HISTOIRE DES CROISADES
LIVRE XX (1ere partie)
Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer
HISTOIRE
DES
FAITS ET GESTES
DANS LES REGIONS D'OUTRE-MER,
DEPUIS LE TEMPS DES SUCCESSEURS DE MAHOMET JUSQU'A L'AN 1184
par
GUILLAUME DE TYR
INCIPIT LIBER VIGESIMUS CAPUT PRIMUM. Dominus Hernesius Caesariensis archiepiscopus, et Odo de Sancto Amando, regius pincerna, a Constantinopoli redeunt, uxorem futuram regi secum ducentes. Rex in ecclesia Tyrensi coronatur, et uxorem ducit. Interea dominus Hernesius, bonae memoriae, Caesariensis archiepiscopus, Odo quoque de Sancto Amando, tunc regius pincerna, procurata tam prudenter quam fideliter domini regis legatione, pro qua missi fuerant, apud dominum Manuelem imperatorem Constantinopolitanum, impetrato quod petierant post actum biennium, navigio redeuntes, domini imperatoris Protosevasto filiam, domino regi uxorem futuram ducentes, apud Tyrum applicant. Quo cognito, dominus rex cum celeritate Tyrum pervenit, convocatisque ecclesiarum praelatis, et regni principibus, eamdem Mariam, regiae unctionis et consecrationis munus adeptam, ipse quoque habitu regio insignis et avito diademate laureatus, per manum domini patriarchae Amalrici, bonae memoriae, in ecclesia Tyrensi, cum debita magnificentia IV Kal. Septembris uxorem duxit. Hic Joannes Protosevasto, cujus filiam, ut diximus, rex duxit, ejusdem domini imperatoris ex fratre natu priore, ortus est nepos. Misit autem dominus imperator cum praedicta nepte sua, viros illustres et magnificos, imperialis eminentiae familiares, dominum Palaeologum et Manuelem Sevaston, consanguineum suum, cum multis aliis, qui magnifice eam domino regi traderent, et de injunctis solemnitatibus nihil sinerent praeteriri. Tyrensi autem Ecclesiae praeerat, in qua haec facta sunt, dominus Fredericus, qui ex Acconense Ecclesia ad illam fuerat translatus. Hic, triduo postquam rex in eadem civitate coronatus fuerat et nuptias celebraverat, praesente et rogante domino rege, et aliis multis honestis viris, archidiaconatum ejusdem Ecclesiae, unde dominus Willelmus ad Acconensem Ecclesiam fuerat vocatus, nobis liberaliter contulit. |
LIVRE VINGTIEME. CHAPITRE PREMIER. [1167] Cependant le seigneur. Hernèse, archevêque de Césarée, de précieuse mémoire, et Odon de Saint-Amand, grand échanson du Roi à cette époque, ayant accompli avec autant de sagesse que de fidélité la mission que le seigneur Roi leur avait donnée auprès du seigneur Manuel, empereur de Constantinople, et obtenu au bout de deux ans ce qu'ils étaient allés demander, se remirent en mer et vinrent débarquer à Tyr, amenant avec eux une épouse au seigneur Roi, fille du protosébaste (01) du seigneur Empereur. Aussitôt qu'il fut informé de son arrivée, le Roi se rendit à Tyr en toute hâte, et ayant convoqué les prélats des églises et les princes du royaume, il épousa la princesse Marie, après qu'elle eut reçu l'onction royale et le don de consécration : cette cérémonie fut célébrée dans l'église de Tyr, le 29 août, avec toute la magnificence convenable, par le seigneur patriarche Amaury, de précieuse mémoire, et le Roi y parut avec éclat, revêtu de tous les ornements de la royauté et couronné du diadème de ses ancêtres. Ce Jean, protosébaste, dont le Roi épousa la fille, était fils d'un frère aîné du seigneur Empereur (02) et par suite neveu de ce dernier. Des hommes illustres et magnifiques, attachés à la maison impériale, savoir le seigneur Paléologue et Manuel le sébaste, cousin de l'Empereur, et plusieurs autres encore, accompagnèrent sa nièce par ses ordres, et furent chargés de la remettre en grande pompe au seigneur Roi, et d'avoir soin que l'on n'omît aucune des solennités qui avaient été prescrites. L'église de Tyr, dans laquelle cette cérémonie fut célébrée, avait alors pour chef le seigneur Frédéric, qui avait été transféré de l'église d'Accon à celle-là. Trois jours après le couronnement du Roi et la célébration des noces dans la même ville, le seigneur Frédéric nous accorda généreusement , en présence et sur la demande du seigneur Roi et de beaucoup d'autres hommes honorables, l'archidiaconat de l'église de Tyr, que le seigneur Guillaume occupait lorsqu'il fut appelé à l'église d'Accon. |
CAPUT II. Andronicus quidam imperatoris consanguineus, Theodoram, Balduini regis viduam, secum per terras hostium abducit. Per idem tempus, Andronicus quidam nobilis Graecus et potens, domini imperatoris Constantinopolitani consanguineus, de partibus Ciliciae adveniens, cum multa militia, dum dominus rex in Aegypto adhuc detineretur, usque ad ejus adventum apud nos moram fecit nobis consolatoriam; sed more serpentis in gremio, et muris in pera, male remuneravit hospites suos, verum esse docens, quod a Marone dictum fuerat: Timeo Danaos et dona ferentes. Cui dominus rex statim post reditum suum urbem dedit Berythensem; ad quam gratia videndi civitatis, dum dominam Theodoram, domini Balduini regis viduam, quae urbem Acconensem nomine donationis propter nuptias possidebat, nepotis sui filiam, apud quem diu fuerat hospitatus, invitasset, fraudulenter, ut dicitur, abduxit, et in terram hostium, Damascum prius, deinde in Persidem, favente Noradino, transvexit. |
CHAPITRE II. Un certain Grec, nommé Andronic, homme noble et puissant, et parent du seigneur empereur de Constantinople, était arrivé de Cilicie dans la ville de Tyr, suivi de nombreux chevaliers, tandis que le seigneur Moi se trouvait encore retenu en Egypte; il y séjourna, à notre grande satisfaction, jusqu'à l'arrivée du Roi; mais, tel que le serpent qu'on réchauffe dans son sein, ou que la souris enfermée dans l'armoire, il récompensa bien mal ses hôtes, et montra combien sont vraies ces paroles du poète : timeo Danaos et dona ferentes. Aussitôt après son retour le seigneur Roi lui donna la ville de Béryte : la dame Théodora, veuve du seigneur roi Baudouin, qui possédait la ville d'Accon à titre de donation pour cause de mariage, et qui était fille du neveu d'Andronic, auprès duquel il avait longtemps demeuré, fut invitée par celui-ci à venir visiter la ville de Béryte ; Andronic l'enleva par trahison, à ce qu'on assure, et la conduisit sur le territoire des ennemis, d'abord à Damas, et de là en Perse avec l'assistance de Noradin. |
CAPUT III. Petracensis Ecclesia et Ebronensis, episcopis datis ordinantur. Stephanus regis Siciliae cancellarius, et Panormitanae Ecclesiae electus, in Syrium descendunt. Comes Nevernensis Willelmus apud nos defungitur. Eodem anno nihil pene memoria dignum in regno accidit, nisi quod circa quadragesimale tempus duae Ecclesiae in regno, susceptis episcopis, ordinatae sunt: quarum altera ab ingressu Latinorum in terram promissionis, Latinum non habuerat pontificem, videlicet Petracensis, quae ultra Jordanem in finibus Moab sita est, secundae Arabiae metropolis; altera vero, Ebronensis videlicet, ut dicitur, nunquam; sed tempore Graecorum prioratus fuerat, sicut et Bethlehemitica fuisse dignoscitur Ecclesia. Sed Bethlehemitica ob nativitatis Dominicae reverentiam prius meruit, statim post sanctae et Deo amabilis civitatis liberationem, tempore domini Balduini regis primi, cathedrali gaudere praerogativa. Ebronensis quoque intuitu servorum Dei, quorum memoria in benedictione est, Abraham videlicet, Isaac et Jacob, eadem tunc dignitate primum meruit insigniri. Praeficitur ergo Petracensi Ecclesiae, et secundae Arabiae metropolitanus efficitur dominus Guerricus, canonicus regularis in templo Domini; Ebronensi vero, dominus Rainaldus, domini Fulcherii piae recordationis patriarchae nepos. Aestate igitur sequente, vir nobilis dominus Stephanus, domini regis Siciliae cancellarius, et Panormitanae electus Ecclesiae, adolescens bonae indolis, et egregius forma, domini Rotoldi comitis de Percio frater, agitantibus eum et adversus eum conspiratis regionis illius principibus, invito rege puero, et matre ejus reniti non valente, regno expulsus, cum paucis vix eorum evasit insidias, et ad nos navigio pervenit; qui non multum postea, valida correptus aegritudine, mortuus est, et Hierosolymis in templi Domini capitulo honorifice sepultus est. Per idem quoque tempus, dominus Willelmus Nevernensis comes, magnus princeps, nobilis et potens, de regno Francorum, cum honesta militia Hierosolymam venit, propositum habens, in servitio Christianitatis contra hostes fidei nostrae, suis expensis militare; sed ejus pia et honesta studia, mors immatura, felicibus ejus invidens actibus, miserabiliter praevenit; nam subito et diuturno languore correptus, post longas corporis molestias, in primo gratissimae juventutis flore cum multis omnium suspiriis et gemitu vitam finivit. |
CHAPITRE III Il n'arriva cette même année aucun événement un peu mémorable, si ce n'est que deux nouvelles églises furent instituées dans le royaume vers l'époque du carême, et reçurent chacune un évêque. L'une d'elles n'avait pas eu d'évêque depuis l'établissement des Latins dans la terre de promission; c'était l'église de Pétra, située au-delà du Jourdain, sur le territoire de Moab, et métropole de la seconde Arabie. L'autre, l'église d'Ébron, n'en avait jamais eu : c'était du temps des Grecs un simple prieuré, de même que l'avait été l'église de Bethléem. Mais cette dernière méritait bien d'être élevée la première à la dignité de cathédrale, en témoignage de respect pour le lieu de la naissance du Sauveur, et elle le fut en effet peu de temps après la délivrance de la cité sainte et agréable à Dieu, sous le règne du seigneur Baudouin I. Au temps dont je parle, l'église d'Ébron fut enfin jugée digne de cette nouvelle dignité, en considération des serviteurs de Dieu dont la mémoire est demeurée en bénédiction, savoir Abraham, Isaac et Jacob. On donna pour évêque à l'église de Pétra le seigneur Guerrique, chanoine régulier du temple du Seigneur, qui devint en même temps métropolitain de la seconde -Arabie ; et l'église d'Ébron eut pour chef le seigneur Renaud, neveu du seigneur patriarche Foucher, de pieuse mémoire. [1168.] L'été suivant, un homme noble, le seigneur Etienne, chancelier du seigneur roi de Sicile, et élu pour l'église de Palerme, jeune homme d'un excellent naturel et beau de sa personne, frère du seigneur Rotrou, comte du Perche, fut chassé de ce royaume par suite des intrigues et des conspirations des princes de cette contrée, au grand regret du Roi, encore enfant, et de sa mère, qui n'eut pas la force de réprimer ces troubles. Etienne eut grand-peine à échapper aux embûches de ses ennemis; il se sauva avec un petit nombre de personnes et vint débarquer dans notre royaume. Peu de temps après, il fut saisi d'une maladie grave, et mourut: on l'ensevelit avec honneur à Jérusalem, dans le chapitre du temple du Seigneur. Vers le même temps encore, le seigneur Guillaume, comte de Nevers, prince illustre, noble et puissant du royaume des Français, arriva à Jérusalem avec une escorte honorable de chevaliers, dans l'intention de combattre à ses frais pour le service de la chrétienté contre les ennemis de notre foi ; mais une mort prématurée l'arrêta dans ce pieux et louable dessein, et lui enleva misérablement l'honneur qu'il eût recueilli de ses exploits. Frappé subitement d'une maladie dont il languit et souffrit longtemps, il termina enfin sa vie dans l'éclat de la plus belle jeunesse, objet des regrets et des lamentations de tout le monde. |
CAPUT IV. Imperatoris legati ad regem accedunt, pacta quaedam a domino rege postulantes. Mittitur Tyrensis archidiaconus, et pacta proposita cum imperatore complet. Eadem aestate, comes Alexander de Gravina, et quidam Michael Hydrontinus, domini imperatoris Constantinopolitani familiares et legati, ad dominum regem missi, Tyrum pervenientes, dominum regem, adhibitis quos rex de suis verbis participes voluit fieri, secretius conveniunt, viae causas exponunt, et super his omnibus scripta porrigunt imperialia. Summa autem legationis haec erat: Senserat dominus imperator, quod Aegypti regnum, potens admodum hactenus, et opulentum valde, in manus pervenerat debilium et effeminatorum; et quod finitimis populis in notitiam venerat, tam domini quam principum suorum impotentia, infirmitas et insufficientia. Unde quia non videbatur quod posset diu in statu se continuare praesenti, quin ad gentes alienas ejus dominium et moderamen oporteret transire, concepit apud se, quod auxilio domini regis facile posset illud in suam jurisdictionem recipere. Unde super hoc praedictos miserat legatos. Sunt nonnulli qui dicunt, quod super eodem facto prius fuerat a domino rege per nuntios et frequentes epistolas sollicitatus, quod verisimilius est, ut militaribus copiis, classe quoque et impensis eum juvaret, certas partes tum regni tum manubiarum sub interpositis conditionibus recepturus. Hac ergo gratia, memorati legati regem adeuntes, firmatis conventionibus ad placitam utrinque consonantiam, adjunctus sum ego comes de regio mandato, ut regis et regni universi consilium, cum eorum litteris ad dominum imperatorem, properans deferrem; et pactis mediis, quale a me exigeretur, sub certa tamen forma, robur imponerem. Assumptis igitur praefatis domini imperatoris apocrisiariis, qui apud Tripolim, ut eis rex litteris suis signaverat, nostrum praestolabantur adventum, ad urbem regiam profecti sumus. Detinebatur porro eo temporis articulo imperator in Servia quae regio montosa et nemoribus obsita, difficiles habens aditus, inter Dalmatiam et Hungariam et Illyricum media jacet, rebellantibus Serviis et confidentibus de introituum ad se angustiis et de impervia eorum regione. Habent vetustae traditiones hunc omnem populum, ex deportatis et deputatis exsilio, qui in partibus illis ad secanda marmora et effodienda metalla damnati fuerant, originem habuisse, et inde etiam nomen traxisse servitutis. Est autem populus incultus, absque disciplina, montium et silvarum habitator, agriculturae ignarus: gregibus et armentis copiosi, lacte, caseo, butyro, carnibus, melle et cera uberius abundantes.
