Muntaner

RAMON MUNTANER

 

CHRONIQUE : CLXI à CLXXX

CXLI à CLX -  CLXXXI à CC

Oeuvre numérisée  par Marc Szwajcer

 

 

 

 

CHRONIQUE DU TRÈS MAGNIFIQUE SEIGNEUR

RAMON MUNTANER

 

 

CHAPITRE CLXI

Comment le seigneur roi En Alphonse d'Aragon fit une joute à Figuières de deux cents contre deux cents; et comment il combattit contre le vicomte de Rocaberti et En Gilbert de Castellnou.

De retour à Péralade, le seigneur roi donna congé à toutes ses osts, et chacun rentra chez soi. Privé ainsi de la possibilité de se battre contre ses ennemis, il ordonna du moins un tournoi à Figuières et voulut qu'il y eût quatre cents combattants, savoir deux cents de son côté et deux cents avec En Gilbert de Castellnou et le vicomte de Rocaberti, qui étaient les chefs du parti opposé au sien. Il y eut la les plus belles fêtes et les plus beaux faits d'armes qu'on eût vus en tournois depuis le roi Artus.

Après ces fêtes, le seigneur roi revint à Barcelone. Chaque jour c'étaient nouvelles joutes et tournois, jeux et exercices militaires, parades, soûlas et jeux de toute espèce, et tout le pays allait de plaisir en plaisir et de bals en bals.

CHAPITRE CLXII

Comment des messagers du pape et des rois de France et d'Angleterre arrivèrent au seigneur roi d'Aragon pour lui demander de faire la paix et de leur rendre le roi Charles qu'il tenait prisonnier.

Tandis qu'on se livrait à tous ces soûlas, messire Boniface de Salamandrana vint trouver le seigneur roi, de la part du pape, qui demandait au seigneur roi de vouloir bien faire la paix; et la même requête lui était faite de la part du roi de France. Ils demandaient de plus qu'on leur rendit le roi Charles, qui était prisonnier, et que le seigneur roi lui donnât sa fille en mariage.

Pendant cette négociation arriva à Barcelone messire Jean de Grailly,[1] de la part du roi Edouard[2] d'Angleterre, qui lui demandait aussi de se rapprocher de lui par un mariage; savoir que le roi d'Aragon épousât sa fille;[3] et dans ce cas il se ferait médiateur entre lui et ses adversaires, la sainte Eglise de Rome, le roi de France et le roi Charles, pour lui faire obtenir une paix avantageuse.

Que vous dirai-je? Lorsque messire Boniface eut connu le contenu du message de messire Jean de Grailly, et que messire Jean eut connu le sien, ils se rapprochèrent l'un de l'autre et se réunirent. Messire Boniface s'aperçut bien vite que le seigneur roi d'Aragon préférait se rapprocher du roi d'Angleterre plutôt que du roi Charles; aussi conçut-il que c'était par cette voie surtout avant toute autre, qu'on pouvait parvenir à faire paix et à tirer le roi Charles de prison. Il fit donc son affaire principale lui-même de se réunir à messire Jean de Grailly pour traiter du mariage avec la fille du roi d'Angleterre. Que vous en dirai-je davantage? Les négociations se menèrent de tant et tant de manières qu'il serait trop long de vous en rendre compte; si bien qu'enfin messire Boniface et messire Jean de Grailly convinrent: que messire Boniface retournerait vers le pape et vers le roi de France, et messire Jean vers le roi d'Angleterre; que chacun rendrait compte de ce qu'ils avaient traité ensemble et de ce qu'ils pouvaient, faire, et qu'à un jour désigné ils se trouveraient l'un et l'autre à Toulouse pour se communiquer mutuellement les réponses qu'ils auraient reçues. Ils prirent donc congé du seigneur roi d'Aragon et s'en allèrent où ils étaient convenus.

Je cesse de vous parler des envoyés qui s'en vont chacun leur chemin, et vais de nouveau vous entretenir du seigneur roi de Sicile.

CHAPITRE CLXIII

Comment le seigneur roi En Jacques de Sicile résolut de passer en Calabre et dans la principauté avec toutes ses osts et de conquérir Naples et Gaète.

Dès que l'amiral fut de retour à Messine, comme vous l'avez entendu, il fit radouber toutes ses galères. Un jour le seigneur roi de Sicile fit appeler l'amiral et tout son conseil, et leur dit: « Barons, nous avons pensé que nous, ferions bien d'armer quatre-vingts corps de galères, et nous, de notre personne, avec mille chevaux armés et trente mille almogavares, de nous diriger sur Naples et de faire tous nos efforts pour conquérir cette ville, pendant que le roi Charles est prisonnier en Catalogne. Et si nous pouvons prendre Naples, de là nous irons mettre le siège devant Gaète; car si nous pouvions avoir Gaète elle nous vaudrait encore mieux que Naples. »

L'amiral et tous les autres approuvèrent fort le projet du seigneur roi, et chacun se disposa incontinent au départ. L'amiral fit arborer le pavillon d'enrôlement, et le seigneur roi fit inscrire tous ceux qui devaient marcher avec lui. Le tout étant disposé, le seigneur roi convoqua les cortès à Messine, et il fixa le jour où les riches hommes, chevaliers et syndics des cités et des villes de toute la Sicile et de la Calabre devaient se trouver réunis dans cette ville. Au jour désigné, madame la reine se trouva elle-même à Messine avec le seigneur roi et le seigneur infant En Frédéric, et tous se réunirent dans l'église de Sainte Marie la Neuve. Le seigneur roi prit la parole et dit beaucoup de belles choses. Il leur dit: que son intention était de marcher sur la principauté; qu'il leur laissait madame la reine pour dame et maîtresse, en son lieu et place; qu'il laissait aussi l'infant En Frédéric, qui, avec le secours du conseil qu'il lui avait choisi, devait régir et gouverner tout le royaume, et qu'il leur ordonnait de le regarder comme un autre lui-même. Ayant dit cela, et bien d'autres belles paroles appropriées à la circonstance, il s'assit. Les barons du pays se levèrent alors et dirent qu'ils étaient tout prêts à faire tout ce qu'il leur ordonnait. Les chevaliers, les citoyens et hommes des villes en dirent autant. Après quoi le conseil se sépara, et peu de jours après le seigneur roi passa en Calabre avec ses troupes.

L'amiral, de son côté, réunit toutes les galères, aussi bien que d'autres lins, térides et barques, pour transporter les vivres et tout ce qui était nécessaire. Quand tout fut Ordonné et appareillé, l'amiral partit de Messine avec toute la flotte, et se rendit en Calabre; au palais de Saint-Martin, où se trouvait le seigneur roi, avec la cavalerie qui y était venue de Sicile, ainsi que les riches hommes; chevaliers et almogavares qu'il avait fait venir de la Calabre, de manière que tous fassent réunis près de ksi au jour fixé. Le seigneur roi s'embarqua alors avec tous ceux de ses gens qu'il avait désignés pour le voyage, et, avec la grâce de Dieu, fit route vers la principauté. Je cesse un instant de vous parler de lui et reviens à ses ennemis.

CHAPITRE CLXIV

Comment le comte d'Artois, instruit du grand armement qui se préparait en Sicile, se prépara à venir avec toutes ses forces, et avec les secours du Saint-Père, à Naples et à Salerne.

Aussitôt que ses ennemis eurent appris les préparatifs qui se faisaient en Sicile, ils pensèrent sur-le-champ que tout cela était destiné à attaquer Naples et Salerne. Le comte d'Artois et beaucoup d'autres barons qu'il y avait dans le royaume, au nom du roi Charles, vinrent donc avec toute leur puissance à Naples et à Salerne; et il s'y trouva un grand nombre de chevaliers, car le pape avait envoyé grande aide en hommes et en argent. Ils renforcèrent donc ces deux cités, de telle sorte qu'on ne pût les prendre, tant que tous n'auraient point été exterminés. Mais revenons au roi de Sicile, qui, après s'être embarqué, alla visitant toutes les places de la côte jusqu'à Castello dell' Abate, à trente-quatre milles de Salerne, comme je l'ai déjà dit.

CHAPITRE CLXV

Comment le seigneur roi En Jacques de Sicile fit route pour Salerne, et comment l'amiral côtoya toute la côte d'Amalfi, enleva toutes les nefs et térides du port de Naples, et assiégea Gaète.

Ayant visité Castello dell' Abate le seigneur roi En Jacques fit route vers Salerne, et il fallait voir le tumulte que son approche occasionnait partout; on eût dit que le monde croulait. L'amiral mit poupe en terre devant les rochers qui sont en face de la ville, et là, au moyen des arbalètes, il causa de grands dommages. Pendant tout ce jour et la nuit suivante il conserva cette position; le lendemain il s'éloigna de Salerne et s'en alla côtoyant toute la côte d'Amalfi. L'amiral fit débarquer des almogavares, qui mirent à feu et à sang beaucoup d'endroits qu'on avait remis sur pied depuis qu'ils avaient été détruits par En Béranger de Sarria; puis, s'éloignant de la côte, ils prirent la voie de Naples; et à Naples il fallait entendre le bruit de toutes les cloches mises en branle, et voir la cavalerie qui en sortait de partout. Mais en dépit de tant de gens qu'il y avait, en dépit de tant de chevaliers, il n'y en eut pas encore assez pour que l'amiral n'enlevât pas tout ce qu'il y avait de nefs et térides dans le port.

Ils restèrent trois jours devant la ville, puis se dirigèrent sur Ischia; là ils descendirent et reconnurent la ville et le château, dont l'amiral fit grande estime quand il l'eut reconnu. Dis chia il se dirigea sur Gaète; et là il fit débarquer hommes et chevaux, et mit le siège devant la ville par terre et par mer, et fit dresser quatre trébuchets qui tous les jours tiraient dans la ville; et il s'en serait sans doute emparé, si deux jours avant il n'y était entré mille hommes à cheval des troupes du roi Charles, qui tinrent vigoureusement la cité.

