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FAUSTUS DE BYZANCE
 

BIBLIOTHÈQUE HISTORIQUE.

 

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 

FAUSTUS DE BYZANCE

 

INTRODUCTION.

 

De tous les monuments historiques de l’Arménie, l’ouvrage de Faustus de Byzance est assurément celui qui a été le plus sévèrement jugé par les écrivains nationaux. Déjà, à une époque fort ancienne, les Arméniens, par un sentiment exagéré de patriotisme, avaient témoigné leur mécontentement contre Faustus, en accusant cet historien de s’être fait l’écho de récits mensongers et d’appréciations calomnieuses. Lazare de Pharbe, auteur du cinquième siècle, qui avait compris l’injustice de ses compatriotes envers Faustus, s’appliqua à le défendre et à le justifier. Cet historien, qui fit preuve en cette circonstance d’une louable impartialité, n’hésita pas à reconnaître que l’ouvrage de Faustus avait subi d’importantes modifications, et que l’ignorance et l’esprit de parti n’étaient point étrangers aux interpolations qu’on remarque, à première vue, dans l’histoire de cet écrivain. Au surplus, ces altérations des textes originaux des plus anciens prosateurs de l’Arménie sont assez fréquentes, et la critique a déjà signalé des additions et des changements introduits dès le quatrième siècle, dans les ouvrages historiques qui nous sont parvenus sous les noms d’Agathange et de Zénob de Glag. Il est curieux de voir qu’au cinquième siècle, comme de nos jours, les Arméniens se sont toujours blessés des attaques dirigées contre leur nation, et qu’il est fort difficile de faire taire chez eux les rancunes qu’ils conservent contre plusieurs de leurs écrivains, accusés d’avoir flétri ou stigmatisé les défauts de leurs compatriotes. Lazare de Pharbe qui, de son côté, s’est montré impitoyable envers ses nationaux, et qui a pris à tâche de justifier Faustus, en le représentant comme un écrivain supérieur, d’une rare érudition, incapable de descendre jusque dans les basses régions de la calomnie, n’a pu, malgré ses efforts, ramener les Arméniens à des sentiments plus justes envers cet historien. Ce préjugé a subsisté même jusqu’à présent, et les savants religieux de la congrégation de Saint-Lazare de Venise, notamment Indjidji et Tchamitch, n’hésitent point à déclarer que tout le récit de Faustus, à quelques exceptions près, est dépourvu d’authenticité et ne mérite aucune confiance. Il est vraiment regrettable que les éditeurs de l’Histoire de Faustus n’aient attaché qu’une médiocre importance au témoignage de Lazare de Pharbe qui place cet auteur au même rang qu’Agathange, en donnant aux livres de ces deux annalistes la préférence sur cette quantité d’ouvrages historiques arméniens qu’il avait à sa disposition, en composant son livre. Toutefois l’ouvrage de Faustus, auquel nous accordons une véritable importance, n’est pas exempt de défauts, et il est vrai de dire qu’on y trouve des erreurs capitales, de fréquents anachronismes, une absence complète de chronologie et des exagérations inexplicables sur le nombre et l’importance des armées dont il fait l’énumération. Mais ces défauts qui, il faut bien le reconnaître, sont communs aux écrivains de cette époque, et dont la faute retombe en partie, soit sur les traducteurs, soit sur les copistes, sont du reste excusables chez un écrivain du quatrième siècle, d’autant plus qu’à côté de quelques taches, nous trouvons des indications précieuses et exactes qu’on chercherait en vain chez les contemporains de Faustus; nous voulons parler des détails que donne cet historien sur les mœurs, les usages, les coutumes, les superstitions, les croyances populaires, les cérémonies du paganisme arménien, les relations des satrapes avec le roi, le système féodal introduit en Arménie par les Arsacides, les commencements du christianisme et ses luttes, les rapports de l’Eglise avec l’Etat, enfin sur les relations du patriarche avec le pouvoir royal, etc. Non seulement Faustus nous apparaît dans son livre comme un historien savant et fort au courant des événements qu’il raconte, mais encore il déploie un véritable talent de narrateur lorsqu’il trace les portraits de quelques-uns des personnages dont il a esquissé l’histoire. Les biographies des patriarches Verthanès, Grigoris, Iousig, Jacques de Medzpin, Daniel, Nersès, Khad, et des généraux Vasag, Mouschegh, Manuel, sont rédigées de main de maître, et nous représentent avec une vérité parfaite ces personnages peu connus et dignes de l’admiration de la postérité.

Les récits de Faustus, comparés à ceux de Moïse de Khorène qui a rapporté également quelques-uns des faits historiques racontés par son prédécesseur, offrent de différences sensibles, et ce désaccord a été l’un des principaux arguments mis en avant par les critiques arméniens pour accuser Faustus de s’être écarté de la vérité. Cependant, dans l’état actuel de nos connaissances, il est fort difficile de dire auquel des deux historiens il faut accorder le plus de confiance, et on doit attendre, pour se prononcer à cet égard, que la critique, à l’aide de données nouvelles, soit en mesure de contrôler avec une entière certitude les récits de ces deux grands écrivains.

Quoi qu’il en soit, l’Histoire de Faustus de Byzance est, avec celle de Moïse de Khorène, la source capitale qui fournit les renseignements les plus abondants pour les annales de l’Arménie dans les deux premiers siècles de la conversion de ce pays au christianisme. Le récit de Faustus s’étend depuis l’année 344 de notre ère jusqu’en 392. Le savant Saint-Martin faisait grand cas de l’Histoire de Faustus, à laquelle il a emprunté une foule d’informations qui ont trouvé place dans les notes dont il a enrichi les premiers volumes de la nouvelle édition de l’Histoire du Bas-Empire de Lebeau. Du reste, dans un autre ouvrage, Saint-Martin s’était plu à rendre justice à cet historien, en disant « qu’il est facile de voir, par l’attention scrupuleuse qu’il prend de rappeler jusqu’aux moindres détails des événements, qu’il doit donner une connaissance plus exacte de l’Arménie au quatrième siècle de notre ère, que Moïse de Khorène, dont l’Histoire est écrite avec une extrême brièveté. » Il n’est pas douteux que Moïse de Khorène ait fait de larges emprunts à l’Histoire de Faustus qu’il n’a pas nommé, et du reste son exemple a été suivi par Lazare de Pharbe, Sébéos, Moïse de Gaghangaïdoutz, Jean Catholicos, Mesrob, Etienne Assoghig, Guiragos de Gantzag, Vartan le Grand, et tant d’autres encore, qui citent Faustus sans le nommer, et rapportent même quelques-unes de ses expressions.

Bien que Faustus de Byzance fasse partie de la pléiade des historiens classiques de l’Arménie, on ne connait que fort peu de chose de sa biographie. Son origine grecque, qui n’est pas douteuse, l’a fait considérer comme un étranger, et aucun écrivain national ne s’est spécialement attaché à nous conserver des détails particuliers sur sa vie. Dans un seul passage de son Histoire, Faustus, en énumérant les grands satrapes convoqués par le roi Diran (353-363), mentionne un certain prince de la famille des Saharouni qu’il dit être de sa famille « l’ischkhan de notre famille, dit-il, de la race des Saharouni ». On ne saurait dire si c’était par son père ou par sa mère, qu’il appartenait à cette illustre maison, mais ce qu’on peut avancer avec certitude, c’est qu’il était originaire de Byzance, comme l’indique son surnom de Pouzantatzi, qui veut dire en arménien « natif de Constantinople ou de Byzance ». Il reçut une instruction solide dans cette capitale, comme l’assure Lazare de Pharbe, mais il n’appartenait pas vraisemblablement à la caste sacerdotale, car notre auteur n’a rien de commun avec l’évêque Faustus dont il est question dans son Histoire, et avec lequel on a cherché à l’identifier.

L’instruction brillante que Faustus avait acquise dans les écoles de la capitale de l’empire des Césars ne permet pas de douter que cet écrivain n’ait composé son livre dans l’idiome grec, et en effet son style diffère essentiellement, même dans la traduction arménienne qui nous est seule parvenue, de celui des autres écrivains de son époque. De plus, les derniers mots qui terminent le troisième livre de son Histoire ne peuvent laisser subsister aucune incertitude sur la langue dans laquelle il rédigea son livre, puisque Faustus y est désigné par cette épithète « grand historien et chronographe grec ».

On doit croire que l’Histoire de Faustus de Byzance fut traduite dans la première moitié du cinquième siècle, immédiatement après l’introduction ou la mise en usage de l’alphabet national, dont l’invention est attribuée à S. Mesrob, et ce qui nous autorise à avancer cette hypothèse, c’est la mention que fait Lazare de Pharbe de la mutilation qu’aurait subie le texte original de Faustus de la part des falsificateurs grecs ou syriens qui abondaient à cette époque.

La version arménienne de l’Histoire de Faustus, répandue en grand nombre d’exemplaires en Arménie, contribua sans aucun doute à la perte du texte original grec, comme cela avait eu lien déjà pour une foule d’ouvrages du même genre, dont il ne reste que des versions syriaques, arméniennes, coptes, etc. Cependant le texte primitif de Faustus, qui avait eu un certain retentissement en Grèce, existait encore au sixième siècle, puisque Procope l’a connu, et qu’on trouve dans son Histoire de la Guerre Persique, des détails précis sur les événements qui précédèrent et suivirent la détention d’Arschag II dans le château de l’Oubli (φρούριον τῆς λήθης), détails qui sont textuellement empruntés à notre auteur. En effet, Procope nomme la source à laquelle il a puisé les renseignements qu’il donne sur Arschag II une Histoire d’Arménie, et c’est le même titre que nous trouvons dans Lazare de Pharbe. L’édition de Venise donne une rubrique différente: « Histoire d’Arménie de Faustus de Byzance, en 4 livres ». Il serait curieux de savoir si ce titre existe réellement sur les manuscrits dont se sont servis les savants éditeurs, car il est à remarquer qu’en tête des quatre livres de l’Histoire de Faustus, on lit les mots Pouzantaran Badmouthiounk, qui sont fort importants. S’il est vrai, comme le dit Lazare de Pharbe, que l’ouvrage de Faustus portait la rubrique d’Histoire d’Arménien, on se demande ce que pourrait signifier alors le terme Pouzantaran, et pourquoi le mot Badmouthiounk qui le suit écrit immédiatement, est au pluriel au lieu d’être exprimé au singulier. Pour répondre à cette question, il faut avant tout expliquer le mot Pouzantaran. Cette expression fort singulière se compose de deux éléments, d’abord Pouzant, surnom de Faustus qui est l’abrégé de Pouzantazi, « originaire ou natif de Byzance », et ensuite la particule ran qui, en arménien, exprime l’idée de lieu. C’est le seul et unique cas où cette particule entre dans la composition d’un nom propre. Or, en présence d’un fait aussi rare dans la langue arménienne, on peut hasarder une conjecture, c’est que le mot composé Pouzantaran doit signifier « Bibliothèque de Pouzant » ou de Faustus de Byzance. A l’appui de cette hypothèse, nous voyons le mot Badmouthiounk « histoires » employé au pluriel, ce qui nous permet de conjecturer que les expressions Pouzantaran Badmouthiounk veulent dire « Bibliothèque historique de Faustus de Byzance », et que cette Bibliothèque renfermait l’histoire de plusieurs nations et notamment celle de l’Arménie. Au surplus, ce titre n’a rien d’insolite, puisque déjà il avait été pris à une époque plus ancienne par Diodore de Sicile, dont les œuvres, soit dit en passant, étaient complètes à l’époque où vécut Faustus.

Faustus a divisé son ouvrage en quatre livres; cependant le premier livre est nommé, par l’auteur ou par son traducteur, le 3e, le second devient le 4e, le troisième est appelé le 5e, et enfin le quatrième est désigné sous le nom de 6e. Cette division, qui peut paraître singulière de prime abord, est cependant facile à expliquer. En effet, les premières lignes de l’avis préliminaire que Faustus a placé en tête de son Histoire, quoique assez confuses, nous permettent de reconnaître que l’ouvrage de cet annaliste, tel qu’il nous est parvenu, ne forme que la troisième partie de la « Bibliothèque historique », et que les deux parties précédentes devaient être divisées en deux livres distincts, traitant de l’histoire d’autres nations. L’Histoire d’Arménie venait ensuite; elle formait la continuation de la « Bibliothèque » de Faustus, et devait par conséquent commencer par le troisième livre. En effet, pour que le lecteur ne pût avoir de doutes sur cette division en livres, l’auteur, après avoir écrit, en tête de son Histoire d’Arménie, la rubrique « troisième livre », se hâte d’ajouter le mot « commencement », puis vient le premier chapitre de ce même livre. De cette façon, on doit écarter la supposition des savants Mékhitaristes qui croyaient à l’existence d’une autre Histoire d’Arménie du même auteur, qui serait aujourd’hui perdue. En résumé, si le mot Pouzantaran, dont le sens a été expliqué plus haut, a la valeur que nous lui avons attribuée, les mots « voici ce qui se trouve dans les livres de cette troisième Histoire » se comprennent aisément sans qu’il soit besoin de recourir à une autre explication.

M. Neumann, de Munich, a cependant donné une explication différente de la nôtre, et que nous croyons utile de rappeler, malgré son peu de vraisemblance. Selon lui, le livre de Faustus serait appelé le 3e, parce que cet historien aurait considéré son ouvrage comme faisant suite au récit d’Agathange. Mais cette supposition, tout ingénieuse qu’elle paraisse, ne repose sur aucune preuve et se trouve en désaccord avec le texte même de l’Avis préliminaire de Faustus.

Les quatre livres de Faustus ont subi de la part des copistes de fâcheuses mutilations, comme on peut s’en assurer en lisant la table des matières qui termine le sixième livre. En effet, Faustus donnait, dans cette partie de son Histoire, des détails sur lui-même en dix versets bien complets, qui manquent actuellement dans tous les manuscrits.

L’Histoire de Faustus embrasse l’espace d’environ un demi-siècle, et traite des règnes de huit souverains arméniens de la dynastie arsacide. Après avoir dit quelques mots sur le roi Tiridate, sur S. Grégoire l’Illuminateur et son fils Rhesdaguès, notre auteur raconte le règne de Chosroès II, fils de Tiridate; puis il passe à ceux de Diran II, d’Arschag II, de Bab, de Varazadt, d’Arschag IV, de Vagharschag ou Valarsace II. Il termine son Histoire par un exposé de la division politique de l’Arménie arrêtée par Sapor, roi de Perse, et par Arcadius, empereur des Grecs, en faveur d’Arschag IV et de Chosroès III.

Le style de Faustus est irréprochable comme pureté de langue, et en cela il ne le cède en rien pour l’élégance aux traductions arméniennes faites pendant le cinquième siècle. Cependant Faustus a le défaut d’allonger ses périodes, ce qui rend son style parfois très languissant, et le sens des mots difficile à saisir au premier abord. Aussi on doit comprendre que de difficultés il nous a fallu vaincre, pour rendre dans un idiome européen l’ouvrage de cet auteur, qui jusqu’à présent n’avait pas encore été soumis à l’épreuve d’une traduction.

Le texte de Faustus n’a eu encore que deux éditions; la première a paru à Constantinople en 1730; la seconde a vu le jour un siècle plus tard à Venise en 1832. L’édition princeps est fort rare, et il nous a été impossible de nous la procurer; c’est sur le texte de Venise que nous avons fait notre traduction.

En terminant, nous ferons observer que Faustus ne donne dans son livre aucune date, ce qui rend la chronologie des Arsacides très difficile à établir. Pour entreprendre la restitution des époques de chaque règne, il aurait fallu entrer dans une série de longues discussions qui nous eussent entraîné au-delà des bornes qui nous ont été tracées. Dans un ouvrage spécial, pour lequel nous avons rassemblé des documents assez nombreux, nous aborderons la question de la chronologie des Arsacides d’Arménie qui, jusqu’à présent, n’a pas été étudiée avec le soin qu’elle mérite, et nous avons tout lieu d’espérer que ce travail, entrepris en dehors du domaine par trop fréquenté des hypothèses, offrira au public savant quelque intérêt et sera consulté avec une sympathique indulgence.

J.-B. Emin.


 

FAUSTUS DE BYZANCE.

 

BIBLIOTHÈQUE HISTORIQUE.

 

(Traduction de l’arménien.)

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AVIS PRÉLIMINAIRE DE L’AUTEUR.

 

Voici ce qui se trouve dans les livres de cette troisième Histoire:[1] les canons chronologiques des trois ouvrages, puis les quatre livres [suivants], qui ne renferment que des mémoires sur la même matière; l’histoire de la nation arménienne, issue des enfants de Thorgom;[2] c’est-à-dire les faits et gestes accomplis autrefois; les actions et la biographie des saints pontifes, hommes de Dieu, jusqu’au moment de la mort de chacun d’eux; [les exploits] des rois arsacides, maîtres du pays, et ceux des hommes illustres placés à la tête de l’armée et issus du nombre des vaillants satrapes (nakharar); [le tableau] de la paix, de la guerre, de la prospérité, de la dévastation, de la justice, de l’iniquité, de la foi et de l’impiété. A partir du règne de Chosroès (Khosrov), fils de Tiridate (Dertad), jusqu’au dernier temps de la décadence de la royauté en Arménie, et du pontificat de Verthanès, fils du premier pontife Grégoire, enfin jusqu’aux principaux et derniers évêques arméniens, j’ai décrit [tout] en détail, selon l’ordre chronologique et dans des chapitres rigoureusement divisés. j’ai fait précéder ces quatre livres de quatre tables des matières, que je reproduis en tête de chaque chapitre, jusqu’à la fin de cet [ouvrage], afin d’en faciliter [la lecture] à tous ceux qui voudront étudier ce que je vais raconter.


 

LIVRE TROISIÈME.

 

Canons de ce livre; vingt et un chapitres.

 

I. Ce qu’il advint en Arménie après la prédication de l’apôtre Thaddée (Thatéos). Canons des livres chronologiques.

II. Du premier grand pontife Grégoire; [de son fils] et de leurs sépultures.

III. Règne de Chosroès (Khosrov), fils de Tiridate (Dertad); Patriarcat de Verthanès, fils du grand pontife Grégoire.

IV. Des deux familles des Manavazian et des Ouortouni, qui s’entretuèrent en Arménie.

V. Des deux fils de Verthanès, dont le premier se nommait Grigoris et le second Iousig.

VI. De Grigoris, fils de Verthanès; sa mort; sa sépulture.

VII. Grand combat livré à la suite de l’invasion du roi des Massagètes (Mazkhouth) dans les États du roi d’Arménie. Comment il périt, lui et ses troupes.

VIII. Plantation d’une forêt. Guerre avec les Perses et extermination de la race satrapale des Peznouni.

IX. Le ptieschkh Bacour se révolte contre le roi d’Arménie; il est remplacé par le ptieschkh Vaghinag de Siounik.

X. De Jacques (Agop), évêque de Medzpin.

XI. Grande guerre entre les Perses et les Arméniens, où succomba le commandant Vatché. Mort du roi Chosroès (Khosrov) et passage de ce monde à l’autre du patriarche Verthanès.

XII. Diran règne après son père. Iousig, après la mort de son père Verthanès, occupe le siège patriarcal; de quelle manière il fut tué par le roi Diran, dont il avait censuré la conduite.

XIII. Commirent, après la mort de Iousig, l’Arménie resta sans chef [spirituel], ses fils n’étant pas dignes d’occuper le siège de leur père.

XIV. Vie et actions du grand Daniel; comment il réprimanda le roi Diran qui, pour se venger, le fit mourir.

XV. Des fils de Iousig; comment ils foulèrent aux pieds l’honneur du divin sacerdoce.

XVI. De Pharin qui occupa le siège patriarcal.

XVII. De Schahag, issu de la race de l’évêque Albin (Aghpianos), qui occupa le siège patriarcal. Comment l’Arménie entière abandonna le Seigneur et ses commandements.

XVIII. Le chef des eunuques, Haïr, fait mourir les familles satrapales.

XIX. De Bab et d’Athanakinès, fils de Iousig, et de quelle manière ils moururent dans leur iniquité.

XX. Le roi Diran est trahi par son chambellan Phisig de Siounie, et fait prisonnier par Varaz. Le pays partage le sort de son roi.

XXI. Les satrapes arméniens se réunissent d’un consentement unanime et engagent l’empereur des Grecs à venir en Arménie pour les secourir. Le roi des Perses, accouru avec une nombreuse armée, est contraint de s’enfuir seul dans son royaume sur un cheval.

 

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LIVRE TROISIÈME.

 

COMMENCEMENT.

 

CHAPITRE I.

Ce qu’il advint en Arménie après la prédication de l’apôtre Thaddée. Canon des livres chronologiques.

La prédication de l’apôtre Thaddée depuis son début; son martyre et sa mort jusqu’à la fin de la prédication et de la mort de saint Grégoire;[3] le meurtre de l’apôtre commis par le roi Sanadroug[4] jusqu’au moment où celui-ci fut obligé d’embrasser la foi [chrétienne];[5] la mort du roi Tiridate (Dertad);[6] les faits accomplis par les anciens; la vie des hommes illustres, celle de leurs adversaires, tout cela a été décrit par d’autres [historiens].[7] Néanmoins nous allons relater succinctement tous ces faits dans le cours de notre Histoire, pour ne pas en intervertir l’ordre. Dans notre narration, nous examinerons et l’époque primitive et les derniers temps; quant à l’époque intermédiaire, elle a été écrite par d’autres, et nous la mentionnons seulement pour ne point laisser de lacunes dans notre ouvrage. C’est ainsi qu’une brique placée au milieu d’un mur achève la construction de l’édifice entier. Cela dit, nous allons entrer immédiatement en matière.

CHAPITRE II.

Du premier grand pontife Grégoire; [de son fils] et de leurs sépultures.

Pendant le règne de Tiridate (Dertad), fils de Chosroès (Khosrov), [l’Arménie] embrassa la foi chrétienne,[8] grâce au zèle du grand prêtre Grégoire, fils d’Anag.

Aristaguès,[9] fils cadet de ce dernier, pendant l’apostolat de son père, fut son coopérateur actif durant toute sa vie, jusqu’au jour de sa mort, quand il fut rappelé par le Christ.[10] On avait préparé pour tous les deux des sépultures dignes de les recevoir Grégoire le Grand fut enterré dans le village de Thortan, au canton de Taranagh. Quant à son fils Aristaguès, après sa mort de confesseur, son corps fut emporté du canton de Dzop et enseveli dans le bourg de Thil au canton d’Eghéghiatz, dans les domaines de son père Grégoire.[11]

CHAPITRE III.

Règne de Chosroès, fils de Tiridate. Patriarcat de Verthanès, fils du grand pontife Grégoire.

Aussitôt après, le trône [d’Arménie] fut occupé par Chosroès [II] Kotac,[12] petit-fils de Chosroès [I], fils du vaillant et vertueux roi Tiridate. Sous son règne, vivait Verthanès, fils ainé de Grégoire, qui, à l’exemple de son père et de son frère, occupa le siège du premier et devint [grand] pontife.[13] En ce temps-là, régnaient la paix, l’ordre, la fécondité, la santé, la richesse, un zèle et un grand amour pour le bien qui se propageaient partout. Saint Verthanès, suivant l’exemple de son père et de son frère, ne faisait qu’éclairer le peuple et le guider [dans la voie du bien]. C’était une époque où la justice et la probité florissaient. Vers ce même temps, le pontife Verthanès, partit pour aller visiter la première et grande mère des églises arméniennes, dans le pays de Daron, où jadis, du temps du grand pontife Grégoire, les autels des temples païens furent détruits par l’effet d’un miracle.[14] Arrivé là, il se préparait, comme il avait l’habitude de le faire, à renouveler le sacrifice que le Seigneur avait offert sur la croix pour notre salut et communier en souvenir de la Passion, c’est-à-dire avec le corps et le sang vivifiants du Fils de Dieu, Notre-Seigneur Jésus-Christ. Car c’est ainsi que les pontifes arméniens, avec les rois, les grands, les satrapes et une foule immense de gens du pays, venaient ordinairement honorer les localités où, dans le commencement, on ne voyait érigées que les statues des idoles, les localités qui, purifiées au nom de la divinité, devenaient une maison de prières et un lieu de dévotion pour tous. Là surtout, dans ce centre principal de l’Eglise, on se réunissait sept fois l’année en commémoration des saints qui y reposaient; c’était avec une prédilection prononcée qu’on se rendait aussi à la chapelle du grand prophète saint Jean-Baptiste. Ce rendez-vous se faisait chaque année dans les églises placées sous l’invocation des apôtres, disciples du Seigneur, et dans celles consacrées aux martyrs, où on venait fêter avec allégresse le jour de leur mort.

Il arriva une fois que le grand pontife Verthanès, accompagné d’une suite peu nombreuse, était venu offrir le sacrifice de la bénédiction. Des gens, qui jusqu’alors gardaient en secret le culte invétéré du paganisme et de l’idolâtrie, s’étant réunis au nombre de deux mille, convinrent entre eux de tuer Verthanès, le pontife de Dieu. Ils étaient un peu encouragés dans leur dessein par l’épouse du roi, que le saint réprimandait sans cesse au sujet de sa conduite déréglée. Cette foule cernait déjà la grande muraille de l’église d’Achdichad; et, tandis que Verthanès, entré dans le temple, célébrait la messe, la troupe se prépara à l’assiéger du dehors. Mais ici un miracle s’accomplit; les bras des gens qui faisaient partie de la troupe se replièrent sur leurs dos; et de cette manière tous se sentirent attachés, sans avoir été liés par personne. C’est ainsi que tous ces gens frappés de stupeur, pliés, garrottés, accroupis, gisaient sur le sol, ne pouvant bouger de leur place: c’étaient des hommes de la race sacerdotale qui ne faisaient que saccager et dévaster le pays par leur cruauté. Toute cette foule restait entassée pêle-mêle dans l’enceinte de l’église, quand Verthanès en personne, s’approchant d’elle, demanda: « Qui êtes-vous, d’où venez-vous et qui cherchez-vous? » Ils commencèrent à lui confesser la vérité en disant: « Nous sommes venus pour ravager cet endroit et pour vous tuer, encouragés que nous étions par l’ordre et à l’instigation de la reine de la Grande Arménie. Mais le Seigneur Dieu vient de manifester sa puissance et de nous prouver que c’est lui seul qui est Dieu. Et maintenant nous sommes convaincus et nous croyons que c’est bien lui seul qui est Dieu. Nous voilà garrottés, ne pouvant même bouger de cette place. »

Alors le bienheureux Verthanès commença à leur enseigner la foi et à les fortifier dans la croyance du Seigneur Jésus-Christ; et il leur parla longuement. Après quoi, s’adressant à Dieu, il lui adressa des prières, puis, après avoir guéri [cette multitude], il la délivra de ses liens invisibles et de ses souffrances insupportables. Toute cette multitude, une fois libre, se prosterna devant Verthanès en lui demandant, comme remède, la pénitence; le saint homme leur en désigna le terme. Instruits dans la foi de la Trinité une et sainte, ils reçurent le baptême, au nombre de deux mille environ, sans compter leurs femmes et leurs enfants. Verthanès, après les avoir réunis aux fidèles, les congédia, purifiés et fermes dans leur croyance.[15]

CHAPITRE IV.

Des deux familles des Manavazian et des Ouortouni qui s’entretuèrent en Arménie.

Vers ce temps-là, un grand conflit éclata dans le pays des Arméniens: deux grands satrapes et princes, maîtres et seigneurs de provinces et de pays entiers, étant aux prises, se firent l’un contre l’autre une guerre cruelle avec une violente inimitié. D’un côté, le prince de la maison des Manavazian,[16] de l’autre, le chef de la famille des Ouortouni,[17] ne cessèrent de troubler le vaste pays des Arméniens.[18] C’était une guerre acharnée entre eux, qui fut la cause d’une ruine et d’un massacre immense d’individus. Enfin le roi Chosroès et le grand pontife Verthanès se décidèrent à envoyer le vénérable archevêque Albin[19] pour rétablir la paix entre eux. On le traita avec mépris et on rejeta son intervention, en se moquant de ceux qui l’avaient envoyé. L’évêque ayant été congédié avec des injures, [les princes ennemis] se mirent à dévaster la maison du roi. Acharnés comme ils l’étaient, ils continuèrent à se faire la guerre avec plus de violence. Alors le roi, courroucé, envoyé contre eux le commandant en chef de l’armée arménienne, Vatché, fils d’Ardavazt, chef de la maison des Mamigoniens, pour tuer et exterminer entièrement les deux familles. Le commandant Vatché, aussitôt arrivé, tomba sur les deux familles, les combattit et les mit en fuite, n’épargnant pas même un seul enfant mâle. Après quoi il revient auprès de Chosroès, roi des Arméniens, et du grand pontife Verthanès. Le roi fit don du bourg et du village, résidence du chef des Manavazian, à l’église de l’évêque Albin, ainsi que de Manavazakert[20] avec tous ses alentours et son petit canton, situé sur les confins de ce dernier, et s’étendant vers les rives de l’Euphrate. Le propre village des Ouortouni, nommé Ouortorou, fut aussi cédé:[21] il se trouvait dans le pays de Pasan,[22] où l’évêque de Pasan avait son siège.

CHAPITRE V.

Des fils de Verthanès, dont le premier se nommait Grigoris et le second Iousig.

Verthanès et Rhesdaguès (Aristaguès) étaient les fils du grand pontife Grégoire. Rhesdaguès était vierge et pur dès son enfance; quoique fils cadet, il occupa le premier le siège épiscopal de son père. Bien que marié, Verthanès n’avait point de postérité. Pendant bien des années, il pria Dieu de ne pas le priver de la bénédiction d’avoir un « enfant qui se consacrerait un jour au service du Seigneur, comme étant son héritier. Dans sa vieillesse, le Seigneur exauça ses prières; son épouse conçut et engendra deux fils jumeaux; Verthanès donna à l’aîné le nom de son père Grigoris, au cadet celui de Iousig. Elevés en présence du roi d’Arménie, ils se voyaient entourés de soins pour leur éducation. Dans la suite, le fils aîné, Grigoris, occupa le siège épiscopal dans les contrées des Aghouank et des Ibériens (Virk), quand il fut d’âge à faire de bonnes actions et à porter en lui la science de Dieu. Il ne voulut pas contracter mariage; et, dans sa seizième année, il monta sur le siège épiscopal dans les pays des Ibériens et des Aghouank, c’est-à-dire dans le voisinage des Massagètes (Mazkouth).[23] Aussitôt installé, son premier soin fut de rétablir l’ordre dans les églises, en suivant l’exemple de Grégoire premier.[24]

Ce fut Diran,[25] fils du roi Chosroès, qui éleva Iousig.[26] Le prince royal Diran donna sa fille en mariage à Iousig, fils de Verthanès. Comme c’était un jeune homme, la première nuit qu’il connut sa femme, elle conçût. Immédiatement, il aperçut dans une vision, qu’il avait deux enfants et tous deux indignes du service du Seigneur Dieu; alors il se repentit de s’être marié. Il versa des larmes, implora Dieu, et, abreuvé de chagrin, il fit pénitence. Comme jeune homme, il ne s’était marié qu’en cédant aux instances du roi. Ceci même ne se fit que par la grâce de Dieu; car plus tard devaient naître de lui de grands pasteurs qui se voileraient au bien de leur pays et à l’intérêt du service de l’Eglise, d’après les préceptes de l’Evangile. Après cette première et unique nuit, il ne connut plus sa femme. La femme engendra pour ce monde, comme cela avait été déjà montré d’avance à Verthanès, dans la vision. L’un des fils s’appela Bab, l’autre Athénogène (Athanakinès).

Iousig, jeune homme resté pur, à la suite de la première nuit [de ses noces], n’approcha plus sa femme, non pas qu’il considérât le mariage comme une chose impure, mais parce qu’il avait souci de la vision qu’il avait eue, et il ne voulut plus donner le jour à des enfants indignes. Or ce n’était pas pour ce monde qu’il désirait avoir un enfant, mais il le souhaitait pour le consacrer au service du Seigneur Dieu. Il comptait pour rien tout ce qui était terrestre; il préférait aux choses passagères ce qui venait d’en haut; il n’avait qu’une seule aspiration, celle de la vie céleste. Servir Jésus-Christ était son seul désir et son unique gloire. Il ne s’arrêtait ni sur l’amitié du roi, ni sur les honneurs et les grandeurs qui venaient de lui, ni sur ce qu’il était son gendre. Il renonça à tout, comme à des choses inutiles, abominables et trompeuses. La première déception éprouvée, il ne fut jamais enclin à la séduction comme un adolescent; dès lors il parut avoir l’esprit d’un vieillard, ne méditant que l’immortalité. Il préféra le blâme, par amour du Christ, aux grandeurs des rois. Il se consacra à la vie austère et, dès l’âge de douze ans, il n’endura que des mortifications. En tout il suivait [la doctrine de] ses pères, et l’exemple de son frère Grigoris vivait en lui. Il a supporté le joug du Christ jusqu’à la fin de sa vie sans la moindre paresse.

La maison royale s’était posée vis-à-vis de Verthanès dans une situation hostile, et, tandis que ses beaux-parents (beaux-pères) le tracassaient à cause des faits que je viens de raconter, la mort atteignit sa femme, et [de cette manière] Iousig se trouva libre d’engagement. Préoccupé comme il l’était du sort de ses enfants, il passait des heures entières à prier Dieu; l’ange du Seigneur lui apparut dans une vision et lui dit: « Iousig, fils de Grégoire, sois sans crainte, car le Seigneur a exaucé ta prière, et de tes enfants naîtront d’autres enfants qui apporteront la lumière de la science à l’Arménie; ils seront pour ce pays la source de la sagesse spirituelle. Ce sera d’eux que jaillira la grâce des commandements de Dieu; par leur intermédiaire, le Seigneur accordera une paix abondante et une prospérité durable aux églises triomphantes et fortes; nombre d’égarés rentreront dans la voie de la vérité et le Christ sera glorifié par beaucoup de nations. Ils seront les colonnes de l’église, les dispensateurs de la parole de vie, les bases de la foi, les serviteurs du Christ et du Saint-Esprit; car ce qui servira de fondement à l’édifice doit en servir aussi pour le couronnement. Leur main laborieuse plantera beaucoup d’arbres fructueux et utiles, qui obtiendront la bénédiction de Dieu. Ceux d’entre eux qui ne consentiront pas à être plantés par elle, qui ne voudront pas s’abreuver de la rosée de la science, seront rejetés avec mépris et malédiction et consumés par le feu. Souvent, pour le nom du Seigneur, ils seront enviés et haïs par les indignes; mais ils resteront cependant inébranlables dans leur foi comme un rocher, et triompheront de leurs ennemis par leur longanimité. Après eux commencera à régner le mensonge engendré par des gens qui ne connaîtront pas de frein, égoïstes, intéressés, sans asile, indignes et fourbes, et le nombre de ceux qui ont fait vœu de conserver fermement la foi sera très restreint. » Le jeune Iousig, après avoir entendu tout cela de la bouche de l’ange, se consola et rendit grâces au Seigneur Dieu, qui le jugea digne d’une pareille révélation. Dès lors, il ne fit que rendre grâces au ciel à chaque heure de sa vie.

CHAPITRE VI.

Fin de Grigoris.

L’évêque Grigoris, fils de Verthanès et frère d’Iousig, étant encore un jeune homme, fut nommé catholicos des pays des Ibériens (Virk) et des Aghouank, où il fit construire et restaurer beaucoup d’églises, dans les districts limitrophes de l’Adherbeidjan (Aderbadagan). Prédicateur de la vraie foi chrétienne, il se présentait, admirable et sublime, devant tout le monde; il menait une vie d’une austérité indicible; jeûnant, se sanctifiant, veillant durant toute la nuit, et priant avec ferveur le Seigneur Dieu pour le salut de chacun. D’après les prescriptions de l’Evangile, aidé par les grâces de Dieu, il surveillait sans cesse la sainte Eglise. Il travaillait surtout sans relâche à convaincre chacun de la nécessité de faire le bien, à passer le jour et la nuit dans le jeûne et dans les prières, et à remplir les prescriptions sublimes de la foi. Il faisait cela également et avec la même ardeur spirituelle, pour ceux qui étaient près et pour ceux qui étaient loin. Comme un athlète jaloux de combattre, il s’exerçait sans cesse et était prêt à aller au-devant des tentations et des dangers, à répondre avec hardiesse et à lutter pour la vérité de la foi chrétienne.

Après avoir édifié et restauré toutes les églises des pays dont il a été question, Grigoris arriva au camp du roi arsacide des Massagètes, qui se nommait Sanesan.[27] Il y avait parenté entre les rois Massagètes et ceux des Arméniens, parce qu’ils tiraient leur origine de la même race. Grigoris se présente au roi des Massagètes qui commandait l’immense année des Huns. Debout devant eux, il commença à leur prêcher l’Evangile du Christ en disant: « Reconnaissez Dieu. » Au commencement, les Huns l’écoutèrent avec attention, acceptèrent [la foi] et se soumirent à lui. Ensuite, en examinant la religion du Christ, ils apprirent que Dieu déteste le pillage, le meurtre, l’avarice, le désir de s’emparer et de s’approprier ce qui appartient à autrui. Quand ils apprirent cela, ils dirent avec emportement: « Si nous cessons de piller, de dépouiller les autres, de nous emparer de leurs biens, comment subsistera alors une armée aussi nombreuse que la nôtre? » Avec beaucoup de bonnes paroles, Grigoris essaya de les convaincre, mais personne ne voulut l’écouter. Ils se disaient entre eux: « Le voilà arrivé chez nous pour nous empêcher avec de semblables discours de pratiquer ce que nous avons fait jusqu’à présent. Si nous prêtons l’oreille à ce qu’il dit et si nous embrassons la religion chrétienne, qu’est-ce que nous deviendrons, sans pouvoir monter à cheval comme c’est chez nous la coutume? » Ils ajoutèrent: « C’est la pensée du roi d’Arménie, qui, en l’envoyant chez nous, a voulu, par la propagation de cette doctrine, nous faire renoncer à nos incursions dans son propre royaume. Eh bien ! tuons-le, recommençons nos invasions en Arménie, et enrichissons notre pays d’un butin abondant. »

Le roi [des Massagètes] se tourna vers eux et se plaça du côté de sa troupe. Alors on amena un cheval fougueux; on attacha le jeune Grigoris à la queue de ce cheval et on le lança sur le littoral de la grande mer septentrionale,[28] qui s’étend au-delà de leur camp situé dans la plaine de Vadnian. C’est ainsi qu’on tua le vertueux prédicateur du Christ, le jeune Grigoris. Ceux qui l’avaient accompagné du canton de Hapant enlevèrent son corps, le transportèrent dans leur propre district, dans le pays des Aghouank sur les confins de l’Arménie, à Hapant, dans le village qui se nomme Amaraz. On le déposa près de l’église qui fut construite par le premier Grégoire, surnommé le Grand, lequel était l’aïeul de Grigoris, grand pontife du vaste pays des Arméniens. Chaque année, les habitants de tous les cantons du pays se réunissent pour fêter la mémoire et le jour de son martyre.[29]

CHAPITRE VII.

Grand combat livré à la suite de l’invasion du roi des Massagètes dans les Etats du roi d’Arménie. Comment il périt, lui et ses troupes.

Dans ce temps-là, Sanesan, roi des Massagètes, nourrissait une animosité et une haine implacables contre son parent le roi d’Arménie Chosroès (Khosrov). Il réunit ses troupes composées des Huns, des Phokh,[30] des Thavasbar, des Hedjmadag, des Ijmakh, des Kath, des Teghouar, des Koukar, des Schischp, des Dchighp, des Paghasdj, des Ekersouan,[31] celles des autres peuplades innombrables, non habituées à avoir un domicile fixe et vivant sur des chariots, et tout ce que le roi avait de gens de guerre sous son commandement. Laissant derrière lui ses frontières, il franchit la grande rivière Cyrus (Gour), entra dans l’Arménie et envahit [avec ses troupes] tout le pays. Les cohortes de cette immense cavalerie étaient innombrables, et même on ignorait le nombre des fantassins armés de lances. Ces peuplades elles-mêmes n’étaient pas en état de connaître le chiffre de leurs troupes. Seulement, quand, dans des localités indiquées, on passait en revue ces cohortes, dont chacune avait son drapeau et ses armes particulières, ordre était donné à chaque homme d’apporter une pierre et de ha jeter dans un endroit désigné pour en former un monceau. C’est de cette manière qu’on indiquait la quantité de cette masse d’hommes, et par ce moyen on voulait inspirer l’épouvante à ceux qui devaient passer le lendemain par cet endroit. Chemin faisant, ils laissaient [cette indication] aux carrefours, des grandes routes. Enfin ils entrèrent dans le pava d’Arménie, qui bientôt se trouva envahi par ces barbares dans toute son étendue. Ils ne cessaient de détruire, de porter la dévastation partout et de réduire les habitants en captivité. Ils se répandirent vers les frontières [du pays] jusqu’à la petite ville de Sadagh et jusqu’à Kandsag d’Adherbeidjan (Aderbadagan).[32] Alors on ordonna [à toutes ces troupes] de se réunir dans un même lieu, et ce rendez-vous général était fixé dans la province d’Ararat.

A la nouvelle de l’invasion de son frère Sanesan, roi des Massagètes, le roi d’Arménie Chosroès prit la fuite et se jeta dans le château inaccessible de Tarioun,[33] dans le territoire de Gok (Govk), suivi par le vieux Verthanès, grand pontife des Arméniens. Alors on commença à jeûner, à prier Dieu pour qu’il les délivrât de ce bourreau implacable, qui déjà depuis une année entière tenait sous sa main tout le pays qui était couvert de ses guerriers. C’est alors qu’on vit arriver Vatché, fils d’Ardavazt, de la maison des Mamigoniens, commandant en chef de toutes les armées de la Grande Arménie, qui, dans ce temps-là, revenait d’un voyage lointain, entrepris dans les provinces grecques.[34] Il rassembla les vaillants satrapes (nakharar), improvisa un corps nombreux, et le lendemain, à l’heure des matines, il tomba sur le camp des ennemis, établi au pied de la montagne nommée Tzlou-kloukh (tête de taureau). Après avoir passé tout le monde au fil de l’épée, de telle sorte que personne ne put échapper au massacre, il emmena avec lui de nombreux captifs. Chargé du butin, il descend dans la plaine de la province d’Ararat, y rencontre le roi des Massagètes, Sanesan, avec son armée principale qui était considérable [et qui occupait] la ville de Vagharschabad.[35] Vatché, à la tête de son corps d’armée, fond sur la ville à l’improviste, et le Seigneur lui livre les ennemis.

L’ennemi, se voyant ainsi attaqué, sort de la ville et se dirige vers les endroits escarpés du château d’Oschagan, cherchant asile dans ces lieux déserts et couverts de blocs de pierres. Cependant il s’y livra un combat des plus acharnés. Les compagnons d’armes du commandant en chef des Arméniens, c’est-à-dire Bagrat Bagratide (Pakratouni), Méhountag et Karékin Reschdouni, Vahan, chef de la famille des Amadouni, et Varaz Gaminagan, arrivés à temps, se mettent à frapper et à tuer les troupes des Alains, des Massagètes, des Huns et des autres peuplades, jusqu’à ce que cette plaine couverte de pierres se trouvât encombrée de cadavres; le sang coulait comme un fleuve et il n’y avait pas moyeu de préciser le nombre des tués. Le peu de gens échappés à la mort étaient poursuivis par les Arméniens qui les chassèrent devant eux jusqu’au pays des Paghasidj. On apporta la tête du grand roi Sanesan et on la présenta au roi d’Arménie qui, à cette vue, commença à pleurer, en disant: « Oui, c’était un frère pour moi, un prince d’origine arsacide. » Ensuite le roi, accompagné du grand pontife arménien, se rendit sur le lieu du combat où ils virent un nombre immense de guerriers morts de leurs blessures: l’endroit était empesté par les cadavres en putréfaction. Ils donnèrent l’ordre d’amener un nombre considérable d’hommes robustes pour qu’ils les ensevelissent en entassant sur eux de grands blocs de rochers, afin de préserver le pays de la peste qui pouvait se propager. Pendant plusieurs années, aucun événement ne vint troubler la paix de l’Arménie.

C’est ainsi que la mort de saint Grigoris fut vengée sur le roi Sanesan et sur toute son armée, car il ne resta pas un seul homme en vie.[36]

CHAPITRE VIII.

Plantation d’une forêt. Guerre avec les Perses et extermination de la race satrapale des Peznouni.

Quand la paix fut rétablie pour quelque temps dans le pays des Arméniens, le roi d’Arménie, Chosroès, ordonna de distribuer des présents à tous les hommes vaillants, qui l’avaient servi et qui s’étaient exposés dans tous les combats pour [le salut] de la Grande Arménie.[37] Il fit don au commandant Vatché des sources de Tchantchanag, Tcherapachkhik et de Tzlou-kloukh (tête de taureau) avec tous leurs cantons; il en fit autant aux autres grands satrapes. Le roi donna ordre à son commandant de faire venir beaucoup de palissades de tout le pays, d’apporter des noisetiers sauvages et de planter une forêt de noisetiers dans la province d’Ararat, à commencer du solide château royal, nommé Karni, jusqu’à la plaine de Medzamor qui s’étend au pied de la colline appelée Tevin, située au nord de la grande ville d’Ardaschad. Cette forêt suivait le courant du fleuve jusqu’au palais de Dignouni, que le roi nomma Dadjar-maïri (palais du bosquet). Une autre forêt fut plantée au sud de la première, dans la plaine qui s’étend depuis l’endroit où croit le roseau: on la nomma Khosrovakert (plantée par Chosroès). C’est ici qu’on construisit un palais royal. Les deux forêts étaient entourées de palissades, et on ne les avait pas réunies pour laisser libre la grande route qui les traversait. Quand les forêts eurent pris racine et grandi, le roi ordonna de les remplir de bêtes fauves de toute espèce, pour qu’elles puissent servir aux chasses royales. Le commandant Vatché exécuta l’ordre du roi avec la plus grande diligence.[38] Tandis que Chosroès était occupé à planter la forêt, il arriva tout à coup chez lui, pendant son séjour dans le canton de Her et de Zararand,[39] un messager [avec la nouvelle] que l’armée perse, prête à entrer en campagne, allait bientôt lui déclarer la guerre. Alors le roi Chosroès ordonna à Tadapé, chef de la famille des Peznouni, de réunir un nombre considérable d’hommes les plus vaillants du pays, et d’aller avec ce corps d’élite au-devant de l’ennemi afin de l’arrêter dans sa marche. Tadapé, à la tête de cette nombreuse armée arménienne, alla à la rencontre des Perses. Quand il rencontra l’ennemi, il entra en négociation avec les chefs de l’armée perse, afin de leur livrer le roi d’Arménie, son maître. Il donna l’ordre à l’ennemi de se tenir en embuscade, de se jeter sur les Arméniens et de les passer au fil de l’épée. Au moment où les Arméniens s’y attendaient le moins, quarante mille hommes furent massacrés et les autres prirent la fuite. Alors, le traître Tadapé, ayant pris le commandement de l’armée perse, se prépara à attaquer le roi d’Arménie. Mais les fugitifs, arrivés au camp du roi des Arméniens, lui apportèrent la funeste nouvelle du grand désastre et de l’exécrable trahison du perfide Tadapé.

Alors le roi d’Arménie, Chosroès, avec Verthanès, le grand pontife, se prosternant devant Dieu, commença à lui adresser de ferventes prières accompagnées de larmes abondantes. Après quoi il se bâta de rassembler autour de lui une armée d’environ trente mille hommes; le commandant Vatché fut mis à leur tête. C’est ainsi que le roi alla à la rencontre de l’ennemi avec tous ses grands satrapes. Les deux armées se heurtèrent sur le bord de la mer de Peznouni dans le bourg d’Aresd,[40] près de la petite rivière où se trouvait la pêcherie royale. C’est de là qu’ils virent l’armée perse qui était innombrable; c’était comme des étoiles dans le ciel et comme le sable sur le bord d’une mer. Il était impossible de compter les guerriers, ni de préciser le nombre des éléphants. Mettant leur espérance en Dieu, ils se précipitèrent sur le camp ennemi; ils frappèrent, ils hachèrent, ils tuèrent de telle sorte que personne ne put échapper. Ils firent un grand butin et emmenèrent les éléphants et tout ce qui formait la force [ennemie]. Tadapé, pris par le commandant en chef Vatché et par le vaillant Vahan Amadouni, fut amené devant le grand roi Chosroès et lapidé comme un homme qui avait trahi sa patrie, son armée et son maître. Vatché, apprenant que tous les parents, la femme et les enfants [de Tadapé] se trouvaient au château du prince des Reschdouni, dans l’île d’Aghthamar,[41] s’embarqua pour cette île, où il massacra hommes et femmes sans exception. C’est ainsi que la race des Peznouni fut exterminée. On confisqua la maison [de Tadapé] pour le fisc.

Après cela, les Perses ne discontinuèrent pas de guerroyer avec le roi Chosroès, qui établit la loi suivante « Dorénavant les grands et les satrapes, maîtres et possesseurs des provinces, commandant une troupe de mille à dix mille hommes, seront obligés de rester auprès du roi, et de former sa suite, et aucun d’eux ne devra se trouver dans l’armée royale. » Le roi, se méfiant de leur fidélité, pensait qu’à l’exemple de Tadapé, il leur serait facile de se révolter contre lui. Il n’avait de confiance que dans le vieux Vatché, le fidèle généralissime de la Grande Arménie, et que dans le vaillant Vahan Amadouni. Après avoir réuni les troupes de toutes les anciennes familles à l’armée royale, il leur transmit le commandement. Dès lors cette armée ne cessa de se couvrir de gloire dans les guerres incessantes qu’elle faisait sur le territoire de la Perse, empêchant l’ennemi d’envahir et de dévaster l’Arménie, à cause de l’inaction [des généraux de ce royaume]. Durant la vie de ces deux chefs, le pays jouit de la paix et le roi d’une parfaite sécurité.

CHAPITRE IX.

Le ptieschkh Bacour se révolte contre le roi d’Arménie; il est remplacé par le ptieschkh Vaghinag.

Vers ce temps-là, le grand prince d’Aghdsnik, un des vassaux qu’on nommait ptieschkh, se révolta contre le roi d’Arménie. C’était un des quatre [personnages] occupant la première place et le premier coussin au palais du roi.[42] Il se rangea du côté du roi des Perses,[43] et trahit la maison royale qui avait en lui une confiance parfaite.[44] Il demanda au roi des Perses une troupe auxiliaire, et, se détachant du royaume d’Arménie, il commença contre son roi, avec le secours des Perses, une guerre qui, chaque jour, devenait de plus en plus acharnée. Alors le roi d’Arménie, à la tête d’une nombreuse armée, expédia ses fidèles vassaux, notamment le prince de Gortouk,[45] Tchonn; le prince du grand Dzop,[46] Mar; le prince de Dzop,[47] Schahéi Nersèh; le prince de Siounik, Vaghinag; le prince de Hachdiank,[48] Tad; et le prince de Pasèn,[49] Manag,[50] qui, étant partis, prirent [non seulement] le dessus sur l’armée perse, mais exterminèrent [encore] tous les combattants, en les faisant passer au fil de l’épée.

Le ptieschkh, ainsi que ses frères et ses fils, furent tués.[51] On présenta au roi la tête de Bacour, et sa jeune fille. Comme de toute la famille, il ne restait que cette jeune fille, le roi la donna en mariage à son favori Vaghinag de Siounik avec toute la maison d’Aghdsnik en l’élevant à la dignité de ptieschkh et en le déclarant héritier de la maison de ce dernier. Vaghinag, le ptieschkh, eut beaucoup d’héritiers, et, quoiqu’il possédât de vastes domaines et une troupe nombreuse, il resta toujours fidèle au roi. Seulement un des fils du ptieschkh, Bacour, jeune encore, s’enfuit et se réfugia chez le commandant arménien Vatché, dans la maison duquel il fut caché et sauvé. Dans la suite, il devint héritier de la maison de Vatché, et après quelque temps il reparut et rentra en possession de sa propre maison. Ce jeune homme se nommait Hécha.

CHAPITRE X.

De Jacques, évêque de Medzpin (Nisibe).

Vers ce temps-là, le grand évêque de Medzpin, cet admirable vieillard, infatigable dans les œuvres de la vérité [chrétienne], cet élu de Dieu, Jacques (Agop) de nom, Perse d’origine,[52] partit de sa ville, se dirigeant vers les montagnes d’Arménie, c’est-à-dire vers le mont de Sararat,[53] dans le territoire de la principauté d’Ararat, au canton de Gortouk. C’était un homme rempli des grâces du Christ, qui possédait la puissance de faire des miracles et des prodiges. Arrivé [sur la place], il s’adressa à Dieu avec le plus vif désir d’obtenir la possibilité de voir l’arche de délivrance construite par Noé, qui s’était arrêtée sur cette montagne pendant le déluge.[54] Jacques obtenait de Dieu tout ce qu’il lui demandait. Tandis qu’il montait les côtés pierreux de l’inaccessible et aride montagne de Sararat, lui et ceux qui l’accompagnaient se sentirent altérés par suite de la fatigue. Alors le grand Jacques fléchit les genoux et resta en prières devant le Seigneur, et, à la place où il posa sa tête, jaillit une source dont lui et ceux qui l’accompagnaient étanchèrent leur soif: [c’est pour cela que] jusqu’à ce jour on la nomme « source de Jacques ». Cependant il ne discontinua pas de s’appliquer avec zèle à voir l’objet de son désir, et il ne cessa de prier le Seigneur Dieu.

Déjà il était près du sommet de la montagne, et, exténué et fatigué comme il était, il s’endormit. Alors l’ange de Dieu vint et lui dit: Jacques! Jacques! Il répondit: « Me voici Seigneur. » Et l’ange dit: « Le Seigneur exauce ta prière et accomplit ta demande; ce qui se trouve sur ton chevet est du bois de l’arche. Le voilà; je te l’apporte, il vient de là. Dorénavant tu cesseras de désirer de voir l’arche, car telle est la volonté du Seigneur. » Jacques se réveilla avec la plus grande joie, adorant le Seigneur en lui rendant grâce; il vit la planche qui paraissait avoir été enlevée d’un coup de hache à un grand morceau de bois. L’ayant prise, il rebroussa chemin, avec ce qui lui était accordé, suivi de ses compagnons de voyage. La joie qu’éprouva le grand [prophète] Moïse, cet homme qui avait vu Dieu, n’avait pas été plus grande [que celle de Jacques], peut-être même fut-elle moindre, quand, après avoir reçu les commandements écrits avec le doigt de Dieu, et les ayant entre les mains, il descendait de la montagne de Sinaï, avec les tables qu’il apportait au peuple rebelle; à ce peuple qui, s’étant détourné des saints lieux, la face prosternée contre terre, ayant quitté la voie du Seigneur, adorait le veau de métal et attristait profondément le porteur des commandements; car les tables brisées prouvaient déjà le chagrin de celui qui les apportait. Mais quant à ce bienheureux [Jacques], l’objet de notre discours, ce n’était pas le même cas; car, rempli de consolation spirituelle, il revenait en apportant la bonne nouvelle à toutes les nations de la terre, accordée évidemment et secrètement par le Dieu tout-puissant.

Pendant que l’homme de Dieu apportait le bois de la délivrance, ce symbole de l’arche construite par notre père Noé, ce symbole éternel du grand châtiment infligé par Dieu aux êtres raisonnables et à ceux privés de raison, les habitants de la ville et des alentours venaient à sa rencontre avec une joie et une allégresse sans bornes. Dès qu’on eut aperçu le saint homme, on l’entoura comme un envoyé du Christ et comme un ange du ciel; on envisageait ce vaillant pasteur comme le prophète qui avait vu Dieu; on l’embrassait et on baisait les traces de ses pieds fatigués. On recevait avec empressement ce bois, ce gracieux présent, conservé jusqu’à ce jour chez eux comme le signe visible de l’arche du patriarche Noé.[55]

Après cela l’admirable évêque Jacques apprit une nouvelle venant du pays des Arméniens; il partit vers le grand prince Manadjihr Reschdouni, grand vassal du roi d’Arménie,[56] et il entra sur son territoire. Il avait entendu parler de lui comme d’un homme méchant et cruel, qui, dans des accès d’emportement, faisait périr à tort quantité de gens. Il était venu pour le réprimander et l’édifier, afin que Manadjihr, se rappelant la crainte du Seigneur, devint plus docile et renonçât ses habitudes de férocité. Quand l’impie Manadjihr vit l’homme de Dieu, l’évêque Jacques, il commença à se moquer de lui avec mépris. Entraîné par le penchant naturel de ses mœurs indomptables, il donna ordre d’amener devant le saint homme huit cents individus qui se trouvaient mis aux fers, sans avoir commis de crime, et, comme par dérision, il chargea un bourreau de les jeter tous dans la mer. Après avoir fait périr tant d’âmes innocentes, il ordonna de chasser de ses domaines le saint évêque, le couvrant d’injures et de moqueries: « Tu vois bien, lui dit-il, que je fais grand cas de ton intercession: je les ai délivrés tous de leurs chaînes et les voilà qui nagent dans la mer.[57] »

Plongé dans une profonde tristesse, Jacques quitta ces lieux et, selon l’ordre du Seigneur, en secouant sur eux la poussière de ses pieds. Lui et ses compagnons atteignirent la montagne de Reschdouni, où se trouvent les mines de fer et d’étain. C’est une haute montagne, qu’on nomme Endsakiar;[58] elle se divise en deux, et, de son sommet, on peut voir tout le territoire du canton. Pendant plusieurs jours, Jacques n’avait pris aucune nourriture; une soif brûlante le tourmentait, et comme il était déjà arrivé au pied de la montagne, il se mit en prières à genoux devant le Seigneur. Au moment où il posait sa tête sur la terre, il vit jaillir une source, dont lui et ceux qui étaient avec lui étanchèrent leur soif. Ce qui s’était passé sur la montagne de Sararat se répétait au pied d’Endsakiar, au bord de la mer de Reschdouni. Cette source, comme la première, se nomme également jusqu’à ce jour « source de Jacques ».

Jacques, le grand pontife de Dieu, monté au sommet de la montagne d’Endsakiar, maudit toute la contrée, afin que la discorde n’y cessât jamais, puisqu’on avait rejeté la paix du Seigneur. Le saint évêque, ce pasteur de la bonne nouvelle, retourna ensuite dans sa ville. Deux jours après son départ, la femme de Manadjihr et ses sept fils moururent dans ce même canton; puis, par suite d’une maladie horrible, Manadjihr lui-même eut son corps rongé de vers et sortit de ce monde dans d’affreuses souffrances.[59] Selon la parole qui a été dite, depuis ce jour et après, il n’y a pas eu de paix dans ce pays. Jacques faisait de grands miracles. Il assista au grand concile de Nicée qui eut lieu pendant le règne de l’empereur grec Constantin, où se réunirent trois cent dix-huit évêques, à cause de la maudite hérésie d’Arius d’Alexandrie, de la province d’Egypte. Tous les évêques étaient déjà assis devant Constantin, et parmi eux se trouvait aussi Rhesdaguès (Aristakès), fils du merveilleux Grégoire, premier catholicos de la Grande Arménie. C’est ici que les actions inconnues de ce souverain admirable furent, par un miracle du Saint-Esprit, dévoilées à Saint-Jacques, qui vit le cilice que l’empereur Constantin portait sous la pourpre et sous l’habit royal, et l’ange gardien qui le servait.[60] L’évêque Jacques, frappé d’admiration, révéla aux autres évêques du concile la présence de l’ange, mais personne ne voulut y croire. Cependant il ne discontinua pas de discuter avec eux, en disant: « Puisque vous connaissez les choses secrètes, dites-moi avant tout ce que le souverain porte sous son habit royal? » Alors il se leva, et, avec le secours du Saint-Esprit, il leur montra le signe qui prouvait l’humilité de l’empereur, son ascétisme et son amour pour Dieu. C’est ainsi qu’il prouva et montra à tous que Constantin, à cause de sa foi fervente en Jésus-Christ, portait le cilice sous sa pourpre. A son tour, l’empereur Constantin vit l’ange qui servait Jacques; il se jeta aux pieds de ce dernier et l’honora par de grands présents.

L’empereur ordonna que son siège fût placé au-dessus de celui de beaucoup d’autres [évêques] qui assistaient au concile.

Les ossements de Jacques, donnés à la ville d’Amid, y furent transférés par les habitants de Medzpin, pendant les guerres des empereurs grecs avec les rois perses.[61]

CHAPITRE XI.

Grande guerre entre les Perses et les Arméniens, où succomba le commandant Vatché. Mort du roi Chosroès, et passage de ce monde à l’autre du patriarche Verthanès.

Après cela, la guerre entre les Arméniens et les se renouvela avec encore plus de violence. Les Perses réunirent une armée nombreuse pour envahir tout le territoire du pays des Arméniens. De son c6té Vatché, chef de la cavalerie de la Grande Arménie, rassembla les satrapes avec toutes leurs troupes et marcha à leur tête contre les Perses: un combat eut lieu; des deux côtés le carnage fut immense, et plusieurs des anciens les plus marquants y trouvèrent la mort. Dans ce combat fut tué Vatché, le chef illustre de la cavalerie arménienne, ce qui causa un grand deuil dans tout le pays, car c’était par lui que le Seigneur avait plus d’une fois sauvé l’Arménie. Alors Verthanès, le grand pontife, invita le roi Chosroès et rassembla tout le monde et toute l’année; tous, plongés dans une tristesse profonde, versant des torrents de larmes, en proie aux plus vives angoisses, pleurèrent amèrement la perte irréparable de ceux qui, abandonnant cette vie, en laissèrent les pénibles soins à ceux qui restaient. Le grand Verthanès, visitant tout le monde, consolait chacun en disant: « Consolez-vous en Christ, car ceux qui sont morts ont péri pour sauver leur pays, leurs églises et les lois dictées par la Providence divine, pour que notre patrie ne tombe pas dans la servitude, que nos églises ne soient plus profanées, que nos martyrs ne soient plus voués au mépris, que nos vases sacrés ne tombent pas entre les mains impures des infidèles, que notre clergé ne se désorganise point et que ceux qui ont reçu le baptême, réduits en captivité, n’embrassent pas les abominations des cultes impies. Si nos ennemis étaient parvenus à s’emparer de notre pays, ils y auraient sans doute établi leur religion impie qui renie le vrai Dieu: nous implorons [le ciel] pour que cela ne s’accomplisse jamais. C’est pour cela que nos pieux athlètes ont combattu avec courage; ils n’ont embrassé la mort que pour détourner le mal de leur pays, pour que l’impiété ne s’introduise pas dans une contrée où fleurissent l’amour et le culte du vrai Dieu pour que le malin [esprit] n’asservisse pas à sa volonté et ne sème pas la discorde dans les cœurs liés entre eux par un amour ardent. Durant leur vie, ils n’ont fait que travailler dans cette vue avec équité, et en mourant ils se sont sacrifiés avec une fermeté unanime pour la vérité du Seigneur, pour les églises, pour les martyrs, pour la sainte loi, pour la foi, pour le clergé, pour les innombrables néophytes baptisés au nom du Christ et enfin pour l’année du Seigneur de notre pays. Puisqu’ils n’ont pas épargné leurs propres personnes, ils méritent d’être rangés au nombre des confesseurs du Christ. Eh bien! cessons de les pleurer, honorons-les pour leur foi inébranlable, comptons-les au nombre de nos martyrs, et que la mémoire de leur vertu soit dorénavant célébrée dans notre pays avec celle des confesseurs du Christ, dans les siècles des siècles. Célébrons donc leur fête, réjouissons-nous pour complaire à Dieu, afin qu’il nous accorde la paix. »

Le grand pontife Verthanès établit comme loi dans toute l’Arménie que l’église célébrât chaque année la mémoire de ces martyrs, et que le souvenir de ceux qui, à leur exemple, tomberaient dans le combat pour la délivrance du pays, fût célébré aussi devant le saint autel de Dieu, pendant la messe, immédiatement après la commémoration des saints, afin que les vivants reçoivent des trépassés sollicitude et miséricorde; « car, disait Verthanès, ils sont tombés dans la guerre comme les frères de Judas et de Matathias Macchabée. »

Le fils du commandant Vatché, jeune enfant qu’on nommait du nom de son aïeul, Ardavazt, fut élu à sa place et mis en possession du coussin de son père. En présence du roi, on posa sur sa tête les insignes portés par son père et on l’éleva à la dignité de chef de la cavalerie, puisqu’il était le représentant d’un homme et d’une famille qui avaient rendu de grands services. Tout ce qu’il y avait d’hommes vaillants dans sa famille avait péri dans cette bataille sanglante. On transmit le commandement de l’armée à Arschavir Gamsaragan, prince de Schirag et de la province d’Archarounik,[62] ainsi qu’à Antov, prince de Siounie, parce que tous deux étaient les beaux-fils de la famille des Mamigoniens. Le grand pontife Verthanès, de concert avec le roi, chargea Arschavir et Antov d’élever le jeune Ardavazt, afin qu’il pût occuper la place de ses ancêtres et celle de son père, et accomplir de grandes actions pour le Christ, Seigneur de tous, ainsi que pour ses propres maîtres, les héros arsacides, en défendant leur vie et leur maison; qu’il fût le protecteur des veuves et des orphelins, et qu’enfin, durant toute sa vie, il restât le digne successeur de son illustre père dans la fonction de chef de la cavalerie.

