Paul Diacre

CONSTANTIN PORPHYROGENETE.

EXTRAITS

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 

CONSTANTIN PORPHYROGENETE.

 

EXTRAITS

 

Dioclétien régnait à Rome, Themiste fils de Themiste le Sarmate, était Stephanophore et Protesonte des Chersonites. Alors le Bosphoran Criscon fils d'Orus, rassembla une armée de Sarmates, de ceux qui demeurent près du palus et déclara la guerre aux Romains, il ravagea d'abord la Lazique et se porta de là sur le fleuve Halys.

Dioclétien l'ayant su envoya une armée contre les Sarmates et en donna le commandement au Tribun Constant.Celui-ci alla au fleuve Halys, et empêcha les Sarmates de le passer; mais il ne pût les combattre avec succès, c'est pourquoi il songea à d'autres moyens de les faire retourner chez eux. Le meilleur lui parût être, d'exciter contre les Sarmates, les Bosphorans et les autres habitants des palus, parce que ceux-ci, inquiétant les familles des Sarmates les forcèrent à retourner chez eux. Constant en écrivit d'abord à l'Empereur pour qu'il pria les Chersonites, de déclarer la guerre aux Sarmates, et d'exciter contre eux tous les peuples du voisinage. L'Empereur le fit et engagea les Chersonites à attaquer et détruire les familles de Bosphorans et des Sarmates.

Le Proteronte des Chersonites était alors Chrestus fils de Papias, il appuya chez ses concitoyens la demande de l'Empereur. Les Chersonites se préparèrent à la guerre, et firent faire des chars, qu'ils chargèrent de Chirobolistres, où balistes que l'on faisait jouer avec la main.

Les Chersonites s'approchèrent la nuit de la ville des Bosphorans, posèrent des embuscades et firent ensuite semblant de donner un assaut ; mais cette attaque n'était que simulée, les Chersonites s'enfuirent pendant la nuit et abandonnèrent leurs chars de guerre et les Cheirobolistres qui étaient dessus. Le matin les Bosphorans sortirent de leurs murailles, et voyant encore quelques Chersonites qui fuyaient, ils prirent leur Cheirobolistres et s'en servirent à les poursuivre. Alors ceux qui étaient dans les embuscades en sortirent entourèrent les Bosphorans, et les tuèrent jusqu'au dernier. Les Chersonites se rendirent maîtres de la ville du Bosphore, de tous les bourgs qui sont sur les palus et des familles Sarmates; mais ils ne tuèrent que ceux qui croient pris les armes à la main. Et c’est ainsi que les Chersonites se sont rendus maîtres du Bosphore.

Quelque temps après. Chrestus, fils de Papias, dit aux femmes des Sarmates. Nous n'avons eu aucune raison de vous faire la guerre ; mais le Sarmate est allé ravager les terres du Romain et l'Empereur dont nous sommes sujets, nous a ordonné de tous faire la guerre. Si donc vous voulez vivre dans votre ville, envoyez vers votre seigneur le Sauromate qu'il fasse la paix avec les Romains en présence de nos députés, puis qu'il se retire et nous envoie nos députes avec les siens. Lorsqu'il aura fait ces choses, nous nous retirerons et vous laisserons tranquilles. Mais si le Sauromate veut nous tromper et nous enfermer ici, nous le saurons par nos excubiteurs et nous vous tuerons tous jusqu'au dernier et puis nous nous retirerons et le Sauromate ne tirera aucun profit de sa ruse. Les femmes du Sauromate ayant entendu ce discours, virent qu'il s'agissait de choses sérieuses et les Bosphorans firent partir leurs députés conjointement avec ceux des Chersonites. Ils arrivèrent au fleuve Halys, et contèrent au Sauromate tout ce qui s'était passé.

Le Sauromate dit aux députés des Chersonites. Vous êtes fatigués, je veux que vous vous reposiez pendant quelques jours, et puis je ferai ce que vous m'avez demandé. Pour le moment allez chez les Romains, ils vous diront que je suis un homme véridique et point menteur.