Que vous dirai-je? Le siège fut poussé avec force, et ils assiégèrent tellement la cité que les assiégés eurent beaucoup à souffrir; et pendant ce temps, les gens du seigneur roi de Sicile couraient tous les jours la campagne, pénétrant jusqu'à la distance de trois et quatre journées, et y faisaient les plus royales chevauchées du monde, enlevant tout, personnes," effets, or et argent, mettant à feu et à sang les bourgs, hameaux et habitations, et en ramenant tant et tant de bétail que souvent dans l'ost on tuait un bœuf pour en avoir la peau, et un mouton pour en avoir le foie. Enfin, ils avaient telle abondance de viandes qu'il y avait de quoi s'émerveiller qu'un pays pût fournir autant de bétail que l'ost en consommait.

Laissons le seigneur roi de Sicile au siège de Gaète, et parlons du seigneur roi d'Aragon.

CHAPITRE CLXVI

Comment le seigneur roi En Alphonse d'Aragon eut une entrevue avec le roi d'Angleterre et épousa la fille dudit roi d'Angleterre; et des grandes fêtes, jeux et danses qui eurent lieu.

Messire Boniface et messire Jean de Grailly ayant pris congé du seigneur roi d'Aragon, chacun se rendit là où il était convenu d'aller. Qu'ai-je besoin de vous en dire davantage? Ils allèrent tant par leurs journées qu'ils arrivèrent, l'un vers le pape et le roi de France, et l'autre vers le roi d'Angleterre; et ils conduisirent leur affaire à bonne fin, et ils arrangèrent que le roi d'Aragon aurait une entrevue avec le roi d'Angleterre à un lieu nommé Oloron, qui est en Gascogne,[4] et l'entrevue fut décidée. Au jour fixé, le roi d'Angleterre, avec la reine sa femme et l'infante sa fille, se trouvèrent audit lieu d'Oloron. Le seigneur roi d'Aragon et le seigneur infant En Pierre s'y trouvèrent aussi avec une nombreuse suite de riches hommes, de chevaliers, de citoyens et hommes des villes, tous richement équipés et appareillés de beaux habillements et de beaux harnois. Messire Boniface de Salamandrana et messire Jean de Grailly y allèrent également. De belles fêtes furent données par le roi d'Angleterre au seigneur roi d'Aragon, au seigneur infant En Pierre et à toute leur suite. Que vous dirai-je? La fête dura bien huit jours avant qu'on songeât à parler d'aucune affaire; mais dès que la fête fut terminée on entra en conférence, et enfin le seigneur roi d'Aragon signa son engagement de mariage avec la fille du roi d'Angleterre, qui était bien la plus belle et la plus gracieuse jeune fille du monde.[5] Les épousailles faites, la fête recommença plus belle encore qu'auparavant. Le seigneur roi d'Aragon fit dresser un mât très élevé, et à plusieurs reprises il y lança des traits avec tant d'adresse que les Anglais et autres, ainsi que toutes les dames, en étaient fort émerveillés; ensuite on fit des parades, des tournois, des joutes et des jeux d'armes de toutes sortes. Puis il fallait voir tous les chevaliers et les dames en danse, et quelquefois les deux rois eux-mêmes avec les reines et avec des comtesses et autres grandes dames. L'infant et les riches hommes des deux nations y dansèrent aussi. Que vous dirai-je? Cette fête dura bien un mois; un jour le seigneur roi d'Aragon dînait avec le roi d'Angleterre, et un autre jour le roi d'Angleterre allait dîner chez le seigneur roi d'Aragon.

CHAPITRE CLXVII

Comment le roi d'Angleterre négocia la mise en liberté du roi Charles; et comment ledit roi Charles, étant encore en prison, il lui vint une vision dans laquelle il lui était prescrit de chercher le corps de madame sainte Marie-Madeleine, et comment il le trouva en effet dans le lieu désigné par la vision.

A la fin de toutes ces fêtes, le roi d'Angleterre tint conseil très étroit avec le seigneur roi d'Aragon, et avec messire Boniface de Salamandrana et messire Jean de Grailly, pour traiter de la mise en liberté du roi Charles. Il y eut à ce sujet beaucoup de choses dites pour et contre de part et d'autre; mais enfin on en vint à cette conclusion: qu'on donnerait sur-le-champ au seigneur roi d'Aragon cent mille marcs d'argent, que le roi d'Angleterre prêta au roi Charles; et il fut arrêté: que le roi Charles sortirait de prison, et qu'il jurerait, sur sa parole royale, que, dans un délai fixé, il aurait arrangé la paix entre l'Eglise, le roi de France et lui d'une part, et les seigneurs rois d'Aragon et de Sicile de l'autre, et que jusqu'à cette époque le roi Charles donnerait trois de ses fils et vingt fils de riches hommes pour tenir prison en son lieu et place.

Le roi d'Angleterre se rendit garant de toutes ces conditions, et le seigneur roi d'Aragon consentit à tout, en honneur de son beau-père le roi d'Angleterre, si bien qu'il fit incontinent délivrer le roi Charles de sa prison.[6] Il y eut bien des gens qui prétendirent que, quand le roi Charles serait libre, il n'enverrait aucun de ses enfants pour le remplacer; mais ceux-là ne disaient pas bien, car assurément ce roi Charles II, qui était prisonnier du seigneur roi d'Aragon, fut et était alors un des plus excellents seigneurs du monde; et la guerre avec l'Aragon lui avait déplu de tout temps; et il était un des plus pieux et des plus droituriers seigneurs qu'il y eût; et il y parut bien par la faveur que Dieu lui fit, car il lui vint en vision l'ordre de chercher aux Martigues, en Provence, le corps de madame sainte Marie-Madeleine; et dans le lieu désigné par la vision il fit creuser à plus de vingt lances sous terre, et il y trouva le corps de la bienheureuse madame sainte Marie-Madeleine.[7] Et on peut bien imaginer et croire que, s'il n'eût pas été aussi bon et aussi juste, Dieu ne lui aurait point fait une telle révélation.

Après être délivré de sa prison, le roi Charles partit avec le roi de Majorque, qui lui rendit de grands honneurs à Perpignan. Mais je laisse le roi Charles, et je vais vous parler du seigneur roi d'Aragon et du roi d'Angleterre.

CHAPITRE CLXVIII

Comment le seigneur roi En Alphonse d'Aragon partit d'Oloron accompagné du roi d'Angleterre; et comment le roi Charles eut une entrevue avec le roi de Majorque et le roi de France.

Toutes ces choses terminées, le seigneur roi d'Aragon partit d'Oloron, et prit congé de la reine d'Angleterre et de sa fille la reine d'Aragon, sa femme et fiancée.[8] Au départ il y eut un grand nombre de joyaux donnés de part et d'autre. Le roi d'Angleterre accompagna ensuite le seigneur roi d'Aragon jusqu'en son royaume; puis ils prirent congé l'un de l'autre, comme un père prend congé d'un fils, et chacun retourna dans ses terres.

Après avoir fait sa visite au roi de Majorque, le roi Charles alla visiter le roi d'Angleterre et lui donna de grands remercîments pour tout ce qu'il avait fait pour lui. Avant de le quitter, il lui remboursa les cent mille marcs d'argent qu'il avait comptés pour lui au roi d'Aragon. Le roi d'Angleterre le pria d'envoyer sans délai au roi d'Aragon les otages qu'il avait promis en son nom, et celui-ci assura qu'il n'y manquerait pour rien au monde; et ils prirent ainsi congé l'un de l'autre. Le roi d'Angleterre, de retour chez lui, s'occupa de négocier la paix entre la sainte Eglise et le roi de France et le roi d'Aragon son gendre.

Je cesse de vous parler ici du roi d'Angleterre, et reviens au roi Charles, qui s'en va en Provence pour arranger ce qu'il avait promis au roi d'Angleterre.

CHAPITRE CLXIX

Comment le roi Charles envoya ses trois fils avec vingt fils des nobles hommes de Provence, pour otages, au roi d'Aragon; et comment, ayant appris que le roi de Sicile faisait le siège de Gaète, il demanda des secours au roi de France et au Saint-Père.

Il avait à Marseille trois de ses fils, savoir: monseigneur Louis, monseigneur Robert et monseigneur Raimond Béranger, qui était son cinquième fils;[9] et tous les trois, avec vingt fils de nobles hommes de Provence, il les envoya à Barcelone au seigneur roi d'Aragon, pour tenir prison en sa place. Le seigneur roi d'Aragon les reçut et les envoya à Ciurana, où ils furent gardés comme si le roi Charles y eût été lui-même. Après avoir accompli tout ce à quoi il s'était engagé, le roi Charles alla en France et eut une entrevue avec le roi de France, et lui demanda un secours en cavalerie, parce qu'il avait appris que le roi de Sicile faisait le siège de Gaète. Le roi de France lui accorda tous les secours et aides qu'il lui demandait, tant en troupes qu'en argent. Il partit de France avec une nombreuse cavalerie et alla trouver le pape, à qui il demanda aussi des secours, et le pape lui accorda tout ce qu'il demandait; et avec toutes ces forces il vint à Gaète; et là vint aussi son fils aîné Charles Martel, avec de très grandes forces.

Il se trouva là réuni tant de gens que c'était sans compte et sans nombre; et certainement si l'amiral et les autres barons qui étaient auprès du seigneur roi de Sicile, y eussent consenti, il leur aurait présenté la bataille; mais ils ne voulurent d'aucune manière y consentir, et se retranchèrent au contraire très fortement dans les positions de siège qu'ils avaient prises. Le roi Charles assiégea alors le seigneur roi de Sicile, et de son côté le seigneur roi de Sicile tenait assiégée la ville de Gaète, et tirait dessus avec ses trébuchets, et la ville tirait aussi sur le seigneur roi de Sicile. Puis survint le roi Charles qui assiégea à son tour les assiégeants, et tirait sur eux avec ses trébuchets, tandis que les assiégeants lui ripostaient de leur côté de la même manière. C'était là qu'il faisait beau voir chaque jour les faits d'armes des gens du roi de Sicile d'une part contre ceux de la ville et de l'autre contre l'ost du roi Charles; c'était vraiment miracle de les voir. Que vous dirai-je? Cela dura fort longtemps, et le roi Charles, voyant que cette affaire lui tournait à grand dommage, que le seigneur roi de Sicile finirait par s'emparer de la ville, et que s'il était une fois maître de la ville, c'en était fait de toute la principauté et de la Terre de Labour, fit proposer une trêve au seigneur roi de Sicile, et lui envoya à cet effet ses messagers. Il lui mandait par sa lettre: qu'il réclamait une trêve pour un temps fixé, et que ce qui lui dictait cette demande était un scrupule de conscience, car c'était contre sa conscience qu'il se présentait en armes devant lui et le tenait assiégé, attendu qu'il avait promis sur serment au seigneur roi d'Aragon, qu'aussitôt sa sortie de prison il ferait tous ses efforts pour avoir avec lui bonne paix et bonne amitié; qu'il était dans l'intention de remplir sa promesse, si Dieu lui donnait vie, et qu'il serait beaucoup mieux de traiter de la paix pendant une trêve qu'en continuant à se faire la guerre.

