Flodoard FLODOARD

 

HISTOIRE DE L’ÉGLISE DE RHEIMS

LIVRE I (CHAPITRES I à  XII)

(suite et fin)

 

Oeuvre numérisée et mise en page par Marc Szwajcer

 

 

 

FLODOARD

 

NOTICE

 

Après les Mémoires que nous avons déjà publiés, il est inutile, je pense, d'insister ici sur les motifs qui nous ont déterminés à insérer dans notre collection l'Histoire de l’Église de Reims de Frodoard. Quiconque a lu Grégoire de Tours, Frédégaire, la Vie de saint Léger, les Annales de saint Bertin sait que, du vie au xe siècle, la véritable histoire de la société est dans celle des églises. Là seulement on apprend à connaître l'état du peuple, ses sentiments, ses idées, les influences qui le dominaient, les habitudes de la vie commune, tout ce qu'on chercherait vainement dans les chroniques consacrées au récit des guerres et de la vie des rois. Quels ne seraient pas les transports, non seulement des érudits, mais de tous les hommes éclairés et curieux, si quelque histoire des temples de Delphes ou d'Éphèse venait à se découvrir aujourd'hui? Avec quelle avidité on y lirait les miracles d'Apollon ou de Diane, les descriptions des cérémonies religieuses, les aventures de la dévotion populaire, tous les détails réels et vivants de cette mythologie que nous ne connaissons guère que par les poètes et les philosophes! A part toute assimilation profane, c'est sur notre propre religion que nous possédons de tels monuments; et l'ouvrage de Frodoard est sans contredit le plus instructif de tous, car c'est l'histoire la plus détaillée de l'église la plus importante de l'ancienne France; c'est la vie des plus illustres évêques de cette époque, écrite par le mieux informé et le plus soigneux des chroniqueurs. Frodoard ou Flodoard car les manuscrits varient sur son nom,[1] naquit en 894 à Epernay; le célèbre Hincmar, mort douze ans auparavant, avait rendu au siège de Reims tout l'éclat dont il avait brillé, à la fin du ve siècle, sous le gouvernement de saint Rémi. Nulle part les écoles n'étaient plus florissantes; nulle église n'était plus intimement associée aux affaires de l'État. Après avoir fait ses études à Reims, Frodoard obtint successivement l'estime et la confiance des archevêques Hérivée, Séulphe et Artaud. D'abord garde des archives de la cathédrale, ensuite chanoine, puis curé de Cormicy, à trois lieues de Reims; plus tard abbé d'un monastère situé dans le même diocèse, mais dont le nom est incertain[2] ; enfin élu en 951 à l'évêché de Noyon siège qu'emporta sur lui, malgré l'élection populaire et par la faveur de Louis d'Outre-mer, son compétiteur Foucher, moine de Saint-Médard de Soissons, il fut mêlé, dans le cours d'une longue vie, aux plus importantes intrigues du xe siècle, connut la plupart des hommes qui y jouèrent un rôle, et eut à sa disposition, tant sur le passé que sur son propre temps, tous les moyens de se bien instruire. Des voyages lui fournirent même de nouvelles occasions d'étendre ses connaissances et ses idées; en 936, l'archevêque Artaud l'envoya en Italie, où sa réputation avait déjà pénétré et il y reçut du pape Léon vit le plus gracieux accueil en 947 et 948 il accompagna le même prélat aux conciles de Verdun, de Mouzon, d'Ingelheim et de Trêves. Tout indique que, dans ces diverses missions, sa capacité reconnue lui valut plus d'influence que son rang dans l'Église ne semblait lui en attribuer; et sa constante fidélité à l'archevêque Artaud, dans les querelles de celui-ci avec son compétiteur Hugues, donne lieu de bien présumer de son caractère, car elle lui attira des persécutions, et même en 940 un emprisonnement, qui ne purent l’ébranler. Il paraît qu'à dater de l'an 954 las d'une vie si agitée, il ne songea plus, comme faisaient alors la plupart des hommes distingués, qu'à se livrer; dans le monastère qu'il dirigeait, aux soins de l'étude et de la piété. Il se démit même en 963 de la charge d'abbé, et son neveu, de même nom que lui, fut élu à sa place. Après trois ans d'une retraite absolue, le 28 mars 966, Frodoard mourut, laissant la réputation de l'un des plus savants hommes et des meilleurs prêtres de son temps; c'est ce qu'atteste, outre le témoignage de tous ses contemporains, une épitaphe en vieux vers français, dont la date précise ne saurait être assignée, mais qui est à coup sûr d'une haute antiquité, car George Couvenier, le dernier éditeur de l’Histoire de l'Église de Reims l'a trouvée dans un des plus anciens manuscrits; elle porte :

Si ti veu de Rein scavoir li evesque

Lye le temporaire de Flodoon le Saige.

Yl es mor du tam d'Odalry evesque

Et fu d'Espernay né par parentaige.

Vesquit caste clerc, bon moine meilleu abbé,

Et d'Agapit ly romain fu aubé.

Par son histoire maintes nouvelles scauras,

Et en ille toute antiquité auras.

Quoique l’Histoire de l'Église de Reims ne contienne pas, comme dit l'épitaphe toute l’antiquité, elle n'en est pas moins un des ouvrages les plus curieux que nous ait transmis le xe siècle; elle est divisée en quatre livres d'importance fort inégale et d'un genre d'intérêt absolument différent. Les deux derniers sont le récit le plus circonstancié et le plus exact que nous possédions de la vie d'Hincmar, de toutes les affaires où il intervint, et des dissensions qui agitèrent l'État et l'Église sous l'épiscopat de ses successeurs Hérivée, Séulphe et Artaud. Durant toute cette époque, Frodoard a bien su les événements, bien recueilli les souvenirs, bien démêlé les intrigues; et sa narration, à laquelle il a joint beaucoup de lettres et de pièces, ne manque ni de clarté ni d'impartialité c'est vraiment de l'histoire, telle du moins qu'on peut l'attendre d'un siècle barbare. Quant aux deux premiers livres, beaucoup de gens en ont parlé avec mépris, et c'est en effet du mépris qu'ils méritent, si c'est de l'histoire proprement dite qu'on y cherche. Mais il y a dans l'histoire quelque chose de plus que les événements les mœurs et les croyances nationales valent aussi la peine d'être connues; et c'est aussi de l'histoire que cette série de miracles, ces innombrables aventures religieuses, ces détails de pratiques dévotes qui parlaient si vivement alors à l'imagination des peuples. On dirait vraiment, à voir la colère avec laquelle les traditions de ce genre sont quelquefois repoussées qu'on nous demande encore d'y croire il n'en est rien, et personne aujourd'hui n'est tenu de prendre au sérieux de tels récits; mais, si l'intérêt comme la vérité historique leur manque, ils conservent un intérêt moral et poétique qui n'est pas de moindre valeur. Les philosophes du siècle de Périclès pouvaient sourire aussi en lisant le combat du Xanthe contre Achille, et de Vulcain contre le Xanthe; ces souvenirs de la mythologie des Grecs n'en tenaient pas moins leur place dans l'histoire de leur civilisation. Les miracles que Frodoard attribue aux premiers archevêques de Reims ne sont pas racontés avec le génie d'Homère cependant ils ont aussi excité l'enthousiasme populaire ils ont aussi été admis et transmis de bouche en bouche avec une foi fervente; et le tableau de saint Rémi chassant devant lui de rue en rue, l'incendie qui consumait la ville de Reims, n'est dépourvu ni d'énergie ni d'éclat. Plusieurs autres narrations de même sorte sont gracieuses et naïves; on y trouve ce qui ne se rencontre point ailleurs, des émotions vives, des sentiments élevés ou tendres, la manifestation enfin de la nature morale de l'homme, qui, à cette époque, était partout étouffée et abrutie, si ce n'est au sein des églises et dans ses rapports avec la religion. Considérés sous ce point de vue, les deux premiers livres de l’Histoire de Reims méritent toute l'attention et saisiront même plus d'une fois l'imagination du lecteur.

Le second ouvrage historique de Frodoard est une Chronique qui s'étend de l'an 919 à l'an 966 inclusivement, et nous a appris à peu près tout ce que nous savons sur les règnes de Charles le Simple, de Louis d'Outre-mer, et une partie de celui de son fils Lothaire. Il paraît qu'elle remontait plus haut et commençait en 877; mais, sauf un premier paragraphe, toute la narration de l'an 877 à l'an 919 a été perdue. Quelques renseignements sur un manuscrit de la bibliothèque Cottonienne ont même donné à croire que Frodoard avait écrit l'histoire depuis le règne de l'empereur Auguste mais rien ne prouve que ce manuscrit contienne un ouvrage de Frodoard. Quoi qu'il en soit, ce qui nous reste de cette Chronique en est à coup sûr la portion la plus importante, car c'est l'histoire contemporaine de l'auteur. Peu d'annales de ce genre sont aussi riches en faits et écrites avec autant d'exactitude et de simplicité. Nous donnerons la Chronique de Frodoard dans une prochaine livraison.

Il avait écrit deux autres ouvrages, dont l'un n'a jamais été publié en entier, et l'autre n'est pas venu jusqu'à nous. Le premier, qui comprend en tout trente-trois livres, est en quelque sorte une grande histoire ecclésiastique en vers qui commence à Jésus-Christ, célèbre la gloire des saints, des martyrs et des confesseurs, notamment de ceux d'Italie, et finit par une série de vies ou plutôt d'éloges de tous les papes, depuis saint Pierre jusqu'à Léon vu, mort en 939. Quoique complètement dénué de mérite poétique, à en juger du moins par les longs fragments qu'en a publiés Mabillon, ce recueil n'est pas sans importance historique, car on y trouve sur certains papes quelques renseignements qui manquent ailleurs. L'ouvrage perdu de Frodoard était une histoire, aussi en vers, des miracles opérés dans la cathédrale de Reims.

Avant que le texte de l'Histoire de l’Église de Reims eût été imprimé, Nicolas Chesneau, doyen et chanoine de Saint-Symphorien de Reims en publia une traduction française à Reims en 1580. Mais cette traduction, extrêmement fautive, avait d'ailleurs été faite sur un manuscrit incomplet. En 1611, le père Sirmond publia à Paris l'original et en 1617, George Gouverner, chancelier de l'université de Douai, après avoir collationné sept nouveaux manuscrits, en donna une nouvelle édition plus étendue, plus exacte, et y joignit des notes assez insignifiantes. C'est sur cette édition qu'a été faite notre traduction.

 

Fr. Guizot.

 

FLODOARDUS REMENSIS

HISTORIA ECCLESIAE REMENSIS

LIBER PRIMUS.

CAPUT PRIMUM. De conditione urbis Remensis.

Fidei nostrae fundamina proditurus, ac nostrae Patres Ecclesiae memoraturus, moenium nostrorum locatores vel instructores exquisisse, non ad rem adeo pertinere videbitur, cum ipsi salutis aeternae nil nobis contulisse, quinimo erroris sui vestigia lapidibus insculpta reliquisse doceantur. De urbis namque nostrae fundatore, seu nominis inditore, non omnimodis a nobis approbanda vulgata censetur opinio, quae Remum Romuli fratrem, civitatis hujus institutorem ac nominis tradit auctorem, cum urbe Roma geminis auctoribus, Romulo Remoque, fundata, fratris militibus Remum certis accipiamus scriptoribus, interfectum; nec illum prius a fratre recessisse, dum uno partu editi, et inter pastores educati, latrociniisque dediti, urbem constituisse reperiantur; ortaque simultate ac Remo fratre interfecto, civitati Romulus ex nomine suo nomen dedisse legatur. Nam ut Titi Livii verbis utamur: « Numitori Albana permissa re, Romulum Remumque cupido cepit, in his locis ubi expositi ubique educati erant, urbis condendae, et supererat multitudo Albanorum Latinorumque; ad id pastores quoque accesserant, qui omnes facile spem facerent, parvam Albam, parvum Lavinium, prae ea urbe quae conderetur, fore. Intervenit deinde his cogitationibus avitum malum, regni cupido, atque inde foedum certamen coortum a satis miti principio. Quoniam gemini essent, nec aetatis verecundia discrimen facere posset ut dii, quorum tutelae ea loca essent, auguriis legerent qui nomen novae urbi daret, qui conditam imperio regeret, Palatinum Romulus, Remus Aventinum ad inaugurandum templa capiunt. Priori Remo augurium venisse fertur sex vultures: jamque nuntiato augurio, cum duplex numerus Romulo se ostendisset, utrumque regem sua multitudo consalutaverat tempore illi praecepto: at hi numero avium regnum trahebant. Inde cum altercatione congressi, a certamine irarum ad caedem vertuntur. Ibi in turba ictus Remus cecidit. Vulgatior autem fama est, ludibrio fratris Remum novos transiluisse muros. Inde ab irato Romulo (cum verbis quoque increpitans adjecisset: Sic deinde, quicunque alius transiliet mea moenia) interfectum. Ita solus potitus imperio Romulus, condita urbs conditoris nomine appellata. » Ita Livius. Probabilius ergo videtur, quod a militibus Remi patria profugis urbs nostra condita, vel Remorum gens instituta putatur, cum et moenia Romanis auspiciis insignita, et editior porta Martis Romanae stirpis, veterum opinione, propagatoris ex nomine vocitata, priscum ad haec quoque nostra cognomen reservaverit tempora. Cujus etiam fornicem, prodeuntibus dexterum, lupae Remo Romuloque parvis ubera praebentis fabula, cernimus innotatum; medius autem duodecim mensium, juxta Romanorum dispositionem, panditur ordinatione desculptus; tertius, qui et sinister cygnorum vel anserum figuratus auspicio. Nautae siquidem cygnum bonam prognosim prodere ferunt, ut ait Aemilius:

Cygnus in auspiciis semper laetissimus ales.
Hunc optant nautae, quia se non mergit in undas.

Anseres quoque nocturnas excubias celebrant, quas cantus assiduitate testantur. Denique Romana etiam capitolia Gallo servasse traduntur ab hoste.
Nec mirum tamen, urbis nostrae conditionem vel originem non in propatulo dari, cum de ipsius gentium, vel orbis dominae Romae conditione, Isidoro teste, oriatur plerumque dissensio, ut ejus diligenter agnosci non possit origo. Nam Sallustius: « Urbem, inquit, Romam, sicuti ego accepi, condidere atque habitavere initio Trojani, qui, Aenea duce, sedibus incertis vagabantur. » Alii dicunt ab Evandro secundum quod Virgilius:

Tunc rex Evandrus Romanae conditor arcis.

Eutropius quoque in libro Historiarum sic loquitur dicens: « Romulus, cum inter pastores latrocinaretur, octo decem annis natus, urbem exiguam in Palatino monte constituit, conditam civitatem ex nomine suo Romam vocavit. Post hunc Tullus Hostilius eam, adjecto Coelio monte, ampliavit. Indeque caeteri diversis diversi temporibus principes, ejus editores vel amplificatores exstitere. » Urbis autem nostrae nomen Durocortorum quondam dictum, Caesaris astruitur Historia, in qua libro sexto sic legitur: « Vastatis regionibus, exercitum Caesar Durocortorum Remorum reducit, concilioque in eum locum Galliae indicto, de conjuratione Senonum et Carnutum quaestionem habere instituit. » Aethicus etiam in Cosmographia sic memorat: « A Mediolano per Alpes Cottias Viennam M. P. CCCCIX. Inde Durocortorum, M. P. CCCXXXIII, quae fiunt leugae CCXXI. Item a Durocortoro Divodorum usque, M. P. LXII. Item alio itinere a Durocortoro Dividorum usque M. P. LXXXVIII. Item a Durocortoro Treveros usque leugae XCIX. Item a Bagaco Nervicorum Durocortorum Remorum usque, M. P. LIII. »

 HISTOIRE DE L’ÉGLISE DE RHEIMS,  PAR FRODOARD.

LIVRE PREMIER.

CHAPITRE I

Fondation de la ville de Reims.

N'AYANT d'autre dessein que d'écrire l'histoire de rétablissement de notre foi et de raconter la vie des pères de notre église, il ne me semble pas nécessaire de rechercher les auteurs ou fondateurs de notre ville, puisqu'ils n'ont rien fait pour notre salut éternel, et qu'au contraire ils nous ont laissé gravées sur la pierre les traces de leurs erreurs. Je ne crois pas non plus devoir approuver en tous points l'opinion commune sur l'origine et fondation de Reims on croit généralement que Rémus, frère de Romulus, en a été le fondateur, et lui a donné son nom. Nous lisons au contraire, dans des écrivains d'une autorité incontestable, qu'après la fondation de Rome par ces deux frères, Rémus périt assassiné par les soldats de Romulus, et nous ne voyons pas que Rémus se soit jamais séparé de son frère auparavant. Nés de la même couche, élevés ensemble parmi des bergers, pratiquant ensemble le brigandage, ils fondent ensemble une ville une querelle survient, Rémus y périt, et Romulus donne son nom à la ville c'est le récit de Tite-Live. Il est donc plus probable que les soldats de Rémus, obligés de fuir leur patrie après sa mort, ont fondé notre ville, et donné ainsi commencement à la nation des Rémois, car nos murs portent les emblèmes de la religion romaine, et la plus élevée de nos portes a conservé jusqu'à nos jours le nom de porte de Mars? qui, selon l'opinion des anciens, était le père des Romains. Sur la voûte à droite en sortant est représentée la louve allaitant Romulus et Rémus au milieu les douze mois, selon l'ordre établi par les Romains; enfin à gauche, des cygnes et des oies. Or nous savons que le cygne est pour les matelots un oiseau de bon augure comme dit le poète Aemilius

Cygnus in auspiciis semper laetissimus ales.

Hunc optant nautae, quia se non mergit in undas.[3]

Les oies veillent la nuit, comme le prouvent leurs cris continuels, et l'histoire dit qu'elles ont sauvé le Capitole de la surprise des Gaulois.

Au reste il ne faut pas s'étonner de l'obscurité qui couvre l'origine de notre ville, puisque, si nous en croyons Isidore, celle de Rome elle-même, la maîtresse du monde, n'est pas à l'abri des contestations on ne sait rien au juste sur ses commencements. Salluste croit qu’elle a été fondée et d'abord habitée par les Troyens, qui erraient de pays en pays sous la conduite d'Enée ; d'autres lui donnent Evandre pour fondateur, et Virgile a suivi cette tradition

Tunc rex Evandrus Romanae conditor arcis.

Enfin Eutrope dans son histoire s'exprime ainsi :

Romulus, qui vivait de brigandage au milieu des bergers, à peine âgé de dix-huit ans, fonda sur le mont Palatin une petite ville qu'il appela Rome, de son propre nom. Après lui Tullus Hostilius l'a grandit en y ajoutant le mont Cœlius et dans la suite d'autres princes à différentes époques l’ont étendue et embellie.

Quant à Reims, César lui donna le nom de Durocortorum et il raconte, au sixième livre de son Histoire, qu'après avoir ravagé le pays il ramena son armée à Durocortorum Rhemorum, où il convoqua une assemblée des cités de la Gaule, pour poursuivre et punir la conjuration des Sénonois et des gens de Chartres.

On lit aussi dans la Cosmographie d'Ethicus :[4]

De Milan à Vienne, par les Alpes Cottiennes 409.000 pas; de Vienne à Reims (Durocortorum) 333.000 pas; ce qui fait 221 lieues; de même de Reims à Metz 62.000 pas; de même de Reims à Metz par un autre chemin, 88.000 pas; de Reims à Trèves 99 lieues; de Bavay à Reims 53.000 pas.


 


 

CAPUT II.

De amicitia Romanorum atque Remorum.

