Nicetas traduit par Mr. Cousin

NICETAS

 

AVERTISSEMENT

Traduction française : Mr. COUSIN

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

Histoire de l'Empereur Jean Comnène

 

 

HISTOIRE

 

 

DE

 

CONSTANTINOPLE

 

DEPUIS LE REGNE DE

 

L'ANCIEN JUSTIN

 

jusquà la fin de l'Empire,

Traduite sur les Originaux Grecs  par Mr COUSIN,

Président en la Cour des Monnoyes

DEDIEE A MONSEIGNEUR DE POMPONNE

Secrétaire d'Etat.

T O M E V.

 

A PARIS

En la boutique de PIERRE ROCOLET,

Chez DAMIEN FOUCAULT, Imp, & Libr. ord, du Roy, & de la Ville,

au Palais, en la Gallerie des Prisonniers, aux Armes du Roy & de la Ville.

M. D C L X X III

AVEC PRIVILEGE DU ROY.

 

AVERTISSEMENT.

 

ICETAS était natif de Cône ville de Phrygie appelée autrefois Colossec, aux nabitans de laquelle saint Paul a adressé une de ses Epitres, comme nous l'apprenons de Nicetas même tant dans le premier Chapitre du sixiéme Livre de l'Histoire de l'Empereur Manuël, que dans le vint-deuxième Chapitre du quatrième Livre du Trésor de la Foi Catholique.

Il fut mené par son père à Constantinople dès l'âge de neuf ans, & mis entre les mains de Michel son frère ainé qui fut. depuis Archevêque d'Athènes, sous la conduite duquel il fit de si grands progrés dans les sciences , qu'il parvint par son mérite à la charge de Secrétaire sous le règne de l'Empereur Manuel, & serait parvenu ensuite à plusieurs autres sans les troubles qui survinrent dans l'Empire.

Mais Andronique ayant usurpé l'autorité  souveraine  sur  Alexis son cousin, sans en être retenu par le respect, ni de sa dignité., ni de leur parenté, & sans être touché de la pitié que la faiblesse de son âge lui devait donner, & s'étant maintenu dans cette possession injuste par les proscriptions, par les bannissements, par les meurtres, & par les autres violences les plus cruelles, & les plus odieuses, la vertu de notre Auteur chercha dans la retraite, & dans l'étude la sûreté, & le repos qu'elle n'aurait pu trouver à la Cour, ni au-mïlieu des emplois.

 Il n'y a point de vide dans la vie des grands hommes. Ils ne perdent aucun de ces moments si précieux qui la composent. Ils donnent à l'étude le temps qu!ils ne sauraient donner aux affaires, & quand.des accidents extraordinaires les chassent avec violence des emplois, ou les obligent à s'en éloigner par prudence, ils ne deviennent ni oisifs, ni inutiles. Ne pouvant plus rendre la justice aux peuples, ni donner de sages conseils aux Princes, ils étudient les Lois, & ils s'instruisent eux-mêmes,

Nicetas n'ayant plus de Charge à exercer durant les troubles, travailla dans le secret de son cabinet, & employa quatre années à tirer de la Jurisprudence, & de la Politique ces nobles maximes qui font la gloire des Souverains la prospérité des Etats, la félicité des peuples.

La tyrannie d'Andronique ayant été détruite par la mort la plus tragique qui ait jamais été non seulement décrite par l'histoire, mais inventée par la fable , il retourna à Constantinople, où sa vertu fut honorée des dignités de grand Logothète des secrets, de Juge du Voile, & de  premier Getonite dont il s'acquitta avec autant de réputation, que de probité jusqu'au temps auquel les Français, & les Vénitiens prirent cette ville par assaut, & rétablirent Isac-l'Ange  sur  le Trône, d'où il avait été chassé par la perfidie d'Alexis son frère.

Les mêmes peuples s'étant rendus maîtres de cette capitale; de l'Empire sous le règne d'Alexis Ducas surnommé Murtzuphle, Nicetas fut obligé d'abandonner la maison qui lui restait proche de l'Eglife de sainte Sophie, depuis que: la grande qu'il avait eue au quartier de Storacius avait été brûlée.

Il décrit dans l'hiftoire de Murtzuphle les périls qu'il courut en cette rencontre, &.la générisité avec laquelle il arracha d'entre les mains d'un soldat, la fille d'un Magistat nommé Belissariote , laquelle il épousa depuis.

Michel son frère Archevêque d'Athènes ressentit au même-temps une pareille disgrâce. Car sa ville ayant été prise de force, & exposée au pillage, & son Eglise ayant été profanée:, il fut obligé de se retirer au Monastère du Precurseur dans dans l'île de Céos.

