Ménandre traduit par Mr. Cousin

MÉNANDRE

 

LES AMBASSADES DES EMPEREURS JUSTINIEN, JUSTIN LE JEUNE, ET TIBÈRE

 

Traduction française : Mr. COUSIN

 

 

 

AVERTISSEMENT.

 

 

'HISTOIRE contenue dans ce volume est beaucoup plus ample, non seulement que celle des deux précédera, mais aussi que celle d'aucun de ceux qui paraîtront dans la suite, puisqu'elle est de plus de cinq cents ans,et qu'elle représente les règnes de plus de vingt empereurs. Il aurait été à souhaiter que sa suite eut été égale à son étendue, et qu'elle n'eût été interrompue par aucun vide. Mais les ouvrages de quelques-uns des auteurs qui l'ont composée n'étant pas venus entiers jusques à nous, et la fin de l'un ne répondant pas précisément au commencement de l'autre, il a fallu nécessairement souffrir cette interruption.

Ménandre est le premier de ces auteurs dans l'ordre du temps. Il dit de lui-même, au rapport de Suidas, qu'ayant été élevé dans l'étude des lois romaines, au lieu d'en faire profession il s'adonna avec passion aux jeux et aux spectacles, et que depuis manquant de bien et d'emploi sous le règne de l'empereur Maurice, qui aimait les lettres et qui traitait favorablement les hommes savants, il s'appliqua à écrire l'Histoire, et commença où Agathias a fini. Il ne nous en reste plus que les Ambassades, qui ont été conservées par Constantin Porphyrogénète, fïls de Léon le Philosophe, et père de Romain Porphyrogénète.

Ce Prince avait une extrême passion pour les sciences, comme Scylitze Zonare, Glycas, & Luitprand le témoignent, et comme il le témoigne lui-même au commencement de la vie de l'empereur Basile son aïeul. Il avait envie d'écrire l'Histoire des autres empereurs, depuis Constantin le Grand jusqu'à son temps. Il a adressé à Romain Porphyrogénète son fils, un livre de la manière de gouverner l'Empire, dans lequel il parle de l'origine de divers peuples, de leur puissance, du progrès de leur fortune, et de la Généalogie de leurs Princes. Ce livre a été publié par Meursius. Il en a fait un autre de la Tactique, ou de la manière de disposer les armées de mer, et de terre, qui a été publié en Grec feulement, par le même Meursius. Il en a fait deux des Thèmes d'Orient, c'est à dire des Provinces où il y a des troupes Romaines, dont l'un a été traduit & donné au public par Bonaventure Vulcanius, et l'autre par Frédéric Morel. A la fin de cet ouvrage il y a treize Novelles de lui, qui ont été traduites, et publiées par Leunclavius, et entre lesquelles il y en a quatre qui ont été données plus correctes, et plus amples par Charles l'Abbé. Il a encore compilé de diverses Histoires une relation de l'Image qu'on dit que notre Seigneur envoya au Roi d'Eddesse, et il a rapporté des circonstances, non seulement différentes, mais aussi contraires, qui étant jointes au silence des anciens la rendent fort suspect de fausseté. Elle a été imprimée à Paris en l'année 1664.

Il y a encore de lui un recueil de préceptes d'Agriculture, tirés des livres de Florentin, de Vindanionius, d'Anatolius, et de plusieurs autres auteurs, lequel est divisé en vingt livres, traduit en Latin par Janus Cornarius Médecin, et imprimé à Lyon en l'année 1541 et qui a été réimprimé deux ans après dans la même ville, & depuis en l'année 1658. avec un autre titre, par lequel ils sont attribués à Constantin le Grand, ou à Denys d'Utique.

Il est évident par la lecture de la Préface, qu'ils ne peuvent être de Denys d'Utique parce que celui qui l'a faite les attribue à un Empereur qui vivait de son temps, ni de Constantin le Grand, puis qu'il oppose à Constantin le Grand, l'Empereur auquel il les attribue.

Janus Cornarius les donne à Constantin Pogonar, dans son Épître Dédicatoire. Mais sans aucun fondement, puisque ce qui est dit dans la Préface de l'Empereur qui en est le véritable auteur, ne lui peut convenir.

Constantin Porphyrogénète, outre tous les ouvrages dont je viens de parler, a fait ou fait faire un traité des aliments, dont il y a une copie manuscrite dans la Bibliothèque du Roi. On lui attribue aussi un Éloge de S. Jean Chrysostome.

Enfin ayant amassé de toutes les parties du monde une nombreuse bibliothèque, et ayant considéré que la trop grande multitude des livres en rend la lecture longue et difficile, il fit réduire à cinquante, trois classes les Histoires des plus célèbres écrivains, comme de Denys d'Halicarnasse, de Polybe, de Joseph, de Diodore de Sicile, de Dion, de Procope, de Ménandre, de Théophylacte Simocatte, et de quelques autres. La vingt-septième qui est des Ambassades, est la seule qui nous reste. Il ne paraîtra ici que les Ambassades qui ont été faites dans les dernières années du règne de Justinien, et dans les règnes de Justin et de Tibère, et elles en sont sans doute une des plus considérables parties, comme on le peut reconnaître par la lecture de Cédrénus, de Théophane, et de Glycas, où l'on ne trouve rien de fort remarquable arrivé en ce temps-là.

Le second auteur de ce volume est Théophylacte Simocatte. Il était descendu d'Égypte, quoi qu'il fût né en Grèce. Il a composé l'Histoire de l'Empereur Maurice, sous le règne de l'Empereur Héraclius, sous lequel il a été Gouverneur de Province. Outre cette Histoire il a laissé des Questions de Physique, et des lettres qui sont imprimées. Les cinq premiers livres de son Histoire contiennent les guerres contre les Perses, et les trois derniers celles contre les Esclavons et les Abares,  qui sont les mêmes que les Hongrois. Ces huit livres représentent une diversité merveilleuse d'événements. L'auteur y a mêlé des descriptions agréables, des harangues éloquentes, des digressions curieuses, et une entre autres touchant le débordement du Nil. Photius l'a repris d'avoir trop affecté les façons de parler figurées. Il est vrai aussi qu'il a quantité d'expressions trop violentes, que j'ai taché d'adoucir, et que je n'ai pas jugé à propos de retrancher absolument, de peur de rendre ma traduction moins fidèle, en voulant rendre mon style plus châtié.

Le troisième est Nicéphore Patriarche de Constantinople, qui a commencé son Histoire à la mort de l'Empereur Maurice, et et l'a fini au mariage de l'Empereur Léon, et de l'Impératrice Irène. Photius dit qu'il n'a rien, ni d'inutile, ni d'obscur dans sa phrase, et qu'il a choisi un genre d'écrire qui n'est, ni trop étendu, ni trop serré, mais tel que le choisit un parfait orateur, qu'il a surpassé la plupart des Historiens qui l'ont précédé, fi ce n'est que sa trop grande brièveté lui ôte quelque chose de la grâce. Il a gouverné durant neuf ans l'Église de Constantinople, et en a été chassépar l'Empereur Léon l'Arménien. La constance avec laquelle il a défendu les Images, l'a fait mettre an nombre des Saints. Les Grecs célèbrent sa fête le second jour du mois de juin, et les Latins le treizième jour du mois de mars. Il est mort en la quatorzième année de son exil. Théodore Studite était son ami particulier. On ne doit pas le confondre avec un autre Nicéphore, Patriarche de Constantinople, qui a composé une Chronique qui a été imprimée en Latin, tant dans le septième volume de la Bibliothèque des Pères, de l'édition de Morel, qu'à la fin de Syncelle.

Le quatrième auteur de ce volume est Léon le Grammairien. Il a fait la vie de l'Empereur Léon l'Arménien, et des sept empereurs suivants. On peut juger qu'il a vécu peu après, par ce qui est écrit au bas de son ouvrage, qu'il a achevé l'an 6621 depuis la création du monde, c'est à dire l'an 1113 de notre Seigneur. Il a écrit avec peu d'ornement. On trouve dans son Histoire certains termes fort obscurs, qui sont expliqués diversement par les Savants, comme Saximodéximon, et Loron, et que j'ai traduits selon l'opinion, qui m'a paru la plus vraisemblable, et la plus conforme pour se sens à ce qui précède, et à ce qui suit. Quelques-uns entendent par Saximodeximon, le lieu où l'Empereur se plaçait pour voir les jeux, et les combats. Les autres entendent le lieu où l'on gardait les épées des Gladiateurs, et les autres le lieu ou l'on serrait les dragées qu'on jetait au peuple. Voilà trois opinions fort différentes dont j'ai suivi la première, pour des raisons qu'il serait long d'expliquer ici. Loron lignifie tantôt une bride, tantôt la voûte d'un édifice, et tantôt un bâton royal. J'ai cru que l'auteur s'en était servi en ce dernier sens, en décrivant la Dédicace d'une église à laquelle un Empereur assistait.

Le cinquième et le dernier auteur de ce volume est Nicéphore-Bryenne César, mari d'Anne Comnène, et aussi illustre par la grandeur de sa naissance, que par l'éminence de sa dignité. Il a écrit ce qui s'est passé de Romain Diogène, de Michel Ducas, et de Nicéphore Botaniate. Anne Comnène en a répété beaucoup de choses au commencement de son Histoire, lors qu'elle a représenté ce qu'Alexis Comnène son père avait fait avant que de parvenir à l'Empire. Elle rapporte dans sa préface l'occasion qui l'a porté à écrire, la manière dont il a écrit, et comment il a cessé d'écrire. Elle en parle aussi dans le corps de son Histoire. Et, parce que la traduction que j'en ai faite, est imprimée, je n'en répéterai rien en cet endroit. Il y a non seulement dans ces cinq auteurs, mais encore dans Anne Comnène, dans Nicétas, dans Pachymère, et dans les autres, que je donnerai bientôt en notre langue, quantité de noms, de charges, et de dignités, qui sont peu intelligibles à ceux qui n'en ont pas fait une étude particulière. Ce n'est pas que ces noms-là soient plus étranges que ceux de Grand-Visir, de Bassaa et de Janissaire. Mais c'est qu'ils sont moins communs, et qu'on y est moins accoutumé. N'ayant pas dû les changer ni en substituer d'autres qui n'auraient pas eu la même signification, je les ai expliqués, dans une table qui suit cet Avertissement.

EXPLICATION DES PRINCIPALES CHARGES

et Dignités de l'Église de Constantinople.

Le Grand Econome.. Il a le soin du bien, et des affaires de l'Eglise. Il ne devait être que Diacre au temps des derniers Grecs, au lieu qu'il était prêtre auparavant. Il prend connaissance de la recette, et de la dépense, dont il tient registre avec le Cartulaire, qui dépend de lui, et dont il rend compte quatre fois l'année au Patriarche. Quand le Patriarche officie, il est à l'Autel à ses côtés.. Quand il confère les Ordres il lui présente les Clercs, qui désirent de les recevoir. Quand il juge, il est à sa main droite. Quand il est mort, il reçoit les revenus, jusques à l'élection d'un autre.

Le Syncelle. C'était le premier après le Patriarche et lui succédait autrefois, et furent réduits à deux par l'Empereur Héraclius. Il est parlé de cette dignité dans Sidonius.

Le Grand Saccellaire. Il a le soin des Monastères des hommes, et des filles. Il les visite. Il fait la recette, et la dépense des revenus, et il en rend compte deux fois l'année au Patriarche.. Le Trésorier faisait autrefois la même fonction en quelques-unes de nos Églises.

Le Scenophylax ou le garde des vases et des ornements de l'Église. Il se tient debout à la porte de la Sacristie quand le Patriarche officie pour donner le. livre, les cierges, et les autres ornements. Il a place dans les jugements. Il garde les revenus de l'Église, pour les distribuer entre les Clercs

Le Cartophylax, ou le garde des Chartres. Il a soin des droits du Patriarche.  Il le présente quand on le sacre. Il est debout auprès de lui quand il officie. Il juge en son nom. Il garde le registre des mariages.

Le Protecdice. Il juge à l'entrée de l'Église les moindres affaires avec douze Assesseurs. Il tient dans l'Église de Constantinople à peu près la même place que tenait autrefois dans cette de Rome le Défenseur, dont il est souvent parlé dans les Épîtres de Saint Grégoire. .

Le Protonotaire.  Il est debout lorsque le Patriarche officie. Il lui donne à laver au temps de l'élévation de l'Hostie. Il tient un cierge à la main. Il écrit au nom du Patriarche et il lui fait rapport des difficultés qui surviennent dans les testaments, et dans les contrats.

Le Logothète. Il garde le Sceau du Patriarche. Il le met à ses Lettres. Il est assis dans les jugements.

Le Référendaire. Il est envoyé vers les Grands par le Patriarche. Et il a rang parmi les Juges de l'Église. Il est appelé Palatin, par Nicétas

Le Hiéromnémon. Il garde les livres. Il dédie les Églises en l'absence de l'Évêque, il institue les Lecteurs.

Le Maître des Cérémonies. Il a soin que l'Église soit nette. Et que les Ecclésiastiques s'y tiennent dans l'ordre.

Le Docteur de l'Évangile. Il explique l'Évangile.

Le Docteur de l'Apôtre. Il explique les Épîtres de S. Paul.

Le Docteur des Psaumes. Il explique les Psaumes.

Le Catéchiste. Il instruit, et il prépare à recevoir le Baptême, ceux qui viennent de l'Hérésie à l'Église.

Le Périodeute. Il fait des courses pour instruire ceux qui désirent recevoir le Baptême.

Le Protopsalte. Il commence le chant.

Le Laosynacte. Il assemble les Diacres, et le Peuple.

Le Cartulaire. Il gardait les livres d'Église..

Il n'est point parlé dans cette Table de l'Hypomnimatograpge, de celui qui avait soin du prie-Dieu du Patriarche, ni de quelques autres Officier

s de l'Église, parce qu'il n'en est point parlé non plus dans les auteurs que j'ai traduits.

EXPLICATION DES PRINCIPALES CHARGES

et Dignités de la Cour.

DESPOTE. C'est à dire Seigneur. C'est un titre qui n'appartenait, autrefois qu'aux Empereurs de Constantinople et qui a été communiqué depuis à leurs parents, à leurs alliés et mêmes aux étrangers.

Le Sebastocrator.  C'est une dignité qui fut créée par l'empereur Alexis en faveur d'Isac son frère, au rapport d'Anne Comnène.

Le César. Il était autrefois à Constantinople le premier après l'Empereur. Alexis le fit le second, en mettant le Sébastocrator devant lui Et. il n'a pus été que le troisième depuis que. le Despote a été mis devant le Sébastocrator. Il se faut bien donner de garde de prendre ce terme de César au même sens qu'on le prenait autrefois, et quand on le donnait aux empereurs de l'ancienne Rome. Et c'est pour cela qu'on le met aujourd'hui eh Français avec I'article.

Le Grand-Domestique. Il avait le commandement des troupes de terre. Il y en. avait un pour l'Orient, et un autre pour l'Occident.

Le Panhypersébaste. C'est une dignité inventée par Alexis, comme le rapporte encore Anne Comnène.

Le Protovestiaire. Il était le premier après le Grand-Domestique, avant la création de la dignité de Panhypersébaste. Il avait soin des habits, des pierreries, et des trésors de l'Empereur. Il couchait dans sa chambre. Cette charge a du rapport à celle de Grand-Maître de la Carderobe. Il ne faut pas le confondre avec les Vestiarites, qui étaient les personnes les plus considérables de la suite de l'Empereur.

Le Grand Duc. Il avait le commandement des troupes de mer ; comme le Grand-Domestique avait le commandement des troupes de terre.

Le Protostrator. Il tient le cheval de l'Empereur et l'aide à monter dessus. Il faisait parmi les Romains la charge que le Maréchal de France fait dans les armées.

Le Grand Stratopédarque. Il décide les différends qui naissent entre les soldats, et il leur donne le mot du guet, en l'absence du Préfet de la Veille.

Le Grand Primecier. C'est le premier en chaque ordre. Comme le premier des Chantres, le premier des Avocats. Le Primecier de la Cour est celui qui règle les rangs.

Le Grand Connétable. Il commandait les Français qui étaient au service de l'Empereur,

Le Grand Logothéte. C'est le premier Magistrat, comme le Chancelier en France.

Le Logothète du trésor public. C'est celui qui à soin des impôts, et qui est comme l'Intendant des Finances.

Le Logothète du Drome. C'est celui qui commande aux Courriers: comme parmi nous le Surintendant général des Postes.

Le Logothète de l'armée. C'est celui qui contrôle les sommes qui font payées aux gens de guerre.

Le Logothète des troupeaux. Ces! celui qui a soin des, troupeaux ou des haras.

Le Logariaste. C'est celui à qui on rend compte de l'Épargne.

Le Protosébaste. C'est une dignité qui fut inventée par Alexis, au rapport d'Anne Comnène.

Le Curopalate. C'est le Gouverneur ou le Capitaine du Palais.

Le Paracemomène du Sceau. C'est celui qui garde le Sceau secret de l'Empereur.

Le Paracemomène de la Chambre. C'est celui qui garde la Chambre de l'Empereur, comme le grand Chambellan en France.

Le Cétonite. Il couchait dans la chambre de l'Empereur,et il était comme le premier valet de Chambre.

Le Grand Papias. Il était sous te Curopalate, gardait les Clefs du Palais, et les prisonniers qui étaient dans les prisons.

Le Tatas de la Cour. C'est une dignité instituée par Théodore Lascaris. On ne sait quelle en était la fonction.

Le grand Cartulaire. C'est celui qui a soin de faire expédier les actes publics. Il y en a plusieurs selon les appartements. Il y en avait un qui était sous le Protostrator, et qui amenait le cheval à l'Empereur.

Le grand Drungaire de la veille. C'est celui qui commande les troupes qui font la garde durant la nuit.  Le mot de Drungaire vient de Drungus, qui signifie une troupe de soldats.

Le grand Drungaire de la flotte,. C'est celui qui commande les vaisseaux répandus par les Provinces. Il est sous le Grand Duc, et au dessus de l'Amiral.

Le grand Etériarque. C'est celui qui commande les troupes étrangères, et confédérées, qui servaient à la garde du Palais du Prince.

Le .Protocynège.  C'et celui qui a l'intendance de la chasse, et qui fait la même fonction que le grand Véneur en France.

Le Procojéracaire. Il a foin des aigles et des faucons, il est à peu près'comme le grand Fauconnier

Le grand Dioicète, C'est celui qui lève les impositions.

Le grand Myrtaïte. C'est celui qui commande les gardes qui portent un rameau de Myrte.

Le garde du Caniclée. C'est celui gui garde la couleur de pourpre avec laquelle l'Empereur signe les lettres. C'était le même que le Logothète, et il faisait la fonction de Chancelier ou de garde des Sceaux.

L'Acolyte. C'était celui qui commandait les Varanges, ou les Anglais qui gardaient l'Empereur.

Le Mystique. C'était un Conseiller du Conseil secret. Il jugeait principalement des homicides et des sacrilèges. Quelques auteurs se fervent de ce mot-là pour signifier un Confesseur.

Le Domestique de la table. C'était celui qui était au dessus des Officiers de la maison de l'Empereur, comme le Grand Maître en France.

Celui qui a soin de la table : C'était en France le grand Pannetier.

Le grand Tzaouce ou le grand Chiaoux.

Le Protospataire. Il commandait .les Spataires qui étaient les Gardés du Corps.

Le. Proèdre. C'était un Conseiller d'Etat. Le Chef s'appelait Prootoproèdre, comme qui  dirait  premier Conseiller d'Etat.  Ils avaient été créés par Nicéphore Phocas.

L'Asnumiaste. C'était celui qui tenait l'état: des gens de guerre.

Le juge de l'armée. C'était celui qui jugeait des différends des gens de guerre.

Le Protalogator. C'était celui qui était à la queue de l'armée, et qui empêchait les soldats de quitter leurs rangs, il était sous celui qui était appelé en Grée ἄρχων τοῦ ἀλλαγίου.

Le Juge du voile.  C'est une charge dont Nicétas parle souvent, et qui semble avoir tiré son nom du rideau, qui était tiré devant le Tribunal où l'on rendait la Justice

Zupan. C'est un Gouverneur de Province de Serbie, ou de Dalmatie. Zupa signifie peuple.

 Le premier des Philosophes. Montrait à l'Empereur de Philosophie.

Le premier des Orateurs. Lui montrait à bien parler.

Le Nomophylax. Lui montrait les Lois.

Le Discophylax. L'exhortait à rendre la Justice.

 

HISTOIRE DE CONSTANTINOPLE

ΤΟME III

CONTENU.

Les Ambassades des Empereurs Justinien, Justin le jeune, et Tibère, écrites par Ménandre.

L'Histoire de l'Empereur Maurice, écrite par Théophylacte Simocatte.

L'Histoire abrégée, écrite par Nicéphore, Patriarche de Constantinople.

Les vies des Empereurs, écrites par Léon le Grammairien.

L'Histoire de Constantin Ducas, de Romain Diogène, de Michel Ducas, et de Nicéphore Botaniate, écrite par Nicéphore Byenne-César.

Palma sponte genita, nulla est in Italia, nec in alia parte terrarum, nisi in calïda : frugifera vero nusquam nisi in fervida. Plin. Hist,nat. lib. 13.c. 4.

Meridianum solem spectare Palmae debent. Id. lib. 17, cap. 23.
 

 

 

AMBASSADES TIREES DE L'HISTOIRE DES EMPEREURS JUSTINIEN, JUSTIN, ET TIBÈRE.

Ecrites par Ménandre

CHAPITRE PREMIER.

1. Les Abares envoient une ambassade à l'empereur Justinien. 2. Il leur fait des présents. 3. Il leur envoie lui-même une ambassade, et il les engage à déclarer la guerre aux Onoguriens. 4. Ceux-ci lui envoient aussi un ambassadeur. 5. Les Abares le tuent. 6. Autre ambassade des Abares vers Justinien. 7.Un de ces ambassadeurs découvre aux Romains les mauvaises intentions de sa nation. 8. Les ambassadeurs achètent des armes et s'en retournent. 9. Justinien les leur fait ôter.

ΕS Abares, après avoir couru divers pays, arrivèrent chez les Alains, et supplièrent Sarode qui les commandait, de les introduire chez les Romains. Sarode ayant fait savoir à Justin ce que les Abares désiraient, et Justin l'ayant mandé à Justinien, ce prince commanda que leurs ambassadeurs vinssent à Constantinople. Candie fut choisi pour être chef de l'ambassade, et pour porter la parole. Étant donc venu devant l'Empereur, il lui dit : Que les Abares étaient une Nation fort nombreuse et fort puissante : qu'il avait intérêt de les avoir pour alliés, parce qu'ils étaient capables d'exterminer ses ennemis, mais qu'ils ne lui pouvaient promettre leur amitié, s'il ne leur faisait de riches présents, s'il ne leur payait une pension, et s'il ne leur assignait un bon pays pour y demeurer.

2. Justinien, qui n'avait plus la même vigueur qu'il avait autrefois, lorsqu'il avait subjugué Vitigis et Gélimer, et qui sentait son courage abattu, et comme accablé sous le poids de la vieillesse, songea à se délivrer de cette formidable Nation, par d'autres moyens que par les armes. Ayant donc proposé sa pensée au Sénat; qui loua à l'heure même la sagesse de ses conseils, il envoya aux Abares des chaînes d'or, des lits précieux, des étoffes de soie, et d'autres présents, pour adoucir la fierté de leur naturel.

