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HISTOIRE AUGUSTETREBELLIUS POLLION.[De J.-C. 268 – 270] VIE DU DIVIN CLAUDEOeuvre numérisée par Marc Szwajcer
[De J.-C. 268 – 270] VIE DU DIVIN CLAUDEADRESSEE A CONSTANCE AUGVSTE.[1] *************
I. Nous voici parvenus à l’empereur Claude,[2] dont je dois, en considération de Constance César, écrire avec soin l’histoire. Comment pourrais-je me soustraire à cette obligation, lorsque, dans mon livre des Trente tyrans, j’ai écrit la vie d’autres empereurs et d’autres princes tumultuairement élus, et que l’on y voit même figurer la race de Cléopâtre et Victoria?[3] Car, dans le désir de mieux faire ressortir par la comparaison l’infamie de Gallien, j’ai été jusqu’à écrire la vie de deux femmes. Il ne m’était donc point permis de passer sous silence un prince qui a laissé après lui une si noble race; qui a exterminé les Goths par sa valeur, et, à force de victoires, mis un terme aux désastres publics; qui, lorsque des efforts qu’il n’avait point suscités, renversèrent du trône Gallien, ce monstre de perversité, prit en main, pour le bonheur de l’univers, les rênes de l’empire; qui enfin, s’il avait été plus longtemps conservé à la république, lui aurait rendu, par ses vertus, sa sagesse et sa vigilance, les beaux temps des Scipion, des Camille, et de tous ces grands hommes de l’antiquité. II. Le temps qu’il passa sur le trône fut de peu de durée; mais quand son règne se serait prolongé jusqu’aux dernières bornes de la vie humaine, il eût encore été bien court. Qu’y avait-il, en effet, dans ce prince qui ne fût admirable, merveilleux, au-dessus de tout ce que l’antiquité nous offre de plus glorieux et de plus illustre? Il avait en lui la valeur de Trajan, la piété d’Antonin, la modération d’Auguste, et toutes les grandes qualités des plus illustres empereurs; et, loin d’avoir besoin de leurs exemples, si ces grands princes n’avaient point existé, il eût pu lui-même servir d’exemple à la postérité. Les astrologues les plus éclairés calculent que la durée accordée à la vie humaine est de cent vingt ans, et qu’il n’est donné à personne de passer ce terme; ils ajoutent que Moïse, selon les livres des Juifs, fut le seul qui, parce qu’il était ami de Dieu, vécut jusqu’à cent vingt-cinq ans;[4] et que, s’étant plaint de mourir si jeune, je ne sais quelle divinité lui répondit qu’aucun mortel n’irait au delà.[5] Eh bien, si Claudius avait vécu, comme lui, cent vingt cinq ans, alors même on aurait dû attendre sa mort, malheureusement inévitable, de la même manière que Cicéron le dit de Scipion, dans sa harangue pour Milon:[6] tant sa vie était admirable et merveilleuse! En effet, quelles grandes qualités ne montra-t-il point, soit en public, soit en particulier? Il aima les auteurs de ses jours : rien ici d’extraordinaire. Il aima ses frères c’est déjà plus étonnant. Il aima ses parents, et de nos jours ceci tient du prodige. Il ne porta envie à personne, il poursuivit les méchants. Il punit publiquement, et aux yeux de tous, les magistrats prévaricateurs. Il eut pitié de la sottise et la méprisa. Il donna d’excellentes lois. En un mot, il fut tel envers la république que, d’après les vœux de tout ce qu’il y avait de sain et de pur dans le sénat, les plus grands princes[7] appelèrent sa postérité à l’empire. III. On croira peut-être qu’en m’exprimant ainsi je cherche à plaire à Constance César; mais j’appelle à témoin et votre conscience et toute ma vie, que je n’ai jamais rien pensé, rien dit, rien fait en vue de m’attirer la faveur des princes. Mais je parle de l’empereur Claude qui, par la pureté de sa vie, sa probité, et tous les services qu’il a rendus à la république, a laissé après lui de si glorieux souvenirs, que le sénat et le peuple romain lui ont décerné, même après sa mort, de nouveaux honneurs. Le sénat, d’un accord unanime, a placé, dans le lieu même de ses séances, un bouclier d’or qui existe encore, et sur lequel ses traits sont représentés. En outre, ce qui ne s’était jamais fait pour aucun autre, le peuple romain lui a érigé à ses frais, dans le Capitole, en face du temple de Jupiter, une statue d’or de dix pieds. Aux applaudissements de tout l’empire, on lui a consacré, dans la tribune aux harangues, une colonne surmontée d’une statue d’argent de quinze cents livres, ornée de palmes. Comme s’il avait le pressentiment de l’avenir, il s’attacha à agrandir et à propager la famille des Flavius, qui avait produit Vespasien et Titus: car je ne veux point parler ici de Domitien.