Ermold le Noir

ANONYME

 

 

 

DES GESTES GLORIEUX DES FRANÇAIS DE L’AN 1202 A L’AN 1311.

 

 

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 

 

 

COLLECTION

DES MÉMOIRES

RELATIFS

A L'HISTOIRE DE FRANCE,

depuis la fondation de la monarchie française jusqu'au 13e siècle

AVEC UNE INTRODUCTION DES SUPPLÉMENS, DES NOTICES ET DES NOTES;

Par M. GUIZOT,

PROFESSEUR D'HISTOIRE MODERNE A L’ACADÉMIE DE PARIS.

 

 

A PARIS,

CHEZ J.-L.-J. BRIÈRE, LIBRAIRE,

RUE SAINT-ANDRÉ-DES-ARTS, N°. 68.

 

1824.


 

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ANONYME

DES GESTES GLORIEUX

DES FRANÇAIS

DE L’AN 1202 A L’AN 1311.

 

L’an du Seigneur 1202, Jean, roi d’Angleterre, prit auprès de Mirabeau, dans le Poitou, et fit mourir secrètement Arthur, comte de Bretagne, fils de Geoffroi, son frère aîné, et héritier du royaume: sur quoi il fut accusé par les barons auprès du roi de France dont il était vassal. Ayant, après un grand nombre de citations, refusé de comparaître, il fut, par le jugement des pairs du roi de France, dépouillé du duché d’Aquitaine et de tous les domaines qu’il possédait dans le royaume de France. Dans le même temps, Philippe, roi de France, soumit toute la Normandie, trois cent quinze ans après que Charles le Simple l’avait donnée à Rollon avec sa fille, pour qu’il devînt chrétien. Ensuite, le roi étant entré dans l’aquitaine, prit Poitiers et le château de Chinon, où il délivra le vicomte de Limoges qui y était prisonnier.

L’an du Seigneur 1205, les Français et les Vénitiens prirent la ville de Constantinople et établirent empereur Baudouin, comte de Flandres.

L’an du Seigneur 1206, le pape Innocent envoya dans le territoire d’Albi, de Toulouse et de Carcassonne, douze abbés de l’Ordre de Cîteaux avec un légat, pour prêcher la foi contre les hérétiques. Diègue d’Espagne, évêque d’Osma, qui revenait alors de la cour, avec le frère Dominique, son compagnon de sainteté et de voyage, les ayant trouvés réunis ensemble à Montpellier, se joignit à eux pour convertir les hérétiques; ce frère Dominique est celui qui fonda l’Ordre des Prêcheurs.

Deux Ordres célèbres, celui des Prêcheurs et celui des Mineurs, prirent naissance dans le temps du pape Innocent. l’Ordre des frères Prêcheurs fut créé par saint Dominique dans le pays de Toulouse où il avait commencé à prêcher, de paroles et d’exemple, contre les hérétiques, deux ans auparavant, dans l’année du Seigneur 1204, la septième année écoulée depuis le commencement du pontificat du seigneur pape Innocent, dans laquelle il arriva à Toulouse avec le seigneur Diègue, se rendant dans les Marches où dans la Gothie, et il convertit son hôte des perversités de l’hérésie, la première nuit qu’ils reçurent l’hospitalité dans cette ville, l’an du Seigneur 1204, ainsi que nous l’avons dit. Saint François, appelé Jean avant son entrée en religion, fonda l’Ordre des Mineurs à Sainte-Marie, près la ville d’Assise, l’an du Seigneur 1206, la neuvième année du pontificat du seigneur pape Innocent, en comptant depuis le commencement de son entrée en religion.

L’an du Seigneur 1207, mourut saint Guillaume, archevêque de Bourges.

L’an du Seigneur 1208, le jour de la fête de sainte Madeleine, l’armée des croisés, venant de la Gaule contre les hérétiques albigeois, toulousains et carcassonnais, dans les terres soumises au comte de Toulouse, s’empara d’abord de la ville de Béziers et la livra aux flammes. Dans l’église de Sainte Marie Madeleine, où s’étaient réfugiés les citoyens après s’être d’abord défendus, on en tua jusqu’à 7.000, et ce fut avec assez de justice; car l’armée envoya d’abord vers eux leur évêque, maître Réginald de Montpeyroux, homme respectable par son âge, sa vie et sa science, pour les sommer de livrer les hérétiques qui étaient dans la ville et que désignerait l’évêque qui avait leurs noms par écrit; ajoutant qu’en cas qu’ils ne pussent le faire, les catholiques sortissent de la ville et se séparassent des hérétiques pour ne pas périr avec eux. N’y ayant point consenti, mais s’étant élevés contre Dieu et l’église, les gens de Béziers eurent l’orgueil et la présomption de résister longtemps à l’armée, et à la fête de sainte Marie-Madeleine, par un juste jugement de Dieu, ils furent pris et détruits dans l’église de cette sainte, à cause des blasphèmes outrageants que les hérétiques proféraient contre elle. Toutefois, quarante ans auparavant, les citoyens de Béziers avaient, dans cette même église, traîtreusement et cruellement mis à mort leur seigneur vicomte nommé Trencavel, et brisé les dents à l’évêque de cette ville, qui s’efforçait d’arracher de leurs mains le seigneur vicomte ; en sorte que ceux qui avait profané l’église du sang de leur seigneur et de leur évêque et pasteur, y furent punis en leur propre sang. Après la prise et destruction de Béziers, les guerriers du Seigneur tournèrent leurs bannières vers Carcassonne, où étaient un grand nombre d’hérétiques qu’ils assiégèrent avec de grandes forces, mais Roger, ou autrement dit Raimond Roger, vicomte de Béziers et de Carcassonne, et neveu du comte de Toulouse, qui avait fui auparavant de Béziers, frappé de terreur, après beaucoup d’efforts de part et d’autre, obtint, pour conditions de paix, que les Carcassonnais sortissent en chemises et en brayes et abandonnassent la ville aux assiégeants; ce qui fut fait à la fête de l’assomption de sainte Marie toujours vierge, dans le mois d’août. On garda le comte en otage jusqu’à l’accomplissement du traité, et il mourut bientôt d’une dysenterie, dans la même année. Après la prise de Carcassonne, le légat et l’abbé de Cîteaux assemblèrent les prélats et les barons pour délibérer sur le choix de celui à qui ils donneraient le gouvernement des pays conquis et de ceux qu’on devait conquérir encore. On élut le noble homme Simon, comte de Montfort, modèle, de toute probité, et le légat du Siège apostolique lui donna le gouvernement du pays et le commandement de la guerre pour la gloire et l’honneur du Seigneur, et la répression de la perverse hérésie.

L’an du Seigneur 1210, le comte Simon assiégea, avec la valeureuse armée du Seigneur, le très fort château de Minerve. Après beaucoup d’assauts et d’efforts vigoureux, il s’en empara merveilleusement. On y trouva quarante et plus de parfaits hérétiques, qui aimèrent mieux se laisser brûler que de se convertir à la foi catholique. Ensuite, dans la même année, Simon s’empara, avec l’armée des croisés, d’Alzonne, de Fanjaux, de la ville de Saint-Vincent de Castres, situées dans le territoire d’Albi; de Pamiers, du château de Mirepoix, de Saverdun, de Lombers, de la ville d’Albi et de tout son diocèse, excepté quelques châteaux possédés par le comte de Toulouse; de Limoux, de Puicelfi et de quelques autres lieux et châteaux, dont plusieurs quittèrent le même comte Simon, retournèrent à leur vomissement, mais n’échappèrent point à la punition, car ils furent repris. Vers la fin de cette année, dans le carême, Pierre Roger, seigneur de Cabaret, très fort château du Carcassès, traita avec le comte Simon, lui rendit son château de Cabaret, et reçut de lui une autre terre équivalente. La même année du Seigneur 1210, on trouva à Paris vingt-quatre hérétiques, parmi lesquels étaient quelques prêtres. Quelques-uns reconnurent leur erreur, d’autres furent brûlés et les autres renfermés. Dans le même temps, des enfants, au nombre de plus de vingt mille, trompés par des songes, prirent la croix, et, marchant en divers bataillons vers Marseille et Brindes, revinrent sans avoir rien fait.

L’an du Seigneur 1211, vers la Pâque, Simon, comte de Montfort, l’athlète du Christ, assiégea, avec l’armée des croisés, Lavaur, château extrêmement fortifié et très bien défendu, au diocèse de Toulouse, dans lequel se trouvaient plusieurs hérétiques; et, après de grands efforts de part et d’autre et de vigoureux assauts, le château fut pris et livré à la volonté du comte, au jour de la fête de l’invention, de la sainte Croix. On y trouva environ quatre cents hérétiques parfaits. Comme ils ne voulurent point se convertir à la foi catholique, le prince catholique et les pèlerins de la Croix les livrèrent aux flammes terrestres, les envoyant ainsi brûler d’un feu éternel. Il fit élever à la potence, avec quelques nobles, le noble et puissant Aimeri, seigneur de Mont-Réal et de Laurac, qui avait entrepris de défendre son château. Il fit périr par le glaive d’autres nobles au nombre d’environ quatre-vingts. Il fit jeter dans un puits et écraser de pierres Guiraude, dame du château, sœur d’Aimeri, et hérétique comme lui. Le peuple composa pour sa vie. Après la prise de Lavaur, le comte Simon leva son camp, et vint avec son armée à un château appelé Montjoyre, où peu de temps auparavant le comte de Foix et son fils Roger Bernard avaient cruellement tué des pèlerins de la Croix qui, pour la rémission de leurs péchés, se rendaient vers Lavaur à l’armée du Seigneur, où ils venaient porter aide et secours au comte Simon. Comme l’armée approchait du château, il apparut, dans l’endroit où avaient été tués les pèlerins, une brillante colonne de feu qui descendit sur ces corps étendus, gisant la face tournée vers le ciel et les bras en forme de croix. Le vénérable Foulques, évêque de Toulouse, était présent et vit ce prodige, et rendit témoignage à la vérité. Le comte, arrivé à ce château, le détruisit de fond en comble. De là l’armée, poursuivant sa route, marcha vers un château appelé Casser, et l’ayant forcé et pris d’Assaut, on y trouva environ soixante hérétiques parfaits que Foulques, évêque de Toulouse, et d’autres évêques qui étaient dans l’armée exhortèrent à se convertir: s’y étant absolument refusés, ils furent brûlés et convertis en damnés.

Cela fait, Foulques, évêque de Toulouse, qui était dans l’armée, manda au prieur de la cathédrale de Saint-Étienne et à d’autres clercs qu’ils sortissent de la ville de Toulouse. Ceux-ci, obéissant à ses ordres, sortirent pieds nus de la ville, avec le corps du Christ. Ensuite le comte Simon prit le château de Montferrand et quelques autres: il mit garnison à Castelnaudary, que le comte de Toulouse avait brûlé et abandonné peu auparavant. Enfin, passant le Tarn, dans le diocèse d’Albi, le comte Simon s’empara de Rabastens, de Montaigu, de Cahusac, de Saint Marcel, de la Guépie et de Saint-Antonin. Ces châteaux se révoltèrent peu après, mais ce ne fut, pas impunément. La même année du Seigneur 1211, dans le mois de juillet, le comte Simon et l’armée des croisés assiégèrent Toulouse; avec eux étaient le comte de Bar et beaucoup de nobles d’Allemagne; au dedans étaient les comtes de Toulouse, de Comminges et de Foix, et un grand nombre de chevaliers. De part et d’autre on livra des assauts, et on fit plusieurs efforts de courage; mais l’armée manquant de vivres, le comte fut forcé de renoncer à son projet, et s’avançant vers Pamiers, prit Hauterive et le fortifia. Il arriva à Pamiers, et prit Vareilles, où il mit garnison. Pénétrant dans les châteaux du comte de Foix, Simon en dévasta un grand nombre et incendia entièrement le bourg de Foix. Ensuite se retirant, il s’approcha de Cahors, et fut reçu comme seigneur par l’évêque et les habitants. La même année du Seigneur 1211, le 10e jour d’Août, Mainfroi de Belvésé, catholique, exhorta souvent son cousin germain, Raimond, comte de Toulouse, à abandonner entièrement la secte perverse de l’hérésie; mais ce fut en vain, car il ne voulut point se rendre à ses exhortations. C’est pourquoi Mainfroi, craignant la censure apostolique, se retira vers les évêques et le comte de Montfort, et fut reçu avec bienveillance. Peu après ce dit comte Raimond de Toulouse, par haine pour son cousin Mainfroi, assiégea son château de Belvésé et le village de Montgiscard situé auprès, détruisit toute sa baronnie, et égorgea à Belvésé tous les gens du comte: deux enfants seulement furent sauvés par une servante qui, à l’insu du comte Raimond, les conduisit dans le Béarn.

L’an du Seigneur 1212, le Miramolin, roi d’Afrique, déclara une guerre terrible aux Chrétiens. Cinq de nos rois s’étant assemblés, obtinrent, par l’aide de Dieu, la victoire dans le combat. Il y eut, selon le bruit public, environ cent mille Sarrasins de tués. Aussitôt après la bataille, les nôtres s’emparèrent de Calatrava, tandis que le roi des Sarrasins fuyait honteusement. La même année, du Seigneur 1212, le 3e jour de juin, le comte de Montfort, avec l’armée des croisés, assiégea vigoureusement le fort château de Penne, dans l’Agenais, et après un grand nombre d’assauts et d’efforts belliqueux, il s’en empara le jour de la fête de l’apôtre saint Jacques.

Cette même année, la veille de l’assomption de sainte Marie, le comte Simon assiégea, avec l’armée des croisés, la très forte ville de Moissac, qui tenait pour le comte de Toulouse, se révoltait contre l’église et paraissait favoriser les hérétiques. Elle fut prise la fête suivante de la Nativité de la Vierge sainte Marie, et tous les routiers qu’on y trouva furent égorgés. La même année du Seigneur 1212, dans le mois de février, Louis, fils aîné de Philippe, roi de France, jeune homme très doux et d’un bon caractère, prit la croix contre les hérétiques, les croyants et les Albigeois et Toulousains, leurs défenseurs. Par amour pour lui et par émulation, un grand nombre de chevaliers prirent aussi le signe de la croix du salut. Le jour du départ des croisés contre les hérétiques fut fixé à l’octave de la Pâque, mais des guerres suscitées pendant ce temps au roi de France retardèrent de trois ans l’exécution du projet de Louis et des croisés.

L’an du Seigneur 1213, Pierre, roi d’Aragon, à la tête d’une armée considérable d’Aragonais et de Catalans, Raimond, comte de Toulouse, et les comtes de Foix et de Comminges, avec une armée nombreuse composée des citoyens et du peuple de Toulouse, sortirent de cette ville, au nombre de cent mille guerriers, et assiégèrent, avec de grandes forces et encore plus d’orgueil contre Dieu et l’église, le château de Muret, situé sur le bord de la Garonne, non loin de Toulouse, et le champion de Dieu, Simon, comte de Montfort, qui, pour l’amour de Dieu et par obéissance à la foi, avait pris en main et gouvernait les affaires de l’église contre les hérétiques, les croyants et leurs fauteurs. Il avait fortifié ce château contre les ennemis de la foi, et y avait laissé un petit nombre de chevaliers. Aussitôt qu’il en fut instruit, il quitta Fanjaux, où il était alors, et se hâta, comme un lion très courageux, devenir au secours de ses assiégés. Le jour suivant, un mercredi, par l’Ordre du légat du Siège apostolique, l’archevêque de Narbonne arriva avec l’armée des croisés de Dieu, sept évêques et trois abbés, au château de Muret, et y entra à la vue des ennemis et malgré eux. Les évêques ci-dessus mentionnés envoyèrent des messagers au roi, pour lui annoncer qu’ils allaient venir lui demander la paix, et qu’ils avaient résolu de se rendre vers lui pieds nus, pour adoucir la si grande dureté de son cœur, et lui donner des conseils ainsi qu’au peuple qui périssait. Lorsqu’ils eurent envoyé un messager au roi pour lui annoncer cette arrivée des évêques, le roi s’élança sur les ennemis et les attaqua. Ledit roi ne put être détourné de sa mauvaise entreprise ni par les avertissements, les défenses apostoliques, les pieuses prières et les exhortations que les prélats lui adressèrent dans des lettres; et cependant il savait bien que les comtes ci-dessus nommés et leurs défenseurs étaient enchaînés par le lien pesant de l’anathème, parce qu’ils avaient attaqué l’église de Dieu, et défendu manifestement les ennemis de la foi, et que, sous leur gouvernement, les hérésies et les hérétiques croissaient et se multipliaient contre la foi. Alors, le jour suivant, un jeudi, la veille de l’exaltation de la sainte Croix, Simon le Catholique résolut de s’avancer hardiment dans la plaine au devant des assiégeants avec l’armée des croisés, fort peu nombreuse alors; mais il n’est pas difficile à Dieu de combattre la multitude avec le petit nombre. L’armée de Simon n’avait que huit cents chevaliers et serviteurs à cheval, et quelques fantassins; en sorte qu’en tout ils pouvaient être mille. On croyait que l’armée du roi et du comte au contraire montait à environ cent mille hommes. Les champions du Christ ayant donc confessé leurs péchés, et entendu, selon leur coutume, l’office divin, repus de la salutaire nourriture des autels, et fortifiés par un repas frugal, prirent leurs armes et se préparèrent au combat. Après avoir reçu la bénédiction des évêques, adoré dans la main de l’évêque de Toulouse le bois de la croix de vie, et obtenu l’entière absolution de leurs péchés, ils sortirent du château. Le roi et les comtes, ayant rangé leurs troupes à l’opposé, vinrent dans la plaine, et se disposèrent au combat. Le comte Simon et les siens, rangés en trois bataillons très bien instruits par l’expérience dans l’art de combattre, se précipitèrent sur leurs ennemis avec une si grande impétuosité que, dans cette première attaque, ils les chassèrent de la plaine de même que le vent chasse la poussière de la terre; ensuite ils se dirigent vers la troupe du roi, à l’endroit où se faisait voir sa bannière; ils fondent sur elle, et la pressent avec une si grande ardeur que le choc des armes et le bruit des coups retentissaient au loin dans les airs, comme si un grand nombre de haches abattaient les arbres des forêts. Le roi mourut dans ce combat, ainsi que plusieurs grands d’Aragon qui périrent à ses côtés, et la force du Très Haut brisa ses ennemis par les mains de ses serviteurs, et les mit en pièces dans un moment. Les trois comtes et plusieurs autres, tournant le dos, furent chassés comme la poussière par le vent, et l’ange du Seigneur les poursuivit. Les uns par leur fuite échappèrent à la mort; les autres, évitant le glaive, périrent dans les flots; et un grand nombre fut égorgé. Beaucoup de milliers de Toulousains furent tués par le glaive ou submergés dans le fleuve.