Dès que le seigneur roi de Sicile eut pris connaissance de la lettre que lui envoyait le roi Charles sachant que tout ce qu'il lui mandait était toute vérité, et sachant aussi qu'il y avait dans le cœur du roi Charles tant de bonté et tant d'affection, qu'il traiterait en bonne foi de la paix et bonne amitié à conclure entre eux, il consentit à la trêve. Les conditions de cette trêve furent réglées ainsi: le roi Charles devait d'abord se retirer; puis, quand il serait éloigné avec tous ses gens, le seigneur roi de Sicile devait se rembarquer avec tout ce qu'il avait du sien à ce siégé.

Le tout fut ainsi accompli: le roi Charles s'en alla à Naples avec toute son ost; puis le seigneur roi de Sicile fit son embarquement à son aise, et retourna en Sicile, à Messine, où on lui fit de belles fêtes. L'amiral désarma ses galères. Ensuite le seigneur roi de Sicile alla visiter ses royaumes et toute la Calabre, et l'amiral l'accompagna; et ils ne songèrent qu'à se déduire et à chasser, et ils conservèrent fort longtemps tout le pays en paix et en grande justice. Je cesse de vous parler d'eux et retourne au seigneur roi d'Aragon.

CHAPITRE CLXX

Comment le seigneur roi En Alphonse d'Aragon se mit en tête de conquérir Minorque, et l'envoya dire à son frère le seigneur roi de Sicile, ainsi qu'à l'amiral En Roger de Loria, pour qu'il eût à venir avec quarante galères armées; et comment il vint et alla conquérir Minorque.

Quand le roi d'Aragon fut parti d'Oloron et revenu dans ses terres, il pensa qu'il serait honteux pour lui que les Sarrasins possédassent l'île de Minorque; qu'il devait donc les en chasser et en faire la conquête; qu'il fallait ôter cette peine à son oncle le roi de Majorque; et qu'il valait mieux qu'il lui rendît ensuite l'île de Minorque habitée par des chrétiens, que s'il eût laissé les Sarrasins continuer à l'habiter. Il envoya donc des messagers au moxerif[10] de Minorque, lui signifiant qu'il eût à évacuer promptement cette île, et que, s'il s'y refusait, il pouvait regarder comme certain qu'il la lui enlèverait de force et lui en ferait payer la peine sur sa personne et celle de tous ses gens. Le moxerif de Minorque lui fit une froide réponse. Le seigneur roi pensa alors à venger le seigneur roi son père de la trahison que lui avait faite le moxerif lorsqu'il avait publié en Barbarie le voyage que son père allait y faire, ce qui fit couper la tête à Bugron et nous fit perdre Constantine, ainsi que vous l'avez entendu ci-devant.

Le seigneur roi expédia aussitôt des messagers à son frère le seigneur roi de Sicile, le priant de lui envoyer l'amiral avec quarante galères armées. Il écrivit aussi à l'amiral dut se hâter et de se rendre sans délai à Barcelone avec les galères.

Ainsi comme le seigneur roi d'Aragon avait fait dire à son frère et à l'amiral, ainsi fut-il exécuté. L'amiral arma les quarante galères et vint à Barcelone, il y était pour la Toussaint, et y trouva le seigneur roi qui avait déjà disposé tous les cavaliers et tous les almogavares qui devaient passer avec lui. Il y avait bien cinq cents bons cavaliers sur chevaux bardés, et trente mille almogavares. Avec la grâce de Dieu, ils s'embarquèrent à Salou et allèrent de là à la cité de Majorque, où ils se trouvèrent tous réunis quinze jours avant Noël. L'hiver fut si rude qu'on n'en vit jamais de pareil par les vents, les pluies et les rafales. Que vous dirai-je? Il fit un hiver aussi rude que si on eût été sur la mer de Tana,[11] car il y eut des matelots qui de froid perdirent le bout des doigts. J'ai à vous raconter maintenant un bel exemple. C'est un miracle qui eut lieu pendant ce mauvais temps, miracle que j'ai vu, aussi bien que nous tous, et je veux vous le raconter afin que chacun se garde de la colère de Dieu.

CHAPITRE CLXXI

Où on raconte le grand miracle qui eut lieu à l'occasion d'un almogavare de Ségorbe qui voulut manger de la viande la veille de Noël

II est vérité qu'il se trouvait, réunis ensemble, vingt almogavares qui étaient de Ségorbe, ou des environs; et ils étaient logés au porche de Saint-Nicolas de Portopi; et la veille de Noël, dix d'entre eux pourchassèrent en sorte d'avoir du bétail pour le manger leur jour de Noël. Ils apportèrent quatre moutons, les firent écorcher et les suspendirent au porche. L'un de ces compagnons, qui était de Ségorbe et qui avait joué et perdu, dans sa colère prit un quartier de mouton et le mit à la broche. C'est la coutume des Catalans que, la veille de Noël, tout le monde jeûne et ne mange qu'à la nuit. Ces almogavares allèrent donc chercher des choux, des poissons et des fruits, pour manger ce jour-là. Etant arrivés le soir à ladite auberge du porche Saint-Nicolas de Portopi, ils virent, auprès du feu où ils devaient prendre leur repas, ce quartier de mouton à la broche; ils s'en émerveillèrent fort et s'en indignèrent, et s'écrièrent: « Quel est celui qui nous a mis ici au feu ce quartier de mouton? Et celui-là répondit que c'était lui qui l'avait mis. « Pourquoi cela? dirent-ils. — Parce que, répliqua-t-il, je veux, cette nuit même, manger de la viande à la honte de la fête de demain! »

Ceux-ci le réprimandèrent vivement, et pensèrent que, bien qu'il le dît, il n'en ferait rien. Ils apprêtèrent donc leur souper et mirent la table. L'autre prit une touaille[12] et s'assit de l'autre côté du feu, et déploya sa touaille. Et tous commencèrent à rire et à plaisanter, croyant bien qu'il taisait ainsi pour se moquer, d'eux. Quand tous furent assis et eurent commencé à manger, celui-ci prit son quartier de mouton, le mit devant lui, le découpa, et dit: « Je vais manger de cette viande à la honte de la fête de cette nuit et de demain. » Mais au premier morceau qu'il porta à sa bouche, tout à coup lui apparut un homme si grand, si grand qu'il touchait de la tête aux poutres du porche; et de sa main pleine de cendres il lui donna un tel coup sur la figure qu'il le renversa à terre. Et quand il fut renversé à terre, il s'écria trois fois:« Sainte-Marie, ayez pitié de moi! » Et là il resta comme mort, perclus de tous ses membres et ayant perdu la vue. Ses compagnons le relevèrent et retendirent sur une couverture, où il resta comme mort jusqu'à minuit. Au chant du coq il recouvra la parole et demanda des prêtres. Le curé de l'église de Saint-Nicolas vint, et il se confessa très dévotement. Le matin du jour de Noël, à force de prières et d'instances qu'il fit, on le porta à l'église de madame Sainte-Marie de Majorque. Là il se fit placer devant l'autel, où tout le monde venait le voir; et il était si faible qu'il ne pouvait s'aider d'aucun de ses membres, ni se mouvoir, et il avait entièrement perdu la vue; et en pleurant il conjurait tout le peuple de prier Dieu pour lui; et devant tout le monde, confessait ses péchés et ses erreurs, témoignant la plus grande contrition et la plus vive douleur, si bien que tous, hommes et femmes, en avaient grande pitié. Et il fut ordonné que tous les jours, dans ladite église cathédrale, on dirait pour lui le Salve Regina jusqu'à ce qu'il fût mort ou guéri. Que vous dirai-je de plus? Cela dura jusqu'au jour de l'Apparition;[13] et ce jour, au moment où la cathédrale était pleine de monde, quand le prédicateur eut fini son sermon, il exhorta tout le peuple à prier madame Sainte-Marie de vouloir bien implorer son benoît cher fils pour qu'en ce saint jour il fit un miracle en faveur de ce pécheur, et il leur dit à tous de s'agenouiller pendant que les prêtres chanteraient le Salve Regina. A peine l'eut-on entonné que l'homme poussa un grand cri, et tous ses membres se disloquèrent et se mirent en un tel mouvement que six prêtres avaient peine à le retenir. A la fin du Salve Regina, tous ses os firent entendre un grand craquement, et, en présence de tout le peuple, il recouvra la vue, et ses membres reprirent leur place et leurs mouvements bons et réguliers; et lui et tout le peuple rendirent grandes grâces à Dieu d'un si beau miracle, que Dieu et madame Sainte-Marie venaient de leur manifester, et le pauvre homme s'en retourna ainsi chez lui sain et droit.

O vous tous qui entendrez raconter ce miracle si public et si manifeste, faites-en votre profit; redoutez le pouvoir de Dieu et efforcez-vous de bien faire; et gardez-vous surtout de fait ni de paroles, de rien faire contre le nom de Dieu, ni de madame Sainte-Marie, ni des benoîts saints et saintes, ni des fêtes ordonnées par la sainte Eglise romaine.