[8] C’est lui enfin qui, en peu de temps, termina la guerre des Goths. Qu’on accuse donc d’adulation et le sénat, et le peuple, et les nations étrangères, et les provinces; car tous les ordres de l’État, tous les citoyens de tous les âges, toutes les villes de l’empire ont honoré cet excellent prince par des statues, des étendards, des couronnes, des sanctuaires, des arcs de triomphe, des autels et des temples. IV. Il importe et à ceux qui veulent imiter les bons princes, et à l’univers entier, de savoir quels furent à son occasion les décrets du sénat : on pourra ainsi reconnaître quel était sur ce grand homme le jugement universel. Le 24 de mars, jour de sang,[9] lorsqu’il fut annoncé dans le temple même de la Mère des dieux, que Claude avait été proclamé empereur, le sénat, qui ne pouvait être convoqué à cause de la célébration des sacrifices, prit la toge, se rendit au temple d’Apollon, et après la lecture des lettres de Claude, fit entendre ces acclamations : « Auguste Claude, que les dieux te donnent à nous (ceci fut répété soixante fois) : Claude Auguste, nous t’avons toujours souhaité pour prince, ou quelqu’un qui fût tel que toi (répété quarante fois) Claude Auguste, la république t’appelait (quarante fois): Claude Auguste, tu es un bon frère, un bon père, un bon ami, un bon sénateur, un véritable prince (quatre vingt fois) : Claude Auguste, délivre-nous d’Aureolus (cinq fois): Claude Auguste, délivre-nous des Palmyréens (cinq fois): Claude Auguste, délivre-nous de Zénobie et de Victoria (sept fois): Claude Auguste, Tetricus n’a rien fait contre l’empire (sept fois).[10] » V. Claude, une fois empereur, livra bataille à Aureolus, que la république avait supporté avec d’autant plus de peine qu’il plaisait à Gallien : il lui arracha les rênes de l’empire, et lui donna le nom de tyran, dans les édits qu’il envoya au peuple et dans les discours qu’il adressa au sénat. Aureolus eut encore l’arrogance de demander un traité;[11] mais ce prince grave et sévère rejeta ses propositions en disant: « C’était à Gallien qu’il lui fallait adresser de telles demandes : car Gallien était par ses mœurs de nature à s’entendre avec lui, et même à le craindre. » Enfin Aureolus fut condamné par ses propres soldats, et reçut à Milan une mort digne de sa vie et de ses mœurs. Quelques historiens cependant ont essayé de faire l’éloge de ce tyran, et ils l’ont fait d’une manière bien ridicule. Gallus Antipater, l’opprobre des courtisans et des historiens, débute en ces termes : « Nous voici venus à un empereur qui est digne de son nom: » comme si c’était un grand mérite pour Aureolus, que son nom fût tiré du mot or. On sait que ce même nom a été plus d’une fois donné à des gladiateurs qui se distinguaient parmi les autres. Vous l’aviez dernièrement dans le livret indicateur des jeux.[12] VI. Mais revenons à Claude. Comme nous l’avons dit plus haut, ces Goths qui s’étaient enfuis dans leur pays, dans le temps que Martien les poursuivait, Claude ne voulant point qu’on les laissât échapper,[13] dans la crainte des malheurs qui sont arrivés depuis, avaient appelé tous les peuples de leur race au pillage du territoire romain. Toutes les nations des Scythes, les Peucins,[14] les Trutonges, les Austrogoths, les Virtingues, les Sigipèdes et même les Celtes et les Hérules, attirés par le butin, fondirent donc sur les terres de la république, et promenèrent la dévastation dans nos provinces, tandis que Claude était occupé d’autres soins, et qu’il faisait des préparatifs dignes d’un empereur, pour terminer cette guerre. Ainsi les destinées de Rome parurent retardées par les occupations de ce grand prince; mais c’était sans doute pour que sa gloire s’en accrût, et que ses triomphes jetassent plus d’éclat dans tout l’univers. Toutes ces nations s’étaient réunies au nombre de trois cent vingt mille guerriers. Que ceux qui m’accusent d’adulation viennent dire maintenant que Claude ne mérite point tout notre amour. Trois cent vingt mille hommes armés! Quel Xerxès eut jamais une telle masse de troupes?[15] Dans quelle fable, dans quelle fiction trouverons-nous un tel nombre de combattants? Quel poète a jamais imaginé une telle guerre? Oui, ils étaient trois cent vingt mille hommes armés. Ajoutez-y les esclaves, les familles entières, les voitures de transport, les fleuves mis à sec par leur soif avide, les forêts consumées. La terre elle-même a dû se fatiguer à porter une telle masse de barbares. VII. Il existe une lettre de Claude qu’il avait adressée au sénat, et qui devait être lue au peuple, où il rend compte de l’armée innombrable des barbares. Grâce au ciel, c’est lui-même, dit-on, qui a dicté cette lettre, et non son secrétaire. La voici: « L’empereur Claude au sénat et au peuple romain. Pères conscrits, apprenez de nous quelle est en réalité la guerre que nous faisons.[16] Trois cent vingt mille barbares sont entrés en armes sur le territoire romain : si je parviens à les vaincre, vous aurez à reconnaître un grand service rendu; si je ne suis point vainqueur, sachez que c’est après Gallien que je vais combattre. La république tout entière est épuisée. Nous combattrons après Valérien, après Ingennus, après Regillianus, après Lollien, après Postumius, après Celsus, après mille autres, qui, par dégoût pour Gallien, se sont séparés de la république. Il ne nous reste plus de boucliers, d’épées, de javelots. Tetricus est maître des Gaules et de l’Espagne, qui font la force de l’empire, et tous nos archers, j’ai honte de le dire, sont au pouvoir de Zénobie. Quoi que nous fassions, ce sera déjà beaucoup. » Or, ces innombrables barbares, Claude, avec sa valeur naturelle, les vainquit, les écrasa en peu de temps, et à peine en laissa-t-il quelques-uns regagner leur patrie. Je le demande, qu’est-ce qu’un bouclier dans le sénat pour une si grande victoire? Qu’est-ce qu’une statue d’or? Ennius a dit de Scipion: « Quelle statue, quelle colonne le peuple