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HISTOIRE AUGUSTE
AELIUS SPARTIANUS.
[De J.-C. 211 - 217]
VIE d’ANTONIN CARACALLA.
Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer
HISTOIRE AUGUSTESPARTIEN.[De J.-C. 211 - 217] VIE d’ANTONIN CARACALLA.[1]ADRESSEE A DIOCLETIEN AUGUSTE.
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I. SEPTIME SÉVÈRE avait laissé deux fils, Geta et Bassianus, tous deux nommés augustes, l’un par l’armée, l’autre par son père.[2] Geta fut déclaré ennemi public, et Bassianus resta seul maître de l’empire. Nous croyons inutile de parler de ses ancêtres, puisque nous en avons dit assez là-dessus dans la vie de Sévère. Il fut dans son enfance doux, spirituel, caressant envers ses parents, gracieux envers les amis de sa famille, et ses aimables qualités lui concilièrent la bienveillance du peuple et du sénat. Il se livra avec zèle à l’étude des lettres, et se montra disposé à tous les sentiments bienveillants, à la libéralité, à la clémence, mais aussi longtemps seulement qu’il fut sous l’autorité de ses parents. Lorsqu’il voyait des criminels condamnés aux bêtes, il pleurait ou détournait les yeux, ce qui plaisait infiniment au peuple.[3] A l’âge de sept ans, ayant appris qu’un de ses compagnons de jeu avait été fortement frappé de verges à cause de la religion juive,[4] il ne voulut point, pendant longtemps, regarder en face son père ni celui de l’enfant, comme étant les auteurs du mauvais traitement qu’il avait subi. Par son intercession, il fit rendre leurs anciens privilèges aux habitants d’Antioche et de Byzance, contre lesquels Sévère était irrité, parce qu’ils avaient embrassé le parti de Niger. Il conçut de la haine contre Plautien à cause de sa cruauté. Si, à l’époque des Saturnales, il recevait des présents de ses parents il les distribuait de lui-même à ses clients ou à ses maîtres. Mais alors il était enfant. II. Lorsqu’il fut sorti de ce premier âge, soit par les conseils de son père, soit par les inspirations de sa propre nature, soit par la pensée d’égaler Alexandre le Grand, il fut plus réservé, plus grave: il y avait même dans sa figure quelque chose de farouche et de menaçant, de sorte que ceux qui l’avaient vu enfant, ne pouvaient plus le reconnaître. Sans cesse il avait à la bouche Alexandre et ses exploits. Il fit plusieurs fois publiquement l’éloge de Tibère et de Sylla. Il se montrait plus fier que son père, et il méprisait l’humilité de son frère. Lorsque Sévère fut mort, il se rendit au camp des prétoriens, et se plaignit à eux des embûches que lui dressait Geta, et, par de telles accusations, il vint à bout de le faire massacrer dans le palais. Il ordonna ensuite que son corps fût brûlé sur le champ. Il dit en outre dans le camp, que Geta avait cherché à l’empoisonner; qu’il avait manqué de respect à sa mère, et il rendit publiquement grâces à ceux qui l’avaient tué. Il donna des gratifications à ceux qui lui avaient si bien prouvé leur dévouement. Mais les prétoriens qui étaient à Albe[5] reçurent avec indignation la nouvelle du meurtre de Geta: tous disaient qu’ils avaient juré fidélité aux deux fils de Sévère, qu’ils devaient tenir leur serment envers tous les deux également. Ils fermèrent les portes du camp et longtemps l’entrée à l’empereur. Cependant Bassianus parvint à les adoucir à force de plaintes et d’accusations contre Geta, mais surtout en leur accordant d’énormes largesses,[6] moyen qui manque rarement son effet sur l’esprit des soldats. Ensuite il revint à Rome, et se présenta au sénat, ayant une cuirasse sous sa toge, et entouré de soldats armés qu’il rangea au milieu, sur deux files, le long des bancs des sénateurs. Alors il prit la parole, se plaignit en termes confus et embarrassés des pièges qui lui avaient été dressés, accusant son frère pour se justifier lui-même. Le sénat l’écouta avec dégoût, lorsqu’il dit qu’il avait laissé tout pouvoir à son frère, qu’il l’avait même arraché à des embûches, que