CHAPITRE CLXXII

Comment une grande tempête surprit le roi d'Aragon et sa flotte au moment où il allait conquérir Minorque; comme il conquit tout l'île et de quelle manière; et comment, en s'en retournant en Sicile, il fut encore battu de la tempête, et courut en mer jusqu'à Trapani.

Je reviens au seigneur roi d'Aragon. Lorsqu'il eut célébré ses fêtes de Noël dans la ville de Majorque, il fit embarquer tout son monde et fit route pour Minorque. A peine le seigneur roi était-il à vingt milles en mer, et non loin de l'île de Minorque, qu'une tempête survint et dispersa tellement toute sa flotte que ce fut avec vingt galères seulement qu'il prit terre au port Mahon.

Le moxerif de Minorque, qui s'était bien préparé à la défense et avait reçu de grands secours de Barbarie, alla à sa rencontre avec toutes ses forces jusqu'à la poupe de ses galères; et il avait constamment avec lui bien cinq cents hommes à cheval et quarante mille hommes de pied. Le seigneur roi se trouvait avec ses galères dans l'île des Connils,[14] et tout prêt à opérer son débarquement. Cet orage dura bien huit jours, pendant lesquels aucun des siens ne put le rejoindre. A la fin, cependant, le temps s'adoucit, et peu à peu arrivèrent au port de Mahon, tantôt deux galères, tantôt trois nefs, jusqu'à ce qu'enfin tous les bâtiments y arrivèrent comme ils purent.

Lorsque le seigneur roi d'Aragon vit qu'il y avait deux cents chevaux armés d'arrivés, il s'occupa de faire débarquer tous les chevaux, et toutes les troupes descendirent des vaisseaux à terre. Le moxerif voyant contre quelle puissance il allait avoir à combattre, alla au château de Mahon et là réunit toutes ses forces.

Le seigneur roi, qui avait déjà quatre cents chevaux armés d'arrivés et une partie des almogavares, dit à l'amiral et aux autres riches hommes qui se trouvaient là, qu'il ne voulait pas attendre qu'il lui fût arrivé plus de monde. L'amiral et les autres le conjurèrent en grâce qu'il ne fit pas ainsi, et d'attendre tous ses chevaliers; mais il répondit qu'on était au cœur de l'hiver et que les galères Souffriraient beaucoup, que, pour rien au monde, il n'attendrait plus longtemps, et qu'on eût à marcher à la rencontre du moxerif.

Le moxerif descendit en ordre de bataille dans une belle plaine, près du château de Mahon. Dès que les osts furent en présence l'une de l'autre, le seigneur roi chargea en bel ordre avec tout son monde. Le moxerif en fit autant contre le seigneur roi d'Aragon. La bataille fut terrible, car les habitants de l'île étaient de vaillants hommes d'armes, et il y avait aussi de bonnes troupes turques, que le moxerif avait à sa solde. La bataille fut si acharnée que chacun avait assez à faire; mais le seigneur roi, qui était un des meilleurs chevaliers du monde, chevauchait brochant de l'éperon çà et là, et tout cavalier qu'il pouvait atteindre était à l'instant abattu; si bien que toutes ses armes en furent brisées, à l'exception de sa masse d'armes avec laquelle il faisait de si beaux coups que nul n'osait tenir devant lui. Enfin, par la faveur de Dieu, et grâce à ses prouesses et à celles de ses troupes, il remporta la victoire. Le moxerif prit la fuite et s'enferma dans le château avec vingt de ses parents, et tous les autres furent tués.

Le roi fit lever le champ à son monde. Il alla mettre le siège devant le château dans lequel le moxerif était entré: et cependant arriva tout le reste de la flotte du seigneur roi. Et quand le moxerif vit ces forces si considérables du roi, il lui envoya des messagers pour demander grâce et merci, le priant de permettre que lui, avec ses vingt parents, leurs femmes et leurs enfants, se retirât en Barbarie, n'emportant avec eux que leurs vêtements et des vivres jusqu'au lieu de leur destination, et à ces conditions, il lui remettrait le château de Mahon et la ville de Ciutadella.

Le seigneur roi voyant que, sans autre opposition, il pouvait ainsi se rendre maître de l'île entière, lui octroya sa demande, et le moxerif lui remit le château de Mahon et la ville de Ciutadella, ainsi que tous les autres lieux de l'île, et lui livra tous les trésors qu'il possédait. Le roi lui donna une nef qu'il nolisa de Génois entrés par hasard au port de Mahon pour aller charger du sel à Ibiza, et à bord de cette nef il plaça le moxerif avec environ cent personnes, tant hommes que femmes ou enfants. Le seigneur roi paya la nef et y fit mettre des provisions suffisantes. La nef s'éloigna du port si mal à propos qu'elle fut assaillie par la tempête et alla échouer en Barbarie, de manière qu'il n'en échappa pas un seul. Vous voyez par là, quand notre Seigneur Dieu veut détruire une nation, avec quelle facilité il le fait; gardons-nous donc tous de sa colère, et souvenons-nous comment la roue de la fortune tourna contre le moxerif et sa race, qui étaient seigneurs de cette île depuis plus de mille ans.[15]

Quand le seigneur roi eut renvoyé le moxerif et son lignage hors de l'île, il se rendit à Ciutadella, et fit prendre toutes les femmes et les enfants dans toute l'île, ainsi que les hommes qui restaient encore vivants, et ils étaient en fort petit nombre, car tous étaient morts dans la bataille. Et quand tous les hommes, femmes et enfants eurent été pris dans toute l'île, on trouva que le nombre s'en élevait à quarante mille; et il les fit livrer à En Raimond Calbet, un des notables hommes de Lérida, lui confiant en chef le soin de les faire vendre, et lui adjoignant des officiers placés sous ses ordres à cet effet. Une grande partie furent envoyés à Majorque, puis en Sicile, en Catalogne et ailleurs; et, dans chaque lieu, les personnes et les effets furent vendus publiquement à l'encan. Après cela, le seigneur roi ordonna de construire, au port de Mahon, une ville entourée de bonnes murailles. Il plaça comme son chargé de pouvoir dans toute l'île En Pierre de Lebia, notable citoyen de Valence, et lui donna tout pouvoir de distribuer l'île aux Catalans qui viendraient la peupler, en lui recommandant de la peupler de braves gens; et En Pierre de Lebia le fit ainsi. Et assurément l'île de Minorque est aujourd'hui peuplée de si bonnes gens catalans qu'aucun lieu ne saurait être mieux habité que celui-là.

Le seigneur roi ayant ordonné ses officiers dans toute l'île, prescrit de la peupler, et désigné pour chef et capitaine En Pierre de Lebia, homme sage et avisé, il s'en vint à Majorque où on célébra sa bienvenue par de belles fêtes. Il visita toute l'île de Majorque avec l'amiral et En Galeran d'Anglesola, et autres riches hommes qui l'accompagnaient; puis il partit de Majorque et envoya toute la flotte avec l'amiral en Catalogne, et lui-même, avec quatre galères, se dirigea vers Ibiza qu'il voulait visiter. Là on lui fit beaucoup de fêtes; il y demeura quatre jours, puis retourna en Catalogne, prit terre à Salou, et de Sajou se rendit à Barcelone, où il retrouva l'amiral qui déjà était débarqué avec toute la flotte.

L'amiral prit congé du roi et retourna en Sicile. Dans ce voyage il éprouva une telle tempête, dans le golfe de Lyon, que toutes ses galères furent dispersées; et les unes furent poussées jusque sur la côte de Barbarie, d'autres sur celle de la principauté, et l'amiral fut, cette fois, en grand danger; mais, avec l'aide de Dieu, qui en tant de lieux lui avait donné aide, il parvint sain et sauf à Trapani; et peu de jours après, il recouvra toutes ses galères.

Quand toutes furent réunies à Trapani, il se transporta à Messine où il retrouva le seigneur roi et tout son monde qui lui fit grande fête. Il désarma à Messine et suivit la cour du roi; car le seigneur roi de Sicile ne faisait rien que l'amiral n'en fût informé. Ils vécurent en grande joie et en grand déduit, visitant avec la cour toute la Calabre et la principauté de Tarente, et tous les lieux dépendant de la principauté. Je cesserai pour un instant de vous parler du seigneur roi de Sicile et je retourne au seigneur roi d'Aragon.

CHAPITRE CLXXIII

Comment le seigneur roi En Alphonse envoya ses messagers à Tarascon pour traiter de la paix avec le roi Charles; comment la paix s'y fit, ainsi que le seigneur roi d’Aragon le voulait, au très grand honneur du seigneur roi de Sicile; et comment le seigneur roi En Alphonse tomba malade d'un abcès

Le roi revenu à Barcelone, où on lui fit de belles et honorables fêtes, alla visiter tout son royaume. Quand il fut en Aragon il alla voir don Alphonse de Castille et don Ferdinand son frère, et leur donna beaucoup du sien. Il les trouva sur un bon pied, poussant la guerre contre leur oncle, et gagnant tous les jours du terrain. Il alla ainsi visitant toutes les frontières; et tous les jours lui arrivaient en toute hâte des envoyés du pape, du roi de France et du roi d'Angleterre, pour traiter de la paix avec lui. C'était le roi d'Angleterre qui pressait toutes ces négociations, parce qu'il désirait que, l'année suivante, le mariage entre sa fille et le roi d'Aragon se consommât, et il poussait les choses de toutes ses forces; et il faut avouer comme une vérité, qu'autant en faisait le roi Charles, pour se conformer à ce qu'il avait promis.

Et tant firent le roi Charles et le roi d'Angleterre que le pape envoya à Tarascon, en Provence, un cardinal avec le roi Charles, pour traiter de la paix à conclure avec le roi d'Aragon. Arrivés à Tarascon, ils dépêchèrent des messagers au roi d'Aragon pour l'engager à envoyer un fondé de pouvoir qui traitât de la paix. Ledit seigneur roi vint à Barcelone pour s'occuper d'ordonner les préparatifs de ce traité; aussitôt son arrivée, il convoqua ses cortès, et fit dire à chacun de se rendre à un jour désigné à Barcelone; et ainsi qu'il commanda ainsi fut-il accompli.