Après cela Chosroès, roi de la Grande Arménie, ce héros qui ne rêvait que le bien de son pays, passa de ce monde dans l’autre.[63] Les habitants de toutes les contrées et de toutes les provinces de la Grande Arménie se réunirent et firent de grandes lamentations; après quoi on le porta et on le mit avec ses ancêtres à Ani, dans le canton de Taranagh.

Après lui, passa de ce monde dans l’autre Verthanès, le grand pontife.[64] Tout le pays se rassembla, profondément consterné, versant des larmes abondantes sur ce qu’il était privé de son maître et de son enseignement spirituel; et avec une grande cérémonie et des chants spirituels, avec des candélabres, des cierges et de l’encens, on transporta sur un char royal le corps de saint Verthanès jusqu’au village de Thortan, dans le district de Taranagh. Et là on posa près du grand patriarche Grégoire ses saints ossements, et, après avoir chanté des prières funèbres, chacun retourna dans son foyer.[65]

CHAPITRE XII.

Diran règne après son père. Iousig, après la mort de son père Verthanès, occupe le siège patriarcat; de quelle manière il fut tué par le roi Diran dont il avait censuré la conduite.

Le roi Chosroès étant mort, son fils Diran lui succéda dans le royaume de la Grande Arménie.[66] En même temps le saint et bienheureux jeune homme Iousig occupa le siège des patriarches d’Arménie.[67] Alors le roi Diran manda Vagharsch, prince d’Andzith,[68] grand intendant de l’Arménie et réunit chez Iousig, comme c’était l’usage, les grands satrapes dont les noms suivent: le prince Zarèh, chef de la famille du Grand Dzop; Varaz Schahouni, prince du pays de Dzop; Guénith, de la race des Gaminagan, prince de la province de Haschdiank; Voroth, prince de la province de Vanant; Schahèn, prince de la race d’Andsevatzi; Adam, prince de Koghthen; Manavaz, prince de Goghp; Korouth, prince du pays de Dzork,[69] Manasb, prince de Khorkhorouni,[70] de la maison de Maghkhazouni; le prince de notre famille, de la race des Saharouni,[71] et Apa, prince de la famille de Kenouni. Le roi ordonna à tous ces satrapes d’aller avec le grand intendant Vagharsch chez le bienheureux Iousig, de le conduire sur un char royal à Césarée, capitale de la Cappadoce, limitrophe de l’Arménie, pour qu’il fût élevé au siège apostolique des patriarches. Arrivé dans la ville de Césarée, on fit sacrer catholicos Iousig fils de Verthanès. Il fut élevé sur le siège de l’apôtre Thaddée, occupé jadis par son bisaïeul Grégoire le Grand; après quoi tous revinrent sains et saufs dans la province d’Ararat, avec la plus vive allégresse. On dépêcha d’avance les deux princes des deux provinces de Dzop chez le roi, comme messagers apportant la bonne nouvelle.

Le roi, ayant appris cette nouvelle, passa par le pont de Dapher au-delà de la rivière, dans la plaine, et alla en personne à la tête d’une troupe nombreuse à la rencontre de Iousig. Après s’être salués mutuellement, on traversa le pont de Dapher, on entra dans la grande ville d’Ardaschad, en se dirigeant vers l’église, où il fit asseoir le jeune Iousig sur le siège épiscopal. Digne fils de son père, Iousig hérita de la mission apostolique de Verthanès. Il menait une vie angélique, remplissant ses devoirs, selon les grâces divines. Il mettait un grand zèle à faire paître le troupeau des êtres raisonnables du Christ, en lui proposant les préceptes de l’Evangile. C’était un jeune homme de haute taille et d’une beauté telle que rien ne l’égalait sur toute la terre. Avec son âme sainte et pure, il ne s’occupa jamais des choses d’ici-bas, mais, comme un vaillant guerrier du Christ, comme un athlète, dès l’âge le plus tendre, il ne cessa de combattre et de vaincre l’ennemi invisible. Pour lui, craindre ou favoriser qui que ce fût, était chose inconnue; il portait toujours le glaive de la parole du Saint-Esprit à ses côtés. Le Saint-Esprit l’avait rempli de ses grâces, et son savoir se répandait comme une rosée sur ses ouailles, en arrosant la terre de leurs cœurs.

Cependant le roi Diran, les satrapes les plus marquants, et en général le pays entier, menaient une vie contraire à la volonté de Dieu. Le roi surtout et ses princes ne faisaient que donner l’ordre de commettre des meurtres, d’odieux forfaits et de répandre le sang des innocents. Ils ne faisaient pas attention aux commandements du très Haut, quoiqu’on leur rappelât chaque jour ce qu’ils devaient attendre de Dieu. Le bienheureux patriarche Iousig s’opposait à tout cela; il réprimandait sans relâche avec de douces paroles pénétrées de l’esprit chrétien, en rappelant à tous les tourments éternels du feu inextinguible qui les attendaient après le dernier jugement. Quoique jeune, Iousig portait en lui la sagesse de la vieillesse et remplissait le devoir du pasteur avec un courage admirable. Ce jeune homme, par sa sagesse, ne le cédait en rien à ses pères: leur raison, leur esprit pénétrant, leur génie, vivaient en lui, et, à la fleur de ses jours, il était prêt à combattre pour la vérité jusqu’à la mort. Il n’était préoccupé que d’une seule chose: sauver son âme ainsi que celles des autres. La crainte du Seigneur était tellement grande en lui, qu’il n’estimait ni l’amitié, ni le courroux du roi. Il était plein de la sagesse divine et profondément versé dans l’Ecriture-Sainte. Armé de ces vertus, il réprimandait incessamment; enfin il donna l’ordre d’interdire au roi ainsi qu’aux grands, l’entrée de l’église.

C’est ainsi qu’il châtiait, en liant par sa parole de pontife, le roi et les grands, à cause de l’iniquité, de l’adultère, des vices contre nature, de l’effusion du sang, de la rapine, du manque d’amour pour les pauvres, enfin pour beaucoup d’autres péchés semblables. En voulant observer strictement les lois du Seigneur et en frappant impitoyablement ceux qui transgressaient les préceptes du Christ, Iousig était devenu leur ennemi commun. De cette manière, durant toute sa vie, il faisait une guerre constante à tout le monde. Il advint que, le jour d’une fête annuelle, le roi Diran, accompagné des grands, allait entrer dans l’église. Iousig lança contre lui ces mots: « Tu es indigne; pourquoi es-tu venu? n’entre pas dans le temple ! A cause de ces paroles, on le traîna hors de l’église, on lui asséna des coups de bâton, et le grand pontife de Dieu, le bienheureux Iousig, abattu et blessé, resta sur la place à demi mort. Les prêtres attachés à l’église du palais, dans le château royal de Penapegh du canton du Grand Dzop, le relevèrent et le portèrent dans le village de Thortan, au canton de Taranagh, où, peu de jours après, il mourut. Il fut enterré auprès de Grégoire et de ses pères.[72]

CHAPITRE XIII.

Comment, après la mort de Iousig, l’Arménie resta sans chef [spirituel], ses fils n’étant pas dignes d’occuper le siège de leur père.

Après cette mort que le bienheureux Iousig subit sous des coups de bâton redoublés, tous les habitants du pays de Thorgom (l’Arménie), restés sans chef spirituel, erraient comme des aveugles. Car il leur avait été donné l’esprit de l’erreur et des yeux pour ne point voir, des oreilles pour ne point entendre et un cœur pour ne pas comprendre et ne pas se repentir. Ils se sont frayé les voies qui les conduisaient tout droit dans l’abîme ténébreux de la perdition, dans lequel ils sont tombés. Restés sans pasteur, ils n’avaient personne pour retenir leur fureur effrénée à commettre le péché. Etant devenus des enfants rebelles, ils allaient à leur gré dans la voie de la perdition, et c’était sans Dieu que la perverse nation arménienne vivait sur la terre. Ils ressemblaient à ce troupeau de brebis qui, après avoir rejeté la surveillance des chiens vigilants, est devenu la proie des loups ravisseurs, à l’exemple de la grande ville d’Athènes.

En ce temps-là, le roi Diran leur servait de mauvais exemple tous commencèrent à l’imiter et à agir comme lui. Depuis longtemps les Arméniens avaient embrassé le christianisme, mais extérieurement et seulement pour avoir un culte quelconque; ils l’envisageaient comme un égarement humain qu’ils avaient été contraints d’accepter; car le nombre de ceux qui avaient embrassé le christianisme avec espoir, foi et conscience était très restreint et se bornait seulement aux personnes initiées à la littérature grecque et syriaque, ou bien à ceux qui étaient un peu versés dans l’un ou l’autre idiome. A ceux qui n’étaient pas du nombre des initiés, c’est-à-dire à la multitude du peuple, soit satrapes, soit sujets, les docteurs prenaient la peine d’enseigner jour et nuit, de verser sur eux leurs enseignements, comme les nuages versent une pluie abondantes Personne d’eux ne comprenait ni un mot, ni un demi-mot, pas même un soupçon de ce qu’ils entendaient dire. La mémoire leur faisait défaut, et ils ne pouvaient absolument rien retenir dans leur esprit; car cet esprit n’était occupé que de choses inutiles et vaines. Comme des enfants gâtés dans leur enfance par des jouets, et peu habitués à songer à l’utile et au nécessaire, ils dépensaient, avec leur esprit inculte et barbare, leur temps et leurs facultés à étudier les usages et coutumes du paganisme ancien, cette œuvre d’un esprit pauvre et superficiel. Ils s’adonnaient au contraire aux études de leur mythologie et de leurs chants épiques avec un amour vif et constant, avec une foi ardente, d’où découlaient la haine, l’envie, la discorde, l’animosité qu’ils nourrissaient avec constance. S’entretuer et trahir son prochain et son frère était pour eux une occupation de prédilection. Ils étaient prêts à se tendre des piéges les uns aux autres, les amis aux amis, les proches aux proches, les familiers aux familiers, les parents aux parents et les alliés aux alliés. Altérés de sang, ils le versaient en profusion et il leur était aussi facile de commettre des forfaits, qu’aux gens privés de culture morale et spirituelle. Dans l’obscurité des nuits, ils rendaient un culte à leurs anciennes divinités, comme on commet l’adultère en se livrant à des débauches abominables. C’est pour cela qu’ils ne prêtèrent pas l’oreille aux conseils des sages et n’écoutèrent pas les chefs spirituels qui leur rappelaient les commandements de Dieu. A cause des conseils qu’ils donnaient, ceux-ci étaient haïs, persécutés et tués, et, comme dit le prophète: « Ils haïssent ceux qui les reprennent à la porte des villes et ils ont en abomination celui qui rend la justice.[73] » La connaissance de la vraie foi n’était pas prêchée parmi eux, comme elle était propagée par la voie de la parole divine parmi les nations des croyants et des sages qui, en l’embrassant, l’acceptèrent avec reconnaissance, y crurent et jouirent des grâces de la miséricorde. Non, ils l’avaient acceptée, comme les Hébreux, avec un esprit boiteux et aveugle. C’est peut-être à cette nation [arménienne] que se rapportait la parole du prophète: « Ce sont des enfants insensés, des enfants qui ne sont pas dociles; ils sont sages pour faire le mal, ils n’ont jamais su faire le bien »; et encore: « Ce sont des enfants effrontés dont le cœur est obstiné ... ; eux et leurs pères ont péché contre moi. » Cette nation fut délaissée parce qu’elle ne voulut pas saisir les choses invisibles que Dieu lui faisait comprendre par les choses visibles; elle n’a pas voulu s’élever par les êtres créés jusqu’au Créateur, qui coordonne et protège tout, et qui ne cessa de multiplier le nombre de ses prodiges et de ses signes visibles jusqu’à changer même l’image de l’homme en une figure de bête. C’est par cette voie que Dieu a sauvé cette nation. Le règne du roi Diran, ce règne qui passa sans rien produire d’utile ni de sage, n’avait d’autre but [que ce que nous venons de décrire]. Il surpassa tous les règnes précédents, par ses méchancetés, dont la plus grave a été la mort que subit le chef spirituel, sous les coups de bâton. Après cela, les Arméniens n’agissaient que d’après leur volonté, puisqu’il n’y avait personne dont les conseils sévères pussent leur servir de frein et les empêcher d’aller dans la voie de l’iniquité. Alors le Seigneur, les abandonnant, leur laissa suivre le désir de leur cœur. Mais, comme il n’y avait pas de chef du sacerdoce, les Arméniens commencèrent à chercher un pasteur ou un chef qui pût occuper la place de pontife, non pas pour [enseigner] la vérité [chrétienne], mais pour avoir un complice qui consentit à faire leur volonté.

Alors le roi, les princes et en général tous [les grands] délibérèrent sur le choix d’un homme digne [d’occuper le siège patriarcal], car les deux jumeaux de Iousig, qui étaient restés après leur père, l’un nommé Bab, l’autre Athanakinès, étaient des jeunes gens indociles et rebelles, nullement versés dans la science de l’Ecriture divine, ni élevés dans les principes de la vertu. Ils ne voulurent pas imiter l’exemple de leur père, ni s’arrêter sur la vie vertueuse de Grégoire le Grand, ni penser à l’honneur spirituel [de leur famille], ni même à la vie éternelle. Ils suivirent de préférence les habitudes de leur siècle, et, fiers de leur parenté vaine et passagère, ils embrassèrent l’état militaire. A caisse de cela et de leur orgueil, ils ne furent pas élus et furent rejetés d’après la vision de leur père; de cette manière ils n’entrèrent pas sous le joug du culte divin. [Excepté ces deux jeunes hommes], il n’y avait personne de la maison des enfants de saint Grégoire qui pût hériter de la dignité de grand pontife dans la maison du Seigneur.

CHAPITRE XIV.

Vie et actions du grand Daniel; comment il réprimanda le roi Diran qui, pour se venger, le fit mourir.

En ce temps-là, vivait encore l’homme admirable, le saint vieillard, le grand chorévèque Daniel, disciple du grand Grégoire, qui l’avait nommé surintendant principal du district de Daron, dans la province d’Eghéghiatz.[74] Investi du pouvoir, Daniel avait l’administration de la juridiction ecclésiastique sur tout le pays, où il était chef indépendant. Outre cela, il avait la surveillance, l’inspection et la sollicitude pastorale sur toutes les églises de la Grande Arménie. Il prêcha l’Evangile jusque dans les lieux les plus lointains de la Perse, où il convertit au christianisme un nombre immense d’égarés. Syrien d’origine, il occupa le siège de Daron, où était la mère, la première et la plus grande de toutes les églises de l’Arménie, le siège principal le plus honoré. Car c’est ici que, pour la première fois, la sainte église fut construite et l’autel érigé au nom du Seigneur. Plus loin se trouvait l’église du prophète [Jean-Baptiste], et près de la maison du Seigneur, l’église où reposent les apôtres. Les patriarches et les rois avaient ordonné d’honorer ces lieux à cause de leur priorité, de même que dans le district de Taranagh, on honorait l’église de Thortan qui renfermait le tombeau du patriarche Grégoire. Les mêmes honneurs se rendaient à la mémoire du roi Tiridate, qui le premier, contraint ou de bon gré, se trouva digne d’embrasser la foi du Christ. C’est pour cela que tout le pays voulut honorer les lieux où reposaient les évêques des temps anciens; il lui était aussi agréable de rendre les mêmes honneurs à son roi Tiridate, le premier voué au Christ, à son premier évêque Grégoire, aux premières martyres Gaïanè et Hripsimè, qui, avec leurs compagnes, subirent le martyre dans la province d’Ararat,[75] qu’à la première église [de l’Arménie].

Touts ces lieux avec leurs districts étaient confiés aux soins de Daniel, de cet homme fidèlement attaché non seulement à la première église, mais aussi au pouvoir du siège patriarcal et à la stabilité de l’union de l’église catholique. Il avait reçu du grand Grégoire la dignité de chorévèque même, par l’imposition des mains, quand celui-ci détruisit les autels du temple d’Hercule, c’est-à-dire de Vahakn, à l’endroit nommé Achdichad, où étaient posés les fondements de la première église.[76]

Daniel était lui homme admirable, doué de la vertu d’opérer de grands miracles au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Il marchait sus les eaux des fleuves avec ses chaussures, sans les mouiller. S’il lui arrivait dans les jours d’hiver de se frayer un passage dans ces montagnes couvertes d’une neige profonde et abondante, les monceaux de neige, ayant acquis de la solidité, s’aplanissaient tout à coup sous ses pas. Voulant entreprendre un voyage lointain, il le faisait sans efforts, avec la vitesse de l’éclair. Dans l’endroit où il voulait se rendre, on l’y voyait paraître au moment où il y était le moins attendu, connue s’il avait été apporté sur des ailes. Il ressuscitait les morts, il guérissait les malades et opérait beaucoup d’autres prodiges plus grands que ceux-là, que ma parole n’est pas en état de transcrire. Pour demeure il choisissait les montagnes inhabitées par l’homme, d’où il venait cependant s’informer des besoins de son troupeau avec une sollicitude admirable. Il ne portait qu’un habit, un manteau de cuir et des sandales; il se nourrissait de racines, d’herbes, et ne se servait même jamais de bâton. Il obtenait tout ce qu’il demandait de Dieu, et sa parole était pénétrée d’une puissance tellement divine, que ce qu’il disait s’accomplissait. Quand il quittait les déserts et qu’il descendait dans les villages pour faire de bonnes œuvres, il s’arrêtait dans les principales églises et souvent à l’origine de la source, au pied de la hauteur qui servait jadis d’emplacement au temple d’Hercule et qui, en s’élevant en face de la grande montagne, nommée Tzoul (taureau), se trouve éloignée du lieu de l’autel, du côté inférieur, d’environ un jet de pierre. [Cette source est] dans l’étroit ravin entouré d’un bocage riche en frênes, qui pour cette raison s’appelait Hatsiats-trakhd (jardin des frênes); c’est à cette source que jadis saint Grégoire baptisa un grand nombre de soldats. Saint Daniel avait ici une petite cellule, creusée dans la terre, d’où il ne sortait que pour aller inspecter son diocèse.

Ainsi les plus grands des satrapes, réunis dans un même endroit, après avoir délibéré entre eux, engagèrent le roi à faire venir le vieillard Daniel dans le camp, pour le désigner comme chef spirituel et l’élever au siège patriarcal. On envoya vers lui un des princes de la race des Saharouni, Artaban (Ardavan), prince de Vanand, Garen, prince de la race des Amadouni, et Varaz, prince de la race des Timakhsian. Tous ces satrapes arrivés dans le district d’Eghéghiatz, trouvèrent le saint homme à Thil, village appartenant aux domaines de l’église, où il était occupé à faire la moisson de Dieu. C’est ici qu’il fut rencontré et ameuté au bourg de Paraedch, au canton d’Aghdsnik, où se trouvait alors le roi Diran. Aussitôt qu’il fut en présence du roi Diran, le grand chorévèque Daniel débuta par le réprimander.

C’est ainsi qu’il parla en s’avançant « Pourquoi avez-vous oublié Dieu, votre Créateur, les châtiments, les signes et les prodiges qu’il a faits pour vos pères et pour vous? pourquoi êtes-vous retombés dans l’erreur de l’idolâtrie de vos ancêtres, dans la haine, dans l’avarice, dans la violence, dans la persécution des pauvres, dans l’adultère, dans la perfidie, dans la vexation mutuelle et dans le meurtre? Pourquoi avez-vous abandonné la voie de la justice? pourquoi vous êtes-vous détournés de Dieu, votre bienfaiteur, qui vous a tirés du néant et que vous oubliez dans vos erreurs, lui, qui est venu vous chercher quand vous étiez plongés encore dans l’éternelle perdition? Fils de Dieu, il est descendu pour enseigner ses créatures; elles n’ont pas voulu l’entendre, elles t’ont tourmenté jusqu’à la mort; cependant il a supporté des tourments, et en même temps il n’a caché sa puissance à personne, puisqu’il a voulu être cause de la vie de tous. Il a élu ceux qu’il trouva après sa résurrection, prêts et dignes; il les enseigna et les envoya comme des prêcheurs et comme des solliciteurs pour vous inviter à jouir de la lumière de la délivrance,

Mais vous, vous avez payé d’ingratitude les bienfaits; vous avez tué celui qui fut envoyé vers vous comme prédicateur et incitateur pour vous appeler aux grâces salutaires du royaume de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Dans votre démence, vous êtes devenus complices de la nation déicide des Hébreux, car ceux-ci tuèrent le Seigneur, tandis que vos pères ont tué son apôtre et ont fait subir les mêmes souffrances à un autre apôtre et pour la même cause. Après quoi est venue une multitude de saints martyrs de Dieu qui subirent le même martyre qu’avaient embrassé ces apôtres: ils subirent non seulement de cruels supplices, mais la mort même, pour vous faire voir la vérité et vous convaincre de retourner vers la connaissance de la sagesse du Fils de Dieu. C’est par son sang, comme je viens de dire, et par divers prodiges que Dieu vous a châtiés, mais il ne vous a pas fait périr à cause de sa grande miséricorde; il a voulu vous faire approcher de lui et, par la connaissance de sa doctrine, vous faire entrer dans la demeure de la vie, à cause de son grand amour pour son fils bien-aimé.

Après cela, Dieu, en vous pardonnant vos méfaits, vous donna pour docteurs ses [créatures] bien-aimées; vous les avez non seulement oubliés, mais vous ne vous en souvenez plus; vous imitez les Hébreux que vous avez pris pour modèles dans toutes vos actions. Vous devriez bien garder dans vos cœurs les bienfaits de Notre Seigneur Jésus-Christ qui n’a pas voulu se rappeler les péchés de vos pères ainsi que vos iniquités. Impossible à vous d’oublier les soins que les saints-pères ont eus pour vous; eux qui, par leurs conseils et leurs enseignements ont pensé jour et nuit qu’à sauver vos âmes. Vous devriez avoir de l’affection pour eux comme pour des personnes qui vous ont enfanté et régénérés spirituellement par leur enseignement; et quand vous êtes retombés dans vos erreurs, les saints-pères, voyant quelques-uns de vos proches se repentir, se sont décidés à vous enfanter de nouveau, à inculquer en vous le Christ, pour vous rendre dignes du royaume du ciel. Pour votre part, vous devriez aussi avoir de la sollicitude pour leurs fils et leurs disciples, qui ont été vos guides et vos chefs pendant la propagation de la parole divine parmi vous; je ne parle pas déjà de ceux d’entre ces derniers qui, quoique leurs descendants par la chair, ne leur étaient nullement inférieurs par leurs œuvres spirituelles.

Ainsi, après avoir abandonné Dieu, vous vous êtes rappelé vos méchancetés d’autrefois et vous avez comblé la mesure des crimes de vos pères qui, ne voulant pas prêter l’oreille aux bons et utiles conseils des saints-pères, les ont fait périr dans des tourments; vous aussi vous avez tué leurs fils, leurs héritiers, leurs compagnons et leurs initiateurs, car vos actions criminelles leur déplaisaient: j’entends nommer saint Iousig, le jeune patriarche, le vicaire et le remplaçant de l’apôtre saint Thaddée et de son égal saint Grégoire. En ceci vous agissez comme les Hébreux, qui ne faisaient que massacrer les envoyés de Dieu et les prophètes. Eh bien, pour tant de mensonges et d’abominations, le Seigneur vous ôtera votre royaume, vous ôtera votre sacerdoce. Vous tomberez en ruine, vous vous disperserez; vos frontières se dissoudront comme celles du royaume d’Israël; vous resterez sans maître; personne ne vous épargnera, personne ne vous accordera de sollicitude vous serez comme des brebis qui n’ont pas de berger et comme un troupeau livré à des fauves. Vous serez privés de votre gloire; la main de l’ennemi vous emmènera dans la captivité et vous imposera le joug de la servitude que vous ne secouerez jamais de vos cons vous dépérirez et vous vous userez en aspirant toujours [à la liberté]. De même qu’Israël, après son déchirement, n’a pu se réunir de nouveau, de même vous vous ruinerez et vous vous disperserez. Ce seront d’autres qui jouiront de vos travaux, ce seront d’autres qui se nourriront de la sève [de votre nation]. Alors il ne se trouvera personne pour vous délivrer, et le Seigneur ne daignera même pas jeter un regard sur vous et vous sauver de nouveau.

Eh bien, est-ce pour cela, est-ce pour entendre de ma bouche tout ce que je viens de vous dire, que vous m’avez engagé à venir chez vous? Si même je ne vous avais pas parlé de tout cela, tout cela devrait s’accomplir un jour à cause du meurtre du jeune Iousig, de ce juste, de ce grand et vertueux chef, issu de la maison de saint Grégoire. C’est cela que le Seigneur m’a fait voir, et cela s’accomplira un jour.

Quant à ce que vous m’avez fait dire par vos envoyés, de venir et de m’installer en qualité de chef, [je vous demande:] comment puis-je être chef de ceux qui ne veulent pas revenir au Seigneur? Comment puis-je m’installer comme chef d’une nation que le Seigneur a déjà abandonnée? Comment lèverai-je mes mains vers Dieu en priant pour ceux dont les mains sont couvertes du sang des saints du Seigneur? Comment, étant en oraison, rendrai-je grâces pour ceux qui ont tourné vers le Seigneur, non pas leurs visages, mais leurs dos? Comment me poserai-je en médiateur pour ceux qui ont subjugué? Comment parlerai-je de la réconciliation à ceux qui ont trahi et ne veulent pas revenir? Le Seigneur lui-même a préparé tous les maux pour ces gens-là qui disaient que le Seigneur ne voit rien de tout cela ...,  et ainsi de suite. »

Tel est le discours que le vieux chorévèque Daniel prononça en présence du roi Diran devant les princes, devant les chefs, devant toute l’armée. Pendant qu’il le débitait, le roi, frappé d’étonnement, absorbé par les paroles qu’il venait d’entendre, gardait un profond silence. Après avoir écouté tout ce discours, Diran s’enflamma d’une violente colère suscitée par son impiété et donna l’ordre d’étrangler Daniel. Ceux qui servaient [le roi], ayant entendu cet ordre, l’exécutèrent sur le champ. Les plus anciens des satrapes ne purent parvenir à détourner l’esprit du roi de cette méchante pensée; dans l’emportement de sa violente colère, il refusa de prêter l’oreille [à leur intercession]. Par conséquent, on jeta un lacet autour du cou de Daniel et on l’étrangla. C’est ainsi que le saint vieillard finit ses jours.[77]

Une multitude de gens qui le connaissaient intimement, ayant pris son corps, voulurent le déposer auprès des ossements des martyrs du Christ. Mais Daniel apparut à saint Epiphane, un de ses disciples, et lui dit de ne pas honorer ses ossements comme ceux des autres [martyrs], mais de les porter et de les ensevelir dans l’endroit indiqué par lui-même en ajoutant: « Si le corps de Notre-Seigneur a été enseveli dans le sépulcre jusqu’à la troisième journée, quand il ressuscita pour aller vers son Père, d’autant plus notre corps terrestre peut rester enterré. » Alors les plus amés de ses disciples, accompagnés du clergé du camp (royal), ayant à leur tête Schaghita et Epiphane, dont le premier avait été désigné par Daniel même, comme docteur dans le pays de Gortouk, et le second dans les cantons d’Aghdsnik et du Grand Dzop, ayant pris son saint corps, le portèrent et le déposèrent dans le lieu, où jadis se trouvait sa cellule, c’est-à-dire dans le pays de Daron, où était la mère de toutes les églises de l’Arménie, près de la source dans laquelle Grégoire baptisa l’immense quantité du peuple, dans la localité qui se nomme Hatziatz-drakht (jardin des frênes). C’est ici qu’on ensevelit le corps de saint Daniel, d’après l’ordre qu’il avait donné à ses disciples pendant son apparition.[78]

CHAPITRE XV.

Des fils de Iousig; comment ils foulèrent aux pieds l’honneur du divin sacerdoce.

Après cela, on assembla un conseil où il fut décidé de présenter le fils de saint Iousig au sacerdoce auquel ses pères avaient été voués.[79] Aussitôt Bab et Athanakinès furent pris, sans leur consentement, amenés dans l’assemblée des évêques où, contre leur propre volonté, on imposa sur eux les mains et on leur conféra le diaconat. Mais en foulant aux pieds ce gage de l’honneur spirituel, ils embrassent la vocation militaire et de cette manière ils se dégradent profondément. Non seulement ils donnent la préférence à la vie terrestre, mais ils prennent pour femmes les sœurs du roi et s’éloignent de l’héritage de Dieu. La femme de Bab se nommait Varazdoukht. Tous deux sortirent de ce monde sans avoir jamais eu d’enfants. Le nom de la femme d’Athanakinès était Bambischen;[80] c’est d’eux que naquit Nersès, homme admirable, qui ensuite fut grand pontife. Cependant en ce temps-la, il n’y avait personne qui put administrer le siège pontifical. On délibéra sur le choix d’un chef et on s’arrêta unanimement à ceci trouver quelqu’un de la maison de Grégoire qui put occuper la chaire des patriarches.

CHAPITRE XVI.

De Pharên qui occupa le siège patriarcal.

En ce temps-là, on trouva digne [du siège patriarcal] Pharên[81] du district de Daron, qui était piètre de la grande église placée sous le vocable du prophète saint Jean-Baptiste, la première maison de prière où reposent les saints dont l’administration était confiée à Pharên. Il fut invité chez le roi qui, après l’avoir muni d’une lettre, lui donna un cortège de princes les plus brillants, [à savoir) le grand commandant arménien Vasag, de la race des Mamigoniens, Méhentag Reschdouni, Antov Siouni, Arschavir Gamsaragan, tous grands et principaux chefs de famille, avec dix autres personnages honorables, et l’envoya avec des présents à Césarée, capitale de la Cappadoce où Pharên fut consacré catholicos de la Grande Arménie. Après quoi ils retournèrent en paix dans leur pays.

Pharên n’occupa la chaire patriarcale que peu de temps.[82] Il n’avait pas assez de courage pour châtier ou réprimander quelqu’un à cause de ses erreurs ou de son impiété. Il ne surveillait que la pureté de sa propre vie, se soumettant en tout à la volonté du roi impie avec lequel il agissait de concert involontairement. Enfin il s’endormit et fut enseveli avec ses pères. Les prêtres de l’église du camp (royal) enlevèrent son corps, partirent pour le district de Daron et dans le village appartenant à la célèbre église du prophète saint Jean-Baptiste, lieu de son séjour d’autrefois, ils construisirent un magnifique tombeau et y ensevelirent ses ossements.

CHAPITRE XVII.

De Schahag, issu de la race de l’évêque Albin, qui occupa le siège patriarcal. Comment l’Arménie entière abandonna le Seigneur et ses commandements.

En ce temps-là, tout le pays se réunit et commença à délibérer sur celui qui pourrait être investi de la dignité patriarcale. Car puisque de la maison de Grégoire il n’y avait personne de digne, on s’arrêta sur un certain Schahag de la race de l’évêque Albin. On confia Schahag au chef des eunuques, qualifié du nom de Haïr (père), qui fut accompagné de dix satrapes, ayant à leur tête un des grands princes de la vallée de Gardman, et on l’envoya avec de grands honneurs à la grande ville de Césarée, dans le pays de Cappadoce. C’est ici qu’il reçut l’imposition des mains et fut consacré catholicos de la Grande Arménie. Après quoi, ils revinrent chez le roi avec honneur.

Or, Schahag s’installant sur le siège des patriarches, suivit en tout l’exemple de Pharên et administra le pays comme son prédécesseur. Mais ceux qu’il instruisait, ne prêtaient nullement l’oreille à ses conseils, et, quoique réprimandés, ils continuaient à commettre le péché ouvertement. Le roi, les satrapes et les princes en général, abandonnant le Seigneur et ses commandements, étaient revenus sans la moindre crainte à tous les maux d’autrefois. L’impiété que les hommes commettaient envers leurs proches, surpassait celle des grands: tout le monde, à commencer par les gens du peuple jusqu’aux seigneurs, tous ne pensaient qu’à revenir aux anciennes habitudes de leurs pères. A cause de tout cela, le Seigneur Dieu, s’indignant contre eux, les délaissa et permit à leurs ennemis de les fouler aux pieds. Car au temps du règne de Tiridate, quand ils connaissaient le Seigneur, Dieu leur accorda la paix et imposa silence à leurs ennemis; dès lors le Seigneur apaisa la guerre dans le territoire de leur pays il n’y avait ni discorde ni trouble avec leurs voisins, et ils vivaient dans la plus parfaite tranquillité. Mais dans le temps [dont nous parlons], sur toutes les frontières, les nations voisines s’étaient posées en ennemies contre chacun des rois de l’Arménie, et ceux-ci ne pouvaient compter sur l’amitié d’aucune d’elles.

CHAPITRE XVIII.

Haïr, chef des eunuques, fait mourir les familles satrapales.

Or, à l’époque de ce règne extravagant, non seulement les ennemis trahissaient leurs ennemis, les amis leurs amis, et les proches leurs proches; mais dans toute l’étendue du pays des Arméniens, les habitants ne faisaient qu’ourdir de nombreuses trames les uns contre les autres. C’était le Seigneur qui répandait parmi eux la discorde, faisait souffler l’esprit immonde et le vent des erreurs; aussi ils commencèrent à s’entretuer, à cause de leur iniquité. Il y avait surtout un homme pervers, poussé par l’esprit malin qui, plus que personne, tâchait d’exciter le roi Diran contre les familles satrapales. Il était revêtu de la dignité de grand eunuque; c’était un homme malveillant et cruel, au cœur endurci, qu’on nommait Haïr. Cet homme, par ses rapports mensongers, fit massacrer beaucoup de satrapes innocents et ébranla tout ce grand royaume. Par ses intrigues, il fit passer au fil de l’épée deux familles, celles des Reschdouni et des Ardzrouni, qu’il anéantit complètement. Sans avoir commis aucun crime, elles furent exterminées, y compris les femmes qui ne furent pas même épargnées. En ce temps-là, on était à la recherche de Dadjad fils de Méhentag Reschdouni, et de Schavasp, fils de Vatché Ardzrouni, tous deux enfants à la mamelle, qui étaient élevés chez leurs nourriciers; ils furent amenés en présence du roi. Aussitôt que [ce dernier] les vit, il donna l’ordre de les égorger, parce que c’étaient les derniers enfants mâles, restés des deux familles. Mais Ardavazt et Vasag, de la race des Mamigoniens et généraux de l’armée arménienne, se trouvant là en ce moment, s’emparèrent de ces petits enfants et les prenant sous les bras, les emportèrent avec eux. Levant au-dessus d’eux leurs épées, ils se préparèrent à combattre pour ces enfants, jusqu’à la mort.[83] Et quoique, en ce temps-là, ils eussent en nourrice Arschag, fils du roi; cependant ils abandonnèrent Arschag leur nourrisson et quittèrent le camp royal. Ils se retirèrent dans leurs domaines, et quittant leurs propres maisons pendant un grand nombre d’années, ils vécurent avec leurs familles, dans les lieux inaccessibles de Daïk. Après avoir élevé ces enfants, c’est-à-dire Schavasp et Dadjad, ils leur donnèrent leurs filles en mariage. C’est ainsi que ces deux races commencèrent à se propager de nouveau. Pendant une longue série d’années, Ardavazt et Vasag ne prirent aucune part dans les conseils des Arméniens.

CHAPITRE XIX.

De Bab et d’Athanakinès , fils de Iousig; et de quelle manière ils moururent dans leur iniquité.

Cependant les fils d’Iousig, Bab et Athanakinès, menant une existence en haine de Dieu, ne faisaient que marcher dans la voie de l’impiété et de l’iniquité. N’ayant pas devant leurs yeux la crainte de Dieu, ils passaient tous les jours de leur vie dans la plus grande insolence. Ils préféraient l’incontinence et l’impudicité aux commandements de Dieu, qu’ils tournaient en dérision, Les deux frères, Bab et Athanakinès, se rendirent au village d’Aschdischad, au canton d’Eghéghiatz, dans la province de Daron, où leur bisaïeul avait construit la première église. Retirés dans le palais épiscopal qui s’élevait là, entourés de femmes perdues, de courtisanes, de joueurs d’instruments et de bouffons, ils se livrèrent à l’ivrognerie, ne s’inquiétant nullement des lieux saints qu’ils foulaient aux pieds, plaisantant et se moquant même du temple de Dieu.

Tandis que, plongés dans la plus grande joie et assis dans le palais épiscopal, ils mangeaient et buvaient, l’ange du Seigneur apparut subitement comme un éclair, frappa les deux frères et les fit périr au milieu du festin.[84] Ceux qui se trouvaient au palais, partageant leur joie et le festin, tous, sans exception, abandonnèrent la place et prirent la fuite. L’épouvante était si grande que personne d’entre eux n’osa retourner au palais une autre fois. Personne d’étranger ne s’arrêta non plus jamais à la pensée d’entrer dans ce lieu, d’approcher des portes et de les fermer, car elles étaient restées ouvertes au moment de la fuite générale. De même, les jours suivants, personne n’osa passer devant ces portes.

C’est ainsi que périrent les deux frères Bab et Athanakinès. Leurs corps gisaient dans l’intérieur du palais épiscopal, là où étaient réunis les convives. Les portes du palais restèrent ouvertes, personne n’eut asses de courage pour y entrer, si bien que leurs corps se pourrirent, se décomposèrent, et les os décharnés se détachèrent les uns des autres. Plusieurs mois s’écoulèrent avant qu’on se fût décidé à aller ramasser ces os et à les emporter de ce lieu. On les trouva dépouillés de leurs chairs et entièrement desséchés: ils furent déposés dans la vigne de l’église qu’on nomme Akarag.

Cependant il restait un fils d’Athanakinès, qu’il avait eu de sa femme Bambischen, sœur du roi: il se nommait Nersès.[85] Ce fut lui qui, dans la suite, occupa le siège patriarcal de tout le pays des Arméniens. Quant à Bab, il n’eut pas d’enfants de sa propre femme, suais comme il avait eu une concubine de noble origine, née au village de Hatziatz dans la province de Daron, il eut de cette femme de Hatzeg un fils du nom de Vrig.

CHAPITRE XX.

Le roi Diran est trahi par son chambellan Phisac (Phisig) de Siounie et fait prisonnier par Varaz. Le pays partage le sort de son roi.

[Une parfaite] amitié liait le roi d’Arménie et celui de la Perse. Un des premiers dignitaires de la Perse, Schapouh-Varaz, avait sa résidence dans le pays d’Adherbeidjan (Aderbadagan). Tandis qu’une paix parfaite régnait entre eux, le Seigneur choisit un homme indigne appelé Phisac (Phisig), un vrai démon de discorde, originaire de Siounie, chambellan du roi Diran, et par son intermédiaire, il suscita le trouble pour un motif futile. Il fut envoyé comme messager vers Varaz Schapouh, que le roi de Perse avait laissé dans le pays d’Adherbeidjan comme gouverneur de la province.

Or, en ce temps-là, Le roi Diran avait un cheval qui excitait l’admiration de tout le monde. C’était un cheval gris pommelé, fougueux, magnifique, connu dans tout le pays, un bel animal qui n’avait pas son égal et qui, par sa grandeur et sa taille, surpassait tous les chevaux. Phisac, chambellan du roi, pendant son ambassade, parla de ce cheval à Varaz, avec qui il avait déjà noué amitié. En retournant, il présenta au roi des Arméniens une lettre de la part de Varaz, [dans laquelle celui-ci priait le roi de lui céder son cheval]. Diran ne voulut pas même entendre parler de cette affaire. Cependant, comme il se méfiait de cet homme, qui pouvait semer la discorde entre les deux rois, il donna ordre de chercher un cheval qui fût aussi beau et de la même couleur. On parvint à en trouver un, gris pommelé, en tout semblable au sien, mais moins grand; il fut envoyé avec le perfide Phisac, muni d’une lettre et de présents pour le prince Varaz en Adherbeidjan. Le roi lui conseilla de dire ces paroles: « Voici le cheval que tu avais demandé et que le roi te cède sans aucun regret à cause de l’amitié qu’il te porte. » Arrivé chez Varaz, Phisac ne lui cacha point le refus du roi; et, au lieu de dissimuler ses perfides projets, il fit tout son possible pour exciter davantage Varaz. Il ne craignit pas même de raconter que le roi Diran nourrissait une haine violente, une envie démesurée, une grande animosité contre le roi de Perse et son armée, qu’il ne redoutait nullement, et qu’enfin, il avait manifesté sa répugnance à se séparer de son cheval qu’il avait caché. [Il ajouta: « Le roi] se moquant de toi, a voulu te tromper en t’envoyant un autre cheval avec moi. Mais ce n’est pas encore tout: le roi Diran, fondant son espérance sur l’empereur et sur son armée, se propose d’arracher le pouvoir royal des mains des Sassanides, en disant: « Ce pouvoir appartenait jadis à nous et à nos pères, et je ne me tranquilliserai pas jusqu’à ce que l’honneur de mes ancêtres ne me revienne, jusqu’à ce que la royauté d’autrefois ne me soit rendue, à ma maison, à mon fils et à leurs enfants. » C’est ainsi que par de semblables paroles, le perfide Phisac excitait Varaz contre son propre maître, et appelait la mort sur la tête de son roi.

Aussitôt que Varaz-Schapouh, marzban d’Adherbeidjan, entendit tout cela de la bouche de Phisac, ce chien enragé, il écrivit sur le champ une lettre de dénonciation, et la dépêcha à Nersèh, roi de Perse. [Dès ce moment] il ne cessa de provoquer le roi des Perses, de l’exciter contre le roi des Arméniens jusqu’à ce qu’il reçut l’ordre de trouver le moyen de se saisir de Diran, en lui tendant toutes sortes d’embûches. Pendant que la paix régnait entre les deux princes, la colère du Seigneur excita sa vengeance contre le pervers Divan, sur qui fut vengée la mort des deux grands prêtres, dont le sang fut versé par lui.

Alors Varaz dépêcha un messager vers le roi des Arméniens et, prétextant le vif désir de le voir, il lui demanda une entrevue pour lui témoigner soit amitié et pour l’entretenir de questions concernant la paix. Aussitôt que Diran entendit exprimer ce désir, il donna l’ordre, avec la plus grande joie, de l’engager à venir citez lui. Avant l’arrivée de Varaz, le roi, après avoir conféré avec ses familiers et les dignitaires de son palais, dit: « Il va nous arriver un personnage qu’il faudra divertir et amuser avec des chasses, des festins et d’autres plaisirs. Cependant il ne faut pas qu’il voie les chasses de notre pays qui abondent en bêtes fauves, car les Perses en général sont très envieux et très malveillants; trouvez seulement un lieu où nous puissions nous divertir sans tuer beaucoup de bêtes fautes et sans en faire grande parade. [En un mot,] la chasse doit être médiocre, pour ne pas exciter l’envie de cette méchante et perverse nation des Perses. Que cela soit dans le pays d’ABabouni, au pied de la grande montagne Masik, dans les environs de l’endroit où se trouve la ville d’Aghiorskh; c’est là que vous préparerez la chasse. »

Enfin Varaz-Schapouh arriva accompagné d’une suite de trois mille hommes; il se présenta au roi dans le pays d’ABabouni, et [Diran] lui fit un accueil des plus magnifiques. Les paroles concernant la chasse, qui avaient été proférées par le roi, furent rapportées sur le champ au commandant des Perses, par le perfide calomniateur Phisac, par ce lâche qui, trahissant son maître, préparait sa mort, en consommant aussi la ruine de sa patrie. Cependant les deux princes se divertirent pendant quelques jours. Mais le prince perse cachait profondément sa haine sous le voile de l’astuce, jusqu’à ce qu’il pût trouver un moment favorable pour accomplir ses perfides projets.

Or, il advint qu’en ce temps-là, les généraux [arméniens] s’étaient retirés et se trouvaient absents, ainsi que les plus grands des satrapes et les anciens chefs de familles; l’armée royale vivait soit dans ses maisons, soit dans son camp, de sorte qu’il n’y avait avec le roi aucun détachement de soldats ou de cavalerie; il n’y avait que quelques serviteurs munis de leurs filets pour la chasse, des éclaireurs, des gens de service, gardant les tentes, enfin quelques soldats chargés du service de la garde; puis venaient la reine et le prince royal, le jeune Arschag. Quoique Diran eût si peu de gens autour de lui et qu’il vit le général des Perses arriver avec une escorte forte de trois mille hommes, armés de toutes pièces, il ne conçut aucun soupçon, parce qu’il le voyait venir avec des intentions pacifiques, avec de riches présents et en lui témoignant beaucoup d’égards.

Quelques jours s’étaient à peine écoulés, que le roi fut engagé [par Varaz] à un festin où il devait être magnifiquement traité. Après d’amples libations, le roi et tous ceux qui l’accompagnaient s’étant enivrés, des soldats embusqués se jetèrent subitement et à l’improviste sur chacun des convives et s’emparèrent d’eux, ainsi que de la personne du roi Diran qui fut entouré d’hommes armés de haches et de boucliers. Dès qu’il fut saisi, on l’attacha avec des chaînes de fer. Alors l’ordre fut donné de piller le camp [royal]; tout ce qu’on y trouva, le trésor du roi, ses biens, sa femme et ses fils furent emmenés du pays d’ABabouni.

A peine [les soldats] arrivaient au village de Talaris, que le général des Perses qui les suivait, faisait aussi son entrée dans le même village, amenant avec lui le roi Diran enchaîné. Alors Varaz dit: « Eh bien, apportez-moi du charbon pour faire rougir le fer et brûler les yeux du roi des Arméniens. » Le charbon apporté, on brûla les yeux de Diran. Alors Diran commença à parler en ces termes: « Puisque c’est en cet endroit que la lumière de mes deux yeux s’est assombrie, que dorénavant et pour toujours il soit nommé Atzough au lieu de Talaris, et que cela reste comme un souvenir de moi. Maintenant je me rappelle et je comprends que c’est une vengeance pour l’énormité de mes péchés, puisque j’ai privé tout mon pays, dont j’étais le roi, de la lumière que lui apportaient les deux docteurs; en croyant éteindre la lumière de la vérité prêchée par eux, me voilà privé de la lumière de mes propres yeux. »

Après quoi, le général des Perses, quittant le village d’Atzough, partit sans délai pour la Perse, emmenant avec lui le roi Diran et tous les captifs; de là il se rendit en Assyrie chez son maître le roi des Perses.[86]

La funeste nouvelle de cette calamité ne tarda pas à se répandre bientôt [dans tout le pays]. De tous les côtés arrivèrent les satrapes, les princes, les juges, les généraux d’armée, les chefs et une multitude de gens: ils se réunirent en corps et se mirent à la poursuite de Varaz, mais ils ne purent l’atteindre. Néanmoins, ils s’emparèrent d’une contrée du pays des Perses, où ils firent passer au fil de l’épée tous les habitants, répandant sur tout leur passage l’incendie et la dévastation. Après quoi ils retournèrent chez eux et, se réunissant, ils pleurèrent le roi des Arméniens, leur propre maître, ainsi que la ruine de leur pays et de ce qu’ils restaient privés de maître et de seigneur.

CHAPITRE XXI.

Les satrapes arméniens se réunissent d’un consentement unanime et engagent le roi des Grecs à venir en Arménie pour les secourir. Le roi des Perses, accouru avec une nombreuse armée, est contraint de s’enfuir seul dans son royaume sur un cheval.

Or, les habitants du pays des Arméniens, c’est-à-dire les grands satrapes, les anciens, les gouverneurs, les dynastes, les nobles, les généraux, les juges, les chefs, les princes et le peuple lui-même se réunissant, commencèrent à se dire les uns aux autres: « A quoi bon ce deuil dans lequel nous sommes plongés? Nos ennemis vont sans doute en tirer profit; encore quelque temps et ils vont faire irruption dans notre pays. Il est urgent de nous consoler; défendons-nous, défendons notre patrie, et vengeons la mort de notre maître. »

Après quoi, tous les gens du pays en général consentirent unanimement à chercher du secours.

Alors les anciens parmi les Arméniens envoyèrent un des grands satrapes nommé Antov, chef de la famille de Siounie et Arschavir Gamsaragan, chef de la famille des Arscharouni, avec des présents, vers le roi des Grecs, en lui promettant de se soumettre à son pouvoir, s’il consentait à venir à leur secours et à leur prêter la main pour se venger de leur ennemi. Arrivés au pays des Grecs, ils se rendirent au palais impérial, et présentant au souverain la lettre elles présents, ils lui firent part de la prière que tous leurs compatriotes lui adressaient. L’empereur, après les avoir entendus, témoigna une grande disposition à leur être utile et s’empressa de tendre la main au pays des Arméniens. En effet, il se rappelait très bien le pacte que l’empereur Constantin et le roi Tiridate avaient conclu entre eux et confirmé par leurs serments.

Les ambassadeurs, envoyés du pays des Arméniens au palais impérial, n’étaient pas encore de retour dans leur patrie, lorsque du côté de l’orient, le roi des Perses, Nersèh, se mit en marche vers l’Arménie, afin de conquérir son territoire et de le livrer à l’incendie et à la dévastation. Il partit à la tête de son armée avec un camp immense, avec beaucoup d’éléphants, muni de provisions et accompagné de toute sa suite, de sa chancellerie, de ses femmes et de la reine des reines; puis il entra dans le territoire de l’Arménie et occupa tout le pays en général. Les satrapes arméniens, accompagnés de leurs sujets et de leurs familles, s’enfuirent en cherchant un refuge sur le territoire de la Grèce et en faisant parvenir à l’empereur l’avis de cette funeste nouvelle. Aussitôt que l’empereur grec apprit tous ces événements, il rassembla ses troupes, entra en Arménie et marcha contre le roi des Perses. Laissant son camp près de la ville de Sadagh, il choisit deux hommes des plus marquants et des plus sages du camp arménien, nommés Arschavir et Antov, eux-mêmes qui avaient été envoyés vers lui comme ambassadeurs la première fois; et, travesti en paysan, en habit de maraîcher, il entra avec eux dans le camp des Perses, qui était établi dans le village d’Oskha situé dans le canton de Pasèn, où ils examinèrent.et étudièrent attentivement le nombre et la force de l’armée ennemie. Revenus dans leur camp, ils se préparèrent à marcher contre l’armée du roi des Perses, qu’ils trouvèrent dans le même lieu, campée sans précaution et sans méfiance. Il faisait déjà jour quand ils fondirent sur le roi des Perses et passèrent au fil de l’épée le camp tout entier, sans laisser échapper personne. Ils s’emparèrent du camp, des trésors, des richesses et emmenèrent en captivité les femmes du roi et la reine des reines, avec toute leur suite. Le roi seul, monté sur un misérable cheval, se sauva précédé d’un courrier et parvint avec peine jusque dans son royaume. Alors l’empereur apparut en triomphe au milieu du camp, et donna ordre d’exterminer en général tout individu dans la force de l’âge et d’emmener le reste en captivité au pays des Grecs. Après avoir comblé d’honneurs Antov et Arschavir, il leur confia le gouvernement de l’Arménie, leur donna la suprématie sur tous les princes et leurs domaines, et se mit en route pour retourner dans ses états, dans le pays des Grecs.

Cependant le roi des Perses, fugitif, rentra dans son royaume, convoqua le reste de ses dignitaires en conseil et donna l’ordre d’examiner et de découvrir la cause primitive de cette guerre. Enfin on parvint à la connaître, et on rapporta au roi que le méchant Varaz-Schapouh en avait été la cause unique, qu’il avait suscité tout ce trouble pour une chose sans importance, pour un motif futile, c’est-à-dire pour un cheval. Alors il ordonna de le démettre de sa dignité, de le dépouiller de ses vêtements d’honneur et de lui infliger la bastonnade la plus terrible. Puis, selon l’usage des Perses, il ordonna de l’écorcher, de rembourrer sa peau avec de la paille et de l’exposer à la risée de tout le monde. Se repentant des choses déjà accomplies, le roi dépêcha vers l’empereur ses dignitaires les plus honorables, pour solliciter la paix et [demander la liberté de] ses femmes captives, afin qu’il lui épargnât la honte et l’humiliation, [A la suite de cette prière], l’empereur grec Valens (Vaghès) expédia au roi des Perses une lettre ainsi conçue: « C’est à toi premièrement à rendre les captifs que tu as emmenés du pays des Arméniens et tout le butin pris par toi. Pour que je te rende ce que j’ai pris, il faut que tu fasses ce que je te propose. » Ayant reçu cette lettre, le roi des Perses n’eut rien de plus pressé que de se conformer sur le champ [à son contenu]. Il fit sortir le roi Diran de sa prison, lui parla avec douceur, disant qu’il allait le renvoyer avec honneur en Arménie et lui rendre le pouvoir royal. A cela Diran répondit: « Non seulement il est inutile, mais même il est impossible à un aveugle de régir un royaume; élève plutôt mon fils Arschag sur le trône royal à ma place. » Mais Nersèh, élevant à la royauté le fils de Diran, Arschag,[87] l’expédia en Arménie avec toutes les femmes du roi, tous les captifs, les trésors, les présents et le butin. De même il envoya de son royaume, dans le pays des Arméniens, le roi Diran avec un attirail magnifique. Il remplit ainsi strictement l’ordre de l’empereur grec. Après les avoir tous expédiés en Arménie, le roi des Perses congédia aussi les envoyés de l’empereur grec, afin qu’ils lui rapportassent en détail comment il venait d’exécuter son ordre, et pour que l’empereur renvoyât de la même manière les captifs pris au roi des Perses. L’empereur apprit avec la plus grande satisfaction les détails de l’exécution de son ordre, touchant le renvoi du roi Diran et des captifs arméniens. Alors l’empereur grec, de son côté, consentit à rendre les captifs perses; il renvoya les femmes du roi des Perses avec les plus grands honneurs, ainsi que tous les captifs; et il les fit partir tous sains et saufs du pays des Grecs dans le pays des Perses.

Ici finit le troisième livre, [contenant] vingt et un chapitres et les canons chronologiques de Faustus de Byzance, grand historien et chronographe grec.[88]

 

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LIVRE QUATRIÈME.

 

Canons chronologiques de l’histoire du pays des enfants de Thorgom.

 

I. Comment, après une longue guerre, le roi des Perses, Nersèh, éleva au trône Arschag, fils de Diran; et comment il envoya ce dernier dans le pays des Arméniens avec son père Divan et tous les captifs.

II. L’ordre est rétabli et reconnu dans toute l’étendue du pays; rétablissement du royaume d’Arménie.

III. Saint Nersès; son origine; comment il fut choisi comme évêque du pays des Arméniens.

IV. Comment Nersès fut emmené à Césarée; nombreux miracles accomplis par Dieu; apostolat et direction religieuse que Nersès donna à sort troupeau.

V. Nersès, catholicos des Arméniens, accompagné de satrapes, est envoyé par le roi Arschag vers l’empereur Valens; son discours sur la religion, à propos du fils de l’empereur, est cause de son arrestation et de son exil; l’empereur renvoie les satrapes avec des présents.

VI. Comment Nersès, après avoir été exilé dans une ile déserte, y vécut miraculeusement pendant neuf ans.

VII. Miracles accomplis par Dieu envers Nersès et Basile. Jalousie de l’évêque Eusèbe contre ce dernier.

VIII. L’empereur Valens persécute tous les orthodoxes; il est cause d’une dispute entre les vrais croyants et les Ariens hétérodoxes. Saint Basile, à la suite d’une vision miraculeuse, est contraint d’accepter le combat, durant lequel, avec l’aide de Dieu, il triomphe de ses adversaires en présence de l’évêque Eusèbe. Comment ce dernier est jeté en prison et y meurt. Basile est mis en liberté.

IX. Saint Basile est élu évêque; miracle de Dieu; Basile ordonne au peuple croyant en Jésus-Christ de réunir tous ses trésors, ce qui est exécuté On les lui apporte à cause de l’amour de Dieu vivifiant, et on implore l’empereur pour qu’il fasse rentrer les évêques [bannis] dans leurs diocèses.

X. L’empereur Valens engage un sophiste à aller combattre la vraie doctrine; miracles dont ce dernier fut témoin en voyant la multitude des martyrs dans l’enceinte de l’église; l’empereur Valens meurt à la suite des prodiges accomplis par Dieu, et la paix est rétablie dans l’Église de Dieu.

Xl. Les princes envoyés vers l’empereur Valens retournent en Arménie chez leur maître Arschag; ce dernier s’emporte contre l’empereur et dévaste les domaines de l’empire grec.

XII. Khat est sacré évêque de Pakravant par Nersès et chargé du vicariat; son caractère, ses prodiges et ses miracles; comment, guidé par la vérité, il se montre impartial pour le grand roi Arschag et cherche à mettre un frein à toutes ses iniquités; il prend soin des pauvres, à l’exemple du grand pontife Nersès.

XIII. Après son retour de la Grèce, le saint catholicos Nersès réprimande le roi Arschag; prodiges horribles accomplis dans le bourg d’Arschagavan; toute la multitude des hommes qui s’y trouvaient, périt subitement.

XIV. Haïr, chef des eunuques; son arrivée dans le canton de Daron; il visite Aschdischad, lieu de prières; comment, condamné par ses propres paroles, il se trouva contraint de s’en aller; sa mort.

XV. Comment l’impie roi Arschag, excité par la calomnie du méchant Dirith, fit périr Knel fils de son frère; il est réprimandé pour ce fait par l’homme de Dieu, Nersès; le roi ordonne de tuer son autre neveu Dirith; il prend pour femme la veuve de Knel; il fait amener Olympie (Oghempi) de la Grèce et la prend pour épouse; elle est empoisonnée par le prêtre Merdchiounig, sur l’ordre de Pharandzêm, pendant la communion.

XVI. Le roi des Perses, Sapor, invite chez lui Arschag roi des Arméniens et lui fait un accueil des plus magnifiques; le sbarabed arménien Vasag le Mamigonien, tue le chef de l’écurie du roi des Perses. Le roi Arschag prête serment de fidélité au roi des Perses sur l’Evangile; il viole son serment et s’enfuit. Sapor, pour se venger, fait massacrer soixante dix serviteurs de Dieu.

XVII. Sapor, roi des Perses, persécute les chrétiens.

XVIII. Vartan est mis à la mort par le roi Arschag, à l’instigation du sbarabed Vasag, frère de Vartan.

XIX. Le roi des Arméniens, Arschag, massacre les satrapes sans raison et sans pitié.

XX. Guerre acharnée entre les Grecs et les Perses; secours apporté par Arschag, roi des Arméniens, au roi des Perses; il fait passer au fil de l’épée les troupes grecques. Arschag, trompé par Antov de Siounie, s’enfuit de la cour de Sapor, roi des Perses.

XXI. Guerre entre Sapor, roi des Perses, et Arschag, roide Arméniens; ce dernier remporte la victoire.

XXII. Après cette première bataille, trois combats ont lieu avec les Perses dans le pays des Arméniens; ceux-ci triomphent encore de leurs ennemis.

XXIII. Mehroujan Ardzrouni se révolte contre Arschag, roi des Arméniens; il passe chez le roi des Perses, Sapor, et commence à susciter la guerre; il renie Dieu et cause de grandes calamités au pays des Arméniens.

XXIV. Mehroujan engage le roi des Perses, Sapor, à continuer la guerre; il sert de guide à Sapor. Mehroujan envahit l’Arménie; il s’empare des ossements des rois Arsacides; le général Vasag, après avoir triomphé de l’ennemi, reprend ces ossements.

XXV. Le roi Arschag tente une invasion en Perse; il attaque le camp du roi Sapor à Thavredeh, et le met en déroute.

XXVI. Vin le perse, avec quatre cent mille hommes, essaye d’envahir l’Arménie; il est vaincu par les troupes arméniennes.

XXVII. Le général perse Antigan, avec une armée de quatre cent mille hommes, s’avance pour dévaster l’Arménie, le sbarabed arménien Vasag va à sa rencontre à la tête de cent vingt mille hommes et le défait, ainsi que son année.

XXVIII. Hazaroukhd, satrape perse, est envoyé par le roi Sapor à la tête de huit cent mille hommes, pour envahir l’Arménie; Vasag avec cent dix mille hommes va à sa rencontre et le défait, lui et son armée, sur le territoire d’Aghdsnik.

XXIX. Temaiount Vécémagan, avec une armée de neuf cent mille hommes, est envoyé par Sapor, roi des Perses contre Arschag, roi des Arméniens; le général arménien Vasag le bat avec toute son armée.

XXX. Vahridch, à la tête d’une armée de quatre millions d’hommes (?), fond sur le roi Arschag; il est défait avec toute son armée par le général arménien Vasag.

XXXI. Koumant Sapor se vante en présence de Sapor, roi des Perses [de conquérir l’Arménie]. Il marche à la tête de neuf cent mille hommes; il est défait et chassé honteusement du pays des Arméniens.

XXXII. Kéhigan, chef de race, envoyé avec de nombreuses troupes par Sapor, roi des Perses, contre Arschag, roi des Arméniens, est défait par Vasag, général des Arméniens.

XXXIII. Sourên Pahlav, avec une nombreuse armée, est défait comme ses prédécesseurs.

XXXIV. Abagan Vécémagan, prend parti dans cette guerre; il n’est pas plus heureux que ses prédécesseurs.

XXXV. Zig, chef des secrétaires de Sapor, roi des Perses, envoyé par ce dernier avec une armée nombreuse en Arménie, périt comme ses prédécesseurs.

XXXVI. Sourên le perse veut continuer la guerre après Zig; il tombe entre les mains de Vasag et périt avec ses troupes.

XXXVII. Herevschoghoum, envoyé par le roi des Perses avec neuf cent mille hommes en Arménie, donne aux Arméniens une nouvelle occasion de triompher de leurs ennemis.

XXXVIII, Alanozan, à la tête de quatre millions d’hommes f?), marche, sur l’ordre du roi des Perses, pour combattre le roi des Arméniens; il est vaincu par Vasag.

XXXIX. Le grand satrape Poïagan, avec ses quatre cent mille hommes, est exterminé par le sbarabed arménien Vasag.

XL. Vatchagan, à la tête d’une armée de cent quatre vingt mille hommes, marche à la conquête de l’Arménie; il est mis en fuite avec ses troupes par le sbarabed Vasag.

XLI. Meschgan fait une invasion en Arménie avec trois cent cinquante mille hommes; il est vaincu par Vasag et par les troupes arméniennes.

XLII. Maroudjan, avec six cent mille hommes venus contre le roi Arschag, sont battus et exterminés par le sbarabed Vasag.

XLIII. Le chef des Zïntags, à la tête d’une armée de neuf cent mille hommes, fond sur le roi Arménien; il est défait avec ses troupes par le général Vasag.

XLIV. Le prince royal Bab, possédé par les dev, commet des abominations.

XLV. Saguesdan, grand maître de la garde-robe du roi Sapor, est envoyé par ce dernier en Arménie; il est mis en fuite par le général arménien Vasag.

XLVI. Schabesdan, grand maître de la cour, venu avec une armée de cinq millions d’hommes (?) en Arménie, est entièrement défait par les troupes Arméniennes.

XLVII. Le grand-maître de la garde-robe des Mages, avec cent quatre-vingt mille hommes, livre bataille au roi des Arméniens; il est défait comme ses prédécesseurs.

XLVIII. L’intendant général des vivres, avec neuf cent mille hommes, arrive pour combattre les troupes du roi des Arméniens; il est défait par eux et le général Vasag, à Saghamas.

XLIX. Mergan, avec quatre cent mille hommes, présente le combat au roi des Arméniens; il est défait par Vasag et les troupes arméniennes.

L. Désorganisation du royaume d’Arménie; plusieurs satrapes arméniens se révoltent et passent du côté de Sapor, roi des Perses; affaiblissement du royaume d’Arménie.

LI. Les satrapes restés en Arménie viennent se réunir chez le catholicos arménien Nersès, pour porter plainte contre leur roi Arschag, qu’ils abandonnent.

LII. Le roi Sapor fait en ce moment cesser la guerre avec Arschag, roi des Arméniens, et rengage avec des promesses à conclure la paix.

LIII. Le roi Sapor fait de nouvelles propositions à Arschag, roi des Arméniens; ce dernier se rend à son appel et meurt.

LIV. Sapor, ayant interrogé les Mages et les Chaldéens, cherche à sonder Arschag; il le fait jeter dans le château de l’Oubli (Aniousch), et fait endurer une mort cruelle au sbarabed arménien Vasag.

LV. Invasion et dévastation de l’Arménie; captivité [Arménienne] emmenée en Perse; mort cruelle de la reine Pharandzêm, et ruine totale des villes et du pays entier.

LVI. Martyre du prêtre Zouith en Perse.

LVII. Invasion tentée par Sapor, roi des Perses, afin d’exterminer entièrement le reste [des habitants] de l’Arménie; malheurs sans nombre endurés par ces derniers.

LVIII. Calamités que Vahan et Méroujan font subir au pays des Arméniens; Vahan et sa femme sont mis à mort par leur propre fils.


 

LIVRE QUATRIÈME.

 

Canons chronologiques de l’histoire du pays des enfants de Thorgom.

 

 

CHAPITRE I.

Comment, après une longue guerre, le roi des Perses, Nersèh, éleva au trône Arschag, fils de Diran, et comment il envoya ce dernier dans le pays des Arméniens avec son père Diran et avec tous les captifs.