On était touché de compassion de voir et d’entendre les lamentations des Toulousains pleurant leurs morts, car à peine y avait-il une seule maison qui n’eût à pleurer quelque perte certaine, ou ne pensât que quelqu’un des siens avait péri dans un cachot. Quoiqu’à cause de la grande quantité on ne puisse savoir au juste le nombre des ennemis exterminés dans ce combat, on en compta cependant vingt mille, tant de ceux qui furent tués par le glaive que de ceux qui se noyèrent dans la Garonne. Parmi les chevaliers du Christ, un seul périt avec un petit nombre de serviteurs.

Pendant le combat du Seigneur, les sept évêques qui s’étaient rassemblés, Foulques, de Toulouse, Eudes, de Carcassonne, Thédise, évêqued’Agde, ceux d’Uzès, de Lodève et de Comminges, les trois abbés de Glarac, de Villemagne et de Saint-Thiberi, avec leurs clercs et quelques religieux, parmi lesquels était l’ami de Dieu, le frère Dominique, chanoine d’Osma, qui créa et fonda dans la suite l’Ordre des frères Prêcheurs, entrèrent dans l’église, à l’exemple de Moïse dans la guerre de Josué, et, levant les mains au ciel, prièrent le Seigneur pour ses serviteurs qui s’exposaient pour son nom et sa foi à un imminent danger de mort, priant et criant, ils poussaient vers le ciel de si grands mugissements à cause des périls dont ils étaient menacés, qu’ils semblaient plutôt hurler que prier. Ensuite le noble comte Simon ordonna à quelques-uns des siens, savoir, à Mainfroi de Belvésé et autres, de le conduire à l’endroit où avait été tué le roi d’Aragon. Y étant arrivé, il trouva le corps du roi étendu au milieu de la plaine, tout nu, car les gens de pied l’avaient dépouillé de ses armes. Le très pieux comte, voyant le roi étendu à terre, descendit de cheval, comme un autre David à l’occasion de Saül. Après cette glorieuse victoire, le très chrétien comte, comprenant qu’un si grand miracle venait de la puissance de Dieu et non de celle des hommes, se rendit modestement à pied à l’église, pour y offrir ses actions de grâces au Dieu tout-puissant de la victoire qu’il avait remportée, et donna en aumône aux pauvres son cheval et ses armes. Les évêques et les abbés écrivirent par ordre le combat, sa cause et la victoire, et transmirent ce récit avec leurs seings à tous les fidèles du Christ.

L’an du Seigneur 1213, Philippe, roi de France, dévasta la Flandre; et ayant reçu des otages des villes de Gand, d’Ypres, de Bruges, de Lille et de Douai, retourna avec eux en France, et prit, dans un combat livré en plaine, Ferrand, comte de Flandre, et Renaud, comte de Boulogne. Dans le même temps, Louis son fils s’avança en Aquitaine contre Jean, roi d’Angleterre, et le chassa de ce pays.

Dans le même temps mourut dans le territoire de Liège Marie de Lignies, femme digne d’admiration, dont maître Jacques de Vitry, depuis cardinal, a écrit la vie merveilleuse.

L’an du Seigneur 1214, Simon, comte de Montfort, avec l’armée des croisés de Dieu, prit les châteaux suivants, demeure et refuge des ennemis de la foi et de l’église, des perturbateurs de la paix et des routiers ; à savoir: Maurillac, dans le diocèse de Rodez; ils le détruisirent de fond en comble. On y trouva sept hérétiques parfaits, de la secte des Vaudois, lesquels, amenés en présence du seigneur légat Robert, avouèrent leur infidélité, et, ne voulant point y renoncer, furent brûlés par les pèlerins de la Croix. Il prit aussi Mont-Pezat, dans le diocèse d’Agen, que les ennemis avaient abandonné à la nouvelle de l’approche de l’armée du Seigneur. Les croisés le démolirent entièrement. Il prit pour la seconde fois et recouvra Marmande, après en avoir chassé et mis en fuite les ennemis, il en fortifia la plus haute tour, et fit renverser les autres, ainsi qu’une partie des murs. Il assiégea ensuite Casseneuil, très fort château, situé dans le territoire d’Agen, une des places les plus considérables des hérétiques dans ce pays. Les hommes de ce château étaient depuis longtemps très pervers; ils avaient deux fois récidivé, et se révoltaient encore. Le comte Simon les assiégea avec de grandes forces; et, après de nombreux travaux, des assauts et des efforts merveilleux, l’homme de Dieu s’empara enfin de vive force du château, et y fit mettre le feu. Un grand nombre des ennemis furent égorgés par le glaive, le reste s’enfuit: Casseneuil fut pris et détruit le 18 du mois d’août. De là, s’avançant vers le château de Dôme, dans le diocèse de Périgueux, habité par les ennemis de la paix et de la foi, ils le trouvèrent vide de défenseurs, la crainte les ayant fait fuir devant l’armée du Seigneur. Lorsqu’ils y furent arrivés, le comte fit abattre et miner la tour qui était extrêmement forte. Il fit aussi démolir près de là le château de Montfort, dont était seigneur Bernard de Casenac, homme inhumain, ou plutôt bête féroce, secondé dans ses cruautés par sa femme, qui l’égalait en méchanceté; elle était sœur du vicomte de Turenne, et surpassait la perversité de Jézabel. On prit Castelnau, qui n’était pas inférieur aux autres. Le comte ne le détruisit pas, mais le conserva pour qu’il lui servît à soumettre plus facilement les perturbateurs de la paix. Simon prit un quatrième château, nommé Bainac, dont le seigneur était celui du château pris auparavant. Ces quatre châteaux du diocèse de Périgueux, à savoir, Dôme, Montfort, Castelnau et Bainac, étaient, depuis cent ans et plus, la demeure de Satan. De là l’iniquité s’était répandue sur la face de tout le pays. Lorsqu’ils furent soumis, la paix et la tranquillité furent rendues, non seulement aux pays de Périgord et de Cahors, mais encore à une grande partie de l’Agenais et du Limousin. Le comte marcha avec les siens à Figeac, et prit un château nommé Cadenac, depuis longtemps la demeure et le refuge des tyrans; de là il vint à la ville de Rodez, où le comte de Rodez, après quelque altercation au sujet de sa terre dont il ne voulait pas rendre hommage, reconnut enfin qu’il tenait sa terre du comte Simon de Montfort. Il y avait auprès de Rodez un certain château très fort, appelé Séverac, habité par les routiers, perturbateurs de la paix et de la justice, le seigneur de ce château ne voulant pas le rendre au comte Simon, il le fit assiéger aussitôt, et s’en empara de vive force malgré l’excessive rigueur de l’hiver. Enfin ce seigneur en fit hommage au comte Simon, rendit le château, et fut reçu en l’amitié et familiarité du comte.

L’an du Seigneur 1214 dans la quinzaine du dimanche de Noël, maître Pierre de Bénévent, légat du Siège apostolique, diacre cardinal, tint à Montpellier un célèbre concile de prélats, dans lequel s’assemblèrent cinq archevêques, savoir ceux de Narbonne, d’Auch, d’Embrun, d’Arles et d’Aix vingt-huit évêques, et un grand nombre d’Abbés et d’autres prélats; il s’y rendit aussi plusieurs barons du pays. Ledit légat demanda l’avis de tous les prélats pour savoir à qui, pour le plus grand avantage et honneur de Dieu et de la sainte mère Église, et pour le repos du pays, et l’extirpation de l’immonde peste de l’hérésie, ils devaient accorder et assigner Toulouse, qui s’était remise entre les mains du légat, et lui avait donné des otages; et aussi les autres villes, métairies et terres conquises par l’armée des croisés. Tous les prélats, sans en excepter aucun, choisirent unanimement et tout d’une voix le noble athlète du Christ, Simon, comte de Montfort, pour seigneur et prince de tout ce pays. Ensuite, les prélats envoyèrent vers le pape Innocent, Bernard, évêque d’Embrun, avec des lettres de leur part, dans lesquelles ils le suppliaient humblement et instamment de confirmer l’élection de Simon, et de lui accorder la seigneurie et domination de cette terre: ce qui fut fait.

L’an du Seigneur 1214, Louis, fils aîné du roi de France Philippe, qui trois ans auparavant avait pris la croix contre les hérétiques albigeois et toulousains, mais qui avait été arrêté par un grand nombre de guerres importantes, prit sa route vers le pays d’Albi et de Toulouse, pour accomplir son vœu de pèlerinage. Avec lui vinrent un grand nombre de nobles et d’hommes puissants de Lyon, de Valence et de la Provence. Comme il était à Saint-Gilles, avec le noble comte Simon de Montfort, il vint des messagers du seigneur pape, chargés de plusieurs lettres pour le légat, les prélats et ledit Simon, par lesquelles il remettait à la garde de Simon de Montfort toutes les terres qui avaient appartenu au comte de Toulouse, et aussi toutes les terres conquises par les croisés, et celles que le légat tenait en sa puissance au moyen des otages et des garnisons, jusqu’à ce que dans un concile général, convoqué à Rome pour le 1er jour de novembre de la même année, on disposât pleinement desdites terres.

Les lettres du pape au comte, qu’on a conservées dans les faits et gestes de celui-ci, étaient d’un très beau style, et données à Latran, le 2 du mois d’avril, la dix-huitième année de son pontificat. Ledit Louis avec le légat, le comte Simon et sa noble compagnie, étant arrivé à Béziers, il fut ordonné, par la volonté du légat et le conseil des prélats, que, d’après l’ordre et l’autorité du légat, Louis ferait démolir les murs de Narbonne, de Toulouse et de quelques autres châteaux, parce que ces remparts avaient causé beaucoup de maux à la chrétienté. Louis manda aux citoyens de Narbonne que, sous la direction de deux chevaliers qu’il leur envoya à cet effet, ils abattissent, dans l’espace de trois semaines, les murailles de leur ville; et les Narbonnais commencèrent à exécuter cet ordre. Le comte Simon, lorsqu’on lui eut rendu le pays selon la forme du mandat apostolique du légat, maître Pierre de Bénévent, diacre cardinal, se rendit avec le légat vers le château de Pamiers, où le comte de Foix vint trouver le légat et lui remit le château. Le légat livra donc et remit au comte Simon le château de Foix, qu’il tenait depuis longtemps en sa puissance. Le comte Simon envoya aussitôt des chevaliers, et reçut le château de Foix, qu’il fit fortifier. Le comte avait envoyé peu auparavant Gui de Montfort, son frère, avec des chevaliers, pour occuper en son nom la ville de Toulouse, et ils reçurent pour lui les serments de fidélité des Toulousains, à qui ils ordonnèrent de détruire les murs de leur ville. Les citoyens obéirent, quoique malgré eux et avec une extrême douleur, et se mirent à démolir leurs murs. Vers ces jours, Louis, le légat et le comte Simon vinrent à Toulouse. De là, Louis et les siens, ayant achevé leur pèlerinage dans l’espace de quarante jours, retournèrent en France. Le légat se rendit au concile général, et le comte Simon tint une cour très nombreuse.

L’an du Seigneur 1215, au commencement de novembre, dans la dix-huitième année de son pontificat, le pape Innocent III, ayant convoqué les archevêques, les évêques, les abbés et les autres prélats des églises, tint à Rome, dans l’église de Latran, un concile général; il y assista quatre cent douze évêques, parmi lesquels étaient deux des principaux patriarches, les évêques de Constantinople et de Jérusalem; l’évêque d’Antioche, retenu par une grave maladie, ne put s’y trouver, et envoya à sa place l’évêque d’Antarados: l’évêque d’Alexandrie, placé sous la domination des Sarrasins, fit ce qu’il put, et envoya à sa place son frère, qui était diacre. Les primats et les métropolitains étaient au nombre de soixante et onze. Il y avait encore quatre-vingts abbés et princes. Le nombre des patriarches, des archevêques, des évêques et des autres prélats était de douze cent quinze. Il s’y trouva une grande multitude des envoyés du roi de Sicile, Frédéric II, élevé à l’empire romain; de l’empereur de Constantinople; surtout du roi de France, Philippe, du roi d’Angleterre, Jean, du roi de Hongrie, du roi de Jérusalem, du roi de Chypre, du roi d’Aragon et d’autres princes et grands de ville et autres lieux. Saint Dominique, Espagnol de nation, chanoine d’Osma, vint aussi au saint concile avec le vénérable Foulques, évêque de Toulouse, pour demander avec instance l’institution et confirmation de l’Ordre des Prêcheurs, dont il était fondateur et premier religieux. Elle lui fut promise par le pape Innocent, à la suite d’une vision céleste qu’eut ce pape, où l’église de Latran lui parut tombant en ruine et soutenue sur les épaules de Dominique. Ce ne fut que l’année suivante que cette concession fut pleinement consommée par son successeur, le pape Honoré III. On vit aussi à ce concile Raimond, autrefois comte de Toulouse; son fils Raimond et le comte de Foix, qui venaient supplier qu’on leur rendît leur terre, qu’ils avaient perdue. Le comte Simon envoya à sa place son frère Gui de Montfort. Dans ce concile, le pape Innocent adjugea et donna au comte Simon de Montfort et à ses héritiers le comté de Toulouse et tout le pays qu’il avait conquis avec l’armée des croisés. Par cette sentence, le comte de Toulouse fut privé du château appelé château Narbonnais, qui, à Toulouse, fut remis à la volonté du comte Simon: ce château est encore appelé ainsi de nos jours. Les citoyens et bourgeois de Toulouse jurèrent obéissance à Simon, qui fut nommé comte de Toulouse, et appelé ainsi par les notaires dans les actes publics. Il fit démolir les murs de la ville et les remparts du faubourg, combler les fossés et raser les tours des maisons fortifiées qui étaient dans la ville, et enlever les chaînes des carrefours, afin qu’ils n’osassent plus se révolter contre lui. Lorsque ses messagers furent de retour du concile, le comte Simon passa en France, vers le roi Philippe, pour recevoir de lui ladite terre, qui relevait du roi. Celui-ci le reçut avec honneur et bonté, et l’investit, lui et ses héritiers, de Toulouse, de tout le pays et de toutes les terres que les croisés avaient conquis sur les hérétiques et leurs défenseurs, dans les pays relevant de sa suzeraineté. Il lui confirma aussi la possession du duché de Narbonne. Comme le comte Simon n’était pas encore revenu de France, pendant ce temps, Raimond le jeune, fils de Raimond l’ancien, autrefois comte de Toulouse, ayant fait une conjuration avec les habitants d’Avignon, de Carcassonne et de Marseille, s’empara du pays au-delà du Rhône, et du château de Beaucaire, situé en deçà de la rive de ce fleuve, dans le royaume de France, et qui avait appartenu au comte de Toulouse. Gui de Montfort, frère du comte Simon, et Amaury, fils aîné de ce même Simon, rassemblèrent une armée, et s’avancèrent promptement contre lui. Enfin Simon accourut ensuite, et assiégea en dehors les assiégeons, mais, n’obtenant aucun succès, il leva le siège, parce qu’un grand nombre de ses ennemis cachés lui montrèrent alors les cornes, et que beaucoup de villes et de villages se joignirent à ses adversaires.