Hi magistratus habent, quos suppanos
vocant; et domino imperatori aliquando serviunt; aliquando de
montibus et silviegredientes, omnem circa se regionem, ut sunt
audaces et bellicosi viri, depopulantur. Ob haec ergo intolerabilia
vicinis eorum maleficia, ingressus erat ad eos in virtute multa et
innumera manu dominus imperator. Quibus subactis et praecipuo eorum
principe mancipato, redeunti domino imperatori, post multiplices
viarum labores, in provincia Pelagonia, in civitate quae vulgo
dicitur Butella, occurrimus, juxta illam antiquam et domini
felicissimi et invictissimi et prudentis Augusti patriam, domini
Justiniani civitatem, videlicet Justiniam primam, quae vulgo hodie
dicitur Acreda; ubi a domino imperatore honorifice suscepti, benigne
et imperiali clementia tractati, legationis et viae causam,
formamque pactorum diligenter exposuimus; quae omnia laeta mente
suscipiens et gratanter amplectens, quod praeordinatum, fuerat
approbavit Praebitis ergo corporaliter hinc inde juramentis, ejus
auctoritate interposita, confirmata sunt quae prius per nuntios
fuerunt ordinata. Receptis ergo imperialibus litteris, pactorum
formam ex integro continentibus et consummata feliciter legatione,
munificentissime de more solito dimissi, Kal. Octobr. iter ad
reditum arripuimus. |
CHAPITRE IV. Dans le cours du même été, le comte Alexandre de Gravina, et un certain Michel Hydrontin, tous deux de la maison du seigneur empereur de Constantinople et ses députés auprès du seigneur Roi, arrivèrent à Tyr; ils allèrent aussitôt trouver secrètement le seigneur Roi qui appela auprès de lui ceux qu'il voulut admettre à cette confidence, lui exposèrent l'objet de leur voyage, et lui présentèrent les écrits qu'ils avaient reçus de l'Empereur sur le même sujet. Voici quel était, en abrégé, le motif de leur mission. Le seigneur Empereur avait reconnu que le royaume d'Egypte, infiniment puissant jusqu'alors et jouissant d'immenses richesses, était tombé entre les mains de gens faibles et efféminés, et que les peuples voisins avaient une parfaite connaissance de l'impéritie, de la faiblesse et de l'incapacité du seigneur de ce pays et de tous ses princes. Comme il paraissait impossible que les choses demeurassent plus longtemps dans cette situation, plutôt que de voir passer la souveraineté et le gouvernement de ce royaume entre les mains des nations étrangères, l'Empereur avait pensé en lui-même qu'il lui serait facile, avec le secours du seigneur Roi, de soumettre ce pays à sa juridiction. Tel était l'objet de la députation que l'Empereur envoyait au Roi. Quelques personnes disent que, déjà auparavant, le seigneur Roi avait adressé de fréquentes sollicitations à l'Empereur pour cette même affaire, qu'il lui avait envoyé des exprès et écrit de nombreuses lettres, ce qui est beaucoup plus vraisemblable, lui demandant de l'assister de ses troupes, de sa flotte et de ses trésors, et lui offrant, à de certaines conditions , la cession de quelques portions de ce royaume et une part dans le butin qui y serait enlevé. Les députés étant donc venus trouver le Roi pour traiter de cette affaire, on arrêta une convention qui fut approuvée des deux parties : puis le Roi me donna l'ordre de m'adjoindre à eux, d'aller, en qualité de conseiller du Roi et de tout le royaume, porter au seigneur Empereur les lettres qui me furent remises, et de ratifier le traité aux conditions qui me seraient imposées, et toutefois en la forme qui fut déterminée par avance. J'allai donc rejoindre les confidents intimes du seigneur Empereur, qui attendaient mon arrivée à Tripoli, en conformité des lettres que le Roi leur avait adressées, et nous partîmes ensemble pour la ville royale. Le seigneur Empereur se trouvait à cette même époque dans la Servie, pays montagneux, couvert de forets, et d'un abord très-difficile, situé entre la Dalmatie, la Hongrie et l'Illyrie ; les habitants, comptant sur la difficulté qu'éprouveraient des étrangers à pénétrer et à se maintenir dans une contrée qui n'était ouverte d'aucun côté, s'étaient révoltés contre l'Empire. Les anciennes traditions rapportent que ce peuple fut formé dans l'origine par des déportés et des exilés que l'on condamnait à aller dans ce pays scier du marbre et fouiller la terre pour en retirer des métaux, et c'est même à ce fait que l'on attribue leur nom, qui indique leur premier état de servitude. Ce peuple grossier et indiscipliné habite les montagnes et les forêts, et ne pratique point l'agriculture ; mais il possède beaucoup de gros et de menu bétail, et a en grande abondance du lait, du fromage, du beurre, de la viande., du miel et des gâteaux de cire .Il y a dans ce pays des magistrats appelés suppans; ils obéissent quelquefois au seigneur Empereur ; d'autres fois les habitans sortent tous de leurs montagnes et de leurs forêts, et comme ils sont entreprenans et belliqueux, ils vont ravager les contrées environnantes. Comme ils faisaient souffrir toutes sortes de maux à leurs voisins, l'Empereur marcha contre eux avec courage, et conduisit dans leur pays une armée innombrable. Il les soumit et s'empara même de leur chef principal. Il revenait de cette expédition lorsque nous allâmes à sa rencontre, et nous le joignîmes, après une marche longue et remplie de fatigues , dans la province de Pélagonie et dans la ville vulgairement appelée Butelle, auprès de cette ville antique, patrie du très-heureux, très-invincible et très-sage empereur, le seigneur Justinien (03), nommée d'abord Justiniana, et vulgairement appelée Acreda. Le seigneur Empereur nous accueillit honorablement, et nous traita avec bonté dans sa clémence impériale ; nous lui exposâmes soigneusement le motif de notre voyage et de notre mission auprès de lui, ainsi que la teneur des traités que nous avions à lui présenter ; il reçut ces nouvelles avec joie et approuva gracieusement tout ce qui avait été réglé à l'avance. On s'engagea des deux côtés par serment et par corps; et l'Empereur, déployant son autorité , confirma ce qui avait été convenu d'abord entre les députés. Après avoir reçu les lettres impériales qui contenaient en entier toutes les clauses du traité, ayant ainsi heureusement accompli notre mission, et comblé, selon l'usage, par l'Empereur des témoignages de sa munificence , nous nous remîmes en route vers le commencement d'octobre , pour retourner dans le royaume. |
CAPUT V. Rex in Aegyptum cum suis descendit; et contra foederis formam, quam cum Aegyptiis peregerat, eis bellum infert. Interea statim post exitum nostrum, antequam reverteremur ad propria, antequam de auxilio domini imperatoris per nostram legationem certus fieret rex, fama publica personuit, ut dicitur, quod Savar soldanus Aegyptius, frequentes ad Noradinum dirigebat legationes et ejus occulte implorabat subsidium, dicens: Quod a pactis quae cum rege pepigerat, vellet recedere; et quod invitus cum inimico populo, aliquo pacis foedere jungeretur; quod si de ejus auxilio certus foret, pacta frangeret, ab eo penitus recedens. Unde rex, ut dicitur, justa indignatione motus, convocato regno universo, collectis equitum peditumque copiis, in Aegyptum festinat descendere. Sunt qui dicant, praedicta omnia ficta fuisse, et quod Savar soldano innocenti, et nihil tale merenti, pacta et conventionum tenorem bona fide servanti, contra fas et pium, illatum sit bellum; sed ut factum tam notabile aliquam haberet excusationem, hic color videtur quaesitus; unde et Dominum, justum secretorum et conscientiarum arbitrum, omnem nostris conatibus subtraxisse favorem, asserunt, et praedictis moliminibus, justitia vacuis, prosperos negasse successus. Causam porro et incentivum hujus mali, ut aiunt, ministrabat Gerbertus, cognomento Assallit, magister domus Hospitalis, quae est Hierosolymis, vir magnanimus et quadam liberalitate donandi profusus; tamen instabilis et mente vagus. Hic omnes ejusdem domus thesauros exponens, insuper et infinitae quantitatis pecuniam mutuam sumens, omnia militibus erogavit, quoscunque invenire potuit sibi alliciens; unde praedictam domum tanta aeris alieni mole gravavit, quod non erat spes solutum iri. Ipse etiam postmodum desperans, officium suum deserens et administrationi renuntians, in centum millibus aureorum dimisit domum obligatam. Ea tamen consideratione tot et tantas misisse dicitur expensas, quod capta et subjugata Aegypto, Belbeis, quae olim dicta est Pelusium, cum universo territorio suo, juri ejusdem domus, ex pacto prius cum rege inito, cederet in perpetuum. Fratres autem militiae Templi, eidem se subducentes facto, aut quia eis contra conscientiam suam videbatur; aut quia magister, aemulae domus, hujus rei auctor et princeps videbatur, vires penitus ministrare, aut regem sequi negaverunt. Durum enim videbatur eis, amico regno et de nostra fide praesumenti, contra tenorem pactorum et contra juris religionem, immeritis et fidem servantibus bellum indicere. |
CHAPITRE V. Aussitôt après que nous eûmes quitté le royaume, bien avant notre retour, et lorsque le Roi ne pouvait encore se tenir pour assuré du succès de notre mission et des secours qu'il attendait de l'Empereur, le bruit se répandit, à ce qu'on assure, que Savar, le soudan d'Egypte, expédiait fréquemment des messages à Noradin, et implorait secrètement son assistance, lui faisant dire qu'il se repentait d'avoir conclu un traité avec le Roi, et qu'il avait le projet d'y renoncer; qu'il éprouvait de la répugnance à se trouver engagé dans une alliance avec un peuple ennemi, et que s'il pouvait compter avec certitude sur les secours de Noradin, il s'empresserait de rompre son traité et de se séparer du Roi. Animé, dit-on, d'une vive indignation , le Roi fit un appel à tout son royaume, et ayant levé de toutes parts des troupes de chevaliers et de gens de pied, il se hâta de descendre de nouveau en Egypte. Il y a des personnes qui disent que tous ces bruits n'étaient qu'une fausse invention, que le soudan Savar était innocent, qu'il observait de bonne foi son traité et en remplissait les conditions, et que ce fut à la fois une œuvre impie et injuste d'aller lui faire de nouveau la guerre -, on dit qu'on n'avait imaginé ces prétextes qu'afin de colorer d'une excuse quelconque une entreprise aussi extraordinaire, et qu'aussi le Seigneur, juge équitable des secrètes pensées et des consciences, retira sa protection aux nôtres, rendit leurs efforts inutiles, et ne voulut point accorder le succès à des tentatives qui n'étaient point fondées sur la justice. Gerbert, surnommé Assalu (04) maître de la maison de l'Hôpital, établie à Jérusalem, fut, à ce qu'on dit aussi, le principal moteur de ces funestes résolutions. C'était un homme d'un grand courage, et généreux jusqu'à la prodigalité, mais léger et d'un esprit très-mobile : après avoir dépensé tous les trésors de sa maison, il emprunta encore des sommes considérables, et les distribua à tous les chevaliers, qu'il allait cherchant de toutes parts pour les attirer à lui ; la maison de l'Hôpital se trouva, par sa conduite, chargée d'une si grande masse de dettes qu'il n'y avait aucun espoir qu'elle pût jamais s'en affranchir; lui-même, dans la suite, désespérant d'y réussir, abandonna son office et renonça à son administration (05), laissant cette maison grevée d'obligations pour cent mille pièces d'or. On dit qu'il ne fit toutes ces énormes dépenses que dans l'espoir qu'après la conquête et la soumission de l'Egypte, la ville de Bilbéis, anciennement appelée Péluse, et tout son territoire, reviendraient à sa maison et lui appartiendraient à perpétuité, en vertu d'une convention conclue antérieurement avec le Roi. En même temps les frères du Temple ne voulurent prendre aucune part à cette expédition , soit qu'ils obéissent à l'impulsion de leur conscience, soit parce que le maître de la maison de l'Hôpital, leur rivale, passait pour le moteur et le chef de l'entreprise : ils refusèrent donc de fournir leurs troupes et de suivre le Roi, disant qu'il était trop injuste d'aller porter la guerre dans un royaume allié qui se reposait sur notre bonne foi, et de méconnaître la teneur d'un traité et les principes sacrés du droit, pour aller combattre des hommes qui ne méritaient point une pareille agression , et qui demeuraient fidèles (06). |
CAPUT VI. Obsidetur civitas Belbeis; et expugnatur obsessa. Soldanus regem infinita promissa decipit pecunia. Accinctus igitur et praeliari instructus apparatu, regni viribus convocatis, anno regni ejus quinto, mense Octobri, descendit in Aegyptum; et transcursa eremo, quae media jacet, quasi itinere dierum decem, Pelusium applicat, quam mox obsidione cingens, infra triduum violenter expugnat, expugnatamque ferro aperit, et suos immittit incunctanter. Accidit autem hoc, tertio Nonas Novembris. Capta igitur civitate, civibus ejus ex parte maxima gladio peremptis, non parcitur aetati, aut sexui; et qui mortem quocunque casu inveniebantur declinasse, jacturam libertatis, quae honestis viris omni genere mortis suspectior est, incurrentes, miserae servituti subjugabantur. Capti sunt inter caeteros ejusdem conditionis Mahazam, filius soldani et quidam ejus nepos, qui urbi praeerant, exercitus illic congregati curam habentes. Effracta igitur civitate, irruentibus passim et sine delectu cuneis, penitiores domiciliorum penetrant aditus, reserant penetralia, et eos qui mortem delitescendo effugisse videbantur, compeditos educentes, ignominiose ad necem protrahunt, quos aetatis integrae, et armorum potentes reperiunt, gladiis transverberant: vix senibus parcitur et pueris, et secundae sorti non plenius indulgetur. Facta sunt desiderabilia eorum, hostium praeda; et quaeque speciosa in sortem, dum sibi dividunt spolia.
His igitur rumoribus Savar mente
consternatus, quid faciat ignorat, deliberat prout temporis et rerum
in arcto positarum patiebatur angustia, an regem muneribus tentet
expugnare, et indignationem ejus data emolliat pecunia, an finitimos
superstitionis suae principes, ad sui auxilium precibus pretioque
sollicitet. Tandem placet, utrumque maturata provisione tentare.
Missa ergo legatione ad Noradinum, implorat subsidium et impetrat
imploratum; vocato enim Siracono, cujus saepius fecimus mentionem,
partem exercitus, et nobilium suorum partem non modicam cum satrapis
qui partem sollicitudinis portarent, tradit; sumptisque alimentis ad
iter necessariis, et camelis ad devehenda onera sufficientibus, eos
in Aegyptum dirigit. |
CHAPITRE VI. Le Roi cependant s'étant armé, et ayant fait tous ses préparatifs de guerre et rassemblé les forces du royaume, descendit de nouveau en Egypte, la cinquième année de son règne, au mois d'octobre (07). Après avoir marché pendant dix jours environ à travers le désert qui précède ce pays, il arriva à Péluse, l'investit aussitôt de toutes parts, s'en empara de vive force en trois jours, s'ouvrit un chemin par le fer, et y introduisit sans retard toutes ses troupes le treizième jour de novembre. Aussitôt après la prise de la ville, la plupart des habitants furent passés au fil de l'épée, sans aucun égard pour l'âge ni le sexe ; et ceux qu'un hasard quelconque fit échappera ce massacre, et que l'on put découvrir ensuite, perdirent leur liberté, malheur plus redoutable pour les âmes élevées que toute espèce de mort, et furent soumis à une misérable servitude. On remarquait, parmi les prisonniers de condition, Mahadi, fils du soudan, et l'un de ses neveux, qui tous deux commandaient dans la ville, et étaient chefs de l'armée qu'on y avait rassemblée. Dès qu'on se fut rendu maître de cette place, les bataillons chrétiens, s'élançant en désordre et pêlemêle, pénétrèrent dans les retraites les plus cachées; ils ouvraient dans les maisons toutes les portes secrètes, et, cherchant de tous côtés ceux qui semblaient avoir échappé aux dangers de la mort, ils les chargeaient de fers et les traînaient ignominieusement au supplice. Ceux qui se montraient dans toute la vigueur de l'âge mûr ou bien armés étaient frappés par le glaive, à peine témoignait-on quelque pitié pour les vieillards ou les enfants, et les gens du menu peuple ne rencontraient pas plus d'indulgence. Tout ce qui pouvait exciter la cupidité tomba entre les mains des assiégeants, et les objets les plus précieux, les plus riches dépouilles, furent distribués par le sort entre les vainqueurs. Consterné au récit de ces tristes nouvelles, et ne sachant que faire, Savar délibéra, autant du moins que le permettaient la brièveté du temps et le mauvais état de ses affaires, s'il tenterait de gagner le Roi par des présents, et d'apaiser sa colère à force d'argent, ou s'il solliciterait les secours des princes voisins qui participaient à ses superstitions, en leur adressant ses prières et leur offrant ses trésors. Il résolut enfin d'essayer, sans le moindre retard, l'un et l'autre de ces moyens. Il envoya des députés à Noradin pour implorer son assistance, et obtint en effet une réponse favorable. Noradin, ayant appelé Syracon, dont j'ai déjà parlé plusieurs fois, lui confia une partie de son armée et un grand nombre de ses nobles et de ses satrapes, pour l'assister dans les soins de son expédition; et celui-ci ayant fait ses approvisionnements de vivres pour la route, et prenant avec lui un nombre suffisant de chameaux pour le transport des bagages, se rendit aussitôt en Egypte. |
CAPUT VII. Rex ante Cahere eastra locat, exspectans promissam a soldano pecuniam. Rex interim eversa Pelusio, cum universis agminibus versus Cahere cohortes dirigit, sed lento nimis gradu, vix unius iter diei decem diebus conficiens; tandemque ante urbem castrametatus, machinas parat, crates erigit, et caetera ad tales usus profutura disponit. Videntur quae foris struuntur promittere impetus proxime futuros, et obsessis incutere formidinem, et quamdam mortis imaginem intentare. Qui autem facti illius arcana norunt, hujus morae causam fuisse asserunt, quod soldanus interea advenientis exercitus terrore concussus, prolixiores deliberandi haberet inducias, et pro amovendo exercitu pecuniam pacisceretur: tota enim illuc properabat regis intentio, ut a soldano pecuniam emungeret; malebat enim pretio redemptus abire, quam urbes illas, sicut de Pelusio contigerat, popularibus ad rapinam exponere, sicut manifestius infra dicetur. Soldanus vero interea per suos et regis familiares omnem praetentat aditum, omnem explorat subintrandi viam; tandem regis animum pecuniarum cupidum, promissionibus enervat, infinitam spondet pecuniam, quam vix universum regnum, corrasis undique copiis persolvere posset. Promittit enim, ut aiunt, aureorum vigesies centena millia, ut redditis sibi filio ac nepote, amotisque expeditionibus, rediret ad propria. Hoc autem, ut postea patuit, non eo moliebatur intuitu, ut promissorum summam spes esset aliquando solutum iri; sed ne subito incursu accedens ad Cahere, imparatum immunitumque reperiens, repentinis irruptionibus expugnaret, quod procul dubio, ut constanter asserunt qui interfuerunt, si citatis itineribus capta Pelusio, dejectis adhuc et stupidis a recenti clade et insperata tantae urbis calamitate, Aegyptiorum animis, illuc noster pervenisset exercitus, accidisset. Verisimile enim videtur, quod viri molles et effeminati, deliciis a multo retro tempore dediti, rerum militarium expertes, adhuc fumante vicinae urbis incendio, et innumero suorum interitu consternati, sibi timentes quod aliis videbant accidisse, nec inde animos vel vires habuisse resistendi. |
CHAPITRE VII. Le Roi cependant, après la destruction de Péluse, dirigea toutes ses troupes vers le Caire ; mais il s'avança avec une telle lenteur qu'il faisait à peine en dix jours la marche d'une seule journée. Il arriva enfin, dressa son camp en face de la ville, et fit préparer les machines, les claies et tous les instruments de guerre nécessaires en de pareilles circonstances. Les préparatifs que l'on faisait en dehors de la ville semblaient annoncer qu'on l'attaquerait incessamment; déjà les assiégés paraissaient saisis de crainte, comme s'ils eussent eu sous les yeux l'image menaçante de la mort. Mais ceux qui ont connu les causes secrètes de tous les retards qui survinrent, disent que le soudan , frappé de terreur à la vue de cette armée qui marchait sur lui, avait trouvé le moyen de gagner du temps, et ne cessait de promettre beaucoup d'argent pour obtenir la retraite des troupes. Le Roi, de son côté, n'avait pas d'autre intention que d'arracher le plus d'argent possible au soudari, aimant mieux vendre sa retraite au poids de l'or que de livrer la ville au pillage des gens du peuple, comme il l'avait fait déjà pour la ville de Péluse. J'aurai bientôt occasion de prouver clairement ce que je dis ici. Pendant ce temps, le soudan cherchait, par l'entremise de ses serviteurs et de ceux du Roi, tous les moyens possibles de s'insinuer jusqu'à lui; il frappait à toutes les portes, et ayant enfin découvert l'excessive cupidité du Roi, il l'accabla de ses promesses, et s'engagea à lui donner des sommes considérables, telles que le royaume entier eût à peine suffi à les acquitter quand on aurait épuisé même toutes ses ressources. On assure, en effet, qu'il promit de livrer deux millions de pièces d'or, à condition que le Roi rendrait au soudan son fils et son neveu et remmènerait ses troupes dans ses États. Mais la suite montra bien qu'en faisant de telles offres le soudan n'avait nullement l'espoir de pouvoir s'acquitter en entier; son but principal était d'empêcher que le Roi n'arrivât trop vite au Caire, et que, trouvant cette place sans munitions et hors d'état de se défendre, il ne parvînt à s'en emparer dès les premières attaques. En effet, il en serait arrivé ainsi sans aucun doute, comme l'ont toujours pensé ceux qui faisaient partie de cette expédition, si, après avoir pris la ville de Péluse, notre armée se fût dirigée sur le Caire à marches forcées, lorsque les Égyptiens étaient encore frappés de stupeur et abattus d'un désastre tout récent et des calamités inattendues qui avaient signalé la destruction de Péluse. Il est tout-à-fait probable que des hommes mous et efféminés, plongés depuis si longtemps dans une vie d'oisiveté et de délices, dépourvus de toute expérience de la guerre, et redoutant pour eux-mêmes les maux dont leurs compatriotes venaient d'être frappés, n'eussent eu ni la force ni le courage de résister. |
CAPUT VIII. Classis nostra per Nilum immissa, nostro se adjungere exercitui conatur; sed re infecta, domum revertitur.