romain pourra-t-il vous élever, qui puisse rappeler dignement vos exploits? » Et nous aussi, nous pouvons dire que pour Flavius Claude, ce prince unique sur la terre, sa gloire n’a rien à attendre des colonnes, ni des statues, mais de la renommée seule. VIII. Les barbares avaient, en outre, deux mille vaisseaux, c’est-à-dire deux fois plus que n’en avaient toute la Grèce[17] et la Thessalie entière, lorsque, dans les temps anciens, elles s’unirent pour attaquer les villes de l’Asie. Encore n’est-ce là qu’une fiction poétique, tandis que nous parlons ici le langage véridique de l’histoire. Sommes-nous donc les flatteurs de Claude, lorsque nous disons qu’il a détruit, coulé à fond, anéanti deux mille vaisseaux barbares, et trois cent vingt mille hommes armés? qu’il a livré aux flammes cette masse énorme de bagages et de transports, qui suivait naturellement une telle armée; et enfin, qu’il a enrichi les Romains de toutes ces innombrables familles d’esclaves, comme il le dit lui-même dans sa lettre à Junius Brocchus, gouverneur de l’Illyrie : « Claude à Brocchus. Nous avons détruit trois cent vingt mille Goths, coulé à fond deux mille vaisseaux. Les fleuves sont couverts de boucliers, les rivages d’épées et de lances. Les champs sont cachés sous les ossements: aucun chemin n’est libre; partout des voitures, des bagages abandonnés. Tant de femmes sont tombées en notre pouvoir, que chaque soldat vainqueur peut en prendre deux et même trois pour sa part. » IX. Plût aux dieux que la république n’eût point eu à supporter Gallien et cette multitude innombrable de tyrans! Si elle avait conservé tant de soldats qui périrent sur les champs de bataille, et ces légions que Gallien, dans son affreuse victoire, a massacrées, quel surcroît de force et de grandeur c’eût été pour la république ! Au reste, si je rappelle ici les désastres de l’empire, c’est pour mieux faire ressortir sa gloire.[18] En effet, on a combattu dans la Mésie, de nombreuses luttes ont signalé la valeur romaine sous les murs de Marcianopolis ; un grand nombre d’ennemis ont péri dans les flots; des rois ont été faits prisonniers; des femmes du plus haut rang parmi tous ces peuples sont tombées en notre pouvoir; les provinces romaines ont été remplies d’esclaves barbares, et ils ont vieilli à labourer nos champs. Oui, nos campagnes ont vu le soldat goth cultiver de ses bras le sol romain;[19] et, dans tout l’empire, il n’est point de région où des esclaves goths n’aient attesté nos triomphes. Combien de bœufs conquis sur les barbares, nos ancêtres n’ont-ils pas vus? combien de brebis? combien de ces juments celtiques si renommées? Or, c’est à Claude qu’il faut rapporter toute cette gloire; c’est Claude qui a donné à la république la sécurité et l’opulence. On combattit aussi à Byzance, et ceux de ses habitants qui avaient survécu au désastre de leur ville,[20] ont signalé eux-mêmes leur valeur; on combattit à Thessalonique, que les barbares, pendant l’absence de Claude, avaient assiégée; enfin l’on a combattu dans les régions les plus diverses, et partout, sous les auspices de Claude, les Goths furent vaincus, comme si ce prince, perçant des yeux l’avenir, voulait dès lors préparer à sa future postérité, à Constance César, un empire paisible et à l’abri de tous les dangers. X. Je crois à propos de rapporter ici les prédictions que l’on dit avoir été faites à Claude: elles seront des preuves de plus que la divinité l’avait elle-même établi sur le trône, afin que sa race fit le bonheur de la république. Devenu empereur, il consulta sur la durée de son empire, et voici la réponse que lui donna le sort: Tu, qui nunc patria tua gubernas oras[21] Et mundum regis, arbiter deorum ................. in verteres tui novellis[22] Regnabunt etenim tui minores Et reges facient suos minores « Toi qui gouvernes maintenant ta patrie et l’univers, arbitre envoyé par les dieux, tu l’emporteras en durée sur tous les princes qui t’ont précédé, grâce aux rejetons qui sortiront de ta race: car tes petits-fils règneront, et, après eux, les descendants de tes petits-fils. » Une autre fois que, sur l’Apennin, il consultait le sort[23] sur le temps qu’il règnerait lui-même, il reçut cette réponse: Tertia dum Latio regnantem viderit æstas. (Virg., liv. I, v. 266) « Jusqu’à ce que l’été, pour la troisième fois, t’ait vu régner sur le Latium. » Au sujet de ses descendants: His ego nec metas rerum nec tempora pono. (Virg., liv. I, v. 279) « Pour eux, je n’assigne aucun terme à leur durée, aucune limite à leur puissance. » Enfin, à l’occasion de son frère Quintillus, qu’il voulait associer à l’empire, voici la réponse qui lui fut faite: Ostendent terris ut tantum fata. « Les Destins ne feront que le montrer au monde. » [Énéide, Liv. VI, trad. de Delille Si j’ai parlé de ces prédictions, c’était pour qu’il fût évident à tous que Constance César appartient à une race divine et sainte, que sa famille est vraiment impériale, et que de lui sortira une longue suite d’empereurs. Puissent les dieux accomplir ce présage, en nous conservant toutefois les augustes Dioclétien et Maximien, et Galerius,[24] le frère de Constance! XI. Tandis que le divin Claude accomplit ces admirables exploits, les Palmyréens, sous la