L’an du Seigneur 1216, les citoyens de Toulouse refusant de se soumettre au comte Simon, voulaient se soustraire à son obéissance, et supportaient avec peine le joug qui les privait de leur ancienne liberté. Le comte Simon, craignant que s’il ne les prévenait, leur orgueil ne s’accrût, prit la résolution de les attaquer et de châtier rigoureusement leur insolence. Venant donc avec une forte armée, il les attaqua en plusieurs endroits par le fer et le feu, afin de les effrayer et de les dompter plus facilement. Ceux-ci, au contraire, opposant la force à la force, repoussèrent l’attaque du comte et des siens. Mais bientôt Foulques, évêque de Toulouse, pour détourner des périls imminents, traita de la paix et de l’accord entre les deux partis, et les Toulousains essayèrent d’émousser par l’argent le tranchant du fer. Le comte était épuisé par les dépenses qu’il avait faites devant Beaucaire, et manquait d’Argent. Se doutant de ce besoin, les Toulousains persuadèrent au comte, par de belles apparences, de recevoir de la ville et du faubourg, pour leur rachat, trente mille marcs d’Argent, qu’ils étaient en état de lui payer pour le prix de sa faveur. Le comte accueillit ce conseil d’Achitopel sans en prévoir le danger. Ceux qui le lui donnaient savaient bien que la levée de cette somme occasionnerait des offenses envers tous, ce qui les forcerait à essayer de recouvrer leur liberté première, et à rappeler vers eux leur ancien seigneur. Il arriva en effet ce qui devait arriver, on demanda l’argent avec une dure et rigoureuse insistance; et pour éviter ces extorsions, les citoyens fermèrent les portes de leurs maisons. Le peuple gémissait sous cette servitude. Pendant ce temps on traitait secrètement avec l’ancien comte, qui alors errait en Espagne, pour l’engager à revenir à Toulouse, en lui promettant de faire ce qu’il voudrait. Il y revint en effet; et cette année, comme le pape Innocent III s’efforçait d’établir la paix entre les Pisans, les Génois et les Lombards, pour qu’ils allassent au secours de la Terre Sainte, il mourut à Pérouse, dans un voyage entrepris à ce sujet. Il fut enterré dans cette ville dans l’église de Saint-Laurent, au mois de juillet, l’an du Seigneur 1216, la dix-neuvième année de son pontificat. Les habitants de Pérouse ayant sévèrement renfermé les cardinaux, pour les obliger à élire promptement un pape, le Saint-Siège ne vaqua qu’un seul jour.

Honoré III, Romain de nation, commença, l’an du Seigneur 1216, dans le mois de juillet, son pontificat, dans lequel il demeura dix ans huit mois et vingt-trois jours. Il rétablit, hors des murs, l’église de Saint-Laurent, appelée la sainte des saints. Il composa aussi des décrétales; il couronna empereur de Constantinople, dans saint Laurent, Pierre, comte d’Auxerre. Saint Dominique, Espagnol de nation, fondateur de l’Ordre des frères Prêcheurs, obtint du pape Honoré, dans la première année de son pontifical, confirmation de cet Ordre, qui lui fut accordée à Rome dans l’église Saint-Pierre, le lendemain de la Saint-Thomas, le 22 décembre, l’an du Seigneur 1216. Le pape Innocent III, d’après la céleste vision que Dieu lui avait fait apparaître dans le concile général, arrêta la confirmation de cet Ordre; mais, prévenu par la mort, il ne put accomplir son dessein. Honoré autorisa aussi, la huitième année de son pontificat, l’Ordre des Frères Mineurs, fondé par saint François. Il confirma de même à Paris, l’an du Seigneur 1217, un autre Ordre pieux. Dans le même temps mourut Guillaume, évêque de Nevers, qui chaque jour nourrissait deux mille pauvres.

L’an du Seigneur 1217, l’armée s’assembla à Acre avec les rois de Jérusalem, de Chypre, de Hongrie, de Bavière, et plusieurs Français et Allemands. Les Hongrois s’en retournèrent. Quelques chevaliers débarquèrent en Egypte et s’emparèrent de Damiette. Il périt quatre-vingt-dix mille Sarrasins, tant par la famine que par le fer. Enfin les cardinaux, les Templiers, les Hospitaliers, avec toute l’armée, ayant été pris, excepté le roi, qui, se brouillant avec les cardinaux, s’était éloigné de Damiette, dont les Chrétiens étaient en possession depuis un an, pour les racheter, on rendit cette ville aux païens. L’an du Seigneur 1217, comme le comte Simon faisait au loin la guerre à Adhémar de Poitiers, au-delà du Rhône, le vieux Raimond, autrefois comte de Toulouse, profitant de l’occasion favorable, passa les Pyrénées avec les comtes de Comminges et de Pailhas et quelques chevaliers, et entra secrètement dans Toulouse au mois de septembre, après avoir passé la Garonne, non sur un pont, mais à gué. Peu de gens avaient été instruits de son projet, et cela plut à quelques-uns et déplut à d’autres. Le comte Gui de Montfort, qui était dans la ville, essaya d’apaiser par les armes ces nouveaux troubles; mais il fut repoussé et ne put en venir à bout. Pendant qu’on annonçait cet événement au comte Simon, occupé au siège de Crest, les Toulousains commencèrent à entourer la ville de pieux, de retranchements, de fossés et de palissades, pour la défendre contre le château Narbonnais. Le comte Simon étant arrivé avec le seigneur cardinal Bertrand, légat du pape Honoré III, et demeuré maître du château Narbonnais, il attaqua la ville avec vigueur; mais comme les citoyens se défendaient courageusement, il ne put rien cette fois. Enfin de tous côtés on dressa des machines et on se lança mutuellement des pierres. Pendant ce temps Foulques, évêque de Toulouse, fut envoyé avec d’autres en France par le légat, pour prêcher une croisade avec d’autres.

Avec eux était maître Jacques de Vitry, homme très probe, très lettré et très éloquent, devenu par la suite évêque d’Acre et enfin cardinal. Par ses prédications, un grand nombre de ceux qui étaient venus à ce siège prirent la croix, et au printemps suivant l’évêque Foulques retourna avec eux à l’armée. Le comte Simon fit présent à perpétuité, à lui et à ses successeurs, les évêques de Toulouse, du château de Vertfeuil, avec tous les villages et forts qui dépendaient de ce château, à cette seule condition que, s’il arrivait qu’on le vînt attaquer dans ses terres, l’évêque enverrait au combat un chevalier armé. Comme les assiégés et les assiégeants étaient fatigués d’Avoir combattu pendant tout l’hiver, tant au moyen de leurs machines que des autres instruments de guerre, le comte Simon, fortifié par les nouveaux pèlerins, fatigua ses ennemis, non pas tant par des assauts que par des excursions autour de la ville, que les citoyens avaient entourée de barricades et de fossés. Enfin il résolut de faire construire une machine en bois appelée Chat, au moyen de laquelle ils traîneraient de la terre et du bois pour combler les fossés, et ensuite de livrer un combat de près, et d’Attaquer les ennemis en brisant les palissades. Un certain jour, le lendemain de la naissance de saint Jean-Baptiste, comme le comte Simon était dans cet engin, une pierre lancée de l’autre côté d’un mangonneau tomba sur sa tête, qu’elle fracassa, et il expira, l’an du Seigneur 1218, dans l’armée du Seigneur, qu’il commandait en homme digne de louanges. Son fils, Amaury, son successeur et héritier, continua le siège jusqu’à la fête de saint Jacques, où, levant son camp, il quitta le château Narbonnais, qu’il ne pouvait tenir, et transporta soigneusement, selon la coutume des Français, le corps de son père à Carcassonne, d’où il fut ensuite conduit en France. Le pays était livré à l’agitation de tant d’événements inopinés. Après peu de jours, Castelnaudary se rendit au comte de Toulouse le comte Amaury ne tarda pas à l’assiéger avec ses troupes réunies, et dressa des machines contre les murailles. La ville était défendue et soutenue par le jeune Raimond, fils du vieux comte de Toulouse. Il arriva un jour que Gui, comte de Bigorre, fils du feu comte Simon, et frère d’Amaury, tomba dans un assaut, et expira, couvert de blessures. On remit à son frère son corps arrangé convenablement dans un cercueil couvert de pourpre. On se battit depuis la fin de l’été jusqu’à la fin de l’hiver. Au printemps, le comte Amaury leva le siège de Castelnaudary, et s’éloigna, épuisé d’ennuis et de dépenses.

L’an suivant, du Seigneur 1219, Louis, dont nous avons parlé plus haut, fils de Philippe, roi de France, prit au roi d’Angleterre la ville de La Rochelle, et se disposa avec son armée à marcher comme pèlerin contre Toulouse. Sur son passage, il résolut d’Assiéger un château appelé Marmande, dans le diocèse d’Agen, qui avait appartenu au comte de Toulouse, par l’Ordre de qui Centulle, comte d’Astarac, et quelques autres nobles, au nombre desquels était Arnauld de Blanquefort, avaient entrepris de le défendre. Louis les ayant fait assiéger pendant quelques jours, ils virent qu’ils ne pourraient longtemps soutenir l’attaque; et ayant reçu des sûretés, ils se rendirent, eux et la ville: on les emmena captifs à Puy-Laurens, jusqu’à ce qu’on les échangeât contre les prisonniers de l’autre parti. Louis, quittant Marmande, s’avança directement contre Toulouse avec une armée très considérable. Arrivé dans cette ville avant la fête de saint Jean-Baptiste, le 16 de juin, il campa et dressa des machines tout autour. Pendant quarante-cinq jours il livra aux assiégés les assauts les plus violents. Avec lui était le seigneur Bertrand, légat, qui avait cette affaire à cœur. Le temps de son pèlerinage achevé, le prince Louis leva le siège au premier d’août, et retourna en France. On rendit les chevaliers et autres prisonniers ci-dessus mentionnés. Après le départ de cette armée, la guerre s’échauffa avec plus d’ardeur, et plusieurs châteaux se rendirent à l’ancien comte de Toulouse.

L’an du Seigneur 1220, naquit Jeanne, fille unique de Raimond le jeune, fils de Raimond l’ancien, comte de Toulouse, et qui épousa le seigneur Alphonse, comte de Poitou, et frère du roi Louis. Cette même année, un grand nombre de villes se rendirent au comte Raimond, qui conquit et recouvra les châteaux de Lavaur, Puy-Laurens et Mont-Réal, où fut tué Alain de Roucy, alors seigneur de ce château.

Frédéric avait d’abord paru bon : élevé depuis son enfance par l’église comme par une mère, lors de la condamnation d’Othon iv, l’an du seigneur 1217, il avait été élu empereur; mais ensuite, s’écartant du bien, il devint l’ennemi et le tyran de l’église de Dieu que, loin de favoriser comme sa mère, il déchira autant qu’il put, comme si elle eût été pour lui une marâtre. C’est pourquoi le pape Honoré, qui l’avait couronné, le voyant rebelle à lui et ennemi de l’église, le frappa d’Anathème et délia tous ses barons de leur serment de fidélité. Frédéric régna pendant trente-trois ans, non par le bien, mais par le mal, non par la justice, mais par l’iniquité et la tyrannie.

L’an du Seigneur 1220, le légat Conrad, de l’Ordre de Cîteaux, évêque de Porto, fut envoyé par le Siège apostolique dans le ays d’Albi et de Toulouse.

Saint-Jean, à Toulouse, étant arrivés, transportèrent son corps dans leur maison, mais ne le portèrent pas à la sépulture, car le comte était enchaîné dans les liens de l’anathème, et il est encore aujourd’hui, comme on le voit, privé de sépulture. Son fils Raimond, dernier comte de Toulouse, ayant, par la suite des temps, obtenu la paix de l’église et du roi de France, produisit au Siège apostolique des témoins qui prouvèrent que Raimond l’ancien avait montré des signes de pénitence; mais il ne put en aucune manière obtenir qu’on l’ensevelît.

L’an du Seigneur 1223, le très fortuné Philippe, roi de France, mourut au château de Mantes, dans la quarante-troisième année de son règne, pendant lequel il augmenta de beaucoup ses États. Il eut pour successeur son fils Louis, âgé de trente-trois ans, qui, dans la même année, fut couronné roi à Reims, avec la reine Blanche, sa femme, fille du roi de Castille, le jour de la Transfiguration du Seigneur.

L’an du Seigneur 1224 les grands du Limousin, du Périgord, et tous ceux de l’aquitaine, excepté les Gascons qui habitent au-delà de la Garonne, promirent et gardèrent fidélité à Louis, roi de France. Vers le même temps, Amaury, fils et successeur du noble homme Simon, comte de Montfort et de Toulouse, voyant l’inconstance des habitants de ce pays, qui de jour en jour quittaient son parti pour embrasser celui de son. ennemi, et hors d’état de le garder, remit au roi de France, son seigneur, le comté de Toulouse et toutes les autres terres que son père et lui avaient conquises et qui leur avaient été données dans le territoire d’Agen, d’Albi, de Cahors, de Carcassonne, et partout ailleurs dans cette partie, et lui transmit tous ses droits, te roi conféra l’office de connétable, dans toute la France, à ce même comte Amaury, qu’il avait reconnu pour un homme prudent, brave et habile dans l’art militaire. Dans le même temps un grand tremblement de terre eut lieu dans la Lombardie, en sorte qu’un grand nombre de maisons et de tours s’écroulèrent, et qu’il périt beaucoup de gens. Dans ce temps on envoya comme légat, dans le pays d’Albi et de Toulouse, un Romain, diacre cardinal de Saint-Ange, homme d’un grand discernement, agréable à Dieu et aux hommes, et capable de traiter de si grandes affaires. Avec le secours de Dieu, il engagea Louis, roi de France, à se charger d’achever l’entreprise qui n’avait pas été terminée sous les autres, et lui avait été réservée dans les territoires d’Albi, de Toulouse et dans la Provence. Ce magnanime et dévot roi accepta la mission.

L’an du Seigneur 1225, au mois de février, mourut Bernard, comte de Comminges, époux de la dame Marie de Montpellier, qui, dans la suite, fut mère du seigneur Jacques, roi d’Aragon. Il fut enseveli à Montsavez. Vers le même temps mourut le seigneur Arnauld Amaury, archevêque de Narbonne, de l’Ordre de Cîteaux. Il eut pour successeur le seigneur Pierre Ameil, grand archidiacre de son église.

L’an du Seigneur 1226, au printemps, époque où les rois ont coutume de marcher à la guerre, avec la bénédiction de Dieu, le seigneur Louis, roi de France, se mit en marche, suivi d’une armée innombrable de croisés et du seigneur légat de Rome. Il prit sa route vers Lyon, choisissant la plaine commode pour les chariots, et le fleuve du Rhône favorable au transport des troupes. Les consuls des villes et des villages du parti du comte de Toulouse, venaient au devant de lui, lui livraient leurs forteresses, et lui donnaient des otages à sa volonté. Les habitants d’Avignon vinrent aussi au devant de lui et lui donnèrent des otages. Le roi et le légat étant arrivés devant cette ville, la veille de la Pentecôte, comme une partie considérable de l’armée avait déjà passé le pont, les citoyens d’Avignon, craignant sans raison s’ils laissaient la multitude passer par leur ville, en fermèrent les portes, ne permettant le passage qu’au roi et à quelques gens, et ne lui laissant que le choix de passer ainsi, ou par une route très étroite à travers des rochers. Ce que le roi trouvant aussi dangereux que déshonorant pour lui, il ne voulut point le tenter, et exigea le passage libre par la ville. Sur leur refus et leur résistance à ses ordres, le roi demeura en cet endroit, fit disposer les tentes, et campa dans un appareil de guerre. Ayant fait dresser pierriers et autres instruments de guerre, il commença à assiéger vigoureusement la ville. Les citoyens élevant machines contre machines, se défendirent avec courage. Pendant ce temps le légat et le roi envoyèrent en avant, vers le pays de Toulouse, le seigneur Pierre Ameil, archevêque de Narbonne. Celui-ci, les précédant, réconcilia à l’église et au roi, dont il leur promettait la paix, tous les châteaux, les villes et leurs maîtres, sans en excepter aucun, depuis les parties supérieures du pays jusqu’aux portes de Toulouse. Ils jurèrent d’embrasser le parti de l’église et du roi. Les citoyens de Carcassonne apportèrent au roi, dans l’armée, les clefs de leur ville. Le comte de Foix, Roger Bernard, demanda la paix; mais cette fois-ci il ne la trouva pas telle qu’il la voulait. Cependant les citoyens d’Avignon, dont le seigneur avait résolu d’humilier l’orgueil, assiégés de cette manière pendant trois mois, et se voyant inférieurs en force, rendirent leur ville sous certaines conditions au légat et au roi, le 12e jour de septembre. Ils furent punis par la ruine de leurs murs et d’autres peines encore. Un grand nombre d’hommes, dans l’armée, moururent de diverses maladies, et ce fut une grande grâce de Dieu que la ville se rendît sitôt, car quinze jours s’étaient à peine écoulés depuis le, départ de l’armée, que le fleuve de Durance déborda de son lit et enfla tellement qu’il couvrit toute la plaine où était le camp du roi en sorte que l’armée n’aurait pu y rester. Après la prise d’Avignon le roi, toujours accompagné du légat, dirigea sa marche vers Béziers et Carcassonne. Il avait aussi avec lui le vénérable Foulques, évêque de Toulouse, exerçant, dans l’armée et sur la route, une libéralité égale à tout ce qu’on a jamais vu, car tout le monde le vénérait à cause de la réputation de sa bonté et des travaux qu’il endurait pour la foi. Le roi étant venu à Pamiers, y régla, par le conseil du cardinal légat, beaucoup de choses pour l’honneur de Dieu et la liberté de l’église: sévissant sévèrement, par une loi nécessaire et salutaire, contre tous ceux qui méprisaient le pouvoir de l’église, ce dont il est fait mention dans le concile de Narbonne, tenu dans le carême suivant, et qui commence par: Felicis recordationis. Le roi et le légat sortirent de Béziers par Beaupuy, où ils couchèrent, et se rendirent de là à Castelnaudary, et ensuite à Puy-Laurens, où ils passèrent aussi la nuit, et delà, le jour suivant, à Lavaur, d’où ils partirent pour le pays d’Albi. Ayant laissé, pour garder le pays, le seigneur Humbert de Beaujeu, vaillant homme de guerre et accoutumé à la fatigue, le roi et le légat s’en retournèrent avec une troupe innombrable de guerriers par le chemin de l’auvergne. Le roi, attaqué d’une maladie à Montpensier, par la volonté de Dieu, termina la carrière de sa vie en ce monde, le 8e jour de novembre, l’an du Seigneur 1226, la troisième année de son règne. Son projet, s’il eût vécu, était de retourner au printemps suivant dans les pays d’Albi et de Toulouse. Louis, son fils aîné, âgé de près de quatorze ans, lui succéda au trône. Il était, autant que le permettait son âge, l’image des mœurs et de la vertu de son père. La même année du Seigneur, le 31 de janvier, mourut le noble comte Gui de Montfort, blessé à la tête d’un carreau à Vareilles, près de Pamiers, qui faisait alors partie du diocèse de Toulouse.

