Arisdagues

ARISDAGUES DE LASDIVERD

 

HISTOIRE D’ARMENIE Deuxième partie

Première partie - Troisième partie

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

HISTOIRE D’ARMENIE

Par le vartabed

ARISDAGUES DE LASDIVERD

Traduite pour la première fois sur l’édition des RR. PP. Mekhitaristes de Saint-Lazare

ET ACCOMPAGNE DE NOTES par M. EVARISTE PRUD’HOMME

 

 

CHAPITRE X.

Règne de Constantin surnommé Monomaque, fils de Théodose.[123]

Constantin fut, suivant la vision du prophète, en partie d’argile. Son père avait dans le palais le titre de chef de la justice[124] de qui les juges reçoivent leur nomination par tout l’empire. Après le règne si mal rempli du César, la lionne grondait contre sa compagne dans son repaire, assiégée de perplexités sans nombre, parce qu’elle n’avait personne parmi les siens qui fut digne du sceptre, et songeait aux ingratitudes dont elle avait été récompensée par l’homme qu’elle avait adopté pour son fils et établi maître et souverain du royaume, ainsi que nous l’avons raconté plus haut.[125] Que fait-elle clone? Contrairement aux constitutions canoniques,[126] elle produit Constantin à tous les regards, le prend pour mari et le fait asseoir sur le trône impérial.[127] Nombre de personnes pensèrent qu’il avait été son amant. Quant à moi, j’ignore s’il en est ainsi, ou comme dans cette proclamation qu’elle adressa à ses sujets: « Pour maintenir la paix dans l’empire, je ne me suis point épargnée moi-même, et n’ai point craint de descendre à un acte indigne de ma personne.

La première année du règne de Constantin fut marquée par une révolte de Maniacès, son fils,[128] gouverneur des provinces occidentales,[129] général plein de bravoure, illustre, qui s’attacha quantité de partisans. Ayant poussé avec une armée considérable jusqu’aux portes de la capitale, il la pressa avec tant de force et de vigueur qu’un grand nombre de personnes lui firent, quoique à regret, leur soumission, pensant qu’il finirait par arriver au trône, grâce à la multiplicité des circonstances favorables à sa cause. En effet, deux et trois fois de suite les troupes impériales s’étaient mesurées avec les siennes; toujours battues, elles étaient retournées auprès de l’empereur couvertes de honte, Lorsque fut livrée la dernière bataille, on s’attendait généralement qu’après toutes ces victoires, le peuple entier lui prêterait obéissance et le proclamerait empereur. Mais Maniacès, au lieu de songer à régner par l’aide de Dieu, se réfugia dans la puissance de sa force. Travaillé, depuis longtemps déjà, du même mal qu’Absalon, et enivré d’orgueil, il éprouva le même sort, On le trouva mort au milieu de la mêlée. Un ange au bras robuste lui avait enlevé son âme, sans que personne l’eût frappé.[130] Le Seigneur et créateur du monde, qui a la puissance d’ôter la vie aux princes, qui à lui seul est plus terrible que tous les rois de la terre, en agit ainsi dans sa sagesse infinie, afin que le fort ne place point son mérite dans sa force, le grand dans sa grandeur et le sage dans sa sagesse, ainsi que nous l’enseigne l’Ecriture, mais que celui qui est glorifié se glorifie dans le Seigneur, qu’il exerce la justice et fasse ce qui est droit par toute la terre. Ceci se passait au début du règne de Constantin, lequel commença en l’année 490 de notre ère (14 mars 1041 - 10 mars 1042).[131]

Trois ans après arriva la fin de la vie de la maison d’Arménie,[132] car, dans la même année, étaient trépassés de ce monde les deux frères germains Aschod et Jean, qui régnaient sur notre pays.[133] Leur trône si solide fut ébranlé et ne recouvra jamais sa stabilité. Les princes chassés de leurs patrimoines ont émigré dans la terre étrangère; nos districts ont été ruinés et sont devenus la proie de la nation des Grecs; les villages, où florissait une population nombreuse, la demeure des animaux féroces, et leurs champs la pâture des bêtes de somme; les habitations splendides, aux voûtes hardies, aux vastes proportions, les repaires des sirènes et des centaures; désolation semblable à celle d’Israël que pleurent les saints prophètes: « Là le hérisson a conduit ses petits et les a nourris sans crainte. » Les couvents magnifiques ont été transformés en cavernes de voleurs. Le même sort a été réservé aux églises bâties dans leur enceinte, images fidèles des cieux par l’élégance de leur construction, la splendeur de leurs ornements, l’éclat des lampes et des flambeaux qui y brûlaient sans jamais s’éteindre, dont la vive lumière se répandant dans l’air et se balançant dans l’espace, ressemblait aux vapeurs qui s’élèvent en ondoyants tourbillons de la surface des vagues, lorsque, par un temps calme, une douce brise agite la mer. L’odorante fumée de l’encens offert par de nombreux thuriféraires s’amoncelait sous leurs voûtes en nuages comparables aux cerisiers plantés sur le sommet des montagnes, dont l’épais feuillage intercepte au printemps les rayons du soleil. Mais quelle parole pourrait redire la vie des habitants de ces monastères, la douce mélodie des cantiques, la psalmodie perpétuelle, la lecture des saints livres, la pompe des fêtes du Seigneur, les honneurs rendus aux martyrs, l’union intime des volontés et le zèle pour les choses de Dieu, etc.?

Voilà le spectacle que présentaient autrefois les églises; aujourd’hui, vides et désertes, elles sont dépouillées de toute leur magnificence et saccagées. Au lieu de la suave symphonie des cantiques, les hiboux et les cigognes sont les chefs des chœurs; au lieu du chant des psaumes, la tourterelle et la colombe roucoulent « pour appeler leurs petits de leurs douces voix, » suivant l’expression du prophète. Les flambeaux sont éteints et les parfums de l’encens ne s’exhalent plus des encensoirs. L’autel du saint mystère qui auparavant, comme la nouvelle épouse, dans son thalame, était orné d’une gracieuse parure, et dont le front était ceint d’une couronne de gloire, aujourd’hui, spectacle lamentable et digne de larmes, dépouillé de ses ornements, est enseveli sous la poussière, et sert de demeure aux corbeaux. Mais il faudrait, pour raconter comme il convient toutes ces choses, de longues narrations et l’assistance de la grâce d’en haut. Reprenons donc où nous l’avons laissé le fil de notre récit et marchons en avant.

Lorsque le grand Constantin fut attaqué de la maladie dont il mourut, il avait donné l’ordre à ceux qui l’entouraient d’aller à la recherche d’un Arménien et de lui amener le premier qu’ils rencontreraient. Les envoyés trouvèrent un prêtre du nom de Cyriaque (Guiragos), hôtelier du palais patriarcal, et l’ayant conduit en présence de l’empereur, celui-ci lui remit un rescrit relatif à notre pays, en lui disant: « Emporte cet écrit, donne-le au roi d’Arménie et dis-lui ceci en mon nom: « Puisque de même qu’à tous les enfants de la terre, l’appel de la mort est venu jusqu’à nous, reçois ce rescrit, transmets ton royaume à ton fils et que ton fils le transmette à ses enfants pour ainsi continuer à jamais.[134] » Constantin, ayant ensuite pris le lit, mourut. Cyriaque garda la lettre par devers lui jusqu’à l’avènement au trône de Michel à qui il la vendit pour une grosse somme d’argent. O marché funeste! De quelle effusion de sang il a été la cause! Que d’églises il a réduites en cendres! Combien de districts ont été par lui dépeuplés et transformés en déserts! Combien de villages populeux ont été privés de leurs habitants! Nous raconterons tout cela en son lieu, mais, auparavant, reprenons la suite de notre récit.

Lorsque la nouvelle de la mort des deux rois parvint aux oreilles de l’empereur des Romains,[135] celui-ci, ayant découvert le rescrit destiné au roi d’Arménie, s’empressa de revendiquer la ville d’Ani avec le reste du royaume comme un héritage propre. D’un autre côté, un des principaux membres de la noblesse arménienne, nommé Sarkis[136] s’arrogea l’honneur de régner sur la maison de Schirag[137] et les districts environnants. Il s’appropria tout l’argent qu’on put trouver dans le palais du roi Jean à la mort de qui il était intendant. Mais Vahram, homme fort, illustre et d’une piété éminente (jamais aucun Bahlav[138] ne l’égala), de concert avec ses parents, ses fils et ses neveux (fils de frère), trente nobles environ, refusèrent de se joindre à lui; ils appelèrent ensemble Kakig, fils d’Aschod, le proclamèrent roi et par d’habiles stratagèmes l’introduisirent dans la ville.[139]

Sarkis, en présence de ces événements, emportant avec lui les trésors de la couronne, se renferma dans la forteresse intérieure, l’imprenable Ani.[140] Kakig, animé d’une hardiesse virile, se rendit seul auprès de lui, et par des paroles engageantes réussit à le persuader. Sarkis s’en alla de la citadelle dans la ville et forteresse de Sourmar’i[141] mais sans vouloir remettre Ani à Kakig non plus que les autres forteresses dont il était maître. Là, il forma le projet insensé de donner aux Romains tout ce qu’il possédait et de se retirer chez eux. Mais Kakig, avec une poignée d’hommes, pénètre dans son camp, pousse jusqu’à la tente de Sarkis, le fait prisonnier et rentre dans sa capitale. Il aurait dû ôter la vie au rebelle, mais il préféra, comme Saül, épargner ce nouvel Agag et le faire asseoir avec lui sur son char; c’est pourquoi il reçut la même récompense que Saül, l’existence plus amère que la mort.

A cette époque, les troupes romaines envoyées contre nous envahirent trois fois de suite l’Arménie qu’elles désolèrent complètement par le fer, le feu et l’esclavage.[142] Lorsque le souvenir de ces désastres se retrace à ma pensée, ma raison s’égare, mon esprit est confondu, et ma main, agitée par d’affreux tremblements d’effroi, ne peut plus continuer la ligne commencée, tant cette histoire est amère et digne de longues lamentations.

Autrefois le pays, comme un jardin plantureux aux arbres verdoyants chargés de fleurs et de fruits, était admiré et vanté par les voyageurs. Car les princes étaient assis sur des trônes splendides, le visage brillant de sérénité, semblables à des parterres au printemps par la variété des couleurs que leurs ornements étalaient aux yeux; ce n’étaient que discours joyeux et chants de fête; les accords des trompettes, des cymbales et des autres instruments de musique remplissaient l’âme de ceux qui les entendaient de douces émotions de plaisir. Les vieillards s’asseyaient sur les places publiques, commandant le respect, le front couronné de vénérables cheveux blancs. Les mères, tenant leurs enfants dans leurs bras, consumées par la vivacité de leurs sentiments maternels, oubliaient, dans l’abondance de leur joie, l’heure douloureuse de l’enfantement, pareilles aux colombes qui volent partout à côté de leurs petits à peine recouverts de plumes récentes. Dirai-je aussi les soupirs des nouvelles mariées dans la chambre nuptiale, l’ardeur des désirs brûlants d’amour des époux dans le lit des noces et l’irrésistible penchant de la nature? Mais portons plus haut nos regards vers le siégé patriarcal et le trône du roi. Le premier, grossi comme un nuage par les dons de l’Esprit Saint, répandait par la bouche onctueuse des vartabeds une rosée vivifiante qui engraissait et fertilisait le jardin de l’Église, dont la garde des murs était confiée à de vigilantes sentinelles ordonnées par lui. Lorsque, le matin, le roi sortait de la ville, semblable à l’époux qui quitte la couche nuptiale, ou comme l’étoile du berger qui, au point du jour, s’élevant dans le ciel au-dessus de la tête des créatures, attire à elle tous les regards, par l’éclat étincelant de ses vêtements et de sa couronne ornée de perles, il excitait l’étonnement et l’admiration de tout le monde. Son cheval à la blanche crinière tout couvert d’ornements tissés d’or, s’avançant au milieu des rayons du soleil dardant autour de lui, éblouissait les yeux. Devant lui marchaient des soldats pressés comme les vagues de la mer s’amoncelant les unes contre les autres.[143] Les lieux déserts étaient peuplés par des ordres monastiques sans nombre; les villages et les hameaux, rivalisant entre eux d’une sainte émulation, construisaient à l’envi des couvents pour des moines. Voilà, avec d’autres avantages du même genre, l’aspect qu’offrait notre pays. J’ai écrit toutes ces choses, afin qu’en racontant la transformation qu’elles ont subie je provoque les larmes de tous ceux qui en entendront le récit.

Aujourd’hui, le roi dépouillé de sa dignité est prisonnier dans la terre étrangère, comme un esclave. Le siège patriarcal vide de possesseur est morne comme l’épouse nouvelle plongée dans le veuvage. La cavalerie, privée de ses chefs, est dispersée partie en Perse, partie en Grèce,[144] partie en Géorgie. Les magnifiques soldats de la légion noble, chassés de leurs patrimoines et déchus de leur splendeur, rugissent, quelque part qu’ils soient, comme des lionceaux dans leurs repaires. Les palais des rois sont ruinés et déserts. Le pays, autrefois si populeux, est dépourvu d’habitants. On n’entend plus de joyeux concerts à l’époque des vendanges. Les félicitations ne résonnent plus à l’oreille de ceux qui foulent le pressoir. Les enfants ne marchent plus devant leurs parents, et les vieillards ne se montrent plus sur leurs sièges dans les places publiques. On n’entend plus les chants des noces, on n’orne plus la couche nuptiale dans la maison des époux. Tout cela s’est évanoui et a disparu pour ne plus revenir, selon l’expression du Psalmiste. Tout a été transformé pour nous en larmes; aux vêtements de fête ont succédé la robe noire et le cilice. Quelles oreilles pourront supporter le récit de nos malheurs! Quel cœur de pierre ne se fondrait en gémissements et ne serait brisé par ses sanglots! Mais il est temps de mêler à nos plaintes les lamentations de Jérémie: « Les routes de Sion sont dans la tristesse, parce que personne ne vient. » Ces paroles, prononcées à l’époque de la ruine de Jérusalem, se sont accomplies de notre temps.