Les cortès étant réunies et assemblées au palais du roi, il leur exposa: comment le roi Charles et le cardinal étaient arrivés à Tarascon; comment ils le requéraient d'y envoyer des fondés de pouvoir qui négociassent la paix avec eux; comment lui ne voulait rien faire sans le conseil de ses barons, chevaliers, citoyens et hommes des villes, qui devaient examiner de quels messagers on aurait à faire choix, et quels pouvoirs on leur conférerait; et qu'ainsi, tout ce qui serait stipulé par les envoyés, le roi et tout le monde pussent le tenir pour bon et valable.

Avant de se séparer, on convint que les envoyés seraient au nombre de douze, savoir: deux riches hommes, quatre chevaliers, deux savants ès lois, deux citoyens et deux hommes des villes. On régla le nombre de compagnons et d'écuyers que chacun devait emmener, et on ordonna que tout fût fait ainsi qu'il avait été arrêté, et cela se fit ainsi. Quarante personnes, entre riches hommes, chevaliers, citoyens et hommes des villes, furent chargées de diriger le tout. Il fut ordonné de plus que nul ne partît de Barcelone que les envoyés ne fussent allés à Tarascon et n'en fussent revenus, afin qu'on ne pût savoir ce qu'ils auraient fait; et cela fut octroyé. Le tout ainsi octroyé, ces quarante personnes se réunissaient deux fois le jour à la maison des frères prêcheurs, et examinaient et décidaient ce qui devait se faire; et chaque jour ce qu'ils avaient décidé ils le présentaient au seigneur roi, et lui il y corrigeait ce qu'il croyait pouvoir être amélioré, en seigneur bon et sage qu'il était, et dont la volonté n'était inspirée que par l'esprit de vraie charité, par la justice et par toutes les autres vertus. Les envoyés furent élus, et on ordonna de quelle manière ils devaient s'y rendre pour le plus grand honneur du roi et de ses royaumes, et on leur donna copie des articles et des pouvoirs nécessaires. Et quand ils furent élégamment équipés, on leur donna un majordome tel qu'il convenait à une telle ambassade.

Ils partirent de Barcelone; et certainement, entre leurs chevaux de main, leurs propres montures et celles de leurs compagnons et de leurs écuyers, et les chevaux qui conduisaient les équipages, il y avait bien cent chevaux. Et tous les envoyés étaient des hommes notables, bons et sages; et ils allèrent tant par leurs journées qu'ils arrivèrent à Tarascon. Le seigneur roi était resté à Barcelone avec toute sa cour; et si jamais on vit nulle part jeux et soûlas sous toutes les formes, joutes et tournois, tir au mât, exercices d'armes, parades, danses de chevaliers, de citoyens, d'hommes des villes et de tous les métiers de la cité, qui multipliaient toutes les sortes de jeux et s'abandonnaient à toutes les joies, ce fut bien là surtout qu'il fallait le voir. Chacun ne songeait qu'à se divertir, et à se déduire, et à faire ce qui pouvait être agréable à Dieu et au seigneur roi.

Lorsque les messagers arrivèrent à Tarascon ils furent très bien accueillis par le roi Charles, par le cardinal et par les ambassadeurs qui s'y trouvaient déjà de la part du roi de France; mais surtout par les quatre messagers qu'y avait envoyés le roi d'Angleterre. Ceux qui seront curieux de savoir les noms des divers envoyés, ce que le cardinal leur dit de la part du Saint-Père, ce qu'ils lui répondirent, enfin tout ce qui fut fait depuis le commencement jusqu'au jour du départ, peuvent consulter le récit qu'en a écrit En Galeran de Vilanova, sous le titre de Gesta, et il y trouvera tout rangé par ordre.[16] Qu'il lise en particulier ce que répondit, entre autres, En Aymon de Castell-Auli, qui était l'un des envoyés du seigneur roi d'Aragon. Si vous me demandez pourquoi je cite plus particulièrement En Aymon de Castell-Auli qu'aucun des autres, je vous dirai que c'est parce qu'il répondit plus fièrement et d'une manière plus chevaleresque qu'aucun autre; et s'il y eut aucun bien de fait, ce bien se fit à cause des paroles qu'il prononça.

Je ne m'arrêterai pas plus longtemps à leurs conférences; elles durèrent longtemps. A la fin, ils prirent leur congé, et partirent avec ce qu'ils avaient fait, et trouvèrent le seigneur roi à Barcelone. Là, en présence de toute la cour plénière réunie, ils rendirent compte du résultat île leur mission, tellement que le seigneur roi et son conseil en furent très satisfaits; si bien que la paix avait été arrangée aussi honorablement et aussi avantageusement que le voulaient le roi et ses gens, et aussi au grand honneur du seigneur roi de Sicile. Ainsi, de là à peu de jours devait se consommer le mariage de l'infante, fille du roi d'Angleterre, avec le seigneur roi d'Aragon; mais Notre Seigneur vrai Dieu voulut que les choses allassent d'une manière différente de ce qui avait été résolu à Tarascon. Chacun est bien convaincu que Notre Seigneur vrai Dieu est toute vraie droiture et toute vraie vérité, aussi nul homme ne peut-il ou ne sait-il pénétrer ses secrets; et là où en leur faible entendement les hommes s'imaginent que, des choses voulues par Dieu va sortir un grand mal, il en sort un grand bien. Aussi personne ne doit-il s'inquiéter de rien de ce qu'il plaît à Dieu de faire. Il faut donc que, chaque chose qui arrive nous la prenions on bien et en confort, et que nous louions et remerciions Dieu de tout ce qu'il nous donne.

Ainsi, au moment des plus grandes fêtes, de la plus vive allégresse, des plus joyeux déduits de Barcelone, il vint en plaisir à Dieu de tout changer en tristesse; car le seigneur roi En Alphonse tomba malade d'un abcès qui se déclara au haut de la cuisse. Il ne laissa pas pour cela de tirer au mât et de se mêler aux exercices d'armes; car il était l'un des plus ardents qui fût à tous les genres d'exercices, et même il ne fit aucun cas de cet abcès; aussi la fièvre s'y mêla-t-elle et le tourmenta pendant dix jours si violemment que tout autre homme en serait mort.

CHAPITRE CLXXIV

Comment le seigneur roi En Alphonse d'Aragon sortit de cette vie, des suites d'un abcès qu'il eut au haut de la cuisse.

Sentant son mal s'aggraver, il fit son testament avec le plus grand soin, tel que ne le pourrait mieux faire aucun autre roi.[17] Il se le fit lire une première et une seconde fois, et l'écouta avec attention. Il laissa le royaume au seigneur roi En Jacques de Sicile, son frère, et son corps à l'ordre des frères mineurs de Barcelone; il se confessa plusieurs fois de tous ses péchés avec vive contrition, reçut notre Sauveur et fut oint de l'extrême-onction. Après avoir reçu tous les sacrements de la sainte Eglise, il prit congé de tous, se fit donner la croix et l'adora très dévotement en répandant des larmes abondantes; il croisa ses bras en appuyant la croix sur sa poitrine, leva les yeux au ciel et dit: « Entre tes mains, père et Seigneur Jésus-Christ, je recommande mon âme. » Il fit le signe de la croix, se bénit lui-même et son peuple et son royaume, et, en tenant la croix embrassée et disant beaucoup de saintes oraisons, il trépassa de cette vie, l'an de Notre Seigneur Jésus-Christ douze cent quatre-vingt-onze, le dix-huitième jour de juin.

Si jamais on vit en une cité une grande douleur, ce fut bien le jour où l'on perdit un si bon seigneur. Ainsi qu'il l'avait ordonné, il fut porté en grande procession, à l'église des frères mineurs, et là il fut enterré. Dieu veuille, dans sa bonté, avoir son âme! Nous ne pouvons douter qu'il ne soit avec Dieu dans son saint paradis, car il a quitté ce monde parfaitement vierge, n'ayant jamais approché d'aucune femme; son désir était de se présenter vierge à son épouse, et ainsi ne se soucia-t-il jamais d'aucune autre femme.[18]

CHAPITRE CLXXV

Comment le comte d'Ampurias et autres riches hommes furent choisis pour aller en Sicile, afin de ramener en Catalogne le seigneur roi En Jacques de Sicile; et comment madame la reine sa mère, et l'infant En Frédéric son frère restèrent comme gouverneurs et chefs de la Sicile et de la Calabre.

Quand le corps fut inhumé, on fit lecture du testament; ensuite on arma quatre galères. Le comte d'Ampurias, avec d'autres riches hommes, chevaliers et citoyens, furent choisis pour aller en Sicile et en ramener le seigneur roi En Jacques; et aussitôt, en effet, le comte d'Ampurias et les autres personnes désignées s'embarquèrent pour aller en Sicile et en ramener le seigneur roi En Jacques, qui devait être seigneur et roi d'Aragon, de Catalogne et du royaume de Valence.

En attendant, les barons, les riches hommes, citoyens et hommes des villes, ordonnèrent que l'infant En Pierre serait chargé du gouvernement de ces royaumes, avec le secours d'un conseil qui lui fut donné, jusqu'à ce que le seigneur roi En Jacques fût arrivé en Catalogne; et le seigneur infant En Pierre régit et gouverna le royaume avec autant de sagesse qu'aurait pu le faire le prince le plus expérimenté.

Le comte d'Ampurias et ses compagnons de voyage étant embarqués, ils allèrent si rapidement, tantôt par un vent, tantôt par un autre, tantôt à voiles, tantôt à rames, qu'en peu de temps ils prirent terre à Trapani. Là ils apprirent que madame la reine, le seigneur roi En Jacques et le seigneur infant En Frédéric étaient à Messine. Pendant leur voyage à Messine, ils ne levèrent point bannière; ils allèrent à la douane, et sortirent sans pousser un seul laus Domino; et quand ils furent en présence de madame la reine, du seigneur roi et du seigneur infant, le comte annonça en pleurant la mort du seigneur roi En Alphonse. Et si jamais il y eut deuil et pleurs, ce fut bien à ce moment. Que vous dirai-je? Deux jours entiers dura ce grand deuil.