conduite de Saba et de Timogène,[25] entreprennent la guerre contre les Egyptiens; mais ils sont vaincus par la valeur et la constance indomptable de leurs ennemis. Le général des Egyptiens cependant, Probatus,[26] périt dans une embuscade que lui avait dressée Timogène. Tous les peuples de l’Égypte se soumirent alors à l’empereur romain, et prêtèrent serment à Claude, quoiqu’il fût éloigné. Sous le consulat d’Atticianus et d’Orphitus, la faveur divine vint encore le seconder. Car une multitude de barbares, qui avaient survécu à leurs nations, s’étant retirés dans l’Hémimont,[27] la famine et la peste firent parmi eux de tels ravages, que Claude dédaigna même de les vaincre. Enfin cette guerre terrible fut terminée, et l’empire fut délivré de ses alarmes. Notre conscience nous fait une obligation de dire la vérité tout entière; et d’ailleurs, il faut que ceux qui veulent nous faire passer pour des flatteurs, sachent que nous ne taisons rien de ce qu’exige l’histoire. Dans le temps même où l’on venait de remporter une victoire complète, la plupart des soldats de Claude, entraînés par le succès, auquel résiste si difficilement le sage lui-même,[28] se livrèrent avec avidité au pillage, sans réfléchir que, tandis qu’ils étaient tout entiers occupés du butin, il suffisait d’une poignée d’ennemis pour les tailler en pièces. Enfin, au milieu même de la victoire, près de deux mille soldats romains furent massacrés par un petit nombre de barbares, qui, un instant auparavant, étaient en fuite. Mais aussitôt qu’il en reçoit la nouvelle, Claude rassemble son armée, fait prisonniers tous ces rebelles, et les envoie à Rome, pour y être jetés dans les fers, et servir aux jeux publics. Ainsi, la faute de la fortune ou des soldats fut réparée par le courage et l’activité de ce grand prince, et ce ne fut point seulement une victoire, mais une vengeance. Dans cette guerre, la cavalerie des Dalmates se distingua par sa valeur, voulant sans doute montrer que leur pays était digne d’avoir donné naissance à Claude: car il paraissait tirer de là son origine,[29] quoique des historiens prétendent qu’il venait d’Ilion, et même qu’il descendait de Dardanus, roi des Troyens. XII. À cette époque, des Scythes étant venus attaquer la Crète, et ayant tenté de dévaster l’île de Chypre, la maladie fit de grands ravages dans leur armée, et partout ils furent vaincus. La guerre des Goths était terminée, mais, à sa suite, il se répandit une affreuse contagion. Claude lui-même en fut atteint, et, abandonnant les mortels, il s’éleva au ciel, auquel il appartenait par ses vertus. Lorsque les dieux eurent ainsi reçu parmi eux ce grand prince, Quintillus, cet homme vertueux, ce digne frère de Claude, prit, d’un consentement universel, les rênes de l’empire, qui furent remises entre ses mains, non comme un héritage, mais comme le digne prix de ses vertus. Il eût été élu empereur, quand même il n’aurait point été le frère de l’auguste Claude. Sous son règne, les barbares qui restaient ravagèrent Anchiale, et cherchèrent à s’emparer de Nicopolis; mais ils ne purent résister à la valeur des habitants du pays. Du reste, le règne de Quintillus fut si court qu’il n’eut le temps de rien faire de ce qu’on pouvait attendre de son empire. En effet, s’étant montré ferme et sévère à l’égard des soldats, ainsi qu’il convenait à un prince, il fut massacré après dix-sept jours, comme l’avaient été Galba et Pertinax. Dexippe, à la vérité, ne dit point que Quintillus ait été tué, mais seulement qu’il est mort; toutefois, comme il n’ajoute point que ce soit de maladie, il paraît laisser à ce sujet quelque doute.[30] XIII. Après avoir parlé des actions militaires de Claude, il est bon que nous donnions sur son origine et sur sa famille quelques détails que nous ne pourrions passer sous silence, sans nous exposer à de justes reproches. Claude avait deux frères, Quintillus et Crispus. La fille de Crispus, nommée Claudia, fut mariée à Eutrope, personnage très distingué chez les Dardaniens, et de cette union est né Constance César. Claude eut aussi des sœurs, dont l’une, nommée Constantina, eut pour époux un tribun des Assyriens, et mourut dans les premières années de son mariage. Nous savons peu de choses de ses aïeux: il y a sur eux une grande variété dans les rapports des historiens. Pour Claude lui-même, il était remarquable par la gravité de son caractère et la pureté incroyable de ses mœurs; sobre dans l’usage du vin, donnant fort peu de temps à ses repas ; la taille haute, les yeux très vifs, la figure large et pleine; il avait tant de force dans les mains que souvent, d’un coup de poing, il brisa les dents à des chevaux et à des mulets. Il avait donné des preuves de sa vigueur même dès sa première jeunesse, et, dans le Champ de Mars, il luttait contre les plus forts. Un jour que son adversaire l’avait pris violemment, non à la ceinture, mais aux parties génitales, dans sa colère, il lui brisa d’un coup de poing toutes les dents. Decius, qui était présent, lui pardonna sa vengeance en considération de sa pudeur; il loua même publiquement sa vertu et sa modestie, lui donna des bracelets et des colliers, et cependant lui défendit de se commettre à l’avenir avec des soldats, dans