Les Chersonites se rendirent auprès de Constant avec les députes du Sauromate, lui racontèrent tout ce qui s’était passé, et entre autres choses qu’ils avaient pris les familles du Sauromate et le forçaient par là à demander la paix.

Constant ayant entendu ces choses en fût fort affligé et dit : Que m’importe à présent votre secours puisque je me suis engagé à donner une certaine somme d'or. — Les Chersonites répondirent: Seigneur ne vous attristez point, nous changerons cet article. — Constant demanda comment cela pourrait se faire, et les Chersonites lui dirent qu'il devait faire entendre au Sauromate, qu'il avait des traités antérieurs avec Cherson et qu'on ne lui rendrait ses familles et sa ville, qu'autant qu'il donnerait lui même une somme plus considérable que l'autre.

Constant suivit ce conseil et fit parler dans ce sens au Sauromate. Celui-ci l’ayant entendu, en fut fort triste et répondit qu'il ne voulait ni donner, ni recevoir, et qu’on n'avait qu'a lui envoyer les Chersonites pour finir; mais les Chersonites dirent à Constant: Ne nous renvoyez pas avant d’avoir tous les captifs en votre pouvoir.

Constant ayant reçu les captifs, garda auprès de lui deux d'entre les députés de Cherson et envoya les autres au Sauromate. Celui-ci les renvoya au Bosphore avec des députés auxquels ils devaient livrer la ville et les familles, et lui même se mit en marche avec son armée. Les Chersonites qui étaient au Bosphore remirent effectivement aux députés du Sauromate la ville et les familles qui étaient en leur puissance.

Alors Constant retourna à Rome, et présenta à l'Empereur deux députés Chersonites. L'Empereur les remercia publiquement et leur dit: Que puis-je faire pour vous et pour votre ville — Les députés répondirent: Nous vous demandons d'être libres d'impôt nous et nos enfants. — L'Empereur leur accorda leur demande avec plaisir, et les renvoya combles de présents, les reconnaissant pour bons et fidèles sujets de l'Empire. Constant fut aussi magnifiquement récompense, comme s'il eut fait les plus grandes choses contre les Sauromates.

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Constant étant mort son fils Constantin lui succéda. Celui-ci vint à Byzance, et alors il y eut des rebelles en Scythie, Constantin se rappela ce que les Chersonites avoient fait pour son père, et envoya vers eux. Les Chersonites équipèrent une flotte entrèrent dans l'Ister et soumirent les rebelles, leurs privilèges furent confirmés en cette occasion, et l'on y ajouta des salaires annuels.

Quelques années après le Sauromate fils du Sauromate Criscoron, déclara la guerre aux Chersonites, pour venger (disait-il) les injures que son grand père avait reçu dans la Lazique. Alors le Protevonte Stephanophore de Cherson était Bycus fils de Supolicus. Il conduisit les Chersonites contre le Sauromate et le battit complètement dans le lieu appelé Capha. La paix se fit sur le champ de bataille. Les deux partis jurèrent réciproquement de ne plus infester leurs terres respectives, puis le Sauromate retourna au Bosphore, et les Chersonites chez eux.

Quelques années après un autre Sauromate rassembla une armée vers les palus, et déclara la guerre aux Chersonites, et protesta contre les limites fixées à Capha par l'ancien Sauromate, disant que tout ce pays-là, lui avait été enlevé injustement. Pharnace, fils de Pharnace, était alors Protevonte Stephanophore, c'est à dire Porte-couronne. Il se mit à la tête des Chersonites et alla se placer sur les hauteurs près de Capha.

