ARRIEN
LA TACTIQUE
Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer
LA
TACTIQUE
D’ARRIEN,
Parmi les noms les plus célèbres des auteurs, dont nous avons des traités de tactique, on trouve ceux du fils de Pyrrhus,[1] de Cléarque, qu'il ne faut pas confondre avec ce Cléarque, qui commandait les dix mille grecs, dans la guerre de Cyrus contre Artaxerxès son frère, de Pausanias, de Polybe l'arcadien, ami de Scipion le jeune; enfin, ceux d'Eupolemus, d'Evangelus,[2] d'Iphicrate[3] autre que le général athénien, et de Posidonius le Rhodien.[4] Tous les ouvrages de ces auteurs, écrits pour les gens du métier, sont obscurs et presque inintelligibles pour ceux qui, n'étant pas instruits, ignorent les termes et les noms propres aux différentes armures et ordonnances, J’entreprends de remédier à cet inconvénient par leur explication, qui contribuera à faciliter la théorie de la tactique.[5] Je distingue deux sortes d'appareils de guerre ; les uns pour la guerre de terre, les autres pour celle de mer. Les armées sont composées; de deux ordres; l’un pour combattre: l'autre, simplement pour le service du premier comme sont chirurgiens,[6] les vivandiers, les domestiques, les marchands, etc. On divise les combattants de l'Armée de terre en plusieurs classes, La cavalerie se sert de chevaux, ou d'éléphants, dont les Indiens et; les Éthiopiens ont appris l’usage aux Macédoniens, aux Carthaginois, et même aux Romains. On comprend sous le nom de cavalerie, non seulement les soldats, qui combattent à cheval; mais aussi ceux qu'on fait monter sur des chariots. Entre les premiers on distingue les amphippes, dont chaque homme a deux chevaux accouplés et sans harnais, pour pouvoir sauter de l'un à l'autre. Quelques éléphants portaient des tours; on armait leurs dents d'un fer aigu, pour en augmenter la force et le tranchant.[7] Les chariots étaient plus composés. Il y en avait de simples, à la troyenne; d'autres, armés de faux à la Persane, à un ou plusieurs timons, tirés par des chevaux bardés ou sans bardes. On compte trois différents ordres dans l'infanterie. Ceux aux armes pesantes, ceux aux armes moyennes, appelles peltastes, et ceux qui sont armés à la légère. Les pesamment armés, ou hoplites, ont une cuirasse, ou un corselet, un bouclier ovale, une pique à la grecque,[8] ou une sarisse à la Macédonienne. L'infanterie légère n'a ni cuirasse, ni bouclier, ni bottes, ni casque, ne se servant que des armes de jet, comme le trait, la pierre et le javelot, et portant des arcs ou des frondes.[9] Les peltastes différent des hoplites en ce qu'ils ont un bouclier plus petit et plus léger, et la pique moins longue que celle des pesamment armés, ou que la sarisse. Les pesamment armés, ou les hoplites, portaient aussi le casque ou le chapeau, soit Lacédémonien, soit Arcadien,[10] deux bottes, comme les anciens grecs, ou simplement une botte comme les Romains[11] pour couvrir la jambe qu’ils avaient en avant dans le combat Les cuirasses étaient faites pour la plupart d'un tissu de lames coupées en écailles, ou d'un fil de fer, dont les petits anneaux enlacés formaient une maille. La cavalerie est, où toute bardée, cheval et hommes et s'appelle cataphractes ou gendarmes; l'autre partie n'a pas l'armure complète. Les cataphractes sont armés de toutes pièces, ainsi que leurs chevaux; l’homme porte le cuissard, et la cuirasse faite d'écailles de fer, de corne, ou de toile. Le cheval est armé d'un fronteau, et de la maille. L’autre cavalerie sans avoir toutes ces armes pesantes, porte de différentes lances, où n'a que des armes de jet. Les lanciers s'approchaient de l'ennemi avec leurs lances, et choquaient avec impétuosité, comme les Alanes et les Sauromates. Les acrobolistes, ou les gens à trait, ne font que darder, comme les Arméniens; ou ceux des Parthes, qui n'avaient pas de lances, Dans l'ordre des lanciers, on distingue les cavaliers qui portent la rondache; et dans celui des gens à trait, ou acrobolistes, les Tarentins, qui lancent le javelot de la main, et les archers à cheval, qui tirent de l’arc. Les vrais Tarentins font leurs attaques en voltigeant autour de l'ennemi, sur lequel ils tirent de loin; d'autres, après avoir jeté leurs traits, chargent l’ennemi avec le sabre, ou bien avec un javelot, qu’ils ont en réserve.[12] Les cavaliers romains portent des lances, et choquent, de même que les Alanes et les Sauromates, ayant de longs et larges sabres, qu'ils portent en bandoulière, des boucliers oblongs, des casques de fer, des cottes de maille, et de petites bottes. Quelques uns sont armés de javelines, propres à lancer et à charger. Le sabre est cependant l'arme dont ils se servent le plus dans la mêlée.[13] D'autres portent des masses d'armes à manche long, dont la tête de fer est hérissée de pointes. Toute répartition d'infanterie ou de cavalerie se fait par sections, auxquelles selon le nombre d'hommes dont elles sont composées, on impose des noms, ainsi qu'à ceux qui les commandent, pour l’intelligence et la prompte exécution des ordres. C’est ce que je vais déduire. L'objet le plus essentiel, dans le métier de la guerre, est d'ameuter et de mettre en ordre une foule d'hommes, qui se rassemblent; de les distribuer en différents corps ; rétablir une mutuelle correspondance entre eux d'en régler le nombre et la force proportionnellement à l’armée, pour en faciliter l'arrangement et le développement dans un jour d'action. Cet arrangement influe sur les campements, et sur les marches. On a vu de petites armées défaire, par cet avantage, celles qui étaient plus nombreuses, et même mieux pourvues d'armes, mais qui étaient en confusion.[14] Lochos ou file, est un nombre de soldats rangés en ligne, l'un derrière l'autre, depuis le chef de file, jusqu'au serre-file, nommé ouragos. On forme la file de huit, de dix, douze ou seize hommes. On préfère avec raison le nombre de seize ; parce qu'il fait la meilleure proportion relative à l'étendue et à la profondeur de la phalange. Cette hauteur n'empêche pas les gens à trait, placés derrière, de lancer pardessus la tête des phalangites, et d’atteindre l'ennemi. Si l'on double la phalange, la hauteur de trente deux reste encore proportionnée ; de même que si l'on veut la réduire à huit, pour étendre le front. Si la file primitivement n'était que de huit, cette dernière évolution affaiblirait trop la phalange, qui n'aurait que quatre hommes de hauteur. On choisira le meilleur homme pour chef de file, nommé lochagos ou protostate. Quelques Auteurs se servent du nom stichos, pour désigner une file. Ceux qui l’appellent décurie semblent la supposer de dix hommes.[15] On ne convient pas de la valeur du terme enomotie;[16] plusieurs disent qu'il signifie le quart d'une file, dont le chef s'appelait enomotarque, quoique d'autres prétendent, qu'il n'a rien de commun avec la file. Xénophon n'explique pas quelle section de la file il entend par l’enomotie ; mais lorsqu'il dit que l’on rangeait les files en enomoties, cela prouve que le mot signifie un nombre de soldats encore inférieur à la demi file. Le second homme de file s'appelle epistate; le troisième encore protostate ; le quatrième comme le second, ainsi jusqu'au dernier ; de façon que la file était composée de protostates et d’epistates, rangés alternativement entre le chef et le serre-file. On doit apporter autant d'attention au choix du serre-file qu'à celui du chef, son poste étant essentiel dans l'action. La jonction de deux files se nomme syllochisme. Elle se fait en plaçant les protostates et les epistates de la seconde, auprès de ceux de la première file. Tout homme à côté d'un autre se nomme parastate, on entend aussi par syllochisme la jonction d'un plus grand nombre de files. La jonction totale des files forme la phalange. Le rang de tous les chefs de files forme le front, ou la tête de la phalange; les rangs qui le suivent, jusqu’à celui des serre-files, font sa profondeur. Tous les parastates bien alignés forment le rang; ceux qui sont compris entre le chef et le serre-file forment la file. On divise la phalange en deux parties égales, dont l'une s'appelle la corne droite ou la tête, et l'autre la corne gauche ou la queue. Le point, qui les sépare, s'appelle le nombril, la bouche et la jointure de la phalange. Les armés à la légère sont placés souvent derrière les soldats de la phalange, qui leur servent de rempart. La phalange reçoit de grands avantages des traits qu'ils tirent par dessus ses rangs. On les poste aussi sur les deux ailes, ou simplement sur une ; si l'autre est couverte d'un fossé, d'une rivière, ou de la mer. Ils mettent la phalange à l'abri d'être tournée à ses flancs.[17] Le poste de la cavalerie n'est pas fixé. C’est l'assiette du terrain, ainsi que la disposition de l'ennemi, qui doivent le déterminer. Le général n'étant pas toujours le maître de se choisir des troupes Faites et exercées à toutes les évolutions nécessaires,[18] c'est à lui d'y suppléer par de fréquents exercices. Je conseillerais à tout général de ne mener au combat que les soldats qui sont en état d'exécuter, au moins les évolutions les plus essentielles.[19] Nous voyons que nos maîtres ont adopté des nombres propres à être divisés en deux jusqu’à l'unité, comme celui de 16384, qui est le nombre des pesamment armés, dont la phalange est composée. La moitié de ce nombre suffit pour les troupes légères, et la moitié du dernier pour la cavalerie.[20] Cette égalité de nombre donne la facilité de faire toutes les évolutions avec exactitude ; et de diminuer, ou d'augmenter d'abord, avec justesse, le front d'une Armée. Les files étant de seize hommes: mille vingt quatre formeront le nombre de 16384, ci-dessus. Les différents nombres de files réunies ont autant de dénominations particulières. Deux files jointes font une dilochie, qui consiste en trente deux hommes, dont le chef prend le nom de dilochite. Quatre files composent une tétrarchie, de soixante quatre hommes, dont le chef est nommé tétrarque. Deux tétrarchies font une taxiarchie de huit files et de cent vingt huit hommes ; celui qui en est à la tête se nomme taxiarque ou centurion. La taxiarchie doublée formé le syntagme, ou la xenagie, de deux cent cinquante six hommes, qui font seize files. Le chef se dit syntagmatarque ou xenague. On destine, à la xenagie, cinq hommes surnuméraires; un porte-enseigne,[21] un officier, qui marche derrière,[22] un trompette, un adjudant et le crieur, qui annonce les ordres.