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HISTOIRE AUGUSTE

TREBELLIUS POLLION.

 VIES DES DEUX GALLIEN.

 

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

VIES DES DEUX GALLIEN.[1]

 

GALLIEN PÈRE.

[DE J.-C. 253 - 268]

 

I. LORSQUE Valérien fût tombé au pouvoir du roi des Perses (car puis-je mieux commencer la vie de Gallien que par cette catastrophe qui a eu sur elle une si funeste influence?), la république fut ébranlée, Odenat s’empara de l’empire en Orient, et Gallien se réjouit de la captivité de son père. D’un autre côté, les armées romaines erraient çà et là, les généraux murmuraient, et tout le monde gémissait de voir un empereur romain retenu dans la servitude chez les Perses. Aussi, sous le consulat de Gallien et de Volusianus, Macrien et Baliste se réunissent, rassemblent les débris de l’armée, et délibèrent sur l’élection d’un empereur; car l’empire romain chancelait en Orient, et telle était l’inaction et l’indolence de Gallien, que l’on ne faisait pas même mention de lui à l’armée. Enfin, après plusieurs réunions à ce sujet, il fut décidé que Macrien serait proclamé, empereur avec ses fils,[2] et prendrait en main la défense de la république. L’empire fut donc déféré à Macrien, et voici les motifs qui déterminèrent ce choix : d’abord il passait pour le plus habile des généraux de ce temps, et le plus propre au gouvernement de l’empire; ensuite, il était très riche, et pouvait avec sa fortune privée faire face aux dépenses publiques. Ajoutez à cela que ses fils, jeunes, courageux, pleins d’ardeur guerrière, pouvaient servir en tout de modèles aux légions.

II. Macrien donc, après avoir réuni des troupes de tous les côtés, marcha d’abord vers les régions de l’Orient; et, pour mieux défendre et conserver l’empire qui lui était déféré, il se fit un tel plan de campagne, et répartit si habilement ses troupes, qu’il était en mesure de faire face à tout ce que l’on pourrait entreprendre contre lui, de quelque côté que ce fût. Il fit passer en Achaïe Pison, l’un des plus illustres membres du sénat, pour y détruire Valens, qui gouvernait cette province en qualité de proconsul. Mais celui-ci, à la nouvelle que Pison marchait contre lui, se fit proclamer empereur. Pison se retira donc dans la Thessalie, où il prit aussi lui-même le titre d’empereur avec le surnom de Thessalique; mais il fut bientôt mis à mort par des troupes nombreuses, envoyées par Valens. Macrien, ayant rétabli la paix en Orient, y laissa un de ses fils, et passa avec l’autre, qui portait le même nom que lui d’abord en Asie, puis dans l’Illyrie, où Aureolus, s’étant révolté coutre Gallien, avait pris le titre d’empereur. A la tête de trente mille hommes,[3] ils livrèrent bataille à Aureolus, dont les troupes étaient commandées par un général nommé Domitien. Mais ils furent vaincus, et toute leur armée passa du côté du vainqueur.

III. Au milieu de ce trouble et de cette confusion universelle de la république et du monde entier, Odenat, voyant que Macrien et son fils avaient péri, qu’Aureolus régnait, et que Gallien ne sortait guère de son inaction et de son indolence, marcha en toute hâte contre le second fils de Macrien, pour profiter de l’occasion que lui présentait la défection de l’armée, et s’emparer de sa personne.[4] En effet, les officiers de ce jeune princes nommé Quietus, à l’instigation de Baliste, préfet de Macrien, s’entendirent avec Odenat, tuèrent Quietus, jetèrent son cadavre par-dessus les murs, et passèrent tous à la fois du côté de l’ennemi. Ainsi Odenat devint l’empereur de presque tout l’Orient, tandis qu’Aureolus régnait en Illyrie, et Gallien à Rome. Baliste, non content d’avoir fait périr Quietus et l’intendant du trésor, mit à mort un grand nombre d’habitants d’Emesse chez lesquels s’étaient réfugiés les soldats de Macrien, de sorte que la ville fut presque entièrement détruite. Cependant Odenat, comme s’il n’agissait que dans l’intérêt de Gallien, lui faisait rendre un compte exact de tout ce qui se passait. Celui-ci, de son côté, en apprenant que Macrien et ses fils avaient péri, comme si désormais il se trouvait à l’abri de tout danger, et que son père lui fût rendu, se plongea plus que jamais dans la débauche et les plaisirs. Il donna des jeux de toutes sortes, courses dans le Cirque, pièces de théâtre, chasses, combats d’athlètes et de gladiateurs; enfin, il appelait le peuple aux fêtes et à la joie, comme s’il était question de victoires et de triomphes. Tandis que la plupart gémissaient sur la captivité de son père, Gallien se faisait gloire de se réjouir d’un malheur dans lequel ce prince n’était tombé que par un excès de candeur et de vertu. Mais, dans la réalité, il ne pouvait supporter les observations de son père, et il ne demandait pas mieux que d’être débarrassé de cette austérité de moeurs qui était une censure continuelle de sa dissolution et de ses débauches.

IV. Dans le même temps, Émilien prit en Égypte le titre d’empereur, et, s’étant emparé des magasins de blé, réduisit par la famine un grand nombre de villes; mais Théodote, général de Gallien, l’attaqua, le fit prisonnier, et l’envoya vivant à l’empereur. Ce qui avait déterminé en faveur d’Émilien les soldats qui étaient cantonnés sur les frontières de la Thébaïde, c’étaient les débauches de Gallien et les infamies de toute sorte où il restait plongé. Tout entier aux plaisirs et à la bonne chère, il gouvernait la république, comme les enfants, dans leurs jeux, s’amusent à faire les princes et les rois. Aussi les Gaulois qui, outre qu’ils sont naturellement inconstants, ne peuvent longtemps supporter les princes débauchés et indignes de la vertu romaine,[5] appelèrent à leur tour Postumius à l’empire leur choix fut facilement approuvé par les armées, qui voyaient avec indignation leur empereur uniquement occupé de ses plaisirs. Théodote marcha contre lui,[6] et assiégea la ville où il était renfermé. Les Gaulois la défendirent avec courage, et, tandis que Gallien faisait le tour des murs, il fut atteint d’une flèche. Postumius conserva sept ans le pouvoir impérial, et défendit vaillamment les Gaules contre toutes les incursions des barbares. Gallien, contraint par ces revers, fit la paix avec Aureolus, pour tourner tous ses efforts contre Postumius néanmoins la guerre traîna en longueur, il y eut divers sièges et divers combats, et les succès furent partagés. Ajoutez à ces maux que les Scythes avaient envahi la Bithynie, et détruit des villes. Enfin ils mirent le feu à Astacum, qui fut ensuite appelée Nicomédie, et y firent d’horribles ravages. Dans cet ébranlement de l’univers, comme si tout conspirait à la ruine de la république, il y eut aussi en Sicile une espèce de guerre d’esclaves, et l’on eut de la peine à réprimer les entreprises des brigands.