Le Sauromate était un homme d'une taille gigantesque, fier de sa stature et de la multitude de ses soldats, il insultait insolemment aux Chersonites. Pharnace, qui était petit, voulut cependant le combattre corps à corps, et cela pour épargner le sang des deux partis. Il envoya donc vers l'armée du Sauromate et lui fit dire ce qui suit : Il n'est point nécessaire qu'une si grande multitude périsse, vous n'êtes pas venus ici de votre gré; mais c'est le Sauromate qui vous y a conduit, faites donc qu'il vienne et me combatte, si Dieu veut que je reste vainqueur, vous vous en irez chez vous tranquillement et, il se soumettra à moi avec sa ville du Bosphore. Si au contraire je suis vaincu vous pourrez toujours vous en aller tranquillement et le Sauromate restera maître de ma ville de Cherson,

Cette proposition, fut très agréable aux Sauromates, qui persuadèrent leur Roi le Sauromate de l'accepter; ce qu'il fit avec; joie car il pensait venir facilement à bout de Pharnace, dont la taille était petite.

Pharnace au moment d'aller combattre dit aux siens : Lorsque je commencerai le combat vous verrez bientôt après le Sauromate avec le visage tourné vers les siens, et moi le visage tourné vers vous. Alors criez une fois, mais ne répétez pas ce cri.

Le combat s'engagea, et bientôt le Sauromate eut le visage tourné vers les Chersonites, et Pharnace, vers les Sauromates, alors les soldats de Pharnace crièrent tous à la fois. Le Sauromate se retourna pour voir d'où venait ce cri1 en se retournant il détourna la lame de son Casque, Pharnace saisit ce moment le frappa de son épieu, et le fit tomber mort de son cheval. Après quoi il descendit du sien et coupa la tête au Sauromate.

Pharnace, proclamé vainqueur, renvoya chez eux les peuples du Méotide; mais il retint prisonniers les Bosphorans, et s'empara de leur pays. Puis il régla les limites qu'il plaça non plus à Capha, mais à Cybernicus, ne leur laissant que quarante milles de pays, et ces limites subsistent encore aujourd'hui. Ensuite il retint quelques Bosphorans, et renvoya les autres chez eux cultiver leurs terres et ceux-ci par reconnaissance lui élevèrent une Statue dans la ville de Bosphore, c'est ainsi que le Bosphore fut perdu pour les Sauromates, qui ne l'ont jamais recouvré depuis.

Ensuite Lamachus fut protévonte de Cherson, et Asandre régna chez les Bosphorans, qui conservaient toujours beaucoup de haine contre les Chersonites. Et comme ils avaient encore le désir de la vengeance ils voulurent avoir une libre entrée sur les terres des Chersonites, et songèrent pour l'obtenir à marier un fils d'Asandre avec Gycia, fille de Lamachus.

Les Bosphorans députèrent donc vers les Chersonites et leur firent dire qu'ils conservaient la même amitié pour eux et que pour là consolider, ils désiraient marier Gycia avec un fils d'Asandre, mais qu'il leur était indifférent que Gycia vint s'établir au Bosphore ou que le fils d'Asandre alla vivre à Cherson. Les Chersonites répondirent qu'ils ne permettraient point à Gycia d'aller s'établir au Bosphore ; mais que si un fils d'Asandre voulait venir à Cherson et abjurer pour jamais sa patrie, ils consentiraient à son mariage avec Gycia, mais qu'ils le feraient mourir s'il osait tenter la moindre chose contre son beau père.

Les Députés des Bosphorans retournèrent chez eux avec cette réponse et Asandre les ayant entendus envoya à Cherson et dit que si les Chersonites agissaient de bonne foi il leur enverrait son fils ainé pour épouser Gycia.

Lamachus était un homme très riche en or et argent, serviteurs et servantes, chevaux et fonds de terre, et sa maison s'étendait dans quatre régions et jusques au dessous des Souses. Là il avait dans les murs de la ville une porte à lui, quatre grandes portes, et plusieurs petites, en sorte que ses différents troupeaux de chevaux et de juments, de bœufs et de vaches, de brebis et d'ânes, entraient chacun par sa porte et se plaçait dans sa propre étable.

