Annales

ANONYME

 

ANNALES DE SAINT-BERTIN. - ANNALES DE METZ (840-868)

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

869-893

 

 

 

ANNALES DE SAINT-BERTIN

 

NOTICE

SUR

LES ANNALES DE SAINT-BERTIN.

 

Après la mort de Louis le Débonnaire, de Charles le Chauve à Louis V, l'histoire de France est encore plus confuse et plus obscure que dans le dernier siècle de la race mérovingienne. La vaste étendue de l'empire de Charlemagne ne fit qu'agrandir le chaos. Le nombre et la mobilité des partages qui en furent faits entre ses descendants, la fréquente similitude de leurs noms, l'enchevêtrement de leurs États, la nullité de leur pouvoir dans la plupart des pays qu'ils étaient censés posséder, leurs continuels efforts pour se ravir réciproquement des provinces ou des royaumes qu'ils occupaient un moment pour les perdre aussitôt après, les progrès de l'indépendance féodale sans que pourtant les nefs fussent encore des possessions stables et bien déterminées, tout concourt à détruire, dans cette histoire, toute clarté, toute unité; et rien n'est plus difficile que de concevoir nettement quelle était alors la situation relative de tant de souverains et de peuples, ou d'en suivre, à travers tant d'événements sans résultat, les innombrables vicissitudes.

Les historiens modernes se sont appliqués à porter quelque lumière dans ces ténèbres, quelque ordre dans cette confusion. Ils en ont extrait les faits les plus importants pour les grouper autour des principaux noms propres et les distribuer dans un récit méthodique. Il le fallait bien pour faire une histoire qui pût, sans trop de fatigue, être comprise et retenue par les lecteurs. Mais de là résulte, dans leurs ouvrages, un mensonge peut-être inévitable. Les temps qui y sont décrits, les événements qui y sont racontés s'y présentent sous une forme beaucoup trop nette et trop régulière. Vainement, l'écrivain parle du désordre qui régnait alors, de la mobilité des possessions, du démembrement de la souveraineté, de la nullité des princes; ses réflexions nous entretiennent du chaos, et il s'est efforcé de le bannir de ses récits; il répète sans cesse que tout était confus, obscur, désordonné, et il travaille à tout éclaircir, à tout arranger avec quelque régularité; en sorte qu'il détruit, pour ainsi dire, d'une main ce qu'il fait de l'autre, et que plus il réussit à rendre l’histoire claire et facile à suivre, moins il nous donne une idée juste du temps et de l'état de la société. Les historiens contemporains n'ont point ressenti cet embarras ni tenté ainsi des efforts contradictoires; il leur eût été impossible de saisir l'ensemble des événements qui se passaient sous leurs yeux, de les classer selon leur importance, de les rattacher à un centre commun et d'en composer une narration bien ordonnée; tous moyens leur manquaient pour une telle œuvre, et la plupart d'entre eux n'en ont pas même conçu l'idée. Le désordre du temps a passé dans leurs écrits; ils nous ont transmis les faits comme ils les avaient vus ou recueillis, c'est-à-dire pêle-mêle, s'assujettissant à peine à un faible lien chronologique, interrompant le récit incomplet d'une guerre pour parler de la querelle d'un évêque avec son métropolitain ou des délibérations d'un concile sur quelque point de dogme ou de discipline qu'ils indiquent sans l'expliquer, laissant là le concile assemblé pour raconter une incursion de quelque bande de Normands, passant tout à coup des désastres des Normands aux négociations des rois, des négociations des rois à la révolte de quelque duc ou aux débats de quelques comtes, jetant çà et là un miracle, une éclipse, l'état de l'atmosphère, les ravages des loups dans les campagnes, ne prenant nul soin de rien éclaircir, de rien arranger, étrangers enfin à tout travail de composition, à toute suite dans le récit, livrant seulement à leurs lecteurs tous les renseignements qu'ils ont pu recueillir du fond de leur monastère, et aussi confus, aussi dépourvus d'enchaînement et de régularité que l'étaient alors les actions des hommes et les affaires du monde.

Ce n'est point dans de tels ouvrages qu'on peut commencer à apprendre l'histoire, car il faut l'y chercher laborieusement, l'en exhumer, pour ainsi dire, pièce à pièce, remettre chacune à sa place, et reconstruire ce passé dont les monuments ne nous offrent que des ruines. C'est là ce qu'ont fait les historiens modernes, et c'est seulement après les avoir lus, après avoir bien démêlé, dans leurs livres, la série des principaux faits et la situation des principaux acteurs, qu'on peut aborder avec fruit la lecture des historiens contemporains. Mais alors aussi ces derniers sont indispensables à qui veut vraiment savoir l'histoire; eux seuls font comprendre, par le caractère même de leurs écrits, l'état réel de la société; eux seuls, quand la science a fait son œuvre, contraignent l'imagination à faire aussi la sienne en se replongeant dans le chaos qu'ils reproduisent fidèlement. Sans les travaux des modernes, peu de lecteurs prendraient la peine de rechercher eux-mêmes, dans ces récits du temps, les membres épars du squelette de l'histoire; sans la lecture des contemporains, cette histoire ne serait, pour la plupart des lecteurs, qu'un squelette sans vie. Des chroniques du neuvième siècle, les Annales de Saint-Bertin sont peut-être celle à laquelle ceci s'applique avec le plus d'exactitude. Elles portent ce nom, non qu'un moine de Saint-Bertin les ait rédigées, mais parce que le manuscrit en fut trouvé dans ce monastère par le père Rosweid, jésuite, qui en fit faire une copie publiée, pour la première fois, par Duchesne, dans le tome 3e de sa Collection des Historiens français. Elles ont été réimprimées depuis, avec des variantes et quelques additions empruntées à d'autres manuscrits, dans plusieurs collections analogues, entre autres dans celle de Dom Bouquet. Dans leur ensemble, elles s'étendent de l’an 741 à l'an 882, mais sont composées de diverses parties qui ne sont évidemment ni de la même main ni d'une égale valeur. La première partie, de l'an 741 à l'an 814, est transcrite mot à mot des Annales dites de Loisel; la seconde, de l'an 814 à l'an 830, répète les Annales d'Eginhard; la troisième, de l'an 830 à l'an 836, est l'ouvrage d'un anonyme. Ces trois parties n'offrent aucun caractère qui indique qu'elles aient été rédigées par quelque contemporain, et ne contiennent rien d'ailleurs qui ne se trouve, avec plus de détails et, sous une forme plus intéressante, dans d'autres écrits, surtout dans ceux que nous avons déjà publiés. Il n'en est pas ainsi de la quatrième et de la cinquième parties; la question de savoir quels en sont les auteurs a donne lieu à de longs débats; mais, en hésitant sur leur nom, on n'a jamais révoqué en doute qu'ils appartinssent au siècle même qu'ils racontent. Il est maintenant à peu près convenu que la quatrième partie, de l'an 836 à l'an 861, est l'ouvrage de saint Prudence, Espagnol d'origine, mais venu en France en bas âge, et mort évêque de Troyes en 861. La cinquième, qui va de l'an 861 à l'an 882, a été attribuée au célèbre Hincmar, archevêque de Reims; et si elle n'est pas toute entière de sa main, on ne peut guère douter qu'elle n'ait été rédigée sous ses yeux et terminée par quelqu'un de ses élèves. Nul homme, comme on sait, n'a joué à cette époque, dans l'Etat et dans l'Eglise, un rôle plus actif et plus important qu'Hincmar.

Les quatre premières années de ces deux parties (de l'an 836 à l'an 840) sont les seules que nous ayons omis de traduire; elles ne contiennent que la répétition de ce qui se trouve dans les deux Vies de Louis le Débonnaire par Thégan et par l'Astronome. Mais, à partir de l'an 840, les Annales de Saint-Bertin sont la chronique contemporaine la plus détaillée et la plus exacte qui nous reste sur le neuvième siècle; elles devaient donc nécessairement entrer dans notre Collection. Je n'ai rien à ajouter à ce que je viens de dire du caractère général des chroniques de cette époque, celle-ci est confuse comme toutes les autres, d'autant plus confuse peut-être qu'elle donne plus de détails sur certains faits, notamment sur les querelles qui agitèrent alors les Eglises de France. La lecture en serait donc quelquefois pénible pour quiconque ne connaîtrait pas déjà assez bien l'obscure histoire des successeurs de Louis le Débonnaire; mais tout lecteur muni de cette instruction préliminaire trouvera dans les Annales de Saint-Bertin beaucoup de renseignements curieux, et une fidèle image du déplorable état d'un pays constamment en proie aux ravages des Normands, au chaos de la féodalité naissante, aux guerres de princes incapables et aux débats d'évêques ambitieux.

Nous avons ajouté aux Annales de Saint-Bertin un fragment qui s'étend de l'an 882 à l'an 903, et termine les Annales de Metz. L'auteur de cette dernière chronique, qui commence à l'origine de la monarchie française, était un moine de Saint-Arnoul de Metz, qui vivait encore au commencement du dixième siècle. Cette partie de son ouvrage est donc le récit d'un contemporain; elle ne manque pas d'intérêt et conduit jusqu'à la fin du neuvième siècle l'ouvrage de saint Prudence et d'Hincmar ou de son clerc.

 

F. Guizot.


 

ANNALES DE SAINT-BERTIN.[1]

840-882

COMPLETEES PAR UN FRAGMENT TERMINANT LES

ANNALES DE METZ

883-903

 

 

[840.]Lothaire, ayant appris la mort de son père, vint d'Italie dans la Gaule, et, transgresseur des lois de nature, orgueilleux du nom d'empereur, s'arma en ennemi contre ses deux frères, Louis et Charles, et les attaqua par les armes, tantôt l'un, tantôt l'autre. Cependant ses succès contre aucun des deux ne répondirent point à son insolence, et, après avoir négocié, il s'éloigna pour un temps de tous deux à certaines conditions; mais, dans la perversité de sa convoitise et de sa cruauté, il ne cessa de machiner contre eux, soit ouvertement, soit en secret.

[841.] Cependant Louis et Charles, l'un au delà, l'autre en deçà du Rhin, soumirent ou se concilièrent, soit par la force, soit par les menaces, soit par des dons, soit à certaines conditions, tous les hommes des pays qui leur étaient échus. Lothaire, pendant les jours du carême, s'avança contre Louis jusqu'à Mayence pour lui livrer combat ; mais celui-ci faisant résistance, Lothaire demeura longtemps sans pouvoir traverser le fleuve. Cependant, par l'artifice et la perfidie d'aucuns du parti de Louis, Lothaire ayant passé, Louis se réfugia en Bavière. Un grand nombre des gens de Lothaire s'efforça aussi d’empêcher Charles de passer la Seine; mais, par la prudence des forts et par le courage des prudents, il arriva de l'autre côte du fleuve. Charles les mit deux ou trois fois en fuite. Lothaire, apprenant la déroute des siens et l'arrivée de Charles, repassa le Rhin, et, ayant placé des gardes pour s'opposer à Louis, marcha contre Charles. Louis, se précipitant sur les troupes que Lothaire avait préparées contre lui, en mit une grande partie à mort et le reste en fuite; puis il se hâta de s'avancer au secours de son frère Charles.

Cependant les pirates danois, venus des rives du Nord, firent irruption sur le territoire de Rouen, et, promenant partout la fureur du pillage, du fer et des flammes, livrèrent la ville, les moines et le reste du peuple au carnage et à la captivité, dévastèrent tous les monastères, ainsi que tous les autres lieux voisins de la Seine, ou les laissèrent remplis d'effroi, après en avoir reçu beaucoup d'argent.

Charles marcha ensuite, plein d'affection et de désir, à la rencontre de son frère Louis qui s'avançait vers lui; et tous deux, unis dans la charité fraternelle, aussi bien que dans l'enceinte du même camp, dans leurs repas et conseils communs, adressèrent à leur frère Lothaire de fréquents messages sur le sujet de la paix, de la concorde, et du gouvernement général de leurs peuples et de leurs royaumes, mais lui, se jouant sans cesse de leurs envoyés et de ses sermons, reçut d'Aquitaine Pépin, fils de son frère Pépin, mort depuis peu, et fit, au lieu dit Fontenaille, dans le pays d'Autun, des préparatifs de guerre pour enlever à ses deux frères leur portion héréditaire du royaume. Ses frères, ne pouvant le ramener à la paix et à l'union fraternelle, marchèrent contre lui, et le 24 juin, jour du samedi, ils le rencontrèrent au matin. Beaucoup tombèrent des deux parts, beaucoup furent mis en déroute, et Lothaire s'enfuit honteusement vaincu.

On massacrait de tous côtés les fuyards, lorsque Louis et Charles, brûlants de piété, ordonnèrent de cesser le carnage; bien plus, par l'intercession du clergé, ils s'abstinrent de poursuivre les fuyards loin du camp, et il fut donné charge aux évêques que le lendemain, jour auquel pour ce faire on campa dans le même lieu, ils missent les morts en la sépulture, selon qu'ils en trouveraient l'occasion.

Dans ce combat fut pris George, évêque de Ravenne, envoyé de la part de Grégoire, pontife romain, à Lothaire et à ses frères en vue de la paix, mais que Lothaire avait retenu, sans lui permettre d'aller trouver ses frères; on le renvoya chez lui avec honneur. Lothaire, se retirant, arriva à Aix, et là, pour pouvoir relever les combats, il s'efforça de se concilier les Saxons et les autres peuples voisins de ces frontières, permettant à cette fin aux Saxons qu'on appelle Stelling,[2] et dont il se trouve un grand nombre parmi cette nation, de choisir entre les diverses lois et les coutumes des anciens Saxons, celle qui leur plairait le mieux. Toujours enclins au mal, ces gens aimèrent mieux se conformer aux rites des païens que de tenir les serments qu'ils avaient prêtés à la foi du Christ. A Hérold qui, pour sa cause et au préjudice de son père, avait fait avec les autres Danois tant de maux aux pays maritimes, Lothaire donna pour ce service Walcheren et les lieux voisins, forfait digne de toute exécration que de soumettre les terres des Chrétiens, les peuples et les églises du Christ, à ceux de qui les Chrétiens avaient reçu du mal; en sorte que les persécuteurs de la foi chrétienne devinssent les maîtres des Chrétiens, et que les peuples du Christ servissent les adorateurs du démon.

Louis soumit à sa domination, partie par terreur, partie par bienfaits, la plupart des Saxons, des Austrasiens, des Thuringiens et des Allemands. Charles, après avoir ordonné le pays de l'Aquitaine autant que le permit la condition des affaires, traversa la France par le Mans, Paris, Beauvais, et s'en alla au pays d'Hasbaigne,[3] rattachant les peuples par amour plus que par crainte. Comme Lothaire, après avoir passé le fleuve du Rhin, méditait d'attaquer Louis par les armes, déçu dans ses projets, il se tourna soudainement contre Charles, pensant le vaincre facilement lorsqu'il l'attaquerait séparé et éloigné de son frère Louis. Charles, revenu à Paris, passa le fleuve de la Seine, et s'opposa longtemps aux entreprises de Lothaire. Lothaire, empressé de passer le fleuve, remonta plus haut, et pénétra par le Hurepoix dans le pays de Sens, d'où, sans combat, il arriva au Mans; livrant tout au pillage, à l'incendie, aux outrages, aux sacrilèges, forçant partout au serment, sans arrêter même sa fureur sur le seuil des sanctuaires; car il n'hésita pas à enlever tout ce qu'il put trouver des richesses qu'on avait déposées, pour les sauver, dans les églises ou dans leurs trésors, sous le serment des prêtres et des autres ordres de clercs; il força même au serment les saintes nonnes vouées au service de Dieu. Charles, après avoir passé un long temps à Paris, alla dans la ville de Châlons célébrer la fête de la Nativité du Seigneur.

[842.] De là il se rendit à Troyes, et, passant par le pays d'Axois[4] et la ville de Toul, il traversa les défilés des Vosges, et rejoignit son frère Louis dans la ville de Strasbourg. Lothaire, sans avoir rien fait pour lui ni pour les siens, après avoir ravagé les parties inférieures de la Gaule, repassa vers Paris le fleuve de la Seine, et retourna à Aix.[5] Il lui fâcha très fort d'apprendre la jonction de ses frères. Charles et Louis, pour s'attacher fermement, l'un à l'autre les peuples soumis à chacun d'eux, se lièrent mutuellement par un serment; leurs fidèles et leurs peuples se lièrent de même à tous deux par des serments, en telle sorte que si l'un des deux frères machinait contre l'autre quelque dessein sinistre, tous abandonneraient l'auteur de la rupture, et tourneraient à celui qui aurait gardé l'amitié et fraternité.

Ces choses accomplies, ils envoyèrent vers Lothaire pour qu'il fit la paix; mais il ne voulut ni voir ni entendre leurs envoyés, et se prépara lui et les siens à marcher en armes contre ses frères. Lothaire, au palais de Sentzich construit à près de huit milles du fleuve de la Moselle, empêchant le passage du fleuve par les gardes qu'il avait disposés sur les bords, Louis avec ses vaisseaux, Charles avec sa cavalerie, parvinrent à Coblence, et là, comme ils commençaient bravement à passer la Moselle, tous les gardes mis par Lothaire s'enfuirent au plus vite. Lothaire, épouvanté de l'arrivée inopinée de ses frères, s'enfuit, ayant enlevé du palais d'Aix tant les trésors de Sainte-Marie que le trésor royal. Il fit mettre en pièces un plat d'argent d'une grandeur et d'une beauté merveilleuses, où brillaient ciselés toute la figure de la terre, l'aspect des astres et les principales constellations séparées par des espaces égaux. Il en distribua les parties aux siens, lesquels, bien qu'il les soudoyât d'un pareil salaire, l'abandonnaient en foule par compagnies, et, s'enfuyant par Châlons, après avoir célébré à Troyes la solennité de Pâques, il prit le chemin de Lyon. Louis célébra cette fête à Cologne, et Charles dans le palais de Herstall, et, cessant pour un temps de poursuivre leur frère, ils recueillirent tous les hommes de ces pays qui venaient se réfugier autour deux. En ayant amassé un grand nombre, ils commencèrent à marcher après lui à petits pas; car Lothaire, bien qu'à contrecœur, se travaillant pour obtenir de nouer avec ses frères un lien de paix, leur envoya des messagers auxquels il avait beaucoup de confiance. On choisit pour cette négociation le voisinage de la ville de Mâcon ; on s'en approcha de l'un et de l'autre côté, et, les deux camps étant séparés par la Saône, les deux partis vinrent et se réunirent en un commun colloque dans une certaine île du fleuve. On s'y demanda et on s'y accorda mutuellement pardon des choses faites par le passé; ils se jurèrent les uns les autres paix et fraternité véritable, et arrêtèrent de faire un partage exact et égal de tout le royaume au commencement d'octobre, dans la ville appelée Metz. En ce temps une flotte des Normands se rua tout à coup au point du jour dans le pays d'Amiens, pillant, mettant en captivité, ou tuant les personnes des deux sexes, en sorte qu'ils ne laissèrent rien que les édifices rachetés à prix d'argent. Aussi les pirates Maures, apportés par le Rhône près de la ville d'Arles, ravagèrent impunément de côté et d'autre et s'en retournèrent leurs vaisseaux chargés de dépouilles.

Charles passa de Mâcon en Aquitaine, et, l'avant parcourue, ne manqua point de se rendre au temps et lieu de l'assemblée dont on a parlé. Lothaire reçut à Trèves des envoyés des Grecs, et les ayant congédiés, il résida durant le temps de cette assemblée dans le palais qu'on nomme Thionville.

Louis ayant parcouru toute la Saxe, dompta tellement par terreur tous ceux qui avaient jusqu'alors résisté à lui et aux siens, que s'étant rendu maître de ceux qui avaient commis une telle impiété que d'abandonner la foi chrétienne et résisté si fort à lui et à ses fidèles, il en condamna cent quarante à avoir la tête tranchée, quatorze furent suspendus au gibet, une quantité innombrable furent rendus incapables par l'amputation de quelques membres, et il n'en resta aucun en état de révolte,

Cependant les Bénéventins, se querellant les uns les autres, invitèrent les Sarrasins d'Afrique qui, d'abord auxiliaires, mais tournés ensuite en violents oppresseurs, s'emparèrent par la force de plusieurs de leurs villes.

Charles s'étant rendu au mois d'octobre à la ville de Worms, s'y réunit à son frère Louis. Ils y demeurèrent longtemps, des messagers passèrent et repassèrent alternativement entre eux et leur frère Lothaire ; et ayant longtemps discuté le partage du royaume, on convint de choisir dans tous leurs États trois cents délégués chargés de décrire avec soin tout le royaume pour que, d'après leur description, les trois frères en fissent entre eux le partage égal et irrévocable. Ce choix fait, Louis retourna en Germanie et Lothaire demeura dans les parties moyennes du royaume des Francs. Charles venant au palais de Quierzy, y prit pour femme Ermentrude, nièce du comte Adalhard, et se rendit à la ville du Vermandois, bâtie en mémoire de saint Quentin martyr, pour y célébrer la fête de la nativité et de l'avènement de Notre-Seigneur. Il y eut en ce temps un tremblement de terre dans les Gaules inférieures.

[843.] Lothaire et Louis vivaient en paix, chacun dans les confins de son royaume. Charles parcourut l'Aquitaine ; tandis qu'il y était établi, le breton Noménoé et Lambert[6] qui lui avaient récemment retiré leur foi, tuèrent Renaud duc de Nantes et firent plusieurs prisonniers. De là s'élevèrent sans interruption tant et de si grands maux que des brigands ravageant tout de côté et d'autre en beaucoup de lieux de la Gaule, des hommes furent forcés de mêler de la terre avec un peu de farine pour s'en faire du pain et le manger. Un très exécrable et déplorable fait, c'est qu'aux chevaux des ravisseurs abondait la pâture, tandis qu'aux hommes manquaient même ces morceaux de pain mêlés de terre.

Des pirates Normands arrivés dans la ville de Nantes, après avoir tué l'évêque et beaucoup de clercs et de laïcs sans distinction de sexe et avoir pillé la ville, allèrent dévaster les parties inférieures de l'Aquitaine; enfin arrivés dans une certaine île, ayant fait venir de la terre, ils firent des maisons pour hiverner, et s'y établirent comme en une perpétuelle demeure.

Charles alla trouver ses frères, et ils se réunirent à Verdun, où, le partage fait, Louis reçut pour sa portion tout ce qui est au-delà du Rhin, et en deçà du Rhin Spire, Worms, Mayence et leur territoire ; Lothaire, ce qui est entre l'Escaut et le Rhin jusqu'à la mer, et de l'autre côté le Cambrésis, le Hainaut et les comtés qui les avoisinent en deçà de la Meuse jusqu'au confluent de la Saône, du Rhône, et le long du Rhône jusqu'à la mer, ainsi que les comtés contigus; Charles eut tout le reste jusqu'à l'Espagne. Après s'être fait serment, ils se séparèrent.

En ce temps les Bénéventins, d'accord entre eux, chassèrent avec l'aide de Dieu les Sarrasins de leur pays.