L’an du Seigneur 1226, le 18 mars, mourut le pape Honoré III, dans la onzième année de son pontificat. Il fut enseveli à Rome, dans l’église de Sainte-Marie-Majeure.

Grégoire îx, né à Anagni, dans la Campanie, fut élu à Rome, dans l’église des Sept Portes, le neuvième jour après la fête de saint Grégoire, la veille de celle, de saint Benoît, le 19 mars, l’an du Seigneur 1226; selon ceux qui commencent à compter les années de l’Incarnation du Seigneur au jour de l’Annonciation, ce fut l’année 1227. Il siégea quatorze ans; on trouve dans la plupart des chroniques treize ans et six mois. Ce Grégoire s’appelait Ugolin, cardinal, évêque d’Ostie. Il fit réunir en un seul volume, par le frère Bernard de Pennafort, de l’Ordre des frères Prêcheurs et Pénitenciers, et son chapelain, plusieurs volumes de décrétâtes, et ordonna aux docteurs et aux juges ecclésiastiques d’en faire usage. Il renouvela et rendit plus sévère la sentence portée contre Frédéric, par Honoré son prédécesseur. Gomme il voulait tenir un concile à Rome, et que Frédéric assiégeait cette ville par mer et par terre, deux cardinaux, Jacques de Préneste et Othon, qui avaient été envoyés au-delà des monts, comme légats pour le secours de l’église, furent pris, comme ils s’en retournaient à la cour, avec beaucoup de prélats, d’Abbés et de clercs, par des vaisseaux pirates, du parti de l’empereur Frédéric. Assiégé dans sa ville par Frédéric qui s’était alors emparé d’une grande partie du patrimoine de l’église, et voyant que presque tous les Romains étaient corrompus par de l’argent, le pape prit les têtes des apôtres, et, faisant une procession depuis l’église de Latran jusqu’à celle de Saint-Pierre, il ramena ainsi les esprits des Romains à prendre presque tous la croix contre l’empereur. Celui-ci, qui se croyait déjà près d’entrer dans la ville, en étant instruit, fut saisi de crainte et se retira loin de Rome.

L’an du Seigneur 1226, fut rasé le château appelé Bécède, dans le diocèse de Toulouse, qui fournissait un asile aux ennemis de l’église et aux hérétiques. Le seigneur Humbert de Beaujeu, pour Louis, roi de France, assiégea, dans l’été, l’an du Seigneur 1227, ce château dans lequel Raimond, dernier comte de Toulouse, avait mis des munitions et de braves guerriers pour sa défense. Dans l’armée du parti du roi et de l’église étaient, avec le seigneur Humbert, le seigneur Pierre Ameil, archevêque de Narbonne, et le seigneur Foulques, évêque de Toulouse. Comme celui-ci passait avec plusieurs gens auprès de la ville, ceux du dedans, s’étant mis à crier, l’appelèrent, avec impiété, l’évêque des diables; car les hérétiques infidèles appellent les catholiques et les ministres de l’église romaine des diables, et l’église elle-même la synagogue de Satan. Alors ceux qui accompagnaient l’évêque lui dirent: Vous entendez qu’ils vous appellent l’évêque des diables. —Effectivement, répondit l’évêque, ils disent vrai, car ils sont les diables et je suis leur évêque. Les assiégeants, par le moyen de leurs machines, s’emparèrent du château, et un grand nombre de chevaliers et de fantassins s’enfuirent pendant la nuit. Ceux qu’on y trouva furent tués à coups d’épée ou de bâton. Le pieux évêque s’efforça d’arracher à la mort les femmes et les enfants de l’hérétique Guiraud de Lamotte, diacre, et ses compagnons furent livrés aux flammes.

L’an du Seigneur 1228, vers le temps de la Pâque, Raimond, comte de Toulouse, recouvra Castel Sarrasin, occupé par les gens du roi et de l’église: il assiégea et renferma la citadelle et ceux qui étaient dedans entre de tels retranchements que les habitants du pays et les autres du parti du roi et de l’église, qui étaient dans les environs, bien qu’ils se fussent hâtés de venir au secours des assiégés, ne purent parvenir jusqu’à eux, car, en dehors, le comte de Toulouse les avait entourés avec de grandes palissades el des fortifications qui faisaient face et à ceux du dehors et à ceux du dedans. Pierre Ameil, archevêque de Narbonne, Foulques, évêque de Toulouse, et Gui, évêque de Carcassonne, se réunirent à ce siège. Y vint aussi le seigneur Humbert de Beaujeu, qui s’était, pour un temps, retiré dans sa terre en France. L’archevêque de Bourges, qui venait visiter la province, y accourut de même avec une troupe de guerriers qu’il avait rassemblés. Les prélats et les barons furent d’avis, puisqu’ils ne pouvaient secourir les assiégés enfermés dans Castel Sarrasin, d’assiéger, dans ce pays, le château de Montech. Après un siège de quelques jours il se rendit à eux. Ceux qui étaient renfermés dans Castel Sarrasin, n’ayant plus de vivres, se rendirent à condition qu’on leur laisserait la vie, et remirent le château à leurs ennemis. Les croisés résolurent ensuite de ravager et de détruire les vignes de la ville de Toulouse; ils convoquèrent du monde de tous côtés, et arrivèrent, vers la fête de saint Jean-Baptiste, des prélats de la Gascogne, les archevêques d’Auch, de Bordeaux, et quelques évêques et barons avec leurs peuples croisés, ils dirigèrent leur marche vers Toulouse et campèrent du côté de l’orient, dans un endroit appelé Pechalmari. Ils commencèrent à détruire les vignes sur les hauteurs: après les avoir ravagées de ce côté, ils transportèrent leur camp à un endroit appelé Montaudran, et firent subir à leurs ennemis une triple perte: ils avaient un grand nombre d’hommes qui fauchaient les moissons, d’autres qui s’occupaient, avec des piques de fer, à démolir les murs et les tours des forteresses, et beaucoup d’autres encore à détruire les vignes. Tel était l’Ordre qu’ils suivaient chaque jour: au lever de l’aurore, après avoir entendu la célébration de la messe, ils prenaient une nourriture frugale, et, se mettant à la suite des balistes, en rang et tout prêts à combattre, ils s’approchaient des vignes les plus voisines de la ville, tandis que les citoyens étaient encore à peine éveillés, et de là revenaient vers leur camp, toujours détruisant les vignes, et suivis pas à pas par les troupes des chevaliers. Ils observèrent le même ordre chaque jour, jusqu’à ce qu’au bout de près de trois mois tout fût achevé de presque tous les côtés. Ainsi, s’en retournant comme en fuyant, ils remportaient admirablement la victoire sur leurs ennemis. On les exhortait ainsi à la conversion et à l’humilité, et on leur ôtait ce qui causait leur orgueil accoutumé, comme on enlève à un malade ce dont la trop grande abondance pourrait lui nuire. Dans cette conduite, c’était en effet le dessein de l’armée du Seigneur et de l’église, de manifester, par ces dégâts, leur jugement sur leurs ennemis comme on le vit ensuite. Après donc que ces ravages et ces destructions furent achevés, les prélats, les barons, les chevaliers et les peuples de la Gascogne retournèrent chez eux: le reste, qui composait une forte troupe, marcha vers Pamiers, envahit la terre du comte de Foix jusqu’au Pas de la Barre, et ils dressèrent leurs tentes dans une plaine qui s’étend auprès d’un lieu appelé Saint-Jean de Verges, où ils couchèrent pendant plusieurs nuits. Après avoir placé des garnisons où elles étaient nécessaires, ils s’en retournèrent. Pendant ce temps, le vénérable abbé de Grandselve, nommé Élie Guarin, vint de France, chargé des pouvoirs du légat pour offrir la paix aux Toulousains, qui, épuisés par les nombreuses calamités qu’ils avaient subies, y consentirent volontiers. On fit une trêve et on tint des conférences à Basiége, où on régla qu’il fallait aller en France. On fixa d’abord, pour le rendez-vous, Meaux, dans la Brie, ville du comté de Champagne. Y vinrent, tant comme envoyés que de leur propre mouvement, l’archevêque de la province de Narbonne et ses suffragants, Raimond, dernier comte de Toulouse, d’autres hommes et les citoyens de Toulouse qui sont nommés dans les actes du traité ou dans d’autres actes rendus en cette assemblée. Il s’y trouvait aussi le légat, et plusieurs autres prélats qui avaient été convoqués. On resta plusieurs jours à traiter des articles de paix; ensuite on partit pour Paris, où tout devait s’achever en présence du roi Louis. Tout ayant été terminé et scellé, le dernier comte Raimond fut réconcilié, ainsi que tous ceux qui étaient enchaînés avec lui par une sentence d’excommunication, la veille du Vendredi Saint, à la fin de l’année 1228.[1] C’était pitié de voir un homme si puissant, qui avait pu résister si longtemps et à tant de nations, conduit à l’autel en chemise et en brayes, et les pieds nus. A cette cérémonie assistaient deux cardinaux de l’église romaine, l’un, légat dans le royaume de France, et l’autre, l’évêque de Porto, légat dans le royaume d’Angleterre. Il n’est pas nécessaire de rapporter ici les articles de la paix conclue entre le roi et l’église d’une part, et le comte de Toulouse de l’autre, puisqu’on les trouve ailleurs publiés et écrits. Je juge à propos cependant de remarquer ici que, dans cette longue guerre avec le comte de Toulouse, qui fut le début du jeune roi Louis, Dieu combla sa jeunesse de tant d’honneur que chacune des conditions de la paix eût pu paraître une rançon suffisante, si ledit roi eût rencontré ledit comte sur lé champ de bataille et l’eût fait prisonnier. Ainsi il fut statué qu’il ne pourrait laisser à aucun de ses héritiers Toulouse ni l’épiscopat de Toulouse, qu’on lui accordait seulement pour la vie, et qu’aucun héritier de lui ou de sa fille ne pourrait les réclamer contre son roi, excepté seulement ceux qui descendraient de sa fille unique, Jeanne, et du seigneur Alphonse, frère de ce même roi Louis. Il devait, pour sa pénitence, se retirer pour cinq ans au-delà de la mer, et s’obliger à payer vingt-sept mille marcs. Il livra aussi au roi et à l’église toute la terre au-delà de l’épiscopat de Toulouse, vers l’orient, en deçà et au-delà du Rhône. Nous passons sous silence d’autres conditions onéreuses auxquelles il se soumit, et qui eussent paru suffisantes pour son rachat, s’il eût été pris: en sorte que ce qui arriva sembla plutôt être l’ouvrage de Dieu que celui des hommes. Le comte de Foix, qui avait autrefois, pour lui et son père, demandé au roi la paix sans son seigneur, le comte de Toulouse, et ne l’avait pas trouvée telle qu’il la voulait, était demeuré en guerre. Le roi lui donna, en faveur de la paix, la terre qu’autrefois le comte de Toulouse avait conquise jusqu’au Pas de la Barre. Il la tint et y mit ses baillis jusqu’à ce que, par la suite des temps, le comte de Foix ayant traité avec le roi, qui lui donna des terres pour mille livres de revenu[2] dans le Carcasses, ce même comte de Toulouse livra et remit en commande au comte de Foix la terre, depuis le Pas de la Barre, sous condition qu’il la lui rendît aussitôt qu’il l’en requerrait.

La paix ayant été conclue à Paris à la fin de l’année du Seigneur 1228, l’an suivant, du Seigneur 1229, au mois de juillet, maître Pierre de Colmieu, vice-légat, réconcilia l’église de Toulouse. Le comte n’était pas encore revenu de France, et il resta volontairement à Paris prisonnier du roi, jusqu’à ce que les murs de Toulouse fussent démolis, qu’on eût rendu les châteaux et les villes, comme il avait été réglé dans le traité de paix, et que sa fille Jeanne, âgée de neuf ans, eût été remise à Carcassonne aux envoyés du roi. C’est cette fille qu’Alphonse, frère du roi, comte de Poitou, épousa dans la suite. Le comte de Toulouse ayant été fait chevalier par le seigneur roi, à la fête de Pentecôte, aussitôt après avoir accompli tout ce qui avait été convenu, retourna dans sa terre. Il fut suivi de peu de jours par lé légat, qui avait envoyé en avant dans le pays, pour détruire les châteaux, un grand nombre de croisés avec des indulgences, ceux-ci avaient eu dessein de venir d’abord les armes à la main, si la paix n’eût pas eu lieu. Ce seigneur légat tint, après l’été, à Toulouse, l’an 1229, un concile auquel assistèrent les archevêques de Narbonne, de Bordeaux et d’autres prélats. On y vit aussi le comte de Toulouse, et les autres comtes, excepté celui de Foix, les barons du pays et le sénéchal de Carcassonne. Les deux consuls de Toulouse, l’un de la ville et l’autre du faubourg, jurèrent, au nom de toute la communauté, d’observer tous les articles de la paix, les comtes et autres approuvèrent le serment, en firent un pareil, et tout le pays en fit ensuite de même. Dans ce temps fut tué André Calvet, brave chevalier, sénéchal du roi, surpris par les ennemis dans un bois appelé Centenaire.

L’an du Seigneur 1229, il s’éleva à Paris parmi les écoliers une grande dissension. La même année, à la fête de saint Silvestre, Jacques, roi d’Aragon, prit l’île de Majorque.

L’an du Seigneur 1230, Thibaut, comte de Champagne, le comte de Bretagne, le comte de la Marche, et Raimond, dernier comte de Toulouse, se liguèrent avec le roi d’Angleterre contre le roi de France, saint Louis, mais, Dieu aidant, ils furent repoussés par les forces du jeune roi.

L’an du Seigneur 1231, le seigneur Foulques, évêque de Toulouse, termina ses derniers instants le jour de la naissance du Seigneur. Il fut enseveli dans le monastère de Grandselve, de l’Ordre duquel il avait été moine, la vingt-huitième année de son épiscopat. Il eut pour successeur le vénérable frère Raimond de Felgar, du château de Miremont, prieur provincial des frères Prêcheurs, dans la Provence, et qui fut élu évêque à l’unanimité du chapitre universel de l’église.

L’an du Seigneur 1233, la nuit de la Circoncision, la terre fut désolée par un froid si rigoureux et si long, que les grains furent gelés en grande partie jusqu’à la racine. Vers ce temps le seigneur légat tint un concile à Béziers, dans lequel il s’efforça de rétablir la paix entre les comtes de Provence et de Toulouse, qui, depuis trois ans et plus, se faisaient la guerre. Ses efforts n’eurent pas le succès qu’il désirait. Telle était la cause de cette guerre: les citoyens de Marseille, étant en discorde avec leur évêque et le comte de Provence, allèrent trouver le comte de Toulouse et le créèrent leur seigneur, afin qu’il prît la ville sur le comte et l’évêque. Étant venu avec une forte troupe, le comte, son ennemi, ne voulut point l’attendre, en sorte que, tant que le comte de Toulouse vécut, il eut à Marseille un délégué pour percevoir les impôts, non comme il voulait, mais comme voulaient les citoyens, dont le danger était passé et dont il lui fallut souvent éprouver l’inconstance. L’an du Seigneur 1234, Louis, roi de France, déclaré saint dans la suite, épousa Marguerite, fille de Raimond Bérenger, comte de Provence. Dans le même temps une grande famine se déclara, surtout dans le Poitou; les habitants étaient obligés de se nourrir d’herbes comme les bêtes brutes. Il s’ensuivit une si grande mortalité, qu’on ensevelissait ensemble cent personnes par jour dans la même fosse ou dans le même trou.

L’an du Seigneur 1238, la veille de saint Michel, Jacques, roi d’Aragon, s’empara de Valence.

L’an du Seigneur 1239, le 3 de juin, à la sixième férié, on vit une éclipse de soleil. Cet astre fut tellement obscurci qu’on apercevait les étoiles dans le ciel. La même année il y eut encore une éclipse à la fête de saint Jacques. La même année, Grégoire ix, frappé de nombreuses tribulations, passa de ce monde vers le Christ.