Après ces deux jours, le comte pria madame la reine et le seigneur roi de convoquer le conseil général, et aussitôt le seigneur roi fit proclamer un conseil général; et tous se réunirent à Sainte Marie la Nouvelle.

Là, en présence de tous, le comte fit proclamer le testament du seigneur roi En Pierre, dans lequel était cette clause: que si le seigneur roi En Alphonse mourait sans enfants, le royaume d'Aragon devait retourner au roi En Jacques avec la Catalogne et le royaume de Valence, ainsi que je vous l'ai déjà dit. Il fit ensuite proclamer le testament du seigneur roi En Alphonse, qui léguait aussi tous ses royaumes au seigneur roi En Jacques son frère, roide Sicile. Et quand lecture eût été faite des deux testaments, le comte et les autres envoyés requirent le seigneur roi qu'il eût pour bon de se préparer à partir pour la Catalogne, afin de prendre possession de ses royaumes. Le seigneur roi répondit: qu'il était prêt à partir, mais qu'il voulait avant tout régler de quelle manière l'île de Sicile et la Calabre, et le reste du pays auraient à se gouverner après son départ, et puis qu'il se mettrait en route sans retard. Cette réponse plut à tous. Aussitôt le seigneur roi donna ordre à l'amiral de faire armer trente galères; et sans délai t'amiral dressa le pavillon d'enrôlement, et fit appareiller les trente galères et les fit mettre en ordre de départ. Le seigneur roi envoya ensuite en Calabre et dans toutes les autres parties de son territoire, ordre à tous les riches hommes, chevaliers, syndics des cités et des villes, de se rendre aussitôt auprès de lui à Messine.

Quand ils furent réunis à Messine, il les harangua et leur dit beaucoup de belles choses; il leur ordonna de garder et recevoir madame la reine pour gouvernante et pour dame, et de regarder également pour chef et seigneur l'infant En Frédéric à l'égal d'un autre lui-même, et de faire tout ce qu'il désirerait et prescrirait comme ils le feraient pour sa propre personne.

Tous le promirent incontinent, et il les signa et les bénit, et prit congé d'eux. Chacun en pleurant lui baisa les mains et les pieds. Ils allèrent ensuite baiser les mains de l'infant En Frédéric, après quoi ils prirent Congé d'eux et retournèrent en Calabre et dans les autres lieux, en faisant éclater leurs regrets du départ du seigneur roi. Tous éprouvaient toutefois une vive joie de l'accroissement de puissance qui lui était survenu, et aussi d'avoir un aussi bon chef que celui qu'il leur avait laissé, c'est à savoir le seigneur infant En Frédéric son frère.

CHAPITRE CLXXVI

Comment le seigneur roi En Jacques d'Aragon s'embarqua à Trapani pour passer en Catalogne et débarqua à Barcelone, où il fit célébrer des messes pour l'aîné du roi En Alphonse son frère, et à Sainte-Croix pour l'âme du seigneur roi En Pierre son père, et comment il fut couronné à Saragosse, et promit aide à don Alphonse de Castille.

Tout cela terminé, le seigneur roi prit congé de toute la communauté de Messine en général, et leur fit les mêmes recommandations qu'il avait faites à ceux de Calabre. De là il alla à Palerme, où il avait également convoqué tous ses barons de Sicile, les chevaliers et les syndics des cités et des villes. Et quand tous furent réunis, il leur dit beaucoup de belles choses, comme il avait fait aux autres, et leur fit les mêmes commandements. Après quoi il prit congé de tous et alla à Trapani.

Cependant l'amiral était arrivé avec les galères. Madame la reine, le seigneur infant En Frédéric, et tous les barons de Sicile, s'y trouvèrent aussi. Là le seigneur roi En Jacques prit congé de madame la reine sa mère, qui lui donna sa bénédiction; il prit ensuite congé du seigneur infant En Frédéric et l'embrassa plus de dix fois, car il l'aimait très affectueusement, et cela par plusieurs raisons: d'abord parce qu'il était son frère de père et de mère, ensuite parce que le seigneur roi son père le lui avait recommandé, et enfin parce qu'il l'avait élevé lui-même et que l'infant En Frédéric lui avait toujours été obéissant comme un bon frère doit l'être envers son aîné; aussi le portait-il toujours affectueusement en son cœur, et le laissa-t-il gouverneur et seigneur dans tout le royaume. Il prit enfin congé de tout le monde et s'embarqua sous la garde de Dieu,[19] emmenant avec lui le comte d'Ampurias, les autres ambassadeurs et l'amiral, qui ne se séparaient pas de lui. Ils mirent en mer, et Dieu leur accorda un vent favorable, si bien qu'en peu de jours ils arrivèrent en Catalogne, et, avec la grâce de Dieu, ils débarquèrent à Barcelone. Ce fut bien là une grande grâce de Dieu qui fut octroyée à ses peuples, d'obtenir pour roi et seigneur un tel seigneur que le roi En Jacques; et ce jour-là la paix et la bienveillance vinrent habiter le royaume et toutes les terres du seigneur roi d'Aragon. Et comme il avait été tout gracieux et tout fortuné pour ses peuples de Sicile, ainsi fut-il fortuné et plein de toutes bonnes grâces pour le royaume d'Aragon, toute la Catalogne et le royaume de Valence, et pour tous les autres lieux qui lui appartenaient.

Aussitôt que le seigneur roi En Jacques de Sicile eut débarqué à Barcelone, si de belles fêtes lui furent faites, il n'est pas besoin de vous le dire. Toutefois, avant que les fêtes commençassent, il fit réunir tout le monde aux frères mineurs, et là il paya son tribut de pleurs, de messes, de services religieux et d'offrandes sur le corps du seigneur roi En Alphonse, son frère. Cela dura quatre jours, après quoi la fête commença, et si complète qu'on eût dit que la terre en était ébranlée; et cette fête dura quinze jours; et la fête passée il partit de Barcelone et s'en alla par Lérida à Saragosse; et dans chaque lieu on lui faisait de grandes fêtes

Mais à sa sortie de Barcelone, le premier lieu qu'il visita fut Sainte-Croix, et là il rendit aussi ses devoirs pieux au corps de son père; puis il continua son chemin, comme je vous l'ai déjà dit, vers Saragosse. Là on lui fit la fête la plus belle sans comparaison qui y fût jamais faite, et il y prit la couronne sous d'heureux auspices.

Après la fête du couronnement, il eut une entrevue avec don Alphonse de Castille qui vint le voir en Aragon, et le seigneur roi lui donna largement du sien. Et don Alphonse le conjura qu'il fût de sa grâce et de sa merci de ne pas l'abandonner, puisqu'il était assez malheureux pour avoir perdu le seigneur roi En Alphonse; car si ce roi eût vécu seulement deux ans de plus, il tenait pour certain qu'il l'aurait fait seigneur de toute la Castille, et maintenant, si le roi En Jacques ne le secourait pas, il regardait son affaire comme perdue.

Le seigneur roi le réconforta, et lui dit de tenir pour certain qu'il ne l'abandonnerait pas et qu'il lui donnerait tous tes secours qu'il pourrait lui donner. Don Alphonse en ressentit beaucoup de joie et fut très satisfait du roi, et il retourna en Castille, à Séron et autres lieux de sa dépendance.

CHAPITRE CLXXVII

Comment le seigneur roi En Jacques d'Aragon vint à Valence, et prit la couronne du royaume; comment des envoyés du roi don Sanche de Castille vinrent le trouver, pour lui demander d'établir la paix entre lui et le roi de Castille et ses neveux.

Le seigneur roi d'Aragon parcourut ensuite tout l'Aragon et vint à Valence, où on lui fit aussi de grandes fêtes; et il y reçut la couronne de ce royaume.

Tandis qu'il allait ainsi visitant ses terres, il lui arriva de la part du roi don Sanche de Castille, son cousin germain, de notables messagers; et ils saluèrent très affectueusement ledit seigneur roi d'Aragon de la part du roi don Sanche, son cousin germain, qui lui faisait dire: qu'il avait grande joie de son arrivée, et le priait, comme son cher cousin pour lequel il avait beaucoup d'affection, de faire la paix avec lui, en l'assurant que lui de son côté était disposé à le soutenir contre tous les hommes du monde. Il ajoutait: que le roi En Alphonse lui avait fait la guerre et l'avait mis en danger de perdre ses royaumes et avait voulu les donner à ses neveux, qui ne lui appartenaient pas d'aussi près que lui; qu'il en avait été fort émerveillé, ne pensant pas avoir failli à aucun devoir envers lui; et qu'il le priait donc de ne pas continuer à agir envers lui comme l'avait fait le roi En Alphonse son frère, mais de considérer les puissants liens de devoir réciproque qui existaient entre eux.