[23] Le corps, rangé en bataille, forme, par la proportion de ses rangs et files, un carré parfait. Deux syntagmes composent la pentacosiarchie, de cinq cent douze hommes, rangés en trente deux files, dont le chef a le nom de pentacosiarque.[24] Deux pentacosiarchies font la chiliarchie, de mille vingt quatre hommes. La chiliarchie doublée fait la merarchie, ou la telarchie, de deux mille quarante huit hommes en cent vingt huit files; Deux merarchies forment la phalange, de quatre mille quatre vingt seize hommes, en deux cent cinquante six files. C’est un général qui la commande; il se nomme phalangarque. Deux phalanges font la diphalangarchie, ou la phalange doublée, de huit mille cent quatre vingt douze hommes, et de cinq cent douze files. Ce corps forme une corne, ou la moitié de l'Armée. Deux diphalangarchies composent la tetraphalangarchie, ou la grande phalange, de mille vingt quatre files, et de seize mille trois cent quatre vingt quatre hommes, qui est le nombre désigné pour un corps de greffe infanterie. La grande phalange contient ainsi deux cornes, ou diphalangarchies, quatre phalanges, huit merarchies, seize chiliarchies, trente deux pentacosiarchies, soixante quatre syntagmes, cent vingt huit taxiarchies, deux cent cinquante six tétrarchies, cinq cent douze dilochies, et mille vingt quatre files. On peut étendre le front de la phalange, en augmentant la distance des files; si le terrain et les circonstances l'exigent. Cependant ce sont ses files bien serrées, qui lui donnent sa principale force. C'est à cet ordre serré et uni, qu'Épaminondas fut redevable des victoires qu'il remporta sur les Lacédémoniens à Leuctre et à Mantinée. Il y serra ses troupes, et en forma pour ainsi dire un coin.[25] Ce même ordre est excellent pour résister au choc des nations aussi fougueuses, que les Scythes et les Sauromates. On serre la phalange en rapprochant les rangs et les files, ce qui en diminue le front et la hauteur. Pour former le synaspisme, on fait serrer le soldat en tout sens, au point qu'il ne puisse se tourner.[26] Le synaspisme des grecs a servi de modèle à la tortue des Romains, qu'ils ont formée différemment en carré, en rond, ou en ovale, Les hommes de l'extérieur du corps portent le bouclier devant eux. Ceux qui les suivent, le tiennent levé sur la tête de ceux qui les précédent, et ainsi des autres rangs. L'union de ces boucliers est si juste et si solide, que des Archers peuvent même courir dessus comme sur un toit, et que les pierres les plus pesantes, jetées avec violence, ne peuvent en rompre les jointures, mais roulent sans effet.[27] Il faut choisir, avec grande attention, les officiers ou les chefs de file, qui doivent être de bonne taille et gens expérimentés,[28] puisque le premier rang qu'ils forment, contient toute la phalange, étant à la mêlée, ce qu'est le tranchant au fer, qui agit seul sur les corps ; le reste de la masse ne fait qu'appuyer, par sa pesanteur, comme font les derniers rangs de la phalange. Les épistates, ou ceux du second rang, doivent être aussi des gens d'élite, parce qu'en joignant leurs piques à celles des chefs de file dans la charge, ils soutiennent leurs efforts. Ils peuvent même encore atteindre l'ennemi de l’épée, en la passant par les intervalles du premier rang.[29] Cette attention est d'autant plus nécessaire qu'ils doivent remplacer ceux du premier rang, qui sont mis hors de combat, afin d'empêcher la phalange de se rompre. On choisit les soldats du troisième et du quatrième rang, à proportion de la distance où ils sont du premier. La phalange macédonienne a été aussi formidable à voir, qu'elle l’était en effet,[30] lorsqu'elle se serrait pour combattre, chaque homme n'occupait que trois pieds de terrain en rangs et files. Les piques ou les sarisses ont vingt quatre pieds de longueur, dont six sont contenus dans l'espace entre les mains et le bout de la pique en arrière, et dix huit devancent l'homme.[31] Le second rang étant à trois pieds en arrière, avance les sarisses de quinze pieds hors du premier rang ; le troisième par conséquent de douze ; le quatrième de neuf; le cinquième de six; et le sixième rang de trois pieds. Tout chef de file présente donc, à l'ennemi, les pointes de six sarisses en différents degrés, et réunit, de cette manière, la force de six piques, pour se faire jour partout où il donne. Les soldats des rangs suivants, bien qu'ils ne puissent pas se servir de leurs sarisses, ne laissent pas que de pousser ceux qui les précèdent, par le poids et d’augmenter la violence du choc que nul ennemi ne saurait soutenir.[32] Ils empêchent encore ceux des premiers rangs de s'écarter et de fuir. On a moins égard, dans le choix des serre-files, à la force qu'à la prudence. Car c'est à eux de retenir les files en ordre, et de contraindre les lâches à tenir ferme. Leur poste est surtout important, lorsque la phalange se met en synaspisme. Alors ils veillent au resserrement des files, d'où dépend toute la force de cette ordonnance. On range les armés à la légère en différentes manières, conformément à la disposition de l'ennemi et au champ de bataille. On les met souvent en avant de la grosse infanterie; on les place aux ailes, et derrière la ligne. Il y a même des exemples où on les a mêlés avec les soldats de la phalange. J'en déduirai l'ordonnance, en rapportant les noms des différentes sections et de leurs chefs. Leur nombre doit être de la moitié de la phalange, pour qu'on puisse en tirer de bons services. Leurs files n'étant que de huit hommes, ils forment, sur notre proportion, mille vingt quatre files, qui sont huit mille cent quatre vingt douze hommes. Quatre files réunies se nomment un systasis de trente deux hommes. Deux systasis une pentecontarchie ; deux pentecontarchies, une hecatontarchie, ou centurie de deux cent vingt huit hommes. On destine à chaque centurie, quatre surnuméraires, qui sont un porte-enseigne, un trompette, un Adjudant et le héraut du camp. Deux centuries forment la psilagie, deux psilagies, une xenagie; deux xenagies, le systremme,[33] deux systremmes, l’epixenagie; deux epixenagiés, le stiphos; deux stiphos forment l’epitagme, de mille vingt quatre files et de huit mille cent quatre vingt douze hommes. Un tel corps est commandé par huit officiers de marque, quatre epixenagues et quatre systremmatargues. Les gens qui lancent les javelots avec la main, les arbalétriers, les archers, les frondeurs, et tous ceux, qui se servent d'armes de jet, sont d'une grande utilité dans les armées, ils blessent et tuent de loin ; les frondeurs cassent encore, avec leurs pierres, les armes de l'ennemi ; on se sert de ces troupes pour inquiéter ses postes et pour le provoquer, par une grêle de traits, à en sortir et à en venir aux mains. Elles sont propres à harceler même la phalange, et à la mettre dans la nécessité de rompre son ordonnance, de même qu'à arrêter le choc de la cavalerie. S'il y a quelque hauteur à occuper, ce sont des gens à trait, qu'on y détache ; la légèreté de leurs armes les rend plus agiles et plus propres à grimper les montagnes; aussi s'y maintiennent-ils plus aisément, et l'ennemi ne saurait en approcher qu'à travers une nuée de traits. Ce n'est qu'avec un pareil corps de gens à trait, que l'on en pourra former l'attaque avec avantage. Ces troupes sont encore nécessaires, dans l'Armée, pour aller reconnaître l'ennemi et pour former des embuscades. On s'en sert aussi bien avant qu'après et pendant l'action, surtout si l'armée est battue, parce qu'alors on ne saurait s'en passer pour couvrir et assurer la retraite.[34] Il y a différentes manières de ranger la cavalerie en bataille. On en forme un carré, parfait ou long, un rhombe, ou bien un coin. Toutes ces ordonnances sont bonnes, suivant les circonstances. On serait mal de n'adopter qu'une seule méthode. Elle pourrait être inférieure aux autres en bien des occasions. Les Thessaliens formaient leur cavalerie en rhombe. On dit que c'est Iiéon thessalien, qui en est l'auteur; mais je crois que cette manœuvre était connue avant lui et qu'il n'a fait que la mettre en réputation. Le Rhombe est très propre à toute évolution et met, plus que tout autre ordre, le dos et les flancs à couvert de l'ennemi. Les angles seront occupés, chacun par un officier ; le chef se placera à celui qui regarde l'ennemi ; ceux des côtés auront des officiers, que l’on nomme garde-flancs. L'officier qui est placé à celui de derrière, s'appelle ouragos. L'extérieur des flancs sera composé des meilleurs cavaliers, comme étant le poste le plus essentiel. Le coin était mis en usage par les Scythes. Les thraces les ont imités; Philippe enseigna, à sa cavalerie macédonienne, à former le coin.[35] Cet ordre a l'avantage de présenter à l'ennemi, le front garni d'une quantité de chefs de file, qui, par la forme angulaire, percent aisément la ligne de l'ennemi. Ses évolutions sont plus promptes que celles du carré, surtout les caracols à droite ou à gauche, que le coin exécute avec beaucoup de facilité; il faut seulement avoir l'attention, d'avertir les files de la pointe qui se tourne, de ne pas se jeter sur leur pivot, et de s'ouvrir plutôt que de se serrer.[36] Le carré était préféré par les perses, les barbares de Sicile, et la plupart des grecs, surtout ceux qui avaient la plus nombreuse et la meilleure cavalerie. Son ordonnance est sans doute la plus simple et la plus facile par l'égalité des rangs et des files. La charge et la retraite se font avec moins d'embarras. Dans le carré, tous les chefs de file étant au même rang, choquent ensemble. La bonne proportion du carré est celle qui contient la moitié plus de monde en largeur qu'en profondeur, qui à cet effet, sera de quatre chevaux sur huit de front ou sur dix de front, et cinq de profondeur.[37] La figure décrit, sur le terrain, un carré parfait, malgré l'inégalité du nombre; la longueur du cheval évaluant la distance que le nombre n'occupe pas. Pour mieux encore décrire la figure d'un carré parfait, on n'a qu'à ranger de front trois fois autant de chevaux, qu'il y a dans la profondeur, en comptant que la longueur du cheval est égale à la largeur de trois.[38] Car on doit remarquer, que les files de la cavalerie ne tirent point, de leur hauteur, l'avantage qui en résulte à l'infanterie ; puisque les chevaux ne peuvent pas s'appuyer ni se pousser comme font les hommes. L'escadron ne peut acquérir, en se serrant, le poids qui fait l'avantage de la phalange. Il n'en résulterait que de la confusion dans les chevaux et de l'embarras pour le cavalier.