3. De plus, il leur dépêcha en ambassade un de ses gardes, nommé Valentin, à qui il donna charge de faire alliance avec eux, et de les engager à faire la guerre à ses ennemis ; jugeant que ce lui serait un égal avantage qu'ils fussent vainqueurs, ou vaincus. Quand Valentin fut arrivé en leur pays, et qu'il leur eut expliqué les intentions de l'Empereur, ils prirent aussitôt les armes contre les Hongrois, et contre les Itasaliens, qui sont Huns de nation, et ils ruinèrent les Sabiriens.

4. Les chefs des vaincus ayant perdu courage après leur défaite, leur pays fut pillé par leurs ennemis. Ils choisirent parmi eux un nomme Mézamer, fils d'Idarise, et frère de Célagaste pour l'envoyer en ambassade vers les Abares, et pour racheter quelques prisonniers qu'ils avaient entre leurs mains. Quand Mézamer, qui de son naturel était fier et arrogant, fut venu chez les Abares, il leur fit un discours plein d'insolence, et de mépris. Ce qui fut cause que Cotragége, qui était leur ami, leur donna un mauvais conseil, en disant au Cagan, qui a grand crédit dans la Nation, et qui la porte à déclarer la guerre à qui il lui plaît : Il faut nous défaire de lui, après quoi il nous sera aisé de ravager le pays.

5. Les Abares suivant ce mauvais conseil, et foulant aux pieds la justice, et le respect qui est dû à la dignité des Ambassadeurs, tuèrent Mézamer, ravagèrent les terres de leurs ennemis, y firent force butin, et en emmenèrent quantité de prisonniers.

6. Justinien reçut une ambassade des Abares qui lui demandèrent la permission de chercher des terres où ils puissent s'établir commodément. Il avait dessein de leur assigner la seconde Pannonie, qui avait été ha bitée par les Eruliens. Mais ils croyaient ne devoir pas quitter la Scythie. Justin ne laissa pas d'envoyer leurs ambassadeurs à Constantinople, et de mander à Justinien de les y retenir le plus qu'il pourrait.

7. Entre ces Ambassadeurs, il y en avait un nommé Oeconome, de qui les Romains avaient gagné l'amitié, et qui leur avouait en particulier, qu'ils parlaient en public autrement qu'ils ne pensaient : que leurs discours paraissaient modérés, mais que sous cette modération apparente, ils cachaient le dessein de tromper : qu'ils en useraient de la forte jusqu'à ce qu'ils eussent passé le Danube : mais qu'après cela, ils découvriraient leurs sentiments, et en viendraient à des actes d'hostilité. Justin, qui était bien informé de toutes ces choses, et qui d'ailleurs était persuadé que les Abares ne passeraient pas le Danube, avant que leurs ambassadeurs fussent de retour, manda à l'Empereur de les retenir,  et employa cependant tous ses foins pour les empêcher de traverser ce fleuve, et commit la garde des passages à Bon, capitaine des troupes soudoyées et domestiques.

8. Quand les ambassadeurs virent, qu'ils n'obtenaient rien de ce qu'ils demandaient, ils reçurent les présents accoutumés, achetèrent ce qui leur était nécessaire, et surtout, des armes, et s'en retournèrent.

9. Justinien donna un ordre secret à Justin, de leur ôter leurs armes, par quelque moyen que ce fût, ce qu'il ne manqua pas d'exécuter. Et ce fut ce qui fit éclater la haine de ces peuples contre les Romains, qui venait principalement, de ce que leurs ambassadeurs avaient été retenus à Constantinople. Bajan leur mandait continuellement de s'en revenir ; mais l'Empereur; qui était bien informé de leurs intentions, différait de jour en jour de les expédier ; et usait de remises, comme nous venons de voir.

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CHAPITRE II.

1. Justinien envoie Pierre en Perse. 2. Harangue de Pierre. 3. Réponse de Sich. 4. Longue conférence des ambassadeurs, suivie de la conclusion de la paix. 5. Ratification des deux Princes. 6. Harangue de Pierre touchant la Suanie. 7. Réponse et contestation sur le même sujet. 8. Autre contestation touchant les Sarrasins. 9. Articles du traité.

L''ORIENT et l'Arménie jouissaient d'une paix profonde. A l'égard de la Lazique, il n'y avait qu'une trêve, qui était comme une paix commencée. C'est pourquoi il prit envie aux deux Empereurs d'en faire une, qui fut parfaite. Justinien envoya, pour cet effet, Pierre, capitaine de ses gardes, conférer avec Cosroez.

Quand il fut sur la frontière de Dara, il dit, qu'il était venu pour faire en sorte que les deux nations missent bas les armes. On envoya en même temps un ambassadeur de Perse nommé Isdigune, élevé à la dignité de Sich, qui est une des plus éminentes de cet État. Dès que les ambassadeurs furent assemblés avec les Gouverneurs du pays, Pierre, ambassadeur des Romains, fort habile dans les sciences, et principalement dans celle des lois, parla de cette sorte.

2.  Seigneurs perses, nous paraissons ici de la part de l'Empereur, pour mettre la dernière main à l'ouvrage de la paix, qui est déjà fort avancée. Il n'est pas nécessaire que nous vous représentions les éminentes qualités qui rendent notre Maître si recommandable, puisque vous les avez pu reconnaître par la grandeur de ses exploits. Mais permettez-moi, s'il vous plaît, de vous tracer un crayon de la puissance, et de la majesté de l'Empire, avec lequel nous vous proposons de contracter alliance. Que si mon discours paraît un peu long, je vous supplie de ne vous pas ennuyer, et de ne considérer que le Bien des deux États. Vous reconnaîtrez bientôt que je n'aurai rien dit d'inutile, et vous me donnerez des louanges, lorsque la vérité des effets aura fait voir l'utilité de mes paroles. Vous allez devenir les alliés des Romains. Il suffit donc de les nommer pour faire concevoir quelque chose d'illustre, et de magnifique. C'est à vous, dans l'occasion qui se présente, à faire une alliance si considérable, à choisir ce qui sera le plus avantageux, pour vos intérêts, et à préférer la paix, qui, selon le jugement de tous les hommes, est un bien certain, à la guerre qui est toujours douteuse. Ne vous trompez pas y en vous flattant de cette νaine pensée d'avoir vaincu les Romains, à cause que vous avez pris Antioche, et quelques petites places. C'est comme un correctif que Dieu a voulu apporter à notre trop grande prospérité, pour nous faire voir que des hommes ne sont jamais fort élevés au-dessus des autres hommes. Si la justice régnait naturellement parmi nous, nous n'aurions que faire ni d'orateurs, ni de lois, ni d'assemblées, parce que nous ne manquerions jamais de nous porter de nous-mêmes au bien. Mais comme chacun s'imagine avoir la justice de son coté, on emploie l'artifice de l'éloquence pour en persuader les autres. De là vient que nous sommes ici assemblés pour tâcher de faire voir réciproquement que nous avons de nôtre coté la raison, et l'équité. Tout le monde demeure d'accord que la paix est un bien, et que la guerre est un mal. Mais quand la victoire serait assurée, au lieu qu'elle est incertaine, je ne laisserai pas de croire que c'est un malheur de vaincre, et de faire un sujet de sa joie, de ce qui est pour d'autres un sujet de larmes. Ainsi je trouve qu'il est fâcheux d'être vainqueur, quoi qu'il soit encore plus fâcheux d'être vaincu. Notre maître nous a envoyés pour vous demander le premier la paix, qu'il estime si fort, que ce lui serait un sujet de douleur d'avoir été prévenu à en témoigner le désir. Puisque nous sommes résolus de terminer les différents qui nous divisent, ne nous amusons point a nous reprocher réciproquement les malheurs où nous sommes tombés. On doit prévoir dans un État bien policé, les accident qui naissent ordinairement de la guerre. Figurez-vous donc les plaintes et les gémissements de ceux qui sont morts, la douleur et les cris des blessés, qui attribuent leurs maux à l'imprudence de leurs Princes ; et le regret que ceux qui restent, ressentent de la perte de leurs parents, ou de leurs amis qui ont été enlevés par la fureur des armes. Enfin,revêtons-nous des sentiments de l'humanité, et nous laissons toucher de compassion à la vue de la désolation des maisons, de la faiblesse des orphelins dépourvus de tout appui, et e la triste image du deuil répandu sur toutes sortes de degrés de parenté, et d'alliance. Bien qu'il y ait de la gloire à mourir pour la patrie il faut pourtant avouer, que quand on la peut servir, sans courir de danger, c'est une folie de refuser de le faire, par la seule crainte de se rendre en cela inférieur à ses ennemis. Je suis persuadé que si  la Perse, et si Constantinople même, pouvaient parler, elles nous tiendraient ce langage: N'ayons donc point de honte de nous décharger du poids de la guerre. Il nous est plus utile de faire toutes choses à-propos, et dans leur saison, que d'acquérir la réputation d'être vaillants. Que personne, pour couvrir la volonté qu'il avait de ne pas poser les armes, ne se serve du prétexte de dire qu'un bien aussi excellent et aussi précieux que la paix, est fort rare, et fort difficile à trouver. Car il n'est pas vrai, comme plusieurs le croient, qu'il n'y ait que les maux qui soient communs, et qui se présentent d'eux-mêmes, et que les biens, au contraire, soient fort cachés, et qu'ils se dérobent à la vue et à la connaissance des hommes. La paix est un bien parfait et accompli.

A cela Sich répondit en ces termes.

3. Nous nous étonnerions de votre discours, si vous n'étiez des Romains, et si nous n'étions des Perses. Ne croyiez pas vous pouvoir cacher dans les détours artificieux de vos paroles, et nous empêcher de reconnaître que vous y cherchez vos intérêts. Je montrerai en peu de mots que vous vous servez du beau nom de la paix pour couvrir votre lâcheté, et votre infamie. Les Perses n'ont pas accoutumé d'envelopper les affaires importantes d'un amas de paroles inutiles. Cosroez, le Roi de tous les hommes, ne tient pas que ce lui soit un avantage considérable, d'avoir pris Antioche. Cette expédition, qui vous paraît si formidable, ne passe, parmi-nous, que pour un exploit de peu d'importance, parce qu'en le faisant nous n'avons vaincu que de méprisables ennemis. Nous avons appris à vaincre toutes les nations, et nous ne leur avons laissé que la malheureuse possession d'être vaincues. Nous ne tirons point de gloire de la prise de vos autres villes, parce que nous n'estimons pas que les victoires qui sont aisées aient rien de merveilleux. Cela même servira de réponse aux vaines louanges que vous vous donnez. Vous agissez selon votre coutume, quand vous demandez les premiers la paix. C'est à nous à juger s'il est à propos de vous l'accorder. Vous tâchez d'acquérir la réputation de personnes équitables, en témoignant du désir de poser les armes, afin de couvrir par ce moyen la honte que vous avez reçue à la guerre. Nous avons fait quelquefois la même chose quoi que nous fussions victorieux. Néanmoins, comme nous chérissons la paix, aussi bien que vous, nous acceptons vos offres. C'est un sentiment noble généreux de vouloir en toutes sortes de rencontres, prendre l'honnêteté pour règle de sa conduite.

4. Après que Sich eut répondu de la forte, les Interprètes expliquèrent les pensées des deux partis, et avancèrent force choses, dont les unes étaient à propos, et les autres ne procédaient que d'une vanité ridicule, et de la crainte qu'avaient quelques-uns que la recherche de la paix ne fut prise pour une marque de faiblesse.. Les Perses demandaient, que la paix fut perpétuelle : que pour cela on leur payât une certaine somme par an, et qu'outre cela, on leur donnât sur le champ la paie de quarante, ou au moins de trente années. Les Romains, au contraire, ne souhaitaient qu'une trêve de peu d'années, en faveur de laquelle ils ne voulaient rien payer. Enfin, après de longues contestations, et après que de part et d'autre on eut apporté diverses raisons, on demeura d'accord que la trêve durerait cinquante ans : que les Romains rendraient la Lazique aux Perses, que les articles accordés seraient exécutés de bonne foi dans l'Orient, dans l'Arménie, et dans la Lazique: Que les Romains paieraient trente mille écus d'or aux Perses, chaque année de la trêve. Qu'ils en donneraient sept par avance, qu'à la fin des sept ans ils en donneraient trois autres aussi par avance, et que dans la suite ils ne paieraient chaque année qu'après qu'elle serait échue.

On parla ensuite de démolir un monastère, nommé Sébane, assis fur la frontière, et d'en abandonner la place aux Romains, à qui il avait autrefois appartenu. Les Perses s'en emparèrent lorsqu'ils rompirent la paix, et depuis ils séparèrent la Chapelle par une muraille, ils ne démolirent point d'autre place,  et n'en rendirent point d'autres aux Romains, parce qu'il n'en était point fait de mention par le traité.

5. Il fut arrêté, que les deux Empereurs feraient expédier leurs lettres, qu'on appelle en latin Lettre sacrées, pour la ratification des articles dont les ambassadeurs étaient convenus, ce qui fut incontinent fait. Il fut pareillement arrêté, que l'Empereur s'obligerait par une déclaration séparée, de payer à la fin de la septième année les trois qui resteraient alors du nombre des dix. Il fut encore convenu, que le Roi de Perse s'obligerait par écrit de donner quittance des trois années, lorsqu'il les aurait reçues.

La ratification de l'Empereur contenait l'inscription ordinaire qui est connue de tout le monde. Celle du Roi des Perses était en leur langue, dont voici le sens fidèlement traduit en grec.

Le Divin, le Bon, le Pacifique, le Souverain Cosroez  Roi des Rois, l'Heureux, le Pieux, le Bienfaisant, à qui les Dieux ont donné un grand Royaume avec une grande puissance, le Géant des Géants, fait à l'image des Dieux, à Justinien César, notre Frère.

Voila comment était conçue l'inscription. Pour ce qui est corps de l'acte, j'en rapporterai aussi les propres termes, de peur que si je me contentais d'en marquer le sens, on me soupçonnât d'y avoir apporté quelque changement.

Je remercie mon Frère César, d'avoir accordé le bien de la paix a nos deux États. J'avais de ma part donné charge à Jesdégusnaf, mon valet de chambre, de conférer, et de traiter de la paix avec Pierre, Maître des Romains, et Eusèbe, qui avaient été nommés par mon Frère César. Sich, le Maître des Romains, Eusèbe ont conféré ensemble, et sont demeurés d'accord par écrit, de faire la paix durant cinquante ans. Ils ont apposé à l'acte le sceau de leurs armes. C'est pourquoi je ratifie, et je confirme tous les articles, dont ils sont demeurés d'accord, et je veux qu'ils soient exécutés selon leur forme et teneur.

Voila ce que la ratification contenait. Celle de l'Empereur avait le même fins ; mais elle était destituée de l'inscription et des titres dont l'autre était chargée. Cela fait, les conférences finirent.

Ils conférèrent ensuite touchant les autres affaires qui leur restaient à conclure, et ils terminèrent tous les différents, à la réserve de celui qui regardait la Suanie, qui demeura indécis, et sur quoi Pierre parla à Sich de cette sorte.

6. Ceux qui prennent un bon avis dans les affaires, et qui les terminent heureusement, méritent de grandes louanges. Quand elles ne réussissent pas, on croit qu'elles n'ont pas été bien conduites, et on attribue le mauvais succès aux mauvais conseils. Ce n'est pas sans raison que j'avance ce discours. Il vous regarde très fort, et il peut être très utile aux Perses, et aux Romains. Je l'expliquerai plus clairement. La Suanie a relevé des Romains dans le temps que les Suaniens étaient gouvernés par un chef, nommé Tzathius. Dans le même temps, la garnison était commandée par un, nommé Déidat, et le pays était habité par un grand nombre de Romains. S'étant ému depuis un différent entre le Roi des Laziens et Martin, capitaine des troupes romaines, ce Roi refusa d'envoyer le blé qu'il avait accoutumé d'envoyer aux Suaniens. Ces peuples fâchés d'être privés de ce qui leur était dû, mandèrent aux Perses, que s'ils voulaient venir, ils se donneraient à eux. Ils avertirent à l'heure même les commandants des troupes romaines, de l'arrivée des Perses, et ils leur conseillèrent de leur céder, puisqu'ils ne leur pouvaient résister. Ils ajoutèrent des présents à cet artifice, pour les faire plutôt retirer. Après quoi les Perses arrivèrent. Voilà comment la  Suanie appartenait aux Romains, et comment elle leur appartient encore. En effet, puisque nous sommes maîtres de la Lazique, comme vous en êtes demeurez d'accord, nous le sommes aussi de la Suanie, qui n'en est qu'une partie.

7. A cela Sarenas repartit :

Romains, ce qui vous fâche le plus dans cette affaire est que les Suaniens se sont soumis d'eux-mêmes à notre puissance:

A quoi Sich ajouta :

 Les Suaniens se font toujours gouvernés, par leurs lois particulières, et jamais ils n'ont relevé des Colchéens.

Pierre reprenant la parole dit à Sich:

Croyez-vous que ce soit là exécuter de bonne foi le traité, qui porte en termes formels, que vous me remettrez entre les mains la Lazique, avec les nations qui en dépendent.

Sich répliqua:

Si cela était, il ne tiendrait qu'à vous de prétendre l'Ibérie, en disant, qu'elle dépendait autrefois des Laziens.

Pierre repartit :

Il est donc visible que vous ne voulez pas nous rendre la Lazique entière, mais seulement une partie.

Les Perses et les Romains dirent plusieurs autres choses sur ce sujet, sans néanmoins rien résoudre. Ils remirent donc l'affaire au jugement de Cosroez, et Sich promit à Pierre, avec les serments les plus sacrés, et les plus inviolables qu'il y ait parmi les Perses, de la recommander au Roi.

8.  Il parla après cela en faveur d'Ambrus Alomandare, chef des Sarrasins, et il dit :

Qu'il était juste de lui payer mille livres d'or aussi bien qu'à son prédécesseur.

Pierre répondit :

Que le prédécesseur d'Ambrus avait reçu sans aucun titre une certaine somme, à la volonté de l'Empereur à cause qu'il favorisait son parti. Qu'on lui envoyait un courrier qui lui mettait entre les mains le présent de l'Empereur, à qui il témoignait sa reconnaissance par un autre petit présent, qui lui attirait une nouvelle libéralité. Que si l'Empereur avait agréable d'en user de la même sorte envers Ambrus il le ferait, sinon que c'était une folie à Ambrus de prétendre qu'il lui fût dû quelque chose, et que s'il le prétendait il n'aurait rien.

9. Après ces contestations, et d'autres semblables, on rédigea par écrit le traité de la Trêve de cinquante ans, en langue persique, et en langue grecque. Ceux qui furent présents de la part de l'Empereur, furent Pierre, capitaine de les Gardes, Eusèbe, et quelques autres. De la part du Roi de Perse. Isdigune, Surenas, et autres. Les ratifications furent dressées de l'un et de l'autre côté, dans le même sens, et respectivement délivrées. Je rapporterai ici ce que contenait le Traité.

I. Il était accordé que les Perses ne permettraient point aux Huns, aux Alains ou à d'autres Barbares, de passer le Pas de Corytzon, ou les Portes Caspiennes, pour faire des irruptions sur les terres des Romains, et que les Romains n'enverraient aucunes troupes contre les Perses, par les mêmes Pas.

II. Que les Sarrasins enrôlés dans les armées des deux Rois y demeureront, sans que ceux qui sont dans l'armée des Perses puissent porter les armes contre les Romains, ni que ceux, qui sont dans l'armée des Romains,  puissent porter les armes contre les Perses.

III. Que les marchands tant Perses que Romains ne porteront leurs marchandises qu'aux lieux accoutumés, et où l'on paie les décimes.

IV.  Que lorsque les ambassadeurs voyageront ou dans le Perse, ou dans l'Empire, il leur sera fourni des chevaux aux dépens du public, à chacun selon sa dignité.  Qu'ils y recevront les honneurs qui leur sont dus; qu'ils marcheront incessamment sans s'arrêter, si ce n'est par nécessité.

V. Que les marchands Sarrasins ou autres étrangers, qui trafiqueront dans l'un ou dans l'autre des deux États, ne pourront prendre des chemins écartés, mais qu'ils seront tenus d'aller à Nisibe, ou à Dara, et de prendre des passeports des officiers. Que ceux qui contreviendront à cette loi, et qui tâcheront d'éluder le paiement des entrées, seront punis par amendée, outre la confiscation de leurs marchandises, soit  Assyriennes, ou Romaines.

VI. Que si quelques-uns de ceux qui pendant la guerre, ont passé d'entre les Romains chez les Perses, ou d'entre les Perses chez les Romains, désirent s'en retourner en leur pays, ils le pourront faire avec toute liberté.  Mais que ceux qui pendant la trêve voudraient passer d'un État dans un autre, ne le pourront faire, et qu'ils seront remis entre les mains du Prince à la domination de qui ils auront voulu se soustraire.

VII. Que si un sujet d'un État se plaint d'avoir reçu quelque injure en ses biens, par quelqu'un de l'autre  État, les principaux des deux nations qui demeureront sur les frontières  s'assembleront pour décider le différend à l'amiable, et pour obliger celui qui aura commis l'injustice, à en faire satisfaction.

VIII. Que les deux nations ne pourront fortifier aucune place sur les frontières, afin de ne point donner de sujet de contravention au traite, ni de prétexte aux Perses de se plaindre que les Romains fortifient la ville de Dara.

IX. Que les sujets d'un État ne feront point de courses sur les sujets, ni sur les terres de l'autre, et qu'ils s'abstiendront de toutes sortes d'actes d'hostilité, afin qu'il n'y en ait aucun qui ne jouisse des fruits de la paix.

X. Qu'il n'y aura dans Dara qu'une garnison médiocre, et telle qu'il est nécessaire pour la sûreté de la place. Que le général des troupes d'Orient n'y pourra se faire son séjour ordinaire, de peur qu'il ne se fasse du dégât sur les terres des Perses, que s'il s'en faisait, le Gouverneur de Dara sera tenu de le réparer.

XI. Que si les habitants d'une ville sont, par surprise, par vol et autrement qu'à main armée, quelque injure aux habitants d'une autre ville, à dessein de faire naître des sujets de guerre, les Juges des deux nations qui se trouveront les plus proches des frontières, informeront du fait, et tâcheront d'apporter un prompt remède au mal. Que si ces juges le trouvent trop faibles pour réparer le désordre; l'affaire sera remise au jugement du Général des troupes d'Orient,qui dans six mois condamnera le coupable au double du dommage envers le complaignant. Que si le différend ne peut être terminé par cette voie, celui qui aura souffert de l'injure le fera savoir au Roi de celui qui l'aura faite.  Et au cas que le Roi manque à la faire réparer, le complaignant recevra le double de la réparation.

Le XIIe. article du traité ne contenait que des voeux et des. imprécations, par lesquelles il était souhaité que Dieu fût propice et favorable à ceux qui entretiendraient religieusement la paix, et qu'il fut contraire et ennemi, à ceux qui y contreviendraient.