Constat itaque Remorum populum populo Romanorum tenacissima priscis olim temporibus amicitia junctum, praelibatae Julii Caesaris Historiae libris hoc ipsum astipulantibus, ubi legitur: « Eo, scilicet ad fines Belgarum, ipso Caesare de improviso, celeriusque omnium opinione, perveniente, Remos, qui proximi Galliae ex Belgis sunt ad eum legatos Iccium et Andebrogium, primos civitatis suae, misisse, et se suaque omnia offerentes in fidem atque amicitiam populi Romani omnino conjurasse, paratosque esse et obsides dare, et imperata facere, et oppidis recipere, et frumento caeterisque rebus juvare. Reliquos omnes Belgas in armis esse, Germanosque, qui ripas Rheni incolunt sese cum his conjunxisse, tantumque esse eorum omnium furorem, ut ne Suessones quidem, fratres consanguineosque suos, qui eodem jure, eisdem legibus utantur, unumque magistratum cum illis habeant, deterrere potuerint, quin cum his consentirent. » Item: « Caesar, postquam omnes Belgarum copias in unum locum coactas ad se venire vidit, neque jam longe abesse, ab his, quos miserat, exploratoribus et ab Remis cognovit, flumen Axonam, quod est in extremis Remorum finibus, exercitum traducere maturavit atque ibi castra posuit. Quae res et latus unum castrorum ripis fluminis munitum et post eum quae erant, tuta ab hostibus reddebat, et commeatus ab Remis, reliquisque civitatibus, ut sine periculo ad eum portari possent, efficiebat. In eo flumine pons erat. Ibi praesidium ponit, et in altera parte fluminis Titurium Sabinum legatum cum sex cohortibus reliquit. Castra in altitudinem pedum duodecim fossamque pedum octodecim munire jubet. Ab ipsis castris oppidum Remorum, nomine Bibrax, quod aberat millia passuum octodecim ex itinere, magno impetu Belgae oppugnare coeperunt. Aegre eo die sustentata est Gallorum atque Belgarum oppugnatio haec. Ubi circumjecta multitudine hominum totis moenibus, undique in murum lapides jaci coepti sunt, murusque defensoribus nudatus est, testudine facta portis succedunt, murumque subruunt, quod tum facile fiebat. Namque tanta multitudo lapides ac tela conjiciebant, ut in muro consistendi potestas esset nulli. Cum finem oppugnandi nox fecisset, Iccius Remus, summa nobilitate et gratia inter suos, qui tum oppido praefuerat, unus ex his, qui legati de pace ad Caesarem venerant, nuntium ad eum mittit, nisi subsidium sibi mittatur, sese diutius sustinere non posse. Eo de media nocte Caesar, iisdem ducibus usus, qui nuntii ab Iccio venerant, Numidas et Cretas sagittarios et funditores Baleares subsidio oppidanis mittit. Quorum adventu et Remis cum spe defensionis studium propugnandi accessit, et hostibus eadem de causa spes potiundi oppidi discessit. Itaque paulisper apud oppidum merati, agrosque Remorum depopulati, omnibus vicis, aedificiisque, quo adire poterant, incensis, ad castra Caesaris omnibus copiis contenderunt, et a millibus passuum minus duabus castra posuerunt. » Et post pauca: « Hostes protinus ex eo loco ad flumen Axonam contenderunt, quod esse etiam post nostra castra demonstratum est. Ibi vadis repertis, partem copiarum suarum transducere conati sunt, eo consilio, ut, si possent, castellum, cui praeerat Quintus Titurius legatus, expugnarent pontemque interciderent. Si minus potuissent agros Remorum popularentur, qui magno nobis usui ad bellum gerendum erant, commeatusque nostros sustinebant. Caesar, certior factus a Titurio, omnem aequitatem et lenis armaturae Numidas, funditores sagittariosque pontem traducit, atque ad eos contendit. Acriter in eo loco pugnatum est. Hostes impeditos nostri in flumine aggressi, magnum eorum numerum occiderunt. Per eorum corpora reliquos audacissime transire conantes, multitudine telorum et audacia repulerunt: primos qui transierant, equitatu circumventos interfecerunt. » Item in eadem Historia libro tertio: « Caesar Labiennum legatum in Treviros, qui proximi Rheno sunt, cum equitatu mittit. Huic mandat Remos reliquosque Belgas adeat, atque in officio contineat. » Item in V: « Tantam omnium voluntatis commutationem, Caesar scilicet, attulit, ut praeter Heduos et Remos quos praecipuo semper honore Caesar habuit; alteros pro vetere ac perpetua erga populum Romanum fide; alteros pro recentibus belli Gallici officiis nulla fere civitas fuerit non suspecta nobis. » Item in VI: « Carnutes legatos, obsidesque mittunt, usi deprecationibus Remis, in quorum erant clientela. Eadem ferunt responsa, quae videlicet Senones, obsidibus imperatis. »

Principatum quoque Remos antiquitus inter sibi finitimos tenuisse constat. Sed et apud Romanos id ipsum obtinuisse, auctumque sibi legitur in praemissa, tam jus, quam decus, historia, ut in eodem libro VI: « Sequani principatum dimiserant; in eorum locum Remi successerant. » Semper enim, et in omnibus bellis Remi fidem Romanis servaverant. Et in VII, etiam quando totius pene Galliae populi adversus Romanos conspirasse, conciliumque Bibracte habuisse leguntur, illi nullatenus adesse voluere, quod amicitiam Romanorum sequebantur. In necessitatibus autem copias eos Romanorum sustentasse proditur, ut in quinto hujus historiae libro: « Quo anno frumentum propter siccitates angustius provenerat, coactus est, » Caesar scilicet, « aliter ac superioribus annis, exercitum in hibernis collocare, legionesque in plures civitates distribuere. Ex his unam in Morinos ducendam, C. Fabio Legato dedit; alteram in Nervios Q. Ciceroni; tertiam in Essuos L. Roscio; quartam in Remis cum T. Labieno in confinio Trevirorum hiemare jussit. » Item in VII: « C. Fabium et L. Minutium cum legionibus duabus in Remis collocat. » Insuper et usque ad internecionem pene Remos pro salute Romanorum certasse, Orosius etiam libro VI, astipulatur, eo praelio quod Bellovaci, post caeterorum Gallorum, qui arma contra Romanos tulerant, devictum exercitum, instauraverant, magnam Remorum manum, quae auxilio Romanis erat asserens trucidatam. Remos denique praeliis fortes, optimosque fuisse jaculatores: sed et ad bella civilia quibus Pompeio superato, monarchiam totius, ut fertur, orbis obtinuit, Caesare invitante profectos, Lucanus libro primo testatur his versibus:

Rura Nemetis
Qui tenet et ripas Satyri, qua littore curvo
Molliter admissum claudit Tarbellicus aequor,
Signa movet, gaudetque amoto Santonus hoste.
Et Biturix, longisque leves Axomes in armis,
Optimus excusso Leucus Remusque lacerto.
Optima gens flexis in gyrum Sequana frenis,
Et docilis rector rostrati Belga covini.

CHAPITRE II.

De l'amitié des Romains et des Rémois.

IL est certain que dans les temps anciens le peuple des Romains et celui des Rémois étaient liés de la plus étroite amitié; l'Histoire de Jules César, déjà citée, nous apprend comment ils s'unirent par des traités. Il est certain aussi que les Rémois avaient jadis le premier rang parmi leurs voisins; ils le conservèrent sous les Romains, et même virent croître alors leurs honneurs et leur puissance car dans toutes les guerres ils étaient demeurés fidèles à Rome. Lorsque presque tous les peuples de la Gaule conspirèrent contre les Romains et tinrent leur assemblée à Autun, les Rémois ne voulurent y prendre aucune part. On voit aussi dans César qu'en des temps de détresse ils nourrirent les troupes des Romains. Orose nous apprend en outre qu'ils combattirent, et jusqu'à la mort, pour le salut des Romains; car dans la bataille que livrèrent à ceux-ci les gens du pays de Beauvais, après la défaite des autres Gaulois révoltés, périt une nombreuse troupe de Rémois auxiliaires des Romains. Enfin on sait que les Rémois étaient vaillants, habiles à lancer le javelot; et Lucain atteste que, sur l'invitation de César, ils marchèrent à sa suite pour prendre part aux guerres civiles où Pompée fut vaincu et qui procurèrent à César l'empire.

CAPUT III.

De primis hujus urbis episcopis.

Nec solum apud ethnicos tunc temporis tanti habitum Remorum populum, quin et apud primos Ecclesiae Dei propagatores, atque per Evangelium in Christo patres, primae hujus provinciae nostrae sedis pontifices constat semper honore decoratos, adeo ut ipse beatissimus Ecclesiae Christi princeps, Petrus apostolus, urbi nostrae beatum Sixtum a se archiepiscopum ordinatum, cum suffraganeorum auxilio censuerit delegandum, idoneos ei ac necessarios in eadem provincia destinans socios, sanctum Sinicium videlicet, Suessonicae sedis primo, nostrum postea praesulem, ac beatum Memmium, Catalaunicae urbis rectorem. Sanctus vero Sixtus Remorum primus episcopus, etiam Suessonicam fundasse fertur ecclesiam, et beatum Sinicium collaboratorem et cooperatorem suum inibi constituisse; quique post ejusdem sancti Sixti decessum, nepote suo, ut ferunt, sancto Divitiano Suessoni a se pontifice ordinato, quoniam noviter instituta Remensis ecclesia, lacte adhuc, tenera forte fovebat pignora, necdum ad onus pontificale perferendum robusta, Remis archiepiscopalem (ea cogente necessitate) subiit cathedram. Ubi pro animarum salute fideliter elaborans, bonumque certamen decertans, cum decessore, ut in coelis, ita etiam meruit in terris habere consortium, unius ejusdemque templi tumbaeque sortitus cum beato Sixto sepulcrum. Quorum postmodum meritis basilicae domus ipsorum claris illustrata miraculis, nonnullis dotata ditatur muneribus, agris quoque domibusque ac vineis locupletata, clericorum pariter enituit ministeriis decorata. Quorum nonnunquam duodecim, nonnunquam decem, ut domni Sonnatii praesulis tempore, ibidem reperitur congregationem fuisse, donec moderno tempore, abundante iniquitate et refrigescente charitate, deficere Deo inibi militantium chorus, et unius ipsum coepit esse templum presbyteri titulus. Quocirca etiam ipsorum nuper abinde ossa translata, in ecclesia beati Remigii post altare sancti Petri, eorumdem praeceptoris, servantur recondita. Nec eos Ecclesiam nostram tantummodo ab urbe Roma constat habuisse patres vel fundatores, quae martyribus etiam redimita, eorumque sacrata sanguine atque triumphis, sub ipso Neronianae persecutionis articulo, decorata probatur.

 

CHAPITRE III.

Des premiers évêques de Reims.

CE n'est pas seulement auprès des païens que le peuple de Reims a été en grande estime en ces temps anciens les premiers prédicateurs de l'Eglise de Dieu, et nos pères en Jésus-Christ, par la grâce du saint Évangile, ont toujours honoré les évêques de notre siège, le premier de cette province. Le bienheureux apôtre saint Pierre, prince de l'Eglise de Jésus-Christ, ayant ordonné saint Sixte archevêque de notre ville, et sentant le besoin de le faire assister par des suffragants, lui donna pour compagnons et assesseurs dans la province saint Sinice, d'abord évêque de Soissons, et ensuite de Reims, ainsi que saint Memme, pasteur de Châlons. Aussi saint Sixte, premier évêque de Reims, est-il regardé comme le fondateur de l'église de Soissons, où il établit saint Sinice pour son coadjuteur et celui-ci, après la mort de saint Sixte, laissa le siège de Soissons à son neveu Divitien, et vint occuper la chaire archiépiscopale de Reims, parce que cette église, nouvellement instituée, ne nourrissait encore que des enfants trop tendres et trop faibles pour porter le poids du ministère pontifical. Là il travailla avec tant de zèle au salut des âmes, et rendit de si utiles et vertueux combats, qu'il mérita de partager sur la terre comme au ciel la couronne de son prédécesseur, et de reposer avec lui dans le même temple et le même tombeau. Par le mérite de ces deux grands saints, leur basilique a été longtemps illustrée par d'insignes miracles, dotée d'offrandes magnifiques, enrichies de terres, maisons et vignes, et desservie par un chapitre nombreux. On y a compté tantôt douze, tantôt dix chanoines, comme sous le pontificat de l'évêque Sonnat; mais depuis, par la succession des temps, l'iniquité ayant prévalu et la charité s'étant refroidie cette église n'est plus qu'un simple presbytère. Aussi les corps des deux saints ont-ils été dernièrement transportés et déposés dans l'église de Saint-Rémi, derrière l'autel de Saint-Pierre leur maître. Au reste, outre ces prélats et saints fondateurs qu'elle a reçus de Rome, l'église de Reims a été parée de la gloire des martyres, et consacrée par leur sang et leurs triomphes, sous la persécution de l'empereur Néron.

 

CAPUT IV.

De primis ejusdem martyribus urbis.

Beatus siquidem Timotheus, ab Orientis partibus ad hanc Remensem urbem perveniens, Jesu Christi Domini publice non veritus est praedicare veritatem. Unde et a praeside Lampadio, qui tunc praeerat huic populo, tentus et, quod novae legis propositum hominibus suaderet, conventus. Hinc minis principum legumque severitate vexatus, opum quoque pollicitatione tentatus, responsum quod olim ab Ecclesiae principe didicerat, improbo incussum supernae nundinatori gratiae, rependere non timuit, divitiae, inquiens, tuae tecum sint in perditionem, et ibis cum ipsis in ignem aeternum. Dominus enim meus Jesus Christus Filius Dei, ipse te judicaturus est. Tunc praeses ira repletus, jussit eum torqueri. Et dum Christum constanter inter ipsa cruciatum confiteretur tormenta, inferens inter caetera, quod illi, quos praeses pro Christi nomine se putabat occidere, ipsi poenaliter eum judicaturi essent: et praeses diceret: Ergo tu judex eris mei? Ego te occidam; et quis erit qui te eripiat de manibus meis? Sanctus Timotheus respondit: Dominus meus cui credo, potest liberare me; in te autem debita tormenta immittet. Iterum, dum per supplicia multa cruciari jussus fuisset, ait ad judicem: Quanto tu mihi ampliora tormenta intuleris, tanto amplius refrigerium praestabit Dominus, cui credo. Et cum caederetur a ministris, exclamavit voce magna, dicens: Aspice, Domine, et vide quae infert diabolus servo tuo, ne me derelinquas, ne dicant homines: Ubi est Deus ejus? Praeses denique jussit calce viva et aceto aspergi plagas ipsius. Sanctus vero Timotheus dixit: Ago tibi gratias, Domine Jesu Christe, qui mihi das tolerantiam ut haec possim sufferre. Ita istud factum est in corpore meo, tanquam oleo perunctus sim. Unus autem de ipsius caedentibus, nomine Apollinaris, vidit duos angelos stantes ad latus ejus, et dicentes illi: Confortare, Timothee; missi autem sumus ad te, ut ostendamus tibi Dominum Jesum Christum, pro cujus nomine sustines poenas, ut videas quae aguntur in coelis: Erige caput tuum, et vide. Aspiciens autem sanctus Timotheus vidit coelos apertos, et Jesum ad dexteram Patris coronam tenentem ex lapidibus pretiosis, ac dicentem sibi: Timothee, haec quam vides, tibi parata est. Accipies illam tertia die imminente de manibus meis. Et Angeli dixerunt ei: Confortare Timothee, et abierunt in coelos. Apollinaris vero cum haec vidisset, procidens ad pedes ejus, dixit ei: Domine Timothee, ora pro me: Ego enim libentissime torquebor pro nomine Christi, quia vidi tecum loquentes viros splendidissimos, dum tecum loquerentur magnalia Dei illius qui regnat in coelo. Tunc praeses, ut vidit se esse confusum, dixit: Sistatur Apollinaris: afferte autem mihi plumbum bulliens, et effundite in os ipsius, ut non talia verba loquatur. Cumque allatum fuisset plumbum bulliens, et missum in ore ejus, factum est frigidum tanquam glacies. Viso autem hoc miraculo, multitudo magna credidit in Dominum Jesum Christum. Tunc praeses iracundia plenus et confusione dixit: Ducite illos in carcerem, usque dum ego petractem quo supplicio interficiantur. Cum autem ducerentur, plurima turba sequebatur eos flens et dicens: O injustum judicium quod incidit in civitatem istam! Perducti sunt vero in carcerem, et multi erant circa eos, desiderantes consolari a sancto Timotheo. Ipsa autem nocte adveniens quidam presbyter, nomine Maurus, multitudinem hominum baptizavit in nomine Domini nostri Jesu Christi. Apollinaris vero cum baptizaretur, vidit coelos apertos, et audivit angelum dicentem sibi: Beatus es, Apollinaris, qui credidisti, beati omnes qui tincti sunt in aqua, in qua tu purificatus es. Quicunque hac nocte hic baptizatus fuerit, crastina die in paradiso suscipietur. Hoc autem dictum omnes qui ibidem aderant audierunt, et genua flectentes, dixerunt: Parce nobis, Domine Deus noster, et praesta misericordiam tuam his qui diligunt nomen tuum. Altera autem die jussit praeses adduci eos ante tribunal suum. Astantibus autem illis praeses dixit: Stulti homines, quae res vos circumvenit, ut credatis in hominem crucifixum, qui sub Pontio Pilato multa perpessus est, novissime autem crucifixus asseritur? Tunc illi responderunt, dicentes: Vidimus in hac nocte angelum Dei loquentem cum sanctis quos tu tenes in carcere: et ipsi angeli dixerunt nobis, hodie ituros esse in paradisum, et accepturos coronas quas tui oculi videre non merebuntur. Praeses vero iracundia plenus, jussit cunctos decollari. Cumque ducerentur sancti extra civitatem, signaverunt se signaculo Christi, et sic martyrizati sunt, confitentes Patrem, et Filium, et Spiritum sanctum. Fuerunt autem omnes qui decollati sunt quinquaginta viri sub die undecimo Kalendas Septembris.

Altera autem die procedens praeses, sedit pro tribunali, sanctum vero Timotheum et Apollinarem adduci praecepit. Astantibus autem illis, ait ad eos praeses: Infelicissimi hominum, consentite praeceptis Imperatorum, et adorate eos quos illi adorant. Timotheus et Apollinaris dixerunt: Nos daemones non adoramus, sed solum Dominum Jesum Christum, qui est Deus vivus et verus, ipsum oportet confiteri nos. Tu ergo ne putes nos artibus tuis separari a charitate et a regno Dei. Hoc autem tibi notum sit quia, qua hora nos putas mortificari, tunc vivificamur, sicut illi qui a te hesterna die interfecti sunt, et vivunt in coelis. Te ergo vere percutiet Jesus Christus ulcere pessimo. Iratusque praeses, dixit: Istos si non mortificavero, alii multi ad novam sectam venturi sunt. Sic dedit adversus eos sententiam, ut gladio interficerentur. Illi autem cum magna fiducia perducti sunt extra civitatem, in via quae appellatur Caesarea, in locum qui Buxitus dicitur, ibique martyrizavit eos, sub die decimo Kalendas Septembris, et coronati sunt ab angelis, et vox audita est, dicens: Venite, Timothee et Apollinaris, dilectissimi mei, et ostendam vobis quanta mirabilia meruistis pro animabus vestris, quas obtulistis pro nomine meo; et scitote quae facturus sum Lampadio praesidi. Statimque jaculum igneum descendit de coelo multis videntibus, et ingressum est humerum ejus dextrum, et a daemonio arreptus vitam finivit. Corpora vero sanctorum sepulta sunt a Christianis die nono Kalendas Septembris. Eusebius quidam vir spectabilis, qui et ipse per verbum ipsorum credidit, fabricavit illis basilicam, in qua multa signa et remedia ostenderunt. Caecis visum, claudis gressum reddiderunt, et qui a daemonibus vexabantur curati sunt in nomine Domini nostri Jesu Christi. Eorum vero corpora donus Tilpinus archiepiscopus veteri promovens tumulo, sepulcrum ipsorum decenter argento decoravit et auro. Altare denique quod ante tumbam eorumdem stat medium, sancti Mauri fertur reliquiis et honore dicatum, qui eodem quo praefati tempore, pro Christo caesus capite, ipsorum meruit consortio renitere. Cujus ossa in ecclesia beati Celsini servantur deposita. Caput autem infra civitatem intra beatae Dei genitricis Mariae basilicam in arca secus altare veneratur reconditum. Ipsa etiam praemissorum ecclesia martyrum pignoribus complurium traditur insignita sanctorum. In cujus dextera parte sanctorum Silvani et Silviani; in sinistra vero sancti Tonantii et sancti Jovini feruntur reservari corpora.