Ces calamités dont fut atteinte l’Arménie sont le résultat du marché que nous avons mentionné plus haut, marché plus criminel à mon avis que celui de Judas. Car si celui-ci a été coupable, du moins son marché a été le prix de la rançon du genre humain, ainsi que le dit l’illustre Pierre dans sa lettre catholique: Ce n’est pas avec des matières d’or ou d’argent que vous avez été rachetés des vaines superstitions que vous ont transmises vos pères, mais par le sang du Fils de Dieu. Ici, au contraire, le marchand a été plus inique et inhumain, parce qu’il a été la cause de tous les maux que nous venons de raconter. La vigne que le Seigneur avait plantée, que notre illuminateur avait cultivée pendant quinze années de sueurs et de fatigues,[145] il en a rompu la clôture, renversé les tours qui la protégeaient et l’a convertie en un chemin pour les passants. Les bêtes de la forêt l’ont ravagée et le sanglier en a fait sa pâture, suivant le psaume de David. Mais le cri de tous ces malheurs arrivera aux oreilles du Seigneur et il le récompensera selon sa justice. Cependant revenons à notre récit.

En l’année 494 de notre ère (10 mars 1045 - 9 mars 1046), Ani fut prise non point par le droit de la guerre, mais avec des discours fallacieux. Par serment et la croix on persuada à Kakig, au nom de l’empereur,[146] qu’aussitôt que celui-ci l’aurait vu, il lui rendrait son royaume et le constituerait, par écrit, maître à perpétuité de son pays et de sa ville; car le sage promet et le fou croit selon les paroles des sages, ou comme il est écrit ailleurs: « Les discours des menteurs sont gras comme la caille, et les insensés les avalent. » Sa crédulité était-elle le résultat de sa foi au serment et à la croix, ou des dispositions pacifiques de son esprit et de sa religion naturelle? je l’ignore. Ayant donc remis les clefs de la ville à Pierre qui occupait alors le siège patriarcal de notre Illuminateur, il lui confia l’administration générale du pays après lui avoir imposé un traité ratifié par des engagements solennels.[147] Sourd aux conseils de Vahram et des autres nobles qui l’avaient fait roi, il prêta l’oreille aux suggestions perfides de Sarkis, quitta sa capitale et se rendit à Constantinople, d’où il ne devait jamais revenir, semblable au poisson accroché à l’hameçon ou à l’oiseau pris dans le piège. L’empereur, en le voyant, oublia ses serments et ne se ressouvint plus de la croix de l’intervention de laquelle il s’était servi. Il le retint auprès de lui en disant: « Donne-moi Ani, je te donnerai en échange Mélitène[148] avec les districts environ nants. » Kakig refusa.[149]

Monomaque prolongeant ses instances, Grégoire (Krikor), fils du brave Vaçag, alla lui aussi trouver l’empereur. C’était un homme savant qui possédait à fond les saintes écritures comme personne autre.[150] Comprenant que les Grecs ne renverraient point Kakig dans son pays, il se présenta devant Constantin à qui il remit les clefs de Pédschni[151] avec tous ses biens patrimoniaux.[152] Comblé d’honneurs par lui, il reçut la dignité de Magistros et pour résidence des bourgades et des villes en Mésopotamie dont il lui conféra la propriété par patente et l’anneau d’or avec le droit de la transmettre de génération en génération, à perpétuité.[153]

Les notables d’Ani, voyant que Kakig était prisonnier chez les Grecs, conçurent le projet de donner leur ville soit à David,[154] soit à l’émir de Tèvin[155] qui avait épousé sa sœur, soit à Pakarad, roi des Aph’khaz.[156] Le patriarche Pierre, instruit de ce dessein et sentant que, n’importe à qui elle appartiendrait, c’en était fait d’Ani, expédia au gouverneur des provinces orientales,[157] en résidence à Samosate, ville que l’on dit avoir été bâtie dans l’antiquité par Samson, une lettre conçue en ces termes: « Informe l’empereur que s’il consent à nous donner quelque chose en retour, je lui livrerai Ani avec les autres forteresses du royaume. « Celui-ci, après en avoir pris lecture, se hâta de porter ces propositions à la connaissance de son souverain. L’empereur les accueillit favorablement et récompensa Pierre par des sommes d’argent et le gouvernement de la ville. C’est de la sorte que les Grecs devinrent maîtres d’Ani et de tout le district de Schirag.

Cependant Kakig était toujours auprès de l’empereur, ne recevant aucune compensation. Cédant enfin à un sentiment d’humanité, celui-ci lui concéda quelques lieux de son choix[158] d’une valeur bien petite en comparaison d’Ani et du reste du territoire, tandis qu’il avait comblé le catholicos de faveurs et de présents sans nombre pour lui avoir livré la ville. Par son ordre, Kakig épousa la fille de David, fils de Sénékhérim, et entra en possession de ses domaines, David étant mort sans laisser d’autre héritier.

Un prince, du nom de Iasitas (Àcid), qui avait été auparavant gouverneur d’Orient, fut envoyé par l’empereur en qualité de lieutenant à Ani. Il entoura le catholicos Pierre de marques d’honneur sans mesure, remit en ses mains l’administration du pays et marcha en personne avec une armée considérable contre Tévïn.[159] Aboul’ Séwar (Abousvar) qui en était émir, engagea avec lui un combat aux portes de la ville et fit essuyer à ses troupes un immense massacre. Là périt l’illustre prince arménien Vahram avec son fils. Leur mort causa un deuil profond en Arménie. Iasitas fut remplacé dans son gouvernement par Catacalôn (Gaménas)[160] en l’année 493 de notre ère (10 mars 1044 -9 mars 1045). Au lieu de prodiguer des honneurs au patriarche comme son prédécesseur, il se plaignit de lui auprès de l’empereur et l’éloigna d’Ani à l’aide du stratagème suivant: L’empereur, lui dit-il, t’assigne pour résidence le bourg d’Ardzen dans le district de Garin. Le patriarche vint donc habiter au sein de notre populeuse et commerçante cité, où sa présence ardemment désirée remplit d’une grande joie tous ceux qui le virent. Cependant l’époque de la sainte solennité de l’Épiphanie du Seigneur approchait. Le jour de la fête étant arrivé, Pierre, accompagné d’une multitude immense de peuple, entra dans le torrent aux flots rapides qui descend des montagnes bornant la plaine du côté du nord, et y célébra le mystère du jour avec pompe, ainsi qu’il convenait. Au moment où il versait l’huile consacrée dans le torrent, un dadjig sortant du milieu de la foule demanda à être baptisé dans l’eau. Le patriarche l’ayant questionné sur le motif qui le poussait à adresser cette demande, et ayant appris de lui qu’il désirait se faire chrétien, il l’invita à descendre dans le fleuve. Près de lui un ministre qui portait le myron,[161] en tirant le flacon où il était renfermé, le choqua fortement et le brisa; aussitôt l’huile se répandit en abondance sur le néophyte et dans l’eau. Un éclat de verre l’ayant déchiré rudement lui-même à la main, un ruisseau de sang coula de sa blessure sur la terre. A cette vue, plusieurs jugeant les choses avec discernement, dirent que ce n’était pas un bon signe. Leur prévision s’accomplit le jour même. Pendant que le patriarche dînait à table avec les siens, arrivèrent des émissaires qui s’emparèrent de sa personne et le conduisirent dans la forteresse de Khagh’do’-Aridj. Ensuite on amena d’Arménie son neveu (le fils de sa sœur), Khatchig qu’on confina dans la forteresse de Siav-K’ar (Pierre Noire).[162] Tous deux restèrent ainsi enfermés jusqu’à l’approche de Pâques. Alors ils furent retirés de prison et transportés à Constantinople pour paraître devant l’empereur. Un eunuque[163] associé à l’empire, avait déjà auparavant emmené avec lui Anania le prêtre, frère de Khatchig.

 

CHAPITRE XI.

Massacre dans le district de Pacen et sur la montagne de Sempad.

Dans cette même année, les portes de la colère céleste furent ouvertes sur notre pays. Des troupes sortirent en grand nombre du Turkestan, montées sur des chevaux rapides comme l’aigle, aux sabots durs comme la pierre; leurs arcs étaient tendus et leurs flèches acérées. Les soldats portaient autour des reins de fortes ceintures et aux pieds des chaussures dont il est impossible de délier les cordons.[164] Arrivés sur le territoire du Vasbouragan, ils fondirent sur les chrétiens comme des Loups pressés par une faim que la pâture n’a point assouvie. De là, ils pénétrèrent dans le district de Pacen jusqu’au village de Vagh’arschavan[165] et ruinèrent de fond en comble vingt-quatre districts par le fer, le feu et l’esclavage. Histoire lamentable, digne de longs gémissements et de larmes! Ils accoururent comme des lions, et, semblables à des lionceaux, ils abandonnèrent sans pitié nombre de cadavres à la merci des animaux sauvages et des oiseaux du ciel. Ils voulaient par cette entreprise hardie pousser jusqu’à la ville de Garin. Mais Celui qui a posé une limite à la mer en disant: « Tu viendras jusqu’ici et tu n’iras pas plus loin, là tes flots brisés rentreront dans ton sein, » étendit devant eux d’épaisses ténèbres et les égara de leur route. Il en agit ainsi dans sa sagesse ineffable, afin que la peur qu’ils nous inspiraient nous servît d’avertissement, et qu’ils apprissent eux-mêmes que ce n’était point à leurs propres forces qu’ils devaient leurs succès, mais qu’ils reconnussent que le bras dont la puissance les avait arrêtés était le même que celui qui leur avait ouvert la route …

Lorsque la colère éclata, que l’incendie s’alluma, et que d’effroyables calamités vinrent à se soulever, consternés de peur, agités de tremblements convulsifs, nous avons été en proie à l’épouvante. Cependant Dieu prit pitié de nous, déroba dans l’obscurité la route aux infidèles et arrêta leur marche dévastatrice. Nous n’avons pas compris le bienfait et nous avons manqué à la reconnaissance. Le châtiment infligé à nos frères aurait dû nous rendre plus sages … Mais nous avons fait ce qu’Amos reprochait aux enfants d’Israël, qui buvaient du vin pur, s’oignaient d’huiles aux douces senteurs et s’asseyaient sur des sièges d’ivoire, sans nul souci de la ruine de Joseph …

En effet, en l’année 497 (9 mars 1048 - 8 mars 1049) de l’ère arménienne, qui était la deuxième de notre servitude, la lie amère pleine d’aigreur soulevée pour la seconde fois par la nation des Perses, avec d’épouvantables ondulations, vint se déverser sur la vaste pleine de Pacen et de Garin. Le torrent occupa de ses flots les quatre coins du pays: à l’ouest, jusqu’au district de Khagh’dik’; au nord, jusqu’à Sber,[166] aux forteresses du Daïk’ et de l’Arscharounik,[167] au sud, jusqu’à Darôn, au district de Haschdiank’[168] et à la forêt de Khortzên. L’inondation, s’étant localisée, s’arrêta pendant treize jours, après quoi, s’étendant comme une mer, elle couvrit les montagnes, les lieux boisés et la surface entière de la contrée. Ce torrent me semble être le vin pur que, dans sa vision, Jérémie enfant versa dans une coupe d’or aux rois, aux nations, aux villes, aux princes et à leurs armées pour les enivrer. L’inondation gagna ensuite le territoire de Siçag.[169] Les événements sont l’accomplissement évident de la prophétie; car la nation ai but de ce vin pur et fut saisie d’une ivresse pernicieuse. Étourdie par le vin, elle perdit la raison, parce qu’elle but jusqu’à ce que la coupe fût épuisée. Maintenant étendue au milieu des carrefours des routes dans une honteuse nudité, les passants la foulent aux pieds et l’outragent. Ses enfants, arrachés de leurs demeures, enlevés à leurs connaissances, éloignés de leurs proches, de leurs amis et de leurs parents, sont prisonniers et esclaves de toutes les nations.

Le moment est venu de rappeler cette allégorie du prophète:

« Le ver a dévoré le reste de la chenille, la sauterelle le reste du ver, et le scarabée celui de la sauterelle. » Elle convient parfaitement à mon sujet, car toutes les prédictions des prophètes se sont accomplies chez nous. Le ver et la chenille ont disparu, mais la sauterelle et le scarabée, ce sont les nations qui font le sujet de notre récit. En effet, quand, la première fois, les Perses avec d’autres peuples barbares et païens, après avoir envahi l’Arménie, ruiné, par l’extermination des habitants, quantité de districts, enlevé du butin et des esclaves en nombre considérable, rentrèrent dans leur pays, ils portèrent la bonne nouvelle aux nations et aux royaumes en leur adressant cet appel du prophète: « Venez, bêtes du désert, dévorez tout ce qui est dans la forêt. » Donc, dans le cours de l’année suivante, il se rassembla, comme des aigles sur une proie, des masses innombrables de soldats armés d’arcs et d’épées qui se précipitèrent avec un élan extraordinaire sur notre pays, dans le mois de septembre, le jour de la quatrième férie de la fête de l’Exaltation de la sainte croix.[170]

Ici notre histoire se perd en lamentations et en gémissements Car nos villes ont été détruites, nos maisons livrées aux flammes, les palais transformés en fournaises, et les portiques des habitations des rois réduits en cendres. Les hommes ont été égorgés sur les places publiques, les femmes emmenées en esclavage loin de leurs demeures, les enfants à la mamelle brisés contre la pierre, les gracieux visages des adolescents flétris, les vierges déshonorées à la vue de tout le monde, les jeunes gens massacrés sous les yeux des vieillards, les vénérables cheveux blancs de ceux-ci souillés de sang et de carnage, et leurs cadavres jetés contre terre. Les glaives des ennemis se sont émoussés, leurs bras ont défailli; les cordes de leurs arcs se sont rompues, les flèches épuisées dans leurs carquois, eux-mêmes se sont fatigués, mais la pitié n’a point pénétré dans leurs cœurs.