V. Or, tout cela ne venait que du mépris qu’inspirait Gallien; car rien n’encourage plus l’audace des méchants, ni l’espérance des gens de bien, qu’un prince qui est craint pour sa cruauté ou méprisé pour sa dissolution. Sous le consulat de Gallien et de Faustinus, au milieu de tant de guerres et de tant de désastres, il y eut aussi un affreux tremblement de terre, et pendant plusieurs jours le ciel fut obscurci par d’épaisses ténèbres; on entendit, en outre, un bruit de tonnerre, qui venait, non des régions de l’air, mais des entrailles de la terre beaucoup d’édifices furent engloutis avec leurs habitants, et il y eut grand nombre de gens qui moururent de frayeur. Ce désastre fut encore plus affreux dans les villes de l’Asie. Les secousses se firent sentir à la fois à Rome et dans la Libye : la terre s’entrouvrit en un grand nombre de lieux, et il jaillit de ses crevasses de l’eau salée. La mer envahit même plusieurs villes. Pour apaiser les dieux, on consulta les livres Sibyllins, et l’on fit, ainsi qu’ils l’ordonnaient, un sacrifice à Jupiter Sauveur. En effet, Rome et les villes de l’Achaïe avaient été, en outre, frappée d’une peste si terrible, que, dans un seul jour, elle enlevait cinq mille personnes. Ainsi la fortune épuisait sur nous à la fois toutes ses rigueurs des tremblements de terre, des abîmes qui s’ouvraient, la peste en diverses régions à la fois, ravageaient l’empire romain; Valérien gémissait dans la captivité, les Gaules étaient en grande partie envahies, Odenat livrait des combats, Aureolus opprimait l’Illyrie, Émilien était maître de l’Égypte. Pour comble à tant de calamités, les Goths, et Clodius, dont nous avons parlé plus haut,[7] s’emparèrent des Thraces, ravagèrent la Macédoine, assiégèrent Thessalonique, et nulle portion de l’empire n’était en repos, nulle part ne brillait la moindre lueur de salut. Or, nous ne nous lassons point de le dire, tous ces maux nous venaient du mépris qu’inspirait Gallien, le plus débauché des hommes, et qui, si les dangers ne l’avaient quelque peu tenu, se serait vautré dans toutes les infamies.

VI. Ces Goths furent vaincus par les habitants de l’Achaïe, commandés par Martianus,[8] et se retirèrent. Mais les Scythes, autre peuple du même pays, ravageaient l’Asie. C’est à l’époque de cette invasion que le temple de Diane d’Ephèse, dont la richesse est si universellement connue, fut pillé et livré aux flammes. On rougit de rapporter les misérables plaisanteries de Gallien au milieu de ces calamités qui affligeaient le genre humain. Lorsqu’on lui annonça la défection de l’Egypte, on assure qu’il dit: « Quoi donc? ne pouvons-nous nous passer du lin d’Égypte! » Lorsqu’il apprit que l’Asie était dévastée à la fois et par le choc des éléments et par les incursions des Scythes: « Eh bien, dit-il, ne pouvons-nous nous passer de fleur de nitre? » A la nouvelle que la Gaule était perdue pour l’empire, il dit en souriant: «C’en est donc fait de la république, si elle n’a plus les casaques gauloises? » C’est ainsi qu’en perdant l’une après l’autre les diverses parties du monde, il plaisantait comme s’il n’avait perdu que les produits les plus vils. Aucun genre de calamités ne devait manquer au règne de Gallien : Byzance, cette ville si célèbre par ses guerres navales, cette clef de la mer du Pont, fut saccagée par les soldats de Gallien, à tel point que pas un seul habitant n’échappa à leur barbarie, et qu’il ne s’y trouve plus d’autres familles anciennes que celles dont le nom s’est perpétué par des gens que des voyages ou le service militaire ont alors sauvés de ce désastre.

VII. Gallien donc se mit en campagne contre Postumius. Il avait avec lui Aureolus et le général Claudius qui, plus tard, fut empereur, et dont notre césar Constance tire son origine.[9] Postumius était secondé par de nombreux secours des Celtes et des Francs, et il avait avec lui Victorinus, qu’il s’était associé dans le pouvoir suprême. Après plusieurs combats, dont les succès furent variés, le parti de Gallien resta vainqueur; car il y avait dans Gallien des étincelles soudaines de courage, et il arrivait quelquefois qu’il ressentait vivement une injure. Enfin il se disposa à tirer vengeance des Byzantins. Il n’espérait point que cette ville lui ouvrit se portes; cependant, dès le lendemain de son arrivée, il fut reçu dans l’enceinte des murs. Aussitôt il fit environner de ses troupes les soldats désarmés, et, contre la foi de ses promesses, il les massacra. Dans le même temps aussi, les Scythes, battus en Asie, et ne pouvant plus résister à la valeur et à l’habileté des généraux romains, se retirèrent dans leur pays. Après le massacre des soldats de Byzance, Gallien, comme s’il eût fait quelque grand exploit, courut à Rome, convoqua les sénateurs, et célébra la dixième année de son empire par des jeux, des plaisirs d’un nouveau genre, et des fêtes d’une magnificence inouïe.

VIII. Et d’abord, au milieu des sénateurs en toges, de l’ordre des chevaliers, des soldats vêtus de blanc, et précédé de tout le peuple, de presque tous les esclaves, et des femmes qui portaient à la main des flambeaux de cire et des lampes, Gallien se rendit au Capitole. A droite et à gauche s’avançaient aussi en procession deux par deux, cent bœuf blancs, les cornes dorées, et le dos couvert de riches housses de soie de diverses couleurs: en avant de ces boeufs marchaient deux cents brebis blanches sur deux lignes, et dix éléphants qui se trouvaient alors à Rome; douze cents gladiateurs magnifiquement vêtus de robes étincelantes d’or, telles qu’en portent les dames romaines; deux cents bêtes féroces de divers genres que l’on avait apprivoisées, couvertes des plus riches ornements; des chars avec des mimes et des histrions de toutes sortes; des athlètes qui, armés de cestes inoffensifs, simulaient des combats de pugilat. Il y avait aussi des saltimbanques qui représentaient diverses scènes du Cyclope,[10] et excitaient l’étonnement et l’admiration par les choses merveilleuses qu’ils faisaient. Toutes les rues retentissaient du bruit des jeux et des applaudissements de la foule. Quant à lui, vêtu d’une toge brodée et d’une tunique ornée de palmes, environné des sénateurs, comme nous l’avons dit, et de tous les prêtres revêtus de la prétexte, il se rendit au Capitole. Des deux côtés l’on voyait s’avancer cinq cents lances dorées, et cent étendards, sans compter ceux des différentes corporations de la ville,[11] et, en outre, les dragons[12] et les enseignes de tous tes temples et de toutes les légions. Enfin diverses nations y étaient représentées, comme les Goths, les Sarmates, les Francs, les Perses, et il n’y avait pas moins de deux cents hommes par bande.