Hic etiam in eadem sanctorum basilica beatus Remigius tumulum sibi parari praecepisse reperitur, ut post conditam testamenti sui continentiam subintulit, addens: « Post conditum testamentum, imo signatum, occurrit sensibus meis, ut basilicae domnorum martyrum Timothei et Apollinaris missorium argenteum sex librarum ibi deputem, ut ex eo sedes futura meorum ossium componatur. » Sed et in ipso testamento suo, duodecim solidos ad ipsius basilicae cameram struendam jusserat dari. Diversi quoque diversis idem locupletavere dotibus templum; ubi domnus Gondebertus, vir clarissimus, cum uxore sua Bertha, villam in pago Vontinse sitam, Perthas nomine, dedit. Reperitur autem congregationem ibidem nonnunquam viginti, nonnunquam duodecim fuisse clericorum, ut in tempore Theoderici regis, quando ad eamdem basilicam praediorum donaria plura leguntur tradita. Et usque ad recentia nuper tempora (quibus religione deficiente, ad unius est redacta presbyteri titulum) Deo servientium coetu, dignoscitur insignita virorum.

Nonnullis etiam aliis templa locis, eorum splendent honore decorata, quoniam signis pluribus eis olim coruscantibus, amatores Christi memoriis ipsorum suas excolere studuerunt atque munire possessiones. Quorum quidam, ceu Gregorius Turonensis episcopus in libro Miraculorum refert, eorum reliquias, aedificata horum honore basilica, devotus expetiit. Quas pontifice loci per presbyterum honorifice dirigente, dum iter idem presbyter ageret, ab obvia quadam muliere salutatus, obnixe importuneque ab ea rogatus est, ut horum sibi quiddam pignorum condonaret. Qui diu nutatim differens, mulieris improbitate tandem devictus, sacrorum cinerum particulam tradit roganti. Ascensoque caballo, injunctum sibi moliens iter expedire, nullatenus eum percussis admodum lateribus, valet itineri promovere. Insuper ipse quoque sic interim praegravatus opprimitur, ut vix valeret attollere caput. Ita demum animadvertens virtute se detineri martyrum, motus poenitentia recepit opportune, quod largiri praesumpsit incongrue, redhibitaque sacrorum quam dempserat portione, liber ad jussa relaxatur abire. Apud Duodeciacum quoque vicum horum constructa decore sanctorum basilica martyrum, magnorum praedicatur radiare nitore magnalium, optabilique refulgere gratia sanitatum.

Beati denique Timothei ossa, rex Otho, concedente Artaldo archiepiscopo, transferri fecit in Saxoniam, et monasterium monachorum in ejus instituit honore. In qua translatione multa mira feruntur ostensa. Nam ut Anno tunc abbas, nunc episcopus, mihi retulit, a quo eadem sacra pignora translata sunt, praeter alia plura remedia, duodecim inter claudos et caecos fuere curati. Beatus quoque Apollinaris, ossibus suis in Orbacense monasterium translatis, nonnullis inibi florere spectatur gratiarum insignibus.

CHAPITRE IV.

Premiers martyrs de la ville de Reims.

SAINT Timothée venu des contrées de l'Orient dans la ville de Reims, ne craignit point de prêcher publiquement la vérité de notre Seigneur Jésus-Christ. Lampade, qui était alors gouverneur du pays, le fit arrêter et mettre aux fers, comme coupable de propager parmi le peuple la nouvelle loi. On employa contre lui tantôt les menaces de la colère des empereurs, tantôt la sévérité des lois, tantôt la tentation des richesses; mais il eut le courage de faire la même réponse que le prince de l'Église, le grand apôtre, fit un jour au méchant qui marchandait la grâce de Dieu: Que tes richesses aillent avec toi en perdition, dit-il; a tu iras avec elles au feu éternel car mon seigneur Jésus-Christ, le fils de Dieu, sera ton juge. Alors le gouverneur, transporté de colère, le fit appliquer à la torture. Au milieu des supplices il ne cessait de confesser Jésus-Christ, et, entre autres paroles, il répétait au gouverneur que ceux qu'il croyait faire périr pour le nom de Jésus-Christ le jugeraient et le puniraient un jour. Eh bien! reprit le gouverneur, tu seras donc mon juge, car je te ferai mourir a et qui t'arrachera de mes mains?-Le Seigneur mon Dieu, auquel je crois, peut me délivrer, répondit Timothée; et c'est lui qui te punira comme tu le mérites. Soumis à de nouvelles tortures, il disait à son juge : Plus tu me feras souffrir de tourments, plus douce sera la récompense que me prépare mon Dieu, auquel je crois. Au moment où les bourreaux le battaient de verges, il s'écria à haute voix : Regarde, ô mon Seigneur, vois les tourments que le diable inflige à ton serviteur ne m'abandonne pas, afin que les hommes ne puissent dire : Où est donc son Dieu? Enfin le gouverneur fit oindre ses plaies avec de la chaux vive et du vinaigre Je te remercie, ô mon Dieu, s'écria-t-il de ce que tu m'as donné le courage de souffrir c'est comme si on me frottait le-corps avec de l'huile. Un de ceux qui le battaient de verges, nommé Apollinaire, vit deux anges debout à ses côtés, et qui lui disaient Courage, Timothée nous sommes envoyés vers toi pour te montrer le Seigneur Jésus Christ, au nom duquel tu souffres le martyre, et pour te faire voir ce qui se passe dans les cieux. Lève la tête et regarde. Saint Timothée regarde, et il voit les cieux ouverts, et à la droite du Père, Jésus tenant une couronne de pierres précieuses, qui lui disait: Vois, Timothée, voila ta couronne; dans trois jours tu la recevras de mes mains. Courage, Timothée, lui dirent encore les anges, et ils remontèrent dans les cieux. A cette vue, Apollinaire tombe à ses pieds, et s'écrie Seigneur Timothée, priez pour moi je suis prêt à souffrir pour le nom de Jésus Christ. J'ai vu deux hommes brillants de lumière qui parlaient avec vous, et disaient les merveilles du Dieu qui règne dans les cieux. Qu'on arrête Apollinaire, s'écrie le gouverneur, furieux de se voir confondu; vite du plomb bouillant, et versez-le-lui dans la bouche, afin que je ne l'entende plus proférer.de telles paroles. On apporte le plomb, on le verse bouillant dans la bouche d'Apollinaire il y devient froid comme la glace. A la vue de ce miracle, beaucoup crurent à Jésus-Christ. Conduisez-les en prison, dit le gouverneur plein de rage et de confusion; je verrai de quel supplice je dois les faire mourir. Pendant qu'on les conduisait, une foule nombreuse les suivait en pleurant, et disait Quel injuste jugement frappe aujourd'hui notre ville! On les enferma dans la prison, et beaucoup témoignaient le désir d'être consolés par saint Timothée. Au milieu de la nuit survint un prêtre, nommé Maure, qui en baptisa un grand nombre au nom de notre Seigneur Jésus-Christ. Au moment où Apollinaire recevait le baptême, il vit les cieux s'ouvrir, et entendit un ange qui lui disait Heureux Apollinaire, d'a voir cru au Seigneur! Heureux tous ceux qui ont été lavés de la même eau ou tu as été purifié Quiconque sera baptisé cette nuit, entrera demain en paradis. Tous ceux qui étaient présents entendirent ces paroles; et, fléchissant le genou, ils s'écrièrent Pardonnez-nous, Seigneur notre Dieu, faites miséricorde à ceux qui aiment et chérissent votre nom. Le lendemain le gouverneur les fit traîner à son tribunal et leur dit Hommes insensés, comment donc avez-vous pu vous laisser séduire et croire à un homme qui a été crucifié, qui a souffert mille maux sous Ponce-Pilate, et a fini par mourir (t sur une croix? Ils répondirent Nous avons vu cette nuit un ange de Dieu s'entretenir avec les saints que tu tiens en prison, et les anges eux mêmes nous ont dit que nous entrerions aujourd'hui en paradis, et que nous recevrions les couronnes que tes yeux ne mériteront pas de voir. Transporté de colère, le gouverneur ordonna de leur trancher la tête à tous. Pendant qu'on les conduisait hors des murs, tous se signèrent du signe de Christ et souffrirent le martyre, en confessant le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Ils étaient cinquante, qui furent décapités le vingt-deuxième jour d'août.

Le lendemain le gouverneur prit place sur son tribunal et fit amener saint Timothée et Apollinaire. Malheureux, leur dit-il, obéissez aux ordres des empereurs; et adorez ce qu'ils adorent. Nous n'adorons point les démons, répondirent les saints, mais le Seigneur Jésus-Christ, qui seul est le Dieu vivant et véritable voilà celui que nous devons con fesser. Ne te flatte pas de pouvoir par tes artifices nous détourner de l'amour et du royaume de Dieu. Apprends que l'heure munie où tu crois nous faire mourir, est celle qui nous donne la vie comme à ceux que tu as fait massacrer hier, et qui vivent dans les cieux. Bientôt Jésus-Christ te frappera d'une blessure incurable. Si je ne fais mettre à mort ces insensés, s'écria le gouverneur furieux, d'autres encore se convertiront à la secte nouvelle; et à ces mots il rendit sentence contre eux, et les condamna comme les autres à avoir la tête tranchée. On les conduisit donc joyeux et pleins de confiance hors de la cité, par le chemin de César, en un lieu appelé Buxite, où ils furent martyrisés le 23 août. Les anges vinrent les couronner, et l'on entendit une voix qui disait Venez, Timothée et Apollinaire, mes élus bien-aimés venez contempler les merveilles que vous avez méritées à vos âmes, en les offrant en mon nom, et voyez le châtiment que j'envoie à Lampade. Aussitôt un trait de feu descend du ciel, à la vue de plusieurs, frappe le gouverneur à l'épaule droite, et il meurt emporté par le démon. Les corps des bienheureux martyrs furent ensevelis par les Chrétiens, le 24e jour d'août, lin des personnages les plus considérables, nommé Eusèbe, que leur prédication convertit ait Seigneur, leur fit élever une chapelle, où ils firent grand nombre de miracles et guérisons, rendant la vue aux aveugles, redressant les boiteux, et délivrant les possédés au nom de notre Seigneur Jésus-Christ. Dans la suite l'archevêque Tilpin[5] fit lever leurs reliques de leur premier sépulcre, et les enferma dans une châsse toute brillante d'or et d'argent. Enfin il y a un autel devant leur tombeau qu'on dit élevé en l'honneur et au nom de saint Maure, qui périt comme eux pour la cause de Dieu, et mérita de partager leur gloire. Ses restes sont conservés dans l'église de Saint-Celsin; mais la tête a été déposée à Reims dans l'église de la bienheureuse Marie mère de Dieu, et y est exposée dans une châsse près de l'autel à la vénération des fidèles. L'église des martyrs dont nous venons de raconter le triomphe a été depuis enrichie des reliques de beaucoup d'autres saints à droite reposent, dit-on, les corps de saint Sylvain et saint Sylvien; à gauche ceux de saint Tonance et de saint Jovin.

Saint Rémi lui-même avait choisi cette église pour y faire placer sa sépulture, comme on le voit par la clause suivante ajoutée à son testament Après mon testament terminé, et même scellé, il m'est venu à l'idée de faire don à l'église des bienheureux martyrs Timothée et Apollinaire d'un vase d'argent de six livres, afin qu'on y prépare mon tombeau. Dans le testament même il léguait douze sous d'or pour rétablir la voûte de cette église. Beaucoup de fidèles l'ont enrichie de leurs dons entre autres le seigneur Gondebert, homme très illustre, et son épouse Berthe lui ont donné une terre, nommée Perthe, située dans le canton de Vontinse. Il y a eu des temps où l'on a compté jusqu'à douze prêtres réunis en chapitre, sous le règne du roi Théodoric par exemple, époque où de nombreux legs de terres furent faits à cette église. Jusqu'à ces derniers temps, où l'affaiblissement de la religion l'a réduite à n'être plus qu'une simple cure, un clergé nombreux y servait le Seigneur.

D'autres églises ont été élevées dans différents lieux en l'honneur de ces saints martyrs, et l'éclat de leurs miracles a porté beaucoup de fidèles serviteurs de Jésus-Christ à mettre leurs possessions sous la protection de leur mémoire. Grégoire de Tours dans son livre des miracles, raconte qu'un dévot personnage, après leur avoir érigé une église, demanda et obtint quelques parties de leurs reliques. L'évêque du lieu en ayant confié la conduite à un prêtre, celui-ci rencontra, chemin faisant, une femme qui le salua, et le supplia avec instance de lui donner une parcelle des précieuses reliques. Le prêtre résiste d'abord; enfin, vaincu par l'importunité de cette femme il cède et lui donne un peu des cendres sacrées. Il remonte sur son cheval pour continuer sa route mais c'est en vain; il a beau le presser, le frapper, le cheval se refuse; lui-même se sent accablé d'une langueur pesante qui lui permet à peine de soulever la tête, Reconnaissant enfin que c'est par la vertu des martyrs qu'il est ainsi retenu, ému de repentir, il reprend à propos ce qu'il avait si légèrement pris sur lui de donner, et après avoir remis les reliques en leur premier état, il continue librement son chemin et exécute sa commission. Il existe dans le bourg de Douzy une église consacrée à ces saints martyrs, illustrée, dit-on par de grands miracles, et où de nombreuses guérisons ont été opérées par leur intercession. nfin, avec la permission de l'archevêque Artaud, le roi Othon fit transporter les reliques de saint Timothée en Saxe, et érigea un monastère en son honneur. On raconte beaucoup de miracles arrivés durant la translation, et je tiens d'Annon alors abbé, et maintenant évêque, qui présida à la conduite qu'outre plusieurs autres guérisons, douze boiteux et aveugles recouvrèrent la santé. Les restes de saint Apollinaire ayant aussi été transférés au monastère d'Orbay, des grâces éclatantes s'y obtiennent tous les jours en son nom.

 

CAPUT V.

De successoribus praemissorum praesulum.

Frequentibus igitur persecutionum procellis intonantibus, Ecclesiae puppis nostrae jactata, diversisque oppressa fluctibus, quoniam caput vix attollere poterat, quanto sedes ipsa tempore rectore vacua digno resederit, haud facile panditur, adeo ut post praemissos nostrae fidei Patres, beatum Sixtum atque Sinicium, unum duntaxat praesulem inveniamus Amansium ad imperium usque. Constantini, sub quo Betausius reperitur, qui cum Primogenito diacone suo, primus ex hac Belgica provincia legitur Arelatensi primae interfuisse synodo relatae per Marinum episcopum beatissimo papae Silvestro, Volusiano et Aniano consulibus. Post quem Aper, inde Maternianus, cujus reliquias ossium domnus Hincmarus archiepiscopus Ludovico regi Transrhenensi, se direxisse commemorat in epistola pro ejusdem, aliorumque sanctorum pignoribus ad eumdem regem transmissa. Hinc Donatianus exstitit episcopus, cujus etiam pignora maritimas in partes episcopii Noviomagensis vel Tornacensis perlata, vario signorum memorantur splendore decorata. Quem beatus Viventius tam celsus illustris vitae meritis, quam claro pontificalis sequitur ordine culminis. Cujus etiam sacra membra domno Ebone antistite nostro deferente, super fluvium Mosam translata, Braquis instructa ecclesia, dispositaque famulariorum caterva clericorum, debito deponuntur honore servanda. Ubi etiam pluribus olim renituisse praedicatur insignibus, claudis gressum, caecis quoque reformans aspectum, cui successit Severus.

CHAPITRE V.

Suite des évêques de Reims.

Comme au milieu des tempêtes de la persécution, le vaisseau de notre église, souvent ballotté et battu des flots put à peine faire tête à l'orage, il n'est pas facile de découvrir combien de temps le siège demeura vacant faute d'un digne gouverneur. Depuis les pères de notre foi, les bienheureux Sixte et Sinice, jusqu'au règne de Constantin nous ne trouvons qu'un seul évêque, nommé Amanse. Sous ce prince se rencontre Bétause, qui, avec Primogénite son diacre, siégea le premier de la province belgique au premier concile d'Arles[6] rapporté par l'évêque Marin au pontificat du bienheureux pape Sylvestre, sous le consulat de Volusien et d'Anian. Après Bétause vint Aper; après Aper, Maternien, dont les reliques furent envoyées à Louis d'Outre-mer par l'archevêque Hincmar, comme on le voit dans la lettre de ce prélat au roi au sujet de ces reliques et de celles d'autres saints. Le siège fut ensuite occupé par Donatien, dont les reliques, transférées dans la partie maritime du diocèse de Noyon ou de Tournai y ont opéré de nombreux et éclatants miracles. A Donatien succéda Vivien, aussi distingué par les mérites de sa vie que par la dignité pontificale. Ses restes sacrés ont été transportés sur la Meuse par notre archevêque Ebbon, et déposés dans l'église de Braux, érigée exprès, et desservie par un clergé nombreux, où ils reçoivent les hommages qui leur sont dus. De nombreux miracles, des boiteux redressés, la vue rendue aux aveugles, attestent la vertu des pieuses reliques. A saint Vivien succéda Sévère.

 

CAPUT VI.

De sancto Nicasio.

Post praemissos praesules beatus Nicasius cultu sequitur pontificatus, magnae vir charitatis, magnaeque constantiae, sub Vandalica in Galliis persecutione, sanctae sibi commissae validissimus rector Ecclesiae, in pace quidem nobilitator ac decorator, in periculis vero moderator et tutor, piis populum doctrinis et exemplis instituens, decoremque coelibis sponsae Christi Ecclesiae, fabricis et ornatibus attollens. Is namque sedis hujus sanctae basilica in honore perpetuae virginis Dei genitricis Mariae, divina traditur admonitus revelatione fundasse, quam proprio quoque consecravit sanguine. Cathedra siquidem pontificalis antiquitus in ecclesia, quae ad Apostolos dicitur, exstitisse fertur. Hic beatus antistes angelica praemonitione instructus, futuram longe ante praescisse docetur internecionem, peniciosamque prosperitatis redarguendo securitatem, imminentem divini praedixisse verberis ultionem. Portabat autem charitatis humeris anxius peccatorum crediti sibi gregis pondus, mori paratus pro omnibus, ut iram indignationis Dei a populo averteret, aut in ipsa certe vindicta, coelestem clementiam humilitatis spiritu et animo contrito placaret, ne usque ad animam, licet temporalis, at non aeternalis perveniret gladius. Sed quia verbi Dei semen in spinis divitiarum suffocatur consitum, prosperantesque, et in vanitate saeculi gloriantes, monita salutis, aure cordis ad fructificandum non admittunt: imo perituris impliciti occupationibus, nec vera vitae, quin lethifera peccati, mortisque stipendia sequentes, quoniam perfecte mala non oderant, vera sectari bona digne non valebant. Piam insuper religionem negligere, divinitatis praecepta postponere, vanitatibus inservire, concupiscentiae vitiis inhaerere, schismatica scandala suscitare, Deumque, proh dolor! in his omnibus haud metuebant offendere. Et ecce subito ejusdem prosperitatis temporibus, animositas dirissimarum gentium commota, Dei offensionis iram in diversas vindicatura provincias, intentione truculenta, Wandalorum multitudo properanter accelerat, subversis multarum munitionibus urbium, gladioque interemptis utriusque sexus progenitoribus cum filiis, non aliam dignitatis gloriam, non aliud aliquid in temporalibus lucris tam desideranter concupiscere cernebatur, quam humanum haurire ac fundere sanguinem, et Christianorum duntaxat sitire internecionem. Sub hujus vero tempestatis turbine, gloriosi renitebant in Galliis inter episcopos viri, sanctissimus Remorum praesul Nicasius, et beatissimus Aurelianensium pontifex Anianus, sanctus quoque Lupus Trecassinus, et beatus Servatius Tungrensis antistes, aliique nonnulli virtutibus insignes, qui hanc indignationis Dei, suis meritis ac precibus, iram diu differre certaverunt, ut omnibus haeresibus et pravitatibus populi restinctis, ad catholicam religionem et verum Dei cultum per poenitentiam revocarent, ac tantae persecutionis et divinae animadversionis gladium ab Ecclesiae cervicibus avocarent. Sed, proh nefas! Impius, ut scriptum est, cum in profundum peccatorum venerit, contemnit, salutaribus eorum praeceptis nullatenus obtemperabant. At vir beatissimus Nicasius praesul, instantibus studiis, continuisque doctrinis ac precibus, populum Dei ad poenitentiam seu patientiam, et triumphum martyrii provocabat, ut quos incauta prosperitas ad offensionis impulerat foveam, adversitatis devota tolerantia, non judicium damnationis, sed gratiam purgationis, causamque salutis efficeret.