Le roi répondit très courtoisement aux envoyés, en seigneur qui a été et qui est encore[20] des plus courtois et des mieux élevés en toutes choses que jamais fût aucun seigneur. Il leur dit qu'ils étaient les bienvenus, et ajouta que le roi don Sanche ne devait pas s'étonner de ce qu'avait fait le roi En Alphonse. « Le roi En Alphonse a agi en cela en bon fils qui voulait venger le grand manque de foi commis par le roi don Sanche envers le seigneur roi notre père, et je vous dis que nous aussi nous avons partagé à cet égard toutes les idées de notre frère; mais puisque le roi don Sanche demande la paix il nous plaît de la lui accorder. « Et les messagers répondirent: « Oui, seigneur, cela est vrai; et nous ajouterons une chose de la part du roi don Sanche: c'est qu'il offre à vous faire amende, à votre estimation, de tout ce en quoi il peut avoir failli envers le seigneur roi votre père; et cette amende, seigneur, sera telle que vous la fixerez vous-même; et il est prêt à vous donner cités, châteaux, villes et tous autres lieux, et à vous faire toute réparation honorable que vous déclarerez qu'il doit vous en faire. »

Le seigneur roi répondit: « Que, puisqu'il parlait si bien, il se tenait pour satisfait; qu'il ne voulait de lui cités, châteaux ni autres lieux; que, grâces à Dieu, il avait tant et de si bons royaumes, qu'il n'avait faute de ce que possédait un autre; qu'il lui suffisait d'apprendre qu'il se repentait de sa conduite envers le seigneur roi son père; mais qu'il exigeait de lui qu'il donnât une part dans la terre de Castille aux infants ses neveux, savoir, à don Alphonse et à don Ferdinand, car pour rien au monde il ne les laisserait sans protection. »

Les messagers lui dirent qu'ils allaient partir avec ces paroles. Et ainsi ils s'en retournèrent vers le roi de Castille, et lui racontèrent tout ce que leur avait dit le seigneur roi d'Aragon, et lui dirent la grande bonté et la sagesse qui était en lui. Le roi de Castille en fut très satisfait et leur ordonna de retourner auprès du seigneur roi d'Aragon, et de lui dire qu'il était prêt à faire en toutes choses ce qu'il ordonnerait. Que vous dirai-je? Les messagers allèrent tant de fois de l'un à l'autre, que la paix fut convenue entre les deux parties. Don Alphonse et don Ferdinand, désiraient eux-mêmes avoir la paix avec leur oncle le roi don Sanche, et ils se tinrent pour satisfaits du don qu'avait stipulé en leur laveur le seigneur roi d'Aragon de la part du roi de Castille, sous la condition qu'ils renonceraient à leur prétention à la couronne. Sur ces bases on tomba d'accord. Une entrevue du seigneur roi d'Aragon et du roi de Castille fut décidée, et chacun d'eux s'efforça de se montrer à ce rendez-vous avec le plus grand éclat possible.

Lorsque le seigneur roi d'Aragon fut arrivé à Calatayud avec une nombreuse suite de riches hommes, de prélats, de chevaliers et de citoyens, apprenant que le roi de Castille était à Soria et qu'il y avait amené avec lui madame la reine, et qu'il s'y trouvait aussi l'infant don Jean, frère du roi don Sanche, et beaucoup d'autres riches hommes, il n'eut pas plus tôt appris l'arrivée de la reine à Soria que, par courtoisie et pour faire honneur à la reine, il voulut aller à Soria avant qu'ils vinssent à Calatayud. Le roi de Castille, en apprenant que le roi d'Aragon s'approchait, alla au-devant de lui l'espace de plus de quatre lieues; et là le roi d'Aragon fut accueilli très honorablement, ainsi que toute sa suite; et tout le temps qu'ils furent à Soria, on n'y fit que fêtes et réjouissances. Quand les fêtes furent terminées, le seigneur roi d'Aragon voulut s'en retourner, et pria le roi et la reine de Castille de venir avec lui à Calatayud, et ils répondirent qu'ils le feraient bien volontiers. Et ainsi tous s'en vinrent ensemble à Calatayud où, depuis le moment de leur entrée en Aragon jusqu'au jour de leur départ et leur retour en Castille, le seigneur roi d'Aragon fit pourvoir à l'entretien du roi de Castille, de la reine et de toutes les personnes de leur suite. Et je puis vous dire comme chose certaine, que toutes provisions et autres choses qu'on a ou qu'on puisse nommer, de tout cela le seigneur roi d'Aragon en faisait des parts si abondantes qu'il y en avait plus qu'on n'en pouvait consommer. Aussi voyait-on sur les places publiques donner deux deniers de pain pour un denier; et pour six deniers on avait autant de chevreau, de cochon, de mouton, d'avoine, de poisson frais ou salé, qu'on n'en eût eu partout ailleurs pour deux sols; et vous eussiez trouvé toutes les places couvertes de valets de pied qui les revendaient, de telle sorte que les Castillans, les Galliciens et autres gens en grand nombre qui étaient là s'en émerveillaient. Un jour, le roi mangeait chez le roi de Castille, avec le roi et la reine, et le lendemain ils allaient manger chez lui; si bien que chaque jour la fête était si belle que c'était merveille de le voir.

Que vous dirai-je? Ils restèrent douze jours ensemble à Calatayud, et pendant ce temps, la paix fut conclue et signée entre eux. Il y eut aussi paix faite entre le roi de Castille et ses neveux, il leur donna en Castille tant de terres qu'ils s'en tinrent pour satisfaits; et ils remercièrent, comme ils devaient bien le faire, le roi d'Aragon; car, si ce n'eût été de lui, ils n'auraient très certainement rien eu.

Après avoir séjourné pendant treize jours à Calatayud en grande concorde, bonne paix et amitié, ils partirent, et le seigneur roi d'Aragon accompagna le roi et la reine de Castille jusqu'à ce qu'ils fussent hors de d’Aragon. Et, ainsi que je vous l'ai déjà dit, le seigneur roi d'Aragon fit fournir à l'entretien de tous jusqu'à ce qu'ils fussent au-delà de ses frontières; et jamais, pendant tout ce temps, on ne put s'apercevoir une seule fois que les rations diminuassent, et elles allaient au contraire s'augmentant et s'améliorant de jour en jour.

Quand ils furent aux limites des deux royaumes, ils prirent mutuellement congé l'un de l'autre avec bonne amitié et concorde; et avec la grâce de Dieu qui avait tout conduit, le roi et la reine de Castille s'en retournèrent contents et satisfaits de la paix qu'ils avaient faite avec le seigneur roi d'Aragon, et aussi de celle qui avait été conclue avec leurs neveux, car le roi don Sanche avait eu grand peur qu'ils ne lui enlevassent tout son royaume, ce qui serait certainement arrivé si le roi d'Aragon l'eût voulu; mais le seigneur roi d'Aragon préféra ranimer entre eux tous la paix et l'affection, à cause des liens intimes qui existaient entre eux et même avec lui.

Je vais cesser de vous entretenir du roi de Castille, et vous parlerai du seigneur roi d'Aragon et de Sicile.

CHAPITRE CLXXVIII

Comment le seigneur roi En Jacques d'Aragon et de Sicile maintint tout son royaume en paix, ci comment il apaisa les factions qui s'élevaient dans les cités et dans les villes, et principalement celles qui existaient à Tortose entre les Garridells, les Carbons et les Puix.

Quand les deux rois se furent séparés et eurent pris congé l'un de l'autre, le roi d'Aragon  s'en alla visiter toutes ses terres, joyeux et satisfait, redressant et réparant tout. Il eut ainsi en peu de temps établi la paix et la concorde dans tout le royaume; et depuis qu'il a pris la couronne d'Aragon, de Catalogne et de Valence, il a si bien maintenu et maintient sa terre en paix et justice, que, de nuit comme de jour, chacun peut aller en tous lieux les épaules chargées d'argent, sans rencontrer personne qui lui fasse dommage. Il mit également la paix et la concorde entre tous ses barons, qui de tous temps étaient habitués à se guerroyer. Il étouffa aussi toutes les factions, de manière qu'il ne pût exister aucune division factieuse dans les villes et les cités. A Tortose, qui est une bonne cité, il avait existé de tout temps de grandes inimitiés entre les partis des Garridels, des Carbons et des Puix. Afin de pouvoir les contenir et les châtier, il s'arrangea avec En Guillaume de Moncade, qui possédait le tiers de Tortose, et lui donna autre chose en échange; il fit de même pour ce qu'y possédait le Temple. Et quand toute la ville fut sienne, il maîtrisa de telle manière les factions, qui de gré, qui de force, que c'est aujourd'hui l'une des cités les plus calmes et faciles à manier de toute la Catalogne; et il fit ainsi dans beaucoup d'autres endroits.

Je laisse le seigneur roi d'Aragon, qui s'en va ainsi redressant ses royaumes, et je vais vous parler du tournoi que donna l'amiral En Roger de Loria à Calatayud, au moment où les deux rois s'y trouvaient réunis; car ce tournoi a été une des choses les plus merveilleuses qu'on ait jamais vues en aucun temps.

CHAPITRE CLXXIX

Comment l'amiral En Roger de Loria tint un tournoi à Calatayud, et comment le seigneur roi En Jacques d'Aragon et de Sicile et le roi de Castille y assistèrent, ce qui fut pour lui un grand honneur.

Il est vérité que, pendant que les rois étaient à Calatayud, comme vous l'avez vu, les Castillans demandèrent: « Quel est donc cet amiral du roi d'Aragon à qui Dieu a accordé tant d'honneurs? » On le leur montra; et ils en furent tellement émerveillés que, partout où il allait, il était suivi de cent ou deux cents chevaliers ou autres gens, comme un autre serait suivi de deux ou trois personnes; si bien qu'ils ne pouvaient se rassasier de le voir.

L'amiral, pour faire honneur au roi et à la reine de Castille, fit publier qu'il donnerait un tournoi à Calatayud, et fit établir les lices pour la joute. Au bout du champ il avait fait construire un château en bois, d'où il devait sortir à l'approche d'un chevalier. Le premier jour où le tournoi eut lieu, il voulut être seul à tenir la lice pendant toute la journée contre tout homme qui voudrait jouter. Là se trouvèrent le seigneur roi d'Aragon, le roi de Castille, don Jean, fils de l'infant don Manuel, don Diego de Biscaye, et autres barons de toutes les terres et royaumes du pays de Castille, des riches hommes d'Aragon, de Catalogne et du royaume de Valence, et même de Gascogne, et bien d'autres personnes qui s'y étaient rendues pour voir les joutes, et particulièrement pour voir ce que ferait l'amiral; car tout le monde en parlait.

Toute la plaine de Calatayud, dans laquelle la lice du tournoi était dressée, était tellement remplie qu'on avait peine à s'y tenir; et si l'on ne s'était alors trouvé en hiver, il aurait été impossible d'y rester. Au moment de la joute il y eut un peu de pluie.

Lorsque les rois et tout le monde fut en place, arriva un chevalier chercheur d'aventures, très bien équipé, faisant bonne contenance et prêt à entrer en liée. Aussitôt que les gardes du château de bois l'aperçurent, ils sonneront de la trompette; et aussitôt l'amiral sortit du château, richement et élégamment équipé et paraissant bien un chevalier de haut parage. Et si quelqu'un me demande: « quel était donc ce chevalier chercheur d'aventures? » je répondrai que c'était En Béranger Augustin d'Anguera, de la cité de Murcie, chevalier vaillant, audacieux, et l'un des plus beaux chevaliers d'Espagne. Il était de la suite du roi de Castille, grand, fier et bien pris dans sa taille. Il faut dire aussi que l'amiral était un des meilleurs chevaucheurs et un des plus beaux cavaliers du monde.