la crainte qu’il n’allât au delà de ce que permet une lutte. Claude n’eut point d’enfants; Quintillus laissa deux fils; Crispus, comme nous l’avons dit, eut une fille. XIV. Passons maintenant aux jugements que divers princes ont portés sur lui. Ils étaient de telle nature que l’on pouvait présager qu’il s’élèverait un jour à l’empire. Valérien écrit ainsi à Zosimion, procurateur de Syrie: « Nous avons donné pour tribun à la brave cinquième légion de Mars, Claudius, Illyrien d’origine, qui, pour son dévouement et son courage, peut être comparé aux meilleurs guerriers de l’antiquité. Vous prendrez ses appointements sur notre trésor particulier, à savoir trois mille boisseaux de blé par an, six mille d’orge, deux mille livres de lard, trois mille cinq cents setiers de vin vieux, cent cinquante de bonne huile, six cents d’huile de seconde qualité, vingt boisseaux de sel, cent cinquante livres de cire; du foin, de la paille, du vinaigre, des légumes, des herbes, autant qu’il lui en faudra; trente dizaines de peaux pour les tentes; six mulets par an, trois chevaux, dix chameaux, neuf mules; en argent travaillé, cinquante livres par an, cent cinquante philippes à notre effigie, et aux étrennes quarante-sept autres, et cent soixante triens d’or; onze livres d’argent pour les coupes et vases de table;[31] de même, onze livres pour les mêmes vases et pour les marmites.[32] Deux tuniques militaires rousses par au, deux casaques [sagochlamydes] par an, deux agrafes d’argent doré et une d’or avec sa pointe en cuivre. Un baudrier d’argent doré, un anneau à deux pierres du poids d’une once, un bracelet de sept onces. Un collier d’une livre, un casque doré. Deux boucliers ciselés en or, et une cuirasse de même, qu’il rendra. Deux lances d’Hercule, deux javelots courts, deux faux ordinaires, et quatre autres pour le foin. Un cuisinier et un muletier, qu’il rendra. Deux belles femmes, choisies entre les captives. Une robe blanche demi soie, garnie de pourpre de Succube; un subarmal garni de pourpre de Mauritanie. Un secrétaire, et un maître d’hôtel, qu’il rendra. Deux paires de garnitures de lit, de Chypre. Deux vêtements intérieurs simples, deux écharpes, une toge, qu’il rendra. Un laticlave, qu’il rendra également. Deux chasseurs pour son service, un cocher, un intendant de sa maison,[33] un porteur d’eau, un pêcheur, un pâtissier. Mille livres de bois par jour, si le bois est abondant; sinon, autant que les lieux pourront en fournir : quatre mesures de charbon de bois par jour. Un baigneur et le bois nécessaire pour les bains, à moins qu’il ne fasse usage des bains publics. Quant aux autres articles, trop peu importants pour être détaillés, vous les lui fournirez dans la mesure convenable, sans cependant en établir l’évaluation ni en donner l’équivalent en argent, si, par circonstance, quelque détail venait à manquer. J’ai accordé toutes ces choses à Claude d’une manière toute spéciale, voulant le traiter, non comme un tribun, mais comme un général d’armée; car c’est un homme tel, qu’il mériterait que l’on fît encore plus pour lui. » XV. Dans une autre lettre adressée à Ablavius Murena, préfet du prétoire, le même prince disait : « Cessez de vous plaindre de ce que Claude est encore tribun, et qu’il n’a point le titre et le rang de général : cessez de me répéter que le sénat et le peuple s’en plaignent également. Claude est général, et, qui plus est, général de toute l’Illyrie. Il a sous ses ordres les armées de Thrace, de Mésie, de Dalmatie, de Pannonie, de Dacie. C’est, à mes yeux comme aux vôtres, un homme du plus haut mérite; il peut compter sur le consulat; il sera préteur, il sera préfet, si cela lui convient, quand il le voudra. Sachez que nous lui avons attribué autant d’appointements qu’au préfet d’Égypte; autant de vêtements qu’au proconsul d’Afrique; autant d’argenterie qu’à Metatius, gouverneur de l’Illyrie; autant de fournitures de toutes sortes dans chaque ville que nous nous en sommes attribué à nous-même. Nous avons voulu montrer ainsi à tout le monde quelle estime nous faisons de lui. » XVI. Voici comme Decius s’exprimait au sujet de Claude : « Decius à Messala, gouverneur de l’Achaïe, salut. Le tribun Claude est un jeune homme plein des plus belles qualités, un brave militaire, un excellent citoyen, dont l’armée, le sénat et la république doivent attendre les plus grands services. Nous l’avons envoyé aux Thermopyles, pour administrer, en qualité de curateur, le Péloponnèse, étant bien convaincu que personne ne remplira mieux que lui nos intentions. Vous lui donnerez deux cents soldats, tirés de la Dardanie, cent hommes pris dans la grosse cavalerie, et cent soixante dans la cavalerie légère, soixante archers crétois, et mille soldats nouveaux bien armés. On peut sans crainte lui confier de jeunes troupes; car il est plein de zèle, de courage et de sagesse. » XVII. Voici encore une lettre qu’écrivit Gallien à l’occasion de Claude; il avait appris par des employés des vivres qu’il était indigné de la mollesse dans laquelle le prince était plongé: « Rien ne m’a plus péniblement affecté[34] que ce que vous m’apprenez dans votre rapport: que Claude, notre parent et notre ami, sur des insinuations mensongères pour la plupart, s’irrite