Nicetas s'étant sauvé à Nicée avec ses parents, & ses amis y paffa le reste de sa vie en repos, & y acheva les ouvrages qu'il a laifssés à la postérité.

Il mourut avant son frère l'Archevêque d'Athènes qui fit son oraison funèbre, que Pierre Morel a traduite & publiée en Latin , dans laquelle outre les les conrconstances que j'ai marquées de sa vie, il n'y a que des éloges de sa vertu & des plaintes de sa mort. Michel a encore laissé un petit traité  sur  l'adoration de la Croix, & un Poème  sur  la différence de l'état où la ville d'Athènes avait été sous les anciens Grecs, & de celui où elle était de son temps. Ces deux ouvrages sont manusrits dans la Bibliothèque du Roi.

Les principaux ouvrages qui nous restent de son frère sont , son histoire, & le Trésor de la foi Catholique.

L'Histoire commene à la mort d'Alexis Commene, s'étend jusqu'à celle de Baudouin Comte de Flandres arrivée environ quatre-vint six ans depuis, & renferme des événements si singuliers, & des accidents si extraordinaires, qu'à peine en trouvera-t-on de semblables dans aucune autre.

On n'y voit pas seulement des guerres civiles, & étrangères, des sièges , & des combats , des Princes trahis par leurs sujets, & depossédé par leurs proches. On y voit encore le gouvernement changé, & la grandeur du plus puissant Empire du monde abattue par la valeur invincible des Français.

Ces changements si surprenants sont décrits avec les plus riches ornements de l'Eloquence, & embellis des plus judicieuses reflexions de la Politique, & de la Morale. Il est vrai néanmoins, qu'en quelques endroits il y a des figures, trop violentes, &  surtout des métaphores trop forcées qui rendent le discours obscurs & embarassés comme le traducteur Latin le remarque, & que j'ai taché d'adoucir pour rendre le mien plus intelligible.

Il se trouve une si grande diversité dans les manuscrits, qu'on peut dire qu'il y a deux histoires de Nicetas, dont l'une qui est remplie de termes barbares est vraisemblablement de lui, & l'autre qui est comme une paraphrase est de quelque Grec, qui n'étant pas satisfait de la maniècre de parler, dont avait usé l'Auteur en a affecté une autre qu'il a cru plus élégante.

Cinname qui vivait dans le même temps a écrit le commencement de la même histoire, & a observé quantité de légères circonstances que Nicetas a omises. Mais il en a omis d'autres très-importantes que Nicetas a observées, comme la mort d'Alexis ; la passion déréglée qu'Irène sa femme avait d'élever  sur  le trône Nicephore Bryenne son gendre, au préjudice de Jean son fils, la conjuration formée contre Jean, la générisité qu'il eut de pardonner aux coupables, & de rendre à Anne Comnene sa sœur le bien qui avait été confisqué  sur  elle, & sa réconciliation avec Mac son frère.

Ils ne s'accordent pas touchant la manière dont l'Empereur Manuel reçut les Allemands qui allaient en Palestine. Car au lieu que Cinname les accuse d'avoir exercé d'horribles cruautés contre les Romains, Nicetas reconnaît; de bonne foi que Manuem .usa d'une noire trahison, & d'autres moyens également odieux , & injuftes pour faire périr leur armée.

N'ayant pas jugé à-propos de traduire Cinname parce que ce n'aurait été rien autre chose que donner deux fois la même histoire en différents termes, j'ai cru devoir rapporter comme en passant deux dîgressions remarquables qu'il a faites : L'une  sur  ce que le Roi d'Allemagne prenait le titre d'Empereur, & s'attribuait le pouvoir .d'établir des Rois bien qu'il s'abaissât jusqu'à tenir l'étrier du pape, à conduire sa mule, & à fendre la presse pour lui rendre le passage libre, &  sur  ce que le Pape pretendait mettre des Empereurs, & les déposer, au lieu qu'il n'a droit que de les sacrer, L'autre  sur  ce que Frédéric Roi d'Allemagne s'étant déclaré pour Octavien contre Alexandre troisième , Manuel à qui seul cet historien croyait qu'il appartenait de confirmer l'élection des Papes, rétablit celui-ci dans le siège de Rome. Ce qui n'est pas conforme à ce que les écrivains Latins en ont dit.