cependant Geta avait voulu attenter à ses jours, et n’avait payé que d’ingratitude son attachement fraternel. III. Après ce discours, il prononça le rappel de tous ceux qui avaient été relégués ou bannis; puis il revint au camp des prétoriens, où il passa la nuit. Le lendemain, il se rendit au Capitole, combla de caresses ceux que déjà il avait résolu de faire périr, et revint au palais, s’appuyant sur Papinien et sur Cilon. Ayant vu la mère de Geta et d’autres femmes pleurer la mort de son frère, il eut la pensée de s’en venger en les tuant; mais il craignit d’ajouter à ce qu’il y avait d’atroce dans le meurtre de son frère. Il força Létus à se donner la mort, et lui envoya lui-même le poison: ainsi celui qui le premier avait conseillé le meurtre de Geta, fut le premier que Bassianus fit périr. Lui-même pleura souvent la mort de son frère; il ôta la vie à la plupart des complices de ce crime, et rendit des honneurs à la mémoire de Geta et à son image. Il fit aussi mettre à mort Afer, son cousin germain, à qui la veille il avait envoyé des mets de sa table. Ce malheureux, pour échapper à ses assassins, se précipita du haut de sa maison, et, la jambe cassée, se traîna jusqu’auprès de sa femme. Les satellites de Bassianus vinrent l’arracher à cet asile, et le tuèrent en insultant à son malheur. Il restait un petit-fils de Marc Aurèle, né de sa fille Lucille et de Pompéien, à qui, après la mort de l’empereur Verus, elle avait été donnée en mariage. Bassianus l’avait fait deux fois consul, et lui avait confié la conduite des guerres les plus importantes de ce temps : Pompéien fut assassiné secrètement par ses ordres, de manière qu’il parût avoir été tué par des brigands. IV. Il fit tuer ensuite sous ses propres yeux Papinianus, et, comme on l’avait frappé avec la hache, Bassianus dit aux soldats: « C’est avec l’épée que vous deviez exécuter mon ordre.[7] » Petronius fut aussi massacré devant le temple d’Antonin le Pieux, et, sans aucun égard pour l’humanité, on traîna leurs cadavres par les rues. Le fils de Papinien qui, trois jours auparavant, avait donné, en sa qualité de questeur, des jeux somptueux, périt également. Dans le même temps furent mis à mort un nombre infini de ceux qui avaient été les partisans de Geta.[8] On tua même les affranchis qui avaient été attachés à son service. L’on massacrait en quelque lieu que ce fût, même dans les bains. Plusieurs furent tués pendant qu’ils étaient à table, entre autres Sammonicus Serenus, dont il reste un grand nombre d’ouvrages importants pour la science. Cilo, deux fois consul et préfet, courut aussi un grand danger, parce qu’il avait exhorté les deux frères à la concorde. Les soldats de la ville se saisirent de lui et le traînèrent, dépouillé qu’il était de ses vêtements de sénateur et les pieds nus;[9] mais Bassianus réprima la fureur des séditieux. Il y eut encore bien d’autres meurtres à Rome: les soldats, par les ordres du prince, enlevaient de tous les côtés de malheureuses victimes et les massacraient, comme s’il y avait quelque grande sédition à châtier. Helvius Pertinax, subrogé consul, fut mis à mort pour le seul motif qu’il était fils d’empereur. Enfin jamais Bassianus ne cessa de faire mourir, sous différents prétextes, ceux qui avaient été les amis de son frère. Souvent il se répandit en violentes invectives contre le sénat et contre le peuple, dans les édits qu’il publia, ou dans les harangues qu’il prononça, donnant clairement à entendre qu’il serait un autre Sylla. V. Il partit ensuite pour la Gaule; aussitôt qu’il y fut arrivé, il mit à mort le proconsul de la Narbonnaise. Cette exécution jeta l’épouvante parmi tous ceux qui administraient les affaires de cette province, et sa tyrannie excita la haine universelle, quoique souvent il voulût cacher sa cruauté naturelle sous des apparences de bonté et de douceur. Après une infinité d’attentats contre les personnes et contre les droits des villes, il tomba dangereusement