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Oh! combien fut lugubre la lumière de ce jour-là! La lumière qui, le premier jour, reçut du Verbe de Dieu l’existence immatérielle, fut revêtue, le quatrième, d’une enveloppe corporelle et divisée en deux luminaires, pour présider au jour et à la nuit, et guider le monde jusqu’à la fin; l’un invitant l’homme au travail le matin, l’autre rendant la liberté aux bêtes fauves. Ce jour-là, la lumière de midi, s’étant convertie pour nous en ténèbres, la nuit se fit, les cruels peuples païens qui anciennement rugissaient dans leurs repaires, selon l’expression du prophète, et demandaient aux troupeaux de Dieu leur nourriture, s’élancèrent sur l’Arménie dont ils occupèrent la surface entière. Ils y trouvèrent une proie abondante, et après s’en être rassasiés eux-mêmes, ils en laissèrent encore à leurs enfants pour de longues années. En effet, quoique tous les lieux par lesquels ils passèrent leur offrissent un ample butin, car notre pays se présentait à eux comme un jardin de délices, rempli de fruits, ils en rencontrèrent bien davantage dans le district de Mananagh’i, sur la montagne connue sous le nom de montagne et forteresse de Sempad, parce que là était rassemblée une multitude innombrable de fuyards et d’animaux. Les infidèles survenant attaquèrent la forteresse qu’ils détruisirent, et pénétrant dans l’intérieur, l’épée à la main, ils exterminèrent tout ce qui s’y trouvait.

Alors ce fut un spectacle déchirant et digne de longues lamentations, car ceux qui tombaient entre leurs mains étaient égorgés sous le tranchant du glaive, ceux qui se retiraient dans les lieux escarpés pour s’y fortifier expiraient percés de flèches, d’autres en grand nombre, en gagnant les cavernes, étaient écrasés sous d’énormes quartiers de rochers; leurs cadavres roulant les uns sur les autres, et s’entassant comme des monceaux de bois, remplissaient la vallée en face. O jour cruel! néfaste lumière! Les braves, couverts de leur armure, frémissaient de dépit, les lâches défaillaient, les efféminés perdaient la raison et les jeunes gens bondissaient de colère, mais sans pouvoir imaginer une issue, car les ennemis les cernaient de toutes parts. Il n’y eut plus d’amitié pour ceux à qui elle est due, ni de compassion pour les amis. Le père oublia sa pitié pour ses fils, la mère sa tendresse pour ses nouveau-nés, la nouvelle épouse ne se rappela plus l’amour de son mari, ni le mari les grâces attrayantes de sa femme, les ministres cessèrent leurs cantiques, et le chant des psaumes expira sur les lèvres des clercs. Tous furent saisis d’un même tremblement d’effroi. Par suite de la violence de leur désespoir, nombre de femmes enceintes accouchèrent d’enfants abortifs. De cette manière, les infidèles, semblables à une troupe de chasseurs, tinrent toute la montagne dans leurs filets, jusqu’à ce que leur force faiblît et les abandonnât entièrement.

Vers le soir, emmenant leur butin, leurs prisonniers et les dépouilles des morts, ils se retirèrent. Mais après leur départ, ce fut une scène horrible et bien autrement digne de pitié et de larmes que celle que nous venons de décrire, car la mort s’y montrait sous des aspects multiples. Parmi ceux qui couvraient le sol de leurs corps, les uns vivaient encore, et leur langue desséchée par la soif demandait d’une voix grêle et entrecoupée de quoi en calmer les ardeurs, mais il n’y avait là personne pour le leur donner; d’autres déchirés par d’affreuses plaies et incapables d’articuler une parole, soufflaient avec force. Ceux-ci dont la gorge était coupée, à moitié morts, râlaient péniblement; ceux-là, irrités par la douleur que leur causaient leurs blessures, frappaient du pied et grattaient la terre avec les ongles de leurs mains. Cependant, il y avait encore quelque chose de plus épouvantable, de nature à tirer des gémissements et des sanglots aux pierres et aux autres créatures inanimées. Quand les infidèles emmenèrent de la montagne leurs prisonniers, ils arrachèrent les enfants des bras de leurs mères et les lancèrent sur le sol; le nombre en était si considérable que leur camp en était tout jonché. Les uns furent broyés contre la pierre, d’autres eurent les flancs entr’ouverts, et leurs entrailles se répandirent sur la terre. Mais quelles oreilles pourraient supporter les lamentations de ceux qui survivaient! Ceux qui étaient assez forts pour se soutenir sur leurs pieds, errant de côté et d’autre, demandaient leurs mères, et les échos de la montagne répétaient les cris de leurs sanglots; d’autres, dont les jambes n’étaient pas suffisamment affermies, rampaient sur leurs genoux; d’autres, d’un âge plus tendre, se traînant lourdement avec leurs pieds, essoufflés par la fatigue, n’avaient pas la force de respirer. Par leurs lamentations et leurs cris ininterrompus, ils ressemblaient à de jeunes agneaux nouvellement séparés de leurs mères, qui vont et viennent, emportés par l’instabilité et l’impatience de leur nature. La continuité de leurs plaintes fendit l’air et déchirait les oreilles … [171]Mais arrêtons ici cette histoire, quoique nous n’ayons raconté qu’une bien petite partie des désastres dont cette montagne fut le théâtre, reprenons la suite de notre récit. Je veux, autant que mes forces me le permettront, prolonger les accents de la douleur, provoquer les larmes de tous ceux qui me liront, et demander aux pleureuses à s’unir à Jérémie pour composer avec nous des lamentations, car je ne raconte pas seulement l’histoire de montagnes, de cavernes et de déserts, asiles de fugitifs obscurs.

CHAPITRE XII.

Cruel sac d’Ardzen.[172]

Mais encore celle d’une ville, et quelle ville! qui par sa splendeur et sa magnificence se distinguait entre toutes celles des provinces, comme une cité bâtie au sommet des montagnes. La mer et le continent enfantaient et portaient dans son sein leurs produits variés, ainsi que s’exprimait le sublime Isaïe en parlant de Jérusalem. Donc autrefois, pendant qu’Ardzen nageait dans l’abondance des biens, tout en elle était à souhait. Elle ressemblait à l’épouse nouvellement mariée dont l’élégante beauté et la brillante parure provoquent les désirs. Car les princes étaient bienveillants pour les autres hommes, les juges équitables et intègres. Les marchands construisaient et embellissaient des églises, logeaient et recueillaient les moines, et, nourrissaient charitablement les pauvres. Le mensonge ne pénétrait point dans les marchés ni la fraude dans les échanges commerciaux. Les gains provenant de l’usure ou de transactions illicites étaient frappés de réprobation, et les offrandes de ceux qui se livraient à ces opérations, méprisées et dédaignées. Toute la population rivalisait à l’envi de piété. Les prêtres marchaient dans la sainteté, aimaient la prière et accomplissaient fidèlement les fonctions du ministère ecclésiastique. Aussi ses marchands étaient renommés, et elle avait pour protecteurs les rois des nations. Semblable à une pierre d’un grand prix qui répand une lumière étincelante, notre ville brillait au milieu des autres cités avec une beauté parfaite enrichie de toutes sortes d’ornements.

Mais du jour où les Sék’ariens[173] et les Pyrrhoniens[174] entrèrent dans nos églises, la justice se transforma en iniquité, l’amour de l’argent fut plus en honneur que l’amour de Dieu, et Mammon préféré au Christ. La sagesse et la discipline perverties firent place au désordre. Les princes devinrent les associés des voleurs, vindicatifs et esclaves de l’argent; les juges, dépravés par la corruption, faussaient la justice pour des présents, refusaient le jugement aux orphelins et ne daignaient pas le faire descendre sur les veuves. L’usure et les gains illicites furent érigés en coutume ainsi que la multiplication du blé qui épuise la terre et empêche son sein de donner du fruit en son temps pour la nourriture de l’homme. Celui qui trompait son prochain se vantait d’être habile et le ravisseur disait:

« Je suis fort. Les riches expulsaient les pauvres de la maison qu’ils habitaient conjointement, et enlevaient la pierre qui formait la limite des champs de leurs voisins, sans vouloir laisser arriver jusqu’à eux les malédictions de Dieu écrites par la main de Moïse, son serviteur: « Maudit celui qui ravit le champ de son voisin, » ni ces terribles imprécations lancées par Isaïe contre ceux qui se rendent coupables de ce crime: « Malheur à ceux qui joignent des maisons à des maisons, ajoutent des champs à des champs, et dépouillent leur prochain, car toutes ces iniquités sont montées jusqu’aux oreilles de Dieu, » et la suite que je passe sous silence, ni rappeler à leur souvenir la vigne de Naboth et le châtiment infligé à Jézabel pour l’avoir ravie, châtiment dont le bruit retentit encore par tout le monde. Les prêtres avaient perdu la crainte de Dieu et le zèle de la sainteté. Ils n’approchaient de l’autel que parce qu’ils y étaient forcés, et célébraient l’ineffable mystère qui est redoutable aux anges et plus juste titre aux hommes, conduits plutôt par l’appât de l’argent que par l’amour de Dieu, oubliant ces paroles du Psaume: « Ceux-là seront méprisés qui sont élus par l’argent. »

Dirai-je aussi ce qui est à la charge des femmes? Le langage d’Isaïe suffira sans qu’il soit besoin de nos propres paroles. Voici comment il reproche aux femmes de Jérusalem leur amour déréglé de la parure: « Parce que les filles de Sion, dit-il, se sont abandonnées à l’orgueil et ont marché la tête haute. » Il commence par attaquer la racine de tous les maux, je veux dire l’orgueil qui en est le principe et la source, qui transforme les hommes en démons et les fait participer aux mêmes châtiments. Ce vice pernicieux pour le genre humain l’est bien plus encore pour l’espèce féminine. C’est pourquoi jugeant d’abord les femmes, il énumère successivement les queues des robes traînant par terre, les pendants d’oreilles, les anneaux, les bracelets, les voiles, les colliers, etc. Mais écoute le châtiment qu’il leur annonce: La calvitie remplacera les ornements d’or qui chargeaient leurs têtes; » en effet, les ennemis, après leur avoir dépouillé la tête de leurs joyaux, leur rasèrent les cheveux par forme de mépris. « Au lieu de ceintures dorées, on leur attachera des cordes autour des reins; au lieu d’habits précieux, elles seront revêtues d’un sac; » or, voilà que les vainqueurs leur ont apporté la servitude laquelle elles s’étaient préparée …….... Nous étant rendus coupables d’offenses semblables, il fallait que nous su bissions une correction pareille ………………………….

Mais qui pourrait retracer le récit de la multiplicité et de l’énormité des maux que notre ville a endurés! Il est écrit au sujet des Sodomites que lorsque le soleil parut sur la terre, le Seigneur fit pleuvoir sur Sodome le feu et le soufre et la réduisit en cendres. De même, au lever du soleil, des masses d’infidèles fondirent sur Ardzen comme des chiens affamés et la cernèrent de toutes parts; puis pénétrant dans la ville, comme les faucheurs au milieu de la moisson, l’épée à la main, ils moissonnèrent jusqu’à ce qu’il ne restât plus un être vivant dans ses murs. Quant à ceux qui se réfugièrent dans des maisons ou des églises, ils les livrèrent aux flammes sans miséricorde, estimant que c’était une bonne œuvre, suivant cette prédiction du Sauveur: « Il viendra un temps où quiconque vous tuera croira maintenir un culte à Dieu, » et il en donne lui-même la raison en disant: « Ils vous traiteront ainsi à cause de mon nom, parce qu’ils ne me connaissent pas. »

L’atmosphère elle-même apporta son concours à cette journée de destruction. Un vent violent, s’étant mis à souffler, propagea l’incendie à tel point que la fumée, s’élevant dans l’air comme un arbre, montait jusqu’au ciel, et que l’éclat des gerbes de lumière lancées par le brasier faisait pâlir les rayons du soleil. Alors Ardzen présenta un spectacle de pitié et d’épouvantable horreur. La ville entière, les voies marchandes, les rues étroites et les vastes portiques étaient jonchés de cadavres. Mais qui pourrait compter le nombre des victimes de l’incendie? Tous ceux qui, fuyant les éclairs du sabre, s’étaient allés cacher dans des maisons, périrent dans les flammes. Les infidèles livrèrent au feu les prêtres qu’ils surprirent dans les églises, massacrèrent la plupart de ceux qu’ils rencontrèrent dehors et leur placèrent de gros pourceaux entre les bras, en signe de mépris pour nous et pour exciter les risées et les moqueries des témoins de ces scènes. Le nombre des prêtres qui périrent par le fer ou le feu dépasse, d’après nos recherches, cent cinquante, tous chefs de diocèse ou d’Église. Et quelle intelligence pourrait calculer le chiffre des prêtres étrangers de tous pays qui se trouvaient dans Ardzen![175]

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Arrêtons ici le triste tableau des malheurs d’Ardzen. Il ne nous a pas été possible de retracer tous les désastres qu’elle a essuyés. A celui qui en voudra savoir davantage, les ruines de cette cité lui apprendront ce que nous avons omis.

Telle est l’histoire lamentable de la montagne de Sempad et de la ville d’Ardzen. Nous n’avons écrit que ce que nous avons vu de nos propres yeux et les épreuves par lesquelles nous avons nous-même passé. Mais quelle imagination concevrait les calamités dont furent affligés d’autres districts et d’autres cités! il faudrait pour les raconter beaucoup de temps et d’espace, tandis que nous avons abrégé autant que nous l’avons pu.

CHAPITRE XIII.

Grande bataille dans la vaste plaine de Pacen. — Défaite des Romains.

