RETOUR À L’ENTRÉE DU SITE

ALLER à LA TABLE DES MATIÈRES d'AMMIEN MARCELLIN

 

AMMIEN MARCELLIN

HISTOIRE DE ROME

LIVRE XIV

Traduction: Collection des Auteurs latins publiés sous la direction de M. NISARD, Ammien Marcellin, Jornandès, ... , Paris Firmin Didot, 1860

 

 

 

 

LIBER XIV

I

1. Post emensos insuperabilis expeditionis eventus (01) languentibus partium animis, quas periculorum varietas fregerat et laborum, nondum tubarum cessante clangore vel milite locato per stationes hibernas, fortunae saevientis procellae tempestates alias rebus infudere communibus per multa illa et dira facinora Caesaris (02) Galli (03), qui ex squalore imo miseriarum in aetatis adultae primitiis ad principale culmen insperato saltu provectus ultra terminos potestatis delatae procurrens asperitate nimia cuncta foedabat. propinquitate enim regiae stirpis gentilitateque etiam tum Constantini nominis efferebatur in fastus, si plus valuisset, ausurus hostilia in auctorem suae felicitatis, ut videbatur.

2. Cuius acerbitati uxor grave accesserat incentivum, germanitate Augusti turgida supra modum, quam Hannibaliano regi fratris filio  (04) antehac Constantinus iunxerat pater, Megaera quaedam mortalis, inflammatrix saevientis adsidua, humani cruoris avida nihil mitius quam maritus; qui paulatim eruditiores facti processu temporis ad nocendum per clandestinos versutosque rumigerulos conpertis leviter addere quaedam male suetos falsa et placentia sibi discentes, adfectati regni vel artium nefandarum calumnias insontibus adfligebant.

3. eminuit autem inter humilia supergressa iam impotentia fines mediocrium delictorum nefanda Clematii cuiusdam Alexandrini nobilis mors repentina; cuius socrus cum misceri sibi generum, flagrans eius amore, non impetraret, ut ferebatur, per palatii pseudothyrum introducta, oblato pretioso reginae monili id adsecuta est, ut ad Honoratum tum comitem orientis formula missa letali omnino scelere nullo contactus idem Clematius nec hiscere nec loqui permissus occideretur.

4. Post hoc impie perpetratum quod in aliis quoque iam timebatur, tamquam licentia crudelitati indulta per suspicionum nebulas aestimati quidam noxii damnabantur. quorum pars necati, alii puniti bonorum multatione actique laribus suis extorres nullo sibi relicto praeter querelas et lacrimas, stipe conlaticia victitabant, et civili iustoque imperio ad voluntatem converso cruentam, claudebantur opulentae domus et clarae.

5. nec vox accusatoris ulla licet subditicii in his malorum quaerebatur acervis ut saltem specie tenus crimina praescriptis legum committerentur, quod aliquotiens fecere principes saevi: sed quicquid Caesaris implacabilitati sedisset, id velut fas iusque perpensum confestim urgebatur impleri.

6. excogitatum est super his, ut homines quidam ignoti, vilitate ipsa parum cavendi ad colligendos rumores per Antiochiae latera (05) cuncta destinarentur relaturi quae audirent. hi peragranter et dissimulanter honoratorum circulis adsistendo pervadendoque divites domus egentium habitu quicquid noscere poterant vel audire latenter intromissi per posticas in regiam nuntiabant, id observantes conspiratione concordi, ut fingerent quaedam et cognita duplicarent in peius, laudes vero supprimerent Caesaris, quas invitis conpluribus formido malorum inpendentium exprimebat.

7. Et interdum acciderat, ut siquid in penetrali secreto nullo citerioris vitae ministro praesente paterfamilias uxori susurrasset in aurem, velut Amphiarao referente aut Marcio (07), quondam vatibus inclitis, postridie disceret imperator. ideoque etiam parietes arcanorum soli conscii timebantur.