Les Chersonites s'employèrent auprès de Lamachus pour qu'il donna sa fille au fils d'Asandre et il y consentit. Le Bosphoran vint et épousa Gycia. Deux ans après Lamachus mourut et la mère de Gycia était déjà morte quelques temps auparavant.

Alors Zethon fils de Zethon était Protevonte Stephanophore de Cherson, une année s'était écoulée depuis les funérailles de Lamachus, et Gycia voulant célébrer sa mémoire, s'adressa aux Principaux de la ville, et les pria de ne point s'offenser si elle les priait eux et tous les autres citoyens de recevoir d'elle du vin, du pain, de l'huile, des viandes, des volailles, des poissons et autres choses nécessaires poux un festin, et cela pour célébrer avec leurs femmes et leurs enfants un jour consacré à la mémoire de Lamachus. En même temps elle promit par serment qu'elle répéterait tous les ans la même chose et que chacun dans son quartier recevrait à pareil jour, tout ce qu'il faut pour manger, boire, danser et se réjouir, et que ce serait alors le jour de Lamachus.

Le fils d'Asandre ayant entendu le serment qu'avait fait sa femme, l'approuva et dit qu'il voulait aussi célébrer ce jour et boire et manger avec les autres. Quelques jours après il envoya un de ses serviteurs au Bosphore, et il le chargea de dire de sa part: J'ai trouvé un moyen facile de prendre Cherson, envoyés moi de temps en temps des Karabes chargés de présents et que chaque Karabe porte outre les rameurs dix ou douze jeunes gens bien éprouvés pour la valeur. Les Karabes et leurs équipages resteront dans un certain endroit que j'indiquerai et moi j'enverrai des chevaux pour chercher les présents et les jeunes gens.

Ces choses se passèrent ainsi pendant deux ans de suite, des jeunes gens venaient avec des présents, Asandre allait les chercher et les reconduisait publiquement, et puis ils revenaient de nuit dans les Karabes jusques à Souse, où on les faisait entrer par la porte que la maison avait dans les murailles de la ville, et personne n'en savait rien à l'exception de trois valets Bosphorans, dont l’un allait au lieu statué, et disait aux Karabes de se retirer, le second conduisait les Bosphorans dans le Liman, et le troisième du liman à Souse, où il les faisait entrer par la petite porte dans la maison de Lamachus, ces trois valets portaient aussi des aliments dans les lieux où les jeunes Bosphorans se tenaient cachés et tout cela à l'insu de Gycia; mais l'intention du fils d'Asandre était d'attendre l'anniversaire du jour de Lamachus et de massacrer tous les habitants tandis qu'ils seraient livrés à la joie de leur festin.

Or donc deux cent jeunes Bosphorans étaient enfermés dans la maison de Lamachus et le jour de son anniversaire approchait déjà; mais il arriva qu'une jeune servante, que Gycia aimait beaucoup, commit une faute, et fut bannie de sa présence et renfermée, la chambre où on l'enferma était au-dessus du lieu où l'on nourrissait les Bosphorans. La jeune fille se mit à filer, et son fuseau tomba dans un trou qui était proche de la muraille, comme elle, ne pouvait pas y atteindre, elle ôta une brique du pavé, et vit alors cette multitude d'hommes que l'on nourrissait dans les parties basses de la maison.