Dum haec circa Cahere aguntur, ecce
nostra quam rex de nostris finibus exiens maturare praecepit
classis, per mare ventis usa prosperis, applicuisse dicitur, per
illius fluminis ostium, quod vulgo dicitur Carabes, ingressa.
Civitatem antiquissimam supra illam fluminis ripam, Tapnim nomine,
sitam, violenter occupant; quae statim nostris in direptionem data
est et praedam. Dum ergo nostri per fluminis alveum ad regem
festinare contendunt, Aegyptii navibus suis alveum fluminis
obsidentes, transitum negabant. Misit ergo rex Henfredum de Torono
constabularium suum, ut illuc cum lecta veniens militia, alteram
saltem fluminis ripam, ut eis ex illa liber fieret transitus,
violenter occuparet; quod satis expedite factum esset, nisi quod
interim rumor de adventu Siraconi consilium mutari compulit.
Mandatum est ergo eis, ut ad mare descendentes, reditum maturarent
ad propria; quod et factum est: unam tamen galeam imprudenter
amiserunt. |
CHAPITRE VIII Tandis que ces choses se passaient dans les environs du Caire, notre flotte, que le Roi, en quittant ses États, avait ordonné de faire partir le plus tôt possible, mit en mer, et, poussée par un vent favorable, aborda, dit-on, vers l'une des embouchures du Nil, vulgairement appelée Carabeix (08). Ceux qu'elle transportait s'emparèrent de vive force d'une ville très-antique située sur les bords du fleuve; elle se nommait Tapnis, et fut tout aussitôt livrée au pillage : puis les Chrétiens voulurent entreprendre de rejoindre l'armée du Roi en remontant le fleuve; mais les Égyptiens montèrent sur leurs navires, occupèrent la partie supérieure, et fermèrent ainsi le passage. Le Roi chargea aussitôt Honfroi de Toron, son connétable, d'aller avec des chevaliers d'élite prendre possession, à tout prix, de la rive opposée du fleuve, afin de faciliter le passage des nôtres; et ce projet eût pu être exécuté assez aisément si la nouvelle de l'arrivée de Syracon n'eût nécessité de nouvelles dispositions. Le Roi ordonna donc à ceux qui venaient vers lui de redescendre vers la mer et de rentrer promptement dans le royaume. Ils exécutèrent ses ordres, et perdirent une galère par suite de quelque imprudence. |
CAPUT IX. Rex obsessa Cahere urbe, pecuniam a soldano promissam exspectat. Soldanus vero a pactis resilire tentat, et Turcorum implorat auxilium. At soldanus et sui interea moliri non cessant, quomodo regem a se repellant, dolisque peragunt, quod virtuti sentiunt deesse et fraudis commercio redimunt virium defectus. Promissa igitur pecunia, inducias pro solutione postulant; allegant quantitatem multam nimis esse, nec in uno loco posse totam reperiri; tempus auctius indulgendum, ut pactis pareatur; datis tamen in continenti centum millibus, filium recipit et nepotem soldanus: pro summa reliqua duos nepotulos suos adhuc impuberes, obsides exhibet. Rex vero obsidione soluta, quasi per milliare recedens, circa hortum Balsami castra componit; ubi per dies octo, crebris sed inutilibus soldani legationibus usus, tandem ad eum locum qui cognominatur Syriacus, transfert exercitus. Soldanus interim frequentibus nuntiis universum regnum sollicitat, quidquid armorum ubique est congerit, undecunque auxilia convocat, alimenta inducit, infirma urbis circuit et consolidat, omnem resistendi viam percurrit; ad pugnam pro cervicibus, pro libertate, pro uxoribus et liberis, sermonibus suasoriis invitat; casum proximae civitatis lamentabilem ante oculos ponit: captivitatis acerbitatem, dominorum jugum importabile, servitutis extremam omnium conditionem exponit. |
CHAPITRE IX Le soudan et les siens pendant ce temps ne cessaient d'intriguer pour parvenir à éloigner le Roi, employant la ruse là où ils voyaient la force leur manquer, et suppléant par les artifices au défaut de ressources plus énergiques. En même temps qu'ils promettaient beaucoup d'argent, ils demandaient des délais pour s'acquitter, disant que les sommes étaient beaucoup trop considérables pour qu'on pût les trouver sur un seul point, et qu'ils avaient besoin d'un plus long terme pour suffire à leurs engagements. Ayant donné cependant cent mille pièces d'or sans aucun retard, le soudan obtint la restitution de son fils et de son neveu et livra comme otages deux petits neveux encore enfants, en garantie du paiement du surplus. Le Roi leva alors le siège , se retira à un mille de la place environ, et dressa son camp auprès du jardin du Baume. Après avoir pendant huit jours de suite reçu du soudan des messages très-fréquents, mais toujours sans résultat, le Roi transféra son armée au lieu appelé Syriaque. Pendant ce temps le soudan ne cessait d'expédier des exprès dans toutes les parties du royaume pour solliciter des secours ; il rassemblait dans la ville toutes les armes qu'il pouvait se procurer; il y faisait entrer des vivres, visitait toutes les localités , faisait fortifier les points les plus faibles, et organisait tous ses moyens de résistance. Employant le langage de la persuasion, il invitait les habitants à combattre pour leur vie , pour leur liberté, pour leurs femmes et leurs enfants; il remettait fréquemment sous leurs yeux la déplorable catastrophe qui avait frappé une ville voisine, et leur représentait l'amertume de l'état de captivité, l'affreux malheur d'avoir à supporter le joug de maîtres étrangers et de languir dans la servitude, la plus cruelle de toutes les conditions. |
CAPUT X. Milo de Planci sinistro consilio regis mentem subvertit. Siraconus ab Aegyptiis vocatus accedit; rex ei occurrit in solitudine; sed eo non invento, infecto negotio redit ad propria. Erat in eodem domini regis exercitu vir quidam secundum carnem nobilis, sed moribus degener, neque Deum timens, neque ad hominem habens reverentiam, Milo videlicet de Planci, homo inverecundus, clamosus, detractor, seditiosus. Hic immoderatam domini regis cognoscens avaritiam, volens potius ei morem gerere quam salutaribus eum monere consiliis, consilium dederat ab initio, et obstinate seduloque persuadebat, ut ad hoc potissimum daret operam, ut regno in praedicta quantitate mulctato, cum calipha et soldano tentaret componere, quam Cahere et Babyloniam violenter effringere; non quia, ut dicitur, posse fieri desperaret, sed ut elusis militibus, et caeteris qui ad praedam manus et animos intenderant, universum tanti laboris emolumentum, in regis fiscum videretur introducere. Expugnatis enim violenter urbibus, longe uberiores solent exercitus de spoliis reportare fructus, quam ubi regibus et principibus sub quodam foederis nexu, certis conditionibus, ipsis tantum dominis utilibus, mancipantur. Ibi enim, utpote in tanto tumultu et depopulatione confusa, quod cuique quocunque casu occurrit, jure belli occupanti conceditur, et victoris auget peculium; ibi vero solis regibus tractantur utilia; et quae sic accedunt, fisci juribus vindicantur. Et licet regibus et sublimioribus potestatibus accedens incrementum, in subditorum videatur redundare divitias, et omnium opulentiam cumulare, tamen avidius quaeruntur, quae familiares ditant lares et domesticis inseruntur rationibus. His itaque altercationibus dissidebant: pars maxima, diripi cuncta, et ferro decerni petebat; rex autem cum suis partem amplectebatur oppositam; praevaluit tamen sententia posterior, et regiae satisfactum est voluntati. Locatis igitur nostris in vico praenominato, qui a Cahere quinque aut sex distat milliaribus, pene continuus et pro cujusque erat interpretum et nuntiorum discursus. Dum igitur quasi succedentes sibi ad regem dirigit legationes, et quam sedulus sit in colligenda pecunia significat, orat etiam ne moram causetur, sed patienter exspectet; monet etiam et consulit, ne propius accedendo, calipham vel populum de contracto pacis foedere plenius confidentem deterreat: subito futurum, ut censu tradito, felicibus auspiciis redire valeat. Dumque hujusmodi, quasi delusoriis praestigiis, nostros deludit apparatus, et recta persuadentium consilia, et salubriores monitus potiora suggerentium evacuat; ecce rumor insonuit, quod Siraconus adveniens, innumeram Turcorum secum trahebat multitudinem; quo comperto, solutis castris, compositisque sarcinis, rex Pelusium redit. Ubi sumptis ad iter victualibus, relictis qui civitatem tuerentur, tam equitum quam peditum copiis, VIII Kal. Januarias, Siracono in solitudinem obviam exit; cumque jam aliquantulum esset in eremo processum, significatur regi per exploratores locorum gnaros, et quibus erat fides habenda, quod cum suis legionibus Siraconus jam transierat. Hic jam opus erat novo consilio. Nam duplicatis hostium viribus, non erat tutum diuturniorem moram facere. Mora enim enorme secum trahebat periculum; nam neque cum eis sane tutum videbatur conserere; nec soldanus de caetero pactorum finibus stare volebat; nec nos eum ad legem placidorum observandam compellere poteramus. Ad hoc enim de industria, et studiose dilatoriis ambagibus videbatur rem protraxisse, ut sic Turcis supervenientibus exire compelleremur. Redeunt igitur nostri Pelusium, ibique recepta parte exercitus, quae ad urbis illius tuitionem relicta fuerat, altera post Kal. Januarias die, ordinatis agminibus, redeundi in Syriam iter arripiunt. |
CHAPITRE X. Il y avait dans l'armée du seigneur Roi un homme noble selon la chair, mais dégradé par sa conduite, qui ne craignait point Dieu et n'était retenu par aucun respect humain ; il se nommait Milon de Planci, homme déhonté et abandonné, médisant et brouillon. Connaissant l'avidité insatiable du seigneur Roi, et empressé de seconder ses penchants plutôt que de lui donner de bons conseils, Milon de Planci l'avait engagé dès le principe et continuait obstinément à l'engager à faire les plus grands efforts pour parvenir à un arrangement avec le calife et le soudan, après avoir toutefois châtié le royaume en y prélevant les sommes promises, et à ne plus tenter de s'emparer de vive force des villes du Caire et de Babylone ; non qu'il crût impossible, à ce qu'on assure, de réussir dans cette dernière entreprise, mais afin de tromper les vœux des chevaliers et de tous ceux qui avaient déjà préparé leur courage et leurs mains pour amasser du butin, et afin de parvenir lui-même à faire entrer dans les coffres du Roi toutes les sommes qui devaient être le prix de tant de travaux et de fatigues. En effet, lorsque les villes sont prises de force, les armées remportent toujours de bien plus riches dépouilles que lorsqu'elles sont livrées aux rois et aux princes à la suite d'un traité quelconque et sous des conditions déterminées, qui ne sont avantageuses qu'aux seigneurs mêmes. Dans le premier cas, au milieu de la confusion qu'entraînent toujours ces scènes tumultueuses de destruction, tout ce que chacun rencontre, de quelque manière que ce soit, appartient au premier occupant, en vertu du droit de la guerre, et accroît la petite fortune de chaque vainqueur ;, mais dans le second cas, les rois seuls profitent des stipulations favorables, et tout ce qui leur est alloué revient de droit à leur fisc. Et quoiqu'il puisse paraître que tout ce qui augmente la fortune des rois et des puissances les plus élevées doit tourner au plus grand avantage des sujets et augmenter la richesse de tous, il est cependant vrai qu'on recherche toujours avec plus d'ardeur ce qui doit enrichir les foyers domestiques et accroître les ressources particulières d'une maison. Cette divergence d'intérêts amena des discussions et des querelles dans l'armée. La plupart de ceux qui en faisaient partie voulaient s'en rapporter uniquement au glaive et tout livrer au pillage ; le Roi et les siens soutenaient un avis tout différent; ils eurent enfin le dessus, et la volonté royale fut accomplie. Tandis que notre armée était établie dans le village que j'ai nommé, à cinq ou six milles du Caire, les interprètes et les exprès ne cessaient d'aller et de venir des deux côtés. Le soudan envoyait fréquemment des députés au Roi, pour lui faire dire qu'il mettait la plus grande activité à recueillir les sommes promises, et le supplier de né pas lui imputer les retards et d'attendre encore avec patience-, et en même temps il l'engageait à ne pas se rapprocher du Caire, afin de ne pas effrayer le calife ou le peuple de la ville, qui se reposaient avec pleine sécurité sur la foi des traités ; l'assurant qu'il remplirait sans retard ses engagements, et qu'alors il serait loisible au seigneur Roi de rentrer dans ses États sous les meilleurs auspices. Tandis qu'à l'aide de ces trompeuses illusions le soudan déjouait toutes les dispositions qu'on avait faites dans notre armée, et rendait nuls les sages conseils et les salutaires avis de ceux qui jugeaient mieux la situation, le bruit se répandit que Syracon arrivait traînant à sa suite une armée innombrable de Turcs : aussitôt qu'il l'eut appris, le Roi leva son camp, fit reformer les bagages, et retourna à Péluse. Là, ayant pris des vivres pour la route, et laissant derrière lui une force suffisante de chevaliers et de gens de pied pour défendre la ville, le Roi partit le z5 décembre, et marcha vers le désert à la rencontre de Syracon. Il s'était déjà assez avancé dans cette solitude, lorsque les éclaireurs qui connaissaient bien les localités, et en qui il fallait bien avoir confiance, vinrent lui annoncer que Syracon avait déjà passé avec toutes ses troupes. Il fallut prendre une nouvelle détermination. Les forces de* ennemis étant doublées, il n'y avait plus de sûreté à demeurer plus longtemps dans le pays ; tout retard accroissait le péril. Il paraissait imprudent d'aller combattre les ennemis, et d'ailleurs le soudan ne voulait plus accomplir ses engagements; nous n'avions aucun moyen de l'y contraindre, et il était évident qu'il n'avait cherché tant de prétextes et de retards que dans l'intention d'attendre l'arrivée des Turcs, pour nous forcer alors à la retraite. Dans cette situation , le Roi retourna à Péluse, et ayant rallié la portion de son armée qu'il y avait laissée pour défendre cette ville, il la reforma en bon ordre, et se remit en route, le a janvier, pour retourner en Syrie. |