Isaïe, prophétisant la ruine de l’Egypte, disait: « Les princes de Tanis (Tajan) qui étaient les sages conseillers du roi ont perdu la raison. La même chose eut lieu chez nous. La cavalerie grecque chargée de la garde de l’Orient était considérable; elle s’élevait, dit-on, à 60.000 hommes, et avait pour chefs Gaménas, nom qui signifie feu (Catacalên Ambustus), gouverneur d’Arménie, Aaron, fils d’un Bulgare,[176] gouverneur du Vasbouragan, Grégoire, prince arménien, revêtu de la dignité de magistros. Mais, ainsi que s’expriment les saintes Ecritures, la polygarchie engendre la confusion, est contraire au bon ordre et conduit à une ruine prochaine; c’est ce qui leur arriva. Ils auraient dû, d’un commun accord, invoquer le secours du Vainqueur dans les combats, du Seigneur Dieu, selon l’usage des anciens guerriers. « Car ce n’est point par sa propre vertu que le vainqueur remporte la victoire; c’est le Seigneur qui brise la force de l’ennemi. Eux ne pensaient pas de la sorte; mais celui qui devait pécher, péchait. Ils s’imaginaient pouvoir, avec leur habileté d’homme, éteindre la flamme du terrible incendie. C’est pourquoi des discussions s’étant élevées entre eux, ils ne voulurent point se soumettre aux avis l’un de l’autre; car Dieu avait enlevé la sagesse de leurs conseils parce que ce n’était pas lui qu’ils appelaient à leur aide, ainsi qu’il résulte clairement de leurs actes. En effet, ils sollicitèrent l’assistance de Libarid,[177] après avoir, tourmentés du même mal que Satil, consulté une magicienne, ou comme les Juifs chargeant leurs trésors sur des chameaux et les transportant chez une nation dont ils n’avaient aucun secours à espérer. Ils avaient oublié David combattant contre la montagne de chair qui injuriait Israël par ses insolentes bravades, et dont une seule pierre de sa fronde suffit pour briser le crâne; ils avaient oublié Ezéchias renversant par la seule puissance de ses prières 18.000 Assyriens sous le glaive invisible de l’ange.

Libarid vint donc après des instances réitérées et avoir reçu de nombreux et riches présents, mais sa présence ne servit à rien, parce qu’ils ne s’entendirent point entre eux. C’est pourquoi la mêlée s’étant engagée[178] le fils du Bulgare, tournant le dos avec les siens, abandonna le champ libre aux ennemis. Ceux-ci, poussant de grands cris et s’excitant les uns les autres, cernèrent Libarid et ses valeureux soldats dont ils tuèrent un certain nombre, puis ayant tranché d’un coup de sabre les jarrets de son cheval, ils se saisirent de lui.[179] A cette vue, les autres corps de l’armée prirent la fuite.[180] L’ennemi, s’élançant à, leur poursuite, en fit un immense massacre; les uns périrent sous le glaive, d’autres en grande quantité, par suite de l’obscurité de la nuit qui survint, furent jetés dans les précipices et les cavernes; le reste, proie sans défense, se sauva, avec les fantassins, là où il put. Les infidèles, chargés d’un incommensurable butin, étaient dans la joie; les nôtres au contraire pleuraient et gémissaient. Ce jour là, semblables à des chiens amis des cadavres ou à des loups arabes, ils ne furent rassasiés du sang des chrétiens que lorsqu’ils eurent exterminé tous ceux qui tombèrent sous leurs mains. Le sol fut comme un champ au temps de la moisson, où, derrière les moissonneurs, des hommes enlèvent les gerbes, ne laissant après eux (que des épis égarés) pour le glaneur et le chaume pour la pâture des animaux domestiques. Après la victoire, ils rentrèrent chez eux suivis de leurs prisonniers et d’un butin prodigieux dont ils remplirent tout leur pays. Ils offrirent au khalife le prince géorgien, comme le prisonnier le plus noble et le présent le plus agréable. Celui-ci l’accueillit favorablement et le renvoya en paix dans sa patrie, comblé des marques de sa libéralité.[181] Tels sont les événements accomplis jusqu’ici.

CHAPITRE XIV.

Séjour du patriarche Pierre à Constantinople[182] — Son départ.

L’empereur, en le voyant, l’accueillit avec des témoignages nombreux d’honneur et de distinction, et lui assigna une pension considérable.[183] Néanmoins, il le retint trois ans auprès de lui, dans la crainte que s’il le laissait retourner en Arménie, il ne soulevât la ville d’Ani. Enfin, Adom, fils de Sénékhérim,[184] s’étant fait son répondant auprès de l’empereur[185] l’emmena dans sa ville de Sébaste où il lui donna pour demeure le monastère de Sainte Croix qu’il s’était construit,[186] et avait embelli et décoré d’ornements variés et splendides.[187] Il y vécut deux ans et mourut dans le Seigneur.[188] A sa place on éleva sur le siège Khatchig, son neveu, qui avait reçu la consécration patriarcale depuis longtemps.[189] A cette nouvelle, l’empereur Constantin Ducas envoya des émissaires qui amenèrent le nouveau patriarche à Constantinople avec tous les trésors qu’ils purent trouver tant à Sébaste qu’en Arménie; car Pierre aimait beaucoup l’argent[190] ce dont nombre de personnes le blâmaient. Après un séjour de trois ans, le seigneur Khatchig, relâché de la capitale,[191] se rendit sur les confins de la deuxième Arménie, dans le district de Darenda’ où il fixa sa résidence, selon l’ordre qui lui en avait été prescrit.

On ne l’avait retenu si longtemps à Constantinople que dans le dessein de lui imposer un tribut. Khatchig s’y refusa en disant:

« Ceci n’a jamais été fait jusqu’à présent et je ne m’y soumettrai pas moi-même. Les prières et autres moyens de persuasion étant restés sans effet, l’empereur en vint aux menaces. « Tu ne sortiras pas de Constantinople, lui dit-il, si tu ne consens à ma requête. » Mais le bienheureux patriarche et successeur de notre grand Illuminateur, sans se laisser intimider par ces paroles, resta inébranlable dans son refus. Alors deux grecs, l’un prince, l’autre moine, s’étant présentés, soit pour exciter sa jalousie, soit guidés par le désir réel de l’obtenir, je l’ignore, sollicitèrent le gouvernement de l’église d’Arménie, en promettant de payer le tribut. Tous deux furent exterminés misérablement. Touché de regret, l’empereur le congédia sans exiger de tribut, et lui confirma par patente et l’anneau d’or la possession de tous les lieux appartenant à lui et à son oncle, en Arménie; à quoi il ajouta deux monastères situés dans le district de Darenda’.

CHAPITRE XV.

Désastre épouvantable dont fut frappée l’opulente ville de Gars.[192]

Depuis très longtemps cette ville n’avait point subi l’épreuve du malheur. Aussi ses habitants, insoucieux et sans défiance, vivaient tranquillement au sein des richesses de toutes sortes amassées de la terre et de la mer. Or, voilà que dans la nuit de la grande fête de l’Épiphanie de Notre Seigneur, pendant que de leurs voix joyeuses, des chœurs de prêtres, au milieu d’un peuple pressé et nombreux, célébraient la solennité du jour, l’armée des infidèles fondit tout à coup sur Gars. Comme la ville était dépourvue de gardes de nuit, ils y entrèrent, et, l’épée à la main, exterminèrent impitoyablement tout ce qu’ils rencontrèrent. Histoire vraiment lamentable! Dans les villes, il est d’usage qu’aux fêtes du Seigneur, les hommes, les femmes, les vieillards et les enfants se parent de tous leurs ornements, selon leur fortune et leurs moyens, ce qui donne aux cités l’aspect de parterres de fleurs au printemps. Les infidèles ayant trouvé les habitants de Gars ainsi parés, la ville fut en un instant remplie de cris et de lamentations. Ils massacrèrent les prêtres au milieu des cérémonies, étouffèrent le chant des psaumes dans la bouche des chantres; les cantiques de louanges expirèrent sur les lèvres des clercs et des enfants. Alors s’offrit un spectacle horrible, capable d’arracher des gémissements et des sanglots aux êtres inanimés et aux pierres, non pas seulement aux créatures sensibles et animées: les opulents et riches marchands livrés à une mort affreuse, les jeunes gens et les lutteurs égorgés par le glaive dans les rues, puis, tout souillés de sang, les vénérables cheveux blancs des vieillards tombés à leurs côtés. Par ces hécatombes, toute la ville fut épuisée d’habitants. Il n’échappa que ceux qui réussirent à atteindre la forteresse qui domine la ville. Les Turcs passèrent tout le jour à fouiller les maisons, ensuite ils incendièrent la ville et s’en retournèrent dans leur pays, emmenant leurs prisonniers et le butin recueilli à Gars.[193]

CHAPITRE XVI.

Arrivée du sultan.

A la suite de ces événements, au commencement de l’année 503 de notre ère (8 mars 1054 - 7 mars 1055), dans le même mois et le même quantième du mois où, précédemment, les Turcs avaient ravagé notre pays, emmené une partie des habitants en esclavage, brûlé Ardzen avec d’autres villes et villages, le sultan, bête meurtrière avide de sang et de carnage, arriva avec une armée innombrable, des éléphants, des chars et des chevaux, des femmes, des enfants, et un matériel considérable. Après avoir traversé les districts d’Ardjèsch et de Pergri, il vint camper autour de la ville de Manazguerd, dans le district d’Abahounik’, et s’empara de toute la campagne environnante à une grande distance. Il lança des détachements envahisseurs dans trois directions: au nord, jusqu’aux forteresses des Aph’khaz, à la montagne de Barkhar[194] et au pied du Caucase; à l’ouest, jusqu’à la forêt de Djaneth,[195] au sud, jusqu’au mont Sim.[196] Ses soldats occupèrent ainsi tout le territoire, comme des moissonneurs qui recueillent les gerbes dans le champ.

Quelle plume pourrait retracer, quelle intelligence pourrait calculer les désastres qui, à cette époque, fondirent avec eux sur l’Arménie! Partout, sur la surface du pays, on ne voyait que cadavres, dans les villages comme dans les lieux inhabités, sur les routes et dans les endroits écartés, dans les cavernes et sur les rochers, dans l’épaisseur des bois comme sur le sommet des montagnes. Livrant au feu tous les lieux habités, ils détruisaient les maisons et les églises, et la flamme de l’incendie s’élevait plus haut que celle de la fournaise de Babylone. Par ces procédés, ils ruinèrent nos provinces, non pas une fois seulement, mais trois fois de suite qu’ils revinrent l’une après l’autre, jusqu’à ce qu’enfin il ne restât plus un habitant dans toute la contrée et qu’on n’entendît plus un cri de bête.

A ce spectacle, le pays entier prit le deuil et resta consterné du massacre de ses habitants. La joie disparut de la surface de la contrée; ce n’était plus partout que plaintes et gémissements; partout des lamentations et des sanglots mêlés de larmes; nulle part ne résonnent les chants des prêtres; nulle part ne retentissent les louanges de Dieu; on ne lit plus les livres saints pour exhorter ou consoler l’auditoire, parce que les lecteurs ont été exterminés sous le tranchant du glaive au milieu des places publiques, les livres jetés au feu et réduits en cendres; on n’entend plus les concerts des noces, ni les joyeuses annonces de naissances nouvelles; les vieillards ne s’asseyent plus sur leurs sièges dans la place publique, et les enfants ne viennent plus devant eux; les troupeaux ne se rassemblent plus dans les pâturages, les agneaux ne bondissent plus dans les prairies; le moissonneur n’a point les bras remplis par la gerbe et n’entend point les félicitations des passants; le blé n’est point entassé dans l’aire, et le vin ne coule point des pressoirs. On n’entend point les chants de réjouissance au temps de la vendange; les tonneaux ne se chargent point du jus des pots. Tout cela a disparu et n’a point laissé de traces. Quel Jérémie pleurera nos désastres en traînant ses lamentations sur les routes et les montagnes? Quel Isaïe résistera à la voix de ceux qui le consolent pour se rassasier de gémissements?

Malheur à moi qui raconte ces choses! Semblable au jeune homme d’Hymen[197] je suis devenu un messager de mauvaises nouvelles, non pas seulement pour un village ou une ville, mais pour le monde entier, de générations en générations, jusqu’à la fin des siècles! Car il n’est point de temps, il n’est point d’histoire qui puisse faire oublier les nôtres, si ce n’est ce que les livres saints nous prédisent de l’Abominable du désert.[198] Que ferai-je donc? laisserai-je derrière moi les épouvantables malheurs dont les chrétiens furent victimes, pour vous en épargner le récit? ou bien exciterai-je vos soupirs et vos gémissements à vous tous qui lirez le récit de cette déchirante histoire? Je sais ce que vous désirez. C’est pourquoi, mettant de côté ma paresse naturelle, je raconterai les calamités indescriptibles qui frappèrent les lieux les plus remarquables successivement.

Quand je me rappelle Khortzian et Hantzêth,[199] et les événements dont ces districts furent le théâtre mes yeux s’inondent de larmes, mon cœur oppressé étouffe, mes pensées s’égarent, ma main agitée et tremblante ne peut plus continuer la phrase et la ligne commencées.

Un nombre incalculable d’habitants des districts mention nés plus haut s’étaient réfugiés dans ceux-ci, parce qu’ils étaient mieux fortifiés. Les infidèles, survenant avec la rapidité de l’oiseau et la cruauté inhumaine de la bête féroce, bouillant de rage, comme des vengeurs, fouillèrent les cavernes et l’épaisseur des bois, et exterminèrent sans pitié tout ce qu’ils rencontrèrent. Au printemps, lorsque, sous l’influence de la chaleur atmosphérique, l’eau commence à couler, il se précipite du sein de la neige mille et mille ruisseaux qui submergent la plaine devant eux; ainsi des ruisseaux de sang, coulant des cadavres des morts, dans leur marche envahissante sur les pentes du sol, inondaient la terre.

Représente-toi ce qui se passa alors: la foule de moines et de prêtres réfugiés dans ces endroits, la multitude de vieillards et les troupes de jeunes gens dont une barbe naissante ornait les joues comme une gracieuse image, dont les cheveux bouclés brillant sur leur front, semblables à des roses aux vives couleurs, donnaient à leur visage le plus magnifique éclat, tombant tout à coup sous le glaive de l’ennemi, comme des épis frappés par la grêle, et roulant sur la terre qu’ils couvrent de leurs corps. Figure-toi le nombre d’enfants arrachés des bras de leurs mères, lancés violemment contre le sol et les demandant avec des gémissements plaintifs; les parents meurtris de vergés et brutalement séparés de leurs enfants. Quel cœur de pierre ne serait suffoqué par les larmes au récit de la multiplicité de tant de maux divers! Les vierges sont déshonorées, les jeunes épouses enlevées à leurs maris et traînées en esclavage. En un instant le pays où, comme dans une grande ville, fourmillait un peuple nombreux, fut transformé en un désert inhabité. De toute cette population une partie avait été exterminée, l’autre réduite en servitude. O Christ, qui permis alors toutes ces choses! quels malheurs nous avons essuyés! combien était amère la mort à laquelle nous avons été livrés!