IX. Par une telle pompe, cet homme inepte s’imaginait en imposer au peuple; mais les Romains avaient l’esprit trop fin et trop pénétrant pour s’y laisser prendre: les uns faisaient des voeux pour Postumius, les autres pour Regillianus, d’autres pour Aureolus, pour Émilien ou pour Saturninus; car on disait déjà que ce dernier avait aussi revêtu la pourpre impériale. L’on gémissait sur la captivité de Valérien., et l’on s’indignait de ce que son fils l’abandonnait à son malheureux sort, tandis que des étrangers avaient tout fait pour le venger. Mais Gallien était insensible à ces plaintes, tant les plaisirs avaient émoussé en lui les sentiments du coeur; et il disait à ceux qui l’environnaient : « Qu’avons-nous à dîner? Quels plaisirs a-t-on préparés? Et demain, quel sera notre dîner?[13] Quels jeux y aura-t-il au Cirque? » Ayant ainsi terminé la marche triomphale, et offert les hécatombes, il retourna au palais; et, quand il se fut bien rassasié de bonne chère et de festins, il consacra les jours suivants aux plaisirs publics. Je ne dois point oublier ici une plaisanterie qui ne manquait point de finesse. Tandis que, dans la marche, pour comble de ridicule, on conduisait une troupe de Perses, comme si c’étaient des prisonniers,[14] quelques plaisants se mêlèrent à ces prétendus Perses, paraissant chercher partout avec grand soin, et examinant chacun au visage avec une curiosité singulière. On leur demanda ce qui les occupait tant; ils répondirent: « Nous cherchons le père du prince. » Cette plaisanterie, rapportée à Gallien, n’excita en lui aucun sentiment de honte, ni de chagrin, ni de tendresse filiale, et il fit brûler vifs ceux qui en étaient les auteurs. Le peuple fut plus douloureusement affecté de leur supplice qu’on n’aurait pu s’y attendre; et les soldats en furent si indignés, qu’ils ne tardèrent pas à tes venger.

X. Sous le consulat de Gallien et de Saturninus,[15] Odenat, roi de Palmyre, obtint l’empire de tout l’Orient. Il dut cette haute fortune à son courage et à ses exploits, qui le montrèrent digne de la souveraine puissance; il la dut aussi à la honteuse indolence de Gallien, qui restait dans une inaction absolue, ou n’ei sortait que pour s’occuper de débauches ou d’amusements ineptes et méprisables. Odenat déclara aussitôt la guerre aux Perses pour délivrer Valérien, qu’abandonnait son fils. Il s’empara de Nisibe et de Carres, dont les habitants, indignés contre Gallien, se soumirent à son autorité. Malgré ses succès, Odenat ne cessa point de traiter Gallien avec respect : il lui envoya même des satrapes qu’il avait faits prisonniers. Était-ce une espèce d’insulte, était-ce un prétexte pour faire étalage de ses exploits? Quoi qu’il en soit, lorsque ces satrapes furent arrivés à Rome, Gallien triompha des ennemis qu’Odenat avait vaincus, et ne fit aucune mention de son père: ce ne fut même que malgré lui et par contrainte qu’il le mit au rang des dieux, lorsque lui vint la fausse nouvelle de sa mort; car le bruit courut que Valérien avait cessé d’exister; quoiqu’il fût encore vivant. Odenat, de son côté, assiégea la ville de Ctésiphon, où s’étaient renfermés un grand nombre de Parthes; il dévasta tous les environs, et fit un grand carnage des ennemis. Mais, les satrapes étant venus de toutes les parties du royaume pour concourir à la défense commune, il y eut de nombreux combats dont les succès furent variés; cependant la victoire finit par rester aux Romains : car Odenat, dont l’unique pensée était d’arracher Valérien à sa captivité, revenait tous les jours à la charge, et ce grand prince luttait avec opiniâtreté contre tous les obstacles d’un pays qui lui était étranger.

XI. Tandis que ces choses se passaient chez les Perses, les Scythes firent invasion dans la Cappadoce, s’emparèrent des villes, et, après avoir longtemps combattu avec des alternatives de revers et de succès, allèrent attaquer la Bithynie.[16] En présence, de tels désastres, les soldats pensèrent de nouveau à se choisir un autre empereur; Gallien, selon sa manière d’agir habituelle, ne pouvant ni les apaiser ni les faire rentrer dans le devoir, les fit tous massacrer. Or, tandis que les troupes cherchaient à se donner un prince digne de l’empire, Gallien était archonte à Athènes, c’est-à-dire premier magistrat, par suite de cette sotte vanité qui lui avait fait désirer d’être inscrit au nombre des citoyens de cette ville et initié à tous les mystères, ce que n’avait point fait Adrien dans sa plus grande prospérité, ni Antonin au milieu d’une profonde paix,[17] quoique l’un et l’autre fussent tellement instruits dans les lettres grecques, qu’à en croire d’excellents juges, il n’y avait guère de savants qui l’emportassent sur eux. Il voulait même faire partie de l’aréopage, tant il paraissait mépriser l’empire. Du reste, il faut avouer que Gallien était distingué par son éloquence, et par son talent dans la poésie et dans tous les beaux-arts. On a de lui un épithalame qui l’emporta sur tous ceux qu’avaient composés cent autres poètes. Lorsqu’il maria les fils de ses frères, tous les poètes grecs et latins ayant pendant plusieurs jours récité des pièces de vers, il prit les mains des fiancés, et dit un épithalame où se trouvaient souvent répétés ces mots:

Ite, ait, o pueri, pariter sudate medullis

Omnibus inter vos : non murmura vestra columbae

Brachia non hederae, non vincant oscula conchae.

« Allez, enfants, livrez-vous avec une égale ardeur aux plus doux plaisirs : que vos soupirs ne le cèdent point à ceux de la colombe, que vos bras s’entrelacent comme le lierre à l’ormeau; et, dans vos tendres baisers, soyez unis comme la coquille des mers s’unit à la coquille. »

Il serait trop long de rapporter ici les vers et les discours qui lui firent un rang distingué tant parmi les poètes que parmi les orateurs. D’ailleurs, autre est le mérite que l’on cherche dans un empereur, autre celui d’un orateur ou d’un poète.