malade, et sa cruauté s’exerça contre ceux mêmes qui lui donnaient leurs soins. Une fois guéri, il se prépara à partir pour l’Orient; mais, dans la route même, il renonça à ce voyage et s’arrêta dans la Dacie. Il tailla en pièces un grand nombre de barbares voisins de la Rhétie; à cette occasion, dans une harangue à son armée, il donna à ses soldats le nom de soldats de Sylla, et leur fit des largesses. Il faut dire en son honneur qu’il ne permit point, comme l’avait fait Commode, qu’on lui donnât des noms de divinités, quoiqu’on voulût l’appeler Hercule, parce qu’il avait tué de sa main un lion et d’autres animaux féroces. Ayant remporté une victoire sur les Germains, il prit le nom de Germanique;[10] et soit par plaisanterie, soit même sérieusement, tant il y avait en lui de sottise et d’extravagance, il soutint que, s’il avait subjugué les Lucaniens, il prendrait le nom de Lucanique.[11] Il y eut à cette même époque des gens condamnés pour avoir lâché de l’eau dans des lieux où se trouvaient des statues ou des images du prince, et même pour avoir retiré les couronnes dont ces statues étaient ornées, dans l’intention d’en mettre d’autres à leur place. On condamna également ceux qui portaient à leur cou des amulettes contre la fièvre tierce ou quarte. Il traversa le pays des Thraces avec son préfet du prétoire, et, tandis que de là il passait en Asie, il courut le danger de faire naufrage, l’antenne de son vaisseau s’étant brisée, de manière qu’il lui fallut descendre dans une chaloupe avec ses gardes.[12] Le préfet de la flotte vint à son secours avec une galère, et il échappa ainsi au péril. Il tint souvent tête à des sangliers, et même un jour il combattit un lion: à ce sujet il écrivit à ses amis des lettres où il s’en faisait gloire, et se vantait d’avoir égalé la valeur d’Hercule. VI. Il s’occupa ensuite de la guerre contre les Arméniens et les. Parthes, et en confia la conduite à un général, dont la cruauté ne le cédait point à la sienne. Puis il se rendit à Alexandrie, en convoqua les habitants au gymnase, et, après leur avoir adressé de violents reproches,[13] il ordonna que l’on fit un choix de ceux qui étaient propres au service militaire. Lorsque ce choix fut fait, il les massacra tous, à l’exemple de Ptolémée Évergète,[14] le huitième de ce nom. En outre, à un signal qu’il donna à ses soldats, ils se jetèrent sur leurs hôtes, et les mirent à mort ce fut un horrible carnage dans cette malheureuse ville. Ensuite il se mit en route, traversa le pays des Cadusiens et des Babyloniens, fondit tumultuairement sur les Parthes à leur première rencontre, et lança même contre eux des bêtes féroces, il écrivit alors au sénat, comme s’il venait de remporter une victoire, et reçut le nom de Parthique : quant à celui de Germanique, il lui avait été donné au vivant même de son père.[15] Voulant de nouveau porter la guerre chez les Parthes, il établit à Édesse ses quartiers d’hiver. De là il se rendit à Carres pour le culte du dieu Lunus; mais le jour anniversaire de sa naissance, le 6 d’avril, pendant les fêtes mêmes de Cybèle,[16] s’étant retiré à l’écart pour quelque besoin naturel, il fut tué par les embûches de Macrin, préfet du prétoire, qui, après sa mort, s’empara de l’empire. Les complices de ce meurtre étaient Nemesianus, son frère Apollinaris, et Retianus qui commandait à la fois la seconde légion parthique et les cohortes supplémentaires de cavalerie. Le complot n’était point non plus ignoré de Marcius Agrippa, qui commandait la flotte, ni de la plupart des officiers, que Martialis avait soulevés coutre le tyran.