L'autre ouvrage de Nicetas est le Trésor de. la foi Catholique, dont l'Original écrit de la main de l'auteur fut possédé. après la mort de Michel Archevêque d'Athènes son frère par Théodore Scutariote Diacre de Cyzique, & porté depuis la prise de cette ville à un Monastère du Mont-Athos, d'où il fut apporté à Paris  sur  la fin du siècle passé, exposé en vente, & acheté par Jean de saint André Chanoine de l'Eglise Cathédrale. C'était un homme savant qui avait quantité de manuscrits Grecs & Latins, & qui en donna plusieurs au public, comme la lettre de l'Empereur Constantin à Arius & aux Ariens écrite avant le Concile de Nicée ; & les Liturgies attribuées à S.Pierre, à S. Marc, à S.Jacques, à S.Basile, & à S.Chrysostome. Il communiqua le manuscrit de Nicetas à Pierre Morel, qui en traduisit en Latin les cinq premiers Livres, & promit de traduire les vint-deux autres.

Le premier de ces Livres est divisé en quarante-cinq Chapitres. Dans les vint-neuf premiers il est parlé de la création du premier homme, de la suite de ses descendants jusqu'à Moîse, de l'origine de la Philosophie, des opinions des Philosophes, de incertitude de leurs maximes, du Ciel, des Etoiles, des Planètes, des Saisons, du vide, des météores, de la pluie, de la nege, de la grêle, de l'aie-en-ciel , des vents, des tremblements de terre, des tonnerres. Dans le Chapitre trentième, & dans les suivants il est parlé de la nation des Juifs, de la divifion des tribus, & des diverfes sectes qui ont été parmi eux.

Le second Livre est divisé en quatrevint-deux Chapitres. Les trente-neuf premiers sont employés à expliquer la Doctrine de l'Eglise touchant l'Unité de la nature Divine, & la Trinité des personnes. Le quarantième, & le quarante-&-uniéme à discourir de la création des Anges, de leur nature, de leurs ordres, & de leurs fonctons : Le quarante-deuxième & les suivants à parler de la création de l'homme, du corps, & de l'âme qui le composent,de ce qu'il a de commun avec les bêtes, & de ce qu'il a de particulier , de l'Immortalité de l'âme, des opinions différentes des Philosophes touchant la manière dont elle est unie au corps, de ses vertus, de la formation du corps, de la mort, du Jugement , et de la Metempsycose.

Le troisième livre contient quarante-&-un chapitres où sont rapportés plusieurs témoignages des Prophètes, & des saints Pères touchant le mystère de l'Incarnation du Verbe , & de la Rédemption des hommes.

Le quatrième livre divisé en quarante-quatre chapitres contient l'exposition, & la réfutation des erreurs de Simon le magicien, & d'environ cinquante autres hérétiques.

Le cinquième livre contient l'hiftoire de l'Arianisme, les divers états de cette hérésîe, les Conciles légitimes où elle a été condamnée, les assemblées fâcheuses où elle a été soutenue, la fermeté invincible, avec laquelle les saints Evéques ont défendu la vérité de la Foi contre l'artifice des Novateurs, & contre les violences des Princes qui les protegeaient.

Les vint-deux livres qui ne sont point imprimés sont écrits avec la même méthode , & contiennent la réfutation des hérésies qui se font élevées depuis celle d'Arius jusqu'au temps de Nicetas, tirée des ouvrages des Pères Grecs, comme de S. Athanafe, de S. Epiphane, de S.Jean Chrysostome, de S. Maxime, de Théodoret, de S. Jean de Damas, & de quelques-autres. Que si cette réfutation est moins étendue que celle que S. Irenée, que Tertullien, que S. Hilaire , & S. Augustin ont faite des premières hérésies dans des livres exprés, elle l'est: beaucoup plus que celle de Philastrius Evéque de Bresse en Italie, contemporain & ami particulier de S. Ambroise, qui n'est que le dénombrement de vint-huit erreurs qui ont été parmi les Juifs, & de cent dix-sept qui ont été parmi les chrétiens depuis le commencement de l'Eglise jusqu'au siècle auquel il a vécu.

Enfin cet ouvrage suffit pour donner une fort grande idée du mérite de notre Auteur, & pour faire voir qu'il avait un esprit fort vaste, & une suffisance fort rare, puisque non content de s'acquiter avec réputation des plus importantes Charges de l'Empire, il s'était encore rendu capable non seulement d'en écrire l'hiftoire, ce qui ne se peut faire dignement sans des talents extraordinaires, mais aussi de traiter des matières les plus relevées., & les plus difficiles de la Religion, qui demandent une application & une étude particulière.