XII. On rapporte de lui une action digne d’éloge. En effet, lorsqu’il apprit qu’Odenat avait battu les Perses, réduit sous la puissance romaine Nisibe, Carres et toute la Mésopotamie; qu’enfin il était parvenu jusqu’à Ctésiphon, qu’il avait mis le roi en fuite, fait prisonniers les satrapes, et tué un nombre infini de Perses, Gallien, après avoir pris conseil de son frère Valérien et de Lucille, son parent, appela Odenat au partage de l’empire, lui donna le titre d’auguste, et fit frapper de la monnaie à son effigie, où il était représenté traînant à son char les Perses captifs : un choix si honorable fut accueilli avec joie et reconnaissance par le sénat, par le peuple, et par tout l’empire. On ne peut refuser, non plus, à Gallien beaucoup de finesse dans l’esprit : j’en citerai ici quelques exemples. L’on avait lâché dans l’arène un énorme taureau qu’un chasseur devait tuer à coups de flèches ou de javelots. Dix fois on ramena ce taureau, sans que le chasseur pût l’atteindre de ses traits. Gallien lui envoya une couronne, et, comme tout le monde murmurait de ce que l’on couronnait un homme si maladroit, il fit dire par le héraut: « C’est que manquer tant de fois un taureau est chose difficile. » Une autre fois, un marchand ayant vendu comme vraies de fausses pierreries à l’impératrice, aussitôt qu’elle eut reconnu la fraude, cette princesse irritée demanda qu’il fût châtié. Gallien fit saisir cet homme comme pour le livrer aux lions; puis, de la loge des bêtes féroces, il fit lâcher sur lui un chapon. Comme on s’étonnait de cette singularité, il fit dire par le crieur: « Cet homme a trompé, il est trompé à son tour; » et il renvoya le marchand. Tandis qu’Odenat était retenu par la guerre contre les Perses, et que Gallien, selon son habitude, perdait son temps dans de misérables occupations, les Scythes se firent une flotte, parvinrent à Héraclée, et, chargés de butin, s’en retournèrent dans leur pays : un grand nombre cependant avaient péri dans un combat naval où ils furent battus.

XIII. Sur ces entrefaites, Odenat périt par les embûches d’un cousin germain, avec son fils Hérode, auquel il avait aussi donné le titre d’empereur. Zénobie, sa veuve, dont les enfants, Herennius et Timolaüs, étaient encore en bas âge, prit elle-même les rênes de l’empire, et cette femme courageuse, si fort au-dessus de son sexe, gouverna longtemps avec une énergie et une habileté qui auraient fait honte, non seulement à Gallien, mais à beaucoup d’antres empereurs. Lorsque Gallien apprit la mort d’Odenat, il pensa enfin à venger son père, et se prépara à porter la guerre chez les Perses. Il chargea Héraclien de lever des troupes, et montra lui-même l’activité d’un prince. Du reste, Héraclien, s’étant mis en marche contre les Perses, fut vaincu, et son armée entièrement détruite par Zénobie, qui commandait avec une mâle énergie les peuples de Palmyre et de presque tout l’Orient. Sur ces entrefaites, les Scythes, ayant traversé l’Euxin, pénétrèrent dans le Danube, et firent d’affreux ravages sur le territoire romain. A cette nouvelle, Gallien chargea les Byzantins Cleodamus et Athénée de réparer et de fortifier les villes : on combattit sur les rivages du Pont, et les barbares furent vaincus par les généraux de Byzance. Venerianus, de son côté, remporta sur les Goths une victoire navale; mais lui-même perdit la vie dans la bataille. De là les barbares portèrent leurs ravages à Cyzique et dans L’Asie; ils passèrent ensuite dans I’Achaïe, qu’ils dévastèrent tout entière. Vaincus et chasses par les Athéniens, sous les ordres de Dexippe, écrivain en même temps que général, ils parcoururent en les ravageant l’Épire, l’Acarnanie et la Béotie. Enfin, ils dévastaient l’Illyrie, lorsque Gallien, que réveillaient à peine les maux publics, vint à leur rencontre, tomba sur eux à l’improviste et en fit un grand carnage. A cette nouvelle, les Scythes rassemblèrent des charrois, s’en firent un rempart, et voulurent s’enfuir par le mont Gessace.[18] Martianus les poursuivit avec des alternatives de succès et de revers,[19] ce qui excita toutes les peuplades scythes à prendre les armes contre Rome.

XIV. Le général Héraclien s’était jusque-là montré dévoué à la république.[20] Mais ne pouvant supporter plus longtemps la perversité de Gallien, qui allait au delà de toutes les bornes, Martianus et lui convinrent ensemble que l’un d’eux prendrait l’empire:[21] cependant ce fut Claudius, comme nous le dirons en son temps, qui fut élu, quoiqu’il n’eût point pris part à cette délibération. C’était l’homme le plus vertueux de cette époque, et il s’était acquis tant d’estime et de respect, que tout le monde le regardait comme digne de l’empire : l’événement trouva dans la suite qu’on ne s’était point trompé. En effet, c’est le même Claudius dont Constance, ce césar qui veille avec tant de soin sur la république, a tiré son origine. Dans ce projet d’élever Claude à l’empire, les généraux dont nous avons parlé furent secondés avec autant de prudence que de désintéressement par un certain Ceronius ou Cecropius, général des Dalmates. On ne pouvait s’emparer de l’empire tant que vivrait Gallien. On résolut donc de lui dresser des embûches, et d’arracher la république à la domination de ce monstre d’infamie qui opprimait le genre humain, de peur que, si elle restait plus longtemps livrée aux plaisirs du théâtre et du Cirque, elle ne finit par y épuiser ses forces et y périr. Tel fut le piège qu’on lui tendit. Gallien était en guerre ouverte avec Aureolus, qui s’était arrogé le titre de prince, et il s’attendait à voir arriver d’un jour à l’autre cet empereur élu par une armée rebelle. Martianus et Cecropius, qui n’ignoraient point les alarmes auxquelles Gallien était en proie, lui font tout à coup annoncer qu’Aureolus arrive. Gallien réunit ses troupes, et s’avance comme à un combat certain; mais des assassins envoyés par les généraux lui donnent la mort. Selon quelques historiens, ce fut Cecropius, le général des Dalmates, qui le frappa lui-même de son épée, aux environs de Milan. Là aussi et dans le même temps périt son frère Valérien, à qui les uns donnent le nom d’auguste, d’autres celui de césar, tandis que d’autres prétendent qu’il ne fut ni l’un ni l’autre ce qui n’est guère vraisemblable. Car à une époque où son père Valérien était déjà prisonnier chez les Perses, nous voyons inscrit dans les fastes: « L’empereur Valérien consul. » Or de quel autre peut-il être question que du frère de Gallien? Ainsi l’on est d’accord sur sa qualité de fils et de frère d’empereur, mais l’on ne sait pas d’une manière aussi certaine s’il eut la dignité, ou, pour me servir du langage qui commence à s’introduire, la majesté impériale.[22]