[844.] Hiver très mou jusqu'au commencement de février, varié par quelques intervalles de beau temps. Bernard comte de la Marche d'Espagne, qui méditait depuis longtemps de grands projets et aspirait au plus haut rang, fut déclaré, du jugement des Francs, coupable de lèse majesté, et subit en Aquitaine par l'ordre de Charles la sentence capitale. Grégoire[7] pontife de l'Église romaine mourut, et Serge[8] fut mis en sa place dans ce même siège. Après sa consécration à la chaire apostolique, Lothaire envoya à Rome son fils Louis avec Drogon, évêque de Metz, pour régler qu'à l'avenir, à la mort de l'apostolique,[9] aucun autre ne fût consacré sans ses ordres et la présence de ses envoyés; ils furent reçus à Rome avec beaucoup d'honneur, et, cette affaire terminée, le pontife romain donna à Louis l'onction qui le consacra roi et le décora du diadème. Il nomma l'évêque Drogon son vicaire dans les Gaules et la Germanie. Siginulphe, duc de Bénévent, se mettant avec tous les siens sous la puissance de Lothaire, se fit redevable envers lui d'un tribut de cinq mille pièces d'or; ce qu'apprenant ceux des Bénéventins qui tenaient auparavant un autre parti, ils se réunirent à Siginulphe et s'efforcèrent de chasser hors de leurs frontières le reste des Sarrasins.

Lambert avec les Bretons attaqua et tua au pont de la Mayenne quelques-uns des marquis de Charles. Pépin, fils du feu roi Pépin, attaqua dans le pays d'Angoulême une armée de Francs allant trouver Charles, lequel assiégeait la ville de Toulouse; il la défit si promptement et sans perdre aucun des siens, que les premiers ayant été tués, et les autres prenant la fuite avant même d'avoir commencé à combattre, il s'en échappa à peine un petit nombre; il prit les autres, ou, après les avoir dépouillés et obligés au serment, il leur permit de retourner chez eux. Dans cette attaque imprévue, furent tués Hugues prêtre et abbé, fils du défunt empereur Charlemagne, frère de Louis pareillement empereur, et oncle des rois Lothaire, Louis et Charles; Richebot abbé et cousin des rois, c'est à savoir petit-fils de l'empereur Charles par une de ses filles, ainsi que les comtes Eckard et Ravan et plusieurs autres: furent pris Ebroïn évêque de Poitiers, Ragenaire évêque d'Amiens, l'abbé Loup et les deux fils du comte Eckard, ainsi que les comtes Lockhard, Guntard et Richwin, et aussi Engilwin et un grand nombre de nobles.

En ce temps le Breton Noménoé, dépassant insolemment les confins qui lui avaient été assignés à lui et à ses prédécesseurs, vint jusqu'au Mans, dépeuplant le pays en long et en large, mettant aussi le feu dans beaucoup d'endroits; mais là ayant appris que les Normands avaient fait irruption en dedans de ses frontières, il fut forcé de revenir.

Le roi Louis, entré dans les terres des peuples Germains et Esclavons, en reçut quelques-uns sous sa domination, en tua quelques autres, et, par force ou par douceur, se soumit presque tous les petits rois de ces pays-là. Les Normands, ayant assailli par les armes l'île de Bretagne en la partie surtout qu'habitent les Anglo-Saxons, et demeurés trois jours vainqueurs dans les combats, allèrent de côté et d'autre pillant, volant, tuant et usant du pays à leur plaisir. Cependant les trois frères, c'est-à-dire Lothaire, Louis et Charles, après de nombreux messages, passant alternativement de l'un à l'autre avec une amitié fraternelle, se réunirent au mois d'octobre à Thionville ; et ensuite de quelques jours passés en conférences amicales et intimes, ils se confirmèrent la promesse de ne point manquer, dans le temps à venir, à la fraternité et charité, d'avoir en méfiance et en exécration tous les semeurs de discorde, et de rétablir dans leur intégrité les biens des églises hideusement dilapidés en raison des pressantes nécessités des temps et généralement donnés à des personnes incongrues, c'est-à-dire à des laïcs. Ils décidèrent d'envoyer en commun des messagers à Pépin, à Lambert et à Noménoé, afin que ceux-ci, faisant la paix, ne différassent pas de venir trouver leur frère Charles pour se conduire à l'avenir comme des fidèles obéissants; autrement ils leur annoncèrent qu'en temps opportun ils marcheraient à eux réunis en un puissant corps d'armée pour prendre vengeance de leurs infidélités.

Les Normands s'étant avancés par la Garonne jusqu'à Toulouse, pillèrent impunément le pays de tous côtés; quelques-uns, après l'avoir quitté, entrèrent dans la Galice et périrent, une partie par les arbalétriers venus à leur rencontre, une partie surpris en mer par la tempête; mais quelques-uns d'entre eux pénétrant plus loin en Espagne, eurent de longs et rudes combats contre les Sarrasins: vaincus cependant ils se retirèrent.

[845.] Hiver très rude. Les Normands, avec cent vaisseaux, entrèrent le 20 du mois de mars dans la Seine, et ravageant tout de côté et d'autre, arrivèrent sans résistance à Paris. Charles fit dessein d'aller à leur rencontre ; mais prévoyant qu'en aucune façon les siens ne pourraient remporter l'avantage, il pactisa aucunement avec eux, et, par un don de sept mille livres, il les empêcha d'avancer et leur persuada de s'en retourner.

Le comte Fulrad et plusieurs autres gouverneurs des provinces de Lothaire se séparèrent de lui et s'emparèrent pour eux-mêmes de toutes leurs provinces. Eurich, roi des Normands, s'avança contre Louis en Allemagne avec six cents vaisseaux[10] le long du fleuve de l'Elbe. Les Saxons vinrent à leur rencontre, leur livrèrent combat, et, par l'aide de Notre-Seigneur Jésus-Christ, se rendirent vainqueurs; en se retirant, les Normands attaquèrent et prirent une ville des Esclavons.

Une grande disette consuma les pays intérieurs de la Gaule, au point que s'accroissant elle dévora beaucoup de milliers d'hommes. Charles étant venu à Fleury, lieu auquel se trouve situé le monastère de Saint-Benoît, à douze lieues de la ville d'Orléans, y reçut à foi et serment Pépin, fils de Pépin, lequel promit de lui demeurer fidèle à l'avenir tout ainsi qu'un neveu à son oncle, et, en tous ses besoins, lui prêter secours selon ses forces. Charles lui octroya la domination de toute l'Aquitaine, sauf Poitiers, Saintes et Angoulême; en sorte que tous les Aquitains qui jusqu'alors avaient tenu le parti de Charles commencèrent à s'attacher à Pépin.

Les anciennes querelles des Bénéventins et des Sarrasins se renouvelèrent, et ils retombèrent dans leurs discords. Les Normands redescendirent le cours de la Seine, et, retournant à la mer, pillèrent, dévastèrent et livrèrent aux flammes tous les pays de la côte. Mais quoiqu'en sa justice la bonté divine, grandement offensée de nos péchés, eût écrasé de tant de maux les terres et royaumes des Chrétiens, cependant, afin de ne donner lieu que les païens calomniassent plus longtemps impunément d'imprévoyance et d'impuissance le Seigneur tout-puissant et prévoyant, lorsqu'après avoir pillé et brûlé un monastère du nom de Saint-Bertin, ils s'en retournaient à leurs vaisseaux chargés de dépouilles, tellement furent-ils frappés de la justice divine ou aveuglés de ténèbres et de folie, qu'il ne s'en échappa qu'un petit nombre pour annoncer aux-autres les voies du Dieu tout-puissant; d'où l'on rapporte que l'âme de leur roi Eurich fut changée, et il adressa à Louis, roi des Germains, des ambassadeurs touchant la paix, prêt à délivrer ses captifs et à lui restituer, en tant qu'il le pourrait, ses trésors.

Lothaire, entré dans la Provence, la remit presque toute entière sous sa puissance. Les Danois qui, l'année précédente, avaient dévasté l'Aquitaine, revinrent assaillir les gens de Saintes, et, combattus par eux, les surmontèrent et s'établirent tranquillement en ce lieu. Charles marcha imprudemment des Gaules dans la Bretagne avec peu de monde, et, par l'adversité de fortune, vit toutes choses manquant aux siens, retourna en hâte au Mans, refit son armée, et se prépara à recommencer son attaque.

[846.] Les pirates danois viennent dans la Frise, y lèvent à leur gré des contributions, et, vainqueurs dans les combats, demeurent maîtres de presque toute la province. Durant tout le cours de l'hiver, et presque jusqu'au commencement du mois de mai, un vent d'aquilon frappa cruellement les vignes et les moissons; des loups firent une incursion dans les parties inférieures de la Gaule et dévorèrent audacieusement les hommes; dans l'Aquitaine, assemblés en corps d'armée jusqu'au nombre de trois cents et marchant en troupe, ils combattaient, dit-on, vaillamment et de commun accord ceux qui voulaient leur résister.

Charles, au mois de juin, tint, contre la coutume, dans la ville de Saint-Rémi, du nom d'Epernay, une assemblée générale de son peuple, en laquelle pesèrent si légèrement les salutaires admonitions des évêques de son royaume touchant les affaires de l'église, qu'à peine lisons-nous que, depuis les temps des Chrétiens, on ait jamais à ce point mis de côté le respect de la dignité pontificale. En ces jours-là un certain esclave qu'on trouva s'accouplant avec une cavale fut, par le jugement des Francs, condamné à être brûlé vif. De là Charles marchant avec une armée contre le pays de Bretagne, la paix fut traitée entre lui et Noménoé, duc des Bretons, avec des serments de part et d'autre. Au mois de mai de cette année, par l'abondance des pluies, une telle inondation se répandit dans la cité d'Auxerre que l'eau pénétrant en l'intérieur des murailles emporta dans l'Yonne des tonneaux remplis de vin; et, ce qu'il y eut de plus merveilleux, une vigne avec sa pièce de terre, les ceps, les sarments, les arbres et tout, fut charriée par la rivière d'Yonne sans se briser en aucune manière, et replacée toute entière, ainsi qu'elle était, dans un autre champ, comme si elle y eût été naturellement.

Au mois d'août les Sarrasins et les Maures, arrivés à Rome par le Tibre, dévastèrent la basilique de Saint-Pierre, prince des apôtres, et emportèrent, avec l'autel placé sur la tombe du prince des apôtres, tous les ornements et les trésors, puis allèrent occuper un mont fortifié à cent milles de la ville. Déjà quelques hommes de Lothaire avaient commencé sans scrupule à s'emparer de ces trésors; une partie de cette armée, allant à l'église du bienheureux apôtre Paul, fut vaincue par les gens de la Campanie et tout-à-fait détruite.

Louis, roi des Germains, marcha contre les Esclavons; mais accablé tant par les discordes intestines des siens que par la victoire des ennemis, il fut obligé de revenir. Louis, roi d'Italie, fils de Lothaire, combattit les Sarrasins, et, vaincu, parvint à peine à regagner Rome.

[847.] Des envoyés d'Abderrahmane, roi des Sarrasins, vinrent à Charles, de Cordoue en Espagne, pour lui demander de confirmer leur paix et alliance; il les reçut et congédia honorablement dans la ville de Reims. Bodon qui, depuis quelques années, renonçant à la vérité du christianisme, s'était abandonné à l'infidélité des Juifs, crût en telle iniquité qu'il s'efforça d'exciter les cœurs des Sarrasins, tant peuples que rois, contre tous les Chrétiens qui habitaient l'Espagne, à telles fins que, délaissant la religion chrétienne, ils se convertissent aux croyances folles et insensées des Juifs ou des Sarrasins, ou qu'on les fit tous mourir sans y manquer. Sur quoi il arriva au roi Charles, et dans son royaume à tous les évêques une requête lamentable de tous les Chrétiens de ce royaume pour leur demander d'obtenir dudit apostat qu'il cessât de tourmenter les Chrétiens habitant ce pays et de les faire mourir.

 Les Danois viennent dans les parties inférieures de la Gaule habitées par les Bretons, et l'emportent trois fois sur eux dans les combats. Noménoé vaincu fuit avec les siens, puis, par des présents qu'il leur envoie, il écarte les Danois de son pays. Le 27 janvier meurt Serge, pontife de Rome, et Léon est élu à sa place.[11] Les Sarrasins, chargés de l'amas des trésors qu'ils avaient emportés de la basilique de l'apôtre saint Pierre, s'étaient efforcés de regagner leurs navires; mais tandis que, voguant sur les eaux, ils insultaient d'une langue empoisonnée Dieu, Notre-Seigneur Jésus-Christ et ses apôtres, voilà que tout à coup s'élève un inévitable tourbillon ; les bâtiments se frappent l'un contre l'autre, et tous périssent. On trouva, dans les vêtements des morts rejetés sur le rivage de la mer, quelques-uns de ces trésors qui furent rapportés à l'église du bienheureux apôtre saint Pierre.

Les Scotes,[12] attaqués pendant plusieurs années par les Normands, furent faits tributaires. Les Normands s'emparèrent sans résistance des îles situées dans les environs et s'y établirent. Lothaire, Louis et Charles envoyèrent à Eurich, roi des Danois, des ambassadeurs, lui faisant savoir qu'il devait empêcher les siens d'infester les pays chrétiens, ou autrement ne faire aucun doute qu'ils iraient l'attaquer par les armes. En ce temps les Maures et les Sarrasins s'emparèrent de Bénévent, et ravagèrent le pays jusqu'aux confins du territoire de Rome. Les Danois se jetèrent sur les côtes de l'Aquitaine et les dévastèrent; ils attaquèrent longtemps la ville de Bordeaux. D'autres Danois s'emparèrent du port appelé Duersted[13] et de l’île des Bataves. L'armée de Louis, roi des Germains, eut la fortune si prospère contre les Esclavons qu'il recouvra ce qu'il avait perdu l'année précédente,

[848.] Les Esclavons entrent en armes dans le royaume de Louis, mais par le nom du Christ ils en sont vaincus. Charles vient à la rencontre des Normands qui attaquaient Bordeaux et remporte vaillamment sur eux la victoire. L'armée de Lothaire combat les Sarrasins qui s'étaient emparés de Bénévent, et demeure victorieuse. Les Danois, par la trahison des juifs d'Aquitaine, prennent la ville de Bordeaux, la dévastent et la brûlent. Les Aquitains, forcés par la mollesse et l'inertie de Pépin, s'adressent à Charles, et presque tous les plus nobles du pays réunis dans la ville d'Orléans avec les évêques et les abbés le choisissent pour roi. Il est oint du saint chrême et solennellement consacré par la bénédiction épiscopale. Des pirates grecs dévastent sans résistance la ville de Marseille en Provence, et se retirent impunément. Les Normands dépeuplent le bourg de Melle[14] et le livrent aux flammes. Les Scotes s'étant rués sur les Normands, et par le secours de Notre-Seigneur Jésus-Christ en demeurant vainqueurs, les repoussent de leurs frontières; après quoi le roi des Scotes envoie à Charles des ambassadeurs avec des présents pour lui demander paix et amitié, et le passage pour aller à Rome. Guillaume, fils de Bernard, s'empare plus par ruse que par force d'Ampurias et de Barcelone.

[849.] Lothaire et Charles, usant d'un meilleur conseil, retournent à la paix et concorde fraternelle. Dans la Gaule, durant la nuit qui suivit le 17 février, tandis que les clercs adressaient, au Seigneur les prières de la nuit, il se fit un grand tremblement de terre ; cependant aucun édifice ne fut renversé.

Un certain Gaulois, nommé Gottschalk, prêtre et moine du monastère d'Orbais dans la paroisse de Soissons, enflé de sa science et adonné à de certaines superstitions, était allé en Italie sous couleur de religion. Honteusement chassé, il vint en Dalmatie, en Pannonie, dans le Norique, soutenant, sous le nom de prédestination, par des discours et écrits empoisonnés, certaines choses entièrement contraires au salut; confondu et convaincu dans le concile des évêques en présence de Louis, roi des Germains, il fut forcé de retourner dans le diocèse de sa ville métropolitaine, Reims, gouvernée par le vénérable Hincmar, pour y recevoir le châtiment dû à son infidélité.[15] Charles, très exact observateur de la religion, ayant convoqué l'assemblée des saints évêques desdits diocèses, ordonna qu'il fût amené en leur présence, et, y ayant été conduit, il fut publiquement flagellé et forcé de jeter au feu les livres de ses doctrines.

Louis et Charles, réunis dans la charité fraternelle, parurent tellement enchaînés des liens de l'amour du sang, que, s'embrassant publiquement, ils recommandèrent mutuellement leurs femmes et leurs enfants à celui des deux qui survivrait à l'autre.

Charles marche en Aquitaine. Le Breton Noménoé avec sa perfidie accoutumée s'empare d'Angers et des pays circonvoisins. Les Normands brûlent et dévastent Périgueux, cité de l'Aquitaine, et retournent impunément à leurs navires. Les Maures et les Sarrasins pillent en Italie la ville de Luna, et ravagent sans résistance toutes les côtes delà mer jusqu'à la Provence. Charles, fils de Pépin, après avoir quitté Lothaire, errant en Aquitaine pour tâcher d'y rejoindre son frère Pépin, est pris par les fidèles du roi Charles et conduit en sa présence. Sa perfidie envers son oncle et son père spirituel lui avait mérité la peine capitale, mais, par clémence, la vie lui fut conservée ; en sorte qu'au mois de juin, en une assemblée tenue à Chartres par le roi Charles, après les solennités de la messe, il monta dans la chaire de l'église et apprit à tous de sa propre bouche que, poussé par l'amour du divin servage et sans y être forcé par personne, il voulait se faire clerc. Il fut donc béni par les évêques là présents, et reçut la tousure cléricale.

Louis, roi des Germains, attaqué de maladie, envoya son armée contre les Esclavons; honteusement défaite, elle éprouva en périssant et en fuyant combien était dommageable pour elle l'absence de son chef. Charles entra en Aquitaine, et, favorisé du Christ, se soumit presque tous les peuples par les voies de la conciliation. Il ordonna aussi selon son plaisir de la Marche d'Espagne. Le Breton Noménoé se répandit en armes hors de son pays avec son insolence accoutumée.

[850.] Guillaume, fils de Bernard, prend par trahison dans la Marche d'Espagne les comtes Aledran et Isambard, mais il est pris lui-même en trahison et tué à Barcelone. Les Maures dévastent tout sans résistance jusqu'à Arles, mais en s'en retournant ils périssent repoussés par les vents contraires.

Lothaire envoie à Rome son fils Louis qui est reçu honorablement par le pape Léon et sacré empereur. Eurich, roi des Normands, est attaqué par deux de ses neveux qui lui livrent combat. Il fait la paix avec eux en leur donnant une part de son royaume, et Roric, neveu d'Hérold, qui avait dernièrement quitté le parti de Lothaire, prenant avec lui une armée de Normands, vient par le Rhin et le Wahal, avec une multitude de navires, dévaster la Frise, l'île des Bataves et les autres lieux voisins. Lothaire ne pouvant les vaincre les reçoit à serment, et leur donne Duersted et d'autres comtés. D'autres Normands viennent; ceux-ci dévastent Thérouanne et d'autres pays maritimes; ceux-là vont dans l'île Bretonne attaquer les Angles qui en demeurent vainqueurs par le secours de Notre-Seigneur Jésus-Christ,

[851.] Meurt le Breton Noménoé. Lothaire, Louis et Charles se rassemblent au palais de Mersen, où, après être demeurés fraternellement un petit nombre de jours, ils arrêtent, de l'avis et du consentement de leurs grands, et confirment en y apposant le monogramme de leur nom, les conventions suivantes:

Art. 1. Soit mutuellement pardonné entre nous, à tous ceux qui les ont commis, tout ce qui s'est fait par le passé de maux, d'hostilités, d'usurpations, de machinations ennemies ou autres actions nuisibles; qu'ils soient entièrement effacés de nos cœurs, ainsi que toute malveillance et ressentiment, afin que, de ce moment, il ne demeure à l'avenir aucun souvenir de vengeance pour ces maux, hostilités ou affronts.

Art. 2. Qu'à compter de ce moment il existe entre nous, avec l'aide de Dieu, une telle bienveillance d'affection, de charité véritable, conservées d'un cœur pur, d'une conscience droite, d'une foi sans feintise, tromperie ou dissimulation, qu'aucun de nous ne convoite le royaume de l'un des autres ou ses fidèles, ou ce qui fait la sûreté, la prospérité et l'honneur de son règne, ni ne l'attaque par de mauvais conseils, ni ne consente à écouter les mensonges et les calomnies composées à plaisir par de secrets délateurs.

Art. 3. Chacun de nous aidera l'autre lorsqu'il sera nécessaire, et autant qu'il le pourra, de ses secours et de ses conseils, soit par lui-même ou par son fils, ou par ses fidèles, afin qu'il puisse dûment posséder son royaume, ses fidèles, la prospérité et la dignité royale, et que chacun d'eux fasse voir véritablement que le malheur de son frère, si malheur lui arrive, lui cause une tristesse fraternelle, et qu'il se réjouisse de sa prospérité; et avons arrêté de vivre, à compter de ce présent moment, en une telle foi les uns avec les autres que, si quelqu'un de nous meurt, ceux de ses frères qui lui survivront la conserveront à ses enfants.

Art. 4. Et comme la paix et la tranquillité des royaumes a coutume d'être troublée par des hommes qui errent de côté et d'autre sans rien respecter, nous voulons que, lorsque quelqu'un de cette sorte viendra à nous cherchant à se dispenser de faire raison et répondre en justice de ce qu'il a commis, aucun de nous ne le reçoive ni le retienne, si ce n'est pour l'engager à faire dûment raison et amende de ses actions, et s'il échappe à la justice qui lui est due, chacun de nous, lorsqu'il viendra dans son royaume, le poursuivra jusqu'à ce qu'il ait été obligé à faire réparation ou disparaisse du royaume.

Art. 5. La même chose doit avoir lieu lorsque quelqu'un aura été repris d'un évêque pour quelque crime capital et public, ou que sous le poids d’une excommunication il changera de royaume et de domination, afin de ne pas subir la pénitence qui lui est due, ou, qu'après l'avoir reçue, il se soustraira à son accomplissement légitime, et que cependant il emmènera avec lui, dans sa fuite, ou l’une de ses parentes liées avec lui par l'inceste, ou une religieuse, ou une femme enlevée, ou une adultère, ou quelque autre qu'il ne lui soit pas permis de garder avec lui. Lorsque l'évêque auquel appartient tel soin nous instruira de ces choses, le coupable sera diligemment recherché, afin qu'il ne trouve dans notre royaume aucun lieu pour y demeurer et se cacher, et n'infecte pas de son mal les fidèles de Dieu, aussi les nôtres; mais il sera contraint par nous ou par les ministres de la république de retourner vers son évêque ainsi que la proie diabolique amenée avec lui, et de recevoir la pénitence due au crime qu'il a commis publiquement, ou, s'il l'a reçue, on le forcera de l'accomplir.

Art. 6. Nos fidèles seront, chacun en son ordre et rang, véritablement en sûreté de notre part, en telle sorte qu'à compter de ce moment, aucun d'eux ne condamnerons, déshonorerons ou opprimerons contre la loi et la justice, contre l'autorité et le droit légitime, ou ne tourmenterons par des manœuvres indues; et que, à savoir de ceux qui nous seraient vrais fidèles, nous prendrons le consentement en assemblée générale selon la volonté de Dieu, et pour le salut de tous, en toutes choses relatives au rétablissement de la sainte Eglise de Dieu et de l'état du royaume, à l'honneur de la royauté et à la tranquillité des peuples qui nous sont commis; afin que non seulement ils ne nous veuillent point contredire ou résister dans l'exécution de ces choses, mais nous soient encore fidèles et obéissants, et nous prêtent de bonne foi l'aide et coopération de leurs avis véritables et sincères secours, pour accomplir les choses dont nous venons de parler, ainsi qu'il est du devoir de chacun des princes et seigneurs en son ordre et rang.