[17] VII. Bassianus fut tué à mi-chemin d’Édesse à Carres: entouré de ses gardes, qui tous étaient complices, il était descendu de cheval pour lâcher de l’eau. Son écuyer, au moment où il le soulevait pour remonter sur son cheval,[18] le frappa dans le flanc d’un coup de poignard : tout le monde cria aussitôt que Martial était le meurtrier. Puisque nous avons fait mention du dieu Lunus, nous devons ajouter que tous les savants ont écrit, et que les habitants de Carres surtout ont encore aujourd’hui la conviction, que ceux qui croient devoir honorer la Lune comme une déesse et lui donner un nom qui suppose ce sexe,[19] sont à jamais les esclaves des femmes; tandis que celui qui lui offre son culte comme à un dieu, et lui en donne le nom, se fait toujours obéir des femmes, et n’a rien à craindre des pièges qu’elles peuvent lui tendre. De là vient que les Grecs et les Égyptiens, tout en désignant par un nom féminin la Lune, comme si elle était une déesse, ont soin cependant de l’appeler dieu dans leur langue sacrée. VIII. Je sais que, relativement à la mort de Papinien, l’on a écrit tant de choses différentes, qu’il est difficile de dire quelle en fut la véritable cause.[20] Néanmoins, j’aime mieux rapporter les diverses opinions telles qu’elles sont, que de me taire, lorsqu’il s’agit d’un si grand homme. On dit que Papinianus fut très aimé de l’empereur Sévère; et même, selon quelques-uns, il lui fut allié par la seconde femme de ce prince. C’est à lui spécialement qu’il recommanda ses deux fils. Sévère avait suivi avec lui les leçons de Scévola, et il l’avait eu pour successeur comme avocat du fils. Aussi Papinien fit tous ses efforts pour maintenir la concorde entre les deux Antonin; et, lorsque déjà Bassianus se plaignait des embûches que lui dressait son frère, il s’opposa tant qu’il put à ses intentions parricides. Voilà, dit-on, pour quel motif il fut confondu avec ceux qui avaient été les partisans de Geta, et mis à mort sous les yeux mêmes de Bassianus, qui excita ses soldats au meurtre, bien loin de retenir leur bras. D’autres historiens prétendent que Bassianus, après avoir tué son frère, ordonna à Papinien de faire en son propre nom l’apologie de son crime et dans le sénat et auprès du peuple, mais que celui-ci répondit: « Il n’est point aussi facile de justifier le parricide que de le commettre. » On raconte encore que l’empereur lui demandant de composer pour lui un discours où, en accumulant contre Geta les accusations, il diminuerait l’odieux de son crime, Papinien s’y refusa, en disant: « C’est un second parricide, que d’accuser un frère innocent que l’on a tué. » Mais tout cela n’a aucune vraisemblance : car un préfet ne pouvait être chargé de composer pour l’empereur un discours,[21] et il est constant que Papinien fut tué comme partisan de Geta. L’on dit qu’au moment où les soldats le traînaient au palais pour y recevoir la mort, il eut comme un pressentiment de l’avenir, et dit « que celui qui serait mis à sa place aurait bien peu de sens, s’il ne vengeait point la dignité des préfets si cruellement violée dans sa personne. » Sa prédiction s’accomplit; car Macrin fit périr Bassianus, comme nous l’avons exposé plus haut. Celui-ci donc fut proclamé empereur dans le camp avec son fils Diadumène, à qui il donna aussitôt le nom d’Antonin, pour adoucir les regrets de prétoriens. IX. Bassianus vécut quarante-trois ans,[22] et gouverna six ans l’empire. Ses funérailles eurent toute la solennité des funérailles publiques. Il laissa un fils, qui plus tard prit aussi le nom d’Antonin, de sorte qu’il fut appelé Marc Antonin Héliogabale : car on s’était fait une telle habitude de ce nom d’Antonin, qu’il n’était pas plus possible de l’arracher du souvenir et du cœur des hommes, que celui d’Auguste Bassianus eut des mœurs dépravées et fut encore plus cruel que son père. Adonné au vin et à la bonne chère, odieux. Aux siens, détesté de toute l’armée, excepté des prétoriens il n’y avait aucun trait de ressemblance entre les deux frères. Il laissa à Rome plusieurs monuments, entre autres des bains magnifiques qui portèrent son nom la salle de ces bains est un ouvrage si admirable, qu’au dire des architectes, il serait impossible d’en faire une semblable. On dit, en effet, que toute la voûte s’appuie sur des barres d’airain ou de cuivre superposées,[23] et