Le XIIIe article contenait, que tout; ce qui avait été accordé, serait inviolablement exécuté, et que la trêve durerait cinquante ans, Que les années seraient comptées, selon l'ancien usage, à trois cent soixante cinq jours.  Que l'on fournirait respectivement les ratifications des deux Rois.  Enfin on délivra les lettres qu'on appelle sacrées.

Ces articles ayant été arrêtés et ratifiés de la sorte, on passa un acte à part en faveur des Chrétiens de la Perse, par lequel on leur donna la liberté de bâtir des temples, d'y célébrer des mystères et d'y chanter les Psaumes.  On leur accorda qu'ils ne seraient plus forcés de suivre les superstitions de la magie,  ni d'adorer les dieux des Perses. .On leur défendit néanmoins d'attirer les Mages à leur Religion, et on leur permit d'enterrer les morts de la manière qu'ils avaient accoutumé.

Toutes ces choses ayant été réglées de la sorte, les articles furent rédigés, en deux livres, et fidèlement, traduits par ceux à qui cette fonction appartenait. On en fit ensuite deux exemplaires, dont le plus authentique fut enveloppé dans des figures de cire, et scellé du sceau des ambassadeurs, et de douze Interprètes, savoir six Romains et six Perses. Sich délivra à Pierre l'exemplaire en langue persique, et Pierre le délivra à Sich en langue grecque. De plus Sich mit entre les mains de Pierre un autre exemplaire sans sceau, à cause que c'était pour servir de mémoire, et Pierre en mit un pareil entre les mains de Sich. Cela fait, ils se séparèrent.

Sich s'en retourna en son pays, mais Pierre demeura pour célébrer la fête de la naissance du Sauveur, qui approchait. Il célébra ensuite celle de la sainte Epiphanie, puis il parti pour aller en Perse.

Avant son départ, les Interprètes, les Maîtres de la Monnaie de Perse, et quelques autres, se rendirent à Dara, où ils reçurent le payement des sept années qui avaient été promises.

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CHAPITRE III.

1. Harangue de Pierre touchant la Suanie, 2. Réponse de Cosroez.. 3. Longue contestation.

1. PIERRE alla trouver le Roi de Perse, en un lieu nommé Bitarme, à dessein de conférer avec lui, touchant la Suanie, et ayant été introduit à l'audience, il lui parla en ces termes.

Grand Roi, nous paraissons devant vous, fort satisfaits de la paix dont nous jouissons par votre bonté, et peu fâchés de n'avoir pas encore obtenu tout ce qui nous est dû de votre justice. Comment celui qui a si sagement pourvu au présent, ne pourvoirait-il pas à l'avenir ? C'est le propre d'un grand Prince, que de ne par user de tout son pouvoir, et que de se modérer dans sa fortune. Le feu de la guerre est éteint, il n'en reste qu'une petite étincelle, c'est ainsi que j'appelle la Suanie, qui nous menace d'un nouvel embrasement. Nous vous supplions de détourner les maux qui nous menacent. Nous avons remis à votre jugement les différends que nous n'avons pu décider. Le seul moyen de terminer entièrement la guerre, est de nous rendre la Suanie, puisque nous avons déjà la Lazique. En effet quelle apparence qu'étant maîtres du pays dominant, nous ne fussions pas de celui qui en relève ? Les Laziens et les Suaniens ne révoquent point en doute que de temps immémorial la Suanie a dépendu de la Lazique, et que le roi des Laziens a établi un Gouverneur dans la Suanie.

Pierre prouva à Cosroez la vérité de ce fait, par des pièces authentiques, et par la suite des rois des Laziens. Puis il reprit son discours de cette forte.

Puisque la justice veut que vous nous rendiez la Suanie, vous tirerez deux avantages de nous la rendre. L'un est que vous éviterez la réputation d'être injuste et violent ; et l'autre, que vous acquerrez la gloire d'être libéral et magnifique. Notre maître ne croira pas que ce soit lui faire tort que de lui laisser à titre de don, une place qui lui appartient de droit. Comme nous soutenions que la Lazïque avait été possédée depuis longtemps par les Romains, et que nous le justifions par des preuves indubitables, et que vous prétendiez au contraire, l'avoir acquise par les armes, vous n'avez point voulu blesser la justice, et vous avez mieux aimé donner des marques de la modération de votre esprit, que de la grandeur de votre puissance. Vous vous êtes enragé de vous même dans la nécessité de faire ce qui ne dépendait auparavant que de votre liberté. Vous avez prononcé généreusement contre vous-même, et vous avez cru que c'était vaincre d'une noble manière, que d'être vaincu par l'honnêteté. Après nous avoir remis la Lazique entre les mains, faites-nous la grâce de nous remettre la Suanie. Nous nous tiendrons aussi sensiblement obligés de ce que vous nous aurez rendu notre bien,  que si vous nous aviez donné le vôtre, et vous aurez l'avantage de faire croire que vous exercerez une libéralité, lorsque vous ne ferez qu'une restitution.

A ce discours le Roi répondit de cette sorte.

Lorsque l'éloquence rencontre un esprit médiocre, elle en obtient ce qu'il lui plaît, et elle triomphe de sa faiblesse comme un baume versé dans une blessure y consume le mal. Elle produit toujours ce qu'elle se propose,  lors, même que ce qu'elle se propose n'est pas confirme à la justice. C'est en quoi la sagesse de persuader est préférable à la force. Les armes ne servent de rien sans la prudence, et la prudence se conserve toute seule sans les armes. C'est pourquoi, Ambassadeur, bien que vous sachiez l'art de persuader, et que je n'aie pas été élevé dans l'étude des sciences, et qu'il semble que ce soit pour moi un sujet de blâme que, de ne pas déférer à vos sentiments, je vous proposerai, néanmoins, sans ornement, les raisons sur lesquelles la justice de ma cause est établie. J'ai conquis la Lazique par mes armes. Je n'ai jamais porté la guerre dans la Suanie. Merméroez me manda, que c'était un pays qui n'avait rien de considérable: qu'il était possédé par une nation qui habité autour du Caucaze,et qui est gouvernée par un petit Roi, et qu'il sert de passage à la Scythie. Auprès la mort de Merméroez, Nacoragan, qui lui succéda, m'écrivit la même chose, et il ajouta y que les Suaniens étaient des scélérats, qui ne vivaient que de brigandage. Comme j'étais résolu d'envoyer des troupes contre eux, on me dit qu'ils étaient dans la résolution de se rendre. Voilà comment il sont devenus mes sujets. Ils sont fort content d'être sous ma domination, et ils obéissent très volontiers à mes serviteurs. Lorsque Sich m'écrivit que, vous redemandiez la Suanie je fus aussi éloigné d'ajouter foi à son rapport, que d'être persuadé de la justice de votre demande. Je ne laisserais pas de vous l'accorder, si j'étais assuré que votre Roi crut que cette prétention fut juste.

Voilà la réponse que fit le Roi de Perse, avec laquelle finit la contestation qu'ils eurent au sujet de la Suanie.

3: Après avoir gardé quelque temps silence, ils parlèrent d'Ambrus Sarrasin. Le Roi commença  et dit :

Ambrus Sarrasin, qui est dans mon royaume,  fait de grandes plaintes de Sich, de ce qu'il a négligé ses intérêts lorsqu'il a traité touchant la paix de ce qu'il n'a rien obtenu en sa faveur.

Pierre répondit de cette sorte.

Les Sarrasins n'ont jamais reçut de nous une pension certaine et réglée, et jamais nous ne leur en avons dû.  Il est vrai qu'Alamondare père d'Ambrus envoyait quelquefois des présents à l'Empereur, qui les récompensait par d'autres présents. Mais cela ne se faisait pas tous les ans, ni pas. même tous les cinq ans. Voilà ce qui s'est pratiqué pendant quelque temps entre Alamondare et nous.. Dieu fait qu'alors il n'était pas aussi affectionné à votre  État, qu'il l'a été depuis, et qu'il avait promis de se tenir neutre, si vous nous déclariez la guerre. Tel a été durant quelque temps l'état des affaires. Maintenant mon Maître votre frère raisonne fort prudemment, quand il dit, que les deux Nations étant en paix, il ne lui servirait de rien, d'entretenir intelligence avec les sujets des Perses, de leur faire des présents, et d*en recevoir d'eux.

Le Roi repartit

Puis qu'avant la paix, il y avait habitude entre vous, j'estime que vous la devez nourrir par des messages, et par des présents.

Après avoir examiné les raisons d'Ambrus, ils conférèrent de nouveau touchant Ia Suanie, et le Roi dit :

Lors que je me rendis maître de Scendis, de Sarape et de la Laziqùe, vous ne dites point que la Suanie vous appartenait. Il paraît clairement par là, qu'elle n'a jamais relevé de la Lazique; car si elle en eut relevé, elle eut suivi sa fortune, et eut été réduite avec elle sous ma domination.

Pierre répliqua :

Cela ne pouvait arriver de la sorte, parce que quand vous avez pris la Lazique, la Suanie nous est demeurée, et elle n'a pas été réduite sous votre puissance comme une dépendance de l'autre.

Le Roi dit:

Il y a dix ans que je possède la Suanie. Depuis ce temps-là, vous m'avez envoyé plusieurs ambassadeurs, et vous en avez aussi reçu de ma part, sans avoir jamais parlé de la Suanie.

Pierre répliqua :

La raison pour laquelle nous n'en avons point parlé a été, que vous teniez alors, la Suanie, et que si nous en eussions parlé, vous nous eussiez demandé pour quel sujet nous prétendions que vous la rendissiez, et nous eussions dit que c'était à cause qu'elle relevait de la Lazique, vous eussiez répliqué, ne savez-vous pas que je suis, maître de la Lazjque, et nous n'eussions rien en à repartir.

Vous prétendez, dit le Roi, que la Suanie a relevé autrefois de la Lazjque: mais il ne sert de rien de le prétendre, si l'on ne le prouve, par des titres authentiques.

Pierre dit :

 je suis prêt de le faire voir par des arguments certains et incontestables. C'était une ancienne coutume que le Prince des Suaniens reconnaissait celui des Lazjens, et lui donnait par quelque sorte de redevance, du miel, des peaux, et d'autres espèces semblables. Quand le Prince des Suaniens mourait, celui des Laziens en mettait un autre en sa place. Il en donnait à l'heure même avis à l'Empereur, qui lui récrivait, qu'il envoyât les marques de la Principauté à celui qu'il lui plairait, pourvu qu'il fût de la nation des Suaniens. Cet usage a été inviolablement observé depuis le règne de l'Empereur Théodose, jusqu'à celui de Léon, et jusqu'à celui de Pérose votre aïeul.

 Pierre tira ensuite de dessous sa robe un livre, qui contenait une liste des Rois des Laziens, qui avaient établi des Princes sur les Suaniens. J'en rapporterai le sens, quoi que je n'en rapporte pas ses paroles. Ces Rois des Laziens ont donne des Princes aux Suaniens, depuis Théodose Empereur des Romains, et Varane Roi des Perses, jusqu'à Léon et à Pérose. Pierre faisant son induction dit.

Voilà les Rois que nous savons avoir choisi des Princes pour gouverner les Suaniens.

Le Roi dit :

Si nous ajoutons foi aux actes que vous produisez, il faut aussi que vous l'ajoutiez à ceux que nous produirons.  Si ce n'est peut-être que vous vouliez dire que les Rois ont agi diversement, et que les uns se sont conduits d'une manière, et les autres d'une autre.  Mais puisqu'il s'agit entre nous de savoir à quel Prince des sujets doivent appartenir, si vous pouvez montrer par des preuves claires et indubitables, que les Suaniens vous appartiennent, je vous les accorderai, sinon, je remettrai à leur choix de vous obéir, c'est tout ce que je puis faire à votre avantage.

A cela Pierre dit,

Seigneur, je vous supplie de ne pas laisser à la liberté des Suaniens de choisir à qui ils obéiront; car si cela dépend d'eux, ils n'obéiront à personne. Je vous supplie de considérer, que s'agissant de la souveraineté de la Suanie, je ne puis consulter les Suaniens sur ce sujet, ni m'en rapporter à leur jugement. Il serait trop dangereux de prendre des sujets pour juges des droits de leurs maîtres.

Voilà les discours qui furent tenus de part et d'autre, qui n'ayant produit aucun effet, Pierre partit de Perse sans avoir rien obtenu.  Les deux partis mirent bas les armes, et les Perses abandonnèrent la Colchide. Pierre mourut bientôt après qu'il fut de retour à Constantinople.

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CHAPITRE IV.

1. Ambassade des Avares vers l'Empereur Justin. 2. Harangue de l'ambassadeur. 3. Réponse de l'Empereur, 4. Les ambassadeurs s'en retournent sans avoir rien obtenu.

1.Les ambassadeurs des Avares vinrent à Constantinople, sous le règne du jeune Justin, pour recevoir les présents que Justinien, leur avait accordés. Ces présents étaient, des bracelets d'or, des lits, et d'autres ouvrages curieux., qu'on leur donnait pour conserver leur amitié. Ils tentèrent alors d'en demander de plus considérables, et ils crurent que c'était le temps de tirer avantage de la lâcheté des Romains. Ayant donc demandé audience à l'Empereur, et ayant obtenu de lui permission de proposer ce qu'ils souhaitaient ils le firent en ces termes, par la bouche d'un interprète.

2. Il est juste qu'ayant succédé à l'Empire de votre père, vous succédiez aussi à la munificence qu'il a exercée envers ses amis, et que vous montriez que vous êtes son véritable héritier, en ne retranchant rien des largesses qu'il avait accoutumé de faire. Cela nous obligera à conserver pour vous les sentiments que nous avons eus pour lui, et à vous regarder, comme notre bienfaiteur. Nous aurions honte de ne pas reconnaître le bien que l'on nous ferait. Quand nous avons reçu des présents de l'Empereur votre père, nous lui en avons témoigné notre reconnaissance, en nous abstenant de faire le dégât sur ses terres, quoi qu'il nous fût aisé de le faire. Outre cela, nous avons chassé les Barbares, qui couraient perpétuellement la Thrace, si bien qu'il n'y en a plus qui osent paraître, parce qu'ils savent que nous sommes vos amis, et qu'ils appréhendent notre puissance. Nous espérons que vous n'apporterez point de changement à nôtre égard, si ce n'est de nous faire de plus grandes libéralités que ne nous a fait votre père. En revanche, nous vous ferons, et plus soumis et plus redevables, que nous ne lui avons été. Nous voici prêts de recevoir vos présents ; mais si vous voulez conserver l'amitié de notre chef, il faut qu'ils soient si considérables, qu'ils lui ôtent l'envie de prendre les armes.

3. Ces ambassadeurs parlèrent de la sorte, et mêlèrent les menaces avec les prières,  afin d'imprimer de la terreur aux Romains, et de leur imposer un tribut. L'Empereur, à qui leur discours avait paru fort injurieux, leur répondit en ces termes:

Vous nous faites des discours également pleins de bassesse et d'insolence, et vous prétendez venir à bout de vos desseins par ce mélange ridicule de soumission et d'emportement : mais en l'un et en l'autre, vous serez privés de votre espérance, vos flatteries n'étant pas capables de nous surprendre, ni vos menaces de nous étonner. Je ferai plus pour vous, que n'a fait l'Empereur mon père. Je vous retirerai de votre égarement, et vous remettrai dans votre devoir. Quiconque modère les passions des hommes, et quiconque les retient sur le penchant de leur ruine, mérite à plus juste titre la qualité de leur bienfaiteur, que celui qui les flatte, et qui les entretient dans leurs vices. Ce dernier est le véritable auteur de leur perte, quoi qu'il paraisse leur ami. Retirez-vous donc, et vous contentez de ce quoi je vous laisse la vie. Au lieu de l'argent que vous demandez, je ne vous donnerai qu'une juste terreur de mon pouvoir, dans laquelle vous trouverez votre salut. Je n'ai pas besoin de votre secours. Vous ne toucherez que ce qu'il me plaira de vous donner, comme le prix de votre liberté et la marque de votre servitude,  et non pas comme une pension, ni comme un tribut.

4 L'Empereur ayant renvoyé ces ambassadeurs, avec une réponse si sévère et si terrible, ils reconnurent qu'ils n'obtiendraient pas de quoi contenter leur avarice, et qu'ils ne toucheraient plus ce qu'ils avaient touché autrefois. Ne pouvant plus courir et piller nos terres impunément, ils appréhendaient le succès de leurs affaires. Ils ne voulaient pas demeurer inutilement à Constantinople, et il leur fâchait d'en partir, sans y avoir rien gagné. Ils choisirent, néanmoins le moindre de ces deux maux, et allèrent trouver les Abares, qui les avaient envoyés, et tous ensemble se retirèrent chez les Français.

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CHAPITRE V.

1. L'Empereur apprend que les Perses lui envoient un ambassadeur nommé Sich. 2. Il envoie au devant de lui pour lui dire qu'il ne peut accorder ses demandes. 3. L'ambassadeur meurt en chemin. 4.  Il en vient un autre nommé Mébode. 5. A qui l'Empereur ne témoigne que du mépris. 6. Il demande audience pour les Sarrasins. 7, L'Empereur l'accorde, à la charge qu'il n'en entrera qu'un. 8. Le Sarrasin la refuse à cette condition, et se plaint de l'Empereur. 9. Contestation entre l'Empereur et Mébode,

1.L'Empereur reçut avis qu'il venait de Perse un ambassadeur nommé Sich, tant pour lui parle en faveur des Saoanes,  que pour lui demander son amitié, et pour satisfaire à ses plaintes. Il avait dessein, ou de ne pas recevoir l'ambassade, ou de refuser les demandes de l'ambassadeur.

2. Après avoir tenu conseil sur ce sujet, il jugea à propos de faire écrire par Jean à l'ambassadeur, qui était encore en chemin, qu'il ne pouvait consentir à ce qu'il li voulait proposer. Ce qui fut exécuté; Jean chargea Timothée du soin des affaires des Perses. L'Empereur lui commanda aussi d'aller trouver leur Roi, et de le remercier de sa part, de l'amitié qu'il lui avoir témoignée, et de donner à Sich, qu'il rencontrerait en chemin, les lettres de Jean, afin qu'il ne pût ignorer ses intentions.

Timothée se rendit en diligence sur la frontière, où ayant appris que l'ambassadeur ne venait pas encore, il alla trouver Cosroez. Sich était allé par un autre chemin à Nisibe  et y était demeuré malade.

3. Timothée ayant eu son congé de Cosroez, alla trouver Sich, et lui rendit les lettres de Jean. Quand cet ambassadeur vit que les affaires ne pouvaient réussir comme il avait espéré, il en tomba dans un chagrin qui augmenta sa maladie > et qui avança sa mort. Jean mourut aussi peu après.

4. On reçut nouvelle a Constantinople, qu'il venait un autre ambassadeur, nommé Mébode. Il s'assurait de venir à bout de l'affaire des Soanes, et de conclure la paix.

5. L'Empereur, qui avait été averti de son arrogance et de sa présomption, ne fit paraître pour lui que du mépris, bien qu'il reçût avec civilité les témoignages de l'affection de son maître.

6. Quand Mébode vit que le succès de son ambassade était contraire à ses espérances, et qu'on ne lui rendait point de réponse sur le sujet des Soanes, il demanda audience pour quarante Sarrasins qui étaient venus avec lui, et qui avaient été envoyés par leur Prince, nommé Ambrus, pour recevoir l'argent que Justinien leur avait promis. Comme il n'avait rien obtenu pour les Soanes, il faisait tous ses efforts pour introduire les Sarrasins, afin d'avoir la satisfaction de n'être pas venu tout-à-fait inutilement.

7. L'Empereur lui demanda : Qu'est-ce que les Sarrasins désirent de nous ? Et comme il pressait avec instance de les écouter, il consentit que leur ambassadeur entrât seul, dans la créance que sa fierté ne lui permettrait pas de paraître sans sa fuite, et qu'il insisterait à être reçu de la même manière, dont ceux qui l'avaient précédé dans cette fonction, avaient été reçus par Justinien. L'Empereur se figurait que ce lui serait là une occasion d'accroître les droits de l'Empire, et d'en relever la majesté.

8. Le Sarrasin jugeant qu'il ne lui serait pas honorable de violer une coutume établie, et d'accepter l'audience en la nouvelle manière, dont elle lui était offerte, la refusa, ce qui fut cause que Justin lui témoigna un grand mépris, dont s'étant plaint à Mebode, cet ambassadeur vint trouver l'Empereur, et lui parla de cette sorte :

Seigneur, je ne parais pas ici pour défendre le Sarrasin, au cas qu'il ait tort : mais je déférerais d'examiner si ses demandes sont justes, et si je trouvais qu'elles ne le fussent pas, je serais le premier à le condamner.

L'Empereur lui repartit en raillant,

Vous n'êtes donc pas venu ici pour y faire la fonction d'ambassadeur, mais pour y faire celle de juge.

Mébode vivement piqué de cette repartie, changea de couleur, fit une réponse peu respectueuse,  et se retira.

9. Il revint quelques jours après supplier l'Empereur, de permettre aux Sarrasins d'entrer à son audience, et comme il le refusait, il lui dit

Qu'il n'était pas juste de lui refuser ce qui avait été accordé à Sich son prédécesseur, et que le priver de ce droit, c'était rompre la trêve qui était entre les Perses et les Romains.

L'Empereur répliqua tout en colère :

Si Sich  avait commis un adultère y ou un autre crime, croiriez-vous avoir droit de l'imiter. Mébode épouvanté de ce discours, se jeta à les pieds, lui demanda pardon, et désavoua tout ce qu'il avait avancé. Justin parut satisfait de son excuse et lui dit;

Il faut que l'interprète ne m'ait pas expliqué fidèlement votre pensée. Si vous n'avez rien dit contre la bienséance ni contre le devoir, il n'est pas juste de vous en accuser.

Ainsî il s'apaisa en faisant semblant de ne pas savoir ce qui avait été dit : mais de telle sorte, néanmoins, que Mébode ne lui osa plus parler avec la même fierté qu'auparavant, parce qu'il prévoyait bien, qu'il ne manquerait pas de lui répondre avec la dernière vigueur. Ce Prince ayant réprimé de la sorte leur audace, il ne leur resta que du dépit et de la honte. Je garderai le silence à leur sujet, et n'en dirai rien, davantage. L'Empereur avança dans cette contestation plusieurs autres paroles fort fâcheuses. Il dit au Sarrasin:

Qu'il était venu comme un négociant, à dessein de faire, trafic et de profiter: qu'il ne pouvait dissimuler le sujet pour lequel il avait recherché avec tant d'empressement son audience, qui n'était que pour en tirer du bien, mais qu'au lieu d'en tirer du bien, il en tirerait du mal. Que ce serait une chose fort ridicule aux Romains de payer tribut aux Sarrasins. et à d'autres nations qui vivent dispersées de coté d'autre.

Mébode lui répondit,

le Sarrasin vous supplie de lui donner congé puisqu'il n'a pu rien obtenir de ce qu'il vous demandait.

L'Empereur répondit :

Plût à Dieu, qu'il ne fut point venu, et je serai fort aise qu'il s'en aille.

Mébode adjouta :

Seigneur „ je vous supplie de me permettre aussi de me retirer.