Art. 7. De même qu'entre nous et nos frères réciproquement, et nous avec nos fidèles et nos fidèles avec nous, nous nous réconcilions tous ensemble avec Dieu, et pour qu'il nous devienne propice, lui présentons en dévote offrande chacun l'aveu de nos fautes sans nous excuser ou justifier, en quelle occasion nous déclarerons devant tous et en détail ce que nous avons fait ou consenti chacun en particulier ou en commun contre ses ordres et décrets, relativement aux affaires de l'Église ou à celles de l'État; et aucun de nous n'épargnera charnellement ni son ami, ni son parent, ni son allié, ni surtout soi-même, afin de pouvoir être épargné spirituellement et dans l’ordre du salut ; et, comme nous l'avons déclaré dans le précédent article, nous nous appliquerons de toutes nos forces et en commun à réparer le mal par de véritables avis et secours sincères, autant qu'il sera raisonnablement en notre pouvoir.

Art. 8. Et si quelqu'un des sujets, de quelque ordre et rang que ce soit, manque à cette convention ou s'en retire, ou s'oppose à ce décret commun, les seigneurs, avec l'aide de leurs véritables fidèles, l'exécuteront selon la volonté de Dieu et la loi et le droit légitime, soit que le veuille ou non celui qui s'opposera et contredira aux conseils et décrets divins et à cette convention. Et si quelqu'un des seigneurs manque à cette convention ou s'en retire, se réuniront en une assemblée plusieurs des seigneurs, nos fidèles et les premiers du royaume; et alors, de l'avis de ceux des seigneurs qui auront observé les présentes conventions, ainsi que d'après le jugement et du commun consentement des évêques, nous déciderons avec l'aide de Dieu ce qui devra être fait envers celui qui, dûment averti, aura persévéré dans une incorrigible résistance. Et afin que les capitulaires ci-dessus soient fermement et inviolablement observés par nous avec la grâce de Dieu, comme aussi afin que vous croyiez assurément que nous les observerons, nous les avons souscrits de notre propre main.

Après ceci, les pirates danois ravagèrent la Frise et la Batavie, et s'étant répandus furieusement jusqu'au monastère de Saint-Bavon appelé Gand, ils mirent le feu à ce monastère; ils vinrent à la ville de Rouen et poussèrent à pied jusqu'à Beauvais; après l'avoir brûlée et s'en retournant ils furent arrêtés par les nôtres et en partie détruits.

Hérispoé, fils de Noménoé, vint trouver Charles, et lui ayant donné les mains, en fut accepté et reçut de lui, dans la ville d'Angers, tant les habits royaux que la domination des États de son père auxquels furent ajoutés Rennes, Nantes et Retz.

Les Sarrasins possédaient tranquillement Bénévent et d'autres cités. Le roi Louis dévasta presque tout le pays des Esclavons, et les soumit à sa puissance. L'apostolique Léon, craignant l'irruption des Sarrasins, fortifia d'une muraille l'église de Saint-Pierre, et, conduisant cette muraille jusqu'à la cité, rendit l'église contiguë à la ville de Rome.

[852.] Les Normands arrivent dans la Frise avec deux cent cinquante-deux navires; après avoir reçu beaucoup d'argent, ils s'en vont ailleurs comme ils en ont décidé.

Les Maures, par la trahison des Juifs, prennent Barcelone ; après avoir tué presque tous les chrétiens et dévasté la ville, ils se retirent impunément. Charles ayant invité Lothaire à un colloque en la ville du Vermandois, illustrée par le corps de saint Quentin martyr, le reçut fraternellement, le traita honorablement, et lui fit des présents royalement; et, lorsqu'il s'en retourna, le reconduisit bénignement.

Lambert et Garnier,[16] frères, principaux auteurs des discordes, périrent, l'un dans un piège, l'autre par un jugement. Le Breton Salomon se fit un des fidèles de Charles, et reçut en don le tiers de la Bretagne. Sanche comte de Gascogne, prit Pépin, fils de Pépin, et le conduisit devant Charles. Charles l'ayant conduit prisonnier en France, et après un colloque avec Lothaire, ordonna qu'il fût tondu et renfermé au monastère de Saint-Médard, dans la ville de Soissons.

Louis, fils de Lothaire, allant à Bénévent, attaque la ville de Bari, et, le mur ouvert, abandonne, mal conseillé, ce qu'il avait commencé; car ses conseillers lui ayant dit qu'il y avait en la ville une bonne partie de trésors dont il serait frustré s'il donnait licence à tous d'entrer de tous côtés, il rentra en son camp, défendant à tous les siens de faire irruption dans la ville. Ceux-ci s'étant retirés, les Maures, durant la nuit, garnirent de travées la brèche faite à leurs murailles, de sorte que le lendemain matin, quand les ennemis viendraient, ils n'eussent rien à en redouter. La brèche étant donc réparée à grand travail, Louis avec son armée retourna chez lui.

Abderrahmane, roi des Sarrasins, résidant en Espagne, meurt à Cordoue, et son fils succède à son royaume. Godefroi, fils du danois Hérold, autrefois baptisé à Mayence sous le règne de l'empereur Louis, fait défection de Lothaire, et va trouver les siens.; ensuite de quoi, ayant assemblé une puissante troupe, il vient attaquer la Frise avec une multitude de vaisseaux, puis entre enfin dans les territoires voisins du fleuve de l'Escaut. Lothaire et Charles marchent contre lui avec toute leur armée, et assiègent les deux rives du fleuve.

[853.] Durant ce siège ils célèbrent la fête de la Nativité du Seigneur ; mais ceux du parti de Charles ne voulant pas se battre, on se retire sans avoir rien fait. Charles s'attache Godefroi par des traités. Les autres Danois demeurent en ce lieu, sans aucune crainte, jusqu'au mois de mars, et d'autant plus furieusement que plus librement ils pillent, brûlent et mettent en captivité.

Lothaire tient sur les fonts sacrés la fille de Charles, et peu de jours après part pour retourner chez soi.

Les Danois, au mois de juillet, quittent là Seine, vont sur la Loire, et dévastent la ville de Nantes, le monastère de Saint-Florent et les lieux voisins. Charles, au mois d'avril, rassemble à Soissons, dans le monastère de Saint-Médard, un synode d'évêques, et lui-même, présidant ce synode, fait dégrader par jugement des évêques deux prêtres moines de ce monastère, qui avaient fait dessein d'enlever Pépin, et de s'enfuir avec lui en Aquitaine. Hincmar, évêque de Reims, par le jugement du synode, dépose tous les prêtres diacres et sous-diacres de son église, ordonnés par Ebbon depuis sa déposition. Pépin prête à Charles serment de fidélité, et prend ensuite l'habit de moine, promettant d'observer les règles selon la manière et coutume des moines. Charles, venant à Quierzy avec certains évêques et abbés de moines, porte quatre capitulaires corroborés de sa propre signature, dont le premier déclare que personne n'a été prédestiné de Dieu au châtiment ; que Dieu n'a qu'une seule prédestination appartenant au don de la grâce ou à la rétribution de la justice. Le second, que le libre arbitre, perdu jadis par nous, nous est rendu par l'aide et la grâce prévenante du Christ. Le troisième, que Dieu a voulu sauver généralement tous les hommes, bien que tous ne soient pas sauvés. Le quatrième, que le sang du Christ a été répandu pour tous, bien que tous ne soient pas rachetés par le mystère de la passion.

Presque tous les Aquitains abandonnent Charles, et font passer à Louis, roi de Germanie, des envoyés avec des otages pour se donner à lui. Ce même Louis s'irrite violemment contre Charles à cause de certaines conditions convenues entre lui et Charles dans les temps de trouble.[17] Les Wénèdes[18] manquent de foi à Louis avec leur perfidie accoutumée. L'empereur Lothaire, ayant perdu depuis deux ans sa femme, la très chrétienne reine Hermengarde, avait fait entrer dans son lit deux servantes d'une de ses maisons royales, l’une desquelles, nommée Doda, lui avait donné un fils qu'il fit appeler Carloman. Il lui naquit d'autres fils de semblables adultères. Les pirates danois, passant pour aller dans les parties supérieures du pays de Nantes, viennent impunément à la ville de Tours le 8 novembre, la brûlent, ainsi que l'église de Saint-Martin et les lieux adjacents; mais la chose ayant été sue d'avance avec une évidente certitude, on avait transporté le corps de saint Martin à Cormery, monastère de cette église, et de là dans la cité d'Orléans.

Les Bulgares, s'étant alliés aux Esclavons, et, à ce qu'on rapporte, invités par nos présents,[19] attaquèrent violemment Louis, roi de Germanie; mais Dieu combattant avec lui, il remporta la victoire. Les Grecs cependant s'élevèrent contre Louis, roi d'Italie et fils de Lothaire, parce qu'ayant fiancé la fille de l'empereur de Constantinople, il différait d'accomplir le mariage.

Les Romains, pressés par les incursions des Maures et des Sarrasins, se plaignent à l'empereur Lothaire de ce qu'il néglige tout-à-fait de les défendre.

[854.] Charles, soupçonnant la foi de son frère Louis, vint trouver Lothaire dans le pays de Liège, où, après avoir longtemps traité des conditions d'une alliance mutuelle et indissoluble, ils la conclurent en présence de tous les assistants, la jurèrent sur les choses saintes, se recommandant réciproquement leurs fils, leurs grands et leurs royaumes. Cependant Louis, fils adolescent de Louis, roi des Germains, demandé à son père par les habitants de l'Aquitaine, passe la Loire, et est reçu de ceux qui venaient le chercher. Charles fait au temps du carême un voyage en Aquitaine, et y demeure jusqu'au temps des fêtes de Pâques, et de tout son pouvoir pille, brûle et réduit en captivité tous les habitants de ce pays, sans que son audace et sa cupidité s'arrêtent, même aux églises et autels de Dieu.

Lothaire, sur le Rhin, confère avec son frère Louis touchant une union fraternelle avec Charles. Après s'être piqués mutuellement par des discours pleins d'aigreur, ils se remettent d'accord, et s'unissent d'un lien de paix; de quoi Charles, grandement inquiet, revient d'Aquitaine sans avoir rien terminé, et convie Lothaire à son palais d'Attigny. Là, s'étant réunis, ils confirmèrent ce qu'ils avaient conclu dernièrement.

Les Danois qui habitaient sur la Loire viennent jusqu'au château de Blois et le brûlent, voulant ensuite poursuivre jusqu'à Orléans pour en faire de même ; mais Agius, évêque d'Orléans, et Burchard, évêque de Chartres, ayant préparé contre eux des soldats et des vaisseaux, ils abandonnent leur dessein, et regagnent la Loire inférieure. D'autres pirates danois dévastent la Frise dans les parties voisines de la Saxe. Lothaire et Charles adressent à leur frère Louis des envoyés touchant la paix et concorde, et pour qu'il rappelle son fils d'Aquitaine. Charles retourne en Aquitaine. Pépin, fils de Pépin, qui, tondu au monastère de Saint-Médard, y avait pris l'habit de moine et fait serment de demeurer, vient en Aquitaine, où la plupart des peuples courent se réunir autour de lui.

Le roi Charles, s'inquiétant peu de Pépin, force son neveu Louis qui était venu en Aquitaine, de retourner en Germanie vers son père. Charles, frère de Pépin, déjà ordonné diacre, quitte le monastère de Corbie. Le roi Charles consacre son fils Carloman à la tonsure ecclésiastique. Les Danois se livrent entre eux des combats intestins, et enfin, en trois jours d'une bataille furieuse et obstinée, sont tués le roi Eurich et plusieurs autres de leurs rois, et périt presque toute leur noblesse. Les pirates normands, habitant sur la Loire, incendient de nouveau la ville d'Angers.

[855.] Lothaire donne toute la Frise à son fils Lothaire; en sorte que Roric et Godefroi retournent dans le Danemark leur patrie, espérant y obtenir la puissance royale. Lothaire tombe malade, ce qui donne occasion à ses frères Louis et Charles de rétablir entre eux la concorde. Les Normands s'emparent de Bordeaux, cité d'Aquitaine, et parcourent à leur gré le pays de côté et d'autre. Charles, à la demande des Aquitains, désigne pour leur roi son fils Charles. Charles reçoit aussi honorablement Edelwolf, roi des Anglo-Saxons,[20] dans son passage pour Rome, lui rend tous les honneurs royaux, et le fait conduire jusqu'aux confins de son royaume avec les hommages dignes d'un roi. Lothaire se plaint de Charles à l'occasion des soupçons qui s'élèvent sur sa foi. Beaucoup d’opinions contraires à la foi catholique s'élèvent en effet dans le royaume de Charles, et non pas à son insu.

Au mois d'août, étant décédé Léon, évêque du siège apostolique, Benoît lui succède.[21] Dans ce même mois, on vit du côté de l'occident deux étoiles, l'une plus grande et l'autre moindre, s'avancer vers l'orient; dix fois elles parurent tour à tour, jusqu'à ce que la plus grande demeura, et la plus petite ne se montra plus nulle part. L'empereur Lothaire, saisi de maladie et désespérant de sa vie, se rendit au monastère de Prüm dans les Ardennes. Là, renonçant entièrement au monde et à son royaume, il fut tondu, et prit humblement l'habit et la vie de moine. Il partagea son royaume entre ceux de ses fils qui étaient demeurés auprès de lui. Lothaire, qui portait le même nom que lui, eut la France, et Charles la Provence. Il décéda six jours après, le 28 septembre, et reçut, comme il l'avait désiré, la sépulture en ce monastère.

Les Aquitains, s'étant réunis vers le milieu d'octobre dans la ville de Limoges, reconnurent unanimement pour leur roi Charles, encore enfant, fils du roi Charles, et, après qu'il eut reçu l'onction pontificale, placèrent sur sa tête la couronne, et lui remirent le sceptre. Les Normands, entrés dans la Loire, ayant quitté leurs navires, entreprirent d'aller par terre à la ville de Poitiers; mais les Aquitains vinrent à leur rencontre, et les défirent de telle sorte qu'il ne s'en échappa guère plus de trois cents.

Roric et Godefroi, n'ayant pas eu le succès propice, s'établirent à Duersted, et possédèrent la plus grande partie de la Frise. Louis, roi des Germains, fut tourmenté par les fréquentes défections des Esclavons.

[856.] Hiver rigoureux et sec, grande peste qui fait périr une grande partie des hommes. Louis, roi d'Italie, fils de Lothaire, se plaint à ses oncles Louis et Charles du partage qui a été fait des royaumes que son père possédait en France, soutenant qu'il tient l'Italie de la munificence de son aïeul l'empereur Louis. Les Aquitains, méprisant l'enfant Charles qu'ils avaient précédemment élu, délivrent de ses gardes le moine Pépin qui s'était enfui du monastère de Saint-Médard, et s'en font un semblant de roi. Le roi Charles fait la paix avec le Breton Hérispoé, et fiance son fils Louis à la fille de celui-ci, auquel il donne le duché du Mans, jusqu'à la route qui conduit de Paris à Tours. Les grands du royaume de feu Lothaire établissent roi de France son fils Lothaire qui reçoit l'onction sacrée. Le 18 avril, les pirates danois viennent à la ville d'Orléans, la pillent, et s'en retournent impunément. Presque tous les comtes du royaume du roi Charles conjurent contre lui avec les Aquitains, à telle fin qu'ils appellent à eux Louis, roi des Germains ; mais Louis ayant été retenu longtemps dans une expédition contre les Esclavons, où il perdit une grande partie de son armée, impatiens de ce retard, ils se réconcilient avec le roi Charles.

Alors les Aquitains, rejetant Pépin, reçoivent de nouveau l'enfant Charles, fils du roi Charles, qu'ils avaient dernièrement rejeté, et le reconduisent en Aquitaine. D'autres pirates danois rentrent de nouveau dans la Seine vers le milieu d'août, et, après avoir dévasté et ruiné les villes des deux bords du fleuve, et même des monastères et des villages plus au loin, s'arrêtent en un lieu proche de la Seine, nommé Jeufosse[22] fort par son assiette, et y passent tranquillement l'hiver. Edelwolf, roi des Angles d'Occident, revenant de Rome, après avoir fiancé au mois de juillet Judith, fille du roi Charles, la prend en mariage au commencement d'octobre, dans le palais de Verberie, et avec la bénédiction d'Hincmar, évêque de Reims, lui pose le diadème sur la tête, et la décore du nom de reine, selon qu'avaient accoutume jusqu'alors lui et sa nation. Ce mariage accompli des deux parts avec un appareil et des présents royaux, il s'embarque avec elle pour retourner dans son royaume de Bretagne, Louis, empereur d'Italie, et son frère Lothaire, roi de France, avec Charles leur frère, enfant, se réunissent dans la ville d'Orbe, où sont entre eux de tels discords sur le partage du royaume de leur père, qu'ils en viennent presque aux armes. Cependant Charles, leur frère, que les grands avaient enlevé à son frère Lothaire qui voulait lui imposer la tonsure ecclésiastique, reçoit d'eux, ainsi que l'avait voulu leur père, la Provence et le duché de Lyon.

Les Sarrasins du pays de Bénévent entrent par ruse dans Naples, la dévastent, la pillent, et la bouleversent de fond en comble.

[857.] Le 28 décembre,[23] les pirates danois font une invasion en la ville de Paris, et y mettent le feu. Ceux qui habitaient sur la Loire inférieure dévastent Tours et les lieux environnants jusqu'à Blois. Quelques-uns des Aquitains, à la persuasion de certains Francs unis secrètement en conspiration contre le roi Charles, quittent le parti de l'enfant Charles, et se rangent au parti de Pépin. Le roi Charles et Lothaire son neveu s'allient avec de mutuels serments. Louis, roi de Germanie, et Louis, empereur d'Italie, en font autant. Pépin, conjointement avec les pirates danois, dévaste la ville de Poitiers et plusieurs autres lieux de l'Aquitaine. Lothaire, usant illégitimement de concubines, rejette la reine sa femme.

Dans la ville de Cologne, l'évêque Gonthier étant en l'église de Saint-Pierre, elle fut couverte d'une nuée très épaisse de laquelle sortaient des éclairs redoublés, quand la foudre, entrant subitement par la gouttière en forme de flamme, tua un prêtre, un diacre et un laïque, et s'alla cacher dans les entrailles de la terre. Aussi dans le mois d'août, Theutgaud, évêque de Trèves, célébrant les offices divins avec le clergé et le peuple, survint une nuée très obscure qui épouvanta l'église de tonnerres et d'éclairs, brisa la tour où sonnaient les cloches, et répandit en l'église de telles ténèbres qu'à peine pouvait-on s'y reconnaître les uns les autres, et l'on vit la terre s'ouvrir tout à coup, et un chien d'une grosseur énorme courir autour de l'autel.

Les Danois habitant sur la Seine dévastent sans résistance tout le pays; ils viennent à Paris, brûlent la basilique de Saint-Pierre, de Sainte-Geneviève, ainsi que toutes les autres, excepté la maison épiscopale de Saint-Étienne, l'église de Saint-Vincent et Saint-Germain et la cathédrale de Saint-Denis, lesquelles furent préservées du feu au prix d'une grosse somme d'argent. D'autres Danois du port qu'on appelle Duersted s'emparent à main armée de toute l'île Batave, et dévastent. les pays limitrophes. Hérispoé, duc des Bretons, est tué par les bretons Salomon et Almar depuis longtemps en querelle avec lui. Quelques-uns des grands du roi Charles, de compagnie avec les Aquitains, font beaucoup de pillages et autres torts. Frébaud, évêque de Chartres, fuyant à pied dans cette cité, poursuivi par les Danois, voulut passer à la nage la rivière de l'Eure, et mourut englouti par les eaux.

[858.] C'est l'année où Charles entra lui-même dans l'île de la Seine du nom d'Oissel,[24] où il courut un grand danger, ainsi que beaucoup le surent alors, et où son frère Louis vint sur lui avec tout un armement de guerre; mais, par un bienfait de la miséricorde de Dieu, il ne s'en tira pointa son honneur. Le jour de la fête de la Nativité, il y eut à Mayence, durant la nuit et durant la journée, de forts et redoublés tremblements de terre qui furent suivis d'une grande mortalité parmi les hommes.

Dans le territoire de…[25] la mer jeta un arbre arraché avec toutes ses racines, et jusqu'alors inconnu dans les provinces de la Gaule. Il n'avait point de feuilles ; mais au lieu, de feuillage il portait de petits rameaux en ressemblance d'herbe et de la même largeur, mais plus longs; au lieu de feuilles, sur ces rameaux étaient certaines petites figures triangulaires, très menues, et de couleur d'ongles d'homme ou os de poisson, elles étaient attachées à la sommité de ces herbes, comme si on les y eût appliquées par dehors, à la manière de ces ornements de divers métaux que l’on a coutume d'attacher sur le dehors des ceintures des hommes ou des caparaçons des chevaux.

Dans le pays de Sens, le jour du Seigneur, tandis que l'on célébrait les cérémonies de la messe dans l'église de Sainte-Procaire, un loup entra subitement, parcourut l'église, effraya les assistants, en fit autant du côté des femmes, et ensuite disparut.

Edelwolf, roi des Saxons d'occident, meurt, et son fils Edelbold épouse sa veuve, la reine Judith. Bernon, duc de cette portion des pirates qui habitaient sur la Seine, vient vers le roi Charles dans le palais de Verberie, et, mettant ses mains dans les siennes lui jure fidélité. Une autre partie de ces mêmes pirates prend Louis, abbé du monastère de Saint-Denis, avec son frère Joscelin, et exige pour sa rançon une très grosse somme, pour laquelle, par Tordre du roi Charles, on épuise dans son royaume beaucoup des trésors des églises de Dieu ; mais cela n'ayant pas suffi, tous les évêques, abbés, comtes et autres hommes puissants, apportent à l'envi au roi beaucoup d'argent pour compléter ladite somme. Les comtes du roi Charles, unis aux Bretons, font défection de Charles, forcent son fils Louis et ceux qui l'accompagnaient à quitter, pleins de frayeur, le pays du Mans, à passer la Seine, et se réfugier devers son père. Le roi Lothaire confirme son alliance avec son frère Charles, roi de Provence, et lui donne deux évêchés sur la portion de royaume qui lui appartenait, savoir Belley et Moutiers. De son côté, Charles s'engage avec son frère Lothaire à lui laisser son royaume en héritage, dans le cas où il viendrait à décéder avant d'avoir pris femme et procréé des enfants.

Dans le bourg de Liège, où repose le corps de saint Lambert, il survint soudainement au mois de mai une telle inondation causée par les pluies, que la Meuse, se précipitant avec violence hors de son lit, emporta les maisons, les murs de pierre et tous les édifices, avec les hommes, et tout ce qu'elle rencontra, et l’église de Saint-Lambert elle-même.

Les Danois font une irruption dans la Saxe; mais ils sont repoussés. Benoît, pontife romain, meurt, et Nicolas[26] lui succède, plutôt par la faveur et la présence de Louis et de ses grands que par le choix du clergé. Le roi Lothaire, forcé par les siens, reprend sa femme qu'il avait renvoyée; cependant il ne la reçoit point dans son lit, mais la tient prisonnière.

Le roi Charles vient au mois de juillet à l'île de la Seine, appelée Oissel, pour assiéger les Danois qui l'occupaient. Son fils, l'enfant Charles, vient vers lui de l'Aquitaine. Avec lui il reçoit Pépin comme laïque, et lui donne en l'Aquitaine un comté, et un monastère. Le roi Lothaire arrive au mois d'août à la même île, amenant du secours à son oncle; ils assiègent les Danois sans aucun succès jusqu'au 22 septembre, puis retournent chez eux.