La paix et l’amitié étant rétablies entre l’empereur des Grecs et le roi des Perses Nersèh, [les deux souverains] s’empressèrent de remplir ponctuellement leurs engagements. L’empereur grec renvoya les captifs au roi des Perses Nersèh qui, après avoir investi Arschag[89] du pouvoir royal, l’expédia en grande pompe avec son père, leurs femmes, tous les captifs, leurs trésors et leurs biens. C’est ainsi qu’Arschag, roi de la Grande Arménie, se mit en route, accompagné de son père et de sa famille, traversa le pays des Assyriens et entra dans son royaume, où il réunit tous, [les habitants] dispersés et commença à régner sur en. En ce temps-là, la paix fut rétablie partout, et tous ceux qui s’étaient enfuis, égarés, ou bien se tenaient cachés dans des lieux inaccessibles dia pays des Arméniens, revinrent, et, s’étant réunis, ils vécurent en sécurité sous la protection du roi Arschag. C’est de cette manière que l’ordre et la paix furent rétablis par ces deux souverains dans l’Arménie, et que la population entière ne cessa dès lors de jouir d’une parfaite tranquillité dans ses possessions et dans ses domaines.

CHAPITRE II.

L’ordre est rétabli et reconnu dans toute l’étendue du pays; rétablissement du royaume d’Arménie.

En ce temps-là, le roi Arschag se mit la recherche des généraux de la race des vaillants Mamigoniens; car ils avaient été ses pères nourriciers. Il les rencontra dans leurs propres domaines, dans des lieux inaccessibles du pays de Daïk et les fit rentrer à son service; car, pendant la démence de Diran, ils s’étaient refusés à prendre part aux affaires des Arméniens. Le frère aîné, Vartan, fut rétabli par le roi dans ses droits de chef de sa famille; le second frère, Vasag, nourricier du roi, fut nommé généralissime (sbarabed) de l’armée, et le plus jeune fut investi d’un commandement militaire. Arschag, à l’exemple des rois ses prédécesseurs, fit rentrer dans le devoir les chefs de toutes les grandes familles avec leurs troupes, en désignant à chacun d’eux leurs fonctions. Les grands une fois soumis, il partagea les troupes et leur confia la garde des frontières de l’Arménie de tous les côtés.

Le pouvoir royal fut dès lors rétabli dans le pays des Arméniens comme par le passé; les grands rentrèrent dans l’exercice de leurs charges, et les commissaires remplissaient leurs fonctions. On voyait à la tête des gouverneurs et des administrateurs, chargés de pourvoir aux besoins des habitants du pays, dans les villes et dans les villages, la famille des Kénouni, [dont les membres] furent investis de la haute direction des affaires. L’armée entière avec tout ce qui en dépend, c’est-à-dire les munitions d’armes, les piques, les arcs, les étendards ornés d’aigles et de faucons, ainsi que le commandement des troupes, en temps de guerre, furent confiés aux descendants de l’ancienne famille des Mamigoniens, qui furent investis des charges de stratélates et de sbarabed. Ces personnages étaient renommés pour leur intrépidité, leur courage, leur dextérité, leur valeur militaire, leur célébrité et leurs bonnes œuvres; on eût dit que c’étaient des gens auxquels le ciel même accordait l’administration militaire dans toute l’étendue de la Grande Arménie. Les membres de ces deux maisons, ainsi que ceux de la noblesse qui venait après eux, décorés des titres de gouverneurs, obtinrent le droit de s’asseoir en présence du roi sur des coussins, de porter les insignes d’honneur sur leurs têtes; sans parler des chefs des grandes familles qui, en leur qualité de gouverneurs, étaient aussi admis au palais, à l’heure du repas, et occupaient neuf cents coussins parmi les convives, sans compter un nombre considérable de serviteurs au service da palais.

CHAPITRE III.

Saint Nersès; son origine; comment il fut choisi comme évêque du pays des Arméniens.

Les chefs de plusieurs grandes familles et de différentes races, les grands qui avaient leurs propres soldats et leurs bannières, tous les satrapes et les nobles, les chefs et les princes, les généraux et les gardiens des frontières, se réunirent chez le roi Arschag pour délibérer sur le choix d’un chef [spirituel], qui fût digne d’occuper le siège patriarcal et de garder les brebis du Christ. La décision qui fut prise au conseil, et qui fût accueillie en général par tous les assistants, consistait à trouver parmi les descendants de la maison de Grégoire [l’Illuminateur] quelqu’un qui fut digne d’être choisi comme chef spirituel. Tous, s’adressant au roi, lui dirent: « Puisque Dieu a voulu rétablir votre royauté, il faut que le patriarcat spirituel reste aussi dans cette famille. Car, avec la restauration de ce siège, il y aura une notable amélioration des mœurs dans notre pays. »

Alors les nombreuses troupes de toute l’Arménie demandaient et proclamaient celui qui se nommait Nersès. C’était le fils d’Athanakinès et le petit-fils du grand patriarche Iousig, fils de Verthanès, fils du grand et du premier Grégoire sa mère avait nom Bambischen et était sœur du roi Diran. Dans son enfance, il fut élevé à Césarée, ville de Cappadoce (Kamir), où il reçut son instruction sous la direction de maîtres fidèles, et où il acquit l’affection de ses condisciples. Entré dans le monde, il se maria jeune encore.[90] En ce temps-là, il était au service militaire, et occupait la charge de chambellan particulier du roi Arschag, qui lui accordait une entière confiance dans toutes les affaires intérieures et extérieures du royaume.

Nersès était d’une taille élevée et agréable, d’une beauté si attrayante que personne ne l’égalait sur la terre; à ceux qui le voyaient, il inspirait non seulement de la sympathie, mais encore de l’admiration, voire même une certaine crainte; son courage dans la guerre était envié par tout le monde. Il se nourrissait de la crainte du Seigneur Dieu, en conservant ses commandements. Charitable, pieux et prudent, il possédait une sagesse infime; c’était un juge impartial, modeste, aimable et doux; il aimait les pauvres; les saintes lois du mariage étaient sacrées pour lui, et son amour pour Dieu atteignait la perfection. Il aimait son prochain, selon les commandements, autant que son âme. Bien qu’au service militaire, sa conduite était très régulière. Malgré sa jeunesse, il vivait selon les préceptes du Seigneur, dans la voie de la justice. Sa manière d’être habituelle envers ses égaux était à l’abri de tout reproche. Il était infatigable, plein de zèle pour la gloire de Dieu et [enflammé] d’un amour ardent pour le Saint-Esprit. Tel était cet homme, parfait et accompli en tout. Il aimait les pauvres et les malheureux, et il en avait soin au point de partager avec eux non seulement ses vêtements, mais encore sa nourriture. Il portait secours aux affligés, à ceux qui étaient dans la douleur, et s’offrait toujours comme protecteur et médiateur des opprimés.

Nersès, ce jeune homme à la taille grande et élancée, à la chevelure abondante et flottante, portait un vêtement riche et élégant, et se tenait debout derrière le roi, portant en main l’épée royale, qui était d’acier et enfermée dans un fourreau d’or avec une ceinture ornée de perles et de pierres précieuses. Aussitôt toute l’assemblée commença à crier à haute voix: C’est Nersès qui doit être notre pasteur Ayant entendu cette acclamation, Nersès refusa d’accepter [le mandat] dont il se disait indigne. Cependant l’assemblée ne cessait de persister dans sa résolution et continuait à crier devant le roi: « Personne excepté lui ne sera notre pasteur; personne excepté lui n’occupera le siège. » Mais lui, à cause de sa grande humilité, se considérant indigne [d’un tel honneur], s’avança et fit des rapports mensongers sur sa propre personne, s’accusant d’iniquité et de péchés qu’il n’avait jamais commis. La multitude, de même que le roi, en l’écoutant, poussèrent des éclats de rire, surtout quand il se calomniait ainsi lui-même. Cependant les troupes qui étaient présentes répétaient unanimement et à haute voix: « Que les péchés commis par toi retombent sur nous et sur nos têtes; nous prenons sur nous-mêmes et sur nos enfants toutes les actions [que tu as commises]; mais toi, reprends l’œuvre de ton bisaïeul Grégoire [l’Illuminateur] et renouvelle parmi nous son patriarcat. » Comme il ne savait que répondre à ces paroles, il se mit à blâmer les troupes en disant: « Vous êtes des hommes iniques et impurs; c’est pour cela que je ne veux pas être votre pasteur et que je ne puis pas prendre sur moi vos péchés je ne suis pas injuste, je ne tolérerai pas vos méchancetés. Oui, vous m’aimez aujourd’hui, mais c’est en vain; demain vous me haïrez et vous me considérerez comme votre ennemi, car je deviendrai pour vous une lourde massue que vous appelez sur vos têtes. Ainsi laissez-moi tramer ma vie misérable, remplie de péchés, sans d’autres soucis, en attendant le jugement dernier. » Mais la multitude des guerriers faisait entendre son acclamation, en disant: « Eh bien, nous ne voulons que toi, pécheur, pour être notre pasteur! » Sans doute ce n’était que la Providence divine qui les faisait persister tous dans leur résolution. Alors le roi Arschag, s’enflammant d’une grande colère, se retourna vers Nersès, qui, en sa qualité de chambellan, tenait l’épée royale avec la ceinture, et, l’arrachant de ses mains, il donna ordre de le lier en sa présence, de lui couper ses cheveux bouclés, longs, épais, magnifiques, incomparables pour leur beauté, et d’arracher ses riches vêtements. Puis il donna l’ordre d’apporter les habits sacerdotaux et de l’en revêtir; en même temps le roi fit appeler le vénérable évêque Faustus (Faustus) pour qu’il lui conférât le diaconat par l’imposition des mains.

Pendant qu’on lui coupait les cheveux, plusieurs des personnes présentes ne purent retenir leurs larmes et ne pas exprimer leurs regrets, à cause de leur beauté, en apercevant son visage complètement méconnaissable. Mais aussitôt qu’on le vit orné de la beauté du Christ, aussitôt que la grâce divine l’appela à veiller sur la maison du Christ, plusieurs des assistants éprouvèrent une immense joie.

C’était le Seigneur lui-même qui avait inspiré dans les cœurs de tous ces gens le choix du pasteur qui pouvait être leur guide et qui devait leur montrer le chemin de la vie. Faisant encore partie de l’armée, bien qu’il en portât le costume I extérieurement, il avait intérieurement revêtu le Christ. La vie qu’il menait était empreinte d’une noblesse exemplaire. Dans son cœur, il se croyait crucifié avec Jésus-Christ; il partageait avec lui sa sépulture, et, semblable à un juste, il attendait avec un ferme espoir la Résurrection.

Tout cela le rendait vraiment digne du siège patriarcal et de la chaire occupée par ses pères et par l’apôtre Thaddée, et digne également de cet héritage matériel légué par saint Grégoire. Aussi, comme c’était le Seigneur qui l’appelait à cette charge, c’était lui qui avait mis dans le cœur de tout le monde de l’en trouver digne et de le demander. De son côté, il se trouvait indigne du haut rang auquel on voulait l’élever; lui, toujours si craintif et si humble, ne cédant qu’à la violence, au désir unanime, à l’ordre de Dieu et à ce qui fut prédit à Iousig dans sa vision: « Un homme sortira de ta race qui sera le flambeau illuminateur de tout son pays. »

CHAPITRE IV.

Comment Nersès fut emmené à Césarée; nombreux miracles accomplis par Dieu; apostolat et direction religieuse que Nersès donna à son troupeau.

On réunit alors les plus grands princes pour accompagner Nersès qu’on avait tant désiré, et pour aller là où on avait l’habitude de consacrer les patriarches. Une multitude d’évêques se rassembla pour cela chez le roi, et tous, tant qu’ils étaient, consentirent à élire Nersès et à l’élever sur le siège patriarcal. Avec le consentement unanime de tous les évêques, du roi et des laïques, Haïr, principal chef des eunuques, Pakarad, grand prince investi du commandement militaire, Daniel, grand prince de Dzop; Méhantag Reschdouni; Antov, prince de Siounie; Arschavir, prince de Schirac et d’Arscharouni; Noïn, prince du second Dzop; Barkev, prince de la maison des Amadouni, munis de lettres authentiques de la part du roi pour le catholicos Eusèbe, furent envoyés avec une quantité de présents magnifiques à Césarée, capitale de la Cappadoce (Kamir), afin que saint Nersès y fût consacré catholicos de la Grande Arménie.

Arrivés dans cette ville, ils éprouvèrent la plus grande joie, envoyant le catholicos des catholicos, le saint, le célèbre, le bienheureux, le magnifique et l’admirable Eusèbe. Ils lui remirent la lettre du roi Arschag, en étalant devant lui les présents qu’ils avaient apportés. L’archevêque Eusèbe accueillit les envoyés avec beaucoup de considération et d’après les règles canoniques et les lois établies par les apôtres, et convoqua chez lui beaucoup, de saints évêques pour qu’ils conférassent par l’imposition des mains à saint Nersès le pontificat de la Grande Arménie. Alors un grand miracle éclata: à peine étaient-ils entrés dans l’église qu’une colombe blanche descendit sur l’autel à la vue de tout le clergé et de tout le monde. Puis, au moment où le grand pontife Eusèbe faisait son entrée, accompagné de prêtres et d’un saint archiprêtre, qui avait nom Basile, la colombe quitta l’autel, et, s’arrêtant sur ce dernier, elle se posa sur lui pendant plusieurs heures. Aussitôt l’heure du sacre arrivé, on vit la colombe s’envoler loin de saint Basile et se placer sur la tête de Nersès.

A la vue de ce miracle et de ce prodige de Dieu qui s’accomplissaient sur cet homme, tout le peuple et le grand archevêque Eusèbe étaient frappés d’admiration. Alors une acclamation générale se fit entendre: « Tu as plu à Dieu, et l’Esprit de Dieu, s’est arrêté sur toi »; car c’était vraiment ainsi que le Saint-Esprit était jadis apparu sur le Seigneur. Après l’imposition des mains, on fit asseoir Nersès sur le siège épiscopal, on lui rendit honneur et plusieurs personnes disaient: « Egkwmia, ce qui signifie: Le Saint-Esprit s’est arrêté sur lui. » Cependant Nersès ne cessait de se croire indigne de l’accomplissement de ces faveurs. On le fit partir avec la plus grande pompe, accompagné par les grands satrapes arméniens. Tous, revêtus de la gloire spirituelle, rentrèrent dans le pays des Arméniens. Le roi Arschag alla au-devant d’eux jusqu’à la montagne nommée Arioutz (Lion), où ils se rencontrèrent pleins de joie; et, après s’être salués et bénis mutuellement, ils rentrèrent dans l’intérieur du pays.

C’est ainsi que saint Nersès s’installa sur le siège patriarcal. Durant son pontificat, la paix ne cessa de régner dans le pays. En effet, dans toutes les occasions de sa vie, il ne fit qu’imiter l’exemple de son bisaïeul Grégoire le Grand, car il avait hérité de son ineffable bonté, il réhabilita l’apostolat de ses ancêtres, et continua leur œuvre, c’est-à-dire qu’il prit soin de garder [son troupeau] intact contre les attaques des ennemis visibles et invisibles. Il ressemblait aux premiers arbres, il portait les mêmes fruits, grâce à son enseignement et à sa vigilance pastorale, en donnant [à ses fidèles] une pâture utile et spirituelle. La grève divine était si grande en lui que, lorsque l’occasion se présentait, il faisait des prodiges de guérison sur les malades, non seulement il convertissait les égarés, mais il faisait des miracles plus grands encore; il finissait par convaincre les obstinés endurcis, en leur inspirant de la crainte, et en persuadant ceux dont les cœurs étaient ouvert, aux douces paroles de l’enseignement.

Nersès renouvelait les églises dévastées et rétablissait les autels renversés. Il prêchait le repentir à ceux dont la foi était chancelante, pour qu’ils puissent se sauver en croyant en Dieu. Il consolait ceux qui croyaient, en leur inspirant l’espérance des biens éternels qui les attendaient. Occupant la chaire de Thaddée et marchant dans la voie de ses pères, il devint un fils digne d’eux. Il faisait taire la médisance et empêchait [la propagation] de l’iniquité, soit par les paroles, soit par les actions. Prêt à embrasser la mort pour la vérité, il applaudissait et encourageait avec joie les succès du juste. La pluie de son enseignement, en fécondant la justice, la nourrissait et la rendait capable de recevoir la bénédiction et de porter des fruits. Dans toutes les localités de la Grande Arménie, où jadis ses ancêtres avaient semé la prédication de la parole de vie, lui aussi fit tomber la pluie, et, patient moissonneur, il participait à l’œuvre des semeurs. En arrosant et en faisant croître l’herbe, il multiplia la moisson abondante dans le grenier du royaume de Dieu. Oui, c’était vraiment un successeur digne de ses ancêtres.

Il possédait un pouvoir immense pour accomplir des prodiges indicibles. Pratiquant l’œuvre de la charité, il donnait par là le bon exemple, et par son enseignement il ouvrait en général les portes fermées de l’esprit de tout le monde, en engageant à faire le bien. Dun côté, il enseignait l’amour, l’espérance, la foi, la sainteté, la douceur, l’humilité, la clémence, la sollicitude pour le soutien des indigents et l’espérance de la promesse faite par le Christ; d’un autre côté, il rappelait le juste châtiment par le feu inextinguible et par les supplices sans fin qui auront lieu au [second] avènement, lorsque viendra le Fils de Dieu, Jésus-Christ. Par ce moyen, il suscita une telle crainte, que tous ceux qui habitaient le territoire de l’Arménie crurent [à ses paroles] et se hâtèrent de distribuer leurs biens aux pauvres, et cela avec une grande joie.

Nersès se mit en route et arriva dans le pays de Daron, où il convoqua tous les évêques de l’Arménie. Réunis dans le village d’Aschdichad, ou était construite la première église, la mère le toutes les églises, et où ordinairement les anciens convoquaient les assemblées synodales, ils commencèrent à délibérer sur le rétablissement de l’ordre dans l’Église et l’unité dans la foi. Tous se montrèrent unanimes dans ce concile, en établissant des règles générales et obligatoires pour tous les ordres monastiques du pays des Arméniens, à l’exception du mariage. Le saint pontife Nersès imposait une seule chose à tous: c’étaient les institutions apostoliques, c’est-à-dire que tous devaient, par leurs conseils, par la persuasion et le zèle, guider le peuple dans la voie des bonnes œuvres. Nersès était le premier à faire ce qu’il enseignait aux autres; en général, c’est ainsi qu’il voulait qu’on agit dans tous les cantons, dans toutes les contrées, dans tous les lieux et dans tous les endroits du territoire de l’Arménie. Il ordonna de choisir les lieux les plus commodes, pour y construire des hospices, pour y réunir les malades, les lépreux, les paralytiques, enfin tous ceux qui étaient atteints d’une maladie quelconque. On établit simultanément des hôpitaux pour les lépreux et pour les malades ordinaires, en pourvoyant aux besoins de chaque jour et en fournissant aux pauvres le nécessaire. Cet ordre venait du grand pontife Nersès et était [en même temps] l’avis du saint conseil, à savoir, que les malades devaient rester dans leurs demeures propres et ne pas les quitter pour aller mendier, suais ne pas même en franchir les portes, et que tout le monde fût obligé de venir leur secours.

« Il ne faut pas, disait-il, que l’ordre dans le pays en souffre; il faut qu’en général chaque homme, mû par la charité et la crainte, leur apporte des aliments et pourvoie à leurs besoins.

C’est ainsi que Nersès organisa, construisit, établit toutes ces choses; il enseigna à tout le pays mille autres moyens de pratiquer la charité, en rétablissant les institutions de ses pères. A ceux qui, dans leur désespoir, s’abandonnaient aux lamentations et aux pleurs sur les morts et se faisaient beaucoup de mal, Nersès prêchait l’espérance de la Résurrection, persuadant aux hommes que la mort n’est pas éternelle, et qu’ils renaîtront un jour, que le Seigneur viendra, qu’il y aura une renaissance par la Résurrection et que chacun aura sa récompense selon ses actions. Il conseillait de respecter les lois du mariage, de se garder une fidélité mutuelle; surtout de ne pas contracter de mariage avec de proches parents, d’éviter l’inceste, de ne pas avoir de rapports illicites avec les filles d’une beauté remarquable, comme cela était arrivé une fois. Il établit comme règle, de s’abstenir complètement de la chair des animaux et de l’usage du sang [pour la nourriture], de ne pas s’approcher d’une femme pendant l’époque de ses menstruations, parce qu’il trouvait toutes ces choses impures devant le Seigneur.

Nersès envisageait l’astuce, les murmures, l’avarice, l’envie, le désir, l’iniquité, la sodomie, la lâcheté, la médisance, l’ivrognerie, la gourmandise, la violence, l’adultère, la vengeance, le mensonge, l’inimitié, la cruauté, le faux témoignage, l’effusion du sang, le meurtre, enfin toutes sortes d’abominations, comme il envisageait ceux qui n’avaient pas foi en la Résurrection, qui pleuraient leurs morts avec désespoir, et il les estimait également dignes de la perdition. Il prescrivait au pays entier, à commencer par le roi et par les grands jusqu’à ceux qui avaient quelque autorité sur leurs proches, d’avoir compassion des serviteurs, des humbles, des disciples, de les aimer comme leurs proches et de ne pas les accabler d’impôts outre mesure, en leur rappelant qu’eux aussi ils ont un maître dans le ciel. De même, il ordonnait aux serviteurs d’avoir une parfaite obéissance envers leurs seigneurs, afin de mériter la récompense de la part de Jésus-Christ.

De son temps, les églises restaurées jouissaient d’une paix parfaite. Partout les évêques se voyaient entourés d’honneurs et de considération dans toute l’étendue de la Grande Arménie. La prospérité dans toute sa plénitude régnait dans l’Eglise en général: la pompe et la magnificence ornaient les principales églises, le nombre du clergé augmentait chaque jour. Il multiplia le nombre des églises dans les villages et dans les déserts. On peut en dire autant des moines.

Dans tous les districts de l’Arménie, il fonda des écoles pour les langues grecque et syriaque. Il fit rentrer dans leur patrie beaucoup de captif malheureux et affligés, les uns par la rançon, les autres par la crainte qu’il inspirait, en prêchant la gloire du Christ. Les veuves, les orphelins, les indigents, trouvaient toujours chez lui un asile et la nourriture, les pauvres la consolation: son palais et sa table étaient toujours prêts à recevoir les indigents, les étrangers et les hôtes. Quoiqu’il eût déjà construit à leur usage beaucoup d’hospices dans tous les cantons, et qu’il les eût munis de provisions indispensables pour qu’ils ne fussent pas dans la nécessité de quitter leurs lits et d’aller mendier; inspiré par son grand amour pour les pauvres, il leur laissait cependant la libre entrée dans son palais; car les boiteux, les aveugles, les paralytiques, les sourds, les gens perclus, les malheureux, les nécessiteux, tous assis à sa table, partageaient avec lui son repas. Il les lavait tous de ses propres mains; il les soignait et les pansait; c’était lui qui donnait à chacun son aliment et dépensait pour eux tout le nécessaire. Tous les étrangers trouvaient le repos auprès de lui et sous son toit ………………………………

Le pays des Arméniens ne posséda jamais un semblable pasteur.[91]

CHAPITRE V.

Nersès, catholicos des Arméniens, accompagné de satrapes, est envoyé par le roi Arschag vers l’empereur Valens; son discours sur la religion, à propos du fils de l’empereur, est cause de son arrestation et de son exil; l’empereur renvoie les satrapes avec des présents.

Or, il arriva que le roi des Arméniens jugea nécessaire d’envoyer en Grèce le grand catholicos Nersès, avec dix satrapes les plus marquants, pour renouveler le pacte d’alliance qui existait entre le royaume d’Arménie et l’empereur grec. Ils se mirent en route et arrivèrent au palais impérial des souverains grecs.

Vers ce temps-là, Valens,[92] le grand souverain grec, ayant pris parti pour les Ariens, avait embrassé leur hérésie. Quand, à la première audience, il vit Nersès, il lui témoigna la plus grande considération, en lui faisant un accueil magnifique.

Quelque temps après il advint que le fils unique de l’empereur, il n’en avait pas d’autre, tomba gravement malade. Le saint catholicos des Arméniens, Nersès, fut engagé par le souverain à réciter des prières sur l’enfant. Arrivé en sa présence, Nersès lui parla en ces termes.[93] ……………………………………………………

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C’est ainsi que saint Nersès parla à l’empereur; de plus il ajouta à ces paroles: « Dès aujourd’hui nous t’indiquons un terme de quinze jours pour que tu puisses bien penser au bienfait que nous te proposons. Si pendant ce temps ou jusqu’au dernier jour de ce terme, tu n’embrasses pas la vraie foi, pour que tu comprennes que tout ce que je viens de dire devant toi est juste et fidèle, tu auras le signe que voici: ton enfant mourra ! »

Pendant que Nersès parlait en présence de Valens, ce souverain l’écoutait, gardant le plus profond silence. Il était assis les jambes croisées, appuyé sur le coude, la main sous le menton. Telle était l’attitude de Valens pendant tout le discours de Nersès, dont toutes les paroles étaient fidèlement inscrites par des secrétaires garde-notes qui se tenaient debout devant l’empereur. Enfin [Valens], s’enflammant d’une colère violente, ordonna de charger le saint pontife arménien, Nersès, de chaînes de fer, de le jeter dans une prison, de l’y garder jusqu’au moment où il se déciderait quelque chose la guérison ou la mort de l’enfant. Mais, aussitôt les quinze jours écoulés, le fils de l’empereur, son héritier unique, mourut. Après l’avoir grandement pleuré, il ordonna d’amener en sa présence saint Nersès, et, l’appelant à lui, il lui demanda: « N’est-ce pas vous, chrétiens, qui êtes la cause de la mort de l’enfant? » Nersès répliqua en disant: « Après les paroles dites par moi, Jésus-Christ a prolongé pendant quinze jours [la vie de l’enfant] pour que vous ayez le temps de vous convertir [â la vraie foi]; mais vous ne l’avez pas fait; et c’est pour cela que l’enfant est mort. Pourtant, si maintenant, toi et tes familiers, croyez en Jésus-Christ, Fils de Dieu, il peut ressusciter ton fils ». A ces paroles, l’empereur s’emporta à un tel point qu’il voulut lui faire subir la mort la plus cruelle. Mais les grands dignitaires du palais et les conseillers, s’approchant de l’empereur, lui dirent: « C’est un des envoyés d’un grand souverain, et il vient d’un pays lointain de la part d’un roi puissant: il ne faut pas qu’il souffre le moindre mal chez nous. Autrement, une inimitié fâcheuse va éclater bientôt et une guerre désastreuse s’engagera entre nous et le grand roi des Arméniens. [Sans doute], ce n’est pas d’après la parole [de cet homme] que l’enfant pouvait vivre ou mourir. Ils parlèrent longtemps dans ce sens, mais ils ne parvinrent pas à apaiser le courroux de l’empereur. Si d’un côté les choses prenaient de plus en plus un caractère sombre, de l’autre toute la multitude, à laquelle se joignirent aussi les troupes, insistait fermement pour que l’homme en question ne fût pas mis à mort. Enfin on parvint, et cela avec beaucoup de peine, à convaincre l’empereur de ne pas le faire tuer; le persuader de laisser aller Nersès dans son pays était chose impossible. Cependant l’empereur était mis dans une telle position, qu’il devait consentir seulement à l’exiler. En agissant ainsi, les sages conseillers pensèrent avec raison qu’une fois en exil, Nersès conserverait la vie, qu’ensuite il pourrait conquérir sa liberté, et que de cette manière la guerre n’éclaterait pas entre les deux royaumes. Ils dirent: « Nulle part, dès les temps les plus reculés, on n’a vu, ni entre les nations ennemies, ni en temps de guerre, qu’un ambassadeur fût jamais détenu, ni surtout qu’il ait été menacé de mort, sans parler déjà d’un personnage aussi considérable que lest le chef [spirituel] d’un pays entier; car le roi de leur pays et lui sont égaux, dit-on. Le pays entier, d’où ces envoyés sont venus, aime grandement cet homme, et il y jouit de la plus grande célébrité. Ceux qui l’accompagnaient ont raconté qu’il est non seulement un des personnages les plus intimes du roi, mais qu’il est même son parent. En un mot tout le pays le chérit.

Le roi répondit à cela: « Tout ce que vous venez de dire, hommes sages, serait bien pensé si la choie était ainsi. Car, si Nersès était autorisé par son maître à me transmettre tous ces reproches humiliants, on n’aurait pas le droit d’accuser l’ambassadeur, de le blâmer ou de l’en punir. Mais cet homme a commencé de son chef à m’adresser des reproches, de son chef il s’est fait garant de la mort de mon fils, et il est même allé jusqu’à dire: Oui, c’est moi qui l’ai tué. Son roi l’avait envoyé ici pour consolider l’amitié mutuelle, et le voilà qui introduit la mort chez nous; par conséquent il est dangereux même pour son roi. Il est responsable d’avoir agi de son gré, il est condamnable pour avoir fait tout cela, j’en suis convaincu, à l’insu de son roi. »

Par conséquent l’empereur ne fit aucune attention à ce qu’on venait de dire. Il donna l’ordre d’exiler le bienheureux Nersès et de l’envoyer dans une des îles de la grande mer déserte et inhabitée, où il n’y aurait ni eau pour boire, ni aliment quelconque, afin qu’il y mourût de faim. [Après quoi], Valens réunit chez lui les évêques, les prêtres et les diacres de toutes les villes de l’empire qui confessaient la foi orthodoxe, il en forma une assemblée nombreuse et il leur proposa d’embrasser la fausse doctrine de la secte arienne, de retourner dans leurs diocèses respectifs et de convertir leur troupeau à la foi des Ariens. Mais, comme personne parmi eux ne voulut y consentir, il les fit tous bannir dans des pays étrangers, de sorte que personne d’eux ne rentra dans son foyer. A leurs places, il nomma des pasteurs impies et envoya de faux évêque dans toutes les villes. C’est ainsi que le trouble et l’hérésie, entrés dans l’église, l’ébranlèrent jusque dans ses fondements. L’épreuve, l’anxiété et le péril étaient répandus partout, si bien qu’on n’avait rien vu de pareil du temps des souverains d’autrefois: c’était encore pire que la guerre et les troubles excités jadis par les empereurs idolâtres, amis des temples païens. Les vrais docteurs orthodoxes furent remplacés par les ouvriers de Satan; l’anxiété gagna tous ceux qui avaient foi en Jésus-Christ, et le peuple en général fut plongé partout dans le deuil et dans la tristesse. Car les ouvriers de Satan envahirent les églises, et, avec l’éloignement des pasteurs de leurs troupeaux, les ouailles se dispersèrent, et, restées sans chefs, elles n’avaient [pas d’endroit] où prier Dieu.

Pour ne pas seulement obéir aux envoyés de Satan, les fidèles faisaient leur oraison hors des villes et des villages, à ciel ouvert, dans des lieux découverts. A la fin de chaque prière, ils demandaient à Dieu qu’il fit cesser les temps difficiles, qu’il leur rendit leurs vrais chefs, et qu’il les fit rentrer dans les églises construites par eux-mêmes et dont il étaient éloignés.

Quant aux princes arméniens, qui avaient accompagné saint Nersès, Valens leur donna à tous beaucoup d’argent, et, après les avoir ainsi comblés de présents, il les renvoya. Il les chargea en même temps d’une immense quantité d’or, d’argent et de pierres précieuses pour leur souverain, voulant de la sorte gagner les bonnes grâces du roi des Arméniens, Arschag, et il lui adressa une lettre dans laquelle il accusait Nersès d’être l’unique cause de la mort de son fils. En outre, il congédia les otages du roi d’Arménie, Arsacides d’origine, qui se trouvaient alors au palais impérial, c’est-à-dire les deux neveux du roi, dont l’un se nommait Knel, l’autre Dirith, en les confiant aux satrapes arméniens. C’est ainsi que Valens se décida à mettre en liberté ces derniers.

CHAPITRE VI.

Comment Nersès, après avoir été exilé dans une île déserte, y vécut miraculeusement pendant neuf mois.

L’empereur Valens, après avoir persécuté la sainte Eglise dans toute l’étendue de son empire, après avoir éloigné tous les évêques de leur troupeau les bannissant dans des pays étrangers, concentra tout son courroux sur saint Nersès qui fut la cause de la mort de son fils unique et chéri, et se décida à lui faire subir la mort la plus cruelle. C’était avec beaucoup de peine que les grands et les conseillers du souverain, qui n’étaient point de son avis, parvinrent à soustraire Nersès au danger qui le menaçait. Ordre fut donné qu’on le transportât dans une île déserte du grand Océan, ou il n’y eût ni eau, ni herbe, ni racine, enfin rien de ce qui est indispensable pour les besoins de l’homme, et qui ne fût qu’un rocher couvert de sable, inaccessible aux voyageurs et aux navires.

Nersès fut transporté dans le lieu désigné avec soixante-dix autres personnages, dont les uns étaient des évêques de différentes villes, les autres, des clercs de différentes églises. Nersès se réjouissait à la pensée qu’enfin il lui était donné de souffrir pour le nom du Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu. Parmi ceux qui subirent l’exil avec lui, il y avait deux des siens: un diacre, nommé Rasdomn, et un certain Diranam. Les soixante-dix exilés venant de différents lieux une fois montés sur le navire, le bâtiment partit, et, grâce à un vent favorable, il arriva en quinze jours au lieu désigné et retourna après les avoir débarqués. Cette île couverte de sable était dépourvue de tout, même d’herbe et d’eau potable. C’est pour cette raison qu’on l’avait choisie pour le lieu d’exil où, d’après l’ordre impérial, ils furent tous transportés et où ils devaient mourir de faim. A peine un mois s’était-il écoulé que les plus faibles parmi les exilés, tourmentés par la faim et la soif, commencèrent à s’épuiser et à s’affaiblir. Nersès les consolait et les ranimait ………………………………………………..[94]

Après avoir parlé, Nersès ajouta: « Pliez le genou tous ensemble pour que Jésus-Christ nous rende dignes de sa miséricorde. A peine avaient-ils plié le genou trois fois et récité l’oraison, qu’un vent violent se leva sur la mer et commença à jeter dans l’île une immense quantité de poissons en monceaux, ainsi qu’une pareille quantité de bois. Le bois préparé, ils virent qu’il leur manquait du feu pour l’allumer. Tout d’un coup, le bois s’enflamma de lui-même et commença à brûler; alors tous se redressèrent pour prier Dieu et lui rendre grâce; puis ils firent cuire le poisson. Cela fait, ils s’assirent et mangèrent. Ils étaient déjà rassasiés quand ils sentirent le besoin d’apaiser leur soif. Alors saint Nersès se levant creusa dans le sable de l’île, et voilà qu’une source d’eau douce et savoureuse jaillit; ceux qui s’y trouvaient étanchèrent leur soif. C’est ainsi que la mer les nourrissait dans cette île. De son côté, Nersès ne cessait de les encourager.

Les frères, jour et nuit, rendaient grâces au Seigneur Jésus-Christ, le bénissant sans relâche. Ils attendaient le coucher du soleil, quand les flots de la mer leur apportaient l’aliment habituel, pour prendre le repas envoyé par Dieu. Quant à saint Nersès, il ne prenait son repas qu’une fois la semaine, c’est-à-dire les dimanches. Durant neuf ans que les frères passèrent dans cette île, Nersès ne cessa jamais de soutenir leur courage.

CHAPITRE VII.

Miracles accomplis par Dieu envers Nersès et Baille. Jalousie de l’évêque Eusèbe contre ce dernier.

Quand l’évêque de la Césarée, Eusèbe, vit la colombe, descendant miraculeusement du ciel, s’arrêter sur le saint archiprêtre Basile de Césarée, il connut une jalousie excessive contre lui, et, dès ce moment, il le considérait comme son antagoniste et son ennemi. Le bruit s’en était déjà rependit par tout le pays, où l’on racontait que pendant le sacre du saint catholicos Nersès, [le Saint-Esprit], sous la forme d’une colombe, se posa d’abord sur le saint archiprêtre Basile, puis, s’envolant loin de lui, s’arrêta sur le pontife Nersès. Ce bruit courait dans tout le pays de Cappadoce. Aux veux de tout le monde, ce miracle était extraordinaire, par conséquent chacun témoignait une haute considération à saint Basile. [Ce qui le rendait digne de tout honneur c’étaient] la vie sainte, l’humilité sans bornes, la prière fervente adressée à Dieu, la modestie de son caractère, son amour pour les pauvres et les malheureux et son aptitude pour les commandements [de Dieu]. Ayant de vastes connaissances, il était comme une source intarissable de sagesse, comme un fidèle interprète de la doctrine [chrétienne]; versé dans la philosophie, il était prêt partout et toujours à fermer la bouche aux hérétiques, affermissant chez tous la foi et, la vraie et très sainte Trinité. A cause de tout cela, on le considérait comme un apôtre du Christ, comme un ange du ciel, en disant que vraiment il était digne de l’esprit de Dieu. A le voir, on dirait l’humilité personnifiée, et, quoiqu’il s’estimât indigne, tous ceux qui sentaient le besoin de s’instruire venaient chez lui et surtout les chefs des philosophes profanes. Il convertit plusieurs d’entre eux de leur croyance erronée à la vraie foi, et de la sorte il rendait adorateurs de Jésus-Christ beaucoup de gens. Tout le pays le regardait comme un être descendu du ciel. Mais la parole humaine est faible pour rendre toutes ses perfections. Cependant, quand saint Basile, rencontrant son évêque, lui voyait la figure sombre, il s’éloignait de lui, et, quittant la ville, il se retirait dans quelque village, où il pouvait vivre tranquillement.

CHAPITRE VIII.

L’empereur Valens persécute tous les orthodoxes. Il est cause d’une dispute entre les vrais croyants et les Ariens hétérodoxes. Saint Basile, à la suite d’une vision miraculeuse, est contraint d’accepter le combat, durant lequel, arec l’aide de Dieu, il triomphe de ses adversaires, en présence de l’évêque Eusèbe. Comment ce dernier est jeté en prison et y meurt. Basile est mis en liberté.

En ce temps-là, Valens, cet empereur impie, s’armait avec le plus grand acharnement contre les ouvriers de la vraie foi, c’est-a-dire contre ceux qui croyaient sincèrement en Jésus-Christ, le confessant vrai Fils de Dieu, engendré par le Père et consubstantiel avec lui. Il était prêt à susciter la persécution générale accompagnée de supplices et de tourments, prescrire à tous [d’embrasser la doctrine arienne] et à l’imposer avec son autorité.

Alors les fanatiques docteurs de la secte arienne, se réunissant, dirent: « Souverain, permets-nous d’entrer en combat avec nos adversaires et de discuter avec eux; alors nous verrons lequel des deux partis remportera la victoire, et on n’aura mis le droit de dire que nous avons triomphé [de nos adversaires] par la force. L’empereur Valens accepta cette proposition avec joie. Il choisit des hommes éloquents et d’habiles dialecticiens, qu’il croyait profondément versés [dans l’art], parmi les faux évêques de la secte arienne. Il envoya vers Eusèbe, évêque de Césarée, demander que celui-ci indiquât le jour pour la discussion qui devait avoir lieu en sa présence et qui prouverait jusqu’à l’évidence de quel côté est la vérité. Le jour des conférences une fois fixé, l’évêque Eusèbe, après avoir réuni tous les clercs chez lui, commença de concert avec eux à penser sérieusement à l’issue de l’affaire; et comme c’était un homme qui n’avait pas le don de la parole, il était fort inquiet des réponses qu’il devait donner à ses adversaires. Dans ce conseil, on se décida d’envoyer vers le bienheureux Basile pour l’engager à venir, « parce que, disait-on, il a la parole puissante et que lui seul a la grâce de mettre fin à la fraude traîtresse de Satan que celui-ci prépare à l’Eglise que le Christ a rachetée par son sang. » Par conséquent l’évêque Eusèbe écrivit une lettre suppliante à l’archiprêtre Basile concernant l’honneur du culte [orthodoxe], dans laquelle il conjurait ce dernier d’oublier les désagréments réciproques qui eurent lieu jadis entre eux et d’arriver sans délai, car il s’agissait d’une discussion sur la foi en Dieu. De leur côté, tous les clercs qui se trouvaient présents lui adressèrent aussi une lettre, en le priant d’arriver sur le champ sans perdre un instant. On chargea de ces lettres des hommes fidèles et honorables, et on les dépêcha vers Basile. Ces gens se mirent en route et, tandis qu’ils voyageaient, saint Basile célébrait le service divin dans le lieu ou il était. Tout à coup il fut saisi d’un profond sommeil pendant lequel il vit en songe une grande et belle vigne, couverte de fruits abondants, et trois sangliers dans cette vigne la détruisaient en la bouleversant. Ils coupèrent plusieurs racines aux ceps, les déracinèrent, arrachèrent leurs rejetons et ils faisaient de grands dégâts dans toute la vigne. Tous les vignerons étaient là réunis et, malgré leurs efforts, ils ne pouvaient parvenir à chasser de la vigne les sangliers dévastateurs. Alors ils se mirent à appeler à haute voix Basile, en disant: « Si toi, Basile, tu refuses de venir [à notre secours], personne d’autre ne sera en état de faire sortir d’ici ces sangliers et de mettre un à cette grande dévastation. Hâte-toi, accours vite, car le dégât est grand. » Basile, étant arrivé, chassa les sangliers dévastateurs hors de la vigile et répara ce qui avait été détruit.

L’homme admirable, Basile, se réveillant, était frappé de son rêve et plongé dans ses pensées. Pendant qu’il se demandait ce que ce songe pouvait signifier, les envoyés de l’évêque Eusèbe arrivèrent de Césarée et lui présentèrent les lettres. Les ayant, parcourues, il se réjouit grandement, car il comprit bien que c’était Dieu qui avait inspiré à Eusèbe le désir de l’engager à se poser en défenseur de la vérité. D’après cette lettre, il se mit en route immédiatement, se dirigeant vers l’évêque Eusèbe. Après avoir délibéré sur ce qu’ils devaient entreprendre, Basile dit à Eusèbe de demander à l’empereur l’autorisation d’amener avec lui l’un de ses prêtres. Eusèbe se rendit chez l’empereur et lui dit: « Comme tu viens de me donner deux adversaires, laisse-moi amener un de mes prêtres à la conférence. » De concert avec les évêques ariens, l’empereur consentit à ce qu’Eusèbe amenât avec lui ses compagnons, en se rendant à l’assemblée.

A l’heure indiquée, l’empereur, l’évêque Eusèbe avec le bienheureux archiprêtre Basile et les deux adversaires du côté de Satan, c’est-à-dire les deux faux évêques ariens, entrant en lice, se prirent à discuter et à examiner les opinions divergentes sur Notre-Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, c’est-à-dire s’il était engendré du Père et s’il était Fils de son essence ou non. Alors le bienheureux Basile, qui se tenait derrière l’évêque Eusèbe et prenait note de tout, rempli du Saint-Esprit, commença à faire des citations de la Genèse, du Lévitique, des Prophètes, des Actes des Apôtres, de la Sainte-Ecriture en général, montrant et démontrant [la vérité de la doctrine orthodoxe], jusqu’à ce qu’il eût imposé silence aux deux champions de Satan et, en les faisant taire ainsi que l’empereur il les couvrit d’opprobre.

L’empereur Valens, portant ses regards sur l’évêque, le vit couvert de sueur. Il lui demanda: « Comment se fait-il qu’une sueur si abondante ruisselle sur ton visage, car c’est grâce à ton secrétaire garde-notes que tu viens de remporter la victoire dans cette discussion? » Basile répliqua à l’empereur disant: « Comment ! après avoir longuement chassé devant lui deux pourceaux et un âne, tu viens lui demander pourquoi il est couvert de sueur? » Cependant l’empereur conçut un vif regret d’avoir consenti ce que Basile eût été adjoint à Eusèbe. Alors les Ariens, couverts de honte, se levèrent et dirent à Valens: « A quoi bon toutes ces peines et ces discussions? N’es-tu pas maître d’ordonner d’accumuler toutes les souffrances possibles sur la tête de ceux qui se montrent rebelles à ta volonté? » C’est ainsi que l’assemblée fut dissoute.

L’empereur donna ordre de jeter Eusèbe avec beaucoup d’autres personnes dans une prison, d’opprimer les chrétiens orthodoxes et de surcharger les églises d’impôts onéreux. Sur ces entrefaites, Eusèbe succomba dans sa prison, accablé qu’il était sous le poids des chaînes les plus lourdes. Quant à saint Basile, les habitants de Césarée disaient « Si vous ne le faites pas sortir de la prison, nous mettrons le feu à toute la ville. » Quand cette menace devint générale, l’empereur se vit contraint de céder, et il ordonna de délivrer le bienheureux Basile.

CHAPITRE IX.

Saint Basile est élu évêque; miracle de Dieu; Basile ordonne au peuple croyant en Jésus-Christ de ressembler tous ses trésors, ce qui est exécuté. On les lui apporte, à cause de l’amour du Dieu vivifiant, et on implore l’empereur pour qu’il fasse rentrer les évêques [bannis] de leurs diocèses.

Alors tous les évêques du diocèse de Césarée se réunirent pour élire saint Basile comme archevêque de Césarée. Les évêques étaient déjà rassemblés pour consacrer saint Basile, quand on vit une colombe descendre du ciel et se poser sur lui, comme cela était déjà arrivé une fois lors du sacre du grand pontife Nersès. Grand fut l’étonnement de tout le monde. On rendit grâces au Christ miséricordieux de permettre que le prodige accompli sur sa propre personne, en preuve de divinité, se renouvelât aussi sur ses saints et ses serviteurs. C’est ainsi que Basile s’installa sur le siège des catholicos de Césarée.

Cependant l’empereur Valens ne discontinuait pas d’opprimer les chrétiens, car il disait: « Tous ceux dans mon empire qui portent le nom de chrétiens ne doivent dorénavant avoir chez eux ni or ni argent: ils doivent les apporter au palais [impérial]. » Par conséquent on enleva chez les soldats et les généraux, chez les habitants de plusieurs villes, portant le nom de chrétiens, leur or, leur argent, afin de n’en rien laisser chez personne, car ceux chez qui on en trouverait devaient subir la mort. C’était avec joie que chacun apportait au palais [son trésor], pour le nom du Christ, et qu’on se soumettait à ce châtiment avec empressement. De même les commissaires impériaux se saisirent de l’or et de l’argent des habitants de la ville de Césarée. Alors le bienheureux Basile commença à les encourager pour qu’ils l’apportassent de bon cœur, en disant: « Rendez vos trésors par mon intermédiaire; je m’en fais garant, car Notre-Seigneur Jésus-Christ, l’unique Fils de Dieu, contre lequel l’empereur s’est armé avec arrogance, va se venger de lui par la mort. Mais soumettez-vous gaiement à ce dépouillement de vos richesses, car on a préparé pour vous dans le ciel des trésors impérissables. Quant à cette richesse, je vous la ferai rendre bientôt en vos propres mains. » Alors tous les habitants de la ville de Césarée arrisèrent en apportant l’argent et l’or qui se trouvaient chez chacun d’eux, et l’église en fut entièrement encombrée. On fit venir les grands et fidèles serviteurs de l’empereur, et, en leur présence, on mit les scellés sur les portes de l’église.

Après quoi, l’empereur Valens ordonna d’enchaîner derechef l’archevêque Basile et de le jeter en prison, ainsi que tous les évêques, dans toutes les villes [de l’empire]. Cependant le peuple en général faisait des vœux et implorait [le ciel] pour qu’il mît fin à cette calamité menaçante, et pour que les vrais pasteurs rentrassent dans leurs foyers et fussent rendus à leurs ouailles.

CHAPITRE X.

L’empereur Valens engage un sophiste à aller combattre la vraie doctrine; miracles dont ce dernier est témoin, en voyant la multitude des martyrs dans l’enceinte de l’Eglise; l’empereur Valens meurt à la suite des prodiges accomplis par Dieu, et la paix est rétablie dans l’Eglise de Dieu.

L’empereur Valens donna l’ordre de chercher tt de trouver un homme éloquent qui fût en état de réfuter par écrit la foi des chrétiens [orthodoxes]. On lui dit qu’il y avait dans une certaine ville un sophiste très habile. L’empereur dépêcha vers lui des fonctionnaires (magistros) pour qu’ils l’amenassent chez lui le plus vite possible; ce qui fut exécuté sur le champ. Au second relais, ils virent une ville, et hors de cette ville une église au nom de sainte Thécla. C’est ici que le sophiste s’arrêta; il se choisit un gîte dans l’enceinte même de l’église, tandis que les envoyés de l’empereur en cherchèrent un dans la ville. Après avoir pris ses repas, le sophiste arrangea son lit et ferma les portes de l’église. Assis sur son lit, il était déjà prêt à s’y étendre, quand il vit de ses propres yeux, car il veillait encore, les portes de l’église s’ouvrir subitement et une grande multitude de martyrs apparaître entourés d’une gloire éblouissante. Sainte Thécla alla à leur rencontre, vêtue magnifiquement et étincelante de lumière. Après s’être salués mutuellement, sainte Thécla leur dit: « Vous êtes les bienvenus, amis, qui avez travaillé pour Jésus-Christ. » Chacun d’eux se prépara un siège et ils se rangèrent par ordre. Les saints commencèrent à parler ainsi: « Les saints du Seigneur qui n’ont pas encore quitté la terre s’y trouvent dans de grands dangers; car les uns sont dans les fers, les autres en prison, ceux-ci dans l’exil, ceux-là accablés d’impôts, calomniés et suppliciés odieusement. Nous voilà réunis pour porter secours aux croyants du Seigneur et les venger de leurs ennemis. Plusieurs ouvriers du Seigneur restent emprisonnés, beaucoup de champs sont délaissés et beaucoup de vignes sont devenues stériles: il faut que nous mettions un frein à Valens pour qu’il n’empêche pas les ouvriers de reprendre leurs travaux. C’est ainsi que le vaillant ouvrier Basile reste éloigné de son œuvre. Eh bien, envoyons deux d’entre nous pour qu’ils mettent fin à la vie de l’impie Valens. » L’un d’eux avait nom Serge (Sarkis), l’autre Théodore; on les expédia, en leur indiquant l’heure du rendez-vous: « A telle heure nous nous reverrons. » Cela dit, ils se levèrent et partirent.

Le sophiste qui se trouvait dans l’église et contemplait cette vision de ses propres yeux, frappé d’étonnement, ne put fermer l’œil pendant toute la nuit. Le lendemain, les envoyés de l’empereur étant venus de grand matin lui dirent: « Allons, mettons-nous en route. » Lui, prétextant une maladie, disait qu’il n’était pas en état de bouger de sa place. Et pendant qu’ils persistaient, le sophiste en défaillance respirait à peine, soupirant toujours, et ne pouvant leur donner de réponse jusqu’au soir. Le jour baissait déjà, quand les envoyés, le laissant dans l’enceinte de l’église, retournèrent en ville dans leurs gites. A peine le sophiste avait-il fermé les portes de l’église et s’était-il couché sur son lit, que tout à coup il vit les portes se rouvrir et les mêmes martyrs rentrer: ils remplirent l’église entière. Ils allèrent à la rencontre les uns des autres, radieux de joie, se saluant mutuellement; après quoi tous, se préparant un siège, s’assirent avec ordre. C’est alors qu’on vit arriver saint Sarkis et saint Théodore revenant de la mission qu’on leur avait confiée et entrant dans l’assemblée des saints. Le synode des saints, en les voyant, demanda: « Comment vous êtes-vous acquittés de l’affaire pour laquelle vous avez été envoyés? Ils répondirent: « Aussitôt partis d’ici, nous avons tué Valens, l’ennemi de la vérité; maintenant nous voilà de retour auprès de vous. » Alors, tous se levèrent, et, après avoir rendu grâces à Notre-Seigneur Jésus-Christ, ils retournèrent chacun chez eux. Jusqu’au matin, le sophiste épouvanté ne pouvait revenir de sa frayeur. Le jour venu, arrivent les envoyés de l’empereur, qui dirent au sophiste Eh bien, rendons-nous auprès de l’empereur. « Mais il leur répliqua: L’empereur est déjà mort: chez qui irons-nous à présent? » Sur cette question, il s’engagea bientôt une discussion des plus vives; on alla même jusqu’à faire un pari, en indiquant un ternie de trois jours. « Si l’on ne s’empare pas des marchandises, dit le sophiste, si l’on ne pille pas les villes, si l’empereur est en vie, je donne ma tête à couper, puisque je me suis permis d’avancer ce que je viens de dire. Les envoyés consentirent à ce délai de trois jours. Les trois jours écoulés, on vit les paroles du sophiste confirmées, car en effet l’empereur était déjà mort.

Après cela, tous ceux qui étaient en prison ou en exil furent mis en liberté; les biens confisqués firent rendus à ceux à qui ils appartenaient. Ordre fut donné de restituer aussi aux habitants de Césarée leurs biens. Engagés par saint Basile à reprendre leurs effets, personne ne voulut même s’en approcher; et quoique Basile leur dit: « N’avais-je pas raison d’avancer que je me faisais garant de remettre vos biens dans vos propres mains », ils n’y faisaient aucune attention, disant seulement: « Que nos biens entrent dans la trésorerie du Seigneur qui fut notre juge et vengea les serviteurs de la sainte Eglise. De la sorte, aucun des habitants de Césarée ne toucha à son argent qui fut versé dans la trésorerie de l’église. Plus tard, l’archevêque en fit des fonts de baptême en argent qui existent jusqu’à ce jour dans la maison de Dieu.

CHAPITRE XI.

Les princes envoyés vers l’empereur Valens retournent en Arménie chez leur maître Arschag; ce dernier s’emporte coutre l’empereur et dévaste les domaines de l’empire grec.

Voici les noms des princes qui, de hi part du grand roi Arschag, furent envoyés du pays des Arméniens vers Valens, empereur des Grecs. Le grand pontife arménien, Nersès, en personne; le chef de la famille des Mamigoniens, Vartan, frère de Vasag, grand stralétate des Arméniens, qui tous deux étaient les pères nourriciers du roi Arschag; Méhen[tag], chef de la famille des Reschdouni; Méhar, chef de la famille des Andsévatzi; Karchouïl Maghikhaz, chef de la famille des Khorkhorouni; Mouschg, chef de la famille des Saharouni; Témed, chef de la famille des Kentouni; Gischgen, chef de la famille des Pakiank, Sourig, chef de la famille de Hersidzor; Vergen, chef de la famille des Hapoujen; tous partirent en ambassade pour renouveler l’alliance avec l’empereur Valens. Ce dernier fit arrêter le grand pontife Nersès et l’envoya en exil; à sa place, il mit en liberté Knel et Dirith, neveux du roi Arschag, auquel il expédia de grands présents avec Vartan et avec ceux qui l’accompagnaient, pour gagner ses bonnes grâces. Après avoir quitté l’empereur, les ambassadeurs, arrivés dans leur pays, se présentèrent au roi de la Grande Arménie, Arschag, en lui offrant la lettre de l’empereur, dans laquelle il se plaignait de saint Nersès, l’accusant de la mort de son fils unique. C’est à cause de cela, écrivait l’empereur, que j’ai fait arrêter Nersès; pour que tu ne m’accuses pas trop, je te rends Knel et Dirith, deux jeunes gens qui sont tes neveux, fils de ton frère Arschag. En même temps, les ambassadeurs présentaient au roi de grands et inestimables trésors.

Quand le roi Arschag eut entendu ce qu’on venait de lui lire, et vu tout ce qu’on avait apporté, il témoigna son mécontentement contre celui qui lui envoyait ces présents, ainsi que contre ceux qui les apportaient. Il s’enflamma de colère contre l’empereur qui avait osé arrêter un personnage aussi considérable et aussi honoré que l’était le chef spirituel d’un pays entier et de tout un royaume: « Nous lancerons une quantité de pierres à l’empereur ainsi qu’à vous; oui, nous en avons assez pour briser ses dents et les vôtres: les siennes à cause de son envoi, les vôtres pour vous en être chargés. Et notre humiliation, qu’en ferons-nous? Eh bien, je lui ferai payer cher toutes ses bontés! »

Il ordonna à Vasag, son général, de réunir les troupes et daller porter la dévastation sur le territoire de Césarée (Kamir). Vasag le sbarabed exécuta sur le champ l’ordre qu’il venait de recevoir. Il réunit une nombreuse armée de deux cent soixante mille hommes environ, à la tête de laquelle il ravagea tout le)as de Cappadoce jusqu’à la ville d’Ancyre (Angora). Pendant six ans, il dévasta sans relâche les domaines de l’empire grec. Grands étaient le butin et la richesse que ramassa [l’armée de Vasag] qui, en même temps, usait de violence et de cruauté envers ses ennemis dans tout le pays.

CHAPITRE XII.

Khat est sacré évêque de Pakravant par Nersès et chargé du vicariat; son caractère, ses prodiges et ses miracles; comment, guidé par la vérité, il se montre impartial pour le grand roi Arschag et cherche à mettre un frein à toutes ses iniquités. Il prend soin des pauvres, à l’exemple du grand pontife Nersès.

Khat était originaire du village de Marak,[95] du canton de Garin.[96] Disciple du grand pontife Nersès, il fut élevé en sa présence. Doué d’une intelligence remarquable, il se montra zélé pour la foi, fidèle en toutes choses, il excella surtout dans le service et dans l’amour de l’Eglise de Dieu. Saint Nersès lui confia la surveillance des pauvres, et il fit preuve d’une sollicitude exemplaire. En conséquence saint Nersès, avant son voyage en Grèce, consacra Khat en qualité d’évêque de Pakravant et d’Arscharouni, et partit après l’avoir nommé son vicaire.[97] Cependant, tout le pays des Arméniens, avec les grands seigneurs et les chefs des familles les plus considérables, maîtres des provinces, des cantons et des bourgs, avec tout le clergé et tout le peuple en général, tous étaient plongés dans un deuil profond, après le départ de leur grand et principal pasteur. L’évêque saint Khat prescrivit à tout le pays d’observer le jeûne et de se mettre en prières jusqu’au retour de saint Nersès. Pendant tout le temps de l’emprisonnement [de ce dernier], le peuple ne cessa de jeûner; Khat de son côté le guidait en toutes choses, à l’exemple du grand pasteur Nersès, jusqu’à ce que le Seigneur daignât exaucer la prière de tous les fidèles, et rappeler saint Nersès sur son siège.

Pendant ce temps-la, le roi des Arméniens, Arschag, s’écartait du sentier de Dieu: autant dans sa jeunesse il avait suivi ha sagesse divine, alitant dans l’âge mûr il se montra vieux et insensé. Malgré les constantes réprimandes du saint pasteur Khat, il restait sourd à ses paroles. Vers ce temps-la, le roi fit construire un bourg dans la vallée du canton de Kog.[98] Par la voix des crieurs publics, il ordonna de proclamer sa volonté royale dans toute l’étendue de son empire, dans tous les lieux, dans tous les cantons, sur les places publiques, afin d’engager tous les débiteurs, tous les criminels et tous les accusés, à venir dans ce bourg et à s’y établir. Celui qui avait versé le sang humain, qui avait commis un crime, qui avait enlevé la femme d’un autre, qui restait devoir à quelqu’un, qui s’était emparé des biens d’autrui, qui avait raison de craindre quelqu’un, n’avait qu’à se rendre dans ce lieu pour se soustraire à la poursuite de la loi.

Cet ordre aussitôt proclamé, on vit accourir de tous les côtés des voleurs, des brigands, des assassins, des meurtriers, des parjures, ceux qui volent les hommes, des malfaiteurs, des sacculaires, des oppresseurs, des juges prévaricateurs, des calomniateurs, des spoliateurs et des avares. À la suite de cela, ceux qui excellaient dans le crime y trouvèrent refuge, comme les femmes qui abandonnaient leurs maris, les maris qui abandonnaient leurs femmes, accompagnés des femmes des autres, des serviteurs qui s’étaient saisis des trésors de leurs maures et des personnes avec les objets qu’ils avaient en nantissement: de la sorte, le pays entier fut spolié et dévasté. Le murmure devint général, et cependant personne n’obtenait de justice, même dans les tribunaux. Par conséquent tout le monde se lamentait, polissait des gémissements, disant à haute voix: « La justice est morte, c’est pour cela que nous ne la trouvons nulle part; car, si elle existait, si elle n’était que perdue, nous l’aurions retrouvée. »

Cependant l’endroit prit d’abord l’aspect d’un bourg, puis celui d’une ville, qui ne tarda pas à remplir bientôt toute la vallée.[99] Le roi Arschag donna ordre de nommer ce bourg en son honneur Arschagavan, et de plus d’y construire un palais royal. Dès ce moment, [les habitants de cet endroit] n’eurent aucune crainte du Seigneur. Beaucoup de gens commencèrent à se ressentir de cet ordre de choses, et le mécontentement devenait général. Pour cette raison, l’évêque saint Khat fit au roi des observations continuelles, le réprimandait ouvertement surtout quand on le contraignit d’élever l’autel dans l’église du bourg d’Arschagavan. En blâmant et en gourmandant le roi, les grands et les princes, il disait: « Je ne suis qu’un vicaire et, sans le consentement de mon père qui m’a laissé ici, je ne puis rien entreprendre. » Alors le roi Arschag conçut l’idée de corrompre le saint évêque Khat par des honneurs et par des présents; il lui donna beaucoup d’or et d’argent, plusieurs chevaux de son écurie royale avec un harnachement royal enrichi de soie et d’or, afin de l’attirer à lui et de gagner ses bonnes grâces. Mais Khat, en présence du roi, distribuait aux pauvres les présents qu’il avait reçus de lui et ne discontinuait pas de le réprimander jusqu’à ce que l’ordre fut donné de le chasser du camp [royal]. Cependant, Khat alla faire sa tournée dans le pays, pour y rétablir l’ordre, édifier [ses ouailles] et les enseigner, enfin pourvoir aux besoins des pauvres, comme cela lui avait été ordonné par saint Nersès, lors de son départ. Khat fit beaucoup de prodiges et de miracles, et guérit beaucoup de malades. En venant au secours des pauvres, il vidait tous les greniers, tous les vases, toutes les caves et tous les tonneaux; arrivé le lendemain, il voyait que tout était plein et rempli de nouveau par l’ordre de Dieu. Chaque jour il recommençait son œuvre de bienfaisance envers les pauvres, mais les greniers et les caves ne s’épuisaient jamais. Tels étaient les grands miracles qui se faisaient par l’intermédiaire de cet homme admirable, magnifique et illustre parmi tous les Arméniens, qui, à l’exemple de saint Nersès, allait partout édifiant et enseignant les églises arméniennes.

Il arriva un jour que des voleurs dérobèrent les bœufs appartenant à l’église de l’évêque saint Khat, et s’en allèrent. Bientôt les voleurs furent frappés de cécité; sans le vouloir, en tâtonnant, ils ramenèrent avec eux tous les bœufs jusqu’aux portes de saint Khat qui, en sortant, les vit de ses propres yeux et rendit grâces au Seigneur de n’avoir pas oublié ceux qui croyaient en lui. Alors l’évêque se mit en oraison et rendit la vue aux voleurs; après quoi il ordonna de les laver, de leur donner à manger et de les fêter dignement. Après les avoir bénis, il leur rendit les bœufs qu’ils avaient volés, les laissa poursuivre leur chemin, et ils partirent.

En général, il faisait preuve de longanimité dans toutes ses actions. Il avait deux filles dont il donna l’une en mariage à un certain Asroug, qui, après son beau-père, occupa son siège épiscopal.

CHAPITRE XIII.

Après son retour de la Grèce, le saint catholicos Nersès, réprimande le roi Arschag; prodiges horribles accomplis dans le bourg d’Arschagavan; toute la multitude des hommes qui s’y trouvaient périt subitement.

Après la mort de l’empereur, tous les évêques, revenus de leur exil, vinrent se fixer de nouveau dans les villes qui leur servaient de résidence. Le saint catholicos Nersès revint aussi de l’île déserte où il avait été enfermé. La prière générale fut exaucée, et il fut rendu à son pays. A son arrivée en Arménie, les évêques de plusieurs cantons accompagnés de leurs ouailles, tous les satrapes et les gouverneurs de province allèrent à sa rencontre. On amenait vers lui des malades qu’il guérissait, ce qui faisait rendre grâces à Dieu, en le glorifiant. Le peuple entier, à cause de son amour sans bornes pour son principal pasteur se croyait délivré comme lui de la captivité.

La Joie et l’allégresse spirituelles étaient immenses: partout on allait accomplir les vœux faits au Seigneur Dieu pour le retour du patriarche, de ce trésor spirituel qui leur avait été enlevé; [car vraiment] en exauçant leurs prières’ il avait envoyé la consolation à tous, en la personne de leur père et de leur docteur spirituel, sans lequel ils étaient restés orphelins, le cœur brisé et dans le désespoir. Tout le monde avait déjà oublié la tristesse cruelle qui venait de se changer en allégresse. Quant au roi Arschag, il alla à la rencontre jusqu’aux contrées de Paiba.ser, d’où ils partirent ensemble gais et joyeux. Dorénavant, toute l’Arménie allait prendre un autre aspect: les mœurs, les ordonnances et les lois de l’Eglise allaient se renouveler.