Voilà comment Justin renvoya les Sarrasins et l'ambassadeur des Perses, et comment il répara par la prudence les fautes de Jean. Quand les Sarrasins furent de retour en leurs pays, ils rapportèrent à Ambrus le dessein qu'avait l'Empereur touchant ceux de leur nation,  qui avaient favorisé le parti des Mèdes. Ce qui fut cause qu'Ambrus manda à son frère Cambose, de courir et de piller les terres qu'avait Alamondare aux environs de l'Arabie. Cet Alamondare était chef des Sarrasins, qui étaient en bonne intelligence avec les Romains.

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CHAPITRE VI.

1. Deux ambassades des Sogdoïtes vers les Perses. 2 Ambassade des Sogdoïtes vers les Romains. 3, Conférence entre l'Empereur Justin et leurs ambassadeurs.

1. Dans la quatrième année du règne de Justin, il arriva à Constantinople une ambassade des Turcs. Comme la puissance de ces peuples s'accroissait extrêmement, les Sogdoïtes qui avaient autrefois relevé des Néphtalites, et qui alors relevaient des Turcs, prièrent leur Roi d'envoyer une ambassade aux Perses pour leur demander la liberté du commerce de la soie. Disabule ayant égard à leur prière, consentit à l'ambassade, dont un nommé Maniac fut le chef.

Etant donc arribés en Perse, ils proposèrent leur demande.  Le Roi, qui ne voulait pas qu'ils fussent entrés impunément sans ses Etats, les remit de jour en jour, et comme après plusieurs remises, ils le pressaient leur accorder leur demande, il tint un Conseil sur ce sujet. Catulphe Népthalite qui livra aux Turcs ceux de sa nation, pour se venger de la violence, qe leur Roi lui avait faite, en attentant à la pudicité de sa femme, et qui dès lors favorisait les Perses, conseilla au Roi de ne pas laisser aller la soie, mais de l'acheter, de la payer, et de la brûler ensuite en leur présence, afin de n'être pas accusé d'injustice en la retenant sans la payer, ni soupçonné de s'en servir en la payant. Ainsi la soie fut brûlée, et les ambassadeurs s'en retournèrent mal satisfaits. Lors qu'ils rapportèrent à Disabule ce qui s'était passé, il envoya une seconde ambassade, pour gagner l'affection des Perses, mais le Roi ayant fait examiner cette affaire dans son Conseil, il jugea qu'il n'était pas de l'intérêt de son État de faire alliance avec les Turcs, à cause de la légèreté et de l'infidélité de leur humeur. De plus, il commanda d'empoisonner quelques-uns des ambassadeurs,  pour leur donner aversion de son pays, et pour leur ôter l'envie d'y retourner. Les ambassadeurs ayant mangé des viandes empoisonnées moururent tous, à la réserve de trois ou quatre. On fit courir le bruit parmi les Perses, que c'était la chaleur et la sécheresse du climat, qui les avait étouffés, et que comme ils étaient accoutumés à un air frais et chargé de nuages, ils n'avaient pu vivre sous une température toute contraire. Voilà comment les Perses se purgèrent du soupçon d'avoir procuré leur mort. Ceux qui restèrent des ambassadeurs, publièrent la même chose: mais Disabule, qui était éclairé et pénétrant, se douta de la vérité, et apprit de quelle manière ils étaient péris. Ce fut de là que naquirent les inimitiés des deux natipns, dont Maniac Prince des Sogdoïtes. prenant occasion, il persuada à Disabule, qu'il était plus avantageux aux Turcs de s'allier avec les Romains, qu avec les Perses, et de porter leur soie dans l'Empire, où il s'en débite et s'en emploie une plus grande quantité, qu'en tout le reste du monde. Il s'offrit d'être de l'ambassade, et de travailler à établir l'alliance, et. à former la bonne intelligence entre les. deux nations.

2.  Diasbule suivant ce conseil, renvoya avec d'autres en ambassade chez les Romains, et leur donna des étoffes et des lettres.

Maniac traversa une vaste étendue de pays, des montagnes couvertes de neige, des campagnes, des forets et des rivières. Il surmonta le Caucase, et arriva enfin à Constantinople, où ayant été introduit devant l'Empereur, il lui mit entre les mains les lettres et les présents, et le supplia de n'être pas cause que la fatigue d'un si long voyage lui fût inutile.

3. L'Empereur s'étant fait expliquer par un interprète, la lettre qui était écrite en langage Scythe, reçut très humainement les ambassadeurs, et leur fit diverses questions fur l'Etat et sur le gouvernement dès Turcs. Ils lui répondirent

Que leur pays était divisé en quatre Gouvernements, mais que Disabule commandait à toute la Nation au-dessus des. Gouverneurs.

Ils ajoutèrent, qu'ils avaient réduit à leur obéissance les Nephtalites jusqu'à leur imposer un tribut.

Vous avez donc détruit, dit l'Empereur, la puissance des Néphtalites.

Oui, sans doute, répondirent les ambassadeurs.

L'Empereur reprit,

Les Néphtalites habitaient-ils dans des villes ou dans des villages ?

Les ambassadeurs répondirent,

Ils habitaient dans des villes..

L'Empereur dit,

Vous êtes donc maîtres de leurs villes ?

Les ambassadeurs répondirent,

 Nous en sommes maîtres.

L'Empereur ajouta :

Apprenez-nous combien est grand le nombre des Avares qui ont secoué le joug de votre domination, et s'il y en a encore qui vous obéissent

Les ambassadeurs répondirent :

Il y en a encore qui nous reconnaissent, et qui nous chérissent : mais ceux qui se sont soustraits à notre obéissance, sont environ vingt mille.

Ils.firent ensuite un dénombrement des nations qui relèvent d'eux, et ils supplièrent l'Empereur de les honorer de son alliance, promettant de porter les armes par terre contrerons ses ennemis.

En disant cela, Maniac et les autres ambassadeurs levèrent les mains au ciel, jurèrent qu'ils agissaient de bonne foi, et prononcèrent: les plus horribles de toutes les imprécations contre Disabule, contre leur nation et contre eux-mêmes, s'ils; ne disaient la vérité, et s'ils n'exécutaient sincèrement ce qu'ils promettaient. Voilà comment les Turcs, qui jusqu'alors n'avaient point eu d'habitude avec nous, devinrent nos amis et nos alliés.

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CHAΡITRE VII.

1. Disabule permet aux Turcs surnommés Cliates, d'envoyer une ambassade à Constantinople. 2.  Voyage de leurs ambassadeurs.

1.  Le bruitt s'étant répandu dans la partie de la Turquie qui est voisine des frontières, que les ambassadeurs des Romains et des Turcs allaient ensemble à Constantinople, le Gouverneur de cette contrée supplia Disabule de lui permettre d'γ envoyer des ambassadeurs en particulier, afin d'apprendre la politique des Romains. Les autres Gouverneurs demandèrent la même permission, mais Disabule ne l'accorda qu'à celui des Cliates.

2. Les Romains ayant pris avec eux cet ambassadeur, passèrent le fleuve Hic, et après avoir fait un long chemin, ils arrivèrent à un marais d'une fort vaste étendue, Zémarque s'arrêta en cet endroit pendant trois jours, et envoya George à Constantinople, pour donner avis à Justin du retour de les ambassadeurs. George accompagné de douze Turcs, prit le chemin le plus court ; mais aussi le pays désert. Zémarque, ayant marché dans des sables le long des marais pendant douze jours, et ayant traversé divers lieux hauts et bas, arriva au fleuve Hic, et ensuite au fleuve Dasic,  et enfin par le long d'un autre étang, à Attila, et au pays des Hongrois. Ces peuples l'avertirent qu'il y avait quatre mille Perses en embuscade, pour fondre sur les Romains,et pour les tailler en pièces. Le Gouverneur des Hongrois, qui commandait sous. l'autorité de Disabule, donna des tonneaux pleins d'eau à Zémarque, afin qu'il s'en servît dans les pays secs et arides par où il devait passer. Quand ils eurent marché le long de plusieurs grands étangs, ils arrivèrent à un autre marais où se décharge un fleuve nommé Cophon. De là ils envoyèrent des espions pour découvrir s'il y avait des Perses en embuscade. Ces espions, après avoir tout visité, rapportèrent qu'ils n'avaient vu personne. Ils ne laissèrent pas d'entrer avec crainte dans le pays des Alains, à cause de la défiance qu'ils avaient des Horomosques. Comme ils voulurent aller saluer Sarode Prince des Alains, il reçut humainement Zèmarque et ceux de la suite; mais il refusa de recevoir les Turcs, s'ils ne mettaient les armes bas. Le différend s'étant échauffé entr'eux pendant trois jours sur ce sujet, Zémarque en fut l'arbitre, et par son avis, ils quittèrent leurs armes, et saluèrent Sarode en la posture où il le désirait. Ce Pince vertit Zémarque de ne pas passer par le pays des. Mindimiens, à cause qu'il y avait des Perses en embuscade auprès de la Suanie, et de s'en retourner par la Darine, Zémarque suivant cet avis, envoya dix chevaux chargés de bagage dans le pays des Mindimiens, afin de faire croire à ces peuples que c'était de la soie, et qu'il viendrait bientôt après par le même chemin; Cependant il se détournait, et arriva par la Darine, dans l'Apsilie. Il laissa à gauche le pays des Mindimiens, où il se défiait qu'était l'embuscade, puis il revint à Rétaution, et  de là au Pont-Euxin, et ayant passé le Phase, il entra à Trébizonde, et de Trébizonde il se rendit à Constantinople, où il fit à l'Empereur un récit fort exact des particularités de son ambassade.

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CHAPITRE VIII.

1.Les Avares reçoivent des vivres des Français, 2.  Alboïn Roi des Lombards implore secours de Bajan contre les Gépides. 3. Bajan I*accorde à des conditions rigoureuses. 4. Cunimond en demande à l'Empereur. 5. Qui en promet sans en donner.

1. COMME les Avares et les Français étaient unis ensemble d'une parfaite intelligence, Bajan Prince des Avares fit savoir à Sigébert Roi des Français, que son armée manquait de vivres, et le supplia de ne la pas laisser périr, lui promettant de décamper dans trois jours s'il lui faisait la grâce de lui envoyer un convoi. Sigébert envoya à l'heure même des bœufs, des moutons, et des fruits aux Avares.

3. Alboïn Roi des Lombards, qui bien loin de se réconcilier avec Cunimond Roi des Gépides, cherchait tous les moyens de le ruiner, envoya une ambassade à Bajan, pour l'exhorter à entrer dans une ligue. Lorsque ces ambassadeurs furent arrivés devant Bajan, ils le conjurèrent de ne pas abandonner leur nation, qui avait reçu toutes fortes de mauvais traitements, non seulement des Gépides, mais aussi des Romains, qui étaient ennemis des Avares. Que le motif le plus puissant qui les portait à faire la guerre aux Gépides, était de diminuer par ce moyen, la puissance de Justin, qui était fort animé contre les Avares, et qui les avait privés des présents qui leur étaient dus, sans respecter les traités qui avaient été faits avec Justinien. Ils représentèrent, que s'il avait agréable de se joindre aux Lombards, ils seraient invincibles, et ils partageraient également le pays des Gépides ; et qu'après avoir subjugué la Scythie, ils vivraient dans une parfaite félicite. Qu'il leur serait aisé de s'emparer ensuite de la Thrace, de faire des courses sur les terres de l'Empire, et d'aller jusqu'aux portes de Constantinople. Ils ajoutèrent, qu'il était expédient aux Avares de prévenir  et de surprendre les Romains, parce que si les Romains avaient la fortune favorable, ils poursuivraient les Avares par toute la terre.

3. Bajan reçut ces ambassadeurs, mais ils ne leur fit pas un traitement plus favorable, dans le dessein de ne conclure la ligue qu'à des conditions qui lui fussent avantageuses. Il disait tantôt qu'il ne pouvait faire d'alliance avec eux, tantôt qu'il le pouvait, mais qu'il ne le voulait pas. Enfin, après s'être tourné de tous côtés, et après avoir usé de toutes sortes d'artifices, il  consentit à leurs demandes, à la charge qu'on lui donneront à l'heure même la dixième partie des troupeaux de la Lombardie, et qu'après la victoire il aurait la moitié des dépouilles de tout le pays des Gépides.

4. On dit que quand Cunimond fut ce traité, il en fut tellement saisi de frayeur, qu'il envoya aussi une ambassade à Justin, pour le supplier de continuer à prendre la même part dans le hasard de la guerre, qu'il avait fait jusqu'alors : et pour lui offrir Sirmium, et le pays qui est entre le Drave. Voila comment il n'avait point de honte de violer son ferment.

5. Bien que l'Empereur reconnût que Cunimond n'avait point de foi, ni de parole, il ne crut pas toutefois lui devoir refuser le secours qu'il demandait, mais il eut dessein d'y apporter des longueurs,  et d'user de remises. Il dit donc que ces troupes étaient dispersées en divers endroits, et que pour lui envoyer du secours, il les assemblerait avec le plus de diligence qu'il lui serait possible. Voila ce que j'ai ouï dire de Cunimond, bien que je ne le puisse croire, car, enfin, ce lui aurait été une étrange imprudence de demander l'exécution d un traité qu'il avait violé lui-même. On dit que les Lombards n'envoyèrent point alors d'ambassadeur à Justin, et que ce furent les Gépides qui en envoyèrent ; mais que bien qu'ils demandassent du secours avec instance, et qu'ils se plaignaient du mépris avec lequel on négligeait leurs demandes, ils ne purent rien obtenir. Tout ce qu'ils gagnèrent fut, que l'Empereur n'assista ni l'un ni l'autre des partis.

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CHAPITRE IX.

1. Bajan emprisonne les ambassadeurs des Romains. 2. Les Avares envoient une ambassade à Sirmium 3. Les ambassadeurs refusent de parler à d'autres qu'au Gouverneur. 4 Leur harangue, 5. Réponse du Gouverneur. 6. Nouvelle demande à Bajan. 7. Rejetée par les habitants.  8.  Menaces de Bajan.

1. DANS le temps que Bajan roulait dans son esprit le dessein de mettre le siège devant Sirmium, il viola le droit des gens en faisant emprisonner l'interprète Vitalien, et Comitas, que l'Empereur lui avait envoyés pour conférer avec lui.

2. Après qu'il eut battu les murailles de cette place; il fit faire des propositions de paix. Quelques habitants étant montés au haut du bain public, pour découvrir la campagne, ils aperçurent les ambassadeurs des Avares qui étaient encore fort éloignés; mais comme ils ne ne pouvaient reconnaître distinctement, ils croyaient que c'était un parti des ennemis. Ce qui fut cause qu'à l'heure méme ils en donnèrent avis à la Ville.

3. Bon était en peine de savoir au vrai ce que c'était ; mais quand il eut appris que c'étaient des ambassadeurs, il députa quelques personnes pour aller conférer avec eux hors de la Ville. Il était au lit à cause d'une blessure. Son médecin, nommé Théodore, ne lui voulait pas permettre de le montrer, de peur que les ennemis sussent qu'il était blessé. Il ajoutait néanmoins que s'ils l'avaient su, il aurait fallu le montrer, de peur qu'ils ne le crussent mort.

Quand les ambassadeurs virent qu'on leur envoyai un autre que le Gouverneur, ils crurent qu'il était mort, et ils demandèrent à le voir. Alors Théodore considérant ce qui était le plus expédient pour le bien de l' État, dit qu'il n'était plus temps de cacher le Gouverneur, et qu'il le fallait montrer aux Barbares. Ayant donc mis un appareil sur sa blessure, il le fit partir. Lorsqu'il fut en présence des ambassadeurs, ils lui parlèrent en ces termes.

4. Le Roi des avares nous a commandé de vous dire, ne me blâmez pas de faire une guerre dont vous êtes les premiers auteurs. Vous me voulez chasser avec violence d'un pays que j'ai acquis par une infinité de voyages, et de fatigues. Vous m'avez enlevé Udibade, qui était mon prisonnier par la loi des armes. Votre Empereur m'a chargé d'outrages sans avoir voulu depuis m'en faire aucune justice. Peut-on trouver à redire que j'aie pris les armes pour repousser la violence. Je fuis prêt néanmoins de terminer nos différends par un accommodement, et il ne tiendra qu'à vous de prendre la résolution de préférer la paix à la guerre.

5. Bon répondit :

Ce n'est pas nous qui avons pris les premiers les armes, ni qui avons fait irruption sur vos terres ; c'est vous qui l'avez faite sur les nôtres. Au reste l'Empereur avait dessein de vous donner de l'argent, et il l'avait déjà mis entre les mains de vôtre ambassadeur, mais quand il a vu que cela ne servait qu'à vous rendre plus arrogants, et qu'à vous faire tenir des discours qui font au dessus de l'état de votre fortune : comme il est ort avisé, il a jugé plus à propos de garder ce qu'il voulait donner. Que si vous désirez traiter des conditions de la paix y vous pouvez lui envoyer des ambassadeurs, car pour nous, nous n'avons pas le pouvoir de rien promettre contre ses intentions.

Bon ayant répondu de la sorte, Bajan trouva sa réponse raisonnable. il lui envoya néanmoins faire une nouvelle instance en ces termes.

6. J'ai quelque sorte de confusion que les peuples qui m'ont suivi en cette guerre, voient que je n'en tire aucun fruit. Je ne vous, demande que de petits présents. Quand je suis parti de la Scythie, je n'ai rien apporté avec-moi. Il m'est impossible de m'en retourner, sans recevoir auparavant quelque secours.

Ces demandes paraissaient justes à Bon, à l'Evéque de la ville, et aux autres, qui étaient avec eux. En effet Bajan ne demandait qu'une coupe d'argent, une petite quantité d'or, et une veste à la façon des Scythes. Néanmoins appréhendant de faire quelque chose de désagréable à l'Empereur, ils jugèrent à propos de répondre à Bajan de cette sorte.

7. Nous avons un Empereur qui se met aisément en colère. Nous appréhendons de le fâcher en agissant contre son intention. Au reste, nous n'avons point d'argent dans le camp, nous n'y avons que nos habits, et le bagage nécessaire. Vous jugez bien que nous ne pouvons vous donner nos armes, et que ce nous ferait un sujet de déshonneur. Ce que nous avons de plus précieux est loin d'ici. Que si l'Empereur a agréable de vous favoriser de quelque présent, nous en serons ravis, et nous ne différerons point de vous le donner de sa part, comme à notre ami à son sujet.

8. Bajan irrité de cette réponse, menaça, avec serment, d'envoyer les troupes sur les terres de l'Empire. Comme Bon lui dit, Qu'il ferait ce qu'il lui plairait; mais qu'il l'avertissait que ceux qui seraient si hardis que d'y venir, n'en auraient qu'un mauvais succès :

Il répondit, Que quand ceux qu'il y envoyait périraient, il ne s'en mettrait guères en peine.

Il fit donc traverser le Save à dix mille Cotriguriens qui sont de la nation des Huns, et leur commanda de ravager la Dalmatie. Cependant il traversa le Danube avec son armée, et s'arrêta sur les frontières des Gépides.

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CHAPITRE X.

1. Ambassade de Targitie. 2. Les Turcs portent les Romains à la guerre contré les Perses. 3. Conférence entre Tibère et Apsich. 4. L'Empereur désapprouve les conditions dont ils étaent convenus, 5. On en vient aux mains et les Avares ont l'avantage. 6. La paix est conclue. 7. Les Avares sont volés en chemin.

1.  TARGITIE vint une seconde fois en ambassade vers l'Empereur, fit les mêmes demandes, et reçut les mêmes réponses. Il prétendait Surmium comme une ville qui lui appartenait, en récompense de ce qu'il avait abattu la puissance de Gépides, il demandait la pension que Justin donnait aux Huns, et il promettait qu'en lui payant les années passées, la paix serait ferme et inviolable. Il souhaitait qu'on lui rendît Udibade, comme étant son prisonnier, et il fit de semblables propositions fort insolentes, que l'Empereur rejeta avec une majesté digne de la grandeur de l'Empire. Enfin après plusieurs instances faites inutilement pour le même sujet ; il lui donna congé, et il lui promit d'envoyer Tibère général de l'armée, pour examiner ses prétentions.

2. La guerre d'entre les Romains et les Perses procéda de plusieurs causes, mais elle procéda principalement des instances continuelles que les Turcs faisaient auprès de l'Empereur pour l'y engager. Ils le pressaient par leurs ambassadeurs à employer ses armes à la ruine de l'ennemi commun, pendant que de leur côté ils mettaient la Médie à feu et à sang  et ils lui représentaient, qu'il serait aisé à opprimer, s'il était attaqué en même temps, par deux si puissants ennemis. Justin se flattant de cette espérance, faisait tout son possible pour s'assurer de la fidélité des Turcs.

3. Les Avares envolèrent une nouvelle ambassade aux Romains sur les mêmes sujets que par le passé, mais après qu'ils eurent reçu plusieurs refus, causée par l'aversion que Justin avait pour leurs demandes, Tibère et Apsich eurent ensemble une conférence, dans laquelle ils demeurèrent d'accord, que les Romains abandonneraient les terres où les Avares habitaient par le passé, à la charge, que ceux-ci donneraient en otage les enfants des principaux de leur nation.

4. Tibère envoya ces conditions à Justin, qui ne les trouva pas avantageuses au bien de son Etat; D'autre part Apsich témoignait d'être éloigné de la paix, à moins qu'on ne lui donnât en otage les enfants de Tibère, que Tibère ne désirait pas de donner. Ce dernier se persuadait, que si les Romains avaient en otage les enfants des Avares, les pères ne permettraient pas au Cagan de rompre la paix, et qu'ils l'en détourneraient s'il lui en prenait envie. L'Empereur n'était pas de ce sentiment, au contraire il se mit en colère contre les gens de commandement, de ce qu'ils différaient de prendre les armes, et il leur manda, qu'ils devaient montrer la. grandeur de leur courage, et faire voir aux Barbares qu'ils étaient de véritables Romains, qui bien loin d'aimer une vie molle et délicate, ne respiraient que la guerre, et ne cherchaient que le travail.

5. Cet avis d'en venir aux mains, ayant prévalu, Tibère manda à Bon, de garder soigneusement les passages de la rivière.

Les Avares étant demeurés victorieux, on trouva à propos d'envoyer des ambassadeurs à Constantinople pour y traiter de la paix.

6. Le Capitaine Damien y fut envoyé pour informer l''Empereur de ce qui s'était passé, et de ce que prétendaient les Avares. Enfin, la paix fut conclue.

7. Comme les Avares s'en retournaient, certains peuples nommez Scamnes, sortirent d'une embuscade, fondirent sur eux, et leur enlevèrent leurs chevaux, leur argent, leur bagage.

Ils envoyèrent à Justin, pour se plaindre de la violence qu'on leur avait faite, et pour demander la restitution de ce qu'on leur avait pris. Les voleurs ayant été trouvés, ils furent obligés de rendre une partie du vol.

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CHAPITRE XI.

1. Le Roi de Perse envoie Sébode en ambassade vers l'Empereur. 2. Sébode en entrant à l'audience laisse tomber son bonnet. 3. Il confère avec l'Empereur

1.  QUAND la dixième année fut achevée des cinquante de la Trêve qui avait été faite après le massacre de Surinas, le Roi de Perse, envoya un ambassdeur nommé Sébode à l'Empereur. Cet ambassadeur faisant semblant de ne rien savoir de ce qui s'était passé en Persarménie, et d'ignorer que les Perses avaient reçu en un seul payement les dix années qui étaient échues, demanda les sommes dont on était convenu, moyennant quoi, il promit la continuation de la paix, La défiance que Cosroez avait eue que l'Empereur ne rompit la paix, l'avait fort inquiété. Comme il était accablé de vieillesse, et qu'il ne souhaitait rien tant, que de laisser ses Etats paisibles à ses enfants, il appréhendait que Justin ne prit les armes, et qu'il n'entrât sur les terres avec une formidable armée.