[39] La manière de former le rhombe est telle. Le chef ou l’Iiarque est à l'angle de la tête. Les deux hommes, qui suivent à ses côtés, doivent avoir la tête de leurs chevaux à la hauteur de la croupe de celui de l'ilarque. Les rangs suivants se multiplient ainsi jusqu'à la moitié du rhombe, d'où ils diminuent progressivement pour achever la figure de cette, ordonnance. Le coin étant formé par la moitié du rhombe, l'ordonnance en est la même.[40] Le carré long se forme en deux manières; ou en étendant le front aux dépens de la hauteur, comme on se range ordinairement en bataille ; ou bien en diminuant le front sur plus de profondeur, dont on fait quelquefois usage pour se jeter dans une ouverture de la ligne de l'ennemi, ou pour cacher ses forces afin de l'amorcer.[41] On ne met guère la cavalerie sur un seul rang, si ce n'est pour ravager le pays. D'ailleurs cette ordonnance est de peu d'usage. Selon la proportion établie entre l'infanterie, les troupes légères et la cavalerie, elle doit être de quatre mille quatre vingt seize hommes.[42] Chaque compagnie, ou ile, est formée de soixante quatre maîtres ; le chef se nomme ilarque. Deux compagnies forment l’escadron, ou l’epilarchie, de cent vingt huit maîtres.[43] L'epilarchie doublée est la tarentinarchie. Elle consiste en deux cent cinquante six cavaliers. Deux tarentinarchies composent l’hipparchie, de cinq cent douze maîtres, qui est le corps que les Romains appelaient ala.[44] Deux hipparchies constituent l’ephipparchie, de mille vingt quatre cavaliers. Deux ephipparchies font le telos, de deux mille quarante huit, et les deux telos l’epitagme, de quatre mille quatre vingt seize maîtres. Il serait inutile d'expliquer les vieux mots et les ordonnances des chariots et des éléphants, dont l'usage est presque partout aboli. Les Indiens et les habitants de la haute Éthiopie, sont les seuls peuples, qui aient encore aujourd'hui des éléphants. Les Romains n'ont jamais combattu avec des chariots. Nous ne trouvons que des barbares, qui s'en soient servis à la guerre; comme les habitants des îles britanniques sur l'Océan. Le pays fournit de petits chevaux vigoureux et médians, qu'ils attelaient à des chariots légers et propres à tourner aisément sur toute sorte de terrain. Parmi les nations de l'aile, les Perses en avaient, qui étaient armés de faux et tirés par des chevaux bardés. Cyrus en avait introduit l'usage. Les grecs, sous Agamemnon, et les troyens, sous Priam, s'en sont servis de même, à l'exception des chevaux bardés. Les Cyrenéens excellaient dans l'art de combattre sur les chariots.[45] Je vais donner l'explication et les noms des différentes évolutions qui s'exécutent par les troupes. Le clisis est le mouvement d'un homme à droite vers la lance, ou à gauche vers le bouclier. Le double clisis est le demi-tour, moyennant lequel on fait volte-face et qu'on nomme métabole. L'epistrophe se fait par un quart de conversion de toute la section qui tourne, à rangs et files serrés, comme serait un seul homme à droite ou à gauche. Le chef de file de l'une des deux ailes sert de pivot au tour que doit faire tout le corps. L’anastrophe remet la section dans se première position, par un quart de conversion opposé. Le perispasme est une demi-conversion, par laquelle le corps décrit un demi-cercle, par deux quarts de conversion, et fait face à l’opposé de son premier front. L'ecperispasme est composé de trois quarts de conversion de suite, moyennant quoi le corps, qui le fait à droite, prendra le front à gauche de son premier, et celui qui le fait à gauche sera à droite.[46] Dresser les files, ou stoichein, s'appelle quand chaque soldat, en sa file, se tient en droite ligne, depuis le chef de file jusqu'au serre-file, en gardant les distances égales entre eux. Dresser les rangs, ou zygein, s'appelle lorsque chaque soldat, en sa file, s'aligne en ligne droite et en distance égale à ceux qui lui sont de côté. Ainsi le rang des chefs de file sont en Ligne droite de même que le second rang des épistates jusqu'à celui des serre-files. Le soldat se remet, lorsqu'ayant fait à droite ou à gauche, ou un demi-tour, il fait des mouvements opposés pour reprendre son premier poste.[47] Les évolutions se font, ou par rangs, ou par files. Celles qui se font par files sont de trois espèces. On a révolution macédonienne, la Laconique, et la Crétoise, autrement dite Persane, ou Chorienne. L'évolution macédonienne change le front de la phalange, en portant sa profondeur en avant, de manière que le premier rang ne bouge pas de sa place. Le chef de file fait demi-tour, ceux qui le suivent marchent sur sa droite en le côtoyant, et s'arrangent progressivement derrière lui. L'évolution laconique pour changer aussi de front, forme la phalange en arrière, et c'est le dernier rang qui reste sur sa place. Le chef de file fait demi-tour à droite, et marche à la distance qu'exige la hauteur de la phalange. toute la file le suit successivement, et s'arrange derrière lui jusqu'au serre-file, qui ne fait qu'un demi-tour à droite. L'évolution crétoise change le front de la phalange sur son propre terrain, par une contremarche des files. Le chef de file faisant demi-tour à droite mène sa file après soi, et la fait suivre en repli, tant que le chef de file ait pris la place du serre-file, et le serre-file celle du chef de file.[48] Les évolutions des rangs se faisaient par la même contremarche que celles des files. Leur usage est de transposer les sections, de changer les ailes, et de renforcer le centre. Comme il est dangereux de faire ces évolutions avec de grands corps, si l'ennemi est proche, il vaut mieux les faire par sections. elles sont alors plus courtes et apportent moins de renversement, que la manœuvre générale de tout le corps. Les doublements se font par rangs ou par files, et sont relatifs au nombre des hommes, ou à l'étendue du terrain. Pour avoir deux mille quarante huit files sur le même emplacement qui est occupé par mille vingt quatre, on fait avancer les épistates dans les intervalles des protostates: c'est à dire qu'on remplit les distances, entre les hommes du premier rang, par ceux du second, et ainsi alternativement des autres rangs; de manière que la phalange, qui en devient serrée du double, n'ait plus que huit rangs au lieu de seize.[49] Pour doubler l'étendue du front de cinq jusqu'à dix stades, les files étant doublées et serrées, comme je viens de le dire; la moitié de la phalange fait à droite et l'autre à gauche; marchant ensuite, chacune de fon côté, elles s'ouvrent et en partagent la distance d'homme à homme, de l'extrémité de l’aile jusqu'au centre. Pour se remettre, on fait le contraire, en se serrant sur le centre. On évite de faire ces mouvements en présence de l'ennemi, parce qu'ils marquent du dérangement, quand même ils n'en causent point. D'ailleurs le moment d'une manœuvre affaiblit toujours l'ordre d'une armée. Il vaut mieux étendre le front par des troupes légères, ou par quelque cavalerie, que de rompre l'ordre de la masse. On s'étend pour déborder le front de l'ennemi, ou pour se garantir d'en être enveloppé. On double la profondeur de la phalange, lorsqu'on fait entrer la seconde file dans la première, et ainsi alternativement les unes dans les autres. Les chefs des files qui doublent, se placent dans les distances derrière les chefs des files qui ne bougent pas; le deuxième et le troisième de la seconde file se mettent de même derrière celle qui sont à leurs côtés dans la première, ainsi de suite, dans toutes les files, qui par là deviennent de trente deux de hauteur. On conçoit aisément de quelle manière on doit se remettre.[50] La phalange est en ordre de bataille, ou en colonne, ou en ligne oblique. L'ordre de bataille a plus de front que de profondeur; celui de la colonne est l'opposé, et se dit principalement de la phalange, lorsqu'elle marche par son flanc; celui de l'oblique présente à l'ennemi, une aile avancée, et l'autre biaisant se trouve reculée. Lorsqu'on détache des sections de la phalange en avant, et que les vides se remplissent par des corps de réserve, on appelle cette manœuvre parembole. Lorsqu'on renforce la phalange, par des corps détachés, qui se placent en même ligne, sur une de ses ailes, ou sur les deux, l'ordonnance s'appelle prostaxis. Entaxis est le nom qu'on donne à la manœuvre d'entrelacer les armés à la légère et les phalangites. L'hypotaxis se forme en rangeant les armés à la légère comme en crochet, derrière les deux ailes de la phalange.[51] On doit accoutumer le soldat à bien entendre, ainsi qu’à exécuter avec promptitude les ordres donnés, soit de vive voix, soit au son de la trompette, ou par des signaux. La voix est le plus sûr moyen pour commander aux troupes, parce qu'elle détermine les manœuvres que l’on ordonne, ce que ne peuvent pas faire aussi distinctivement les trompettes et les signaux. Mais comme, dans les batailles, le ton de la voix est absorbé par le cliquetis des armes, les cris des soldats, le gémissement des blessés, et le bruit de la cavalerie, il faut d'autres moyens pour annoncer les ordres. On a recours aux trompettes, lorsque les brouillards, la poussière, ou l'inégalité du terrain, rendent les signaux inutiles.[52] Les troupes marchent, ou en Épagogue ou en paragogue. On marche en épagogue, lorsque la colonne est formée d'égales sections, soit de tétrarchies, de xénagies, etc. suivant le front sur lequel le général veut marcher. Alors les chefs de file d'une section suivent les serre-files de celles qui précèdent. On est en paragogue, lorsque la phalange marche par sa droite ou par sa gauche. Elle s'appelle paragogue droite ou gauche, selon que les chefs de file sont à droite ou à gauche de la colonne. Que l'on marche en épagogue ou en paragogue, le général doit toujours renforcer le côté, qui est exposé à l'ennemi ; et, s'il craint d'être attaqué de deux, de trois, ou même de quatre côtés, les mettre conséquemment en état de se défendre. De la vient que l'on forme les colonnes de différentes manières. Souvent le front n'en est que d'une seule phalange qui marche par son flanc. Quelquefois ce sont deux phalanges, d'autres fois trois ou quatre, qui jointes ensemble, et marchant par leurs flancs, forment les colonnes. On conçoit aisément les différents mouvements de ce corps, par la description que j'ai donnée de la phalange.