Interea castrametantur agmina Wandalorum circa urbem Remorum, universaque regione depopulata, neces tantum inibi habitantium ferventissime pertractantes Christianorum. Hos veluti deorum suorum inimicos, et moribus paganorum contrarios, interimere, penitusque de terra delere ambiebant. Beatus itaque Nicasius animam suam pro fratribus, Christi sequens exemplum, ponere paratus, elegit, obnixeque proposuit, sibi commissum nullatenus omittere gregem, prorsus instituit, aut cum eis pariter vivere, aut pariter, quod eos paterfamilias perpeti vellet, sufferre, ne fugiendo, Christi videretur (sine quo non possunt homines vel vivere vel fieri Christiani) deserere ministerium. Unde et juxta beati Augustini sententiam, majorem charitatis reperit fructum quam qui non propter fratres, sed propter seipsum fugiens, atque comprehensus non negavit Christum, suscepitque martyrium. Metuebat enim potius antistes sanctissimus, ne se deserente, lapides vivi exstinguerentur, quam ne lapides et ligna terrenorum aedificiorum, se praesente, incenderentur, magis timens, ne destituta Christi corporis membra spiritali victu necarentur, quam ne membra corporis sui hostili oppressa impetu torquerentur. Paratus ad utrumque, ut, si non posset hic calix transire, fieret voluntas ejus, qui mali aliquid non potest velle. Nec requirebat quae sua sunt, sed imitans eum qui dixit: Non quaero quod mihi utile est, sed quod multis, ut salvi fiant. Et ne magis fugiendo obesset exemplo, quam vivendo prodesset officio, nulla ratione consensit esse fugiendum. Neque temporalem mortem (quae quandoque ventura est, etiamsi caveatur), sed aeternam (quae potest si non caveatur venire, et potest si caveatur etiam non venire) formidans; non sibi placens, nec personam suam in tantis periculis fuga digniorem, utpote gratia excellentem, judicans, ne ministerium in his maxime periculis necessarium, ac debitum, subtraheretur Ecclesiae. Non, ut mercenarius videns lupum venientem, dimissis ovibus fugit, sed ut pastor bonus, pro grege sibi credito animam paratissimus obtulit. Et quod melius agendum invenire potuit, sedulas ad Dominum pro se suisque fundere preces elegit.

Fatigatis igitur tandem praeliatoribus impugnatione continua, excubiis et inedia, furentibusque circumquaque hostibus, ac fortiter bello concutientibus urbem, nimio terroris taedio civitas universa perculsa, ad sanctissimum Nicasium in orationibus prostratum decurrunt, futuram paganorum victoriam pertimescentes, et auxilium consolationis ab eo velut a patre filii, requirentes. Interrogant quid utilius consilii faciendum decernat, aut servituti gentium sese tradere, aut ad mortem usque pro salute urbis dimicare. Beatus autem Nicasius coelitus divina praesciens revelatione, Remorum subvertendam civitatem, consolans eos, infatigabiliter Domini supplicabat clementiae, quatenus haec tribulatio mortis temporariae, non ad judicium, sed ad indulgentiam, persistentibus in vera fidei confessione proficeret; pro animae pugnare salute, non armis visibilibus, sed probis docens moribus, non corporalium fiducia virium, sed spiritalium exercitatione virtutum. Hanc supernam justo Dei judicio, peccantium sceleribus excitatam demonstrans indignationem. Certum salutis id praedicans esse consilium, si ad divina compuncti flagella converterent animum, suscipientes haec non inviti aut desperantes, ut iniquitatis filii; quin patientes ac mansueti, ceu filii pietatis, promissa regni coelestis praemia percepturi. Exhortans eos, spe salutis aeternae praesentem devotissime sufferre tribulationem, ultroque seipsos ad hanc offerre momentaneam necem, quo debitam reatibus perpetuae damnationis evadere mererentur ultionem, quatenus eis mors praesens, non supplicium, sed animarum fieret perenne remedium. Pro inimicis eos etiam admonens exorare, ut tandem aliquando resipiscerent ab iniquitatibus suis, et qui ministri tunc videbantur impietatis, possent cultores nonnunquam pietatis, sectatoresque fieri veritatis. Seipsum paratum esse depromens, ut bonum decet pastorem, pro ovibus animam ponere, praesentemque vitam contemnere, quatenus ipsi peccatorum veniam et salutem secum mererentur aeternam accipere.

Aderat etiam germana sua beata Eutropia, virgo Christi sacratissima, quae ob castitatis munitionem, sanctissimum semper imitando et adhaerendo sequebatur episcopum, ut et ab spiritalibus aliena nequitiis a Domino servaretur puritas mentis, et a carnalium corruptione delectationum tegeretur immunis integritas corporis. Ambo itaque plebem Dei pro viribus ad coronam martyrii piis exhortationibus animabant, et agonem victoriae suae Domino precibus commendabant. Dei tandem decreto judicio irruptionis die, dum paganorum furibundum beatus praesul Nicasius irruere comperit impetum, sancti Spiritus virtute roboratus, alma comitante sorore, cum hymnis et canticis spiritalibus ad ostium basilicae sanctae Dei genitricis Mariae, quam ab codem in hujus urbis arce fundatam memoravimus, traditur occurrisse, dumque divinae deditus psalmodiae, versum Domino Davidicum pia voce decantat, inquiens: Adhaesit pavimento anima mea, mox, insequente gladio cervicem caesi, verbum pietatis ab ore non defecit, capite in terram cadente, immortalitatis (ut traditur) sententiam prosecuto: Vivifica me secundum verbum tuum, inferendo.

Sancta vero Eutropia videns impietatem circa se quasi mitigatam, et pulchritudinem suam ceu paganorum litibus reservatam, super eumdem sacerdotis interfectorem insiliens, magnoque clamore increpitans, et ad martyrii sui bellum provocans, sacrilegi alapa faciem percussi, oculos, divini virtute numinis evulsos, in terram proditur effudisse. Quae mox insanientium ferro jugulata, sacro fuso sanguine, palmam victoriae cum germano suo pontifice Christi, caeterisque triumphatoribus sanctis, adipisci promeruit. Fuere siquidem nonnulli, tam ex clero, quam ex laicali coetu, constantiae hujus consectatores ac comites, qui per praesentis tolerantiae participationem, aeternae beatitudinis cum hoc beatissimo Patre suo consequi certavere communicationem. Inter quos Florentius diaconus, et beatus Jocundus exstitisse clarissimi referuntur; quorum capita Remis post altare sanctae Dei genitricis Mariae tumulata servantur. Barbaros igitur de constantia virginis, et profani speculatoris subitanea mulctatione stupefactos, expleta caede, sacro mundante cruore, terribilis omnes horror invasit, quasi coelestes acies dimicantes, tanti sceleris vindices aspicientes, ipsa quoque horrendo reboante basilica sonitu. Relictis ergo passim spoliis, territa Wandalorum agmina, dum divinam metuunt ultionem, irrevocabiliter per diversa fugientes, invasam trepidi deserunt civitatem. Qua diu sic manente solitaria, Christianis qui ad munitiones montium fugerant, incursiones paganorum trepidantibus, paganis vero coelestes quos ibi pertulerant horrores pertimescentibus, sub divina duntaxat angelicaque custodia, sanctorum servabantur inibi martyrum corpora; ita ut in noctibus a longe coelestia cernerentur lumina, et suavissimi sidereis supernarum soni virtutum choreis dulciter reboantibus, audirentur a nonnullis carmina. Unde et coelestis victoriae revelatione confortati tandem concives, qui ad sepelienda sanctorum corpora, divina remanserant providentia, cum precum votis ad urbem regredientes, inaestimabilem suavitatis odorem, ubi sanctorum decorabantur funera, hauriunt, gaudioque permiscentes gemitum, lacrymosis Dominum laudibus magnificant, et ad tumulandum sacra se praeparantes pignora, congruis ea circa civitatem locis veneranter recondunt. Beatissimi vero Nicasii praesulis ac sororis ejus, sacratissima solemniter in coemeterio sancti Agricolae, templo quondam a Jovino, Christianissimo Romanae militiae magistro, longe scilicet ante fundato, magnificeque decorato, collocant membra, ut appareat, instinctu divinae procurationis, ad celebritatis istorum dignitatem magis, quam ad primae praeparatam fuisse conditionis auctoritatem. Hanc autem basilicam praefatus vir Jovinus, his versibus, aureo praetitulavit decore.

Felix militiae sumpsit devota Jovinus
Cingula, virtutum culmen provectus in altum:
Bisque datus meritis equitum, peditumque magister,
Extulit aeternum saeculorum in saecula nomen,
Sed pietate gravi tanta haec praeconia vicit,
Insignesque triumphos relligione dicavit,
Ut quem fama dabat rebus superaret honorem,
Et vitam factis posset sperare perennem.
Conscius hic sancto manantis fonte salutis,
Sedem vivacem moribundis ponere membris,
Corporis hospitium laetus metator adornat,
Reddendos vitae salvari providet artus.
Omnipotens Christus judex venerabilis, atque
Terribilis, pie, longanimis, spes fida precantum,
Nobilis eximios famulis non imputat actus.
Plus justo fidei ac pietatis praemia vincant.

Ubi posteaquam sunt horum deposita sanctorum martyrum corpora, innumerabilibus eadem Ecclesia constat miraculorum signis redimita, ut et eorum meritis ac precibus, multitudo languentium recuperationis inibi percipiat alacritatem, et exemplis ipsorum plebs ad coelestem devot discat properare sublimitatem. Meminit hujus barbaricae persecutionis beatus Hieronymus scribens ad quamdam adolescentulam viduam Aggerunchiam nobilem, et exhortans eam de perseverantia viduitatis, ita memorando inter caetera: « Innumerabiles et ferocissimae nationes universas Gallias occuparunt. Quidquid inter Alpes et Pyrenaeum, quod Oceano et Rheno includitur, Quadus, Wandalus, Sarmata, Alani, Gepides, Heruli, Saxones, Burgundiones, Alamanni, et, o lugenda respublica! hostes Pannonii vastaverunt. Etenim Assur venit cum illis. Magontiacus, nobilis quondam civitas, capta atque subversa est, et in ecclesia multa millia hominum trucidata. Wangiones longa obsidione deleti. Remorum urbs praepotens, Ambiani, Atrabates, extremique hominum Morini, Tornacus, Nemetes, Argentoracus translatae in Germaniam. Aquitaniae, Novemque populorum Lugdunensis, et Narbonensis provinciae, praeter paucas urbes, cuncta populata sunt, quas et ipsas foris gladius, intus vastat fames, » etc.

In praefata denique basilica beatus Remigius morandi traditur habuisse consuetudinem, quatenus sanctorum martyrum meritis, ut erat spiritu semper, ita proximus redderetur et corpore. Monstratur adhuc aedicula secus altare ubi secrete Domino vacare, et inspectori summo, beatissimae speculationis hostias, turbis remotus popularibus, devotissime consueverat immolare. Istuc enim intentus his degebat officiis, quando comperto urbis incendio, cum divinitatis invocatione deproperans, sanctorum fultus suffragio, lapidibus ecclesiae graduum deinceps expressa reliquit vestigia.

CHAPITRE VI.

De saint Nicaise.

Après les évêques dont nous venons de parler, le siège épiscopal fut occupé par saint Nicaise, homme d'une grande charité et constance, qui sut gouverner avec vigueur, au milieu de la persécution des Vandales, le troupeau confié à ses soins pendant la paix, source d'éclat et de gloire pour son église; au milieu des dangers, guide courageux et protecteur fidèle; formant le peuple par ses pieuses doctrines et-ses vertueux exemples, et relevant la splendeur de l'Eglise, chaste épouse de Jésus-Christ, par de riches fondations. Jusqu'à lui la chaire épiscopale avait été attachée à l'église dite des Apôtres inspiré par une révélation divine, il érigea une nouvelle basilique en l'honneur de la bienheureuse Mère de Dieu, toujours vierge, où il transféra le siège épiscopal, et qu'il consacra bientôt de son sang. Ce saint évêque, averti par un ange, prévit longtemps d'avance les massacres qui devaient désoler la Gaule, et, pour réprimer la fatale confiance d'une aveugle prospérité, il annonçait les vengeances de la colère divine. Son inquiète charité portait avec douleur le poids des péchés de son troupeau prêt à mourir pour le salut de tous, il s'offrait, afin de détourner de son peuple la colère de Dieu; ou, puisque sa ruine était inévitable, cherchant à gagner la clémence de Dieu par l'humilité d'un cœur contrit et résigné, il s'efforçait, sinon d'arrêter le glaive temporel, au moins d'empêcher que le glaive éternel ne pénétrât jusque dans les âmes. Mais comme la semence de la parole de Dieu ne peut germer au milieu des épines des richesses, ceux qui prospèrent et se glorifient dans la vanité du siècle n'ouvrent point leur cœur aux conseils salutaires, et ne les y reçoivent point pour les faire fructifier distraits par les embarras de mille occupations passagères, au lieu de poursuivre la véritable vie, ils s'engagent sous les étendards funestes du péché et de la mort et parce qu'ils ne haïssent pas assez profondément le mal, ils sont incapables de faire dignement le bien. Aussi les peuples ne craignaient pas de mépriser la sainte religion, de violer les commandements de Dieu, de se rendre esclaves des vanités, de se souiller des vices de la concupiscence, d'exciter des scandales et des schismes, et enfin, ô douleur d'offenser Dieu par toutes les iniquités. Mais tout à coup, au milieu même des jours de prospérité, Dieu suscite la colère des nations les plus barbares des hordes de Vandales se précipitent furieuses dans les diverses provinces pour venger ses offenses les murs des villes tombent devant eux; les familles périssent par le glaive avec leur postérité. Les barbares semblent n'aspirer à aucune gloire, ne chercher aucun profit. Ils ne veulent que verser, épuiser le sang humain ils ne sont altérés que du carnage des Chrétiens. Au milieu de cette affreuse tempête, de glorieux évêques brillaient dans les Gaules; à Reims, le grand saint Nicaise à Orléans, le bienheureux saint Anian à Troyes, saint Loup à Tongres, saint Servais, et quelques autres prélats fameux par leurs vertus, qui retardèrent longtemps par leurs prières et leurs mérites l'éclat de la colère de Dieu, s'efforçant d'éteindre l'hérésie et les vices parmi le peuple, de le ramener par la pénitence à la religion catholique et au vrai culte du Seigneur, et de détourner de la tête de l'Eglise chrétienne le glaive d'une si terrible persécution et des vengeances divines.

Cependant les Vandales viennent camper devant Reims, ravagent tout le pays, et poursuivent avec acharnement la perte des Chrétiens enfermés dans la ville ils veulent détruire et effacer de la surface de la terre ces ennemis de leurs dieux et des mœurs païennes. A l'exemple de Jésus-Christ, saint Nicaise prêt à donner sa vie pour ses frères prend la ferme résolution de ne point abandonner son troupeau il veut, ou se sauver avec eux, ou souffrir tout ce que voudra leur faire souffrir le Père de famille, dans la crainte qu'en fuyant il ne semblât délaisser le ministère de Jésus-Christ, sans lequel les hommes ne peuvent vivre ni devenir chrétiens. Aussi, selon la pensée de saint Augustin, a-t-il acquis les mérites d'une plus grande charité que celui qui, surpris dans sa fuite, confessa cependant Jésus-Christ, et mourut martyr, mais non pas pour ses frères, et n'ayant songé qu'à lui-même. Le saint évêque craignait bien plus que sa fuite ne détruisît les pierres vivantes de l'édifice divin, que de voir tomber et brûler sous ses yeux les pierres et les bois des édifices terrestres; redoutant mille fois moins de livrer les membres de son propre corps aux tortures et à la rage des ennemis, que de laisser mourir les membres du corps de Jésus-Christ privés de la nourriture spirituelle il était résigné, si ce calice ne pouvait passer loin de lui à faire la volonté de celui qui ne peut vouloir rien de mal, et ne cherchait point son bien, mais imitait celui qui a dit : « Je ne cherche point ce qui m'est avantageux en particulier mais ce qui est avantageux a plusieurs pour être sauvés. » Persuadé donc que sa fuite serait plus funeste peut-être par le mauvais exemple que ses services ne seraient un jour profitables s'il conservait sa vie, aucune raison ne put le déterminer à fuir. Il ne craignait pas la mort temporelle, qui vient toujours tôt ou tard, lors même qu'on cherche à l'éviter, mais la mort éternelle, qui peut venir si on ne l'évite pas, et ne pas venir si on l'évite. Loin de se complaire en lui-même, et de croire sa personne plus précieuse et plus digne d'être tirée du danger que toute autre, comme plus éminente en grâce, il s'obstina à rester, afin de ne pas priver l'Eglise de son ministère, nécessaire surtout en de si grands périls on ne le vit point, comme le gardien mercenaire, abandonner ses brebis, et fuir à l'aspect du loup mais, semblable au bon pasteur, il offrit généreusement sa vie pour son troupeau enfin il lui sembla que, dans cette extrémité, ce qu'il avait de mieux à faire c'était d'adresser de ferventes prières au Seigneur, pour lui et pour les siens, et il choisit ce parti.

Cependant les assiégés succombent aux fatigues de la défense, aux veilles, au besoin; l'ennemi au contraire redouble de fureur, bat de toutes parts les murs avec succès, tout le peuple est frappé de terreur et de découragement tous accourent auprès de saint Nicaise, prosterné en prière au pied des autels désespérés, tremblants de la victoire prochaine des barbares, ils lui demandent des consolations, comme des enfants à leur père ils le supplient de décider ce qu'il y a de plus utile à faire, ou de se soumettre à la servitude des barbares, ou de combattre jusqu'à la mort pour le salut de la ville. Le saint pasteur, à qui Dieu a fait connaître par révélation que Reims doit périr, console son peuple, et ne cesse cependant d'implorer la clémence du Seigneur, afin que cette tribulation de la mort temporelle, loin d'être leur perte éternelle, profite au contraire à leur salut et qu'ils persistent dans la confession de la vraie foi; il les exhorte à combattre pour le salut de leur âme non avec des armes visibles, mais par de bonnes mœurs non avec l'appui des forces corporelles, mais par l'exercice de toutes les vertus spirituelles il leur rappelle que la punition qui les frappe est un juste jugement de Dieu contre leurs péchés; il leur répète sans cesse qu'il n'y a d'autre moyen de salut que de s'humilier avec componction sous les coups de la vengeance divine, de les recevoir, non point avec murmure et désespoir, comme des enfants d'iniquité, mais avec patience et douceur, comme des enfants de piété qui attendent les récompenses du royaume céleste. Souffrez, leur dit-il, souffrez avec dévotion ces tribulations d'un jour dans l'espoir d'une éternité de bonheur; offrez-vous de bon cœur à cette mort d'un moment, pour éviter les peines d'une damna tion éternelle méritée par vos fautes trouvez votre salut dans votre perte, et au lieu de supplice, l'éternelle guérison de vos âmes. Pliez pour vos ennemis, afin qu'ils reconnaissent leurs iniquités, et que ceux qui sont aujourd'hui les ministres de l'impiété deviennent un jour les disciples de la piété, et les sectateurs de la vérité. Enfin, il déclare que pour lui, il est prêt, comme le bon pasteur, à donner sa vie pour son troupeau, et à braver la mort temporelle, pourvu qu'ils obtiennent avec lui le pardon de leurs fautes et le salut éternel.