CAPUT XI. Siraconus Aegyptum occupat; soldanum interficit: et ipse paulo post vita defungitur. Porro Siraconus videns temporum opportunitatem votis suis consonare, et rege abscedente jam non esse quidpiam, quod ejus desideriis praestet impedimentum, quod prius mente conceperat, mandat effectui. Castra igitur locat ante Cahere; et quasi pacificus esset ejus introitus, patienter per aliquot dies sustinet, tanquam vir prudentissimus, nihil spirans asperum, nihil praetendens amarum, versutia, qua plurimum callebat, celans propositum. Egrediebatur ad eum Savar soldanus in castra quotidie, cum multa gloria et maximo comitatu; et impenso quotidianae visitationis officio et devotae salutationis affatu, datis etiam muneribus, revertebatur. Jamque prosperi ingressus et regressus assiduitas securitatem videbatur polliceri; et quod heri et nudiustertius cum reverentia fuerat susceptus, consuetudinem inducebat fidentiorem. Securum igitur et nimis de Turcorum fide praesumentem sceleris minister praevenit; occulte suis praecipit, quod dum die sequenti, summo mane, quasi deambulaturus ad aquas egreditur, ea hora qua soldanus visitationis consuetudinem fecerat, venientem confoderent. Savar vero, diei parte solita, ut consuetae visitationis et debitae salutationis dependat alloquium, egreditur ad castra; cui occurrentes mortis ejus ministri, exsecutioni mancipant quod fuerat imperatum. Dejectum enim ad terram, capite minuunt, gladiis obtruncant. Quod videntes ejus filii, citatis equis in Cahere se recipiunt, ante calipham consternati, et genibus provoluti pro vita supplicant. Quibus ille dicitur respondisse, ea conditione de vita sperandum, si nihil occulte cum Turcis molirentur: qui pactorum formam statim violantes, clam per internuntios coeperunt cum Siracono de pace tractare; quod audiens calipha, utrumque jussit gladio interire. Sic ergo rege absente, Savar de medio sublato, Siraconus votis satisfacit suis; regnum occupat; et ingressus ad calipham, reverentiam impendit debitam. Ipse quoque versa vice plurimum honoratus, dignitate et officio soldanatus insignitur; et gladii recipiens potestatem, Aegyptum sibi vindicat universam. O caeca hominum cupiditas, et omni crimine major! O nefanda cupidae mentis et insatiabilis animi rabies! Ecce, a quam quieto et tranquillo penitus statu, in quam turbulentum et anxietatibus plenum nos dejecit immoderatus habendi ardor? Aegypti copiae, opulentiarum immensitas nostris usibus famulabantur; ex ea parte nostrum regnum tuta habebat latera; non erat quem ab Austro formidaremus. Mare volentibus adire vias praestabat pacatiores; nostri quoque negotiationis et commerciorum gratia, sine formidine, bonis conditionibus in Aegypti fines poterant introire. Ipsi quoque versa vice peregrinas inferentes divitias, commercia nostris incognita secum trahentes, utilitati simul et honori nobis erant, dum ad nos ingrediuntur. Praeterea census annui immensa praestatio, tam fisco regio, quam domesticis singulorum peculiis vires praestabat, inferebat incrementum. At nunc e converso, cuncta calculum sunt sortita deteriorem; mutatus est color optimus, et versa est in luctum cithara nostra. Quocunque me vertam, suspectas invenio partes. Mare pacatos negat aditus, omnis vicina per circuitum regio hostibus paret, et in nostram se accingunt perniciem regna contermina. Haec omnia hominis unius invexit cupiditas, et avaritia vitiorum radix nostra obnubilavit data divinitus serena. Sed ad historiam redeamus. |
CHAPITRE XI. [1169.] Syracon voyant que les circonstances répondaient à ses vœux, et qu'après le départ du Roi personne en Egypte ne pouvait s'opposer à leur accomplissement, mit enfin à exécution le projet qu'il avait formé depuis longtemps. Il dressa son camp devant la ville du Caire, et comme s'il fût entré en pacificateur, il contint son impatience pendant quelques jours, se conduisit en homme plein de sagesse, ne montra aucune mauvaise intention, ne se permit aucun acte d'hostilité, et dissimula ses desseins avec toute l'adresse qui le distinguait. Le Soudan Savar sortait tous les jours de la ville et se rendait au camp de Syracon en grande pompe et suivi d'une escorte considérable ; il allait tous les jours le visiter et lui présenter ses salutations empressées, et après lui avoir offert des présents il rentrait dans la ville. L'habitude de se rendre au camp des Turcs et d'en sortir sans aucun accident lui inspirait de jour en jour plus de sécurité, et comme il avait été reçu la veille et l'avant-veille avec tous les témoignages de respect, chaque jour il croyait avoir plus de raison de se confier en son hôte. Mais tandis qu'il comptait aveuglément sur la bonne foi des Turcs, Syracon, ministre du crime, le surprit au milieu de cette trompeuse assurance : il ordonna secrètement aux siens de frapper le soudan le lendemain matin, à l'heure où il viendrait, selon son usage, lui présenter ses devoirs, et tandis que lui-même serait sorti de son camp, comme pour aller se promener sur les bords du fleuve. Savar en effet se rendit au camp de Syracon à son heure accoutumée, pour lui faire sa visite et s'entretenir avec lui après lui avoir présenté ses salutations ; les ministres de mort marchèrent à sa rencontre et mirent aussitôt à exécution les ordres qu'ils avaient reçus. Ils le renversèrent par terre, lui tranchèrent la tête et le percèrent de mille coups. Ses fils, témoins de sa mort, tournèrent bride aussitôt, s'enfuirent rapidement vers le Caire, et, saisis de douleur, se roulant aux pieds du calife, ils l'implorèrent pour leur propre salut. On dit que le calife leur répondit qu'ils pouvaient y compter, à la charge par eux de n'entreprendre aucune négociation secrète avec les Turcs; mais oubliant aussitôt les termes de leur traité, ils employèrent des émissaires pour négocier un traité de paix avec Syracon, et le calife en ayant été informé, donna l'ordre de les faire périr tous deux parle glaive. Ainsi, le roi de Jérusalem étant absent et Savar mort, Syracon, parvenu au comble de ses vœux, s'empara du royaume, se rendit auprès du calife, et lui offrit les témoignages de respect qui lui étaient dus. Dans ce changement de fortune, comblé d'honneurs, revêtu de la dignité et de la charge de soudan, armé du pouvoir du glaive, Syracon devint maître de toute l'Egypte. Ô aveugle cupidité des hommes, le plus grand de tous les crimes! ô coupables entraînements d'une âme avide et insatiable! De quelle situation pleine de douceur et de tranquillité nous fûmes jetés. dans un état rempli de trouble et d'anxiété par cette soif immodérée de richesses ! Toutes les productions de l'Egypte et ses immenses trésors étaient à notre disposition; notre royaume était parfaitement en sûreté de ce côté ; nous n'avions vers le midi nul ennemi à redouter. Ceux qui voulaient se confier à la mer trouvaient les routes assurées : nos Chrétiens pouvaient aborder en sûreté sur le territoire d'Egypte pour leurs affaires de commerce, et les traiter à des conditions avantageuses. De leur côté les Égyptiens nous apportaient des richesses étrangères et toutes sortes de marchandises inconnues dans notre pays, et lorsqu'ils y venaient leurs voyages nous étaient à la fois utiles et honorables. En outre, les sommes considérables qu'ils dépensaient tous les ans chez nous tournaient au profit du trésor royal, ainsi que des fortunes particulières, et contribuaient à leur accroissement. Maintenant au contraire tout est changé; les choses ont pris la plus mauvaise face, et notre harpe ne fait plus entendre que des sons douloureux. De quelque côté que je me tourne, je ne vois que des sujets de crainte et de méfiance. La mer nous refuse une paisible navigation ; tous les pays qui nous environnent obéissent à nos ennemis, tous les royaumes voisins sont armés pour notre ruine. La cupidité d'un seul homme a attiré tous ces maux sur nous; son avidité, source de tous les vices, a couvert d'un voile épais le ciel serein que nous devions à la bonté du Seigneur. Mais reprenons la suite de notre récit. |
CAPUT XII. Salahadinus ejus ex fratre nepos, defuncto succedit et regnum obtinet Aegypti. Mortuo soldano et filiis ejus, quibus contra pietatis formam, necis indebitae causas praebuimus, Siraconus voti compos obtinuit principatum; verum hoc successu non diu est laetatus; nam vix anno potitus imperio, rebus humanis exemptus est: cui successit Salahadinus fratris ejus Negemedini filius, vir acris ingenii, armis strenuus et supra modum liberalis. Hic primis auspiciis sui principatus ad calipham dominum suum, ut solitam illi exhiberet reverentiam, ingressus, clava quam gestabat in manibus, dicitur eum ad terram prostratum occidisse, omnemque ejus gladio transverberasse progeniem, ut ad nullum superiorem habens respectum, ipse sibi et calipha et soldanus esset: timebat enim, ne ad se ingredientem aliquando, quia jam Turci populo invisi habebantur, jugulari praeciperet. Praevenit ergo eum, et sibi more domini nihil tale verenti mortem intulit, quam eidem ille, ut dicitur, parabat intentare. Mortuo igitur calipha, regiam gazam et thesauros et cuncta illius domus desiderabilia, pro libero diripiens arbitrio, cuncta liberaliter nimis, militibus erogavit, ita ut intra paucos dies evacuatis vestiariis, ipse mutuam sumens pecuniam, gravi pondere se obligaret aeris alieni. Non defuerunt tamen, ut dicitur, qui de filiis caliphae occulte quosdam eriperent, ea intentione, ut, reddita Aegyptiis aliquando regni administratione, non deesset qui praedecessoribus suis, nominis, dignitatis et sanguinis haeres existeret. |
CHAPITRE XII. Après la mort du soudan et de ses fils, mort injuste et dont nous fûmes les auteurs par notre impie conduite, Syracon, parvenu au but de ses désirs. obtint le gouvernement de l'Egypte. Mais il ne jouit pas longtemps de ses succès, et sortit de ce monde un an tout au plus après qu'il se fut mis en possession du pouvoir. Il eut pour successeur son neveu Saladin, fils de son frère Negemeddin (09), homme d'un esprit ardent, vaillant à la guerre, et prodigue dans sa libéralité. Dès qu'il se fut emparé du commandement, il se rendit auprès du calife son seigneur, pour lui présenter l'hommage qu'il lui devait, le frappa, dit-on, d'une massue qu'il tenait dans ses mains, le renversa par terre et le tua : il perça également de son épée tous les enfants du calife, afin de n'avoir aucun supérieur et d'être lui-même et son calife et son Soudan ; car il craignait que le calife ne le fit périr un jour ou l'autre, au moment où il s'approcherait de lui, attendu que les Turcs commençaient déjà à encourir la haine du peuple égyptien. Il le prévint par ce coup, et donna la mort à son seigneur, au moment où celui-ci ne s'y attendait nullement, et, à ce qu'on assure, était aussi résolu à le frapper à l'improviste. Le calife mort, Saladin s'empara de ses richesses, de ses trésors et de tout ce qu'il y avait de précieux dans sa maison ; il usa de toutes choses selon son bon plaisir, en fit la distribution entre ses chevaliers, et se livra tellement à ses habitudes prodigues qu'après avoir en peu de jours dégarni toute la maison et les garde-robes, il emprunta encore des sommes considérables, et se chargea de très-fortes dettes. Il y eut cependant, à ce qu'on dit, des personnes qui parvinrent à enlever secrètement quelques-uns des fils du calife, afin que si les Egyptiens recouvraient jamais le droit de gouverner leur royaume, ils pussent retrouver un héritier du nom, des dignités et du sang de leur dernier calife. |
CAPUT XIII. Bernardus monasterii montis Thabor abbas, Liddensi Ecclesiae praeficitur. Fredericus Tyrensis archiepiscopus ab Occidentalibus principibus petiturus auxilium, ad partes dirigitur occiduas. Domino rege in regnum reverso, nil memoria dignum prima illius anni parte gestum est, nisi quod defuncto Raynero, bonae memoriae Liddensi episcopo, Bernardus abbas ecclesiae montis Thabor, in eadem ecclesia inthronizatus est. Vere tamen sequente, quod erat sexti anni domini Amalrici initium, videntes regni prudentiores, quod in subjugata Turcis Aegypto, plurimum nobis decesserat, et multo deterior facta erat nostra conditio: nam violentissimus hostis noster, Noradinus per mare poterat, classe numerosa ex Aegypto proficiscente, regnum nostrum arctare non modicum, et quamlibet ex maritimis urbibus utroque vallare exercitu; et quod formidabilius erat, peregrinis ad nos transitum impedire aut negare penitus; consulunt opus esse, ut de praelatis ecclesiarum viri venerabiles, prudentes et eloquentia praediti, ad Occidentis principes dirigerentur, qui doceant et diligenter insinuent regni pressuras importabiles; et populi Christiani afflictionem, et casus asperos fratribus imminentes. Electi sunt ergo de communi consilio in opus ministerii hujus dominus patriarcha, dominus Ernesius Caesariensis archiepiscopus, dominus Willelmus Acconensis episcopus; sumptisque tam domini regis quam universorum episcoporum litteris, ad dominum Fredericum Romanorum imperatorem, ad dominum Ludovicum Francorum regem, ad dominum Henricum regem Anglorum, ad dominum Willelmum Siciliae regem; ad comites quoque, nobiles et inclytos Philippum Flandrensem, Henricum Trecensem, Theobaldum Carnotensem, et ad reliquos Occidentalium partium principes, navem conscendunt. Sed subito sequenti nocte oborta tempestate maxima, nave quassata, fractis remigiis, malis depositis, plurimum turbati, post triduum, vix evadentes naufragium, reversi sunt. Successit eis in eadem legatione dominus Fredericus Tyrensis archiepiscopus, multa precum domini regis et principum devictus instantia, ducens secum dominum Joannem Paneadensem episcopum, ejusdem ecclesiae suffraganeum; qui melioribus auspiciis navem ingressi, feliciter ad optatum portum navigaverunt; parum tamen in negotio quod eis injunctum fuerat, proficientes. Nam praedictus episcopus, postquam in Franciam pervenit, statim apud Parisios ultimum clausit diem; dominus vero archiepiscopus completo biennio, omnino vacuus reversus est. |
CHAPITRE XIII. Après le retour du seigneur Roi il ne se passa rien de mémorable dans le royaume pendant la première moitié de cette même année, si ce n'est que Reinier de précieuse mémoire, évêque de Lydda, étant mort, Bernard, abbé de l'église du Mont-Thabor, fut solennellement installé en cette même qualité. Le printemps suivant, qui était le commencement de la sixième année du règne du seigneur Amaury, les hommes les plus sages du royaume reconnurent que l'occupation de l'Egypte par les Turcs nous nuisait considérablement, et que notre situation avait fort empiré depuis cette époque. En effet, Noradin, le plus violent de nos ennemis, pouvait, en faisant partir une flotte nombreuse de l'Egypte, serrer de très près notre royaume, assiéger toutes nos villes maritimes avec deux armées, et, ce qui était plus dangereux encore, il pouvait s'opposer entièrement au passage des pèlerins, et les empêcher d'arriver jusqu'à nous. Dans ces circonstances on jugea qu'il était nécessaire d'envoyer auprès des princes de l'Occident quelques prélats, hommes vénérables, sages et doués d'éloquence, qui seraient chargés de les informer avec soin des malheurs affreux qui accablaient le royaume, de raconter les afflictions du peuple chrétien et les calamités plus grandes encore dont il se voyait menacé. On élut d'un commun accord , pour l'accomplissement de cette mission, le seigneur patriarche, le seigneur Hernèse, archevêque de Césarée, et le seigneur Guillaume, évêque d'Accon : ils récurent des lettres du seigneur Roi et de tous les évêques pour le seigneur Frédéric, empereur des Romains, pour le seigneur Louis, roi des Français, pour le seigneur Henri, roi des Anglais, pour le seigneur Guillaume, roi de Sicile, pour les nobles et illustres comtes Philippe de Flandre, Henri de Troyes, Thibaut de Chartres, et pour d'autres princes des pays occidentaux : munis de ces dépêches, les prélats s'embarquèrent sur un seul navire. Dès la nuit suivante il s'éleva une affreuse tempête, qui ballotta leur vaisseau, brisa toutes les rames, renversa les mâts, et le troisième jour nos députés rentrèrent au port, remplis de frayeur, et n'ayant échappé au naufrage qu'avec beaucoup de peine. Ils furent remplacés pour cette même mission par le seigneur Frédéric, archevêque de Tyr, qui céda enfin aux instantes prières du seigneur Roi et des princes, et emmena avec lui le seigneur Jean, évêque de Panéade et suffragant de l'église de Tyr. Ils s'embarquèrent tous deux sous de meilleurs auspices, et abordèrent heureusement au lieu de leur destination : quant aux affaires pour lesquelles on les avait fait partir, ils n'obtinrent aucun succès. L'évêque de Panéade, étant arrivé en France, mourut peu de temps après à Paris; et le seigneur archevêque revint au bout de deux ans, sans avoir pu réussir dans sa mission. |