[53] La phalange à deux fronts est ainsi nommée lorsque la moitié de deux files fait face à l'opposite de l’autre. On appelle diphalangie à deux fronts, la marche de deux phalanges appuyées dos à dos et marchant par leur flanc, de manière que les chefs de file bordent les deux côtés, et que les serre-files sont unis au centre. Cette figure, rendue par une seule phalange, s'appelle heterostomos. On nomme diphalangie à front égal, deux phalanges réunies en marche, dont le centre unit les serre-files de la première aux chefs de file de la seconde phalange ; moyennant quoi les chefs de file relient tous sur la droite ou sur la gauche de chaque phalange, et gardent leur ordre de phalange comme à l’ordinaire.[54] Lorsque la diphalangie à deux fronts joint les têtes de deux phalanges, en sorte que les queues s'éloignent des deux côtés en oblique, cette ordonnance se nomme embolon ou coin ; si au contraire les extrémités de la queue se joignent et que celles de la tête s'éloignent, le nom de cœlembolon ou coin renversé.[55] Le plésion est un carré long, dont tous les côtés doivent être également bien fortifiés. Le plinthion est un carré parfait et d'une force égale sur tous ses flancs. Xénophon fils de Gryllus l'appelle autrement le plaesion équilatéral.[56] On peut déborder l'ennemi à ses deux ailes, ou seulement à une. Cette différence s'exprime par les termes d'hyperphalangisis et d’hypercerasis. L'Armée inférieure en nombre peut bien déborder l'ennemi d'un côté, sans rompre son ordonnance, mais elle ne peut pas l'entreprendre de deux côtes, qu'aux dépens de sa profondeur. Les bagages marchent avec l'Armée en cinq différentes manières, en avant, en arrière, à droite, à gauche et au centre de la colonne. La règle générale est de les faire aller toujours du côté opposé à l'ennemi, et, lorsqu'on le craint de tous côtés, de les placer au centre. Il y aura toujours un officier préposé à la garde des équipages. Les commandements doivent être courts et distincts ; si pour des tours on commande d'abord tournez-vous, le soldat se presse et peut faire le contraire, avant qu'on ait fini le commandement; au lieu qu'en commençant à dire A droite tournez vous, il ne peut se tromper. Il faut donc, pour empêcher la méprise du soldat, déterminer d'abord sa manœuvre. cette règle sert pour tous les commandements de conversion et d'évolution. Le silence est absolument nécessaire. Homère l’a bien remarqué. Il dit des grecs, qu'on ignorait s'ils avaient l’usage de la voix, et il compare les barbares au vol bruyant des oies et d'autres oiseaux. c’est à la faveur du silence que le soldat entend les ordres. Les principaux commandements sont : Prenez les armes. Valets, sortez de la phalange. Silence, prenez garde. Haut la pique. Bas la pique. Serre-file, dressez les files. Prenez vos distances. A droite, ou vers la lance, tourner vous. A gauche, ou vers le bouclier, tournez vous. Marche. Halte. Front. Doublez vos files. Remettez-vous. A la Laconique faites révolution. Remettez-vous. Vers la lance, ou à droite, faites le quart de conversion. Remettez vous.[57] Cet abrégé suffira je crois pour donner une idée de l'ordonnance des Grecs et des Macédoniens.[58] Fin de la Tactique
[1] Pyrrhus eut trois fils, qui furent de grands hommes de guerre, au rapport de Plutarque. Pyrrhus lui-même passait pour un des plus grands maîtres dans l'art militaire. Annibal, qui était juge compétent, ne faisait pas difficulté de le nommer le plus savant, et le plus grand capitaine qui fut jamais. Il avait écrit sur la tactique et sur l'art de commander des armées. Ces ouvrages existaient encore du temps de Plutarque. C'est à Pyrrhus qu'on attribue l'invention des petites figures de bois, dont les tacticiens se servaient, pour démontrer et exprimer sur une table, les différents mouvements d'une armée. Cette méthode est donc bien ancienne. [2] Il faut que cet Évangelus ait été un bon auteur, puisqu'au dire de Plutarque, le savant Philopœmen le préférait à tous les autres, et s'occupait beaucoup de la lecture de ses écrits. [3] Élien ne marque pas que cet Iphicrate fut différent du général athénien de ce nom, qui était un grand homme de guerre, et auteur de plusieurs changements qu'on a faits dans les armes de l'infanterie. [4] Ce Posidonius était un Philosophe stoïcien, et paraît être le même, qui, au rapport de Suidas, avait continué l’Histoire de Polybe en 42 livres. Élien nomme encore plusieurs autres auteurs tacticiens, dont on regrette, avec raison, les écrits, qui se sont perdus. [5] Ce soin, qu'Arrien a pris d'expliquer les termes, est important pour ceux qui lisent les auteurs militaires grec, dans la langue originale. J'ai souvent dit, dans le cours de mes Mémoires militaires, de quelle, utilité m'a été la lecture de ce petit ouvrage, pour débrouiller les ordres de bataille, que tous les traducteurs et commentateurs ont manqué, faute de connaissance des termes militaires. J'ose même avancer, que de toutes ces batailles de Polybe, que, Mr. Folard nous représente, il n'y en a pas une seule, qui réponde exactement au récit de l’historien. [6] Les anciens donnaient une attention particulière à faire suivre l'armée de bons médecins. Xénophon remarque que le jeune Cyrus attirait à lui les plus habiles qu'on connût, pour accompagner l'armée dans l'expédition contre son frère. Chez les Romains chaque cohorte avait fon médecin; on l'observe dans les anciens monuments, dont les inscriptions portent quelquefois, Medicus cohortis II. Vigilum, Medicus cohortis V. Praeteria, Medicus Legionis II Italia. Voyez Gruterus et Muratorii Thesaur. Inscript. [7] Arrien est le seul tacticien qui ait rapporté cette particularité des dents ou défenses des éléphants garnies d'un fer, dont l'usage est encore fort commun dans plusieurs endroits de l'Asie. Nos graveurs représentent toujours les éléphants chargés de tours remplies de combattants. Cette coutume fut bientôt abandonnée aux peuples tout à fait barbares, aussi bien que celle de combattre sur des chariots. Les carthaginois, qui avaient toujours un grand train d'éléphants, et les Romains, qui s'en servirent depuis, dans la guerre contre les grecs, ne voulaient pas sacrifier leur monde pour périr sur ces animaux. Ceux de l'Afrique furent constamment préférés à ceux des Indes. Les premiers faisaient plus de ravage avec leurs trompes. Strabon Liv. XVII. Les derniers étaient reconnus pour les plus propres à dresser et à manier. [8] Les Grecs, comme les Romains, ont fait, de temps en temps, des changements dam les armes; de là vient que les historiens différent quelquefois entre eux dans leurs descriptions. Quand Arrien fait mention de la milice des anciens grecs, il parle des temps qui ont précédé les ordonnances et les règlements que Philippe et Alexandre le Grand donnèrent à leurs troupes. Le bouclier ovale, plus grand que le commun, et la longue pique, ou la sarisse, étaient principalement de leur institution. Quelques uns des grecs se piquaient de ne pas adopter les changements d'Alexandre. Ce fut Philopœmen, qui persuada les Achéens à se défaire de leurs anciennes armes, pour prendre celles des Macédoniens. [9] L'infanterie légère était mieux armée chez les Romains. Elle avait encore l'écu et le casque et ses armes à jet étaient plus uniformes. L'infanterie légère, chez les grecs, était de trois espèces de gens qui lançaient des traits avec la main, d'archers et de frondeurs. [10] Les chapeaux lacédémoniens étaient faits de poil, à peu prés d'une pareille fabrique que les nôtres. Ceux de l’Arcadie étaient de cuir. Souvent c'était la peau de la tête de quelque bête sauvage, qui était ajustée pour servir de chapeau. Ils s'en couvraient dans le même esprit, que ce capitaine suisse, dont parle Brantôme, qui se flattait d'en imposer à l'ennemi. [11] Les Romains armaient la jambe droite d'une botte garnie d'une bonne lame de fer. Lorsqu'ils lançaient leurs pilum, ils avaient le pied gauche en avant, mais, en se battant avec l’épée, ils étaient dressés à avancer le pied droit, qui, à cet effet, était armé. Il fallait de l'exercice pour enseigner au soldat les différentes attitudes qu'il avait à prendre; aussi lisons-nous, dans César, qu'il était obligé d'enseigner, même à ses vieux soldats, de nouvelles attitudes pour se battre avec avantage contre un ennemi, dont la manière de combattre leur était nouvelle et inconnue. Il fallait encore de l'exercice pour accoutumer les soldats à marcher avec ces bottes, qui paraissent les avoir gêné dans leurs mouvements. Polyen remarque, que Philippe, dans les exercices, fit faire trente sept milles de chemins à son infanterie, armée de casques, de bottes, de boucliers et de sarisses. [12] Arrien indique ici les différentes espèces de cavalerie, qui étaient connues chez les anciens. Il est trop concis pour qu'on puisse bien saisir toutes les différences de leurs armes et de leur manière de combattre. Peut-être est-ce la faute des copistes. Outre la cavalerie toute bardée, et l'irrégulière, qui était composée de cavaliers semblables à nos hussards et aux Uhlans, je remarque encore cette différence, dans la cavalerie qui se battait en ligne, c'est qu'il y en avait une partie qui se servait constamment de lances, telles que je les ai décrites à l'occasion de la bataille près du Tessin, et que l'autre partie avait une espèce de javelines, faites à peu prés comme les files de l'infanterie romaine, dont ils pouvaient se défaire en les lançant, et se servir ensuite du sabre dans la mêlée ; c’est la différence qu’Arrien met entre les κοντοφόροι et les λογχοφόροι. Suivant le récit, que Plutarque fait de la malheureuse expédition de Crassus contre les Parthes, la cavalerie ennemie tâcha d'abord d'enfoncer les légions avec de longues lances; mais voyant qu'elle n'effectuait rien contre cette brave infanterie, elle l'accabla, de loin, de traits, et vint à bout de la défaire. [13] La description qu'Arrien fait de l'armure de la cavalerie romaine est très claire et nous en donne une juste idée. On ne la trouve pas dans Élien. On y observera les changements qui se sont introduits depuis le temps de Polybe, où on n'avait d'autre cavalerie que la légionnaire. Cette matière de la cavalerie ancienne est très curieuse, et on ne manque pas de monuments de l'antiquité pour traiter distinctement cette partie de la science militaire. Les livres de Xénophon font admirables, sur tout le second, où il entre dans le détail de l'armure et de l'exercice de la cavalerie; on trouve encore, dans les fragments de Polybe, des morceaux singuliers, qui