2. Lorsque Sébode entra, l'Empereur n'alla point au devant de lui, bien qu'il y eût été d'autres fois ; cela ne l'empêcha pas néanmoins, de se prosterner pour le saluer. Comme il se prosternait, il arriva que le bonnet qu'il avait sur la tête, selon la coutume des Perses, tomba par terre: ce que les Grands et le peuple prenant pour un heureux présage, ils flattèrent l'Empereur de l'espérance de voir la Perse plus soumise à sa puissance, qu'elle ne l'avait jamais été.

3. Justin enflé de cette vaine pensée, s'imaginait faire réussir heureusement tout ce qu'il voudrait entreprendre. C'est pourquoi lorsque Sébode lui proposa  le sujet de son ambassade, il n'en fit aucun état, et il le traita avec mépris. Il dit même,

Qu'une amitié fondée sur l'intérêt, n'était pas constante, qu'elle était honteuse et servile ; que pour être fiable, il fallait quelle fit également désintéressée de part et d'autre.

Il lui demanda ensuite .

S'il désirait conférer touchant ce qui était arrivé dans la partie de l'Arménie qui relève des Perses ?

Sébode répondit,

Qu'il avait appris par les lettres de son Maître, qu'il s'y était élevé quelque petit mouvement, mais qu'à l'heure même on y avait envoyé une personne capable d'y rétablir la paix.

Justin repartit,

Que si les Ρersarméniens se soulevaient, il serait obligé en considération de leur Religion de prendre leur protection,  et de ne les pas abandonner à la violence de leurs ennemis.

 Sébode qui était un des plus âges hommes qu'il y eut en Perse, et qui faisait profession, de ne point remuer des choses qui étaient en bon état, et de considérer que la guerre était l'affaire la plus douteuse qu'il y eut au monde, et qui succédait le moins selon l'opinion des hommes. Que quand il arriverait que les Romains remporteraient la victoire, l'avantage se tournerait à leur perte. Que s'ils entraient en Perse, et qu'ils y fissent de grands progrès, ils n'y trouveraient personne d'une autre Religion que lui. Que s'ils avaient la dureté de les faire passer par le tranchant de l'épée, ils seraient ensuite défaits eux-mêmes pour avoir répandu le sang des Chrétiens.

Justin ne crut pas se devoir laisser fléchir par des discours si doux et fi équitables, mais il dit qu'il fallait peu de chose pour le déterminer à la guerre, et que s'il la commençait une fois, il ôterait Cosroez du monde, et mettrait un autre Roi à sa place. Après avoir parlé de la sorte, il renvoya Sébode.

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CHAPITRE XII.

1. L'Empereur Justin envoie Jean en ambassade en Perse. 2. Jean pourvoit durant son voyage à la sûreté des villes. 3. Cosroez lui parle en faveur des Sarrasins. 4. Réponse de Jean. 5.. Ils confèrent touchant la Suanie. 6. Jean y envoie pour sonder la disposition des peuples, dont Justin ne fut pas content.

1.  JUSTIN neveu de Justinien envoya dans le même temps Jean fils de Domentiole en ambassade chez les Perses, pour y porter la nouvelle de la promotion. Il le chargea aussi de faire instance, s'il en trouvait l'occasion, pour la restitution de la Suanie, que les Perses retenaient encore, bien qu'elle dépendît de la Lazique qu'ils avaient rendue. Pierre, Capitaine des. Gardes qui avait conclu la trêve pour cinquante ans, n'avait pas terminé la contestation qui restait sur ce sujet. C'est pourquoi Justin commanda à Jean de proposer aux Perses que s'ils voulaient recevoir de l'argent pour lui abandonner cette province, il était prêt à leur en donner. Le pays ne produisait aucun revenu, mais l'assiette en était fort commode pour empêcher les Perses de faire irruption dans la Lazique.

2. Jean étant parti de Constantinople marcha avec grande diligence, et pourvut selon l'ordre de l'Empereur aux besoins des villes par où il passa. Quand il fut  arrivé  à Dara il y rétablit l'aqueduc, et y fît quelques autres réparations. Il fut obligé d'y demeurer dix jours, à cause d'une fête que l'on célébrait à Nisibe, pendant laquelle il ne pouvait être reçu. Après la fête que l'on appelait Furdiga, c'est à dire la fête des morts, fut accueilli par les principaux officiers de la ville, avec tous les honneurs qui étaient dus à sa dignité, en suite de quoi il continua son voyage. Quand il fut arrivé au Palais il y traita de toutes les affaires pour lesquelles il avait été envoyé.

3. Cosroez lui parla un jour des Sarrasins,qui sont des peuples fort nombreux, et fort jaloux de leur liberté. Ils habitent dans les déserts. Quelques-uns relèvent des Perses, et les autres des Romains. Comme Justinien était un Prince fort fin, et fort rusé, il avait fait pendant la paix, des largesses aux Sarrasins qui suivaient le parti des Perses ; mais comme il était aussi fort grave, et fort ferme, il les avait négligés depuis, et leur avait retranché des présents. Leur avarice leur fit ressentir le retranchement de cette libéralité avec la même douleur qu'ils auraient fait la perte de leur propre bien ; de sorte qu'ils s'allèrent jeter aux pieds de Cosroez, et le supplier de les protéger. Lors donc que Pierre lui fut envoyé en ambassade, ce Prince lui témoigna qu'il croyait qu'il était juste que les Romains continuassent aux Sarrasins la pension qu'ils leur avaient accordée, et il répéta la même chose à Jean. Pour les Sarrasins, ils soutenaient que c'était un tribut qui leur était dû, pour ne point faire de dégât sur les terres de l'Empire, quoi que cela ne fût pas vrai.

4. Lorsque Jean vit que ces Barbares faisaient des demandes si déraisonnables, et des plaintes si injustes, il dit,

Si c'était un autre qui embrassât le parti des Sarrasins, et. qui entreprît de les appuyer, je le trouverais moins étrange, mais j'avoue que je suis extrêmement surpris, de voir qu'un aussi grand Prince que Cosroez, qui fait juger sainement des choses, et qui n'est point notre ennemi, Je déclare pour une prétention imaginaire et sans fondement. Néanmoins, étant né Romain comme je suis, je ne perdrai pas courage; mais je lui ferai un récit exact de l'affaire, bien qu'il n'ait fat besoin d'une si ample instruction, puisqu'il en est déjà informé. Quand on représente à une personne la justice dont elle est persuadée, elle se l'imprime plus profondément dans l'esprit. Pierre qui est venu ici avant moi en qualité d'ambassadeur, et qui a si heureusement accompli le grand ouvrage de la trêve, aurait aisément détruit par la force de son éloquence, par la solidité de ses raisons, tout ce qu'on avance en faveur des Sarrasins. Pour moi, quoi que je n'aie point appris les préceptes de la Rhétorique, et que je ne sache point l'art de persuader, j'ai toutefois assez de confiance en la bonté de notre cause pour me promettre d'en faire voir la justice, pourvu que vous demeuriez dans une équitable indifférence, et que vous ne vous rendiez pas partisan passionné des Sarrasins qui sont les. plus injustes, et les plus ingrats de nos ennemis. Les Sarrasins qui étaient unis avec nous, ( je vous supplie de considérer leur légèreté, et leur perfidie,) avaient accoutumé de recevoir des présents de la libéralité de Justinien, qui prétendait gagner leur affection par ce moyen. L'amour qu'il avait pour la paix le portait a faire des largesses à des peuples qui ne les méritaient pas, et l'excès de sa bonté l'engageait à des dépenses qu'il n'aurait pas voulu faire, s'il est permis de le dire, pour les plus pressantes nécessités de ses affaires. Il y a une preuve certaine et indubitable que les Sarrasins n'ont rien touché à titre de pension, mais seulement à titre de libéralité, c'est qu'ils faisaient eux-mêmes de petits présents à Justinien, dont je crois qu'il n'y a personne qui ne demeure d'accord. Mais quand nous avouerions que c'était une pension que Justinien leur payait en exécution d'un Traité, elle serait éteinte par sa mort. La coutume, je dirai plus, la loi d'un seul homme quoi qu'élevé à la dignité de l'Empire, mais la Loi préjudiciable, et onéreuse, ne saurait lier tout l'Etat. Pour nous, nous sommes fort éloignés de vouloir rien donner aux Sarrasins. L'Empereur sous qui nous vivons, affecte autant de se faire redouter de tous les peuples par puissance, que Justinien recherchait de se faire aimer des Barbares par sa douceur.  Il ne faut donc pas que les Sarrasins attendent rien de nous. Tout ce que nous pouvons souhaiter en leur faveur, est, que notre Maître veuille bien entretenir avec eux la paix, et qu'il ne se persuade pas que le dernier Traité lui soit désavantageux, car s'il se le persuade une fois, il ne manquera pas de prendre les armes.

5. L'ambassadeur ayant achevé ce discours on ne parla plus des Sarrasins. Ayant depuis pris son tems pour conférer touchant la Suanie, sans qu'il parût qu'il le faisait à dessein, il représenta, qu'elle devait appartenir aux Romains, puisque la Lazique leur appartenait. Le Roi ayant goûté cette raison, il dit, qu'il en communiquerait avec son conseil. Jean en conféra quelque temps après avec Sich, et avec quelques autres des premiers, et des plus considérables des Perses, Ils témoignèrent qu'ils étaient prêts de rendre la Suanie, pourvu qu'on leur donnât de l'argent en récompense. Ils ajourèrent d'autres proportions fort honteuses, et fort indignes de la gloire des Romains, et qui ne convenaient point du tout à la réputation, que Justin avait acquise,  d'un esprit fort élevé et fort fier.

6. Jean, sans faire de réflexion sur le sentiment que pourrait avoir son Maître, le conduisît avec une extrême imprudence, en envoyant vers le Roi des Suaniens pour gagner son amitié. Ce fut Cosroez qui lui dressa ce piège, et qui le fit tomber dans cette faute, à dessein de connaître qui seraient ceux des Suaniens qui l'accueilleraient favorablement, et qui témoigneraient de l'inclination pour la domination romaine, afin de s'en venger dans la suite. Car il ne pouvait manquer d'apprendre ce que feraient ceux que Jean avait envoyés.

Quelque temps après il se répandit un bruit que Cosroez envoyait un ambassadeur à Rome pour accommoder cette affaire.

Lorsque Jean fut de retour à Constantinople, et que Justin sut qu'il avait envoyé dans la Suanie, sans en obtenir la restitution, il conçut contre lui une extrême indignation, et le blâma de s'être mal conduit dans son ambassade. Qu'il n'avait pas dû envoyer dans la Suanie, puisqu'il n'en avait point eu d'ordre, ni donner par là un prétexte spécieux aux Perses de couvrir leur injustice, en disant que c'était les Suaniens qui avaient aversion de la domination romaine. Qu'il n'avait point été envoyé pour persuader aux Suaniens de subir le joug de l'obéissance, ni pour procurer l'arrivée d'un ambassadeur. Justin l'éloigna pour ces raisons, comme un homme qui l'avait mal servi, et songea aux moyens de réparer ses fautes.

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CHAPITRE XIII.

1. Justin envoie Sémarque en ambassade vers les Turcs. 2. Sémarque trouve en chemin des Turcs qui lui offrirent du fer et qui firent sur lui certaines cérémonies profanes. 3. Il harangue Disabule. 4. Qui lui répond fort civilement, et qui le traite durant quelques jours avec beaucoup de magnificence. 5. Il le traite avec un ambassadeur des Perses, et en le renvoyant il envoie avec lui un ambassadeur à l'Empereur.

1. CEUX d'entre les Turcs qu'on appelait autrefois Saces, ayant envoyé une ambassade à Justin pour lui demander la paix, il se résolut de leur en envoyer aussi une, et il commanda à Sémarque, Cilicien de nation, et qui avait été Gouverneur des villes d'Orient, de se tenir prêt pour partir. Quand l'équipage qui lui était nécessaire pour un si grand voyage que celui-là, fut achevé, il se mit en chemin avec Maniac, et quelques autres, sur la fin de la quatrième année du règne de Justin, et dans la seconde de la trêve de cinquante ans, au commencement du mois que les Latins appelait le mois d'août.

2. Comme après, plusieurs journées ils furent arrivés dans le pays des Sogdoïtes, et qu'ils descendaient de cheval, ils rencontrèrent des Turcs qui, selon les apparences, leur avaient été envoyés, comme pour leur offrir du fer qu'ils avaient à vendre, afin de leur faire accroire qu'ils en avaient des mines en leur pays, où l'on croit que la nature n'en forme point. Il s'en présenta d'autres, qu'on disait avoir une vertu secrète de détourner les maux. S'étant approchés de Sémarque, ils prononcèrent confusément certaines paroles, sonnèrent des sonnettes, et ayant dans les mains une feuille d'encens qui avait été rompue par la violence du feu, ils le purifièrent avec la cérémonie qu'ils ont accoutumé d'observer en pareilles rencontres.

3.  Après cela, Sémarque partit, accompagné de ceux qui avaient ordre de le conduire, et étant arriνé à la pente d'une montagne nommée Éctac, c'est à dire, montagne d'or, ils trouverait Disabule sous une tente, dans une chaire à deux roues, où l'on attachait un cheval quand il en était besoin.. Ils le saluèrent, et lui firent des présents, que reçurent ceux à qui cette fonction appartenait. Sémarque lui parla de cette sorte.

Seigneur, qui commandez à tant de peuples, le grand Empereur, mon Maître, m'a fait l'honneur de me choisir pour vous venir témoigner, qu'en reconnaissance de l'affection que vous portez aux Romains, il souhaite que vous soyez comblé de prospérité, et de bonheur. Que vous remportiez la victoire, et que vous soyez toujours chargé des dépouilles de vos ennemis. Que la fourberie et l'envie, ces pestes de l'amitié, s'éloignent de nous. Nous souhaitons de tout notre cœur conserver une inviolable union, et une parfaite intelligence avec les Turcs, avec les Nations qui relèvent d'eux : et nous les supplions d'avoir pour nous les mêmes sentiments.

4· Voilà ce que dit Sémarque; à quoi Disabule répondit par de pareilles protestations d'amitié. Ils se mirent ensuite à table, et firent bonne chère, pendant tout le jour, sous cette tente, qui était parée de tapis de soie de différentes couleurs, mais d'un ouvrage fort simple. Ils ne burent point de vin, parce qu il n'y a point de vignes dans le pays ; mais ils burent d'un autre breuvage de la façon des Barbares, qui ne laissait pas d'être tort doux, et  fort agréable. Après cela, ils se retirèrent en l'appartement qui leur avait été préparé.

Le jour suivant ils s'assemblèrent dans une autre tente, qui était aussi parée de tapis de soie, et ornée de différentes figures. Disabule était assis sur un lit d'or. Il y avait au milieu de la tente des urnes, des cuvettes, et divers autres vases de même métal. Ils firent encore en cet endroit un festin fort magnifique, pendant lequel ils s'entretinrent de discours fort plaisants. Ils allèrent ensuite dans un autre appartement, où il y avait des colonnes de bois doré, et un lit d'or soutenu par quatre paons d'or. Il y avait à l'entrée force chariots chargés de vaisselle d'argent, de plats, d'assiettes, de statues de divers animaux, qui ne cédaient point en beauté, ni en prix à celles qui sont parmi nous, et qui faisaient les délices de Disabule.

5. Pendant que Sémarque était auprès de ce Prince, il désira de le mener avec vingt de la suite, à l'expédition qu'il allait entreprendre contre les Perses, et il laissa cependant les autres dans le pays des Cliatoriens. En partant il les régala de quelques présents. Il donna aussi une concubine à Sémarque, du nombre de celles que l'on appelé Cerchises. Disabule ayant ainsi emmené Sémarque, et ayant fait quelque chemin avec lui, ils s'arrêtèrent dans un lieu, nommé Talas. Là un ambassadeur des Perses vint trouver Disabule, par qui il fut convié à souper avec Sémarque, à qui il donna la première place, et à qui il fit de plus grands honneurs qu'à l'ambassadeur. Pendant le repas il se plaignit des injures qu'il avait reçues des Perses, et il dit qu'il était venu pour s'en venger par les armes. Comme Disabule élevait sa voix, et qu'il continuait à le plaindre avec plus d'aigreur qu'au commencement, l'ambassadeur des Perses violant la régie du silence qu'on a accoutumé de garder pendant le repas se mit à discourir amplement sur chaque chef, et à réfuter les plaintes de Disabule, avec autant de hardiesse que de liberté, tellement que chacun s'en étonnait.

Quand ils se furent séparés, Disabule marcha contre les Perses, et ayant mandé Sémarque, il renouvela les protestations d'amitié et d'affection envers les Romains, et le congédia.

Il envoya avec lui un ambassadeur vers les Romains, en la place de Maniac, qui était mort. Cet ambassadeur se nommait Tagma, et avait la charge de Tarcon, qu'il possédait comme par succession, et que Disabule lui avait donnée pour l'attacher plus étroitement à son service. Sémarque ayant rejoint les Romains, a qui il avait commandé de l'attendre au lieu que nous avons marqué, ils se mirent tous en chemin, et ayant quitté la ville des Coalites, ils marchèrent le long de divers Forts

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CHAPITRE XIV.

I, Bajan Prince des Avares envoie une ambassade à l'Empereur. 2.. Harangue de l'ambassadeur. 3. Réponse de l'Empereur. 4. Il commande à Bon de faire les préparatifs nécessaires pour la guerre.

1.  Il prit envie à Bajan Prince des Avares d'envoyer une ambassade aux Romains, pour faire la paix avec eux. Il demanda aussi de l'argent à Vitalien pour s'abstenir de faire des courses pendant la trêve. Jebudas ayant reçu huit cents écus du Gouverneur d'Illyrie, les donna à Bajan. De plus ce Bajan envoya Targitie et l'interprète Vitalien, à l'Empereur, pour lui demander la ville de Sirmium, et la même somme d'argent que Justinien payait autrefois aux Cotriguriens, et aux Utriguriens qu'il avait depuis vaincus, et pour lui redemander Udïbade Gépide. Lorsque les ambassadeurs furent arrivés au palais de l'Empereur, Targitie lui parla en ces termes.

2. Je suis venu ici de la part de votre fils : car vous êtes en effet le père de Bajan, et je ne doute point que vous ne lui témoigniez une affection de père, en lui rendant ce qui lui appartient. Quand vous nous l'aurez rendu, il ne, fera pas moins à vous qu'à nous-mêmes. Ne lui ferez-vous pas des présents ? En les lui faisant, vous ne les serez ni à un étranger, ni à un ennemi. Vous en demeurerez toujours, le maître, et  ils retourneront à vous par les mains de vôtre fils. Ce qu'il vous demande par ma bouche, c'est la ville de Sirmium, l'argent que Justinen avait accoutumé de payer chaque année aux Utriguriens, qui sont des peuples soumis maintenant à son obéissance,  Udibade, et son bien. On ne peut nier que tout cela n'appartienne à Bajan.

Voilà ce qui dit Targitie ; à quoi l'Empereur répondit en ces termes.

. 3. Il paraît par votre discours, que vous n'êtes pas venu ici pour faire la fonction d'ambassadeur,  mais pour nous faire connaître les mœurs des Avares, que nous ne connaissions pas. Quand nous demeurerions d'accord que Justinien donnait une pension aux Huns, c'était plutôt par quelque sorte de pitié de leur misère,et  par l'aversion naturelle qu'il avait de répandre le sang,  que par aucune appréhension de leur puissance. Ce serait une chose ridicule de donner des marques d'amitié à ceux-mêmes à qui on donne des batailles. Or il est certain que nous en avons donné aux Cotriguriens, et aux Utriguriens, et que nous les avons défaits. Est-ce que nous vous donnerions les dépouilles de ceux que nous avons vaincus ? Ce serait une étrange inégalité de conduite, que de prendre la peine de vaincre, et de céder le fruit de la victoire à d'autres. Que si nous ayons eu autrefois assez peu de prudence pour vous abandonne, c'est une faute dont nous me voulons pas faire une règle. Prétendez-vous que nous vous livrions Udibade ? Nous ne sommes pas si insensés que de faire une telle profusion de notre bien, et surtout en faveur de Barbares qui ne travaillent qu'à la ruine de notre Empire. Mon prédécesseur a assemblé les Gépides qui vivaient auparavant dispersés de côté et d'autre, et il leur a donné Surmium oour y habiter, La guerre s'étant émue depuis entre eux et les Lombards, nous en avons couru le hasard, et nous les avons rendus victorieux par notre secours, sans lequel ils seraient tombés dans une misérable servitude. Cependant ils ont mal reconnu nos bienfaits, ils ont été si ingrats, que. de nous tendre des pièges. En quoi ils se sont sans doute rendus indignes de pardon. Néanmoins, comme nous avons accoutumé de mépriser les fautes que l'on commet contre nous, plutôt que de les punir avec la sévérité qu'elles méritent, nous ne nous sommes pas vengés de leur ingratitude comme il nous aurait été aisé de le faire, et nous n'avons point tiré d'avantage de leur disgrâce lorsque d'autres les ont opprimés. Les choses étant.en cet état, nous tournons contre vous les demandes et les plaintes que vous nous faites, et nous prétendions que vous nous rendions les Gépides, comme vous prétendez que nous vous rendions Udibade. Etant Romains, nous sommes en possession de réparer par notre sagesse les fautes qui auraient été commises par inadvertance. Vous demandez que, nous vous rendions Sirmium, et vous-vous imaginez que nous appréhendions d'être obligés de prendre les armes. De plus vous nous menacez que le Cargan passera le Danube; et l'Hèbre, et qu'il entrera en Thrace. Mais sachez que nous le préviendrons, et qu'il sera frustré se ses espérances. Nous courrons et nous ravagerons son pays. Nous y mettrons tout à feu et à fang, nous en enlèverons tout ce qui se peut emporter, et nous ferons voir que la guerre nous est plus utile que la paix. Il vaut mieux avoir les Avares, et leurs semblables pour ennemis, que pour amis, puisque leur amitié est suspecte, et trompeuse.  Il vaut mieux avoir des blessures dans le corps, que dans le coeur. Enfin, Targitie, nous avons des armes, des chevaux, et des hommes tout prêts, et le plus mauvais parti que nous puissions prendre, est de demeurer en repos.

4. L'Empereur ayant parlé avec cette fierté, renvoya l'ambassadeur. Il écrivit néanmoins à Bon, pour lui faire une rude réprimande de ce qu'il lui avait envoyé cette ambassade, et pour lui commander de tenir les armes et les machines prêtes, dans l'opinion que la guerre allait commencer contre les Avares. Bon ne manqua pas d'exécuter ces ordres avec diligence.

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CHAPITRE XV.