A son arrivée en Arménie, le premier soin du patriarche Nersès fut de se convaincre que son vicaire, saint Khat, était resté fidèle à la vérité et à l’orthodoxie, qu’il avait toujours marché dans le sentier du Seigneur Dieu, et qu’il n’avait jamais erré ni à droite, ni à gauche. Alors il rendit grâces à Dieu d’avoir retrouvé son fils spirituel Khat, comme il le désirait il lui tardait de le revoir. Mais quand il eut appris, par Khat, l’iniquité, la méchanceté et la mauvaise conduite du roi, il fut plongé dans la plus profonde tristesse, et ne cessa de se lamenter, de verser des larmes et de pousser des gémissements. Ce qui surtout affligeait Nersès, c’était la ville d’Arschagavan qui avait été construite au prix de beaucoup de péchés, d’iniquités et de méchancetés.

Alors le saint patriarche Nersès, entrant chez le roi, commença à lui parler ainsi: « Pourquoi as-tu oublié le Seigneur et négligé ses commandements, le Seigneur qui a tout créé du néant, qui est le père des orphelins et le protecteur des veuves, qui pour notre salut a daigné se faire homme, qui secourt les pauvres, qui les nourrit par sa miséricorde, le Seigneur qui est un juge équitable, fort et dément, qui prête l’oreille à tous les affligés et qui ne supporte jamais le mépris de qui que ce soit? Comment as-tu osé faire si peu de cas de ses commandements? N’est-ce pas pour cette iniquité que ton père a péri? Cependant ne t’es-tu pas rappelé celui qui, ne se souvenant pas des péchés de ton père, t’a permis d’occuper sa place, c’est-à-dire d’hériter de son trône et de sa couronne? Malgré tout cela, tu as commencé à faire des iniquités devant ton Seigneur Dieu et à commettre ouvertement l’impiété et l’injustice à l’exemple des habitants de Sodome. Tout le pays ne fait que gémir et verser des larmes sur les vexations et les déprédations sur lesquelles tu as voulu fonder ta grandeur, quoique tu possèdes les immenses richesses du royaume que le Seigneur de tous, Jésus-Christ, t’a donné.

« Eh bien, écoute ce que je vais te dire, et fais-le pour que tu puisses te sauver, et te soustraire à la colère de Dieu, et pour que le malheureux pays des Arméniens ne périsse pas à cause de toi. J’ai en une vision: j’ai vu la perdition et la ruine se préparant à se ruer sur l’Arménie. Par conséquent, ordonne de détruire le bourg que tu as élevé, de chasser les hommes que tu y as réunis, afin que chacun d’eux retourne dans sa résidence primitive et rende à son prochain ce qu’il lui doit, et pour que tu n’encoures pas le malheur de tomber dans l’abîme des maux préparés par la colère divine. Quant aux péchés que tu as commis, nous prescrirons à tout le pays d’observer le jeûne et de se mettre en prières pour toi et nous ferons avec toi pénitence; peut-être que le Seigneur te pardonnera tes énormes péchés. Enfin, si tu as une telle prédilection pour Arschagavan, moi-même je le remplirai équitablement d’édifices et je le maintiendrai en bon état pour toi. »

Mais le roi se moqua du catholicos et de ce qu’il venait de dire. Nersès s’adressa à lui pour la seconde fois et lui dit avec irritation: « O roi, sais-tu ce que Dieu a prédit par la bouche des prophètes: Malheur à celui qui bâtit sa maison par l’injustice et ses étages sans droiture;[100] et encore: Malheur à celui qui cherche à faire un gain injuste pour établir sa maison? Nonobstant la beauté et la grandeur des maisons, elles tomberont en ruine: l’homme ne les habitera jamais, et elles deviendront cloisons pour les troupeaux, repaires pour les bêtes sauvages, tanières pour les hyènes, les lapins et les renards, nids pour les grues et les corbeaux. C’est ainsi que l’œuvre de tes mains se détruira et ne sera plus rétablie; tous les impies qui l’habitent périront jusqu’au dernier; elle deviendra la cabane des cerfs et la nourriture des onagres; les renards ne feront qu’y entrer et en sortir; elle ne sera plus rétablie, elle ne sera plus habitée. »

Après avoir ainsi parlé, le patriarche Nersès quitta le roi et alla visiter les cantons, les instruisit et établit l’ordre dans toutes les églises de l’Arménie. Trois jours après le discours du bienheureux Nersès, le Seigneur livra le bourg d’Arschagavan à la destruction. Alors, une maladie cruelle, que quelques personnes qualifiaient d’implacable, commença à faire de grands ravages, en sévissant sur les hommes et les animaux. Cette épidémie, n’ayant duré que trois jours, dépeupla entièrement le bourg: plus de vingt mille individus périrent, de manière que personne n’échappa. C’était une calamité subite et inattendue qui détruisit tout.[101]

A la suite de ce désastre, le roi alla lui-même à la recherche du patriarche Nersès, et, après l’avoir trouvé, il le supplia de prier pour lui, afin qu’il ne périt point, car il éprouvait des angoisses horribles ………………….

Le roi tomba à genoux, supplia saint Nersès de se réconcilier avec lui, et lui promit de ne jamais lui désobéir dorénavant.

CHAPITRE XIV.

Haïr chef des eunuques: Son arrivée dans le canton de Daron; sa visite à Aschdischad, lieu de prières; comment, condamné par ses propres paroles, il se trouva contraint de s’en aller; sa mort.

Haïr, le chef des eunuques (martbed), était un homme méchant, qui par son iniquité, par son injustice et son caractère vindicatif, surpassait tous les chefs des eunuques, ses prédécesseurs, du même nom. C’était lui qui, pendant le règne du roi Diran, fit mourir les familles satrapales et renouvela ce massacre au temps d’Arschag. Pendant qu’il visitait ses domaines (martbédouthioun), il arriva à Haïr le martbed de descendre dans le canton de Daron, pour inspecter ses villages.

Vers ce temps-là, saint Nersès faisait aussi sa tournée dans ses propres domaines qui se composaient de quinze cantons, jadis octroyés à ses ancêtres, et où ils avaient leurs résidences d’été. Les principaux de ces quinze cantons étaient Ararat, Taranagh, Eghéghiatz, Daron, Peznouni, Tzop; les autres étaient situés ou parmi ces derniers ou dans les environs. Haïr le martbed arriva dans ses domaines [de Daron], en même temps que le saint catholicos Nersès visitait le lieu de la première église construite par Grégoire, où se trouvent aussi les églises [érigées en l’honneur] des saints martyrs, pour célébrer le service en commémoration des saints. Haïr le martbed, en traversant ces localités, voulut voir les saints lieux d’Aschdischad, pour y prier et pour recevoir la bénédiction du saint pontife Nersès. Après l’office, ils se saluèrent mutuellement. Le saint patriarche Nersès ordonna de préparer un dîner pour les assistants. Tandis qu’on était occupé à préparer un repas digne d’un hôte aussi considérable [que Haïr], ce dernier, quittant l’endroit où était le palais épiscopal, se dirigea vers les églises des saints martyrs et sur une place large et spacieuse, où il se mit à se promener en long et en large, et à admirer les jolis endroits, les sites agréables, les collines au pied desquelles se déroulaient des paysages, car vraiment le pays était magnifique. Dès lors un violent sentiment de jalousie s’empara de lui.

Rentré [au palais épiscopal], il se mit à table et commença à manger et à boire. Il était déjà pris de vin, quand il se mit à proférer, dans son ivresse, des paroles outrageantes, à vomir des injures contre le roi Tiridate, contre les morts et les vivants, contre les ancêtres et les descendants des rois arméniens arsacides: « Comment ont-ils pu octroyer de pareils biens à des individus vêtus comme des femmes et non pas à de véritables hommes? » Il parlait des saints lieux légèrement et avec mépris, disant: « Nous nous emparerons de cette place, car il faut y construire un palais royal. Si moi, Haïr le martbed, je conserve la vie, aussitôt arrivé auprès du roi, je ferai transporter d’ici tout ce qui s’y trouve, je chasserai tout le monde et je transformerai cet endroit en une résidence royale. »

Le saint pontife, après l’avoir écouté, dit: « C’est Notre-Seigneur Jésus-Christ qui a choisi cet endroit; son nom est glorifié partout avec celui du Père et du Saint-Esprit. Il a commandé de ne convoiter rien de ce qui appartenait à un autre; par conséquent celui qui arrête avec avidité ses regards sur ce qui lui est consacré, n’atteindra jamais le but qu’il s’est proposé, et il sera ruiné par cela même dont il menace les autres. »

Après quoi, Haïr, le martbed, quittant les saints lieux, descendit sur la rive de l’Euphrate, dans des vallées couvertes de forêts épaisses et de roseaux abondants au confluent des deux rivières, à l’endroit nommé Medzourkh, où jadis une ville avait été construite par le roi Sanadroug. C’est ici que la colère et le jugement du Seigneur se manifestèrent sur l’impie Haïr, à la suite de ses actions et de ses menaces. Il tomba dans les mains d’un homme, nommé Schavasb, descendant de la famille des Ardzrouni. Tandis qu’il poursuivait son chemin, monté sur son char, Schavasb, venant à sa rencontre, trompa sa crédulité en disant: « Je viens de rencontrer un ours blanc comme la neige. » Haïr, séduit par ces paroles, descendit de son char, et, montant un cheval, s’enfonça dans la forêt [avec Schavasb]. Ils étaient déjà dans la plus profonde épaisseur des bois, quand ce dernier ralentit sa marche et décocha par derrière une flèche qui, perçant d’outre en outre l’eunuque Haïr, lui fit mordre la poussière. C’est ainsi que les paroles dites par l’homme de Dieu s’accomplirent immédiatement, car ce n’était pas en vain qu’il les avait prononcées.

CHAPITRE XV.

Comment l’impie roi Arschag, excité par la calomnie du méchant Dirith, fit périr Knel, fils de son frère; il est réprimandé pour ce fait par l’homme de Dieu, Nersès; le roi ordonne de tuer son autre neveu, Dirith; il prend pour femme la veuve de Knel il fait amener Olympie de la Grèce et la prend pour épouse; elle est empoisonnée par le prêtre Merdchiounig, sur l’ordre de Pharandzêm, pendant la communion.

Un certain Antov, un des vassaux du chef de la famille de Siounie, avait en ce temps-là une fille nommée Pharandzêm, renommée pour sa beauté et sa modestie. Le jeune Knel, neveu du roi, l’épousa.[102] Bientôt le bruit de sa beauté, s’étant répandu partout, fut connu dans tout le pays. Il parvint aussi jusqu’à Dirith, cousin germain de Knel, qui, en apprenant cette réputation de beauté, conçut une vive passion pour la jeune femme. Dès lors il ne cessa de chercher le moyen de jeter, ne fût-ce que furtivement, un regard sur sa belle-sœur. Une fois ce but atteint, il n’eut d’autre pensée que de faire périr le mari de cette femme, afin d’avoir plus tard la satisfaction de la posséder.

Alors Dirith se mit à tramer un complot contre Knel. Grâce a son argent, il gagna plusieurs personnes, par la voie desquelles il était sûr de faire réussir sa calomnie, Il fit même arriver au roi Arschag les mensonges inventés par lui; on lui disait: « Knel veut te tuer et s’emparer de ton trône; en général, les satrapes de tout notre pays préféreraient se trouver sous son pouvoir plutôt que sous le tien. Prince, c’est à toi de bien penser à ce que tu devrais entreprendre et faire pour te sauver. » Telles étaient les paroles au moyen desquelles on excitait continuellement le roi Arschag, jusqu’à ce qu’on parvint enfin à le persuader de la vérité de la chose.[103]

Dès lors, le roi, excité de cette manière contre le jeune Knel, ne cessait de le persécuter et de machiner lentement de secrètes menées contre lui. Enfin, le roi se décida à engager le jeune Knel aux fêtes de navassart[104] afin de le tuer. Il dépêcha vers lui le chef de la famille des Mamigoniens, Vartan, frère du général (sbarabed), pour qu’il l’engageât à venir, [en lui prescrivant toutefois de prendre] toutes les précautions pour que le secret ne transpirât point, car alors Knel pourrait se dérober par la fuite. [Le roi conseilla à Vartan] d’user de beaucoup de finesse et de séduction pour l’amener là où la mort l’attendait. Alors le camp royal était établi à Schahabivan, chef-lieu du camp des rois arsacides, [qui se trouve] plus bas que la Siounie et plus haut que la plaine. Vartan, envoyé par le roi Arschag, partit et trouva Knel dans un lieu voisin, c’est-à-dire au village d’Aravioudotz. Le chef de la famille des Mamigoniens lui fit beaucoup de promesses, et usa d’une grande habileté pour décider le jeune Knel à venir, accompagné de sa femme et de sa maison, au camp royal. Il lui disait: « Depuis que la calomnie de tes rivaux s’est trouvée émoussée, depuis qu’Arschag a reconnu lui-même ton innocence et qu’il t’a haï à tort, toi, qui es grandement digne de son amour; depuis ce temps, dis-je, il t’affectionne beaucoup, il te réserve des honneurs et il ne veut pour rien au monde passer les fêtes de navassart sans toi.[105]

Knel se mit en route avec toute sa suite; il employa toute une nuit pour gagner le camp royal et y arriva le lendemain de grand matin, quand le jour du dimanche allait commencer. Il advint que ce jour était celui de la fête de Grégoire et de Tiridate qu’on célébrait dans le bourg de Pakavan A cette fête étaient accourus une immense multitude de gens du pays et plusieurs évêques de différents cantons. Le grand pontife Nersès y avait envoyé Khat, son vicaire, et son archidiacre Mourig, tous deux autorisés par lui à y assister à sa place et à pourvoir à tous les besoins du peuple qui s’y trouvait. Lui-même était resté au camp royal pour y célébrer la même fête. Cette même nuit, en présence du catholicos, on chanta les offices de la manière la plus solennelle.

Le jour ne faisait que poindre quand Knel, suivi de son escorte, s’approchait du camp royal. A peine était-il entré dans le camp qu’on fit savoir son arrivée au roi qui donna l’ordre de l’arrêter, de l’emmener hors du camp et de le tuer. Il se trouvait déjà au milieu du camp, monté sur son cheval et se dirigeant vers la tente royale, d’où il vit sortir beaucoup de serviteurs à pied, armé d’épées et de boucliers, de lances, de poignards, de haches et de piques, qui, se jetant sur le jeune Knel, se saisirent de lui et le firent descendre de cheval, Après lui avoir lié les mains sur le dos, on l’emmena sur le lieu du supplice. Sa femme, qui l’accompagnait en litière, se trouvait au milieu de l’escorte. Quand elle vit son mari arrêté et garrotté, elle se précipita vers la tente qui servait d’église, où l’on récitait les offices pour les gens du camp, réunis pour prier Dieu, et où était alors le grand pontife Nersès. Arrivée près de lui, elle lui apporta la funeste nouvelle de la mort injuste que son mari allait subir, et criait à haute voix: « Va, hâte-toi, car on veut égorger mon époux qui n’est coupable d’aucun crime. Nersès, interrompant le service, se dirigea aussitôt vers la tente royale, et, y étant arrivé, il se présenta brusquement au roi. Quand celui-ci vit le grand pontife devant lui, il comprit qu’il venait en médiateur pour le dissuader de faire périr Knel; alors le roi, se couvrant la tête et le visage de son hermine, et feignant de dormir, se mit à ronfler pour ne pas entendre les paroles du pontife. Mais le saint homme, s’approchant du roi et le touchant, lui dit: « Seigneur, souviens-toi de ton Seigneur, qui, pour l’amour des hommes, quitta son céleste séjour et prit notre humble et indigne image, afin de nous enseigner la charité, et qu’en suivant l’exemple du maître divin, nous ayons mutuellement pitié les uns des autres, que nous nous aimions avec des égards, et que nous nous gardions de nous faire du mal réciproquement. Eh bien, si tu n’épargnes pas ton frère, ton compagnon, ton proche et ton parent, le Seigneur, qui volontairement s’est fait notre frère, n’aura pas de pitié pour toi; car il nous a dit: Si tu écoutes le Christ qui te parle par ma bouche, tu ne périras pas. [Qui sait?] peut-être seras-tu privé de ton royaume; peut-être resteras-tu seul, et personne ne viendra à ton secours. Ecoute ce que le Christ vient de dire; pense à toi-même, ne verse pas le sang de ton frère, de ton parent, en tuant le juste, sans sujet et sans pitié. »

Le roi restait immobile, faisant semblant de ne rien entendre. Il ne se découvrait pas le visage et ne donnait aucune réponse. Etendu sur son siège, enveloppé et couvert comme il était, il ne montrait même pas le moindre désir de se bouger. Tandis que Nersès prononçait ces paroles pour persuader le roi, le chef des bourreaux, Erazmag, arriva, et, entrant dans la tente royale, il dit: « Je viens d’accomplir l’ordre de Votre Majesté. Ayant pris Knel, je l’emmenai sous le mur de Sious, où je l’ai tué et enterré sur place.[106] »

Alors saint Nersès commença à parler ainsi: « Vraiment tu es comme l’aspic qui ferme son oreille pour ne pas écouter la voix des psylles, la voix du charmeur habile dans l’art des enchantements; toi aussi, tu te bouches les oreilles pour ne pas écouter les paroles et les conseils de la divine Ecriture; à l’exemple des bêtes féroces, tu commences à dévorer les hommes. Par conséquent ce qui a été dit d’eux s’accomplira pour toi: « Dieu brisera leurs dents dans leurs bouches. Le Seigneur rompra les dents de la mâchoire des lionceaux. » Puisque tu es allé contre le commandement de ton Seigneur Jésus-Christ, tu seras humilié comme de l’eau qui coule, et, quand il bandera son arc, tu seras terrassé. Telle sera la défaite que je viens de prédire par la bouche du prophète; votre race arsacide boira le calice jusqu’à la lie, vous vous abreuverez dans cette coupe, vous serez terrassés et vous ne vous relèverez plus. Au second avènement du Seigneur, c’est le feu inextinguible qui vous sera réservé; alors vous serez dans les ténèbres et vous ne verrez plus la splendeur de la gloire du Fils de Dieu. Mais toi, Arschag, puisque tu viens de commettre l’œuvre de Caïn, tu hériteras de la malédiction de Caïn: toi vivant, tu seras dépouillé de ta royauté; tu subiras des supplices plus grands encore que ceux endurés par ton père Diran, et ta vie d’ici-bas sera couronnée par une mort cruelle. » Ayant dit cela, le grand pontife Nersès sortit de chez le roi, pour ne plus retourner au camp royal.

Le jeune Knel, emmené près de Sious royale, fut décapité au sommet du monticule, à l’endroit nommé Lesïn, tout près de la palissade qui entoure l’enceinte destinée à la chasse des bêtes fauves, vis-à-vis des sources du bosquet de myrte, en face du camp royal.

Alors le roi donna ordre que tous ceux, grands et petits sans exception, qui se trouvaient au camp, se réunissent pour se lamenter et pleurer Knel, le grand sébouh[107] arsacide qui venait de subir la mort. Le roi en personne se rendit à cette cérémonie funèbre pour pleurer son neveu dont il avait lui-même ordonné la mort. Assis auprès du corps, il pleurait Knel et ordonnait en même temps qu’on fit entendre de grandes et tristes lamentations autour du corps de sa victime. Pharandzêm, La femme de Knel, la tunique déchirée, les cheveux épars, le sein découvert, pleurait et se lamentait au milieu des pleureurs; elle poussait des gémissements, et ses larmes amères faisaient verser des pleurs à tous les assistants. Le roi Arschag, qui venait de voir la femme de Knel à cette cérémonie, se prit de passion pour elle, et, dès ce moment, il conçut l’idée d’en faire son épouse.

Mais celui qui venait de mettre en œuvre tant de trahisons et de calomnies et de préparer cette intrigue pour faire tuer son propre parent, était Dirith. Il avait commis tous ces crimes à cause de la femme [de Knel] dont il était devenu amoureux; et, pour satisfaire sa passion, il avait excité le roi à commettre ce meurtre. Le deuil le plus profond régnait encore, quand Dirith, dans l’ivresse de sa passion, commençait déjà à perdre patience. Il envoya dire à la femme de Knel: « Ne t’afflige point trop, car je suis meilleur que ton mari; je t’aime, c’est à cause de cet amour que je l’ai fait périr pour t’avoir pour épouse. »

Telles étaient les propositions adressées par Dirith à Pharandzêm durant le cours des lamentations qui se faisaient autour du corps de son mari. S’abandonnant à des plaintes déchirantes, elle dit: « Vous tous, écoutez; c’est moi qui suis cause de la mort de mon mari; car celui qui, en attachant sur moi ses regards, est devenu amoureux de moi, a fait périr mon mari. » Elle s’arrachait les cheveux, elle poussait des gémissements perçants, en donnant un libre cours à ses lamentations.

Quand ces graves événements eurent été dévoilés à tout le monde, Pharandzêm se mit à la tête des pleureuses qui toutes ensemble commencèrent à chanter, sur un ton lamentable, la convoitise de Dirith, le regard amoureux de ses yeux, ses calomnies, ses secrètes menées contre Knel, le meurtre de ce dernier, avec une voix déchirante, pénétrante et passionnée, qui se faisait entendre au milieu des lamentations générales. A peine le chant eut-il cessé, que le bruit [de cet amour] se répandit partout. Il parvint jusqu’au roi Arschag, qui, après s’en être assuré, fut étonné et surpris, et éprouva un vif regret d’avoir ordonné le meurtre de Knel. Il se tordait les mains, en exprimant le profond regret d’avoir commis un tel crime, en disant: « Epris d’un amour blâmable pour la femme de Knel, Dirith a causé tous ces maux, cette calomnie, cette mort cruelle et inutile; à cause de sa passion criminelle, il nous a fait verser le sang innocent; en nous poussant à faire périr son frère, il a accumulé sur notre tête les malédictions éternelles qui vont nous frapper. »

Le roi, après avoir pris des renseignements précis sur tous ces événements, dissimula son dépit pendant quelque temps. La victime était déjà enterrée dans l’endroit où elle avait été massacrée, et un grand nombre de jours s’étaient déjà écoulés depuis sa mort, lorsque Dirith expédia au roi une dépêche ainsi conçue: « Que le roi daigne me permettre de prendre Pharandzêm, la femme de Knel, pour épouse. » Quand le roi apprit cela, il dit: « Maintenant je suis convaincu de ce que j’ai entendu dire: la femme de Knel a été la cause unique de la mort de ce dernier. » Dès lors, le roi ne cessa de méditer la mort de Dirith afin de venger sur lui le meurtre de Knel. A peine Dirith eut-il en connaissance des intentions du roi qu’il prit la fuite pendant la nuit, pour se soustraire à la colère d’Arschag. On rapporta au roi Arschag que Dirith venait de s’enfuir; alors il donna ordre à tous les nobles qui se trouvaient dans le camp de se mettre à la poursuite de Dirith et de le tuer là où il serait atteint. Plusieurs braves se mirent à la poursuite de Dirith qu’ils rencontrèrent dans la forêt du canton de Pasèn, où il fut tué. Alors Arschag emmena chez lui Pharandzêm, la femme de Knel. Autant le roi Arschag aimait cette femme, autant celle-ci le haïssait, disant que le roi Arschag était velu et qu’il avait la peau basanée. Quand le roi se persuada qu’il lui serait impossible de se faire aimer de cette princesse, il dépêcha des envoyés en Grèce, d’où on lui amena pour femme une certaine Olympie, issue du sang impérial. Arschag l’aima d’un amour ardent et par là excita la jalousie de Pharandzêm, qui, portant envie à Olympie, cherchait le moyen de la perdre. Cependant Pharandzêm venait de mettre au monde un fils qu’on nomma Bab. Ayant grandi et étant devenu fort et robuste, il fut envoyé comme otage à la cour de l’empereur grec. Pharandzêm continuait toujours à nourrir la plus grande jalousie et la plus implacable inimitié contre Olympie, qu’elle cherchait à empoisonner par tous les moyens. Mais elle ne trouvait aucune facilité pour réaliser ses machinations, car Olympie, étant toujours sur ses gardes, ne prenait la nourriture et la boisson que des mains de ses confidentes, et ne buvait que le vin préparé par ces dernières dans les bassins. Quand Pharandzêm vit qu’elle avait épuisé tous les moyens possibles pour faire prendre des breuvages mortels à sa rivale, elle fit saisir un certain Merdchiounig, originaire d’Archamouni, du canton de Daron, qui en ce temps-là était prêtre de la cour, et le fit jeter dans une prison. Alors ce prêtre [se vit contraint] d’accomplir un crime inouï qui, jusqu’à présent, n’avait encore été commis sur la terre par qui que ce soit, c’est-à-dire de glisser du poison dans l’Eucharistie. En mêlant le poison mortel au saint et divin corps du Seigneur, le prêtre Merdchiounig l’administra à la reine Olympie dans l’église, et mit ainsi fin à ses jours de la sorte, il accomplit les ordres implacables de l’impie Pharandzêm et reçut d’elle en récompense le village de Komgounk, au canton de Daron, dont il était originaire.[108]

Le saint catholicos Nersès ne vit plus le roi Arschag jusqu’au jour de sa perte. A la place de Nersès, on fit siéger un certain Tchounag comme chef spirituel: c’était le serviteur des serviteurs de la cour. Le roi donna ordre de convoquer tous les évêques du pays des Arméniens pour sacrer Tchounag en qualité de catholicos de toute l’Arménie. Mais personne d’eux ne se rendit à cet appel, excepté les évêques de Gortouk et d’Aghdsnik, qui, d’après l’ordre du roi, consacrèrent Tchounag catholicos. Ce Tchounag était un homme doux, dépourvu d’éloquence, et incapable ni d’enseigner, ni de réprimander; le roi était sûr d’obtenir son approbation pour toutes les actions qu’il commettrait.

CHAPITRE XVI.

Le roi des Perses, Sapor, invite chez lui Arschag, roi des Arméniens, et lui fait un accueil des plus magnifiques; le sbarabed arménien, Vasag le Mamigonien, tue le chef de l’écurie du roi des Perses. Le roi Arschag prête serment de fidélité au roi des Perses sur l’Evangile; il viole son serment et s’enfuit. Sapor, pour se venger, fait massacrer soixante-dix serviteurs de Dieu.

En ce temps-là, le roi des Perses, Sapor, invita chez lui le roi des Arméniens, Arschag, lui fit un accueil magnifique, le combla de faveurs et d’honneurs, l’honora avec des présents en or et en argent, enfin il lui donna tout ce qui est dû à un roi. Il accueillit Arschag comme un frère, comme un fils bien-aimé, et lui céda l’Adherbeidjan, cette vaste contrée, qui occupait le second rang [dans la hiérarchie politique de l’empire perse]. A l’heure des festins, ils étaient toujours ensemble, assis l’un à côté de l’autre sur le même siège, ayant des habits de la même couleur et les mêmes insignes royaux. Chaque jour, le roi des Perses préparait pour lui un diadème semblable au sien. Tous les deux étaient comme des frères du même sang, inséparables dans les banquets et les festins, où ils passaient leur temps dans une joie indicible.

Or, il advint qu’un jour le roi des Arméniens, Arschag, visita une des écuries du roi des Perses. Le chef de l’écurie royale s’y trouvait assis dans un des bâtiments attenants. En voyant le roi, non seulement il ne lui témoigna aucun égard, mais au contraire il commença à l’injurier, en lui adressant en langue perse ces paroles: « Roi des boucs arméniens, viens et assieds-toi sur ce tas d’herbe. » Le sbarabed de la Grande Arménie, Vasag le Mamigonien, ayant entendu ces paroles, et enflammé d’une violente colère, tira l’épée qui pendait à sa ceinture, et, d’un seul coup, il trancha sur place la tête du chef de l’écurie du roi des Perses, Il ne supportait jamais des paroles humiliantes pour son roi, et il était prêt à endurer plutôt mille morts que d’entendre des injures adressées à son maître. Quoiqu’il fût dans un pays étranger, entouré de Perses, il n’hésita pas un instant à châtier l’insolence de cet homme. Quand le roi des Perses eut appris ce meurtre, il témoigna beaucoup d’égards au général Vasag, admirant en même temps son intrépidité et son courage. Il le combla de présents et d’honneurs, à cause de son attachement pour son maître. Durant tout le temps de la paix qui régna entre les deux souverains, Vasag fut l’objet de la constante affection de Sapor.

Le roi des Arméniens était encore chez le roi des Perses; une grande amitié et une paix solide régnaient encore entre eux, quand Sapor eut de vives appréhensions touchant le roi des Arméniens, Arschag. Il craignait qu’il ne trahit l’alliance mutuelle et ne se détachât de lui en se rangeant du parti de l’empereur grec. Il n’avait aucune confiance en lui et il redoutait beaucoup de le voir rompre le pacte d’alliance. En conséquence, il exigea que le roi Arschag lui fit un serment: « Déclare, lui disait-il, et jure-moi que tu ne me trahiras jamais. Pressé de la sorte, il fut contraint de faire venir des prêtres de l’église de la ville de Ctésiphon (Dispon), dont le principal s’appelait Mari. On apporta le saint Evangile; le roi des Perses, Sapor, fit prêter au roi des Arméniens, Arschag, serment sur l’Evangile de Dieu, qu’il ne le trahirait jamais et qu’il conserverait le pacte d’alliance conclu entre eux. Tous ces pourparlers avaient lieu par l’intermédiaire du chef de la maison des Mamigoniens, c’est-à-dire par le frère aîné du sbarabed Vasag, qui se nommait Vartan et qui était un des principaux favoris du roi Sapor. Le général arménien Vasag, qui portait envie à son frère ainé Vartan et voulait lui nuire, s’efforça de brouiller les deux souverains. Il conseilla au roi des Arméniens de prendre la fuite; et ce dernier y consentit sans beaucoup d’hésitation. Le roi Sapor, instruit de son intention, dit: « Si, vous autres Arméniens, aviez prêté serment de bon cœur et avec sincérité, votre roi ne m’aurait jamais trahi et pris la fuite. Je suis convaincu que vous avez usé d’artifices pour me tromper, et que vous avez comploté traitreusement avec lui, avant de le décider à s’enfuir. Vous n’avez d’autre pensée que de vous emparer du royaume des Arsacides voilà tout ce que vous cherchez!

Alors le roi Sapor jura par le Soleil, l’Eau et le Feu, en disant qu’il ne laisserait pas en vie un seul homme confessant la religion chrétienne, et il ordonna de massacrer tous les chrétiens. Alors on emmena les prêtres, les diacres et le principal prêtre Mari à leur tête, en tout soixante-dix personnes, et on les égorgea tous dans une même fosse. Sapor fit attacher le saint Évangile sur lequel le roi Arschag avait prêté serment, avec des chaînes de fer, le scella avec sa propre bague, puis il ordonna de le mettre dans la trésorerie et de l’y garder soigneusement.

CHAPITRE XVII.

Sapor, roi des Perses, persécute les chrétiens.

En ce temps-là, quand le prêtre Mari et les soixante-dix autres prêtres eurent subi le supplice de la mort, le roi Sapor suscita la plus grande persécution contre la religion chrétienne, il chargeait les chrétiens d’impôts onéreux, leur affligeait des peines et des châtiments, après quoi il donna l’ordre de passer au fil de l’épée tous ceux qui, dans son royaume, portaient le nom de chrétien, sans aucune exception. A la suite de cet ordre, on massacra les chrétiens par milliers et par dizaines de milliers, pour qu’il n’en restât pas un seul dans les domaines du roi.

CHAPITRE XVIII.

Vartan, est mis à mort par le roi Arschag, à l’institution du sbarabed Vasag, frère de Vartan.

Cependant Vartan, chef de la maison des Mamigoniens, étant venu en ambassade de la part du roi des Perses auprès du roi des Arméniens, Arschag, lui remit la lettre [de Sapor], en ajoutant que ce dernier resterait comme par le passé fidèle, non seulement à la paix et à l’amitié réciproque, mais aussi au serment juré. En outre, Vartan disait: « Sapor est prêt à oublier le passé si tu restes fidèle au pacte d’alliance et si tu ne trahis pas le serment que tu as juré selon les lois de la religion. Dans le cas contraire, il t’abandonne [aux remords] de ta propre conscience et à ta foi que tu trahiras. » Le roi Arschag écouta avec beaucoup de calme ce que Vartan venait de lui dire, et lui promit de se conformer au vœu [du roi des Perses]. Après quoi il le congédia avec de grands égards et le laissa aller dans ses domaines pour s’y reposer des fatigues de son long voyage. Vartan partit aussitôt.

Pendant le séjour de Vartan, chef de la famille des Mamigoniens, chez Arschag, Vasag, frère cadet du premier, ne se trouvait pas auprès du roi. Mais quand il arriva, [après le départ de son frère], il commença à exciter le roi contre son aîné, en disant: « Vartan ne pense qu’à te livrer au roi des Perses, il ne médite que ta perte; si tu ne te hâtes pas de t’en défaire le plus tôt passible, il te fera périr et l’Arménie entière avec toi. » La reine, de son côté, répétait les mêmes paroles, confirmant celles du général Vasag. Elle avait de la rancune contre Vartan, parce qu’il avait traîtreusement, et avec de grands serments, engagé son [premier] mari Knel à venir trouver le roi Arschag, afin de le faire périr. A cause de cette haine invétérée, la reine ne se lassait pas d’exciter le roi, qui enfin se décida à rassembler des troupes et à les faire marcher contre Vartan. Il confia leur commandement à Vasag, frère de Vartan.

Arrivés dans le district de Daïk, appartenant à Vartan, ils le trouvèrent dans son château fort d’Erakhani.[109] Quand les gens du lieu virent le détachement, et Vasag à sa tête, ils ne conçurent aucune crainte, et ne prirent aucune précaution, croyant que c’était l’escorte du frère [de Vartan], et que son arrivée ne pouvait annoncer rien de funeste. On le vit, lui et son détachement, mettre pied à terre devant la tente de Vartan, dressée dans la vallée au pied même du château. Les gens de Vasag portaient tous des armes sous leurs habits. [En ce moment, Vartan], entièrement nu, se lavait la tête. Il était courbé, attendant qu’on lui versât de l’eau, quand plusieurs hommes, se jetant sur lui avec des épées, lui en portèrent des coups, de telle sorte qu’il ne put même pas se relever et fut tué sur place.

La femme de Vartan était enceinte et sur le point d’accoucher. Elle était en haut du château assise sur un siège, quand une grande clameur retentit aussitôt. A peine l’eut-elle entendue, qu’elle se précipita de son siège, et, tandis qu’elle courait, elle mit au monde un enfant, auquel on donna le nom de son père, Vartan.

CHAPITRE XIX.

Le roi des Arméniens, Arschag, massacre les satrapes sans raison et sans pitié.

Dès le moment où le saint pontife Nersès s’éloigna du camp royal, il n’y eut personne qui pût en imposer au roi, lui donner des conseils ou le reprendre; dès lors il se livrait à des actes d’une cruauté sans exemple. Plusieurs satrapes furent massacrés par lui; des familles satrapales furent totalement anéanties; les domaines de plusieurs familles furent réunis au fisc. La race des Gamsaragan, par exemple, qui possédait les districts de Schirag et d’Archarouni, fut détruite entièrement, et leurs cantons furent acquis par le fisc. Vasag, sbarabed des Arméniens, parvint à soustraire à la mort un seul petit garçon de cette famille, nommé Sbantarad, et à le sauver. Ce dernier rentra plus tard en possession de ses domaines.[110] Le roi Arschag donna ordre de construire dans le district d’Archarouni un fort qui fut nommé Ardaker;[111] et comme c’était un des châteaux les plus importants, ce canton était désigné par le roi pour approvisionner de vivres les magasins destinés à l’entretien de sa maison.

CHAPITRE XX.

Guerre acharnée entre les Grecs et les Perses; secours apporté par Arschag, rot des Arméniens, au roi des Perses; il fait passer au fil de l’épée les troupes grecques. Arschag, trompé par Antov de Siounie, s’enfuit de la cour de Sapor, roi des Perses.

Quand pour la première fois le roi Arschag, foulant aux pieds ses serments, s’enfuit de chez le roi Sapor, ce dernier ne chercha nullement à l’inquiéter, parce qu’il soutenait alors une guerre des plus acharnées contre l’empereur grec. Le roi des Arméniens, Arschag, voyant cette guerre devenir de jour en jour plus menaçante, attendait patiemment, dans sa présomption, quel serait celui des deux souverains qui solliciterait son secours. Il espérait que l’empereur grec lui ferait des ouvertures à ce sujet, et il se serait rendu avec empressement à son appel. Toutefois il fut déçu dans son attente, car les Grecs ne lui firent aucune proposition dans ce sens.

Cependant le roi des Perses, Sapor, dépêcha vers Arschag des ambassadeurs chargés de lui rappeler son premier serment et de lui dire: « Mon frère, si tu es disposé à me prêter ton concours pendant cette guerre, tu feras bien d’arriver à la tête de ton armée. Car, si tu te ranges de notre côté, je sais d’avance que la victoire est à nous. » Ce fut avec la plus grande joie que le roi des Arméniens, Arschag, entendit cette proposition. Il manifesta [sur le champ] sa volonté d’aller porter secours à Sapor, roi des Perses. Il ordonna à son sbarabed Vasag de réunir et de préparer les troupes, ce qui fut exécuté sans délai. Une armée de quatre cent mille hommes d’élite et de braves soldats, courageux et habitués aux fatigues de la guerre, fut bientôt sur pied. Elle était composée de soldats armés de toutes pièces, munis de piques, d’épées, de haches, et d’archers habiles, dont les coups étaient sûrs. C’étaient des gens pleins de courage qui ne tournaient jamais le dos à l’ennemi, des cavaliers cuirassés, ayant la tête couverte d’un casque, avec des drapeaux, des étendards et des trompettes au son retentissant.

Le roi Arschag se mit en route, entouré d’une multitude de satrapes; il traversa l’Aghdsnikh, qui faisait partie de ses domaines; et, se précipitant dans le pays d’Arouatsasdan, il ne s’arrêta que devant la ville de Medzpin (Nisibe), où devait avoir lieu la bataille. Alors, des deux côtés, on se prépara, afin d’arriver au lieu du combat, dans le temps voulu.

Les troupes grecques, campées sur le bord de la mer, étaient innombrables comme [les grains] de sable. L’armée perse se faisait attendre, car elle était encore en marche, se dirigeant vers l’endroit désigné. Cependant le roi des Arméniens, étant arrivé avant les Perses, campait au rendez-vous fixé; ses troupes, fatiguées de leur inactivité, commençaient à perdre patience. Elles voulaient, sans attendre les Perses, attaquer l’empereur grec et terminer la guerre à elles seules. Chaque corps de l’armée arménienne était prêt à engager l’attaque; le général Vasag lui-même avait une ardeur égale à celle de ses compagnons d’armes; pour lui, tout obstacle était facile à vaincre, car il voulait à tout prix commencer et terminer lui-même le combat avec ses propres ressources, sans attendre le secours de l’armée perse.

C’est ainsi que toute l’armée arménienne se présenta à son souverain Arschag, en le suppliant de ne pas attendre l’arrivée du roi des Perses, Sapor. Elle lui demandait la faveur de mettre fin à l’entreprise pour laquelle elle était venue, c’est-à-dire d’attaquer l’ennemi le plus vite possible, au lieu de séjourner dans un pays étranger; car elle préférait plutôt mourir, que de vivre loin de sa patrie. Le roi Arschag fut contraint de céder et consentit à livrer le combat. Alors le général Vasag, sbarabed de la Grande Arménie, ordonna à l’armée arménienne de se préparer.

Après lui avoir fait prendre les armes, Vasag, à la tête de tous les braves soldats d’Ararat, fondit sur le camp ennemi, et fit passer au fil de l’épée tous les Grecs, de telle sorte que personne ne fut épargné. Les Arméniens s’emparèrent d’un riche butin, de trésors immenses, et prirent tout ce que possédaient les troupes grecques.

Dès que le combat fut terminé, le roi des Arméniens alla se reposer avec ses troupes jusqu’au moment où le roi des Perses arriva, accompagné d’une armée immense, innombrable. Quand ce dernier eut appris les hauts faits accomplis par les Arméniens, [les résultats] du combat qu’ils avaient livré et de la victoire qu’ils avaient remportée, enfin que l’affaire était déjà terminée, Il fût frappé d’admiration et d’étonnement. Il s’empressa aussitôt de combler de grands honneurs le roi des Arméniens Arschag, tous les grands, ainsi que le sbarabed Vasag.

Le roi des Perses, Sapor, consulta alors [les chefs] de son armée sur les présents et les récompenses qu’on pourrait dignement accorder au roi Arschag, qui venait d’accomplir de si grandes choses, de donner des marques d’une valeur à toute épreuve, de battre un si redoutable ennemi, de livrer une si grande bataille, de laquelle il était sorti victorieux, et qui avait couvert ses alliés d’une gloire aussi éclatante. Car si nous avions été présents, [dit-il], et si la fortune nous avais été favorable, ce n’est qu’avec le secours des Arméniens que l’armée arienne aurait pu espérer échapper de l’ennemi. Mais voilà que le roi des Arméniens [seul] vient de combattre sans nous, et qu’il a remporté des succès et accompli des actions d’éclat dont personne n’est capable de lui disputer le mérite. Eh bien, comment le récompenserons-nous?

Préoccupé qu’il était, il se demandait: « Que puis-je lui offrir? » Alors les satrapes, répondant au roi des Perses Sapor, lui dirent: « Tu peux lui donner ce que tu voudras et le récompenser comme bon te semblera; car tu possèdes une immense quantité d’or, d’argent, de perles et d’étoffes de soie; tu n’as qu’à choisir et lui en donner selon ta volonté. » Mais le roi des Perses, Sapor, répondit à ses princes en disant: « Ce que vous venez de dire n’est pas encore une preuve d’amitié [solide]; je veux contracter une telle amitié avec le roi des Arméniens, Arschag, qu’elle soit indissoluble et éternelle. Je lui donnerai pour femme ma fille, je lui octroierai un domaine tellement vaste que, quand il voudra venir chez nous de l’Arménie, il puisse, pendant son voyage depuis l’Arménie jusqu’à Ctésiphon (Dispon) s’arrêter partout dans ses propres possessions. Voilà ce que nous ferons pour le roi! Quant au commandant en chef Vasag, aux grands et autres généraux, nous leur distribuerons de l’or, de l’argent, des soieries et des perles. Les conseillers du roi et les grands accueillirent cette proposition et l’approuvèrent, est disant: « C’est ce qu’il faut faire absolument. »

Cependant Sapor, roi des Perses, engageait le roi des Arméniens, Arschag, à venir sans délai avec lui en Assyrie pour y célébrer son mariage [avec sa fille], avec une pompe vraiment royale. Arschag et ses troupes ne se prêtèrent pas volontiers à entreprendre ce voyage lointain; car tous, et chacun d’eux en particulier, avaient grande envie, selon les habitudes des Arméniens, de rentrer sans tarder dans leurs foyers. Antov, chef du canton de Siounie, apprenant que le roi des Perses, Sapor, voulait donner sa fille en mariage au roi des Arméniens, Arschag, conçut la plus vive inquiétude, et dès lors il ne cessa de concevoir des craintes mortelles, Il pensait qu’aussitôt qu’Arschag prendrait pour épouse la fille du roi des Perses, [la reine] Pharandzêm, qui était sa propre fille, tomberait en disgrâce, car cette princesse, qui était la veuve de Knel, était alors la femme d’Arschag, roi des Arméniens. Il était dans de continuelles appréhensions, pensant qu’une fois qu’Arschag prendrait une autre femme, sa propre fille devrait subir une grande humiliation,

C’est alors qu’Antov se mit à chercher, dans son esprit inquiet, le moyen de troubler la profonde amitié qui liait les deux souverains. Antov commença par le général arménien Vasag, auquel il offrit une quantité d’or; de même il corrompit tous les grands, afin de pouvoir parvenir à faire rompre les relations d’intimité qui existaient entre les deux rois. Tous les grands, aveuglés par l’or de la corruption, s’engagèrent à lui prêter leur concours. Alors Antov, par les machinations les plus coupables, essaya d’entraîner dans son complot un des conseillers les plus intimes et les plus influents du roi des Perses, pour qu’il se chargeât de brouiller Sapor et Arschag. Après lui avoir donné une immense quantité d’or, Antov lui mettait même dans la bouche les paroles qu’il devait dire au roi, en feignant de le prévenir qu’Arschag voulait s’enfuir parce que le roi des Perses avait pris La ferme résolution de se saisir de lui et de le tuer. [Antov ajouta]: « Après lui avoir dit cela, tu nous feras appeler en conseil et tous les anciens affirmeront la véracité de tes paroles. » Après quoi le conseiller du roi des Perses, entrant chez le roi des Arméniens, commença à raconter les paroles que le traître Antov lui avait apprises: « O roi des Arméniens, Arschag, quitte ces lieux, car le roi des Perses, Sapor, a pris la ferme résolution de se saisir de toi et de te faire mourir. » A ces mots, le roi Arschag, frappé d’étonnement, resta éBabi, puis il dit: « Quoi! est-ce là la récompense des grands services que je viens de lui rendre? » A l’instant même, le roi Arschag ordonna de réunir en sa présence tous les grands, tous ses conseillers, le sbarabed Vasag, son beau-père Antov et en général tous les satrapes, et leur raconta ce qu’il venait d’entendre de la bouche du Perse. Alors tous ensemble dirent d’un commun accord: « Il y a déjà longtemps que nous avons entendu cela, seulement nous n’osions pas te le dire; mais la chose est malheureusement très vraie. Maintenant, ô roi, réfléchis et fais en sorte de t’enfuir en même temps que nous. Le roi Arschag fit présent de beaucoup d’or et d’argent au Perse qui venait de lui faire cette communication. Sur ces entrefaites, on se prépara à partir. Après avoir délibéré avec ses grands, le roi des Arméniens, Arschag, avec tout ce qu’il y avait en fait d’hommes au camp arménien, se leva pendant une nuit, monta à cheval et s’enfuit. On laissa sur place les tentes, les pavillons, les bagages, en un mot le camp entier et on s’en alla furtivement. Dans le camp des Perses, personne ne se douta de rien jusqu’à la pointe du jour.

Quand, à l’heure de la présentation, tous les rois et les grands princes se rendirent chez le roi des Perses pour le féliciter, on ne vit parmi eux, ni le roi des Arméniens Arschag, ni ses grands. Alors Sapor ordonna aux siens d’aller au camp du roi Arschag et de savoir la cause qui l’avait empêché de venir rendre hommage au roi des Perses. On se rendit au camp, et on le trouva désert, car il n’y avait plus personne: on n’y trouva que des pavillons, des tentes, des toiles, des rideaux, des sièges, des lits, des ustensiles de toute espèce, des bagages et même des trésors abandonnés, excepté les armes qu’on avait prises en partant. Enfin, ceux qui étaient allés au camp revinrent et racontèrent à Sapor, roi des Perses, tout [ce qu’ils venaient de voir]. A peine eut-il appris la chose, qu’il comprit, en homme sage, ce qui était arrivé, et il dit: « Ce sont des gens de notre maison qui ont fait prendre la fuite au roi des Arméniens, ce sont nos serviteurs, des gens attachés à notre propre cour qui ont engagé Arschag à s’enfuir. Et il dépêcha sur le champ les plus considérables parmi ses grands pour se porter vers le roi des Arméniens, afin de l’assurer de son amitié, jurant d’observer fidèlement son serment, et de l’engager à revenir sur ses pas, afin de rechercher et de découvrir les paroles de la calomnie. Mais le roi des Arméniens ne voulut ni prêter l’oreille aux paroles des envoyés de Sapor, ni retourner dans le pays des Perses. Depuis ce jour, il s’engagea entre le roi des Arméniens, Arschag, et Sapor, roi des Perses, une guerre acharnée qui dura plus de trente ans.

CHAPITRE XXI.

Guerre entre Sapor, roi des Perses, et Arschag roi des Arméniens; ce dernier remporte la victoire.

Après que le roi des Arméniens, Arschag, se fût enfui du royaume de Sapor, roi des Perses, ce dernier, pendant huit ans, ne lui témoigna aucune rancune; au contraire il ne faisait qu’entretenir Arschag de paroles amicales, en le priant de conserver la paix et l’union établies entre eux, car il était sans cesse menacé de soutenir une guerre continuelle et sans relâche avec les empereurs grecs. Arschag, roi des Arméniens, ne faisait aucune attention à lui et n’exprimait aucun désir de se rapprocher dia roi des Perses. Il avait rompu toute relation avec Sapor; et non seulement il ne lui envoyait pas de présents, mais il ne voulait même pas qu’on prononçât son nom en sa présence. Néanmoins le roi des Perses ne cessait de lui envoyer de riches cadeaux avec ses ambassadeurs, tandis que, d’un autre côté, il continuait à guerroyer contre les empereurs grecs.

Mais, quand la paix fut conclue entre les empereurs grecs et Sapor, roi des Perses, un pacte d’alliance fut rédigé et scellé par l’empereur des Grecs, et remis au roi des Perses. Dans ce pacte d’alliance, il était écrit: « Je te cède la ville de Medzpin en Arouastan, ainsi que la Mésopotamie syrienne; quant aux régions Méditerranéennes d’Arménie, j’en fais l’abandon si tu en fais la conquête et si tu les soumets, je prends l’engagement de ne pas venir au secours des Arméniens. » L’empereur grec, se trouvant pressé et dans une position difficile, fut contraint de mettre son sceau sur ce traité qu’il envoya au roi des Perses. C’est à cette condition qu’il put s’échapper des mains de ce dernier.

Une fois la paix consolidée entre l’empereur Grec et le roi des Perses, ce dernier se prépara à faire la guerre à Arschag, roi des Arméniens. Les troupes arméniennes qui gardaient les frontières s’étaient campées à Kandzag d’Adherbeidjan (Aderbadagan) se hâtèrent d’en prévenir leur maître avant que Sapor eût atteint le territoire l’Adherbeidjan. Aussitôt informé [de cette intrusion], Arschag, roi des Arméniens, donna ordre à son sbarabed Vasag de rassembler toutes les troupes et d’aller à la rencontre du roi des Perses, Sapor. Après les avoir réunies dans un même endroit, Vasag le sbarabed, commandant de toutes les armées arméniennes, les passa en revue et trouva une cavalerie armée de toutes pièces, munie de piques, formant ensemble six cent mille hommes, animés d’un même sentiment et d’une même pensée. A la tête de cette cavalerie, Vasag se mit en marche, et, fondant sur le roi des Perses, il le mit en pleine déroute. Tous les soldats perses sans exception furent passés au fil de l’épée; le roi Sapor put seul s’échapper au galop d’un cheval. Les Arméniens, après avoir apporté l’incendie et la dévastation dans toute la Perse, après avoir fait un immense butin, [revinrent sur leurs pas] et, occupant le lieu du combat ils gardèrent le territoire de la Perse.

CHAPITRE XXII.

Après cette première bataille, trois combats ont lieu avec les Perses dans le pays des Arméniens; ceux-ci triomphent encore de leurs ennemis.

En ce temps-là, Sapor, roi des Perses, rassembla une armée aussi nombreuse que les sables de la mer et une prodigieuse quantité d’éléphants. Il divisa son armée en trois corps. Il en confia deux au commandement des généraux Antigan et Hazaravoukhd, se réservant la direction du troisième. Le roi ordonna à ses troupes de faire irruption en Arménie par trois endroits différents. Cet ordre arriva à la connaissance du roi des Arméniens, Arschag, et du général Vasag, qui [de leur côté] rassemblèrent une immense quantité de troupes. Nonobstant leur diligence, les Perses pénétrèrent en Arménie en y faisant leur entrée par trois endroits à la fois.

Le roi Arschag divisa aussi son armée en trois corps, dont il confia le premier au sbarabed Vasag, le second à Pakas, frère de ce dernier, qui avait l’esprit borné, mais avait fait preuve d’une bravoure excessive, et lui-même prit le commandement du troisième corps. Ordre fut donné de partir et de livrer sans tarder la bataille aux troupes perses. Le sbarabed Vasag, s’étant mis en marche, rencontra le premier détachement perse, commandé par Hazaravoukhd, qui avait déjà pénétré dans le canton de Vanant et se trouvait dans le lieu nommé Erévial. C’est ici que Vasag livra bataille aux troupes perses, les vainquit et les mit en pleine déroute; celles-ci prirent la fuite et se dispersèrent. Alors le général Vasag lança ses soldats à la poursuite des Perses fugitifs qui furent tous exterminés. On s’empara de dépouilles immenses et des éléphants.

Le même mois, la même semaine, le même jour, Pakas arriva à la tête de ses troupes. Il rencontra le second corps d’armée perse sous le commandement du général Antigan qui avait assis son camp aux environs des pêcheries royales d’Aresd. Prévenus d’avance de l’arrivée de Pakas, les Perses se préparèrent à attaquer les troupes arméniennes pour les combattre. Pakas fondit sur elles, attaqua l’ennemi de front, fit un grand carnage dans les rangs des Perses et tua Antigan sur le lieu du combat. Après quoi, Pakas rencontra la troupe des éléphants, au milieu desquels il en vit un qui était orné magnifiquement, ayant les bannières royales déployées sur lui. Pakas, croyant le roi sur cet éléphant, mit pied à terre, tira son épée et se jeta sur l’animal. L’épée à la main, il se précipita sous [le ventre de] l’éléphant, et lui trancha les nerfs [des pieds]. L’animal tombant sur lui l’écrasa, car Pakas n’eut pas le temps de se sauver, de sorte que tous les deux périrent sur place. Quoique le général Pakas mourût dans ce combat, les troupes perses néanmoins furent massacrées sans qu’aucun homme pût échapper.

La même année, la même semaine, le même jour, car les trois combats eurent lieu dans la même journée, le roi Arschag arriva avec les troupes qui étaient sous son commandement. Il trouva l’ennemi campé dans le district de Pasèn, au lieu nommé Oskha (Okhsa ?). Le roi Arschag se jeta sur le camp des Perses pendant la nuit et passa tous les ennemis au fil de l’épée. Sapor seul, monté sur un cheval, s’enfuit avec peine, gagnant le territoire du pays des Perses.

Alors les messagers partis des trois détachements avec la nouvelle de la victoire se rencontrèrent. Excepté Pakas, qui seul tomba dans un des combats, tous étaient sains et saufs. Ce fut Dieu qui accorda cette victoire. Les Arméniens portèrent la dévastation dans le territoire de la Perse jusqu’à la contrée qu’on nomme Khardizan. Ils s’emparèrent d’immenses trésors, de grandes richesses, de beaucoup de butin, d’armes et d’ornements, en un mot ils s’enrichirent outre mesure.

CHAPITRE XXIII.

Méroujan Ardzrouni se révolte contre Arschag, roi des Arméniens; il passe chez le roi des Perses, Sapor, et commence à susciter la guerre; il renie Dieu et cause de grandes calamités au pays des Arméniens.

En ce temps-là, Méroujan Ardzrouni, un des grands satrapes, se révolta contre le roi des Arméniens, vint se présenter à Sapor, roi des Perses, et, prêtant serment entre ses mains, il lui jura fidélité comme son vassal pour toujours. Avant tout, il renia la [vraie] vie qu’il avait en Dieu, car, ayant abandonné la foi chrétienne, il renonça au nom de chrétien et embrassa la religion du mazdéisme,[112] c’est-à-dire celle des Mages; il se prosterna devant le Soleil et le Feu, en confessant que les [vrais] dieux sont ceux que le roi des Perses adore. Après quoi, il conclut le pacte suivant avec Sapor, roi des Perses. Si Sapor parvenait à triompher des Arméniens et à conquérir leur territoire, et si lui, Méroujan, venait à rentrer dans son pays et dans ses propres domaines, alors il serait le premier à construire dans sa propre maison un adrouschan,[113] c’est-à-dire une maison pour adorer le feu, il jura par la mort et la vie, promettant d’accomplir ce qu’il disait en paroles. Alors on organisa une armée plus nombreuse que la première, à la tête de laquelle on plaça le traître Méroujan, pour envahir le pays des Arméniens. Sous la conduite de Méroujan, les Perses incendièrent et dévastèrent l’Arménie tout entière; on foulait [les hommes] aux pieds des éléphants; on accrochait les femmes au timon des chariots, et on massacrait tous les habitants des provinces septentrionales de l’Arménie.

Le roi Arschag était encore dans les contrées inférieures du canton d’Ankegh, à Oudesd, quand les troupes perses détruisirent, saccagèrent et dévastèrent les régions méditerranéennes. Le général arménien, Vasag, se hâta aussitôt de réunir ses troupes; mais ce qu’il parvint à rassembler n’était qu’un corps d’élite de dix mille cavaliers armés de toutes pièces. Il voulait, à leur tête, atteindre les Perses. Aussitôt que les généraux de l’armée du roi des Perses apprirent que le général arménien, Vasag, était occupé à rassembler ses troupes, ils s’emparèrent du peu de gens qui restaient dans le pays et partirent en toute hâte pour la Perse, en les emmenant avec eux en captivité. Cependant Vasag le Mamigonien se mit à leur poursuite et les atteignit quand ils étaient encore sur le territoire de l’Adherbeidjan. Les troupes perses, abandonnant les captifs, s’enfuirent avec Méroujan. Après avoir délivré des prisonniers en grand nombre, les Arméniens retournèrent tranquillement auprès du roi Arschag.

CHAPITRE XXIV.

Méroujan engage le roi des Perses, Sapor, à continuer la guerre; il sert de guide à Sapor. Méroujan envahit l’Arménie; il s’empare des ossements des rois Arsacides. Le général Vasag, après avoir triomphé de l’ennemi, reprend c ossements.

Après cela, le traître Méroujan s’efforçait d’entretenir la haine violente du roi des Perses, Sapor, contre le roi Arschag. Sapor rassembla de nouvelles troupes, et envoya des émissaires pour épier les mouvements du roi Arschag. Tandis que ce dernier, à la tête de ses troupes, attendait l’arrivée des Perses sur le territoire d’Adherbeidjan, ceux-ci, sous la conduite de Méroujan, firent une incursion dans l’Arménie par un autre côté. Car le roi des Perses, Sapor, avec son armée innombrable, passant par Aghdsnik, par le grand Dzop, par Ankegh-doun, par le canton d’Andsid, par Dzop de Schahé, par le district de Mzour, par Taranagh et par Eghéghiatz, se répandit comme un torrent violent, en ravageant les territoires de ces cantons. On brûlait, on pillait, on passait au fil de l’épée une multitude d’hommes, on attachait aux timons des chariots des femmes et des enfants, on foulait les autres sous les herses, on jetait une immense quantité d’hommes aux pieds des éléphants et on emmenait en captivité un grand nombre de jeunes gens. Un nombre considérable de châteaux forts et de forteresses furent rasés. Après s’être emparés de la grande ville de Tigranocerte (Dikranaguerd), située dans le district d’Aghdsnik, gouvernée par le ptieschkh, les Perses la démantelèrent. Ayant emmené en captivité quarante mille familles, ils prirent le chemin du canton du grand Dzop: ils s’emparèrent de quelques-uns des châteaux, mais il en resta d’autres dont ils ne purent se rendre maîtres. Ils allèrent mettre le siège devant le château fort d’Ankegh, qui était dans le district d’Ankegh-doun, parce que là se trouvaient plusieurs tombeaux des rois arméniens de la race des Arsacides, et des trésors enfermés et accumulés par les anciens, depuis un temps immémorial. Mais, comme ce château était imprenable, ils ne parvinrent pas à s’en emparer, ils furent forcés de lever le siège et de s’en aller. C’est ainsi qu’ils durent renoncer à conquérir beaucoup d’autres châteaux forts dont ils ne purent s’emparer. Il n’y eut que l’inaccessible château d’Ani, situé dans le district de Taranagh, qui, par suite des intrigues du traître Méroujan, ouvrit ses portes aux Perses. Dès que ceux-ci eurent escaladé les murailles, ils s’empressèrent de les démanteler et d’en faire descendre les immenses trésors renfermés dans le château. En ouvrant les tombeaux des premiers rois arméniens, les vaillants Arsacides, ils enlevèrent leurs ossements et les emportèrent comme trophées. Un seul tombeau celui du roi Sanadroug, résista à leurs efforts, à cause de sa construction forte, solide, immense, et qu’on aurait cru fabriquée par des géants et avec un art parfait. Ayant quitté ce lieu, ils s’éloignèrent et ils ravagèrent tous les pays par où ils passaient. Ils se dirigèrent ensuite vers les contrées de Pasèn, pour attaquer par derrière les troupes du roi des Arméniens.

Sur ces entrefaites, arriva un messager vers le roi Arschag avec cette funeste nouvelle: « Tandis qu’assis dans l’Adherbeidjan, tu attends que l’ennemi t’attaque par devant, le voilà qui dévaste par derrière notre pays tout entier et il va bientôt t’attaquer toi-même. » A cette nouvelle, le roi des Arméniens Arschag et son général Vasag passèrent aussitôt en revue leurs troupes. A ce moment, le général Vasag n’avait à sa disposition que soixante mille hommes, braves guerriers, animés d’un même sentiment et d’une même volonté pour la guerre, prêts à combattre pour leurs femmes et pour leurs enfants, décidés à sacrifier leur vie pour leur patrie, pour leur église et ses serviteurs, pour la foi en Dieu, et pour leurs maîtres, les souverains arsacides. Il arriva même que beaucoup de gens enlevèrent de leurs sépultures les restes des rois qui étaient morts, et s’exilèrent volontairement avec ces saintes dépouilles.

Le sbarabed Vasag, laissant le roi Arschag avec ses serviteurs dans un lieu inaccessible du pays des Mèdes (Mar), se mit en marche, et, à la tête de ses soixante mille hommes, il arriva dans la province d’Ararat, centre de l’Arménie, où il trouva les troupes perses, nombreuses comme les grains de sable sur les bords de la mer, et campées aux environs de cette province. Vasag, avec sa troupe, attaqua brusquement pendant la nuit le camp du roi des Perses, passa au fil de l’épée presque toutes les troupes de l’ennemi, le roi excepté, qui seul, à cheval, s’échappa avec peine. Il poursuivit quelques fugitifs qui avaient échappé au massacre jusqu’aux frontières de leur pays, et s’empara d’un riche butin. Après ce grand carnage, les Arméniens délivrèrent les ossements de leurs rois des mains des Perses, qui les emportaient dans leur pays. Nous emportons, disaient-ils, d’après leur coutume païenne, les ossements des rois des Arméniens avec nous, pour que la gloire, la fortune et la valeur de ces rois passent avec leurs dépouilles dans notre pays. Vasag délivra aussi tous les captifs arméniens. Quant aux ossements des rois, il les fit ensevelir dans un village de la province d’Ararat, nommé Aghdskh, et situé dans un des plus tortueux et inaccessibles défilés de la grande montagne d’Arakadz. Après cela, Vasag commença à rétablir l’ordre dans le pays, et à réparer les ravages produits par l’ennemi et par l’incendie.

Le traître Méroujan, cette fois encore, échappa avec le roi des Perses par la fuite. Dès lors, le roi Arschag, de concert avec le général Vasag, prit grand soin de la défense de son pays, en surveillant les frontières de l’Arménie jusqu’au dernier jour de leur vie.

CHAPITRE XXV.

Le roi Arschag tente une invasion en Perse; il attaque le camp du roi Sapor à Thavresch, et le met en déroute.

Arschag, roi des Arméniens, ayant rassemblé auprès de lui des troupes nombreuses comme le sable, marcha contre la Perse. Vasag, qui avait convoqué comme auxiliaires les Huns et les Alains, alla rejoindre Arschag à la tête de son corps d’armée. En même temps, le roi des Perses, accompagné de toutes ses troupes, se porta de son côté contre les Arméniens, et se dirigea vers leur pays. Mais les Arméniens entrèrent en grande diligence dans l’Adherbeidjan, où ils trouvèrent le camp du roi des Perses, assis à Thavresch.

Le sbarabed Vasag, avec ses deux cent mille hommes, attaqua le camp des Perses. Le roi seul put s’échapper, monté sur un cheval. Tout le camp ennemi fut pris par les Arméniens qui y firent un immense butin. Ils massacrèrent la plus grande partie des troupes perses. Après quoi, ils portèrent la dévastation dans tout le pays d’Adherbeidjan, en le saccageant de fond en comble, et en emmenant en captivité des populations aussi nombreuses que les étoiles [du ciel]. Après avoir passé le reste des habitants au fil de l’épée, les Arméniens prirent grand soin de garder les frontières de leur pays avec la plus grande vigilance.

CHAPITRE XXVI.

Vïn le Perse, avec quatre cent mille hommes, essaye d’envahir l’Arménie; il est vaincu par les troupes arméniennes.

Après cela, Sapor, roi des Perses, envoya contre Arschag, roi des Arméniens, Vïn, à la tête de quatre cent mille hommes; Aussitôt arrivé dans le pays, ce dernier lança ses troupes sur toute la surface du territoire de l’Arménie. Le roi Arschag, averti de cette invasion, alla attaquer l’armée perse, dont il détruisit la plus grande partie, en chassant devant lui le reste des fugitifs jusqu’aux frontières de la Perse. Revenant sur leurs pas, les Arméniens occupèrent le lieu du combat.

CHAPITRE XXVII.

Le général perse, Antigan, s’avance arec une armée de quatre cent mille hommes, pour dévaster l’Arménie; le sbarabed arménien, Vasag, va à sa rencontre, à la tête de cent vingt mille hommes, et le défait, ainsi que son armée.