CAPUT XIV. Imperator pactis volens satisfacere, classem in Syriam dirigit, et quosdam de suis principibus. Transcursa illa aestate, absque factis memorabilibus, circa prima autumni sequentis initia, fidei memor, et pacta memoriter tenens, quae cum domino rege per nostram mediationem et per interpositum studium dominus imperator firmaverat, classem dirigit promissam, in eo facto plurimum commendabilis; nam imperiali magnificentia placidorum legem plenius interpretatus, promissum uberiore cumulavit solutione. Erant sane in praefato exercitu naves longae, rostratae, geminis remorum instructae ordinibus, bellicis usibus habiliores, quae vulgo galeae dicuntur, centum quinquaginta. Item his majores ad deportandos equos deputatae, ostia habentes in puppibus, ad inducendos educendosque eos patentia, pontibus etiam quibus ad ingressum et exitum, tam hominum quam equorum, procurabatur commoditas, communitae, sexaginta. Item harum maximae, quae dromones dicuntur, alimentis varii generis armisque multiplicibus, machinis quoque et tormentis bellicis usque ad summum refertae, decem aut duodecim. Misit autem cum classe de suis principibus Megalducas consanguineum suum, quem universis praefecit, et quemdam alium Mauresium nomine, sibi valde familiarem, de cujus experientia (sicut postea plenius patuit) plurimum confidebat; nam eumdem postmodum universo suo praefecit imperio. Comitem quoque Alexandrum de Conversana, nobilem de Apulia virum; quem ob insignem fidem, et multam erga se devotionem, dominus imperator charum habebat et acceptum. His curam sui committens exercitus, in nostrum dirigit Orientem; qui prospera usi navigatione, circa finem Septembris portum ingrediuntur Tyrensem: inde Accon profecti, inter fluvium et portum placida statione componunt. |
CHAPITRE XIV Ce même été se passa sans qu'il survînt dans le royaume rien qui soit digne d'être rapporté. Vers le commencement de l'automne, le seigneur Empereur, fidèle à ses promesses, et se souvenant du traité d'alliance qu'il avait conclu par notre intermédiaire avec le seigneur Roi, envoya la flotte qu'il avait promise; bien digne en cette circonstance des plus grands éloges, car, dans sa magnificence impériale, il interpréta son traité très-généreusement, et accorda beaucoup plus qu'il n'avait d'abord consenti. Son armée navale était composée de cent cinquante navires longs, à éperons, garnis d'un double rang de rameurs très propres au service de la guerre, et qu'on appelle vulgairement des galères. Il y avait en outre soixante bâtiments plus grands que les précédents, destinés au transport des chevaux, ayant vers la poupe des portes par où l'on faisait entrer et sortir ces animaux, et garnis en outre de ponts qui servaient à embarquer et à débarquer commodément et les hommes et les chevaux. On y voyait enfin dix ou douze autres bâtiments encore plus grands, appelés dromons (sorte de navires très-longs), et qui étaient chargés au complet de vivres, d'armes de toute espèce, de machines et d'autres instruments de guerre. L'Empereur envoya quelques-uns de ses princes avec cette flotte, savoir, Mégaducas, son cousin, à qui il donna le commandement en chef; un certain Maurèse , homme très dévoué à l'Empereur qui avait beaucoup de confiance en son expérience (comme on put le reconnaître par la suite, lorsqu'il le mit à la tête de toutes les affaires de son empire); et enfin le comte Alexandre de Conversana, homme noble de la Pouille, pour qui le seigneur Empereur avait aussi beaucoup d'amitié, en reconnaissance de sa grande fidélité et de son extrême dévouement. Ayant chargé ces trois hommes de la conduite de son armée, l'Empereur les fit partir pour l'Orient : leur navigation fut heureuse ; vers la fin de septembre ils entrèrent dans le port de Tyr, se rendirent de là à Accon, et s'établirent dans une bonne station, entre le fleuve et le port. |
CAPUT XV. Rex in Aegyptum descendit cum suis expeditionibus; Graecis quoque, tam navigio quam per terram eum sequentibus. Anno igitur ab Incarnatione Domini 1169, a liberatione vero urbis sexagesimo octavo, regni vero domini Amalrici anno sexto, Idibus Octobris: compositis regni negotiis, relicta etiam militia, quae in regis absentia ab insidiis et incursionibus Noradini, quem circa partes Damascenas commorantem reliquerat, regnum tueretur; congregatus est universus exercitus tam Latinorum quam Graecorum apud Ascalonam, classe jam a portu Acconensi per dies aliquot egressa, et iter contra fines Aegyptios agente *. Septimo igitur decimo Kal. Septembris, ab urbe praedicta egredientes, per mansiones competentes, ubi aquarum non deesset commoditas, et ne peditum phalanges supra vires gravarentur, itineribus moderatis, Pharamiam urbem antiquissimam, nona demum die perveniunt. Mediam autem hanc viam, maritimam oram sequi volentibus, fortuitus quidam casus nuper reddiderat productiorem. Evictis namque verbere assueto et pene continuo assultu quibusdam arenarum aggeribus, qui medii inter planiora quaedam loca et fretum vicinum interponebantur, mare violenter fractis obicibus, viam sibi evicerat, et liberum sibi introitum ad illam ulteriorem vindicaverat planitiem; quo licentia influens liberiore, stagnum effecerat ore quidem angusto, sed intus campos obtinens patentiores. Ubi ab illa die marinis influxionibus tanta solet piscium includi multitudo, ut non solum finitimis, verum etiam remotis urbibus uberiores et inauditas piscium praestet commoditates. Occupatis igitur salo restagnante locis mari vicinioribus, volentibus secus aequorea transire littora et in Aegyptum descendere, objectum est dispendium, quod stagnum circumire, et milliaribus decem, vel eo amplius digredi, antequam ad littus iterum redeatur, quadam necessitate compellat. Haec autem gratia miraculi, et de novo factae irruptionis interseruimus; et quod pars solitudinis prius obnoxia solis ardoribus, nunc subjecta fluctibus, et natantium facta familiaris, navigiis patens, piscatorum implet retia, et praeter solitum facta fecundior, fructus reddit prius incognitos. Pharamia vero, unde supra fecimus mentionem, civitas deserta, olim multo frequentata habitatore, juxta primum Nili ostium, quo marinis excipitur fluctibus, sita est, quod vulgo Carabes dicitur, eremo juncta, inter fluvium, mare et solitudinem posita; distat tamen ab ostio fluminis milliaribus tribus: ad quam nostri pervenientes, classem nostram reperiunt advenisse. Ubi aptatis navibus cum remige necessario, universus in ulteriorem ripam deportatur exercitus. Relinquentes igitur a laeva Tapnim, eximiam olim metropolim, nunc autem parvissimi ad instar redactam oppidi, inter loca palustria et maris littus viam carpentes mediam, quasi milliaribus viginti, duobus diebus Damiatam perveniunt. |
CHAPITRE XV. L'an 1169 de l'incarnation du Seigneur, la soixante-huitième année de la délivrance de la cité sainte, la sixième du règne du seigneur Amaury, et le 10 octobre, le Roi ayant mis ordre aux affaires de son royaume, et laissant derrière lui une force suffisante pour le défendre en son absence contre les entreprises et les incursions de Noradin, qui séjournait en ce moment dans les environs de Damas, rassembla toute l'armée, tant des Latins que des Grecs, auprès de la ville d'Ascalon. Déjà, depuis quelques jours, la flotte était sortie du port d'Accon et avait fait voile pour l'Egypte. Le 17 des calendes de septembre (10), l'armée sortit d'Ascalon et se mit en marche, s'arrêtant tous les jours dans les stations les plus convenables et de façon à trouver toujours de l'eau en abondance, marchant à petites journées, afin que les corps de gens de pied ne fussent pas trop fatigués ; elle arriva enfin le neuvième jour à l'antique ville de Pharamie. Un accident survenu récemment avait allongé la route qui conduisait à cette ville et qui se prolongeait sur les bords de la mer. A force de battre et d'assiéger en quelque sorte certains amas de sables placés entre une vaste plaine et les eaux, la mer avait enfin enfoncé cette digue, et, s'ouvrant une nouvelle voie, s'était répandue sans obstacle dans la plaine dont je viens de parler. L'ouverture qu'elle s'était faite était peu large, mais les eaux pouvant y passer librement, avaient formé au-delà un étang beaucoup plus vaste. Dès ce moment les infiltrations de la mer y amenèrent une telle quantité de poissons que non seulement les environs, mais même des villes éloignées s'en trouvèrent plus abondamment pourvues que jamais. Les lieux voisins de la mer ont été peu à peu envahis par ses débordements, en sorte que ceux qui veulent suivre la côte maintenant pour descendre en Egypte rencontrent là un obstacle qui les oblige à tourner l'étang et à faire un circuit de dix milles et plus de longueur avant de pouvoir rejoindre de nouveau le rivage. J'ai raconté ce fait à cause de sa singularité miraculeuse et de la nouveauté de l'événement, comme aussi parce que cette portion du désert, qui était auparavant exposée à toute l'ardeur des feux du soleil et qu'on voit maintenant couverte d'eau et très-fréquentée par tous ceux qui naviguent, est devenue plus fertile qu'elle n'avait jamais été, et remplit les filets de tous les pêcheurs qui viennent y exercer une industrie jusqu'alors inconnue. La ville de Pharamie, dont je viens de faire mention, maintenant inhabitée, et jadis remplie d'une nombreuse population, est située non loin de la première des embouchures du Nil, vulgairement nommée Carabeix, au milieu du désert, entre cette embouchure , la mer et les terres incultes, et à trois milles de distance du point où le fleuve se jette dans la mer. Notre armée étant arrivée dans cette ville y trouva la flotte ; on disposa aussitôt les navires avec tous les rameurs dont on avait besoin, et toute l'armée passa sur la rive opposée : laissant alors sur la gauche la ville de Tapnis, jadis belle métropole, et qui maintenant ne présente plus que l'aspect d'un très-petit bourg, et suivant un chemin pratiqué entre les marais et le rivage de la mer, l'armée fit encore une vingtaine de milles environ, et arriva en deux jours devant Damiette. |
CAPUT XVI. Rex Damiatam obsidet; et in ejus expugnatione tam Latinorum quam Graecorum inutiliter desudat exercitus. Est autem Damiata inter Aegypti metropoles antiqua et nobilis plurimum, secus ripam Nili sita citeriorem, ubi secundo ostio praedictus fluvius mare ingreditur, inter fluminis alveum et mare, situ valde commodo posita; a mari tamen, quasi milliario distans; ad quam VI Kal. Novembris noster perveniens exercitus, inter urbem et mare castrametati sunt, classem exspectantes, quae maris inclementia et ventorum adversis flatibus detinebatur; quae post triduum, pacata maris unda et ventis usa secundis alveum amnis ingressa, inter civitatem et mare, secus ripam, placita se statione locavit. Porro in ulteriore fluminis ripa erat turris singulariter erecta, armatis sufficienter ad sui praesidium munita. Ab hac usque ad civitatem catena protendebatur ferrea, quae nostris maximum dabat impedimentum, ita ut ad superiora nullus omnino pateret transitus. Ad eos vero de superioribus, a Babylonia et Cahere, libere et absque impedimento, poterant naves quaelibet introire. Classe igitur composita, nostri quoque pomoeria quae inter castra et urbem media jacebant, transeuntes, urbi viciniora figunt tentoria, unde liber ad moenia erat discursus. Ubi dum per triduum assultus differunt, experimento discunt quam verum sit: Nocuit differre paratis. Advenientes enim de superioribus Aegypti partibus Turcorum infinitae multitudines, et armatis naves onustae, nostris videntibus, nec impedire valentibus, urbem prius pene vacuam, replebant. Et quam primo accessu vix primos impetus sustinere posse judicaverant, nunc non nisi machinis et tormentis bellicis expugnandam asserunt. Eliguntur ergo artifices, et pro votis subjecta materia, sumptu numerosiore et labore maximo erigitur castellum mirae altitudinis, septem habens solia, unde civitas tota videri poterat. Construuntur et aliae varii generis machinae quaedam, quibus magnis molaribus caedantur moenia; quaedam, quibus quasi caveis occultis, fossores muros urbis suffodiant, et subterraneis meatibus suffossos compellant ad ruinam. Fabrefactis interim machinis, et per itinera complanata secus murum collocatis, qui in castello erant, urbanos sagittis, saxis pugillaribus et armis qualia furor et loci angustia ministrabat, urgebant cum instantia; qui vero sub jaculatoriis tormentis, missis molaribus, certatim moenia, et juncta moenibus domicilia dejicere adoriuntur. Hoc videntes oppidani, ut arte artem deludant, et nostris moliminibus eadem subtilitate obvient, e regione nostri castellum educunt in sublime; armatos imponunt, qui nostris renitantur a pari, et eis aequipollenti conatu respondeant: tormenta nihilominus tormentis objiciunt; et ad nostra confringenda argumentis quibus possunt, tota sollicitudine se suspendunt. Fiunt ad sui tuitionem solertes, et ingenium a necessitate vires sumit. Quique prius arbitrabantur se ad hoc non sufficere, necessitatis pressi articulo, vias inveniunt prius incognitas, et ad propriae salutis tutelam fiunt ex obtusis subtiliores. Ibi erat experimento cognoscere, quam verum sit illud proverbialiter dictum: Miserisque venit solertia rebus. (OVID.) Nostri vero cum instare acrius debuissent, timide gelideque coeperunt cuncta ministrare; erant qui fraudi, erant et qui incuriae et negligentiae imputarent. Ibi profecto patuit statim, nostros aut minus experientiae habuisse, aut a solita defecisse prudentia, aut exercitus moderatores malitiose versatos; cum castellum quod erectum fuerat, per loca clivosa et pene invia muris applicari jusserunt. Nam cum essent in eadem parte civitatis moenia in multis locis humiliora et infirma nimis et loca multa assultibus et expugnationi facilius pervia, castellum erexerunt in ea parte civitatis, quae firmior et magis munita habebatur, et ubi cum tanta difficultate moenibus est applicatum, quanta alibi nusquam occurrisset; nec ibi civibus quidquam inferebat molestiae, aut eorum aedificiis, sed soli basilicae sanctae Dei Genitricis, quae juxta muros sita est. Illud sane nihil habet ambigui, qui de malitia, more processerit, quod primo nostrorum adventu dilata est urbis impugnatio; nam vacuam reperientes eam, dum non nisi domesticos haberet suos, viros imbelles, effeminatos, praeliorum ignaros, si pro debito animosius institissent, primis congressionibus eam occupassent violenter. Concessae namque feriae tantum virium obsessis intulerunt, tantaque medio tempore virorum fortium et egregie armatorum accessit numerositas, ut non solum intra moenia, sed etiam in campestribus nostrorum impetus possent sustinere. |