qu’elle est d’une telle étendue que d’habiles mécaniciens ne peuvent concevoir qu’on ait pu en venir à bout. Il laissa aussi un portique qu’il appela le portique de Sévère, et où il fit représenter les actions, les guerres et les triomphes de son père. Le surnom de Caracalla qu’on lui donna, venait d’un genre de vêtement, tout à fait nouveau à Rome, qui descendait jusqu’aux talons, et dont il avait fait présent au peuple; aujourd’hui même on donne le nom d’antoniniennes à ces sortes de casaques, qui sont surtout portées par le peuple. Il établit aussi une nouvelle rue qui conduit aux bains qu’il avait construits et que l’in nomme, les bains d’Antonin, et il serait difficile d’en trouver une plus belle dans toute la ville. Il transporta à Rome le culte d’Isis, et éleva partout à cette déesse des temples magnifiques. Il célébra aussi ses fêtes avec plus de solennité qu’elles ne l’avaient été avant lui. Ici je m’étonne qu’on lui attribue l’introduction à Rome du culte d’Isis, lorsque Antonin Commode en a tellement lui-même célébré les cérémonies, qu’il portait l’Anubis et accomplissait religieusement les stations prescrites. Bassianus a pu ajouter à la pompe de ces fêtes, mais ce n’est pas lui qui les a le premier introduites à Rome. Son corps fut déposé dans le sépulcre des Antonin, pour qu’il fût réuni à ceux dont il avait porté le nom. X. Il est intéressant de savoir comment les historiens racontent son mariage avec sa belle-mère Julie. Cette femme, qui était d’une grande beauté, s’étant laissé voir un jour presque nue, comme par mégarde, à Antonin, celui-ci lui dit: « Que je voudrais, s’il m’était permis! — Ce que tu veux, t’est permis, répondit-elle. Ignores-tu que tu es empereur, que tu donnes des lois et n’en reçois point? » Ces paroles enflammèrent à tel point la passion odieuse de ce prince, que le crime s’accomplit, et qu’il contracta un hymen qu’il aurait dû plus que tout autre empêcher, s’il avait su ce que c’est que de donner des lois. Il épousa donc sa mère car l’on ne pouvait lui donner un autre nom, et il joignit l’inceste au parricide, puisqu’il s’unit par le mariage à celle dont il venait de massacrer le fils. Il n’est point hors de propos de raconter ici une plaisanterie mordante qui fut faite contre lui. Comme il se donnait les noms de Germanique, de Parthique, d’Arabique et d’Allemanique (car il avait vaincu la nation des Allemands[24]), Helvius Pertinax, fils de l’empereur Pertinax, lui dit en plaisantant « Ajoutez-y, s’il vous plaît, le très grand Gétique. » Ce mot, tout en faisant allusion au meurtre de Geta, paraissait se rapporter aux Goths, aussi appelés Gètes, que Bassianus avait vaincus pendant qu’il passait en Orient. XI. Bien des prodiges firent présager le meurtre de Geta, comme nous le dirons dans sa vie. Car, quoiqu’il soit mort avant son frère, nous avons cru devoir parler en premier lieu de celui qui est né le premier, et qui le premier aussi avait été proclamé auguste. A l’époque où, du vivant de Sévère, l’armée décerna ce titre à Bassianus, parce que l’empereur, malade de la goutte, ne paraissait plus capable de gouverner, on dit que ce prince, après avoir accablé de son courroux les soldats et les tribuns, eut la pensée de livrer à la mort son fils lui-même avec les autres coupables; mais que les préfets, qui étaient des hommes graves, l’en empêchèrent. D’autres, au contraire, prétendent que les préfets voulaient la mort de Bassianus ; mais que l’empereur s’y refusa, dans la pensée que sa sévérité serait taxée de cruauté, et que, dans un crime dont les soldats étaient les vrais auteurs, s’il condamnait à la mort un jeune homme qui n’était coupable que d’une sotte témérité, on ne verrait dans son supplice que le meurtre d’un fils par son père. Du reste, ce Bassianus, le plus cruel des princes, cet homme parricide, incestueux, également ennemi de se père, de sa mère et de son frère, fut mis au rang des dieux par Macrin, son meurtrier, parce qu’il craignait