Cependant Louis, roi des Germains, est attiré par les comtés du royaume de Charles qui l'appelaient depuis cinq ans. Arrivé au commencement de septembre dans la résidence royale de Pontion, il vient à Sens par Châlons et Queudes; puis, s'étant rendu dans le pays d'Orléans, après avoir reçu d'Aquitaine et de Neustrie et du pays des Bretons tous ceux qui avaient promis de venir à lui, il retourne jusqu'à Queudes presque par la même route; ce qu'apprenant, le roi Charles vient en hâte par Châlons jusqu'à la ville de Brienne, où les premiers de la Bourgogne accourant autour de lui, il attend Louis qui le poursuit. Des messagers cependant vont de l'un à l'autre, mais sans parvenir à aucun accommodement. Enfin, le troisième jour, c'est-à-dire le 12 novembre, chacun des deux partis préparé au combat, Charles, se voyant abandonné des siens, se retire, et marche vers la Bourgogne. Louis, après avoir reçu ceux qui avaient déserté Charles, vient à la ville de Troyes, distribue à ceux qui l'avaient appelé des comtés, des monastères, des maisons royales et des propriétés, puis retourne au palais d'Attigny. Le roi Lothaire vient l'y trouver, et, après avoir renouvelé leur traité, retourne chez lui. Louis se rend par Reims et le pays de Laon dans la cité du Vermandois, c'est à savoir au monastère de Saint-Quentin, martyr, pour y célébrer la fête de la Nativité du Seigneur.

En ce temps, un moine du monastère de Saint-Vincent, martyr, et Saint-Germain, confesseur, revenant de Cordoue, ville d'Espagne, en rapporta les corps des bienheureux martyrs George et Aurélien, diacres, et la tête de sainte Nathalie, qu'il plaça dans le village d'Aimant pour les y conserver dans des niches.

[859.] Les Danois dévastent les pays au-delà de l'Escaut. Le commun peuple des pays entre Seine et Loire, conjuré entre soi, résiste courageusement aux Danois établis sur la Seine ; mais sa conjuration étant conduite sans prudence, il est facilement défait par nos grands. Le roi Charles, ayant repris des forces, attaque inopinément son frère Louis, et le chasse hors des confins de son royaume. Le roi Lothaire vient en diligence vers son oncle Charles, et au commencement du carême, le jour du Seigneur, dans le palais d'Arches, ils se renouvellent publiquement l'un à l'autre les serments qu'ils s'étaient faits. Charles donne à des laïques certains monastères qui précédemment avaient accoutumé d'être tenus par des ecclésiastiques.

Les pirates danois, ayant fait un long circuit en mer, car ils avaient navigué entre l'Espagne et l'Afrique, entrent dans le Rhône, ravagent plusieurs villes et monastères, et s'établissent dans l'île dite la Camargue. Le roi Charles fait en divers lieux des assemblées d'évêques, mais à quatre milles de Toul, dans le village de Savonnières, assistant avec les rois Charles et Lothaire à un synode d'évêques, il présente une accusation contre Wénilon, évêque métropolitain de Sens ; cependant le procès est différé à cause de l'absence de l'évêque Wénilon. De là il se rend à une île sur le Rhin, entre Andernach et Coblence, pour y entrer en colloque avec son frère le roi Louis. Cette conférence est renvoyée au 25 octobre, dans la ville de Bâle. Louis y vient; mais Charles, en chemin pour y aller, retourne sur ses pas à cause de l'absence de Lothaire. Presque tous les Aquitains se tournent du coté de l'enfant Charles, Pépin s'associe au comte Robert et aux Bretons.

Dans les mois d'août, de septembre et d'octobre, on vit au ciel, durant la nuit, des troupes armées. Une clarté semblable à celle du jour brilla continuellement à l'orient, et s'étendit jusqu'au septentrion, et de là partaient des colonnes sanguinolentes qui parcouraient le ciel. Les Danois vinrent de nouveau au monastère de Saint-Valéry et à la ville d'Amiens, et les ravagèrent, ainsi que tous les lieux environnants, par le pillage et l'incendie. D'autres se répandirent avec la même fureur dans l'île Batave sur le Rhin. Ceux qui habitaient sur la Seine vinrent de nuit attaquer la ville de Noyon, prirent l’évêque Immon avec d'autres nobles hommes, tant clercs que laïques, et, après avoir dévasté la cité, les emmenèrent avec eux, puis les tuèrent en chemin. Deux mois auparavant, les mêmes avaient tué en un village Hermenfried, évêque de Beauvais, et l'année précédente ils avaient mis à mort Blatefried, évêque de Bayeux. Par la crainte des Danois, les os des bienheureux martyrs Denis, Rustique et Eleuthère, sont portes du Hurepoix dans la ville de Nogent dépendant de leur juridiction, et le 21 septembre ils sont placés avec soin dans des niches.

Lothaire cède à son frère Louis, roi d'Italie, une certaine partie de son royaume, à savoir, ce qu'il possédait au-delà du mont Jura, c'est-à-dire, les cités de Genève, Lausanne et Sion, avec leurs évêchés, monastères et comtés; il lui cède en outre l'hôpital situé sur le mont Jouy et un autre comté.

Wénilon, évêque de Sens, se réconcilie avec le roi Charles sans avoir comparu en présence des évêques. Nicolas, pontife romain, décide selon la foi, et prononce conformément à la loi catholique sur les dogmes de la grâce de Dieu et du libre arbitre, sur les vérités de la double prédestination et sur le sang du Christ, pour que ces choses soient enseignées à tous les croyants.

[860.] Hiver rude et prolongé par des neiges et des gelées continuelles depuis le mois de novembre jusqu'au mois d'avril. Lothaire, ayant pris dans une haine implacable sa femme Teutberge, l'oblige[27] à confesser en présence des évêques que son frère Hubert s'est approché d'elle par le péché sodomique; en sorte qu'elle est condamnée à une pénitence perpétuelle et renfermée dans un monastère. Le roi Charles, séduit par les vaines promesses des Danois habitant sur la Somme, ordonne une exaction sur les trésors des églises, sur tous les manoirs, et sur les marchands même les plus pauvres, en telle sorte qu'on évalue leurs maisons et tous leurs meubles, et qu'on établisse là-dessus une taxe; car ces Danois lui avaient promis, s'il voulait leur payer trois mille livres d'argent, de marcher avec lui contre ceux des Danois qui habitaient sur la Seine, et de les tuer ou de les chasser.

Le 4 avril, durant la nuit, la nouvelle lune déjà commencée, une certaine tache obscure, en forme de croissant comme la lune elle-même, parut au milieu, en telle sorte que la lumière paraissait sur les deux bords, mais que le milieu était sombre. On dit de même que le 6 avril, le soleil levé, l'on vit au milieu de son disque une tache noire, et celle-là étant descendue vers les parties inférieures, une autre aussitôt se jeta sur les parties supérieures, et parcourut tout le disque jusqu'en bas. Cela arriva le dixième jour de la lune.

Les Danois qui habitaient sur la Somme, comme on ne leur remettait pas le susdit tribut, prirent des otages, et naviguèrent vers le pays des Anglo-Saxons, lesquels défaits et repoussés, ils allèrent chercher d'autres contrées. Ceux de ces Danois qui s'étaient établis sur le Rhône parvinrent, toujours dévastant, jusqu'à la cité de Valence ; puis, après avoir ravagé toutes les parties circonvoisines, retournèrent à l’île où ils avaient pris leur demeure.

Les rois Louis, Charles et Lothaire se réunissent dans le château dit de Coblence. Là, après avoir longtemps entre eux traité de la paix, ils se jurent union et concorde. Louis, empereur d'Italie, est attaqué par une faction des siens, et sévit contre eux et contre les Bénéventins par le pillage et l'incendie.

Les Danois qui étaient sur le Rhône vont vers l'Italie, prennent et dévastent Pise et d'autres cités. Le roi Lothaire, en crainte de son oncle Charles, s'allie à Louis, roi de Germanie, et lui donne, dans la vue de cette alliance, une partie de son royaume, à savoir l'Alsace. La femme de Lothaire, craignant la haine et les embûches de son mari, se réfugie devers son frère Hubert dans le royaume de Charles. Le roi Charles donne à son fils Louis le monastère de Saint-Martin.

[861.] Au mois de janvier, les Danois brûlent Paris et l'église de Saint-Vincent, martyr, et Saint-Germain, confesseur ; ils poursuivent et prennent les marchands qui s'enfuyaient par eau en remontant la Seine. D'autres Danois viennent au pays de Thérouanne, et le ravagent.

Le 29 mars, après la huitième heure de la nuit, la lune entière s'obscurcit. Le roi Charles ordonne d'enfermer et de faire clerc dans le monastère de Saint-Jean son fils Lothaire. Galinde, surnommé Prudence, évêque de la cité de Troyes, Espagnol de naissance, et des premiers dans la science des lettres, qui, quelques années auparavant, avait combattu le prédestinatien Gottschalk, violemment irrité ensuite contre quelques évêques qui s'opposaient avec lui à l'hérétique, était devenu lui-même ardent défenseur de cette hérésie. Il mourut après qu'il se fut produit entre eux et lui une quantité non petite d'écrivasseries diverses et contraires à la foi; et, quoique tourmenté d'une longue maladie de langueur, il ne cessa d'écrire qu'au moment où il cessa de vivre.

Carloman, fils de Louis, roi de Germanie, s'allie avec Restic, petit roi des Wenèdes, et, manquant de foi à son père, avec l'aide de Restic, s'empare d'une grande partie de son royaume. Louis prive de ses bénéfices Arnoul, beau-père de son fils Carloman, et chasse de son royaume les petits-fils dudit Arnoul. Eux, avec Adalhard, oncle de la reine Ermentrude et leur proche parent, que poursuivait Lothaire par la volonté de son oncle Louis, vont trouver Charles qui les reçoit bénignement, et les console par des bénéfices ; presque tous ceux qui récemment avaient quitté Charles pour Louis retournent à Charles qui leur rend sa familiarité et des bénéfices.

Les Danois qui avaient dernièrement incendié la cité de Thérouanne, revenant, sous leur chef Wéland, du pays des Angles, remontent la Seine avec deux cents navires et plus, et assiègent les Normands dans le château qu'ils avaient construit en l’île dite d'Oissel. Charles ordonna de lever, pour les donner aux assiégeants à titre de loyer, cinq mille livres d'argent, avec une quantité non petite de bestiaux et de grains, pour que son royaume n'en fût pas dévasté; puis, passant la Seine, il se rendit à Méhun-sur-Loire, et y reçut Robert avec les honneurs convenus. Geoffroi et Godefroi, par le conseil desquels Charles avait reçu Robert, en prirent occasion de le quitter avec leurs compagnons, selon l'inconstance ordinaire de leur race et leurs habitudes natives, et se joignirent à Salomon, duc des Bretons. Cependant un autre parti de Danois entra par la Seine avec soixante navires dans la rivière d'Hières, arriva de là vers ceux qui assiégeaient le château, et se joignit à eux. Les assiégés, tourmentés du besoin de la faim et de toutes sortes de misères, donnent aux assiégeants six mille livres, tant or qu'argent, et se joignent à eux; ils descendent ensemble le long de la Seine jusqu'à la mer, ou l'approche de l'hiver les empêche d'entrer; en sorte qu'ils se partagent en différents ports sur la Seine jusqu'à Paris, selon leurs diverses associations. Wéland remonte la Seine avec ses compagnons jusqu'au château de Melun. Ceux qui avaient tenu le château d'Oissel occupent avec le fils de Wéland le monastère de Saint-Maur-des-Fossés.

Hincmar, archevêque de Reims, dans un synode de ses évêques suffragants, tenu au monastère de Saint-Crépin et Saint-Crépinien, près de Soissons, prive de la communion, conformément au décret des canons, Rothade, évêque de Soissons, jusqu'à ce qu'il se soumette aux règlements ecclésiastiques auxquels il refusait d'obéir.

Charles ayant délégué son fils Louis à la garde de son royaume sous la protection d'Adalhard, oncle de la reine Ermentrude, s'avança en Bourgogne avec sa femme jusqu'à la cité de Maçon. Il était appelé par quelques-uns contre les Normands pour prendre la domination de la Provence, où Charles, fils du feu empereur Lothaire, portait inutilement et dommageablement le nom et les honneurs de la royauté; mais les choses lui étant peu prospères, après avoir fait sur les gens du pays beaucoup de déprédations, il revint à son palais de Pontion. Là il reçut, de la part de Louis son frère et de Lothaire son neveu, des messages apportés par Advence, évêque de la cité de Metz, et le comte Leutard; et, les ayant congédiés, il célébra, selon l'usage, par des fêtes, le jour de la Nativité du Seigneur.

[862.] Judith, veuve d'Edelbold, roi des Angles, après avoir vendu les propriétés qui lui avaient été conférées dans le royaume des Angles, était revenu vers son père qui la tenait dans la cité de Senlis avec des honneurs de reine, mais sous l'autorité paternelle et la garde des évêques, à cette fin que, si elle ne pouvait vivre dans la continence, du moins elle se mariât selon le conseil de l'apôtre, c'est à savoir convenablement et légalement. Charles étant venu par Reims à la cité de Soissons, des messages certains lui apprirent en ce lieu que Judith s'était prostituée au comte Baudouin, et, du consentement de son frère Louis, le suivait sous un habit d'homme. En même temps Louis, sollicité par Geoffroi et Godefroi, avait quitté les fidèles de son père, et, fuyant durant la nuit accompagné d'un petit nombre de gens, avait passé comme transfuge à ceux qui l'appelaient; en sorte que le roi Charles s'étant consulté avec les évêques et grands de son royaume, après avoir fait juger par les lois du siècle Baudouin et Judith, laquelle courait le monde avec son ravisseur et se rendait complice de l'adultère, demanda aux évêques de prononcer contre eux la sentence canonique selon l'édit de saint Grégoire, que si quelqu'un enlève une veuve pour l'épouser, et qu'elle y consente, que tous deux soient anathèmes. Retirant aussi à son fils Louis l'abbaye de Saint-Martin qu'il lui avait imprudemment donnée, il la donna, de même avec peu de prudence, à Hubert, clerc marié.

Il se rendit de là à Senlis, attendant que le peuple se rassemblât, afin de placer des troupes sur les deux rives de chacune des rivières de l'Oise, de la Marne et de la Seine, pour que les Normands ne pussent aller piller. Il reçut la nouvelle que l'élite des Danois, établis à Saint-Maur-des-Fossés, s'était rendue, sur de petits bâtiments, à la ville de Meaux; il résolut d'y marcher avec ceux qu'il avait près de lui. Comme les Normands avaient détruit les ponts et s'étaient emparés des bateaux, ce qui l'empêchait de les joindre, il prit, par nécessité, le parti de refaire un pont près de l'île de Tribaldou, ce qui empêchait les Normands de redescendre la rivière. Il envoya cependant des troupes garder les deux rives de la Marne; par quoi les Normands, grandement resserrés, envoyèrent à Charles des otages et des messagers pour lui proposer cette condition, qu'ils rendraient sans délai tous les captifs qu'ils avaient faits depuis leur entrée dans la Marne, et qu'à un jour convenu, ils descendraient la Seine avec tous les autres Normands et reprendraient la mer, ou que, si les autres ne voulaient pas s'en aller avec eux, ils se réuniraient à l'armée de Charles pour combattre ceux qui résisteraient; et environ vingt jours après, Wéland lui-même vint vers Charles, se recommanda à lui et lui prêta serment avec ceux qui l'accompagnaient; de là retournant à ses navires, il descendit avec toute la flotte danoise jusqu'à Jumièges, où ils s'arrêtèrent pour réparer leurs bâtiments et attendre l'équinoxe du printemps. Les bâtiments réparés, les Danois, se divisant en plusieurs flottes, gagnèrent la mer et chacun fit voile de son côté, selon qu'il lui plut. La plus grande partie se mit en route pour aller vers les Bretons qui habitent la Neustrie, sous le commandement de Salomon, et auxquels se joignirent aussi ceux qui avaient été en Espagne. Robert leur prit dans la Loire douze bâtiments que Salomon y avait assemblés contre les conditions du loyer avec lui convenu, et tua tous ceux qui se trouvaient sur la flotte, si ce n'est un petit nombre qui s'échappèrent par la fuite. Cependant Robert n'étant pas en état de se défendre contre Salomon uni aux Normands, comme on l'a dit, sortis de la Seine, il traita avec eux avant que Salomon les eût appelés contre lui, et, des otages donnés de part et d'autre, s'unit à eux contre Salomon pour la somme de six mille livres d'argent. Wéland vint vers Charles avec sa femme et ses enfants, et se fit Chrétien ainsi que les siens.

Louis, roi des Germains, ayant cédé à son fils Carloman la partie de son royaume dont celui-ci s'était emparé, Carloman se remit en paix avec son père et lui fit serment de ne plus s'échapper contre sa volonté. Ensuite Louis, fils du roi Charles, par le conseil de Geoffroi et de Godefroi, va vers Salomon, obtient une grosse troupe de Bretons, et va à leur tête, attaquer Robert, fidèle de son père. Il dévaste, pille, met à feu et à sang Angers, ainsi que les autres cantons où il peut parvenir. Robert atteint les Bretons qui s'en retournaient faisant de grands ravages, en tue plus de deux cents des plus considérables et leur enlève leur butin. Louis revient de nouveau l'attaquer ; mais il est mis en fuite et ses compagnons dispersés; il s'échappe à grand-peine. Charles, roi d'Aquitaine, fils du roi Charles, âgé de moins de quinze ans, épouse, à la persuasion d'Etienne, sans l'aveu et à l'insu de son père, la veuve du comte Humbert. Louis, souvent mentionné, frère de Charles, suivant ses traces, épouse, au commencement du saint carême, de l'avis de beaucoup des siens, la fille du feu comte Hardouin, sœur d'Eudes. Vers le commencement de juin, Charles leur père fait venir tous les grands de son royaume, beaucoup d'ouvriers et de chariots au lieu qu'on appelle Pistre[28] où d'un côté la rivière d'Andelle et de l'autre la rivière d'Eure viennent se jeter dans la Seine, et là il fait fortifier la Seine pour fermer le passage aux navires normands, soit à monter, soit à descendre la rivière; puis avec sa femme, serment prêté par les siens, il parle à son fils Charles en un lieu nommé Méhun, et Charles presqu'aussitôt, soumis de paroles, mais d'une âme rebelle, se soulève et retourne en Aquitaine, et Charles revient à Pistre où il avait réuni une assemblée et un synode, et, parmi ses travaux, il traite avec ses fidèles des affaires de la sainte Église et de celles de son royaume. Là Rothade, évêque de Soissons, homme d'une singulière folie, légalement privé de la communion par les évêques assemblés et le synode provincial, se présenta, avec l'esprit de rébellion qui lui était propre, devant le concile des quatre provinces. L'assemblée de ses confrères, pour ne le pas déposer tout-à-fait, décida qu'il serait retenu en attendant l'issue de son appel au siège apostolique. Mais après le jugement de ce même concile dont il avait appelé, Rothade voulut toujours se rendre à Rome: alors douze juges furent constitués pour exécuter le jugement du synode; mais lui, nouveau Pharaon par la dureté de son cœur, image des temps anciens, et changé en bête féroce par les excès qu'on voit consignés dans l'histoire de ses actions, ne voulut pas se corriger et fut déposé dans un faubourg de la cité de Soissons.

En ce temps-là, il arriva un miracle dans la ville de Thérouanne: le matin de l'Assomption de sainte Marie, le serviteur d'un citoyen de cette ville commençait à repasser un vêtement de lin vulgairement appelé chemise, afin qu'il fût prêt pour que son maître le put mettre allant à la messe; lorsqu’ayant appuyé le fer à repasser, il voulut le retirer, le vêtement se trouva teint de sang, en sorte qu'à mesure que le serviteur tirait le fer, des traces de sang le suivaient, tant qu'enfin le vêtement se trouva tout couvert d'un sang jaillissant. Honfroi, évêque de cette ville, se fit apporter le vêtement, et ordonna qu'il fût conservé en cette église pour servir de témoignage; et comme cette fête n'était pas chômée par les habitants de son diocèse, il ordonna qu'elle fût solennisée et chômée de tous avec les honneurs qui lui étaient dus.

Louis, qui avait abandonné son père, retourna à lui, et lui demandant pardon, ainsi qu'aux évêques. des fautes qu'il avait commises, s'obligea par les plus étroits serments à demeurer à l'avenir fidèle à son père. Son père, lui donnant le comté de Meaux et l'abbaye de Saint-Crépin, commanda qu'il vînt vers lui de Neustrie avec sa femme. Ses fidèles le priant de ne point faire la guerre contre Honfroi que Warengaud avait accusé d'infidélité, il y consentit et réconcilia Honfroi avec Warengaud.

Louis, roi de Germanie, ayant appelé à Mayence Lothaire son neveu, lui demanda de marcher en armes avec lui contre un des petits rois des peuples dits Wénèdes. Lothaire promit d'abord d'y aller, mais ensuite manqua à sa promesse. Louis cependant, laissant dans son pays son fils Charles, parce qu'il avait dernièrement épousé la fille du comte Ercanguaire, alla contre les Wénèdes, conduisant avec lui son fils Louis. Là, ayant perdu quelques-uns de ses grands, et ses affaires ne prospérant point, il retourna, après avoir reçu des otages, au palais de Francfort sur le Mein.

Les Danois pillent et dévastent par le fer et le feu la plus grande partie de son royaume; il est aussi ravagé par d'autres ennemis nommés Hongrois, jusqu'alors inconnus à ses peuples.

Lothaire, l'esprit troublé, à ce qu'on rapporte, par les maléfices de sa concubine Waldrade, et poussé d’un amour aveugle pour cette prostituée, en faveur de laquelle il avait renvoyé sa femme Teutberge, la couronne avec l'appui de son oncle Luitfried et de Wultaire qui, à cause de cela, étaient près de lui en grand crédit, et, ce qui est honteux à dire, du consentement de quelques évêques de son royaume ; et il la prend pour femme et reine, à la grande douleur et malgré l'opposition de ses amis.

Le roi Charles étant venu à Reims, Hincmar, évêque de cette ville, convoque les évêques ses suffragants, et dédie en l'honneur de sainte Marie l'église métropolitaine de cette province, ainsi qu'elle lui était depuis longtemps consacrée.

Louis, roi de Germanie, envoie à son frère Charles des messagers portant de douces paroles pour l'engager à venir à sa rencontre dans le territoire de Toul ; et comme Charles n'avait pas voulu conférer avec Lothaire avant d'avoir dit à son frère les choses qu'il désapprouvait dans la conduite de son neveu, il s'éleva de là en paroles des querelles non petites.

Cependant Charles, avec les évêques qui l'accompagnaient, montra à Louis et aux évêques réunis avec lui un écrit contenant sommairement les raisons pour lesquelles il ne voulait pas communiquer avec Lothaire, à moins que celui-ci ne promît ou de rendre dûment raison de sa conduite, ou d'y apporter un méritoire amendement, selon qu'il lui avait été ordonné. Sur cette promesse et autres conditions, Charles et les évêques qui étaient avec lui reçurent Lothaire à la communion, mais lorsqu'on eut mis par écrit et que les conseillers leur eurent communiqué l'annonce qu'on devait faire aux peuples de ce qui était convenu entre eux, Louis et Lothaire la rejetèrent, principalement par le conseil de Conrad, leur conseiller et oncle de Charles, qui, à son ordinaire, étala dans cette occasion l'orgueil ut la vanité de sa science, sans utilité pour lui ni pour les autres. La cause de ce refus était qu'on voulait laisser ignorer au public les raisons pour lesquelles Charles rejetait Lothaire; mais Charles, malgré eux, fit connaître pleinement à tous que c'était parce que, contre l'autorité évangélique et apostolique, il avait renvoyé sa femme et en avait pris une autre, et comme ils avaient communiqué avec la femme de Boson et avec Baudouin qui avait enlevé la fille de Charles pour l'épouser, et étaient excommuniés, il ne voulut pas communiquer avec Lothaire avant qu'on eût fait la susdite promesse; en sorte que, convenant de se réunir au mois d'octobre suivant sur les confins des comtés de Mouson et de Vouzy, tous se séparèrent. Louis se rendit en Bavière pour faire la paix ou se battre avec son fils Carloman qui, avec l'aide de Restic, roi des Wénèdes, s'était révolté contre lui; et Charles, passant par Pontion, vint de Toul à Quierzy, près des bords de la Marne. Là, il célébra avec beaucoup de respect le jour de la Nativité de Notre-Seigneur.