L’an du Seigneur 1240, Trencavel, fils du feu comte de Béziers, ayant les grands dans son parti, à savoir, Olivier de Termes, Bernard d’Orzals, Bernard Hugues de Serrer-Longue, Bernard de Villeneuve, Hugues de Romegous, son neveu, et Jourdain de Saissac, attaqua le pays du roi de France, dans les diocèses de Narbonne et de Carcassonne, et un grand nombre de châteaux embrassèrent son parti, à savor Mont-Réal, Montolieu, Saissac, Limoux, Asillan, Laurac, et tous ceux qui voulurent, dans ce moment de trouble et d’épouvante. De l’autre parti, entrèrent dans la vitant à ne pas abandonner le parti de l’église et du roi, et leur assurant qu’ils pouvaient penser que le roi ne souffrirait pas longtemps cet état de choses.

Pendant qu’il les animait ainsi par ses paroles, on remplissait la ville de moissons et de vendanges, on couronnait les murs de remparts de bois, on dressait des machines, et on préparait tout comme dans l’attente d’un combat. Cependant quelques habitants du faubourg eurent secrètement des conférences avec les ennemis, parlant de les introduire dans le faubourg. Dans ce temps, le comte de Toulouse revenait de piller la Camargue, et étant arrivé à Penautier, près de Carcassonne, le sénéchal du roi sortit pour avoir avec lui une conférence, dans laquelle il l’engagea à chasser les ennemis du pays. Le comte lui ayant répondu qu’il tiendrait conseil à ce sujet à Toulouse, ils s’en retournèrent chacun de son côté. Peu de jours après, l’évêque de Toulouse, dont la langue gracieuse était habile à apaiser les inimitiés, vint avec le sénéchal dans le faubourg. Les bourgeois et le peuple, s’étant rassemblés dans l’église de Sainte-Marie, s’engagèrent, par serment, sur le corps du Christ, les reliques des saints, et les saints évangiles, placés sur l’autel sacré de la sainte Vierge Marie, à demeurer dans le parti de l’église, du roi de France et des citoyens de la ville, et à les défendre. Le jour suivant, qui était celui de la Nativité de la sainte Vierge, ils reçurent des lettres du roi par leur propre messager, que les bourgeois de Carcassonne avaient envoyé vers lui, et les montrèrent aux prélats et aux grands qui étaient dans la ville, avec l’apparence d’une grande joie. Il arriva que la nuit même, les ennemis du roi et de l’église furent introduits dans le faubourg et reçus par les traîtres, en dépit de leurs serments. Un grand nombre de clercs qui étaient dans le faubourg, instruits de cet événement, se réfugièrent dans l’église. On leur avait accordé la permission de se retirer vers Narbonne, et on leur avait promis sûreté au nom de leur prince, ou plutôt de leur tyran, et sous le témoignage de son seing; mais ces hommes corrompus et réprouvés se jetèrent, contre leur foi, au devant de ceux qui sortaient, et les tuèrent traîtreusement, près de la porte, au milieu des prêtres et des clercs, au nombre de plus de trente. Les ennemis, ainsi reçus traîtreusement dans le faubourg, commencèrent à miner comme des taupes, et s’efforcèrent de s’emparer de la ville; mais les défenseurs étant venus à leur rencontre, également par dessous terre, les repoussèrent par des coups, de la fumée et de la chaux, et les obligèrent de renoncer au travail qu’ils avaient commencé. Dans la première attaque, un moulin, qui n’était défendu que par une faible et vieille palissade, fut pris et les serviteurs qui étaient dedans furent tués. Le combat se livrait de près, et était par là très périlleux. Les maisons du faubourg, qui, situées près de la ville, à laquelle elles tenaient pour ainsi dire, pouvaient l’insulter à coups de balistes, et donner les moyens de faire secrètement de nouvelles percées, subissaient à leur tour les représailles des machines de la ville et des masses de pierre qu’elles leur lançaient. On combattit ainsi pendant près d’un mois, et alors la France envoya un secours que les ennemis n’osèrent pas attendre; ayant mis le feu en plusieurs endroits, ils abandonnèrent le faubourg aux Français qui venaient, et se retirèrent sur-le-champ auprès de Mont-Réal, où l’armée les suivit et les assiégea. Après s’être battus plusieurs jours, les comtes de Toulouse et de Foix s’assemblèrent enfin et traitèrent de la paix. Les assiégés sortirent avec leurs chevaux et leurs armes, et abandonnèrent le château et le peuple: l’hiver était déjà si rigoureux qu’il était dangereux à l’armée de le passer en cet endroit.

L’an du Seigneur 1241, mourut Roger Bernard, comte de Foix. Son fils, Roger, lui succéda dans le comté. La même année, à la fête de l’apôtre saint André, Bernard, comte de Comminges, mourut subitement à table, au milieu de son dîner, à Lantar, dans le diocèse de Toulouse.

L’an du Seigneur 1242, au mois d’avril, Raimond, comte de Toulouse, le comte de la Marche et le roi d’Angleterre conclurent des alliances et des traités pour faire la guerre à Louis, roi de France, avec plusieurs autres qui consentirent a entrer dans la ligue, afin qu’assailli d’un grand nombre de côtés, il pût moins suffire à sa défense. C’est pourquoi le comte de Toulouse tint un conseil secret avec ses grands, parmi lesquels le principal était le comte de Foix, qui l’engagea à cette démarche, promettant qu’il l’aiderait à faire la guerre au roi; il lui en prêta serment, et lui en donna acte par écrit. Se joignirent au comte de Toulouse Amaury, vicomte de Narbonne, Raimond Gaucelin, seigneur de Lunel, Pons d’Olargues, et quelques autres du diocèse de Béziers. Les citoyens d’Albi, le vicomte de Lautrec et d’autres feignirent d’embrasser son parti, jusqu’à ce qu’ils le vissent irrévocablement engagé. L’évêque de Toulouse, prévoyant le danger et la ruine du comte, et de bien des gens avec lui, s’efforça, du consentement de ce même comte, de rétablir la paix avec le seigneur roi de France. Mais il se trouva que le comte de Foix, malgré la promesse qu’il avait faite au comte sur le conseil qu’il lui demandait, traita sans lui avec le seigneur roi. Dans ce traité, pour embrasser le parti du roi contre le comte, il obtint que lui et ses successeurs et toute la terre qu’il tenait en commande dudit comte de Toulouse seraient à perpétuité exempts de la domination du comte. Il déclara la guerre au comte, en attaquant le château de Penne, dans l’agenais. Pendant ce temps, l’évêque de Toulouse, avec le seigneur roi qui attaquait alors la terre du comte de la Marche, trouva le chemin de la paix entre le roi et le comte de Toulouse. C’est pourquoi le roi ne tarda pas d’envoyer de Cahors vers le pays de Toulouse une armée suffisante. Après quoi il fit partir d’un autre côté le vénérable père seigneur Hugues, évêque de Clermont, et le noble Humbert de Beaujeu, avec une grande multitude de guerriers. Le comte de Toulouse, de son côté, et l’évêque de Clermont et le seigneur Humbert de Beaujeu de l’autre, avec ceux qui avaient été envoyés plus récemment par le roi, s’étant rassemblés à Alzonne, dans le diocèse de Carcassonne, pour traiter de la paix, on fixa le jour auquel on devait paraître en présence du roi, et on indiqua pour le lieu Lorris, dans le Gâtinais, où, avec le secours de Dieu, la paix fut rétablie.

L’an du Seigneur 1242, le 29e jour de mai, la nuit de l’ascension du Seigneur, le frère Guillaume Arnauld, homme sage, dévot, fidèle et très doux, inquisiteur des hérétiques, avec deux frères, ses compagnons, de l’Ordre des Prêcheurs, Raimond l’écrivain archidiacre de Lézat, de l’église de Toulouse, le prieur d’Avignonnet, moine de Cluse, Pierre Arnauld, secrétaire d’inquisition, et trois autres, poursuivant à Avignon, dans le diocèse de Toulouse, l’affaire de la foi contre les hérétiques, furent tués pour la foi dans la cour du comte par les ennemis et croyants hérétiques, comme ils chantaient le Te Deum, ce meurtre fut commis par l’ordre d’un bailli de ce comte, qui les y avait conduits. L’atrocité de cette action éloigna plusieurs chevaliers de la guerre dans laquelle ils avaient conspiré contre le roi avec le comte de Toulouse.

La même année, du Seigneur 1242, Louis, roi de France, vint en Aquitaine contre le comte de la Marche et d’Angoulême. Après bien des combats et des sièges, le comte de la Marche vint, avec la reine sa femme et ses fils, se jeter aux pieds du roi, et assura au comte de Poitou, Alphonse, frère du roi, les hommages des seigneurs de Pont, de Rancogne, du comté d’Angers, de la Roche et de Lusignan. Le roi d’Angleterre, couvert de honte et abandonné par les barons d’Aquitaine, s’enfuit de la Saintonge à Bordeaux, et retourna dans son pays. Dans le même temps les Tartares ravagèrent la Pologne et la Hongrie.

L’an du Seigneur 1243, au printemps, Raimond, comte de Toulouse, se rendit au Siège apostolique, et resta un an ou environ auprès de l’empereur et à la cour, il obtint la restitution du pays Venaissin. Dans le même temps, le seigneur Raimond, évêque de Toulouse, alla à la cour, où il était appelé. L’an du Seigneur 1243, le pape Innocent vint à Lyon, en France.

L’an du Seigneur 1244, avant la Nativité du Seigneur, le roi de France, Louis, ayant été malade jusqu’à la mort, prit la croix d’outre mer.

L’an du Seigneur 1245, à la fête de saint Jean-Baptiste, le pape Innocent tint un concile à Lyon avec ses cardinaux et ses prélats d’au-delà des Alpes et les autres des royaumes de France et d’Espagne; il prononça définitivement la sentence de déposition de l’empereur Frédéric, le 26 juillet. Y assistèrent Baudouin, empereur de Constantinople, et les comtes de Toulouse et de Provence, qui y traitèrent, en présence du pape, d’un mariage entre le comte de Toulouse et Béatrix, dernière fille du comte de Provence, le pape devant accorder une dispense à cause de l’obstacle de la parenté. Étant retournés dans leurs terres, en peu de jours Raimond Bérenger, comte de Provence, mourut sans que ce mariage eût été achevé. Le souverain pontife ne donna pas son consentement, en étant empêché par Marguerite, reine de France, Sancie, reine d’Allemagne, et Eléonore, reine d’Angleterre, sœurs de la jeune fille, qui envoyèrent au pape des messagers pour lui dire de ne point accorder de dispense. Le comte de Savoie, oncle de la jeune fille, et les barons de Provence s’occupaient secrètement et activement de la faire épouser à Charles, frère de saint Louis, roi de France, qui fut dans la suite roi de Sicile, et ce mariage eut lieu en effet, ladite année du Seigneur.

L’an du Seigneur 1247, Raimond, comte de Toulouse, partit pour la France, et prit la croix; lorsqu’il fut de retour en sa terre, un grand nombre de barons, de chevaliers et d’habitants des villes et des bourgs prirent aussi la croix avec lui; et il se mit en mer avec un grand appareil. Cependant le comte s’occupait continuellement, autant qu’il pouvait de ne pas laisser sans sépulture, en s’embarquant, le corps de son père, dont nous avons déjà parlé. Après avoir eu des juges du Siège apostolique, pour rechercher les signes de pénitence qu’il disait que son père avait eus ou reçus pendant son agonie, il envoya une lettre au roi de France, pour qu’il daignât supplier le pape à ce sujet, et un messager à celui-ci, mais il n’obtint absolument rien. Ainsi le comte de Toulouse, par on ne sait quelle faute, ne put obtenir de se marier comme il voulait, ni d’ensevelir son père.

L’an du Seigneur 1248, le roi de France Louis, déclaré saint dans la suite, avec ses deux frères, Robert, comte d’Artois, et Charles, comte d’Anjou, et leurs femmes, et une armée innombrable, vint, pour se mettre en mer, à Lyon, où était alors le pape Innocent avec sa cour.

L’an du Seigneur 1249, au printemps, le roi se mit en marche avec son armée; arrivé à Damiette, il trouva les bords du Nil remplis d’une multitude de Sarrasins qui s’opposaient à son débarquement; mais repoussés par les balistes, et fuyant vers la ville, ils laissèrent les rivages libres, et, par le secours de Dieu, furent saisis d’une si grande terreur, qu’ils abandonnèrent la ville, extrêmement fortifiée et pleine de vivres. La première fois que les guerriers vinrent du camp vers Damiette, ils s’étonnèrent de ne pas trouver, comme ils l’avaient craint, du monde pour la défendre. Le roi et toute l’armée les ayant suivis, entrèrent dans la ville, qu’ils gardèrent pendant tout l’été et l’hiver suivant.

.L’an du Seigneur 1249, le 7 septembre, Raimond, dernier comte de Toulouse, qui l’année précédente s’était disposé à passer la mer, revint de Marseille sur ses pas. Attaqué de la fièvre à Millau, il reçut les sacrements ecclésiastiques, et termina son dernier jour. Son corps fut transporté au monastère de Fontevrault, où il fut enseveli auprès de la dame Jeanne, sa mère, fille du feu roi d’Angleterre;

L’an du Seigneur 1250, le roi de France Louis marcha contre le Soudan de Babylone en côtoyant le Nil. Son arrivée fut si terrible pour les Sarrasins, qu’ils n’osèrent se mesurer avec lui dans un combat; mais ils barricadaient comme ils pouvaient les chemins et les passages, afin qu’il ne pût arriver jusqu’à eux. Alors Robert, frère du roi, ayant fait une attaque qui lui réussit, pensa que, poursuivant de cette manière, la fin répondrait au commencement; et, méprisant le conseil des Templiers, il s’avança plus loin, et s’empara d’une ville nommée Massoure. Comme les Chrétiens ne se tenaient pas sur leurs gardes, les Sarrasins les assaillirent en foule et en tuèrent un grand nombre, parmi lesquels fut Robert, comte d’Artois, dont on ne trouva pas le corps. Une grande maladie s’éleva dans l’armée des Chrétiens, qui souffrirent d’une douleur de mâchoire et de dents, et d’une enflure dans les jambes. Ils mouraient en peu de jours, et on suffisait à peine à ensevelir les morts; c’est pourquoi il fallait, pour les gardes de la nuit et du jour, que les cuisiniers et autres serviteurs qui s’étaient habitués à monter à cheval, prissent les armes et les chevaux de leurs maîtres malades; forcés par cette nécessité, ils furent contraints d’Abandonner les remparts. Instruits de ces circonstances, les Sarrasins poursuivirent le roi; et l’ayant enfermé dans un certain lieu avec ses deux frères, Alphonse, comte de Poitou, et Charles, comte d’Anjou, ils les firent prisonniers, poursuivirent les autres, et en tuèrent beaucoup dans la poursuite. Que la faiblesse humaine ne tente pas de pénétrer par quel jugement de Dieu cette calamité arriva, mais que, soit lorsqu’il frappe dans sa colère, soit lorsqu’il guérit, elle reconnaisse sa miséricorde. Ayant ensuite conclu un traité avec le soudan, le roi fut délivré, ainsi que l’armée, moyennant une grosse somme d’argent, et la restitution de Damiette aux Sarrasins. Le Soudan, qui se réjouissait d’avoir vaincu les Chrétiens, fut assassiné par ses propres vassaux, à cause de cet argent. Ensuite les Sarrasins démolirent Damiette, dans la crainte qu’elle ne tombât une troisième fois entre les mains des Chrétiens. Le roi retournant à la ville d’Acre, demeura près de trois ans dans ce pays, fortifia beaucoup d’endroits, et délivra un grand nombre de prisonniers. Dans le même temps que le roi Louis était retenu captif, un grand nombre de jeunes bergers et d’enfants dans le royaume de France prirent tout à coup la croix, mais ils se dissipèrent en peu de temps comme une fumée. L’an du Seigneur 1250, à la fête de sainte Luce, mourut Frédéric, déposé depuis longtemps. Après sa déposition de l’empire, il assiégeait avec une forte troupe Parme, qui de toutes les villes de la Lombardie était celle qui lui était le plus contraire; il fut honteusement vaincu par le légat du seigneur pape et les habitants de Parme. Ayant perdu ses trésors et ses autres biens, il retourna dans la Pouille, où il fut attaqué d’une grave maladie. Mainfroi, son fils naturel et non légitime, ambitionnait la possession du royaume de Sicile et les trésors de Frédéric; craignant que le malade ne revînt à la santé, de complicité avec le secrétaire de l’empereur, il l’étouffa en lui mettant un coussin sur la figure. Ce Frédéric, auparavant, avait amené prisonnier dans la Pouille, et suffoqué dans la puanteur d’un cachot son propre fils Henri, roi d’Allemagne, et accusé près de lui de rébellion. Frédéric mourut ainsi sans sacrement et sans pénitence, dans les liens de l’excommunication et de l’anathème.

L’an du Seigneur 1251, le pape Innocent revint en Italie, de Lyon, où il avait passé près de sept ans. La noble dame Blanche, reine de France, mère de Louis, mourut cette année. Il s’éleva des troubles dans l’université entre le pouvoir ecclésiastique et les étudiants en théologie: ce fut Guillaume de Saint-Amour qui excita ces maux.

L’an du Seigneur 1251, le 23 mai, Alphonse, frère du roi de France Louis, comte de Poitou et de Toulouse, et Jeanne sa femme, fille de Raimond, comte de Toulouse, entrèrent dans cette ville, et prirent possession du comté et de toute la terre du comte Raimond. La même année, du Seigneur 1251, Conrad, fils de feu Frédéric, vint par mer dans la Pouille à la mort de son père pour prendre possession du royaume de Sicile ; et ayant pris Naples, il en fit détruire les murs de fond en comble mais comme l’année d’après son entrée dans la Pouille il tomba malade, un clystère que les médecins jugeaient devoir lui rendre, la santé ayant été mêlé de poison, lui donna la mort.