en traitent de même. Aussi y a-t-il de très savants hommes, comme Juste Lipse, Hugo, et autres, qui ont amassé tous les matériaux nécessaires à cette entreprise. Il ne fallait qu'un peu de loisir pour débrouiller cette quantité de choses, que ces grands littérateurs ont étalées conforment dans leurs écrits. [14] Arrien donne ici l'idée de la tactique. Eneas, à ce que dit Élien, la définit, la science des mouvements militaires. Polybe, dont les Livres de la tactique des grecs sont perdus, la nommait, l'art d'assortir un nombre d'hommes, destinés pour être soldats, de les distribuer par rangs et files et de les instruire dans tout ce qui est utile pour la guerre. Les Grecs étaient de grands maîtres pour dresser de nouvelles levées; il y eut toujours en Grèce nombre d'officiers et de gens de condition, qui levaient et dressaient des soldats pour le service des rois d’Asie et d'autres républiques, comme on a vu par l'exemple de Xantippe. On lit, avec plaisir, ce que Polybe raconte de l'habile Sosibe, premier ministre d'un roi fainéant. Antiochus vint, avec une bonne armée, faire la guerre à son maître, dont les troupes étaient dans un pitoyable état. Sosibe amusa l'ennemi par des négociations, et pendant ce temps, il n'épargna ni soins ni argent, pour attirer à lui tout ce qu'il y avait d'officiers de réputation en Grèce. Ce fut par l'industrie de ces officiers, et par sa propre attention à fournir d'excellentes armes aux soldats qu'il vint à bout, dans un seul hiver, de compléter et de dresser une armée en état de tenir tête à celle d'Antiochus, quelque aguerrie qu'elle fut. Polybe se plait à faire honneur de cette étonnante transformation de l'armée égyptienne, à ses compatriotes, dont il nomme la patrie et les emplois militaires. L'exécution du projet de Sosibe était d'autant plus glorieuse, qu'il était difficile d'abolir entièrement la vieille ordonnance, et l'ancien exercice des Égyptiens, pour introduire la nouvelle tactique des Grecs. [15] J'ai conservé les noms grecs dans la version. En y substituant des mots Français, on obscurcit l'auteur. Il est impossible d'en trouver qui expriment toujours le sens des termes crées. La version que Machaut a faite de la tactique d'Élien, est, par ce seul défaut, de peu d'utilité. Comme Arrien ajoute l'explication de chaque terme, le lecteur n'en est pas arrêté. [16] L’énomotie est un terme propre à la milice des Lacédémoniens; mais l'usage en était passé, depuis la nouvelle forme que les pois de Macédoine avaient introduite par rapport à la phalange. Thucydide et Xénophon s'en servent souvent, surtout le dernier, dans son quatrième livre, ou il expose sa disposition contre des barbares, en présence desquels il traversa un fleuve. C'est ce passage qu'Arrien a en vue. Je doute fort si les interprètes et les traducteurs entendent les manœuvres que Xénophon décrit, et celles qu'il détaille, dans le troisième livre, quand il parle des dispositions qu'on fit pour la marche des troupes. La tactique de Thucydide et de Xénophon est différente de celle du temps d'Alexandre le Grand. Les termes, qui désignaient les différents corps, n'étaient plus les mêmes, et il y eut une autre disposition de sections; faute d'y donner attention, on ne peut que s'embrouiller. [17] Ce qu'Arrien et Élien disent des troupes légères, placées derrière la phalange, afin de lancer les traits par dessus ses rangs, n'est pas constaté, que je sache, par aucun exemple. Il paraît qu'on savait en faire un meilleur usage. Comme les soldats soutenaient le bouclier du bras gauche, le flanc droit de la phalange était plus exposé aux traits que le gauche. C'est pourquoi Onosander observe qu'on les mettait en plus grand nombre aux endroits, d'où ils pouvaient tirer obliquement sur la droite de l'ennemi. [18] Arrien nomme ici toutes les évolutions, qu'il détaille dans la suite. Ces répétitions sont inutiles et ennuyantes. [19] Arrien avait bien raison de recommander le soin d'exercer les troupes. Les généraux, qui commandaient des phalanges, y devaient principalement donner une grande attention. La phalange était un corps trop artificiel, et le moindre désordre entraînait d'abord de mauvaises fuites. On doit observer qu'on se souciait fort peu du maniement de la pique. C'étaient les évolutions qu'on enseignait aux troupes, comme la chose la plus essentielle, et Mr. le Maréchal de Saxe entre dans la pensée des anciens, quand il met le secret de l'exercice dans les jambes. [20] Cette proportion de troupes était bien imaginée et nécessaire. La phalange ne pouvait pas, partout, être employée avec avantage. Il fallait une autre espèce de troupes pour y suppléer. Ce fut aussi la raison de l'institution des peltastes. La proportion entre la cavalerie et l'infanterie est remarquable. Les Romains ne l'observaient pas, et ils s'en trouvaient souvent mal. On voit pourtant, dans l'histoire, que les grands capitaines grecs ne se bornaient pas toujours aux préceptes des tacticiens à cet égard; la nature du pays les décidait sur le nombre de la cavalerie. [21] Il y avait donc soixante quatre enseignes dans la grande phalange, placés, de distance en distance, au milieu de chaque xénagie, pour servir aux soldats de point de ralliement. Comme les troupes occupaient, en bataille, beaucoup moins de front que nous, ce nombre d'enseignes leur suffisait. La plupart étaient des images de quelque animal, symbole de la divinité tutélaire, artistement taillé en or ou en argent, et qu'on portait sur une perche, comme on le voit dans Xénophon. [22] L'officier, qui tenait son poste derrière le corps, lorsque la phalange était en bataille, faisait la fonction de nos majors; on lui joignit l'adjudant. Xénophon constate, en plusieurs endroits, l'emploi de l'officier, qu'Arrien nomme ici, par excellence, ouragos, et qui répond exactement à nos sergents majors; car le dernier rang de la phalange était tout composé de soldats, dont la fonction était équivalente à celle de nos sergents, et qui portaient aussi le nom d'ouragos. Élien ajoute ici, dans sa tactique, un chapitre, où il traite de différents postes, que les officiers de chaque corps occupaient selon leur grade, la droite était le poste d'honneur, l'officier qui le suivait, se plaçait à la gauche, le troisième commandait la seconde phalange de la droite, le quatrième la seconde phalange de la gauche. Ce même ordre fut observé dans tous les corps jusqu’à la tétrarchie. Il faut encore observer, que tout le premier rang consistait en officiers, qui avaient les mêmes armes que les soldats, excepté ceux qui étaient derrière la ligne, et les officiers généraux, qui occupaient les intervalles entre les grandes sections. Ils étaient au reste distingués par quelques ornements sur leurs casques, et par d'autres marques de distinction; la même chose se pratiquait chez les Romains, où les officiers portaient les mêmes armes que les légionnaires, jusqu'aux tribuns. [23] Les crieurs étaient, dans l'armée, des personnes sacrées, qui annonçaient les ordres des généraux; ils étaient ce qu'ont été les hérauts d'armes, et devaient être respectés de l'ennemi. Xénophon en fait souvent mention. Les anciens grecs ne connaissaient pas les tambours. Avant Alexandre, on se servait de flûtes dans les troupes. J'ai trouvé, dans le cinquième livre de Thucydide, une circonstance qui favorise beaucoup l'idée du Maréchal de Saxe, touchant la marche des troupes et leurs évolutions faites à la cadence, marquée par le son des instruments. Voici les propres termes, selon la version de Mr. d'Ablancourt, Thucydide fait le récit de la bataille de Mantinée, qu'Agis gagna sur les Mantinéens. Ensuite l’on en vint aux mains, les Mantinéens avec furie, ceux-ci posément, au son de la flûte, dont il y avait plusieurs, entremêlées dans les bataillons, non pour chanter l'hymne du combat; mais pour marcher d'un pas égal et comme en cadence, de peur de rompre les rangs, comme il arrive d'ordinaire aux grandes armées. Il faut faire honneur de cette contenance aux anciens grecs. Les soldats d'Alexandre allaient à l'ennemi en criant de toute force. Il paraît que, lorsque la flûte cessa d'être en usage, on oublia aussi sa vertu. Nos tacticiens, qui ont copié les meilleurs auteurs, n'en font pas mention. Voici ce que Suidas, qui a pillé partout, nous dit de la fonction des cinq surnuméraires. Le crieur annonce, à boute voix, ce qu'on doit faire; le porte-enseigne donne des signaux, si le bruit étouffe tout autre fon; et le trompette, si la poussière empêche la vue des signaux; l'adjudant porte, de bouche, aux officiers, les ordres du général ; et le sergent major a soin que les soldats se tiennent en rangs et files, et ne se débandent pas. [24] Dans la milice des anciens grecs, auxquels les Lacédémoniens donnaient le ton, ce corps de pentacosiarchie s'appelait λόχος ce qu'il faut observer dans la lecture de Thucydide et de Xénophon, surtout pour expliquer ce que le dernier dit de la disposition de la marche. [25] Mr. Folard a très bien remarqué, que la disposition d'Épaminondas, dans ces deux batailles, n'avait rien de commun avec le coin, que les Γrecs ont formé, dans leurs exercices, pour habituer le soldat à toutes fortes d'évolutions. Ce témoignage même d'Arrien en fait une forte preuve, et d'ailleurs personne ne contestera que le cuneus des Romains, et l'ἔμβολον des grecs, désignent des corps formés sur plus de profondeur que de front. A la bataille de Leuctre, les Lacédémoniens avaient mis leur centre en arrière, et s'étaient avancés, avec les deux ailes, en formant l'ordre de bataille, que les grecs appelaient la demi-lune. Épaminondas ne s'attacha qu'à une seule aile de l'ennemi. Il marcha à grand pas, avec une de ses ailes en avant, et forma ainsi l'oblique, en laissant le reste en arrière. C'est cette disposition de deux côtés, qu'Onosander examine au long, sans nommer l'historien grec. Selon Xénophon, Épaminondas enfonça les Lacédémoniens à Mantinée, avec une seule colonne, que l'infanterie formait, sans qu'on put y entrevoir la disposition en écharpe. Xénophon compare l'attaque du Thébain au choc d'un vaisseau, qui heurte et fracasse, avec son éperon, le flanc du Navire ennemi. Le récit que Polybe fait du combat naval de Chium, et les savantes Notes de Meibomius, font connaître cette manœuvre. [26] Élien ajoute, que, lorsque la phalange était en parade, l'homme occupait six pieds; si elle était serrée pour combattre, trois pieds; et en synaspisme, un pied et demi: et il expose