[863.] Au mois de janvier, une flotte des Danois remonte le Rhin vers Cologne, et, ayant dévasté le port de Duersted et la ville de Nomnodoque,[29] dans laquelle s'étaient réfugiés les Frisons, tué un grand nombre de marchands frisons, et réduit en captivité une multitude considérable, ils parviennent jusqu'à une certaine île près de Nuits. Là, Lothaire arrive avec les siens d'un côté du Rhin, et les Saxons de l'autre côté, et il les assiège jusque vers le commencement d'avril; en sorte que, par le conseil de Roric, les Danois s'en retournent comme ils étaient venus. Charles, fils de l'empereur Lothaire et roi de Provence, depuis longtemps tourmenté d'épilepsie, meurt, et son frère Louis, appelé empereur d'Italie, vient en Provence, et attire à lui tout ce qu'il peut des grands du royaume. Lothaire, ayant appris ces nouvelles, s'y rend aussi, et, par la médiation de leurs domestiques et de leurs amis, ils conviennent de s'en retourner, et de traiter du sein de leur pays touchant ce royaume. Louis reprend donc le chemin d'Italie, et Lothaire celui de ses États.

Le roi Charles se rend à la cité du Mans, et de là continue sa route jusqu'au monastère d'Entrame, où Salomon, duc des Bretons, vient à sa rencontre avec les premiers de sa nation, se recommande à lui, lui jure fidélité, fait jurer tous les grands de Bretagne, et lui paie, selon l'ancienne coutume, le cens de ces pays. Charles, en récompense de sa fidélité, lui donne en bénéfice une partie des terres dites entre deux eaux et l'abbaye de Saint-Albin. Il reçoit en grâce Godefroi, Roric, Hérivée, et plusieurs autres qui récemment et fréquemment lui avaient manqué de fidélité, et, avec son pardon, leur accorde des bénéfices. Il retourne au Mans, et y célèbre la pâque du Seigneur. Honfroi, marquis de Gothie, selon la coutume des Toulousains, sujets, dans cette ville, à supplanter leurs comtes, chasse, au moyen d'un parti, Raimond à l'insu du roi Charles, et se met à sa place. Le roi Charles, revenant des pays au-delà de la Seine, reçoit Liutard, évêque de Paris, qui venait lui demander la paix de la part de Louis, empereur d'Italie, Gebhard, évêque de Spire, de la part de son frère Louis, roi de Germanie, et le comte Nanthaire de la part de Lothaire son neveu. Charles avait toujours désiré garder la paix, autant que le lui permettaient les attaques de ses adversaires. Il reçut aussi de la part de son frère Louis un autre envoyé du nom de Blitgaire, qui le pria de ne pas recevoir, dans le cas où il viendrait le trouver, Carloman, fils de Louis, qui l'avait quitté, et s'était enfui près de Restic, roi des Wénèdes. Peu de temps après, trahi et abandonné des siens, Carloman fut reçu sous serment par Louis, son père, qui le tint près de lui gardé librement.

Charles reçoit avec honneur à Soissons, dans le monastère de Saint-Médard, Rodoald, évêque d'Ostie, et l'évêque Jean, envoyés de Nicolas l'apostolique. Il les retint quelque temps avec lui, et, après leur avoir accordé le pardon qu'ils étaient venus demander pour Baudouin qui s'était réfugié en l'église des Apôtres, il les renvoya avec des lettres et des présents vers le siège apostolique. Ils se rendirent, comme légats dudit siège, à Metz, pour y tenir vers le milieu du mois de juin, d'après les ordres apostoliques, un synode à l'occasion du divorce qui avait eu lieu entre Lothaire et sa femme Teutberge, et de son mariage avec sa concubine Waldrade qu'il avait prise pour femme contre les lois ecclésiastiques et les lois civiles. Dans ce synode, les deux envoyés, corrompus par des présents, cachèrent les lettres du seigneur apostolique, et n'accomplirent rien de ce qui leur avait été commandé par l'autorité sacrée. Cependant, afin de paraître avoir fait quelque chose, ils envoyèrent à Rome, pour que leur affaire y fût réglée par le jugement du souverain apostolique, Gonthier, archevêque de Cologne, et Theutgaud, évêque de Trèves, avec des permissions que signèrent dans ce synode, par les soins d'Haganon, les évêques avides et corrompus qui siégeaient dans les pays d'Italie appartenant à Lothaire. Le seigneur apostolique, pleinement instruit des choses qui s'étaient faites, et voulant condamner aussi l'évêque Rodoald qui, avec son confrère Zacharie, s'était laissé corrompre à Constantinople par une cupidité semblable, convoqua un synode; ce qu'apprenant, Rodoald s'enfuit durant la nuit et disparut; mais Gonthier et Theutgaud, étant parvenus à Rome, furent condamnés par l'apostolique, d'abord en synode, puis dans l'église Saint-Pierre, comme on le verra dans la pièce suivante.

Nicolas, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à nos très révérends et très saints confrères Hincmar, a archevêque de Reims, et Wénilon, archevêque de Rouen, et à tous nos confrères archevêques et évêques habitant le royaume du glorieux roi Charles. C'est chose manifeste aux yeux de tous que le crime commis avec deux femmes, Teutberge et Waldrade, par le roi Lothaire, si cependant on peut véritablement nommer roi celui qui ne sait point gouverner a par une règle salutaire les appétits de son corps, et qui plutôt, par une faiblesse dissolue, cède à leurs mouvements illicites. Presque tous ceux qui, de la terre et de la mer, affluaient vers notre église ou siège apostolique, nous rapportaient que les évêques Theutgaud et Gonthier lui avaient été fauteurs et soutiens dans une telle action. Les absents en informaient par écrit notre apostolat: cependant nous refusions de le croire, ne pensant pas que nous pussions jamais ouïr telles choses sur des évêques, jusqu'à ce qu'eux-mêmes, étant venus à Rome dans le temps du concile, ont été reconnus, en notre présence et en la présence du saint synode, pour tels que beaucoup nous les avaient très souvent annoncés; tellement qu'on leur a pris des écrits dressés de leurs mains, et qu'ils voulaient nous faire autoriser par notre seing ; et tandis qu'ils s'efforçaient de tendre des pièges aux innocents, ils ont été déjoués dans leurs artifices. Ainsi s'est accompli par la puissance de Dieu ce qu'on lit dans les Proverbes: C'est en vain qu'on jette le filet devant les feux de ceux qui ont des ailes,[30] de manière qu'ils ont été enlacés et sont tombés. Et nous qu'on avait dit faussement avoir participé à cette infamie, par la toute volonté de Dieu et la justice de nos défenseurs, nous nous sommes relevé de cette accusation, et nous nous trouvons debout. Ainsi donc, par notre décret et celui du saint synode et en notre présence, ils ont été déposés et excommuniés des fonctions sacerdoce taies, et deviennent, sans aucun doute, étrangers au gouvernement de leur épiscopat. Que votre fraternité donc, gardienne de la règle des canons, et observant les saints décrets, se garde d'oser reprendre dans le catalogue des prêtres ceux que nous en avons rejetés. Vous trouverez annexés ci-dessous la sentence de la déposition prononcée contre les susdits Theutgaud et Gonthier, ainsi que les autres articles que nous avons promulgués et sanctionnés d'accord avec le saint concile.

Art. 1er. Le synode rassemblé dernièrement, c'est-à-dire, sous le très pieux empereur Louis, à la onzième indiction du mois de juin, dans la ville de Metz, par les évêques, ayant anticipé sur notre jugement, et violé témérairement les règles du siège apostolique, est par nous déclaré casse dès maintenant et dans l'éternité, rejeté, et de notre autorité apostolique nous le prononçons condamné à perpétuité, et le décrétons ne devoir être appelé synode, mais bien lieu de prostitution propice à l'adultère.

Art. 2. Sur le rapport à nous fait des actes de Theutgaud, évêque de Trèves et primat des provinces belgiques, et de Gonthier, évêque de Cologne, maintenant amenés devant nous et le saint synode, touchant la manière dont ils ont connu et jugé de l’affaire relative à Lothaire et à ses deux femmes, Teutberge et Waldrade, et les mêmes nous ayant présenté sur cela un écrit signé de leur propre main, et ayant affirmé de leur propre bouche, en présence d'un grand nombre, qu'ils n'ont fait ni plus ni moins ni autrement que ce dont on les accuse, et ayant confessé publiquement et de vive voix avoir violé la sentence que notre très saint frère Thaddée, archevêque de Milan, et autres de nos collègues les évêques, ont demandée au siège apostolique contre Ingiltrude, femme de Boson, et qu'enflammé du zèle de Dieu, nous avons rendue canoniquement sur instance d'anathème dans toutes lesquelles choses nous avons trouvé qu'ils avaient transgressé de plusieurs manières les décrets canoniques et a apostoliques, et violé témérairement la règle de l'équité: nous avons prononcé par le jugement du Saint-Esprit et l'autorité de saint Pierre résidante en nous, qu'ils devaient demeurer exclus de toutes fonctions épiscopales, et étrangers à tout gouvernement de l'épiscopat ; que si, d'après leur précédente coutume, ils osaient accomplir, comme évêques, quelques-unes des fonctions du sacré ministère, il ne leur sera permis d'espérer en aucune manière leur rétablissement dans aucun autre synode, ni aucun moyen de faire réparation ; mais tous ceux qui communiqueront avec eux seront rejetés de l'Église, surtout si, ayant appris la sentence portée contre eux, ils se hasardaient à aucune communication.

Art. 3. Que les autres évêques qu'on a rapportés être complices des susdits Theutgaud et Gonthier, s'ils s'unissent avec eux dans des séditions, conjurations ou conspirations, ou s'ils se mettent hérétiquement en dissentiment avec le chef, c'est-à-dire, avec le siège de saint Pierre, soient liés par la même condamnation, que si l'on apprend, d'ailleurs, par eux-mêmes, ou par des envoyés qu'ils nous feront parvenir, charges d'écrits de leur main, qu'ils se tiennent attachés au siège apostolique, d'où leur épiscopat a manifestement son principe; qu'ils sachent que la permission de venir à nous ne leur sera pas a refusée, et qu'ils ne craignent en aucune manière de perdre leurs dignités pour des témérités ou des signatures dont ils se seraient rendus coupables dans des actes sacrilèges, mais qu'ils auraient rétractés.

Art. 4. Nous avons dernièrement anathématisé régulièrement, ainsi que ses fauteurs, Ingiltrude, fille du feu comte Matfried, qui, après avoir quitté Boson, son mari, court le pays depuis environ sept ans, vagabondant de côté et d'autre; mais, à cause de sa contumace, nous ordonnons qu'elle soit liée des nœuds d'un anathème réitéré. Ainsi donc, au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, seul et vrai Dieu, et de tous les saints Pères, et de toute la sainte Église catholique et apostolique de Dieu, qu'elle soit anathème avec tous ses complices, tous ceux qui communiquent avec elle et lui prêtent assistance, en sorte que, comme nous l'avons déjà décrété, si quelqu'un osait communiquer ou s'entretenir avec elle en quelque manière que ce soit; si c'est un clerc, que, lié du même lien, il soit dépouillé des fonctions cléricales; que les moines aussi et les laïques, s'ils désobéissent au présent décret, soient également anathématisés. Cependant, si cette femme retournait à son mari, ou se rendait à Rome au siège apostolique de saint Pierre, très certainement nous ne lui refuserions pas le pardon après qu'elle aurait dûment satisfait; mais que jusque-là elle demeure sous les liens de l'anathème que nous lui avons imposé alors et maintenant. Si cependant quelqu'un communiquait sans le savoir avec ladite Ingiltrude lorsqu'elle serait en route pour se rendre, dans ce dessein, au siège apostolique de saint Pierre à Rome, ou, la connaissant, lui prêtait secours pour s'y rendre, il ne tombera pas pour cela sous les liens de l'anathème.

Art. 5. Si quelqu'un méprise ces préceptes, mandats, interdiction, ordonnances ou décrets salutairement promulgués par le chef du siège apostolique pour la foi catholique, la discipline ecclésiastique, la correction des fidèles, l'amendement des coupables, ou, la prévention des maux imminents ou à venir, qu'il soit anathème,

Nous souhaitons à Votre Sainteté en Jésus-Christ une bonne santé.

Le 25 octobre, Charles tint dans le palais de Verberie un synode, où il réclama par les lois, sur Robert, évêque de la ville du Mans, l'abbaye de Saint-Calais que celui-ci voulait retenir dans la juridiction de son évêché. Par droit de recommandation apostolique, il envoya aussi à Rome, avec des lettres et des messages de lui et des évêques, comme le lui avait fait dire le pape, Rothade récemment déposé. A la recommandation du souverain apostolique, il reçut à réconciliation sa fille Judith, et reçut aussi avec solennité l'envoyé de Mahomet, roi des Sarrasins, venu à lui avec de grands présents et des lettres, énonçant désir de paix et d'une alliance amicale. Il ordonna qu'ils attendissent avec honneur et toutes les protections nécessaires, et dûment défrayés, dans la ville de Senlis, le moment où il pourrait les renvoyer honorablement à leur roi. De là il se dirigea en armes vers l'Aquitaine avec une troupe considérable pour y reprendre par la force son fils Charles, s'il ne voulait pas revenir autrement, et arriva jusqu'à la cité d'Auxerre. Là, comme le lui avait demandé le souverain apostolique, et par le conseil de ses fidèles, il permit à sa fille Judith de s'unir régulièrement en mariage à Baudouin qu'elle avait suivi. De là il se rendit à la cité de Nevers, où il reçut son fils Charles qui venait vers lui, lui fit promettre par serment fidélité et soumission, et fit de nouveau jurer la même chose aux grands de l'Aquitaine.

Deux des Normands qui, dernièrement avec Wéland, étaient sortis de leurs navires, demandant par feinte, comme on le dit alors et comme la suite l'éclaircit, à être faits Chrétiens, accusèrent Wéland d'infidélité; comme il le niait, l'un d'eux, selon la coutume de sa nation, le combattit en présence du roi les armes à la main et le tua. Cependant on apprit la triste nouvelle que les Normands étaient venus à Poitiers: la ville fut préservée en se rachetant; mais ils brûlèrent l'église du grand confesseur saint Hilaire. Le roi célébra la Nativité du Seigneur proche de la ville de Nevers, dans le lieu où il avait reçu son fils.

[864.] Charles ayant levé une armée d'Aquitains, leur ordonna d'aller contre les Normands qui avaient brûlé l'église de Saint-Hilaire, et se rendit à Compiègne conduisant son fils Charles de même nom que lui; il envoya ses messagers pour recevoir des villes et châteaux dans la Gothie. Les Normands marchent vers la cité d'Auvergne où, après avoir tué Etienne, fils d’Hugues, avec un petit nombre des siens, ils retournent impunément à leurs navires. Pépin, fils de Pépin, qui, de moine, s'était fait laïque et apostat, s'allie aux Normands et suit leur religion. Charles le jeune, que son père avait dernièrement reçu venant d'Aquitaine, et conduisait avec lui à Compiègne, retournant de la chasse la nuit dans la foret de Cuise, tandis qu'il ne songeait qu'à s'amuser avec d'autres jeunes gens de son âge, fut, de l'œuvre du diable, frappé à la tête par le jeune Alboin d'un coup de dague qui lui pénétra quasi jusqu'au cerveau. Le coup, entré par la tempe gauche, traversa jusqu'à la mâchoire droite.

Lothaire, fils de Lothaire, fit lever sur chaque manoir de son royaume quatre deniers, dont, sous le nom de loyer, il paya au Normand Rodolphe, fils de Hérold, et aux siens, une somme d'argent, avec un tribut annuel de beaucoup de farine, de brebis, de vin et de bière.

Louis, qu'on appelait empereur d'Italie, invité par Gonthier, prit pour injure à lui personnelle que l'apostolique eût, comme on l'a dit ci-dessus, dégradé les messagers de son frère Lothaire, envoyés à Rome sur sa foi et par son intervention; et, ne pouvant contenir sa fureur, il marcha vers Rome avec sa femme et accompagné des envoyés Theutgaud et Gonthier, dans l'intention de forcer le pape de Rome à les rétablir dans leurs évêchés; ou, s'il ne le voulait pas, de mettre les mains sur lui à son grand dommage. Ce qu'ayant appris, l'apostolique indiqua un jeûne avec des litanies générales pour lui et les Romains, afin que Dieu, par l'intercession des apôtres, mît en l'esprit dudit empereur de bons desseins et du respect pour le culte divin et l'autorité du siège apostolique. L'empereur cependant arriva à Rome, et tandis qu'il logeait près la basilique de Saint-Pierre, le clergé et le peuple romain se rendirent à l'église de Saint-Pierre avec des croix et célébrant le jeûne et les litanies. Comme ils commençaient à monter les degrés de la basilique, les hommes de l'empereur les renversèrent à terre, les frappèrent de toute sorte de coups, brisèrent les croix et les drapeaux, et ceux qui en purent échapper prirent tous la fuite. Dans ce tumulte fut brisée et jetée en la rue la vénérable et merveilleuse croix qu'avait fait fabriquer très proprement Hélène, de sainte mémoire, y enfermant du bois de la croix miraculeuse, et dont ensuite elle avait fait à Saint-Pierre un grand présent. Elle fut, à ce qu'on rapporte, ramassée par quelques hommes de la nation des Angles et rendue au gardien. L'apostolique apprit ce forfait dans le palais de Latran qu'il habitait, et, peu après, sut de science certaine qu'on voulait se saisir de lui-il entra secrètement en un bateau et se transporta sur le Tibre dans la cathédrale de Saint-Pierre, où il demeura deux jours et deux nuits sans manger et sans boire.

Cependant l'homme qui avait eu l'audace de briser la très sainte croix mourut, et l'empereur fut pris de la fièvre; à cause de quoi sa femme envoya vers l'apostolique. Sur la foi de son injonction, celui-ci vint vers l'empereur, et, après qu'ils eurent discouru entre eux, l'apostolique, ainsi qu'il fut convenu, rentra à Rome au palais de Latran, et l'empereur ordonna à Gonthier et à Theutgaud de s'en retourner en France dégradés comme ils étaient venus. Alors Gonthier envoya à l'apostolique, par le clerc Hilduin son frère, soutenu de ses hommes, ces articles diaboliques qu'il avait adressés, avec leur préface, aux évêques du royaume de Lothaire, lorsque, comme nous l'avons dît, il revint à Rome à la suite de Louis, et dont jusque-là on n'avait pas pris connaissance. Il ordonna à Hilduin, si l'apostolique ne voulait pas recevoir son écrit, de le jeter sur le tombeau de saint Pierre.

 A nos saints et vénérables frères et collègues les évêques, Gonthier et Theutgaud, en Notre-Seigneur salut. Nous prions avec supplication votre très ce chère fraternité d'employer incessamment l'assistance de vos saintes prières en faveur de nous qui prions assidûment pour vous, et de ne pas vous troubler ni vous effrayer des choses sinistres que peut-être la renommée proclame de nous et de vous.

Nous avons cette confiance en la très clémente bonté de Notre-Seigneur, qu'avec l'aide de Dieu les embûches de nos ennemis ne prévaudront pas sur notre roi ni sur nous, et que nos adversaires n'auront pas sujet de se réjouir de nous, bien que le sire Nicolas, qui se dit pape, se déclare apôtre entre les apôtres, et se fait empereur de tout le monde, ait voulu nous condamner à l'instigation et selon le désir de ceux dont il est connu pour favoriser les conspirations; cependant de toute manière, par l'aide du Christ, il a trouvé des résistances à sa folie, et n'a pas eu ensuite médiocrement à se repentir de ce qu'il avait fait. Nous vous envoyons les articles écrits ci-dessous, afin que vous connaissiez nos sujets de plainte contre ledit pontife. Cependant, après être sortis de Rome et nous en être fort éloignés, nous sommes de nouveau rappelés à Rome, et c'est en commençant à y retourner que nous vous avons écrit ces petites lettres pour que vous ne vous étonniez pas de notre retard. Visitez et réconfortez souvent le seigneur notre roi, tant par vous-mêmes que par vos messages et vos lettres, et conciliez lui tout ce que vous pourrez d'amis et de fidèles, ne cessez pas surtout d'inviter, par vos admonitions, le roi Louis, et recherchez soigneusement avec lui le lien commun, car de la paix de leur royaume dépend notre paix. Soyez, nos seigneurs et frères, calmes d'esprit et tranquilles de cœur, car, Dieu voulant, nous espérons vous annoncer de telles choses que, guidés par l'esprit du Seigneur, vous a pourrez sans erreur y discerner ce que vous devez faire et comment vous devez le faire. Cependant ayez soin de soutenir de toute manière ledit roi par vos avertissement, en telle sorte qu'au milieu des suggestions diverses il demeure immuable jusqu'à ce qu'il connaisse par lui-même les motifs des choses. D'ailleurs, frère très zélé, il est nécessaire et louable de conserver inviolablement la fidélité que nous avons promise à notre roi en présence de Dieu et des hommes. Que Dieu tout-puissant daigne vous maintenir en son saint service !

Art. 1er. Écoute, sire pape Nicolas; nos pères et frères les évêques nos collègues nous ont envoyés vers toi, et nous sommes venus de notre propre mouvement consulter ton autorité sur les choses que nous avons jugé comme il nous a paru convenable et selon les lumières de ceux qui nous ont aidés et approuvés; et nous avons apporté des écrits montrant les autorités et les raisons que nous avons suivies, afin que ta sapience, après avoir examiné toutes choses, nous apprît ton sentiment et ta volonté et si ta Sainteté trouvait quelque chose de mieux, nous lui demandons de nous instruire et de nous guider, prêts, ainsi que nos confrères, quelque chose que tu veuilles suggérer conformément à la justice et à la raison, à nous soumettre à tes sages instructions.

Art. 2. Mais durant trois semaines que nous avons attendu ta réponse, tu ne nous as déclaré rien de certain ni aucune doctrine, mais seulement un jour en public tu as dit que, d'après les affirmations contenues dans notre écrit, nous paraissions excusables et innocents.

Art. 3. A la fin, appelés par toi, nous avons été conduits en ta présence, ne soupçonnant aucune inimitié. Là, les portes fermées, par une conspiration à la manière des brigands, au milieu d'une multitude assemblée et mêlée de clercs et de laïques, tu t'es efforcé de nous opprimer par la violence et sans a synode, sans examen canonique, personne ne nous accusant, personne ne témoignant contre nous, sans aucun délai donné aux éclaircissements de la discussion, sans alléguer les autorités, sans confession de notre bouche, et en l'absence des autres évêques métropolitains et diocésains nos confrères ; et, indépendamment du consentement de tous, tu as voulu nous condamner par ta seule volonté et fureur tyrannique.

Art. 4. Mais 3a sentence maudite, contraire à toute paternelle bénignité, étrangère à toute fraternelle charité, injustement et sans raison portée contre nous, en contradiction aux lois canoniques, n'a point été a acceptée de nous; et, avec toute l'assemblée de nos frères, nous la méprisons et rejetons comme un avorton maudit ; et toi-même à cause de la faveur et communion que tu accordes à des damnés et anathématisés, rejetant et méprisant la sainte religion, nous ne te voulons pas recevoir dans notre communion et société, et sommes très satisfaits que tu te séquestres de toute communion et société fraternelle a avec l'Église que tu dédaignes en t'élevant au dessus d'elle et dont tu te rends indigne par l'enflure de ton orgueil.