les soldats, et surtout les prétoriens. Il a un sanctuaire, un culte, un collège de prêtres appelés Antoniniens; il a enlevé à Faustine son temple et les honneurs divins : du moins il est certain qu’il la dépouilla du temple, que son époux Antonin lui avait construit jadis au pied du mont Taurus: plus tard, le fils de ce même Bassianus, Héliogabale Antonin, se le consacra à lui-même, ou peut-être à Jupiter Syrien, ou au Soleil, car il reste là-dessus de l’incertitude. [1] Antoninus Caracallus. D’autres écrivains latins disent Caracalla, et cette dernière forme est passée dans nos habitudes. [2] Il y a ici évidemment un mot qui manque, et ce ne peut être que Cæsarem, Augustum ou Antoninum. Mais lequel des trois? C’est ce qu’il est difficile de décider; car il y a là-dessus, dans Spartien, grande confusion, et même des contradictions manifestes. Voici les différents passages où il est question de ces noms décernés aux deux fils de Sévère; Vie de Sévère, ch. x. Plus loin, au ch. xviii, les soldats donnent le titre d’Auguste à Bassianus, ce qui indique, soit dit en passant, ou qu’il y avait une différence entre participem imperii et Augustum, ou qu’il y a erreur dans Spartien. Plus bru encore, au ch. xix : « Reliquit filios duos, Autoninum Bassianum et Getam, cui et ipsi, in honorem Marci, Antonini nomen imposuit. Il récite ici ce qu’il a cité plus haut comme ayant été dit par beaucoup d’historiens, qu’après la guerre des Parthes, les soldats avaient aussi donné à Geta le nom d’Antonin, et affirme que c’est Sévère lui-même qui l’appela de ce nom. Enfin, ch. xx, Sévère se réjouit de laisser deux Antonin égaux en autorité: « ..., quod duos Antoninos pari imperio reipublicæ relinqueret. » [3] On trouve dans Aurélius Victor : plus quam pius pour valde pius. [4] On se souvient que Sévère avait fait défense d’embrasser la religion soit juive, soit chrétienne. Généralement, à cette époque, on confondait l’une avec l’autre. [5] On sait qu’outre le camp des prétoriens à Rome, il y en avait un autre à Albe. [6] Hérodien (liv. iv, ch. 4) dit que, dans cette circonstance Caracalla promit aux soldats du camp d’Albe deux mille cinq cents deniers. [7] On voit qu’alors on regardait comme plus honorable d’être exécuté avec l’épée qu’avec la hache. [8] On voit dans Dion que vingt mille partisans de Geta furent tués alors, soit dans le palais, soit dans Rome, et que les femmes mêmes ne furent point épargnées. [9] Dion (liv. lxxvii) nous explique comment Cilon se trouve dépouillé de ses vêtements de sénateur et les pieds nus : il était au bain lorsque les soldats des cohortes urbaines vinrent le saisir: [10] Le mot germanus signifie à la fois Germain et frère; on conçoit ce qu’il y avait d’absurde à prendre un surnom qui rappelait tout aussi bien le meurtre de Geta son frère, que la victoire qu’il avait remportée sur les Germains. [11] On donnait le nom de lucanica à une espèce de saucisson ou de boudin, et celui de lucanicus aux amateurs Je cette sorte de mets (Ammien Marcellin, liv. xxviii). [12] Ceux qui gardaient sa personne, ses gardes du corps. [13] Bassianus était irrité contre le peuple d’Alexandrie à cause de ses plaisanteries contre lui. Dion et Hérodien donnent le détail du désastre de cette ville. [14] C’est de Ptolémée Physeon qu’il veut parler ; il fut aussi surnommé Évergète, à ce que rapporte Strabon. Le trait dont il est ici question est rapporté par Valère Maxime, liv. ix, ch. 11. [15] Spartien a dit, au ch. v, que Caracalla prit le nom de Germanique, à l’occasion d’un succès qu’il avait obtenu sur les Germains, étant déjà seul sur le trône: Germanicum se appellavit. Ce n’est qu’une contradiction apparente après sa dernière victoire sur les Germain., il ne fit que reprendre ce surnom que le sénat lui avait donné du vivant de sou père. D’ailleurs le même surnom pouvait être décerné plusieurs fois à la même personne. [16] Cette fête en l’honneur de la mère des dieux commençait le 12 d’avril