1.  Le Roi de Perse envoie un ambassadeur nommé Jacques, à l'Empereur Justin avec une lettre par laquelle il lui offre la paix. 2 Justin étant malade, l'Impératrice Sophie lit la lettre et fait réponse, qu'elle enverra en Perse un ambassadeur pour traiter des conditions de la paix,

1. JUSTIN sentant que son esprit s'affaiblissait, se déchargea sur Tibère du maniement des affaires. Comme Tibère et l'Impératrice Sophie ne savaient à quoi se résoudre touchant la guerre, le Roi de Perse les délivra de cette peine, en envoyant un ambassadeur nommé Jacques, qui savait la langue grecque. Ce Prince considérant que les Romains étaient réduits au désespoir, et qu'ils seraient ravis de faire la paix à quelque condition que ce fût: que néanmoins ils ne voulaient pas la demander, à cause qu'ayant pris les premiers les armes, ils avaient honte de les mettre bas les premiers ; il fut bien aise de leur en épargner la honte. Il crut aussi que ce lui serait une occasion favorable de faire une paix glorieuse, les Romains n'étant pas en état de rien réfuser de ce qu'il leur demanderait.

La lettre qu'il écrivit n'était pas de lui. Il était trop jeune pour l'avoir faite. Ce n'était pas aussi l'ouvrage d'un homme sage. Elle était pleine de vanteries peu convenables à un Prince qui n'avait point encore d'expérience. Elle était toute chargée de reproches, d'injures et d'autres termes, qui ne pouvaient partir que d'un esprit enivré d'orgueil.

2. Jacques ne fut pas introduit devant Justin, qui était malade : mais devant l'Impératrice Sophie, qui administrait les affaires avec Tibère. L'Impératrice ayant lu la lettre, fit réponse., qu'elle enverrait un ambassadeur en Perse, pour y conférer de tous les différends des deux nations. Elle y envoie en effet Zacharec, qui était un des médecins de l'Empereur, et elle le chargea de ses lettres.

Sous le règne de Tibère, les commandants des troupes romaines firent irruption en Albanie, et après, avoir reçu des otages des Sabiriens et de quelques autres nations, ils revinrent à Constantinople.

L'Empereur reçut très humainement les ambassadeurs des Alains et des Sabiriens qui voulaient se donner à lui ; Il leur demanda quelles libéralités ils avaient reçues du Roi de Perse. Après leur avoir donné la liberté d'exagérer la vérité, il leur dit,

J'en donnerai une fois autant, non seulement à ceux qui font dans les dignités,  mais à vous.

Les Barbares furent ravis de cette promesse, et ils ne savaient comment témoigner la joie qu'ils ressentaient de s'être assujettis aux Romains. Ils rapportèrent,qu'Abéïr était proche, et qu'il venait sans se mettre en peine des otages qu'il avait laissés chez les Perses, L'Empereur eut une autre conférence avec les ambassadeurs, dans laquelle il leur parla fort à propos. Il promit de traiter favorablement ceux qui se rendraient d'eux-mêmes, et de réduire par la force ceux qui refuseraient de se soumettre.

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CHAPITRE XVI.

1. L'Impératrice Sophie envoie en Perse Zacharie, médecin de Justin, qui y fait une trêve d'un an. 2. Trajan et Zacharie conviennent d'une autre trêve pour cinq ans. 3. L'Empereur ayant refusé de la ratifier les Perses pillent les terres. 4. Il envoie Théodore pour remercier le Roi de Perse des honneurs qu'il avait tendus à Trajan. 5. Cosroez, au lieu de donner audience à Théodore, entre la main armée en Persarménie. 6. Il reçoit humainement Théodore, et ne laisse pas de continuer la guerre.

1. L'IMPERATRICE Sophie envoya Zacharie, le médecin de Justin, en ambassade vers Cosroez. Quand il fut arrivé en Perse, ii y compta quarante cinq mille écus d'or pour obtenir une trêve d'un an, pendant lequel l'impératrice enverrait une plus grande ambassade pour conclure la paix, et pendant lequel, Justin aurait le loisir de rétablir sa santé. Ainsi, la trêve fut faite pour cette année en Orient, et en Arménie, après quoi l'ambassadeur s'en revint à Constantinople. Dans le même temps Eusèbe y fut rappelé

2. Trajan, qui était honoré de la dignité de Patrice, etde la charge de Questeur, laquelle, comme je crois tire son nom des recherches, et des perquisitions auxquelles ce Magistrat est obligé, et Zacharie, de qui nous avons parlé ci devant, furent envoyés ensemble pour obtenir, s'il leur était possible, pour l'Orient et pour l'Arménie, une trêve pour trois ans pendant lesquels les deux Princes viendraient conférer sur les frontières, touchant les moyens de faire la paix

Lorsque ces ambassadeurs furent arrivés, ils proposèrent au Roi de Perse ce que je viens de dire ; Il se fit plusieurs discours de côté et d'autre, les Romains demandant une trêve de trois ans, et les Perses désirant qu'elle fût de cinq. Mais les Romains ne purent obtenir ce qu'ils demandaient, et la trêve ne leur fut accordée qu'en Orient, pour cinq ans, pendant chacun desquels ils payeraient trente mille écus. Il fut néanmoins convenu que le Traité demeurerait nul, si l'Empereur n'avait agréable de le ratifier.

Comme Tibère commencent à prendre connaissance des affaires, Trajan et Zacharie lui mandèrent, que les Perses ne voulaient point faire la trêve pour trois ans, mais qu'ils la voulaient pour cinq. Tibère, qui ne désirait point de trêve si longue, leur récrivit, qu'ils la demandassent pour deux ans, et que s'ils ne la pouvaient obtenir pour deux, ils ne l'accordassent pas pour plus de trois. Les ambassadeurs ayant reçu cette lettre, la lurent en présence de Mébode, qui était venu tout exprès sur la frontière de Dara, pour en en¬tendre la lecture.

3. Les Perses voyant que l'Empereur n'avait pas intention de ratifier la trêve que ses ambassadeurs avaient accordée pour cinq ans, envoyèrent Tancosro courir et piller les terres, et mettre tout à feu et à fang, aux environs de Dara. Néanmoins, les ambassadeurs ayant donné leur parole à Mébode de payer trente mille écus, par chacune des trois années de la trêve, il fut arrêté qu'il se ferait une assemblée des Principaux des deux Nations, où il serait délibéré sur les moyens de terminer tout-à-fait la guerre. L'Empereur avait embrassé cet avis, dans la pensée que l'espace de trois ans était suffisant pour amasser des troupes, et pour faire d'autres préparatifs. Les Perses le reconnurent aisément, mais ils le méprisaient de telle sorte, qu'ils croyaient que quand il aurait eu un plus long terme, il aurait été encore trop faible pour leur résister.

Pendant qu'on entretenait la trêve en Orient, on porta la guerre en Arménie, dès le commencement du printemps.

4. Tibère envoya Théodore fils de Bacchus en ambassade vers le Roi de Perse, pour le remercier des honneurs qu'il avait rendus à Trajan, lorsqu'il avait été vers lui en qualité de grand ambassadeur. C'était une coutume établie depuis longtemps entre les deux nations, d'envoyer de petits ambassadeurs pour faire des remerciements de la favorable réception qu'on avait faites aux Grands, et il lui donna charge de dire, qu'il était prêt d'envoyer des plus qualifiés de son état sur les frontières, pour conférer touchant la paix, et pour la conclure avec ceux qu'il aurait agréable de nommer de sa part.

5.. Cosroez laissa Théodore à Dara, et reprit ceux qui avaient charge de le conduire, leur faisant entendre que c'était de lui qu'ils devaient recevoir les ordres touchant la manière de traiter les ambassadeurs. Cependant, il commença à temporiser et à user de remises envers Théodore. Il avait envie de recevoir l'ambassade, et de faire la guerre, afin d'imprimer par ce moyen plus de terreur aux Romains. Il marcha, pour cet effet, le long d'un pays qu'on appelle le pays des Arêtes des Mareptiques, et il s'arrêta dans la Persarménie où les Romains ne croyaient pas qu'il dût sitôt venir. Car comme les Perses n'avaient pas accoutumé d'y paraître, ni de commencer la guerre. avant le mois d'août, Cosroez anticipa ce temps-là, et prévint les Romains, à dessein de les empêcher, comme il fit, de rien exécuter de considérable cette année-là. En effet, ils n'avaient point de troupes. Les soldats qui avaient servi sous Curse, et sous Théodore s'étaient débandés, sur l'avis qu'ils avaient eu que l'Empereur était en colère contre eux, et qu'il avait résolu de les punir, de ce qu'ayant fait irruption en Albanie, ils avaient épargné les Sabiriens, au lieu de les faire passer par le fil de l'épée,et de ce qu'ils s'étaient fiés aux otages qu'ils avaient entre les mains, en quoi ils avaient reconnu, depuis, qu'ils avaient agi tort imprudemment, vu que Sabir s'était aussitôt soulevé contre les Romains. Comme ils étaient fâchés de cette faute, et qu'ils désiraient de la réparer, ils entrèrent une seconde fois dans l'Albanie, et envoyèrent des ambassadeurs aux Sabiriens, et aux Albanais, pour les attirer avec leurs familles au deçà du fleuve Cyrus, et pour les faire vivre à l'avenir sous la domination des Romains. Voilà à quoi s'occupaient Théodore et Curse.

L'Empereur ayant mandé Justinien Gouvernent d'Orient, pour aller commander les troupes en Arménie, il ne put venir, parce qu'il en avait reçu l'ordre trop tard. De plus, l'argent qui était dû aux soldats, ne leur ayant point été envoyé, toutes ces circonstances concourant ensemble, furent cause que Cosroez ne trouva point de difficulté à s'emparer de l'Arménie .Les receveurs des impositions publiques n'abandonnèrent point la petite Arménie, au contraire ils fournirent des vivres aux Perses. Mais comme Cosroez voulut aller plus avant, ceux qui habitaient dans le pays des Macrabandes, et des Taranes, s'enfuirent de leurs demeures, tellement qu'il n'y trouva ni hommes, ni bêtes. Il marchait avec la fureur d'un implacable ennemi, il ruinait et désertait toutes les terres par où il passait; de sorte que ceux qui auraient voulu y chasser, n'y auraient pas aisément trouvé de gibier.

6. Cependant, Théodore fils de Bacchus vint trouver Cosroez, qui le reçut humainement, s'entretint familièrement avec lui, et lui témoigna qu'il souhaitait toute sorte de prospérité à l'Empereur, et qu'il avait intention de conserver son amitié, que ce n'était point lui qui avait donné sujet à la rupture, mais Justin, ce qu'il avançait contre la vérité.

Il marcha, ensuite, suivi de Théodore, par la Vadiane. Il s'empara sur la fin du printemps, de la partie d'Arménie qui relevait des Romains, et qui était aux environs de Théodosiopole. La nouvelle de cette exédition fut bientôt après portée à Constantinople.  Il se campa vis à vis de la ville dont je viens de parler, du côté de Midi, dans une contrée nommée Abarysson. Cependant, ce que les Romains avoient pu ramasser de soldats étaient dans un lieu appelé Sinagomène, au pied d'une montagne.

Cosroez rangea la cavalerie en bataille, en présence de Théodore, et parcourant les escadrons de cavalerie, il affectait, sans en faire semblant, de lui faire voir, que quoi qu'il fût de petite stature,  il ne laissait pas d'être de forte complexion.

Comme il jugeait ne pouvoir réduire l'Arménie, et l'Ibérie, sans s'être auparavant rendu maître de quelque place importante, où il établit la demeure, et d'où il envoya ses troupes, il se résolut d'assiéger Théodosîopole. Découvrant donc son dessein, et se vantant de l'exécuter, il demanda à Théodore, laquelle était la plus difficile à prendre, ou Théodosiopole, ou Dara? Théodore lui répondit fort sagement, qu'une ville que Dieu garde, est une ville imprenable. Cosroez reconnut, avant que de renvoyer Théodore, que la ville était munie de tout ce qui était nécessaire pour se bien défendre ; en le renvoyant il lui donna des lettres pour l'Empereur, par lesquelles il lui mandait, qu'il avait grande inclination pour la paix, et que si Théodore fut arrivé avant qu'il eût été en campagne,il n'aurait pas commencé la guerre; mais que maintenant qu'il y était engagé, il ne pouvait plus licencier ses troupes, sans quelque sorte d'infamie, vu que les hommes ne font rien que pour le profit, ou pour la gloire. De plus, il lui promettait d'envoyer des ambassadeurs sur la frontière, pour traiter des conditions de la paix: Tel était le sens de la lettre. Théodore lui ayant demandé une cessation d'armes, il la lui accorda pour quarante jours, jusqu'à ce qu'il eût reçu réponse de Justin.

Ayant  reconnu depuis, qu'il ne pouvait emporter la ville par assaut, ni abattre les murailles avec ses machines, voyant que l'armée romaine était arrivée, il leva le siège

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CHAPITRE XVII.

1.  Trajan et Zacharie traitent d'une trêve. 2.  Cosroez prend les armes. 3. Générosité de Tibère. 4. Lettre qu'il écrit à Cosroez. 5. Lettre de Cosroez..

1.  Trajan et Zacharie, médecin de l'Empereur ayant proposé une trêve, et en ayant rédigé les articles par écrit, en présence des Perses, il y eut plusieurs discours avancés de part et d'autre. Les Perses refusèrent de signer. Mébode imposa silence, et dit qu'il fallait lui compter l'argent qu'il demandait ; Sinon, qu'il enverrait cet homme ravager ce que les Romains avaient en Orient. En disant cela, il montrait Tancosro, qui fit en effet le dégât, jusqu'à ce que Trajan eût envoyé à Mébode l'argent qui lui avait été promis pour la trêve. Mébode traita les Romains avec un tel mépris, qu'il refusa de recevoir leur argent sur la frontière, et qu'il les obligea de courir le risque de le conduire à Nisibe. Il leur fit encore d'autres traitements fort fâcheux et fort insolents.

2.  Cosroez espérait que quand il aurait pris les armes avant la fin de la trêve, les affaires en retomberaient toujours au même état : que s'il faisait quelle exploit considérable, les Romains en seraient épouvantés, qu'ils viendraient aux supplications, et qu'ils abandonneraient la Perfarménie, et l'Ibérie, afin de sauver l'Orient. D'ailleurs, il avait eu avis que l'Empereur faisait des levées, et qu'il préparait des bateaux pour porter de la Cavalerie, bien qu'il s'en fallût plus de quarante jours que la trêve ne fut expirée. Il entra donc, sur les terres de l'Empire du côté de Dara, et il jeta dans la Mésopotamie vingt mille hommes de cheval, dont il y en avait douze mille qui étaient Perses qui étaient armés d'arcs, et de boucliers. Cependant, les Sarrasins et les Sabiriens délibéraient avec les principaux des Romains, par où l'on ferait passer les habitants des montagnes.

L'impudence avec laquelle Cosroez viola si ouvertement la trêve, quoi qu'il n'en restât que peu de temps, le rendit extrêmement odieux, il le mit en réputation d'être ambitieux, et entreprenant. On remarqua, surtout, qu'il avait envoyé dans le même tems, conférer de la paix, sur la frontière, par un ambassadeur qui avait été l'auteur de la guerre. Il se nommait Mébode, et avait pour compagnon Sapoez, fils de Mérane, qui était estimé homme de coeur.

3. Tibère couronna le décret par une action fort agréable à Dieu. Il rendit gratuitement à Cosroez plusieurs prisonniers, parmi lesquels il y en avait d'illustres par leur naissance, et quelques-uns même qui avaient l'honneur d'être de la famille royale. Il envoya ensuite Zacharie son médecin, ambassadeur vers les Perses, de qui il avait reçu d'importants services en diverses ambassades, pendant le cours de cette guerre. Il l'honora de la qualité d'ex-consul, afin qu'il s'acquittât de cet emploi avec plus d'éclat, et il lui donna pour compagnon,Théodore,qui était un de ses gardes, et qu'il avait fait capitaine. Il les chargea d'une lettre fort civile pour Cosroez. En voici les termes.

4. Je désire sincèrement la paix, et je la recevrai comme un riche présent de Dieu.  Je me sens porté à rechercher votre amitié par une forte inclination que la nature a gravée dans le fond de mon cœur. Je suis prêt de vous céder la Persarménie, et l'Ibérie, bien que les peuples qui les habitent souhaitent de vivre sous ma domination. Je vous donne le Fort d'Asurme, et celui d'Arsanice, et je ne vous demande en échange, que la ville de Dara.

 Voilà ce que contenait la lettre dont Zacharie et Théodore furent chargés.

5. Bien qu'ils eussent un plein pouvoir de faire la paix aux conditions qu'ils le jugeraient à propos, et qu'ils eussent accepté cette charge, néanmoins Cosroez étonné des mauvais succès qui lui étaient arrivés., contre son attente, envoya un autre ambassadeur qui les prévint, et qui arriva avant qu'ils fussent partis. Il était Perse de nation, et s'appelait Pharacdate. Il apporta une lettre, par laquelle le Roi son maître disputait en civilité, et en honnêteté avec l'Empereur. J'en rapporterai ici les propres paroles.

Si vous vouliez faire justice, vous me livreriez les chefs des tribus de la Persarménie, qui ont excité les peuples a la révolte, afin que je les châtie comme ils le méritent, et vous répareriez les dommages que j'ai soufferts. Que si ce que je propose ne vous est pas agréable, vous ne pourrez au moins refuser un devoir d'amitié, qui est de trouver bon que les plus considérables des deux nations qui se trouveront les plus proches de la frontière s'assemblent pour conférer touchant les conditions de la paix. Et afin que la conférence soit plus paisible, et que le succès en soit plus heureux, consentez à une suspension d'armes.

Voilà ce que contenait la lettre

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CHAPITRE XVIII.

1. Ambassade envoyée par Cosroez,. 2. Réponse de Tibère. 3. Il envoie des ambassadeurs sur la frontière. 4. Cruauté de Cosroez 5. Longue conférence entre les ambassadeurs. 6. Guerre entre les Romains et les Perses. 7. Ambassade envoyée par le Pape.

1. TANDIS que les. Capitaines des troupes romaines faisaient le dégât dans la partie de l'Arménie qui relève des Perses, Nadoet arriva en qualité d'envoyé de Cosroez. Ce Roi l'avait choisi pour porter la réponse aux propositions de Théodore, dans le dessein d'envoyer des plus qualifiés de son royaume sur les frontières d'Orient, pour terminer la guerre, et pour décider, avant toutes choses, lequel des deux Etats avait rompu la trêve de cinquante ans.

2.. L'Empereur répondit fort sagement à cet envoyé,

Qu'étant encore jeune, au lieu que Cosroez était dans, langueur de son âge, il ferait gloire de le suivre en toutes choses, soit qu'il désirât prendre les armes, ou demeurer en repos.

Après cette réponse, il lui donna congé.

3. Il envoya bientôt après des ambassadeurs en Orient pour y terminer les différends avec les ambassadeurs des Pesles. Ces ambassadeurs étaient Théodore fils de Pierre, qui avait été capitaine des Gardes, et qui  était alors questeur ou trésorier des menus plaisirs, ou des largesses : car en latin on appelle larges ceux qui sont libéraux, Jean et Pierre, qui avaient été consuls, et Zacharie médecin. Quand ils furent arrivés à Constantine, qui est une ville assise entre deux rivières, ils attendirent Mébode Sannacodrugas qui devait venir à Nisibe, et à Dara avec un plein pouvoir.

4. Dans le même temps Cosroez fit mourir un contrôleur de l'Empereur, à cause qu'étant son prisonnier, il avait écrit à l'Empereur, Que les affaires, des Perses étaient en mauvais état, et que la conjoncture était favorable pour les attaquer.

5. Lorsque Mébode fut venu sur la frontière, il y eut contestation sur le lieu de la conférence, les Romains demandant que ce fut aux environs de Dara, comme à l'endroit le plus commode, et les Perses soutenant que Dara étant de l'obéissance des Romains, ce n'était pas un lieu neutre. Enfin ils demeurèrent d'accord de s'assembler dans un lieu nommé Atraléon, où tout ce qu'il y avait aux environs de personnes considérables des deux partis, se trouvèrent avec les ambassadeurs.

Ils proposèrent d'abord les sujets de plainte que chaque nation avait contre l'autre, et ils s'accusèrent réciproquement d'avoir rompu la trêve, et d'avoir commencé la guerre. Il y eut divers discours avancés sur ce sujet, par lesquels chaque parti s'efforça de signaler son zèle pour la défense de sa nation. Les ambassadeurs cherchèrent ensemble les moyens d'établir la paix, et après avoir dit beaucoup de choses à propos, beaucoup hors de propos, ils demeurèrent d'accord de ne plus examiner qui étaient ceux qui avaient rompu la trêve, et de se contenter de chercher les moyens de poser les armes. Mébode demanda,

Que les Romains payassent aux Perses trente mille écus par an, conformément,
aux traités qui avaient autrefois été faits avec Justinien. Qu'ils abandonnassent l'Arménie et l'Ibérie.  Qu'ils remissent les rebelles entre les mains du Roi, pour en user comme ils jugeront à propos.

Théodore et Zacharie répondirent, suivant leurs ordres :

Que les Perses ne devaient pas espérer que les Romains se rendissent leurs tributaires, ni qu'ils achetassent la paix a des conditions si honteuses. Que quand ils l'auraient achetée, elle ne serait pas durable. Qu'il fallait mettre à part ces déraisonnables prétentions, et voir à quelles conditions on pourrait établir un bon accord.

Après de Iongues contestations et de pressantes instances faites par les Perses pour le paiement des arrérages de la pension de trente mille écus, Mébode s'avisa de montrer une lettre, par laquelle son Maître lui mandait qu'il désirait se mettre dans les bonnes grâces de l'Empereur, et que pour cela, sans parler d'argent, il conclût la paix à des conditions raisonnables. Dès que cette nouvelle fut répandue dans Constantinople, le Sénat, et le peuple furent ravis de joie, et tout le mon¬de fut persuadé que le temps était venu auquel on poserait les armes, vu que l'Empereur était résolu de céder la Persarménie et l'Ibérie aux Perles, à cause qu'il savait qu'à quelque faiblesse qu'ils fussent réduits, ils ne demeureraient jamais en repos tant qu'ils seraient privés de ces deux Provinces. Il ne désirait pas néanmoins que cette cession fut préjudiciable aux principaux habitants de ce pays-là, ni à leurs proches, de il ne voulait faire la paix qu'à la charge qu'ils auraient la liberté de demeurer dans l'étendue de l'Empire. L'Empereur avait grand égard au serment qui avait autrefois été fait par Justinien en faveur des Persarméniens et des Ibénens, par lequel il leur avait juré de faire tous ses efforts pour réduire leur pays à son obéissance et s'il n'en pouvait venir à bout, de ne livrer jamais aux Perses les auteurs du soulèvement, ni leurs parents, ni les autres qui désireraient établir leur demeure dans les terres de son royaume. Le Roi des Perses semblait être bien aise que les Romains lui rendirent la Persarménie et l'Ibérie, et consentait volontiers que les habitants de ces Provinces changeassent de demeure, et s'allassent établir ou il leur plairait. En quoi je trouve qu'il agissait fort sagement; en effet, il savait bien qu'à la réserve d'un petit nombre de personnes qualifiées, qui avaient excité les mouvements, les autres seraient touchées de la passion que la nature a gravée dans le cœur de tous les hommes, de demeurer au lieu d'où ils ont tiré leur naissance. De plus il espérait de rétablir pendant la paix ces deux Provinces si fertile, et d'y lever des impositions fort considérables. Voilà ce qui porta le Roi de Perse à faire la paix à cette condition.