CHAPTRE XVI. Damiette, l'une des antiques et des plus illustres métropoles de l'Egypte, est située sur la rive inférieure du Nil, au lieu où ce fleuve se jette dans la Méditerranée par une seconde embouchure, et se trouve placée entre le lit du fleuve et la mer, dans une position infiniment agréable, à un mille environ de la mer. Notre armée y arriva le 27 octobre et dressa son camp entre la mer et la ville, pour attendre la flotte, que les tempêtes et les .vents empêchaient encore d'aborder. Enfin, trois jours après, les eaux s'étant abaissées et les vents devenus favorables, la flotte entra dans le fleuve et vint se ranger sur ses bords, dans une station agréable, entre la ville et la mer. Il y avait sur la rive opposée du fleuve une tour singulièrement élevée et garnie d'hommes armés, en nombre suffisant pour la défendre. Une chaîne en fer, tendue de cette tour jusqu'à la ville, opposait une puissante barrière aux nôtres, et les empêchait absolument de remonter plus haut, tandis que des navires de toute espèce pouvaient descendre des lieux plus élevés, des villes du Caire et de Babylone, et arriver librement et sans aucun obstacle jusqu'auprès des habitants de Damiette. Notre flotte ayant pris position , les Chrétiens traversèrent les vergers situés entre leur camp et la place, et dressèrent leurs tentes plus près de la ville, sur un terrain d'où il leur était permis d'arriver jusqu'aux murailles. Ayant différé pendant trois jours de livrer assaut, ils apprirent par leur propre expérience combien le moindre retard peut être nuisible lorsqu'on est tout préparé. Des bandes innombrables de Turcs arrivèrent des parties supérieures de l'Egypte, et des navires chargés d'hommes armés vinrent, à la vue même de notre armée, et sans qu'il lui fût possible de s'y opposer, remplir de combattants la ville, qui naguère se trouvait presque déserte. Au moment de l'arrivée des nôtres, à peine eût-elle pu, même selon leur dire, soutenir une première attaque, et bientôt ils jugèrent ne pouvoir plus s'en emparer qu'en employant les machines et tous les instruments de guerre. On choisit donc des ouvriers, on leur livra les matériaux dont ils avaient besoin, et ils construisirent à grands frais et avec beaucoup de travail une tour d'une hauteur étonnante , puisqu'elle avait sept étages, du haut de laquelle on pouvait voir toute la ville. On fit faire encore d'autres machines de diverses espèces, les unes pour lancer contre les murs d'énormes blocs de pierre capables de les ébranler ; d'autres, pour y renfermer des fossoyeurs qui pussent s'y cacher comme dans des cavernes, afin d'aller miner les murailles de la ville, et s'avancer «ensuite sous des passages souterrains pour achever de les renverser. Lorsque toutes ces machines furent terminées, on aplanit le terrain, et on les plaça le long des murailles : ceux qui étaient dans la tour attaquaient sans relâche les assiégés avec des flèches et des pierres qu'ils lançaient à la main, et en employant toutes les armes dont ils pouvaient se servir dans leur fureur et dans l'étroit espace qui les renfermait. Ceux qui faisaient le service des machines à projectiles lançaient de gros blocs de pierre et s'efforçaient à l'envi les uns des autres de renverser les murailles et les maisons attenantes. A cette vue, les assiégés, voulant opposer l'adresse à l'adresse, et répondre avec la même habileté à toutes les entreprises des assiégeants, firent élever une tour pareille à celle des nôtres; ils la remplirent d'hommes armés, afin de tenter une résistance et des efforts semblables à. ceux que faisaient les nôtres ; d'autres instruments de guerre fusent dressés en face des instruments du même genre, et ils cherchèrent, avec la plus grande sollicitude et par tous les moyens possibles, à briser toutes nos machines. L'intérêt de leur défense les rendit habiles, la nécessité fut pour eux la mère de l'industrie. Naguère ils s'étaient crus hors d'état de résister ; mais pressés par le besoin, ils trouvèrent des ressources jusqu'alors ignorées, les esprits les plus bornés devinrent ingénieux pour le soin de leur propre sûreté, et l'on put reconnaître alors par expérience la vérité de ces paroles proverbiales, que « l'esprit se développe dans le malheur. » Les nôtres au contraire, qui auraient dû pousser plus vivement leur entreprise, commencèrent à se montrer timides et comme glacés : les uns disent que ce fut par suite d'une trahison; d'autres, uniquement par négligence et incurie. La première occasion où l'on put reconnaître qu'il y avait parmi les nôtres moins d'habileté ou moins de sagesse que d'ordinaire, ou bien encore que les chefs de l'armée n'agissaient qu'à mauvaise intention, fut celle où l'on donna l'ordre de conduire la tour mobile vers les murailles, sur un terrain en pente et presque impraticable. Il y avait de ce même côté de la ville beaucoup de points où les murailles étaient plus basses, et contre lesquels on pouvait se diriger plus facilement pour livrer assaut et pour . en prendre possession ; et cependant on dressa la tour en face du point le plus solide et le mieux fortifié, et l'on rencontra plus de difficulté pour l'appliquer contre la muraille qu'on n'eût pu en trouver en en choisissant tout autre : là même , cette machine ne pouvait faire aucun mal aux assiégés ni à leurs édifices, mais seulement à l'église de la sainte Mère de Dieu, située tout près de ce même mur. Il est encore une autre circonstance que j'ai déjà indiquée et sur laquelle on ne peut conserver aucun doute qu'elle n'ait été le résultat d'une méchante intention, c'est le retard qu'on mit à attaquer la ville lorsque notre armée fut arrivée devant ses murs. On la trouva dans ce moment à peu près déserte ; il n'y avait que ceux qui y habitaient d'ordinaire, hommes lâches et efféminés qui n'avaient aucune habitude des combats; en sorte que, si on les eût attaqués vivement, comme, on aurait dû le faire, la ville eût été certainement enlevée de vive force dès les premiers assauts. On leur donna du temps, les assiégés firent venir des forces du dehors, et il leur arriva dans cet intervalle une si grande quantité d'hommes vigoureux et parfaitement armés, qu'ils se trouvèrent en état de résistera nos attaques, non seulement dans l'enceinte des murailles, mais même en dehors et dans la plaine. |
CAPUT XVII. Oritur in castris fames, et nostra classis pene tota incenditur, tandem solvitur obsidio, opera consumpta inutiliter. Accessit praeterea miserabile quiddam, quod omnis illa quae in classe venerat Graecorum multitudo tanta coepit alimentorum inopia laborare, ut omnino panis eis omnibus deficeret, nec ciborum quidpiam apud eos inveniretur. Caedebatur ad usus varios silva palmarum castris contermina; dejectisque ad terram certatim arboribus, in summo earum, unde rami habent originem, Graeci fame laborantes, quaerebant multo studio quamdam teneritudinem, unde ramis humor vivalis ministratur, esui quodammodo habilem; unde suam, licet misere, consolabantur esuriem. Quaerendi victus artem fames auxerat; et ventris appetitus rugientis, solertiam induxerat ampliorem. Hoc sane per dies aliquot edulio vitam misere protrahentes, famem laborabant depellere. Quibusdam tamen, qui non penitus erant alimonia destituti, avellanae, passae et siccae castaneae contra famis importunitatem solatia ministrabant. Nostris autem panis, et varii generis alimentorum non deerat sufficientia; sed cogitantes de crastino, sacculis parcebant, timentes ne si ipsi cibos non habentibus incaute dividerent, aliquando et ipsis deficeret; iterum et de mora incerti, tempus prolixius habebant suspectum. Praeterea tanta imbrium abundantia, tanta pluviarum intemperies per idem tempus incubuit, ut neque tuguriis pauperiores, nec papilionibus divites arte qualibet arcere possent stillicidia, imo nimborum redundantiam. Vallo igitur cingentes tentoria, ut illuc pluviarum deflueret impetus, vix in tuto se poterant collocare. Accidit quoque per eosdem dies grande nimis infortunium. Nam cum galeas, et caeteras diversi generis naves, a mari eductas, in fluminis alveum introduxissent, et juxta civitatem tuta, ut videbatur, statione ordinassent; videntes oppidani quod ventus a superioribus descenderet, et quasi Nili fluenta sequeretur aliquantulum vehementior, quod conceperant, in opus trahere nituntur. Accipientes enim mediae quantitatis cymbam, lignis aridis, pice et liquamine, et omnibus his quae solent ignibus incentivum ministrare, eam usque ad summum ejus replentes, ignem subjiciunt; et accensam, in classem nostram, flumine eam gratis deferente, dirigunt; nec deerat austri flatus, qui suppositis ignibus ministrabat irritamentum, sumpta occasione ex subjecta materia. Descendens igitur incensa navicula in classem, reperiensque eam quasi contiguam, transire non valens, haesit inter rates; praebitoque quod gestabat incendio, sex ex rostratis navibus, quas galeas vocant, usque in favillas exussit: universamque classem ignis invalescens penitus occupasset, nisi domini regis sollicitudo, qui comperto incendio, nudis adhuc pedibus, equum velociter conscendens, nautas ad resistendum ignibus, manu multisque clamoribus excitasset. Dividentes itaque eas ab invicem, late vagantis incendii furorem, declinaverunt. Si quae vero vicini odore incendii conflagrare coeperant, ignis fomitem, vel in favilla, vel alio modo secum trahentes, beneficio fluminis et vicinarum aspergine aquarum, remedium consequebantur.
Fiebant praeterea, sed diebus
interpolatis, in urbem assultus, in quibus, secundum hoc quod
bellorum dubius solet esse eventus, nunc nostri, nunc hostes
deteriorem calculum reportabant; frequentius tamen nostri pugnandi
occasionem ministrabant. Nam hostes raro, nisi lacessiti, ad
congressum provocabant; nonnunquam tamen per adulterinam portam,
quae Graecorum respiciebat castra, in eos irruptiones subitas
faciebant oppidani, nescimus qua fiducia adducti; aut quod nostris
eos audieerant naturaliter invalidiores, aut quia fame
periclitantes, ad sustinendos impetus minus reputabant idoneos.
Eorum tamen magistratus Megaducas, et alii viriliter et satis
strenue, quoties opus erat, in acie decertabant. Unde eorum exemplo
inferiores animati, plerumque etiam praeter solitum, et instabant
acrius, et animosius resistebant. Augebantur porro civibus, tam per
terras quam navigio, turbae militares, ut jam de caetero nostris,
magis essent formidini qui infra moenia tenebantur, quam molestiae
aliquid pati, qui dicebantur obsessi. Murmur ergo jam serpebat in
populo, et erat omnium pene una sententia, nostros operam inutiliter
consumere: irata Divinitate se hoc opus coepisse; tutius esse redire
ad propria, quam in Aegypto fame tabescere, vel hostium gladiis
deputari. Mediantibus ergo nostris, et de satrapis Turcorum
nonnullis, et maxime quodam eorum principe, fideliter operam dante,
Jevelino videlicet, consonantibus in id ipsum Graecis, occultis
quibusdam conditionibus foedus initur; mox voce praeconia pax
indicitur. |
Ἐδόκει Il survint encore une nouvelle calamité. Les Grecs, qui étaient arrivés en grand nombre avec la flotte, se trouvèrent bientôt dépourvus de vivres, à tel point qu'ils manquaient entièrement de pain et n'avaient non plus aucune autre espèce d'aliments. On faisait des coupes pour divers besoins-dans une forêt de palmiers située tout près du camp. A mesure que les arbres étaient abattus, les Grecs cherchaient avec beaucoup de soin, à l'extrémité du tronc et au point où les branches se forment, une substance molle qui fournit la sève aux branches, et qui est assez propre à être mangée ; ils s'en servaient, dans leur misérable situation , pour calmer un peu leur appétit, car le besoin les rendait industrieux à chercher toutes sortes d'aliments, et la nécessité de satisfaire à leurs estomacs affamés leur inspirait une habileté toute nouvelle. Pendant quelques jours ils prolongèrent misérablement leur existence à l'aide de cette nourriture, et se défendirent des rigueurs de la faim. Ceux d'entre eux qui n'étaient pas entièrement dépourvus de ressources parvenaient à s'en garantir en se nourrissant de noisettes, de raisins secs et de châtaignes sèches. Les nôtres n'en étaient pas réduits à ce point, et avaient en suffisance des alimens.de diverses espèces-, mais ils pensaient au lendemain et ménageaient leurs provisions, dans la crainte d'en manquer pour eux-mêmes s'ils se laissaient aller imprudemment à en faire part à ceux qui n'en avaient pas, car ils étaient incertains sur la longueur de leur séjour dans les mêmes lieux, et craignaient de le voir se prolonger indéfiniment. Il tomba en outre à la même époque une si grande quantité d'eau, et les pluies furent si abondantes, que les pauvres dans leurs mauvaises cahutes, les riches même dans leurs pavillons ne pouvaient trouver aucun moyen de se défendre des infiltrations, et encore moins des torrents qui les accablaient quelquefois. On fit creuser autour des tentes un fossé qui pût recevoir et faire écouler les eaux, et l'on eut grande peine à se mettre à l'abri de leur impétuosité. Enfin il arriva encore vers le même temps, un autre malheur bien affreux : les galères et les autres navires de diverses espèces qui avaient quitté la mer pour entrer dans le fleuve, avaient été rangés auprès de la ville dans une station qui paraissait tout-à-fait sûre; les assiégés, voyant souffler un vent très-fort du midi, qui suivait par conséquent le courant du Nil, en profitèrent pour mettre à exécution le projet qu'ils avaient formé. Ils prirent une barque de moyenne grandeur, la remplirent , autant qu'elle en put contenir, de bois sec, de poix et de matières liquides propres à animer un incendie, et ils y mirent le feu. Aussitôt qu'elle fut enflammée, ils la dirigèrent vers notre flotte, où le courant la transporta sans efforts tandis que le vent du midi qui soufflait avec force accroissait la violence du feu, entretenu sans relâche par tous les matériaux entassés. Le bateau descendit donc vers la flotte; là , trouvant les navires extrêmement rapprochés, et ne pouvant suivre son impulsion, il s'arrêta au milieu d'eux, et communiqua la flamme qu'il portait à six galères qui furent réduites en cendres. La flotte entière aurait brûlé de la même manière, si le seigneur Roi ne se fût aperçu de l'incendie : dans sa sollicitude, il s'élança brusquement sur son cheval, sans être même chaussé, et courut avertir les matelots et les encourager par ses gestes et ses cris à se défendre des progrès du feu. Aussitôt ils séparèrent les bâtiments les uns des autres, et les arrachèrent ainsi aux flammes qui se répandaient déjà de tous côtés. Ceux des navires qui avaient commencé à brûler dans le voisinage d'un autre, ou qui emportaient à leur suite quelque cause d'incendie, comme des étincelles ou toute autre matière enflammée, trouvaient des moyens de s'en délivrer dans le voisinage bienfaisant et l'emploi des eaux du fleuve. On ne laissait pas cependant de continuer à livrer des assauts à la ville, de deux en deux jours, et, comme il arrive d'ordinaire dans la mobilité des événements, c'étaient tantôt les nôtres, tantôt les ennemis qui se trouvaient maltraités; plus habituellement les provocations au combat venaient de notre armée. Il était rare que les assiégés offrissent la bataille, à moins qu'ils ne fussent harcelés de très-près. Quelquefois cependant ils sortaient par une porte bâtarde qui faisait face au camp des Grecs, et faisaient sur eux des irruptions subites, sans qu'on pût savoir précisément s'ils les attaquaient de préférence pour avoir entendu dire qu'ils étaient naturellement plus faibles que ceux de notre armée, ou bien s'ils les regardaient comme moins capables de résister à leur choc par suite de lai famine qui les travaillait. Quoi qu'il en soit, le commandant en chef des Grecs et tous les autres combattaient assez vigoureusement et avec vaillance, toutes les fois que l'occasion s'en présentait; animés par l'exemple de leurs chefs, les inférieurs se montraient plus ardents à l'attaque et plus courageux à la résistance qu'ils ne le sont ordinairement. Les habitants recevaient sans cesse de nouveaux secours, tant par terre que par eau; de telle sorte que ceux qui étaient renfermés dans les murs de la ville devenaient toujours plus redoutables aux assiégeants, plutôt que ceux-ci ne faisaient véritablement de mal à ceux qu'on disait assiégés. Aussi le peuple chrétien commençait-il à murmurer sourdement, et l'on pensait généralement que nos armées se livraient à tant de travaux en pure perte, que leur entreprise avait excité la colère du ciel, et qu'il valait beaucoup mieux retourner dans le royaume que de demeurer en Egypte, pour y mourir de faim ou être livré au glaive des ennemis. En conséquence, on conclut un traité qui renfermait quelques conditions secrètes, et qui fut négocié par l'entremise de quelques-uns de nos chefs et de quelques satrapes turcs, et principalement de l'un de leurs princes, nommé Ivelin, qui s'y donna beaucoup de peine. Aussitôt les hérauts annoncèrent dans tout le camp que la paix venait d'être signée. |