 Que vous dirai-je? Les fidèles[21] apportèrent deux lances très grosses, qu'ils présentèrent à En Béranger d'Anguera, pour qu'il choisît celle qu'il voulait, et ils remirent l'autre à l'amiral. Puis les fidèles se placèrent au milieu de la barrière[22] et donnèrent le signal qu'on laissât aller. Les adversaires s'élancèrent pour aller à la rencontre l'un de l'autre. Et à voir venir ces deux chevaliers on pouvait bien dire que c'étaient des chevaliers de grande valeur; car jamais chevaliers ne se présentèrent mieux à leur avantage ni plus fièrement.

En Béranger Augustin d'Anguera férit l'amiral sur le canton de devant de l'écu, et sa lance en vola en éclats. De son côté, l'amiral férit sur son heaume et lui porta un tel coup sur la visière, que le heaume lui vola de la tête à la distance de plus de deux longueurs de lance, et sa lance fut brisée en cent morceaux; et en frappant sur la visière du heaume, l'amiral l'avait fait entrer si avant sur la face d'En Béranger Augustin d'Anguera, qu'il lui enfonça le nez de telle sorte que jamais il ne put depuis reprendre sa place naturelle; et le sang lui découlait avec une telle force, du milieu de la face et des narines, que tout le monde le crut mort. Toutefois il se tint si chaleureusement, que malgré le coup terrible qu'il avait reçu, il ne s'effraya de rien. Les deux rois, qui l'aimaient beaucoup, accoururent à lui, et craignirent de le trouver mort, en le voyant ainsi couvert de sang et le nez rompu et écrasé, et lui demandèrent comment il se sentait. Et il leur répondit qu'il se trouvait fort bien et n'avait aucun mal. Ils firent ramasser son heaume jeté à terre, et ordonnèrent de cesser le tournoi, ne voulant pas qu'il en fût rien de plus, de crainte qu'il n'en résultât quelque rixe.

L'amiral, au son de ses trompettes et, nacaires retourna, armé comme il était, à son hôtel, suivi de toute la foule, aussi bien des Castillans que des autres qui disaient: qu'il méritait bien l'honneur dont Dieu l'avait comblé en tant de lieux, et qu'il était un des bons chevaliers du monde. Et l'honneur lui en reste, et sa bonne renommée est connue par toute la terre de Castille. Je cesse ici de vous parler de l'a mirai, et reviens aux affaires du seigneur roi d'Aragon et de Sicile.

CHAPITRE CLXXX

Comment l'amiral En Roger de Loria retourna en Sicile et passa en Calabre avec le seigneur infant En Frédéric; et comment ils gouvernèrent le pays avec justice et vérité.

Le roi d'Aragon ayant mis bon ordre aux affaires de Castille et de toutes ses terres, ordonna à l'amiral de retourner en Sicile, et de se tenir auprès de l'infant En Frédéric. Il voulut qu'ils eussent toujours cinquante galères appareillées, de telle sorte qu'il n'y eût plus qu'à y faire monter les équipages au cas où cela serait nécessaire, et qu'il allât avec le seigneur infant visiter toute la Calabre et autres parties du royaume; et qu'ils gouvernassent tout le pays en vérité et en justice. Ainsi comme le seigneur roi l'avait ordonné, ainsi fut-il exécuté.

L'amiral se rendit dans le royaume de Valence, et y visita toutes ses villes et châteaux; puis de Valence il s'en vint par mer à Barcelone avec toutes les galères qu'il lui plut d'emmener de Valence à Barcelone; puis il prit congé du roi, s'embarqua et alla en Sicile. Il passa par Majorque et Minorque, et courut toutes les côtes de Barbarie, prenant nefs et lins, et saccageant les villes et habitations des Sarrasins; et, avec grand butin et grande joie, il s'en revint en Sicile. Il trouva à Palerme madame la reine et le seigneur infant En Frédéric, qui le reçurent avec les plus vives démonstrations de plaisir.

Il leur remit les lettres du seigneur roi; et quand ils eurent appris par ces lettres la paix que le seigneur roi avait faite avec le roi de Castille, tous les habitants de Sicile et du royaume en furent remplis de joie.

L'amiral alla avec le seigneur infant En Frédéric visiter toute l'île de Sicile; puis ils passèrent en Calabre et en firent autant. Pendant leur séjour en Calabre, arrivèrent des messagers qui leur annoncèrent que Charles Martel, fils du roi Charles,[23] était trépassé de cette vie, et il en fut fait grand deuil par tous ceux qui lui voulaient du bien; car c'était un excellent seigneur. Charles Martel laissa un fils qui fut et qui est encore roi de Hongrie, et une fille nommée madame Clémence, qui depuis fut reine de France. Le seigneur infant En Frédéric fit aussitôt part au seigneur roi d'Aragon de la mort de Charles Martel.

Je cesserai de vous parler du seigneur infant En Frédéric, du seigneur roi d'Aragon et de la mort de Charles Martel, et je viens à vous parler du roi Charles.


 

[1] Jean de Grailly, captal de Buch, de la maison de Fois, sénéchal du Bordelais, au nom du roi d'Angleterre.

[2] Edouard Ier.

[3] Pendant la vie de son père Pierre II, et Alphonse n'étant encore qu'infant, un mariage avait été convenu entre lui et Eléonore d'Angleterre, fille d'Edouard Ier et d'Eléonore de Castille, à Huesca l'année 1282.

[4] Dans le département des Basses-Pyrénées.

[5] Eléonore, fille d'Edouard Ier. Eléonore était trop jeune pour que la consommation du mariage eût lieu en ce moment; elle fut renvoyée à quelques années plus tard et n'eut jamais lieu, Alphonse le Libéral étant mort avant le retour des messagers envoyés pour chercher sa femme.

[6] A la fin d'octobre 1288.

[7] Suivant la tradition, Marthe, Marie-Madeleine et Lazare, après la mort de Jésus-Christ, se réfugièrent en Provence. C'est là que Charles II y retrouva leurs corps.

[8] Elle devait ne lui être renvoyée que quand elle serait en état nubile.

[9] Giov. Villani nomme Robert, Raymond Béranger et Jean. L'art de vérifier les dates désigne Louis, Robert et Jean; et ces deux autorités fixent la rançon à 50.000 marcs au lieu de 100.000.

[10] Intendant.

[11] La mer d'Azov, ainsi appelée de la ville commerçante de Tana, très fréquentée alors par la marine des Pisans et des Génois. L'atlas de 1374, indique même prés de Tana un comptoir appelé Port Pisani.

[12] Serviette, vieux mot français, encore usité.

[13] Le 6 janvier, appelé jour de l'Apparition ou de l'Epiphanie.

[14] vieux mot français encore usité dans quelques provinces pour lapins.

[15] Les Sarrasins ne s'empareront de l'Espagne qu'en 712.

[16] Je n'ai pas retrouvé cette relation à Barcelone, où les archives d'Aragon sont rangées dans l'ordre le plus admirable et confiées au savant Bofarull, dont le zèle et la complaisance égalent les lumières.

[17] Peu d'heures avant sa mort, dit Bofarull, Alphonse donna deux codicilles (Archives d'Aragon n° 443), dans lesquels il ratifiait le testament fait le 2 mars 1287, par lequel, conformément aux dispositions ordonnées par son père, il appelait à la couronne d'Aragon son frère Jacques, roi de Sicile, et à celle de Sicile son frère Frédéric. Il déclara en même temps ses amours avec dona Douce, fille de Bernard de Caldès, citoyen de Barcelone, et la recommanda instamment à son successeur, elle et l'enfant posthume qu'elle portait dans son sein pour qu'il l'élevât honorablement et voulut, comme raconte aussi Muntaner, que son corps fin enterré dans l'église des frères mineurs de Barcelone.

[18] La disposition du codicille d'Alphonse, en faveur de sa maîtresse, dona Douce de Caldès, et de l'enfant posthume qu'elle portait dans son sein, sont un peu en contradiction avec le certificat de pureté immaculée que Muntaner donne à son patron; mais Muntaner veut absolument pour ses amis, les rois d'Aragon, le plus haut trône dans ce monde et la meilleure place en paradis dans l'autre

[19] Avant son départ, il fit, le 15 juillet 1291 à Messine, en présence de plusieurs des grands du pays, un testament dans lequel, à défaut d'enfant male de sa descendance, il appelait à la succession des deux couronnes d'Aragon et de Sicile, partagées suivant l'ordre de primogéniture, les deux infants ses frères, Frédéric et Pierre.

[20] Jacques, surnommé le Juste, mourut à Barcelone à l'âge de 60 ans, le 2 novembre 1327 (Bofarull, t. II), deux ans après l'année où Muntaner commença cette chronique, terminée par le récit des obsèques de Jacques et du couronnement de son successeur.

[21] Chevaliers choisis pour cet office, qui demandait une impartiale justice

[22] Les combattants étaient séparés par une barrière garnie d'une tenture de toile, et faisaient leurs évolutions l'un en dedans, l'autre en dehors

[23] Charles Martel, roi de Hongrie, était le fils aîné du roi Charles II de Naples et de Marie de Hongrie, fille d'Etienne V. A la mort de Ladislas son frère, en 1290, Marie, sœur de Ladislas, qui avait épousé Charles II de Naples, obtint du pape que son fils aîné serait couronné roi de Hongrie. Charles Martel épousa Clémence, fille de l'empereur. Rodolphe. Il ne sortit jamais de l'Italie, où il mourut (à Naples), en 1295, à 23 ans. Charles Martel laissa trois enfants: Charles Robert ou Carobert, Clémence, qui épousa Louis le Hutin, roi de Fiance, et Béatrice mariée à Jean II, dauphin de Viennois.