et s’indigne contre moi. Je vous en prie donc, mon cher Venustus, si vous voulez me donner une preuve de votre attachement, faites en sorte que Gratus et Herennianus l’apaisent, sans que les soldats sachent rien de ce qui se passe. Car ces Daces sont déjà mécontents, et cela pourrait les aigrir encore davantage. Moi-même, je lui ai envoyé des présents: faites qu’il les reçoive de bonne grâce. Il faut, en outre, qu’il ignore que je suis informé de ses dispositions à mon égard, de crainte que me croyant moi-même irrité contre lui, il ne se jette dans quelque parti extrême. Voici ce que je lui ai envoyé: deux coupes garnies de pierreries, de trois livres; deux autres vases d’or, également de trois livres, et enrichis de pierreries; un plat d’argent, de vingt livres, où sont ciselées des grappes de lierre; un autre orné de pampres, de trente livres; un autre avec des branches de lierre, de vingt-trois livres; un autre encore, qui représente une pêche, de vingt livres; deux cruches d’argent de six livres, incrustées d’or, et plusieurs autres vases d’argent plus petits, le tout pesant vingt-cinq livres; dix coupes d’Égypte, diversement travaillées; deux chlamydes bordées de vraie pourpre;[35] seize robes de différents genres; une tunique blanche demi soie,[36] à la manière des Parthes,[37] de trois onces; trois paires de nos chaussures parthiques;[38] dix ceintures dalmatiques;[39] un manteau dardanien; un autre d’Illyrie; un autre avec capuchon; deux autres à longs poils; quatre mouchoirs de Saraptène; cent cinquante valériens d’or; trois cents triens de Saloninus. » XVIII. Le sénat aussi témoigna hautement l’estime qu’il faisait de Claude, avant qu’il fût parvenu à l’empire. Car, lorsqu’on reçut la nouvelle qu’il avait vaillamment combattu dans l’Illyrie avec Macrien, le sénat s’écria : « Claude, général plein de vaillance, salut! Honneur à vos vertus, à votre dévouement. Tous, d’une voix unanime, nous décernons une statue à Claude. Nous demandons tous qu’il soit consul. C’est ainsi que se conduit celui qui aime la république et son prince. Ainsi ont agi dans les combats les grands hommes des temps anciens. Vous êtes heureux, Claude, de l’estime de vos princes; heureux de vos vertus. Soyez consul, soyez préfet. Vivez heureux, Valérius, et jouissez de l’amour du prince.[40] » Il serait trop long de raconter en détail tous les témoignages d’estime et d’affection que mérita ce grand homme. Ce que cependant il ne m’est pas permis de taire, c’est que le sénat et le peuple lui ont témoigné une affection si vive avant qu’il fût empereur, pendant son empire, et après sa mort, qu’il est manifeste qu’ils n’ont jamais aimé à ce point ni Trajan, ni les Antonin, ni aucun autre prince.
[1] Les éditions disent: ad Constantinum Augustum, ce que Saumaise, Casaubon et beaucoup d’autres savants regardent avec raison comme une erreur manifeste. La Vie même de Claude nous en donne plus d’une preuve. Au ch. x nous voyons: « Quæ idcirco posui, ut sit omnibus clarum, Constantium divini generis virum, sanctissimum Cæsarem, et Augustæ ipsum familiæ esse, et augustos multos de se daturum, salvis Diocletiano et Maximiano augustis, et ejus fratre Galerio. » Au commencement même de cette Vie, Trebellius dit: « Ventum est ad principem Claudium, qui nobis intuitu Constantii Cæsaris, cum cura in litteris digerendus est. » Dans les Gallien, ch. vii : « Contra Postumium igitur Gallienus cum Aureolo et Claudio duce, qui postea imperium obtinuit, principe generis Constantii Cæsaris nostri, bellum incepit. » Au ch. xiv : « Is enim est Claudius, a quo Constantius, vigilantissimus cæsar, originem ducit. » [2] Toutes les anciennes éditions commencent ainsi Feliciter ventum est, etc. Les manuscrits ne donnent point ce mot feliciter. Sans doute il s’est introduit dans le texte, par suite de l’usage ancien de terminer tout écrit par ce mot, soit de félicitation, soit de vœu, qui, à la longue, n’avait plus d’autre signification que le mot fin, et de commencer immédiatement à la suite d’autres travaux. [3] Les éditions disent; et Victorinam, et quae nunc est, detinet; texte qui parait altéré. Que signifie et quae nunc est? Le manuscrit palatin dit : « Qui Cleopatranam etiam stirpem Victorianam quæ nunc detinet. » Saumaise, par une légère modification, paraît avoir rétabli le vrai texte: « Qui Cleopatranam etiam stirpem Victorinamque nunc detinet. » J’ai cru pouvoir adopter cette correction. [4] Il est difficile de deviner dans quel passage des livres saints Trebellius trouve ce qu’il dit ici de Moïse : il ne s’y trouve rien de semblable. Il est probable que Trebellius confond Moïse avec Noé. Même dans ce cas, il ferait une grave erreur, car Noé a vécu 850 ans. Voyez, dans la note suivante, ce qui concerne la parole de Dieu relative à l’âge qu’il accorde à l’homme. [5] Genèse, ch. vi, v. 3 : ἔσονται αί ἡμέραι αὐτῶν ἑκατὸν εἴκοσιν ἕτη. Dieu fixe ainsi la vie de l’homme du temps de Noé, avant le déluge. Malgré ce que dit ici Trebellius, il n’est point du tout question de Moïse dans ce passage des livres saints. [6] Voici le passage du discours de Cicéron pour Milon, ch. vii : « Quis tum non gemuit? quis non arsit dolore? quem immortalem, si fieri posset, omnes esse