Le pieux évêque était secondé par sainte Eutrope sa sœur, chaste épouse de Jésus-Christ, qui, mettant sa vertu sous la protection de son frère, imitait en tout ses exemples et ne le quittait jamais, afin de préserver la pureté de son âme des souillures spirituelles, et la chasteté de son corps de la corruption des plaisirs charnels. Tous deux animaient le peuple de tous leurs efforts à briguer la palme du martyre, et demandaient en même temps pour lui au Seigneur le prix de la victoire. Enfin le jour marqué de Dieu pour le triomphe des barbares étant arrivé, aussitôt que saint Nicaise voit leurs hordes furieuses se précipiter dans la ville fortifié par la vertu de l'Esprit saint, et accompagné de sa bienheureuse sœur, il se présente au-devant d'eux à la porte de l'église de la sainte vierge Marie, mère de Dieu chantant des hymnes et des cantiques spirituels. Pendant que, tout entier à la sainte psalmodie, il chante ce verset de David Mon âme a été comme attachée à la terre sa tête tombe tranchée par le glaive. Cependant la parole de piété ne manque point, en sa bouche; car sa tête, roulant à terre, poursuit la sentence d'immortalité, et il continue Seigneur, vivifiez-moi, selon votre parole.

Mais sainte Eutrope voyant l'impiété s'adoucir à sa vue, et craignant que sa beauté ne fût réservée aux débats et à la brutalité des païens, se précipite sur le sacrilège meurtrier de l'évêque l'insultant à grands cris, provoquant son martyre elle le frappe d'un soufflet, lui arrache les yeux, animée par une force divine, et les jette à terre. Bientôt égorgée par les barbares transportés de fureur, et donnant son sang à son Dieu elle partagea avec son frère et d'autres saints victorieux la palme du martyre; car parmi le peuple, beaucoup, soit clercs, soit laïques, imitèrent cette constance; et, participant à la souffrance, méritèrent de participer aussi à l'éternelle béatitude de leur père selon Jésus-Christ. On cite entre autres, comme les plus illustres, le diacre Florent et saint Joconde, dont les têtes sont conservées à Reims derrière l'autel de la sainte vierge Marie, mère de Dieu.

Cependant les barbares demeurent étonnés de la constance de la vierge et de la subite punition du meurtrier. Les massacres étaient finis, le sang des saints ruisselait à grands flots; tout-à-coup une horreur d'épouvanté les saisit; ils voient des armées célestes qui viennent venger le sacrilège la basilique retentit d'un bruit épouvantable. Redoutant la vengeance divine, ils abandonnent le butin; leurs bataillons fuient dispersés et quittent en tremblant la ville, laquelle demeura longtemps solitaire; car les Chrétiens, réfugiés dans les montagnes, n'osaient en descendre dans la crainte des barbares, et les barbares redoutaient d'y retrouver les célestes visions qui les avaient frappés. Dieu seul et ses anges veillaient à la garde des saints martyrs; tellement que la nuit on voyait de loin des lumières célestes; quelques-uns même entendirent les saints et doux concerts des Vertus et des Dominations du paradis. Rassurés enfin par cette miraculeuse révélation de la victoire divine, les habitants que la Providence avait conservés pour ensevelir les saints rentrent dans Reims en faisant des prières. Arrivés au lieu ou gisent les corps, ils sentent s'exhaler une odeur de parfums délicieux. Mêlant la joie aux gémissements ils célèbrent en pleurant les louanges du Seigneur, préparent pour la sépulture les saintes reliques, et les déposent avec respect en des lieux convenables autour de la ville. Quant aux corps de saint Nicaise et de sainte Eutrope sa sœur, ils les ensevelirent solennellement dans le cimetière de l'église de Saint-Agricole, fondée longtemps auparavant, et magnifiquement décorée par Jovin, homme très chrétien et maître de la cavalerie romaine; en sorte qu'il semblerait que la Providence eut préparé de loin cette demeure sainte, plutôt pour la dignité et, célébrité de ces saints martyrs, que pour le dessein et la condition de sa fondation première. Depuis que les corps de ces saints martyrs ont été déposés dans cette église, d'innombrables miracles l'ont illustrée.

Par leurs mérites et leurs prières, les malades y ont recouvré la santé et la force, et leur exemple enseigne aux fidèles à marcher dans le chemin du ciel. Saint Jérôme écrivant à une jeune veuve de noble origine, nommé Aggerunchia, et l'exhortant à persévérer dans le saint état du veuvage, fait mention de cette persécution des barbares il dit entre autres choses D'innombrables nations de barbares s'emparèrent de toute la Gaule. Les Quades, les Vandales, les Sarmates, les Alains, les Gépides, les Hérules les Saxons, les Bourguignons, les Allemands, les Pannoniens, horrible république, ravagèrent tout le pays renfermé entre les Alpes et les Pyrénées, entre l'Océan et le Rhin. Assur était avec eux. Mayence, ville autrefois fameuse, fut prise et saccagée, et des milliers de Chrétiens furent égorgés. La capitale des Vangions[7] fut ruinée par cc un long siège. Les peuples de la puissante ville de Reims, d'Amiens, d'Arras; les Morins, situés aux extrémités de la Belgique, ceux de Tournai, de Spire, de Strasbourg, furent transportés dans la Germanie; les Aquitaines, la Novempulanie lyonnaise la Narbonnaise furent dévastées excepté quelques villes, que le fer ruinait au-dehors et a la famine au-dedans.

Enfin on dit que saint Rémi avait fixé sa demeure dans cette basilique, afin que comme en esprit il approchait sans cesse des mérites des saints martyrs, il en approchât aussi en corps et en personne. On montre encore aujourd'hui, près de l'autel, le petit oratoire où il aimait à prier en secret, et à offrir, loin du bruit populaire, au Dieu qui voit tout les saintes hosties de contemplation. C'est là qu'un jour il vaquait à ces pieux exercices, lorsque, apprenant tout-à-coup l'incendie de la ville, il accourut pour l'arrêter en invoquant le Seigneur, et, secondé de l'appui des saints, laissa les traces de ses pas empreintes pour toujours sur les pierres des degrés de l'église.

 

CAPUT VII.

De miraculis ipsius ecclesiae.

Diversis etiam multimoda clarificatione fertur haec illustrata temporibus aedes. Sed nos unum tantum, quod nostris fere diebus actum, referentibus nostris qui interfuere patribus, agnovimus, propalandum putavimus. Solemnitas hiemali tempore praefatorum agebatur martyrum quae solito XIX Kal. Januarias celebrari consuevit. Ad cujus celebritatis vigilias fratres temperius exsurgentes, custodes ipsius ecclesiae dormientes, ostia quoque diligenter obserata reperiunt. Quaeque diutius obterendo pulsantes, dum neminem responsa dantem deintus accipiunt, domum presbyteri petunt portamque crebris incutientes ictibus, et tecta lapidibus verberantes, ubi nullum sibi qui pandat excitare praevalent templi januam repetunt; quam sponte patentem reperientes, accensa luminaria cuncta vident; sed auctorem facti neminem intus aspiciunt. Sicque post orationem Christo gratias agentes, nocturnas ineunt laudes. Quibus jam magna parte decursis, ad horum voces presbyter excitatur, rem cum suis admiratus, hymnos dicturus cum caeteris stupefactus approperat. Nullumque demum accensionis hujus, vel reserationis reperire queunt administrationem, nisi summum divini duntaxat muneris largitorem, qui sanctorum suorum jugi mirorum splendore, propagare non desistit honorem.

Hujus autem beati pontificis et martyris pignora quaedam Noviomagensium episcopus quidam obtenta, suam pertulit ad civitatem. Quae tam apud Noviomum, quam et apud Tornacum castrum (ubi nunc quoque servari perhibentur) claris, multisque referuntur illustrata miraculis.

Postea vero caetera corporis ejusdem martyris Fulco archiepiscopus, simul cum corpore beatae sororis ejus Eutropiae intra Remensia transvexit moenia, retroque post altare sanctae Dei genitricis Mariae, ubi ea modo veneramur, juxta beati papae Callisti membra, debita recondidit reverentia.

CHAPITRE VII.

Des miracles de l'église de saint Nicaise.

Différées miracles ont, à différentes époques, illustré cette église. Mais nous n'en rapporterons qu'un seul, qui a eu lieu presque de nos jours, et que nous tenons de nos pères, qui en ont été les témoins. On était à la fête de saint Nicaise et de ses compagnons, qui se célèbre pendant les quatre-temps d'hiver, le 14 décembre. La veille de la fête des fidèles levés de trop bonne heure, viennent à l'église pour les vigiles ils trouvent les gardiens endormis et les portes soigneusement fermées. Après avoir frappé longtemps, et ne recevant aucune réponse ils vont au presbytère là encore ils ont beau frapper à grands coups, jeter des pierres, personne ne se lève pour leur ouvrir. Impatientés, ils reviennent à l'église, et, à leur grand étonnement trouvent les portes ouvertes, tous les cierges allumés et cependant ils ne voient personne dans l'église. Après avoir fait une prière d'actions de grâces à notre Seigneur Jésus-Christ, ils commencent à chanter nocturnes. Déjà l'office était presque fini lorsque, réveillé par leurs chants, le curé accourt, et arrive tout étonné pour entonner les hymnes. Il admire avec le peuple et cherche à s'expliquer cette surprise; mais c'est en vain; on ne put découvrir personne qui eût allumé les cierges et ouvert les portes, si ce n'est le souverain dispensateur des grâces, qui ne cesse de propager la gloire de ses saints, en la faisant éclater chaque jour par de nouvelles merveilles.

Un évêque de Noyon obtint quelques parties des reliques de ce bienheureux évêque et martyr et les transféra dans son diocèse; et là, tant à Noyon qu'à Tournai où on les conserve dit-on encore aujourd'hui, elles ont fait de grands et nombreux miracles.

Depuis, l'archevêque Foulques a fait enlever et transporter dans Reims les restes du corps du martyr, avec celui de sainte Eutrope sa sœur, et les a déposés avec tous les honneurs dus à leurs mérites dans l'église de Notre-Dame, Marie mère de Dieu derrière l'autel auprès des reliques du bienheureux pape Calixte où nous les révérons et honorons aujourd'hui.

 

CAPUT VIII.

De sancto Oriculo et sororibus ejus.

Sub eadem Wandalorum, vel Hunnorum persecutione, quidam Dei servus, Oriculus nomine, Deo vacabat, cum sororibus suis Oricola et Basilica, in hoc eodem episcopatu Remensi, in pago Dulcumensi, vico Sinduno in ecclesia quam construxerat, ubi fertur quoque peremptus a barbaris cum praedictis sororibus suis. Traditur etiam caput suum, postquam decollatus est, ipse in quodam fonte lavisse. De sanguine quoque suo signum crucis (quod adhuc manifeste parere dicitur) in quadam petra digito figurasse suo, et proprium manibus caput ferens, sepulcrum, quod sibi construxerat, expetisse; ad quod multa miracula referuntur ostensa. Erat olim quidam rusticus ibi manens, cui revelatio in somnis facta est, ut fontem de quo caput sibi sanctus Dei, ceu diximus, laverat, tecto cooperiret. Qui postquam bis admonitus facere id distulit, in infirmitatem decidit, in qua integro anno aegrotans decubavit. Post haec votis, ut jussa compleret, promissis, convaluit, et fontem ligneis tabulis circumdans, operuit; ex quo fonte potantes, a diversis multi curantur languoribus. Presbyter ejusdem loci, nomine Betto, balneum ex ipsius puteo, quem infra ecclesiam hic sanctus martyr edidisse traditur, sibi parari praecepit, quo postquam ablutus est balneo sic elanguit, ut usque ad anni terminum aegrotus jacuisse, nec adhuc perfecte postea reviguisse constiterit. Quorum sanctorum corpora uno dudum sarcophago recondita tempore Seulfi archiepiscopi levantur e terra, humo prius sponte patefacta, et loculo, in quo jacebant, ultro sursum mirabiliter elevato.

CHAPITRE VIII.

De saint Oricle et de ses sœurs.

Au temps de la même persécution des Vandales ou des Huns, un fidèle serviteur de Dieu, nommé Oricle, exerçait le saint ministère avec ses sœurs, Oricule et Basilique, dans le diocèse de Reims, au territoire du. Dormois, dans le village de Senuc, où il avait lui-même fait bâtir une église. On lit de lui qu'après avoir él décollé, il lava lui-même sa tête dans une fontaine, et que de son sang il traça avec son doigt le signe de la croix sur une pierre où on le voit encore aujourd'hui. On dit aussi que, portant sa tête dans ses mains, il alla jusqu'au tombeau qu'il s'était fait construire, et que depuis plusieurs miracles ont signalé. Une nuit, un paysan du village eut en songe une révélation qui lui ordonnait de couvrir d'un toit la fontaine où le saint avait lavé sa tête. Deux fois il reçut le même avertissement, et deux fois il différa de le suivre alors il tomba malade, et resta sur son lit toute une année. Enfin, ayant fait vœu d'accomplir sa mission, il recouvra la santé et couvrit la fontaine d'un toit de bois. Depuis, l'eau de cette fontaine est en grand renom et guérit ceux qui en boivent de diverses maladies. Une autre fois, le curé du lieu, nommé Beton, se fit tirer un bain de l'eau d'un puits que le saint martyr a dit-on, fait creuser au-dessous de l'église. Après s'y être baigné, il tomba en langueur, et ne put quitter le lit d'un an, au point que jamais dans la suite il n'a pu se rétablir entièrement. Les corps de ces saints ont reposé longtemps dans le même tombeau mais un jour la terre s'étant ouverte d'elle même, et le cercueil où ils gisaient s'étant miraculeusement soulevé aussi de lui-même, l'archevêque Séulphe fit enlever les reliques.

 

CAPUT IX.

De successoribus beati Nicasii.

Post praememoratam Wandalorum discessionem, beatae Nicasio Baruc episcopali sede traditur successisse, quem Barucius, inde Barnabas subsecuti feruntur; tum Bennadius, cujus tamen Bennagius nomen in testamento suo, propria ipsius manu (velut inibi legitur) perscripto, reperitur caraxatum. Hujus enim ipse testamenti auctoritate, rerum suarum haeredem Remensem fecit Ecclesiam cum fratris sui filio, quem in sacro fonte, sub gratiae sempiternae traditione, se commemorat suscepisse. Inter caetera vero vas argenteum ab antecessore suo sanctae recordationis episcopo Barnaba, sibi, ut meminit, testamento collatum, Ecclesiae suae delegat haeredi, quod ad ipsius ornamentum (cum illud proprios distrahere potuisset in usus) se asserit reservasse. Deputat et solidos viginti ad ejusdem Ecclesiae reparationem, cum agellis et sylvis; presbyteris ipsius ecclesiae solidos octo: diaconibus solidos quatuor; ad captivos solidos viginti; subdiaconibus solidos duos; lectoribus solidum unum; ostiariis et exorcistis solidum unum, sanctimonialibus et in matricula positis solidos tres. Haeredem suam subinferendo alloquens ecclesiam, ut in se ducat esse collocatum, quidquid presbyteris, diaconibus, ac diversis clericorum scholis, captivis quoque et pauperibus, pro refrigerio sui fuisset in commemoratione devotum.

CHAPITRE IX.

Des successeurs de saint Nicaise.

Après la miraculeuse retraite des Vandales que nous avons racontée, Baruc succéda à saint Nicaise sur le siège épiscopal; à Baruc Baruce, et après Baruce, Barnabé et Bennade ou Bennage, comme on lit son nom écrit de sa propre main dans son testament. Par ce testament, Bennage institue pour ses héritiers l'église de Reims et le fils de son frère, qu'il déclare avoir tenu sur les fonts de baptême et avoir élevé comme son fils, selon la grâce. Entre autres legs il donne à l'église, son héritière, un vase d'argent qu'il dit lui avoir été donné aussi par testament par son prédécesseur, de bienheureuse mémoire, l'évêque Barnabé. J'aurais pu, ajoute-t-il le distraire à mon usage, mais je l'ai réservé pour le service et l'ornement de l'église. Il lègue aussi pour l'entretien de l'église vingt tous d'or, avec des champs et des bois; il assigne aux prêtres desservants huit sons d'or, aux diacres quatre sous, aux prisonniers vingt sous, aux sous-diacres deux sous, aux lecteurs un sou, aux huissiers et exorcistes un sou enfin aux religieuses et veuves de l'Hôtel-Dieu trois sous. S'adressant ensuite à l'église, son héritière, il lui recommande de regarder comme son propre bien tout ce qu'il assigne aux prêtres, diacres, et aux divers degrés de la cléricature, comme aussi aux prisonniers et aux pauvres, afin de faire prier Dieu en mémoire de lui et pour le repos de son âme.

 

CAPUT X.

De sancto Remigio.

Praefato Bennagio beatissimus succedens Remigius, imbuendis ad fidem praefulgidum surrexit lumen gentibus. Quem divina pietas, ut Fortunatus quoque poeta noster asserit, non solum priusquam nasceretur, sed et antequam conciperetur, elegit; in tantum, ut Montanus quidam monachus, dum levissimo sopore quiesceret, tertio fuisset admonitione pulsatus, ut matri suae benedictae Ciliniae, quod masculum conceptura esset, veridica relatione praediceret, et nomen ejus vel meritum designaret. Hic itaque Montanus in reclusione solitariam vitam ducens, jejuniis, vigiliis et orationibus assidue vacans, caeterarum quoque virtutum insignibus divinitati se commendabilem reddens, dum supernam Christi clementiam pro pace sanctae ipsius Ecclesiae, quae variis apud Galliarum provincias vexabatur afflictionibus, indefessis precibus exoraret; ubi quadam nocte carnis compellente fragilitate, membra permittit sopori, quiete reparanda, angelicis subito per divinam gratiam choris, sanctarumque sibi videtur animarum coetibus interesse, celeberrimum quoque haurire colloquium, eosque de Gallicanae dejectione vel restitutione Ecclesiae conferentes, et quia jam tempus esset miserendi ejus, percensentes, audire. Interea vocem a superioribus atque secretioribus suavissime intonantem excipit: « Quod Dominus de excelso sancto suo prospexit, de coelo in terram aspexit, ut audiret gemitus compeditorum, ut solveret filios interemptorum, ut annuntietur nomen ejus in gentibus, in conveniendo populos in unum et reges, ut serviant ei. » Et quod Cilinia in utero concipiens, filium pareret, nomine Remigium, cui salvandus foret populus committendus.