ensuite le terrain, que les différentes phalanges occupaient. J'en ai parlé suffisamment à l'occasion de la bataille près du Macar. Il marque de même que la pique doit être du moins de douze pieds, et la plus longue, qu'un homme la puisse manier aisément. [27] Dans l'élégante description que Tacite fait de la vigoureuse attaque des retranchements, que les soldats d'Antonius forcèrent prés du Crémone, on lit que les Romains s'en approchèrent en tortue, et qu'alors d'autres troupes montèrent dessus, de façon que cette première tortue leur servit de terrain pour assaillir les remparts de la ville. Ce que Tacite dit ici, paraῖt aussi incroyable que le récit de Dion d'une pareille tortue, assez solide pour porter des chevaux et des chariots. Plutarque, parlant de la tortue, que l'armée d'Antoine forma contre les Parthes, marque que ces cavaliers, voyant les Romains s'arrêter tout à coup, et se former en tortue, s'imaginèrent que la faiblesse et la lassitude les faisait se reposer sous leurs boucliers. Ils dépendirent donc de leurs chevaux et s'approcheront d'eux pour les achever; mais les Romains se levèrent tout à coup, et remportèrent sur eux un grand avantage. Leurs boucliers étant plus larges et plus grands que ceux des grecs, leur tortue était aussi plus forte. [28] Les grecs choisissaient leurs soldats avec beaucoup d'attention, et dans les avancements, on considérait la taille et la constitution du corps, autant que la capacité. L'ordonnance même de la phalange exigeait cette attention. [29] Si les soldats du second rang, comme Arrien le dit, pouvaient atteindre l'ennemi avec leurs épées; il faut que le soldat, dans l'occasion, ait été le maître de tenir la pique de la main gauche, en la prenant par le milieu et laissant traîner le bout par derrière, pour pouvoir, avec sa droite, manier l'épée. Il est difficile de concevoir comment la longueur des sarisses ne les a pas embarrassés. [30] Il paraît néanmoins que cette phalange macédonienne était plus terrible â l'aspect que dans l'effet. Paul Émile avoue qu'il avait été saisi d'effroi, lorsqu'il vit, pour la première fois, celle masse d'hommes, dont le front était hérissé de ces terribles sarisses. Mais il ne laissa pas que de la battre avec ses Romains épars et distribués en plusieurs pelotons. [31] L'embarras que cette énorme longueur des piques devait causer, détermina bientôt les officiers grecs à en retrancher trois pieds, de sorte que selon Polybe et Élien, les piques étaient d'ordinaire de vingt un pieds de longueur, et ainsi de quatre pieds plus longues, que n'exige le savant Montecuculi, pour la juste mesure de cette arme. On gardait pourtant, dans plusieurs troupes, cette ancienne forme de piques, à ce qu'on observe dans différents auteurs. Polyen raconte, dans ses stratagèmes, que lorsque Cléonyme, roi de Sparte, s'attendait à être attaqué par un corps rangé en phalange, dont les soldats avaient des piques de vingt quatre pieds de longueur, il ne donna point de piques aux deux premiers de sa troupe, il leur ordonna, dès que l'ennemi s'approcherait, de saisir des deux mains, ses sarisses les plus avancées, pour les rendre inutiles. Cette manœuvre lui réussit. Le compilateur n'en rapporte pas d'autres circonstances, qui puissent bien faire concevoir toute l'action. [32] Pour se former une idée du maniaient de cette longue pique, il faut observer que le soldat l'empoignait des deux mains, et que, pour donner la force nécessaire à la soutenir et à la manier, il avait plus que le quart de la hampe en arrière des mains. Le bouclier ne l'embarrassait point. C’était un écu rond, ou un peu ovale, de deux pieds de diamètre et beaucoup plus plat que celui des Romains; L'anse en dedans et au milieu du bouclier passait le bras, de façon que cette anse touchait presque la jointure; et ne couvrant ainsi que d'un pied la coudée, le soldat avait toute la main libre. Les Romains n'auraient pu manier des piques d'une pareille longueur, à cause de la grandeur du bouclier, qui était d'un demi pied plus large que celui des Grecs, avec quatre pieds de hauteur, en forme d'un demi cylindre, qui serait coupé par le milieu du haut en bas. Le soldat, lorsqu'on faisait halte, se reposait sur ce bouclier. Tite-Live dit quelque part qu'il s'y endormait souvent. J'ai parlé au reste de l'ordre serré de la phalange, à l'occasion de la bataille prés du Macar, où je renvoie le lecteur. [33] C’est ainsi que Polybe appelle le corps des Étoliens, qui forma, sous Dorymaque, cette malheureuse entreprise contre la ville d'Égire, dans le Péloponnèse. [34] Il est étonnant qu'Arrien ne parle pas des peltastes, qui formaient quelquefois des corps considérables, surtout dans les armées d'Alexandre le Grand, et de ses successeurs. Élien dit qu'on les avait compris sous le nombre des troupes légères; mais son témoignage ne saurait me le persuader, tandis que les historiens et les tacticiens mêmes, les distinguent nommément des troupes légères. Il faut remarquer qu'Arrien ne décrit pas une armée comme elle aurait été sous l'un ou l'autre prince: il expose seulement le nombre et la proportion des troupes, qui devraient la composer, pour qu'on en put tirer service; et alors il fallait nécessairement qu'il y eut, avec la phalange, un corps de troupes légères d'une force pareille à celle qu'il indique, pour fournir aux différents besoins de la guerre. On n'avait point déterminé de quelle espèce devaient être les troupes, qui formaient ce corps d'infanterie légère; mais il était essentiel que, dès qu'on les attachait à la phalange, on en fit des corps tels qu'Arrien décrit ici, et qu'on les fournit à une certaine ordonnance pour régler leur service. Le tacticien, ayant détaillé toutes les parties nécessaires pour former un corps d'armée, avait satisfait au but qu'il s'était proposé; ce n'était pas à lui d'exposer l'ordonnance des différentes autres troupes, qui accompagnaient quelquefois la phalange, selon la nature du pays et de la guerre, et selon le bon plaisir du prince. En effet, on s'aperçut bientôt, qu'en plusieurs occasions, la phalange était trop lourde et trop embarrassée et cette troupe de gens à traits, trop peu ferme et trop peu solide pour agir avec succès. Iphicrate, général athénien, fut le premier, qui retrancha quelque chose des longues piques et des gros boucliers, pour rendre l'infanterie un peu plus leste. Philippe et Alexandre perfectionnèrent ses idées, et, sans toucher à la phalange même, ils formèrent de nouveaux corps de peltastes, qui, réunifiant la solidité de la phalange avec l'agilité des troupes légères, tendent le milieu et suppléaient partout au défaut de l'une ou de l'autre troupe. Alexandre et ses successeurs tirèrent de ces peltastes, des services considérables, et leur réputation égalait presque celle de la phalange. Les princes les choisirent à la fin pour en faire leurs gardes. La phalange n'était pas propre à cet emploi, qui exigeait une troupe leste et en état d'accompagner le prince et de faire des coups de main; les corps de gens à traits, ne répondaient pas non plus au but ni à la dignité des gardes. C’est la signification du terme grec agema, qui est le nom du corps que les historiens donnent quelquefois à celui des peltastes, et qui a exercé longtemps les savants. Comme on trouvait ces agemas formés, tantôt de six mille, tantôt de trois mille hommes d'infanterie, et même de cavalerie, de mille, et aussi seulement de trois cents maîtres, on ne savait comment combiner ces différences, ni quelle raison en donner ; Cependant elle est bien claire, si l'on considère que les rois le choisirent des gardes plus ou moins nombreuses, selon l'état de leurs forces et leur attachement aux gens de guerre. Les armes de ces gardes se ressentaient aussi souvent de l’honneur que les princes daignaient leur faire, leurs boucliers furent garnis d'une lame d'argent, ou d'un métal fort luisant, d'où ils prenaient le nom d'argyraspistes et de chalcaspistes comme je l'ai déjà remarqué ailleurs. Polybe détaille les différents corps de l'armée que Sosybe avait formée en Égypte, à l'aide des officiers qu'il avait fait venir de la Grèce. L'historien commence par l'agéma, ou les gardes du Roi, composées de trois mille peltastes, qu'un habile officier, nommé Euryloque, dressait. Les autres peltastes grecs, qui n'étaient pas des gardes, faisant un corps de mille hommes, étaient confiés aux soins d'un nommé Socrate. Ptolémée et Andromaque, deux habiles grecs, et certain Phoxidas, homme très entendu dans le service des troupes légères, étaient chargés de former et de dresser l'infanterie grecque sur le même pied qu'Arrien décrit ici. La grosse infanterie consistait en six sections, ou six petites phalanges d'environ vingt cinq mille hommes, auxquels on joignit l’epitagme, ou le corps de huit mille hommes de troupes légères, toutes soudoyées en Grèce, mais qu'on ne jugea pas à propos d'augmenter à proportion de la phalange, parce qu'on avait encore, dans l'armée, un corps de trois mille crétois, qui étaient d'excellents tireurs. Pendant qu'on arrangeait ainsi l'infanterie grecque, d'autres officiers enrégimentèrent et dressèrent les troupes nationales, dont on forma une phalange, du même nombre de sections, et sur le même pied que celles des Grecs; Le premier ministre se mit à sa tête. On prit les Thraces et les Gaulois, dont il y avait un grand nombre en Égypte, pour en faire des troupes légères, sur la même proportion et la même ordonnance qu'Arrien expose. Un certain Ammonius changea encore trois mille soldats africains en autant de peltastes. Cette conformité du détail de Polybe, avec celui d'Arrien, ne laisse pas de faire honneur à la tactique de ce dernier. [35] Tout ce qu'Arrien dit du rhombe et du coin a été réellement pratiqué dans les exercices; mais on se tromperait beaucoup, si on les prenait pour des ordres de bataille qu'on eut exécuté contre l'ennemi. Le cavalier seul, à la pointe du coin ou du rhombe, ne pouvait pas donner à ce corps la force et la facilité de percer, que les tacticiens lui attribuent, quelque prévenu même que l'on soit des avantages de la lance. Le rhombe n'est fondé que sur l'exposé des tacticiens; mais quant au coin, Xénophon et Arrien disent expressément, à l'occasion, l'un de la bataille de Mantinée, l'autre de celle d'Arbéles, qu'Épaminondas et Alexandre avaient formé leur cavalerie en coin pour enfoncer l'ennemi. Épaminondas le fit contre la cavalerie même; Alexandre contre l'infanterie. Ces autorités