lettres et des députés à l'effet de solliciter la convocation d'un concile général dans lequel nous promettions de prouver par des arguments plus clairs que le jour la perversité de ce juge corrompu, la justice de notre empire et notre innocence. Mais bien loin de tenir aucun compte de notre réclamation, et au mépris du droit des gens qui défend de violer la personne des députés et des ambassadeurs, cet homme qui s'intitule le serviteur des serviteurs de Dieu, n'a pas craint de faire jeter dans une prison ignominieuse nos ambassadeurs susdits qui étaient des évêques. Réfléchissez donc et voyez si ce sont là des actes dignes d'un pape, si ce sont là des œuvres de sainteté, s'il convient à une prédication établie [pour le bien] de contribuer à la ruine du monde, et de fouler aux pieds la justice, en portant des jugements iniques vis-à-vis de nous qui sommes fidèle, et en jugeant dans les intérêts des Milanais infidèles. Néanmoins, quoiqu'il eût procédé à tort contre nous avec l'orgueil de sa bouche, tout cela ne nous aurait pas encore excité240 au juste jugement de (564) la vengeance impériale; mais comme il a paru disposé à se porter envers nous aux dernières extrémités, et comme il a annoncé sans aucun détour qu'il cherchait, par les voies temporelles, à nous déshériter de l'empire, nous nous sommes enfin décidé à la vengeance, parce que, tandis que nous demeurions dans la marche Trévisane à l'effet de la pacifier (car nous l'avions trouvée rouge de sang et couverte de cadavres à cause de vieilles et continuelles dissensions), lui a fait révolter contre nous et contre l'empire, en répandant de grosses sommes d'argent, la ville de Trévise ainsi que le marquis d'Est, le comte de Saint-Boniface et plusieurs autres seigneurs du pays qui déjà, sur les suggestions du souverain pontife, avaient tous ensemble juré notre mort. Au moyen de Paul Traversari241, auparavant notre plus fidèle serviteur, et qui depuis, corrompu par l'argent papal, est devenu traitre, ainsi que par l'entremise d'un242 cardinal légat, le pape a enlevé à la marche et à l'empire notre cité de Ravenne; il a reçu des habitants, à titre de prince et de pontife, serment de fidélité envers lui et envers l'église; il a donné ordre d'intercepter les chemins publics de la marche et du duché, lequel duché il détenait sous la suzeraineté de l'empire, au moment où nos députés se rendaient vers nous et (565) nous amenaient des convois nécessaires à nous et à notre armée. Il a même osé, comme l'aurait fait un brigand, jeter dans les fers quelques-uns d'entre eux après les avoir dépouillés de tous leurs biens. Or, il a fait tout cela soit pour faire périr par la faim nous et nos chevaliers tant italiens que germains, soit pour nous éloigner nécessairement du siège de Milan et nous empêcher de punir nos rebelles. Non content de tout cela, il a pris ouvertement le titre de prince et de chef d'armée contre nous et contre l'empire: il a regardé comme sienne la cause des Milanais et des autres traîtres infidèles. Il a fait publiquement de leurs intérêts ses propres intérêts; il a établi en son lieu et place pour chefs de l'année milanaise ou, pour parler plus juste, de l'armée papale, le susdit-Grégoire de Monte-Longo et frère Léon, supérieur de l'ordre des frères Mineurs, qui tous deux, le glaive au côté et la cuirasse sur la poitrine, non-seulement se donnaient faussement des airs de chevaliers, mais encore continuant leur mission de prédicateurs, absolvaient de tous leurs péchés les Milanais et les autres, quels qu ils fussent, qui avaient offensé notre personne et celle des nôtres. Aujourd'hui, le susdit légat et le susdit frère s'intitulent recteurs et seigneurs au mépris de nos droits et de ceux de l'empire; d'où l'on peut conclure évidemment que le pape est non-seulement le fauteur d'infidèles que le bruit public accuse tous pour la plupart d'hérésie. mais encore qu'il a usurpé, au préjudice et à la ruine des droits impériaux, le gouvernement et le domaine temporel du Milanais. C'est (566) pourquoi, voyant que la mesure est comblée, et nous trouvant provoqué par trop de pertes et abreuvé par trop d'injures, nous n'avons pu contenir nos mains; nous avons saisi nos armes et notre bouclier pour défendre notre cause et celle de tout l'empire, publiquement contre un ennemi public et temporellement contre un ennemi temporel; et nous avons renoncé à lui témoigner désormais une affection filiale, puisque, non content de ne point nous témoigner en échange la douceur-d'une affection paternelle, et de chercher à nous dépouiller injurieusement de notre héritage, il en veut encore à notre vie, et a une soif cruelle de notre sang. Alors nous avons muni les pays de Ligurie, qui avaient reconnu notre domination, d'une garnison convenable de chevaliers et d'arbalétriers, non sans amoindrir beaucoup notre trésor; nous avons rétabli beaucoup de droits impériaux dans notre expédition en Toscane; et, après avoir fait prendre les devants à notre bénin fils Henri, illustre roi de Torres et de Gallury, et légat du saint empire en Italie, à l'effet de faire rentrer dans le devoir la marche d'Ancône, nous-mêmes avons déployé les étendards de nos aigles victorieuses, et nous nous sommes dirigé en personne vers le duché de Spolette et les pays voisins de Rome. Toute la population jusqu'à Viterbe est venue à notre rencontre, et à l'exception d'un petit nombre de villes, nous avons reconquis et incorporé dans l'empire tout le pays, à cause des graves offenses que nous avions reçues, et d'une si noire ingratitude. Ayant donc été reçu avec (567) le plus entier dévouement par les habitans de Viterbe et par ceux des villes et lieux circonvoisins, nous avons ainsi prouvé notre puissance à notre ennemi et à notre adversaire. Celui-ci voyant le danger si voisin, et troublé par un juste effroi, ne songea cependant point à pourvoir à son salut par un repentir tardif. Il tomba dans un abime de désespoir, et, se défiant de ses propres forces, parce que le peuple romain proclamait hautement sa joie de nous voir approcher, il se mit à verser des torrents de larmes qui n'étaient point feintes contre son habitude, et supplia quelques ribauds, des vieilles femmes et un petit nombre de gens d'armes à sa solde, de prendre la croix contre nous; assurant faussement dans sa prédication que notre seul but était le renversement de l'église romaine et la violation des reliques sacrées des très-bienheureux apôtres Pierre et Paul. Que la magnificence royale excuse donc notre démarche avec un jugement droit, puisque c'est la malignité de notre adversaire qui nous y a forcé, et puisque la justice nous a décidé à maintenir, en même temps que l'honneur de l'empire, l'honneur et la terre de tous les rois et princes. Et par-dessus les autres rois du monde, vous devez seconder notre cause avec une faveur d'autant plus fervente, et la soutenir avec d'autant plus de sécurité que, participant pour ainsi dire à notre fardeau et à notre honneur, et ayant été choisi avec confiance par nous, si vous vous en souvenez bien, pour être médiateur en tout cela, mais ayant été méprisé par la partie adverse, vous pouvez (568) soutenir notre innocence et la justice de notre empire avec un zèle plus pur et une conscience plus libre. Donné à Viterbe.»