Vir igitur iste venerabilis tanto percepto solamine, post tertiam divinae super his praeceptionis admonitionem, visionis aethereae nuntiat oraculum Ciliniae. Haec autem beata genitrix in flore dudum juventutis, ex unico viro suo Aemilio pepererat Principium, Suessorum civitatis postea sanctum episcopum, et patrem beati Lupi, ejusdem Principii successoris. Miratur beata Cilinia, utpote jam provecta, quonam pacto sit anus paritura, vel sobolem lactatura. Et quia tam vir ejus, quam ipsa diebus jam multis processerant, effeti et carne infecundi, nec spes eis ulterius procreandi, nec appetitus inerat pignoris. Beatus vero Montanus, ut meritis accresceret patientiae, corporalium privatus oculorum ad tempus exstiterat lumine. Qui dictis ut fidem faceret, oculos sibi lacte ipsius asserit perungendos, moxque lumen amissum, pueri sibi fotu recipiendum. Gavisis ergo de tanta consolatione parentibus concipitur futurus Christi pontifex; cujus adminiculante gratia feliciter editus, nomen sacro sumit e fonte Remigius. In cujus lactatione promissum pridem vati gaudium, veraciter adimpletur, dum ejus oculis beatae matris illius lacte tactis, lumen olim perditum reparatur. Ortus est autem puer iste, praeconiis declaratus antequam natus, in pago Laudunensi, alto parentum sanguine, jam tamen senum, diuque sterilium resplendens, insigne mirificatus in ortu, qui magnifice disponebatur mirificandus in actu. Nomen illi digne divina imponitur jussione Remigius, utpote qui Ecclesiam Dei, specialiterque Remorum, in hujus fluctuantis vitae salo remis erat doctrinae recturus, et ad portum salutis aeternae, meritis et orationibus perducturus. Remedium tamen eum fuisse vocatum in veteribus quibusdam reperitur scriptis. Quod et merita vel acta ipsius attendentes, rite crederemus, nisi gestis emendatioribus, oraculo illum divino, Remigium nuncupari debere cognosceremus. In versibus etiam ab eo compositis, et ejus praecepto in vase quodam per eumdem Deo dicato sculptis, ita lectum asseritur:

Hauriat hinc populus vitam de sanguine sacro,
Injecto aeternus quem fudit vulnere Christus:
Remigius reddit Domino sua vota sacerdos.

Quod vas usque ad moderna tempora perduravit, donec fusum, Nordmannis dudum in redemptionem datum est Christianorum. Hujus beatissimi Remigii nutrix beata Balsamia fuisse traditur, quae mater exstitisse sancti Celsini memoratur; qui et ipse beati Remigii discipulus fuisse familiaris asseritur, miraculis quoque postmodum claruisse dignoscitur, et aequorum maxime votis adhuc insignis habetur: in cujus et ipsa beata genitrix ejusdem requiescit ecclesia.

Traditus a parentibus scholae beatus Remigius litteris imbuendus, brevi coaevis, sed et natu majoribus doctrina eminentior est effectus. Cunctos superans condiscipulos, morum maturitate ac benevolentiae charitate, populorum studens turbas vitare, atque solitarius in reclusione Domino deservire, quod et obtinuit, habitaque, sanctae conversationis studiis adolescens pius, inclusione, Lauduni Christo militavit.

CHAPITRE X.

De saint Rémi.

Après l'évêque Bennage, le bienheureux saint Rémi apparut comme un astre éclatant pour conduire les peuples à la foi. Selon l'expression de notre poète Fortunat la prédilection divine le choisit, non pas seulement avant qu'il fût né, mais même avant qu'il fût conçu car un saint moine, nommé Montan, reposant d'un léger sommeil fut par trois fois averti de prédire en vérité à sa bienheureuse mère Cilinie qu'elle engendrerait un fils et de lui en déclarer en même temps le nom et les mérites. Ce Montan était un pieux solitaire, vivant dans la retraite, vaquant assidûment aux jeûnes, veilles et prières, se rendant recommandable devant Dieu par le mérite de toutes les vertus, et sans cesse implorant la clémence de Jésus-Christ pour la paix de sa sainte Eglise, en proie à mille afflictions dans le pays des Gaules. Une nuit donc que, selon sa coutume, il se fatiguait à prier, cédant à la faiblesse de notre nature, il se laissa aller au sommeil pour réparer ses forces. Tout à coup il lui semble que, par une grâce divine, il est transporte au milieu du chœur des anges et de l'assemblée des saintes âmes, tenant ensemble conseil et conférant de la subversion ou de la restauration de l'Eglise des Gaules tous déclarent que le temps est venu d'avoir pitié d'elle et en même temps une voix qui retentit avec douceur se fait entendre d'un lieu plus élevé et plus secret : Le Seigneur a regardé du saint des saints, et du ciel en la terre, pour entendre les gémissements de ceux qui sont enchaînés, et pour briser les fers des fris de ceux qui ont péri, afin que son nom soit annoncé parmi les nations, et que les peuples et les rois se réunis sent ensemble pour le servir. La voix disait que Cilinie concevrait et engendrerait un fils, nommé Rémi, auquel le peuple serait confié pour être sauvé.

Après avoir reçu une si grande et douce consolation, le saint personnage, trois fois averti d'accomplir sa mission vint annoncera Cilinie l'oracle de sa céleste vision. Or, cette mère bienheureuse avait eu longtemps auparavant dans la fleur de sa jeunesse, de son seul et unique mari, Emile, un fils nommé Principe, depuis évêque de Soissons, et père de saint Loup, son successeur à l'épiscopat de la même ville la bienheureuse Cilinie s'étonne; elle, ne peut comprendre comment, déjà vieille elle enfantera un fils et le nourrira de son lait, doutant que son mari et elle-même, grandement avancés en âge, épuisés et stériles, n'avaient plus ni espoir ni désir d'engendrer désormais. Mais le bienheureux Montan, qui, afin que les mérites de la patience abondassent en lui, avait perdu la vue pour un temps, pour donner autorité à sa parole, déclare a Cilinie que ses yeux doivent être arrosés de son lait, et qu'aussitôt il recouvrera la vue. Cependant les bienheureux parents se livrent à la joie d'une si grande consolation, et le pontife futur de Jésus-Christ est conçu. Avec le secours de la grâce, il vient au monde heureusement, et reçoit sur les saints fonts de baptême le nom de Rémi. L'heureuse promesse faite au saint prophète est aussi fidèlement accomplie car, pendant l'allaitement ses yeux sont arrosés du lait de la bienheureuse mère Cilinie, et il recouvre la vue par les mérites de l'enfant. Or, ce merveilleux enfant, solennellement annoncé avant sa nativité, naquit au pays de Laon, de nobles et illustres parents, vieux toutefois et depuis longtemps stériles, et par les éclatants miracles de, sa naissance, furent magnifiquement préparés les œuvres et miracles de sa vie. Selon l'ordre de Dieu il fut aussi a bon droit nommé Rémi comme celui qui avec la rame de doctrine devait guider l'Église de Jésus-Christ, et spécialement celle de Reims, sur la mer orageuse de cette vie, et par ses mérites et ses prières la conduire au port du salut éternel. Cependant quelques anciens écrits le nomment Remedius au lieu de Remigius; ce que nous croirions volontiers, si nous ne considérions que ses mérites et ses actes saints et véritables remèdes, et si nous ne savions par des témoignages et titres plus corrects, qu'il doit être nommé Rémi, selon l'oracle divin. Nous lisons d'ailleurs dans des vers composés par lui et gravés par son ordre sur un vase consacré aussi par lui-même au service de Dieu

Hauriat hinc populus vitam de sanguine sacro,

Injecto aeternus quem fudit vulnere Christus:

Remigius reddit Domino sua vota sacerdos.[8]

Ce vase a duré jusqu'à ces derniers temps, où il a été fondu et donné aux Normands pour la rançon de prisonniers chrétiens. Saint Rémi eut, dit-on, pour nourrice la bienheureuse Balsamie que la tradition regarde aussi comme la mère de saint Celsin, disciple bien-aimé de saint Rémi, célèbre par de nombreux miracles, et aujourd'hui encore en grande vénération auprès des justes. Les reliques de Balsamie reposent dans l'église de son fils.

Envoyé aux écoles par ses parents pour y apprendre les lettres, saint Rémi surpassa bientôt en savoir, non seulement ceux de son âge, mais aussi ceux qui étaient plus âgés. Il les surpassa bien plus encore par la gravité de ses mœurs et l'ardeur de sa charité, n'ayant d'autre désir que de fuir le tumulte et le bruit de la foule, et de se retirer dans la solitude pour y servir le Seigneur ce qu'il obtint selon ses vœux, car il passa sa pieuse jeunesse, à Laon dans la retraite et les exercices d'une sainte et chrétienne conversation.

 

CAPUT XI.

De ordinatione ipsius ad episcopatum Remensem.

Ast ubi vicesimum secundum aetatis subiit annum, defuncto praefato venerabili Bennadio archiepiscopo, in hac urbe Remensi, omnium generaliter votis ad apicem pontificatus non tam electus, quam raptus fuisse dignoscitur. Fit siquidem populi concursus, diversi quidem sexus, conditionis, dignitatis et aetatis, una eademque sententia, hunc vere Deo dignum, et qui populis praefici deberet, acclamantis. Sanctissimus igitur adolescens his depressus angustiis, quoniam nec fugae locus ei uspiam patebat, nec populo ut ab intentione coepta desisteret, ullo modo satisfacere poterat, super aetatis infirmae coepit conqueri tempore, et quod ecclesiastica regula hanc aetatem ad tantam non admitteret dignitatem, voce publica praedicare. Sed cum irrevocabiliter populi acclamaret frequentia, et vir Dei magna retineretur constantia, placuit omnipotenti Deo manifestissimis indiciis propalare, quod ipse de eo judicium dignabatur habere. Traditur enim coelestis radii lumen super ipsius sanctum subito descendisse verticem, et cum ipso lumine coelitus ejus infusum capiti unguinis divini liquorem, cujus sacri nectaris, ejusdem totum videretur caput infusione delibutum. Omni ergo posthabita dubitatione, praesulum Remensis unanimitate provinciae, pontificali consecratur benedictione. Ad quod officium mirifice mox devotus et aptissimus apparuit exsequendum; largus in eleemosynis, sedulus in vigiliis, attentus in orationibus, in humanitate profusus, in charitate perfectus, in doctrina praecipuus, in conversatione sanctissimus. Mentis purissimae sinceritatem, pii vultus praeferebat alacritate, clementissimique cordis benignitatem sermonis indicabat tranquillitate. Salutis aeternae munia non minus implens opere, quam edocens praedicatione; reverendus aspectu, venerandus incessu, metuendus severitate, amplectendus benignitate, censuram districtionis permistione temperabat mansuetudinis. Minari quidem frontis videbatur austeritas, sed cordis blandiebatur serenitas; ut erga devotos Petrus appareret in vultu contra delinquentes Paulus videretur in spiritu; sicque gratiarum diversitate in unum conveniente, illius pietatis, hujus erat imitator auctoritatis, neglector quietis, refuga voluptatis, appetitor laboris, patiens abjectionis, impatiens honoris, pauper in pecunia, dives in conscientia, humilis ad merita, superbus ad vitia. Et ut ante nos de ipso praedicatum legitur, sic in se diversas excoluit gratiarum virtutes, ut vix ita pauci tenerent singulas, quomodo ille implevit universas. Semper in sancti operis exercitio, semper in compunctionis affectu, nulla illi ex omnibus propensior cura, nisi aut de Deo in lectione, atque sermone, aut cum Deo in oratione loqui; sicque attenuato continuatis jejuniis corpore, de persecutore certabat inimico, jugi triumphare martyrio. Inter haec tamen omnia intendebat vir beatissimus, ut etiam ab aliis de ipso jamdudum praedicatum legitur: Jactantiam virtutum fugere, in quo non poterat gratia celsa latere. Praeeminebat enim ad admirationem omnium, veluti civitas supra montis verticem sita: nec sub modio voluit Dominus hanc occuli lucernam, quam supra candelabri constituerat eminentiam, igne divinae tribuens eam charitatis ardere, claraque splendidarum Ecclesiae suae virtutum lumina ministrare.
 

CHAPITRE XI.

Saint Rémi est ordonné évêque de Reims.

Remi entrait à peine dans sa vingt-deuxième année lorsque le vénérable archevêque Bennade vint à mourir aussitôt il est choisi pour son successeur, et ravi plutôt qu'élevé à cette sainte dignité. Un immense concours de peuple, de tout sexe, de toute condition et de tout âge, le proclame d'une seule voix vraiment digne de Dieu, et d'être commis à la garde des fidèles. Réduit à cette extrémité de ne pouvoir aucunement échapper par la fuite, ni détourner le peuple de sa résolution, le saint jeune homme se répand en excuses sur la faiblesse de son âge, et rappelle sans cesse et à haute voix que la règle ecclésiastique défend d'élever une si tendre inexpérience à une pareille dignité. Mais tandis que d'un côté le peuple obstiné renouvelle ses acclamations, et que de l'autre l'homme de Dieu résiste avec fermeté, il plut au Seigneur de manifester, par un éclatant témoignage, quel jugement lui-même en portait. Tout à coup un rayon de lumière part du haut des cieux et vient couronner la tête du saint. En même temps une liqueur divine se répand sur sa chevelure, et l'embaume toute entière de son parfum céleste. A cette vue, l'assemblée des évêques de la province le proclame sans hésiter, et le consacre évêque de Reims. Il ne tarda pas à faire paraître sa dévotion et sa merveilleuse aptitude à ce grand ministère. Libéral en aumônes, assidu en vigilance, attentif en oraisons, prodigue de bontés, parfait en charité, merveilleux en doctrine, toujours saint dans sa conversation, l'aimable gaîté de son visage annonçait la pureté et la sincérité de son âme, comme le calme de ses discours peignait la bonté de son cœur. Aussi fidèle à remplir en œuvres les devoirs du salut, qu'à les enseigner par la prédication, son air vénérable et sa démarche imposante commandaient le respect inspirant la crainte par sa sévérité, l'amour par sa bonté, il savait tempérer la rigueur de la censure par la douceur de la bienveillance. Si l'austérité de son front semblait menacer, on se sentait attiré par la sérénité de son cœur. Pour les Chrétiens fidèles, c'était saint Pierre et son extérieur imposant pour les pécheurs c'était saint Paul, et son âme tendre ainsi par un double bienfait de la grâce qui reproduisait en lui la piété de J'un et l'autorité de l'autre, on le vit pendant toute sa vie dédaigner le repos, fuir les douceurs, chercher le travail, souffrir patiemment l'humiliation, s'éloigner des honneurs, pauvre de richesses et riche de bonnes œuvres, humble et modeste devant la vertu, sévère et intraitable contre le vice. En sorte que, comme on l'a dit avant nous, il réunit en lui toutes les vertus chrétiennes, et les pratiqua toutes a la fois, avec une perfection que bien peu pourraient porter dans l'exercice d'une seule. Toujours occupé de bonnes œuvres, toujours plein de componction et de zèle, il n'avait autre chose à cœur que de s'entretenir de Dieu, par lecture ou sermon ou avec Dieu par la prière, et sans cesse atténuant et affaiblissant son corps par le jeûne il s'efforçait de vaincre Je démon persécuteur par un martyre continuel. Cependant ce saint prélat, ainsi que nous le lisons dans les écrits qui ont parlé de sa vie s'efforçait avant tout de fuir l'ostentation des vertus mais une grâce si éclatante et si haute ne pouvait rester secrète. Il attirait les regards et l'admiration de tous, comme la cité bâtie sur le sommet de la montagne et le Seigneur ne voulait pas laisser cachée sous le boisseau la lumière qu'il avait placée sur le chandelier, et à laquelle il avait donné de brûler du feu de la charité divine, et d'éclairer son Eglise du brillant flambeau des vertus chrétiennes.

 

CAPUT XII.

De diversis ab eo patratis miraculis, et de doctrina ipsius.

Ad cujus sanctitatis innocentiam, non solum rationabilium, sed etiam irrationabilium consueverant agrestia corda mansuescere, adeo ut dum inter domesticos secretius cum contigisset habere convivium, et delectaretur in hilaritate charorum, passeres ad eum sine trepidatione descenderent, et mensae reliquias ab ejus manu colligerent, discederent alii saturi, accederent alii saturandi. Quod ab eodem nequaquam jactantia propalabatur meritorum, sed id Dominus agi certa disposuerat utilitate convivantium, ut hoc aliisque frequentissimis per hunc Christi famulum visis miraculis, sese dominicis ferventius studerent mancipare servitiis.

Hic vir beatissimus, cum ex more, quodam tempore pastorali solertia parochias circumiret, ut si negligenter aliquid in divinis cultibus ageretur, fidelis Christi servus agnosceret, in vicum, Calmiciacum nomine, ipsius accessit studii devotione. Ubi, dum quidam caecus ab eo misericordiae postulasset opem, coepit, qua dudum captus exstiterat infestatione daemonis, vexatione torqueri corporis. Tunc sanctus Remigius in oratione, qua Deo semper sancta intentione vacabat, corporea se dejectione prostravit, statimque pristinum caeco lumen redhibens, immundi quoque pestem spiritus effugavit, triplici remedio, nimirum victu solans egenum, munerans visu caecatum, restituens libertati captivum.

Alio quoque tempore, dum pontificali sollicitudine parochiam peragraret, rogatus a quadam sobrina sua, nomine Celsa, Deo sacrata, villam ipsius, vocabulo Celtum, adiit. Ibi dum beatus vir, spiritalibus colloquiis vitae propinat hospiti de more pocula, minister praefatae Celsae, vini sufficientiam dominae suae nuntiat non adesse. Re hujuscemodi cognita, sanctus Remigius hanc hilari consolatur vultu et post blanda verbi solamina ejusdem sibi domus ostendi praecepit habitacula. Sicque de industria prius perlustrans caetera, tandem ad cellam pervenit vinariam: quam sibi faciens aperiri, rugitat si forte remanserat in aliquo vasorum quidpiam vini. Et designato sibi vase, in quo tantillum vini, pro salvando scilicet eodem, relictum fuerat, claudi praecepit ostium, jussoque consistere loco cellerarium; ipse vero ad alteram accedens vasis frontem, super idem, quod erat non modicae quantitatis, Christi adnotat crucem, flectensque genua secus parietem, coelo devotam dirigit precem. Coepit interea, mirum dictu, vinum per foramen superius exundare, ac supra pavimentum abundanter effluere. Exclamat hoc viso cellerarius, stupore perculsus. Sed mox a sancto viro repressus, ne id palam faciat, inhibetur. At quia tam clari lumen operis minime valuit abscondi, ubi consobrina sua factum comperit, eamdem villam ipsi, et Ecclesiae ipsius perpetim possidendam tradidit, ac legali jure confirmavit.

Huic simile ferme miraculum ab eodem domno Remigio in olei fertur liquore patratum. Cum aegrotus quidam familiae non ignobilis, nec tamen baptizatus, a sancto Remigio se visitari postulasset, et jam volut in ultimo spiritu se credere fateretur, et baptizari deposceret, beatus pontifex a presbytero loci oleum et chrisma requirens, jamque penitus in ampullis utrumque defecisse comperiens ipsas ampullas pene vacuas super altare posuit, ac sese in oratione prostravit. Surgens autem ab oratione vascula plena reperit, et sic infirmum oleo divinitus dato perungens, ecclesiastico de more baptizavit, et chrismate coelitus collato linivit, redditaque sanitate, tam animae salute quam corporis incolumitate donavit.