La jeune fille remit bien vite la brique à la place où elle l'avait prise, et envoya une autre jeune fille vers sa maîtresse la conjurant de venir la trouver, Gycia qui sans doute était inspirée par Dieu lui même se rendit auprès de la jeune fille et ferma la porte sur elle, alors la jeune fille se jeta à ses pieds et lui dit: O ma maîtresse vous pourrez traiter comme vous voudrez une pauvre et inutile servante ; mlais je vais vous montrer une chose nouvelle et inopinée. — Gycia répondit qu’elle pouvait le faire en toute sûreté, alors la jeune fille la conduisit auprès de la muraille et en levant adroitement la même brique elle lui dit : Voyez tous ces Bosphorans armés. — Gycia fut fort consternée et dit: Ces gens-là n’ont pas été rassemblés pour rien, — Puis elle demanda à la jeune fille comment elle avait fait cette découverte, et celle-ci répondit: Dieu a permis que mon fuseau tomba dans ce trou, je n’ai pas pu le ravoir et j'ai soulevé cette brique et puis je les ai vus. Gycia ordonna à la jeune fille de remettre la brique à sa place, puis elle l’embrassa avec bonté et lui dit : Ma fille, ne craignez rien, votre faute vous est pardonnée. Dieu a voulu ses servir de vous pour nous faire découvrir cette trahison, à présent ne songez qu’à vous taire, et ne rien faire paraître de tout ce qui se passe. —. Puis Gycia prit la jeune fille avec elle, puis l’ayant ainsi éprouvée, elle l'aima plus que jamais.

Ensuite Gycia fit appeler deux de ces parents en qui elle avait le plus de confiance et leur dit : « Allez et rassemblez secrètement chez vous les principaux de la ville, que ceux-là élisent trois d'entre eux, en qui ils aient confiance, pour garder un secret et conduire une affaire. Que ces trois hommes se lient par un serment et puis qu'ils viennent me trouver en secret. Car j'ai à leur confier quelque chose d'important pour le salut de cette ville, allez et mûrissez les choses que je vous ai dites. »

Ces deux parents de Gycia se retirèrent, allèrent chez les principaux de la ville, qui leur nommèrent trois hommes sûrs ; ils leur firent prêter serment et puis ils les envoyèrent à Gycia. Celle-ci après avoir encore exigé leur serment leur dit: La seule grâce que je vous demande est d'être enterrée dans la ville si je meure, c'est une grâce qui n'est par très grande, et lorsque vous me l'aurez assurée je vous dirai mon secret. — Les députés lui promirent et jurèrent que lorsqu'elle mourrait on l'enterrerait dans la ville et que l’on ne porterait pas son corps hors des murs. Alors Gycia s'expliqua en ces termes. Voila mon mari, qui toujours plein de haine contre Cherson, nourrit chez lui deux cent Bosphorans armés ; mais Dieu me les a fait découvrir, et voici sans doute son dessein. Lorsque vous serez à la joie des festins le jour de l'anniversaire de Lamachus, il sortira la nuit avec ses serviteurs, mettra le feu à vos maisons et vous fera tous périr. Car voici ce jour qui approche, moi je vais, selon ce que j'ai juré, vous distribuer des vivres. Allez et venez gaiement, et ne laissez rien paraître de ce que je vous ai dit, dans la crainte que mon mari ne se doute de quelque chose et ne précipite l'exécution de ce qu'il médite. Célébrez donc publiquement le festin et dansez dans les rues ; mais que chacun apprête chez lui du bois, des torches, et des caisses pesantes. Mon mari voyant que tout le monde s'occupe des plaisirs de cette journée, ne prendra aucun soupçon ; mais moi je me lèverai de bonne heure je ferai observer les portes, et pendant ce temps-là vous entourerez ma maison de fagots de bois, sur lesquels on versera de l'huile, vous mettrez les caisses devant les portes et ainsi personne ne pourra sortir excepté moi, et quand je serai sortie par une porte secrète, vous mettrez le feu à tout ce bois, et si quelque Bosphoran veut sauter par les fenêtres et se sauver ainsi, vous les tuerez avec les armes que vous aurez apportés. Allez et faites ce que je vous ai dit.