XV. Après la mort de Gallien il éclata une sédition parmi les soldats, qui, dans l’espoir du butin et d’un pillage, criaient, pour exciter le désordre, qu’on leur avait enlevé un excellent empereur, nécessaire à la république, plein de courage et d’activité. Les généraux prirent le parti de les apaiser en prenant le moyen qui réussit toujours en pareil cas : ils promirent par l’intermédiaire de Martianus, vingt pièces d’or par tête,[23] et lorsque cette somme eut été payée (car le trésor était abondamment fourni), les soldats déclarèrent tyran l’empereur Gallien qui fut dès lors inscrit sous ce titre dans les fastes publics. L’armée ainsi apaisée, Claude, homme irréprochable et digne de toute vénération, chéri de tous les gens de bien, dévoué à sa patrie, soumis aux lois, agréable au sénat et estimé du peuple, fut proclamé empereur.

XVI. Telle est en peu de mots la vie de Gallien, qui, comme s’il n’était né que pour les festins et pour les plaisirs, consuma ses jours et ses nuits dans le vin et dans les débauches, et livra l’univers aux ravages de près de trente tyrans, de telle sorte que des femmes même régnèrent plus glorieusement que lui. Pour ne pas passer sous silence sa misérable industrie, j’ajouterai qu’au printemps il se faisait des chambres à coucher avec des roses ; qu’il construisait des châteaux avec des fruits ; qu’il savait conserver le raisin pendant trois ans ; qu’au plus fort de l’hiver il servait à sa table des melons et qu’il enseigna la manière d’avoir du moût toute l’année. Il avait toujours, hors de la saison, des figues vertes et des fruits nouveaux. Le linge de sa table était d’étoffe d’or, les vases également d’or enrichis de pierreries. Il saupoudrait ses cheveux de poudre d’or et souvent il parut en public la tête ceinte d’une couronne à rayons.[24] On le vit dans Rome, où les princes ne se montraient jamais qu’avec la toge, revêtu d’un manteau de pourpre avec des agrafes d’or, garni de pierres précieuses. Il portait une tunique de pourpre à manches, telle qu’elle est d’usage pour les hommes, mais brodée en or. Son baudrier était couvert de pierres précieuses ; il en garnissait également sa chaussure, qui était une espèce de brodequin,[25] car il avait dédaigné celle de ses prédécesseurs, qu’il appelait un misérable réseau. Il donna quelquefois des repas publics et, à force de largesses, il adoucit en sa faveur les esprits du peuple. Siégeant au sénat, il distribua la sportule aux membres de ce corps. Lorsqu’il était consul, il invitait les dames romaines elles-mêmes[26] à assister à son entrée en charge et après qu’elles lui avaient baisé la main, il leur donnait à chacune quatre pièces d’or à son effigie.

XVII. Lorsqu’il apprit la nouvelle que Valérien, son père, était prisonnier des Perses, à l’imitation de ce grand philosophe[27] qui, à la mort de son fils, se contenta de dire : « Je savais bien qu’en lui donnant le jour, il était mortel. », de même Gallien dit : « Je savais bien que mon père n’était qu’un mortel. » Il se trouva un homme, Annius Cornicula, qui ne rougit point de louer la fermeté du prince; mais il en fut encore plus méprisable, lui qui le crut. Souvent, lorsqu’il sortait ou qu’il rentrait, il faisait sonner la marche et la retraite. Il se baignait six ou sept fois par jour en été, et deux ou trois fois en hiver. Il buvait toujours dans des vases d’or, dédaignant le verre comme trop commun. Il changeait sans cesse de vin et jamais il ne but deux fois du même dans un même repas. Souvent ses concubines assistaient à ses festins, et presque toujours au dessert, il avait des bouffons et des mimes. Lorsqu’il se rendait aux jardins, auxquels il avait donné son nom, tous les officiers du palais le suivaient ; il était aussi accompagné de tous les préfets et les chefs de service:[28] ils étaient admis à ses repas, ils se baignaient avec lui. Dans ces occasions il arriva souvent que des femmes mêmes furent admises : il se réservait celles qui étaient jeunes et belles et laissait à ses convives les vieilles et les laides ; c’était là ce qu’il appelait se divertir et cependant il avait ainsi consommé la ruine de l’univers.

XVIII. Ce même prince était envers les soldats d’une cruauté excessive : il en fit massacrer jusqu’à trois et quatre mille en un seul jour. Il voulut qu’on lui érigeât une statue avec les attributs du Soleil, plus grande que le Colosse ; mais il périt avant qu’elle ne fût achevée. On l’avait commencée sur de si grandes dimensions qu’elle eût été double du Colosse. Or il voulait qu’elle fût placée au sommet du mont Esquilin, et qu’elle tint une pique creuse[29] dans l’intérieur de laquelle un enfant pût monter jusqu’en haut. Mais, par la suite, Claude et Aurélien trouvèrent absurde l’idée de ce monument, d’autant plus que Gallien avait aussi ordonné que l’on fît des chevaux et un char en proportion avec la statue, et que le tout fût établi sur une base très haute.[30] Il se proposait aussi de prolonger le portique de Flaminius jusqu’au pont Milvius ; il y aurait eu quatre rangs de colonnes, ou selon d’autres, cinq, dont le premier avec des pilastres précédés de colonnes ornées de statues, et les trois autres de simples colonnes rangées quatre par quatre. Il serait trop long de dire en détail tout ce qui concerne ce prince; si l’on veut plus de développements, on n’a qu’à consulter Palfucius Sura, qui a fait un journal de la vie de Gallien. Mais revenons à Saloninus.