Après cela, le roi des Perses, ayant réuni une armée d’élite et de bons guerriers au nombre de quatre cent mille hommes, l’expédia sous le commandement du général Antigan contre le roi des Arméniens, pour s’emparer de son royaume et le livrer à la dévastation et é l’incendie. Antigan arriva et fit irruption en Arménie. Le sbarabed arménien, Vasag le Mamigonien, alla à sa rencontre avec cent vingt mille hommes. Il défit Antigan, battit son armée de sorte que personne n’échappa, et, après avoir pris tous les bagages de l’ennemi, il s’établit sur le champ de bataille.

CHAPITRE XXVIII.

Hazaravoukhd, un des satrapes perses, est envoyé par le roi Sapor à la tête de huit cent mille hommes pour envahir l’Arménie. Vasag, avec cent dix mille hommes, va à sa rencontre, et le défait lui et son armée, sur le territoire d’Aghdsnik.

Hazaravoukhd, un des généraux perses, fut envoyé avec la mission d’incendier, de ravager et de ruiner le pays des Arméniens de fond en comble. Se dirigeant vers le district d’Aghdsnik, il se préparait à répandre ses troupes dans l’Arménie entière et dans tout son territoire. Mais Vasag, s’étant porté à sa rencontre, le défit entièrement et chassa devant lui Le reste des fugitifs qui s’enfuirent en Perse. Hazaravoukhd fut tué pendant le combat.

CHAPITRE XXIX.

Témavount Vécémagan, avec une armée de neuf cent mille hommes est envoyé par Sapor, roi des Perses, contre Arschag, roi des Arméniens: le général arménien Vasag le bat avec toute son armée.

Ensuite, arriva en Arménie Témavount Vécémagan, de la race de Kavous (Gavosagan), envoyé par Sapor, roi des Perses, avec une armée de neuf cent mille hommes pour livrer bataille aux Arméniens. Les troupes arméniennes se préparèrent à l’attaque, ayant à leur tête le général Vasag, et se portèrent à la rencontre de l’ennemi pour lui offrir le combat. L’armée perse fut vaincue et tourna le dos. Le carnage que fit Vasag dans les rangs des Perses fut immense; il n’épargna personne. Il tua Vécémagan qui se tenait au milieu de son armée. Quant à ceux qui échappèrent au massacre, les Arméniens les poursuivirent loin de leurs frontières.

CHAPITRE XXX.

Vahridch, à la tête d’une armée de quatre millions d’hommes (?), fond sur le roi Arschag. Il est défait avec toute son armée par le général arménien Vasag.

Ensuite on vit arriver Vahridch, [fils] de Vahridch, avec une armée de quatre millions (?) de Perses, envoyée par le roi Sapor en Arménie pour ravager ce pays et le détruire entièrement. Les Perses atteignirent un lieu nommé Makhasian. Le général Vasag les rencontra avec quarante mille hommes, les battit, fit un massacre des plut sanglants et n’épargna personne. Dans ce combat, Vahridch fut tué. Après cela, les troupes arméniennes surveillèrent les frontières de leur pays.

CHAPITRE XXXI.

Koumant Sapor se vante en présence de Saper, roi des Perses, [de conquérir l’Arménie]. Il marche à la tête de neuf cent mille hommes; il est défait et chassé honteusement du pays des Arméniens.

Après cela, Koumant Sapor, se vantant [de sa valeur] en présence du roi Sapor, fut envoyé par ce dernier [en Arménie], avec neuf cent mille hommes, et, ayant pris pour guide le traître Méroujan, de la famille des Ardzrouni, Arménien d’origine, il pénétra en Arménie, dont les frontières étaient généralement mal défendues. Les Perses se répandirent sur toute l’étendue de l’Arménie, où ils ramassèrent du butin et ravagèrent le pays tout entier. Le général arménien Vasag, ayant préparé [les siens], marcha contre eux; il atteignit le détachement du roi et fondit sur lui. Koumant Sapor fut le premier que tua Vasag; après quoi les Arméniens, se répandant dans la plaine, massacrèrent les Perses jusqu’au dernier. Méroujan le traître parvint seul à s’enfuir, monté sur un cheval, et se sauva en Perse.

CHAPITRE XXXII.

Téhgan, chef de race, envoyé avec de nombreuses troupes par Sapor, roi des Perses, contre Arschag, roi des Arméniens, est défait par Vasag, général des Arméniens.

Après cela, Sapor, roi des Perses, rassembla ses troupes; il réunit une armée aussi nombreuse que les sables de la mer, armée de piques, au nombre de quatre millions (?) d’hommes. Téhgan, chef de race, qui était parent des généraux arméniens, c’est-à-dire des Mamigoniens, fut envoyé par Sapor en Arménie. Il trouva que les Arméniens veillaient attentivement et qu’ils étaient prêts à livrer combat. Le général Vasag, à la tête de soixante-dix mille combattants, rencontra les Perses, les battit et les obligea à prendre la fuite devant lui. Téhgan, chef de race, parent de Vasag, fut tué par ce dernier. Méroujan Ardzrouni, qui lui servait de guide, échappa seul par la fuite.

CHAPITRE XXXIII.

Sourên Pahlav, avec une nombreuse année, est défait comme ses prédécesseurs.

Cependant Sapor, roi des Perses, rassembla de nouveau des troupes, organisa et forma plusieurs légions de braves combattants avec un nombre considérable d’éléphants, qu’il confia à Sourên Pahlav, parent d’Arschag, roi des Arméniens, sous la conduite de Méroujan; et il les envoya combattre les Arméniens. Le général arménien Vasag le rencontra avec trente mille hommes, fit un carnage horrible des troupes perses, et attaquant face à face Sourên, il le tua. Toutefois Méroujan parvint [encore] à prendre la fuite.

CHAPITRE XXXIV.

Abagan Vécémagan prend parti dans cette guerre; il n’est pas plus heureux que ses prédécesseurs.

Après Sourên, Vécémagan parut à la tête d’une immense armée guidée par Méroujan. Il était envoyé par Sapor, roi des Perses, en Arménie, pour conduire la guerre. Le sbarabed arménien Vasag fut chargé de se porter à sa rencontre. Il attaqua Abagan Vécémagan et ses troupes, les défit complètement, et personne ne put échapper. Méroujan le traître put seul s’enfuir.

CHAPITRE XXXV.

Zig, chef des secrétaires de Sapor, roi des Perses, envoyé par ce dernier avec une armée nombreuse en Arménie, périt comme ses prédécesseurs.

Après cela, Sapor, roi des Perses, envoya Zig,[114] son premier secrétaire, pour faire la guerre aux Arméniens; il lui donna pour guide Méroujan. Son armée se composait de cohortes et de légions aussi nombreuses que le sable de la suer. Ayant pénétré en Arménie, Je général arménien, Vasag, rencontra l’ennemi et lui livra le combat; après avoir tué Zig, il massacra une partie de ses troupes, l’autre fut obligée de prendre la fuite. Cette fois encore, on ne parvint pas à s’emparer de Méroujan.

CHAPITRE XXXVI.

Sourên le Perse veut continuer la guerre après Zig; il tombe aux mains de Vasag et périt avec ses troupes.

Après la mort de Zig, Sourên le Perse fut envoyé [en Arménie] par Sapor, roi des Perses. Il vint à la tête de six cent mille combattants pour présenter le combat au roi des Arméniens, Arschag; il avait encore Méroujan pour guide. Alors Vasag, sbarabed arménien, réunit toutes les troupes satrapales, et, pendant la nuit, il s’introduisit à pied dans le camp ennemi, l’épée à la main, avec dix mille combattants d’élite. On y fit un horrible carnage; Sourên le Perse fut pris et amené en présence du roi Arschag, qui donna ordre de l’assommer à coups de pierres. Quant à Méroujan, il put encore s’échapper par la fuite.

CHAPITRE XXXVII.

Herevschoghoum, envoyé par le roi des Perses, avec neuf cent mille hommes, en Arménie, donne aux Arméniens une nouvelle occasion de triompher de leurs ennemis.

Herevschoghoum alla à son tour porter la guerre en Arménie. Lui aussi était parent du roi des Arméniens. Vasag, après avoir préparé et arasé toutes ses légions, s’avança à la rencontre des Perses, les contraignit à prendre la fuite, en les chassant devant lui. Herevschoghoum et Méroujan prirent la fuite.

CHAPITRE XXXVIII.

Alanaozan (Aghanaïozan), à la tête de quatre millions(?) d’hommes, marche sur l’ordre du roi des Pers es pour combattre le roi des Arméniens; il est vaincu par Vasag.

Aghanaïozan, de la race de Pahlav et de la famille des Arsacides,[115] se fit fort en présence de Sapor, roi des Perses, d’envahir le territoire de l’Arménie. Arschag, roi des Arméniens, prévenu à temps de son invasion, confia ses troupes au sbarabed arménien, Vasag. Le roi plaça tous les satrapes arméniens sous le commandement de ce dernier et les envoya à la rencontre de l’armée perse. Vasag vainquit et repoussa ce qui restait d’ennemis dans le pays des Perses. Puis, revenant sur ses pas, il organisa la défense des frontières de l’Arménie.

CHAPITRE XXXIX.

Le grand satrape Poïégan, arec ses quatre cent mille hommes, est exterminé par le sbarabed arménien. Vasag.

Après cela, Poïégan, grand satrape perse, entra avec quatre cent mille hommes dans l’Adherbeidjan, afin d’envahir l’Arménie. Vasag, lui barrant le chemin avec son armée, battit les troupes perses et tua Poïégan à Thavresch. Il mit le feu au palais du roi des Perses, et, ayant trouvé le portrait de ce prince, il en fit une cible et lui décocha des flèches. Méroujan, qui était venu avec les Perses, parvint seul à s’enfuir.

CHAPITRE XL.

Vatchagan, à la tête d’une armée de cent quatre-vingt mille hommes, marche à la conquête de l’Arménie; il est mis en fuite avec ses troupes par le sbarabed Vasag.

Vatchagan, un des satrapes perses, fit irruption en Arménie à la tête d’une armée de cent quatre. vingt mille combattants. Le général arménien, Vasag, laissant le roi Arschag dans le château fort de Tarioun, se mit en marche avec toutes les troupes arméniennes, et fondit sur le camp de Vatchagan. Il tua Vatchagan et fit un immense massacre dans le camp ennemi. Méroujan seul, qui était venu comme guide, se sauva avec un petit nombre de combattants.

CHAPITRE XLI.

Meschgan fait une invasion en Arménie avec trois cent cinquante mille hommes. Il est vaincu par Vasag et par les troupes arméniennes.

Un satrape perse, nommé Meschgan, se suit en route pour présenter le combat au roi Arschag. Le général Vasag dirigea ses troupes contre lui. De deux côtés on s’attaqua avec une grande impétuosité. L’armée arménienne triompha des troupes perses et en fit un tel carnage que personne ne put s’échapper. Meschgan lui-même fut tué, mais Méroujan parvint à s’enfuir.

CHAPITRE XLII.

Maroudjan, à la tête de six cent mille hommes, venus contre te roi Arschag, sont battus et exterminés par le sbarabed Vasag.

Un grand satrape, appelé Maroudjan, vint livrer combat aux Arméniens. Il pénétra dans le centre de l’Arménie, à la tête d’une armée de six cent mille combattants. Ce satrape avait pris pour guide Méroujan Ardzrouni. Vasag, avec les troupes arméniennes, rencontra l’armée perse, la défit et tua Maroudjan. Méroujan s’échappa seul.

CHAPITRE XLIII.

Le chef des Zïntag, à la tête d’une armée de neuf cent mille hommes, fond sur le roi d’Arménie; est défait avec ses troupes par le général Vasag.

Un certain chef des Zïntag se chargea du commandement des troupes du roi des Perses, et envalait le territoire d’Adherbeidjan. Le général arménien, Vasag, se hâta d’aller à sa rencontre. Pendant la nuit, il fondit sur le camp des Perses, passa ces derniers au fil de l’épée et tua le chef des Zïntag au milieu du camp. Le traître Méroujan parvint encore à s’enfuir.

CHAPITRE XLIV.

Le prince royal Bab, possédé par les dev, commet des abominations.

Bab, fils d’Arschag, avait pour mère Pharandzêm, originaire de Siounie et veuve de Knel, tué par le roi Arschag, qui prit pour épouse la femme de sa victime. C’est de cette Pharandzêm qu’il eut un fils nommé Bab. Aussitôt après la naissance de l’enfant, son père, qui était un impie et ne craignait pas Dieu, le voua aux dev.[116] A la suite de cela, l’enfant fut possédé par les dev, qui le dirigèrent d’après leur volonté. Quand il devint grand, il se livra au péché, à l’adultère, à la sodomie et à toutes sortes d’abominations; c’était en outre un homme très efféminé.

Sa mère, avertie de ces abominations et ne pouvant plus supporter cette mauvaise renommée, dit au chambellan de son fils de l’appeler dans la chambre de Bab, quand celui-ci ferait entrer chez lui ceux avec qui il était en liaison coupable. Le jeune homme était déjà dans son lit et avait fait mander ses compagnons de débauche, quand il vit entrer brusquement sa mère qui se plaça devant lui. Le jeune prince se mit alors à gémir et à se lamenter, en disant à sa mère: « Lève-toi, et va-t-en, je ne puis plus supporter ta présence et je mourrai si tu restes dans cette chambre. »

Sa mère lui répondit: « Non, je ne quitterai pas cette chambre »; mais lui continua à se plaindre et à gémir encore plus fort. C’est alors que Pharandzêm vit de ses propres jeux des serpents blancs qui s’enroulaient autour des pieds du lit et se tordaient sur le jeune Bab pendant qu’il restait couché. [Cependant le prince] ne cessait de gémir et d’appeler ses jeunes compagnons de débauche. Alors Pharandzêm se rappela ce qui s’était passé, lors de la naissance de son fils, quand son père le voua aux dev. Elle comprit que c’étaient bien eux, qui sous la figure des serpents se tordaient sur [le corps de] son fils. Fondant alors en larmes, elle dit « Malheur à moi, ô limon fils! tu es sous la puissance des dev, et je n’en savais rien. » Après avoir prononcé ces mots, elle se leva et s’en alla, laissant son fils assouvir sa passion. C’est ainsi que, possédé par les dev, Bab, fils d’Arschag, ne discontinuait pas de commettre des abominations tous les jours de sa vie jusqu’à son avènement au trône, et depuis jusqu’à sa mort.[117]

CHAPITRE XLV.

Saguesdan, grand-maître de la garde-robe du roi Sapor, est envoyé par ce dernier en Arménie; il est mis en fuite par le général arménien, Vasag.

Après cela, le roi des Perses, Sapor, rassembla ses troupes, au nombre de quatre cent mille hommes, et les ayant placées sous le commandement du grand-maître de la garde-robe, Saguesdan, il les envoya en Arménie. Dès qu’elles furent arrivées dans ce pays, ces troupes se répandirent dans tout le royaume d’Arménie. Alors les principaux satrapes arméniens se réunirent à un rendez-vous donné, où ils décidèrent que le roi Arschag ne devait point prendre part personnellement au combat qui allait se livrer. Après cela, le général arménien Vasag, de concert avec tous les grands et les principaux satrapes de la Grande Arménie, fit essuyer aux troupes perses une défaite complète. Il tua Saguesdan, grand-maître de la garde-robe. Méroujan Ardzrouni seul s’échappa par la fuite.

CHAPITRE XLVI.

Schabesdan, grand-maître de la cour, venu avec une armée de cinq millions (?) d’hommes en Arménie, est entièrement défait par les troupes arméniennes.

Schabesdan, grand-maître de la cour, qui était venu à la tête d’une armée de cinq millions (?) d’hommes, se préparait à pénétrer dans l’intérieur de l’Arménie. Cependant le général arménien, Vasag, après avoir rassemblé les légions arméniennes, se mit à leur tête et se porta à la rencontre des Perses, qu’il massacra tous, y compris Schabesdan, grand-maître de la cour de Perse. Méroujan fut le seul qui se sauva par la fuite.

CHAPITRE XLVII.

Le grand-maître de la garde-robe des Mages, avec cent quatre-vingt mille hommes, livre bataille au roi des Arméniens; il est défait comme ses prédécesseurs.

Après cela, le grand-maître de la garde-robe des Mages, avec cent quatre-vingt mille combattants, vint livrer bataille au roi des Arméniens, Arschag. En un lieu [désigné], se réunirent les troupes arméniennes et le sbarabed Vasag qui avait été jadis le nourricier du roi Arschag. Quoiqu’ils eussent mis beaucoup de diligence dans leur marche, ils ne purent cependant parvenir que jusqu’à Maghkhazan. Ce fut dans cet endroit que les deux armées se heurtèrent; les Perses furent vaincus et prirent la fuite devant Vasag et les troupes arméniennes. Le grand-maître de la garde-robe des Mages fut tué, et l’armée entière qu’il commandait fut massacrée. Méroujan seul, monté sur un coursier fougueux, put échapper au massacre.

CHAPITRE XLVIII.

L’intendant général des vivres, avec neuf cent mille hommes, arrive pour combattre les troupes du roi des Arméniens; il est défait par eux et le général Vasag, à Saghamas.

L’intendant général des vivres du roi des Perses vint à la tête d’une armée de neuf cent mille hommes à Saghamas, dans le canton de Gordjekh. Ayant assis son camp dans un lieu inaccessible, il se préparait à livrer combat à Arschag, roi des Arméniens. Alors arriva le général arménien, Vasag, avec dix mille combattants d’élite, et il se mit en embuscade aux environs du camp. La nuit venue, il fondit sur le camp [ennemi] et fit passer tout le monde au fil de l’épée, de sorte que personne ne put s’enfuir. Méroujan qui, à ce moment, était loin de l’armée, s’enfuit seul.

CHAPITRE XLIX.

Mérigan, avec quatre cent mille hommes, présente le combat au roi des Arméniens; il est défait par Vasag et par les troupes arméniennes.

Enfin un certain Mérigan arriva en Arménie à la tête d’une nouvelle armée perse. Il vint avec quatre cent mille hommes pour livrer combat à Arschag, roi des Arméniens. De leur côté, les troupes arméniennes, ayant à leur tête le général Vasag, fondirent sur l’ennemi comme des lions furieux, massacrèrent les Perses, et tuèrent Mérigan. Cette fois encore Méroujan put s’échapper par la fuite.

CHAPITRE L.

Désorganisation du royaume d’Arménie. Plusieurs satrapes arméniens se révoltent et passent du côté de Sapor, roi des Perses; affaiblissement du royaume d’Arménie.

Pendant trente-quatre ans, l’Arménie soutint la guerre contre le roi des Perses; des deux côtés on se sentait fatigué, harassé et épuisé. C’est alors qu’on vit les grands quitter un à un le camp du roi des Arméniens et se disperser, en abandonnant leur maître Arschag. Ce furent les principaux satrapes qui donnèrent l’exemple de cette désertion en premier lieu le ptieschkh d’Aghdsnik, le ptieschkh de Norschiragan, ceux de Mahguerdoun, de Nihoragan et de Tassendré, de concert avec tous les satrapes d’Aghdsnik, avec le corps des troupes et toute la population de cette province. Ils abandonnèrent le roi Arschag, et vinrent se présenter à Sapor, roi des Perses. Ils se hâtèrent de se retrancher dans [leurs domaines] du côté de l’Arménie, de l’antre côté de la muraille, nommé Dzoraï, et y pratiquèrent des portes. De cette manière, ils séparèrent entièrement leur pays de l’Arménie.

En second lieu, c’était le ptieschkh de Koutar (Koutor), puis le seigneur du canton de Dzoraï, le seigneur du district de Goghp et avec eu celui de Kartmanadzor, [enfin] tous ceux dont les domaines se trouvaient de leur côté ou confinaient aux domaines des premiers, ou bien étaient situés dans leurs alentours; tous abandonnèrent Arschag, roi des Arméniens, et allèrent se présenter au roi des Perses, Sapor. La province d’Artsakh, le district des Demori, le pays de Gortik, tous célèbres par leur position inattaquable, se révoltèrent contre Arschag. Ensuite le seigneur du canton de Gortik alla se présenter au roi des Perses.

Après cela, le pays de Mar, qui est au delà de l’Adherbeidjan, se révolta contre le roi d’Arménie et se rendit indépendant. Il refusa de reconnaître son autorité, et son exemple fut suivi par le pays de Gasp. Saghamoud, seigneur d’Andsit, de concert avec le prince du grand Tzop, abandonnèrent aussi Arschag, et allèrent trouver l’empereur grec. [A la suite de tous ces événements], les régions méditerranéennes [de l’Arménie] commencèrent à concevoir de la défiance pour leur roi et à se détacher de son obéissance, en refusant de prendre part à aucune de ses entreprises. C’est ainsi que le pouvoir royal s’affaiblit considérablement.

Vahan, frère du sbarabed Vasag, de la maison des Mamigoniens, séduit par son neveu (fils de sa sœur) Méroujan Ardzrouni, se révolta aussi contre Arschag, roi des Arméniens, et se rendit auprès du roi des Perses, Sapor. Pour gagner entièrement les bonnes grâces de ce dernier, Vahan renia la [vraie] vie en Jésus-Christ et consentit à confesser la religion des Mages, c’est-à-dire à adorer le Feu, L’Eau, et le Soleil, et à renier la foi chrétienne, dans laquelle il était né. Il entra dans les bonnes grâces du roi des Perses, l’excita par ses calomnies contre le roi des Arméniens, Arschag, et contre Vasag, chef de sa propre famille, en lui rappelant la mort de Vartan, « qui, ajoutait-il, est mort à cause de toi. »

Vahan devint alors le favori de Sapor, qui lui donna pour femme sa propre sœur Ormizdtoukhd; dès lors la plus grande intimité régna entre Vahan et Sapor qui lui accorda le coussin[118] et les honneurs dont jouissaient ses ancêtres. Il investit Vahan de grands honneurs, en présence de son armée, en lui promettant beaucoup de biens. A partir de ce moment, le nombre des Arméniens commença à diminuer.[119]

CHAPITRE LI.

Les satrapes restés en Arménie viennent se réunir chez le catholicos arménien Nersès, pour porter plainte contre leur roi Arschag, qu’ils abandonnent.

Alors tous les hommes du royaume d’Arménie, s’étant rassemblés, se rendirent chez le grand pontife arménien Nersès; c’étaient de grands satrapes, des chefs et des gouverneurs de provinces, des seigneurs de cantons, des intendants et des chefs de villages qui se présentèrent devant Nersès et lui dirent: « Seigneur, tu sais toi-même qu’il y a déjà trente ans, que grâce à notre roi Arschag, nous n’avons pas eu une année de repos; nous n’avons pu essuyer la sueur de notre front que par le tranchant de l’épée, et par la pointe de la lance. Nous sommes découragés, nous ne pouvons plus combattre, nous aimerions mieux faire ce qu’ont fait nos compagnons, c’est-à-dire aller chez le roi des Perses et lui rendre hommage: il ne nous reste que cela à faire, car nous sommes las de guerroyer. Si le roi Arschag a besoin de continuer la guerre avec Sapor, il n’a qu’à demander l’assistance de Vasag et de son beau-père Antov; quant aux gens de l’Arménie, dorénavant personne n’ira lui porter secours. Combattre le roi perse, ou ne pas le combattre, ne dépend que du bon plaisir d’Arschag: nous lui laissons le champ libre, cela ne nous regarde plus. »

Saint Nersès leur répondit comme on devait bien s’y attendre, et leur adressa les paroles suivantes: « Réfléchissez, pensez bien et souvenez-vous du commandement que Notre-Seigneur nous a prescrit par rapport aux serviteurs, c’est-à-dire d’obéir à ceux qui sont nos maîtres. Vous tous, qui êtes présents ici, vous pouvez rendre témoignage que vous êtes redevables de beaucoup aux rois arsacides. C’est d’eux que quelques-uns de vous ont reçu en apanage des cantons entiers, d’autres ont été nommés chefs de contrées; à ceux-ci, des villages et des bourgs considérables ont été accordés, û ceux-là, on a donné des trésors et des terres. Quoique cette abominable race des Arsacides soit coupable devant le Dieu Créateur, néanmoins elle a été tout pour vous: elle vous a tous protégés, elle vous a tirés de la boue, elle vous a tous relevés, les uns par des honneurs, les autres par le pouvoir, les troisièmes par de hautes charges. Oui, le roi Arschag est coupable devant Dieu, il est redevable d’intérêts à son Créateur, c’est-à-dire que la vengeance doit retomber sur lui; mais Dieu, par sa grande et immense miséricorde, l’a épargné, ainsi que vous, à cause de lui. Néanmoins vous voilà prêts à vous précipiter dans la servitude des idolâtres, à vous priver de la [vraie] vie en Dieu et à renier vos propres maîtres qui vous ont été donnés par Dieu même; [vous êtes prêts] à aller servir des maîtres étrangers et à rechercher leur religion sans Dieu. Est-ce que vous préféreriez par exemple aimer et accepter ces derniers et rejeter votre roi qui adore le Créateur? Supposons qu’Arschag soit le plus méchant des hommes, cependant il est adorateur de Dieu j’admets qu’il soit pécheur, mais il est votre roi! Vous venez de me dire que, pendant des années entières, vous avez fait la guerre pour sauver vos personnes, vos âmes, votre pays, vos femmes, vos enfants, et ce qui est le plus grave encore, vos églises, les serviteurs de la foi que nous avons en Notre-Seigneur Jésus-Christ, et que Dieu vous a toujours accordé la victoire. Au lieu du Christ votre Seigneur, vous voulez servir le magisme et ses adorateurs; vous voulez abandonner notre Créateur et ses préceptes qui vous prescrivent de rester fidèles aux maîtres, selon la loi imposée par lui. Peut-être [à la suite de tout cela], votre Seigneur Dieu, dans sa colère, va vous détruire entièrement, vous livrer à jamais à la triste servitude des idolâtres, de sorte que ce joug pèsera à jamais sur nous. Alors vous implorerez Dieu, mais il ne vous écoutera point, car c’est de bon gré que vous serez allés en servitude chez des maîtres idolâtres et cruels, chez des hommes ignorants et sans Dieu. Une immense quantité de maux vous attend et vous ne serez pas en état de vous en débarrasser. »

Alors toute l’assemblée, réunie dans un même lieu, commença à des clameurs et à vociférer, en disant: « Eh bien, allons-nous-en, rentrons chacun dans nos foyers, car nous ne sommes pas disposés à entendre de semblables paroles. » Et ils se retirèrent tous dans leurs maisons.

CHAPITRE LII.

Le roi Sapor fait en ce moment cesser la guerre avec Arschag, roi des Arminiens, et l’engage arec des promesses à conclure la paix.

Cependant le roi des Perses, Sapor, invita Arschag à venir le trouver pour conclure la paix avec lui et cimenter une amitié solide, en lui adressant des prières et des lettres accompagnées de présents. Quoiqu’Arschag fût disposé à continuer la guerre, les troupes arméniennes refusèrent formellement de lui obéir. C’est alors [seulement] que de bon gré ou de force, il se vit contraint d’écrire une lettre de soumission au roi des Perses, Sapor, comme il convenait à un vassal de le faire vis-à-vis de son maure, et de lui envoyer des présents [comme gage] de réconciliation.

CHAPITRE LIII.

Le roi Sapor fait de nouvelles propositions à Arschag, roi des Arméniens; ce dernier se rend à son appel et meurt.

Après cela, Sapor, roi des Perses, envoya une seconde députation vers le roi des Arméniens, Arschag. Elle était chargée de lui dire: « Si moi et toi, nous sommes en paix, il faut que nous nous voyions, et que dès ce moment nous vivions comme un père et un fils. Cependant si tu persistes à ne pas venir me voir, c’est pour moi la preuve que tu cherches à entretenir la guerre entre nous. » Alors, Arschag demanda à Sapor un serment solennel pour qu’il puisse se rendre auprès de lui sans appréhension. Ce dernier fit apporter du sel et, d’après l’usage établi en Perse pour assurer l’inviolabilité du serment, le fit cacheter avec une bague sur le chaton de laquelle] était la figure d’un sanglier,[120] et il l’envoya à Arschag, avec une lettre ainsi conçue: Au cas où Arschag se refusera après un tel serment de venir me trouver, qu’il se prépare à recommencer la guerre.[121]

Les gens du pays des Arméniens, ayant appris et entendu [ces nouvelles], ne donnèrent pas de répit à Arschag; ils le pressaient par tous les moyens d’aller se présenter devant le roi des Perses, Sapor. Alors Arschag, roi des Arméniens, accompagné du sbarabed arménien son nourricier, se mit en route non sans regret et quitta le pays des Arméniens pour se rendre en Perse, auprès du roi Sapor. Aussitôt arrivés, tous les deux, c’est-à-dire le roi Arschag et le sbarabed Vasag, furent reçus par le détachement de la garde qui se composait de nobles, et, bien qu’ils fussent surveillés, ils jouissaient toutefois de leur liberté. Cependant, le roi Sapor ayant fait venir le roi Arschag en sa présence, le reçut avec dureté comme un vassal. Le roi des Arméniens s’avoua coupable et criminel envers lui, et il fut de nouveau remis à la garde du détachement qui l’avait accompagné, pour y être surveillé.

CHAPITRE LIV.

Sapor, ayant interrogé les Mages et les Chaldéens, cherche à sonder Arschag. Il le fait jeter dans le château de l’Oubli (Aniousch) et fait endurer une mort cruelle au sbarabed arménien Vasag.

Alors Sapor, roi des Perses, appela les mages, les astrologues et les Chaldéens, et leur adressa la parole en ces termes: « Plus d’une fois j’étais prêt à cimenter l’amitié la plus solide avec Arschag, roi des Arméniens; mais lui m’a toujours méprisé. J’avais conclu avec Arschag un pacte d’alliance, et quoiqu’il m’eût juré sa foi, selon la loi chrétienne, sur ce qu’on appelle l’Evangile, il fut cependant le premier à trahir son serment. J’étais prêt à avoir mille bontés pour lui, comme un père aurait été capable de le faire pour son fils; mais il m’a payé le bien avec le mal. Supposant que ce furent les prêtres de l’église de la ville de Ctésiphon (Dispon), qui lui avaient frauduleusement fait prêter un serment pour qu’il le reniât plus tard, j’ai fait venir ces prêtres, afin de les châtier comme des criminels; mais Mâri, le principal d’entre eux, me dit: Nous avons fait prêter serment à Arschag avec la plus grande sincérité; s’il n’a pas été loyal, ce même Evangile le reniera à vos pieds. Toutefois je n’ai prêté aucune attention à ce que lui et ses compagnons disaient. J’ai donné ordre de les égorger, au nombre de soixante-dix individus qu’ils étaient, dans une même fosse, et de passer leurs coreligionnaires au fil de l’épée. Quant à l’Evangile, sur lequel le roi Arschag a prêté serment et qui renferme l’essence de la doctrine chrétienne, je l’ai fait attacher avec des chaînes et déposer avec mes trésors. Les paroles du prêtre Mâri sont gravées dans ma mémoire je me rappelle bien ce qu’il disait: « Ne nous tuez pas, car je sais bien que l’Evangile amènera le roi Arschag à vos pieds. » Voilà déjà bien des prédictions de ce prêtre accomplies. Il y a déjà trente ans que nous autres Arik soutenons la guerre contre le roi Arschag, et nous ne sommes pas parvenus à remporter une seule victoire sur lui; aujourd’hui il arrive ici de sa propre volonté et sur ses propres jambes. Si j’étais sûr que dorénavant il restera fidèle et soumis au pacte [d’alliance], je le renverrais avec beaucoup d’honneurs dans son pays. »

A cela les Chaldéens répondirent à Sapor: « Accorde-nous le jour présent [pour réfléchir], et demain matin nous te donnerons notre réponse. » Le lendemain, tous les Chaldéens et les astrologues vinrent ensemble et dirent au roi: « Maintenant que le roi des Arméniens, Arschag, est venu chez toi, comment parle-t-il, quel ton prend-il avec toi, et comment se comporte-t-il? » Le roi dit: « Il se tient sur le même rang que mes vassaux, il cherche à ressembler à la poussière de mes pieds. Ils reprirent « Fais ce que nous allons te dire; garde-le encore ici, et [en même temps] dépêche des envoyés en Arménie, pour qu’ils apportent de là, à peu près deux mesures de terre arménienne avec une cruche d’eau. Alors tu ordonneras de couvrir la moitié du sol de ta tente avec de la terre rapportée de L’Arménie, après quoi tu prendras le roi des Arméniens, Arschag, par la main, et, d’abord tu le mèneras à l’endroit où est ta propre terre, en lui adressant quelques paroles. Puis tu le prendras de nouveau par la main, tu le conduiras dans la partie de la tente couverte de terre arménienne, et tu feras une grande attention à ce qu’il te dira. C’est alors que tu sauras si Arschag, après avoir été renvoyé par toi en Arménie, sera fidèle à l’alliance et au pacte. Mais si, sur la terre arménienne, il commence à parler avec arrogance, sache que le jour même où il touchera la terre d’Arménie, il reprendra avec toi le ton hautain d’autrefois, il renouvellera la même guerre avec toi, en entretenant ses anciennes inimitiés. »

Ayant entendu cette communication des Chaldéens, le roi des Perses envoya en Arménie, des exprès avec des chameaux d’Arabie, pour y chercher de la terre et de l’eau qui devaient servir à la divination. Peu de jours après, ils revinrent, en apportant avec eux ce qu’on leur avait ordonné de chercher. Alors le roi des Perses, Sapor, commanda de recouvrir la moitié du sol de sa tente avec de la terre apportée de l’Arménie et de l’asperger avec de l’eau provenant de ce pays, en laissant intacte l’autre moitié du sol. Il ordonna qu’Arschag, roi des Arméniens, fût amené en sa présence et que tout le monde se retirât. Sapor, prenant Arschag par la main, se mit à marcher avec lui dans sa tente de long en large. Arrivé sur la terre perse, il dit: « O Arschag, roi des Arméniens, pourquoi es-tu devenu mon ennemi? ne t’ai-je pas aimé comme un fils? ne t’avais-je pas promis ma fille pour épouse, afin de t’avoir pour fils ? Néanmoins, tu t’es révolté contre moi, de ta propre volonté; tu t’es posé en ennemi vis-à-vis de moi, et voilà déjà trente années que tu soutiens la guerre contre moi. »

Le roi Arschag répondit: « Oui! je suis fautif et coupable envers toi. Venu à ton secours, j’ai taillé en pièces tes ennemis et je les ai vaincus, espérant obtenir de toi une grande récompense; mais, séduit par [les paroles trompeuses de] mes ennemis, qui me conseillaient de me défier de toi, je me crus dans l’obligation de m’enfuir. Maintenant le serment que je t’ai prêté m’amène auprès de toi, et me voici en ta présence; comme ton vassal, je me livre entre tes mains. Fais de moi ce que tu voudras, et agis comme tu le trouveras bon. Tue-moi, car moi, ton vassal, je suis très coupable, et je me reconnais criminel envers toi. »

Mais le roi Sapor, le prenant par la main, marcha de nouveau et, faisant semblant de justifier Arschag, il se dirigea vers l’endroit recouvert de terre arménienne. A peine Arschag avait-il atteint cet endroit, à peine avait-il touché la terre Arménienne, qu’il commença à parler avec orgueil, et changea de ton avec arrogance, en disant: « Eloigne-toi de moi, vassal scélérat, toi qui domines tes maîtres d’autrefois; je me vengerai de toi et de tes enfants, [je tirerai vengeance de l’opprobre] de mes ancêtres et de la mort du roi Artaban (Ardevan). Car vous autres vassaux, vous voilà occupant le coussin de vos maures; mais je n’abandonnerai pas [mon dessein] tant que je n’aurai point repris la place [que vous occupez]. ».

Sapor le prit de nouveau par la main, et le conduisit encore sur la terre perse. Arschag, se repentant de ses paroles, s’inclina [devant le roi des Perses], embrassa ses genoux et regretta beaucoup d’avoir parlé de la sorte. Sapor le ramena sur la terre arménienne, et Arschag se mit à parler encore avec plus de véhémence que la première fois. Le roi des Perses l’éloigna derechef de l’endroit, et Arschag exprima de nouveaux regrets [â cause des paroles imprudentes] qu’il venait de prononcer et se repentit encore une fois. Cependant Sapor, du matin jusqu’au soir, ne cessa pas de sonder le roi des Arméniens. Lorsqu’il se trouvait sur la terre arménienne, ce dernier devenait arrogant; mais aussitôt qu’il touchait la terre perse, il commençait à se repentir.

Sur le soir, arriva l’heure du repas du roi des Perses. Ordinairement, c’était l’usage de préparer un siège pour le roi des Arméniens sur le même divan qu’occupait le roi des Perses pendant le festin: c’était déjà une coutume du pays que les deux souverains devaient s’asseoir sur le même siège. Ce jour-là, on prépara d’abord et on arrangea les sièges pour tous les hôtes royaux, qui étaient présents; mais celui d’Arschag fut placé plus bas que tous les autres et à un endroit très éloigné, qui était recouvert de terre arménienne. Tous les convives occupaient déjà les places qui leur étaient assignées, selon leur dignité, lorsqu’on amena le roi Arschag qu’on fit asseoir. Après avoir manifesté pendant quelques instants un sentiment d’humeur et de colère, Arschag se leva et dit, en s’adressant au roi Sapor: « Elle est à moi la place que tu occupes, ôte-toi de là pour que je puisse m’y asseoir: elle appartient de droit à notre race; [sinon], arrivé dans mon pays, je rue vengerai cruellement de toi. » Sapor, roi des Perses, ordonna qu’on apportât [sur le champ] des chaînes, et qu’on les mit au cou, aux pieds et aux mains d’Arschag; qu’on l’emmenât à Antmesch,[122] aussi appelé le château d’Aniousch, et qu’on l’y enfermât jusqu’à sa mort.[123]

Le lendemain, le roi Sapor fit amener en sa présence Vasag le Mamigonien, sbarabed de la Grande Arménie. Il lui fit d’amers reproches, en disant: « Eh bien, renard (car Vasag était de petite taille), c’est bien toi qui a été la cause de tant de malheurs, et qui nous as procuré une si grande somme de fatigues? C’est bien toi qui pendant tant d’années as taillé en pièces les Arik? Que feras-tu maintenant, car je vais te faire subir la mort d’un renard? » Vasag répondit à cela: « Maintenant me voyant petit comme je le suis, tu ne peux comprendre la mesure de ma grandeur, car jusqu’à présent j’étais un lion pour toi; mais actuellement tu me traites comme un renard. Cependant, tant que j’ai été Vasag, j’étais un géant; j’avais un pied sur une montagne, un autre pied sur une autre montagne; quand j’appuyais sur mon pied droit, la montagne de droite rentrait sous terre; quand j’appuyais sur mon pied gauche, c’était la montagne de gauche qui s’enfonçait sous la terre. » Sapor, roi de Perses, lui répliqua: « Eh bien, dis-moi quelles sont les montagnes que tu as ainsi enfoncées? » Vasag répondit: « Les deux montagnes! l’une c’était toi, l’autre l’empereur grec. Je vous aurais fait rentrer, toi et l’empereur des Grecs, sous la terre, si Dieu me l’avait permis, s’il ne nous avait pas abandonnés et si la bénédiction de notre père Nersès reposait sur nous. Car tant que nous avons suivi la parole et le conseil de ce dernier, nous n’avons pas cessé de te châtier cruellement. Maintenant que de notre propre chef, les yeux ouverts, nous nous sommes nous-mêmes précipités dans l’abime, fais de moi ce que tu voudras. » Le roi des Perses donna ordre d’écorcher le général arménien, Vasag, de remplir d’herbe sa peau et de l’apporter au château d’Antmesch, aussi appelé Aniousch, où était déjà enfermé le roi Arschag.[124]

CHAPITRE LV.

Invasion et dévastation de l’Arménie; captivité [arménienne] emmenée en Perse; mort cruelle de la reine Pharandzêm, et ruine totale des villes et du pays entier.

Alors Sapor, roi des Perses, envoya en Arménie deux de ses grands, dont l’un se nommait Zig, l’autre Garên,[125] à la tête de cinq millions (?) de combattants, pour ruiner et dévaster ce royaume de fond en comble. Ils s’y rendirent sans retard. Quand la reine d’Arménie, Pharandzêm, femme du roi Arschag, vit les années du roi des Perses couvrir toute la surface du pays, elle prit avec elle onze mille hommes d’élite, tous nobles, braves guerriers et bien armés; elle partit avec eux et s’enferma dans le château d’Ardakers[126] situé dans la contrée d’Arscharouni, et s’y réfugia. Bientôt arrivèrent les Perses qui mirent le siège devant le château et l’enveloppèrent de tous les côtés. Les Arméniens s’y enfermèrent, comptant sur la position inaccessible de cette place.

Cependant les Perses établirent leurs tentes et assirent leur camp dans les vallées d’alentour. Ils assiégèrent ce château pendant treize mois et ne purent s’en emparer, car il était imprenable. La contrée fut dévastée entièrement par eux; ils ne quittaient leur camp que pour aller faire du butin; ils amenaient des districts voisins des captifs et des bestiaux, et ils apportaient d’autres endroits, des vivres pour leur propre subsistance. C’est ainsi qu’ils tramèrent en longueur le siège de cette place.

En ce temps-là, Bab,[127] fils du roi Arschag, ne se trouvait pas en Arménie, car il s’était réfugié auprès de l’empereur des Grecs.[128] Quand la noblesse arménienne apprit tous ces malheurs, elle conçut le projet d’aller chercher des secours et résolut de venir rejoindre son prince royal. Elle avait à sa tête le général Mouschegh, fils du sbarabed Vasag. Pendant que la députation sollicitait des secours auprès de l’empereur des Grecs, la noblesse envoyait sans cesse des messagers chez la reine Pharandzêm, lui conseillant de garder le château et de ne pas se rendre aux Perses. Son fils Bab lui envoyait chaque semaine des exprès, qui s’introduisaient en cachette dans le château par une porte secrète, afin d’encourager la reine, et cela pendant les treize mois que dura le siège. Ceux qui venaient chez la reine n’avaient qu’une seule parole: « Tenez ferme, car votre fils Bab va arriver bientôt à votre secours avec les troupes impériales. » Chaque jour on ne faisait que lui répéter: « Encore quelques instants, encore un peu de patience, et le secours vous arrivera. »

Il arriva que, le quatorzième mois, les assiégés qui étaient dans le château, furent atteints par la colère de Dieu, car la mort commença à y faire de grands ravages: c’était un châtiment envoyé par le Seigneur. Car, en présence de la reine Pharandzêm, on mangeait, on buvait, et on se livrait à la joie dans ses appartements mêmes. Or il arriva qu’à la table autour de laquelle tout le monde se trouvait réuni, subitement, dans l’espace d’une heure, mouraient cent, deux cents et cinq cents hommes; et ceci se renouvelait chaque jour. Cette calamité dura un mois et pendant ce temps-là tout le monde périt; savoir onze mille hommes et six mille femmes. La reine Pharandzêm avec ses deux servantes resta seule au château. Alors Haïr le martbed, chef des eunuques, s’introduisit furtivement dans le château et accabla d’injures la reine, comme si elle était une courtisane, puis il blâma la race des Arsacides, comme des hommes coupables et criminels, qui avaient causé la perte du pays: « Vous avez bien mérité votre malheur et ce qui vous attend encore. » [Ayant dit cela], il sortit brusquement et s’en alla. Quand la reine Pharandzêm se vit seule, elle ouvrit la porte du château, y laissa entrer les Perses qui s’emparèrent de sa personne, et la firent sortir de la forteresse. Dès qu’il fut entré dans le fort, le général des Perses s’empara des trésors du roi des Arméniens qui s’y trouvaient renfermés. Pendant neuf jours et neuf nuits, les Perses ne furent occupés qu’à enlever tout ce qu’ils trouvèrent dans le château d’Ardakers.[129] La reine avec tout le butin furent envoyés [en Perse].

Après cela, ils se rendirent près de la grande ville d’Ardaschad, la prirent et, après en avoir rasé les murailles, ils s’emparèrent de tous les trésors qui s’y trouvaient accumulés, et réduisirent en captivité tous les habitants de la ville. On emmena d’Ardaschad quarante familles arméniennes et neuf mille familles juives qui jadis avaient été amenées captives de la Palestine par le roi Tigrane l’arsacide. On mit le feu aux bâtiments en bois, on démolit ceux en pierre, on abattit la muraille de la ville de fond en comble, on ne laissa pas pierre sur pierre, [en un mot] on fit régner la désolation dans la ville d’Ardaschad.[130]

Après avoir réuni tous les captifs de la ville dans un même lieu, on leur fit traverser le pont de Dapher, on en fit le dénombrement et on les enveloppa de troupes armées de haches. C’est alors que les généraux perses dirent à Zouith, prêtre de la ville d’Ardaschad:[131] « Sors du milieu des captifs et va-t-en où bon te semblera. »

Mais le prêtre Zouith ne consentit pas à cette proposition, disant: « Où vous conduisez mes fidèles, conduisez-moi aussi, car je suis leur pasteur; il est impossible que le pasteur abandonne son troupeau, puisque le berger doit donner sa vie pont ses brebis. » Ayant dit cela, il reprit sa place au milieu des captifs et alla avec eux en captivité en Perse.

Les Perses prirent la ville de Vagharschabad et, l’ayant détruite de fond en comble, ils enlevèrent [de cette ville] dix-neuf mille familles. Dans toute la cité, ils ne laissèrent pas debout un seul édifice. Après avoir tout détruit et démoli, ils répandirent la dévastation dans le pays entier, massacrèrent tous les hommes mûrs, et réduisirent en captivité les femmes et les enfants. Puis ils s’emparèrent de toutes les forteresses du roi des Arméniens, et, les ayant amplement approvisionnées, ils y mirent des garnisons.

Les Perses s’emparèrent aussi de la grande ville d’Erouantaschad, et, après avoir enlevé vingt mille familles arméniennes et trente mille familles juives, ils la démolirent de fond en comble.

Ensuite ils prirent Zarehavan,[132] ville du district de Pakrévant, d’où ils enlevèrent cinq mille familles arméniennes et huit mille familles juives. Quant à la ville, ils la détruisirent de fond en comble.

Ils prirent aussi la grande ville de Zarischad,[133] située dans le canton d’Aghiovid (Aghoïhovid), [d’où ils firent sortir] quatorze mille familles arméniennes et dix mille familles juives, puis ils la détruisirent de fond en comble.

De même, ils s’emparèrent de la farte ville de Van, dans le canton de Dosp;[134] l’ayant détruite jusqu’aux fondements ils la livrèrent à l’incendie et y firent captifs cinq mille familles arméniennes et dix-huit mille familles juives.

Toute cette multitude de Juifs que les Perses conduisirent en captivité de l’Arménie, avaient été amenés de la Palestine par le grand roi des Arméniens, Tigrane, lors de la captivité du grand prêtre des Juifs, Hyrcan, qu’il amena jadis en Arménie.[135] Le grand roi, de son vivant, avait établi tous ces Juifs dans les villes de l’Arménie que les Perses venaient de dévaster et dont les habitants avaient été réduits en captivité. [A ces captifs, on avait joint] ceux de tout le pays des Arméniens, c’est-à-dire de plusieurs districts, de plusieurs contrées, de plusieurs cantons et de plusieurs provinces: tous furent rassemblés dans la ville de Nakhitchévan (Nakhdjavan), où était le quartier général de l’armée perse. Cette ville fut prise également et détruite. On en fit sortir deux mille familles arméniennes et seize mille familles juives, pour les emmener en captivité avec tous les autres. Pour réduire tout le reste du pays, les Perses y laissèrent des gouverneurs et des chefs et, ayant pris la reine Pharandzêm, les trésors et tous les captifs, ils se dirigèrent vers la Perse, afin de les présenter à Sapor. Arrivés dans le pays des Perses, ils allèrent présenter la reine Pharandzêm, tous les captifs arméniens et les trésors au roi qui témoigna beaucoup de reconnaissance à ses généraux. Sapor voulant humilier la nation et la royauté arméniennes, donna ordre de rassembler toutes ses troupes, tous ses nobles et tous les hommes de son pays, grands et petits, qui étaient sous son pouvoir et d’amener devant toute cette multitude Pharandzêm, reine d’Arménie. D’après l’ordre royal, elle fut jetée dans un lieu préparé d’avance pour cela, et elle fut livrée à des hommes qui se portèrent vis-à-vis d’elle, aux plus odieux attentats. C’est ainsi que mourut la reine Pharandzêm. Quant aux captifs, on les établit, partie en Assyrie, partie dans le pays de Khouzistan.

CHAPITRE LVI.

Martyre du prêtre Zouith en Perse.

Parmi les captifs arméniens, emmenés en Perse, se trouvait aussi Zouith, prêtre de la ville d’Ardaschad, qui fut amené, chargé de chaînes en présence du roi des Perses, Sapor. En le regardant, le roi remarqua que le prêtre Zouith était un homme robuste et grand de taille; et quoique jeune encore, il avait la chevelure blanche, tandis que sa barbe était tout à fait noire. Les premières paroles proférées par le roi furent celles-ci: « Voyez-vous la méchanceté de cet homme; cela est évident, car sa chevelure prouve qu’il doit être magicien: il a les cheveux blancs et la barbe noire. » A cela le prêtre répondit: « Tu es libre de dire ce que tu veux, mais apprends qu’il est juste que mes cheveux aient blanchi, car ils sont plus vieux et ils ont poussé au moins quinze ans avant ma barbe. » Le roi ordonna de le garder jusqu’au lendemain. Le jour suivant, il le fit conduire sur la place publique, chargé de chaînes. Les gens du roi vinrent l’interroger, croyant que s’il consentait à embrasser la religion des mages, il pourrait ne pas subir la mort. Mais Zouith refusa nettement, en déclarant qu’il mourrait avec joie pour Dieu. Arrivé sur le lieu du supplice, il demanda aux bourreaux de lui permettre de se mettre un instant en prières. En s’avançant un peu, il fléchit le genou et dit: « Notre[136] Créateur, qui as créé les cieux, la terre et la mer, c’est toi qui nous a tirés de la poussière en nous donnant l’esprit, la parole et la vie; c’est toi qui t’es révélé nous en nous envoyant le Fils de l’Homme, par la voie des saints prophètes, tes précurseurs. Toi-nième, tu es descendu [du ciel], tu es devenu homme et tu as paru sur la terre, tu as marché avec les hommes, tu as accordé ta parfaite sagesse à tes créatures en la faisant prêcher dans le monde par les apôtres. Par l’intermédiaire des saints docteurs que tu as places dans ton Eglise pour l’éclairer, tu as donné la sagesse à tout le monde. Moi aussi, homme indigne et malheureux, tu m’as rendu digne de ton service, en me faisant préparer d’avance par ton saint et grand pontife Nersès, ton serviteur, qui après m’avoir élevé et instruit, m’ordonna prêtre par l’imposition de ses mains. Dès lors tu m’avais jugé digne de boire le calice salutaire du martyre: en le buvant, j’invoquerai le nom du Seigneur, adressant ma prière au Seigneur, en présence de tout son peuple. A toi, comme à ton fils unique, ton bien-aimé Jésus-Christ et à ton Saint-Esprit vivifiant, gloire, force et puissance soient rendues avant les siècles, maintenant et toujours. Amen. »

A peine Zouith avait-il prononcé ces mots, que la foule, qui se pressait autour de lui, dit « Amen. » Les bourreaux mécontents de ce qu’on lui avait permis de parler si longuement, le conduisirent, sans plus tarder, sur le lieu du supplice. Ce fut avec une grande joie que Zouith tendit son cou et fut frappé avec le tranchant de l’épée.[137]

CHAPITRE LVII.

Invasion tentée par Sapor, roi des Perses, afin d’exterminer entièrement le reste [des habitants] de l’Arménie; malheurs sans nombre endurcis par ces derniers.

Après cela, Sapor, roi des Perses, à la tête de toutes ses armées, se mit en marche et arriva en Arménie, ayant pour guide Vahan le Mamigonien et Méroujan Ardzrouni. Ses troupes dévastèrent le pays en tout sens, et réunirent en un même lieu tous les captifs. Plusieurs satrapes arméniens, abandonnant leurs femmes, leurs enfants et leurs proches, s’enfuirent de tous les côtés. Ces femmes délaissées furent prises par les envahisseurs et amenées en présence de Sapor.

Le camp du roi Sapor était assis dans le canton de Pakrévant, sur les ruines de la ville de Zarehavan, détruite précédemment par les troupes perses. Les captifs de l’Arménie furent tous réunis devant le roi qui donna ordre de jeter aux pieds des éléphants tous ceux qui avaient atteint l’âge mûr, et d’attacher aux timons des chariots les femmes et les enfants. C’était par mille, par dizaines de mille qu’on comptait les victimes, de sorte qu’il est impossible de préciser le nombre des morts. Les femmes des nobles et des satrapes, qui avaient pris la fuite, amenées sur la place publique de la ville de Zarehavan, furent mises à nu, d’après l’ordre royal, et rangées des deux côtés de la place publique. Le roi Sapor, entouré de pompe, chevauchait autour de ces femmes et emmenait celles qui étaient les plus belles, les prenant une à une dans son palais pour assouvir sa passion; car non loin de la place, il avait fait dresser une tente, pour accomplir ces forfaits. Ceci se continua pendant l’espace de plusieurs jours. Tous les hommes de la race de Siounie, d’un âge mûr, furent massacrés, les femmes furent tuées, les enfants mâles furent mutilés pour en faire des eunuques, après quoi on les emmena en Perse. Sapor faisait tout cela pour se venger d’Antov qui avait excité la guerre contre Nersèh, roi des Perses.[138]

Le roi des Perses, Sapor, donna ordre de construire des forteresses dans les lieux les plus inaccessibles de l’Arménie et de les faire toutes occuper par des garnisons. Il distribua les femmes nobles [arméniennes] dans toutes ces forteresses pour y être gardées, et il imposa cette condition que, si leurs maris ne prenaient pas du service chez le roi, elles seraient tuées par ceux qui en avaient la garde. Il laissa en Arménie, Zig et Garên comme gouverneurs, avec un nombre considérable de troupes, en chargeant Vahan et Méroujan, d’administrer le reste du pays;[139] puis il partit lui-même pour l’Adherbeidjan.

CHAPITRE LVIII.

Calamités que Vahan et Méroujan font subir au pays des Arméniens; Vahan et sa femme sont mis à mort par leur propre fils.

Après cela, Vahan le Mamigonien et Méroujan Ardzrouni, hommes impies et abominables, qui avaient tous les deux renié le culte divin et embrassé l’hérésie du mazdéisme, détruisirent les églises chrétiennes et les maisons de prières dans plusieurs cantons et dans plusieurs contrées de l’Arménie. Ils persécutèrent beaucoup de monde, en les contraignant d’abandonner la foi divine et d’embrasser le culte du mazdéisme. Vahan et Méroujan donnèrent en même temps l’ordre de persécuter dans toutes les forteresses, les femmes abandonnées par les satrapes leurs maris, afin de leur faire accepter la loi du mazdéisme, et si elles s’y refusaient, ils donnaient plein pouvoir aux chefs des garnisons de les faire périr toutes, au milieu des souffrances les plus cruelles. Quand on reçut cet ordre dans les forteresses, on le mit partout à exécution. Mais comme aucune de ces femmes ne consentit à renier la foi chrétienne, toutes furent massacrées, après avoir enduré les plus épouvantables supplices.[140] Cependant Vahan avait une belle-sœur, issue de la race mamigonienne, sœur de Vartan, et appelée Hamazasbouhi: elle était la femme de Karékin, seigneur du canton des Reschdouni. Lors de l’invasion du roi Sapor en Arménie, Karékin, la laissant dans la citadelle de Van, ville du canton de Dosp, s’enfuit. Mais l’impie Vahan et Méroujan envoyèrent l’ordre aux chefs des garnisons, de contraindre cette femme à accepter la loi du mazdéisme, et au cas où elle s’y refuserait, de la tuer, en l’attachant au sommet de la plus haute tour. Hamazasbouhi, ayant refusé de se soumettre à cet ordre, fut conduite sur la tour qui s’élève au plus haut sommet du rocher et regarde le lac du côté du fleuve; là elle fut mise à nu, comme au moment où elle était sortie du sein de sa mère, et, après qu’on lui eut lié les pieds, on la suspendit au sommet de la tour, la tête en bas. C’est ainsi qu’elle mourut sur le gibet. Hamazasbouhi avait le corps très blanc et excessivement beau; par conséquent il y avait une foule de monde qui se réunissait chaque jour pour le contempler comme un objet digne d’admiration. A la vue de la princesse Hamazasbouhi, une femme qui avait été jadis sa nourrice, ayant mis un manteau appelé anguiough,[141] et s’étant ceinte d’une ceinture, se plaça au pied du rocher où était la tour, à laquelle était suspendis [le cadavre de] la princesse, jusqu’à ce que son corps se détachât par lambeaux. A mesure que les os tombaient, elle les rassemblait tous dans son sein; cette femme retourna ensuite parmi les siens.

La méchanceté de Vahan et de Méroujan était telle qu’ils furent impitoyables même envers leurs parents; quant aux étrangers, ils les traitèrent avec dureté et sans miséricorde. Ils firent construire des temples du feu dans plusieurs endroits, en obligeant les gens de se soumettre aux lois du mazdéisme. Dans leurs propres domaines, ils Construisirent aussi des temples du feu, et firent enseigner la doctrine du mazdéisme à leurs enfants et à leurs proches. Enfin, le fils de Vahan, qui s’appelait Samuel, fit périr sous ses coups Vahan son père et Ormizdtoukhd sa mère, sœur de Sapor, roi des Perses, et se sauva dans le pays de Chaldie.

 

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LIVRE CINQUIÈME.

 

Canons chronologiques de l’histoire de la maison des enfants de Thorgom, souche des Arméniens.

 

I. Bab est élevé à la dignité royale en Grèce; son arrivée en Arménie; il entre en possession de son pays et réussit dans toutes ses entreprises.

II. Le général arménien Mouschegh attaque le camp de Sapor, roi des Perses, et en fait un horrible carnage; Sapor s’enfuit à cheval.

III. Le roi Bab donne l’ordre de tuer Haïr le martbed.

IV. Nouvelle guerre entre le roi Bab et les Perses; une bataille est livrée dans le bourg de Pakavan, dans le canton de Pakravant.

V. Avis donné par Ournaïr d’un second combat livré par les Arméniens aux Perses à Kandzag d’Adherbeidjan, où les premiers sont vainqueurs.

VI. Teghag le martbed, nommé chef des frontières (marzban), entre en négociation avec le roi des Perses, pour trahir le roi des Arméniens; le roi Bab fait mourir Teghah.

VII. Arschag, roi des Arméniens, se donne la mort dans le château d’Aniousch, situé dans le pays de Khouzistan, à l’instigation de Trasdamad.

VIII. Après la guerre des Perses, le sbarabed Mouschegh livre bataille à ceux qui s’étaient révoltés contre le roi des Arméniens, en différents endroits, à commencer par l’Adherbeidjan, possession du roi d’Arménie.

IX. de Noschiragan.

X. Des cantons de Gortouk de Gortik, et de Dmorik.

XI. Des Mar.

XII. De l’Ardsakh.

XIII. De l’Aghouank.

XIV. De Gasp.

XV. De l’Ibérie (Virk).

XVI. Du roi d’Aghdsnik.

XVII. Du grand Dzop.

XVIII. De l’Ankegh-doun.

XIX. Du district d’Andsid.

XX. Du sbarabed arménien Mouschegh.

XXI. Du pontife Nersès; ce qu’il était et ce qu’il faisait.

XXII. Le roi Bab est obsédé par les dev; son genre de vie.

XXIII. Comment saint Nersès reprenait sans cesse le roi Bab, à cause de sa conduite déréglée.

XXIV. Le saint et grand pontife Nersès est mis à mort par le roi Bab.

XXV. Vision qui apparut aux saints anachorètes Schaghida et Épiphane, quand ils vivaient encore dans la montagne.

XXVI. De saint Schaghida.

XXVII. De saint Épiphane.

XXVIII. Prodiges et miracles merveilleux opérés par Dieu à Mampré, après le départ d’Épiphane.

XXIX. Iousig, descendant de la famille de l’évêque Albin (Albianus), est élevé à la dignité patriarcale par le roi Bab, sans le consentement du grand pontife de Césarée. Les patriarches arméniens sont dès lors privés du droit de donner l’imposition des mains aux évêques.

XXX. Deuil profond causé par la mort du patriarche Nersès.

XXXI. Après la mort du patriarche Nersès, le roi Bab abolit et renverse l’ordre établi dans l’église par Nersès, de son vivant.

XXXII. Le roi Bab se détache de l’alliance du roi des Grecs; il est tué par les soldats grecs.

XXXIII. Les princes arméniens délibèrent sans résultat.

XXXIV. Varaztad est élevé à la dignité royale dans le pays des Arméniens, après Bab.

XXXV. Varaztad, roi des Arméniens, à l’instigation d’hommes insensés et malintentionnés, fait périr le général arménien Mouschegh.

XXXVI. Vaine espérance des proches parents de Mouschegh et d’autres personnes.

XXXVII. Manuel, de retour de sa captivité en Perse, venge Mouschegh; il chasse le roi Varaztad de l’Arménie, et s’empare du pays.

XXXVIII. Le sbarabed des Arméniens, Manuel, de concert avec toute l’Arménie, se range du côté du roi des Perses, amène en Arménie Sourên en qualité de marzban et de lieutenant du roi des Perses, ce prince le comble de présents. Méroujan Ardzrouni, par ses intrigues, soulève l’Arménie. Commencement de la guerre.

XXXIX. Koumant Sapor est envoyé par le roi des Perses pour porter la guerre en Arménie; il périt avec toute son armée de la main de Manuel.

XL. Varaz est envoyé en Arménie par le roi des Perses; il périt comme sen prédécesseur, de la main de Manuel.

XLI. Mergan est envoyé par le roi des Perses avec une armée nombreuse dans le pays des Arméniens contre Manuel; il périt de la même manière que son prédécesseur.

XLII. Paix qui dure sept ans.

XLIII. Méroujan Ardzrouni, à la tête d’une armée, marche contre Manuel et périt de sa main.

LIV. Le sbarabed Manuel fait élever à la royauté le jeune Arschag.


 

LIVRE CINQUIÈME.

 

Canons chronologiques de l’histoire de la maison des enfants de Thorgom, souche des Arméniens.

 

CHAPITRE I.

Bab est élevé à la dignité royale en Grèce; son arrivée en Arménie; il entre en possession de son pays et réussit dans toutes ses entreprises.

A la suite de ces événements, Mouschegh, fils de Vasag, ayant rassemblé ce qui restait de la noblesse arménienne, se rendit avec elle auprès du roi des Grecs. Il fit part à ce dernier de la prière des Arméniens et de tous leurs malheurs, et il demanda à l’empereur le fils d’Arschag, Bab, pour roi d’Arménie. Le grand roi des Grecs éleva à la royauté Bab,[142] fils d’Arschag, d’après la demande qu’on venait de lui adresser et, donnant un secours considérable au roi Bab, il l’expédia en Arménie, accompagné du stratélate Térence, d’un certain comte Até,[143] [lesquels étaient suivis par] six millions (?) de combattants.

Arrivé en Arménie, Mouschegh fut nommé sbarabed de l’armée arménienne à la place de Vasag son père. Alors, de tous les côtés du pays, tous ceux qui, après s’être dispersés et enfuis, s’étaient tenus cachés [jusqu’alors], venaient et se rassemblaient. Le premier soin du roi, de tous les habitants du pays des Arméniens, des grands, des gouverneurs de cantons et des seigneurs de provinces, fut d’aller trouver le saint et le grand pontife Nersès. Ils savaient tous que le grand catholicos pouvait par sa prière, obtenir de Dieu la prospérité du pays et sa délivrance des mains de l’ennemi; [ils savaient] aussi que tout ce qu’il demandait à Dieu lui était accordé, et qu’enfin guidés par sa sagesse, il pouvait leur être utile par ses conseils. C’était une chose très grave d’aller à la recherche d’un tel homme, qui pût leur donner des conseils sages et utiles, et selon les circonstances du moment, leur inspirer des idées dont ils pourraient se servir dans des occasions données.

Alors le roi Bab lui-même, avec tous les anciens de l’Arménie, alla à la recherche de Nersès; il trouva le grand pontife et le supplia d’être le père des Arméniens, de les guider en toutes choses par ses conseils et d’intercéder pour eux [auprès de Dieu]. Ce fut avec beaucoup de peine qu’on parvint à persuader Nersès de venir avec eux au camp royal; car, depuis le jour où Knel fut mis à la mort, jusqu’à l’avènement de Bab, Nersès n’avait point paru dans le camp royal.

Cela leur coûta beaucoup [de peines]; enfin ils l’y emmenèrent. Dès lors il fut leur seul chef et leur seul conseiller; il arrangeait et dirigeait [en même temps] toutes choses, priant Dieu sans cesse pour eux. Car vraiment on le voyait partout avec sa sagesse, ici partageant les soucis [du roi], là allégeant les peines [des ses compatriotes] par ses prières; [en un mot] en tout et partout, il se comportait en père.