L'Empereur désirant retrancher les sujets de guerre, qui pourraient naître à l'avenir, désira que les Perses lui abandonnassent Dara, en échange de la Persaménie et de l'Ibérie. En cela néanmoins il ne considérait pas son intérêt, parce que cette ville n'est d'aucun revenu, et que tout l'avantage qu'elle produit, est de servir comme de rempart du côté d'Orient. C'était une petite consolation aux Romains de rentrer dans la possession de cette place qui leur appartenait, et de ne railler, pour laisser dire, aucune étincelle qui pût allumer un nouvel embrasement. Voilà les motifs qui poussaient l'Empereur à vouloir conserver cette ville, ou par argent, ou autrement. Les Perses étaient d'accord de faire la paix à des conditions raisonnables plutôt que d'en venir aux mains, mais ils ne voulaient pas céder Dara, pour quelque somme que ce fût, grande ou petite, que les Romains ne leur eussent livré auparavant la Persarménie et l'Ibérie.

Pendant que les ambassadeurs contestaient sur ce sujet, on en vint au» mains dans l'Arménie, où les Romains ayant été défaits, les Perses en devinrent plus fiers, tellement que leur Roi publiait hautement qu'il ne rendrait point Dara, qui lui appartenait par le droit des armes, et qu'il se plaignait de ce que les Romains retenaient la Persarménie, et l'Ibérie, après les avoir usurpées, et qu'ils en protégeraient les habitants qui étaient des sujets rebelles. Voilà comment l'insolence de ce Barbare, qui dès auparavant n'était que trop grande, s'enflait par là nouvelle prospérité.

D'ailleurs, il menaçait de prendre les armes, et de porter la guerre en Occident, avant que les trois années de la trêve, qui avait été accordée en Orient, fussent expirées. A l'égard de l'argent qu'il avait reçu de Zacharie, en considération et la trêve de trois ans, il offrait d'en rendre une partie à proportion du temps.

4 Comme Mébode eut déclaré que le Roi de Perse était dans ce sentiment, les ambassadeurs des Romains repartirent, que de leur part, ils n'avaient point contrevenu aux traités, et que par ces traités il n'était pas porté qu'il serait permis à l'une ou à l'autre des parties, de rompre la trêve, en rendant l'argent ou une portion, de même que dans la Musiique. Mébode et Zacharie conférèrent à part, sur ce sujet, et se proposèrent réciproquement les moyens qui leur parurent les plus convenables, pour terminer cette affaire, et ils se demandèrent l'un à l'autre à quelles conditions ils jugeaient que la paix se pût conclure ? Mébode assura positivement, qu'il avait intention de proposer des conditions avantageuses à l'Empereur, il demanda à Zacharie, s'il se pouvait faire que l'argent, dont on serait convenu pour la restitution de Dara, fût payé, sans que personne en eût connaissance ? Zacharie répondit, qu'il en avait un ordre secret, qui ne lui avait été donné qu'en présence de Maurice fils de Paul, qui était très affectionné au service de l'Empereur, et qui était pour lors son trésorier. Et qu'afin que l'affaire fût plus secrète, les secrétaires d'Etat n'en avoient rien par écrit. Et que dès que Zacharie aurait mandé que Mébode assurait que le Roi de Perse consentait de recevoir de l'argent en échange de Dara, l'Empereur commanderait à l'heure même de le compter. .Comme Zacharie lui exprimait toutes ces choses en paroles couvertes, Mébode répliqua, qu'il n'y avait point d'apparence que le Roi de Perse voulut donner Dara pour de l'argent. On convint, néanmoins, depuis,•et même avec serment, qu'après la conclusion du traité, le Roi de Perse accorderait Dara comme un présent.

Il était évident que Mébode n'était pas affectionné au bien de l'Empire, et qu'il ne disait pas la vérité. Son dessein était de faire en forte que les Romains cédaient volontairement la Persarménie, et I'Ibérie, et. qu'après cela, ils demandassent Dara comme une grâce, qu'on ne manquerait pas de leur refuser. Enfin, il déclara, que c'était une affaire qui ne pouvait être exécutée. Il avait intention de tromper Zacharie en cette occasion, comme Sich avait trompé Pierre au sujet de la Suanie. Mais quand il vit que Zacharie était un homme fort éclairé, et qu'il n'avait pas moyen de le faire tomber dans le piège, il eut recours à un autre artifice., pour surprendre les Romains. Il amusait Zacharie, en lui promettant que le Roi de Perse consentirait à la paix, et à la restitution de Dara, afin de ralentir, par ce moyen, l'ardeur que l'Empereur avait pour la guerre. Pendant cette conférence, il y avait suspension d'armes en Orient.

6. Les Perses, appréhendant que les Romains n'entrassent fur leurs terres, crurent les devoir prévenir. Ils s'emparèrent donc d'un fort, nommé Thaunare,  où alors, il n'y avait point de garnison, et ils se retirèrent sans avoir remporté d'avantage considérable,et sans avoir causé de perte notable aux Romains. 

Lorsque Cosère en eut reçu la nouvelle, et qu'il' eut appris que Mébode avait persuadé à Cosroez de ne pas attendre la fin de la trêve, il s'avisa, soit de lui-même, ou par l'ordre qu'il en avait, d'entrer sur les terres des Perses, et de donner deux attaques en même temps du côté d'Arménie.

Comme les Romains assiégeaient la ville des Chlomariens, qu'ils la battaient avec toutes sortes de machines, et que les mines étaient prêtes à jouer, Bigane envoya l'évêque de la ville pour qui il croyait que les Romains auraient plus de respect que pour un autre, afin de supplier Maurice de lever le siège, et de se contenter de l'or et de l'argent qui était entre les mains des habitants, et afin de le conjurer de ne se pas opiniâtrer devant une place que Bigane ne rendrait jamais volontairement, et de ne pas causer la mort d'une infinité de chrétiens et d'innocents.

Maurice ayant entretenu longtemps l'évêque, et les autres qui étaient venus avec lui, et leur ayant donné de grandes marques de son amitié, il le chargea de dire à Bigane, que s'il le voulait donner aux Romains, i! jouirait d'une dignité plus relevée, que chez les Perses: qu'il posséderait des richesses plus considérables, et des meubles plus exquis. Après leur avoir donné cet ordre, et leur avoir fait de grandes caresses, il les renvoya.

Bigane était si affectionné au service de son Maître, que bien qu'il ne fût qu'un Barbare, et qu'il ne se fiât point du tout aux fortifications de la place, il se moqua des promesses de Maurice, il demeura ferme dans son devoir, et il préféra l'obéissance qu'il avait vouée à son Prince, aux richesses qui lui étaient offertes par les ennemis. Il envoya les vases de l'église à Maurice, et il le pria de les recevoir comme la rançon de la ville. Bien que ces richesses fussent assez considérables pour toucher Maurice, il ne laissa pas de les mépriser, et de dire, qu'il n'était pas venu dépouiller les églises, & faire la guerre à Dieu, mais combattre sous ses auspices, et maintenir les Chrétiens contre les Perses. Après s'être entretenu en particulier avec l'évêque, il lui permit de s'en retourner. Quand il fut dans la ville, il ne fit pas une réponse fort agréable au gouverneur, ce qui fut cause qu'il fut arrêté avec ceux qui l'avaient accompagné. Les Romains continuèrent cependant le siège.

7. Comme l'Italie était presque toute ruinée par les armes des Lombards, l'évêque de Rome envoya des ambassadeurs choisis dans le Sénat, et dans le Clergé, pour demander du secours à l'Empereur. La guerre qui était allumée dans l'Arménie et dans l'Orient, et qui bien loin de s'éteindre, s'embrasait de plus en plus, et de jour en jour, ne lui permettait pas d'envoyer une armée considérable, et égale aux besoins de l'Italie, il ne laissa pas, néanmoins, de faire des levées, telles qu'il pût, et d'employer toute l'adresse dont il était capable, pour gagner par présents, et par promesses, les officiers de l'armée des Lombards, dont plusieurs suivirent en effet son parti.

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CHAPITRE XIX.

1. Ambassade des Romains vers les Turcs, 2. Réponse de Toxandre. 3. Réplique de Valentin. 4. Funérailles du père de Toxandre. 5. Commencement de guerre.

1. VALENTIN; l'un des gardes de Tibère, fut envoyé, dans la seconde année de son règne, en ambassade vers les Turcs. Il ne fut pas plutôt chargé de cet emploi, qu'il partit avec la maison, et avec six cents Turcs, qui étaient à Constantinople. Les uns y étaient venus avec l'ambassadeur Anancaste, les autres avec Eutychius, les autres avec Valentin même lorsqu'il revint de sa première ambassade, et les autres, enfin, avec Hérodien, et avec Paul Cilicien. Valentin en ayant choisi jusqu'à cent six dans ce grand nombre, il les mit sur des vaisseaux fort vîtes, et fit voile vers Sinope, et vers Chersone, qui est à l'opposite de Constantinople sur l'autre bord, du côté d'Orient. Il passa, ensuite, par le pays des Apaturiens, et par d'autres pays sablonneux, et marcha le long des frontières de la Taurique du côté de Midi. Après cela, il traversa des lieux tort marécageux, et fort embarrassés d'arbres, et de roseaux, puis la contrée nommée Acaga, du nom d'une femme qui commanda autrefois aux Scythes, et qui reçut ce pouvoir d'Anangée, Prince des Utriguriens, et enfin, après beaucoup de mauvais chemins, il arriva à l'endroit où étaient les trophées de Toxandre.

Ce Toxandre était un des chefs des Turcs. Toute la nation était divisée en huit tribus, chacune desquelles avait son chef. Le plus ancien se nommait Arcésilas.

Valentin ayant trouvé Toxandre, lui dit  qu'il était venu lui donner avis de la proclamation de Tibère, renouveler les traités de paix qui avaient été faits entre Disabule et Justin, et le supplier de les observer, et de tenir pour amis et pour ennemis tous les. amis, et les. ennemis des Romains. Il ajouta un mot pour l'inviter à prendre les armes contre les Perses.

2. Toxandre lui répondit,

Vous êtes donc ces Romains, qui parlez dix langues, qui usez toujours de la même fourberie.

Et mettant les dix doigts à l'entrée de sa bouche, il continua de cette sorte.

Vous avez dix langues, comme j'avais mes dix doigts dans ma bouche, et vous parlez tantôt d'une pour me tromper, et tantôt d'une autre pour tromper mes sujets. Vous employez l'artifice des paroles, et la duplicité du cœur, pour surprendre tous les peuples, et vous les méprisez après que pour vos intérêts ils se sont précipités dans les hasards. Vous êtes venus ici, à dessein d'user de vos ruses ordinaires, le Prince qui vous a envoyés étant animé du même esprit. Mais je vous renverrai promptement, et ne dissimulerai point mes sentiments, car c'est un vice inconnu, et comme étranger parmi nous que de fourber, et de mentir. Je me vengerai quand il me plaira de votre Maître, qui dans le temps même qu'il me parle de confédération, et de paix, s'unit avec les Varconites (il voulait dire les Avares) qui sont des sujets rebelles qui ont secoué le joug de ma juste domination. Je les réduirai, néanmoins, quand je voudrai,  et la seule présence de ma cavalerie, suffira pour faire qu'ils s'aillent cacher sous la terre. Que s'ils étaient assez hardis pour faire ferme, au lieu d'employer nos armes contre eux, nous n'emploierons que les pieds de nos chevaux avec lesquels nous les écraserons comme des fourmis. Voilà ce qui regarde les Varconites, dont je ne suis point du tout en peine. Pour ce qui est de vous, d'où vient que vos ambassadeurs viennent toujours par le Caucase, et qu'ils disent qu'il n'y a point d'autre chemin ? C'est pour me détourner du dessein d'employer mes armes contre vous. Mais sachez que je n'ignore pas le cours du Danapre, du Danube, ni de l'Hèbre, et que le chemin que les Varconites, qui ne sont que mes sujets, ont pris pour aller fourrager vos terres, ne mest pas inconnu. Je suis fort bien informé de l'état, et de la qualité de vos forces. Toute la terre est soumise à mon Empire, depuis les lieux que le soleil éclaire quand il se lève, jusqu'à ceux qu'il éclaire quand il se couche. Considérez les Alains et les Utriguriens, qui ayant conçu une vaine confiance en leurs forces, et ayant eu l'audace de paraître devant nous, sont déchus honteusement de leurs folles espérances, et sont maintenant sous le joug de notre puissance.

Voilà ce que Toxandre dit avec une extrême fierté ; car c'était un homme plein de faste, et d'orgueil. Valentin lui répondit en ces termes :

Si le massacre d'un ambassadeur n'était un crime inouï et qui chargerait son auteur d'une confusion éternelle, je souhaiterais, Seigneur des Turcs, d'avoir été percé de votre épée, plutôt que d'avoir entendu le discours que je viens d'entendre, vous dites que notre Maître se plaît au mensonge, et à l'imposture, et que ses ambassadeurs méditent des fourberies pour tromper, et pour surprendre. Je vous supplie d'avoir un peu plus de douceur pour nous ; de modérer votre colère, et de considérer la qualité d'ambassadeur qui a toujours été en singulière révérence parmi toutes les nations. Nous sommes des ministres de paix, nous nous acquittons avec une parfaite sincérité d'une fonction, qui d'elle-même est toute sainte. D'ailleurs, il est juste que vous conserviez les anciens amis du Prince votre père, avec le même soin que vous conservez ses biens, et ses domaines. Il a embrasé de lui-même notre parti, et il a mieux aimé se déclarer en notre faveur, qu'en faveur des Perses. L'amitié qu'il a contractée avec nous est demeurée inviolable jusqu'à cette heure, et nous vous supplions de l'entretenir de votre côté, comme nous l'entretenons du nôtre. Nous croirions que ce ferait une perfidie, que de penser que vous eussiez changé de sentiment.

4. Après que Valentin eut parlé de la sorte, Toxandre lui dit:

Puisque vous m'avez trouvé dans le deuil de mon père,qui mourut hier, il faut que vous vous rasiez la barbe, pour témoigner votre douleur, à la façon de notre nation.

A l'heure même Valentin et ceux de sa suite se rasèrent. Pendant la cérémonie des funérailles, il commanda de tirer quarante Huns de prison, et de les mener au tombeau de son père, où il les fit massacrer avec les chevaux du Prince défunt, et il leur commanda d'un ton barbare, de lui rapporter en quel état étaient les affaires. Lorsque la cérémonie fut achevée, Toxandre tint plusieurs discours à Valentin, et l'envoya dans les terres les plus avancées de la domination des Turcs, vers Tardou son parent,qui habitait auprès du mont Ectel, c'est à dire, du mont d'or.

5. Comme Valentin partait, Toxandre le menaça de mettre le siège devant le Bosphore, aux environs duquel Anancée était déjà campé avec une armée de Turcs. Pendant qu'ils faisaient la guerre, ils retenaient les ambassadeurs, Toxandre amusait Valentin ; mais enfin après lui avoir fait divers outrages, il lui donna congé.

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CHAPITRE XX.

1.  L'empereur envoie une ambassade aux Avares. 2.  Il les engage à faire la guerre aux Slavons.

1. Comme les Slavons couraient, et pillaient la Grèce, et que l'Empire était menacé de jour en jour, par de nouveaux périls qui semblaient naître les uns des autres Tibère qui n'avait point de troupes pour opposer à la moindre partie des ennemis, envoya une ambassade à Bajan Prince des Avares, qui était alors bien disposé envers les Romains, et qui, dès que Tibère parvint à la couronne, avait souhaité de jouir des charges, et des honneurs de l'Empire. Le sujet de l'ambassade était, de l'engager à une guerre contre les Slavons, afin que le dégât de leur pays leur ôtât l'envie d'en faire dans le nôtre, et qu'au lieu de piller nos terres, ils s'engageassent à garder les leurs. Bajan consentit volontiers à ce que l'Empereur désirait.

2. Ce fut Jean, Gouverneur des îles et des villes d'Illyrie, qui fut choisi pour cet emploi. Dès qu'il fut dans la Podonie, il amena Bajan et son armée sur les terres de l'Empire. On dit qu'il y avait environ quinze mille hommes de cavalerie. Après leur avoir fait traverser l'Illyrie, et la Scythie, il apprêta des vaisseaux à deux poupes, pour leur faire passer le Danube. Ils ne furent pas plutôt sur le bord de delà, qu'ils mirent les villages des Slavons à feu et à sang, et qu'ils enlevèrent tout ce qui le pût emporter, sans que personne osât paraître. Ce ne fut pas seulement, en considération de l'ambassade de l'Empereur, ni dans le dessein de reconnaître ses bienfaits, que Bajan fit cette irruption, ce fut aussi par la passion de venger les querelles particulières. Il avait autrefois envoyé vers Laurent, Prince des Slavons, et vers les principaux de la Nation, les exhorter à le reconnaître pour leur Souverain, et a lui payer un tribut : ceux qu'il avait envoyés reçurent cette réponse.

Qui est donc cet homme qui détruira notre puissance, et en quel lieu est-ce qu'il habite? Bien loin de nous soumettre à qui que ce soit, nous sommes en possession d'assujettir les autres.

Les Slavons ayant répondu de la sorte, les Avares leur répliquèrent avec une égale arrogance . De-là ils en vinrent aux injures et aux outrages, et comme c'étaient des naturels grossiers et farouches ils excitèrent entre eux une terrible contestation. Les Slavons ne pouvant retenir l'impétuosité de leur colère, tuèrent les ambassadeurs, dont Bajan apprit la mort par la voie des étrangers. Il avait depuis longtemps ce sujet de plainte, qu'il conservait dans son cœur. D'ailleurs il était fâché de ce qu'ils avaient refusé de se soumettre à lui, il craignait de recevoir de mauvais traitements de leur part, il souhaitait de gagner les bonnes grâces de l'Empereur, et il espérait trouver d'immenses richesses dans leur pays, qui ayant été exempt de pillage, avait profité de la ruine des autres.

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CHAPITRE XXI.

1. Bajan rompt la paix. 2. Le Gouverneur de Singidone s'en plaint. 3.. Il dit, pour s'excuser, que c'est contre les Slavons, et non pas contre les Romains qu'il prend les armes. 4 Il en fait un serment solennel en la façon des deux Nations, 5. Il envoie une ambassade à l'Empereur. 6. L'ambassadeur est tue par les Slavons. 7. Le Cagan en envoie un autre nommé Su*aque. 8. Harangue de cet ambassadeur. 9. Réponse de l'Empereur. 10. Il envoie secourir Sirmium. 11 Conférence du Cagan et de Théognis.

1.  BAJAN, Cagan des Avares, envoya dans la même année Targitie à l'Empereur, pour recevoir de lui les quatre-vingt mille écus qu'il devait payer par an. Ce Barbare rompit impudemment le traité qu'il avait fait avec Tibère au commencement de son règne, et marchant à la tête de lès troupes, il arriva sur le bord d'un fleuve entre Sirmium et Singidone, et tâcha d'y construire un pont, dans le dessein d'assiéger Sirmium. Bien qu'il appréhendât d'en être empêché par les soldats de la garnison de Singidone, qui avaient une grande expérience à conduire des vaisseaux sur la rivière, il se résolut de déclarer son entreprise, il amassa pour cet effet force bateaux marchands dans la haute Pannonie, et bien qu'ils ne fussent pas bâtis à la façon des vaisseaux de guerre, il ne laissa pas de les remplir de soldats et de matelots. Toute cette multitude frappant l'eau d'une manière à faire peur, et y faisant comme des sillons, s'avança le long de l'île de Sirmium jusqu'au. fleuve Save „ les autres troupes avançant cependant par terre. Les Romains qui habitaient dans les villes d'alentour, furent saisis d'effroi, quand ils virent ce terrible appareil.

2. Le Gouverneur de Singidone, nommé Seth, lui  dit,

Qu'il s'étonnait comment étant en paix, et en bonne intelligence avec les Romains, il s'approchait du fleuve Save, et que s'il entreprenait de le passer,  l'Empereur s'y opposerait.

2. Le Cagan fit réponse :

Que c'était pour aller contre les Slavons et non pas contre les Romains, qu'il faisait un pont. Que quand il aurait traversé la rivière, il irait à Constantinople, et qu'ensuite il passerait le Danube y pour marcher contre ces peuples : Qu'il espérait que l'Empereur lui fournirait des vaisseaux pour ce dessein, qu'il avait déjà entrepris une pareille expédition en faveur des Romains, et qu'il leur avait déjà rendu quantité de prisonniers qu'il avait retiré d'entre les mains des Slavons.

Il se plaignait que ces peuples lui avaient fait deux injures. L'une en refusant de payer le tribut qu'ils lui devaient, et l'autre en massacrant ses ambassadeurs; et que c'était pour s'en venger qu'il était venu. De plus il le pria de faire un accueil favorable aux ambassadeurs qu'il envoyait à l'Empereur, pour le supplier de lui prêter des vaisseaux, sur lesquels il put traverser le Danube, et aller contre les Slavons. Enfin il ajouta qu'il était prêt de jurer avec les serments qui passent pour les plus sacrés et les plus inviolables tant parmi les Romains que parmi les Avares., que ce n'était par aucun dessein qu'il eût ni contre le parti des Romains, ni contre la ville de Sirmium, mais seulement contre les Slavons, qu'il dressait un pont sur le Save.

4. Seth, ni les autres qui étaient à Singidone, n'ajoutèrent point de foi à ces protestations, mais comme ils étaient surpris à l'improviste, et. qu'ils n'avaient ni vaisseaux, ni soldats, et que d'ailleurs le Cagan commençait à user de menaces, et à assurer, que ne violant point la paix de sa part, et n'ayant point d'autre intention que de combattre les Slavons qui étaient les ennemis communs des Romains, et des Avares, que ceux qui tireraient sur les ouvriers qui travailleraient pour lui au pont, violeraient les premiers la paix, qu'on ne pourrait imputer ni à lui, ni à la nation les maux que les Romains souffriraient de la guerre : ils appréhendèrent toutes ces fâcheuses fuites, et ils le prièrent de prêter le serment qu'il avait offert. Alors, il fit le serment à la façon des Avares, et ayant tiré son épée, il dit, que si c'était par aucun dessein contre les Romains qu'il bâtissait un pont sur le Save, il souhaitait de périr par le fer avec toute la nation, il voulait que le Ciel, et le Feu qui était le Dieu du Ciel, tombât sur eux, que les montagnes, et les forêts les accablassent, et le Save remontant contre sac source les ensevelît dans ses eaux. Le Cagan ayant juré de la sorte, à la façon des Barbares, dit, Je veux jurer maintenant selon la coutume des Romains. Et à l'heure même il leur demanda ce qu'ils avaient de plus vénérable et de plus saint dans leur Religion, par où ils eussent accoutumé de jurer, et par où ils fussent persuadés qu'ils ne se pouvaient parjurer, sans encourir la colère de Dieu, et les châtiments de sa justice. A l'heure-même le premier des Prêtres de Singidone lui présenta le livre sacré, au milieu duquel était l'Évangile. Alors le Cagan, cachant ses sentiments au fonds de son coeur, par une perfidie sacrilège se leva se son siège, et faisant semblant de recevoir le livre avec un profond respect, et se mettant à genoux, il dit,

Je jure par le Dieu qui a parlé dans les saints livres, que je n'ai point menti, et que je n'ai point eu intention de tromper dans tout ce que l'ai avancé.