cuperent, ejusne necessariam quidem exspectatam esse mortem? » L’on voit qu’il n’y a guère de rapport entre ce passage de Cicéron et le texte de Trebellius. Saumaise et Casaubon se donnent beaucoup de peine pour l’expliquer. L’un corrige le texte et écrit ne necessariam quidem; l’autre ajoute après exspectandam fuisse, une suite de cinq ou six mots: sed immortalitatem tamen ei optandam fuisse. Sans aucun doute, c’est là le sens que veut faire entendre Trebellius; mais, pour y arriver, il n’y a, ce me semble, aucun changement à faire à la phrase. Ne peut-on pas la traduire ainsi: « Sa mort, malheureusement nécessaire, aurait dû être attendue de la même manière que, selon Cicéron, aurait dû être attendue celle de Scipion? » Or, Cicéron dit que tout le monde aurait désiré que Scipion fût immortel. La mort de Claudius aurait donc dû être attendue dans les mêmes sentiments que celle de Scipion, c’est-à-dire avec le regret qu’il ne fût pas immortel. [7] L’on sait que Dioclétien et Maximien, lorsqu’ils créèrent deux césars, firent tomber leur choix, l’un sur Galère, et l’autre sur Flavius Valérius Constance, surnommé Chlore à cause de sa pâleur. Ce dernier devait le jour à Claudia, nièce de l’empereur Claude II, surnommé le Gothique. [8] Claude s’appelait Marcus Aurélius Flavius. Il s’était donc rattaché à la famille des Flavien. Il propage cette famille par le mariage de la fille de Crispus, son frère, qui donna le jour à l’empereur Flavius Valérius Constance, surnommé Chlore. [9] Les prêtres de Bellone se déchiraient, se tailladaient le corps, pour apaiser la déesse par l’effusion de leur sang; de là vient le nom de dies sanguinis, donné au 24 mars, jour où cela avait lieu. il paraît, au reste, que les prêtres de Bellone avaient soin de se ménager; car nous voyons que Commode leur ordonna de se taillader bien réellement les bras : « Bellonæ servientes vere exsecare brachium præcepit. » (Lampridius, in Commodo.) [10] Ce passage présente de l’incertitude. Le sénat veut-il parler en faveur de Tetricus, qui lui-même était sénateur, et en même temps qu’il demande la punition des autres tyrans, demande-t-il sa grâce? Les faits historiques donnent à cette conjecture une grande probabilité; car, bien loin que Claude ait poursuivi Tetricus, il existe une médaille qui porte les effigies de Claude et de Tetricus, ce qui ferait supposer que les deux princes firent ensemble quelque traité. Il est du moins certain que Tetricus gouverna jusqu’à l’avènement d’Aurélien, qui, lui-même, le fit sénateur, et correcteur des provinces annonaires de l’Italie. [11] Saumaise prétend que c’est rogantem qu’il faut lire et non arrogantem. Cependant ni les manuscrits, ni les éditions n’autorisent en rien ce changement. D’ailleurs Aureolus, quoique vaincu, n’est point au pouvoir de Claude; il a encore une armée car ce n’est que plus tard que ses soldats se tournent contre lui. L’on conçoit que, dans une telle situation, ce prince ait eu encore assez d’arrogance pour demander un traité. [12] Les jeux que donnaient au peuple des consuls, des préteurs ou d’autres magistrats, s’appelaient munus, sans doute parce que ces jeux étaient une des obligations de leur charge. Après avoir parlé de combats de gladiateurs, Cicéron lit: « Erat enim munus Scipionis. » (Pro Sextio, c. cxxiv.) Il paraît qu’il y avait un livret, libellus munerarius, qui indiquait les divers jeux, et les noms mêmes des gladiateurs qui devaient combattre. [13] Les éditions disent Macrianus ; mais, dans le ch. xiii des deux Gallien, nous voyons le même fait rapporté, et l’on y donne le nom de Marcianus au général chargé de poursuivre et d’exterminer les Goths. Voir ce passage et la note qui s’y rapporte. [14] Strabon (liv. vii, ch. 3) dit qu’à l’embouchure du Danube il y avait une grande île nommée Peucé, et que ceux des Bastarnes qui s’y étaient établis en avaient tiré le surnom de Peucini. [15] Cela est une exagération oratoire. On sait que l’armée de Xerxès comptait jusqu’à trois millions de combattants. [16] Ce passage est obscur. Casaubon veut mettre loetantes à la place de militantes, ce qui s’accorderait bien peu avec le reste de la lettre, qui, tout entière, annonce de grands dangers, et ne donne que peu d’espoir de vaincre. Saumaise n’essaie pas même d’explication. J’ai cru devoir, dans ma traduction, m’en tenir au sens que me paraissaient présenter ces mots, tout en reconnaissant la singularité de la phrase : « Ecoutez ceux qui sont à la guerre, en une chose qui est vraie, » c’est-à-dire, « apprenez de ceux qui sont sur le théâtre même de la guerre, quelle est la vraie situation des choses. » [17] Il est évident qu’il veut ici parler de la guerre de Troie, où les Grecs avaient mille vaisseaux. [18] Casaubon transforme totalement ce passage : « Siquidem nunc reliqua naufragii colligit vestra diligentia. » Gruter approuve le changement; Saumaise se tait. Même sans aucun changement dans le texte, ce passage ne paraît pas inexplicable. Trebellius vient de rappeler les pertes qu’a essuyées l’empire du temps de Gallien; et il ajoute : « Si toutefois, dans l’intérêt de la gloire de Rome, nous rappelons maintenant avec notre exactitude ordinaire le naufrage de la république... » [19] La difficulté