Alarmes universelles. — Dédicace de plusieurs églises. — Massacre de Tartares. — Le roi de Castille tombe dans un piège à Séville. — Lorsque ces faits se furent répandus dans le public, la renommée du seigneur pape et son autorité en furent fortement ébranlées; le scandale devint grand, et les hommes prudents et saints commencèrent a concevoir de vives alarmes pour l'honneur de l'église, du seigneur pape et de tout le clergé, et à redouter que le Seigneur, transporté de courroux, n'eût résolu de frapper son peuple d'une plaie sans remède. Vers le même temps, c'est-à-dire le cinquième jour avant les ides d'août, jour de la fête de Saint-Romain, eut lieu la dédicace de l'église conventuelle d'Abingdon: la cérémonie fut faite par l'évêque diocésain du même lieu, à savoir, Robert, évêque de Salisbury. Vers le même temps, eut aussi lieu la dédicace de l'église de Wells. Vers le même temps, furent dédiées les églises d'Evesham, de Glocester, de Tewkesbury, de Wicumbery, de Pershore, d'Alchester, et beaucoup d'autres dans le royaume d'Angleterre. Cette même année, un noble seigneur, Raoul de Thony243, périt sur la mer, vers la fête de saint Michel. Vers le même temps, pendant la persécution que l'évêque (569) de Lincoln faisait éprouver à ses chanoines, l'un d'eux en prêchant devant le peuple et en se plaignant à lui, s'écria: «Quand bien même nous garderions le silence, les pierres parleraient pour nous.» Au même instant s'écroula une bâtisse en pierre qui faisait partie du nouveau clocher de l'église de Lincoln, et elle écrasa dans sa chute les personnes qui se trouvaient dessous. Cet événement, qui ébranla et détériora toute l'église, parut être de funeste augure; mais l'évêque s'empressa de pourvoir aux restaurations244 nécessaires.