L’an du Seigneur 1252, dans le mois d’avril, le samedi, à l’aube du jour, le frère Pierre de Vérone, envoyé par le Siège apostolique comme inquisiteur des hérétiques, fut tué, à cause de sa piété, dans le territoire de Milan, il mourut vierge, docteur et martyr, ceint d’une triple couronne.

L’an du Seigneur 1254, au mois de juillet, le très chrétien Louis, roi de France, revint du pays d’outre mer ïl protégea les religieux comme leur père, rétablit la paix dans son royaume, fit un grand nombre d’aumônes, et porta des édits salutaires, s’attachant à faire disparaître de son royaume le jeu des dés, les blasphèmes des jureurs, les femmes débauchées des villes, les usures des Juifs et la corruption par argent des juges et des baillis. Le pape Innocent iv mourut à Naples, le jour de la fête de sainte Luce, l’an du Seigneur 1254.

L’an du Seigneur 1268, le 6 du mois de septembre, on chercha le très saint corps du bienheureux martyr Saturnin, pontife du siège de Toulouse, dans le monastère de cette ville, où, Dieu aidant, il avait brillé par un très grand nombre de miracles.

L’an du Seigneur 1261 Constantinople, prise autrefois par les Français et les Vénitiens, fut recouvrée à main armée dans un combat par Paléologue, empereur des Grecs.

L’an du Seigneur 1263, Urbain conféra, sous certaines conventions, à l’illustre Charles, comte de Provence et d’Anjou et frère du roi de France Louis, le royaume de Sicile, dont Mainfroi s’était emparé par la violence.

L’an du Seigneur 1264, le comte Simon de Montfort et les barons anglais de la ville de Londres et de plusieurs autres villes se révoltèrent contre Henri, roi d’Angleterre, et sa femme, et contre Edouard, leur premier né. Les habitants de Londres chassèrent de leur ville Éléonore, reine d’Angleterre, et s’emparèrent du roi, de Richard son frère, roi d’Allemagne, et de beaucoup d’autres; et il se fit dans ce royaume de grands massacres. Le pape Urbain, tant qu’il vécut, mit tous ses soins et tout son zèle à empêcher que la race bâtarde de Mainfroi ne prît de solides racines, à la détruire même entièrement, et s’attacha à élever contré son ennemi ledit Mainfroi, qui se glorifiait dans sa méchanceté, un adversaire capable de le réprimer. Il invita et exhorta l’illustre Charles, comte d’Anjou et de Provence, à s’élever, selon la coutume de ses ancêtres, de la race bénite desquels il descendait, contre l’ennemi de l’église, patron et refuge de tous les infidèles et méchants qui voulaient lui enlever des cités et des villes. Mais il parut, l’an du Seigneur 1264, vers le milieu de juillet, une comète présageant une révolution et une série de maux, gui devait être suivie de biens. Elle se fit voir à l’occident au commencement de la nuit, et après quelques jours apparut vers la fin des nuits à l’orient, étendant vers l’occident de nombreux rayons: sa course dura jusqu’à la fin de septembre.

L’an du Seigneur 1264, après l’apparition de la planète, mourut le pape Urbain IV. La discorde s’éleva entre Henri, roi d’Angleterre, et la plus grande partie de ses barons, parmi lesquels un des principaux était Simon de Montfort, comte de Leicester, beau-frère du roi, homme brave, prudent et guerrier. Elle était occasionnée par le roi, qui enfreignait et ne suivait aucunement les statuts, coutumes et autres règlements qu’on observait depuis longtemps pour le bien du royaume. C’est pourquoi on courut aux armes; et le combat engagé, le parti du roi succomba. Son frère Richard, roi d’Allemagne, et Edouard, son fils aîné, furent faits prisonniers.

L’an du Seigneur 1265, Edouard, fils aîné du roi d’Angleterre, gardé sans être renfermé, étant à se promener au dehors avec les gardes, monta sur un cheval qu’on lui avait préparé, et dont la vitesse lui donna le moyen d’échapper à sa captivité. Ce fut ainsi qu’il parvint à s’enfuir, en rompant son serment et la parole qu’il avait donnée à Simon de Montfort, comte de Leicester. Quelques jours après il fit la guerre à ce comte et aux autres barons, et dans le combat tua ce Simon, qui l’avait fait prisonnier, avec son fils Henri, brave chevalier, et plusieurs autres. On rapporte que Dieu opéra des miracles pour ledit comte Simon.

L’an du Seigneur 1265, Jacques, roi d’Aragon, assiégea et prit Murcie, ville des Sarrasins, autrefois tributaire du roi de Castille. La même année, l’illustre roi de France prit pour la sixième fois la croix contre les Sarrasins, et autant firent un grand nombre de princes, de peuples et de chevaliers. La même année, le 7 octobre, on trouva dans l’église de Saint Saturnin à Toulouse, auprès du tombeau de cet évêque martyr, quatre sépulcres de saints, ceux de saint Silvain, de saint Hilaire, d’Honoré et de saint Papoul, martyr. La même année, Mainfroi fut tué par Charles: ce qui donna lieu à ces vers:

Charles, champion du Christ, a dompté Mainfroi, ainsi que l’avait d’avance présagé la comète. Victorieux, il a de plus abattu, près de Bénévent, quatre mille combattants, et a relevé l’église. Cette victoire a été remportée l’an du Christ douze cent soixante-cinq, la guerre finit à la fin du troisième jour de février.

Après avoir remporté cette victoire, il s’empara de la ville de Bénévent sans trouver aucun obstacle.

L’an du Seigneur 1266, au mois d’août, une innombrable multitude de Sarrasins passant la mer, vinrent d’Afrique en Espagne, où ’étant réunis, ils firent souffrir beaucoup de maux aux Chrétiens, s’efforçant de recouvrer ce pays, qu’ils avaient perdu autrefois. Mais les Chrétiens de c?an du Seigneur 1267, le sultan de Babylone, après avoir ravagé l’Arménie, s’empara d’Antioche, une des plus fameuses villes du monde; et ayant tué et pris les hommes et les femmes, il la changea en un désert. Selon le jugement de Dieu, et pour que toute racine d’amertume fût coupée, Henri, frère du roi de Castille, ayant été élu dans ce temps sénateur par les Romains, Conradin, fils de Conrad, fils de feu Frédéric, à la persuasion de ses compagnons d’armes, sortit secrètement de l’Allemagne, sans qu’on soupçonnât sa fuite, dans l’espoir qu’à son approche tout le pays se soulèverait, et que le peuple viendrait à lui. Étant venu à Rome, il fut reçu avec honneur par le sénateur et une foule de grands. Ayant reçu les serments du sénateur et d’une grande multitude de Romains, il se mit en marche pour entrer dans le royaume de Sicile, et attaquer Charles, roi de ce pays, sans faire beaucoup de compte de l’excommunication du souverain pontife. Comme plusieurs désespéraient des affaires des partisans du roi Charles, à cause de la nombreuse armée de Conradin et de la révolte de presque tout le royaume de Sicile, le seigneur pape Clément, dont le cœur était rempli de confiance en Dieu, comme s’il en eût reçu parole du Seigneur, prédit dans un discours public que la force de Conradin s’évanouirait ainsi qu’une fumée, et qu’il entrerait dans la Pouille comme une victime. L’événement prouva bientôt la vérité de cette prédiction. Les troupes s’étant rangées dans la plaine de Saint-Valentin, des deux côtés on se précipite, et un combat meurtrier s’engage: mais par le secours d’en haut, la race des méchants prit la fuite; et, échappés du combat par la vitesse de leurs chevaux, Conradin et beaucoup d’autres grands se dispersèrent dans des lieux écartés, et ne purent si bien se cacher, que, le Seigneur livrant ces impies, ils ne fussent amenés prisonniers au roi. Il se fit là un plus grand carnage des ennemis de l’église qu’au combat de Bénévent.

Ce combat avec Conradin eut lieu après celui de Mainfroi, la veille de la fête de l’apôtre saint Barthélemy, l’an du Seigneur 1268, d’après la sentence des juges, le roi Charles fit trancher la tête à Conradin, au duc d’Autriche et à d’autres, leurs complices. Ainsi l’expédition de Conradin s’évanouit comme une fumée, et le pays ne s’émut point à son approche. Ainsi le pays fut changé par la main du Très Haut, en sorte qu’on courut s’enrichir là où les infidèles avaient coutume de se réfugier pour couver leur méchanceté. Le pape Clément iv mourut à Viterbe, la veille de la fête de l’apôtre saint Barthélemy, l’an du Seigneur 1268.

L’an du Seigneur 1269, le 27 juillet, les infidèles de Lucera s’étant révoltés contre le roi Charles, après avoir causé et souffert bien des calamités, vinrent se prosterner aux pieds du roi, demandant seulement la vie, qu’ils obtinrent de sa clémence. Ils se présentèrent la corde au cou avec tous les signes de la servitude et de la soumission. Le roi Charles les reçut pour esclaves et prit leur château, leur ville et tous leurs biens pour en faire à sa volonté. Ils lui remirent prisonniers les traîtres et perfides Chrétiens qui avaient pris part à leur révolte, afin qu’ils subissent la peine qu’ils méritaient.

La même année, du Seigneur 1269, Jacques, roi d’Aragon, avec un appareil royal et une multitude de guerriers, se mit en mer pour aller au secours de la Terre Sainte, et s’en retourna après avoir envoyé en avant une partie des siens. Il fut, dit-on, déterminé à ce retour par le conseil d’une femme qu’en effet le Seigneur repoussait de son holocauste. Ainsi fit Jupiter qui, si ce qu’on publie est véritable, est vu dans un tableau quittant le ciel pour suivre une génisse.

L’an du Seigneur 1270, l’illustre roi de France Louis, que n’effrayaient point les fatigues passées et les dépenses qu’il avait faites autrefois dans le pays d’outremer et ses enfants, Philippe, Jean, comte de Nevers, et Pierre de Lanson, ainsi que le seigneur Alphonse, frère du roi, comte de Poitiers et de Toulouse; les comtes d’Artois et de Bretagne, et plusieurs autres comtes et barons; Thibaut, roi de Navarre et gendre du roi, et plusieurs autres, vinrent vers la mer à Aigues-Mortes, et ils décidèrent que les forces des Chrétiens iraient soumettre d’abord le royaume de Tunis qui, situé au milieu de la route, était un grand obstacle aux navigateurs. Dans le même mois, vers la fête de sainte Marie-Madeleine, les Sarrasins ayant été repoussés, et défendant le débarquement, les croisés s’approchèrent du port de Carthage, auprès de Tunis, et des guerriers étant montés à l’assaut, s’emparèrent en un instant de cette ville, et campèrent aux environs de Tunis. Une nombreuse multitude de Sarrasins accourut, et campa hors des murailles; de fréquentes attaques s’engagèrent entre les deux partis. L’armée étant restée plus d’un mois dans ce lieu, par le jugement secret de Dieu, une grande maladie attaqua les Chrétiens, et enleva d’abord de la terre un des fils du roi, Jean, comte de Nevers, et le seigneur Raoul, légat du seigneur pape. Ensuite le serviteur béni de Dieu, Louis, roi de France, fut enlevé de ce monde la veille de la fête de saint Barthélemy. On trouve cependant dans quelques chroniques et dans les lettres de sa canonisation qu’il mourut le lendemain de cette fête. Son corps fut transporté en France. Les faits et gestes de ce roi, qui fut ensuite canonisé et déclaré saint par l’église, rapportent amplement avec quelle dévotion et quelle félicité il passa de ce monde vers Dieu notre père. A peine était-il mort, que Charles, son frère, roi de Sicile, arriva à l’armée avec beaucoup de troupes: saint Louis, quand il vivait encore, lui avait mandé de venir; et son arrivée répandit une grande joie parmi les Chrétiens, et une grande tristesse parmi les Sarrasins. L’armée demeura en ce lieu jusqu’à la fin de novembre, et le roi délibéra avec les princes sur ce qu’il y avait à faire pour le moment. Quoique la ville parût sur le point d’être prise par un assaut, ce qui ne se pouvait sans de grands dangers, on délibérait sur ce qu’on ferait après, car si on la gardait, il ne faut pas moins de force pour conserver ses conquêtes que pour conquérir, et l’armée ne pouvait demeurer en ce lieu; et d’où tirerait-on des vivres, s’ils venaient à manquer, l’hiver, dit-on, ne permettant pas la navigation? s’ils y laissaient une garnison, elle serait harcelée par les Sarrasins indigènes, et les nouveaux dangers pouvaient être plus grands que les premiers. Si on ne gardait pas, mais si on détruisait la ville, le temps qu’on mettrait à la démolir deviendrait un nouveau péril; puis dans l’hiver, l’armée ne pourrait plus se retirer par mer. Ils résolurent donc plus sagement d’exiger des barbares une somme d’or qui les dédommageât de leurs dépenses, de faire le roi de Tunis tributaire du roi de Sicile, et de s’arrêter aussi à quelques autres conventions et conditions parmi lesquelles voici les principales: que tous les Chrétiens prisonniers dans le royaume seraient renvoyés libres; qu’on construirait en l’honneur du Christ des monastères dans toutes les villes du royaume; que la foi du Christ serait librement prêchée par les frères Prêcheurs et Mineurs, et autres quelconques, et que ceux qui voudraient se faire baptiser le pourraient librement. Il y eut aussi beaucoup d’autres conventions qu’il serait trop long de rapporter. Edouard, roi d’Angleterre et des Frisons, était arrivé avec une très grande multitude d’autres pèlerins. Ainsi, après avoir fait une trêve, l’armée des Chrétiens se retira et retourna en Sicile à Trapani. Les vaisseaux étant arrivés à ce port, essuyèrent une grande perte, car la violence les vents en brisa plusieurs, et un grand nombre furent submergés. Au retour mourut Thibaut, roi de Navarre, qui était parti malade de l’Afrique; ensuite Isabelle, sa femme, fille du roi saint Louis, et une autre Isabelle, femme du nouveau roi de France, Philippe. Quittant la Sicile, Philippe, nouveau roi de France, Charles, roi de Sicile, son oncle, et Henri, fils de Richard, roi d’Allemagne, frère de feu Henri, roi d’Angleterre, avec beaucoup de nobles et de grands, vinrent à Viterbe; où, dans le carême suivant, ledit Henri, fils de Richard, roi d’Allemagne, qui était aussi comte de Cornouailles, fut tué dans l’église de Viterbe par les fils de feu Simon de Montfort, comte de Leicester, pour venger leur père, qui, comme nous l’avons dit, avait été auparavant pris et tué par Edouard, fils aîné du roi d’Angleterre.

L’an du Seigneur 1270, le 19 octobre, mourut le seigneur frère Raimond, évêque de Toulouse, la trente-troisième année de son épiscopat.

L’an suivant, du Seigneur 1271, Alphonse, frère du feu roi saint Louis, comte de Poitiers et de Toulouse, et sa femme, la dame Jeanne, fille de feu le seigneur Raimond, dernier comte de Toulouse, moururent sans enfants à Savone, cité maritime, à peu de jours de distance l’un de l’autre. Si l’on avait encore quelque espoir de voir naître un héritier de la comté de Toulouse, il fut alors entièrement enlevé, et cette race parut tout à fait détruite et anéantie. Tous les droits et la seigneurie du comté revinrent aux mains de l’illustre roi de France, à qui elle était directement dévolue.

L’an du Seigneur 1271, Philippe, fils du roi saint Louis, revenu en France du camp de Tunis, fut oint et couronné à Reims par l’évêque de Soissons, au milieu de l’allégresse de tout son peuple.

L’an du Seigneur 1274, au mois de mai, le pape Grégoire, dans la dixième année de son pontificat, convoqua à Lyon un concile général, dans lequel il établit beaucoup de bons règlements pour le secours de la Terre Sainte, qu’il avait intention de visiter aussi lui-même. Le nombre des prélats qui y assistèrent fut de cinq cents évêques mitres, de soixante-dix abbés, et d’environ mille autres prélats.

L’an du Seigneur 1275, mourut ce même Grégoire, et on rapporte qu’il brille d’un grand nombre de miracles.

L’an du Seigneur 1281, la veille de l’ascension du Seigneur, le dix-neuvième jour de mai, une partie du vieux pont de Toulouse s’écroula au moment que la procession venait de passer l’eau avec la croix, selon la coutume; deux cents personnes, de l’un et l’autre sexe, parmi lesquelles étaient quinze clercs, personnages notables et honorables, furent précipitées dans la chute du pont, et submergées dans la Garonne.

La même année, Pierre, roi d’Aragon, fit de nombreux préparatifs, qui donnèrent, avec raison, au pape Martin et à Charles, roi de Sicile, des soupçons que dans la suite l’événement prouva fondés.

L’an du Seigneur 1281, les habitants de Palerme, dans le royaume de Sicile, saisis de rage, massacrèrent, au mépris du roi Charles, tous les Français qui y demeuraient, hommes, femmes, vieillards et enfants, tous également; et, action exécrable, ouvrant le sein de celles de leurs femmes qu’on disait enceintes des Français, ils tuaient leur fruit avant qu’il fût né. Ensuite toute la Sicile, se révoltant contre son roi Charles, appela Pierre d’Aragon pour son défenseur et son seigneur.