et durait six jours de suite. On promenait processionnellement la statue de la déesse par toute la ville, et on se donnait des festins (Tite-Live, liv. xxviii, ch. 14; Cic., Rep. des arusp., ch. xii) [17] Dion (liv. lxxviii) dit que Martialis attenta à la vie de Caracalla, parce que ce prince n’avait pas voulu le nommer centurion. Hérodien, au contraire (liv. iv, ch. 13), dit que Martialis était centurion, et qu’il voulut venger la mort de son frère, que Caracalla avait fait périr. [18] Les Romains, ne connaissaient point encore l’usage des étriers, et, pour monter à cheval, ils se faisaient soulever par des esclaves chargés de ce soin. [19] Casaubon croit que cette variété de genre, pour désigner la lune, vient de ce que, dans les langues orientales, cet astre était tantôt du genre masculin, tantôt du féminin. [20] Ce passage est difficile, et Saumaise ne s’en tire qu’en changeant adsciverint, que lui donne le manuscrit Palatin, en adsueruerint, ce qui voudra dire que, an milieu de la variété et de l’incertitude des relations, beaucoup d’historiens n’ont osé rien affirmer sur la vraie cause du meurtre de Papinien. J’ai cherché à traduire en conservant le texte vulgaire, qui, à tout prendre, ne me paraît ni plus ni moins embarrassant que celui de Saumaise. J’ai donné à sciverint pour sujet hommes sous-entendu. « Les historiens ont écrit de telle manière sur la mort de Papinien, se contredisant les uns les autres, qu’on n’a pas su », et par suite, « qu’on ne sait pas quelle fut la cause du meurtre. » [21] Il est de fait que les empereurs ne s’adressaient point à leurs préfets du prétoire pour leurs discours et leur correspondance; ils se servaient généralement pour cela, de leurs questeurs ou de leurs secrétaires. Mais pourquoi Caracalla n’aurait-il pas pu, par extraordinaire, charger Papinien de lui composer un discours? [22] Aurélius Victor et Eutrope s’accordent avec Spartien sur l’âge qu’avait Bassianus quand il mourut; mais Dion Cassius ne lui donne que vingt-neuf ans. Ce dissentiment, du reste, repose de l’une et de l’autre part sur des calculs raisonnés. Les premiers donnent pour mère à Bassianus Marcia, première femme de Sévère; ils ont dû nécessairement lui supposer une plus longue vie qu’Hérodien et Dion, qui le disent fils, ainsi que Geta, de Julie, seconde femme de Sévère. [23] Des manuscrits portent suppositi, que Casaubon et Saumaise, voudraient changer en subterpositi. Alors cela voudrait dire seulement que ces barres de fer étaient placées sous la voûte ce qui n’est pas douteux, puisqu’elles la soutenaient. Mais je ne vois pas bien pourquoi l’on renoncerait au texte vulgaire, qui s’appuie aussi sur de bonnes autorités. On comprend facilement que des barres superposées, c’est-à-dire placées l’une sur l’autre, très probablement se croisant de matière à former une espèce de réseau, ce que signifie aussi cancelli, aient pu soutenir cette voûte, et que même elle n’en ait été que mieux appuyée. [24] Voici peut-être la première mention qui sait faite des Allemands dans l’histoire moufle. Aurélius Victor nous indique, en racontant la victoire de Caracalla, dans quelle région se trouvait cette nation on cette confédération de nations, dont le nom commençait à se distinguer parmi celles de la Germanie et devait un jour effacer celui de toute cette vaste contrée: « Alemannos, gentem populosam, ex equo mirifice pugnantem, prope Mænum amnem devicit. » Nous voyons dans Flavius Vopiscus l’époque d’un nouveau progrès de cette nation allemande. Il dit, en parlant du tyran Proculus: « Nonnihil tamen Gallis profuit: nam Alemannos, qui tunc adhuc Germani dicebantur, non sine gloriæ splendore devicit. » Dire que les Alemanni étaient encore appelés Germains du temps de Proculus, n’est-ce pas dire que de son temps, à lui Vopiscus, ils n’étaient plus appelés ainsi, et que, par conséquent, ils s’étaient déjà fait une nationalité indépendante?
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