Cependant le sbarabed Mouschegh, après avoir préparé les troupes arméniennes au nombre de dix mille hommes placés sous son commandement, après les avoir rangées et munies d’armes, de brillants drapeaux et d’étendards déployés, il les passa en revue en présence du roi Bab, du grand pontife Nersès et des généraux grecs, Térence et Até. Bab, roi des Arméniens, témoigna la plus grande reconnaissance au général Mouschegh, en lui accordant des présents considérables; de leur côté les généraux grecs lui adressèrent aussi leurs félicitations. Le grand pontife Nersès, bénissant le général Mouschegh, lui dit: « Que le Seigneur Christ te bénisse, qu’il te soit propice, qu’il t’accorde le don de la victoire tous les jours de ta vie, qu’il délivre par toi et par [les membres] de ta famille, le pays des Arméniens, à tout jamais [de ses ennemis]. »

Le général arménien, Mouschegh, à la tête de son corps d’armée, se mit en marche, précédant comme avant-garde le roi Bab et les troupes impériales. Arrivé dans le canton de Taranagh, Mouschegh pressa hardiment le pas; il pénétra dans les régions méditerranéennes de l’Arménie, tomba sur Garên et Zig, généraux perses, les tua et passa au fil de l’épée toutes leurs troupes, ne laissant échapper personne. Ainsi, il délivra tout le territoire de l’Arménie, dont il s’empara jusqu’à Kandzag, ville de l’Adherbeidjan.

C’est ainsi que le roi Bab fit son entrée dans le pays des Arméniens et commença à y régner. Il conquit les plus forts des châteaux dont les Perses s’étaient emparés, entre autres celui de Tarounk, dans le pays de Gok,[144] où étaient déposés d’immenses trésors appartenant aux Arsacides. Comme la garnison de ce château consistait en gens dévoués, les Perses ne parvinrent pas à s’en emparer, quoiqu’ils ne cessèrent pas de battre en brèche cette place depuis le moment où le roi Arschag fut emmené en Perse jusqu’à l’arrivée du roi Bab en Arménie. De la sorte, le trésor fut conservé et passa intact entre les mains du roi Bab. A Érant et à Pakhisch l’armée grecque, se divisant, alla occuper toutes les provinces du pays des Arméniens. Cependant Méroujan le traître s’enfuit seul, monté sur un cheval.

Le général arménien Mouschegh, parcourant le pays entier, détruisit partout les temples du feu du mazdéisme. Il donna l’ordre de s’emparer des sectaires de cette religion, d’en prendre autant qu’il était possible et de les brûler tous à petit feu. Il fit subir la mort la plus cruelle aux garnisons de plusieurs châteaux, et ayant pris plusieurs des seigneurs qui jouissaient d’une grande considération auprès du roi des Perses, Mouschegh les fit écorcher, fit remplir leurs peaux d’herbe, et les suspendit sur [le haut] des murailles, Il fit cela dans plusieurs endroits, pour venger la mort de Vasag son père.

On reconstruisit ce que l’ennemi avait détruit; on répara les églises. On voyait la royauté acquérir de jour en jour de nouvelles forces et les affaires prendre une meilleure direction. [On voyait partout] saint Nersès, ce sage patriarche, comme guide, dirigeant toutes les affaires par ses conseils lumineux, construisant des hospices pour les pauvres, comme il le faisait jadis, et surveillant les mœurs dans tout le royaume, en fondant sa doctrine sur les bons principes de la religion, comme du temps des anciens rois, ainsi qu’il en avait été lui-même le témoin oculaire. Ayant sur toutes choses une grande sollicitude pour l’ordre de l’Église et pour le service des évêques, des prêtres et des diacres, il répara en même temps les édifices appartenant aux églises [en général], et ceux des églises en l’honneur des martyrs.

D’après l’ordre du roi Bab, le général arménien Mouschegh, à la tête de son armée, se rendit vers les frontières de son pays, pour les garder et les surveiller avec attention.

CHAPITRE II.

Le général arménien Mouschegh attaque le camp de Sapor, roi des Perses, et en fait un horrible carnage; Sapor s’enfuit à cheval.

Le stratélate de la Grande Arménie, Mouschegh, fils de Vasag, réunit autour de lui un corps d’élite de quarante mille hommes [appartenant à la] noblesse, tous animés d’un même désir et d’une même volonté, et après les avoir munis d’armes, de chevaux et de vivres, il alla, à leur tête, occuper les confins d’Adherbadidj pour garder [les frontières] de l’Arménie. En même temps, Sapor, roi des Perses, s’étant préparé [aussi de son côté] avec une armée fortement organisée, vint dans le pays d’Adherbeidjan, en prenant pour guide Méroujan. Le camp royal se trouvait alors à Thavresch.

Le sbarabed arménien Mouschegh alla à sa rencontre avec ses quarante mille combattants, et, attaquant le camp [royal], il le tailla en pièces. C’est avec la plus grande peine que le roi Sapor put trouver à cheval un salut dans la fuite. Aidé par les troupes arméniennes, Mouschegh passa au fil de l’épée tous les gens du camp; il y en eut beaucoup qui furent massacrés; plusieurs des grands furent pris avec les trésors du roi des Perses; de même la reine des reines, avec beaucoup d’autres femmes, tomba entre les mains de Mouschegh. Le sbarabed s’empara aussi de toute la chancellerie [royale], de tous les anciens, au nombre de six cents hommes, et les ayant fait écorcher, il ordonna de remplir d’herbe leurs peaux et de les envoyer à Bab, roi des Arméniens. Mouschegh fit ces représailles pour venger [la mort de] Vasag son père.

Quant aux femmes du roi Sapor. le général arménien Mouschegh prescrivit sévèrement aux siens de se bien garder de leur faire le moindre affront. Il ordonna de préparer pour elles des litières dans lesquelles il les expédia toutes à la suite du roi Sapor, leur mari, escortées par des Perses qui furent chargés de les conduire auprès de Sapor, saines et sauves, et à l’abri de toute insulte. Le roi des Perses fut frappé de voir la magnanimité, la noblesse et l’indépendance de Mouschegh qui s’était bien gardé d’insulter ses femmes. En ce temps-là, Mouschegh avait un coursier blanc. Il arriva au roi Sapor, pendant les banquets qu’il donnait à son armée, de prendre dans sa main la coupe remplie de vin, en disant: « Que l’homme au coursier blanc prenne aussi du vin. » Il fit peindre sur une coupe le portrait de Mouschegh, monté sur un cheval blanc, et ordinairement pendant les grands festins, il posait la coupe devant lui et répétait chaque fois les mêmes paroles: « Que l’homme au coursier blanc prenne aussi du vin! »

Cependant Mouschegh et les troupes arméniennes s’emparèrent d’un butin considérable dans le camp des Perses et s’enrichirent de trésors et de richesses immenses. Ils mirent de côté une part du butin pour le roi Bab, une autre pour les troupes restées auprès de ce dernier et une troisième pour les généraux grecs qui étaient auprès du roi; outre cela, ils distribuèrent des présents à chaque soldat. Cependant les troupes arméniennes, rentrées dans leur pays, portèrent des plaintes au roi Bab contre le sbarabed Mouschegh, en disant: « Pourquoi a-t-il laissé aller les femmes du roi des Perses, notre ennemi? » A cause de cela, Bab, roi des Arméniens, garda rancune à Mouschegh pendant longtemps.

CHAPITRE III.

Le roi Bab donne l’ordre de tuer Haïr le martbed.

On rapporta au roi Bab et on lui raconta toutes les injures que Haïr le martbed vomissait contre la reine Pharandzêm, mère du roi, quand elle se trouvait dans le château assiégé [par l’ennemi], où il s’était introduit furtivement, en l’outrageant comme une courtisane; après quoi il s’en était allé. Pendant que Haïr le martbed visitait ses domaines dans le pays de Daron, le sbarabed arménien Mouschegh était dans la même province, dans son propre château d’Oghagan[145] qui s’élève sur [les bords] du fleuve Euphrate. Là, un courrier envoyé par le roi Bab arriva chez le général arménien Mouschegh, avec une lettre où il était écrit que Mouschegh était chargé de faire subir à Haïr le martbed la mort la plus cruelle, Il tenait encore dans sa main la lettre du roi avec son ordre, quand il envoya inviter, avec perfidie, Haïr [à venir] chez lui à Oghagan, sous prétexte d’un festin qu’il allait lui préparer. On était en plein hiver, et les eaux de l’Euphrate étaient complètement glacées. Haïr le martbed, invité à ce festin, se rendit au château d’Oghagan. Alors la général Mouschegh ordonna aux soldats de le prendre, de le mettre à nu, tel qu’il était sorti [du sein] de sa mère, de lui lier les mains sous ses genoux, de le faire descendre dans la rivière et de l’exposer sur la glace du fleuve. Haïr périt de la sorte. Le lendemain, quand on vint le voir, on trouva que sa cervelle, à la suite du froid, s’était écoulée par ses narines, Il fut remplacé dans son office de Haïr-martbed par un certain Teghag, qui, du temps du roi Arschag ou de Diran, père de ce dernier, avait occupé la charge de martbed pendant quelque temps.

CHAPITRE IV.

Nouvelle guerre entre le roi Bab et les Perses; une bataille est livrée dans le bourg de Pakavan, situé dans le canton de Pakravant.

A la suite de ces événements, le roi des Perses rassembla de nouveau toutes ses troupes et se mit à leur tête pour le pays d’Adherbeidjan, où il resta avec quelques soldats; et il envoya le gros de son armée faire la guerre au roi Bab. Les troupes perses dévastèrent le pays des Arméniens jusque dans le centre de la contrée. Le roi d’Arménie [de son côté] donna ordre de réunir ses troupes à Pakavan. L’armée des Grecs, qui était cantonnée à Erant et à Pakhisch, vint rejoindre Bab et se retrancha dans son camp, ers l’entourant d’un fossé, à peu de distance de la montagne de Nebad (Niphates), près du fleuve Euphrate. A la suite de ces préparatifs, on attendit l’heure du combat.

Le sbarabed arménien Mouschegh rassembla aussi les troupes arméniennes au nombre de quatre-vingt-dix mille hommes et s’apprêta [à soutenir le choc des ennemis]. Le roi Sapor avait déjà envoyé ses troupes contre les Arméniens et les Grecs, quand Ournaïr, roi des Aghouank,[146] qui se trouvait alors chez le roi des Perses, se présenta à ce dernier et lui demanda en présent, en disant: « Daigne, ô le plus brave les hommes, me permettre de combattre seul, avec mon détachement, les troupes du roi Bab, car il est plus convenable que l’armée des Arik aille au-devant des Grecs, et que moi à la tête des miens, je marche contre les généraux arméniens. »

Non seulement cette proposition plut à Sapor, mais il en témoigna sa reconnaissance à Ournaïr et il lui accorda [ce qu’il demandait]. Cependant Méroujan Ardzrouni dit à Ournaïr: « Tu vas ramasser des épines, ce sera une grande merveille si tu parviens à les recueillir. » [En même temps], Méroujan dépêcha secrètement un messager vers le général arménien Mouschegh pour lui dire: « Méfie-toi et sois sur tes gardes, Mouschegh; car tu es le présent qu’Ournaïr, roi des Aghouank, a demandé [à Sapor], avec beaucoup de présomption. Maintenant c’est à toi de te tirer d’embarras. »

Après avoir délibéré sur ce qu’il y avait à faire, les troupes perses se mirent en marche pour aller en Arménie, suivies par le détachement d’Ournaïr, roi des Aghouank. Voici le langage que ce dernier tint aux siens: « Quand vous serez aux prises avec les troupes grecques, je vous recommande de faire des prisonniers plutôt que de les tuer; nous les emmènerons liés comme des trophées, et nous les ferons travailler chez nous comme des ouvriers et des maçons à la construction de nos villes et de nos palais. » Au moment où les troupes des Grecs et celles des Perses se trouvaient déjà en présence et étaient prêtes à en venir aux mains, le roi Bab lui-même s’arma pour aller prendre part au combat. Mais le général grec Térence l’en dissuada en disant: « L’empereur grec, en nous envoyant près de toi, nous a recommandé de te bien garder. Qui sait, s’il t’arrive quelque accident, avec quel visage paraîtrons-nous devant notre maître? Quelle réponse lui donnerons-nous, lorsque nous reviendrons auprès de lui sans toi? Alors l’empereur nous considérera comme des criminels, ô roi, fais ce que nous allons te dire: prends le pontife des Arméniens, Nersès. Eloigne-toi avec lui sur la montagne de Nebad, dans quelque lieu inaccessible et à l’abri du danger; que le grand-pontife se mette en prière et demande pour nous la victoire au Seigneur. Quant à toi, tu regarderas de la hauteur, et tu seras témoin du zèle, des prouesses ou de la lâcheté de chacun, dans le combat qui s’engagera bientôt sous tes yeux. » Le roi Bab consentit à cette proposition, et ayant pris le grand pontife Nersès, il alla se placer sur la montagne de Nebad, [d’où il voyait] les troupes grecques et arméniennes descendre sur le lieu du combat. Alors le sbarabed arménien Mouschegh, avant de se rendre au combat, apporta ses armes et ses étendards au pontife Nersès, pour qu’il les bénit. Le roi Bab se souvint en ce moment des paroles qui lui furent rapportées jadis et dit: « Je me rappelle que Mouschegh est un ami du roi des Perses, Sapor. N’est-ce pas ce même Mouschegh qui a délivré les femmes du roi Sapor [et les a envoyées] dans les litières, escortées par des soldats? J’ai même entendu dire qu’il négocie avec les Perses. Eh bien il ne faut pas qu’il prenne part à ce combat. »

Le général arménien Mouschegh demanda au grand-pontife Nersès d’intercéder pour lui auprès du roi Bab. Mais celui-ci répondit à Nersès: « N’intercède pas pour lui, car, aussitôt descendu, il va se ranger du côté des Perses. » Cependant le pontife continuait à le solliciter, et comme en ce temps-la, le roi mettait beaucoup d’empressement à accomplir la volonté de Nersès, il lui dit: « Je ferai ta volonté, mais avant que tu le laisses aller au combat, fais-lui prêter serment entre tes mains, qu’il ne nous trahira pas. » Mouschegh fut appelé en présence du roi et, après l’avoir salué, il s’approcha du grand-pontife Nersès, prit sa main droite et prêta serment; puis il mit sa main dans celle du roi Bab et lui prêta le serment suivant: « Je vivrai et je mourrai pour toi, comme mes ancêtres l’ont fait pour tes ancêtres; ce que mon père a fait pour ton père Arschag, je le ferai pour toi; seulement ne prête pas l’oreille à la calomnie. »

Alors le pontife arménien Nersès le bénit avec la plus grande ferveur. Le roi Bab ordonna d’amener son coursier et sa lance, et les offrit au brave général Mouschegh, qui cependant se refusa à les accepter, en disant: « Je combattrai avec mes propres armes, et quand je serai de retour, tu me donneras ce que bon te semblera; ne suis-je pas ton serviteur? » Puis il présenta son drapeau et ses armes à Nersès pour qu’il les bénit. Monté à cheval, à la tête de son détachement, qui occupait l’aile droite de l’armée grecque, Mouschegh commença à s’avancer.

Le roi Bab et le pontife Nersès restèrent debout sur la montagne de Nebad. Saint Nersès, les bras élevés vers le ciel, demandait au Seigneur d’épargner sa sainte Eglise, rachetée par son sang précieux; de ne pas abandonner son peuple aux idolâtres et aux infidèles, afin qu’on ne dise pas parmi les gentils: où est leur Dieu? Tandis qu’il adressait à Dieu sa prière, les troupes Arméniennes se présentaient comme un feu ardent vis-à-vis les Perses. [On vit alors] le corps d’armée de Mouschegh, devançant les autres détachements, se précipiter avec impétuosité [sur l’ennemi.] Le roi qui contemplait ce spectacle, allait perdre Mouschegh de vue; enfin il voyait disparaître ses drapeaux. Aussitôt ces derniers disparus, le roi Bab se mit à crier et dit, s’adressant à Nersès: « Me voici, grâce à toi, précipité dans le feu! ne t’avais-je pas dit de ne pas envoyer cet homme au combat? Le voilà qui a passé du côté des Perses et il va maintenant nous causer beaucoup de malheurs. » Le pontife Nersès répliqua: « Non, roi, non, ne pense pas ainsi; il n’est pas homme à nous trahir: tu verras toi-même quelles prouesses va accomplir devant toi ton serviteur. »

Le roi Bab ne cessait d’importuner le pontife Nersès pour qu’il ne discontinue pas d’implorer le secours du Seigneur pendant la mêlée. Mais Nersès perdant patience, dit au roi Bab: « Si tu diriges ton cœur vers le Seigneur, alors peut-être il aura pitié de toi et de ton pays; si tu te purifies de tes actes abominables, le Seigneur t’accueillera; il ne te laissera pas échapper de ses mains, et il ne te livrera pas à tes ennemis …………….[147]

C’est en ces termes, que Nersès, debout sur la montagne, ayant le roi Bab à ses côtés, pria Dieu jusqu’au soir, au coucher du soleil, et jusqu’au moment où le combat fut terminé.

Pendant cette bataille, Dieu venant en aide aux Grecs, les troupes arméniennes remportèrent la victoire. L’armée des Perses, défaite, tourna le dos et se dispersa dans les plaines, dans les hantes montagnes et dans les vallées profondes. Les troupes grecques et arméniennes poursuivirent les Perses et les taillèrent en pièces, [y compris] les chefs et les simples soldats, sans aucune distinction; ceux qui avaient des chevaux légers purent seuls s’enfuir. C’est ainsi que les Arméniens poursuivirent les fugitif, les chassant devant eux jusqu’à Kandzag d’Adherbeidjan, c’est-à-dire jusqu’aux frontières de l’Arménie. Le sbarabed Mouschegh fit un carnage immense des troupes perses. Ensuite il guetta le détachement des Aghouank, qu’il décima entièrement. Il atteignit leur roi Ournaïr au moment de sa fuite et le frappa sur le crâne, à coups redoublés, avec la hampe de sa pique, en disant: « Tu dois remercier le sort d’être roi et d’avoir une couronne; car je ne voudrais jamais tuer un roi, quand même je serais dans des circonstances très difficiles. » Il le laissa ainsi s’enfuir avec huit cavaliers dans le pays des Aghouank.

Quand les troupes arméniennes furent de retour, le général Mouschegh présenta à Bab, roi des Arméniens, une quantité considérable de têtes des plus braves combattants. Les satrapes, les grands, enfin tous les guerriers en firent autant. On célébra cette victoire dans l’Arménie entière, ainsi que dans l’armée grecque. Il serait difficile de préciser l’immense quantité de trésors, d’armes, d’ornements d’or, d’argent et de butin, le nombre de chevaux, de mulets et d’éléphants que [les vainqueurs] prirent à l’ennemi.

Bientôt après, on calomnia le général Mouschegh auprès du grand roi Bab en disant: Sache, ô roi, que Mouschegh est plein d’astuce pour toi; il n’attend que le moment propice pour te tuer; car il donne ouvertement la liberté à tes ennemis; il lui est arrivé plus d’une fois de laisser partir ceux qui se trouvaient entre ses mains. Il vient de faire la même chose à ton rival, le roi Ournaïr, qu’il a laissé échapper. » A la suite de ces calomnies, il y avait sans cesse des querelles entre le général Mouschegh et le roi Bab, qui lui adressait des reproches continuels. [Enfin] Mouschegh fit au roi Bab la réponse suivante: « J’ai taillé en pièces tous ceux qui étaient mes égaux; mais ceux qui portent des couronnes sont tes égaux et non pas les miens; tu n’as qu’à aller tuer tes semblables, comme je l’ai fait avec les miens. Jusqu’à ce moment, je n’ai pas levé la main contre quiconque portait une couronne, je ne la lève pas à présent, je ne la lèverai pas dans l’avenir. Si tu as envie de me tuer, tue-moi; quant à moi, si dorénavant un roi quelconque tombait entre mes mains, comme cela m’est arrivé plus d’une fois, [je te répète] que je ne suis pas homme à tuer un roi qui porte la couronne, quand même il serait sur le point de m’ôter la vie. »

Le roi Bab, après avoir entendu ces paroles, se levant de son trône, les larmes aux yeux, se jeta au cou de Mouschegh, l’embrassa et dit en pleurant: « Oui, ils méritent bien la mort ceux qui osent calomnier Mouschegh, cet homme brave et honorable! Mouschegh est issu d’une race aussi noble que la nôtre; ses ancêtres sont comme les nôtres; car, ayant abandonné la royauté du pays des Djen[148] et étant venus en Arménie, ils ont non seulement consacré leur vie à nos ancêtres, mais ils l’ont même sacrifiée pour eux; son père, le père de Mouschegh a donné sa vie pour mon père, il nous a servi lui-même [jusqu’à présent] avec un dévouement sans bornes, grâce aux prières ferventes que notre admirable père Nersès a adressées à Dieu. Mouschegh a remporté des victoires et a été la cause unique d’une longue paix. Eh bien! comment [maintenant] ose-t-on me dire que Mouschegh attend le moment propice pour me tuer? Un homme juste, raisonnable et bien intentionné, au point d’épargner même les souverains étrangers, pourrait-il lever la main contre ses propres maîtres? »

En ce temps-là, Bab donna au général Mouschegh beaucoup de présents, de villages, et le combla d’honneurs.

CHAPITRE V.

Avis donné par Ournaïr d’un second combat livré par les Arméniens aux Perses à Kandzag d’Adherbeidjan, où les premiers sont vainqueurs.

Après cela, Ournaïr, roi des Aghouank, dépêcha un envoyé vers Mouschegh pour lui donner cet avis: « Je te suis vivement reconnaissant de ne m’avoir pas tué, car Dieu m’avait fait tomber entre tes mains; mais tu as bien voulu m’épargner: tant que je vivrai, je n’oublierai jamais ce témoignage d’amitié de ta part. Je te préviens donc que le roi des Perses, Sapor, se prépare à la tête de toute son armée à tomber sur toi à l’improviste. A la suite de cet avis, le stratélate grec disposa les troupes qu’il avait alors sous ses ordres et partit avec elles, en dirigeant sa marche vers les frontières de l’Arménie, du côté de Kandzag d’Adherbeidjan. De même, le sbarabed Mouschegh rassembla toutes les troupes arméniennes qui étaient au nombre de quatre-vingt-dix mille hommes d’élite, tous bien armés et portant des lances, sans parler de ceux qui étaient munis de boucliers; et, pour prévenir l’ennemi, il se porta sans tarder sur les frontières. Le roi resta seul en Arménie avec le pontife Nersès qui implorait le secours de Dieu pour tout le pays, ainsi que pour l’armée qui allait livrer bataille.

Le roi des Perses, Sapor, arrivé avec ses troupes sur le lieu du combat, y trouva déjà l’armée grecque et les légions arméniennes prêtes à entamer l’affaire. Une mêlée terrible s’engagea et les Perses furent vaincus. Ce fut surtout le corps des soldats armés de lances qui, attaquant avec ardeur les soldats perses, les faisait tomber de leurs chevaux, en présence même dut roi Sapor. Les guerriers arméniens, voyant les Perses tomber, faisaient retentir ce même cri tous ensemble: « Qu’ils soient à Arschag le brave! » C’est à leur roi Arschag qu’ils consacrèrent tous les valeureux combattants qu’ils tuèrent dans cette bataille; ils disaient à chaque soldat tué: « Sois une victime pour notre roi Arschag! » C’était toujours le même cri qu’on entendait, quand les braves Arméniens, armés de lances, appartenant à la noblesse, renversaient les Perses, car eux aussi disaient: « Qu’ils soient à Arschag le brave ! » puis à chaque tête tranchée, on disait ordinairement: « Sois une victime pour Arschag! »

[A ce combat], un nombre considérable de légions grecques et arméniennes étaient munies et entourées de boucliers, ayant l’aspect d’une ville imprenable. Quand les Perses commencèrent à presser les troupes grecques et le corps des Arméniens armés de lances, alors ces derniers, pénétrant au milieu des légions grecques et Arméniennes, s’y reposèrent protégés par leurs boucliers, comme dans une forteresse. Après s’être reposés un instant, ils sortaient et recommençaient à attaquer les Perses, en faisant un horrible carnage dans leurs rangs et en leur faisant mordre la poussière à leurs pieds. C’était toujours avec le même cri poussé au nom de leur roi Arschag que les Arméniens s’encourageaient les uns les autres, en tranchant la tête à une foule de Perses. Quand les troupes perses commencèrent à les harceler de nouveau, ils se retirèrent encore au centre des légions, comme dans un château inaccessible, et ceux-ci, écartant leurs boucliers, les accueillirent dans leurs rangs. Ce jour-là, le stratélate Térence, avec son armée, et le sbarabed Mouschegh, à la tête de ses troupes, taillèrent complètement en pièces les Perses. Sapor, roi des Perses, s’enfuit du lieu du combat avec le peu de gens qui lui restaient. Après avoir laissé des troupes pour garder les frontières, les vainqueurs retournèrent auprès de leur roi Bab, couverts de gloire, chargés d’un riche butin, et entourés d’une grande pompe.[149]

Le roi Sapor rentra dans son royaume, émerveillé de la bravoure que le corps d’armée arménien venait de déployer devant lui. Il disait: « Je suis en admiration devant ce que je viens de voir. Dès ma jeunesse, j’ai passé toutes mes journées à la guerre dans Les combats; [et quoiqu’] il y ait déjà plusieurs années que j’occupe le trône, je n’en ai pas passé une seule sans livrer bataille; eh bien, je n’ai jamais vu un combat aussi acharné que celui dont je viens d’être témoin. Quand les Arméniens armés de lances s’avançaient pour tenter l’attaque, ils ressemblaient à une haute montagne ou à une tour bien assise, forte et inébranlable. S’il nous arrivait de les ébranler quelque peu, ils se réfugiaient parmi les légions grecques, qui, écartant leurs boucliers, les recevaient comme dans l’enceinte d’une ville entourée de murailles. »

« Après s’y être reposés un peu, ils sortaient de nouveau et se mettaient à massacrer impitoyablement les troupes des Arik. Encore une chose qui m’a vivement frappé, c’est cet amour, ce dévouement que l’armée arménienne porte à son maître. Quoiqu’il y ait déjà tant d’années que leur roi Arschag leur a été enlevé, c’était par son nom qu’ils s’encourageaient les uns les autres au combat.

« Quand il leur arrivait de terrasser les combattants, ils disaient d’une voix unanime: A Arschag ! Cependant Arschag n’était plus parmi eux. Professant un tendre amour pour leur maître, ils sacrifiaient à Arschag les ennemis qu’ils tuaient. Et ce fougueux détachement de Mouschegh! Il me semblait qu’un feu jaillissait de ses bannières; quant à lui, il passait et repassait comme la flamme qui embrase les touffes des joncs. Des années entières se sont déjà écoulées depuis qu’ils ont perdu leur maître Arschag, qui, à l’heure qu’il est, se trouve au château d’Antmesch, dans le pays de Khouzistan; cependant les Arméniens, qui l’aiment ardemment, s’imaginaient qu’il était à leur tête comme leur propre roi, le croyaient parmi eux, dirigeant le combat, et eux-mêmes remplissaient leur devoir en sa présence. Ah! continua Sapor, heureux le maître qui commanderait.une armée animée de pareils sentiments, aussi fidèle et aussi dévouée à son roi! »

CHAPITRE VI.

Teghag le martbed, nommé chef des frontières, entre en négociation avec le roi des Perses, pour trahir le roi des Arméniens; le roi Bab fait mourir Teghag.

Le général de l’armée grecque Térence, et Mouschegh, général des troupes arméniennes, laissèrent Teghag le martbed, qui d’après ses fonctions se nommait Haïr du roi,[150] comme gardien des frontières, à Kandzag, qui se trouvait sur les confins des deux royaumes, de Perse et d’Arménie. Ils lui confièrent trente mille hommes d’élite, munis de lances et couverts de cuirasses, et pourvus de tout ce qui était nécessaire. Térence et Mouschegh, avec le reste des troupes, retournèrent ensuite en Arménie auprès du roi Bab. Teghag le martbed, [resté seul], dépêcha secrètement des envoyés vers Sapor, roi des Perses, s’engageant à livrer dans ses mains le roi Bab, le général grec Térence et le général arménien Mouschegh. Teghag obtint de Sapor [en retour de cette proposition] une immense quantité de trésors. Cependant quelques-uns des grands satrapes, par exemple Knel, Seigneur du canton d’Andsevatsi, et d’autres qui étaient restés avec lui [à Kandzag], en avertirent secrètement le roi Bab. Celui-ci envoya des exprès vers Teghag le martbed pour lui dire: « Après avoir réuni les troupes qui se trouvent sous ta main, transmets-les à Knel Andsevatsi, et hâte-toi d’arriver auprès de moi le plus vite possible; il m’est indispensable de t’envoyer vers Sapor, roi des Perses, car je me suis décidé à me reconnaître son vassal. » A peine Teghag le martbed avait-il entendu ces paroles, qu’ivre de joie, il disait dans son cœur: « Maintenant il me sera plus facile de réaliser ce que j’ai promis au roi Sapor. Une fois auprès de Bab, d’un côté j’userai de tout mon pouvoir pour le tranquilliser, de l’autre je le ferai attaquer à l’improviste par le roi des Perses. »

Teghag, au comble de la joie, se mit à négocier avec les deux souverains; puis, étant monté sur un bon coursier, il partit sans plus tarder, pour rejoindre le roi Bab [qui se trouvait alors] au grand village d’Artians appartenant au domaine royal et situé dans la province d’Ararat. Aussitôt arrivé, Teghag se présenta au roi qui lui fit un accueil des plus magnifiques. A l’heure du souper, le roi Bab donna ordre qu’on emmenât Teghag le martbed et qu’on le revêtit de riches habits. On lui mit un caleçon très large, tombant à gros plis et dont l’ampleur l’empêchait d’être [convenablement] habillé. Puis on lui fit endosser un habit très large et on lui attacha une ceinture à laquelle pendait une épée. Les plis qui retombaient de sa ceinture couvraient entièrement son épée. Pendant qu’on mettait à Teghag le caleçon, la chaussure, et qu’on lui ceignait l’épée, les plis de son caleçon, descendant jusqu’aux chevilles de ses pieds, couvraient totalement son épée, il ne se douta pas un instant du mauvais augure que présageait la largeur démesurée de ses habits. A neuf heures, on vint dire à Teghag: « On t’invite à souper dans les appartements intérieurs du palais. On le fit entrer dans le corridor de l’appartement habité par le roi. Or ce corridor était étroit et avait plusieurs petites ouvertures pratiquées au plafond pour donner du jour. Des deux côtés de ce corridor, se trouvaient rangés des gens munis de boucliers et armés de haches; tandis qu’on conduisait Teghag, tout d’un coup les fenêtres furent fermées. Alors ceux des gens qui portaient des boucliers l’entourèrent et le tirèrent de côté et d’autre. En vain, il porta la main pour saisir son épée qui se trouvait enveloppée et cachée dans les plis de ses habits; il ne put parvenir à la tirer.

Quoique Teghag fût grand de taille, robuste et osseux, cependant les gens qui portaient des boucliers, après l’avoir entouré, l’enlevèrent et le transportèrent jusqu’aux portes de l’appartement du roi. Ce dernier, voyant qu’on allait l’y faire entrer, dit: « Ne le portez pas ici; ne le portez pas ici; mais conduisez-le dans la garde-robe. » Les soldats, portant des boucliers, le firent passer du corridor même dans la garde-robe, où était déposée la couronne royale. Lorsqu’on lia les mains de Teghag, il dit: « Dites au roi, dites-lui bien que j’ai mérité cette mort; mais que cependant il devait me faire tuer sur la place publique et non dans un appartement où on garde les couronnes et où on va ensanglanter la sienne. » A peine avait-il proféré ces mots, qu’on l’égorgea dans les chambres de la garde-robe. Après lui avoir tranché la tête, on la porta au bout d’une pique, qui fut plantée au milieu du camp royal.

CHAPITRE VII.

Arschag, roi des Arméniens, se donne la mort dans le château d’Aniousch, situé dans le pays de Khouzistan, à l’instigation de Trasdamad.

En ce temps-là, Arschag, roi des Arméniens, vivait encore au château d’Antmesch, nom qui signifie château d’Aniousch,[151] et qui se trouvait dans la contrée de Khouzistan, située dans le royaume de Perse. Bien qu’à cette époque, la guerre entre la Perse et l’Arménie eût cessé, cependant le roi des Kouschans, qui était d’origine arsacide, suscita une [nouvelle] guerre contre le roi Sapor le sassanide. Ce prince, ayant réuni toutes ses troupes et tous les cavaliers qu’il avait emmenés en captivité avec lui du pays des Arméniens, leur donna l’ordre de marcher et se mit à leur tête, accompagné de l’eunuque du roi Arschag. Or, cet eunuque d’Arschag, roi des Arméniens, qui jadis avait été un personnage dévoué, investi d’un pouvoir étendu, jouissant de grands honneurs et très aimé [de son maître], s’appelait Trasdamad. La guerre entre le roi des Kouschans et celui des Perses une fois commencée, les troupes du premier harcelèrent cruellement celles des Perses, réduisirent en captivité beaucoup de leurs ennemis et chassèrent devant elles le reste. L’eunuque Trasdamad, qui pendant le règne de Diran, roi des Arméniens, et de son fils Arschag, avait été gouverneur de province et [gardien] fidèle des trésors du château d’Ankegh et de tous les châteaux royaux de ces contrées, ainsi que de trésors du château de Penapegh dans le pays de Dzop,[152] confiés à ses soins, avait son coussin plus élevé que ceux des autres satrapes. Cette charge [de gardien des trésors], dès les temps les plus anciens de la dynastie arsacide, était inhérente à celle de martbed.

L’eunuque Trasdamad, prince (ischkhan) [du canton] d’Ankegh-doun, avait été emmené captif en Perse, au temps où le roi Arschag fut fait prisonnier. Il se trouva au combat où les Kouschans défirent Sapor, roi des Perses. Dans cette affaire, Trasdamad se signala par sa bravoure et sauva la vie à Sapor; il mit hors de combat beaucoup de Kouschans et présenta [ensuite à son maître] les têtes de plusieurs ennemis.

C’est ainsi que Trasdamad sauva la vie à Sapor au moment ou ce dernier se trouva pressé et entouré de tous les côtés par les ennemis.

Quand le roi des Perses rentra en Assyrie, [son premier soin] fut de témoigner à l’eunuque Trasdamad sa reconnaissance pour le service qu’il lui avait rendu. Il lui dit: « Tu peux me demander ce que tu voudras, et ce que tu demanderas, je te J’accorderai sans hésiter. » Trasdamad dit au roi: « Je ne te demande qu’une seule chose: permets-moi d’aller voir mon propre maître, Arschag, roi des Arméniens. Permets-moi, quand je me serai rendu chez lui, de le délivrer de ses liens pour un jour seulement, de lui laver la tête, de l’oindre, de le revêtir de riches habits, de lui préparer son siège, de lui présenter un repas et du vin, et de le divertir au moyen de musiciens, et cela pour un jour seulement. »

Le roi Sapor lui dit: « C’est une demande bien difficile à accorder; car depuis que le royaume de Perse existe et que le château porte la dénomination de château d’Aniousch, personne n’a osé rappeler aux rois un seul homme qui y ait été enfermé. Ce que tu demandes est d’autant plus grave que celui qui est enfermé dans cet endroit est un roi, un personnage qui est mon égal et qui s’y trouve retenu parce qu’il a été mon rival. En me faisant une demande aussi importune, tu risques ta propre vie en prononçant le nom seul d’Aniousch; car cela est défendu par la loi, depuis qu’existe le royaume des Arik. Mais puisque les services que tu m’as rendus sont immenses, je t’accorde ta demande, tu peux aller [trouver Arschag]. Cependant il serait plus prudent de songer à tes intérêts, de me demander [comme don] une province, un canton ou bien des trésors. En exprimant ton désir, quoique tu enfreignes la loi du royaume des Arik, j’y accède au lieu de t’accorder des récompenses auxquelles tu as droit. »

Le roi donna à Trasdamad un officier de sa garde des plus dévoués, le munit d’une lettre portant l’empreinte de la bague royale. Cette lettre lui accordait la libre entrée dans le château d’Antmesch, où, d’après la faveur qu’il venait de solliciter, il pouvait réaliser son désir de voir le roi prisonnier, Arschag, qui jadis avait régné sur l’Arménie. Avec l’officier de la garde et la lettre royale, Trasdamad s’introduisit dans le château d’Aniousch où il vit son propre maître. Aussitôt, il délivra Arschag des fers qui liaient ses mains et ses pieds, ainsi que du jonc (?) et des chaînes qui retenaient son cou. Il lava la tête d’Arschag et le fit baigner. Ensuite il le revêtit de magnifiques habits, lui prépara le siège et le fit asseoir. Puis il lui servit son repas d’après le cérémonial de la cour, et plaça du vin devant lui, selon le même cérémonial. De cette manière, Trasdamad tira Arschag de sa torpeur, le consola et le divertit au moyen des musiciens.

Vers la fin du repas, on fit placer devant Arschag des fruits, des pommes, des concombres et des mets délicats, et en même temps, on déposa un poignard devant lui, pour qu’il pût s’en servir. Trasdamad faisait tout son possible pour divertir Arschag, et, se tenant debout devant lui, il ne cessait de lui prodiguer des consolations. Arschag était déjà plongé dans les vapeurs de l’ivresse, qui commençaient à lui obscurcir la vue. Alors il se rappela son passé et dit: « Malheur à Arschag! ainsi vont les choses! Me voilà ici et arrivé à ce point. » Ayant dit cela, il plongea dans son cœur le poignard qu’il tenait à la main pour couper le fruit auquel il allait goûter. Il mourut sur le coup, à l’endroit même où il était assis, Trasdamad voyant cela, se précipita sur lui, arracha de son sein le poignard, et se l’étant plongé dans le côté, il mourut, lui aussi à l’instant même.

CHAPITRE VIII.

Après la guerre des Perses, le sbarabed Mouschegh fait la guerre à ceux qui s’étaient révoltés contre le roi des Arméniens, dans différents endroits, à commencer par l’Adherbeidjan, possession du roi des Arméniens.

Quand la guerre avec les Perses fut terminée, et que tout rentra dans le calme, le sbarabed arménien Mouschegh, déclara la guerre à ceux qui s’étaient soulevés contre les rois arsacides, pour se rendre indépendants.[153] En premier lieu, il commença par les possessions du roi des Arméniens, dans l’Adherbeidjan, en dévastant tout le territoire des Adherbaditch, et en emmenant en captivité une multitude considérable de gens. Après avoir soumis le reste des habitants, il leur imposa un tribut et prit beaucoup d’otages.

CHAPITRE IX.

De Noschiragan.[154]

Mouschegh défit les habitants du pays de Noschiragan, qui s’étaient révoltés contre le roi des Arméniens. Après avoir soumis le pays, il le dévasta et le réduisit en esclavage. Il prit des otages parmi les habitants qui restèrent, et leur imposa un tribut.

CHAPITRE X.

Des cantons de Gortouk, de Gortik et de Dmorik.

Le sbarabed Mouschegh ravagea également les districts de Gortouk,[155] de Gortik et de Dmorik,[156] qui s’étaient aussi révoltés contre le roi d’Arménie. Après les avoir soumis, il les dévasta, les réduisit en esclavage et imposa un tribut au reste des habitants; il prit également beaucoup d’otages.

CHAPITRE Xl.

De Mark.

Mouschegh dévasta également les contrées de Mark, [dont les habitants] s’étaient aussi révoltés contre le roi des Arméniens; il emmena beaucoup de captifs. Après avoir imposé tribut au reste des habitants, il leur prit des otages.

CHAPITRE XII.

De l’Artsakh.

Mouschegh ravagea le pays d’Artsakh[157] d’où il enleva un grand nombre de prisonniers; et, après avoir pris des otages, il imposa un tribut au reste des habitants.

CHAPITRE XIII.

De l’Aghouanie.

Mouschegh porta la guerre dans le pays des Aghouank, qu’il dévasta cruellement. Il reconquit plusieurs cantons, notamment Oudi, Schagaschen, la Vallée de Kartman, Goght et d’autres contrées environnantes, dont les Aghouank, qui les avaient détachées de l’Arménie, s’étaient emparés. Le fleuve Kour fut désigné comme devant servir de limite entre le pays des Aghouank et celui des Arméniens, ainsi que cela existait auparavant. Plusieurs chefs aghouank furent tués [dans cette campagne]. Mouschegh, après avoir pris des otages, imposa au reste des habitants un tribut.

CHAPITRE XIV.

De Gasp.[158]

Ensuite le sbarabed Mouschegh tira une cruelle vengeance du pays des Perses et de la ville de Phaïdagaran,[159] parce que les gens de ce pays avaient trahi le roi des Arméniens, en se révoltant contre lui. Arrivé là, le sbarabed arménien massacra un grand nombre de leurs habitants dont une quantité considérable fut réduite en captivité. Après avoir pris des otages, il imposa un tribut au reste des habitants et laissa [dans le pays] des gouverneurs.

CHAPITRE XV.

De l’Ibérie (Virk).

Ensuite le sbarabed Mouschegh alla contre le roi de l’Ibérie (Virk),[160] qu’il pressa excessivement, en dévastant le territoire de son royaume. Il passa au fil de l’épée toute la noblesse et toutes les familles satrapales qu’il y trouva. Mouschegh donna ordre de mettre en croix, au centre même du pays, la race des Phar[n]avazian;[161] il prit aussi le ptieschkh des Koukark qui reconnaissait autrefois la suzeraineté du roi des Arméniens, mais qui, dans la suite, se révolta contre ce dernier. Le sbarabed massacra tous les mêles de la famille de ce ptieschkh et emmena en captivité ses femmes et ses filles. Il agit de la même manière envers tous les satrapes qui, se trouvant dans ce pays, s’étaient révoltés contre le roi des Arméniens, c’est-à-dire qu’il les décapita tous. Il reconquit toutes les provinces et, ayant pris des otages, il imposa un tribut au reste des habitants. Après avoir rétabli pour limite entre le pays des Arméniens et celui des Ibériens le grand fleuve Kour, comme cela existait jadis, il rentra en Arménie.

CHAPITRE XVI.

Du roi d’Aghdsnik.

Ensuite Mouschegh se dirigea vers le pays d’Aghdsnik, qui s’était révolté contre le roi des Arméniens, et le livra à une épouvantable dévastation. Ayant pris le ptieschkh d’Aghdsnik, il fit massacrer ses femmes en sa présence et réduisit ses enfante en captivité. Il imposa le tribut à ceux qui restèrent dans le pays d’Aghdsnik, où il établit des chefs et des gouverneurs.

CHAPITRE XVII.

Du grand Dzop.

De là [les Arméniens] firent irruption dans le grand Dzop[162] qui s’était aussi révolté. Mouschegh y porta la dévastation, passa au fil de l’épée les habitants, et, après avoir pris des otages, il imposa un tribut à toute la population.

CHAPITRE XVIII.

De l’Ankegh-doun.

Mouschegh fit périr une multitude de gens dans l’Ankegh-doun,[163] en les passant au fil de l’épée. Mais, comme ce pays fut jadis une résidence royale, Mouschegh se contenta d’imposer seulement un tribut à ses habitants.

CHAPITRE XIX.

Du canton d’Andsid.

Ensuite Mouschegh fit irruption dans le canton d’Andsid,[164] en portant la dévastation dans tous les lieux environnants, qui s’étaient tous révoltés contre le royaume des Arsacides. Après avoir soumis ce canton, il passa au fil de l’épée les seigneurs du pays, prit des otages, et contraignit le reste des habitants à payer tribut à Bab, roi des Arméniens.

CHAPITRE XX.

Du sbarabed arménien Mouschegh.

Le brave sbarabed arménien [Mouschegh], plein d’ardeur et de zèle, consacrait tous les jours de sa vie au royaume d’Arménie, qu’il servit toujours avec fidélité. Occupé et le jour et la nuit, il passait tout son temps à combattre l’ennemi pour ne pas le laisser s’emparer même d’un coin de territoire faisant partie du pays des Arméniens. [Il n’avait qu’une seule pensée], celle de vivre pour sa patrie, de mourir bravement pour elle, pour ses propres maîtres, pour les habitants du pays, pour la foi chrétienne, pour ceux qui croient en Dieu, pour le peuple baptisé au nom du Christ, pour les églises, pour les vases sacrés, pour les basiliques consacrées à la mémoire des martyrs du Christ, pour les serviteurs de Dieu, pour les sœurs et les frères, pour les proches parente, pour les amis sincères; enfin, toujours prêt à se sacrifier, Mouschegh ne rêvait qu’à servir ses maîtres arsacides.

CHAPITRE XXI.

Du pontife Nersès, ce qu’il était, et ce qu’il faisait.

Le pontife des Arméniens, Nersès, renouvela tout ce qui était détruit dans le pays des Arméniens. Se chargeant de consoler, de nourrir et de surveiller les pauvres, il accueillait en même temps les lépreux. Il construisit partout des églises, restaurant celles qui avaient été démolies, en y rétablissant l’ordre renversé. Ici, il édifiait [le peuple] et l’affermissait [dans la foi], là il le reprenait et le châtiait. Il accomplit beaucoup de miracles, de grands prodiges et des guérisons merveilleuses. Sévère dans tout ce qui concernait la religion, quand il bénissait quelqu’un, sa bénédiction produisait son effet; quand il maudissait quelqu’un, il était maudit. Il multiplia le nombre des serviteurs [de Dieu] sur tous les points du territoire d’Arménie, en instituant des évêques dans chaque canton, et en se réservant pour lui la surveillance générale et la juridiction, qu’il exerça jusqu’à ses derniers jours.

CHAPITRE XXII.

Le roi Bab est obsédé par les dev; son genre de vie.

Le roi Bab, dans son enfance, et dès les premiers jours de sa naissance, fut consacré aux dev par sa mère impie Pharandzêm;[165] à la suite de cela, il fut obsédé par les dev, dès l’âge le plus tendre. Ne pensant qu’à accomplir leur volonté, Bab ne chercha jamais à s’en délivrer. Il s’était voué tout à fait à ces génies du mal, et ceux-ci, invoqués par des sortilèges, se montraient sur la personne de Bab, et chacun pouvait de ses yeux s’apercevoir de leur présence auprès du roi. Chaque fois qu’on venait saluer le roi Bab, on voyait les dev, sortant de son sein, s’enrouler autour de ses épaules sous la forme de serpents. Les personnes présentes, épouvantées, n’osaient s’approcher du roi. Quant à lui, il disait à tout le monde: « Ne craignez rien, ce sont les miens. » Ces serpents se faisaient voir à tout le monde, enlacés autour de lui; car Bab était possédé par une masse de ces génies, et par conséquent tous ceux qui approchaient le roi voyaient également ces serpents. Ces dev se rendaient invisibles seulement quand le patriarche Nersès ou le saint évêque Khat entraient chez Bab.

Le roi Bab avait des mœurs déréglées; il commettait des adultères et toutes sortes d’abominations. Possédé comme il était par les dev, il le fut jusqu’à ses derniers jours, car ils ne cessèrent de résider dans toute sa personne.

CHAPITRE XXIII.

Comment saint Nersès reprenait sans cesse le roi Bab à cause de ses mauvaises actions.

Saint Nersès, pontife des Arméniens, ne cessait de réprimander souvent le roi Bab, en présence même de témoins. A cause de la somme de ses péchés, il lui interdit non seulement l’entrée de l’église, mais aussi d’approcher du vestibule. Il lui adressait des reproches continuels et lui infligeait des pénitences. Nersès croyait, par ce moyen, mettre un terme aux actes abominables du roi, et pensait le faire rentrer dans la voie de son propre salut; aussi ne cessait.il de lui inspirer la pensée du repentir. Il lui faisait des citations de l’Ecriture-Sainte, lui rappelant les châtiments éternels qui l’attendaient au jugement dernier, afin qu’il se rendit sage et meilleur, en vue de progresser dans la voie de la justice et de prendre quelque soin des œuvres saintes.[166]

Le roi Bab, non seulement ne prêta pas l’oreille à ses exhortations, mais au contraire il s’arma contre Nersès d’une haine implacable, et il n’attendait que le moment favorable pour le tuer et cela sans déguiser ses projets. Par crainte de l’empereur des Grecs,[167] il n’osa pas exécuter ce meurtre contre Nersès, ni même se permettre de l’injurier publiquement. [Du reste] aucun habitant de son royaume, et aucun soldat de son armée n’aurait consenti à accomplir un tel forfait, car Nersès était un homme sur qui les regards de tous les Arméniens étaient tournés, à cause de ses œuvres équitables, de sa vie sainte, de son administration animée d’un esprit de paix, et surtout à cause des prodiges, qu’il accomplissait en face de tous; ce qui le faisait regarder comme un ange du ciel. Cependant, le roi nourrissait [toujours] une haine implacable contre lui et cherchait tous les moyens de le faire périr, quoiqu’il n’osât point en parler, attendu que ses troupes l’auraient massacré. Tout le monde recourait aux prières de Nersès qui était aimé généralement des grands et des petits, des personnes notables et des hommes de basse extraction, des nobles et des gens du peuple.

CHAPITRE XXIV.

Comment le saint et grand pontife Nersès fut tué par le roi Bab.

Cependant, le roi Bab s’était déclaré l’ennemi irréconciliable du grand pontife Nersès, de cet homme de Dieu, qui le reprenait toujours sur l’énormité de ses péchés. Il ne voulait ni se corriger, ni marcher dans le sentier droit, mais comme il était fatigué de s’entendre réprimander sans cesse par Nersès, il conçut le projet de faire mourir le grand pontife de Dieu. Ne pouvant le faire ouvertement, il feignit de se repentir, en priant le saint homme de lui imposer une pénitence. Il l’invita à venir dans son palais situé dans le bourg de Khakh, dans le canton d’Eghéghiatz,[168] où il prépara un souper à l’homme de Dieu, en le faisant asseoir sur le siège royal. C’était comme un commencement de la pénitence qu’il allait s’imposer dès ce moment, pour se purifier de ses péchés.

L’ayant fait asseoir à sa table, Le roi se leva lui-même de son siège, et alla présenter à l’homme de Dieu, à Nersès, la coupe et l’acine empoisonnés. A peine Nersès avait-il vidé la coupe qu’il comprit la perfidie du roi et dit: « Sois béni, Seigneur Dieu, pour m’avoir jugé digne de vider cette coupe et de subir pour toi cette mort que j’ai tant désirée dès mon enfance! J’accepte cette coupe de salut, j’invoque le nom du Seigneur, car moi aussi je vais participer dorénavant à l’héritage des saints dans la lumière. O roi, maintenant c’est à toi que je m’adresse: n’était-il pas en ton pouvoir de me faire tuer ouvertement, car personne ne pouvait t’en empêcher; personne ne pouvait arrêter ton bras au moment de l’accomplissement de ton forfait. Mais, Seigneur, pardonne-lui le crime qu’il vient de commettre sur ma personne, reçois l’âme de ton serviteur, toi qui es le refuge de tous les affligés et le dispensateur de tous les biens! »

Après avoir ainsi parlé, Nersès se leva et rentra dans sa demeure. Tous les grands satrapes arméniens, le sbarabed Mouschegh, Haïr le martbed, enfin ceux qui avaient assisté à cette scène, quittant le palais du roi, suivirent Nersès dans sa demeure. Rentré chez lui, Nersès, relevant son manteau, montra [aux assistants la tache] bleu foncé, grande comme un gâteau, qui se dessinait à l’endroit de son cœur. Aussitôt les satrapes, pour le sauver, se hâtèrent de lui présenter l’antidote contre le poison meurtrier, mais lui refusa de le prendre, et le rejeta en disant: « C’est le plus grand bien qui m’arrive, car je meurs pour avoir surveillé l’accomplissement des préceptes du Christ. Vous savez bien vous-mêmes que tout ce que je vous ai dit a été dit publiquement, et cela a été toujours mon unique désir. Je suis content du sort qui me réunit aux élus, et c’est avec joie que j’embrasse mon héritage! Oh! avec quelle joie je vais quitter bientôt ce inonde pervers et impie! Ayant parlé de la sorte, Nersès leur donna des conseils, et pria tous les assistants d’avoir soin d’eux-mêmes et de garder les commandements du Seigneur. »

Après cela, un sang caillé commença à lui sortir de la bouche, ce qui dura presque deux heures. Il se mit en prières et, fléchissant le genou, il pria [Dieu] de pardonner à son meurtrier. Il pria ensuite pour tous les hommes, pour les présents et les absents, pour les dignes et les indignes, même pour les inconnus. Après avoir terminé sa prière, il éleva ses bras et ses yeux vers le ciel, en disant: « Seigneur Jésus-Christ, reçois mon âme! » Ayant achevé ces mots, il rendit l’esprit. Alors les serviteurs de l’Eglise, ayant à leur tête, l’évêque Faustus,[169] le maître des offices Dertadz, le sbarabed Mouschegh, Haïr le martbed et tous les nobles du camp royal, prirent le corps de saint Nersès, de cet homme de Dieu, et le transportèrent du village de Khakh, où le crime avait été commis, dans son propre bourg de Thil, avec des torches allumées et avec une grande pompe, en récitant des psaumes et des prières. Le corps n’était pas encore enseveli, quand on vit arriver le roi Bab qui l’enveloppa et le mit dans le sépulcre des martyrs. Cependant le roi Bab faisait semblant de ne rien comprendre, comme s’il était complètement étranger à la mort [de Nersès].[170]

CHAPITRE XXV.

Vision qui apparut aux saints anachorètes, Schaghita et Epiphane, quand ils viraient encore dans la montagne.

Deux moines anachorètes, dont l’un s’appelait Schaghita, Syrien d’origine, qui vivait dans la montagne d’Arioutz (du lion), et l’autre, d’origine grecque, se nommait Epiphane et habitait dans la grande montagne, sur le lieu consacré aux idoles et qu’on nomme trône d’Anahid (athor Anahta), avaient été disciples du grand saint Daniel, dont nous avons parlé plus haut.[171] Au moment même de la mort de saint Nersès, les deux anachorètes, se trouvant chacun dans leurs montagnes, virent de leurs propres yeux, au milieu du jour, l’homme de Dieu, comme transporté jusqu’aux nues, et porté en haut par les anges de Dieu et des légions d’autres anges qui venaient à sa rencontre. Etant frappés de cette vision, les anachorètes furent étrangement surpris. Cependant Schaghita, qui se trouvait sur la montagne d’Arioutz, versé qu’il était dans les sciences, comprit à l’instant même que saint Nersès était mort, et que c’était son âme qu’il venait d’apercevoir; Epiphane comprit autrement cette vision; il pensa que Nersès était enlevé vivant de cette terre. Quittant tous deux leurs montagnes, ils se dirigèrent sans plus tarder du côté du canton d’Eghéghiatz, où ils apprirent en effet que le saint patriarche Nersès était déjà mort, ils allèrent alors jusqu’au village de Thil, et virent l’endroit où reposait son corps. Ces deux hommes, s’étant rencontrés dans ce lieu, se racontèrent, en présence du peuple, ce dont ils avaient été témoins. C’étaient des hommes qui menaient une vie angélique, et vivaient dans le désert. Ils avaient le pouvoir de faire de grands prodiges, et tout le monde connaissait leurs œuvres.

CHAPITRE XXVI.

De saint Schaghita.

Schaghita, homme saint, avait été disciple du grand Daniel. Dès son enfance, élevé dans le désert, il vivait avec les anachorètes et se nourrissait d’herbes. Après la mort de saint Nersès, il alla dans le canton de Gortouk, où il fit de grands prodiges, vivant au milieu des lions, car plus de vingt lions l’entouraient toujours et l’accompagnaient partout. Si quelque maladie attaquait ces animaux, ils entouraient Schaghita, le tiraient [par ses vêtements] et, par des signes, lui faisaient entendre qu’ils avaient besoin de son secours. Or il advint qu’un énorme lion, qui avait une écharde dans la patte, vint un jour trouver saint Schaghita, dans la montagne où ce dernier habitait, et levant son membre blessé, comme l’aurait fait un homme, il lui montra sa plaie, et semblait implorer sa guérison. Saint Schaghita, après avoir enlevé l’écharde, mit de la salive sur la plaie, et avec le morceau d’étoffe qui entourait sa tête, il pansa la blessure du lion et le guérit.

C’est ainsi que le saint opéra de nombreux miracles. Il passait tous les jours de sa vie dans les déserts, en compagnie des bêtes sauvages. S’il lui arrivait de traverser un fleuve, il marchait sur ses eaux avec ses sandales, qui étaient à peine mouillées. Quand il entrait dans un village, il convertissait plusieurs égarés par des miracles et par des prodiges. Il marchait toujours seul, et, aussitôt qu’il entrait dans un village, il guérissait beaucoup de malades. C’était un homme d’un âge fort avancé.

Tout le monde attendait sa mort avec impatience, afin de s’emparer de son corps. Schaghita, ayant appris que plusieurs hommes attendaient sa mort pour s’emparer de son corps, demanda à Dieu de ne pas leur accorder ce souhait. Un jour, comme il avait l’habitude de le faire, quand il marchait sur les eaux d’un fleuve du [canton] de Gortouk pour le traverser, tout d’un coup, sur sa demande [adressée à Dieu, il plongea sous les eaux et disparut; ce qui causa un grand deuil dans tout le canton. De tous les côtés, une immense multitude d’hommes, s’étant réunis, détournèrent les eaux de la rivière, les dirigeant d’un autre côté, et se mirent à chercher le corps de saint Schaghita, qu’ils ne purent trouver nulle part. C’était la prière qu’il avait faite à Dieu qui venait de s’accomplir.

CHAPITRE XXVII.

De saint Epiphane.

Le bienheureux saint Epiphane avait été, comme saint Schaghita, élève du grand Daniel; lui aussi fut, dès son enfance, élevé dans le désert. Après la mort du grand pontife Nersès, il se retira dans le désert du Grand Dzop, nommé Mampré, qui s’étend sur la rive du fleuve Mamouschegh. Il habitait des cavernes, vivait entouré de bêtes féroces, tels que des ours et des panthères. Habitant dans le désert, il opérait de grands prodiges et des miracles. Il convertit plusieurs païens au christianisme; il couvrit le pays de Dzop de monastères, instituant des docteurs dans tout le pays, et [de la sorte] saint Épiphane devint la lumière de Dzop par son enseignement lumineux. Il passa de cet endroit dans le pays d’Aghdsnik pour y répandre la lumière: il y fonda un grand nombre de monastères; et, le jour de la commémoration des saints, il posa, pour le salut du pays, Les fondements d’une église en l’honneur des martyrs dans la ville de Tigranocerte. Après avoir opéré des miracles dans cette ville, il rentra dans sa demeure habituelle. Or il y avait à peu de distance du fleuve Mamouschegh, une source d’où sortait une multitude de poissons; beaucoup de gens en faisaient leur nourriture. Deux frères s’étant pris de querelle à propos de ces poissons, l’un d’eux tua l’autre. Saint Epiphane, ayant appris cet événement, dit: « Dorénavant personne ne mangera [plus de ces poissons.]» A l’instant même le poisson de cette source prit un goût d’amertume, et jusqu’à ce jour il est d’une saveur amère comme la bile. Personne n’en a plus pêché jusqu’à présent. Saint Epiphane fit beaucoup d’autres prodiges. Après avoir rétabli l’ordre dans ces cantons, saint Epiphane, accompagné de ses disciples, c’est-à-dire des moines qui vivaient dans les montagnes et dans les déserts, au nombre de cinq cents, se dirigea vers le pays des Grecs. Chemin faisant, ils rencontrèrent une femme. Ils l’avaient laissée déjà bien loin en arrière, quand Epiphane interrogea ses disciples en leur disant: « Comme cette femme est belle et magnifique! Un des disciples qui était jeune, dit: La femme dont tu viens de faire l’éloge est borgne. » A cela saint Epiphane répliqua: « Et quel besoin avais-tu d’examiner son visage? n’est-ce pas une preuve que tu es obsédé par de mauvaises pensées? » A l’instant même il congédia le jeune homme. S’étant embarqués sur des navires, ils entrèrent dans la grande mer et prirent pied dans une île déserte, qui était infestée de reptiles. Cette île était un repaire de serpents, d’aspics, de basilics et de beaucoup d’autres vipères venimeuses. Aussitôt que saint Epiphane mit le pied sur cette île, toutes les vipères la quittèrent. Dès ce moment, ils y furent en sûreté et y demeurèrent en paix. C’est dans ce lieu que saint Epiphane s’établit, et qu’il termina ses jours.

CHAPITRE XXVIII.

Grands prodiges et miracles opérés par Dieu à Mampré, après le départ d’Epiphane.

Saint Epiphane, se préparant à quitter le lieu de sa solitude, nommé Mampré, dans le canton de Dzop, y laissa plusieurs frères animés du même esprit et de la même foi chrétienne; c’étaient des ermites et des athlètes qui habitaient les montagnes, ayant pour chef un prêtre. Il y en avait parmi eux quelques-uns, qui, dès leur enfance, n’avaient pris d’autre nourriture que de l’herbe et de l’eau pure, et qui ne connaissaient même pas le goût du vin. Un de ces frères, menant une vie austère, avait cependant une conduite blâmable, car il ne buvait jamais à la coupe du salut, c’est-à-dire le sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et, quand il montait à l’autel de Dieu, il ne pouvait pas se convaincre que le vin fût véritablement le sang du Fils le Dieu. Ce vin [consacré] ne lui représentait simplement que du vin, et il en faisait le sujet de disputes sans fin avec tout le monde. Un jour qu’on allait consommer le mystère du sacrifice de la messe dans l’église construite par saint Epiphane, on mit le pain sacré et le vin sur l’autel pour qu’il s’y transformât en sang. Le frère incrédule était là présent. Le prêtre se tenait déjà devant le saint autel; mais, avant d’opérer le sacrifice, il tendit les mains vers le tabernacle et pria…………………………...[172]

Ayant prié de la sorte avant d’offrir le sacrifice de la messe, le prêtre commença à le célébrer. Quand il récita: « Notre Père, qui êtes aux cieux », il fléchit le genou et pria longtemps. Pendant qu’il était en oraison, le frère incrédule se tenant debout, regardait l’autel d’en bas; c’est alors qu’il vit un miracle de ses propres yeux. Il aperçut le Christ, descendu [du ciel], qui se tenait sur l’autel. Il montrait son côté, percé par une lance, d’où sortait son sang qui venait remplir le calice posé sur l’autel. Quand le moine incrédule vit cela, Il fut frappé de terreur, et, saisi d’un violent frisson, il tomba sans connaissance et s’évanouit.

Le prêtre, après avoir terminé la sainte messe, descendit de l’autel avec le calice et vit le frère couché par terre et privé de sentiment. Lorsqu’il eut fait communier les assistants, le prêtre reporta le calice sur l’autel, puis, étant revenu sur ses pas, il s’approcha du frère qui était évanoui à terre. Il versa de l’eau dans la bouche du frère qui reprit peu à peu ses sens. Ce frère raconta alors le grand miracle dont il avait été témoin, Alors le prêtre voulut lui administrer le saint sacrement; mais le frère, s’en croyant indigne, n’y consentit pas. Il se creusa une caverne, dans laquelle, pendant sept ans, il expia le péché de son incrédulité; après quoi il se crut digne de participer au sacrement [de la communion]. Cependant le frère redescendit de nouveau dans la caverne et y passa tous les jours de sa vie jusqu’au moment de sa mort. Le prêtre mourut aussi et tous les deux furent ensevelis dans l’église construite par Epiphane, où ces miracles avaient été accomplis.

CHAPITRE XXIX.

Iousig, descendant de la famille de l’évêque Albin, est nommé patriarche à la place de Nersès, par le roi Bab, sans le consentement du grand pontife de Césarée. Les patriarches arméniens sont privés du droit de donner l’imposition des mains aux évêques.

Après le patriarche Nersès, tué par le roi Bab, celui-ci ordonna à l’évêque Iousig, de la famille d’Albin (Aghpianos), évêque de Manazguerd, d’occuper le siège patriarcal.[173] Le pontife de Césarée apprit qu’après la mort du grand patriarche Nersès, Iousig avait été installé, à la place de ce dernier, sans son consentement et sans qu’il eût obtenu l’imposition des mains du pontife de Césarée.

Cet événement excita l’étonnement et le courroux du patriarche de Césarée. Un concile d’évêques de cette province se réunit sous la présidence du patriarche, et rédigea une lettre pleine de réprimandes, [adressée à l’Eglise arménienne], et une autre au roi Bab, dans laquelle il annulait le pouvoir du patriarche [d’Arménie], lui interdisait d’imposer les mains aux évêques arméniens, et ne lui laissait que la seule prérogative de bénir la table du palais du roi. A partir de ce moment, le patriarche [d’Arménie] fut privé du droit d’imposer les mains aux évêques qui, de toutes les provinces et de toutes les contrées de l’Arménie, se rendirent dès lors à la ville de Césarée, pour obtenir la dignité épiscopale. Ainsi, dans le pays des Arméniens, l’évêque qui était le plus ancien ne jouissait que de la préséance et du droit de bénir la table des rois. [Iousig], quoique chrétien, n’osa jamais réprimander qui que ce fût; ayant un caractère faible et facile, il passa toute sa vie paisiblement, en gardant le silence, car il n’avait obtenu sa dignité que [de l’autorité) du roi seul.

CHAPITRE XXX.

Deuil profond causé par la mort du patriarche Nersès.