Humani denique generis hostis, ostendere nequitiam non desistens suae malignitatis, urbem Remorum, surgentibus flammarum subito globis, immissione dira succendit, crudelique vastatione, jam partem fere tertiam concrematio peracta consumpserat; et quod residuum erat victrix flamma lambebat. Cujus rei nuntium beatus antistes accipiens, ad solita sese confert orationis praesidia, et in beati Nicasii martyris basilica, ubi tunc temporis morandi consuetudinem fecerat, Christi prostratus exposcit suffragia. Surgensque ab oratione, oculos ad coelum attollit, et exclamans cum gemitu, ait: Deus, Deus meus, adesto voci meae. Sicque cursu concito, per gradus, ante ipsam lapidibus stratos ecclesiam descendens, civitatem petiit; in quibus graduum lapidibus, ac si supra molle lutum depressa, hodieque, ad memoriam divini miraculi, signata visuntur vestigia. Celerique festinatione deproperans se flammis objecit, statimque, ut extensa contra ignem dextera, signum crucis cum invocatione Christi nominis edidit, totum illud incendium, fracta et in sese relisa virtute, cedere, atque ante viri Dei praesentiam quasi fugere coepit. Quod beatus Remigius insequens, et se inter ignem et ea quae adhuc videbantur intacta, cum signo sanctitatis opponens, hanc omnem flammarum immanitatem ante se fugientem, per patentem portam, fultus divinae potentiae praesidiis, expulit, et eamdem portam clausit; utque nunquam aperiretur ab aliquo, cum interminatione vindictae in eum quae vetita haec praesumpsisset, inhibuit. Post aliquot vero annos civis quidam, nomine Fersinctus, secus ipsam portam commanens, maceriem qua eadem porta fuerat obstructa, ut suae domus hinc ejiceret rudera, perforavit. Sed mox ultio tanta fertur ejus audaciam consecuta, ut non pecus, nec homo, clade superveniente in eamdem remanserit domo.
 

Quaedam puella praeclaris ab urbe Tolosa natalibus orta, maligni spiritus ab infantia tenebatur obsidione captiva. Quam cum tenero genitores amore diligerent, ad sepulcrum sancti Petri apostoli cum magna devotione duxerunt. In eisdem namque partibus enitebat tunc virtute venerabilis Benedictus, plurimis effulgens virtutibus. Cujus comperta fama, puellae patentes hanc ad eumdem perducere satagunt, qui multis jejuniis et orationibus pro ipsius emundatione laborans, cum diri serpentis virus ab ea non valuisset ejicere, hoc tantum responsi, nominis divini obtestatione, ab antiquo extorquere potuit hoste, quod nunquam alterius de eodem habitaculo, nisi hujus beatissimi Remigii pontificis orationibus posset expelli. Tunc parentes ejus, tam ipsius beati Benedicti, quam etiam Gothorum regis Alarici affatibus suffragati, eorumque litteris ad beatum Remigium datis, ut traditur, freti, ad eumdum sanctum antistitem cum devincta sobole pervenerunt, virtutem deprecantes ejus in purgatione prolis agnoscere, quam latronis jam praesciverant confessione. At beatissimus Remigius, cum diuturna reluctatione se non esse dignum assereret et humilitate solita repugnaret, precibus est populi supplicantis evictus, ut orationem pro ipsa funderet, ac parentum lacrymis condoleret. Meritis itaque sanctitatis armatus, verbi praecepit imperio, ut iniquus praedo per quod ingressus fuerat discedens, Christi famulam relaxaret. Sicque cum nimio vomitu et obsceno foetore, per os quo fuerat intromissus, abscessit. Sed paulo post, recedente pontifice, dum nimio labore fessa nutaret, vitae calore privata, spiritum vitalem amisit. Iteratis ergo precibus, turba supplicantum recurrit ad medicum. Beatus autem Remigius se potius accusat facinus perpetrasse, quam sanitatis remedium indulsisse, homicidiique reum exstitisse, non remedium contulisse. Igitur ad sancti Joannis basilicam, ubi corpus jacebat exanime, populi obtentus deprecatione regreditur, ibique cum lacrymis ad pavimenta sanctorum in oratione prosternitur, et reliquos ut ita facerent adhortatur. Hinc effuso lacrymarum imbre consurgens, suscitavit mortuam, quam prius purgarat obsessam. Quae protinus, apprehensa manu pontificis, cum integra incolumitate surrexit, et ad propria feliciter remeavit.

Cujus vero doctrinae, cujus sanctitatis atque sapientiae beatissimus hic pater nitore radiaverit opera testantur ipsius, quia vera procul dubio sapientia esse dignoscitur, quae operum exhibitione, velut arbor fructibus, approbatur. Testatur gens Francica per eum ad fidem Christi conversa, et baptismi sanctificatione consecrata. Testantur diversa prudentissime ab ipso tam facta quam praedicata. Testantur diversae ipsius personae temporis, ex quibus Sidonii, Arvernorum episcopi, viri eruditissimi, et tam genere quam religione ac sermone clarissimi, epistolam huic beatissimo pontifici directam inserere placuit:

« SIDONIUS, DOMNO PAPAE REMIGIO, SALUTEM.

Quidam ab Arvernis Belgicam petens (persona mihi cognita est, causa incognita, nec refert), postquam Remos advenerat, scribam tuum sive bibliopolam, pretio fors fuat officiove demeritum, copiosissimo, velis nolis, declamationum tuarum schedio emunxit. Qui redux nobis atque oppido gloriabundus (quippe perceptis tot voluminibus) quaecunque detulerat, quanquam mercari paratis, quod civis, nec erat injustum, pro munere ingessit. Curae mihi e vestigio fuit, hisque qui student, cum merito lecturiremus, plurima tenere, cuncta transcribere. Omnium assensu pronuntiatum paucos nunc posse similia dictare. Etenim rarus aut nullus est, cui meditaturo par assistat dispositio per causas, positio per litteras, compositio per syllabas. Ad hoc opportunitas in exemplis, fides in testimoniis, proprietas in epithetis, urbanitas in figuris, virtus in argumentis, pondus in sensibus, flumen in verbis, fulmen in clausulis. Structura vero fortis et firma, conjunctionumque, perfacetarum nexa caesuris insolubilibus. Sed nec hinc minus lubrica et levis, ac modis omnibus erotundata: quaeque lectoris linguam inoffensam decenter expediat, ne salebrosas passa juncturas, per cameram palati volutata balbutiat. Tota denique liquida prorsus et ductilis, veluti cum crystallinas crustas, aut onychintinas non impacto dignitus ungue perlabitur: quippe si nihil eum rimosis obicibus exceptum tenax factura remoretur. Quid plura? non exstat ad praesens vivi hominis oratio, quam peritia tua non sine labore transgredi queat ac supervadere. Unde prope suspicor, domne papa, propter eloquium exundans atque ineffabile (venia sit dicto) te superbire. Sed licet bono fulgeas, ut conscientiae, sic dictionis ordinatissimae; nos tamen tibi minime sumus refugiendi, qui bene scripta laudamus, etsi laudanda non scribimus. Quocirca desine in posterum nostra declinare judicia, quae nihil mordax, nihil quoque minantur increpatorium. Alioquin si distuleris nostram sterilitatem facundis fecundare colloquiis, aucupabimur nundinas involantum, et ultro scrinia tua, conniventibus nobis ac subornantibus, effractorum manus arguta populabitur: inchoabisque tunc frustra moveri spoliatus furto, si nunc rogatus non moveris officio. »

CHAPITRE XII.

De divers miracles opérés par saint Rémi et de sa doctrine

L'INNOCENCE de sa sainteté touchait non seulement les créatures raisonnables, mais apprivoisait jusqu'aux animaux dépourvus de raison. Un jour qu'il donnait un repas de famille à ses plus intimes amis, et prenait plaisir à les voir se réjouir, des passereaux descendirent vers lui et vinrent sans crainte manger dans, sa main les miettes de la table, les uns s'en allant rassasiés et les autres venant pour l'être. Ce n'est pas qu'il cherchât à faire parade de ses mérites mais le Seigneur en avait ainsi disposé pour l'utilité des convives, afin que, témoins de ce miracle et de beaucoup d'autres opérés par ce bienheureux serviteur de Jésus-Christ, ils s'engageassent avec plus de ferveur au service du Seigneur.

Un autre jour que, selon sa coutume, il visitait avec sa sollicitude paternelle toutes les paroisses de son diocèse, afin de reconnaître par lui-même si l'on ne mettait aucune négligence dans le service divin, il arriva dans sa sainte visite au bourg de Chermizy. Là un pauvre aveugle, depuis longtemps possédé du démon, vint lui demander l'aumône. Au moment même où le saint évêque accomplissait envers lui l'œuvre de miséricorde, le diable commença à le tourmenter. Alors saint Rémi, avec cette sainte intention qu'il mettait toujours à sa prière, se prosterna en oraison, et soudain, en rendant la vue au vieillard, il le délivra en même temps de l'esprit immonde, accomplissant ainsi à la fois trois bonnes œuvres dans le même homme, donnant l'aumône à un pauvre, rendant la vue à un aveugle et délivrant un possédé.

Dans une autre visite de son diocèse, faite encore dans le même esprit de sollicitude, une de ses cousines nommée Celse vierge consacrée le pria de s'arrêter à sa terre de Cernay le saint évêque se rendit à son invitation. Tandis que, dans un entretien spirituel, il verse à son hôtesse le vin de vie, l'intendant de Celse vient annoncer à sa maîtresse que le vin manque. Saint Rémi la console gaiement, et, après quelques propos aimables, il la prie de lui faire voir en détail son habitation. Il parcourt d'abord à dessein quelques autres appartements; enfin il arrive au cellier, se le fait ouvrir, et demande s'il ne serait pas resté un peu de vin dans quelque tonneau; le sommelier lui en montre un dans lequel on avait gardé seulement assez de vin pour conserver le tonneau. Saint Rémi ordonne alors au sommelier de fermer la porte et de ne bouger de sa place; puis, passant lui-même à l'autre bout du tonneau qui n'étoit pas de petite contenance, il fait dessus le signe de la croix, et, se prosternant contre la muraille, il adresse au Seigneur une fervente prière. Cependant, ô miracle! le vin monte par le bondon et coule à grands flots dans le cellier. A cette vue le sommelier, frappé d'étonnement, s'écrie, le saint lui impose silence et lui défend de rien dire. Mais un miracle si éclatant ne put rester caché, et sa cousine, dès qu'elle en fut instruite, donna à perpétuité à. saint Rémi et à l'église de Reims sa terre de Cernay, dont elle passa donation devant le magistrat.

On raconte encore de lui un autre miracle à peu près semblable à celui que nous venons de réciter. Un malade d'une famille illustre, qui n'avait point encore été baptisé, fit prier saint Rémi de venir le visiter et de lui administrer le saint sacrement du baptême, parce qu'il sentait sa fin approcher. Le bienheureux évêque demanda au curé du lieu l'huile et le saint chrême, mais il se trouva qu'il n'y avait plus rien dans les vases sacrés Rémi prend les vases vides, les place sur l'autel et se prosterne en oraison sa prière faite, il trouve les vases pleins. Oignant donc le malade avec cette Huile donnée par un miracle, et ce saint chrême venu du ciel, il lui conféra le baptême, selon la coutume de l'Eglise, et lui rendit la santé de l'âme en même temps que celle du corps.

Enfin l'ennemi du genre humain, qui ne cesse jamais de faire éclater sa haine et sa malice, mit un jour le feu à la ville de Reims et y excita un horrible incendie. Déjà un tiers de la ville avait été réduit en cendres, et la flamme victorieuse allait dévorer le reste. Aussitôt que saint Rémi en est instruit, il a recours à la prière, son ordinaire appui, et, se prosternant dans l'église du bienheureux martyr saint Nicaise, il implore le secours de notre Seigneur Jésus Christ puis tout-à-coup se relevant, et jetant les yeux vers le ciel, Mon Dieu mon Dieu, s'écrie-t-il avec gémissement, prêtez l'oreille à ma prière. Alors d'un pas précipité il descend les degrés de l'église et en courant ses pieds s'empreignent sur la pierre comme sur une terre molle, et leurs traces saintes attestent encore aujourd'hui la vérité du miracle. Il court, s'oppose aux flammes, étend la main contre le feu, fait le signe de la croix en invoquant le nom de Jésus-Christ aussitôt l'incendie s'arrête, sa fureur retombe sur elle-même et la flamme semble fuir devant l'homme de Dieu. Saint Rémi la poursuit, et, se plaçant entre le feu et ce qui est resté intact, opposant toujours le signe mystérieux, il pousse devant lui cet immense tourbillon de flammes, et, soutenu de la protection de Dieu, le jette hors de la ville par une porte qui se trouve ouverte, ferme la porte avec injonction de ne jamais l'ouvrir, et appelant malédiction et vengeance sur quiconque violerait cette défense? Quelques années après, un habitant nommé Fercinct, qui demeurait près de cette porte, fit une ouverture à la maçonnerie dont elle avait été bouchée, pour jeter par la les immondices de sa maison; mais son audace fut bientôt cruellement punie, et la main de Dieu le frappa d'une manière si terrible que tout périt dans sa maison, lui, sa famille et jusqu'aux bêtes.

Une jeune fille d'illustre origine, née à Toulouse, était depuis son enfance possédée du malin esprit. Ses parents, qui l'aimaient tendrement, la conduisirent avec grande dévotion au sépulcre de l'apôtre saint Pierre. Or, dans le même pays d'Italie florissait alors le vénérable Benoît, en grande réputation et éclat de vertu. Les parents de la jeune fille, entendant parler de ce saint personnage, avisèrent de la lui mener: mais après bien des jeûnes et des prières, travaillant en vain à la purification de cette pauvre enfant, Benoît ne put parvenir à la guérir du venin du cruel serpent, et tout ce qu'il put arracher de l'antique ennemi de l'homme, en l'adjurant au nom de Dieu, fut cette réponse, que personne autre que le bienheureux évêque Rémi ne pourrait le chasser du corps où il faisait son séjour. Alors les parents, appuyés de la protection du bienheureux saint Benoît lui-même, et d'Alaric roi des Goths, et munis de lettres de leur part pour saint Rémi, viennent trouver le saint évêque avec la jeune possédée, le suppliant de faire voir, dans la délivrance de leur enfant, cette vertu que l'aveu du larron lui-même leur avait annoncée. Rémi résiste long temps disant qu'il n'en est pas digne et se défend avec son ordinaire humilité. A la fin, il cède aux prières du peuple qui lui demande en grâce de prier pour cette jeune fille, et de compatir aux larmes de ses parents. Alors donc, armé des mérites de sa sainteté, il commande à l'esprit inique de sortir par où il est entré, et de laisser en paix la servante de Jésus-Christ, et aussitôt le démon sort par la bouche, comme il était entré, avec grand vomissement et exhalaison fétide. Mais peu de temps après, lorsque le saint évêque se fut retiré, la jeune fille, épuisée à la peine, tomba privée de la chaleur de la vie et rendit l'esprit. La foule se porte de nouveau vers le médecin, et renouvelle ses prières. Saint Rémi au contraire dit qu'il a empiré le mal au lieu d'y apporter remède, et s'accuse d'avoir tué au lieu d'avoir guéri. Cependant, vaincu encore une fois par les instances du peuple, il revient à l'église de saint Jean, où le corps gisait sans vie. Là il se prosterne avec larmes sur le parvis des saints, et exhorte l'assemblée à en faire autant. Ensuite, se relevant après avoir versé un torrent de larmes il ressuscite la jeune morte, comme auparavant il l'avait délivrée du démon. Aussitôt prenant la main de l'évêque celle-ci se leva en pleine et entière santé et s'en retourna heureusement dans son pays.

Quant à sa doctrine, sa sainteté et sa sagesse, ses œuvres prouvent assez quel en a été l'éclat car la véritable sagesse se reconnaît aux œuvres, comme l'arbre à ses fruits la conversion de la nation des Francs au christianisme et sa sanctification par les eaux du baptême rendant aussi témoignage; et encore mille actions on prédications pleines de prudence enfin, divers personnages de son temps, entre lesquels surtout nous citerons Sidoine, évêque d'Auvergne, homme très docte, aussi illustre par sa naissance que par sa piété et ses prédications, et dont nous croyons à propos d'insérer la lettre suivante adressée à notre saint évêque.

 Sidoine, au seigneur PAPE Rémi, salut.

Quelqu'un de notre pays ayant eu occasion d'aller d'Auvergne en Belgique (quoique je connaisse la personne, j'ignore pour quel motif, et d'ailleurs cela n'importe), et s étant arrête à Reims, a trouvé moyen je ne sais si c'est par argent ou par service, avec ou sans ta permission, de se procurer, auprès de ton secrétaire ou de ton bibliothécaire, un manuscrit fort volumineux de tes sermons. De retour ici tout glorieux d'avoir rapporte tant de volumes, quoique d'abord il se les fût procurés dans l'intention de les vendre, en sa qualité de citoyen, dont il est bien digne il est venu nous en faire un présent. Tous ceux qui étudient et moi, après les avoir lus avec fruit, nous avons pris à tache d'en apprendre la plus grande partie par cœur, et de les copier tous. Tout le monde a été d'accord qu'aujourd'hui il n'y a que bien peu de personnes capables d'écrire ainsi. En effet, on trouverait difficilement quelqu'un qui réunît tarit d'habileté dans la disposition des motifs, le choix de l'expression et l'arrangement des mots. Ajoutez à cela l'heureux a propos des exemples, l'autorité des témoignages, la propriété des épithètes, l'urbanité des figures, la force des arguments, le poids des pensées, la rapide facilité du style, la rigueur foudroyante des conclusions. La phrase est forte et ferme; tous ses membres bien liés par des conjonctions élégantes: toujours coulante, polie, et bien arrondie; jamais de ces alliances malheureuses qui offensent la langue du lecteur, ni de ces mots rocailleux qu'elle est obligée de balbutier en les roulant avec peine sous la voûte du palais elle glisse et court jusqu'à la fin avec une douce aisance c'est comme lorsque le doigt effleure avec l'ongle un cristal ou une cornaline, sans rencontrer ni aspérité, ni fente qui l'arrête. Que te dirai-je enfin? je ne connais point d'orateur vivant que ton habileté ne puisse surpasser sans peine, et laisser bien loin derrière toi? Aussi je soupçonne presque seigneur évêque, je t'en demande pardon, que tu es un peu fier de ta riche et ineffable éloquence. Mais, quel que soit l'éclat de tes talents d'écrivain comme de tes vertus, nous te prions de ne pas nous dédaigner, car si nous ne savons pas bien écrire, nous savons louer ce qui est bien écrit. Cesse donc aussi désormais de décliner des jugements dont tu n'as à craindre ni critiques mordantes, ni reproches sévères. Autrement, si tu refuses de féconder notre stérilité par tes éloquents entretiens, nous serons aux aguets de tous les marchés de voleurs, et nous subornerons et aposterons d'adroits fripons dont la main subtile ravagera ton portefeuille. Et alors, te voyant dépouillé peut-être seras-tu sensible au larcin, si tu ne l'es pas aujourd'hui à nos prières et au plaisir d'être utile.

 

CAPUT XIII.

De conversione Francorum.

Cujus autem prudentiae, quam sancti studii noster hic Pater ac pastor almus exstiterit, quam fidelis et prudens in eroganda Domini sui pecunia viguerit, Francorum, ut praetulimus, ab idolis ad Deum verum facta per ipsum probat conversio, qui Gallicas eo tempore transito Rheno depredabantur provincias, et Agrippinam jam Coloniam, quasdam quoque alias occupaverant Galliae civitates. At postquam rex ipsorum Clodoveus Siagrium, Romanum quemdam principem, qui Galliis tunc praeerat, evicit atque peremit, omni pene Galliae dominari coepit. Comperta beatissimi gestorum fama Remigii, quod scilicet eniteret virtute sanctitatis ac sapientiae, miraculorum praeclarus exhibitione, reverebatur eum, et licet paganus, diligebat tamen illum. Quo quondam secus urbem Remorum transitum faciente, quibusdam militibus ejus agminis ablata quaedam Remensis Ecclesiae vasa referuntur. Ea inter urceus etiam magnus argenteus, et decora pulchritudine comptus, pro quo beatus Remigius legatos ad eum direxisse traditur, ut illum saltem recipere mereretur. Ast ubi ad locum divisionis praedae ventum est, rogat rex milites suos, ut ipsum sibi dare ne renuant urceum. Pluribus igitur annuentibus, quidam Francus bipenni percutiens urceum, nihil hinc a rege nisi sorte tollendum proclamat. Obstupefactis hac temeritate caeteris, rex injuriam patienter ad tempus tolerans, apprehensum, plurimis faventibus, vasculum ecclesiastico reddidit misso, iram sub corde tectam reservans. Peracto denique anno cunctum sui exercitus apparatum solito prodire jubet in campum, ut armorum speculetur de more nitorem: quem conventum, a Marte, Martium vocare consueverant. Rex ergo instructas circumiens rite phalanges, ad eum qui dudum percusserat urceum pervenit, spretisque ipsius armis, ejus tandem franciscam projecit in terram, ad quam recipiendam inclinato militi rex in caput suam defigit bipennem, quam pridem in vase perpetraverat, cum increpitationis acerbitate, rememorans praesumptionem. Quo sic interempto, timor ingens regis hac super ultione, caeterorum perstringit corda Francorum.