Art. 5. Tu as donc, par ta légèreté téméraire, infligé sur toi-même, par ta propre sentence, la peste de l'anathème lorsque tu t'es écrié: Que celui qui n’observe pas les préceptes apostoliques soit anathème! car tu es connu pour les avoir violés nombre de fois, annulant, autant qu'il est en toi, à la fois les lois divines et les sacrés canons, et ne voulant pas suivre les traces de tes prédécesseurs les pontifes romains.

Art. 6. Maintenant donc, nous qui avons éprouvé ta fourberie et tes artifices, nous sommes, non pas irrités de l'outrage que tu as fait tomber sur nous, mais enflammés de zèle contre ton iniquité, et, sans songer à notre personne indigne, nous avons devant les yeux la généralité de notre ordre, envers lequel tu veux user de violence.

Art. 7. Pour résumer ici en peu de mots notre proposition spéciale, la loi divine et la loi canonique nous apprennent très clairement, et il est aussi stipulé par les vénérables lois du siècle, qu'il n'est permis à personne de livrer une vierge libre en concubinage à un homme, surtout si la fille ne veut pas consentir à cette conjonction illicite; et lorsqu'elle est unie à un homme sien, du consentement de ses parents, de foi, d'effet et par l'affection conjugale, on doit certainement la regarder comme sa femme, et non sa concubine.

L'apostolique, instruit d'avance de la chose, ne voulut pas recevoir leurs articles ; cependant ledit Hilduin armé, et avec les hommes de Gonthier, entra sans aucun respect dans l'église de l'apôtre saint Pierre, et, comme le lui avait ordonné son frère Gonthier, si l'apostolique refusait de recevoir le diabolique écrit, voulut le jeter sur le tombeau de saint Pierre. Les gardiens s'y opposant, lui et ses complices commencèrent à charger de coups ces gardiens, tant, qu'il y en eut un de tué. Alors il jeta l'écrit sur le tombeau de saint Pierre, et, mettant l'épée à la main pour se défendre lui et ceux qui étaient venus avec lui, ils sortirent de l'église, et, cet acte déplorable accompli, retournèrent vers Gonthier.

Peu de jours après, l'empereur sortit de Rome où sa suite avait commis beaucoup de déprédations, détruit beaucoup de maisons, pollué des religieuses et d'autres femmes, tué des hommes et violé des églises. Il vint à Ravenne, où il célébra la Pâque du Seigneur avec autant de grâces de Dieu et des apôtres qu'il en avait mérité.

Gonthier, étant arrivé à Cologne lors de cette même cène du Seigneur, osa, comme un homme qui n'avait point de Dieu, célébrer la messe et bénir le saint chrême, mais Theutgaud s'abstint avec respect du saint ministère, ainsi qu'il lui avait été ordonné. Enfin les autres évêques s'étant employés auprès de Lothaire, il ôta à Gonthier son évêché sans consulter personne, le donna à Hugues, fils de Conrad, oncle du roi Charles et de sa tante maternelle, tonsuré clerc, sous-diacre seulement par le degré de son ordination, mais, par ses mœurs et sa vie, peu semblable à un fidèle laïque. Gonthier, irrité de cela, emportant tout ce qui restait dans cette ville du trésor de l'église, retourna à Rome pour y exposer par ordre au pape toute la suite de l'affaire de Lothaire avec Teutberge et Waldrade. Mais les évêques du royaume de Lothaire adressèrent à l'apostolique des envoyés portant par écrit des paroles de pénitence et des professions canoniques, confessant que, dans l'affaire de Teutberge et de Waldrade, ils avaient grandement dévié de la vérité évangélique et des règles sacrées de l'autorité apostolique. Cependant Lothaire, après avoir envoyé à l'apostolique Raoul, évêque de la ville de Strasbourg, avec des écrits, où, selon sa coutume, il s'excusait et promettait faussement un amendement volontaire, alla par Gondreville et Remiremont à la rencontre de son frère au lieu qu'on appelle Orbe.

Charles envoie à Rome avec des lettres Robert, évêque de la ville du Mans, pour y conduire Rothade, ainsi que l'avait ordonné l'apostolique; mais les évêques de son royaume ayant adressé au siège apostolique leurs vicaires avec les lettres synodales sur l'affaire de ce même Rothade, Louis leur refuse le passage. Ces envoyés, tant du roi que des évêques, firent connaître secrètement au pape les causes de l'impossibilité où ils étaient de se rendre à Rome. Rothade, feignant une maladie, demeura à Besançon; les autres retournèrent dans leur patrie ; et Rothade, revenant après eux par Coire, protégé de Lothaire et Louis, roi de Germanie, ses fauteurs, alla vers Louis, empereur d'Italie, afin de pouvoir par son secours parvenir à Rome.

Les envoyés du roi Charles revinrent sans avoir rien fait dans l'affaire pour laquelle ils avaient été envoyés; et Honfroi, chassé de Toulouse et de la Gothie, ayant passé en Italie par la Provence, Charles envoya de nouveau à Toulouse et en Gothie d'autres messagers pour y reprendre ses terres et ses châteaux.

Louis, roi de Germanie, marche en armes contre le chagan des Bulgares qui avait promis de vouloir se faire chrétien. Louis comptait, s'il réussissait, aller de là rétablir Tordre sur la frontière des Wénèdes. Les Normands étaient venus en Flandre, apportés par une nombreuse flotte; mais les gens du pays leur faisant résistance, ils remontent le Rhin, et dévastent, dans les royaumes de Louis et de Lothaire, toutes les parties voisines des deux rives du fleuve. Charles tient, au commencement de juin, dans le lieu nommé Pistre, une assemblée générale, en laquelle il reçoit cinq cents livres en argent de don annuel et cens du pays de Bretagne, que lui envoie Salomon, duc des Bretons, conformément à l'usage de ses prédécesseurs. Il ordonne de fortifier la Seine, afin que les Normands ne puissent remonter ce fleuve, et, par le conseil de ses fidèles, et conformément à l'usage des rois ses prédécesseurs et ancêtres, il décrète trente-sept capitulaires qu'il ordonne d'observer comme lois dans tout son royaume.

Pépin l'apostat est enlevé, par l'adresse des Aquitains, du milieu des Normands, et présenté dans cette assemblée aux grands du royaume comme traître au pays et à la chrétienté, en raison de quoi il est de tous unanimement condamné à mort, et renfermé dans la ville de Senlis dans une étroite captivité. Bernard, fils par la chair et les mœurs du feu tyran Bernard, part de l'assemblée avec la permission du roi, comme pour retourner dans ses bénéfices, mais la nuit, revenu à main armée, il se cache dans une forêt, attendant le lieu et l'heure de tuer méchamment, les uns disent le roi, qui, par le jugement des Francs, avait fait tuer son père, et selon les autres Robert et Ramnulphe, fidèles du roi. Le roi, en ayant eu connaissance, envoya des gens pour le prendre et le conduire en sa présence, en sorte qu'il prit le parti de la fuite. Le roi, en conséquence, par le juge ment de ses fidèles, reprit les bénéfices qu'il lui avait donnés, et les conféra à Robert, son fidèle.

Egfried, qui, dans les temps passés, de concert avec Etienne, avait soustrait à l'obéissance paternelle le fils du roi, de même nom que son père, est pris par Robert, et présenté au roi dans cette même assemblée. Le roi, à la prière de Robert et de ses autres fidèles, lui pardonne ce qu'il avait commis contre lui, et, après qu'il a prêté serment, lui permet de s'en aller sans avoir reçu aucun mal et avec des présents. Charles, du lieu nommé Pistre, vient à Compiègne vers le commencement de juillet, renvoie honorablement l'envoyé de Mahomet, roi des Sarrasins, qui était venu le trouver avant l'hiver, après lui avoir fait passer par ses messagers de grands et nombreux présents. Carloman, fils de Louis, roi de Germanie, qui habitait près de son père avec une garde, feignant d'aller à la chasse, se dérobe par la fuite à son père, et s'empare des Marches qu'il lui enlève avec le consentement des marquis par lesquels elles lui sont livrées. Son père, suivant ses traces, le fait venir à lui sous condition de fidélité, et lui confère des bénéfices. De là, revenant vers le palais de Francfort, il tombe de cheval en chassant un cerf en une forêt, et, blessé dans les côtes, il est porté en un monastère voisin, et envoie devant lui son fils Louis audit palais de Francfort où était déjà sa femme, et où, bientôt guéri, il se rend lui-même.

Le pape Nicolas envoie de nouveau à tous les archevêques et évêques des provinces de la Gaule, de la Germanie et de la Belgique, pour confirmer la déposition de Theutgaud, archevêque de Trèves, et de Gonthier, archevêque de Cologne ; mais il pardonne, comme il l'avait promis dans l'écrit ci-dessus, aux autres évêques du royaume de Lothaire qui, après avoir consenti au divorce avec Teutberge et au mariage avec la concubine Waldrade, lui avaient envoyé des lettres contenant la confession de leur faute. Il convoque un synode à Rome vers le commencement de novembre, annonçant qu'on y confirmera de nouveau la déposition des deux archevêques, et qu'on y traitera de l'affaire de Lothaire et de celle d'Ignace, évêque de Constantinople, déposé l'année précédente, et en la place duquel un laïque avait été tonsuré et ordonné évêque. Les susdits Theutgaud et Gonthier vinrent de leur plein gré à ce synode, pensant que, par l'intervention de l'empereur Louis, ils obtiendraient de l'apostolique qu'il les rétablît dans leurs sièges.

Louis, dit empereur d'Italie, est grièvement blessé par un cerf en rut qu'il avait voulu percer de ses traits, Arsène, apocrisiaire, demande à Nicolas, pontife du siège de Rome, de lui permettre d'adresser des messagers à Charles pour certaines affaires ecclésiastiques. Mais le pape le refuse, pensant que c'est à trompeuse intention et contre lui qu'Arsène veut envoyer des messagers en France. Hubert, clerc marié et abbé du monastère de Saint-Martin, est tué par les hommes de Louis, empereur d'Italie, contre la volonté duquel il tenait l'abbaye de Saint-Maurice et d'autres bénéfices dépendants de lui, et Teutberge, sa sœur, renvoyée par Lothaire, vient se remettre sous la protection de Charles. Charles lui donne le monastère d'Avenav. et confère l'abbaye de Saint-Martin à Ingelwin, diacre de son palais. Robert, comte d'Angers, ayant attaqué deux troupes de Normands qui résidaient sur le fleuve de Loire, tue presque tous les hommes d'une de ces troupes, à l’exception de quelques-uns qui s'échappent par la ite; mais l'autre troupe, plus forte, arrivant par derrière, le blesse; en sorte qu'il prend le parti de se retirer, ayant perdu un petit nombre des siens, et il guérit peu de jours après.

[865.] Le roi Charles célèbre, dans le palais de Quierzy, la Nativité de Notre-Seigneur. Il vient à la ville de Ver, et environ le milieu de février, il reçoit honorablement, en la ville de Douzy, son frère Louis et les fils de celui-ci. Là, après en avoir consulté avec-leurs fidèles, ils envoient à leur neveu Lothaire, par les évêques Altfried et Erchanrat, un message portant que, comme il avait dit souvent qu'il devait aller à Rome, il devait d'abord, selon les exhortations de l'apostolique et les leurs, s'amender en ce qu'il avait commis contre les lois divines et humaines, et au mépris de l'Église qu'il avait scandalisée par ses transgressions; et qu'alors, après avoir mis ordre aux affaires de son royaume, il irait, s'il lui plaisait, à l'église des apôtres pour demander et obtenir son pardon. Mais Lothaire, pensant qu'ils lui voulaient enlever son royaume et le partager entre eux, envoya à son frère, l'empereur d'Italie, Luitfried son oncle, le priant d'obtenir de l'apostolique qu'il écrivît à ses oncles des lettres pour les engager à lui garder la paix et à ne point apporter de trouble dans son royaume; ce qu'obtint l'empereur Louis.

Cependant, par un jugement de Dieu, les Normands qui habitaient sur la Loire, favorisés du vent, voguent, avec la plus grande impétuosité jusqu'au monastère de Saint-Benoît, dit de Fleury, y mettent le feu, et, en revenant, livrent aux flammes la ville d'Orléans, ses monastères et tous les édifices environnants, excepté l'église de la Sainte-Croix, que la flamme, bien que les Normands y missent, grand travail, ne put jamais dévorer, puis ils retournent au lieu de leur résidence, descendant de même le long du fleuve et ravageant les lieux voisins.

De Douzy, Louis prit sa route vers la Bavière, et Charles, son fils, réconcilié avec lui et rentré dans sa maison, lui rendit les Marches qu'il lui avait enlevées et revint au palais de Francfort. Charles, venu par Attigny à Servais,[31] y célèbre le saint carême et la Pâque du Seigneur, et envoyant dans la Gothie Bernard, né de feu Bernard et de la fille du comte Rorigon, il lui confie une partie de ses Marches, et venant ensuite à la ville de Ver, il y reçoit des évêques et d'autres grands de l'Aquitaine qui étaient venus à sa rencontre, et, sur leurs nombreuses demandes, permet à son fils Charles, encore mal corrigé, de retourner en Aquitaine avec le nom et le titre de roi.

Le pape Nicolas envoie aux deux frères, Louis et Charles, ainsi qu'aux évêques et aux premiers du royaume, Arsène, évêque d'Ostie et son conseiller, avec des lettres de lui portant la demande que Lothaire, par son frère, l'avait prié de leur faire, non pas dans ces termes de civilité et ces expressions de douceur apostolique dont les évêques de Rome avaient coutume, dans leurs lettres, d'honorer les rois, mais avec des menaces pleines de malveillance. Ce même Arsène étant allé par Coire et par l'Allemagne trouver Louis, roi de Germanie, dans le palais de Francfort, lui porta les lettres de l'apostolique, et de là se rendit à Gondreville près de Lothaire. Là il lui remit, et aux évêques et premiers de son royaume, des lettres du pape portant que, s'il ne reprenait pas sa femme Teutberge et ne renvoyait Waldrade, Arsène devait le rejeter de toute société chrétienne, le pape l'ayant déjà excommunié en plusieurs épîtres précédentes et très souvent déclaré exclu de la société des Chrétiens. De chez Lothaire Arsène venant, vers le milieu de juin, dans le palais d'Attigny, remit de même assez honorablement, aux rois Louis et Lothaire, deux lettres semblables entre elles. Il ramena aussi avec lui et présenta à Charles Rothade, destitué canoniquement par les évêques des cinq provinces de Reims, et rétabli par le pape Nicolas, non régulièrement, mais de sa propre autorité; car les sacrés canons disent que, si un évêque dégradé de son rang par les évêques des provinces se réfugie vers l’évêque de Rome, l'évêque de Rome doit écrire aux évêques des provinces frontières et voisines pour qu'ils s'enquièrent soigneusement de toute l'affaire et lui en rendent compte fidèlement selon la vérité; et si l'évêque de Rome leur renvoie de nouveau celui qui a été dépouillé, il doit leur adresser des légats a latere ayant autorité pour accomplir cette mission, afin qu'ils jugent avec les évêques; ou, autrement, il doit regarder les évêques comme suffisants pour terminer l'affaire. L'apostolique ne voulut faire ni l'un ni l'autre; et, méprisant le jugement des évêques qui, selon les sacrés règlements, après avoir prononcé sur l'apparence des faits, s'en étaient référés au siège apostolique de toutes les choses jugées, il rétablit Rothade de sa propre autorité. Il renvoya donc à Charles l'évêque rétabli avec des lettres portant que si quelqu'un, sans exception, s'opposait en quelque chose à Rothade, soit dans la possession de sa dignité ou celle des biens de l'évêché, il serait anathème ; ainsi, sans avoir consulté les évêques qui l'avaient déposé et sans leur consentement, Rothade fut rétabli dans son siège par le légat Arsène.

Après cela Arsène alla à Douzy, à la rencontre de Lothaire, conduisant Teutberge qui, depuis quelque temps, habitait honorablement dans le royaume de Charles; et, après avoir reçu le serment que prêtèrent, au nom de Lothaire, douze de ses hommes, il lui rendit en mariage cette même Teutberge, sans lui demander, comme l'ordonnaient les canons, aucune réparation ecclésiastique pour son adultère public.

On prêta aussi à Teutberge, au nom de Lothaire, un serment dicté et apporté de Rome par Arsène: Je jure et promets, par les quatre saints évangiles du Christ que je touche de mes mains, et par ces reliques des saints, que mon seigneur le roi Lothaire, fils de feu Lothaire, le sérénissime empereur, de pieuse mémoire, recevra à l'avenir et désormais, et tiendra en toutes choses Teutberge sa femme pour épouse légitime, et se conduira en tout avec elle comme il convient à un roi envers la reine sa femme, et que jamais, à cause des discordes survenues entre eux, il ne lui arrivera aucun mal, ni dans sa vie, ni dans ses membres, de la part de mon dit seigneur Lothaire, ni de quelque homme que ce soit, à son instigation, avec son aide ou de son consentement; mais qu'il la tiendra, ainsi qu'il convient à un roi de tenir sa femme légitime; à cette condition qu'elle aura soin désormais de lui rendre en toutes choses l'honneur qui convient à une femme envers son seigneur. Suivent les noms de ceux qui prêtèrent ce serment. Parmi les comtes, Milon, Rataire, Roland, Theutmar, Werembold, Roculf; entre les vassaux, Herbold, Wulfried, Eidulf, Berthmond, Nithard, Arnoul. Ils jurèrent sur les quatre évangiles de Dieu et le très précieux bois de la sainte croix du Seigneur et d'autres reliques des saints, le troisième jour du mois d'août, indiction treizième, dans le lieu nommé Vanderesse. Cela se fit au temps du sire apostolique, trois fois bienheureux et co-angélique Nicolas, par le moyen et les soins du vénérable Arsène, évêque, messager et apocrisiaire du suprême Saint-Siège catholique, revêtu de l'autorité apostolique, et légat dudit sire apostolique Nicolas. Noms des évêques présents et intervenons: Hardwick, archevêque de Besançon ; Remède, archevêque de Lyon; Adon, archevêque de Vienne; Roland, archevêque d'Arles; Advence, évêque de Metz; Atton, évêque de Verdun; Franc, évêque de Liège; Ratald, évêque de Strasbourg; Fuleric, chapelain et envoyé de l'empereur. Y furent aussi du royaume de Charles, Isaac, évêque de Langres, et Ercanrat, évêque de Châlons, des mains desquels la reine Teutberge fut reçue, de la part du roi Charles, par Arsène, vénérable évêque et légat du siège apostolique, et par les, susdits archevêques et évêques. Furent présents en ce lieu, pour voir et ouïr publiquement ces choses, les hommes nobles de divers royaumes avec une multitude de peuple, desquels nous ne pouvons remplir ici les pages.

Le même jour Arsène, évêque et légat du siège apostolique, et tous les susdits archevêques, remirent et donnèrent, entre les mains du roi Lothaire, la reine Teutberge, non seulement avec la recommandation susdite, mais avec adjuration et sous peine d'excommunication, déclarant que si, en toutes choses, il n'observait pas ce qui a été ci-dessus mentionné, il lui en serait demandé compte non seulement dans la vie présente, mais dans la vie éternelle, au terrible jugement de Dieu, accompagné de saint Pierre, prince des apôtres, et qu'il serait, par ce jugement, damné à toute éternité pour brûler dans les flammes perpétuelles.

Cependant Lothaire envoya vers Charles des messagers, promettant et lui demandant de s'allier mutuellement d'une solide affection; ce qu'il obtint par l'intervention de la reine Ermentrude ; et venant à Attigny, il y fut amicalement et honorablement accueilli par Charles, et fut reçu dans l'alliance qu'il sollicitait. Arsène, revenant vers eux, leur apporta une épître du pape Nicolas pleine de terribles imprécations, inconnues jusqu'alors à la modestie du siège apostolique, contre ceux qui, dans les années précédentes, avaient enlevé par violence à ce même Arsène de grands trésors, s'ils ne s'efforçaient de le satisfaire en lui rendant ce qu'ils lui avaient pris. Après avoir laissé cette épître et une autre contenant l'excommunication d'Ingiltrude qui, ayant quitté son mari Boson, s'était réfugiée avec un adultère dans le royaume de Lothaire, et après avoir reçu de Charles la métairie de Vandœuvre, que l'empereur Louis, de pieuse mémoire, avait donnée à saint Pierre, et qu'un certain comte Viddon retenait depuis plusieurs années, l'évêque Arsène ayant obtenu de Charles les choses pour lesquelles il était venu vers lui, se rendit à Gondreville avec Lothaire que Teutberge y avait précédé. Il y demeura quelques jours pour attendre Waldrade qu'on devait lui amener en ce lieu pour la conduire avec lui en Italie. Là, en présence de Lothaire et Teutberge parés et couronnés avec toute la dignité royale, il célébra la messe le jour de l'Assomption de sainte Marie, et de là prit, avec la susdite Waldrade, la route d Orbe, où l'on disait que l'empereur Louis, roi d'Italie, devait venir à la rencontre de Lothaire; puis il se rendit à Rome, passant par l'Allemagne et la Bavière pour recouvrer les patrimoines de l'église de saint Pierre situés dans ces deux pays.

D'Attigny, Charles marcha en armes contre les Normands qui étaient entrés dans la Seine avec cinq cents navires. Durant cette route, il perdit, par là négligence des gardiens, trois couronnes très belles, de nobles bracelets et plusieurs autres choses précieuses. Mais il retrouva le tout peu de jours après, excepté un petit nombre de pierres qui furent pillées dans un tumulte. Les Normands qui résidaient sur la Loire marchent par terre en troupes de gens de pied, sans aucun empêchement, sur la cité de Poitiers, la brûlent et reviennent impunément à leurs navires. Mais Robert ayant tué, sans perdre aucun des siens, cinq cents de ces Normands établis sur la Loire, envoie à Charles des enseignes et des armes normandes.

Charles, venu jusqu'à Pistre où étaient établis les Normands, prend soin, par le conseil de ses fidèles, de refaire les ponts de la rivière de l'Oise et de la Marne à Auvers et à Charenton, car les habitants qui, au temps passé, avaient construit ces ponts, ne pouvaient les reconstruire, empêchés par les incursions des Normands. A cause donc de l'imminente nécessité du moment, Charles ordonna, à ceux qui étaient envoyés des parties les plus éloignées pour venir travailler à fortifier la Seine, de refaire ces ponts, avec cette condition que ceux qui les reconstruiraient alors ne seraient à l'avenir, en aucun temps, soumis à l'obligation de participer à un pareil travail; et ayant envoyé des hommes pour garder les deux rives, il vint, au milieu du mois de septembre, à Orreville pour y chasser.

Cependant, comme les gardes n'étaient pas encore arrivés en deçà de la Seine, les Normands envoyèrent à Paris environ deux cents des leurs qui, n'y trouvant pas le vin qu'ils étaient venus chercher, retournèrent sans profit vers ceux qui les avaient envoyés. Plus de cinq cents d'entre eux voulant, de l'autre côté de la Seine, pénétrer jusqu'à Chartres pour piller, sont attaqués par les gardes du rivage; et, après avoir perdu quelques-uns des leurs, et en avoir eu aussi quelques-uns de blessés, ils retournèrent à leurs navires.

