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FLORUS

NOTICE

 

 

NOTICE SUR FLORUS.

ON ne sait rien sur la vie de Florus; on ne pourrait même assigner le temps où il a vécu, si, dans les premières pages de son Abrégé de l'Histoire romaine, il n'eût dit que, sous le pouvoir de Trajan, la vieillesse de l'empire se ranime, et, contre toute espérance, reprend la vigueur de ses jeunes années. L'éloge d'un prince, en tête d'un ouvrage, est généralement une date assez sûre, et l'on peut croire que Florus a composé son livre, et passé du moins une partie de sa vie sous le règne de Trajan (01).
C'était encore une époque de belle et ingénieuse littérature, puisque ce fut le temps de Tacite et des deux Plines. Il est a remarquer même que si la sévérité du goût et de l'éloquence s'était affaiblie par la perte de la liberté, la culture des lettres latines .s'était étendue par les conquêtes progressives de l'empire. Dans les Gaules et dans les Espagnes, il s'élevait des talents tout romains par la langue et les sentiments. Les libraires de Lyon recevaient avec empressement les ouvrages de Pline le jeune. Plusieurs villes d'Espagne étaient alors plus lettrées peut-être qu'elles ne le sont aujourd'hui.
On a supposé que Florus avait pris naissance hors de l'Italie, et dans l'une de ces provinces civilisées par la domination romaine. Les savants l'ont réclamé sans preuves, les uns pour l'Espagne, les autres pour la Gaule. A l'appui de son origine espagnole, les premiers ont dit, qu'il avait dans son style la grandeur exagérée, l'imagination fastueuse, et quelquefois un peu factice, qui semble héréditaire dans la littérature espagnole, et qu'avaient dès l'origine, sous la toge romaine, les écrivains sortis de cette nation, tels que Lucain et les deux Séneques. Mais rien de plus arbitraire que cette preuve. Le faux goût n'a point de patrie privilégiée : la déclamation et le bel esprit sont le caractère d'une époque encore plus que celui d'un peuple.
Les défauts brillants que l'on remarque dans Florus se rapportent à ce genre de style vide et pompeux qui doit s'introduire chez un peuple où le manque de liberté proscrit la franchise et la simplicité du langage, ou l'éloquence n'a pas d'intérêts sérieux à défendre, où elle n'est pas en action, mais en spectacle. Cette éloquence que Cicéron appelait asiatique, fut même, sous la république, importée dans Rome par des Grecs esclaves; elle se perfectionna sous l'empire. C'était la seule qu'on apprît dans les écoles des rhéteurs; elle avait son éclat et ses beautés. Les fragments de déclamation que Sénèque le père nous a conservés, sous les noms de ses élèves, renferment plus d'un trait ingénieux, plus d'une pensée vive, élégamment ornée, qui ressemble assez à la manière de Florus.
A l'appui de l'opinion qui suppose à Florus une origine espagnole, on allègue encore son surnom d'Annæus, qui lui est commun avec Sénèque; on ajoute que, dans quelques manuscrits, le nom même de Sénèque est inscrit en tête de l'Epitome de l'Histoire romaine. Remarquons de plus que Lactance a cité, sous le nom de Sénèque, la belle comparaison qu'on lit dans le prologue de Florus : « Sénèque, dit-il, divise ingénieusement les époques de Rome en âges successifs. Il place ses premières années sous le règne de Romulus, par qui Rome fut en quelque sorte mise au monde et nourrie; le reste de son enfance, sous les autres rois, qui l'agrandissent et la forment par les institutions et les lois. Il ajoute que, sous Tarquin, commentant à devenir adulte, elle ne supporta pas l'esclavage, et, rejetant le joug d'une domination superbe, elle aima mieux obéir à des lois qu'à des souverains; que son adolescence se prolongea jusqu'à la fin de la guerre punique, et qu'alors, ayant acquis toute sa vigueur, elle entra dans la jeunesse. Ce fut en effet après la ruine de Carthage, si longtemps rivale de son empire, qu'elle étendit ses mains sur tout l'univers, jusqu'au moment où tous les rois, tous les peuples étant soumis, et la guerre venant à manquer, elle abusa de ses forces pour se perdre elle-même. Ce fut le commencement de sa vieillesse, alors que, déchirée par les guerres civiles, et tourmentée par un mal intérieur, elle retomba, sous un pouvoir unique, comme dans une seconde enfance.