Quant aux massacres qui furent commis dans les districts de Terdschan[200] et d’Eguégh’iats et sur le territoire qui les sépare, il n’est personne qui puisse les retracer par écrit. Juge de ce qu’ils durent être par ceux que nous venons de raconter. Ceux des Perses qui envahirent le Daïk’ parvinrent, en subjuguant le pays, jusqu’au grand fleuve appelé Dzorokh[201] et, remontant son cours, opérèrent une descente dans le district de Khagh’dik’, puis ils s’en retournèrent emmenant le butin et les prisonniers faits dans le pays. Arrivé devant la ville et forteresse de Papert,[202] se présente à eux un corps de troupes romaines composé de Francs[203] les deux armées, se heurtant à l’insu l’une de l’autre, se rangèrent en bataille. La miséricorde de Dieu aidant, la victoire demeura aux Romains, qui battirent les ennemis, tuèrent leur général avec nombre de soldats, mirent le reste en déroute, leur reprirent leur butin et leurs prisonniers, mais n’osèrent pas poursuivre les fuyards, de peur de rencontrer une armée trop considérable. Les prisonniers, délivrés des mains des Perses, s’en retournèrent chez eux en bénissant Dieu. Ceux qui se dirigèrent sur l’Arménie massacrèrent ou réduisirent en esclavage tout ce qu’ils trouvèrent sur leur route, puis ils partirent chargés de butin. Parvenus sur le territoire de Vanant, ils furent attaqués par les vaillants généraux de Kakig, fils d’Apas,[204] qui leur firent essuyer beaucoup de mal. Les infidèles, arrivés sur eux, les cernèrent de tous côtés. La longueur du combat et les fatigues d’un effroyable carnage ayant épuisé leurs forces et celles de leurs chevaux, ils ne purent rompre le rempart opposé par l’ennemi, ni s’échapper, et les Perses, l’épée à la main, leur tuèrent trente de leurs plus nobles soldats.

L’un d’eux, nommé Thathoul, homme fort et belliqueux, étant tombé entre les mains des ennemis, fut conduit en présence du sultan. Comme il avait blessé grièvement le fils d’Arsouran, émir des Perses, le sultan, en le voyant, lui dit:

« Si ce jeune homme guérit, je te donnerai la liberté; mais s’il meurt, je t’immolerai à lui. » (Il succomba quelques jours après.) Il répondit: « Si la blessure est de moi, il ne vivra pas; si elle est d’un autre, je l’ignore. » Le sultan, en apprenant qu’il avait cessé de vivre, ordonna de mettre à mort Thathoul, et, lui ayant fait couper le bras droit, il l’envoya à Arsouran, pour le consoler, avec ces mots: « Ton fils n’a pas été tué par le bras d’un lâche. »

Mais pourquoi raconter ainsi, l’une après l’autre, les écrasantes tribulations qu’endurèrent les chrétiens? Quand la mer est battue par des vents violents, un tumulte effroyable tourmente les flots, des monceaux d’écume s’élèvent de toutes parts et s’agitent. La même chose arriva chez nous. Le pays fut tout à coup bouleversé; il ne resta plus un seul lieu de refuge, car la grandeur des maux soufferts avait effacé tout espoir d’existence du cœur de l’homme. Le Sauveur l’avait annoncé longtemps auparavant, lorsque, comparant aux bruits confus de la mer de monstrueuses calamités, il disait que nombre d’hommes, défaillant à leur vue, ne pourraient retenir leurs âmes en eux par suite de leur frayeur et de l’attente des choses qui doivent arriver.

Toi, laissant là toutes ces choses, admire la folie du sultan et l’immense sagesse de Dieu la folie du sultan, qui se vantait d’être tout puissant et l’égal de Dieu même; la sagesse de Dieu, qui se joua de lui par le moyen d’une ville et le renvoya dans son pays couvert de honte. Suis donc attentivement ce que je vais dire. La première fois que, suivi d’une armée innombrable, il vint investir Manazguerd, la ville était dépourvue d’hommes et d’animaux, et, si alors le sultan eût conservé dix jours seulement ses positions, il s’en serait emparé. Mais Dieu, qui n’est pas toujours irrité et dont la haine n’est pas éternelle; Dieu, qui ne nous châtie pas suivant la grandeur de nos fautes, etc., fit naître en son cœur une idée insensée. Au bout de trois jours, il partit avec toute son armée et descendit dans le Dèvaradzo’-Daph’.[205] De là, gagnant la vaste plaine de Pacen, il se présenta devant la forteresse inexpugnable d’Onig, où il aperçut rassemblé tout ce qu’il y avait d’hommes et d’animaux dans la contrée, mais n’osa pas l’attaquer, car rien qu’à la voir, il comprit qu’elle était imprenable, et, passant outre, il parvint aux confins de Pacen, près d’un petit village nommé Ton. Ayant gravi incognito, en compagnie de quelques hommes seulement, une éminence escarpée qui commande Garin, cette ville s’offrit à lui pourvue de tous les moyens de défense; après l’avoir longuement examinée, il retourna sur ses pas. Cependant les habitants de Manazguerd, ne se défiant de rien, sortirent de leur ville et réunirent des approvisionnements considérables pour les hommes et les animaux, car on était alors au temps de la moisson. Pendant que le sultan revenait de ses excursions deçà delà, ils s’étaient relâchés de leur vigilance. Or, voilà que celui-ci arriva bouillant de colère et mit le siège devant la ville. Le prince chargé du gouvernement de Manazguerd, qui était un homme pieux, appela à son aide l’intercession toute-puissante de Dieu par le jeûne et la prière. Ainsi armé de toutes pièces, il puisa dans sa foi un courage et une force intrépides. Il disait à Dieu, comme le Psalmiste: « Je ne craindrai point le méchant parce que toi, Seigneur, tu es avec moi; je ne redouterai point les milliers de soldats qui m’environnent, » et la suite. Puis, s’adressant aux habitants et à la garnison, il les animait en ces termes: « Prenez courage, mes compagnons et mes frères, prenez courage et ne craignez pas; ceci est une œuvre facile à Dieu. Ils viennent à nous avec des chars et des chevaux; mais nous, invoquons le Seigneur, mettons toujours notre gloire en notre Dieu et confessons son saint nom, afin qu’il donne à son peuple la vigueur et la fermeté, lui qui est béni éternellement. » Il exhortait les prêtres à la prière et au chant des psaumes; ceux-ci passaient le jour et la nuit à prier Dieu en de perpétuelles invocations; la croix et la crécelle à la main,[206] sur les remparts, ils suppliaient à haute voix le Seigneur de les secourir dans ce danger. Fatigué de tout ce bruit, le tyran demanda ce que signifiaient ces cris ininterrompus, apprit des savants que c’étaient des invocations des assiégés à Dieu.

Pendant un mois entier qu’il tint Manazguerd assiégée, il donna chaque jour deux assauts à la ville: le premier au lever du jour, le second vers le soir. Mais toi, admire ici la sagesse de Dieu, vois comment il sait de principes contraires tirer un résultat opposé. Donc, tandis que la ville était ainsi plongée dans l’incertitude et exposée au péril, il inspira une bonne pensée au cœur d’un prince perse qui était très avant parmi les familiers du sultan. Tous les projets que formait celui-ci, il les révélait aux habitants, soit de vive voix, soit par écrit. Souvent, il attachait la lettre écrite par lui à la pointe d’une flèche, et, s’approchant des remparts comme pour combattre, il lançait la flèche dans la ville. De cette façon, il communiquait à la garnison tous les plans du siège.

Demain, écrivait-il, l’attaque sera faite dans tel ordre et de telle manière; sur tel point on veut, pendant la nuit, percer le mur intérieurement pour pénétrer dans la ville; quant à vous, restez courageux et fermes, surveillez les lieux et tenez-vous sur vos gardes. »

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Quelque part que les Perses dirigeassent leurs attaques, soit de nuit soit de jour, les assiégés étaient là armés et prêts à les recevoir. Alors, les Perses dressèrent des machines à l’aide desquelles ils combattirent. Parmi les nôtres était un prêtre fort avancé en âge, et très habile dans les arts mécaniques. Il construisit aussi une baliste. Or, quand les ennemis, posant une pierre dans la fronde de leur machine, la lançaient contre la ville, le prêtre en lançait une autre droit en face de la leur, afin que la sienne, rencontrant celle des infidèles, la renvoyât sur eux, Sept fois les Perses renouvelèrent leurs tentatives, mais sans succès, parce que la pierre lancée par le prêtre avait plus de force que la leur.

Ils construisirent donc un engin de guerre d’un autre genre qu’ils appelaient catapulte, machine terrible que quatre cents hommes, disait-on, faisaient manœuvrer. Ils la tendaient à l’aide de grosses cordes, et plaçaient dans les frondes des pierres du poids de 60 livres qu’ils lançaient contre la ville; en avant ils élevèrent un rempart de balles de coton et d’autres matières analogues, en grande quantité, pour empêcher que la pierre du prêtre atteignît leur machine. Après avoir ainsi pris toutes leurs dispositions, ils lancèrent une pierre qui, frappant le mur avec violence, y ouvrit une brèche profonde. Les assiégés, saisis, à cette vue, d’un frémissement de terreur, supplièrent Dieu avec de grands cris et des gémissements de venir à leur secours, tandis que du côté des infidèles se manifestait une vive allégresse. Le matin du deuxième jour, Ordilmêz,[207] général de l’armée perse, se présenta avec ses troupes devant les murs et engagea la lutte contre les nôtres; car c’était un guerrier plein de bravoure. S’étant approché de la brèche avec l’intention de pénétrer de force dans la ville, tout à coup il roula sur lui-même et tomba mort. Aussitôt, ceux qui étaient sur le rempart, jetant un crampon de fer, l’accrochèrent, et, le retirant à eux, l’amenèrent en dedans du mur. Les Perses, à cette vue, rentrèrent dans leur camp le cœur rempli de tristesse, mais dans la ville éclatait une joie immense.

Sur ces entrefaites, un soldat de l’armée romaine prépara du feu à l’aide de naphte et de soufre,[208] et l’ayant renfermé dans un vase en verre, partit sur un cheval de noble race. Homme au cœur mâle et intrépide, n’ayant pour défendre ses épaules qu’un simple bouclier, il franchit la porte de la ville et pénètre dans le camp ennemi en se disant Mandadôr, c’est-à-dire porteur de dépêches, pousse jusqu’à la catapulte et en fait le tour; puis, tirant tout à coup le vase de verre, il le verse sur la machine. Au même instant, le feu s’allume et une flamme violette s’élance au dehors, tandis que le soldat revenait à toute vitesse. A ce spectacle, les infidèles, surpris d’étonnement, montent à cheval et le poursuivent; mais ils ne purent l’atteindre: il rentra dans la place sans avoir reçu la plus légère blessure, grâce à la protection divine. En apprenant ce qui venait de se passer, le sultan, transporté d’une violente colère, donna l’ordre de passer les gardes au fil de l’épée.

Basile,[209] gouverneur de la ville, recommanda à la populace de monter sur les murs, et, par des invectives prolongées, d’outrager et d’injurier le sultan, qui, deux jours après, leva son camp et partit, abandonnant le siège de Manazguerd. Sur sa route il rencontra une ville appelée Ardzguê, située au milieu du lac de Pèznounik’,[210] près de laquelle s’élevait une forteresse inexpugnable.[211] Les habitants de la ville, qui s’étaient réfugiés sur le lac ou dans le fort, se croyaient en sûreté. Mais la bête sanguinaire, ayant découvert un endroit peu profond, soit par escorte de quelqu’un, soit par habileté des siens, ses soldats pénétrèrent dans la ville; l’épée à la main, ils massacrèrent une partie des habitants, après quoi ils partirent, emmenant leur butin et leurs captifs. Cet exploit fut agréable au sultan; cependant, il s’en retourna le cœur plein d’un poignant dépit de n’avoir pu exécuter les plans qu’il avait projetés.[212]

[123] Malgré toutes nos recherches, nous n’avons trouvé nulle part dans les auteurs byzantins, ni ailleurs, le nom du père de Constantin X Monomaque; la source, s’il en existe une, à laquelle a puisé Lasdiverdtsi, nous est complètement inconnue.

[124] Mot que nous avons rendu métonymiquement par chef de la justice. Les auteurs du grand Dictionnaire arménien, en arménien, n’en donnent point la signification exacte; ils se contentent de dire: « Mot obscur, sorte de dignité, comme celle de César, ou de suprématie. » En nous appuyant sur le contexte, nous avons cru y reconnaître, après examen, une transcription avec aphérèse du grec justice, et l’avons traduit en conséquence.

[125] Pour plaire au peuple, Zoé avait été obligée, contre son gré, d’associer à l’empire sa sœur Théodora (Cédrénus, t. II, p. 539-540), elle gouverna de concert avec elle « magna cum laude », un mois environ suivant Glycas, p. 59 trois mois d’après Georges Codinus, De antiq. constantinop., p. 457.

[126] Le canon 33 du IIe concile de Nicée qui défend les troisièmes noces. C’est pourquoi le patriarche Alexis ayant refusé de bénir son mariage, Zoé fut obligée de recourir au ministère d’un prêtre moins scrupuleux sur l’application des lois ecclésiastiques. Aujourd’hui, l’Eglise arménienne, se fondant sur un passage d’une lettre écrite vers la fin du XIIe siècle par Nersès de Lampron, archevêque de Tarse, à Léon II, roi de Cilicie, tolère les troisièmes noces et ne défend que les subséquentes. — Cf. Exercice de la foi chrétienne selon la confession orthodoxe de l’Eglise arménienne, p. 52 et 325.