L’an du Seigneur 1282, Charles, roi de Sicile, et Pierre, roi d’Aragon, convinrent ensemble d’un combat singulier et d’un duel. Les deux rois devaient, avec cent chevaliers de leur choix, se rendre dans la plaine de Bordeaux, au 1er de juin, l’an du Seigneur 1283, préparés à se livrer combat cent contre cent. Celui qui serait vaincu devait être à jamais couvert d’infamie, privé de tout honneur et du nom de roi, et marcher seul désormais, suivi d’un seul serviteur; celui qui ne viendrait pas au jour et au lieu fixés, tout prêt à combattre, encourrait les mêmes peines, et de plus, le titre de parjure. Le roi Charles vint, comme il convenait, au jour et au lieu fixés avec sa noble troupe; un grand nombre de gens l’accompagnaient avec le légat du Siège apostolique, et Philippe, roi de France, neveu de Charles; mais Pierre d’Aragon, d’après une résolution secrète, ne s’y rendit point selon sa promesse.

L’an du Seigneur 1283, Charles, fils dudit roi Charles, fut pris sur mer près de Naples. La même année, Charles, roi de Sicile, partant pour la Pouille avec une grande armée, tomba malade en ce pays et mourut, le jour de l’épiphanie, la vingt-septième année de son règne. C’était un prince d’une grande bravoure et d’un grand cœur.

L’an du Seigneur 1285, dans le temps où les rois ont coutume de marcher à la guerre, Philippe, roi de France, avec son fils aîné Philippe, le roi de Navarre et son fils Charles, alors nommé roi d’Aragon, et le seigneur Jean Chanlet, cardinal légat, rassemblèrent une armée; et la croix fut prêchée dans tout le royaume de France, et une indulgence plénière de tous les péchés accordée par le pape aux croisés; puis le roi de France marcha contre Pierre d’Aragon pour s’emparer de son royaume; il passa par Toulouse, Carcassonne, Perpignan et les monts Pyrénées, arriva à Gironne, l’assiégea et la prit, durant l’été. Comme le roi voulait s’avancer plus loin vers Barcelone, il en fut empêché par une cruelle épidémie qui s’éleva dans son armée. Sur ces entrefaites, une partie de l’armée du roi de France alla à la rencontre de Pierre d’Aragon, qui, évitant toujours le combat en rase campagne, harcelait les Français sur les côtés par des embuscades. Pendant qu’on combattait ainsi de part et d’autre, Pierre fut blessé à un combat dans une ville, et mourut peu de jours après dans son lit, à la suite de celle blessure. Le roi de France, voyant son armée affligée d’une si grande maladie, s’en retourna avec ses sujets, et étant tombé malade dans la route, mourut à Perpignan, le dimanche d’avant la fête de saint Michel, l’an du Seigneur 1285.

Son corps fut transporté à Paris, et enterré à Saint-Denis: son cœur, comme il l’avait lui-même ordonné, fut conservé dans l’église des Prêcheurs.

L’an du Seigneur 1291, les Sarrasins s’emparèrent de la ville d’Acre, et y prirent et tuèrent plus de trente mille personnes de l’un et l’autre sexe: la cause de la ruine de cette ville fut, dit-on, le trop grand nombre de seigneurs et la diversité des nations qu’elle renfermait, et qui agissaient en sens contraire les uns des autres. On rapporte encore une autre cause: le pape Nicolas ayant fait prêcher une croisade, quelques chevaliers insolents se mirent en mer, et étant venus à Acre, insultèrent les Sarrasins qui venaient dans cette ville avec des marchandises. C’est pourquoi le Soudan provoqué marcha contre Acre avec une grande armée, la prit d’assaut, la détruisit, et chassa du pays tous les Chrétiens.

L’an du Seigneur 1294, il s’éleva une dissension et une guerre entre Philippe, roi de France, et Edouard, roi d’Angleterre, principalement dans la Gascogne, où il périt un grand nombre d’hommes. Boniface viii, né à Anagni, dans la Campanie, fut élu pape dans la ville de Naples, à la fête de sainte Luce, l’an du Seigneur 1294, du vivant même de Célestin son prédécesseur: il siégea huit ans et neuf mois. Il commença, par de singuliers moyens, à étendre la puissance et la grandeur des papes. Célestin, son prédécesseur, opéra des miracles pendant sa vie et après sa mort. Boniface fit aussi beaucoup de miracles dans sa vie; mais la fin de sa vie démentit merveilleusement ses premières merveilles.

L’an du Seigneur 1296, ce même Boniface établit et érigea en nouvelle cité la ville de Pamiers.

L’an du Seigneur 1298, ce même Boniface réconcilia à lui et à l’église le roi d’Aragon, révoqua sa sentence d’excommunication, lui restitua le royaume d’Aragon et lui accorda celui de Sardaigne. L’an du Seigneur 1298, sous le pontificat du pape Boniface, le premier dimanche de l’avent, à la fête de saint André apôtre, il éclata à Rieti, où se trouvait alors le pape Boniface avec sa cour, et dans les environs, un tremblement de terre si violent qu’aucun homme vivant n’en avait vu auparavant de semblable: il renversa en plusieurs endroits un grand nombre d’édifices, fit périr beaucoup de personnes, et dura, non pas continuellement, mais à diverses reprises, plusieurs jours et plusieurs nuits. Le pape, les cardinaux et toute la cour furent saisis d’une frayeur extrême: le pape se réfugia dans le cloître des frères Prêcheurs, à Rieti, Situé dans un lieu plus élevé et plus solide; des hommes s’enfuirent durant la nuit dans les champs, dans la crainte que les édifices ne croulassent sur eux: les hommes et les bêtes de somme tombaient çà et là, lorsque la terre tremblait, ébranlée par des secousses inaccoutumées.

L’an du Seigneur 1300, le pape Boniface accorda une indulgence plénière de leurs péchés à ceux qui visiteraient les temples des apôtres Pierre et Paul, à Rome, et qui y feraient une quinzaine dans l’année; il régla, pour l’avenir, que cette indulgence aurait lieu tout les cent ans, pour ceux qui visiteraient la sainte église.

L’an du Seigneur 1301, apparut en automne, dans le signe du scorpion, du côté de l’occident, une comète qui envoyait ses rayons tantôt à l’orient, tantôt à l’occident; elle dura un mois. La même année, le pape Boniface, à qui avaient été faits plusieurs rapports contre le roi de France, irrité contre ce roi, lui envoya des lettres revêtues de sa bulle, pour en perpétuer le souvenir, dans lesquelles il lui mandait que le pape, en qualité de seigneur temporel et spirituel de tout l’univers, voulait qu’il reconnût tenir de lui le royaume de France, et déclarait hérétique quiconque soutiendrait et penserait le contraire. Cette lettre fut brûlée dans le palais du roi, en présence de plusieurs, et on renvoya sans réponse et sans honneurs les messagers qui l’avaient apportée. Le roi fit fermer toutes les routes et issues de son royaume. La même année, le pape excommunia ceux qui empêchaient qu’on se rendît à la cour de Rome.

L’an du Seigneur 1302, au mois de juillet, il s’engagea près de Cambrai une bataille entre les Français, pour le roi de France, et les Flamands qui s’étaient déjà révoltés, et se révoltaient encore contre lui. La fortune favorisa subitement les Flamands, et les Français éprouvèrent un désastre et une perte aussi étonnante que funeste. La fleur de la chevalerie française succomba sur le champ de bataille, non pas tant par le courage des ennemis que par leur ruse, et pour s’être précipitée sur eux sans précautions. Robert, comte d’Artois, Raoul de Nesle, connétable de France, et grand nombre de nobles et barons étant tombés dans des trous et des fossés prépares par leurs ennemis, y trouvèrent la mort, car quand on était tombé dans ces fossés on ne pouvait s’en retirer, et un grand nombre de gens de l’armée française y périrent.

La même année, au commencement de novembre, le pape Boniface tint à Rome un concile qu’il avait annoncé depuis plus d’un an. Il fut composé de prélats de France et de tous les docteurs du royaume, tant docteurs en théologie qu’en droit canon et civil. Et, grâces aux sommes d’argent que lui opposa le roi, les foudres du pape contre ledit roi ne furent suivies d’aucune plaie, car plusieurs grands prélats du royaume quittèrent le parti du pape, occupés seulement de leurs intérêts et s’accommodant au temps.

L’an du Seigneur 1303, le pape Boniface suscita une querelle au roi de France, et l’excommunia indirectement, parce qu’il ne permettait à personne de sortir librement du royaume pour aller à la cour de Rome et d’y apporter de l’argent. C’est pourquoi Boniface, par haine pour le roi et le royaume, confirma dans l’empire Albert, fils de feu Rodolphe, duc d’Autriche et roi d’Allemagne, dont il avait auparavant refusé de reconnaître l’élection, et lui soumit le royaume de France comme les autres royaumes.

L’an du Seigneur 1303, la veille de la Nativité de la sainte Vierge Marie, au mois de septembre, pendant que Boniface demeurait avec sa cour à Anagni, sa patrie et sa ville natale, se croyant plus en sûreté au milieu de son peuple et de sa nation, il fut trahi et retenu prisonnier par quelques-uns de ses criminels domestiques: ses trésors et ceux de l’église furent pillés et emportés, non sans grande honte et déshonneur pour l’église. Les cardinaux, craignant pour eux, l’abandonnèrent et s’enfuirent; à l’exception de deux, le seigneur Pierre, espagnol, évêque, et le seigneur Nicolas, évêque d’Ostie. L’auteur de cette arrestation et de ce crime fut Guillaume de Nogaret, de Saint Félix, dans le diocèse de Toulouse, de complicité avec les Colonna, à deux desquels le pape avait autrefois retiré le chapeau de cardinal. Ainsi la crainte, le tremblement et la douleur fondirent tout à coup en un seul jour sur ce Boniface, qui avait fait terriblement trembler les rois, les pontifes, la plupart des religieux et le peuple; et avide d’or à l’excès, il perdit son or et ses trésors, afin que, par son exemple, les prélats supérieurs apprissent à ne point gouverner le clergé et le peuple avec orgueil, mais à les gouverner plutôt comme un troupeau, avec tous les soins de leur esprit, et à chercher plutôt à se faire aimer que craindre. Trente jours après son arrestation, transporté d’Anagni à Rome, ce pontife, d’un cœur fier, placé sur le lit de douleur et d’amertume, mourut à Rome dans les angoisses de l’esprit, le onzième jour d’octobre. Le jour suivant il fut enseveli dans un tombeau que, jeune encore, il s’était fait préparer dans l’église de Saint-Pierre, l’an du Seigneur 1303, la neuvième année de son pontificat. La même année, le jour de la Naissance du Seigneur, Philippe, roi de France, avec sa femme Jeanne et ses trois fils, Louis l’aîné, Philippe et Charles, alla à Toulouse, où il séjourna un mois, et retourna en France par Carcassonne, Béziers, Montpellier et Nîmes.

L’an du. Seigneur 1304, après Pâques, le pape Benoît, s’éloignant de Rome, alla avec sa cour à Pérouse. Il apaisa l’inimitié et la discorde qui s’étaient élevées entre le roi de France, Philippe, et le pape Boniface et ladite année, la semaine de la Pentecôte, il rendit et accorda au roi, dans son consistoire, à Pérouse, en présence de messagers dudit roi, les droits et privilèges que le pape Boniface, son prédécesseur, lui avait enlevés.

Clément Clericos, etc., etc. Il révoqua tout ce qui s’en était suivi.

L’an du Seigneur 1306, à la fête de sainte Marie Madeleine, par arrêt et ordonnance du roi de France, on s’empara de tous les juifs de la France et on confisqua tout ce qu’on put trouver de leurs biens; on les chassa du royaume pour qu’ils n’y revinssent plus. L’an du Seigneur 1306, les Hospitaliers, avec l’armée des Chrétiens, assiégèrent l’île de Rhodes, et la prirent enfin sur les Turcs.

L’an du Seigneur 1307, le pape Clément alla avec sa cour de Bordeaux à Poitiers, en grande partie pour traiter et achever la paix entre Philippe, roi de France, et Edouard, roi d’Angleterre. La même année mourut ledit Edouard, homme fameux entre tous par sa vertu. Il eut pour successeur son fils, nommé aussi Edouard, qui, la même année, au mois de février suivant, épousa Isabelle, fille du roi de France. L’an du Seigneur 1307, arriva un grand événement, un événement merveilleux qu’on doit transmettre par écrit à la postérité. A la fête du saint confesseur Edouard, le 13 d’octobre, par l’ordre du roi et de son conseil, on s’empara subitement des Templiers, sur toute l’étendue du royaume de France, au grand étonneraient de tous ceux qui apprirent que l’antique Ordre des Templiers, extrêmement privilégié par l’église romaine, avait été arrêté tout à coup en un seul jour, à l’exception de quelques secrétaires et employés de l’Ordre, tous ignorant la cause de cette subite arrestation. Cependant la cause fut mise à découvert avec toute son infamie: on dévoila leurs profanes pratiques de renier le Christ et de cracher sur la croix pour faire outrage au crucifix. Plusieurs d’entre eux, et même des supérieurs, confessèrent les rites abominables, exécrables et infâmes de leurs détestables croyances, que personne n’avait connus jusqu’alors: un grand nombre ne voulurent rien avouer, quoique quelques-uns eussent été mis à la question et à la torture. Enfin le Siège de Rome, à qui le fait paraissait d’abord incroyable et qui avait mal pris cette arrestation, fut mieux informé à Poitiers, où résidait alors cette cour. Quelques Templiers, conduits en présence du pape et de quelques cardinaux, renouvelèrent leurs confessions et reconnurent la vérité de leurs premiers aveux. Après l’audition de ces confessions, il fut ordonné qu’on s’emparât partout des Templiers, et que la vérité fût mise au jour. La même année, au carême suivant, les inquisiteurs de l’Ordre des Prêcheurs, avec l’évêque de Verceil, ayant prêché, dans la Lombardie supérieure, une croisade avec indulgence plénière, rassemblèrent une armée contre Dulcin, chef de l’hérésie dans la Navarre, non pas tant imitateur des anciennes erreurs, qu’auteur d’erreurs nouvelles et de dogmes pervers. Il avait infecté et entraîné un grand nombre de gens, et avait beaucoup de disciples et de sectateurs. Il demeurait avec les siens dans les montagnes de la Navarre. Il arriva qu’à cause de l’excès du froid, ceux qui étaient dans ces montagnes, expirant de faim et de froid, moururent dans leurs erreurs. Les fidèles de l’armée étant venus, prirent Dulcin et avec lui environ cent cinquante personnes. On, en trouva plus de quatre cents mortes de faim et de froid, ou tuées par le glaive: oh prit, avec Dulcin, Marguerite, moins sorcière qu’hérétique, et qui partageait son crime et son erreur. Cette prise eut lieu dans la semaine sainte, le jour de la sainte Cène, l’an de l’Incarnation du Seigneur 1308. Par un mandement apostolique, on avait prêché auparavant une croisade avec indulgence contre Dulcin, et plusieurs inquisiteurs avaient levé une armée contre lui; mais ils n’avaient pu réussir, parce que ses sectateurs, ses fauteurs et ses défenseurs étaient en trop grande quantité dans la Lombardie. Enfin leur juste exécution fut faite par la cour séculière: Marguerite eut les membres déchirés devant les yeux de Dulcin, qui fut: aussi mis en pièces. On brûla en même temps tous leurs os et tous leurs membres. Avec eux furent brûlés quelques autres de leurs complices, ainsi que le méritaient leurs crimes. Cependant la secte perverse de Dulcin ne s’éteignit pas entièrement avec lui.

L’an du Seigneur 1308, Albert, roi d’Allemagne, fut assassiné par son neveu, fils de son frère: on rapporte que c’est parce qu’il donnait tout à son fils, et s’inquiétait peu de lui. La même année, à la fête de saint Jean, l’église de Saint-Jean de Latran, devant la Porte Latine, fut brûlée: ce qui occasionna dans la ville de grandes lamentations. La même année, au mois d’août, le pape Clément envoya des lettres apostoliques dans tous les royaumes de la chrétienté, pour faire arrêter partout les Templiers. L’an du Seigneur 1308, à la fête de sainte Catherine, les électeurs du roi d’Allemagne s’assemblèrent à Fribourg, et élurent unanimement Henri, comte de Luxembourg, roi d’Allemagne et des Romains.

L’an du Seigneur 1309, le jour de la sainte Cène, à Avignon, le pape Clément fit une grande procédure contre les Vénitiens, les excommunia, les priva de toute liaison et de tout commerce avec les autres villes, abandonnai leurs, personnes et leurs biens à tous ceux qui voudraient et pourraient s’en emparer, et ordonna à tous les religieux de sortir de Venise, parce que les Vénitiens s’étaient injustement emparés de Ferrare sur l’église. Cette ville fut prise et recouvrée au mois d’août, par le légat, le seigneur Arnaud de Pelage, non sans une grande effusion de sang des Ferrarais et des Vénitiens, dans un combat près du Pô. On évalue à cinq mille le nombre de ceux qui furent tués en un seul jour, sans compter ceux; qui moururent auparavant et après, en ce lieu ou ailleurs.