Ces trois hommes élus par les citoyens, leurs expliquèrent les intentions de Gycia, auxquelles chacun se conforma avec joie. Le jour du festin, les citoyens vinrent demander les choses nécessaires à un festin, Gycia les distribua et son mari pria que l'on donna plus de vin qu'à l'ordinaire. Les Citoyens en furent fort aises et dansèrent toute la journée, mais vers le soir ils se retirèrent tous dans leurs maisons; car on buvait et mangeait dans presque toutes les maisons. Pendant ce tems la Gycia ordonna à tous ses domestiques de bien boire, afin qu'ils allassent plutôt se coucher, et ne recommanda la sobriété qu'à ses servantes, et elle même ne buvait que dans un gobelet teint en pourpre si bien que son mari crut qu'elle buvait du vin, tandis qu'elle ne buvait réellement que de l'eau.

La nuit étant venue; et chacun étant déjà rassasié, Gycia dit à son mari : A présent que nous avons mangé, allons nous coucher. — Le mari entendit ce propos avec plaisir et alla se coucher. Que devait-il faire, s'il avait refusé, il aurait donné des soupçons à sa femme. Cependant Gycia ordonna que l'on ferma toutes les portes, grandes et petites ainsi que c'est l'usage et qu'on lui apporta les clefs. Lorsque cela fut fait elle s'approcha de sa fidèle suivante, qui était informée de tout et lui dit à l'oreille: Va-t'en avec mes autres suivantes prenez mon or et mes joyaux et tenez-vous prêtes à me suivre.

Pendant ce temps-là le mari de Gycia qui avait trop bu, s'endormit. Gycia voyant que tous ses valets dormaient aussi, se retira doucement et sortit, après quoi elle ferma la porte sur elle, et fit mettre le feu à la maison qui fût brûlée jusques aux fondements. Tous ceux qui voulaient en sortir étaient tués par les Chersonites, et c'est ainsi que Dieu préserva la ville de la rage des Bosphorans.

Les Chersonites voulurent rebâtir la maison à leurs frais, mais Gycia ne voulut point le permettre, au contraire, elle pria que l'on y jeta toutes sortes d'immondices comme pour punir ce lieu, des conspirations qui y avaient été tramées. Elle fût obéie et le monticule qui en est résulté s'appelle encore aujourd'hui la tour de Lamachus.

Les Chersonites qui voyaient qu'après Dieu, Gycia était leur plus grande bienfaitrice voulurent lui témoigner leur reconnaissance et lui élevèrent deux statues dans leur place publique, qui toutes les deux la représentaient encore très jeune. Mais dans l’une des Statues, elle était habillée conformément à son sexe et parée, et elle découvrait à deux Citoyens la conspiration tramée contre la ville. Dans l'autre statue, elle était représentée en habit de guerre et combattant pour la sureté de ses concitoyens. Toute son histoire fut gravée sur les bases des deux Statues, et pourra encore y être lue, si quelque amateur de ce qui est beau et honnête veut bien se donner la peine de faire nettoyer les dites bases.

Quelques années après Stratophile fils de Philomus, était Protevonte Stéphanophore de Cherson. Alors la prudente Gycia voulant éprouver la foi des Chersonites et savoir s'ils l'enterreraient dans la ville comme ils l'avaient promis, fit semblant d'être morte de chagrin. Les suivantes qui étaient dans le secret annoncèrent aux Chersonites la mort de leur maîtresse et demandèrent qu’on leurs indiqua un lieu pour l'enterrer. Les Chersonites délibérèrent entre eux et négligeant la foi des serments indiquèrent pour la sépulture un lieu situé hors des murs de la ville. Gycia se laissa porter au lieu indiqué ; mais lorsqu'elle y fut, elle se leva sur son séant et dit aux Chersonites : Voilà donc comme vous gardez la foi due aux serments, Qui est-ce à l'avenir qui voudra se fier aux paroles des Chersonites. — Les Chersonites furent très honteux, ils demandèrent pardon à Gycia et lui jurèrent une seconde fois qu'on l'enterrerait où elle voudrait et qu'elle n'avait qu'à choisir elle-même le lieu de sa sépulture, enfin pour qu'elle n'en put pas douter, ils lui élevèrent un tombeau de son vivant et y placèrent encore une Statue en bronze doré.