 

SALONINUS GALLIEN.[31]

 

[De J.-C. ... – 260[32]]

 

I. Saloninus était fils de Gallien et petit-fils de Valérien. Son histoire ne présente rien de remarquable si ce n’est l’éclat de sa naissance, la magnificence royale dans laquelle il fut élevé et la mort funeste qu’il subit en haine de son père. Il est difficile de décider quel fut son vrai nom, car parmi les historiens, certains l’appellent Gallien, les autres Saloninus Ceux qui lui attribuent ce dernier nom prétendent qu’il lui fut donné parce qu’il était né à Salone ; ceux qui l’appellent Gallien, disent que ce nom lui vint de l’empereur son père et de son aïeul Gallien,[33] qui avait été un personnage très distingué dans la république. Du reste, il a existé jusqu’à nos jours une statue de lui au pied du mont de Romulus, c’est-à-dire en avant de la voie sacrée, dans le temple de Faustine, qui a été transportée près de l’arc de triomphe des Fabius. Dans l’inscription qui y était gravée, le nom de Gallien le Jeune se trouvait placé après celui de Saloninus ; ce qui indique assez quel fut le vrai nom de ce prince. Il paraît constant que l’empire de Gallien dura plus de dix ans; j’ajoute ici cette observation parce que certains historiens prétendent que ce prince a péri la neuvième année de son règne.[34] Quant aux diverses rébellions qui éclatèrent de son temps, nous leur consacrerons un livre séparé, réunissant ainsi les trente tyrans qui désolèrent ainsi la république. Un seul livre nous a paru devoir suffire, parce que l’histoire a peu de choses à dire sur chacun d’eux, et que déjà, dans la vie de Gallien, nous avons donné sur eux les détails les plus importants. Nous n’ajouterons rien ici sur Gallien, d’autant plus qu’en écrivant l’histoire de Valérien, nous avons eu souvent l’occasion de parler de ce prince et que nous y reviendrons encore dans notre livre sur les Trente Tyrans. Il serait inutile de répéter sans cesse les mêmes choses. D’ailleurs, il y a dans sa vie, plus d’une particularité que, par ménagement pour ses descendants, j’ai dû passer sous silence.

II. Car lorsqu’on se hasarde à écrire la vie de certains hommes, vous savez vous-mêmes à quelles attaques passionnées, à quelles violences on doit s’attendre de la part de leurs descendants et vous n’avez sans doute point oublié ce que dit Marcus Tullius dans son livre de préceptes et d’exhortations intitulé Hortensius.[35] Je rapporterai cependant ici un seul trait, dont le peuple s’amusa alors, et qui fit naître une coutume nouvelle. Des officiers que l’empereur avait invité à un repas s’étant rendus au palais, lorsque l’heure fut venue, déposèrent pour la plupart leurs baudriers; mais Saloninus, ou si l’on veut Gallien, qui était encore enfant, enleva, à ce qu’on assure, ces ceintures étincelantes d’or ; et comme dans le palais il était embarrassant pour eux de réclamer contre un semblable larcin, ils prirent leur mal en patience et se turent ; mais, dans la suite, ayant été de nouveau invités par l’empereur, ils se mirent à table avec leurs baudriers. Comme on leur demandait pourquoi ils ne s’en débarrassaient point : « C’est, répondirent-ils, en considération de Saloninus. » De là vint, à ce que l’on assure, pour les militaires, l’usage de garder sa ceinture à la table de l’empereur. Je dois avouer cependant que l’on donne une autre origine à cette coutume : on dit que primitivement les militaires venaient toujours avec la ceinture au repas du matin, parce que ce repas était comme une préparation au combat, ce qu’indique même son nom (prandium ou parandium venant de parare). La preuve que telle est bien l’origine de cet usage, c’est qu’au repas du soir, même à la table de l’empereur, ils ne gardent pas leur ceinture. J’ai cru ne devoir point omettre ce détail, parce qu’il m’a paru digne d’être connu.

III. Passons maintenant aux trente tyrans qui, sous Gallien, usurpèrent l’empire, grâce au mépris qu’inspirait ce mauvais prince. Je parlerai d’eux avec toute la brièveté possible ; car la plupart ne méritent guère de tenir une place dans l’histoire, quoique, dans le nombre, il s’en trouve quelques-uns qui n’étaient point dépourvus de mérite, et qui même ont rendu à la république d’importants services. Parmi les diverses opinions relatives au nom de Saloninus, la plus vraisemblable, c’est qu’il le reçut de Salonina,[36] sa mère, dans le temps où l’empereur s’éprit d’amour pour Pipara, la fille d’un roi des barbares.[37] Gallien, même dans l’intérieur du palais, avait toujours les cheveux parsemés de poudre d’or.[38] Quant à la durée de l’empire de Gallien et de Valérien, on est loin d’être d’accord.[39] En effet quoiqu’il soit constant que leur empire ait duré quinze ans, c’est-à-dire que Gallien a gouverné jusqu’à la fin de ces quinze ans, et que Valérien a été fait prisonnier la sixième année, les uns donnent neuf ans à l’empire de Gallien, les autres dix ; et cependant il faut bien reconnaître qu’il célébra à Rome le dixième anniversaire de son avènement à l’empire, et qu’après ces décennales, il vainquit les Goths, fit la paix avec Odenat, se réconcilia avec Aureolus, combattit contre Postumius et contre Lollianus, et fit beaucoup d’autres choses encore, les unes honorables pour lui, les autres, en bien plus grand nombre, qui le couvrirent d’opprobre, car on assure que toutes les nuits il courait les tavernes, en société avec des débauchés, des mimes et des bouffons.

 


 

[1] Cette Vie se trouve sans nom d’auteur dans le manuscrit royal de Casaubon, et, dans le manuscrit palatin de Saumaise, elle est attribuée à Julius Capitolinus, ainsi que les suivantes, jusqu’à Aurélien. Voyez la Notice sur Trebellius

[2] Les fils de Macrien étaient Macrianus le Jeune et Quietus ils se trouvent après leur père dans le livre des Trente tyrans, ch. xii, xiii.

[3] Trebellius (Triginta tyranni, de Macriano) raconte lui-même différemment ce fait: il dit que Macrien marcha contre Aureolus avec 45.000 hommes, et que 30.000 passèrent du côté de son adversaire.

[4] Ce passage a embarrassé Saumaise et Casaubon, qui tous les deux proposent des corrections. Le premier lit : « Festinavit ad alterum filium Macriani, cum exercitu, si hoc daret fortuna, capiendum; » le second : « Festinavit ad alterum filium Macriani cum exercitu, si hunc daret fortuna, capiendum. » Mais est-il bien nécessaire de faire ces changements à un texte qui, par lui-même, présente un sens raisonnable? Trebellius vient de dire que Macrien et l’un de ses fils ont péri, que l’armée s’est livrée à Aureolus. Odenat, voyant d’une part l’inaction de Gallien, de l’autre le parti de Macrien à peu près anéanti, profite de l’occasion que lui présente la défection de l’armée, pour s’emparer du dernier fils de Macrien, qui se trouve sans défense. Ce sens s’accorde bien avec la manière dont Trebellius raconte le même fait dans son article sur Quietus, au ch. xiii des Trente tyrans: « Ubi comperit Odenatus.... ab Aureolo Macrianum patrem, Quietum, et ejus fratrem Macrianum victos, milites in ejus potestatem concessisse; quasi Gallieni partes vindicaret, adolescentem cum Balista praefecto dudum interemit. »