Charles envoie en Neustrie son fils Louis, sans lui rendre ni lui interdire le nom de roi. Cependant il lui donne le comté d'Angers, l'abbaye de Marmoutiers et les métairies qui en dépendent. Il donne à Robert, marquis d'Angers, le comté d'Auxerre et le comté de Nivernais à unir aux autres dignités qu'il possédait.

Louis, roi des Germains, reçoit son armée qu'il avait envoyée contre les Wénèdes, et qui avait eu des succès. Son fils, du même nom que lui, fiance, contre sa volonté, la fille d'Adalhard, dont l'âme de son père est grandement offensée. Charles se rendît Cologne, à la rencontre de son frère Louis, pour y jouir de sa conversation, et, dans leurs entretiens, il apaise, par ses discours, entre le père et le fils, les discords excités par cette témérité; mais à cette condition que Charles n'épouserait pas la fille d'Adalhard. Louis retourne à Worms et Charles à Quierzy; il apprend en route que le 19 octobre les Normands étaient entrés dans le monastère de Saint-Denis, où ils étaient demeurés vingt jours, conduisant chaque jour du butin à leurs navires, et qu'après beaucoup de ravages, ils étaient retournés sans empêchement à leur camp situé non loin de ce monastère.

Cependant, les Normands établis sur la Loire, unis aux Bretons, marchent vers la cité du Mans ; et, après l'avoir pillée impunément, retournent à leurs navires. Les Aquitains combattent les Normands établis sur la Charente, sous la conduite de Siegfried, et en tuent environ quatre cents; les autres s'enfuient sur leurs navires.

Charles reçoit à Compiègne les messagers qu'il avait envoyés l'année précédente à Mahomet, en la ville de Cordoue, et qui reviennent lui rapportant beaucoup de présents, à savoir, des chameaux, des lits, des tentes, diverses espèces d'étoffes et beaucoup de senteurs. De là étant venu à Roufy, il ôte à Adalhard, qu'il avait chargé de défendre le pays contre les Normands, et à ses proches, Hugues et Bérenger, qui n'avaient rien fait contre eux, les bénéfices qu'il leur avait donnés, et les confère à diverses personnes.

Les Normands qui avaient pillé, comme on l’a dit, le monastère de Saint-Denis, sont saisis de diverses maladies. Les uns sont pris de la rage, d'autres de la gale; d'autres meurent rendant par Faims leurs intestins et leurs boyaux. Charles envoie des gardes contre les Normands et retourne à Senlis pour y célébrer les fêtes de la Nativité du Seigneur. Il y reçoit la nouvelle de la mort de son fils Lothaire, abbé du monastère de Saint-Germain.

[866.] Le 29 décembre,[32] une partie des Normands qui résidaient sur la Loire, allant au pillage en Neustrie, rencontre et combat les comtes Godefroi, Hérivée et Roric. Dans ce combat, Roric, frère de Godefroi, est tué, et les Normands, après avoir perdu beaucoup des leurs, s'en retournent fuyant à leurs navires. Rodolphe, oncle du roi Charles, meurt d'une douleur de colique. Les Normands remontent le lit de la Seine, viennent jusqu'à Melun et marchent sur les gardes placés par le roi Charles des deux côtés de ce fleuve. Les Normands, s'élançant de leurs navires contre une troupe qui paraissait plus forte et plus nombreuse, et à la tête de laquelle étaient Robert et Eudes, la mettent en fuite sans combat et s'en retournent chargés de butin. Charles convient avec les Normands de leur payer quatre mille livres d'argent, et ordonne dans tout son royaume, pour acquitter ce tribut, une contribution de six deniers par chaque manoir libre, trois de chaque manoir servile, un de chaque habitant, un sur deux chaumières, et dix de ceux qu'on tenait pour marchands; on met sur les prêtres une taxe conforme aux moyens de chacun, et l'on exige de chaque Franc l'impôt appelé hériban.[33] On prit ensuite à chaque manoir, tant libre que servile, un denier, et enfin chacun des premiers du royaume apporta, par deux fois, tant en argent qu'en vin, une contribution proportionnée à ce qu'il avait de bénéfices, pour payer ce qui avait été convenu avec les Normands. Outre cela, tous les serfs pris par les Normands, qui, après ce traité, s'enfuirent de leurs mains, leur furent ou rendus ou rachetés au prix qu'il leur plut, et si quelqu'un des Normands était tué, on était obligé de payer une somme pour le prix de sa vie.

Louis, empereur d'Italie, avec sa femme Engelberge, marcha à Bénévent contre les Sarrasins. Lothaire ayant repris à Hugues l'évêché de Cologne, le confia, par l'intervention, à ce qu'on suppose, de l'empereur Louis son frère, à Hilduin, frère de Gonthier, pour qu'il fût censé le gouverner. Mais l'administration en demeura effectivement aux mains de Gonthier, excepté en ce qui touche les fonctions épiscopales. Cette métropole et celle de l'église de Trèves furent longtemps sans pasteur, contre les règlements sacrés et au grand péril de beaucoup de fidèles.

Charles donne au comte Robert l'abbaye de Saint-Martin, ôtée à Engilwin, et, par son conseil, il partage entre ses compagnons les bénéfices situés au-delà de la Seine, Louis, par le conseil du même Robert, donne à son fils, pour l'enrichir, le comté d'Autun, pris à Robert par Bernard, fils de Bernard.

Les Normands s'éloignent au mois de juillet de l'île située proche du monastère de Saint-Denis, et descendant la Seine, gagnent un lieu commode pour réparer leurs navires et en faire de neufs; ils attendent là ce que l'on devait leur payer. Charles marche en armes vers Pistre avec des ouvriers et des chariots pour y faire des ouvrages qui empêchent les Normands de remonter de nouveau la rivière. Louis, roi de Germanie, assemble une armée pour aller, dans la Marche qui confine aux Wénèdes, contre quelques-uns des siens qui s'étaient mis en révolte; et, la précédant, il réduit en peu de temps les rebelles sans combat, et envoie Tordre à son armée, à peine mise en mouvement, de demeurer ou elle était. Les Normands prennent la mer au mois de juillet; et une partie d'entre eux s'établit pendant quelque temps dans un canton d'Italie, et, par un accord passé avec Lothaire, en jouit à sa volonté.

Charles va avec sa femme au-devant de Lothaire à une métairie de l'abbaye de Saint-Quentin ; et, d'après quelques conventions, à ce qu'on dit, après avoir confirmé leur alliance, il reçoit en don de Lothaire l'abbaye de Saint-Vaast. Charles va, au mois d'août, à la cité de Soissons et siège au synode convoqué par le pape Nicolas, où, selon la recommandation dudit apostolique, on suspendit le procès de Vulfade et de son collègue, ordonnés par Ebbon, ci-devant archevêque de Reims, après sa déposition; t commue on ne pouvait pas, en faveur de Vulfade et par égards pour quelques-uns, contrevenir ouvertement aux saints règlements, et que le roi et plusieurs autres agissaient fortement pour Vulfade, bien que les papes Benoît et Nicolas eussent confirmé, par leur signature, la dégradation des susdits régulièrement prononcée par un synode des évêques des cinq provinces, ne pouvant éviter autrement le schisme et le scandale, on imagina, conformément à l'indulgence dont avait usé le concile de Nicée envers ceux qu'avait ordonnés Mélèce après sa condamnation, et d'après la tradition du concile d'Afrique sur les donatistes, de les rétablir dans leur rang, pourvu cependant qu'il plût au pape Nicolas de changer la sentence qu'il avait confirmée. Ainsi donc le concile, ayant envoyé au pape Nicolas, selon la condition prescrite, des lettres par Egilon, archevêque de Sens, chargé aussi de plusieurs autres, se sépara sans qu'il s'élevât de discorde dans le clergé, et comme, d'après les décrets d'Innocent, ce qui a été commandé de cette manière par la nécessité des temps, la nécessité cessant, doit également cesser, parce que autre chose est la règle légitime, autre chose est l'usurpation qui force d'agir ainsi dans le présent, on fit ainsi parce qu'on ne pouvait faire autrement. Mais comme on demandait absolument que, de manière ou d'autre, Vulfade pût être fait évêque, il parut à plusieurs qu'on pouvait, pour éviter la sédition, adopter le milieu qu'exigeait la nécessité; comme on lit dans saint Paul que, par le conseil de Jacob et des anciens de Jérusalem, on aima mieux exercer le culte avec Timothée, circoncis depuis l'abolition de la loi, que d'exciter un tumulte dans l'Église et dans le gouvernement. Les choses étant en cet état avant que la cause eût été jugée, Charles, de sa pleine autorité, nomma ledit Vulfade à la métropole de Bourges, à la place de l'archevêque Rodolphe, mort dernièrement. Avant que les évêques quittassent la ville de Soissons, Charles leur demanda de sacrer reine sa femme Ermentrude; ce qu'ils firent, a sa demande, dans la basilique de Saint-Médard, et ils leur mirent à tous deux la couronne sur la tête. De ce lieu; le roi se rendit avec la reine à la rencontre de Lothaire au palais d'Attigny, où ils rappelèrent Teutberge, femme de Lothaire, seulement de nom, et qui avait eu la permission de se rendre à Rome. Là ils envoyèrent en commun un message au pape Nicolas, Charles par Egilon, archevêque de Sens, Lothaire par Adon, archevêque de Vienne, et par Waltaire, son confident. Ils mandèrent secrètement au pape ce qui leur plaisait. Après quoi Charles envoya son fils Carloman, abbé du monastère de Saint-Médard, pour remettre à Vulfade la métropole de Bourges. Celui-ci arriva après le concile séparé, comme on l'a dit, et après que le même concile eut envoyé au pape Nicolas des lettres par l'archevêque Egilon. Aussitôt, dans le mois de septembre, par la faiblesse de quelques évêques moins instruits des lois ecclésiastiques qu'ils n'auraient dû l'être, gagnés par la faction dudit Vulfade, et pliant sous les menaces que leur faisait Carloman au nom de son père, Vulfade, contre toutes les lois ecclésiastiques, fut, au lieu de l'ordination épiscopale, investi de la malédiction comme d'un manteau. Celui qui avait présidé à ce désordre, plutôt qu'ordination, fut, au milieu de la cérémonie même, saisi de la fièvre et mourût bientôt après.

Charles, fils de Charles et roi d'Aquitaine, dont le cerveau avait été ébranlé par la blessure qu'il avait reçue à la tête quelques années auparavant, longtemps tourmenté d'épilepsie, mourut le 29 septembre, en un village proche de Busençay, et fut enseveli par Carloman son frère et par Vulfade, en l'église de Saint-Sulpice près de Bourges. Charles fît décapiter, près de la cité de Senlis, Guillaume son cousin issu de germain, fils de feu Eudes, comte d'Orléans, et arrêté en Bourgogne par quelques-uns des siens pour avoir agi contre la république:

Environ quatre cents Normands, mêlés de Bretons, venus de la Loire avec des chevaux, arrivent à la cité du Mans, et, après l'avoir pillée, viennent en s'en retournant jusqu'à un lieu nommé Briserte, où les comtes Robert et Ramnulphe, Godefroi et Hérivée les attaquent ; et que Dieu eût été avec eux !

Le combat commencé, Robert est tué, et Ramnulphe, frappé d'une blessure dont il mourut peu après, est mis en fuite; Hérivée est aussi blessé et d'autres tués; le reste s'en retourne chacun de son côté : et comme Ramnulphe et Robert n'avaient pas voulu châtier précédemment ceux qui, contre leurs ordres, avaient osé s'emparer, l'un de l'abbaye de Saint-Hilaire, l'autre de l'abbaye de Saint-Martin, il était juste que le châtiment en tombât sur eux.

Louis, fils de Louis, roi de Germanie, par le conseil de Warnaire et de quelques autres à qui son père avait ôté leurs bénéfices à cause de leur infidélité envers lui, se met en guerre contre lui, excitant le Wénède Restic à porter la dévastation jusqu'en Bavière, afin que son père et ses fidèles étant occupés de ce côté, il put poursuivre sans obstacle ce qu'il avait commencé. Mais Carloman, à qui son père avait donné cette Marche, repousse par ses efforts Restic dans ses États. Louis l'ancien, que l'expérience avait rendu prudent en de telles affaires, se porte promptement au palais dit de Francfort, et son fils et lui s'étant mutuellement donné des gages, il le fait venir vers lui, et ils se promettent de conserver la paix jusqu'au 27 octobre; en sorte que Louis retourne promptement défendre ses Marches contre Restic, pour revenir huit jours avant la fête de Saint-Martin près de la ville de Metz à la rencontre de son frère Charles et de son neveu Lothaire. Charles avait annoncé aux siens qu'il irait au secours de Louis avec une armée telle qu'il avait pu la rassembler, levée en grande partie par les évêques. Il donna au clerc Hugues, son oncle, fils de Conrad, comte de Tours et d'Angers, l'abbaye de Saint-Martin et d'autres abbayes, et l'envoya en Neustrie à la place de Robert: et faisant de l'abbaye de Saint-Vaast comme il avait fait auparavant de l'abbaye de Saint-Quentin, il en retint pour lui le chef-lieu et les meilleures métairies, et partagea le reste aux siens, bien moins à leur profit qu'au préjudice de son âme puis, avec l'armement qu'il avait annoncé, il se rendit par Reims, avec sa femme, à la ville de Metz, et parvint jusqu'à Verdun. Là, il reçut des messagers de son frère Louis, lui annonçant qu'il n'avait pas besoin qu'il se rendît vers lui avec son armée, parce qu'il s'était réconcilié avec son fils, comme il en avait eu l'intention, que la sédition soulevée contre lui était complètement apaisée, et qu'il ne lui était pas opportun en ce moment de venir le trouver à Metz, parce que certaines affaires de son royaume le hâtaient de se rendre en Bavière.

Charles, s'étant arrêté à Verdun pendant vingt jours environ, pilla cette ville et tous les lieux circonvoisins, comme l'aurait pu faire un ennemi, en attendant l'arrivée de Lothaire qui travaillait à Trèves auprès des évêques de son royaume, afin que Teutberge fût de nouveau faussement accusée et prît le voile; ce qu'il ne put obtenir. Cependant Charles reprit chemin par où il était venu ; les siens pillant sur la route tout le pays, il arriva à Reims, et de là à Compiègne, où il célébra la Nativité du Seigneur.

Le roi des Bulgares, qui, l'année précédente, par l'inspiration de Dieu, et averti par différents miracles et les afflictions de son peuple, avait projeté de se faire chrétien, reçut le saint baptême: ce que voyant avec déplaisir, les grands de son royaume soulevèrent le peuple contre lui afin de le tuer. Ainsi donc tous les habitants des dix comtés se réunirent autour de son palais ; mais lui, ayant invoqué le nom du Christ, avec quarante-huit hommes qui, zélés pour la foi chrétienne, étaient demeurés avec lui, marcha contre toute cette multitude. Aussitôt qu'il fut sorti de la porte de la ville, lui et ceux qui étaient avec lui virent apparaître sept clercs tenant chacun à la main un cierge allumé, et qui se mirent à marcher devant le roi et ses compagnons: et ceux qui s'étaient soulevés contre lui crurent voir une grande maison tout en feu tomber sur eux, et les chevaux de ceux qui étaient avec le roi paraissaient à leurs ennemis marcher debout, et les frapper de leurs pieds de devant. Ils furent saisis d'une telle crainte que, ne songeant ni à fuir, ni à se défendre, ils tombèrent à terre sans pouvoir se remuer. Le roi tua cinquante-deux des grands qui avaient le plus contribué à soulever le peuple contre lui; il laissa aller le reste du peuple sans lui faire de mal ; et, ayant envoyé vers Louis, roi de Germanie, avec lequel il était uni par une alliance, il lui demanda un évêque et des prêtres, et lorsqu'ils lui eurent été envoyés, il les reçut avec la vénération qui leur était due. Louis cependant, envoyant vers Charles son frère, lui demanda des vases sacrés et des habits sacerdotaux pour l'usage des clercs, en sorte que Charles ayant levé une somme assez considérable sur les évêques de son royaume…[34]

Le roi des Bulgares envoya à Rome son fils et plusieurs des grands de son royaume; il fit passer à Saint-Pierre, avec d'autres dons, les armes dont il était revêtu, lorsque, par la vertu du nom du Christ, il avait triomphé de ses adversaires, adressa au pape Nicolas plusieurs questions touchant la foi aux sacrements, et lui demanda de lui envoyer des évêques et des prêtres, ce qu'il obtint. Mais Louis, empereur d'Italie, ayant appris ces choses, envoya au pape Nicolas l'ordre de lui faire passer les armes et les autres dons que le roi des Bulgares avait envoyés à Saint-Pierre, desquels le pape Nicolas lui fit remettre une partie par Arsène, à Bénévent où il habitait, et s'excusa de lui envoyer les autres.

[867.] En cette année du Seigneur 867, Louis, abbé du monastère de Saint-Denis, et petit-fils de l'empereur Charles par sa fille aînée Rotrude, mourut le 9 janvier, et Charles retint pour lui cette abbaye, dans le dessein défaire gérer, sous sa recommandation, les affaires et les soins économiques du monastère par le supérieur, le doyen et le trésorier, et les affaires relatives au service militaire par son maire du palais. Vers le milieu du carême, il se rendit sur la Loire en une terre où il manda les grands d'Aquitaine et son fils Louis, et, après avoir ordonné le service de son palais, il fit Louis roi d'Aquitaine. En revenant, il célébra la Pâque du Seigneur dans le monastère de Saint-Denis ; de là il se rendit à Metz pour conférer avec son frère Louis, roi de Germanie ; et le 19 mai, vint à sa rencontre dans le palais de Samoucy Égilon, archevêque de Sens, avec des lettres du pape Nicolas pour le rétablissement des clercs de l'église de Reims, à savoir Vulfade et ses collègues; lequel pape Nicolas, agissant avec beaucoup d'activité, afin de les faire rétablir dans leur rang, alléguait dans ces lettres, contre Hincmar, archevêque de Reims, beaucoup de choses évidemment fausses. Ledit archevêque apporta aussi au seigneur Charles des lettres dudit pape à Lothaire et aux seigneurs de son royaume sur l'affaire de ses deux femmes, à savoir Teutberge et Waldrade, ordonnant d'envoyer Waldrade à Rome. Charles donna, de la part de l'apostolique, ces lettres à Lothaire qui le vint trouver au palais d'Attigny; de là il se rendit auprès de son frère; puis, à son retour, il revint par la forêt des Ardennes où était Lothaire: et, ayant ordonné qu'on levât une armée dans tout son royaume pour marcher en Bretagne contre Salomon, duc des bretons, il convoqua son assemblée pour le commencement d'août dans la ville de Chartres. Cependant des messagers furent envoyés de part et d'autre pour traiter de la paix; et l'on convint que Charles, ayant donné des otages, Passwithen, gendre de Salomon, et par les conseils duquel celui-ci se conduisait en plusieurs choses, viendrait vers ledit commencement d'août trouver Charles à Compiègne, et que ce qu'ils auraient conclu et promis en cette conférence serait effectué; que cependant ceux à qui on avait ordonné de se lever en armes demeureraient dans leurs maisons, mais tout prêts, afin que, s'il en était besoin, et si le roi les demandait, ils pussent venir en armes à Chartres le 23 juin.

Louis, roi de Germanie, envoie son fils Louis, avec les Saxons et les Thuringiens, combattre les Obotrites, et ordonne à tout le reste des peuples de son royaume de se tenir préparés, afin de pouvoir marcher en armes aussitôt qu'il le leur ordonnerait.

Lothaire, redoutant Charles qui revenait d'auprès de Louis, quitte la ville de Metz, et marche vers Francfort, où il fait la paix avec lui, qui auparavant lui était assez contraire; il donne à Hugues, son fils, qu'il avait eu de Waldrade, le duché d'Alsace, et le recommande à Louis, à qui il confie le reste de son royaume, pour aller à Rome, ou il avait d'abord envoyé Waldrade. En revenant de Rome, il ordonne dans son royaume la levée d'une armée pour la défense du pays contre les Normands, pensant que Roric, expulsé de la Frise par les habitants, revenait avec l'aide des Danois.

Charles, après avoir donné des otages, reçoit à Compiègne, au commencement d'août, Passwithen, envoyé de Salomon, et lui donne pour Salomon le comté du Cotentin avec tous les domaines, résidences royales et abbayes situés dans ce comté, et toutes.les choses en dépendant, excepté l'évêché. Il confirme ce don par le serment des grands de son royaume. Du côté de Salomon, ledit envoyé prête en son nom serment de fidélité et de paix, promet qu'il portera secours à Charles contre ses ennemis, et que Salomon et son fils, ainsi que les pays qu'ils avaient auparavant, et ceux qui leur reviennent en raison de ce don, demeureront fidèles à Charles et à son fils. Cette affaire conclue, Charles, par l'autorité du pape Nicolas, indique à Troyes un concile pour le 23 septembre, et décide de s'arrêter à l'abbaye de Saint-Vaast et à sa métairie d'Orreville et aux environs pour chasser et passer l'automne.

Le concile des provinces de Reims, Rouen, Tours, Sens, Bordeaux et Bourses, se rassemble à Troyes le 25 octobre. Certains évêques, comme c'est l'usage, y favorisant Vulfade à cause du roi Charles, commencèrent par fabriquer, contre l'autorité des saints canons et contre la vérité, plusieurs choses au préjudice d'Hincmar; mais Hincmar, ayant opposé à leurs manœuvres le droit et l'autorité, l'emporta au jugement de la pluralité; et, d'un commun consentement, les évêques, qui se trouvaient d'accord entre eux, adressèrent au pape Nicolas une lettre écrite par Actard, vénérable évêque de Nantes, contenant le récit des faits dont il se traitait, laquelle lettre renfermait les mêmes choses que celle qu'Hincmar avait envoyée à Rome, au mois de juillet précédent, par ses clercs vêtus en pèlerins, pour éviter les embûches de ses adversaires. Actard prit, pour l'emporter, cette lettre composée dans ledit synode, et revêtue du sceau des archevêques qui s'étaient réunis au même avis, et retourna vers Charles avec quelques autres évêques, ainsi que lui-même l'avait ordonné. Charles cependant, oubliant la fidélité et les travaux d'Hincmar, durant plusieurs années, pour son honneur et le soin de son royaume, obligea Actard à lui donner la lettre, et, brisant le sceau des archevêques, prit connaissance de ce qui s'était fait dans le concile; et, comme Hincmar n'avait pas été repoussé dans le concile comme il lui plaisait, il fit dicter en son nom une lettre au pape Nicolas, en opposition à celle d'Hincmar, la revêtit de son nom et de son sceau, et l'envoya à Rome par ce même Actard avec la lettre du concile.