« En effet , après la perte de cette liberté que, sur les pas, et à la voix de Brutus, elle avait défendue, elle vieillit;  et il semblait qu'elle ne pouvait plus se soutenir, sans s'appuyer sur le bras de ses guides.
»
A quelques différences près, ce morceau semble le même que celui de Florus : seulement Florus a déplacé quelque peu les âges, et a nommé jeunesse et virilité de l'empire le règne d'Auguste, où Sénèque, suivant Lactance, faisait commencer la vieillesse et le déclin de Rome. Mais que faut-il conclure, sinon que l'auteur de l'Abrégé de l'Histoire romaine, qui paraît souvent imiter les formes brillantes des grands écrivains qui l'ont précédé, avait emprunté cette comparaison, soit qu'il l'ait prise dans l'école de Sénèque le rhéteur, ou dans les écrits de Sénèque le philosophe (02).
On trouve encore dans Quintilien un Julius Florus, désigné comme grand orateur. Un autre personnage du même nom adressait à l'empereur Adrien des vers familiers assez médiocres :
Ego nolo Caesar esse,
Ambulare per Britannos,
Scythicas pati pruinas.
Et Adrien lui répondait avec une raillerie de prince, et à peu près du même ton que prenait Frédéric pour plaisanter les savants de sa suite :
Ego nolo Florus esse,
Ambulare per tabernas,
Latitare per popinas,
Calices pati rotundos.
Mais nous ne savons pas si le personnage ainsi désigné est l'historien Florus.
Quoi qu'il en soit, son livre a traversé les âges. Cité dans le douzième siècle par Vincent de Beauvais, il a été dans le dix-huitième fort admiré par Montesquieu. On peut même dire que le grand et spirituel Montesquieu a pris parfois quelque chose des tours vifs et de la concision brillante de Florus. Tel est en effet le mérite de cet écrivain : un tour d'imagination hyperbolique semble dominer en lui : les expressions brillantes lui sont naturelles; mais en même temps le cadre étroit de son ouvrage le force à la précision. Il a donc quelque chose de rapide et de pompeux à la fois, qui plaît à l'esprit : c'est un panégyriste concis. Ses pensées sont mises en saillie par la vivacité de ses paroles. Toutefois, il faut observer que parmi quelques phrases détachées de cet auteur et citées par Montesquieu comme des modèles d'une expressive brièveté, il en est une littéralement copiée de Tite-Live. Ce grand historien, avant Florus, avait peint Annibal fugitif, cherchant au peuple romain des ennemis par tout l'univers, toto orbe terrarum quærens aliquos Romanis hostes.
Mais Florus, il faut l'avouer, est assez riche en traits semblables, et qui paraissent lui appartenir. Il n'est pas un abréviateur de Tite-Live; il a conçu, il a résumé l'histoire romaine à sa manière; et, malgré quelques hyperboles de rhéteur, cette manière semble généralement bien assortie aux évènements qu'elle décrit, et à la marche rapide de la grandeur romaine. Il ne faut à la vérité chercher dans Florus aucune critique; il n'a pas le temps, et son imagination est trop éblouie. Mais il rend avec de vives couleurs l'impression générale du spectacle qu'il a devant les yeux, et il caractérise avec énergie les principaux événements. Il ne distingue pas les moeurs des diverses époques; il peint tout à peu près avec la même pompe. Il y a quelque chose d'un peu déclamatoire dans son enthousiasme : on sent que c'est un Romain de l'empire qui fait de la poésie sur les beaux temps de la république. Il est à la fois vague et concis. Son livre fait connaître les Romains, comme une oraison funèbre fait diverses un héros. Les exclamations, les sentences admiratives occupent la place qui serait mieux employée par des détails de moeurs et des traits de vérité; mais enfin il a de la chaleur et de l'imagination, deux choses qui demandent grâce pour les défauts, et qu'on ne trouve guère dans un abrégé.

VILLEMAIN.

(01) Cette supposition semble contredite par le nombre de près de deux cents ans (cc annos), que Florus compte depuis l'empire d'Auguste jusqu'au moment où il écrit; mais plusieurs commentateurs ont vu dans ne chiffre une erreur, et l'ont rectifié par le nombre CL.
(02) On retrouve cette comparaison dans Ammien Marcellin, liv. XVI, chap. 6.