[5] Saumaise et Gruter, d’après les manuscrits de la bibliothèque Palatine, donnent ici un texte différent : « Galli, quibus insitum est, leves ac degenerantes a civitate Romana, etc. » Nous n’avons pas cru devoir répudier le texte vulgaire, qui, en faisant peser sur les Gaulois le reproche d’inconstance, s’accorde très bien avec ce que dit Trebellius de ces mêmes Gaulois, au ch. ii des Trente tyrans : « More illo, quo Galli novarum remum semper sunt cupidi etc.. »

[6] Les manuscrits se trouvent ici, comme dans un grand nombre de passages de Trebellius, gravement’ mutilés. Casaubon et Saumaise font, pour corriger le texte, de grands efforts qui paraissent avoir des résultats peu satisfaisants. Saumaise lit: « Contra hunc ipse Gallienus exercitum duxit, quumque urbem in qua erat Postumius obsidere cœpisset, acriter eam defendentibus Gallis, Gallienus muros circumiens sagitta ictus est. » Casaubon est choqué de ces mots decernentibus Gallis, et, changeant la ponctuation, il lit: « Contra hunc Theodotus exercitum duxit : quumque urbem in qua erat, Postumius obsidere cœpisset decernentibus Gallis, Gallienus, etc. »

[7] Sans doute Trebellius avait parlé des Scythes et de Clodius dans les Vies qui nous manquent. Ce passage est un de ceux qui se trouvent gravement altérés dans les manuscrits. Ce Clodius est-il le même que Claudius le Gothique, qui devint plus tard empereur? Cela est plus que probable, malgré la manière différente dont ce nom se trouve ici écrit.

[8] Le texte vulgaire dit Macriano duce, au lieu de Martiano. Nous avons suivi l’autorité de Zosime, qui, dans la manière dont il écrit ce nom, n’est point contredit par les meilleurs manuscrits de Trebellius. D’ailleurs, il se trouve ainsi, écrit au ch. xiii de cette même Vie. Voir la note 19.

[9] Les éditions disent Constantini; mais l’on trouve dans le manuscrit palatin Constantii, et d’ailleurs la Vie de Claude, où Trebellius répète sans cesse les mêmes mots Constantii caesaris nostri, ne laisse aucun doute sur l’exactitude de cette correction. Voir la note 1 de la Vie de Claude.

[10] Apenarii ou Apinarii, venu d’Apina, très petite ville de la Pouille. Martial emploie apinœ pour signifier des bagatelles, des bouffonneries. Par apenarii, il faut donc entendre des saltimbanques qui faisaient des tours, et représentaient par des pantomimes des scènes bouffonnes. Ici on les voit représenter diverses scènes dont le Cyclope est le héros.

[11] On voit par ce passage que les différentes corporations de Rome avaient chacune leur bannière.

[12] Végèce et Ammien Marcellin font mention de drapeaux romains où un dragon était représenté.

[13] Saumaise veut que l’on écrive scena : je n’en vois point l’utilité. Ces quatre interrogations sont en rapport, deux par deux : Quel repas et quels jeux, voluptates, avons-nous aujourd’hui? quel repas et quels jeux aurons-nous demain?

[14] Les éditions disent rex Persarum; mais est-il bien probable que Gallien ait poussé l’extravagance jusqu’à promener dans Rome, parmi les captifs, un faux roi des Perses? Casaubon conjecture avec infiniment de raison, qu’au lieu de rex il faut lire grex. J’ai traduit dans ce sens. Cela d’ailleurs se lie mieux avec le détail qui suit.

[15] C’est le sixième consulat de Gallien, dont on trouve la mention dans les fastes consulaires.

[16] Les éditions disent acies ad, ce qui ne présente pas un sens bien net. Mais Saumaise trouve dans son manuscrit palatin : « Bello etiam vario diu actos ad Bithyniam contulerunt, » et à l’aide d’une correction fort heureuse, il lit: « Bello etiam vario diu acto, se ad Bithyniam contulerunt. » Nous avons cru devoir adopter cette rectification.

[17] Ce passage veut-il dire qu’Adrien ai Antonin n’ont pris part aux cérémonies sacrées des Grecs, ni à leurs magistratures? cela serait entièrement faux. Ou bien ne signifie-t-il pas seulement qu’ils n’ont point été jusqu’aux mêmes excès, comme de se faire inscrire comme citoyens d’Athènes, d’assister à tous les sacrifices, de vouloir faire partie de l’aréopage, etc.? Saumaise propose de lire : « Quod neque Hadrianus nisi in summa felicitate, neque Antoninus nisi in adulta fecerat pace. »

[18] Nous voyons dans Procope (liv. iv) ce que c’est que carruginem facere: Tὰς ἀμάξας μετοπηδὸν στῆσαι ὅπως τὰ νῶτα ἐν τῶ ἀσφαλεῖ ἔχοντες θαρσήσωσι μᾶλλον. Les Scythes, pour protéger leur fuite, rangèrent derrière eux leurs chariots, et s’en firent un rempart. Il est difficile de dire ce qu’était ce mont Gessace, dont aucun autre que Trebellius ne fait mention.

[19] Les mêmes faits sont racontés avec plus de développements par Trebellius, dans la Vie de l’empereur Claude, ch. vi : « Nam, ut superius diximus, illi Gothi, qui evaserant eo tempore, quo illos Martianus est persequutus, quosque Claudius emitti non siverat, ne quid fieret quod effectum est, omnes gentes suorum ad Romanas incitaverunt praedas. » On se souvient qu’au ch. vi de la Vie de Caille, Trebellius a dit que les Scythes faisaient partie de la nation des Goths; c’est donc bien du même peuple qu’il parle ici. Ces deux passages s’expliquent et se complètent l’un par l’autre. Les Goths sont battus par Gallien dans l’Illyrie. Les Scythes, lestes compatriotes, l’apprennent et veulent s’enfuir par le mont Gessace. Claude, l’un des généraux romains, et qui avait sur les autres une grande autorité ou une grande influence, puisque bientôt après ils le font empereur, ne veut point qu’on les laisse échapper, dans la crainte qu’ils ne reviennent avec des forces plus considérables, ce qui, dans le fait, est arrivé. Martianus se conforme à ses intentions, les poursuit et leur fait la guerre, peut-être même dans leur pays, mais avec des succès variés; circonstance qui encourage toutes les peuplades scythes à prendre les armes contre Rome.

[20] Le texte vulgaire dit et haec quidem. Trebellius vient de parler de Martianus; que signifie cette phrase « Tel fut le dévouement d’Héraclien envers la république? » On ne peut pas dire que haec se rapporte à ce qui suit : verum qui commence la phrase suivante s’y oppose. Le changement de haec en huc paraît présenter un sens plus raisonnable.