CAPUT XVIII. Revocatis expeditionibus, rex ad propria revertitur. Graecorum classis in redeundo pene tota deperit, sinistris acta flatibus. Egrediuntur ergo tam de civibus, quam de his qui in eorum subsidium venerant, ad nostrorum castra, pro libero arbitrio; nostris quoque volentibus urbem introire, liber introitus et egressus sine difficultate patebat. Hic tandem mutuorum data est facultas commerciorum, et quod cuique libitum erat emere vel permutare, facta est licentia. Sic ergo quasi per triduum nostri communi cum hostibus usi rerum venalium foro, ad iter se accingunt. Depositis igitur machinis et igne succensis, qui terrestri venerant itinere, dominum regem secuti, eadem qua venerant via in Syriam revertentes maturatis gressibus, XII Kal. Januarias Ascalonam pervenerunt. Dominus vero rex, gratia vicinae festivitatis, Accon properans, in vigilia Nativitatis Dominicae, eamdem attigit civitatem. Qui autem navigio venerant, omine sinistro et infaustis avibus naves conscendunt; nam statim in primo obeundi itineris initio, exorta subito validissima tempestate, fretorum experti insuperabilem malitiam, confractis navibus et collisis ad littora, omnes pene passi sunt naufragium. Sic itaque de tanta classe, quae ad nos descenderat, tam de majoribus, quam de minoribus, paucae naves reservatae sunt incolumes, quae ad redeundum ex se ipsis praestarent habilitatem. Infecto igitur negotio, omni tamen diligentia, qua compleri debebat, a nuntiis domini imperatoris impensa, et debita sollicitudine procurandis negotiis exhibita, domum redeunt, dejecti animo, fati adversitate consternati; timentes ne sibi, praeter meritum, imperialis excellentia sinistrum imputaret eventum; et quod casus attulerat inevitabilis, ira succensus eorum dominus, indebite eorum ascriberet aut malitiae, aut neglectui. Meminimus tamen, post reditum nostrum, tam a domino rege, quam a quibusdam regni principibus, sollicite et diligenter quaesisse, quaenam causa fuerit quod tantus exercitus, tantorum principum studio procuratus, ita in proposito defecerit. Nam nos eo anno, familiaribus tracti negotiis, et domini archiepiscopi nostri declinantes indignationem immeritam, ad Ecclesiam nos contuleramus Romanam; reversi autem, praedictae quaestionis solutionem quaerentes, variis multorum relationibus de rei veritate cupiebamus edoceri; nam longe a spe nostra dicebatur accidisse; qua sollicitudine nostra nos trahente, haec omnia scripto mandare jam conceperamus. Invenimus Graecos etiam in praedicto negotio, non sine lata culpa fuisse. Nam cum pecuniam ad alendum tantum exercitum sufficientem, se missurum firmissime promisisset dominus imperator, in ea parte inventus est sermo ejus minus soliditatis habuisse. Ex quo enim in Aegyptum descenderant ejus archontes, ubi etiam aliis indigentibus, de imperiali magnificentia subvenire debuissent, coeperunt ipsi primitus indigere et mutuam quaerere pecuniam, unde suis legionibus tam ad victum quam ad stipendia providerent; et nemo illis dabat. |
CHAPITRE XVIII. Dès ce moment les habitants de la ville et les étrangers venus à leur secours sortirent et se rendirent en toute liberté au camp des assiégeants. Tous ceux des nôtres qui voulaient aller à la ville eurent aussi la faculté d'y entrer et d'en sortir sans le moindre obstacle. On retrouva enfin des deux côtés la libre permission de commercer et d'acheter ou d'échanger tout ce qu'on voulut. Après avoir pendant trois jours de suite usé de cette faculté dans le marché où l'on exposait toutes sortes d'objets en vente, et toujours en bonne intelligence avec les ennemis, les nôtres firent enfin leurs préparatifs de départ. Ils abandonnèrent toutes leurs machines et y mirent le feu : ceux qui étaient venus par la voie de terre suivirent, avec le seigneur Roi, la route qu'ils avaient prise en venant, retournèrent en Syrie à marches forcées, et arrivèrent à Ascalon le ai décembre. Le seigneur Roi se rendit en toute hâte à Accon, pour la célébration de la fête qui s'approchait, et il entra dans cette ville la veille même de la Nativité du Seigneur. Ceux qui étaient venus par mer montèrent sur leurs vaisseaux sous de sinistres auspices : à peine s'étaient-ils mis en route qu'il s'éleva une tempête extrêmement violente $ ils subirent la fureur invincible des flots ; les navires furent brisés et jetés sur la côte, et la plupart d'entre eux furent enfin naufragés. Il ne resta de cette flotte, si nombreuse lorsqu'elle était venue se réunir à notre armée, et de tant de bâtiments grands ou petits, qu'un petit nombre de navires qui fussent en assez bon état pour supporter la traversée et rentrer chez eux. [1170.] Les députés du seigneur Empereur, retournant dans leur pays sans avoir réussi dans leur expédition, quoiqu'ils eussent déployé tout le zèle nécessaire au succès, et montré une juste sollicitude pour les intérêts de leur seigneur, arrivèrent profondément abattus et déplorant la fatalité qui les avait poursuivis : ils craignaient en même temps que l'Empereur ne leur attribuât la malheureuse issue de cette campagne, quoiqu'ils en fussent innocents, et que dans sa colère il n'imputât à leur mauvaise volonté ou à leur négligence ce qui n'était que le résultat d'accidents inévitables. Je me souviens qu'après mon retour je pris avec beaucoup de soin des informations auprès du seigneur Roi et de quelques princes du royaume, pour savoir comment il se faisait qu'une telle armée, dirigée par de tels princes, eût si complètement échoué dans son entreprise. Cette même année je m'étais rendu auprès de l'église romaine, dans l'intérêt de mes affaires particulières, et pour me soustraire à l'injuste inimitié de mon seigneur archevêque. A mon retour je cherchai donc à avoir une solution de la question que je viens de rapporter, et je désirai beaucoup apprendre la vérité en recueillant diverses relations de personnes différentes, car on disait que le résultat de cette expédition n'avait nullement répondu aux espérances qu'on en avait conçues; et j'avais un grand empressement à être bien informé des faits, ayant déjà résolu de m'occuper de l'ouvrage que j'écris maintenant. J'appris donc que les Grecs n'étaient pas sans avoir commis une grande faute dans cette affaire. Le seigneur Empereur avait promis de la manière la plus positive d'envoyer tout l'argent nécessaire pour l'entretien de cette grande année, et il est certain qu'en cette occasion il fut peu exact à tenir sa parole. Dès le moment que ses généraux furent descendus en Egypte, et tandis qu'ils auraient dû subvenir aux besoins de tous les indigents, aux dépens de la munificence impériale, eux-mêmes se trouvèrent les premiers à manquer de tout, et à chercher de l'argent à emprunter pour fournir à la nourriture et à la solde de leurs propres légions; mais personne ne leur en donnait. |
CAPUT XIX. Terraemotus maximus pene universum concutit Orientem, et urbes dejicit antiquissimas. Aestate vero sequente, anno videlicet domini Amalrici septimo, mense Junio, tantus tamque vehemens circa partes Orientales terraemotus factus est, quantus qualisque memoria saeculi praesentis hominum, nunquam legitur accidisse. Hic universi Orientalis tractus urbes antiquissimas et munitissimas, funditus diruens, habitatores earum ruina involvens, aedificiorum casu contrivit, ut ad exiguam redigeret paucitatem. Non erat usque ad extremum terrae locus quem familiaris jactura, dolor domesticus non angeret: ubique luctus, ubique funebria tractabantur. Inter quas et provinciarum nostrarum, Syriae et Phoenicis urbes quam maximas, et serie saeculorum antiquitate nobiles, solotenus dejecit. In Coelesyria, multarum provinciarum metropolim, olimque multorum moderatricem regnorum, Antiochiam, cum populo in ea commorante, stravit funditus; moenia, et in eorum circuitu turres validissimas, incomparabilis soliditatis opera, ecclesias, et quaelibet aedificia tanto subvertit impetu, quod usque hodie multis laboribus et sumptibus immensis, continua sollicitudine et indefesso studio vix possunt saltem ad statum mediocrem reparari. Ceciderunt in eadem provincia urbes egregiae de maritimis quidem, Gabulum et Laodicia; de mediterraneis vero, licet ab hostibus detinerentur, Nerea, quae alio nomine dicitur Halapia, Caesara, Hamum, Emissa et aliae multae; municipiorum autem non erat numerus. In Phoenicia autem, Tripolis, civitas nobilis et populosa, III Kal. Julii, tanto terraemotus impetu, circa primam diei horam, subito concussa est, ut vix uni de omnibus, qui infra ejus ambitum reperti sunt, salutis via pateret. Facta est tota civitas quasi agger lapidum, et oppressorum civium tumulus, et sepulcrum publicum. Sed et Tyri, quae est ejusdem provinciae metropolis famosissima, terraemotus violenter, absque tamen civium periculo, turres quasdam robustissimas dejecit. Inveniebantur, tam apud nos quam apud hostes, oppida semiruta, et insidiis et hostium viribus late patentia. Sed dum quisque districti judicis iram sibi metuit, alium molestare pertimescit. Sufficit cuique dolor suus, et dum quemlibet cura fatigat domestica, alii differt inferre molestias. Facta est, sed brevis, pax, hominum studio procurata; et foedus compositum, divinorum judiciorum timore conscriptum; et dum indignationem peccatis suis debitam exspectat quisque desuper, ab iis quae solent hostiliter inferri, manum revocat et impetus moderatur. Nec ad horam, ut plerumque solet, fuit ista irae Dei revelatio; sed tribus aut quatuor mensibus, vel etiam eo amplius, ter aut quater vel plerumque saepius, vel in die vel in nocte, sentiebatur motus ille tam formidabilis. Omnis motus jam suspectus erat, et nusquam tuta inveniebatur quies. Sed et dormientis animus plerumque, quod vigilans timuerat, perhorrescens, in subitum saltum, rupta quiete, corpus agitari compellebat. Superiores tamen nostrae provinciae, Palestinae videlicet, horum omnium, Domino protegente, fuerunt expertes malorum. |
CHAPITRE XIX L'été suivant, dans la septième année du règne du seigneur Amaury (11), au mois de juin, tout l'Orient fut ébranlé par un tremblement de terre tel qu'on ne se souvient pas de mémoire d'homme, et qu'on ne lit même nulle part qu'il en soit jamais survenu d'aussi violent. Celui-ci, renversant entièrement les villes les plus antiques et les mieux fortifiées de tout le vaste Orient, et enveloppant les habitants dans leurs ruines, détruisit aussi tous les édifices, ou n'en laissa subsister du moins qu'un très-petit nombre. Jusques aux extrémités de la terre il n'y avait .pas un lieu qui n'eût à déplorer quelque accident particulier, quelque malheur local. Le deuil régna partout, partout on ne fut occupé que de funérailles. Dans nos provinces, et entre autres en Syrie et en Phénicie, les villes les plus grandes, les plus nobles par une antiquité qui remontait à une longue série de siècles, furent renversées de fond en comble. Dans la Cœlésyrie, Antioche, métropole de plusieurs provinces, et jadis capitale de plusieurs royaumes, fut complètement détruite, ainsi que toute la population qui y habitait. Les murs et les fortes tours dont ils étaient garnis dans toute leur enceinte, ouvrage d'une solidité incomparable, les églises et tous les édifices quelconques furent si violemment renversés qu'aujourd'hui même, à la suite de travaux infinis et de dépenses énormes, et quoiqu'on s'y soit livré avec une sollicitude et un zèle infatigables, on est à peine arrivé aies rétablir fort imparfaitement. Plusieurs belles villes de cette province tombèrent encore par suite du même événement ; parmi les villes maritimes on peut citer Gabul et Laodicée, et parmi celles qui sont situées au milieu des terres, et qui étaient alors occupées par les ennemis, Bœrée autrement appelée Alep, Césare, Hamath, Émèse et plusieurs autres encore, sans parler des plus petites qui ne pourraient être comptées. En Phénicie, Tripoli, ville noble et très-peuplée, éprouva une si violente secousse, le 29 juin, vers la première heure du jour, qu'elle en fut subitement renversée, et qu'il n'y eut, pour ainsi, dire, dans cette immense population, pas un seul individu à qui il fût possible de pourvoir à sa sûreté. La ville présenta sur-le-champ l'aspect d'un monceau de pierres, sépulcre public et tombeau vivant des malheureux citoyens ensevelis sous ses décombres. A Tyr, fameuse métropole de la même province, la commotion fut assez violente pour renverser quelques tours très-solides ; les habitants cependant ne coururent aucun danger. On trouvait sur notre territoire, ainsi que sur celui des ennemis, des villes à demi détruites, ouvertes de tous côtés et exposées aux surprises et aux attaques de tout venant. Mais tandis que chacun redoutait pour lui-même la colère du Juge inexorable, nul n'osait se permettre d'aller en attaquer un autre. A chacun suffisaient ses propres douleurs ; chacun , accablé du soin de ses intérêts particuliers , ne songeait point à aller troubler ses voisins. La paix régna pour un court espace de temps, du consentement de tous les hommes ; un traité d'alliance fut formé par la crainte des jugements divins, et chacun , s'attendant à subir les effets de la colère qu'avaient attirée ses péchés, s'abstenait des actes trop ordinaires d'hostilité et mettait un frein à ses passions. Cet événement, par où se révélait la colère de Dieu, ne fut pas, comme de coutume, un accident d'une heure; durant trois ou quatre mois et même plus, on ressentit ces formidables secousses, tantôt de nuit tantôt de jour, à trois ou quatre reprises différentes et plus souvent encore dans la plupart des pays. Déjà tout mouvement était devenu redoutable, on ne trouvait plus en aucun lieu ni repos ni sécurité. Au milieu même du sommeil, l'esprit agité retrouvait avec horreur les craintes qu'on avait ressenties en veillant, et l'on était forcé, par une secousse subite, de renoncer au repos et de fuir. Celle de nos provinces qui est au dessus de la nôtre (la Palestine), protégée par le Seigneur, demeura à l'abri de ce fléau.