ont fait illusion aux maîtres d'exercice. Mais en examinant bien ces passages, et les faits qui ont précédé, on voit que la cavalerie d'Épaminondas, qui avait été rangée en bataille, ne fit que se mettre finalement en colonne. La section de la droite s'avança la première ; les autres, après avoir fait à droite, marchèrent sur sa place, et y caracolèrent ensuite, pour suivre en queue celles qui les avaient précédé. C'est la manœuvre ordinaire des sections, que les grecs appelaient περίκλασις. Quant à la cavalerie d'Alexandre, elle s'avança vers l'ennemi en oblique, ainsi que toute l'armée; Alexandre se jeta ensuite tout à coup avec la tête de ses escadrons, dans le vide qu'il avait remarqué dans l'infanterie persane; tandis que le reste, qui formait la queue de l'oblique, fit exactement face vers l'ennemi, et s'élança sur lui avec tout son front. Cependant toutes ces évolutions ont beaucoup contribué à rendre bonne la cavalerie et à lui donner une grande aptitude pour tous tes mouvements. On voit, par le morceau de Polybe, qui mite de l'exercice que Scipion fit faire à sa cavalerie, et que j'ai inséré au chapitre de la bataille près du Tessin, que les anciens ont agi sur d’excellents principes et qu'ils savaient très bien distinguer le solide du clinquant. Arrien lui même, qu'il ne faut pas accuser de frivolité, pour avoir recommandé le rhombe et le coin, détaille d'abord le vrai ordre dans lequel il convient de ranger la cavalerie, et qu'il préfère aux autres. [36] C'est la manœuvre que l'interprète latin d’Arrien a manquée. Il était naturel que cette évolution, qui formait un beau coup d'œil, exposât les pointes à perdre, en caracolant, la juste proportion, Arrien indique ici les moyens d'y remédier. [37] J'ai corrigé ici le texte d'Arrien, sur l'exposé d'Élien. Les escadrons de vingt de front sur dix de profondeur, comme portent les nombres grecs, ne conviennent pas à la suite du discours. [38] On remarque ici que les anciens ont rangé la cavalerie quelquefois, comme nous, sur trois de profondeur. Je renvoyé le lecteur au chapitre de la bataille d'Annibal près du Tessin. [39] Lorsqu'Arrien fait remarquer que la cavalerie ne tire pas, de sa profondeur, le même avantage que l'infanterie, il semble condamner les ordonnances qu'il avait expliquées et qui étaient fondées sur une grande profondeur. C’est une preuve qu'il n'a lui même regardé le rhombe et le coin que comme des évolutions de parade, pour rendre le cavalier alerte et lut apprendre à maîtriser son cheval. Les tourmes des Romains étaient de huit de front et de quatre de profondeur. Polybe et nos tacticiens marquent, que les Grecs formaient leurs escadrons de soixante quatre maîtres, qui se rangeaient en bataille sur huit de profondeur et autant de front. Cette masse de chevaux ne pouvait pas choquer ensemble. Polybe indique les manœuvres d'une bonne cavalerie, dans son récit de la bataille de Cannes. Il dit que l'on ne se battait pas, de part ni d'autre, avec art et avec adresse, comme des nations civilisées le font, en choquant avec ordre, et en caracolant en arrière pour revenir à la charge ; mais qu'on se battait comme des barbares, qui, acharnés les uns contre les autres, restaient dans la mêlée, jusqu’à descendre des chevaux.
Les deux ou trois premiers
rangs se détachaient de la ligne pour choquer. S'ils ne renversaient pas
l'ennemi, ils étaient dressés à s'ouvrir vers les flancs et à faire place
au choc des autres. Pendant que ceux-ci manœuvraient, ils caracolaient
en arrière et passaient par les intervalles pour se rallier derrière
l'escadron. C’est le sens des mots grecs dans Polybe : οὐγε ἦν κατὰ
νόμους ἀνατρόφης καὶ μεταβολὴς ὁ κινδυνος. [40] Élien ajoute ici un long chapitre de la manière de former le ρhombe qu'Arrien, moins minutieux que lui, a omis. Le premier aurait mieux fait de nous donner un détail plus exact des manœuvres de la cavalerie, au lieu de sa description du ρhombe et du coin. On ne saurait accuser Arrien de cette omission, puisqu'il a traité cette matière dans un λivre particulier, dont il nous reste encore des fragments. [41] Arrien a ici en vue la manœuvre de la cavalerie d'Alexandre à la journée d'Arbéles, où, formée en colonne, elle se jeta dans le vide de l'infanterie Persane [42] J'observe que cette proportion, que les tacticiens supposent entre la cavalerie et l'infanterie, n'a pas toujours servi de règle. Dans l'armée que les officiers grecs formèrent pour le service du roi d'Égypte, il n'y avait pas plus de cinq mille hommes de cavalerie, pour soixante dix mille d'infanterie. Le dernier Philippe fit la guerre au proconsul Firmininus avec deux mille cavaliers joints à la phalange. La Thessalie, dont on lit le théâtre de la guerre, était un pays montagneux, où une plus nombreuse cavalerie aurait été inutile. On remarque mieux cette proportion dans l'armée d'Alexandre le Grand. Il marcha en Asie avec trente initie hommes d'infanterie et cinq mille de cavalerie. [43] Élien remarque que le nombre des hommes, dans les escadrons, n'était pas tellement fixé, qu'il ne fût bien permis au général de l'augmenter ou de le diminuer, suivant les circonstances. Comme la cavalerie était rangée en Ligne, avec des intervalles, chaque escadron faisait un corps à part, au contraire des frétions de la phalange, qui formaient une ligne contigüe. Le terrain et la position de l'ennemi déterminaient souvent le général à ranger ses escadrons, de manière, à pouvoir choquer sur plus ou moins de front, et c'est ce qu'Élien entend; car il confie allez que les compagnies étaient condamnent formées de soixante quatre, et les escadrons de cent vingt huit maîtres. [44] Arrien explique l’ala des Romains par le mot grec ἵλη. Dans le temps des consuls, la cavalerie des alliés portait ce nom. Tite-Live la distingue expressément de la cavalerie Légionnaire. Après le grand changement de la milice Romaine, Ala était le nom pour tous les corps de cavalerie, formés de quatre jusqu'à cinq cents maîtres. Hyginus marque qu'elle consistait en seize tourmes, ce qui fait environ le nombre dont Arrien dit qu'elle était composée de son temps. [45] Élien ne manque pas de régaler le λecteur de toute la vieille ordonnance des chariots et des éléphants. On y observe qu'on nommait également phalange de chariots et d'éléphants, le nombre qui constituait un train complet de ces armes. On fut longtemps à abolir entièrement l'usage des éléphants, qui, dans plusieurs occasions, ont fait plus de mal que de bien à ceux qui les employaient. Végèce indique les moyens dont on s'est servi pour s'opposer à ces animaux. Mais il a puisé dans de mauvaises sources. Les bons auteurs ne s'accordent pas avec lui. Stewechius étale, dans ses notes sur Végèce, un grand appareil d'érudition, pour indiquer toutes les particularités qui regardent ces deux armes des anciens. Sylla planta de gros pieux devant le front de son année et arrêta le prodigieux train de chariots, qu'Αrchélaüs, général de Mithridate, lâcha contre les Romains. L'ordre de bataille de Sylla, que Frontin décrit, est très remarquable. Il rangea son armée entre deux larges fossés, qu'il avait fait creuser, et mit, à la tête de claque fossé, une espèce de redoute pour résister à la nombreuse cavalerie de son ennemi. [46] Ces évolutions, qu'Arrien détaille ici, se faisaient ordinairement dans les exercices, à ce qu’on remarque dans les historiens. Les quarts de conversion ne s'exécutaient qu'avec de grandes sections, qu'on favorisait par les distances nécessaires, qu'on laissait entre elles. La grande profondeur des files était cause qu'on ne les faisait pas par petites sections. On se contentait de faire à droite et à gauche, et de défiler par le flanc. Les historiens militaires se servent de ces termes d'art, pour dénoter les grandes manœuvres de l'année; les autres, qui ne sont pas du métier, y substituent des mots équivalents, qui causent souvent de l'obscurité. Cette précision manque surtout dans Appien et Dion Cassius, qui appliquent des termes de la phalange à l'ordonnance de la λégion. Comme j'en ai expliqué la plupart dans mes mémoires militaires, surtout à l'occasion de la bataille près du Macar, je n'en répéterai rien ici. Outre ces termes, indiqués par le tacticien, il y en a encore d'autres, ou synonymes ou différents, et alors ils regardent surtout la légion. Il faut soigneusement les recueillir dans les auteurs. Tel est celui de πέρικλασις lorsque, pour changer en colonne une troupe en bataille, le quart de conversion se faisait en même temps par toutes les sections, qui étaient plus ou moins grandes, selon le front que la colonne devait former. Les sections suivaient alors la première et se tournaient sur le terrain, d'où elle était partie. Les Grecs, comme je l'ai dit, défilaient la plupart par le flanc, si l'on ne voulait pas marcher par sections sur un grand front; et cette marche était alors de l'espèce d'épagogue, suivant l’explication que j'en ai donnée, à l'occasion de la bataille de Caphyes. [47] Arrien explique ici les différents termes et les mots de commandement, qui ont été en usage dans les exercices. [48] Les Grecs devaient préférer ces évolutions au simple demi-tour; parce que toute la force de la phalange consistait dans les premiers rangs, dont les hommes étaient choisis sur tout le corps. [49] Le terrain que la phalange occupe, lorsqu'elle est serrée pour combattre, est d'environ cinq stades ou six cents pas. Par ces doublements chaque homme n'occupait pas plus d'un pied et demi du terrain, qui est celui des soldats serrés en synaspisme. Si, dans cet ordre, la phalange s'ouvrait pour étendre son front du double, les hommes, aux extrémités des ailes, devaient faire chacun trois cents pas. Ces évolutions exigeaient bien du temps et de l'attention. Philopœmen s'y prit autrement à Mantinée. [50] Il paraît que la phalange, en doublant ainsi les files, ait été dans son premier ordre de parade, c'est à dire avec trois pieds de distance entre les rangs et les files, et qu'après l'évolution faite, les files se soient serrées vers le centre pour remplir les distances des files qui avaient doublé. On voit, dans le livre d'Arrien, des figures, qui représentent assez grossièrement ces évolutions. Comme on n'a pas besoin de ce secours pour un sujet qu'on conçoit si aisément, il aurait été inutile de les emprunter ici. [51] Cette explication des termes est essentielle pour ceux qui lisent les auteurs militaires dans la langue originale. Élien nomme encore