[21] Si nous ne voyons que les mots, et surtout alter, il s’agit de délibération entre Martianus et Heraclianus, pour décider qui des deux prendra l’empire; si l’on considère ce qui suit, « Claudius.... electus est, qui consilio non affuerat, » il est difficile de trouver quelque liaison raisonnable entre ces deux phrases, et il est permis de penser qu’il manque encore ici quelque chose, par suite de l’altération des manuscrits.

[22] On avait dit majestas populi Rornani, dans le temps que le peuple était le pouvoir le plus grand et le plus élevé; nous voyons ici pour la première fois ce mot employé pour désigner la dignité impériale.

[23] Le nummus aureus, comme nous l’avons dit, valait 300 sesterces.

[24] La couronne à rayons appartenait aux dieux.

[25] Campagus ou campaeus, venu du grec κάμπτω, était une chaussure dont les courroies ou aiguillettes, se croisant l’une sur l’autre, de manière à former une espèce de réseau, venaient s’attacher au milieu de la jambe. Cette chaussure était noire, et quelquefois blanche pour les sénateurs, et ornée d’une agrafe en forme de croissant; pour l’empereur, elle était couleur de pourpre. Gallien dédaigne cette chaussure, qui n’est qu’un réseau, et adopte celle des gens de guerre, caliga, espèce de brodequin qui courrait et garantissait mieux la jambe.

[26] C’était une coutume, que les consuls, à leur entrée en charge, fissent des distributions d’argent. Gallien y admet même les femmes.

[27] C’est de Xénophon qu’il veut parler. Tout le monde sait la fermeté qu’il montra en apprenant la mort de son fils.

[28] Chaque genre d’office, au palais, avait son chef, que l’on appelait magister, ou princeps, ou primicerius officii.

[29] Les éditions disent caput au lieu de scapum. Que l’on fasse rapporter caput à la statue ou à la javeline, on ne trouve point une explication satisfaisante. Scaliger change caput en scapum, et cette correction éclaircit le passage: « la javeline que tenait cet énorme colosse était si vaste, qu’un enfant pouvait monter par un escalier intérieur jusqu’au sommet. »

[30] Comment une base très aiguë, par conséquent en pointe, aurait-elle pu supporter cette masse énorme? Saumaise propose de lire auctissima. Avec ce changement, la base se trouverait, non plus aiguë, mais d’une grande dimension.

[31] Ce titre paraît déplacé ; ce qui suit fait nécessairement partie de la Vie des deux Gallien, qu’a annoncé le titre précédent.

[32] Cette date est celle de la mort de Saloninus.

[33] Quel est cet aïeul dont il est ici question? Trebellius a dit lui-même que Saloninus Gallien est fils de Gallien et petit-fils de Valérien.

[34] Les éditions disent primo au lien de nono; mais le manuscrit palatin ne reconnaît point ce primo, et Saumaise, d’après Aurélius Victor et Eutrope, propose de le remplacer par nono : l’un et l’autre historien, en effet, le font périr dans la neuvième année de son empire. Trebellius lui-même, à la fin de Saloninus, revient sur cette diversité d’opinions relative à la durée de l’empire de Gallien, et il dit que les uns lui donnent un règne de dix ans, et les autres de neuf. La correction de Saumaise me paraît si vraie, que je l’ai adoptée dans le texte. Voir ci-après la note 37.

[35] Le livre d’Hortensius, dont il parle ici, est au nombre des ouvrages de Cicéron que nous avons perdus. Il n’en reste que quelques fragments, cités par divers auteurs. Nous y trouvons ce passage, qui a quelque rapport avec ce que veut dire ici Trebellius : « Qui quum publicas injurias lente tulisset, suam non tulit. » Un autre de ces fragments explique le mot protrepticus de Spartien : « Nam quod vereris, ne non conveniat nostris aetatibus ista oratio, quae spectat ad hortandum,....

[36] Elle est appelée Cornelia Salonina sur les médailles grecques et latines. On ne sait point quelle était sa famille, ni même de quel pays elle était; quelques auteurs cependant la supposent d’origine grecque.

[37] Le texte vulgaire écrit quam is perdite. Mais que voudrait dire ainsi Trebellius? Il commence par donner à la mère de Saloninus le nom de Salonina, puis il dit qu’elle s’appelait Pipara. Il y a évidemment encore dans ce passage quelque chose de défectueux. Si l’on considère en outre que les phrases qui suivent manquent de liaison, on ne pourra douter que cet endroit ne soit l’un des plus altérés d’un auteur qui, jusqu’ici, présente partout des traces de mutilation. Il est remarquable que ni Casaubon ni Saumaise n’aient parlé de l’incohérence de ce passage, et qu’ils se soient appuyés sur une phrase évidemment mutilée pour confondre en une seule personne l’épouse de Gallien, et cette autre femme, appelée Pipara ou Pipa, fille d’un roi des Germains ou des Marcomans, pour laquelle il était épris d’un honteux amour, que Trebellius lui-même flétrit plus tard (ch. iii des Trente tyrans). Du reste, en changeant quam en quum, on aura un sens un peu plus raisonnable, et j’ai cru pouvoir hasarder cette correction.

[38] Phrase tout à fait déplacée en cet endroit, et qui ne fait que répéter ce que Trebellius a dit plus haut, ch. xvi de la Vie de Gallien le Père : « Crinibus suis auri scobem aspersit. » En outre, que signifie cum suis? Évidemment il manque encore quelque chose avant cette phrase.

[39] Trebellius paraît s’étonner ici d’une chose bien simple, et trouve une diversité d’opinions où il n’y a qu’une différente manière de dire la même chose. « Il est constant, dit-il, qu’à prendre ensemble Valérien et Gallien, leur empire a duré quinze ans, c’est-à-dire que Gallien a régné ces quinze ans entiers, mais que Valérien a été fait prisonnier la sixième année. — Et cependant, ajoute-t-il, les uns prétendent qu’il a régné neuf ans, les autres dix; tandis qu’il n’est pas moins constant qu’il a célébré ses décennales, et qu’après cela il a vaincu les Goths, etc. » En quoi consiste donc ici cette grande diversité d’opinions? c’est que les uns calculent à la fois le temps que Gallien a régné avec son père, et celui qu’il a régné seul, tandis que les autres ne parlent que du temps où il a régné seul. Six ans avec son père, et neuf ans seul, cela fait bien quinze ans de règne. Or il a pu naturellement célébrer ses décennales, et après cela, il lui restait cinq ans pour toutes les guerres qu’il a faites depuis.