5. Après cela Seth reçut les ambassadeurs du Cagan, et les envoya à Constantinople. Pendant qu'ils étaient en chemin, ou qu'ils attendaient leur audience, lé Cagan employa toute la diligence imaginable pour achever le pont, avant que l'Empereur en eut entendu parler.

Les ambassadeurs supplièrent l'Empereur d'avoir la bonté de faire préparer les vaisseaux sur lesquels les Avares pussent passer le Danube, afin d'aller combattre les Slavons. Que le Cagan avait bâti un pont sur le Save, dans le dessein de ruiner la puissance de ces Barbares, et dans la confiance qu'il avait en l'amitié des Romains. L'Empereur reconnut d'abord que le dessein du Cagan était de prendre Sirmium en l'affamant, et en bouchant les passages. Mais comme il s'était reposé sur la paix et sur la bonne foi des traites, et n'avoir pas eu soin d'y faire porter des provisions. D'ailleurs n'ayant point de troupes, je ne dis pas capables de résister à la puissance des Avares : mais n'en ayant point du tout, et les armées étant occupées contre les Perses en Arménie, et en Mésopotamie, il fit semblant d'être de l'avis du Cagan, et de souhaiter aussi bien que lui, de faire la guerre aux Slavons, parce qu'ils avoient fait le dégât sur les terres. Mais il ajouta, que le temps n'était pas propre pour exécuter une telle entreprise, vu que les Turcs étaient campés devant Chersone, et que les Avares ne manqueraient pas de les rencontrer dès qu'ils auraient passé le Danube; qu'il valait donc mieux différer un peu de temps, pendant lequel il découvrit le dessein des Turcs, et qu'il le ferait savoir au Cagan.

L'ambassadeur vit bien que c'était une supposition inventée tout exprès par l'Empereur .afin de les épouvanter par l'appréhension des armes des Turcs. Il feignit néanmoins de se rendre à cet avis, et quoi que ce fût lui qui poussât le Cagan à la guerre plus que nul autre, il promit de lui conseiller de différer. Cette promesse fut cause qu'on lui fit de grands présents, après quoi il se retira.

6. Comme il traversait l'Illyrie, escorté seulement d'un petit nombre de Romains, il fut tué par un parti de Slavons qui couraient et pillaient cette Province.

7. Il arriva peu de jours après de la part du Cagan un autre ambassadeur, nommé Sulaque, qui ayant été introduit devant l'Empereur, lui parla de cette sorte avec la dernière impudence.

8.  Ce serait une folie de vous donner avis que les deux bords du Save sont joints par un pont. Depuis qu'une chose est publique, on n'en peut parler comme d'une chose secrète, sans encourir quelque blâme. Les Romains ne peuvent plus secourir Sirmium, ni y faire entrer de rafraîchissements. Ce qu'ils auraient à faire, ce serait d'envoyer une armée assez nombreuse pour chasser les Avares, et pour abattre le pont. Il n'est pas à propos que l'Empereur entre en guerre avec les Avares pour une petite place qui n'est qu'une chaudière, il se servit de ce terme, il vaut mieux qu'il en retire les soldats et les habitants, avec les meubles qu'ils pourront emporter, et qu'il nous l'abandonne toute vide et toute déserte.

Il ajouta,

Qu'il appréhendait que les Romains fissent semblant d'entretenir la paix avec les Avares pendant, qu'ils étaient en guerre avec les Perses, à dessein de tourner après cela toutes leurs forces contre les Avares. Mais que ceux-ci seraient toujours bien disposés à les recevoir, parce que Sirmium  leur servirait d'un puissant boulevard, et qu'ils ne trouveraient plus d'obstacles, ni du côté de la rivière, ni des autres : Qu'il n'était que trop visible et trop manifeste que ce n'était pas l'affection que l'Empereur avait pour les Avares, qui l'avait porté à fortifie Sirmium en pleine paix ; Que le Cagan jouissait, à la vérité des présents qu'on lui envoyait tous les ans ; Mais que bien qu'il reçut de l'or, de l'argent, et. de la soie, la vie lui était encore plus chère et plus précieuse, et qu'il ne pouvait ne pas appréhender de la perdre, quand il considérait l'exemple des autres peuples que tes Romains avaient. attiré par de semblables présents, et à qui ils avaient depuis tendu des pièges pour les faire périr misérablement : Qu'il n'y avait ni promesses ni présents qui le pussent détourner de son entreprise, et qu'il poursuivrait le siège, jusqu'à ce qu'il fut maître de l'île et qu'il y eut établi de nouveaux habitants; Que sa prétention était juste, parce que Sirmium avait appartenu aux Gépides, qui avaient été vaincus par les Avares, et non par les Romains.

Ce discours remplit l'Empereur de colère & de douleur, qu'il témoigna par la réponse, dont voici les termes.

9. Le Cagan ne m'a pas surmonté par la puissance de ses armes, par la grandeur de son courage, ni par la sagesse de sa conduite. Il n'a rien fait que de violer ouvertement au paix, et que d'offenser Dieu, au nom duquel il l'avait jurée. Qu'il ne s'attende pas néanmoins que je me venge de sa perfidie. Je lui donnerais plutôt une de mes deux filles en mariage, que je ne lui livrerais Sirmium. S'il la prend de force, il en sera puni par le Dieu que ses parjures auront outragé, et j'aurai la satisfaction de n'avoir pas. voulu abandonner la moindre portion de l'Empire.

10. Après, avoir renvoyé l'ambassadeur avec cette réponse, il se prépara à secourir la ville de tout son pouvoir. Comme il n'avait point de troupes, il envoya des capitaines, et d'autres officiers en Illyrie, et en Dalmatie, avec ordre de faire entrer des rafraîchissements dans Sirmium.

11. Théognis étant arrivé aux îles de Casia, et de Carbonaria, il accepta la proportion qui lui fut faite de conférer touchant la paix. Bajan vint pour le même sujet,  et descendit de cheval, et s'assit dans une chaise d'argent, sous un dais. Il avait au devant de lui un bouclier, de peur que les Romains ne le blessassent. Ceux qui avaient accompagné Théognis n'étaient pas loin de Bajan. Les Interprètes des Huns promirent clairement d'entretenir la trêve qui avait été accordée. Alors Bajan dit,

Qu'il fallait que les Romains abandonnassent Sirmium, puisqu'ils ne le pouvaient conserver.; et que les chemins en étant bouchés de toutes parts, il manquerait bientôt de vivres.

Il ajouta une raison plausible, par laquelle il prétendait devoir posséder cette ville, c'est qu'il craignait encore que les déserteurs de sa nation ne se retirassent chez les Romains.

Théognis répondit,

Qu'il ne cesserait de faire la guerre, jusqu'à ce que les Avares se fussent retirés et qu'ils ne devaient, pas espérer que les Romains se relâchassent.

Voilà les entretiens qu'ils eurent, lesquels ne tendaient point à la paix. Théognis désespérant d'entretenir la trêve, dit à Bajan > qu'il se retirât, et qu'il préparât ses armes pour le jour suivant, auquel il ne tiendrait pas à eux qu'il n'y eût bataille. Après cela ils se séparèrent.

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CHAPITRE XXII.

1.  Conférence entre l'Empereur et Pharecdate. 2.. Mort de Cosroez. 3. Maurice est envoiyé en Orient. 4. Les ambassadeurs sont conduits par de longs chemins, 5. Ils reçoivent une réponse fort aigre d'Ormsfdas, et sont fort maltraités,. 6.  Maurice a ordre de se préparer à la guerre. 7. Conférence entre Zacharie et Andigan.

1.  PENDANT que Pharecdate faisait de longues conférences à Constantinople avec Tibère, on manda à Zacharie, et à Théodore, qui étaient partis pour leur ambassade, de s'arrêter, et de ne pas faire savoir leur arrivée, jusqu'à ce que Pharecdate eût eu son audience de congé.

L'Empereur la lui donna, après avoir conféré diverses fois avec lui, touchant les mêmes points, dont il avait écrit au Perse par ses ambassadeurs. Ces points étaient, qu'il ne jugeait pas à propos d'accorder une trêve de longue durée. Qu'un espace de deux ou de trois mois était suffisant pour ceux qui voulaient agir dé bonne foi, et qu'un plus long n'était demandé que dans le dessein de tromper, et de se préparer à la guerre. Après cela Pharecdate partit de Constantinople.

2. La paix eût été conclue entre les Romains et les Perses, si Cosroez ne fût point mort, et si son fils Ormisdas, qui était un scélérat, et un impie, ne lui eût pas succédé. Zacharie, et Théodore étaient encore en Syrie, lorsque cette triste nouvelle arriva. On ne changea rien, néanmoins, des ordres qui leur avait été donnés ; au contraire, Tibère leur manda qu'il était dans la même disposition pour le fils que poux le père, qu'il était d'accord de faire la paix aux mêmes conditions, et qu'ils rendirent les prisonniers sans rançon. Les ambassadeurs arrivèrent à Nisibe, dans l'espérance d'y être reçus avec des applaudissements, et des cris de joie. En effet, la générosité dont les Romains usèrent envers les prisonniers, fut admirée par les Perses.

5. Tibère ne laissa pas d'envoyer Maurice en Orient, au commencement du printemps, avec ordre d'observer la contenance des Perses, de s'opposer à leurs desseins, et de se préparer à toutes fortes d'événements. Maurice obéit ponctuellement à cet ordre, et demeura en Orient, pour attendre ce qui arriverait.

4. Quoique les ambassadeurs ne se souciassent pas des honneurs qu'on leur pouvait rendre, ils espéraient néanmoins, en recevoir du nouveau Roi, et obtenir de lui toutes leurs demandes, en reconnaissance de la manière si obligeante dont leur Maître l'avait traité, non seulement en lui faisant toutes les civilités qui se peuvent faire de paroles, mais en lui donnant des marques sensibles d'une affection solide, par la délivrance gratuite d'un grand nombre de personnes illustres. Mais ils se trouvèrent fort éloignés de leur espérance, Comme ils étaient au milieu du chemin, un officier, que les Romains appelleraient Secrétaire d'État, vint au devant d'eux, et leur demanda, quel était le sujet de leur ambassade, et quels ordres ils avaient ? Zacharie et Théodore répondirent que c'était à son Maître qu'ils le devaient dire, et non pas à lui, et ils continuèrent leur voyage.  Il arriva un peu après un autre officier qui avait charge de les conduire, et & qui les fit retarder longtemps, les obligeant à de fréquentes pauses, à marcher à petites journées, et par des chemins écartés, ce qui se faisait à dessein de les arrêter, pendant qu'on faisait les préparatifs pour la guerre, et qu'on amassait des provisions à Nisibe, à Dara, et aux Forts qui sont au delà du Tigre. Les sauterelles avaient mangé les fruits de cette année-là, et les armes des Romains avaient désolé les Provinces.

Les ambassadeurs ne purent qu'à peine, après plusieurs remises, être introduits dans le palais, ou ils présentèrent les lettres de l'Empereur, et rendirent gratuitement les prisonniers, sans recevoir aucune réponse favorable. Le jour suivant un des premiers officiers de la Cour des Perses et Mébode leur demandèrent, quels étaient leurs pouvoirs? Comme ils répondirent, qu'ils avaient pouvoir de faire la paix, et que c'était pour cela qu'ils étaient venus, les autres repartirent, que cela n'était pas véritable, et qu'il fallait qu'ils montrassent les instructions qu'ils avaient par écrit, ou qu'ils se retirassent. Ayant donc montré leur instruction, ils découvrirent aux Perses le secret de leur ambassade.

5. Comme l'Empereur souhaitait avec passion de se délivrer des incommodités de la guerre, et qu'il était prêt de céder l'Arménie pour laquelle il avait livré tant de combats, et d'abandonner encore l'Arsanène, et Asumon, pourvu qu'on leur rendît Dara, le Roi leur accorda une seconde audience, dans laquelle il répondit avec beaucoup d'aigreur aux douces paroles dont la lettre de l'Empereur était remplie. Il dit, qu'il ne rendront jamais Dara, non plus que Nisibe, ni Sangare, que les Perses avaient acquises par leurs armes. Que s'il ne pouvait augmenter les domaines que son père lui avait laissés, au moins tâcherait-il de ne les pas diminuer. Peut-être, ajouta~t-il, que si mon père Cosroez vivait il rendrait Dara, parce qu'il est moins honteux à celui qui a fait une conquête d'y renoncer, qu'il ne le serait à un autre: C'est une infamie à toutes sortes de personnes de laisser perdre le bien de leurs pères. Il leur fit demander ensuite par Mébode, quel sujet ils. avaient de s'élever si fort pour oser prétendre Dara, comme s*ils avaient gagne des batailles ? Quelles victoires ils avaient remportées et quelles trophées ils avoient érigés, pour former des prétendons si ambitieuses? Il est vrai qu'il avait profité du peu d'expérience de Tancorso, et que pendant qu'il l'ont mené d'Arménie en Arsanène, et d'Arsanène en Arménie, ils ont eu le loisir de faire le dégât en Orient . C'est peut-être ce qui leur enfle le courage, ce qui leur fait croire que nos affaires sont dans un déplorable état, qu'ils sachent néanmoins, que je ne consentirai jamais à la paix, qu'ils ne nous aient payé toutes les années de la pension que Justinien nous devait.

Ormisdas ayant parlé avec cet orgueil, et avec cette insolence, Zacharie et Théodore souffrirent de très mauvais traitements durant trois mois, après lesquels, ils obtinrent à peine leur congé. Il ne leur était pas permis de respirer un air libre. Ils n'osaient regarder par la fenêtre, et ils étaient perpétuellement observés par un garde. Leur maison était sombre comme;une prison, .quoiquelle fût exposée aux vents, et aux injures de l'air.  Après leur avoir fait souffrir ces incommodités, on les renvoya pour leur faire essuyer sur le chemin d'autres fatigues plus fâcheuses. On n'eut point soin de leur donner des vivres. On leur fit perdre le temps. On les obligea à faire de longues journées, pour retourner le lendemain sur leurs pas. Enfin, on les traita si mal, qu'un des deux tomba, dans. une. dangereuse maladie. Et après leur avoir fait tant de peines, on les mit hors de la Perse. Cette .ambassade eut un succès fort éloigné de l'atténue de tout le monde, car, personne ne s'était imaginé que le les Perses témoigneraient tant d'aversion pour la paix en un temps où les Romains faisaient paraître une si grande modération.

6. C'est pourquoi on donna ordre à Maurice de se, préparer en diligence à la guerre, et de tirer ses avantages des occasions qui se présenteraient. L'armée était en bon état, et les soldats avaient reçu de l'argent, Tibère souhaitait de  fuir la guerre, et Ormisdas n'était pas dans une disposition contraire.

7. L'Empereur envoya pour cet effet Zacharie sur la frontière, où le Roi de Perse envoya Andigan, homme fort prudent, qui avait acquis une profonde connaissance des affaires, par la longue expérience qu'il en avait eue dans les emplois les plus importants par où il avait passé depuis sa jeunesse.  Le Protecteur des limites, que les Grecs appellent Procépaste, eut soin, selon le devoir de sa charge, de préparer les tentes où les ambassadeurs devaient conférer.  Lorsque Andigan fut arrivé à Dara, et Zacharie de Mardis, et qu'ils furent au lieu de la conférence, ils commencèrent par les mêmes propositions qui avaient été agitées dans les ambassades précédentes. Les Perses demandaient l'argent qui leur était dû par l'accord fait autrefois avec Justinien, et prétendaient outre cela, retenir Dara. Les Romains refusaient de donner de l'argent, de peur qu'on crût qu'ils payaient un tribut, et qu'ils achetaient la paix.  Ils prétendaient, au contraire, retirer Dara, et donner l'Arménie, et l'Arsanène en échange, sans livrer, néanmoins, les habitants de ces deux provinces, qui s'étaient retirés en divers endroits de l'Empire.  Les deux partis ayant proposé plusieurs raisons, il ne se purent accorder. Andigan rejeta fièrement les demandes de Zacharie, et proposa des conditions honteuses, et préjudiciables aux Romains.

Une ville dit-il, peut être défendue par ses portes et par ses murailles, et par les hommes qui sont dedans. Ce qu'on n'apprend que par la voix de la renommée est incertain, et l'opinion que l'on en a, peut être fausse. Tout ce qu'on on dit est exposé à la diversité des jugements, comme les marchandises qui sont en vente. Nous savons que les Romains sont occupés à plusieurs guerres, que leurs troupes font dispersées en plusieurs parties du monde, et qu'ils combattent presque toutes les nations.  Il savent au contraire, que nous n'avons point de guerre si ce n'est contre eux. Celles qu'ils ont a soutenir contre tant de peuples les obligent à faire la paix avec nous, parce qu'ils ne sauraient résister en même temps à tant d'ennemis.  Pour nous, qui n'en avons qu'un à combattre, nous sommes comme assurés de la victoire.

On dit que Zacharie, ayant ouï ce discours sourit et répondit de cette sorte :

Je suis bien aise, que quoique vous soyez né dans la Persen vous reconnaissiez la vertu romaine, et que vous rendiez témoignage à la vérité.  Si les Romains n'avaient pas répandu sur toute la terre la multitude presque innombrable de leurs armées, et s'ils n'avaient pas embrassé la vaste étendue des mers, que seraient les Perses, et comment soutiendraient-ils le poids de la guerre ?  Il y a longtemps que leur nom serait détruit, et qu'il ne resterait qu'un léger souvenir de leur défaite.

Andigan avoua par son silence qu'il  était vaincu par l'éloquence de Zacharie.

Pendant cette conférence, Tancosro était campé avec son armée dans une plaine, aux environs de Nisibe, et près du fleuve Mygdonius. Maurice s'était retranché propre de Constantine à Monocarse, qui est un lieu fort humide, et fort propre à placer ses troupes. La conférence durant encore., Andigan usa de menaces, et de tromperie, pour faire accroire à Zacharie que Tancosro était prêt de ravager les territoire de l'Empire, et qu'il n'y avait que lui qui le retenait. Il fit paraître, pour cet effet, un de ces coursiers qui par la vitesse de leurs chevaux portent fort loin des nouvelles en fort peu de temps ;  ce coursier le tira à l'écart, et lui présenta une lettre de Tancorso, par laquelle il lui mandait, qu'il ne pouvait plus retenir l'armée, qui demandait avec instance d'être menée contre les Romains. La lettre était accompagnée de circonstances propres à en appuyer la supposition. Le courrier était couvert de poudre que l'on avait jetée exprès sur ses habits, et sur ses cheveux. Andigan usant de ces déguisements ordinaires, témoignait par ses gestes, et par là contenance, avait aversion de la guerre. Étant donc venu rejoindre Zacharie, il lui dit,

 qu'il avait grand regret de ce que Tancosro lui mandait qu'il ne pouvait plus retenir les soldats, qui voulaient faire irruption par les terres de l'Empire, et y mettre tout à feu,  et à sang, Que s'il voulait conclure la paix aux conditions qu'il lui avait proposées, il retiendrait l'impétuosité des gens de guerre ; sinon qu'il les laisserait agir, et que s'ils entraient une fois sur les terres l'empire, les Romains ne soutiendraient pas le bruit de leurs carquois.

Il ajouta

qu'il avait peur que son Maître ne fût en colère de ce qu'il avait accordé une. si longue suspension.

 Voilà les artifices, et les tromperies dont usait Andigan, afin de persuader que ce n'était pas par son avis que les Perses se préparaient à la guerre.

Zacharie, qui reconnaissait aisément sa fourberie lui dit :

Andigan, ce n'est pas à tromper que paraît l'esprit, surtout quand celui qu'on veut tromper a assez d'adresse pour le découvrir.  Croyez-vous que je ne voie pas que tout ce que vous dites, et'ce que vous faites n'est que mensonge et imposture.  C'est une fourberie par laquelle vous prétendez m'épouvanter, et me faire consentir à tout ce qu'il vous plaira.  Vous savez qu'au commencement nous avions une telle aversion des armes, que nous nous abaissions jusqu'à vous supplier de ne pas nous forcer à les prendre, et que ce fut, ce qui vous donna l"assurance de vous avancer jusqu'à Apamée, et à Antioche.  Mais comme vous ne déférâtes pas alors à nos prières, nous nous sommes tellement accoutumés depuis, à affronter des dangers, que vous avez reconnus qu'il ne vous est pas possible d'approcher de nos frontières sans y perdre un grand nombre de vos gens.  Maintenant que nous avons appris l'art de al guerre, si Tancosro se présente, nous lui ferons sentir la pointe de nos lances.

Voilà ce qu'il di; à. Andigan, pour lui faire voir qu'il découvrait aisément des finesses. Après qu'ils eurent tenu inutilement plusieurs autres discours semblables, Zacharie manda à Maurice, de faire marcher ses troupes vers Constantine, et d'en venir aux mains.. Tancosro fit pareillement avancer les siennes

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CHAPITRE XXIII.

1.  Continuation de la guerre contre les Avares. 2.  État déplorable de la ville de Sirmium. 3. Sa reddition et la conclusion de la paix.

1. Il y avait trois jours que la guerre était commencée contre les Avares, que les Romains n'osaient encore paraître, pour attaquer le pont de la Dalmatie. Apsich, qui le gardait, témoigna un si grand mépris pour eux, qu'il l'abandonna, et en alla passer un autre pour joindre ses troupes à celles de Bajan.

2.. Les habitants de Sirmium étaient extrêmement pressés par la famine, et réduits, faute des vivres nécessaires, à manger des choses abominables. Les ennemis empêchaient que rien y entrât, par le moyen d'un pont qu'ils avaient bâti sur le Save. Le gouverneur Salomon négligeait tous ses devoirs, de sorte que cette misérable ville déplorait sa condition, et se plaignait de ses chefs, en des termes pleins de désespoir. Pour comble de malheur, Théognis manquait de soldats.

5. TIbère considérant toutes ces choses, jugea qu'il valait mieux rendre la ville, que de laisser emmener les habitants en captivité, et manda à Théognis de faire composition à la charge que les habitants auraient la vie sauve, et qu'ils sortiraient avec un seul vêtement. La guerre fut terminée, à condition que les Romains laisseraient la ville aux Avares, et que les Avares permettraient aux Romains d'en emmener tout le peuple, sans, toutefois, rien emporter de leurs biens. Outre cela, le Cagan exigea trois années de la pension que les Romains lui devaient, qui était de dix-huit cents écus d'or par an. De plus, il y avait un officier de son armée, qui avait déserté, et qui avait pris parti,à ce qu'on disait, parmi les Romains, à cause d'un adultère qu'il avait commis avec la femme de Bajan. Il demanda qu'on le lui remît entre ses mains, et protesta qu'à moins que de cela, il n'achèverait point le traité. Théognis, répondit, que l'Empire romain étant d'une vaste étendue, il était difficile d'y trouver un fugitif, qui se cachait, et qui peut-être était mort. Bajan répliqua, qu'il fallait, au moins, que les principaux des Romains jurassent qu'ils en feraient une exacte perquisition, qu'ils le rendraient s'ils le trouvaientί, ou que s'il était mort, ils le lui feraient savoir..