la protaxis, qui se dit de l'infanterie légère placée en avant de la phalange. L'entaxis est le terme synonyme de parentaxis, et est employé proprement pour dénoter le mélange des troupes de différentes espèces, tandis que parambole ne regarde que l'ordonnance des phalangites. Élien ajoute ici trois longs chapitres, où il explique avec beaucoup de verbiage de quelle manière la phalange faisait les conversions ; voici à quoi le tout se réduit. Lorsqu'on commandait une conversion à droite, toutes les files devaient d'abord faire une à droite, et se serrer vers l'aile droite, ou la file, qui était a l'extrémité ne bougeait pas de place ; les rangs se serraient également en avant. Ainsi le quart de conversion se faisait à rangs et files serrés. Pour reprendre la première position, on faisait faire un demi-tour, et puis un autre quart de conversion. On se remettait ensuite par un autre demi-tour, et on ouvrait les rangs et les files de la même manière qu'on le fait aujourd'hui. Élien répète toutes ces évolutions pour le quart de conversion à gauche. Il explique ensuite comment la phalange se serrait vers les ailes, ou vers le centre, par l'à droite et l'à gauche ; et il remarque enfin, que dans tous ces mouvements les soldats devaient tenir haut leurs piques. Il faut observer qu'Élien représente ici la phalange comme sur la place de l'exercice, c'est à dire avec les distances de trois pieds entre chaque homme en rangs et files. Lorsqu'elle était formée pour combattre, elle était constamment serrée de manière à pouvoir exécuter les conversions, et chaque homme n'occupent que trois pieds en rangs et files. Il paraît assez, par les différents demi-tours qu'Élien fait faire aux soldats, qu'il ne parle pas ici de cette manière de s'emboîter, où le soldat se serrait jusqu'à avoir le coude derrière celui de son voisin, dont ils faisaient usage pour la tortue ou le synaspisme, et qu'on a voulu mal à propos adopter dans nos exercices. Car alors, comme les tacticiens l'ont remarqué avec raison, il était impraticable, surtout ayant le bouclier, de faire, homme pour homme, des mouvements à droite ou à gauche, moins encore les demi-tours. [52] Les anciens étaient moins embarrassés que nous, dans un jour de bataille, de communiquer leurs ordres, vu la grande profondeur et le peu de front de leurs lignes. La poussière les empêchait moins que la fumée de la poudre, de faire usage des signaux. On lit souvent que l'étendard de pourpre était arboré pour le signal du combat; et César, lorsqu'il veut représenter la précipitation avec laquelle il était contraint d'agir, remarque, qu'il n'avait pas même le temps d'indiquer par l'étendard le moment de combattre. A la bataille de Pharsale il se fit entendre par un tel signal à cette ligne de troupes qui lui donna la victoire. A la journée de Selasie, dont le récit est bien peu fidèle dans les commentaires de Mr. Folard, Antigonus roi de Macédoine, expliqua à ses généraux le sens de chaque signal qui devait régler leurs attaques. Cependant leurs généraux étaient accompagnés, comme aujourd’hui, d'un certain nombre d'officiers intelligents, qui faisaient les fonctions des aides de camp. C'est ce qui se voit par les récits des batailles. Dans celle d'Arbéles, entre autres, Parménion se trouva longtemps en grand danger, faute de pouvoir assez promptement avertir Alexandre par ses adjudants. [53] Je renvoie le Lecteur au chapitre de la bataille de Caphyes, où j'ai expliqué en partie la manière de marcher des grecs. Nous trouvons, dans la plupart des historiens militaires, que les anciens formaient leurs colonnes sur le front de trente deux hommes, en joignant deux phalanges ensemble. Telle était la marche d'Alexandre lorsqu'il s'approchait du Granique. Cependant ils étaient obligés, aussi bien que nous, de régler l'ordre de marche sur le terrain et la nature du pays, et de s'écarter des préceptes des tacticiens, qui ont traité cette matière trop méthodiquement ; de sorte qu'ils formaient souvent plusieurs colonnes, qui marchaient à une certaine distance l'une de l'autre. On en a des exemples dans les marches de Philopœmen et de Machanidas, qui s’approchaient chacun du champ de famille en trois colonnes; et dans les guerres d'Antiochus et de Ptolémée, qui faisaient la guerre dans un pays peu propre à marcher sur un grand front. C'est ainsi qu'Annibal s'avança en deux colonnes pour se mettre en ordre de bataille à Cannes. Il faut néanmoins observer, que les marches des anciens n'étaient pas, à beaucoup près, aussi embarrassées que les nôtres. On en trouve aisément les raisons dans nos trains d'artillerie et d'équipages, dans notre nombreuse cavalerie et dans l'ordonnance de nos troupes, tout à fait différente de celle des anciens. Les officiers étaient distribués, chez les Grecs, dans chaque file qui formaient en marche les rangs, et leur devoir les obligeait à une attention particulière pour les contenir. On trouve des exemples de ces ordres précis, dans la marche des dix mille. Polybe détermine la distance entre les rangs et les files, en marche, à trois pieds. Il dit que c'était la moindre distance qu'on puisse établir. On remarquera encore qu'aucun des interprètes latins n'a compris le sens de ces différents ordres de marche en phalange, diphalangie, triphalangie et tetraphalangie, qui est celui que j'ai rendu en Français. Élien ajoute ici beaucoup de verbiage, qu'Arrien a retranché comme inutile, n'y ayant pas même de lumière à en tirer pour le détail de plusieurs particularités essentielles à son sujet, et qu'on doit recueillir avec assez de peine dans les autres auteurs. Arrien a cru y satisfaire par le détail qu'il a fait, de l'ordre de marche de l'armée qu'il a commandée lui-même contre les Alanes. [54] C’est ici où Élien étale tous les raffinements des Grecs dans les exercices, en exposant les différentes figures qu'ils faisaient prendre à la phalange. Il n'est pas étonnant qu'Élien s'amuse avec ces minuties; mais on doit être surpris qu'on fatigue encore aujourd'hui le soldat d'un grand nombre d'évolutions, qui ne sont d'aucun usage dans un jour d'action, tandis qu'on n'a déjà que trop à faire pour lui enseigner ce qui lui est essentiel de savoir par rapport à l’usage de ses armes et à l'ordonnance qui est bien plus difficile et plus sujette aux inconvénients que celle des anciens. Arrien, qui était un officier d'expérience, n'expose que ce qui lui parut de quelque utilité, retranchant tout le superflu, et ce qu'on n'avait imaginé que pour la parade. [55] On voit, par cette description d'Arrien, que l'ordonnance proprement dite le coin, chez les Grecs, est bien différente de la figure que Mr. Folard en donne dans son traité des colonnes. C'est cette même figure de la phalange, que le hasard avait donné aux troupes romaines à Trébie et à Cannes, et qui leur fut si funeste. Suivant Élien, on montra ces différentes ordonnances aux troupes pour se garantir contre les attaques de la cavalerie. Les figures qu'il en a tracées et que Mr. Machault développe encore mieux, expliquent bien ses idées, mais elles ne préviennent pas en faveur des manœuvres qu'il recommande. [56] Il paraît assez que le plésion et le plinthion, ont été des termes synonymes pour le carré vide, et on ne reconnaît pas, dans les auteurs militaires, cette différence marquée par Arrien. Quelques uns ont cru que l'un dénotait le carré plein, et l'autre le carré vide. Mais cette opinion est destituée de tout fondement. Les tacticiens avant déjà parlé du carré plein, qui se formait par la jonction de trois jusqu'à quatre phalanges, expliquent ensuite les carrés vides. Tel était visiblement le plœsion de Xénophon, comme je l'ai démontré à l'occasion de la bataille de Trébie. Outre le témoignage de Suidas et d'Élien, Polyen explique clairement ce qu'a été proprement le plinthion. Lorsque Thimothées, général Athénien, fut obligé de passer par une plaine, où il avait à craindre la nombreuse cavalerie des Olynthiens, il forma le carré vide, ou, à ce que Polyen dit, le plinthion, mais de façon que deux des flancs étaient plus longs que les autres. Il rangea d'abord, dans cette ordonnance, tous les chariots de son armée, et mit, dans le milieu, le peu de cavalerie qu'il avait. L'infanterie marcha alors avec beaucoup de contenance en dehors de ces chariots, sans que les Olynthiens pussent leur faire du mal. On a plusieurs exemples d'une pareille défense procurée par les chariots. Il y en a un, quoiqu'en petit, dans les Mémoires de Mr. Pontis : Les Moscovites, lorsqu'ils font la guerre contre les Tartares, couvrent des chariots, les flancs de leurs colonnes, pour se mettre à l'abri des in fuites de la cavalerie tartare. [57] Les Grecs n’ont pas multiplié les mots de commandement dans leurs exercices. Arrien donne ici les principaux. Voici comme Elien les expose. Aux armes ; Armes en main; Valets hors de la phalange; Prenez garde aux commandements ; Passe parole; Repasse parole; Prenez vos distances; Haut les piques; Dressez vos files; Dressez vos rangs; Prenez garde à vos chefs de file; Serre-files dressez vos filet; gardez vos premières distances; A droite ; Marche; Halte ; Front; A gauche; Marche; Halte; Front; Doublez les files; Remettez-vous; En avant faites l'évolution macédonienne; Remettez-vous ; En arrière faites l'évolution Laconique ; Remettez-vous; Faites la contremarche; (ou l'évolution crétoise) Remettez-vous ; A droite faites le quart de conversion; Remettez-vous; A droite faites les deux quarts de conversion; Remettez vous. [58] Arrien ajoute ici un traité de l'exercice de la cavalerie Romaine. Les manœuvres qu'il y décrit sont proprement de différentes espèces de tournois, que l'empereur Adrien aimait passionnément. Il dit lui-même, qu'on les avait imaginés autant pour la parade que pour l'usage dans la guerre. Ce morceau ne laisse pourtant pas d'être intéressant, et d'éclaircir bien des choses, qui regardent le service de la cavalerie des anciens. Je n'ai pu en faire la traduction, moins, parce que le sujet en soi-même est très difficile, et requiert la connaissance des usages et de bien des particularités que nous ignorons, que surtout, parce que le texte en est si corrompu et si défiguré, par les fréquentes lacunes, qu'en plusieurs endroits, il est tout à fait inintelligible. S'il y avait moyen de rétablir le texte par quelques secours, on pourrait en entreprendre la version avec plus d'apparence de succès.
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