Dans le même espace de temps, les Tartares, nations inhumaines, qui avaient exercé d'horribles dévastations, et qui même étaient entrés à main armée sur le territoire des chrétiens, furent vaincus et mis en fuite, après avoir fait une incursion dans la grande Hongrie. La plus grande partie d'entre eux fut passée au fil de l'épée et massacrée par des forces supérieures, cinq rois chrétiens et sarrasins s'étant ligués à cet effet, et ayant marché à leur rencontre par la grâce de l'Esprit saint. Après leur extermination, le roi de Dacie et le roi de Hongrie, voyant qu'un vaste espace de terrain avait été presque réduit en désert par les susdits Tartares, le repeuplèrent avec des colons chrétiens qu'ils y envoyèrent. Plus de quarante navires chargés de ces nouveaux babitants partirent de la seule Dacie.

Cette même année, le mont Cassin, tout inexpu-(570) gnable qu'il était, fut pris par les féaux de l'empereur, comme nous l'avons déjà raconté plus longuement.

Cette même année, la grande ville de Valence, en Espagne, fut prise par le roi de Castille. Le même roi poussa plus loin, ayant l'intention d'assiéger la très-fameuse cité de Séville245. Ses heureux succès lui firent concevoir l'espérance d'en obtenir de nouveaux: il entoura la ville de lignes de circonvallation, et poussa vigoureusement les opérations du siège. Un jour, tandis qu'il avait disposé ses troupes autour de la place, et qu'il pressait les habitants par des assauts meurtriers, le gouverneur de la ville en sortit sous des apparences pacifiques, et promit de rendre la ville au roi, à condition que les citoyens auraient la vie sauve. Mais tout cela n'était que ruse. Il pria même instamment le roi d'entrer aussitôt dans une ville qui lui appartenait dès lors, pour recevoir l'hommage de ceux que sa sérénité royale consentait à épargner. Le roi, ayant ajouté créance entière à ces paroles, qui étaient prononcées avec des larmes et des sanglots, entra dans la ville. Mais aussitôt les habitants, fermant leurs portes et relevant les ponts, tirèrent leurs glaives et entourèrent le roi, qui n'était accompagné que de quelques chevaliers et qui ne s'attendait à rien de semblable. Les Castillans, se voyant environnés par fraude et à l'improviste, et songeant qu'il y allait de leurs têtes, se vengèrent le mieux (571) qu'ils purent de leurs orgueilleux ennemis. Mais comme leurs adversaires renaissaient sans cesse, et qu'ils ne pouvaient supporter plus longtemps le poids du combat, ils se rappelèrent ces paroles du prophète en prières: «Seigneur, sauvez le roi!» et ils firent sortir leur seigneur sain et sauf, par une porte dérobée. Celui-ci, échappé à grand'peine par ce moyen, revint vers son armée, qu'il trouva, ainsi que le lui avaient annoncé les traîtres sarrasins, fort affaiblie par les attaques d'une armée ennemie qui était sortie par un autre côté de la ville. Mais, à la vue de leur roi, qu'ils retrouvaient entier de corps, les Castillans reprirent courage et triomphèrent de leurs ennemis. Quant à ceux qui étaient restés enfermés dans Séville, ils furent ou massacrés ou jetés dans les fers, après avoir fait un grand carnage de leurs adversaires. Le roi retourna sans gloire dans son pays, avec ceux qui purent échapper à ce désastre, se promettant bien d'être plus prudent et de recommencer la lutte.