L’an du Seigneur 1309, le pape Clément, aux instantes sollicitations du roi de France, et par le conseil public des siens, permit, à ceux qui le voudraient, d’intenter des poursuites à la mémoire du pape Boniface VIII.

L’an du Seigneur 1310, il y eut, pendant presque tout le printemps et l’été, dans les pays de Toulouse, d’Albi et de Carcassonne, de violentes pluies et de grandes inondations; et il s’ensuivit une grande disette de vin et de blé. La cherté des vivres fut telle cette année, dans ce pays, dans presque tout le royaume de France et dans beaucoup d’autres régions, que personne, quelque âgé qu’il fût, ne se souvenait d’en avoir vu ou entendu raconter une pareille; en sorte qu’un quarteau de froment se vendait à Toulouse treize livres de Tours. Ce qu’il y avait de plus malheureux, c’est qu’on ne trouvait pas de blé ni de pain à acheter sur la place publique: les pauvres se nourrissaient d’herbes comme les bêtes, et un grand nombre s’éloignèrent de Toulouse à cause de la disette. L’an du Seigneur 1310, le 15 de mai, cinquante-quatre Templiers furent condamnés, d’après leurs propres aveux, par l’archevêque de Sens et ses suffragants, dans le concile provincial tenu à Paris: comme ils ne se repentaient pas de leurs exécrables pratiques, on les abandonna au bras séculier; le mardi suivant, 10 de mai, ils furent livrés aux flammes et brûlés par les tribunaux séculiers du seigneur roi. Quelques jours après, quatre autres furent également condamnés. Peu après, dans l’espace d’un mois, dans un concile provincial tenu à Senlis, neuf autres Templiers furent condamnés pour la même cause et de la même manière par l’archevêque de Reims et ses suffragants, et ensuite livrés au bras séculier et brûlés. Ce qu’il y eut d’étonnant, c’est qu’ils rétractèrent tous absolument les aveux qu’ils avaient faits séparément dans le cours de leur procès, sur lesquels ils avaient juré de déclarer la vérité, et ils dirent qu’ils avaient auparavant fait des mensonges et de fausses dépositions, ne donnant d’autre raison de leurs premiers aveux que la violence et la crainte des tourments. L’an du Seigneur 1310, le fils de Henri, roi d’Allemagne, reçut en mariage la fille du roi de Bohême, et avec elle ce royaume. La même année, dans l’automne, ledit Henri, roi d’Allemagne et des Romains, entra en Italie pour percevoir les droits de l’empire, et vint d’abord à Turin, ensuite à Ostie, de là à Verceil et à Milan, où, à l’épiphanie suivante du Seigneur, il reçut la couronne de fer que l’archevêque de Milan lui mit sur la tête. Selon l’ancienne coutume, il devait la recevoir à Modène, mais il la reçut à Milan pour raison; et le jour de la fête de son couronnement il fit deux cents chevaliers de différentes nations: ensuite il somma les autres villes de la Lombardie de lui faire hommage. Les habitants de Parme et de Lodi ne voulurent pas d’abord se soumettre à lui; mais peu après, ne pouvant résister, ils y consentirent. Les habitants de Brescia résistèrent longtemps et avec vigueur, jusqu’à effusion du sang et mort d’hommes des leurs; mais ensuite ils se soumirent à sa volonté et ouvrirent leur ville.

L’an du Seigneur 1311, le 26 avril, avant les calendes de mai, le pape Clément donna publiquement l’absolution, à Avignon, dans un consistoire, au roi de France, Philippe, les envoyés du roi présents, de ce qu’il avait fait contre la mémoire du feu pape Boniface; et il déclara, pour la justification du roi, qu’il avait agi à bonne intention par zèle et volonté droite; et cela fut confirmé ensuite par une bulle. Des deux côtés, tant demandeur que défendeur, on remit au pape Clément toute l’affaire de la querelle qui avait eu lieu avec le pape Boniface, et chacun renonçant de son côté pour le bien de la paix, le pape prit sur lui d’examiner et terminer définitivement l’affaire. Le pape donna l’absolution à Guillaume de Nogaret présent, et qui demandait d’être absous de la sentence d’excommunication dont il était lié pour avoir, fait prisonnier le pape Boniface. L’an du Seigneur 1311, dans la terre de Toulouse et surtout dans cette ville et dans les pays environnants, une grande épidémie et mortalité attaqua lion seulement les pauvres, mais les riches, si violente qu’à peine trouvait-on une maison où l’on ne pleurât un mort, ou dans laquelle on ne vît les souffrances et les larmes d’un malade. La cherté du blé et du vin fut excessive; mais elle n’alla pas jusqu’au taux de la dernière famine; un quarteau se vendait six livres de Tours. Au printemps suivant, comme d’après l’ordinaire, il paraissait vraisemblable que le prix augmenterait ou serait près d’augmenter; mais le blé commença au carême et au temps de Pâques à se trouver en plus grande abondance, et baissa de moitié; cette diminution affligea beaucoup ceux qui avaient conservé du blé et se voyaient ainsi frustrés dans leur espoir. L’an du Seigneur 1311, aux calendes d’octobre, le pape Clément v convoqua un concile général à Vienne, sur le Rhône. Ce concile s’étant assemblé, le souverain pontife y traita de l’état de l’Ordre du Temple, gravement accusé d’infâmes pratiques, et s’occupa aussi d’une expédition d’outre mer, pour recouvrer la Terre Sainte. Au mois de mars suivant, dans la semaine sainte, le souverain pontife, ayant convoqué en sa présence, dans un consistoire particulier, beaucoup de prélats et les cardinaux, par voie de prudence plutôt que de condamnation, destitua et abolit complètement l’Ordre des Templiers, se réservant à lui et à l’église la disposition de leurs personnes et de leurs biens.

Au mois d’avril suivant, l’an de l’Incarnation dit Seigneur 1312, on tint un second concile dans lequel fut promulgué par le souverain pontife ce décret des Templiers, en présence du roi de France, Philippe, qui avait cette affaire à cœur; du seigneur Charles, son frère, et de trois de ses enfants vivants, Louis l’aîné, roi de Navarre, Philippe et Charles. Ainsi fut détruit l’Ordre du Temple, après environ cent quatre-vingt-quatre ans, pendant lesquels il avait combattu et s’était engraissé et agrandi excessivement par les nombreuses libertés et privilèges que lui avait accordés le Siège apostolique. Dans ce même concile, les biens des Templiers furent adjugés et accordés, avec certaines conditions et conventions, à l’Ordre de l’hôpital de Saint-Jean de Jérusalem, dans l’étal ou les Templiers les possédaient auparavant par toute la terre, excepté dans l’Espagne, la Castille, le Portugal, l’Aragon et l’île Majorque, parce que les biens que les Templiers avaient dans ces royaumes les obligeaient de prendre les armes pour la défense des frontières contre les Sarrasins de Grenade, ainsi que cela fut exposé et prouvé dans le concile. Quant aux personnes des Templiers, il fut ordonné que les évêques diocésains et métropolitains les recherchassent, et punissent ceux qu’ils trouveraient coupables et criminels, prenant en considération la qualité des personnes et du crime; que cependant on ferait donner, sur les biens du Temple, dans les monastères, une nourriture convenable à ceux qui avoueraient leurs crimes, ou à ceux qui seraient trouvés purs et innocents; mais que deux Templiers ne pourraient habiter ensemble dans le même monastère; qu’on adoucirait, selon les conditions des personnes, les peines de ceux que les tourments avaient forcés à confesser leurs fautes; et qu’on abandonnerait à une cour séculière les relaps qu’on prendrait. Dans ce concile on rendit aussi un grand nombre de règlements, parmi lesquels en était un sur la déclaration et l’interprétation de la règle des frères Mineurs: sur laquelle et sur l’observation de laquelle une partie des frères Mineurs, appelés spirituels, s’emportant contre l’autre, et la querellant, disputa en particulier et en public, demandant le jugement du Siège apostolique. La même année 1312, Philippe, roi de France, eut entière possession de la ville de Lyon, au moyen d’une compensation donnée à l’archevêque de Lyon pour les revenus qu’il revendiquait au nom de l’église de cette ville; cela se fit par le consentement et l’autorité du pape Clément v, qui tenait alors, à Vienne, le concile du royaume de Bourgogne, et à compter de ce moment, Lyon appartient de plein droit au roi et au royaume de France.

 

 

FIN DES GESTES GLORIEUX DES FRANCAIS

 


 

TABLE DES MATIÈRES

CONTENUES

DANS CE VOLUME

 

Notice sur les trois chroniques relatives à la croisade contre les Albigeois comprises dans ce volume.

 

 

Histoire de la guerre des Albigeois

 

Chronique de Guillaume de Puy-Laurens

contenant l’histoire de l’expédition des Français contre les Albigeois

Prologue.

Chapitre ier. Du bienheureux Bernard, abbé de Clairvaux, lequel maudit le château de Vertfeuil, parce qu’il repoussa et ne voulut entendre la parole de Dieu.

Chap. ii. Comment fut le château de Lavaur assiégé, longtemps avant l’arrivée des croisés, à cause des hérétiques qui s’y trouvaient.

Chap. iii. Digression au sujet du songe que fit le vénérable père alors évêque d’Albi.

Chap. iv. De la dispute de ce même évêque avec un hérésiarque, au sujet d’une parabole sur l’apostasie dudit Guillaume de fiérens.

Chap. v. De la généalogie des très illustres personnages les comtes de Toulouse, dans les domaines de qui survinrent en dernier lieu les hérétiques, après que les derniers venus eurent dévié de la route tracée par les premiers fidèles.

Chap. vi. De Fulcrand, évêque de Toulouse, et de son successeur Raimond de Rabastens, déposé de l’épiscopat, et de l’état misérable du siège épiscopal de Toulouse.

Chap. vu. De frère Pierre de Castelnau, légat, et de son collègue maître Raoul, ensemble de dom Foulques, évêque, envoyés pour ressusciter V épiscopat.

Chap. viii. De dom Diègue, évêque d’Osma, et de saint Dominique, son compagnon, envoyés pour prêcher contre les hérétiques.

Chap. ix. De la dispute solennelle qui eut lieu à Mont-Réal, et fut soumise par écrit à des juges laïques.

Chap. x. Du recours au Siège apostolique après que la prédication n’eut servi de rien à l’expulsion des hérétiques, et de l’origine de l’Ordre des Prêcheurs pour le soutien de la fol

Chap. xi. De Pierre, roi d’Aragon, qui épousa Marie de Montpellier, dont il avait répudié la mère; et de la naissance de son (ils, Jacques.

Chap. xii. Du comte Baudouin, frère du comte de Toulouse, né et élevé en France, et que son frère refusa ensuite de reconnaître.

Chap. xiii. Du comte de Toulouse, lequel, après avoir ouï la réponse du roi de France, se rendit près de l’empereur Othon, malgré la défense du roi; et de la prise de Béziers.

Chap. xiv. De la capitulation de Carcassonne, et de l’Ordre établi pour conserver et conquérir le pays.

Chap. xv. De la grande confrérie instituée à Toulouse, et croisée contre les hérétiques et manifestes usuriers.

Chap. xvi. Comment Jacques, fils du roi d’Aragon, fut donné en otage au comte de Montfort. Siège et prise du château de Lavaur.

Chap. xvilor:black;text-transform:uppercase">Chap. xviii. De la prise du château appelé Casser, où soixante hérétiques furent brûlés. Le château de Mont-Ferrand est pris. Baudouin, frère du comte de Toulouse, est assiégé et reçu à composition.

Chap. xix. Comment le comte de Montfort fut assiégé dans Castelnaudary, d’où il sortit au secours des siens, et triompha des ennemis; après quoi il rentra dans là place, et le comte de Toulouse leva le siège.

Chap. xx. Comment le Miramolin, roi d’Afrique, fut pris par le roi d’Aragon, et la ville de Calatrava par les Chrétiens. L’année suivante le comte de Montfort met une garnison dans le fort du Pujol, mais elle y est assiégée par les Toulousains, prise et mise à mort.

Chap. xxi. Le château de Muret est assiégé par le roi d’Aragon. Le comte de Montfort vole au secours de sa garnison. Préparatifs pour une bataille en rase campagne.

Chap. xxii. De l’Ordre et issue de cette bataille, en laquelle le roi d’Aragon fut tué, et quantité de nobles avec lui. On fait un grand carnage des gens de Toulouse.

Chap. xxiii. Baudouin, frère du comte de Toulouse, est pris dans son lit par trahison, et condamné par son frère au supplice de la corde.

Chap. xxiv. Comment maître Pierre de Bénévent, cardinal de l’église romaine, fut envoyé légat pour traiter de la paix. Des otages toulousains sont envoyés à Arles, en Provence, et le château de Narbonne est livré.

Chap. xxv. Tradition du château de Foix.

Chap. xxvi. Célébration d’un concile général. Tout le pays est adjugé au comte de Montfort.

Chap. xxvii. Que le comte de Toulouse se retira en Espagne, et que son fils étant venu en Provence, il y fut accueilli par les Avignonnais, et le pays Venaissin se donna à lui.

Chap. xxviii. Comment le fils du comte de Toulouse assiégea le château de Beaucaire, et fut lui-même assiégé par le comte de Montfort.

Chap. xxix. Le comte de Montfort envahit Toulouse, après avoir mis le feu et) plusieurs endroits.

Chap. xxx. Comment le vieux comte de Toulouse, revenant d’Espagne, récupéra cette ville.

Chap. xxxi. Après la mort du comte de Montfort, son fils, Amaury, ayant levé le siège, retourne à Carcassonne, et assiège Castelnaudary.

Chap. xxxii. Comment Louis, fils du roi Philippe, après avoir pris La Rochelle, reçut le château de Marmande à composition, et assiégea Toulouse.

Chap. xxxiii. Foucaud de Brigier, et Jean, son frère, sont tués dans un combat, et subissent le châtiment de leur méchanceté.

Chap. xxxiv. Comment le comte de Toulouse trépassa, saisi de mort subite, excommunié, mais donnant signes de repentance; et que son corps est encore sans sépulture.

Chap. xxxv. Louis, roi de France, assiège la cité d’Avignon, et la prend par composition,

Chap. xxxvi Le roi Louis, à son retour en France, meurt à Montpensier, château fort en Auvergne.

Chap. xxxvii. Le château d’hauterive se rend au comte de Toulouse; le château de Bécède est assiégé et pris.

Chap. xxxviii. Comment on démantela Toulouse; et des autres dommages qui lui furent faits.

Chap. xxxix. Après le démantèlement de Toulouse, on s’en prend au comte de Foix, dont les domaines sont envahis jusqu’au Pas de la Barre. On traite de là paix avec le comte de Toulouse, laquelle est conclue à Paris.

Cn.vp. xl. Comment Toulouse fut réconciliée à l’église, et comment un concile y fut célébré. Inquisition contre les hérétiques et schismatiques.

Chap. xli. Après le départ du seigneur Romain, cardinal diacre de Saint-Ange, l’évêque de Tournai est envoyé avec le titre de légat. Mort de dont Foulques, évêque de Toulouse.

Chap. xlii. Après la mort de dom Foulques, frère Raimond, prieur provincial de l’Ordre des Prêcheurs, en Provence, est élu évêque. Le comte de Toulouse compose certains statuts, selon qu’il avait été convenu en présence du roi.

Chap. xliii. De l’inquisition, et de quelle manière elle fut ordonnée l’archevêque de Tienne est envoyé pour légat. Comme on perdit et recouvra le faubourg de Carcassonne.

Chap. xliv. Comment les prélats, se rendant par mer au concile où ils avaient été appelés par le souverain pontife, furent pris par les pirates de l’empereur Frédéric.

Chap. xlv. Comment on traita du mariage entre Sancie, troisième fille du comte de Provence, et le comte de Toulouse.

Chap. xlvi. Le comte de Toulouse va en cour de Rome et près de l’empereur Frédéric. Dans l’intervalle, le château de Montségur est pris, et environ deux cents hérétiques y trouvés sont jetés au feu.

Chap. xlvii. Comment le comte de Toulouse tint une cour en cette ville, et en icelle furent un grand nombre de nobles et plusieurs autres faits chevaliers. Le concile de Lyon est célébré.

Chap. xlviii. Le roi de France assiège, chemin faisant, un certain château ayant nom la Roche, et de là descend à la plage d’Aigues-Mortes. Le comte de Toulouse se met en route vers la mer, et meurt l’année suivante.

Chap. xlix. Comment, après que le roi de France eut dépassé les confins de Damiette, fut tué son frère Robert.

Chap. l. Des discordes qui éclatèrent entre le roi d’Angleterre et quelques-uns des siens. Lui-même est pris dans un combat.

Chap. li. Comment le roi de France passa la mer, vint contre le roi de Tunis, et mourut; et comment, trêve étant faite, l’armée revint en arrière.

Chap. lii. Philippe, roi de France, vient au pays de Toulouse avec une grande armée contré le comte de Foix, qu’il ramène prisonnier en France.

 

Des gestes glorieux des Français de l’an 1202 à l’an 1311.

 

 

 


 

[1] En février 1229.

[2] Mille libratas terrae; plusieurs savants ont pris librata terra pour, une mesure de superficie, dont ils ont diversement apprécié l’étendue. Selon Ducange, cette dénomination se rapporte au revenu annuel de la terre, non à sa mesure superficielle. Cette explication nous parait la plus probable.