Le meurtre du saint patriarche Nersès, commis par le roi Bab, plongea le pays entier dans une profonde tristesse. Tous les habitants de l’Arménie disaient entre eux: « La gloire de l’Arménie s’en est allée, puisque le juste de Dieu a été enlevé à notre pays! » Les princes et les satrapes disaient également: « C’en est fait, notre pays est perdu! c’est en vain que le sang du juste a été répandu, d’autant plus que c’est pour Dieu que Nersès a été tué. » Le sbarabed des Arméniens, Mouschegh, disait de son côté: « Le sang du saint de Dieu a été versé sans raison. Dorénavant je ne puis plus marcher contre les ennemis, ni diriger ma lance contre qui que ce soit. Je sais d’avance que Dieu nous a déjà abandonnés, que nous sommes abattus, et que nous ne pouvons plus relever nos têtes. Maintenant nous ne remporterons plus de triomphes sur nos ennemis; je le sais bien, car la victoire nous venait de la prière de celui qui a été tué et de ceux de sa race. » Tous les habitants de la maison de Thorgom, tous ceux qui parlaient l’arménien, les nobles comme les paysans, d’un côté à l’autre du pays, déploraient amèrement cette perte.

CHAPITRE XXXI.

Après la mort du patriarche Nersès, le roi Bab détruit et renverse l’ordre établi dans l’Eglise par Nersès, de son vivant.

Quoique Bab, roi des Arméniens, eût déjà tué le patriarche Nersès, cependant il ne se contenta pas de sa mort, car il cherchait à détruire entièrement tout l’ordre établi dans l’Église par Nersès. Animé d’un esprit de vengeance, il ordonna ouvertement de fermer les asiles destinés aux veuves et aux orphelins, que Nersès avait construits dans plusieurs cantons du pays, et de démolir les monastères de filles, fondés par ce dernier dans les bourgs de plusieurs cantons et qui étaient entourés de murailles flanquées de tours. Le pontife arménien avait construit ces monastères pour qu’ils pussent recevoir dans leur enceinte les filles de tout le royaume, afin qu’elles s’adonnassent au jeûne et à la prière, en recevant leur nourriture ou des habitants du pays ou de leurs parents. Bab fit démolir tous ces monastères et livra les religieuses à la prostitution.

Dans chaque bourg, Nersès avait construit un hospice que les habitants d’alentour étaient obligés de pourvoir de vivres. La surveillance des malades et des pauvres, dans ces hospices, était confiée à la sollicitude de gens dévoués, et à ceux qui avaient la crainte de Dieu et la foi dans le jugement universel et dans l’avènement du christ. En détruisant ces établissements, le roi fit chasser de leurs emplois les surveillants désignés par Nersès, pour avoir soin des indigents et des malheureux, et en même temps il publia un édit dans tout le royaume, en vertu duquel les pauvres pouvaient aller tendre la main et mendier partout, et il faisait défense à tous de leur porter dorénavant quoi que ce fût dans les hospices. C’était aussi un usage établi par les anciens, de donner au clergé les fruits et les dimes; cependant le roi Bab défendit à chacun de se conformer à cet usage.

Du temps du patriarche Nersès, personne, dans tout le pays des Arméniens, n’osait répudier sa femme, qui avait porté le voile on la couronne du mariage bénis [par le prêtre]; c’était une chose à laquelle personne n’eût osé arrêter sa pensée. De son vivant, personne ne se permettait de pleurer un mort avec désespoir et d’une manière interdite par les règles ecclésiastiques; personne n’osait faire entendre des lamentations et des cris de douleur. A la cérémonie des funérailles, on versait seulement des larmes, on entendait réciter les psaumes et les prières, et on ne voyait que des torches ou des cierges allumés. Mais, après la mort de Nersès, chacun eut la permission du roi d’abandonner sa femme; il y eut même des cas où un homme changea dix fois de femme; en un mot l’impiété devint générale dans ce temps-là. On faisait les obsèques des morts en poussant de grandes lamentations, accompagnées de trompettes, de guitares, de harpes et de danses. Les femmes et les hommes, ayant les bras ornés de bandelettes (?), le visage bariolé de diverses couleurs (?), se tenant les uns devant les autres et battant des mains, se livraient à des danses abominables et monstrueuses.

Du temps de Nersès, dans tout le territoire de l’Arménie, on ne voyait nulle part les pauvres mendier, car tout le monde avait soin de leur porter tout ce dont ils avaient besoin dans leurs asiles mêmes, de sorte qu’ils étaient pourvus abondamment de tout [ce qui leur était nécessaire.] Après la mort de ce pontife, s’il arrivait à quelqu’un de procurer quelque repos aux pauvres, il encourait de graves punitions, d’après l’ordre du roi.

Du temps de Nersès, dans tout le pays des Arméniens, l’exercice du culte se faisait dans les églises avec la plus grande pompe, et le nombre des saints serviteurs [de l’autel] était considérable. Alors on célébrait partout et toujours la mémoire des saints martyrs devant une affluence considérable du peuple; la considération dont on entourait les évêques dans toutes les provinces de l’Arménie allait en croissant, les institutions monastiques florissaient en général dans les lieux habités et inhabités. Tout cela fut oublié et détruit après la mort de Nersès.

Du temps du pontificat de Nersès, dans toutes les provinces de l’Arménie, dans les campagnes et dans les villages, des hospices et des hôpitaux avaient été construits au moyen des aumônes et de la charité envers les pauvres, les affligés, les étrangers, les outragés et les voyageurs. Saint Nersès avait désigné des surveillants pour leur procurer des vivres de différents lieux. Après sa mort, le roi Bab abolit tout cela et foula aux pieds l’honneur dû à l’Eglise; car toutes les règles qui y étaient établies par le patriarche, étant rejetées par lui, allaient tomber dans l’oubli. Après sa sortie de ce monde, plusieurs provinces d’Arménie et bon nombre de leurs habitants retournèrent à l’ancien culte des dev, et, avec le consentement du roi Bab, ils dressèrent des idoles dans plusieurs endroits, car il n’y avait personne qui leur inspirât quelque crainte ou qui pût les réprimander. Chacun faisait sans pudeur ce que bon lui semblait. On avait même dressé plusieurs statues qu’on adorait ouvertement.

En outre, le roi Bab réunit au fisc les terres que le roi Tiridate, du vivant du grand pontife Grégoire, avait concédées au profit de l’Église, dans tout le pays des Arméniens. De sept terres [appartenant à l’Eglise], il en donna cinq au fisc et n’en laissa seulement que deux [à l’Eglise]. Dans chaque village dépendant de ces terres, il institua deux prêtres et autant de diacres, dont les frères et fils étaient obligés d’entrer au service du roi. En agissant ainsi, il croyait insulter [à la mémoire] de Nersès qu’il haïssait d’une haine invétérée, et se vengeait ainsi du mort [en tyrannisant] les vivants. Il ne songeait pas qu’il marchait ainsi à la perdition. A cette époque, l’ordre de l’Église et le culte allaient en s’affaiblissant dans tout le pays des Arméniens.

CHAPITRE XXXII.

Le roi Bab se détache du roi des Grecs. Il est tué par des soldats grecs.

Le roi Bab conçut dans son esprit de nouveaux projets et se détacha de l’alliance [qu’il avait conclue avec] le roi (l’empereur) grec, afin de s’unir au roi des Perses.[174] Il dépêcha des envoyés vers ce dernier pour conclure une alliance avec lui, en lui demandant des secours. Ensuite il envoya des ambassadeurs chez le souverain des Grecs [pour lui dire]: « Rends-nous Césarée et dix autres villes, qui nous appartenaient jadis, ainsi que la ville d’Edesse (Ourrha), qui a été construite par nos ancêtres. Si tu ne veux pas susciter des troubles, remets-nous ces villes, ou bien je vais te faire une guerre acharnée. » Cependant Mouschegh et tous les princes arméniens tâchèrent de détourner le roi [de l’idée] de rompre l’alliance avec l’empire grec; mais il ne les écouta pas et déclara sur le champ la guerre à l’empereur.

[En ce temps-là], les généraux grecs, avec leurs troupes, étaient encore en Arménie; l’un se nommait Térence, l’autre Até. Le roi des Grecs expédia secrètement un exprès vers les chefs de ses troupes en Arménie avec l’ordre de tuer Bab, roi des Arméniens. Les chefs [grecs], ayant reçu l’ordre de l’empereur, cherchèrent un moment propice pour tuer Bab. Enfin Térence et Até apprirent que le roi Bab se trouvait seul, puisque tous les grands étaient absents ainsi que les troupes arméniennes. Le camp de Bab, roi des Arméniens, était assis dans la plaine, nommée Khou, dans le canton de Pakravant. Tout près de ce camp les troupes grecques étaient aussi installées. Le général grec prépara un banquet magnifique, digne d’un souverain, auquel fut invité le grand roi des Arméniens, Bab. On fit tous les préparatifs indispensables. Le roi se rendit à ce banquet, et, après avoir occupé sa place, il mangea et but. La tente du général grec Térence, où était entré le roi, était complètement cernée à l’intérieur par une légion de fantassins, ayant le bouclier à la main et l’épée à la ceinture; au dehors se tenait un autre détachement, armé de toutes pièces, qui cachait soigneusement ses armes sous ses vêtements ordinaires. Le roi Bab, à la vue de cet appareil, le considéra comme un hommage qui lui était rendu.

Pendant qu’il était à souper, les soldats, armés de haches, serrèrent les rangs, et l’enveloppèrent de tous les côtés. Aussitôt qu’on présenta au roi Bab la première coupe du festin, les tambours, les flûtes, les harpes et les trompettes commencèrent à faire entendre leurs fanfares. Le roi, tenant à la main la coupe de joie, promenait ses yeux sur tous les joueurs d’instruments. Cette coupe d’or était dans sa main gauche et il avait le coude gauche appuyé sur la table, tandis que sa main droite reposait sur la garde de l’épée attachée à son côté droit. Il allait porter la coupe à ses lèvres, les yeux fixés sur les joueurs des différents instruments, quand Térence fit un signe de l’œil aux troupes grecques. Deux légionnaires, armés de haches avec leurs boucliers ornés de clous d’or, qui se tenaient derrière le roi, levant leurs haches, se jetèrent tout à coup sur Bab. L’un d’eux le frappa juste à la nuque, et l’autre d’un coup de hache lui coupa le poignet de la main droite qui reposait sur la garde de son épée. Le roi Bab tomba sur place, la face contre terre; le vin de la coupe se mêla avec le sang qui coulait de son cou sur le plateau. Bab périt aussitôt.[175] La consternation fut générale à ce festin. Alors Knel, seigneur du canton d’Andsévatzi, quittant son siège, tira son épée et tua un des deux légionnaires qui avait assassiné le roi. De son côté, le général grec Térence, s’armant de son épée, en asséna un coup sur la tête de Knel et lui fit sauter le crâne, au-dessus des yeux. Knel n’eut pas le temps de dire un seul mot devant l’assistance.[176]

CHAPITRE XXXIII.

Les princes arméniens délibèrent sans résultat.

Tous les grands princes arméniens, le sbarabed Mouschegh, Haïr le martbed et les autres seigneurs, s’étant réunis, tinrent conseil entre eux. « Qu’allons-nous entreprendre? qu’allons-nous faire? vengerons-nous notre roi ou non? » Voilà ce qui fut décidé dans ce conseil: « Nous ne pouvons, ni reconnaître la domination des Perses idolâtres, ni nous faire un ennemi de l’empereur grec; nous ne pouvons pas nous faire des ennemis de ces deux souverains, ni même nous passer dia secours de l’un ou de l’autre. » Enfin on s’arrêta à cela: « Ce qui est fait est fait; [maintenant] il faut que nous reconnaissions le pouvoir des Grecs et que nous nous remettions entièrement à leur volonté. » Et on ne songea plus ni à se venger, ni à entreprendre quoi que ce fût; chacun se tint tranquille.

CHAPITRE XXXIV.

Varaztad est élevé à ta dignité royale dans le pays des Arméniens, après Bab.

Après la mort de Bab, roi des Arméniens, l’empereur des Grecs éleva à la royauté du pays des Arméniens un certain Varaztad, d’origine arsacide.[177] Il fit son entrée en Arménie avec une grande pompe et commença à régner sur ce pays. C’était un jeune homme plein de bravoure, avec des bras nerveux et un cœur intrépide,[178] mais d’un esprit léger, d’un caractère versatile et d’une intelligence bornée. Cependant il était à peine arrivé que toutes les grandes familles satrapales se réunirent pour lui témoigner la joie quelles ressentaient de son avènement.

Le sbarabed Mouschegh commandait [comme toujours] l’armée arménienne. Avec une vigilance digne d’admiration, il gardait les frontières le l’Arménie, comme il était habitué à le faire. Il dirigeait le roi Varaztad de ses conseils. Toute sa sollicitude se portait vers l’Arménie, qu’il voulait voir florissante. Cet homme bien intentionné ne songeait qu’à rétablir la stabilité du royaume. Il entra en négociation avec les dignitaires grecs, et par leur intermédiaire avec l’empereur, [en proposant]: de construire, dans chaque province du pays des Arméniens, une ville avec deux châteaux forts, entourés de murailles et munis de garnisons dans chacune, et cela jusqu’à Kandzag, qui formait la limite de l’Arménie du côté de la Perse; d’armer la noblesse et les troupes arméniennes aux frais de l’empereur, afin qu’elles pussent défendre le pays contre les incursions des Perses. L’empereur accepta avec joie cette proposition pour la sécurité et la tranquillité de l’Arménie du côté des Perses, et pour que ceux-ci ne pussent pas s’emparer du pays.

CHAPITRE XXXV.

Varaztad, roi des Arméniens, à l’instigation d’hommes insensés et malintentionnés, fait périr le général arménien Mouschegh.

Les grands satrapes arméniens s’aperçurent bientôt que Varaztad, roi des Arméniens, était un jeune homme facile à se laisser influencer, et qu’il ne savait même pas faire de distinction entre le mal et le bien. En conséquence, ils commencèrent à le conduire selon leur guise, en le dirigeant à leur volonté. Quant à lui, il était enclin à écouter plutôt les avis des jeunes gens de son âge que ceux des vieillards sages, qui pouvaient lui donner des conseils utiles.

Or Pad, chef de la famille des Saharouni, nourricier du roi Varaztad, conçut l’idée de s’emparer de la dignité de sbarabed, dont Mouschegh était investi. Il se mit à calomnier ce dernier auprès du roi Varaztad son pupille, en disant: « Dès le commencement, vous autres Arsacides, vous aves eu pour ennemie et adversaire la famille des Mamigoniens; ce sont eux qui ont ruiné le pays des Arméniens, et principalement Mouschegh, qui est un homme méchant et perfide. Il est ami de vos ennemis et ennemi de vos amis. Toujours et partout il a usé de fraude, de duplicité et de méchanceté envers vous; car n’était-ce pas Mouschegh qui, sous le règne de Bab, a eu maintes fois l’occasion de tuer dans les combats le roi de Perses, Sapor, et qui cependant ne le fit pas, et laissa échapper cet ennemi? N’était-ce pas lui qui jadis, avec la plus grande sollicitude, envoya les femmes de Sapor, tombées entre ses mains, dans des litières à la suite du roi? N’était-ce pas Mouschegh qui, ayant entre ses mains Ournaïr, roi des Aghouank, ne voulut pas le tuer, mars laissa échapper cet ennemi? N’est-ce pas ce Mouschegh qui, par ses conseils et ses instigations, fit assassiner le roi Bab par les généraux grecs? N’est-ce pas lui qui, excitant et soulevant l’empereur contre le roi, décida le prince romain à donner l’ordre de faire mourir Bab? Donc il mérite bien de subir la mort de ta main, car il n’est pas digne de vivre. O roi! il faut pourtant que tu te hâtes, car il médite de faire construire dans tout notre pays des villes, et d’y faire mettre des garnisons grecques. Alors, ou l’empereur te dépouillera de ton royaume, ou bien Mouschegh, après t’avoir tué, s’emparera de ton trône. » Tel était le langage qu’on tenait toujours au roi, jusqu’à ce qu’on parvint enfin à le persuader de faire tuer le sbarabed Mouschegh.

Ensuite on commença à délibérer sur les moyens de s’emparer de Mouschegh, car on le craignait beaucoup: S’il a seulement le pressentiment de ce complot, disait-ou, il va susciter une guerre affreuse, et alors personne ne pourra résister à sa bravoure. Il ne nous reste qu’à conspirer contre lui. Les conjurés n’attendaient plus que le moment favorable [pour exécuter leur complot]. Un jour Varaztad, roi des Arméniens, fit préparer un souper somptueux. Il donna l’ordre d’inviter à ce souper tous les anciens les plus marquants et les grands, ainsi que le général Mouschegh. Le roi Varaztad choisit des gens courageux et forts, qui devaient se tenir prêts à porter le coup fatal à Mouschegh, au moment le plus inattendu. Il les traita magnifiquement, leur fit boire une certaine quantité de vin et les divertit de toutes les manières. Le signal que le roi donna d’avance à ces assassins était celui-ci

Quand vous serez bien assurés que le sbarabed Mouschegh est déjà pris de vin, et que l’ivresse aura alourdi sa paupière, et quand vous me verrez me lever pour satisfaire un besoin, c’est alors que vous l’entourerez. Les convives buvaient; chacun était déjà sous l’influence des fumées du vin, mais seul le roi Varaztad s’abstenait de boire. Quand ce dernier fut assuré qu’à la suite de l’ivresse, on était devenu insensible, il se leva comme pour aller satisfaire un besoin; alors tous les anciens, quittant leurs sièges, se levèrent, afin de lui témoigner leur respect. Tout d’un coup, les douze hommes, qui avaient reçu leurs instructions, assaillirent Mouschegh par derrière; six de ces individus se saisirent d’un de ses bras, six autres de l’autre bras. [Mouschegh], voyant le roi s’arrêter, se tourna vers lui [et demanda]: « Qu’est-ce cela? » Le roi lui répondit: « Retourne chez le roi Bab; c’est lui qui t’expliquera ce que cela signifie. » [Ayant dit cela], le roi s’en alla. Mouschegh reprit: « Telle est la récompense pour tant de services rendus, pour tant de sang versé, pour tant de sueur essuyée avec la pointe de ma flèche! Mais, puisque l’instant de la mort est venu pour moi, je regrette de ne pouvoir l’affronter à cheval ... » Ce fut tout ce qu’il put dire; car il ne put proférer ensuite aucune parole. Pad Saharouni, le nourricier du roi Varaztad, ayant dégainé son épée, suspendue à son côté, frappa à l’instant même la gorge du général Mouschegh et lui trancha la tête. On prit son corps et on le porta dans son propre village.

CHAPITRE XXXVI.

Vaine espérance des proches parents de Mouschegh et d’autres personnes.

Quand on apporta le corps du sbarabed Mouschegh dans sa maison, chez ses familiers, ces derniers ne voulaient pas croire à sa mort quoiqu’ils vissent bien que sa tête était séparée du tronc. Ils disaient: « Il a pris part à des combats sans nombre et n’a jamais reçu de blessure, jamais trait ne l’a atteint, personne ne l’a blessé d’une arme quelconque. » D’autres espéraient le voir ressusciter; aussi quelques-uns, ayant rapproché la tête du tronc, les recousirent ensemble, transportèrent ce corps et le placèrent sur le toit d’une tour, en disant: Comme Mouschegh était un homme brave, les Arlèz descendront et le ressusciteront.[179] » Espérant le voir ressusciter, ils restèrent à le garder jusqu’à ce que le cadavre se fût décomposé. Alors ils le descendirent de la tour, le pleurèrent et l’enterrèrent selon les règles prescrites.

CHAPITRE XXXVII.

Manuel, au retour de sa captivité en Perse, venge Mouschegh; il chasse le roi Varaztad de l’Arménie et s’empare du pays.

Ensuite le roi Varaztad nomma sbarabed Pad, chef de la famille des Saharouni, qui avait été son nourricier et qui fut le calomniateur et le meurtrier de Mouschegh. Pad remplaça ce dernier dans sa charge de sbarabed de toute l’Arménie. [En même temps], le roi désigna comme chef de la famille des Mamigoniens un certain Vatché, issu de cette même famille.

En ce temps-là, deux frères mamigoniens, dont l’un s’appelait Manuel, et l’autre Goms,[180] et qui avaient été emmenés en captivité par le roi Sapor, revinrent de la Perse. Peu de temps avant [leur retour en Arménie], Le roi des Perses, de race sassanide, était en guerre avec le grand roi des Kouschans l’arsacide, qui résidait dans la ville de Pahl. Le roi des Perses, envoyant son armée faire la guerre contre les Kouschans,[181] congédia en même temps les captifs arméniens. Au nombre de ces derniers, se trouvaient Manuel et son frère Goms. Une fois le combat engagé entre les armées ennemies, les Kouschans eurent l’avantage sur les Perses, qui prirent bientôt la fuite. Les Kouschans se mirent à les poursuivre et firent un tel carnage dans leurs rangs, que personne ne put s’échapper pour aller porter la nouvelle de la défaite, excepté Manuel Mamigonien, fils d’Ardaschin et son frère Goms. Ceux-ci qui avaient fait preuve, dans cette bataille, d’une bravoure remarquable, se virent contraints de se sauver à pied. De toute l’armée perse, il n’y eut que ces deux frères qui, après s’être signalés par leurs actes de courage, revinrent sains et saufs chez le roi des Perses.

Ce dernier fut profondément affligé du désastre de ses troupes. Cette affliction se changea en colère, quand il vit que de toute son armée, il n’y avait eu de sauvés que les deux frères. S’emportant contre eux et les accablant de moqueries, il les expulsa de son territoire, pour qu’ils pussent retourner dans leur pays. Les deux frères se mirent en chemin et se dirigèrent à pied vers leur pays. Tous deux étaient grands et avaient une taille de géant. Ils étaient encore en route, quand Manuel renonça à continuer son chemin, car il avait mal aux pieds; alors son frère Goms, ayant pris ce géant sur ses épaules, le portait en faisant dix farsang,[182] et le ramena ainsi en Arménie. Quand Vatché, jusqu’alors chef de la famille, vit rentrer dans le pays des Arméniens Manuel avec son frère Goms, il lui céda, avant même de l’avoir vu, le pouvoir qu’il avait obtenu du roi Varaztad, parce que Manuel était l’aîné de la race. Dès lors l’honneur du chef de la famille revint à Manuel, et Vatché resta le second.

Une fois rentré en possession de ses droits, Manuel s’empara de la dignité de sbarabed, sans en avoir reçu l’ordre du roi Varaztad, qui venait de concéder à son nourricier Pad le privilège appartenant à la famille des Mamigoniens. Après cela, le sbarabed Manuel dépêcha un messager vers le roi Varaztad pour lui dire: « Depuis les temps les plus reculés, notre race a rendu de grands services à tous les rois Arsacides; nous nous sommes sacrifiés pour vous; nous n’avons vécu que pour vous; nos ancêtres sont tombés pour vous dans les batailles; Vasag, père de Mouschegh, est mort pour le roi Arschag; [en un mot] nous avons toujours servi la dynastie des Arsacides; eh bien! au lieu de nous en récompenser, vous autres Arsacides, vous faites périr ceux de notre race qui ont été épargnés par l’ennemi. Et le brave Mouschegh, mon frère qui, dès son enfance, consacra toute sa vie à votre famille, qui défit et tailla en pièces vos ennemis, que ses ennemis mêmes ne sont jamais parvenus à tuer, tu le fis saisir et égorger durant un festin. En outre, tu n’es pas même un Arsacide, tu n’es qu’un bâtard,[183] et c’est pour cela que tu n’as pas voulu reconnaître ceux qui ont rendu des services aux Arsacides. Quant à nous, nous n’avons jamais été vos vassaux, nous sommes vos égaux et même d’une extraction plus noble que la vôtre, car nos ancêtres ont été jadis rois dans le pays des Djen, d’où à la suite de discordes survenues entre les frères, et d’une grande effusion de sang, nous nous sommes mis à la recherche d’un lieu sûr; et c’est ici que nous l’avons trouvé. Les premiers rois arsacides savaient bien qui nous étions et d’où nos sommes venus. Mais puisque tu n’es pas un Arsacide, [je te conseille] de t’en aller de ce pays pour ne pas mourir de ma main. »

Le roi Varaztad [de son côté] fit transmettre au général Manuel la réponse suivante: « Bien que je ne sois pas un Arsacide, toutefois j’ai déjà posé sur ma tête la couronne de mes prédécesseurs arsacides et je domine sur tout leur royaume; j’ai vengé mon oncle (le frère de mon père) Bab sur ton frère, le perfide Mouschegh. Cependant tu viens de dire que vous n’êtes pas originaires de ce pays, mais issus de personnages d’extraction royale, venant du pays des Djen, et qu’ici vous êtes des étrangers; eh bien! songe à ne pas subir le sort de ton frère. Mû par la bonté, je te laisse aller; retourne dans le pays des Djen, va t’y installer, et place sur ton front un diadème. Mais si tu refuses de partir, je te ferai périr comme ton frère Mouschegh. »

Après un échange de courriers et de longues négociations des deux côtés, qui chaque jour devenaient plus acerbes, on finit par fixer le jour du combat. Le roi Varaztad, à la tête des troupes de son armée, parfaitement équipées, se mit en marche pour se rendre sur le lieu du combat. Le sbarabed Manuel arriva avec sa troupe au même endroit. Ce fut dans la plaine de Garïn que la mêlée eut lieu et que les combattants des deux troupes s’entrechoquèrent.

Le roi Varaztad et le sbarabed Manuel, la lance à la main, s’avancèrent l’un contre l’autre. Quand le roi, levant les yeux, aperçut le sbarabed se dirigeant vers lui, quand il vit la hauteur de cette taille magnifique couverte de pied en cap d’une armure de fer, et ce corps robuste se dressant immobile sur un noble coursier, il crut un instant avoir devant les yeux une haute et inaccessible montagne. Mais [bientôt], il pensa à la mort, et ne comptant plus sur la vie, il se précipita [sur son adversaire.] Comme un jeune homme sans expérience, Varaztad voyant son ennemi ainsi armé et n’espérant pas que sa lance pourrait entamer sa cuirasse, il la plongea avec fureur dans la bouche du général Manuel. Celui-ci, saisissant la lance, l’arracha de la main du roi et fit sortir le fer de la lance de sa joue, en s’arrachant plusieurs dents.

Le roi Varaztad prit la fuite devant le général Manuel qui se mit à le poursuivre et, tenant dans sa main le fer de la lance, il en frappa à coups redoublés sur le crâne de Varaztad, en le chassant ainsi devant lui l’espace d’environ quatre stades. Les fils de Manuel, Hemaïag et Ardaschès, armés de lances, se précipitèrent aussi pour tuer le roi. Mais Manuel rappela ses fils en leur disant: « Gardez-vous bien d’être des régicides. » A peine avaient-ils entendu la voix de leur père, qu’ils rebroussèrent chemin sur le champ. C’est ainsi que l’armée du roi fut vaincue ce jour-là par la troupe de Manuel.

La surface de la plaine fut jonchée de morts, de blessés et d’hommes mutilés. Le nombre des satrapes tués fut très grand, et celui des fugitifs fut aussi considérable. Tandis que la troupe de Manuel poursuivait les fuyards, arriva le sébouh Hamazasb de la famille des Mamigoniens, qui, en passant devant les cadavres et les blessés, tombés dans ce combat, vit Karékin, seigneur du canton des Reschdouni, étendu parmi eux sain et sauf, et n’était pas blessé. Ce Karékin était le beau-frère de ce même Hamazasb, car il avait pour femme Hamazasbouhi, qui avait été conduite dans la ville de Van, dans le pays de Dosp, et fut pendue par les Perses sur la haute tour qui s’élève au-dessus de la caverne.[184] Karékin était couché parmi les morts, quand son beau-père (sic) passa devant lui. Karékin dit alors à haute voix « Seigneur Hamazasb, pense aussi à moi; ordonne qu’on m’amène un coursier pour que je le monte. » A cela Hamazasb reprit: « Qui es-tu? » Il répondit: « Je suis Karékin Reschdouni. » Alors Hamazasb donna l’ordre suivant aux soldats qui étaient munis de boucliers, et qui l’accompagnaient: « Descendez, mettez vos boucliers sur lui et gardez-le », et il passa outre. Les soldats, d’après l’ordre qu’ils avaient reçu, descendirent de leurs montures, couvrirent Karékin de leurs boucliers et le gardèrent.

Ensuite arriva un certain Tanoun, chef d’une cohorte armée de boucliers et faisant partie des troupes de Manuel. Ces soldats, ayant vu Karékin gardé par des hommes munis de leurs boucliers, leur demanda: « Qui est là, pourquoi êtes-vous descendus et que faites-vous ici? » Ils répondirent: « C’est Karékin, seigneur des Reschdouni; Hamazasb nous a donné l’ordre de le garder. » Tanoun s’emporta vivement à cette réponse et dit: « Est-ce que Hamazasb ne voudrait pas l’avoir de nouveau pour beau-frère, lui donner en mariage à la [seconde] sœur Hamazasbouhi; serait-ce pour cela qu’il l’épargne et qu’il vous a ordonné de le garder? » Ayant dit cela, il descendit de cheval et, tirant son épée, il s’approcha de Karékin, se mit à le hacher à coups redoublés et dispersa ses membres.

La moitié des troupes de Manuel revenait du carnage, ramenant un grand nombre de captifs. On présenta au sbarabed Manuel Pad le calomniateur et le meurtrier de Mouschegh, avec son fils et avec beaucoup d’autres qui lui avaient prêté la main dans [l’accomplissement de] ce forfait. Le sbarabed Manuel donna un ordre cruel contre le perfide Pad: d’abord il ordonna d’égorger le fils sous les yeux du père, puis il fit décapiter le père; enfin les autres furent massacrés de la même manière. Le roi Varaztad lui-même, chassé du territoire de l’Arménie, se réfugia dans le pays des Grecs, où il passa le reste de ses jours jusqu’à sa mort.[185]

Le sbarabed des Arméniens, Manuel, après avoir soumis à son autorité le pays tout entier, réunit autour de lui les grands et les satrapes arméniens et, se plaçant à leur tête, il gouverna le pays à la place du roi, en rétablissant l’ordre partout. Au lieu du roi, il produisait devant le peuple la reine Zarmantoukhd, femme du roi Bab, accompagnée de ses deux fils arsacides, et entourée d’une pompe royale. Pendant tout le temps de son gouvernement, Manuel administra les affaires de son pays avec beaucoup de sagesse et de succès. Les deux jeunes princes arsacides se nommaient, l’ainé Arschag, le cadet Vagharschag. Tous les deux avaient été élevés par le sbarabed Manuel comme des nourrissons. Quant à leur mère Zarmantoukhd, il la gardait, en l’entourant des honneurs dus à une reine. Cependant Manuel comprit bien que l’acte audacieux qu’il avait commis ne devait pas satisfaire l’empereur grec; aussi il résolut de concert avec la reine, de faire une alliance, et ils se décidèrent à recourir à la protection du souverain des Grecs.[186]

CHAPITRE XXXVIII.

Le sbarabed des Arméniens, Manuel, de concert avec toute l’Arménie, se range du côté du roi des perses, amène en Arménie Sourên, en qualité de marzban et de lieutenant du roi des Perses. Ce prince le comble de présents. Méroujan Ardzrouni, par ses intrigues, soulève l’Arménie. Commencement de la guerre.

Après cela, la reine d’Arménie, Zarmantoukhd, et le sbarabed Manuel envoyèrent Kardchouil Maghkhaz, accompagné de plusieurs satrapes arméniens, avec des lettres et de riches présents, à la cour du roi des Perses, pour lui annoncer qu’ils étaient décidés à le servir fidèlement et à reconnaître son autorité, en plaçant sous sa suzeraineté le pays des Arméniens. Kardchouil avec sa suite, étant arrivé à la cour du roi des Perses, présenta à ce prince les lettres de la reine et du sbarabed arménien, en lui faisant part de la soumission de l’Arménie. Le roi des Perses accueillit cette ambassade avec la plus grande joie, la combla de grands honneurs, et donna des présents considérables à Kardchouil.

Il envoya avec lui dans le pays des Arméniens Sourên le perse, un de ses plus puissants satrapes, accompagné de dix mille cavaliers bien armés, afin de servir de renfort au général Manuel pour garder la reine Zarmantoukhd contre les attaques de l’ennemi. [En même temps], il chargea Sourên de porter un diadème, des vêtements et un voile à la reine Zarmantoukhd, avec des couronnes pour ses deux jeunes fils Arschag et Vagharschag.[187] Quant au sbarabed Manuel, le roi des Perses envoya aussi pour lui un vêtement royal, une fourrure d’hermine, un ornement flottant en or et en argent pour attacher à l’aigle du casque, un bandeau pour ceindre son front, des ornements pour orner sa poitrine, tels qu’en portent les rois, une tente de couleur rouge de pourpre avec un aigle, de grandes tapisseries bleu céleste pour tendre l’entrée de sa tente et des vases d’or pour sa table; en outre le roi investit le général Manuel d’un pouvoir illimité sur le pays des Arméniens.

Kardchouil Khorkhorouni revint en Arménie accompagné de Sourên le perse et de dix mille cavaliers. On apporta les présents à la reine et aux princes royaux, ainsi qu’au sbarabed Manuel et à chacun des anciens et des chefs des grandes familles arméniennes. La reine Zarmantoukhd et le général Manuel, voyant ces marques d’honneurs et ces preuves d’amitié données par le roi des Perses, témoignèrent la plus grande considération à Sourên, reconnurent la suzeraineté du souverain de la Perse sur l’Arménie, et transmirent à son satrape le gouvernement du pays. Depuis lors, on fixa au roi d’Arménie un tribut fixe, des présents et des dons; au marzban Sourên l’entretien, la chaussure et les vivres nécessaires et aux dix mille cavaliers la nourriture indispensable. C’est ainsi qu’ayant obtenu cette protection, les Arméniens trouvèrent dans le roi des Perses un soutien solide qu’ils servirent fidèlement. Les envoyés du roi ne faisaient qu’aller et venir en Arménie, et le pays tâchait par tous les moyens de témoigner son attachement au souverain de la Perse. De son côté, le roi des Perses envoyait de fréquents présents à la reine Zarmantoukhd, ainsi qu’au général Manuel, qui, devenu son ami intime, atteignit bientôt Le plus haut degré de gloire. Méroujan Ardzrouni, voyant la considération et les honneurs dont le roi des Perses comblait Manuel, comme s’il était son frère ou son fils, lui porta envie et chercha le moyen de le perdre auprès du roi, afin de le remplacer lui-même [dans ses bonnes grâces.] Mais n’espérant pas réussir auprès des Perses [pour nuire à Manuel], il dissimula son ressentiment et entreprit de tramer dans son cœur la perte du général. S’appuyant fermement sur la noblesse du caractère de Manuel, il s’empara d’abord de son esprit en lui témoignant son humilité et son dévouement, puis il tâcha de se montrer pénétré d’une vraie sollicitude pour lui; enfin il vint [un jour] le prévenir d’un secret qui n’était que le fruit de son imagination, et qu’il lui découvrit dans les termes suivants: « Manuel ! Il faut que tu saches qu’un exprès est arrivé de la part du roi des Perses, portant à Sourên l’ordre de te prendre, de te lier et de te tuer ici, ou bien de t’emmener avec les plus grandes précautions auprès du roi, en chargeant de fers tes pieds, tes mains et ton cou. Maintenant, c’est à toi de penser à ce que tu dois faire dans cette conjoncture. » Ayant entendu ces paroles, Manuel, frappé d’étonnement, se disait: « Je ne me sens pas coupable envers les Perses, pourquoi agiraient-ils ainsi envers moi? Mais Méroujan dit à Manuel: « Guidé par mon attachement et ma constante sollicitude pour toi, je me suis bien assuré de la vérité du fait avant de t’en prévenir. » Se fiant aux paroles de Méroujan, Manuel les crut sincères, et se mit à réunir ses nombreuses troupes autour de lui. Sourên vivait paisiblement et sans souci dans son camp, parce que le calomniateur et le scélérat Méroujan n’avait pas encore opposé l’un à l’autre les deux chefs. Tout à coup le général arménien Manuel tomba à l’improviste sur le camp de Sourên et tailla en pièces les dix mille Perses. Il épargna la vie au marzban Sourên, qu’il laissa aller seul, monté sur un cheval et qui cependant, saisi d’étonnement, ne pouvait s’expliquer pourquoi Manuel avait accompli un pareil acte. A cela Manuel dit: « Grâce à notre amitié, je te laisse aller ton chemin sain et sauf; [et je te déclare] que dorénavant je ne tomberai plus dans le piège tendu par les Perses. » Cependant Manuel comprit bien qu’il allait exciter la colère et la haine du roi des Perses, aussi il se prépara et rassembla toutes les troupes arméniennes. A la tête de son armée, il conduisit la reine Zarmantoukhd, femme du roi Bab, dans [la résidence] des souverains, et lui-même, défendant l’intégrité de l’Arménie, repoussait les attaques dirigées contre cette princesse par les peuples du voisinage, et surtout par les troupes des Perses, et cela durant tous les jours de sa vie. Quant à Méroujan, il alla en Perse, afin d’exploiter ses calomnies contre Manuel auprès du roi des Perses.

CHAPITRE XXXIX.

Koumant-Sopor (Schabouh) est envoyé parle roi des Perses pour porter la guerre en Arménie; il périt avec toute son armée de la main de Manuel.

Le roi des Perses envoya Koumant-Sapor à la tête de quatre-vingt huit mille combattants en Arménie, pour qu’il s’emparât de ce pays et le livrât à la dévastation. Il arriva du côté de l’Adherbeidjan, jusqu’aux frontières de l’Arménie. En ce temps de troubles incessants, le sbarabed Manuel réunit avec beaucoup de peine vingt mille hommes et se porta en toute hâte à la rencontre de l’ennemi dont il passa les troupes au fil de l’épée. Il tua Koumant-Sapor et revint triomphant dans son pays.

CHAPITRE XL.

Varaz est envoyé en Arménie par le roi des Perses; il périt comme son prédécesseur, de la main de Manuel.

Ensuite un certain Varaz, général du roi des Perses, à la tête de cent quatre-vingt mille hommes, vint en Arménie pour combattre le sbarabed Manuel et les légions arméniennes. Le général arménien, après avoir préparé et armé dix mille cavaliers, alla livrer bataille à Varaz. Il défit et anéantit entièrement l’armée ennemie, tua es même temps Varaz, et revint avec un riche butin, beaucoup d’armes et de dépouilles enlevés aux Perses.

CHAPITRE XLI.

Mergan est envoyé par le roi des Perses avec une armée nombreuse dans le pays des Arméniens contre Manuel; il périt de la même manière que son prédécesseur.

Après ces événements, le roi des Perses envoya Mergan à la tête de quatre cent mille combattants contre l’Arménie. Aussitôt arrivés [dans ce pays], le général perse s’empara d’une partie du pays des Arméniens et assit son camp dans la plaine d’Ardantan. Manuel tomba pendant la nuit sur le camp ennemi, et après avoir passé tous les combattants au fil de l’épée, il tua Mergan et enleva un butin immense.

CHAPITRE XLII.

Paix qui dure sept ans.

Après cela, les Perses n’osèrent plus pénétrer sur le territoire de l’Arménie pendant sept ans et la paix ne fut pas troublée. Ceux qui s’étaient dispersés dans tout le pays, commencèrent à se réunir autour du sbarabed Manuel, ou bien à s’assembler en société et à vivre en sécurité sous l’administration de ce général. On vit arriver chez lui trois jeunes princes de la maison de Siounie, qui avaient échappé au carnage lors de l’invasion des Perses. L’un s’appelait Papic, l’autre Sam, le troisième Vaghinag. Le général arménien Manuel non seulement les accueillit, mais il leur prêta même son concours, et les fit retourner dans leur propre domaine. Il institua Papic comme seigneur du pays, en désignant aussi des possessions aux deux autres. Papic[188] jura fidélité à Manuel et resta pendant toute sa vie son compagnon d’armes. Le sbarabed arménien institua de même des chefs de familles et des seigneurs dans plusieurs cantons, qui tous furent administrés par lui. Durant la vie de Manuel, le pays des Arméniens jouit d’une parfaite tranquillité sous son administration; les habitants du pays gouvernés par lui, buvaient et mangeaient; et pendant sept ais, ils se livrèrent à la joie, jusqu’au [moment de] la division de l’Arménie en deux parties et jusqu’à l’anéantissement de la royauté.

CHAPITRE XLIII.

Méroujan Ardzrouni, à la tête d’une armée, marche contre Manuel et périt de sa main.

Méroujan Ardzrouni qui, du vivant du roi Arschag,[189] s’était déjà révolté contre le roi des Arméniens, avait passé du côté du roi des Perses. Il avait renié la foi chrétienne, et avait embrassé la religion du mazdéisme. Il avait à plusieurs reprises conduit les troupes perses en Arménie, en faisant éprouver de grands désastres à sa patrie, et il se trouvait encore auprès du roi des Perses. En excitant ce prince [contre l’Arménie], il le persuada de lui confier une grosse armée à la tête de laquelle il marcha contre le pays des Arméniens. Il se vantait auprès du roi des Perses, de prendre et d’amener Manuel auprès de lui, ou bien de lui présenter sa tête tranchée. Il entra en Arménie avec une nombreuse armée perse, qu’il laissa campée dans le canton de Gordjek, et à la tête de son propre détachement, il se sépara de l’armée des Arik, pour aller tomber à improviste sur Manuel, lui livrer bataille et le défaire, afin d’être seul à se couvrir de gloire. Avant de se mettre en marche], il parla ainsi aux généraux de l’armée des Arik: « J’irai d’abord épier [la position de Manuel], et puis je vous conduirai contre lui; de la sorte il nous sera plus facile de nous emparer de lui. »

Ayant pris avec lui son détachement, Méroujan partit pour le canton de Gok, s’y arrêta et commença à surveiller le camp de Manuel. Ce dernier avait son camp assis dans le bourg de Pakovan, situé dans le canton de Pakravant près des ruines de la ville de Zarehavant. Les émissaires de Méroujan vinrent épier le camp et le lieu où étaient parqués les chevaux, et, quand ils furent revenus, ils lui en firent un rapport. Méroujan conçut le projet de s’emparer de ces chevaux, et il porta toute son attention à cette entreprise, se réjouissant d’avance et disant à ses troupes: « Demain, à la même heure, Manuel sera entre mes mains, pris et garrotté, et sa femme Vartanouisch sera déshonorée en sa présence même. » Il se mit en route pour accomplir son dessein, car il lui tardait de le réaliser. Sur le chemin par lequel devait passer le détachement de Méroujan, s’élevait une montagne nommée par les habitants, Eghdcherk. Chemin faisant, il rencontra des voyageurs auxquels il demanda: « Quels sont les endroits par lesquels ce chemin mène à Pakravant? « Les voyageurs lui répondirent: « ce chemin va à Pakravant par la montagne d’Eghdcherk. » Méroujan tira un mauvais augure de ces paroles, qui le jetèrent dans une profonde tristesse. Aussi il ordonna de frapper cruellement ces hommes. Puis, traversant la route, il alla chez un magicien pour lui demander son avis; mais les sorts furent peu favorables et ne répondirent aucunement à ses espérances. Profondément affligé, il envoya en avant ses émissaires pour qu’ils le conduisissent au lieu où se trouvaient parqués les chevaux, afin de pouvoir d’abord s’emparer de Manuel. Arrivé en cet endroit, il ne l’y trouva pas; car par une inspiration divine, le sbarabed Manuel venait de donner ordre aux troupes arméniennes d’aller à la chasse. En conséquence, tous les chevaux étaient réunis dans le village et les gens étaient déjà prêts à les monter. Sur ces entrefaites arriva un homme porteur de la funeste nouvelle; il dit au général Manuel: « Sache que Méroujan Ardzrouni est arrivé à la tête d’un fort détachement et va tomber sur toi! Prends tes précautions. »

A l’instant même, les gens du détachement et le sbarabed arménien passèrent auprès des reliques de Saint-Jean,[190] qui se trouvaient dans ce même village et se mirent à invoquer Dieu, ce juge équitable, pour qu’il vint à leur secours. Sortis de là, ils envoyèrent la reine arsacide, ses deux fils, Arschag et Vagharschag, avec leurs femmes dans l’inaccessible château situé sur la grande montagne de Varaz.[191] En même temps, Manuel donna ordre à Ardavazt, fils de Vatché, de partir avec les femmes; mais il ne voulut pas y consentir. Il était très jeune encore, et comme tel, il avait selon les coutumes religieuses des Arméniens, établies pour les garçons, la tête rasée tout autour et, ne gardant qu’une longue tresse de cheveux. Manuel, voyant la résistance de ce jeune homme qui se refusait à suivre les femmes, donna des coups de sa houssine sur la tête nue d’Ardavazt, en lui défendant sévèrement de se rendre au combat, à cause de sa grande jeunesse. Ce dernier, mû par un sentiment de crainte que lui inspirait le général, partit avec les femmes; mais bientôt il s’arma et se rendit sur le lieu du combat.

Après avoir envoyé la reine avec ses suivantes dans le château inaccessible, Manuel se prépara au combat; il rassembla ses troupes et il traversa, enseignes déployées, le bourg de Kéough, en se dirigeant du côté de l’occident. Bientôt il vit Méroujan venir à sa rencontre, à la tête de son détachement. Cet indigne scélérat avait fait mettre à plusieurs de ses soldats des armes, des ornements et des bandelettes à leurs casques, que lui seul avait le droit de porter et, les ayant ainsi travestis, lui-même ne prit aucun de ses insignes habituels. Aussitôt que Manuel s’aperçut que l’armée des Perses et son détachement en étaient venus aux mains, il se précipita, semblable à un lion ou à un sanglier, dans les rangs de l’ennemi, en portant toute son attention sur ceux qui avaient revêtu les insignes de Méroujan, croyant qu’il allait tuer ce dernier. Ayant tranché la tête à plusieurs braves ainsi travestis, il se persuada bientôt qu’il n’avait pas eu affaire à Méroujan. Alors le sbarabed Manuel, s’adressant à son compagnon d’armes Papic, lui dit: « Vois-tu la feinte que ce maudit Méroujan vient d’employer? Mais il m’est arrivé jadis, quand nous étions amis, de vivre en sa compagnie, et je connais de lui un signe particulier: quand il est à cheval, ses genoux ne touchent pas les flancs de sa monture, car il les tient écartés. Eh bien! faisons attention à cela, peut-être parviendrons-nous à le reconnaître à ce signe. » Tous les deux regardèrent attentivement et ils reconnurent bientôt Méroujan, qui s’était travesti, car il ne portait pas ses insignes. Alors Manuel se mit à crier, en engageant Méroujan à s’avancer, et lui dit: « Maudit sois-tu! Jusques à quand te joueras-tu de nous et feras-tu massacrer les autres à ta place? Mais nous t’avons reconnu, c’est bien toi, et aujourd’hui tu ne t’échapperas pas de nos mains, car c’est le Seigneur Dieu qui, après avoir accumulé sur ta tête tous les crimes commis par toi, va te livrer à nous. » A peine Méroujan avait-il entendu ces paroles, que la lance à la main, il s’avança sur le champ, tandis que d’un autre côté, Manuel alla à sa rencontre. Tous les deux étaient des hommes robustes; aussi ils se portèrent réciproquement des coups de lance, qui les renversèrent par terre. A l’instant même, arriva le seigneur de la province de Siounie, Papic, le compagnon d’armes de Manuel; d’un coup de lance, dirigé de haut en bas au flanc de Méroujan, il le cloua à terre, de telle sorte qu’il lui fut impossible de faire un mouvement. Les serviteurs du sbarabed Manuel, après l’avoir remis à cheval, tranchèrent la tête à Méroujan.[192] Les troupes de Méroujan, le voyant mort, prirent la fuite. Le détachement de Manuel, reprenant courage à la suite de cet événement, se mit à la poursuite de l’armée de Méroujan et la tailla en pièces, sans laisser échapper personne.

Le jeune Ardavazt, à l’insu de Manuel, s’était rendu sur le lieu du combat. Armé de pied en cap, il passa loin du détachement de Manuel, sur les bords de l’Euphrate, et il fit un grand carnage dans les rangs des ennemis, parmi les plus braves combattants. Un des guerriers de Méroujan, qui portait un étendard, voyant ce jeune homme imberbe, beau de figure et plein de feu, lui lança quelques paroles blessantes, et ayant enroulé les plis de son étendard autour de sa lance, il se précipita sur Ardavazt. Mais celui-ci banda son arc et décocha une flèche, qui, ayant traversé le corps du porte-étendard, vint se fixer dans le sol en le laissant étendu sur la place. S’emparant de la lance, Ardavazt se mit à la poursuite des fuyards, et plus que personne, ce jeune homme fit un horrible carnage dans l’armée de Méroujan. Après s’être couvert de gloire, il revint avec un riche butin pris sur l’ennemi.

Ce jour-là, il arriva un grand malheur. Vatché, qui était le lieutenant de Manuel, périt écrasé par son cheval, de même que Kardchouil Maghkhaz qui, emporté par sa monture, fut tué également; car tous deux étaient montés sur des chevaux jeunes et indomptés.

Manuel alla rejoindre le camp de la reine, en portant avec lui la tête de Méroujan. Samuel, fils de Vahan, ne voulant pas le suivre, se rendit au camp. Aussitôt que les femmes du camp de Manuel virent la tête de Méroujan, elles poussèrent un grand cri, la prenant pour celle de Samuel, fils de Vahan, car Méroujan et Samuel se ressemblaient beaucoup. Mais quand elles virent la tête de Méroujan fixée au sommet d’une poutre élevée, elles furent convaincues que ce n’était pas la tête de Samuel, mais celle de Méroujan Ardzrouni. Toutefois, elles dirent: « Cependant Méroujan était un frère à nous. »

Ensuite, on apporta dans le camp le corps de Vatché, père d’Ardavazt, ainsi que celui de Kardchouil Maghkhaz Khorkhorouni: on les pleura en faisant de grandes lamentations. Le porte-étendard de Méroujan, frappé par la flèche d’Ardavazt, fut aussi amené. L’étonnement fut général quand on vit que cet homme avait échappé à la mort, quoique la flèche l’eût transpercé d’outre en outre. Quand les troupes perses, que Méroujan avait laissées dans le canton de Gordjek, apprirent la mort de ce dernier et le massacre de son armée, elles prirent la fuite, en se dirigeant vers le pays des Perses. La tranquillité fut dès lors rétablie en Arménie.

CHAPITRE XLIV.

Le sbarabed Manuel fait élever à la royauté le jeune Arschag [IV]. Sa mort.

Après tous ces événements, le sbarabed Manuel rassembla toutes les troupes et, ayant pris la reine arsacide et les deux jeunes princes, Arschag et Vagharschag, suivis de l’armée arménienne, des grands satrapes et de tous les chefs des familles, il arriva dans le canton de Garin, où il donna sa fille Vartantoukhd en mariage au jeune prince arsacide, Arschag. Puis il célébra les noces du frère de ce dernier, qui épousa la fille d’un général bagratide,[193] du district de Sber, de cette race qui, dès l’origine [de la dynastie], avait seule le droit de poser la couronne sur la tête des rois arsacides. Le pays entier prit part à ces noces, qui causèrent la plus grande joie à tous les habitants. Enfin, Manuel convoqua les représentants de toute l’Arménie et éleva le jeune Arschag [IV] à la royauté, en nommant Vagharschag le second,[194] ce qui causa aussi beaucoup de joie aux Arméniens.

Après cela, le sbarabed des Arméniens, Manuel, fut atteint d’une maladie mortelle; il appela son fils Ardaschir, lui conféra tous ses droits et l’investit de la charge de sbarabed, en lui recommandant de garder fidélité au roi Arschag et de lui être entièrement soumis, il ajouta à cela: « Tu seras [toujours] prêt à te sacrifier pour le pays des Arméniens, à l’exemple de tes braves ancêtres qui ont donné leur vie pour leur patrie. Car c’est un devoir noble et agréable aux yeux de Dieu, qui n’abandonne jamais ceux qui le remplissent. [En accomplissant ce devoir, vous laisserez ici-bas un nom glorieux et vous irez représenter la justice au ciel. Ne craignez pas la mort, mais mettez votre espérance en celui qui a tout créé et tout affermi. Rejetez loin de vous la fraude, l’abomination et la méchanceté. Adorez le Saigneur Dieu avec sainteté et fidélité. Soyez prêt à mourir pour le pays qui adore Dieu, car vous subirez cette mort pour lui, pour son Eglise et ses serviteurs, et pour vos propres maîtres arsacides régnant sur ce pays. »

Ayant dit cela, il écrivit une lettre à l’empereur grec, en lui confiant [le sort de] l’Arménie et du roi Arschag. Lorsqu’il était couché sur son lit, très malade, plusieurs personnes s’étaient réunies autour de lui; c’étaient le roi Arschag, Vartantoukhd, sa femme, les anciens, les grands, les satrapes arméniens, et plusieurs hommes et femmes de la plus haute condition. Manuel découvrit devant eux tous ses membres, les leur montra nus et ils purent voir de leurs propres yeux que sur tout son corps il n’y avait pas un endroit grand comme une monnaie d’argent qui ne portât une cicatrice; sur ses membres génitaux, il y avait plus de vingt marques de blessures. Il avait découvert ses membres et les montraient à tout le monde. Alors il se mit à verser des larmes et dit: « Dès ma jeunesse, j’ai passé ma vie dans les combats; c’est en combattant bravement que j’ai reçu toutes ces blessures. Pourquoi ne m’a-t-il pas été donné de tomber sur le champ de bataille, plutôt que de mourir ainsi comme un animal! J’aurais mieux aimé mourir dans un combat pour mon pays, en défendant les églises et les serviteurs de Dieu. Quel bonheur eût été le mien d’embrasser la mort pour les maîtres arsacides de notre pays, pour nos femmes et nos enfants, pour les gens qui croient en Dieu, pour nos frères, nos proches et nos amis sincères ! Peut-être est-ce à cause de ma grande présomption, qu’il m’est dévolu de mourir de cette mort honteuse sur mon lit! »

Tel fut le discours tenu par Manuel en présence du roi et de tous les assistants! Puis il adressa à Arschag la prière suivante: « J’ai vécu en chrétien fervent, mettant toute mon espérance en Dieu, par conséquent, je désire qu’on ne se livre pas au désespoir, en me pleurant et en se lamentant à l’exemple des païens; car il ne faut pas pleurer ceux qui croient à la résurrection et au second avènement du Christ. Jusqu’à ce moment, j’ai vécu dans l’espérance et la crainte de Dieu; [de votre côté], vous ne devez pas vous écarter des commandements de Dieu, surtout prenez soin de la justice; et plus encore de la miséricorde. C’est la principale chose que nous a recommandée le grand patriarche Nersès, qui, de son vivant, faisait ce qu’il enseignait aux autres: il portait secours aux indigents, aux pauvres, aux captif, aux délaissés et aux étrangers en disant: « Il n’y a pas de commandement plus grand et plus honorable aux yeux de Dieu que la miséricorde et l’aumône. » Nersès envisageait comme un grand péché les lamentations sur les morts, auxquelles il avait mis fin de son vivant, et ce ne fut qu’après sa mort que des gens insensés les ont remises en vigueur. Que personne ne se lamente à propos de moi, autrement il sera coupable; sans doute une fois mort, je ne serai plus en état de défendre qui que ce soit; mais on ne doit pas faire ce que je ne veux pas qu’on fasse. Que celui qui m’aime, conserve ma mémoire. Ne craignez pas la mort dans le combat où je n’ai pas trouvé la mort, car rien ne se fait sans Dieu. »

C’est ainsi que parla Manuel. Il distribua de ses propres mains des trésors immenses aux pauvres et aux nécessiteux, après avoir fait don de ses richesses aux églises et aux grands évêques, et il mourut. Quoique le grand sbarabed venait de donner ordre de ne pas se lamenter, personne ne put se conformer à ses intentions, car dès qu’il eut fermé les yeux, les nobles et les pauvres, en un mot tous les habitants du pays des Arméniens, firent de grandes lamentations et le pleurèrent unanimement. Ce brave et bienfaisant Manuel était considéré par le monde comme un père, à cause de sa douceur, de sa charité, de son humilité et de sa sollicitude. Se voyant séparés à jamais de leur brave général, de leur sauveur et de leur triomphateur, tous exhalaient des plaintes amères.

 

——s——.


 

LIVRE SIXIÈME.

 

FIN QUI DOIT SERVIR DE COMPLÉMENT AUX LIVRES PRÉCÉDENTS.

 

I. L’Arménie est divisée en deux états; Arschag [IV] est élevé à la royauté par l’ordre de l’empereur grec; Chosroès [III] règne sur l’autre moitié de la nation [arménienne), par l’ordre du roi des Perses. Après la division du pays, on fixe la, limites des deux États.

II. Evêques illustres qui, en ce temps-là, vécurent en Arménie, dans les États du roi Chosroès, lequel reconnaissait la domination des Perses. Vie de Zavên.

III. De Schahag, [originaire] de Gordjek, qui remplaça Zavên comme grand pontife.

IV. D’Asbourag de Manazguerd, qui s’établit pontife après Schahag.

V. Des évêques Faustus et Zorth.

VI. D’Arosdom, frère de l’évêque Faustus.

VII. De l’évêque de Pasèn, Ardith.

VIII. De l’évêque Jean; sa vie, ses paroles et en actes insensés; prodiges opérés sur lui par Dieu.

IX. Continuation de l’histoire de Jean.

X. Suite [et fin] de l’histoire de Jean.

X. De l’évêque Cyriaque (Guiragos).

XII De Zorthovaz, évêque de Vanant.

XIII. De Ding et Moïse, évêques de Pasèn.

XIV. De l’évêque Aaron (Arscharoun).

XV. Du grand évêque Asbourag.

XVI. Du saint et vertueux Kint, qui, en en temps-là, était chef des moines arméniens vivait dans le désert ou dans les monastères. A la fin de toutes ces histoires, les lecteurs trouveront des renseignements sur ma personne, en dix versets bien complets.[195]


 

LIVRE SIXIÈME.

 

FIN QUI DOIT SERVIR DE COMPLÉMENT AUX LIVRES PRÉCÉDENTS.

 

 

CHAPITRE I.

L’Arménie est divisée en deux Etats; Arschag [IV] est élevé à la royauté par l’ordre de l’empereur grec; Chosroès [III] règne sur l’autre moitié de la nation [arménienne] par l’ordre du roi des Perses. Après la division du pays, on fixe les limites des deux Etats.

Après la mort du général arménien Manuel, tout s’ébranla dans le royaume du roi Arschag [IV], car, plusieurs des satrapes se séparèrent de lui et trahirent leur patrie en passant du côté du roi des Perses, à qui ils demandèrent, pour les gouverner, un [autre] roi arsacide. Ce fut avec une grande joie qu’il accepta la proposition et consentit à leur donner un roi de la race des arsacides arméniens, afin de s’emparer de leur pays. Il choisit un jeune homme de cette race, nommé Chosroès [III], auquel il fit ceindre le diadème et, après lui avoir donné sa sœur Zérouantoukhd pour épouse et un certain Zig pour régent, il l’envoya en Arménie avec une nombreuse armée.[196] Aussitôt que le roi Arschag les vit arriver, il passa sur le territoire de la Grèce pour y chercher du secours, tandis que les Perses prêtèrent la main à Chosroès. Le roi Arschag était déjà parvenu aux environs du canton d’Eghéghiatz, quand les troupes grecques vinrent le rejoindre. L’armée des Perses et le roi Chosroès occupèrent la province d’Ararat. C’est ici que les envoyés et les ambassadeurs des souverains des Grecs et des Perses entamèrent des négociations, à la suite desquelles il fut décidé qu’on partagerait entre eux l’Arménie, car, disaient-ils, il nous est indispensable d’affaiblir ce riche et puissant royaume qui se trouve entre nous. En le divisant entre ces deux rois arsacides placés par nous, puis en le dépouillant et en le réduisant en captivité, il ne sera plus en état de relever la tête. S’arrêtant à cette pensée « ils divisèrent l’Arménie en deux parties: sur la partie appartenant à la Perse régnait le roi Chosroès, sur celle des Grecs régnait le roi Arschag. Cependant, plusieurs provinces furent détachées çà et là [par l’empereur des Grecs et le roi des Perses], de manière que des deux parties, il en resta peu de chose pour les deux rois, [c’est-à-dire] pour Chosroès et Arschag. Les deux arsacides marquèrent comme limite entre leurs deux États le canton de Siounie, dont les habitants reconnaissaient leurs rois respectifs.

Ajoutons à cela que la partie appartenant à Chosroès était plus grande que celle d’Arschag. Les deux états se virent dépouillés de plusieurs de leurs provinces, et peu après le royaume d’Arménie, tombant en pièces et marchant dès cette époque vers la décadence, s’amoindrit dans sa grandeur.[197]

CHAPITRE II.

Evêques illustres qui, en ce temps-là, vécurent en Arménie, dans les Etats du roi Chosroès, lequel reconnaissait la domination des Perses. Vie de Zavên.

Zavên était un descendant du célèbre évêque Albin (Albianus), du village de Manavazguerd; c’était un homme excessivement méchant et envieux, il établit pour les prêtres de son temps la coutume de porter l’habit militaire. En abandonnant la règle de l’Eglise apostolique, chacun vivait à sa manière, car de son temps, les prêtres ne portèrent plus de longues robes, comme cela était établi dès le commencement, mais des vêtements courts, [ne descendant] qu’aux genoux; ils ornèrent leurs vêtements de broderies, et marchèrent d’une manière superbe, ce qui ne leur convenait nullement; ils se paraient également de la fourrure des bêtes mortes. Quant à Zavên, il était toujours vêtu de vêtements brodés et garnis de rubans, il portait des habits doublés d’hermine et de loup, ayant par-dessus une fourrure de renard; c’est ainsi qu’il se tenait assis devant l’autel. Adonné à la dépravation, il passa toute sa vie à boire et à manger, et n’occupa son siège que trois ans.

CHAPITRE III.

De Schahag [originaire] de Gordjek, qui remplaça Zavên comme grand pontife.

Ensuite ce fut Schahag de Gordjek, qui, après la mort de Zavên, le remplaça comme grand pontife pendant trois ans. C’était un bon chrétien, qui cependant ne pensa guère changer l’ordre établi par Zavên, et sortit de ce monde après deux ans de pontificat.

CHAPITRE IV.

D’Asbourag de Manazguerd qui fut pontife après Schahag.

Après la mort de l’évêque Schahag, s’établit comme chef des évêques, Asbourag, de la race de l’évêque Albin; c’était un homme juste, vivant en Dieu et pénétré de l’esprit chrétien. Il avait son siège dans la partie de l’Arménie où régnait Chosroès. Il ne changea en rien l’ordre établi par Zavên, touchant les vêtements du clergé.

CHAPITRE V.

Des évêques Faustus et Zorth.

Vers ce temps-là vivait l’évêque Faustus, qui jadis avait été administrateur de la maison du grand pontife Nersès, ainsi que Zorth le camérier. Tous les deux étaient du nombre des douze évêques qui, vivant dans la maison patriarcale, formaient le conseil et régissaient tout, sous la direction du grand pontife. Sans parler des évêques de toutes les provinces, Faustus et Zorth étaient surtout chargés de la surveillance des hospices, et pendant toute leur vie, ils remplirent fidèlement leur devoir, du vivant de Nersès et pendant les règnes des deux rois, Chosroès et Arschag.

CHAPITRE VI.

D’Arosdom, frère de l’évêque Faustus.

L’évêque Faustus avait un frère, qui était un moine anachorète, d’une vie admirable, vivant dans les montagnes; tous les deux étaient d’origine grecque. [Ce frère de Faustus] vécut dans la plus grande austérité durant toute sa vie. Conduit par le Saint-Esprit, il résidait dans la province d’Ararat. Habillé de vêtements de cuir, se nourrissant d’herbes, il n’habita que le désert et les montagnes, jusqu’au jour de son repos. Enfin il mourut; son corps fut rapporté du désert et enseveli dans le propre village du patriarche Nersès, nommé Amok,[198] où l’on célébrait annuellement sa mémoire.

CHAPITRE VII.

De l’évêque de Pasèn, Ardith.

En ce temps-là, l’évêque de Pasèn, Ardith, vieillard honorable et utile, était célèbre parmi les évêques qui vivaient alors. Par une vie sainte et droite, il se trouva digne du Saint-Esprit, et pendant plusieurs années, il opéra de grands prodiges dans plusieurs endroits. Disciple du grand Daniel, il avait vécu du temps du roi Diran et vivait encore à l’époque des deux rois d’Arménie, Chosroès et Arschag.

CHAPITRE VIII.

De l’évêque Jean; sa vie, ses paroles et ses actes insensés; prodiges opérés sur lui par Dieu.

L’évêque Jean, si toutefois on peut le nommer évêque, était fils du patriarche Pharên. C’était un vieillard hypocrite qui aimait à montrer aux hommes qu’il portait le cilice et s’abstenait d’aliments; il allait jusqu’à ne pas porter de souliers, car l’été il enveloppait ses pieds d’une bande de toile, et l’hiver il mettait des chaussures d’écorce. Son avarice ne connaissait pas de bornes, et il n’était pas en état de se corriger par crainte de Dieu, et cela à un tel point, qu’il faisait des choses indignes et incroyables.