[127] Constantin, déporté à Mytilène par Jean Orphanotrophe, sous le règne de Michel le Paphlagonien, avait été rappelé plus tard par l’ordre de Zoé.

[128] Georges Maniacès était fils de Gondelias Maniacès et non de Constantin Monomaque (Cédrénus, t. II, p. 500). Peut-être y a-t-il ici une faute de copiste.

[129] Zoé avait envoyé Georges Maniacès dans le midi de l’Italie pour arrêter les progrès sans cesse croissants des Lombards et des Normands.

[130] La bataille où périt Maniacès fut livrée auprès d'Ostrov, dans la Bulgarie. Il venait de mettre en déroute l’armée de l’eunuque Étienne que Monomaque avait chargé du soin de sa défense, lorsqu’il fut atteint tout à coup d’une flèche qui lui traversa la poitrine. Cédrénus et Glycas, comme Lasdiverdtsi, disent qu’il fut trouvé mort « non existante vulneris auctore. »

[131] Constantin Monomaque fut marié à Zoé et proclamé empereur le 14 juin 6550, indiction X, 1042 de l’ère chrétienne. — Cf. Georges Codinus, De antiq. constantinop., p. 157.

[132] C’est-à-dire le royaume d’Ani qui, malgré sa petitesse, était pourtant la portion la plus importante de l’Arménie à cette époque.

[133] Suivant la judicieuse remarque du père Tchamitch, Hist. d’Arm., t. II, p. 1038, par ces expressions la fin de la vie de la maison d’Arménie, » il faut entendre non la mort des deux frères Aschod et Sempad, mais bien l’extinction de la royauté arménienne. En effet, en 1045, année à laquelle nous conduit le calcul de Lasdiverdtsi, Aschod et Sempad avaient déjà cessé de vivre depuis plusieurs années, sans que l’on puisse, avec les documents que nous possédons, fixer en ce moment la date exacte de leur mort.

Suivant Matthieu d’Édesse et le connétable Sempad, Aschod mourut le premier dans l’année 489 de l’ère arménienne (11 mars 1040 - 10 mars 1041), suivi de près par Sempad, décédé en 490 (11 mars 1041 - 10 mars 1042). — Cf. Chron. de Matthieu d’Édesse, trad. franc., chap. un et vi; — Sempad le Connétable, p. 54 et 56.

Vartan, Hist. univ., p. 133, les fait mourir tous deux en 493 (10 mars 1044 - 9 mars 1045). Mais un peu plus loin, p. 136, après avoir raconté la prise d’Ani par Alp Arslan, il ajoute que cet événement eut lieu en l’année 513 (5 mars 1064 - 4 mars 1065), vingt-trois ans après le décès du roi Jean, ce qui nous reporte pour la mort de ce roi à l’année 490, trois ans avant la première date assignée par lui au même fait.

Tchamitch fixe leur mort à l’année 1039, en avance de quelques mois sur les historiens précédents. — Hist. d’Arm., t. II, p. 919 et 1038.

Il est certain, d’après une inscription gravée sur le mur méridional de l’église Ronde ou de Saint Pierre à Ani, reproduite par M. Brosset, dans ses Ruines d’Ani, 1re partie, p. 24, que Sempad était encore vivant en 490. Voici la traduction de cette inscription (celle donnée par M. Brosset renferme une erreur grave échappée de la plume un instant distraite, sans doute, du docte orientaliste). « En 490, sous le patriarcat du seigneur Pierre, catholicos d’Arménie, et sous le règne de Sempad fils de Kakig Schahenschah, moi, Christophe, serviteur de Dieu, m’étant réfugié dans l’assistance de Sourp Pherguitch’ j’ai donné mon (patrimoine) acheté de mes deniers »

Jusqu’à ce que des documents nouveaux et positifs viennent fixer ce fait d’une manière rigoureuse, nous pouvons admettre que Jean Sempad mourut vers la fin de 1041 ou le commencement de 1042.

[134] Constantin IX, fidèle aux recommandations de son frère, avait toujours traité l’Arménie avec bienveillance.

[135] Michel le Paphlagonien.

[136] Ce Sarkis était prince de Siounik’ et avait le titre de Vestès.

[137] C’est-à-dire le district de Schirag qui formait à lui seul tout le royaume d’Ani.

[138] Les Bahlav ou Bahlavouni, ainsi appelés du nom de la ville de Bahl ou Balkh, dans la Bactriane, leur première demeure, étaient issus de la race royale des Arsacides.

[139] Jean Sempad étant mort sans enfants, Kakig, son neveu, jeune homme de dix-sept à dix-neuf ans, lui succéda sur le trône d’Ani, après un interrègne de quelques semaines, en 490 (11 mars 1044 - 10 mars 1045), suivant Samuel d’Ani et Matthieu d’Édesse, ou 494 (10 mars 1042 - 9 mars 1043), suivant Sempad le Connétable, p. 57. D’après Tchamitch, au contraire, il n’aurait été couronné par les satrapes arméniens qu’après un interrègne de deux ans (Hist. d’Arm., t. II, p. 949). Le témoignage des trois historiens précédents doit être préféré comme s’accordant mieux avec les faits que nous venons d’enregistrer. Citons encore pour le confirmer le passage suivant de Guiragos. « A la mort de Jean, dit cet historien, p. 54, les princes et l’armée, de concert avec le catholicos Pierre, se réunirent à la porte de la splendide cathédrale d’Ani, et proclamèrent roi Kakig, fils du frère de Jean, pour régner sur eux, et lui firent le serment solennel de le servir fidèlement. » Ce Kakig est le douzième du nom dans la liste des rois d’Ani.

[140] Cette forteresse intérieure est celle qui existait déjà au temps des Arsacides et qui forma le noyau autour duquel s’aggloméra plus tard la ville d’Ani.

[141] Sourmar’i, Sourmai’, forteresse appelée encore Sourp Mari par Thomas de Medzoph et Étienne Orbélian, et placée par le premier dans le district de Djagadk’. — Cf. Thomas de Medzoph’, Histoire de Tamerlan, édition de M. l’archimandrite G. Schahnazarian. Paris, 1860.

[142] Ces trois invasions mentionnées seulement par Arisdaguès sont racontées avec d’intéressants détails par Matthieu d’Édesse dans les chapitres LXI, LVIII et LXVI de sa Chronique. Dans les deux dernières campagnes les Arméniens battirent complètement les Grecs, à qui ils infligèrent des pertes considérables, et ne consentirent à faire leur soumission que lorsque toute résistance fut devenue inutile.

[143] Nous ne connaissons point le chiffre de l’armée sous les Bagratides, mais il résulte de divers passages de Matthieu d’Édesse qu’il était considérable vu l’étendue du territoire. Ainsi, pour en citer un exemple, lors de la seconde invasion des Grecs pour revendiquer Ani, le généralissime Vahram le Bahlavouni marchait contre eux à la tête d’une armée de trente mille hommes tant fantassins que cavaliers et mettait en déroute celle des ennemis qui s’élevait à cent mille. — Cf. Chron. de Mathieu d’Édesse, trad. franç., chap. LVIII.

[144] Ceux des habitants d’Ani qui émigrèrent en Grèce passèrent en Pologne et s’établirent à Lvov ou Lemberg, dans un quartier séparé de la ville. Rejoints bientôt par un certain nombre de leurs compatriotes après la prise d’Ani par Alp Arslan, ils se multiplièrent rapidement, construisirent une église, un archevêché, des couvents d’hommes et de femmes, une imprimerie, et firent fleurir partout le commerce et l’industrie. Les ducs de Pologne les accueillirent avec empressement, leur accordèrent le libre exercice de leur culte, et leur conférèrent de nombreux privilèges en récompense de leurs services, entre autres celui de se juger par leurs propres lois. Aujourd’hui, ils n’ont plus rien de leurs franchises civiles, (V. p. 358, ch. ii, note 2), mais ils possèdent toujours leurs églises et leur clergé particuliers, sous la haute juridiction d’un archevêque de leur nation résidant à Lemberg.

Ils sont réunis à Rome depuis le milieu du XVIIe siècle. — Cf. le R. P. Minas, Voyage en Pologne et autres contrées habitées par des colonies arméniennes d’Arsi, un vol. in 8°, Venise 1830, p. 54, 96, 145 et 146. C’est peut-être à la même migration qu’il faut rapporter la fondation en Égypte, sous la protection des califes, d’une colonie arménienne qui, quelques années plus tard, à l’époque du voyage du catholicos Grégoire II Vgaïacér dans ce pays, comptait trente mille maisons, et dont les descendants se retrouvent encore au Caire et à Alexandrie. — Cf. Ménologe arménien, 30 juillet, Mémoire des saints catholicos Grégoire et Pierre.

[145] Grégoire l’Illuminateur était fils d’Anag, assassin de Khosrov, père de Dertad (Tiridate III), roi d’Arménie. Pendant que, rebelle à l’ordre du roi, il refusait de sacrifier aux idoles, et le pressait, au contraire, de quitter l’idolâtrie et d’embrasser la vraie foi, Dertad instruit par ses satrapes de l’origine de l’apôtre, le fit plonger dans un souterrain profond où l’on enfermait d’ordinaire les condamnés à mort, auprès d’Ardaschad. Grégoire y resta quinze ans pendant lesquels il se prépara à la grande mission qu’il accomplit plus tard, de concert avec son ancien persécuteur, la conversion de l’Arménie à la lumière de l’Évangile. — Cf. Agathange, édit. de Venise.

[146] Constantin écrivit à Kakig une lettre renfermant les serments les plus solennels, et poussa l’impudeur jusqu’à l’accompagner de l’envoi de l’Évangile et d’un fragment de la vraie croix comme gage de sa sincérité. — Cf. Chron. de Matthieu d’Édesse, trad. franç., chap. LXV; - Sempad le Connétable, p. 61.

[147] Suivant Matthieu d’Édesse, loc. laud., ce traité fut signé avec une plume trempée dans le mystère sacré du corps et du sang du Fils de Dieu par les traîtres, Sarkis à leur tête, et le patriarche Pierre.

[148] Ville très ancienne, la plus considérable de la Troisième Arménie, à peu de distance de l’Euphrate, sur la rive occidentale de ce fleuve; appelée Maialhya par les Arabes. Cf. Géogr. d’Aboulféda, trad. franç., t. II, Ire partie, p. 65. Dans un article intitulé Villes et leurs constructeurs, manuscrit arménien de la Bibliothèque impériale, numéro 100, ancien fonds, f° 49 verso, la fondation de Mélitène est attribuée à un certain Our’naïr, personnage, je crois, complètement inconnu d’ailleurs.

[149] Dans l’espoir de vaincre l’obstination de Kakig, Constantin lui défendit de sortir de Constantinople et le relégua en prison dans une île. — Cf. Tchamitch. Hist. d’Arm., t. II, p. 932.

[150] Grégoire, fils du généralissime Vaçag, est le personnage le plus marquant de l’histoire arménienne à cette époque. Il naquit au commencement du Xe siècle et appartenait à la branche des Arsacides de Perse, dite Sourên Bahlav. Envoyé de bonne heure par son père à Constantinople, il se livra dans cette ville à l’étude des lettres, des sciences et des langues orientales dans lesquelles il révéla une intelligence vraiment supérieure. Revenu en Arménie, il suivit la carrière des armes dans laquelle son père s’était illustré avant lui, et contribua puissamment avec son oncle Vahram, le généralissime, à élever Kakig sur le trône d’Ani que Sarkis voulait lui ravir. Il mourut en 1058, laissant quatre fils, Vahram, qui devint plus tard catholicos sous le nom de Grégoire II, surnommé Vgaïacér, Vaçag, Basile et Ph’itibbè, et plusieurs filles.

Nous possédons de Grégoire: 1° une collection de quatre-vingt-six lettres sur divers sujets politiques, historiques, philologiques et scientifiques, dans lesquelles l’auteur se montre tour à tour philosophe, théologien, poète et érudit profond dans toutes les sciences de la Grèce. Ces lettres, adressées à tous les personnages importants de l’époque, tant arméniens qu’étrangers, sont remplies d’hellénismes et de mots tout à fait inconnus qui en rendent l’intelligence très difficile; 2° une grammaire arménienne qu’il composa à la prière de son fils aîné Vahram, et qui, suivant le témoignage de Jean d’Erzènga, écrivain du XIIIe siècle, resta en usage chez les Arméniens jusqu’à son temps; 3° une histoire abrégée de l’Ancien et du Nouveau Testament en mille vers, qu’il écrivit en trois jours à la prière d’un poète arabe nommé Manoutché.

Grégoire a traduit, en outre, du syriaque et du grec plusieurs ouvrages tant philosophiques que mathématiques, ainsi qu’il nous apprend lui-même dans une lettre adressée à Sarkis, abbé de Sevan. Ce sont: le Timée et le Phédon de Platon, le livre d’Olympiodore; les poèmes de Callimaque et d’Andronic et la Géométrie d’Euclide. De toutes ces traductions il ne nous reste qu’un fragment de celle de la Géométrie d’Euclide. La mort le surprit au milieu de ses travaux qu’il se proposait d’augmenter par des traductions nouvelles. — Cf. Soukias Somal, Quadro della storia lettevaria di Armenia, p. 70-72.

A Constantinople, son éloquence entraînante et persuasive lui mérita le privilège de pouvoir discourir avec les docteurs romains dans la chaire de Sainte Sophie. — Cf. Matthieu d’Édesse, Chron., traduction franç. chap. xciv.

[151] Forteresse du district de Nik, province d’Ararad. Cette localité était très ancienne puisque nous la trouvons mentionnée dans Lazare de Ph’arbe, historien de la fin du Ve siècle, qui l’écrit Pedjni et la qualifie de village considérable. Ce n’est plus aujourd’hui qu’une bourgade située sur la rivière Zengui ou Zangou, à cinq milles à l’est d’Egh’ivart. — Cf. Indjidj, Arm. anc., p. 452-453 et Arm. mod., p. 255

[152] Outre Pédschni, Grégoire fit encore présent à Constantin Monomaque de deux autres forteresses, Gaïan et Gaïdzon. — Cf. Vartan, Hist. univ., p. 433.