8. Adolescebat autem obstinatum propositum erga haec et similia multa scrutanda, stimulos admovente regina, quae abrupte mariti fortunas trudebat in exitium praeceps, cum eum potius lenitate feminea ad veritatis humanitatisque viam reducere utilia suadendo deberet, ut in Gordianorum actibus (08) factitasse Maximini truculenti (09) illius imperatoris rettulimus coniugem.

9. Novo denique perniciosoque exemplo idem Gallus ausus est inire flagitium grave, quod Romae cum ultimo dedecore temptasse aliquando dicitur Gallienus, et adhibitis paucis clam ferro succinctis vesperi per tabernas palabatur et conpita quaeritando Graeco sermone, cuius erat inpendio gnarus, quid de Caesare quisque sentiret. et haec confidenter agebat in urbe ubi pernoctantium luminum claritudo (06) dierum solet imitari fulgorem. postremo agnitus saepe iamque, si prodisset, conspicuum se fore contemplans, non nisi luce palam egrediens ad agenda quae putabat seria cernebatur. et haec quidem medullitus multis gementibus agebantur.

10. Thalassius vero ea tempestate praefectus praetorio praesens (10) ipse quoque adrogantis ingenii, considerans incitationem eius ad multorum augeri discrimina, non maturitate vel consiliis mitigabat, ut aliquotiens celsae potestates iras principum molliverunt, sed adversando iurgandoque cum parum congrueret, eum ad rabiem potius evibrabat, Augustum actus eius exaggerando creberrime (11) docens, idque, incertum qua mente, ne lateret adfectans. quibus mox Caesar acrius efferatus, velut contumaciae quoddam vexillum altius erigens, sine respectu salutis alienae vel suae ad vertenda opposita instar rapidi fluminis irrevocabili impetu ferebatur. 

LIVRE XIV 

I

1. On avait traversé les hasards d'une lutte interminable, et l'abattement s'emparait des deux partis après cette succession terrible d'efforts et de périls. Mais les sons de la trompette n'avaient pas cessé, les troupes n'étaient pas rentrées dans leurs cantonnements, que déjà le courroux non désarmé de la fortune ouvrait à l'État une série nouvelle de calamités, par les forfaits du César Gallus. D'un excès d'abaissement monté bien jeune encore, et par un retour inespéré du sort, au plus haut rang après le rang suprême, ce prince franchit bientôt les limites du pouvoir qui lui était confié, et souilla toute son administration par des actes d'une cruauté sauvage. L'éclat d'une parenté avec la famille impériale, rehaussé du nom de Constance, dont il venait d'être décoré, exaltait au plus haut degré son arrogance, et il était visible pour tous que la force seule lui manquait pour porter ses fureurs jusqu'à l'auteur même de son élévation. 

2. Sa femme, par ses conseils, irritait encore ses féroces instincts. Fille de Constantin, qui l'avait, en premières noces, mariée au roi Annibalien, son neveu, elle était démesurément enorgueillie d'appeler l'empereur régnant son frère. C'était Mégère incarnée: non moins altérée que son mari du sang humain, sans cesse elle excitait son penchant à le répandre. L'àge chez un tel couple ne fit que développer de plus en plus la science du mal. Il s'était organisé une police ténébreuse, composée des agents les plus perfidement habiles à tout envenimer dans des rapports de complaisance; et c'était par ces sourdes manoeuvres que les accusations de se livrer à la magie ou de prétendre au trône allaient frapper les têtes les plus innocentes. 

3. La soudaine catastrophe de Clémace, personnage éminent d'Alexandrie, marque surtout l'essor d'une tyrannie qui ne s'arrête plus aux crimes vulgaires. La belle-mère de ce dernier, éprise, dit-on, pour lui d'une vive passion, et n'ayant pu l'amener à y répondre, était parvenue à se glisser dans le palais par une entrée secrète; et là, faisant briller aux yeux de la reine un collier du plus grand prix , avait obtenu qu'un ordre d'exécution fût dépêché à Honorat, comte d'Orient. L'ordre reçu, Clémace, à qui l'on n'avait rien à imputer, est mis à mort avant d'avoir pu même ouvrir la bouche.