At postquam Clodoveus Thoringiam sibi provinciam subjugavit, et regnum vel ditionem suam dilatavit, etiam Rothildim, filiam Chilperici, fratris Gundebaudi Burgundionum regis, in matrimonium sumpsit. Quae cum esset Christiana et filios ex rege susceptos baptismate consecrari, marito quoque nolente, fecisset, etiam virum ad Christi fidem perducere conabatur. Sed animum barbari mulier ad credendum flectere non valebat. Interea bellum Francis adversus Alemannos accidit, et Francis caede nimia corruentibus, rex ab Aureliano consiliario suo suadetur, ut credens in Christum, ipsumque regem regum, et coeli ac terrae Deum confitens, invocet, qui ei victoriam pro velle possit conferre. Quod cum fecisset, Christique suffragium jam devotus expetisset, fiendumque se Christianum vovisset, si virtutem ipsius in capiendo victoriam experiri meruisset: post hujus voti pollicitationem mox in fugam vertuntur Alemanni, regemque suum comperientes interfectum, Clodovei se subdunt ditioni. Quos ille sub jugo constituens tributario, revertitur victor in sua, gaudium referens magnum reginae, quod ad invocationem, scilicet, Christi nominis, victoriam meruerit obtinere. Tunc regina beatum Remigium vocat, deprecans, ut regi viam salutis ostendat. Quem sanctus sacerdos doctrina vitae salutaris informans, ad baptismi commonet venire sacramenta. Ille se populum super his exhortatum ire respondens, affari studet exercitum, ut deos, qui eis subvenire non poterant, deserentes, ipsius cultum susciperent, qui tam praeclaram largitus eis victoriam fuerat. Conclamat multitudo, divina se praeveniente gratia, mortales se deos relinquere, atque in Christum qui sibi praesidio fuerat, credere. Nuntiantur haec sancto Remigio, qui magno repletus gaudio, regem populumque, qualiter diabolo et operibus ac pompis ipsius abrenuntiantes, Deum verum credere debeant instruere satagit; et quia paschalis solemnitas imminebat, indicit eis jejunium juxta morem fidelium.

Die vero Passionis Dominicae, pridie scilicet antequam baptismi gratiam percepturi erant, post hymnos, precesque nocturnas, praesul regium cubile petiit, ut absoluto curis saecularibus rege, liberius ei committere sacra valeret mysteria verbi. Quo reverenter a cubilariis admisso, rex prosiliens obvius alacriter occurrit, et oratorium beatissimi apostolorum principis Petri, cubiculo regis forte contiguum, pariter ingrediuntur. Cumque dispositis sedilibus, pontifex, rex atque regina consedissent, intromissis quibusdam clericis, sed et aliquibus regi necessariis ac domesticis, et venerabilis Pater regem monitis imbueret salutaribus, ad corroborandam salutiferam fidelis servi sui doctrinam, Dominus etiam visibiliter dignatus est ostendere, sese fidelibus in nomine suo congregatis, ut promiserat, semper adesse. Repente namque lux tam copiosa totam replevit ecclesiam, ut solis videretur evincere claritatem. Mox cum luce vox facta est, inquiens: Pax vobis, ego sum, nolite timere. Manete in dilectione mea. Post quae verba lux quae advenerat, abcessit, sed ineffabilis odor suavitatis in eadem domo remansit. Ut evidenter valeret agnosci lucis, pacis atque piae dulcedinis illuc auctorem advenisse, beatus etiam praesul ex eodem lumine, non modicum visus est vultus fulgorem traxisse. Rex igitur atque regina pedibus almi sacerdotis adstrati, cum magno pavore ipsius requirunt consolationem audire, opere adimplere parati quae propalarentur ore patroni. Delectabantur etenim verbis quae audierant, interius illuminati, quam viderant, luce, licet exteriore territi luminis claritate. Sanctus autem Pater supernae repletus splendore sapientiae de coelestis eos instruit visionis consuetudine, quae adventu quidem suo corda mortalium terret, sed timorem praecedentem subsequenti consolatione demulcet, ut quibus apparuit patribus, primum quidem pavorem incusserit, at postea per pietatis gratiam laetitiae blandimenta refuderit. Irradiatus quoque vir beatissimus Remigius, ut exterius, veteris exemplo legislatoris, vultus illustratione, ita, multoque magis, interius, divini fulgoris illuminatione, spiritu prophetico, quae ipsis, vel eorum forent eventura prosapiae, traditur praedixisse. Quomodo videlicet eorum posteritas regnum nobiliter esset propagatura, Ecclesiam quoque Christi sublimatura, Romanaque dignitate vel regno potitura, et victorias contra impetus aliarum gentium perceptura, si non a bono degenerantes, salutis viam forte relinquerent, et quibus Deus offenditur scelera consectari, pestiferorum vitiorum laqueos incurrerent, quibus regna subverti, atque de gente solent in gentem transferri.

A domo denique regis eundi ad baptisterium via praeparatur, vela cortinaeque appenduntur, hinc inde plateae sternuntur; ecclesia componitur, baptisterium balsamo, caeterisque odoramentis aspergitur, tantamque Dominus populo gratiam subministrabat, ut odoribus se paradisi refoveri gauderet. Sicque praecedentibus sacrosanctis Evangeliis, et crucibus cum litaniis, hymnis et canticis spiritalibus, summus pontifex manum tenens regis, subsequente regina cum populo, ab aula pergit ad baptisterium. Et inter eundum rex rogitasse fertur episcopum, an id erat Dei, quod sibi promiserat regnum. Non hoc, praesul inquit, illud est regnum, sed initium viae qua pervenitur ad ipsum. Ubi vero ad praeparatum baptisterii perventum est locum, clericus chrisma ferens a populo interceptus ad fontem pertingere penitus est impeditus. Sanctificato denique fonte, nutu divino chrisma defuit. Sanctus autem pontifex oculis ad coelum porrectis, tacite traditur orasse cum lacrymis. Et ecce subito columba, ceu nix, advolat candida, rostro deferens ampullam coelestis doni chrismate repletam. Cujus odoris mirabili respersi nectare, inaestimabili qui aderant super omnia quibus antea delectati fuerant replentur, suavitate. Accepta itaque sanctus praesul ampulla, postquam chrismate fontem conspersit, species mox columbae disparuit. Rex autem tantae gratiae conspecto miraculo laetus, actutum diaboli pompis et operibus abnegatis, a reverendo se petit pontifice baptizari. Quo vitae fontem perennis ingressio, beatus profatur praesul ore facundo: Mitis depone colla, Sicamber. Adora quod incendisti, incende quod adorasti. Sicque post orthodoxae confessionem fidei, trina tinctus mersione, divino summae individuaeque Trinitatis, Patris, et Filii, et Spiritus sancti sub nomine, suscipitur ab eodem sancto pontifice, divoque consecratur insignitus unguine. Baptizantur sorores regis Albofledis et Landehildis, simulque de Francorum exercitu virorum tria millia, praeter mulierum parvulorumque nomina. Quo die magnum in coelis celebratum sanctis gaudium credere possumus angelis et hominibus laetitiam non modicam in terra devotis.

Exercitus autem pars magna Francorum necdum ad fidem Christi conversa, cum quodam Raganario principe, trans Somnam fluvium post aliquandiu in infidelitate versata est, donec superna disponente gratia, praefato rege Ludovico gloriosis potito victoriis, idem Raganarius flagitiorum sectator ac turpitudinum, vinctus a Francis traditus est, et interemptus, omnisque Francorum populus ad Christi fidem, per beatum Remigium convertitur ac baptizatur.

CHAPITRE XIII.

De la conversion des Francs.

LA sagesse et le saint zèle de notre bienheureux père et pasteur, sa fidélité et sa prudence dans l'administration des trésors de son Seigneur, sont assez prouvées, comme nous l'avons déjà dit, par la conversion des Francs, retirés du culte des idoles, et ramenés à la connaissance du vrai Dieu. Depuis assez longtemps déjà ces peuples, ayant passé le Rhin, ravageaient les Gaules et s'étaient rendus maîtres de Cologne et de quelques autres villes. Mais quand leur roi Clovis eut défait et mis à mort Syagrius, gouverneur romain qui commandait alors la province, leur domination s'étendit presque sur toute la Gaule. La renommée de saint Rémi sa réputation de sagesse et de sainteté, le bruit de ses éclatants miracles étaient parvenus jusqu'à Clovis aussi ce roi l'avait-il en grande vénération, et quoique païen il l'aimait. Un jour qu'il passait près de Reims avec son armée, des soldats enlevèrent quelques vases sacrés à l'Église de Reims; parmi ces vases il y en avait un d'argent d'une grandeur remarquable, et d'un précieux travail. Saint Rémi envoya des députés demander que celui-là au moins lui fût remis; Clovis alors se rend à l'endroit où devait avoir lieu le partage du butin, et demande à ses soldats de lui céder le vase; la plupart y consentirent, mais l'un d'eux, frappant la coupe de sa francisque, s'écria que le roi n'avait droit sur aucune partie du butin qu'après qu'elle lui serait échue en partage par le sort. Tant de témérité frappe l'armée d'étonnement. Quant à Clovis souffrant pour le moment l'injure, il prend tranquillement le vase, avec l'assentiment du plus grand nombre, et le remet à l'envoyé de l'évêque mais il couve son ressentiment dans son cœur et en effet un an après il ordonne, selon la coutume, à son armée de se ranger en bataille dans une vaste plaine, pour passer la revue des armes; revue solennelle qui, du nom de Mars, s'appelait assemblée du champ de Mars. En passant dans les rangs, le roi s'arrête devant le soldat qui avait frappé le vase de Reims. Il trouve ses armes mal en ordre, et jette sa francisque à terre; le soldat se baisse pour la relever, à l'instant Clovis lui frappe la tête de sa framée, comme lui-même avait frappé le vase, et le tue, rappelant avec aigreur et colère sa téméraire présomption. Par cette vengeance, Clovis inspira au reste des Francs une grande crainte, et se concilia ainsi leur obéissance.

Après avoir subjugué la province de Thuringe et étendu sa domination, Clovis épousa Clotilde, fille de Chilpéric, frère de Gondebaud, roi des Bourguignons. Cette princesse était chrétienne, et faisait baptiser les enfants qu'elle avait du roi, quoique celui-ci ne le voulût pas, et sans cesse elle s'efforçait de le convertir à la foi de Jésus-Christ; mais une femme ne pouvait fléchir le cœur altier du barbare. Cependant une guerre survient aux Francs contre les Allemands, et ceux-ci en font un épouvantable massacre. Alors Aurélien, conseiller de Clovis, l'exhorte à croire en Jésus-Christ, à le confesser roi des rois, Dieu du ciel et de la terre, qui peut, quand il veut, donner ou retirer la victoire. Clovis suit son conseil, implore avec dévotion l'assistance de Jésus-Christ, et fait vœu de se faire chrétien, s'il éprouve sa puissance en remportant la victoire. A peine le vœu est-il prononcé, que les Allemands prennent la fuite, et, voyant leur roi tué, se soumettent à Clovis. Celui-ci leur impose un tribut et rentre vainqueur dans son royaume, comblant de joie sa femme de ce qu'il avait mérité de remporter la victoire en invoquant le nom de Jésus-Christ. La reine alors fait venir saint Rémi, et le supplie d'enseigner au roi la route du salut. Le saint prélat l'instruit dans la doctrine de vie, et lui ordonne de venir recevoir le sacrement du baptême. Le roi répond qu'il veut aussi exhorter son peuple, et en effet il engage son armée à abandonner des dieux qui ne peuvent les secourir, et à embrasser le culte de celui qui leur a donné une si éclatante victoire. Prévenue par la grâce de Dieu, l'armée confesse avec acclamation qu'elle renonce à ses dieux mortels, et croit au Christ qui l'a sauvée. On annonce ces nouvelles à saint Rémi; transporté de joie, il se livre avec ardeur à l'instruction du peuple et du roi; il leur enseigne comment, en renonçant à Satan à ses œuvres et à ses pompes, ils doivent croire au vrai Dieu et comme la solennité de Pâques approchait, il leur ordonne le jeu ne selon la coutume des fidèles.

Le jour de la passion de notre Seigneur, c'est-à-dire la veille du jour où ils devaient être baptisés, après avoir chanté nocturnes, l'évêque alla trouver le roi dès le matin dans sa chambre à coucher, afin que, le prenant dégagé de tous les soins du siècle, il pût lui communiquer plus librement les mystères de la parole sainte. Les gens de la chambre du roi le reçoivent avec grand respect et le roi lui-même accourt et vient au-devant de lui. Ensuite ils passent ensemble dans un oratoire consacré au bienheureux saint Pierre, prince des apôtres, et attenant à l'appartement du roi. Quand l'évêque, le roi et la reine eurent pris place sur les sièges qu'on leur avait préparés, et qu'on eut admis quelques clercs, et aussi quelques amis et domestiques du roi, le vénérable évêque commença ses salutaires instructions. Pendant qu'il prêchait la parole de vie, le Seigneur, pour fortifier et confirmer les saints enseignements de son fidèle serviteur, daigna manifester d'une manière visible que, selon sa promesse, quand ses fidèles sont rassemblés en son nom, il est toujours avec eux; la chapelle fut tout-à-coup remplie d'une lumière si brillante qu'elle effaçait l'éclat du soleil, et du milieu de cette lumière sortit une voix qui disait : La paix soit avec vous c'est moi ne craignez point, et demeurez en mon amour. Après ces paroles la lumière disparut, mais il resta dans la chapelle une odeur d'une suavité ineffable; afin qu'il pût être évident à tous que l'auteur de toute lumière, de toute paix et de toute piété, était descendu en ce lieu, le visage du saint prélat avait aussi été illuminé de cette merveilleuse lumière. Prosternés à ses pieds, le roi et la reine demandaient avec grande crainte d'entendre de lui des paroles de consolation, prêts à accomplir tout ce que leur saint protecteur leur commanderait, et en même temps ils étaient charmés de ce qu'ils avaient entendu, et éclairés à l'intérieur, quoique effrayés de l'éclat extérieur de la lumière qui leur était apparue. Le saint évêque inspiré de la sagesse divine, les instruisit des ordinaires effets des visions célestes; comment à leur apparition elles effraient le cœur des mortels mais bientôt le remplissent d'une douce consolation comment aussi les pères qui en avaient été visités avaient toujours à l'abord été frappés de terreur, mais ensuite pénétrés des douceurs d'une sainte joie par les merveilles de la grâce. Resplendissant à l'extérieur, comme l'ancien législateur Moïse, par l'éclat de son visage, mais plus encore à l'intérieur, par l'éclat de la lumière divine, le bienheureux prélat, transporté d'un esprit prophétique, leur prédit ce qui devait arriver à eux et à leur postérité il annonce que leurs descendants reculeront les limites du royaume, élèveront l'Église de Jésus-Christ, succéderont à l'empire romain et à sa domination et triompheront des nations étrangères, pourvu que, ne dégénérant pas de la vertu, ils ne s'écartent jamais des voies de salut ne s'engagent pas dans la route du péché et ne se laissent pas tomber dans les pièges de ces vices mortels qui renversent les empires et transportent la domination d'une nation à l'autre.

Cependant on prépare le chemin depuis le palais du roi jusqu'au baptistère; on suspend des voiles, des tapis précieux ; on tend les maisons de chaque côté des rues on pare l'Église on couvre le baptistère de baume et de toutes sortes de parfums. Comblé des grâces du Seigneur, le peuple croit déjà respirer les délices du paradis. Le cortège part du palais le clergé ouvre la marche avec les saints Évangiles, les croix et les bannières, chantant des hymnes et des cantiques spirituels; vient ensuite l'évêque, conduisant le roi par la main, enfin la reine suit avec le peuple. Chemin faisant, on dit que le roi demanda à l’évêque si c'était là le royaume de Dieu qu'il lui avait promis Non, répondit le prélat, mais c'est l'entrée de la route qui y conduit. Quand ils furent parvenus au baptistère, le prêtre qui portait le saint chrême arrêté par la foule, ne put arriver jusqu'aux saints fonts; en sorte qu'à la bénédiction des fonts, le chrême manqua par un exprès dessein du Seigneur. Alors le saint pontife lève les yeux vers le ciel et prie en silence et avec larmes. Aussitôt une colombe, blanche comme la neige, descend, portant dans son bec une ampoule pleine de chrême envoyé du ciel. Une odeur délicieuse s'en exhale, qui enivre les assistants d'un plaisir bien au-dessus de tout ce qu'ils avaient senti jusque là. Le saint évêque prend l'ampoule, asperge de chrême l'eau baptismale, et incontinent la colombe disparaît. Transporte de joie à la vue d'un si grand miracle de la grâce le roi renonce à Satan à ses pompes et à ses œuvres et demande avec instance le baptême. Au moment où il s'incline sur la fontaine de vie : Baisse la tête avec humilité, Sicambre, s'écrie l'éloquent pontife, adore ce que tu as brûlé et brûle ce que tu as adoré. Après avoir confessé le symbole de la foi orthodoxe, le roi est plongé trois fois dans les eaux du baptême, et ensuite, au nom de la sainte et indivisible Trinité, le Père, le Fils, et le Saint-Esprit, le bienheureux prélat le reçoit, et le consacre par l'onction divine. Alboflède aussi et Lantéchilde sœurs du roi, reçoivent le baptême et en même temps trois mille hommes de l'armée des Francs, outre grand nombre de femmes et d'enfants. Aussi pouvons-nous croire que cette journée fut un jour de réjouissance dans les cieux pour les saints anges, comme les hommes dévots et fidèles en reçurent une grande joie sur la terre.

Cependant une grande partie de l'armée des Francs refusa de se convertir à la foi chrétienne, et demeura quelque temps encore dans l'infidélité, occupant les pays au-delà de la rivière de Somme, sous la conduite d'un prince nommé Ragnachaire, jusqu'à ce qu'enfin, par un nouveau coup de la grâce, Clovis ayant remporté de glorieuses victoires, Ragnachaire, impie et adonne a tous les vices infâmes, fut livré tout enchaîné par les Francs et mis à mort. Alors tout le peuple franc se convertit au Seigneur par les mérites de saint Rémi, et reçut le baptême.

 

 

[1] On le trouve désigné sous les noms de Frodoard, Flodoard, Flohard, Floard et Flavald. Contre l'opinion de Gouverner, le meilleur de ses éditeurs, nous avons adopté le nom de Frodoard parce qu'il est plus conforme à l'idiome germanique, et que tout nous porte à croire que Frodoard était germain d'origine.

[2] On hésite entre les monastères de Saint-Rémi, Saint-Thierri Saint-Basic, Orbay et Haut-Villiers.

[3] Le cygne est dans les auspices l’oiseau du plus agréable augure c'est celui que souhaitant les matelots parce qu'il ne se plonge pas dans les ondes.

[4] Aethicus, dit Ister, vivait au 4e siècle, et est probablement, outre sa Cosmographie, l'auteur des Itinéraires dits Itinéraires d’Antonin.

[5] Ou Turpin.

[6] En 314.

[7] Worms.

[8] Que le peuple puise ici la vie dans le sang sacré qu'a versé de sa blessure Christ l'éternel. Rémi, prêtre, adresse au Seigneur ce vœu.