[153] En échange des possessions qu’il livra à Monomaque, Grégoire reçut la Mésopotamie à titre de duché, avec le gouvernement d’une partie du pays de Darôn, de Saçoun et du Vasbouragan. — Cf. Vartan, Hist. univ., loc. laud.; Tchamitch, Hist. d’Arm., t. IL, p. 934

[154] David, roi de l’Agh’ouanie arménienne, était fils de Kourkên, troisième fils d’Aschod III, souverain d’Ani et appartenait par conséquent à la famille des Bagratides. David agrandit considérablement les possessions qu’il tenait de son père (ch. ii, note 4), mais peu à peu il perdit l’une après l’autre toutes ses conquêtes, et il ne lui resta plus même rien de son patrimoine, ce qui lui valut le surnom d’Anhogh’ïn « sans terre » sous lequel il est connu dans l’histoire. On peut lire dans Açogh’ig, Hist. univ., III, chap. xxx, le récit des exploits par lesquels David illustra le commencement de son règne.

[155] Aboul’ Séwar, émir de Tévïn appartenait à la famille des Beni-Scheddad qui se rattachait à la tribu kurde des Réwadis. C’est l’Aplespharès des Byzantins.

[156] Pakarad ou Bagrat, le quatrième du nom, roi de Karthli et d’Aph’khazeth, succéda à son père Giorgi Ier, en 1027, et régna jusqu’en 1072 (Cf. M. Brosset Hist. de la Géorg., trad. franç., t. I, p. 312). Giorgi lui-même descendait de Bagrat III, lequel était fils de Kourkên, fils d’Aschod III le Miséricordieux (Mékhithar d’Ani apud Vartan, Hist. univ., p. 124). Pakarad était donc de la famille des Bagratides de même que David Anhogh’ïn, mais à un degré moins rapproché.

[157] Le vestarque Michel Iasitas, préfet d’Ibérie.

[158] Suivant le témoignage de Cédrénus, t. II, p. 559, Monomaque lui conféra la dignité de Maître de la milice avec des possessions considérables en Cappadoce vers Charsianum castrum et Lycandrus. Matthieu d’Édesse dit qu’il donna à Kakig, en retour d’Ani, Galonbegh’ad et Pizou dans la Cappadoce, Chronique, trad. franç., chap. LXV. La position de ces villes ne nous est pas connue. Sïartan ajoute qu’il lui fit en outre présent du palais de Galané, à Constantinople (Hist. univ., p. 139). Cf. également Sempad le Connétable, p. 62, pour confirmation du témoignage de Vartan. Cette cession eut lieu en l’année 1045.

[159] Tévïn, Tibion de Constantin Porphyrogénète, Doubios de Procope, en arabe Dewin et Debyl, ville du district d’Osdan, province d’Ararad, au nord d’Ardaschad, sur le Medzamor. Elle fut fondée vers l’année 350 par le roi d’Arménie Khosrov II, qui y établit sa résidence et en fit la capitale de ses États. Elle était bâtie sur une colline, et avait été, pour cette raison nommé Tévïn, d’un mot persan qui signifie monticule, colline. — Cf. Moïse de Khoren, Hist. d’Arm., III, chap. viii — Saint-Martin, Mém. sur l’Arm., t. I, p. 119; — Indjidj, Arm. anc., p. 463. Il est certain cependant, d’après le témoignage de Zénob de Klag (Histoire de Darôn, p. 11 et 41), que cette ville existait déjà cinquante ans au moins auparavant, d’où il suit qu’elle ne fut pas fondée dans le véritable sens du mot par Khosrov, mais seulement restaurée et agrandie.

Monomaque, se sentant trop faible pour s’emparer d’Ani avec ses seules ressources, expédia des lettres à l’émir de Tévïn pour l’engager à ravager de son côté les domaines de Kakig, à quoi Aboul’ Séwar consentit sans peine. (Cédrénus, t. II, p. 558.) Devenu maître d’Ani, il réclama à son auxiliaire les villes et forteresses du royaume de Schirag dont il avait fait la conquête, et comme celui-ci refusait de les rendre, Monomaque envoya une armée considérable sous les ordres de Nicolas le Bulgare pour les revendiquer par la force. — Cf. Cédrénus, t. II, p. 559.

[160] Le mot Gaménas est une altération du grec « brûlé », surnom du général Catacalôn Vestès, Bulgare d’origine.

[161] Le myron, huile bénite, servait dans l‘Église arménienne pour la consécration du catholicos, des évêques et des prêtres, pour le sacre des rois et pour l’administration des sacrements de baptême et de confirmation.

[162] Cette forteresse qui n’est mentionnée par aucun géographe arménien, était probablement située dans le district de Garin.

[163] Constantin Leichudes, Sarrasin d’origine (Cédrénus, t. II, p. 560).

[164] Les troupes envoyées par Thogrul-Beg contre l’Arménie s’élevaient au nombre de cent mille hommes commandés par Ibrahim Inal et Koutoulmisch, cousins du Sultan.

[165] Village construit par Vagh’arsch, fils de Tigrane, sur le lieu même de sa naissance au confluent du Mourtz et de l’Araxe. Cf. Moïse de Khoren, Hist. d’Arm., II, chap. LXV.

[166] District de la Haute Arménie, au nord-est d’Erzeroum; l’Hyspiratis de Strabon, célèbre par ses mines d’or; la Syspirilis du même géographe et de Constantin Porphyrogénète. Le district de Sber était, dès la plus haute antiquité, l’apanage héréditaire de la puissante famille satrapale des Bagratides. (Cf. Moïse de Khoren, Hist. d’Arm. II, chap. xxxvii; Saint-Martin, Mém. sur l’Arm. t. I, p. 69, 70; Indjidj, Arm. anc., p. 25-26.) Il est traversé par le Djorokh que bordent de superbes vignes et des jardins d’une très grande fertilité. Ce pays possède encore des mines de divers métaux.

[167] District de la province d’Ararad au centre, appelé Ascharounik’ par Jean Catholicos et Arscharounik’ par Guira anciennement Eraskhatzor (Vallée de l’Araxe). Il tient son nom d’Arschavir, fils de Gamsar de Bahl, à qui Darôn fit présent de son territoire sur lequel s’élevait la ville d’Erouant, pour le retenir en Arménie. — Cf. Moïse de Khoren, Hist. d’Arm, II, p. 90; — Indjidj, Arm. anc., p. 389.

[168] Haschdiank’, district de la Quatrième Arménie, à l’est du district de Dzoph’k’ et voisin de celui de Darôn, dont il n’est séparé que par une vallée; l’Asthianene et l’Austanitis des historiens byzantins. — Cf. Indjidj, Arm. anc., p. 43.

Khortzén, appelé aussi Khortzian, Khortziank et Khortzaïn, district de la même province, à l’ouest du précédent; la Khorzane et Khorzianene de Procope, le thème de Khozan de Constantin Porphyrogénète. Indjidj, Arm. anc., p. 41 -42. La partie septentrionale de ce district était désignée plus particulièrement par le nom de Guégh’i.

[169] La province de Siounik’, appelée territoire de Siçag par Lasdiverdtsi, avait pour limites au nord la province d’Artsakh’, à l’est celle de Ph’aïdagaran, au sud l’Araxe, et à l’ouest la province d’Ararad. Les Perses la nommaient depuis fort longtemps Siçagan. Cette dénomination, qui chez les Arméniens n’était usitée que pour désigner la partie méridionale de cette province, tenait son origine de Siçag, fils de Kégh’am, qui le premier commença à cultiver le pays et à y construire des édifices. C’est la Sacassène de Strabon, la Syracène et la Sacapène de Ptolémée. — Cf. Moïse de Khoren, Hist. d’Arm., I, chap. xii; — Saint-Martin, Mém. sur l’Arm., I, p. 442; - Indjidj, Arm. anc., p. 229.

[170] Les hagiographes arméniens nomment cette fête Khatchévérats, Elévation de la croix, et racontent, pour en expliquer l’origine, que lorsque la pieuse mère de l’empereur Constantin eut fait retirer la vraie croix des immondices où elle était enfouie sur le Golgotha, Macaire, patriarche de Jérusalem, comme autrefois saint Jacques, premier évêque de la ville sainte, souleva le bois sacré dans ses bras pour l’exposer à la vénération du peuple.

L’Eglise arménienne célèbre la mémoire de ce fait presque avec autant de pompe que les fêtes de Noël et de Pâques.

L’Exaltation de la Sainte Croix tomba cette année-là le 17 septembre; par conséquent, l’attaque placée par Lasdiverdtsi à la quatrième férie, eut lieu trois jours après, le 20.

[171] Il y a un manque dans le texte copié de la BNF que j’ai corrigé au mieux.

[172] Ville considérable du district de Garin, dans la Haute Arménie, appelée Artze par les Grecs et Arzen Erroum par Arabes, située tout près de la source de l’Euphrate (Cf. M. Reinaud, Géogr. d’Aboulféda, trad. franç., t. II, 1ère partie, p. 64-65). « C’était, dit Cédrénus, un bourg considérable, renfermant une population nombreuse et des richesses immenses. A côté des marchands indigènes abondaient en foule des marchands syriens, arméniens et autres de diverses nations (Cédrénus, t. II, p. 577). Suivant Matthieu d’Édesse, Chron., trad. franç., chap. LXXIII, il y avait à Ardzen huit cents églises où l’on célébrait la messe. Elle est aujourd’hui entièrement ruinée. — Cf. Saint Martin, Mém sur l’Arm., p. 6. Indjidj, Arm. anc., p. 35-36.

[173] Toutes les recherches que noua avons faites pour identifier ce mot sont restées infructueuses, et nous n’avons rien trouvé dans nos lectures qui fût de nature à nous satisfaire. Plutôt que de recourir à des hypothèses, nous avons préféré le laisser en souffrance, en attendant que des lectures ultérieures nous permettent de lui donner une explication fondée.

[174] Il est évident que par l'expression de Pyrrhoniens, il faut entendre non pas les adeptes de la secte fondée par le célèbre sceptique grec, mais, en général, tous ceux qui révoquent en doute les vérités de la religion, ou les impies, suivant la dénomination usitée chez les historiens arméniens.

[175] Au rapport de Matthieu d’Édesse, cent cinquante mille personnes périrent victimes des cruautés des Turcs (Chron., tr. franç., chap. LXXIII); cent quarante mille suivant Cédrénus, t. II, p. 578. Les habitants qui échappèrent à ces cruautés se retirèrent a Théodosiopolis, dont ils accrurent considérablement la population, et lui donnèrent le nom d’Ardzen, en souvenir de leur patrie réduite en cendres. — Cf. Saint-Martin, Mém. sur l’Arm., t. 1, p. 68.

[176] Aaron Vestès était fils de Vladosthlav, et frère de Prusianus et d’Ibatzès. (Cédrénus, t. II, p. 573-574).

[177] Libarid ou Libarid III, éristhaw des éristhaws, de l’illustre famille des Orbélians, était, suivant l’Histoire de la Géorgie, trad. franç., par M. Brosset, petit-fils de R’ad, qui mourut dans un combat contre Basile II en 1024, et fils de Libarid qui, d’après les auteurs byzantins, périt en 1022 dans une autre bataille. Ce Libarid était si puissant dans les pays au sud du Gour qu’il était maître d’une moitié de la Géorgie, et pouvait mettre sur pied à ses frais une armée considérable.

[178] Suivant Matthieu d’Édesse, Chron., trad. franç., chap. LXXIV, la bataille fut livrée auprès du fort de Gaboudrou, dans le district d’Ardschovid, situé sans doute dans le voisinage de la plaine de Pacen.

[179] Étienne Orbélian, métropolite de la province de Siounik’, qui a écrit au Xe siècle l’histoire de sa famille, raconte que ce furent les didébouls de Géorgie qui, jaloux de la trop grande puissance de Libarid, coupèrent les jarrets de son cheval; il ajoute qu’ils le tuèrent sur le lieu même, ce qui est une erreur grave, ainsi que nous le verrons plus loin. — Cf. Saint-Martin, Mém. sur l’Arm., t. II, p. 75; - M. Osgan ’Ohanniciants, Histoire des Orbélians, Moscou, 1858, brochure in-8°, p. 46; — Histoire de la maison satrapale de Siounik’, édit. de M. l’archimandrite G. Schahnazarian; Paris, 1859, 2 vol. in chap. LXVI; — la même, édit. de M. J.-B. Emin, Moscou, 1864, un vol. chap. LXV.

[180] Comparer, pour plus de détails, les récits divers que nous ont laissés de cette bataille Étienne Orbélian, loc. laud., lequel fait de Libarid un éloge qui ne manquera pas de paraître exagéré; Matthieu d’Édesse, Chronique, trad. franç., chap. lxxiv; Cédrénus, t. II, p. 577 et suiv., et l’historien arabe Ibn Alathir cité par Saint-Martin, Mém. sur l’Arm., t. II, p. 244.

[181] Le sultan lui ayant envoyé demander d’embrasser sa religion: « Lorsque je serai en ta présence, répondit Libarid, je ferai selon tes désirs. » Arrivé devant le sultan, il dit: « Maintenant que j’ai été digne de paraître devant toi, je n’exécuterai point tes volontés, et ne redoute point la mort. - Que veux-tu? lui dit le sultan. - Si tu es marchand, vends-moi, si tu es bourreau, tue-moi, si tu es roi, renvoie-moi avec des présents. » Le sultan répondit: « Je ne suis point marchand, je ne veux point être bourreau de ton sang, mais je suis roi; va où il te plaira. » — Cf. Vartan, Hist. univ., p. 133 - 134. Suivant Ibn Alathir, t. IV, folio 10 verso, Aboulféda, Annal. Moslem., t. III, p. 130, Aboulfaradj, Chronique syriaque, p. 243; ce fut grâce à l’intervention déployée par Abou Nasr Ahmed Nacer-Eddaula, fils de Merwân, qui régnait à Amid, à la sollicitation de Constantin Monomaque, que Libarid dut de recouvrer la liberté. Elle lui fut rendue avec des sommes considérables en argent et des présents que, suivant le témoignage de Zonaras, t. II, p. 257, l’empereur aurait envoyés au sultan pour sa rançon. En retour de ce service, Monomaque fit construire une mosquée à Constantinople ou restaura celle qui y existait déjà.