Il arriva qu’un jour, il rencontra en route un jeune homme, un laïque, venant à sa rencontre: il était à cheval, ceint d’une épée attachée à sa ceinture et portant le carquois sur le dos; il avait les cheveux lavés, oints et bien coiffés; un bandeau ceignait sa tête, un manteau couvrait ses épaules; il suivait son chemin, et peut-être revenait-il de faire du brigandage. Le cheval qu’il montait était grand, fougueux et rapide; l’évêque Jean l’aperçut de loin et, émerveillé qu’il était, il ne pouvait pas en détacher ses regards. Quand le cavalier approcha de l’évêque qui se tenait li à l’attendre, Jean saisit la bride du cheval et s’adressant [au jeune homme,] lui dit: « Descends à l’instant même de ton cheval, car j’ai à te parler. » L’autre répondit: « Tu ne me connais point, et moi je ne te connais pas du tout; donc qu’est ce que tu veux me communiquer? » Pour rien au monde, le cavalier ne voulait mettre pied à terre, et cela d’autant plus, qu’il paraissait être ivre. Mais Jean persista à le faire descendre de cheval, et, l’ayant conduit à une certaine distance du chemin, il lui dit de s’incliner, car, dit-il, je veux t’ordonner prêtre. L’individu avoua avoir été brigand, meurtrier et scélérat dès son enfance, qu’il l’était même jusqu’à ce moment, par conséquent il ne se croyait pas digne d’un pareil honneur. De côté et d’autre s’engagea une vive dispute; ni l’un ni l’autre ne voulait céder. Enfin Jean terrassa avec force cet homme et lui imposant les mains, il l’ordonna prêtre; puis, se levant, il lui commanda d’ôter son manteau et jeta son pallium sur ses épaules: « Va dans ton village et sois-y prêtre », dit-il à cet homme qui ne savait même pas de quel village il était. Quant à Jean, il s’empara du cheval en disant: « Parce que je t’ai ordonné prêtre, ton cheval me remplacera la chaussure. » Quoique l’homme ne voulait pour rien au monde le lui céder, l’évêque s’en empara de force, et congédia le possesseur. Tout cela n’avait été fait qu’à cause du cheval.

L’individu, contre son gré, le pallium sur ses épaules, se dirigea vers sa maison, se présenta à sa femme et à ses familiers, et il leur dit: « Levez-vous et allons nous mettre en oraison. » A cela ils dirent: « Mais tu divagues, n’es-tu pas possédé par le dev? » Il répliqua: « Allons, mettons-nous en oraison, car je suis prêtre. » Tantôt c’était la rougeur qui couvrait le visage de ces gens frappés d’étonnement, tantôt c’était le sourire qui paraissait sur leurs lèvres; enfin le voyant persister, ils consentirent à se mettre en prière avec lui. Cependant la femme dit au mari: « Mais tu n’étais que catéchumène, tu n’étais pas encore baptisé! » Le mari répondit: « Dominé [par l’évêque) qui ne m’a rien demandé à ce propos, moi-même j’ai oublié de le lui rappeler; il m’a ordonné prêtre, il a pris mon cheval, avec la bride et la selle, et s’en est allé. » Alors ses familiers lui dirent: « Pars à l’instant même chez l’évêque et dis-lui: « Je ne suis pas encore baptisé, comment as-tu pu m’ordonner prêtre? » Arrivé chez l’évêque, il lui dit: « Je ne suis pas encore baptisé, comment as-tu pu m’ordonner prêtre? » A cela, Jean répliqua: « Apportez-moi une cruche d’eau. » Ayant pris de l’eau, il la versa sur la tête de l’homme et lui dit: « Va-t’en, car je viens de te donner le baptême », et il le congédia sur le champ.

CHAPITRE IX.

Continuation de l’histoire de Jean.

Il arriva à Jean de passer un jour devant une vigne au temps où on en faisait la taille. Quelqu’un de la vigne se mit à crier, et s’adressant à lui dit: « Seigneur, bénis-nous ainsi que notre vigne. » Jean répondit: « Qu’elle te produise des épines et des chardons! » L’homme dit: « Puisque tu nous maudis sans raison, eh bien! que ton propre corps soit couvert d’épines et de chardons! » Le prodige de Dieu ne tarda pas à se manifester, car aussitôt que l’évêque eut gagné sa demeure, il fut atteint par le châtiment; tous les membres de son corps, on vit poindre des épines. Attaqué de maladies cruelles, il se trouva pendant plusieurs jours entre la vie et la mort. Enfin il envoya chercher le vigneron et le supplia de réciter des prières sur lui, afin qu’il fût délivré de ses maux. Mais le vigneron lui dit: « Qui suis-je donc pour pouvoir bénir ou maudire quelqu’un, et surtout un évêque? » Jean persista jusqu’à ce que le vigneron se mit en oraison en disant: « Seigneur Dieu, tu sais bien que je ne suis qu’un indigne et un pécheur, et que je ne comprends rien à tous ces troubles qui m’enveloppent. Délivre-moi de ce mal, parce qu’on me dit: C’est toi qui as maudit l’évêque, et [son mal] n’est que la suite de ta parole. J’aurais mieux aimé la mort, car je ne comprends rien à tout ce qu’on dit de moi. »

Cela dit, l’évêque fut guéri. [On vit alors] les épines se détacher de tout son corps; c’étaient des épines semblables à celles des plantes. Et il recouvra aussitôt la santé.

CHAPITRE X.

Suite [et fin] de l’histoire de Jean.

Ce même évêque Jean, fils de Pharên, toutes les fois qu’il lui arrivait de se rendre chez le roi des Arméniens, prenait volontiers près de lui le rôle d’histrion, afin d’en obtenir quelque libéralité, car il était pétri d’avarice. Il se mettait à marcher en présence du roi, à quatre pattes, et imitant le chameau, il faisait entendit le cri de cet animal. En faisant cela, il entremêlait ses cris de mots tels que: « Je suis un chameau, je suis un chameau, je porte les péchés durci, mettez sur moi les péchés du roi, pour que je les porte. » Les rois, au lieu de leurs péchés, mettaient sur le dos de Jean des diplômes qui lui octroyaient des champs et des villages. Ce fut ainsi que cet évêque, imitant le chameau et portant les soi-disant péchés, obtint des rois des Arméniens, des champs, des villages et des trésors. Ce Jean était tellement plongé dans l’avarice, que mû par cette passion, il ne fit toute sa vie que des choses indignes [d’un évêque].

CHAPITRE XI.

De l’évêque Cyriaque (Guiragos).

L’évêque de Daïk, Cyriaque, qui se nommait aussi Schahag, était d’une piété exemplaire; se confiant à la volonté de Dieu, il conduisait son peuple dans la voie de la vérité et il gouverna toute sa vie son évêché selon la volonté de Dieu.

CHAPITRE XII.

De Zorthovaz, évêque de Vanant.

Zorthovaz, évêque du district de Vanant, [était] un homme modeste, digne de Dieu et plein de l’Esprit-Saint; il agissait en tout comme un [vrai] chrétien, et conduisait son peuple selon la volonté de Dieu.

CHAPITRE XIII.

Des évêques Dirig et Moïse.

Il y avait dans le district de Pasèn deux évêques: Moïse et Dirig. C’étaient des hommes bons, angéliques, saints, croyants et dignes d’être les élus [de Dieu]. Chaque jour de leur vie, tous deux conduisaient leur troupeau de fidèles dans la voie de Dieu.

CHAPITRE XIV.

De l’évêque Aaron (Arscharoun).

Vers ce temps-là, vivait en Arménie l’évêque Aaron, homme célèbre qui excellait dans la vertu; tous les jours de sa vie, il se montra un chef éclairé pour son peuple.

CHAPITRE XV.

Du grand évêque Asbourag.

Asbourag était le grand évêque des Arméniens, homme saint, pieux, craignant Dieu et les hommes. Il n’osa jamais reprendre qui que ce soit. Doux, modeste, sobre, humble, bienfaisant et charitable, il passa toute sa vie en jeûnant et en priant Dieu. Seulement il portait des vêtements garnis de rubans, à la manière de Zavên.

CHAPITRE XVI.

Du saint et vertueux Kint qui, en ce temps-là, était chef des moines arméniens et vivait dans le désert ou dans les monastères.

Kint, originaire du district de Daron, avait été disciple du grand Daniel. Après la mort de ce dernier, il fut [nommé] chef des moines, docteur (vartabed) des ermites et de tous les anachorètes, surveillant des monastères et de tous ceux qui, pour l’amour de Dieu, quittant le monde, habitaient le désert, les cavernes, les anfractuosités des rochers, les crevasses de la terre, et marchaient nu-pieds, n’ayant qu’un seul vêtement, errant dans les montagnes à l’exemple des bêtes, vêtu des peaux de brebis et de chèvres, réduits à la misère, affligés, tourmentés, errant dans le désert pendant le froid et la chaleur, endurant la faim et la soif, se nourrissant d’herbes, de légumes et de racines. Telles furent les épreuves auxquelles ils se soumettaient tous les jours de leur vie et, comme il est écrit: Le monde n’était pas digne de tels hommes.

A l’exemple d’une troupe d’oiseaux, ils vivaient dans des trous de rochers et de cavernes, sans rien posséder, n’ayant aucune propriété, se privant de nourriture, et n’ayant aucune sollicitude. [En les voyant, on était tenté de demander]: comment le corps [humain] peut-il supporter tant [de privations ? Comme nous venons de dire], saint Kint était leur principal chef, et tous les gens du pays des Arméniens lui donnaient le nom de vartabed.

Parmi ces anachorètes, il y en avait d’autres qui avaient été disciples [de Kint] et lui ressemblaient en tout; voici leurs noms: Vatchag, Ardoïd Marakh et Tiridate (Dertad), qui avait été le compagnon de ces derniers. L’archidiacre du grand pontife Nersès, après la mort de celui-ci, alla rejoindre l’essaim de ces vartabed-anachorètes. Mousché, jeune homme élevé par le saint Kint, marcha [aussi] sur les traces de son maître; enfin le nombre de leurs disciples était grand; tous vivant d’une vie angélique. Cependant il n’est pas donné à tout le monde de raconter les détails de leur vie.

Saint Kint était plein de l’Esprit de Dieu; tous ceux qui étaient avec lui opéraient, à son exemple, de grands prodiges et des guérisons, au nom du Seigneur Jésus-Christ. Visitant les pays lointains, habités par les païens, ils convertirent plusieurs d’entre eux, en les conduisant à la connaissance de la vie et dans le chemin de la vérité. Saint Kint remplit plusieurs déserts d’ermites, plusieurs villages de monastères, rétablissant et affermissant [en même temps] la divine religion parmi les hommes. Il avait lui-même pour lieu d’habitation le désert où jaillissent les sources du fleuve Euphrate. C’est là que, dans les anfractuosités des rochers qui jadis furent la demeure du premier et grand Grégoire, qu’on nomme Osgik, que le grand anachorète Kint avait son habitation. Saint Mousché ne le quittait jamais, tandis que les autres disciples de Kint visitaient sans cesse les cantons [environnants], d’après l’ordre de leur chef. Saint Tiridate avait son habitation construite par ses frères dans le canton de Daroz.

 

——s——


 

[1] C’est ainsi que nous avons compris ce premier membre de phrase, qui est le début de la Bibliothèque historique de Faustus de Byzance. Les termes en sont confus, mais nous avons expliqué dans l’introduction ce qu’il faut entendre par les mots. « troisième histoire ». Cf. plus haut.

[2] Selon les traditions arméniennes, Thorgom, le Thogarma des Livres saints, était père de Haïg, premier chef de la race arménienne. Ainsi l’expression « enfants de Thorgom » signifie « les Arméniens ».

[3] Cf. Moïse de Khorène, Histoire d’Arménie, liv. II, ch. 33. Les détails que donne Moïse sur la prédication de Thaddée à Edesse, à la cour du toparque Abgar Ouchama qu’il convertit à la foi, sont extraits, à ce qu’il nous apprend lui-même (ch. 36), d’une histoire écrite en syriaque par Léroubna, fils du scribe Apschatar, qui a raconté les événements des règnes d’Abgar et de Sanadroug. L’ouvrage de Léroubna était conservé dans les archives d’Edesse. Il existe à la Bibliothèque impériale le Paris, dans un martyrologe arménien manuscrit, une histoire attribuée è Léroubna, mais cette composition est apocryphe.

[4] L’apôtre Thaddée fut martyrisé avec ses compagnons, dans le canton de Chavarchan, appelé aussi Ardaz. Selon la tradition, la pierre s’entrouvrit pour recevoir le corps de l’apôtre, qui fut ensuite inhumé dans la plaine (Moïse de Khorène, Hist. d’Arm., liv. II. ch. 31).

[5] Moïse de Khorène, Hist. d’Arm., liv. II, ch. 34, 35.

[6] Moïse de Khorène (Hist. d’Arm., liv. II, ch. 92) raconte que le roi Tiridate avait pris la résolution, vers la fin de sa vie, d’abdiquer et d’aller vivre en solitaire dans l’antre de Mané, où saint Grégoire avait achevé ses jours. Ses sujets, mécontents de la résolution du roi, lui donnèrent un breuvage empoisonné qui causa sa mort. Le même historien donne à Tiridate cinquante-six ans de règne.

[7] Il est impossible, dans l’état actuel de nos connaissances, de savoir quels sont les historiens auxquels Faustus de Byzance fait allusion dans ce passage. On ne saurait même dire si ces historiens étaient arméniens ou grecs, car Moïse de Khorène lui-même, en racontant l’histoire détaillée de ces événements, n’indique pas non plus les sources où il a puisé ses informations (Hist. d’Arm., liv. II, ch. 34). Un seul historien syriaque est cité par Moïse c’est Léroubna, dont il a été question dans une note précédente, et qui a donné le texte de la prétendue correspondance échangée entre Abgar et le Christ, correspondance dont Eusèbe nous a transmis une traduction grecque, dans son Histoire ecclésiastique, liv. I, ch. 13.

[8] Tiridate II, fils de Chosroès le Grand, monta sur le trône de son père, l’an 288 de J.-C. et gouverna le royaume d’Arménie pendant l’espace de cinquante-six ans, c’est-à-dire jusqu’à l’année 342. La dix-septième année de son règne, en 302, il embrassa la foi chrétienne, par suite de la prédication et des miracles de saint Grégoire l’Illuminateur (Cf. Agathange, Hist. de Tiridate, ch. XX, § 92 et 93).

[9] Arisdaguès, on Rhesdaguès, occupa le trône pontifical de l’Arménie de l’an 306 à l’an 314 de J.-C.

[10] Agathange est entré dans quelques détails sur l’activité de Rhesdaguès, fils cadet de saint Grégoire, dans son Histoire de Tiridate, ch. cxxiii, § 159.

[11] Moïse de Khorène (Hist. d’Arm., liv. II, ch. 89 et 91, liv. III, ch. 2) précise l’endroit où saint Grégoire fut enterré; es lut dans l’antre de Mané sur la montagne il s’était retiré de son vivant. Rhesdaguès, qui avait succédé à son père, fut tué par Archélaüs, proconsul de la Quatrième Arménie, qui l’assassina dans le canton de Dzop. Ses disciples enlevèrent son corps, le portèrent dans la localité indiquée par Faustus, où il fut enseveli. Cl. aussi la Vie des saints arméniens; sub nom. SS. Grégoire et Rhesdaguès.

[12] Le mot kotac, ajouté ici comme épithète au nom de Chosroès II, fils de Tiridate, est inconnu, et on ne saurait en donner l’explication. Faustus est le seul auteur qui l’ait employé. On peut supposer que ce mot a la signification de « petit », épithète qui avait été donnée Chosroès II, dont le règne fut de neuf ans (344-353).

[13] Moïse de Khorène, Hist. d’Arm., liv. II, ch. 80 et 91, liv. III, ch. 2. Verthanès, fils aîné de saint Grégoire l’Illuminateur et successeur de Rhesdaguès, son fils cadet, sur le trône pontifical, administra l’Eglise arménienne, de l’an 314 à 330 de J.-C.

[14] Agathange, Hist. de Tiridate, ch. cxiv, § 16. Zénob de Glag, Hist. de Daron, p. 86 de la tr. fr.

[15] Moïse de Khorène (Hist. d’Arm., liv. III, ch. 2) ajoute qu’après avoir échappé au complot des païens, Verthanès s’en alla au bourg de Thil, où se trouvait le tombeau de son frère Rhesdaguès.

[16] Cf. sur cette famille, la note 28 de l’Histoire ancienne de l’Arménie par Mar Apas Catina.

[17] Cf. sur cette famille, la note 28 de l’Histoire ancienne de l’Arménie par Mar Apas Catina.

[18] Moïse de Khorène, Hist. d’Arm., liv. III, ch. 2.

[19] Un personnage du même nom est cité à plusieurs reprises par Agathange (Hist. de Tiridate, éd. de Venise, p. 626, 627, 646).

[20] Ce mot veut dire « la ville de Manavaz ».

[21] Cf. sur cette famille, la note 28 de l’Histoire ancienne de l’Arménie par Mar Apas Catina.

[22] Le pays de Pasan, ou de Pasèn, situé dans la province d’Ararat. —Cf. Indjidji, Géogr. anc. de l’Arménie, p. 380 et suiv., Mar Apas Catina, Histoire ancienne de l’Arménie, note 204.

[23] Moïse de Gaghangaïdoutz (Hist. des Aghouank, t. I, ch. 14, 21, Paris, 1860, en arm.) parle longuement de Grigoris, fils de Verthanès, qui prêcha la foi dans le pays des Aghouank, après avoir reçu à l’âge de quinze ans la consécration patriarcale des mains de son frère Iousig, patriarche d’Arménie. Grigoris fut mis à mort en 343 (Tchamitch, Hist. d’Arm., t. I, p. 426) dans la plaine de Vadnian par ordre de Sanesan ou Sanadroug (v. plus loin, ch. VI). Ses reliques furent portées au village d’Hagou par les moines syriens. —Cf. aussi Brosset, Hist. de la Géorgie, t. I. Addition XXVI, p. 473.

[24] Moïse de Khorène, Hist. d’Arm., liv. III, ch. 3.

[25] Diran II, fils de Chosroès II le Petit, monta sur le trône en 325 et mourut en 351.

[26] Iousig, petit-fils et troisième successeur de saint Grégoire sur le trône pontifical de l’Arménie, fut intronisé à la mort de son père Verthanès, l’an 330, et occupa le siège patriarcal jusqu’en 336.

[27] Sanesan est le même souverain que Sanadroug dont il est longuement question dans l’Histoire d’Arménie de Moïse de Khorène (liv. III, ch. 3).

[28] Il s’agit ici de la mer Caspienne, comme le dit de son côté Moïse de Khorène (Hist., liv. III, ch. 3) qui a raconté très brièvement cet événement.

[29] Selon le récit de Moïse de Khorène (Hist., liv. III, ch. 3), les barbares foulèrent Grigoris aux pieds de leurs chevaux, dans la plaine de Vadnian près de la mer Caspienne. Les diacres de Grigoris, ayant enlevé son corps « le portèrent dans la petite Siounik » et l’enterrèrent dans le bourg d’Amaraz. Cf. Moïse de Gaghangaïdoutz, Hist. des Aghouank, t. I, ch. 14, 21.

[30] Dans la Géographie de Pappus d’Alexandrie, attribuée à Moïse de Khorène (Saint-Martin, Mém. sur l’Arm., t. II, p. 356-357), celte peuplade est appelée les Phaskh. On trouve mentionnés dans la même géographie les noms des deux peuplades suivantes.

[31] Les noms de ces peuplades sont en majeure partie inconnus. Elles habitaient toutes la Sarmatie orientale où se trouvaient un nombre considérable de tribus dont quelques-unes ont été mentionnées dans la Géographie de Pappus, attribuée à Moïse de Khorène (Saint-Martin, Mém. sur l’Arm., t. II, p. 351-357). Les écrivains et les géographes postérieurs ne nous ont pas transmis les noms de toutes ces tribus scythiques, dont la plupart étaient d’origine touranienne, et ils se contentent de les désigner sous le nom générique de Gog et Magog, appellation empruntée aux Livres saints et qui persista dans tout le moyen âge oriental, comme qualification des populations barbares qui, à différentes reprises, envahirent l’Asie occidentale. Cf., à ce sujet, la note savante de M. Pauthier, insérée dans sa remarquable édition du Livre de Marco-Polo (Paris, Didot, 1865), t. I, p. 217 et suiv. note 4.

[32] Cette ville s’appelle actuellement Gandjah ou Elizabethpol. Les Arméniens la désignaient aussi sous le nom de Kandsag des Aghouank. Kandsag se trouve dans la province arménienne d’Artsakh, à peu de distance du Kour. (Cf. Saint-Martin, Mém. sur l’Arm., t. I, p. 150 et suiv.)

[33] Un manuscrit donne, au lieu de ce nom, celui de Daron, ce qui n’est pas admissible. Ce château, qui portait aussi les noms de Taroukh, Taroun, Tanioun, etc., était en effet situé dans le canton de Gok ou Gokaïovid, qui faisait partie de la province d’Ararat. On conservait dans l’église de ce château de précieuses reliques dont parle Vartan dans sa Géographie (Saint-Martin, Mém. sur l’Arm., t. II, p. 420-421).

[34] Moïse de Khorène parle dans son histoire (liv. III. ch. 4) d’une ambassade que Verthanès et les satrapes arméniens envoyèrent à Constance, fils de Constantin le Grand, pour lui demander des secours contre Sanadroug et Pagour, prince d’Aghdsnik, qui voulait se rendre indépendant. Les députés qui allèrent en Grèce étaient Mar, prince de Dzop, et Cac, prince de Hachdiank. Mais l’historien arménien auquel nous empruntons ces détails ne nomme pas Vatché, fils d’Ardavazt, qui semble cependant avoir fait partie de l’ambassade, à ce qu’on peut induire des paroles de Faustus.

[35] Sur cette localité, voyez Agathange, Histoire du règne de Tiridate, note 21.

[36] Cette guerre est racontée différemment par Moïse de Khorène, qui rapporte (Hist., liv. III, ch. 3 et suiv.) que Sanadroug s’empara sur Chosroès de la ville de Phaïdagaran. Cette agression engagea le roi d’Arménie, conseillé par Verthanès, à implorer l’assistance de Constance, qui envoya au secours de Chosroès un de ses généraux nommé Antiochus. Celui-ci, ayant pris comme auxiliaires Pacarad, général de la cavalerie arménienne, Mihran, gouverneur de l’Ibérie et ptieschkh des Koukar, Vahan Amadouni et Manadjihr Reschdouni, marcha au devant de Sanadroug qui se retira du côté de la Perse, auprès du roi Sapor (Schapouh). Antiochus, ayant rétabli l’ordre dans le royaume, revint en Grèce. Moïse de Khorène (liv. III, ch. 9) parle ensuite d’une seconde invasion des peuples du Nord, excités secrètement par Sanadroug. Vahan Amadouni se porta à la rencontre des ennemis, leur livra bataille à Oschagan et les sait en pleine déroute. Son récit est moins circonstancié que celui de Faustus.

[37] Moïse de Khorène (Hist., liv. III, ch. 9) rapporte que le roi Chosroès donna le territoire d’Oschagan à Vahan, qui avait remporté en cet endroit une victoire signalée contre les peuples du Nord.

[38] Cf. Moïse de Khorène, Hist. d’Arm., liv. III, ch. 8.

[39] Ces deux cantons faisaient partie de la province de Persarménie, non loin des montagnes occupées par les Kurdes, près de la ville d’Ourmiah. Cf. Géogr. de Pappus, dans Saint-Martin, Mém. sur l’Arm., t. II, p. 362-363, et Géogr de Vartan, même ouvrage, p. 422-423.

[40] Cette localité était située dans la province de Douroupéran, non loin du lac de Van, dont il est ici question sous le nom de mer de Peznouni (Saint-Martin, Mém. sur l’Arm., t. I, p. 55).

[41] Cette île du lac de Van est entièrement occupée par une ville et par le célèbre monastère d’Aghthamar. fondé en 653 par le prince Théodore (Tchamitch, Hist. d’Arm., en arm., t. II, p. 355), et qui sert actuellement du résidence à un patriarche naguère indépendant, mais qui relève actuellement du catholicos d’Edchmiadzin.

[42] Cf. Moïse de Khorène, Hist. d’Arm., liv. III, ch. 4 et 7.

[43] Sapor II, qui régna de 310 à 380.

[44] Il est question ici de la révolte de Bacour contre Chosroès, roi d’Arménie (Moïse de Khorène, liv. III, ch. 4, 7).

[45] Gortouk était au canton du Gordjaïk, et répond à la Cortœa, de Ptolémée (Géogr., liv. V, ch. 13).

[46] La Sophène des anciens, canton de la Quatrième Arménie. (Strabon, liv. XI, ch. 12 et 14. Pline, liv. V, ch. 12. Ptolémée, liv. V, ch. 13.)

[47] La petite Sophène, aussi appelée Sophène des Schahouni. (Indjidji, Arm. anc., p. 48.)

[48] Canton de la Quatrième Arménie qui servait de résidence aux Arsacides qui n’étaient pu destinés à régner. C’est l’Asthianène de Ptolémée, liv. V, ch. 13.

[49] La Phasiane de Constantin Porphyrogénète, De adm. imp., ch. 45) qui était un canton de la province d’Ararat.

[50] Moïse de Khorène (Htst. d’Arm., liv. III, ch. 7) raconte que ce fut Manadjihr, chef des Reschdouni, qui fut chargé d’opérer contre Bacour et les Perses, et qui revint victorieux de son expédition.

[51] Le fils de Bacour s’appelait Hécha; il fut envoyé chargé de chaînes au roi d’Arménie (Moïse de Khorène. liv. III, ch. 7). Faustus dit plus loin que ce prince échappa au massacre de sa famille.

[52] S. Jacques de Nisibe, surnommé le Sage, et Ezcon, parent de S. Grégoire l’Illuminateur, fut un des pères du concile de Nicée. On a de lui un livre d’homélies appelé Ezcon, qui fut publié et traduit à Rome par le cardinal Antonelli en 1756, et édité de nouveau à Venise, en 1765. A la suite de l’édition des SS. Pères. L’original arménien fut également publié à Constantinople en 1824. —Cf. aussi Assemani, Biblioth. orient., t. I, p. 17 et suiv.

[53] Le mont Ararat, le Massis des Arméniens, considéré comme la montagne où s’arrêta l’arche de Noé. L’orthographe du nom de Sararat, donnée par Faustus, me paraît être une faute des copistes, car elle ne se trouve que chez cet écrivain.

[54] Genèse, VIII, 4

[55] On conserve à Edchmiadzin, dans le trésor du monastère, au morceau de bois pétrifié qu’on dit avoir appartenu à l’arche de Noé (Cf. Brosset, Rapport, p. 20).

[56] Manadjihr était chef de l’armée méridionale de l’Arménie, et chargé par Antiochus d’envahir l’Assyrie et la Babylonie (Moïse de Khorène, liv. III, ch. 6).

[57] Selon Moïse de Khorène’ (liv. III. ch. 7), Manadjihr aurait fait un grand nombre de prisonniers, parmi lesquels se troussaient huit diacres de S. Jacques, qu’il fit jeter à la mer.

[58] Cette montagne, qu’on appelait aussi Endsakhisar, est citée par Jean Catholicos dans son Histoire; il dit que cette montagne faisait partie des contrées cédées par Chosroès à l’empereur Maurice (Jean Catholicos, Hist. d’Arménie, ch. IX.)

[59] Cf. Moïse de Khorène, liv. III, ch. 7.

[60] La même légende est racontée par Agathange, dans son Histoire de Tiridate.

[61] Le géographe Vartan assure qu’on conservait la main droite de S. Jacques dans l’ermitage de Reschdagapoag, situé dans le canton d’Arakadzodn (S. Martin, Mém. sur l’Arménie, t. II, p. 416-417).

[62] Moïse de Khorène, liv. III, ch. 10.

[63] Moïse de Khorène, liv. III, ch. 10. Chosroès II mourut en 325.

[64] Moïse de Khorène, liv. III, ch. 11. Verthanès mourut en 330.

[65] Moïse de Khorène, liv. III, ch. 11.

[66] Diran II régna de l’an 335 jusqu’en 341.

[67] Iousig occupa le siège patriarcal de l’an 330 à 336.

[68] Le canton d’Andzith, aussi appelé Andzda et Handzith, faisait partie de la Quatrième Arménie. Une dynastie satrapale occupait ce canton depuis une époque fort reculée (Cf. plus loin: Faustus, liv. IV. ch. 24; liv. V, ch. 9. Moïse de Khorène, liv. III, ch. 15. Lazare de Pharbe, p. 268. Mesrob, Vie de S. Nersès, ch. 1.) Ptolémée (liv. V, ch. 13) nomme ce canton Andzitène, nom que les Byzantins ont transcrit sous la forme Canzit (Const. Porphyr., De adm. imp., ch. 50.) cf. aussi Aboulfaradj, Chr. syr., p. 301 et suiv. Assemani, Bibl. orient., I. I. p. 249, t. III, p. 718.

[69] Canton de la province de Douroupéran, qui parait correspondre à la Χορὴ ou Χορὶ de Constantin Porphyrogénète, De adm. imp., ch. 44.

[70] C’est ce passage qui nous donnerait le seul détail connu sur la famille à laquelle appartenait Faustus de Byzance; mais il paraît altéré, ainsi que je l’ai dit.

[71] Indjidji, Arm. anc., p. 487.

[72] Moïse de Khorène (liv. III, ch. 14) raconte différemment le martyre de Iousig: « Etant arrivé au canton de Dzop, Diran voulut ériger, dans son église royale, l’effigie [de l’empereur Julien et celles des démons (ch. 13),] qu’il venait d’apporter. Saint Iousig, arrachant cette image des mains du roi, la jeta à terre, la foula aux pieds, et la brisa en criant à l’imposture. Diran n’écoutait rien, car il connaissait la colère de Julien. Il pensait que la mort l’attendait pour avoir profané l’effigie de l’empereur. Ces réflexions, ajoutant encore à l’ardeur de sa haine pour Iousig, à cause des reproches que celui-ci lui taisait sans cesse sur sa coupable conduite, Diran le fit battre longtemps à coups de fouet, jusqu’à ce qu’il rendit l’esprit …. Le corps d’Iousig fut transporté près de celui de son père au village de Thortan. S. Iousig avait passé six ans dans l’épiscopat.

[73] Amos, chap. V, vers. 10.

[74] Cf. Moïse de Khorène. liv. III, ch. 14.

[75] Cf. Agathange, ad calcem.

[76] Cf. Agathange, ch. cxiv.

[77] Cf. Moïse de Khorène, liv. III, ch. 14.

[78] Cf. Moïse de Khorène, liv. III, ch. 14.

[79] Cf. Moïse de Khorène. liv. III, ch. 16.

[80] Moïse de Khorène (liv. III. ch. 16) raconte que les deux fils d’Iousig qui étaient indignes d’occuper le siège apostolique, furent foudroyés ensemble à la même place.

[81] C’est le même personnage qui est appelé Pharhnersèh, d’Aschdischad, au canton de Daron, par Moïse de Khorène (III, 16) et qui occupa le siège pontifical de l’an 336 à l’an 340.

[82] Moïse de Khorène (liv. III, ch. 16) dit quatre ans.

[83] Moïse de Khorène (Hist. d’Arm., liv. III, ch. 15) raconte ces événements d’une manière toute différente. Selon cet historien, les satrapes arméniens, en apprenant le martyre d’Iousig (ch. 14), firent éclater leurs murmures, et Zora, commandant l’armée méridionale de l’Arménie, à la place de Manadjihr, qui accompagnait l’année mise à la disposition de l’empereur Julien par Diran, se révolta contre le roi avec ses soldats et se retrancha à Demoris. Sur ces entrefaites, Julien écrivit à Diran que les auxiliaires arméniens qu’il lui avait donnes, désertaient l’armée, et il lui enjoignit de faire mourir Zora. Diran expédia à ce dernier l’eunuque Haïr en lui donnant l’ordre de venir le trouver. Zora qui se vit tout à coup abandonné par ses soldats, prit le parti d’aller trouver le roi qui s’empara de son château d’Aghthamar et fit mettre à mort Zora et toute sa famille. Un seul enfant, fils de Méhentag, échappa à ce massacre, et fut sauvé par ses nourriciers, Saghamout, seigneur d’Andzith fut placé par le roi à la tête de l’armée de Zora.

[84] Moïse de Khorène (Hist. d’Arm., liv. III, ch. 16) dit que les deux frères furent frappés au même instant par la foudre qui les tua sur le coup.

[85] Moïse de Khorène (Hist. d’Ami., liv. III, ch. 16) raconte que le jeune Nersès résidait à Césarée et qu’il passa de là à Byzance, où il épousa la fille d’un grand prince du nom d’Aspion.

[86] Moïse de Khorène (Hist. d’Arm., liv. III, ch. 17), en racontant la captivité de Diran, donne d’autres motifs à cet événement. Selon cet historien, le roi de Perse, Sapor, après la mort de Julien et le traité de paix qu’il signa avec son successeur Jovien, aurait écrit à Diran qu’il le félicitait de sa fidélité, de l’ordre habile qu’il avait donné à son armée, et d’avoir quitté le parti des Romains, faisant ainsi allusion à la retraite de Zora qui, nous l’avons vu, s’était révolté contre Diran. Sapor qui feignait de croire que Diran était dans ses intérêts, bien qu’il sût le contraire, l’engagea à venir le trouver pour recevoir la récompense de sa fidélité. Mais, dès que le roi d’Arménie fut auprès du roi de Perse, Sapor changea de langage, lui adressa les plus vifs reproches, et lui fit crever les yeux. Ce prince avait régné onze ans.

[87] Arschag III régna de l’an 311 jusqu’en 370. Moïse de Khorène (Hist. d’Arm., liv. III, ch. 18) ne parle en aucune façon des faits rapportés ici par Faustus. Il se contente de dire que Sapor plaça Arschag, fils de Diran II, sur le trône d’Arménie, afin de se concilier les bonnes grâces des habitants du pays et de s’assurer la possession de ce royaume.

[88] Cette indication finale est des plus importantes, car elle ne permet pas de douter que Faustus de Byzance n’ait composé son livre en grec, puisque le titre d’historien grec lui est donné ici, ce qui n’aurait aucun sens si Faustus avait écrit son livre en arménien.

[89] Arsace ou Arschag III, fils de Diran II, régna en Arménie de l’an 341 à 370 de notre ère. Cf. Moïse de Khorène, Hist. d’Arm., liv. III, ch. 18.

[90] Nersès, au dire de Moïse de Khorène (Hist. d’Arm., liv. III, ch. 18) était en ce moment à Constantinople, où il était venu pour épouser la fille d’un grand personnage, nommé Aspion.

[91] Moïse de Khorène (Hist. d’Arm., liv. III, ch. 20) raconte dans les mêmes termes, mais plus brièvement, les bienfaits dont saint Nersès dota son pays durant son patriarcat. Ce catholicos, un des plus illustres de l’Arménie, occupa le siège pontifical de l’an 340 à 374 de notre ère. Un écrivain arménien du Xe siècle, Mesrob le prêtre, nous a transmis une biographie de saint Nersès qui a eu plusieurs éditions (Madras, 1775. Venise, 1853, dans la Petite Biblioth. arm.) Cf. aussi Aucher, Vies des saints arm., s. verb. Nersès. Le même, Fleur de la vie des saints, page 218. —P. Karékin, Hist. de la litt. arm., p. 129 et suiv.

[92] Selon Moïse de Khorène (Hist. d’Arm., liv. III, ch. 11), ce fut vers l’empereur Valentinien I, collègue de Valens, que saint Nersès fut envoyé par le roi d’Arménie. Ces deux opinions sont erronées; c’était l’empereur Constant qui régnait à Constantinople lors du voyage de saint Nersès (Lebeau, Hist. dis Bas-Empire, Id. Saint-Martin, t. II, liv. X, 19).

[93] Le discours de Nersès à l’empereur est une profession de foi orthodoxe que nous n’avons pu cru nécessaire de reproduire ici.

[94] Nous avons supprimé une longue prière qu’il nous a semblé inutile de reproduire, puisqu’elle ne renferme rien d’historique.

[95] Indjidji, Arm. anc., p. 35.

[96] Cette ville est la même que Théodosiopolis ou Erzeroum, dans la Haute Arménie.

[97] Cf. Moïse de Khorène, Hist. d’Arm., liv. III, ch. 20.

[98] Le canton de Kog, appelé aussi Gokovid, faisait partie de la province d’Ararat (Moïse de Khorène. Géogr., dans St-Martin, Mém. sur l’Arm. t. II. p. 366-367).

[99] Moïse de Khorène, Hist. d’Arum., liv. III, ch. 21.

[100] Jérémie, XXII, 13.

[101] La ruine d’Arschagavan est racontée d’une manière toute différente par Moïse de Khorène (Hist. d’Arm., liv. III, ch. 27). Selon cet écrivain, les satrapes arméniens, qui avaient vu avec regret la fondation d’une ville donnant droit d’asile à des malfaiteurs de la pire espèce, s’étaient amèrement plaints au roi Arschag, qui ne tint aucun compte de leurs avis. Ceux-ci s’armèrent alors, et, ayant marché contre la ville du roi, passèrent au fil de l’épée tous les habitants, sauf les enfants à la mamelle. Nersès, en apprenant ce massacre, accourut, délivra les enfants qu’il fit porter dans des corbeilles dans une étable, et les fit élever par des nourrices. Ces enfants formèrent plus tard une bourgade qui fut appelée Ouort « corbeille », à cause de cette circonstance.

[102] Moïse de Khorène, Hist. d’Arm., liv. III, ch. 21.

[103] Moïse de Khorène, liv. III, ch. 22.

[104] Cf. sur ces fêtes, les Recherches sur le paganisme arménien, trad. d’A. de Stadler, p. 23.

[105] Moïse de Khorène, liv. III, ch. 22.

[106] Faustus de Byzance attribue la mort de Knel à des circonstances secondaires, en supposant que ce fut par jalousie que Dirith ourdit contre lui une intrigue auprès du roi Arschag. Moïse de Khorène (liv. III, ch. 21, 25) paraît avoir mieux compris le sens de ce drame dont Il raconte les péripéties arec des détails fort circonstanciés. Pendant une guerre entre les Romains et les Arméniens, Valentinien avait fait périr Tiridate, frère d’Arschag et père de Knel; mais plus tard, s’étant repenti de cette action criminelle, il accorda à Knel le titre de hypatos (consul), ce qui irrita beaucoup Dirith. Knel, ayant épousé Pharandzêm, de la race de Siounie, obtint des satrapes arméniens leurs fils qu’il fit élever dans son palais. Dirith profita de cette circonstance pour dénoncer Knel au roi, connue aspirant à la royauté, et il fut appuyé dans ses calomnies par Vartan le Mamigonien, écuyer du roi. Arschag donna l’ordre à Knel de quitter la province d’Ararat et de se fixer ailleurs. Cependant Vartan ne cessait de renouveler ses perfides menées contre Knel et excitait secrètement Arschag contre lui. Ce prince écrivit alors à Knel une lettre que Moïse de Khorène nous a conservée, et, l’ayant invité à une chasse, il le fit tuer traîtreusement par Vartan. Arschag, s’étant débarrassé de Knel, lui fit faire de magnifiques funérailles à Zarichad, et, pour paraître étranger au meurtre de ce prince, il s’abandonna publiquement à la plus vive douleur. Cependant saint Nersès n’ignorait pas le crime d’Arschag et il le maudit. Arschag s’empara des richesses de Knel, et épousa sa femme Pharandzêm de laquelle il eut Bab.

[107] Le mot sébouh veut dira littéralement, « un noble de haut rang, un pair du roi ».

[108] Cf. Moïse de Khorène, liv. III, ch. 24, 25.

[109] Cette localité n’est citée que cette seule fois par Faustus comme se trouvant dans le canton de Daïk. Les autres écrivains arméniens n’en font aucunement mention. Cf. Indjidji, Géogr. anc., page 373.

[110] Moïse de Khorène (Hist. d’Arm., liv. III. ch. 31) raconte aussi en détail les cruautés commises par Arschag envers les satrapes. Il parle de l’extermination complète de la race des Gamsaragan, dont il convoitait la forteresse Ardaker et leur ville Erouantachad. Spantarad, qui échappa seul au massacre de cette famille, était le fils d’Arschavir.

[111] Sur cette forteresse, cf. Indjidji, Géogr. anc., p. 396.

[112] Mazdezn est la transcription arménienne du mot zend mazdayasna , qui veut dire « adorateur d’Ahaura Mazda ou Ormuzd. »

[113] Mot zend signifiant « temple du feu ».

[114] Ammien Marcellin (XXVII, 12), en parlant du siège d’Artogérasse, dit que cette expédition était confiée à deux Arméniens transfuges, Cylax et Artaban. Or. au ch. 54, qu’on lira plus loin, Faustus dit que l’un des chefs de l’armée perse, chargé d’assiéger Artaguers (Artogérasse), s’appelait Zig; on peut donc supposer que Cylax et Zig sont un même personnage dont le nom aura été altéré par Ammien Marcellin ou par les copistes de son histoire.

[115] Ce personnage est mentionné par Moïse de Khorène. (Hist. d’Arm., liv. III, ch. 34). Toutefois les faits racontés par l’Hérodote arménien, sont en complet désaccord avec le récit de Faustus. Selon Moïse de Khorène, Arschag prit la fuite dès qu’il apprit l’arrivée de Alanaozan Pahlavig dans ses États, car il était abandonné de la plupart des satrapes qui s’allièrent au général de l’armée perse et se rendirent volontairement auprès de Sapor. Celui-ci les combla d’honneurs et les renvoya dans leur patrie. C’est alors, dit Moïse de Khorène, qu’Arschag envoya un message à Alanaozan pour l’engager à cesser de le poursuivre, mais celui-ci refusa d’accueillir ses propositions.

[116] Les dev étaient des génies malfaisants selon l’ancienne religion des Perses (Burnouf, Comm. sur le Yaçna, t. I, p. 8). Cf. Emin, Rech. sur le pagan. arm., page 27 de la trad. fr. On verra quelques lignes plus bas que les dcv prenaient la forme de serpents blancs pour tourmenter leurs victimes. Il n’y a donc pas de doutes à avoir sur le rôle des dev dans la mythologie arménienne, puisque Faustus nous révèle ici un fait fort intéressant, qui confirme le Zend-Avesta (Vendidad-Sadé, dans le Zend-Avesta, t. I, part. II, p. 305; éd. Anq. Duperron), et ce qu’avance M. Emin, touchant les mauvais esprits qu’il considère comme les agents d’Ahriman, bien que cette divinité ne soit pas mentionnée dans les auteurs arméniens comme faisant partie de leur Panthéon. Le nom d’Ahriman corrompu en celui de Kharaman, est devenu chez les Arméniens le nom du serpent et du Diable (History of Vartan, by Elisaeus, éd. Neumann, page 84, note 9. Cf. aussi A. Maury, Histoire des religions de la Grèce antique, t. I, p. 133, et note 3.

[117] Cf. Moïse de Khorène, Hist. d’Arm., liv. III, ch. 38 et suiv.

[118] De même que les seigneurs perses, les princes Arméniens avaient à la Porte de Perse, leur place et leur coussin distincts. (Moïse de Khorène, III, t, 65. Moïse de Gaghangaïdoutz, t. II, c. I. Cf. Agathange, p. 593, éd. de Venise) Cf. Patcanian, Essai d’une histoire des Sassanides, page 13, § 4 de la trad. fr.

[119] Faustus est encore en désaccord complet dans ce chapitre avec Moïse de Khorène qui raconte (Hist. de l’Arm., liv. III, ch. 36) que la mort d’Arschag, Sapor envoya une armée en Arménie sous les ordres de Méroujan. Le roi aurait donné, selon le même historien, sa sœur Ormizdtoukhd en mariage à Méroujan avec de nombreux villages et des domaines en Perse, et lui aurait même promis le trône d’Arménie, à la condition de convertir tout le pays au magisme.

[120] Cf. Moïse de Gaghangaïdoutz, Hist. des Aghouank, liv. II. ch. 1. Patcanian, Essai d’une hist. des Sassanides, p. 13. § 4 de la trad. fr.

[121] Cf. Moïse de Khorène, Hist. d’Arm., liv. III. ch. 34, 35.

[122] Antmesch en persan, et Aniousch-pert en arménien, eu1ent dire « château de l’Oubli ». C’est une localité dont la position n’est pas bien déterminée. Ammien Marcellin l’appelle Agabana, (XXVII, 12). Moïse de Khorène (Hist. &Arm., liv. III, ch. 35) et Faustus placent ce château dans la Suziane ou Khoudjastan (Khouzistan). Procope le mentionne également dans son Bell. Persic. (liv. I, ch. 5), dont nous donnons un extrait relatif à cet événement, qu’il semble avoir emprunté à Faustus. Agathias (l. IV) et Cédrénus (t. I) donnent au château d’Aniousch le nom de th lhthV jrourion ce qui est la traduction de l’arménien.

[123] Ammien Marcellin (liv. XXVII, ch. 12) raconte que le vieux roi de Perse, Sapor, se montrait aussi envahisseur à la fin de sa vie qu’au commencement de son règne. A la mort de Julien et après le traité ignominieux qui l’avait suivie, on crut à une apparence de concorde entre la Perse et les Romains. Mais bientôt foulant aux pieds ce pacte, il voulut étendre la main sur l’Arménie et réunir ce royaume à ses domaines. L’esprit public y étant contre lui, il employa la ruse et le parjure pour décider Arschag à venir le trouver, et il le fit arrêter et conduire dans un endroit écarté où on lui creva les yeux. Après quoi le roi captif fut chargé de chaînes d’argent et relégué au fort d’Agabana, où il fut mis à mort au milieu des tortures. Le château d’Agabana doit être la même chose que le fort d’Aniousch.

[124] Il existe, dans la littérature moderne de l’Arménie, plusieurs tragédies dont le sujet est tiré de l’histoire d’Arschag III. L’une, intitulée « Arschag II ». (Sic) est en prose et a pour auteur un Arménien de Constantinople, M. Karakasian. L’autre, qui porte le même titre, (les Arméniens ne comptant pas parmi leurs rois, Arschag II, fils d’Artaban III, roi des Parthes, qui régna en 35 de J.-C.), est en vers; elle a été composée par le P. Khorène Calfa, qui en a publié une traduction française, dans Revue de l’Orient, en 1864.

[125] Ammien Marcellin (liv. XXVII, ch. 12) raconte qu’après l’emprisonnement d’Arschag, le roi de Perse, envoya en Arménie deux transfuges, l’eunuque Cylax et Artaban, dont le premier était un ancien préfet le second un général investi d’un grand commandement sous le roi Arschag, avec ordre de prendre le fort d’Artogérasse (Artakers) des Arméniens, point très important où était renfermé le trésor d’Arschag et où s’étaient réfugiés la femme et le fils du roi d’Arménie. Le nom de Cylax est peut-être une altération du nom de Zig; nous donnons cette explication sous toute réserve. Quant au nom d’Artaban, il me parait bien difficile de l’identifier avec celui de Garên, à moins qu’on ne suppose que Garên ne soit le nom de famille d’Artaban, car on sait que la race de Garên-Pahlav était fort nombreuse en Perse et en Arménie. Cf. une des notes qui accompagnent l’Histoire d’Agathange.

[126] Ardarakers ou Ardakers, château fort de la province d’Ararat, appelé aussi Gaboïd-pert’ « château bleu », faisait partie des domaines des Gamsaragan. Ammien Marcellin (liv. XXVII, ch. 12 le nomme Artogerasse. Strabon liv. XI, 14, § 6) lui donne le nom d’Artagéras, qui est aussi l’appellation que l’on trouve dans Velleius Paterculus (liv. II, p. 125). Ptolémée (liv. V, ch. 13) l’appelle Artagigarta Cf. Indjidji, Géogr. anc., p. 39. —Saint-Martin, Mém sur l’Arm., t. I, p. 122-123.

[127] Bab, fils d’Arsace ou Arschag III, régna de 370 à 377. C’est ce prince qui est appelé Para par Ammien Marcellin (XXVII, 12; XXX, 1).

[128] Valens.

[129] Moïse de Khorène (III, 35.) Cylax et Artaban, envers par Sapor pour faire le siège d’Artogérasse, entourèrent la place avec une nombreuse armée, pendant l’hiver. L’eunuque Cylax, voyant qu’il serait très difficile de s’emparer du château qui était entouré de formidables défenses, vint, accompagné d’Artaban, avec un sauf-conduit, trouver la reine dans la forteresse pour l’engager à capituler. Cependant la reine, par ses larmes éloquentes, parvint à séduire les deux généraux qui abandonnèrent le parti de Sapor et engagèrent la reine à faire une sortie pendant la nuit, pour surprendre le camp de Perses. Cette ruse ayant réussi, les Arméniens battirent les assiégeants et le prince Para (Bab) parvint à s’échapper et à aller trouver Valens qui lui donna pour résidence, la ville de Néocésarée, dans le Pont. Ces bonnes dispositions de Valens envers les Arméniens engagèrent Cylax et Artaban à envoyer une députation à Valens pour lui demander Para pour roi, ce qui fut accordé. Ces événements et surtout la trahison de Cylax et d’Artaban irritèrent tellement Sapor, qu’il résolut d’envoyer une armée pour dévaster l’Arménie et se rendre maître d’Artogérasse. Il s’empara de la ville, fit la reine prisonnière et mit la main sur tous les trésors d’Arsace. (Ammien Marcellin, XXVII. 12.)

[130] Moïse de Khorène, liv. III. ch. 35.

[131] Zouith états un prêtre chrétien d’origine juive, qui ayant été accusé auprès de Sapor d’exciter les captifs faits à Ardaschad, à ne pas abandonner la foi du Christ, fut martyrisé par ordre du roi de Perse (Moïse de Khorène, III, 35)

[132] Indjidji, Arma. anc., p. 153.

[133] Indjidji, Arm. anc., p. 125.

[134] Indjidji, Arma. anc., p. 378. —St-Martin, Mém. sur l’Arm., t. I, p. 131.

[135] Moïse de Khorène, liv. II, ch. 19.

[136] Dans quelques mss., la prière de Zouith forme un chapitre spécial, le 57e; il a pour titre: Prière de Zouith à l’heure de la mort. Les Mékhitaristes, dans leur édition de Faustus de Byzance, ont conservé ce chapitre, ce qui porterait à 59 le nombre des chapitres du IVe livre.

[137] Moïse de Khorène, liv. III, ch. 35.

[138] Cf. plus haut, liv. III, ch. 21.

[139] Moïse de Khorène, liv. III, ch. 36.

[140] Moïse de Khorène, liv. III, ch. 36.

[141] Le texte arménien présente ici quelqu’obscurlté; le mot anaguioughi, que d’autres manuscrits nous ont transmis sous la forme anguiough, dérive du mot anguioun, « angle », et veut dire sans doute « une poche ». Le vêtement de la nourrice de Harnazasbouhi devait étre une sorte de manteau « garni d’une large poche », dont une des pointes se relevait et se fixait à une ceinture, fin de remplir l’office d’une poche.

[142] Selon Moïse de Khorène (III, 38), Nersès le Grand, patriarche d’Arménie ayant appris les malheurs de ce royaume et la mort du roi Arschag, vint trouver Théodose pour lui demander d’élever Bab sur le trône de ses pères. L’empereur, cédant aux prières du pontife, envoya Bab dans son royaume, avec une armée sous le commandement de Térence. Le prince arménien chassa Méroujan du pays et occupa dès lors le trône de ses ancêtres. Le récit d’Ammien Marcellin (liv. 37) est plus détaillé et semble se rapprocher davantage de la vérité. Cylax et Artaban demandèrent à Valens de leur donner Para (Bab) pour roi et de lui prêter le concours de ses armées. L’empereur accéda à leur demande et envoya Térence avec Para en Arménie, pour l’installer sur le trône de ses pères. Seulement Valens, pour ne pas rompre le traité signé par les Romains avec la Perse, défendit à Para de prendre les insignes de la royauté, mais il l’autorisa à exercer dans tout son royaume la puissance souveraine.

[143] C’est le même personnage que Moïse de Khorène (III, 38) appelle Atte et qu’il qualifie de « grand comte ».

[144] Indjidji, Arm. anc., p. 460.

[145] Indjidji, Arm. anc., p. 107. Place forte du Douroupéran qui appartenait aux Selgouni (Moïse de Khorène, II, 84).

[146] Ce personnage est cité également par Moïse de Khorène (III, 37), comme auxiliaire des Perses.

[147] Il y a ici une longue prière de saint Nersès qui ne renferme rien d’historique et que nous n’avons pas cru nécessaire de reproduire.

[148] Les Mamigoniens et les Orbélians passaient, selon une ancienne tradition, pour être originaires de la Chine (Djénastan). Leurs ancêtres, chassés de leur pays per une révolution, seraient venus chercher asile en Arménie, ou les rois arsacides les accueillirent et leur donnèrent le titre de satrapes, avec des domaines. (Moïse de Khorène, II, 81.)

[149] Il est question dans ce chapitre de la bataille de Tzirav, mentionnée par Moïse de Khorène (III, 37).

[150] C’est-à-dire « père du roi ». Cette charge était celle de chef des eunuques.

[151] Cf. Moïse de Khorène, liv. III, ch. 3.

[152] Cf. Indjidji, Arm. anc., p. 307 et 57.

[153] Moïse de Khorène, liv. III, ch. 35.

[154] Cf. Indjidji, Arm. anc., p. 530.

[155] La province de Gordjaïk ou des Kurdes. (St-Martin, Mém. sur l’Arm., t. I, p. 176.)

[156] Le canton appelé Gortik (Indjidji, Arm. anc., p. 146.) répond à la Cortœa de Ptolémée(V, 13,) où se trouvait la forteresse de Dmorik ou Dmoris (Moïse de Khorène, II, 30; III, 15.)

[157] La province d’Artsakh, appelée plus tard Khatchen, dont les Grecs ont fait la Chatziène mentionnée par Constantin Porphyrogénète (de caerem. aul. byz., t. I, p. 897) qui appelle le prince du pays, ἄρχων τῆς Χατζιηνῆς. C’est aujourd’hui le Karabagh (jardin noir) dans les provinces russes de la Transcaucasie, et dont le chef-lieu est Choucha.

[158] Indjidji, Arm. anc., p. 319.

[159] Capitale de la province du même nom, sur le Kour, et non loin de la mer Caspienne. La ville actuelle de Salian occupe son emplacement. (L. Alischan, Géogr. de l’Arm., p. 92.)

[160] Le pays de Virk ou d’Ibérie formait alors le royaume de Géorgie, dont les rois furent souvent en guerre avec ceux d’Arménie, leurs voisins. Il n’est pas question de la guerre que Mouschegh fit au roi des Géorgiens qui devait être alors Bakour III, fils de Pharsman VI, le dernier souverain de la dynastie khosroïde. (Brosset, Hist. de la Géorgie, t. I, p. 214 et suiv.)

[161] Les descendants de Pharnavaz, qui fut le premier roi du Karthli, n’ont pas laissé de traces dans l’histoire de la Géorgie. J’ignore où Faustus a puisé ce renseignement.

[162] Canton de la Quatrième Arménie qui était appelé Sophène par les Grecs, et que les Arméniens divisaient en deux parties, le grand et le petit Dzop (St-Martin, Mém. sur l’Arm., t. I. p. 92.)

[163] Indjidji, Géogr. anc., p. 507.

[164] Indjidji, Arm., anc., p. 43.

[165] Faustus est ici en contradiction avec ce qu’il a dit dans le ch. 44 du liv. IV, où il raconte que ce fut le roi Arschag qui, à la naissance de son fils Bab, l’avait consacré aux dev. La reine ignorait même cette circonstance, ainsi qu’on peut le voir dans la suite de ce chapitre.

[166] Moïse de Khorène, liv. III, ch. 38.

[167] Moïse de Khorène (liv. III, ch. 38) dit que l’empereur des Grecs était Théodose (le Grand).

[168] Indjidji, Arm, anc., p. 21.

[169] Ce personnage, qu’on a souvent confondu avec l’auteur de cette histoire, est tout à fait différent. Nous avons fait observer, dans l’introduction, que Faustus de Byzance n’avait pas reçu les ordres sacrés; du moins nous n’avons pu recueillir aucun renseignement à cet égard.

[170] Cf. le récit analogue de l’empoisonnement et des funérailles de S. Nersès, dans Moïse de Khorène (liv. III, ch. 38) qui ajoute que ce pontife occupa pendant 24 ans le siège pontifical de l’Arménie.

[171] Cf. liv. III, ch. 14.

[172] Nous avons supprimé cette invocation qui ne renferme rien d’historique.

[173] Les canons chronologiques des catholicos arméniens nomment, après Nersès le Grand, le patriarche Schahag, de Manazguerd dans le canton de Harkh, qui occupa le siège pontifical, de l’an 374 à 378. Cf. Tchamitch, Hist. d’Arm., tables.

[174] Moïse de Khorène (III, 39) raconte que Bab, qui était sous la dépendance de Théodose, ayant appris que ce prince s’était éloigné de sa capitale, se révolta contre le général romain Térence, qu’il chassa de ses États, avec les troupes impériales qui y étaient cantonnées. Ammien Marcellin (XXX, 1), qui paraît mieux informé que Moïse de Khorène, prétend que Térence, qu’il dépeint sous des couleurs peu favorables, complotait avec quelques Arméniens contre le roi Bab (Para), et qu’il écrivait lettres sur lettres à l’empereur Valens pour demander à ce prince de nommer un successeur à Bab. C’est alors que Bab résolut de se jeter dans les bras du roi de Perse, pour obtenir sa protection contre les Romains. Ce récit paraît plus conforme à la vérité historique que ceux de Moïse de Khorène et de Faustus de Byzance.

[175] Moïse de Khorène (III, 39) raconte que Théodose le Grand, ayant appris la détection du roi Bab qui venait de faire alliance avec le roi des Perses, donna l’ordre à son général Térence, qui était cantonné en Arménie, de marcher contre Bab pour le punir. Térence attaqua le camp des Arméniens, surprit Knel, général de l’armée royale, le tua et s’empara de la personne du roi. Bab, chargé de chaînes, fut conduit en présence de Théodose qui lui fit trancher la tête d’un coup de hache, pour le punir de sa perfidie. Selon Ammien Marcellin (XXX, 1), les choses se seraient passées tout autrement; ce fut pendant le règne de Valens que Térence cabala avec plusieurs Arméniens pour perdre le roi. Il le représentait comme un prince corrompu, tyrannique, emporté, et demandait qu’on lui ôtât la couronne. Bab (Para), appelé en Cnide, sous le prétexte de conférer d’affaires urgentes, se rendit sans défiance à cette invitation. Il vint à Tarse, ou on le reçut avec de grands témoignages de respect; mais bientôt il s’aperçut qu’il était joué, et il prit le parti de s’enfuir. Poursuivi par des soldats romans, il put gagner du terrain et arriva sur les bords de l’Euphrate. Bab passa le fleuve sur des outres et pénétra dans la Mésopotamie. L’empereur ordonna au comte Daniel et à Barzimère, tribun des sectaires, de poursuivre le fugitif avec des troupes légères et de s’emparer de sa personne. Le roi, serré de près par les troupes envoyées à sa poursuite, prit un sentier détourné, et parvint à s’échapper. Bab rentra dans ses Etats, laissant les soldats Romains consternés de l’habileté avec laquelle il avait pu leur échapper. Cependant les deux généraux de Valais, fort irrités d’avoir manqué leur but, formèrent le complot de tuer Bab. Ils chargèrent Trajan, général des troupes romaines cantonnées en Arménie, d’exécuter ce projet. Il assura Bab des intentions bienveillantes de Valens envers lui et l’engagea plusieurs fois à venir à sa table. Bab, rassuré par les promesses du général romain, se décide à accepter un banquet en son honneur que donnait Trajan. Il fut placé sur un trône, et, tandis que la musique faisait résonner ses fanfares et que le roi portait la coupe à ses lèvres, Trajan sort et donne l’ordre à un barbare, de ceux qu’on nomme Supra, de se jeter sur Bab et de le tuer. Le roi tomba percé de coups. Ammien Marcellin blâme en termes énergiques cet assassinat, qui fait honte à la dignité romaine, et il ajoute que « l’ombre de Fabricius en a gémi, si le sentiment subsiste au-delà de cette vie ». (Ammien Marcellin, XXX, 1, ad calcem.)

[176] Selon Moïse de Khorène (III, 39), Knel fut en effet tué par Térence, non pas dans le festin dont il est ici question, mais dans une bataille livrée par le général romain aux troupes arméniennes commandées par Knel, général de Bab. Le roi d’Arménie qui, selon Faustus, fut tué le premier, aurait péri, dit Moïse de Khorène, dans un festin; mais alors Knel était déjà mort. Ces deux récits bien différents jettent une grande confusion dans la suite des événements accomplis à cette époque.

[177] Varaztad régna de 384 à 386; cependant Moïse de Khorène (III, 40) lui accorde quatre années de règne.

[178] Moïse de Khorène (III. 40) fait également l’éloge de Varaztad, dans les termes les plus pompeux. Il le compare à Tiridate, à Chion le Laconien et à Achille (!).

[179] Le culte des Arlèz ou Aralèz était très répandu en Arménie, où il se maintint, comme le prouve ce passage de Faustus, même après la destruction du paganisme et alors que la religion chrétienne avait fait disparaître presque toutes les traces des antiques croyances orientales. Cf. Vebk….. Chants populaires de l’Arménie (en arm.), p. 83.

[180] Quelques mss. orthographient ce nom sous la forme « Gon ». Les éditeurs arméniens de Faustus se sont arrêtés à la première leçon.

[181] Cf. Mar Apas Catina, Hist. ancienne de l’Arménie, note 48, les renseignements donnés sur les Kouschans.

[182] Nom d’une mesure itinéraire, usitée en Perse. Cf. Ascher, Traité des poids et mesures (en arm.), p. 180.

[183] Varaztad était fils d’Anob, frère d’Arschag XII, et par conséquent n’appartenait pas à la ligne directe des Arsacides.

[184] Cf. plus haut, liv. IV, ch. 58.

[185] Moïse de Khorène (III, 40) raconte d’une façon bien différente les événements accomplis sous le règne de Varaztad. Selon cet historien, le roi d’Arménie, aussitôt établi sur le trône par l’empereur, chercha à s’affranchir du joug des Grecs et à s’allier avec le roi Sapor dont il demanda une des filles en mariage. Les généraux grecs avertis de ces menées, en donnèrent avis à l’empereur Théodose qui leur intima l’ordre de faire venir le roi d’Arménie à sa cour pour expliquer sa conduite. Varaztad se rendit sans tarder à l’appel de Théodose, qui refusa de le recevoir et le fit charger de chaînes. Puis il le fit partir pour l’île de Thulé.

[186] Je crois qu’il y a ici une erreur de copiste et qu’il faut lire: « des Perses », comme semble l’indiquer la rubrique du chapitre suivant.

[187] Moïse de Khorène (III, 41) dont le récit diffère de celui de Faustus, assure que ce fut Théodose le Grand qui éleva sur le trône d’Arménie les deux fils de Bab, Arschag et Vagharschag. Ces deux princes, au dire du même auteur, s’assirent sur le trône après avoir lutté courageusement contre les Perses. Mais Vagharschag mourut dans l’année de son avènement, et Arschag resta seul maître du pouvoir qu’il conserva durant cinq ans. Arschag IV et Vagharschag II montèrent sur le trône en 382. Vagharschag étant mort en 383, Arschag régna seul de l’an 383 à 389. Le royaume d’Arménie était partagé entre les Grecs et les Perses. En 387, Arschag était roi de la partie occidentale du pays comme vassal des Grecs, et Chosroès ou Khosrov III, d’origine arsacide, gouvernait la partie orientale, sous la suzeraineté de Sapor III, roi de Perse.

[188] Selon Moïse de Khorène (III, 41), Papig avait donné sa fille en mariage au roi Arschag III.

[189] Arschag III.

[190] Les reliques de Saint-Jean Précurseur (Sourp Garabed) avaient été partagées entre plusieurs églises.

[191] Cf. St-Martin, Mém. sur l’Arm., t. I, p. 265.

[192] Moïse de Khorène (III, 37) raconte autrement la mort de Méroujan. Selon cet historien, Méroujan aurait été fait prisonnier par le général Sempad à la bataille de Tzirav, qui fut livrée sous le règne du roi Bab. Sempad, pour punir Méroujan de sa trahison, aurait fait rougir une broche de fer et l’aurait placée sur la tête de Méroujan qui mourut à la suite de ce supplice.

[193] Il est question ici de Sahag Bagratouni, dont il est fait mention dans Moïse de Khorène, liv. III, ch. 41 et 43.

[194] Cf. Moïse de Khorène, liv. III, ch.41.

[195] Ces renseignements sur la vie de Faustus, qu’eût été très précieux de connaître, n’existent plus dans aucun des manuscrits que nous possédons actuellement.

[196] Arschag IV et son frère Vagharschag II, fils du roi Bab, étaient montés sur le trône d’Arménie en 382. L’année suivante, Arschag IV régna seul, et en 387, l’Arménie fut partagée entre les Grecs et les Perses. La parte orientale du pays fut laissée à Arschag qui reconnaissait la suzeraineté des Grecs, et la partie orientale fut donnée à Chosroès III par Sapor III, roi de Perse.

[197] Moïse de Khorène (l. III, ch. 42) est entré dans d’assez longs détails sur cette division de l’Arménie entre les deux rois Arschag IV et Chosroès III, et qui complètent les renseignements que nous fournissent sur cet événement Faustus de Byzance et Lazare de Pharbe.

[198] Indjidji, Arm. anc., p. 505.