FIN DU TOME QUATRIÈME.

suite

 

(209) Matt. Pâris veut probablement dire que le légat ne passa point dans les iles qui avoisinent l’Écosse et en dépendent, pays barbares où la tyrannie féodale s'exerçait sans contrôle, si l'on en juge par les cruautés du roi de Carrick au seizième siècle.

(210) Messanensem, Lucanensem. Quoique cette traduction soit conforme au texte, nous avertissons que Fleury dit: De la Sardaigne et des diocèses de Massa et de Lune appartenants à l’église. On sait que Lune, aujourd'hui ruinée, a laissé son nom au pays de Lunégiane, à l'est de la rivière de Magra.

(211) Offensoris. Evidemment defensoris. Voir plus haut.

(212) Je propose et traduis subtractorum, au lieu de sub tractatum.

(213) Je coupe ici la phrase et suppose un point après destructum. Autrement elle me semble incompréhensible.

(214) Petranensem. Panormitanensem? (Voy. plus bas.)

(215) J'ajoute ce mot; il doit y avoir une omission.

(216) Cardinales, if propose et traduis cardinalibus.

(217) Enzio, comme nous l'avons dit plus haut, épousa Adelasie, fille d'Ubald et dame des deux provinces de Galluri et de Torres ou Torri. dans le nord de la Sardaigne. Tunis, qui est ici dans le texte, est évidemment une faute.

(218) Cumanum. Probablement Comanum.

(219) Monitionibus. Je propose et traduis monitoribus.

(220) Faute évidente. C'est l'indiction 12 s'il s'agit de l'indiction ordinaire (ère moderne), et 13 s'il s'agit de l'indiction césaréenne (ère sicilienne de l'Incarnation), Voy. l'introduction de M. le duc de Luynes au comment, sur Malteo.

(221) Gignasia. Liseï avec Ducange gymnasia. Allusion évidente aux universités sarrasines qu'avait fondées Frédéric.

(222) In altero. Je propose et traduis in utero.

(223) Je substitue destruisse à distribuisse, en supposant un point et une virgule après ce mot; autrement je ne vois pas de sens possible.

(224) Illi. Nous lisons illis.

(225) Jure. Nous lisons jura.

(226) Terram. Nous adoptons la variante carnem.

(227) Ce mot était usité très-fréquemment au moyen âge, surtout en Italie, pour désigner les marchands qui falsifiaient leurs marchandises. Le sens primitif de barata paraît avoir été celui d'échange (permutationes sire baratœ). Comme la fraude dominait d'ordinaire dans les transactions de ce genre, ce terme s'étendit bientôt à ceux qui jouaient avec de faux dés, aux valets d'armée (ribauds ou garçons), aux dilapidateurs, et généralement aux imposteurs et charlatans de toute espèce (circulatores).

(228) Honorem. Je propose et traduis horrorem.

(229) La lettre N, comme on sait, sert souvent à designer un nom inconnu. Nous croyons que c'est ici l'intention. Elle revient aussi quelquefois à notre expression un tel.

(230) Matt. Pâris écrit Liuns, d'après l'orthographe de son temps. Nous ne savons où il a pris le mot Agauno.

(231 Tempus verum expectarunt. Je propose et traduis vernvm, à moins qu'on n'entende par verum l'époque véritable et habituelle du passage.

(232Ou Grosmont. Nous avons suivi pour les trois autres l'orthographe donnée par Camden, page 71 f de la traduction anglaise où ce passage est cité.