Après de fréquents et honteux démêlés avec Bagrat IV, Libarid, obligé de quitter la Géorgie, se fit moine sous le nom d’Antoni et mourut à Constantinople, à une date qui varie entre 1062 et 1064. —Cf. M. Brosset, Hist. de la Géorgie, trad. franç., t. I, addition XI, p. 425 et addition XIX, p. 350.

[182] Pierre partit pour Constantinople, en 1045, escorté des nobles de sa maison, au nombre de 300, tous armés, de docteurs, d’évêques, de moines, de prêtres, dont le nombre s’élevait à 410, montés sur des mulets, et de 200 domestiques à pied. — Cf. Matthieu d’Édesse, Chronique, tr. franç., chap. LXXIV.

[183] On peut lire dans Matthieu d’Édesse, loc. laud, et dans Guiragos qui le lui a emprunté, p. 52, le récit de la première visite de Pierre à Monomaque, visite dans laquelle celui-ci le fit asseoir sur un siège d’or d’une valeur considérable qu’il lui abandonna en présent à la sortie du palais.

[184] Sénék’érim était mort en 1029, laissant pour lui succéder son fils aîné David qui occupa le trône jusqu’en 1037, époque à laquelle étant mort lui-même, la couronne passa à Adom, son frère cadet.

[185] Tchamitch dit que ce fut à l’intervention réunie de Kakig et d’Adom, et sous la garantie de ce dernier, que Pierre obtint de sortir de Constantinople. — Cf. Hist. d’Arm., t. II, p. 945.

[186] Le même historien prétend, p. 903, que ce monastère fut bâti par Sénék’érim lui-même pour recevoir le fragment de la vraie croix célèbre parmi les Arméniens sous le nom de croix de Varak, aujourd’hui Yédi Kilissé, dans le Vasbouragan, du lieu où elle avait été déposée par sainte Hr’iph’simé qui l’avait apportée avec elle de Rome en Arménie au commencement du ive siècle de l’ère chrétienne, et retrouvée, à la suite d’une apparition miraculeuse, par un solitaire appelé Thotig, en 653. — Cf. Vies des saints en arménien, à la date du 26 février. A la mort de Sénék’érim, ses enfants, fidèles à sa recommandation, la transportèrent à Varak avec les restes de leur père.

[187] D’après Vartan, Hist. univ., p. 132, Monomaque, de son côté, fit présent au catholicos de trois villages situés probablement sur la portion du territoire grec avoisinant Sébaste.

[188] L’exactitude avec laquelle Arisdaguès note la date des événements survenus de son temps et dont il était le témoin oculaire, nous oblige à penser avec le P. Tchamitch, Hist. d’Arm., t. II, p. 4030, qu’il y a en cet endroit une faute de copiste, et qu’au lieu de deux ans il faudrait lire sept ans.

Guiragos assigne à Pierre 39 ans de patriarcat, mais sans en fixer ni le commencement ni la fin (p. 50 et 53); Samuel d’Ani, Chronographie, édit. Angelo Maï et J. Zohrab, p. 14, et Mathieu d’Édesse, Chronique, trad. franç., chap. LXXXI, prétendent qu’il siégea 42 ans, et placent ensemble sa mort à l’année 507 de l’ère arménienne (7 mars 1058 - 6 mars 1059). Or nous avons vu, chap. II, qu’il était monté sur le siège patriarcal en 1019. Il suit de là qu’en adoptant pour date de sa mort l’année 1050 fournie par ces auteurs, et qui est la véritable, il n’a pu gouverner l’Église d’Arménie pendant 42 ans. Suivant Tchamitch, il mourut en 1058 après avoir siégé 39 ans, comme l’indique Guiragos. — Cf. Tchamitch, Hist. d’Arm., t. II, p. 968.

Dans une note relative à la durée fixée par Matthieu d’Édesse au pontificat de Pierre, M. Éd. Dulaurier impute à son auteur des erreurs de calcul qui doivent retomber entièrement à la charge de l’interprète.

[189] C’est-à-dire depuis la fin de l’ère arménienne 490 (11 mars 1044 - 10 mars 1042), époque à laquelle il apparaît pour la première fois comme coadjuteur de son oncle dans une inscription gravée par un certain prêtre Vahan sur le côté droit de la porte d’une église qui se montre au milieu des ruines de la ville de M’rêt dans le Karahagh’. — Cf. Sarkis Dschalatiants, Voyage dans la Grande Arménie, t. II, p. 47

[190] Le catholicos Pierre devait avoir des richesses immenses; car s’il faut en croire le témoignage de anonyme à qui nous avons déjà emprunté le récit de sa pompeuse ambassade auprès de l’empereur Basile II, chap. ii, page 369, note 4, il possédait 500 villages, entretenait dans le palais patriarcal ou auteur de sa personne un certain nombre de vartabeds, 12 évêques, 60 moines et 500 prêtres séculiers, et son autorité s’étendait sur 500 évêques. — Cf. Pazmavêb, n° de janvier 1862.

[191] Khatchig II ne dut de recouvrer sa liberté qu’à l’intervention simultanée de Kakig et des deux fils de Sénék’érim, Adom et Abouçahi qui, de concert avec les princes arméniens, réunirent un corps de cavalerie à l’aide duquel ils l’enlevèrent de Constantinople; ceci fait, ils l’élevèrent sur le siège patriarcal qu’ils transférèrent à Thavplour, district de Dschahan, dans la Troisième Arménie. — Cf. Sempad le Connétable, p. 75.

[192] Ville considérable, anciennement Garouts, sur le fleuve Akhourian, capitale du royaume de Vanant érigé en 962 par Aschod III, roi d’Ani, en faveur de Mouschegh’, son frère cadet (voir chap. ii). Le roi de Gars était alors Kakig fils d’Apas. C’était un marché important qui partageait avec Ardz et Mélitène le commerce de toute l’Arménie. Elle est appelée à par Constantin Porphyrogénète, aujourd’hui Gh’ars, chef-lieu du district de même nom. Sa population actuelle est évaluée deux mille familles. — Cf. Saint-Martin, Mém. sur l’Arm., t. I, p. 440-411; — Indjidj, Arm. anc., p. 435-436; Topographie de la Grande Arm., par le R. P. Léon Alischan, p. 25.

[193] La destruction de Gars par les Turcs eut lieu en 1050. Cf. Tchamitch, Hist. d’Arm., t. II, p. 956.

[194] Le mont Barkhar, le Paryadres des anciens, s’étend du nord-ouest de la province de Daïk’ jusqu’à la petite Arménie, sur les confins de la Colchide.

[195] Le Djaneth formait, suivant le témoignage de Moïse de Khoren, une portion du district de Khagh’dik’ (Cf. Géographie de Moïse de Khoren, dans ses œuvres complètes, Venise, un vol in-8°, 1883, p. 60) et correspondait probablement au pays montagneux appelé aujourd’hui par les Turcs Djanig.

[196] Les monts Sim s’étendent depuis le lac de Van jusqu’au Tigre dans la province d’Agh’tzénik’, et séparent l’Arménie des plaines de la Mésopotamie. Ils sont appelés encore Saçoun ou Sanaçoun par les historiens arméniens. — Cf. Saint-Martin, Mém. sur l’Arm., t. I, p. 4; Indjidj, Arm. anc., p. 70.

[197] Allusion au jeune soldat qui vint annoncer à Héli la défaite des Israélites par les Philistins, la mort de ses deux fils et la prise de l’arche du Seigneur. — Cf. Livre des Rois, I, chap. iv. Au lieu de « jeune homme d’Hymen » la Vulgate porte: « un homme de Benjamin. » La même différence s’observe entre celle-ci et le texte des Septante, sur lequel a été faite la traduction arménienne de la Bible.

[198] Allusion à l’Antéchrist qui, suivant le témoignage de l’Écriture, doit venir du désert. — Cf. plus particulièrement Apocalypse de saint Jean, chap. xiii.

[199] District de la Quatrième Arménie, nommé aussi Hantzith, écrit Antzigh par Lazare de Ph’arbe, p. 268, et Faustus de Byzance, III, chap. iii; l’Antzitene de Ptolémée qui nomme sa capitale Anzeta, la Khantzit de Constantin Porphyrogénète. — Cf. Saint-Martin, Mém. sur l’Arm., t, I, p. 93; Indjidj, Arm. anc., p. 88.

[200] District de la Haute Arménie, à l’ouest de Garin et à l’est d’Ëguégh’iats, la Derxene de Ptolémée et la Xerxene de Strabon. — Cf. Indjidj, Arm. anc., p. 24.

[201] Le Dzorokh ou Djorokh prend sa source dans les montagnes de Sber, se dirige vers le nord-est en suivant le district de Khagh’dik’ et la Colchide, traverse les vallées presque inabordables de la province de Daïk’, puis, tournant tout d’un coup vers le nord-ouest, va se jeter dans la mer Noire entre Gonnieh et Batoum, grossi de cinq ou six rivières qu’il reçoit sur sa route. On trouve dans son voisinage des mines d’or et d’argent; son sable même est mélangé de paillettes du premier métal, surtout dans la Colchide. On le passe sur un grand nombre de ponts, la plupart en pierres. C’est l’Acampsis des Grecs, aujourd’hui le Djouïroulkh-sou des Turcs. — Cf. Saint-Martin, Mém. sur l‘Arm., t. I, p. 7; Indjidj, Arm. mod, p. 29; le R. P. Alischan, Topog. de la Gr. Arm., p. 44.

[202] Place très ancienne du district de Khagh’dik’, près des sources du Djorokh qui traverse la ville. Elle était, au Ier siècle de l’ère chrétienne, la résidence des princes de la famille des Bagratides. Elle est nommée Baïbèrdon par Procope et Païperte par Cédrénus; aujourd’hui Baïbourt, dans le pachalik d’Erzeroum, à deux journées de marche de cette ville. — Cf. Saint Martin, Mém. sur l’Arm., t. I, p. 70; Indjidj, Arm. mod. p. 95.

[203] Il y avait, à cette époque, un grand nombre de Francs des diverses contrées de l’Europe, et principalement des Normands, qui servaient dans les armées de l’empire en qualité d’auxiliaires.

[204] Apas, père de Kakig, était fils de Mouschegh’, premier souverain du royaume de Vanant. La dynastie des rois bagratides de Gars ne compte que trois rois: fondée en 962, ainsi que nous l’avons vu plus haut, elle s’éteignit en 1064, après avoir duré un siècle, par la cession que Kakig, son dernier roi, celui-là même dont il est question en ce moment, fit de ses États à Constantin Ducas dont il reçut en échange Dzamentav, Larissa, Amasia, Comana, avec une centaine de villages.

[205] District de la province de Douroupéran, limitrophe de celui de Pacen.

[206] Le Jamahar ou crécelle est un instrument en bois que l’on agite ou que l’on frappe avec un maillet pour appeler les fidèles à la prière. Sa forme varie beaucoup en Orient. Dans la Cilicie, il ressemble à un cadre à lames de bois que l’on suspend par une corde à la porte des églises. A Constantinople, ou se sert d’une barre de fer qu’un homme fait résonner en la frappant contre terre et en criant: Jam hramaïétsek’.

[207] Le général turc nommé par Lasdiverdtsi Ordilmêz ou Ortelmits, suivant la variante donnée au bas de la page 69 du texte, est le même que celui appelé Koutlournous par Cédrénus et Kéthelmousch par Matthieu d’Édesse.

[208] Le soufre est assez abondant en Arménie, principalement dans les gorges du Macis, et, suivant le témoignage de Moïse de Khoren il existe des sources de naphte dans les provinces d’Agh’tz et de Douroupéran. — Cf. Moïse de Khoren, Géographie, p. 607-608 de ses œuvres complètes.

[209] Basile, fils d’Aboucab, l’Apocapés des Byzantins, ancien garde de la tente de David le Curopalate, était du nombre de ces princes de Géorgie qui, séduits par les promesses fallacieuses du lieutenant de Constantin IX, avaient échangé leurs principautés contre les dignités de la cour de Constantinople — Cf. ch. v.

[210] Ce lac est plus connu sous le nom de lac de Van par lequel les Arméniens l’appellent habituellement de celui de l’antique ville de Van située sur sa rive orientale. C’est le plus grand des lacs d’Arménie. Son nom de Pèznounik’ lui vient de Paz, fils de Manavaz, à qui les bords avaient été donnés en partage. On le désigne encore par la dénomination de mer d’Agh’thamar, du nom de l’une des quatre îles qui s’élèvent à sa surface; de mer salée, de la saveur de ses eaux; lac de Reschdounik’, du nom d’un district situé au midi; lac de Dosb, de celui d’un autre district à l’est, et lac de Vasbouragan, du nom de la province qui l’environne de trois côtés. Il paraît être le même que le lac Arsene, Arsissa et Thospitis des Grecs. (Saint-Martin, Mém. sur l’Arm., t. I, p. 54-56; Indjidj, Antiq. de l’Arm., t. I, p. 459). Les Arabes le nomment lac d’Ardjysch (Géog. d’Aboulféda, trad. franç., t. II, 1re partie, p. 52). Selon le même géographe, loc. laud.; il est très profond au milieu, et sa circonférence est de plus de quatre journées. Suivant le P. Alischan, sa longueur est de 80 milles, sa largeur de plus de 40, et il occupe, dans la partie méridionale de l’Arménie, une surface de 4.200 milles. (Topog. de la Gr. Arm., p.87.)

[211] Aujourd’hui Ardzgué n’est plus qu’un village sur le bord du lac dont les envahissements ont fait disparaître une grande partie de la ville antique avec sa forteresse. — Cf. le R. P. Alischan, Topog. de la Gr. Arm., p. 49.

[212] On peut comparer avec le récit de notre auteur celui non moins intéressant que Matthieu d’Édesse nous a laissé de ce mémorable siège. - Chronique, trad. franç., chap. LXXVIII.