Les susdits clercs d'Hincmar, arrivant à Rome dans le mois d'août, avaient déjà trouvé le pape Nicolas très malade, et grandement occupé de la dispute qu'il soutenait contre les empereurs grecs Michel et Basile et contre les évêques d'Orient; ce qui les avait fait demeurer à Rome jusqu'au mois d'octobre. Cependant le pape Nicolas reçut très favorablement ce que lui avait écrit Hincmar, et lui répondit qu'il était satisfait de tout point; mais il lui écrivit une autre lettre, ainsi qu'aux archevêques et évêques du royaume de Charles, pour leur notifier les calomnies que les empereurs grecs et les évêques d'Orient élevaient contre la sainte Église Romaine, et contre toute Église faisant usage de la langue latine, parce que nous jeûnons le samedi, que nous tenons que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils, et que nous défendons aux prêtres de se marier. Les Grecs disent que nous autres Latins faisons, le saint chrême avec de l'eau de la rivière, ils nous reprennent de ne pas nous abstenir, comme eux, de chair pendant les huit semaines qui précèdent la Pâque, et pendant sept de fromage et d'œufs; ils prétendent aussi que le jour de Pâques, à la manière des Juifs, nous offrons et bénissons sur l'autel un agneau en même temps que le corps du Seigneur; ils se fâchent encore contre nous de ce que nos clercs se rasent la barbe ; ils prétendent que parmi nous un diacre est ordonné évêque sans avoir passé par l'office de prêtre. L'apostolique ordonna à tous les métropolitains des différentes églises et à leurs suffragants de répondre sur toutes ces choses, s'exprimant de cette manière à la fin de sa lettre à Hincmar:

Lorsque ta charité lira cette épître, frère Hincmar, qu'elle s'applique à la faire également porter aussitôt aux archevêques et évêques du royaume de notre fils le glorieux roi Charles, et ne néglige pas de les exciter, afin que chacun d'eux, dans son diocèse, en confère en assemblée avec ses suffragants, en quelque royaume que soit situé leur siège, et aie soin de nous faire savoir ce qu'ils auront reconnu, afin qu'exécutant avec soin nos intentions, tu règles tout ce qui a rapport aux diverses affaires contenues dans notre présente épître, et nous en expose dans tes écrits le récit sincère et prudent.

Donné le 10 des calendes de novembre.[35]

Hincmar, ayant reçu cette lettre vers le milieu de décembre, la relut avec plusieurs évêques dans le palais de Corbery[36] où habitait le roi Charles, et s'occupa, comme il en avait reçu la mission, de la faire parvenir aux autres archevêques. Le pape Nicolas était mort vers le milieu du mois précédent.[37] Le pape Adrien[38] lui succéda au pontificat par le choix des clercs et le consentement de l'empereur Louis; et Actard, arrivant à Rome avec la lettre ci-dessus mentionnée, le trouva déjà installé sur le siège apostolique.

Cependant Arsène, homme très artificieux et d'une grande cupidité, séduisant Theutgaud et Gonthier de la fausse espérance de leur rétablissement, afin d'en obtenir des présents, les fît venir à Rome. Ils y demeurèrent longtemps, et y perdirent presque tous leurs gens. Theutgaud y mourut, et Gonthier n'y évita qu'à grand-peine la mort corporelle.

Lothaire envoya à Rome sa femme Teutberge afin qu'elle s'accusât elle-même, pour qu'il pût se séparer d'elle; mais le pape Adrien ne voulut pas croire à ces sortes de fables, et il fut ordonné à Teutberge de retourner vers son mari.

Charles, du consentement de son frère Louis, ordonna d'assembler à Auxerre, pour le commencement de février suivant, quelques évêques, afin qu'ils y traitassent de l'affaire de Lothaire. Ensuite Charles, ayant reçu, ainsi que beaucoup l'ont dit, des présents considérables d'Egfried qui possédait déjà l'abbaye de Saint-Hilaire et plusieurs autres très grands bénéfices, ôta le comté de Bourges au comte Gérard, sans l'entendre, sans même qu'il fût accusé d'aucune faute, et le donna à Egfried ; mais Egfried ne put parvenir à évincer Gérard du comté; à cause de quoi Charles, passant par la ville de Reims, vint à Troyes, et de là à Auxerre, où il célébra la Nativité du Seigneur.

[868.] L'an 868, Charles se rendit d'Auxerre sur la Loire dans un de ses domaines. Cependant les hommes du comte Gérard se rassemblèrent en grand nombre en un village où était Egfried; et, comme Egfried ne voulait pas sortir d'une maison très bien fortifiée dans laquelle il s'était renfermé, ils y mirent le feu, et, l'en ayant ainsi chassé, lui coupèrent la tête, et rejetèrent son corps dans les flammes. Alors Charles, pour punir ce crime, se rendit au pays de Bourges, et là il se commit tant de crimes, soit violation des églises ou oppression des pauvres, ou autres forfaits et dévastations de tout genre, que la langue ne pourrait le raconter, et qu'il a été prouvé par témoignage qu'ensuite de ces ravages beaucoup de milliers d'hommes moururent de faim. Non seulement il ne fut pris aucune vengeance de Gérard et de ses compagnons, mais ils ne furent pas même expulsés du pays de Bourges. Ensuite, après avoir retiré au fils de Robert ceux des bénéfices de son père qu'il lui avait cédés après la mort de celui-ci, et après avoir ôté aussi au fils de Ramnulphe les bénéfices de son père, et donné à Frothaire, archevêque de Bordeaux, l'abbaye de Saint-Hilaire qu'avait eue ledit fils de Ramnulphe, Charles se rendit au commencement des jeûnes, avant le saint carême, au monastère de Saint-Denis, et de Jà à Senlis.

Les Normands remontent la Loire, parviennent à Orléans, et, après avoir butiné, s'en retournent impunément à leur résidence. Charles se rend le samedi d'avant le dimanche des Rameaux au monastère de Saint-Denis, et y célèbre la Pâque; et, avant d'aller de là à Servais, le second jour des Rogations, par Advence, évêque de Metz, et Grimland, chancelier de Lothaire, porteurs de lettres du pape Adrien, il en reçoit une à lui adressée, dans laquelle ce pape lui ordonne de s'abstenir de toute attaque au royaume de l'empereur Louis et à celui de Lothaire; Les messagers apportèrent aussi, aux évêques du royaume de Charles, des lettres contenant l'absolution de Waldrade, et dirent que des lettres pareilles avaient été envoyées aux évêques des royaumes de Louis et de Lothaire: cependant l'absolution de Waldrade était à cette condition qu'elle ne cohabiterait en aucune façon avec Lothaire.

Charles, arrivé à Servais, y reçut Actard, évêque de Nantes, revenant de Rome, d'où il lui rapportait des lettres, l'une desquelles faisait réponse à celle qu'il avait écrite au pape Nicolas contre Hincmar. Dans cette réponse, l'apostolique lui enseignait, entre autres choses, qu'il devait laisser à l'avenir et pour toujours assoupies ces inutiles questions. Actard en apporta une autre à Hincmar remplie de louanges et dilections sur sa fidélité, et pour le faire délégué de l'apostolique en ces pays concernant les affaires de Lothaire. Il apporta une troisième lettre pour les archevêques et évêques cisalpins, afin que, s'il survenait vacance en quelque ville dépendant de leur métropole, ce même Actard, à qui les incursions des païens et l'oppression des Bretons ne permettaient pas d'habiter sa ville, en fût nommé pasteur par l'autorité apostolique des évêques de la province.

A la quatrième férié après le commencement du carême, Éleuthère, fils d'Arsène, par le moyen de son père, trompa et enleva par ruse la fille du pape Adrien, fiancée à un autre, et l'épousa ; de quoi le pape fut grandement contristé. Arsène, se rendant à Bénévent près de l'empereur Louis, est pris de maladie; et, après avoir remis ses trésors entre les mains de l'impératrice Ingelberge, et avoir conversé, dit-on, avec les démons, il s'en va, sans communion, se rendre en son lieu. Après sa mort, le pape Adrien obtient de l'empereur des envoyés pour juger selon les lois romaines le susdit Éleuthère; mais ce même Eleuthère, à ce qu'on rapporte, par le conseil de son frère Anastase, qu'au commencement de son pontificat Adrien avait fait bibliothécaire de Rome, tue Stéphanie, femme de ce pontife, et sa fille qu'il avait enlevée, et lui-même est tué par des gens envoyés de l'empereur. Le pape Adrien, ayant rassemblé un synode, renouvela de la manière suivante les condamnations déjà portées contre ledit Anastase.

Voici quelles étaient ces condamnations:

Sur le côté droit du tableau représentant le concile qui les avait prononcées, il était écrit:

 Sous le règne de nos seigneurs les empereurs Lothaire et Louis, augustes, le seizième du mois de décembre,[39] Léon, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu:

 Soit à compter de ce jour, par notre autorité et l'autorité apostolique, privé de la communion, selon les institutions canoniques de Dieu tout-puissant et de l'apôtre saint Pierre, jusqu'à ce qu'il comparaisse en ma présence spéciale pour y être jugé canoniquement, Anastase, prêtre, que nous avons ordonné au titre de Saint-Marcel, et qui, l'ayant quitté, a passé, sans nous en donner connaissance, à d'autres paroisses, que nous avons rappelé par des messages et par lettres, et pour lequel nous avons envoyé aux seigneurs empereurs des messagers, les suppliant de lui ordonner de retourner dans sa paroisse, et qui maintenant, vagabondant çà et là, a persisté deux ans dans son émigration, a été appelé par deux conciles sans s'y rendre, et sans qu'on, puisse le trouver ; en sorte que, comme on l'a dit, errant à la manière des animaux, il habite secrètement, par la persuasion du diable, des contrées étrangères; et que, s'il ne vient pas, il soit à jamais exclu de la communion.

 Après le pontife romain, ont concouru à cette excommunication l'archevêque de Ravenne, celui de Milan, et d'autres au nombre de soixante-quinze. Sur le côté gauche du tableau, était écrit ce qui suit: Léon, serviteur des serviteurs de Dieu, à tous les évêques, prêtres, diacres, sous-diacres, et tout le clergé et peuple chrétien. Vous savez, mes chers frères, que nous sommes très bien et très pleinement avec vous maintenant, par précaution, et pour être transmis à la mémoire des temps futurs, nous voulons qu'il soit connu votre affection comment, à l'instigation et persuasion du diable, Anastase, prêtre, que nous avons ordonné au titre de Saint-Marcel, ayant, contre les statuts des Pères, déserté cette église et la province, erre depuis cinq ans, à la manière des bêtes, dans des paroisses étrangères. Appuyé de l'autorité canonique, nous l'avons rappelé trois et quatre fois par des lettres apostoliques; et, comme il a refusé de revenir, nous avons rassemblé à cause de lui deux conciles d'évêques, et, ne pouvant parvenir à le voir ni à le faire comparaître en notre présence spéciale, nous l'avons dans cette assemblée, par notre commune sentence, privé delà sainte communion, le voulant, par ce jugement d'excommunication, forcera revenir au giron de la sainte mère Eglise qu'il a abandonnée. Mais, enveloppé dans les ténèbres de l'erreur, et méprisant les avertissements apostoliques et ceux du saint concile, il n'a aucunement voulu s'y rendre; en sorte que, habitant à Ravenne, nous l'avons proclamé de notre propre bouche, dans l'église de Saint Vital, martyr, le dix-neuvième jour du mois de mai,[40] et le proclamons de nouveau dans l'église de Saint-Pierre l'apôtre, le dix-neuvième jour du mois de juin, anathème de par les saints Pères et de par nous, et que tous ceux qui voudraient, ce qu'à Dieu ne plaise, lui prêter secours ou assistance quelconque pour être choisi ou parvenir à la dignité pontificale, soient assujettis au même anathème.

 Après le pontife romain, ont concouru à cet anathème Jean, archevêque de Ravenne, Nothing et Sigefroi, évêque du seigneur empereur, et six évêques suffragants dudit archevêque, dont nous ne faisons point mention ici, et d'autres tant de la ville de Rome que d'ailleurs, au nombre de cinquante-six, sans compter les prêtres et diacres de la sainte Église romaine.

Il était en outre écrit sur les battants d'argent du tableau:

Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. La quatrième année du pontificat du très saint, universel et co-angélique pape Léon vu, et l'an quarante-deuxième de l'empire des très invincibles empereurs Louis et Lothaire,[41] le huitième jour du mois de décembre, a commencé le saint et vénérable synode assemblé par la grâce de Dieu et la volonté de sa divine sagesse dans l'église de l'apôtre saint Pierre. Dans ce très saint et vénérable synode, après avoir pompeusement célébré la grâce secourable du Seigneur, et après diverses admonitions et exhortations pieuses et salutaires des évêques, des prêtres ou clercs et de tous les chrétiens, a été déposé justement et canoniquement Anastase, prêtre, au titre de Saint-Marcel, parce que, contre l'autorité canonique, il a abandonné sa propre paroisse, et est demeuré jusqu'à présent dans une paroisse étrangère, et qu'appelé, excommunié, enfin anathématisé, comme il est démontré dans la véritable peinture de ce synode, il n'a point voulu venir dans deux conciles d'évêques assemblés à cause de lui; en raison de quoi le souverain pontife et les évêques présidant au synode, au nombre de soixante-sept; l'ont, comme nous l'avons dit, à cause de son audace insensée, déposé et privé de la dignité sacerdotale en l'année, le mois et le jour ci-dessus mentionnés.

Tout ce qui précède avait été écrit par l'ordre du pontife Léon. Après la mort dudit Léon, évêque de digne mémoire, ce même Anastase, anathématisé et déposé, revenant, par la puissance séculière, des lieux cachés où il vagabondait comme un larron, séduit par une fraude diabolique, et enveloppé de ténèbres, à la manière des larrons, s'empara, comme un païen et un barbare, de l'église en laquelle il ne lui était pas permis d'entrer, et, pour la perdition et perte de son âme, accompagné de ses détestables compagnons et complices, détruisit et même arracha le tableau de ce vénérable synode. Le bienheureux et illustre pape Benoît le restaura et l'orna de couleurs brillantes. L'apostolique Adrien rendit ensuite le décret suivant:

 Adrien, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu. Il est connu à toute l'Église de Dieu ce qu'a fait Anastase du temps des pontifes nos prédécesseurs; tout le monde a su ce qu'avaient décidé contre lui Léon et Benoît, très éminents évêques de sainte mémoire, desquels l'un l'a déposé; excommunié, anathématisé ; et l'autre le reçut, dépouillé de ses vêtements sacerdotaux, à la communion comme laïque. De même, après lui, notre très saint prédécesseur le pape Nicolas, comme s'il se fût conduit fidèlement envers la sainte Église romaine, le reçut de la même manière dans le sein de cette Eglise. Cependant son infidélité est apparue maintenant, en ce qu'après avoir pillé notre palais patriarcal, effacé les écritures du synode, où se trouvaient les décrets portés en divers temps par les saints pontifes, tant sur lui que sur ses pareils, et les institutions faites dans le vénérable synode par ces saints pontifes, et retouchées avec l'addition d'un nouvel anathème, il les a fait violer en nous les enlevant, et a forcé des hommes à venir dans les murs de cette ville, à la manière des voleurs, pour semer a des discordes entre des princes très pieux, et dans l'Eglise de Dieu, et a engagé à priver des yeux et de la langue un certain Adalgrim qui s'était réfugié dans l'église; mais, de plus, comme beaucoup de vous l’ont appris, ainsi que moi, d'un prêtre son parent, nommé Adoin, et comme cela nous a été a révélé par d'autres voies, oubliant nos bienfaits, il a envoyé à Eleuthère un homme pour l'exhorter à commettre des meurtres qui, comme vous le savez, ô douleur ! ont été accomplis; et, à cause de toutes ces choses et autres qu'il a faites en grand nombre, et par lesquelles il a frappé et blessé l'Église de Dieu, que jusqu'à présent il n'a cessé d'attaquer par ses machinations artificieuses, de l'autorité du Dieu tout-puissant et de tous les saints Pères et des vénérables conciles et des susdits pontifes, en même temps par la sanction de notre jugement, nous ordonnons que ce même Anastase soit soumis à ce qu'ont solennellement prononcé sur lui les seigneurs pontifes Léon et Benoît, sans rien ajouter ni retrancher à leur anathème, et voulons qu'il demeure privé de toute communion ecclésiastique, jusqu'à ce qu'il soit venu nous faire raison, en présence du synode, de toutes les choses dont il est accusé; et soit enveloppé dans la même excommunication quiconque communiquera avec lui, soit en paroles, soit en mangeant ou buvant: car notre Eglise a suffisamment murmuré et murmure encore de ce que, aspirant à des choses trop élevées pour lui, il a témérairement usurpé ce qui lui était interdit, et est entré dans le lieu défendu. Si, tandis qu'il a été éloigné de la ville de Rome, il a osé rechercher ou recevoir soit l'ordre de prêtrise, ou quelque rang que ce soit dans la cléricature ou dans le saint ministère, ce qui est contre les ordres desdits pontifes et contre le droit, car il avait promis de ne jamais s'éloigner de la ville de quarante milles, et de ne jamais chercher à reprendre le grade de prêtre ni de clerc, qu'il soit à jamais anathème avec tous ses fauteurs, complices et satellites.

 Porté en présence de toute la sainte Église romaine, et devant ce même Anastase, en l’an premier du pontificat du seigneur Adrien, suprême pontife, le quatre des ides d'octobre.[42]

Lothaire, se méfiant de Charles, alla de nouveau vers Louis, et obtint qu'il lui ferait faire serment en son nom de ne lui nuire en aucune manière s'il prenait pour femme Waldrade; ensuite de quoi il vint au palais d'Attigny parler avec Charles, et convint avec lui qu'après le prochain commencement d'octobre, ils conféreraient de nouveau ensemble. Charles, séjournant dans les domaines royaux situés dans le pays de Laon, ordonna à Hincmar, évêque de Laon, sans qu'aucun évêque de ses suffragants en fût instruit, d'envoyer son avocat plaider sa cause devant la justice séculière, parce qu'il avait enlevé des bénéfices à quelques-uns de ses hommes. Cependant l'évêque réclama, et dit qu'il n'osait pas, renonçant au jugement ecclésiastique, se rendre devant la justice séculière, comme il lui était ordonné, et il ne vint pas au lieu où se tenait la justice séculière, mais fit savoir au roi les causes de son impossibilité. Cependant le roi Charles, ordonnant à des personnes infâmes déjuger de cette affaire, comme le susdit évêque, ayant juré qu'il ne pouvait venir, n'avait envoyé personne, et n'avait pas présenté d'avocat devant la justice séculière, par le jugement des dites personnes, l'évêque fut privé de tous les biens et propriétés ecclésiastiques qu'il avait, et qui étaient spécialement destinés à l'usage de l'évêché. Ensuite le roi étant venu à Pistre au milieu du mois d'août, y reçut son tribut annuel, et, mesurant le château, donna à chacun des hommes de son royaume la portion de travail qui lui était assignée.

Cependant Hincmar, archevêque de Reims, conduisant avec lui Hincmar, évêque de Laon, alla vers le roi à Pistre avec d'autres évêques, et montra au roi, par paroles et par écrit, combien ce qui s'était fait apportait de préjudice à l'autorité épiscopale et à toute l'Eglise. Il obtint que l'évêque fût remis en possession des choses dont il avait été dépouillé, et que, comme l'ordonnent les lois sacrées, l'affaire fût terminée dans l'assemblée ecclésiastique de la province où elle devait être jugée, par l'arrêt de juges choisis, et, s'il était nécessaire, par l'examen d'un synode.

Dans cette même assemblée, le roi reçut trois marquis, à savoir, Bernard de Toulouse, un autre Bernard de Gothie, et encore un troisième Bernard. Il reçut aussi les messagers de Salomon, duc des Bretons. Par ces messagers, Salomon lui faisait dire de ne pas marcher lui-même pour attaquer les Normands qui résidaient sur la Loire, parce que Salomon était prêt à les attaquer avec une grosse troupe de Bretons, pourvu seulement que Charles lui envoyât du secours. Le roi lui envoya d'abord Angelram, son camérier et maître des armées et l'un de ses conseillers intimes, et ensuite son fils Carloman, diacre et abbé, avec une couronne ornée d'or et de pierres précieuses, et toutes les parures à l'usage de la royauté, et suivi d'une troupe comme le lui avait fait demander Salomon; puis il alla chassant à sa maison d'Orreville. La troupe, à qui le roi Charles avait fait passer la Seine avec Carloman, dévasta quelques pays, mais revint, par l'ordre du roi Charles, sans avoir rien fait contre les Normands qu'elle était allée combattre, et ainsi chacun retourna chez soi.

Les gens de Poitiers, ayant fait un vœu à Dieu et à saint Hilaire, furent, pour la troisième fois, attaqués par les Normands, desquels ils tuèrent plusieurs et mirent le reste en fuite ; et, après avoir prélevé sur le butin leur offrande volontaire, ils consacrèrent à saint Hilaire la dixième partie du reste. Le roi Charles étant revenu vers le commencement de décembre à Quierzy où il avait mandé plusieurs grands de son royaume, tant évêques que d'autres, et déjà irrité contre Hincmar, évêque de Laon, parce qu'il avait envoyé à Rome à son insu, et avait obtenu des lettres l'autorisant à ne se pas rendre devant lui, fut grandement offensé de ce que cet évêque continuait à lui résister avec opiniâtreté; en sorte que ledit évêque, souvent sommé de comparaître devant lui, et refusant d'y venir, se rendit à son siège sans la permission du roi, et excita sa colère plus que ne le requiert la gravité épiscopale. Charles venant à Compiègne, y célébra la Nativité du Seigneur.

 

 


 

[1] La traduction de Guizot me semble être la seule en français ; elle ne couvre que les années 840-882. Il existe une traduction anglaise assez récente et complète de ces Annales couvrant les années 830-882 ; cf. Janet L. Nelson, The Annals of St-Bertin: Ninth-Century Histories, 1991.

[2] Voir les Mémoires de Nithard.

[3] Hesbaye.

[4] Entre Troyes et Bar-sur-Aube.

[5] Aix-la-Chapelle.

[6] Comte de Nantes sous Louis le Débonnaire, et qui avait passé aux Bretons.

[7] Grégoire IV mourut le 25 janvier 844.

[8] Serge II.

[9] C'est le nom que donnent au pape la plupart des chroniques latines de ce temps. Nous le lui conserverons dans celle-ci.

[10] Exagération.

[11] Léon IV, pape de l'an 847 à l'an 855.

[12] Les Écossais et aussi les habitants du nord de l'Angleterre.

[13] Dorestad était le nom d'un des ports les plus importants de l'Europe médiévale. Dorestad était situé sur l'un des bras de l'embouchure du Rhin, sur les vestige d'un ancien fort romain, en un lieu correspondant aux Pays-Bas actuels, près de la ville de Wijk bij Duurstede.

[14] Aujourd'hui chef-lieu d'arrondissement dans le département des Deux-Sèvres.

[15] Quatenus illic dignum suae perfidiae.... Ici manquent, selon toute apparence, des mots que l'on a dû suppléer pour compléter le sens de la phrase.

[16] Anciens comtes de Nantes qui avaient pris part aux ravages des Bretons, et quelquefois même des Normands.

[17] Il faut probablement ajouter: Et que Charles n'avait pas observées.

[18] Les Wendes sont un peuple slave antique.

[19] Les présents de Charles-le-Chauve.

[20] De 837 à 858.

[21] Benoît III, pape de l'an 855 à l'an 858.

[22] Fossa-Givaldi, à une lieue de Vernon.

[23] En 856.

[24] Entre Rouen et le Pont-de-l'Arche.

[25] Le nom est omis dans le texte.

[26] Nicolas Ier, pape de l’an 858 à l'an 867.

[27] Ce mot manque dans le texte.

[28] Ou Pistes, auprès du Pont-de-l'Arche.

[29] Nomnodoca. Il y a lieu de croire que ce mot a été défiguré par les copistes; on ignore quelle ville il désigne.

[30] Proverbes, chap. i, v. 17.

[31] Près de La Fère.

[32] En 865.

[33] L’hèriban (heer-bann) était originairement l'amende imposée à ceux qui négligeaient de se rendre à l'armée ; plus tard, et à l'époque dont il s'agit ici, ce mot fut vaguement appliqué à divers impôts payés par les propriétaires tenus au service militaire.

[34] Il y a ici, dans le manuscrit, une lacune dont on ne connaît pas retendue, mais qui ne peut être considérable.

[35] Le 23 octobre.

[36] Dans le diocèse de Laon.

[37] Le 13 novembre 867.

[38] Adrien II, pape de 867 à 873.

[39] En 850.

[40] En 853.

[41] En 853.

[42] Le 12 octobre 867.