|
CAPUT XX. Salahadinus nostros fines ingreditur, et castrum cui est nomen Darum obsidet. Eodem anno, mense Decembri, anno videlicet domini Amalrici septimo, frequens fama circumvolat, et crebris nuntiis divulgabatur, quod Salahadinus convocatis ex universa Aegypto, et finibus Damascenorum militaribus copiis, ampliatoque ex plebeis et secundae classis hominibus militum numero, regnum nostrum depopulaturus, ad partes Palaestinas moliebatur accedere. Quo audito, dominus rex sub omni celeritate in fines ascendit Ascalonitanas. Ubi fida suorum relatione, pro certo cognovit, quod praedictus magnus et potentissimus princeps cum exercitu copioso valde, et solito ampliore, castrum, cui nomen Darum, per biduum obsederat; tantamque illo biduo, obsessis nulla data requie, intulerat molestiam, tantis tamque frequentibus sagittarum immissionibus eos, qui in praesidio erant, lacessiverat, ut omnibus, pene sauciis, pauci pro loci defensione arma possent corripere. Muro etiam suffosso et effracto violentius, partem municipii jam occupaverat, oppidanis in arcem, quae munitior videbatur, de necessitate se recipientibus: ejus quoque turris in partem inferiorem, effracto et incenso ostio, violenter irruperant, militibus, qui intus erant, ejus partes superiores, adhuc tuentibus: ita domino regi nuntiabatur; et vere sic erat. Erat autem eidem praesidio dux et custos datus, vir nobilis et in armis strenuus, religiosus ac timens Deum, dominus Ansellus de Pass; cujus si forte praesentiam illa die praedictum castrum non habuisset, procul omni dubio in manus hostium devenisset. Quo comperto, rex, tactus dolore cordis intrinsecus et succensus ira, quantum angustia temporis et hostium vicinitas patiebantur, convocatis undecunque tam equitum quam peditum suffragiis, urbe Ascalona egressus, octava decima die mensis praedicti, Gazam contendit. Adfuit ibi cum eo dominus patriarcha, cum venerabili et pretioso vivificae crucis ligno. Adfuerunt et viri venerabiles, dominus Radulphus Bethlehemita episcopus et regni cancellarius: item dominus Bernardus Liddensis episcopus, et de regni principibus pauci admodum. Recensitoque suorum numero, vix inveniunt equites ducentos quinquaginta, de peditibus vero ad duo millia. Illam ergo noctem in praedicto loco prae sollicitudinis et curarum pondere insomnem trahentes, assumptis sibi fratribus Templi, qui illuc pro tuitione loci convenerant, circa ortum solis urbe unanimiter egrediuntur, iter suum ad praedictum castrum dirigentes. Est autem, ut credimus, praedictum castrum in Idumaea (ipsa est Edom) situm, trans torrentem illum qui dicitur Aegypti, qui etiam terminus est Palaestinae et praedictae regionis. Hoc ipsum idem dominus Amalricus paucis ante annis, in loco aliquantulum eminente fundaverat, occasione vetustorum aedificiorum, quorum ibi aliqua adhuc supererant vestigia. Traditur autem a senioribus illarum partium incolis, quod priscis temporibus ibi fuerat monasterium, Graecorum unde et adhuc nomen tenet, Darum; quod interpretatur domus Graecorum. Fundaverat autem, ut praediximus, dominus rex illic castrum modicae quantitatis, vix tantum spatium intra se continens, quantum est jactus lapidis, formae quadrae, quatuor turres habens angulares, quarum una grossior et munitior erat aliis: sed tamen absque vallo erat et sine antemurali. Distat autem a mari quasi stadiis quinque, a Gaza vero milliaribus quatuor. Convenerant autem aliqui ex locis finitimis agrorum cultores, et negotiationibus quidam operam dantes; aedificaverant ibi suburbium et ecclesiam non longe a praesidio, facti illius loci habitatores. Erat enim locus commodus, et ubi tenuiores homines facilius proficerent quam in urbibus. Condiderat autem rex ea intentione praedictum municipium, ut et fines suos dilataret, et suburbanorum adjacentium, quae nostri casalia dicunt, et annuos redditus, et de transeuntibus statutas consuetudines plenius et facilius sibi posset habere. |
Cette même année, la septième du règne du seigneur Amatiry, et au mois de décembre, le bruit se répandit de toutes parts , et de nombreux exprès annoncèrent que Saladin avait convoqué ses chevaliers dans toute l'Egypte et dans le territoire de Damas ; que pour en augmenter la force il y avait ajouté des levées faites dans le menu peuple et parmi les hommes de moyenne condition, et qu'il formait le projet de s'avancer vers la Palestine, pour détruire entièrement notre royaume. Dès qu'il eut reçu ces nouvelles, le seigneur Roi se rendit en toute hâte sur le territoire d'Ascalon. Il apprit alors, par des rapports dignes de foi et d'une manière positive, que ce prince très-grand et très-puissant, marchant à la tête d'une armée nombreuse et plus forte même que d'ordinaire, avait assiégé pendant deux jours le château fort nommé Daroun; que pendant ce temps les assiégés n'avaient eu aucun moment de repos, et qu'il avait fait si constamment lancer une si grande quantité de flèches sur ceux qui occupaient la forteresse, que la plupart d'entre eux étaient blessés, et qu'il n'en restait plus qu'un bien petit nombre qui fussent encore en état de porter les armes et de défendre leur position. Le mur même ayant été miné et renversé violemment, Saladin avait occupé déjà une partie de la place, et les habitants s'étaient vus forcés de se retirer dans la citadelle , qui paraissait mieux fortifiée. Les ennemis avaient enfin pénétré de vive force dans la partie inférieure d'une tour dont ils avaient enfoncé et brûlé la porte, et cependant les chevaliers qui y étaient enfermés occupaient encore la partie supérieure de cette même tour. Telles furent les nouvelles que l'on apporta au seigneur Roi, et elles étaient exactement vraies. Le chef et le gardien de cette forteresse était un homme noble et vaillant à la guerre, religieux et craignant Dieu, le seigneur Anselme du Pas; s'il eût été par hasard absent de ce château le jour qu'il fut attaqué, il est hors de doute que les ennemis auraient réussi à s'en emparer. Le Roi, pénétré de douleur et enflammé de colère au récit de ces événements, appela de tous côtés tout ce qu'il put rassembler en chevaliers et en gens de pied , autant que le lui permirent l'urgence des circonstances et le voisinage des ennemis, et sortant d'Ascalon le 18 du mois de décembre, il se rendit à Gaza. On voyait auprès de lui le seigneur patriarche, portant le bois vénérable et précieux de la croix vivifiante , et d'autres hommes respectables, le seigneur Raoul, évêque de Bethléem et chancelier du royaume, le seigneur Bernard, évêque de Lydda, et quelques-uns des princes du royaume, mais en très-petit nombre. Ayant fait le recensement de ses forces, le Roi reconnut qu'il avait tout au plus deux cent cinquante chevaliers et environ deux mille hommes de pied. On passa cette nuit à Gaza, mais sans dormir, par suite de la sollicitude et des soucis pressants qu'éveillait l'état des affaires. Les frères chevaliers du Temple, qui s'étaient rassemblés dans cette ville pour veiller à sa défense, se réunirent au reste de l'armée, et le lendemain au lever du soleil tous sortirent ensemble et dirigèrent leur marche vers le fort de Daroun. Ce fort est situé, à ce que je crois, dans l'Idumée ou Edom, au-delà du torrent appelé l'Aegyptus, lequel marque la délimitation entre la Palestine et le pays iduméen. Le seigneur Amaury l'avait fait construire, peu d'années auparavant, sur un emplacement peu élevé où l'on avait découvert quelques vestiges d'anciens édifices. Les habitants les plus âgés des environs rapportent, d'après leurs traditions, qu'il y avait eu anciennement dans le même lieu un couvent de Grecs, et que c'est de là que lui vient le nom de Daroun, qui signifie la maison des Grecs. Ainsi que je l'ai dit, le seigneur Roi avait fait élever sur cette place un fort de moyenne grandeur, renfermant dans son enceinte l'espace du trait d'une pierre , de forme carrée, et ayant quatre tours angulaires , dont l'une plus grande et plus fortifiée que les autres : il n'y avait autour du château ni fossés ni remparts. Il est situé à cinq stades de la mer environ, et à quatre milles de Gaza. Quelques laboureurs des environs, et quelques hommes adonnés au commerce s'étaient réunis, avaient bâti non loin de la forteresse un faubourg et une église, et y avaient fixé leur résidence. La position du lieu était agréable, et les gens de condition inférieure y pouvaient vivre plus commodément qu'ils ne l'eussent fait dans les villes. Le Roi avait fait construire cette forteresse dans la double intention de reculer les limites de ses Etats, et d'avoir plus de facilité» pour percevoir plus complètement ses revenus annuels dans toutes les maisons de campagne environnantes, appelées casales parmi nous, et pour prélever sur les passants les redevances accoutumées. |
Ἐδόκει |
Ἐδόκει |
Ἐδόκει |
Ἐδόκει |
Ἐδόκει |
Notre armée étant sortie de Gaza, et s'étant arrêtée sur une hauteur qui se trouvait sur la route, aperçut de ce point le camp des ennemis : leur nombre prodigieux inspira des craintes aux nôtres, ils serrèrent leurs rangs beaucoup plus qu'ils n'avaient coutume de faire, et à tel point qu'ils avaient quelque peine à marcher en avant. Les ennemis s'élancèrent aussitôt sur eux pour essayer de rompre leurs rangs; mais protégés par la Divinité, et fortement unis en colonne serrée, ils soutinrent le choc sans s'ébranler et poursuivirent letir marche à pas pressés. Ils arrivèrent enfin au lieu de leur destination, dressèrent leurs tentes et s'arrêtèrent tous en même temps : le seigneur patriarche se rendit dans la citadelle, et tout le reste de l'armée campa en dehors et tout près du faubourg. On était alors vers la sixième heure du jour. Il y eut dans cette même journée plusieurs combats singuliers et quelques affaires de détachemens, dans lesquelles les nôtres attaquèrent avec audace et résistèrent vigoureusement. Vers les approches de la nuit, Saladin rangea son armée en bon ordre, et la conduisit vers Gaza ; il passa cette nuit auprès du torrent, et le lendemain matin il mena ses troupes en avant, et se rapprocha de la ville. Gaza, ville extrêmement antique, fut autrefois métropole du pays des Philistins; il en est fait mention très-fréquemment dans les histoires ecclésiastiques et profanes; aujourd'hui encore on y retrouve, dans plusieurs beaux monumens, beaucoup de traces de son ancienne splendeur. Elle fut abandonnée pendant fort long-temps, à tel point qu'on n'y voyait plus un seul habitant, jusqu'à l'époque où le seigneur Baudouin ni, d'illustre mémoire , quatrième roi de Jérusalem, ayant, avant la prise d'Ascalon, convoqué toutes les forces du royaume, fit construire aux frais publics dans un quartier de la ville, une citadelle assez forte, et la donna aussitôt aux frères chevaliers du Temple, pour être par eux possédée à perpétuité. Ce fort ne put occuper toute la colline sur laquelle j'ai déjà dit que la ville avait été bâtie; ceux qui s'y réunirent pour y fixer leur résidence, voulant se mettre plus en sûreté, essayèrent de fortifier tout le reste de la colline, en la fermant par des portes, et 'en construisant un mur; mais ce mur était bas et peu solide. Lorsqu'ils furent informés de l'approche des ennemis, les habitans résolurent de se retirer dans la citadelle avec leurs femmes et leurs enfans, car ils n'avaient point d'armes; simples laboureurs, ils n'avaient aucune habitude de la guerre, et dans cette position ils étaient bien forcés de laisser sans défense la portion de la ville qu'ils occupaient. Mais Milon de Planci, l'un des plus grands seigneurs du royaume, homme méchant, et qui crut par ce moyen pouvoir les encourager à la résistance, refusa formellement de les recevoir, et les exhorta à défendre le quartier le moins fortifié. Il y avait en ce moment dans le même lieu soixante-cinq jeunes gens, tous équipés et prêts à combattre, originaires des environs de Jérusalem, et du village appelé Mahomérie. Ils se rendaient en hâte à l'armée, et étaient arrivés par hasard à Gaza cette même nuit. Tandis que, pour obéir aux ordres de Milon, ces jeunes gens combattaient vaillamment pour leur patrie et leur liberté auprès de la porte extérieure de la ville, et résistaient avec vigueur aux ennemis qui cherchaient à s'ouvrir un passage par le fer, d'autres ennemis entrèrent dans la ville par un autre côté, et trouvèrent ces mêmes jeunes gens combattant toujours entre la porte et la citadelle, et s'obstinant à disputer l'entrée à leurs adversaires ; ils les attaquèrent aussitôt par derrière , les enveloppèrent de tous côtés au moment où ils ne s'y attendaient nullement et quand ils étaient déjà hors d'état de résister plus long-temps, et les firent succomber sous le glaive. Plusieurs de ces jeunes gens périrent, un plus grand nombre furent couverts de blessures ; mais les ennemis payèrent chèrement leur victoire. Les habitans de Gaza voulurent une seconde fois se retirer dans la citadelle 5 déjà les ennemis étaient maîtres de l'intérieur de la ville, et massacraient cà et là, sans distinction, tous ceux qu'ils rencontraient; mais les malheureux assiégés ne purent être admis dans le fort, seul moyen qui leur restât pour échapper à la mort. Les Turcs, aussitôt qu'ils furent maîtres de la place, s'élancèrent sur eux, sans aucun égard pour l'âge ni le sexe : les enfans à la mamelle étaient brisés sur les pierres, et les ennemis sera- blaient ne pouvoir assouvir leur fureur. Ceux qui occupaient la citadelle les tinrent cependant éloignés de leurs tours et de leurs murailles en leur lançant sans interruption des grêles de pierres et de traits, et parvinrent ainsi, avec l'aide du Seigneur, à garantir le fort de leurs attaques. Après avoir occupé la ville et massacré tous les habitans, les Turcs reprirent la route de Daroun, comme s'ils eussent remporté la victoire. Ils rencontrèrent sur leur chemin environ cinquante hommes de pied qui se rendaient à notre armée, et marchaient sans précaution. Ceux-ci se défendirent assez vigoureusement et résistèrent avec courage, mais enfin ils furent vaincus et périrent tous par le glaive. Ayant alors organisé leurs escadrons selon les règles de l'art militaire, les Turcs se formèrent en quarante-deux corps, dont vingt-deux recurent l'ordre de longer la côte et de passer entre la mer et le fort de Daroun. Les vingt autres corps durent traverser les terres et s'avancer sur cette route, jusqu'à ce que toute leur armée eût dépassé le fort, pour se réunir ensuite de nouveau. Les nôtres cependant, voyant les ennemis revenir en bon ordre, se préparèrent euxmêmes pour le combat : quoiqu'ils fussent en petit nombre ils se confièrent en la clémence du Seigneur ;, et, invoquant les secours du ciel, ils firent toutes leurs dispositions pour la bataille. Aidés de la force du Seigneur, et remplis d'assurance et de fermeté, ils regardaient comme une chose certaine que l'ennemi ne revenait sur eux que pour leur livrer combat; mais les Turcs avaient un dessein bien différent, et se hâtèrent de reprendre la route de l'Egypte, sans se détourner ni à droite ni à gauche. Aussitôt que le seigneur Roi eut acquis par ses exprès la certitude que les ennemis poursuivaient leur marche et ne reviendraient point, il laissa du monde au château de Darotin pour relever les fortifications à demi renversées, en ajouter de nouvelles et défendre fidèlement cette position; et, marchant sous la conduite du Seigneur, il retourna à Ascalon avec tous les siens. Ceux qui avaient vu souvent d'autres corps ennemis dans le royaume disaient qu'à aucune époque les Turcs ne s'étaient présentés en forces aussi considérables, et l'on estimait que cette dernière armée, entièrement composée de cavaliers, était d'environ quarante mille hommes. Vers le même temps, et le 29 décembre, avait lieu en Angleterre et dans la ville de Cantorbéry, noble et belle métropole de ce pays, la passion du bienheureux et très-glorieux martyr Thomas (12), archevêque de la même ville. Il était né à Londres, et fut jugé digne, au temps de Théobald, archevêque de Cantorbéry, d'être promu à l'archidiaconat de cette église. Appelé auprès de Henri II, roi du même pays, pour être associé à sa sollicitude royale, il devint son chancelier et se montra fidèle autant que sage et habile dans le gouvernement de tout le royaume. Après la mort du bienheureux Théobald, Thomas fut appelé, par son mérite et par la volonté du Seigneur, à lui succéder dans l'archevêché de Cantorbéry : il défendit les droits de son église avec beaucoup de vigueur et de fermeté, contre la tyrannie et l'impiété, et fuyant les persécutions du même Roi, forcé de se soumettre à l'exil, il passa en France et y demeura sept ans de suite, supportant ses maux avec une patience admirable et digne des plus grands éloges. Étant retourné en Angleterre pour y retrouver la paix qu'on lui avait promise, il fut ignominieusement frappé par le glaive des impies, dans l'enceinte même de l'église dont le Seigneur l'avait fait chef, et tandis qu'il priait pour ses persécuteurs : on lui trancha la tête, et cette couronne de son propre sang se changea, par un rare bonheur, en une couronne de martyr : aussi, depuis lors, le Seigneur, dans sa sainte miséricorde, daigne-t-il, presque tous les jours, opérer des miracles par son intermédiaire dans l'église de Cantorbéry et dans toute cette contrée, de telle sorte qu'il semble que les temps des apôtres sont revenus sur la terre.
[1171.] L'année suivante (13),
qui était la septième année du règne du seigneur Amaury, ce roi
convoqua tous les princes du royaume, car il voyait ses États
accablés tous les jours de maux nouveaux; le nombre de ses ennemis
s'accroissait incessamment ; ils montraient de jour en jour plus
d'audace ; leurs ressources et leurs richesses se multipliaient à
l'infini ; et en même temps les princes les plus sages et les plus
habiles de notre royaume avaient presque tous disparu ; on ne voyait
plus après eux qu'une génération perverse de jeunes gens qui
occupaient la place de ces hommes illustres sans la remplir
convenablement, et qui dilapidaient la fortune de leurs ancêtres et
en faisaient un détestable usage. Le Roi donc, ayant rassemblé tous
les princes, leur exposa les besoins du royaume, et leur demanda
leur avis sur les moyens de remédier à tant de maux |
Ἐδόκει |
|
(01) Jean Comnène. (02) Isaac Comnène. (03) Justinien naquit dans le village de Tauresium , près des ruines de Sardica; ce village prit en effet le nom de Justiniana prima. (04) Gerbert d'Assaly, grand-maître des Hospitaliers de 1161 à 1169. (05) En 1169, il se retira en Normandie , et se noya le 19 septembre 1183, en passant de Dieppe eu Angleterre. (06) Bertrand de Blanquefort était encore, à cette époque, grand-maître des Templiers. (07) De l'an 1168. (08) Probablement l'ostium pelusiacum. (09) Nedjm-Eddyn-Ayoub-Ben-Chady. (10) II y a ici une grossière erreur qui ne peut provenir que des copistes ; celte date reporterait au 15 juillet le départ de l'armée qui ne s'était réunie à Ascalon que le 15 octobre , comme Guillaume de Tyr vient de le dire plus haut. L'Art de vérifier les dates place l'époque de ce départ au 10 octobre. (11) En 1170 (12) Thomas Becket fut assassiné en effet, au pied de l'autel de la cathédrale de Cantorbéry, le 29 décembre 1170. (13) En 1171 ; c'était la neuvième année du règne d'Amaury, car il avait été couronné le 18 février 1162. (14) (15) (16) (17) (18) (19)
|