de ce passage, que Saumaise renonce à expliquer, paraît tenir surtout à un mauvais arrangement de mots. Trebellius veut dire probablement: Miles barbares ex Gotho factus est et (pour etiam) colonus. Le soldat barbare, de Goth qu’il était, devint même colon romain. Il y aurait même une manière plus simple de l’expliquer : « Le barbare, de Goth qu’il était, est devenu soldat et colon romain. » Mais comme il n’est question nulle part, dans tout ce morceau, de l’incorporation des Goths dans les armées de l’empire, je n’ai pas cru devoir m’arrêter à ce sens. [20] Voir le ch. vi des deux Gallien. [21] Dans ce vers, la dernière syllabe de gubernas devient brève par une licence dont les exemples sont fréquents à cette époque. Ce sont des vers trochaïques. [22] Il suffit de jeter les yeux sur ces vers, pour voir qu’il manque au commencement de celui-ci deux syllabes longues. Saumaise propose de lire: Tu vinces veteres tuis novellis, Tu l’emporteras en durée sur tous les anciens empereurs par ta postérité. Faute de mieux, j’ai adopté ce sens, qui du moins est en rapport avec ce qui suit. [23] Casaubon voudrait que l’on écrivît : Aponino, ou Aponi fonte, la fontaine d’Aponi, aujourd’hui Abano, dans le territoire de Venise, près de Padoue. Cette fontaine, outre qu’elle guérissait grand nombre de maladies, avait le mérite de faire connaître l’avenir. Suétone, Vie de Tibère, ch. xiv : « Sorte tracta, qua monebatur ut de consultationibus in Aponi fontem talos aureos jaceret, evenit ut summum numerum jacti ab eo ostenderent : hodieque sub aqua visuntur ii tali. » Voir dans Claudien l’éloge de cette fontaine, dans la pièce intitulée Aponus. [24] Galère ayant été, en même temps que Constance, déclaré césar, il était, par cette adoption devenu son frère. [25] Zosime appelle l’un Zabda et l’autre Timagène. [26] Zosime et Zonaras disent Probus au lieu de Probatus. [27] On appelait Hœmimontus, la partie de la Thrace où se trouvait le mont Hémus, aujourd’hui Balkan ou Ernineh-Dag. [28] Pris mot pour mot de Salluste, Catil., ch. xi. Secundis rebus elati, quœ sapientium quoque animos fatigant. [29] Victor raconte d’une manière fort singulière l’origine de Claudius : « Claudium plerique putant Gordiano satum, dum adolescens a muliere matura institueretur ad uxorem. » On voit, d’après le texte même, qu’il y avait sur l’origine de Claude des opinions contradictoires. Trebellius y revient au ch. xiii, mais sans rien dire de son père, ni de ses aïeux. [30] Les éditions disent Claudium au lieu de Quintillum. Trebellius a dit plus haut que Claudius était mort d’une maladie contagieuse, et aucune de ses expressions n’indique qu’il y eût là-dessus le moindre doute. Maintenant il parle de Quintillus, fière de Claudius, et dit qu’il a été tué, interemptus. A cette occasion, il cite l’expression dont se sert Dexippe en parlant de sa mort. Ces idées se suivent dans un ordre naturel et évident. Saumaise a donc raison de penser que le nom de Claudius est ici une erreur. Nous voyons dans Zosime qu’il y a eu, en effet, diverses opinions sur la mort de Quintillus. [31] Tout ceci devrait sans doute être effacé car, immédiatement après, le même détail se trouve répété. [32] C’est la même chose que zema, venant de ζέω bouillir; ce mot signifie sans doute une marmite. [33] Cura est ici pour curator. Il signifie un intendant du prétoire, chargé de tous les détails de l’administration intérieure de la maison. [34] Singulière locution pour nihil gravius accepti. [35] Pour les Romains, la pourpre était la couleur par excellence, et de nombreux exemples indiquent qu’ils lui appliquaient le nom de lumen cause de son éclat. Par veri luminis, Trebellius entend donc de la vraie pourpre le mot holovera vestis, chez ces auteurs et dans les codes, signifie vêtement tout entier de pourpre. [36] Sous-entendu vestem. Le vêtement tout entier de soie n’était d’usage que pour les empereurs. [37] Casaubon veut que ce mot paragaudem signifie un ornement d’or que l’on ajoutait à la tunique, et il cite un passage de la seconde loi du Codex: « Nemo vir auratas habeat aut in tunicis aut in lineis paragaudas. » Saumaise prétend que c’était le nom d’un vêtement venu des Parthes. Montfaucon dit que c’était une espèce de vêtement fait de lin, adhérent au corps, et orné de bandes de soie brodées ou tissées d’or. [38] Il paraît que c’était une chaussure de peau d’un grand prix, venue des Parthes. [39] Casaubon veut écrire cingillones, et traduit ce mot par cingula parva, « petites ceintures ». Saumaise y voit un genre de vêtement particulier, où il y avait des ornements, sigilla. Au reste, pour cette énumération de vêtements et de vases, et pour celle du ch. xiv, si l’on veut plus de détails, l’on peut voir les explications mêmes, ou plutôt les conjectures contradictoires de Casaubon et de Saumaise. Je n’ai pas cru devoir en gonfler les notes de ce livre. [40] Valerie pour Valeri, Claude s’était donné les noms de Flavius Valérius Claudius. Il est à remarquer que tous ces princes, d’origine étrangère, se hâtaient, aussitôt arrivés à l’empire, de prendre les noms de grandes familles de Rome, pour cacher ainsi l’obscurité de leur point de départ.
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