(233 Voyez à la fin du volume addition II.

(234 Sororium. Lisez frère de la belle-mère de l'un et de l'avbre. La variante fratrem donnée par le manuscrit de Cotton a la place d'arunculum n'est pas exacte. Au reste, pour éviter toute incertitude au sujet de cette famille de Savoie dont la reine Aliénor descendait par les femmes, et peur relever les inexactitudes dans lesquelles Matt. Pâris tombe ça et là, nous allons présenter, d'après Gaichenon et l'abrégé de Puffendorf, le tableau de cette famille à l'époque qui nous occupe.

Thomas Ier, comte de Savoie en 1188, mort en 1233, épousa en secondes noces Marguerite de Faucigny. De ce mariage naquirent six filles et neuf fils. La troisième des filles Béatrix, épousa, au mois de décembre 1220, Raymond Béranger V, comte de Provence. La sixième Avoye, épousa en 1237, par l'entremise de la reine d'Angleterre sa nièce, Baudouin VII de Reviers, comte de Devon et de l'Ile de Wight. Voici les noms des neuf fils par ordre de naissance:

1° Amédée III (ou IV), successeur de son père Thomas Ier au comté de Savoie.

2° Humbert de Savoie.

3° Thomas, comte de Flandre par son mariage avec Jeanne, veuve de Ferrand.

4° Aymon.

5° Guillaume, élu en 1224 évêque de Valence.

6° Amédée, évêque de Maurienne en 1220.

7° Pierre, comte de Romont en Suisse, de Richemont et d'Essex en Angleterre, baron de Foucigny, et à son rang comte de Savoie.

8° Philippe, archevêque de Lyon, puis comte de Savoie et de Bourgogne après la mort de Pierre, en 1268.

9° Boniface, évêque de Bellei et de Valence, archevêque de Cantorbéry.

(235Frère Hélie, ministre provincial de Toscane, avait essaye de mitiger la règle du vivant même de saint François. Devenu général de l'ordre, mais déposé en 1229 pour son luxe et ses richesses, il céda la place au Florentin Jean Parent, fut rétabIi en 1236 après l'abdication de ce dernier, se signala encore par ses innovations et ses rigueurs contre les zélateurs de l'observance. Le pape Grégoire qu'il avait d'abord séduit par son adresse, le déposa de nouveau dans un chapitre général tenu à Rome, le 10 mai 1239, et on élut à sa place Albert de Pise, puis un Anglais Aymon de Feversham. Hélie irrité, s'attacha dès lors à Frédéric II, et devint l'ennemi acharné de la cour romaine et du pape qui l'excommunia. L'excommunication fut renouvelée par Innocent IV. Après la mort de Frédéric, Hélie se retira à Cortone sa patrie, et y mourut en 1253, en témoignant un grand repentir. (Voyez Fleury, XVII vol., passim.)

(236) «Je ferai que vos yeux seront obscurcit et que votre âme séchera de langueur, etc.» Ier liv. des Rois, II, 33.

(237Vesenenses. Nous proposons Sinenses. On connaît la rivalité de Florence guelfe contre Sienne gjbeline.

(238Subjvnxit. Probablement subvertit.

(239) Cette phrase me semble incompréhensible si l'on n'ajoute misissemus, et si au lieu de ad ejus processus sui faciente astutia prœcidendam, on ne lit: ad eorun processum sufficiente astutia prœcidendum.

(240 Movebantur. Évidemment movebamur.

(241) Tronsurarum dit le texte, mais nous lisons plus bas Traversanum. M. de Sismondi, Hist. des rép. italiennes, orthographie Traversari., C'était un des chefs du parti guelfe à Ravenne.

(242) Il y a mogistro tans désignation de nom. Il s'agit probablement de Grégoire de Monte-Longo.

(243) Adopté la variante; le texte dit Tohom.

(244 Je crois devoir détourner ici correctio de son sens ordinaire.

(245 Il y a dans le texte Sybilla.