4. Après cet acte inouï, symptôme d'un arbitraire sans frein, chacun dut trembler pour d'autres victimes. En effet, sur l'ombre même d'un soupçon, les arrêts de mort, les confiscations se multiplièrent. Les infortunés qu'on arrachait à leurs pénates, sans leur laisser que la plainte et les larmes, en étaient réduits pour vivre à errer, tendant la main ; et jusqu'aux simples prescriptions de l'ordre public devenaient les auxiliaires d'un pouvoir impitoyable, en fermant à ces malheureux les portes des riches et des grands. On dédaignait de s'entourer des plus ordinaires précautions de la tyrannie. 

5. Pas un accusateur, même d'office, ne fit entendre sa voix subornée, ne fût-ce que pour jeter sur cet amas d'énormités une ombre de formes juridiques. Ce qu'une volonté de fer avait dicté était tenu pour légal et pour juste, et l'exécution suivait de près la sentence. On imagina encore de ramasser des gens sans aveu, de condition trop vile pour attirer l'attention de personne; et on les envoyait à la découverte dans chaque rue d'Antioche. 

6. Ces misérables allaient, venaient d'un air d'indifférence, se mêlant surtout aux groupes des gens de distinction, pénétrant dans les maisons riches sous prétexte d'obtenir une aumône. La tournée finie, chacun d'eux rentrant au palais par quelque porte dérobée, y faisait rapport de ce qu'il avait entendu ou recueilli de la seconde main. Un concert remarquable existait entre ces relations, d'abord pour mentir ou amplifier du double, ensuite pour supprimer toute expression laudative que la terreur aurait pu arracher de quelques bouches. 

7. Plus d'une fois il arriva qu'un mot dit à l'oreille, dans le secret de l'intimité, par un mari à sa femme, même sans témoin domestique, fut le lendemain su par César, qui semblait posséder les facultés divinatoires des Amphiaraüs et des Marcius d'autrefois. On en vint à craindre d'avoir les murs même pour confidents.

8. Cette fureur d'inquisition était encore aiguillonnée par la reine, qui semblait pousser impatiemment la fortune de son mari vers le précipice. Mieux inspirée, elle eût exercé pour le faire rentrer dans les voies de la clémence et de la vérité ce don de persuasion que la nature a donné à son sexe. Elle avait un beau modèle à suivre dans la femme de l'empereur Maximin, cette princesse que l'histoire des deux Gordiens a montrée constamment occupée du soin d'adoucir son féroce époux.

9. On vit Gallus, en dernier lieu, ne pas reculer devant un moyen périlleux autant qu'infâme, et dont Gallien, dit-on, avait fait jadis l'essai à Rome, au grand déshonneur de son administration. C'était de parcourir sur le soir les carrefours et les tavernes avec un petit nombre de satellites qui cachaient des épées sous leurs robes, s'enquérant à chacun en grec, langue dont l'usage lui était familier, de ce qu'on pensait de César. Voilà ce qu'il osa faire au milieu d'une ville ou l'éclairage de nuit rivalise avec la clarté du jour. A la longue cependant l'incognito s'éventa. Gallus, voyant alors qu'il ne pouvait mettre le pied dehors sans être reconnu, ne se permit plus d'excursions qu'en plein jour, et seulement quand il se croyait appelé par un intérêt sérieux. Mais l'impression de dégoût causée par une telle pratique n'en fut pas moins longtemps à s'effacer.

10. Thalasse, alors préfet du prétoire en assistance, esprit non moins intraitable que le prince, spéculait en quelque sorte sur l'irritation de cette nature farouche, pour la pousser à plus d'excès. Au lieu de chercher à ramener son maître par la douceur et la raison, comme l'ont parfois tenté avec succès ceux qui approchent les dépositaires du pouvoir, il prenait, au moindre dissentiment, une attitude d'opposition et de contrôle qui ne manquait pas de provoquer des accès de rage. Thalasse écrivait souvent à l'empereur, exagérant encore le mal, et affectant, on ne sait dans quelle vue, de faire que Gallus sût qu'il agissait ainsi. Grand surcroît d'exaspération pour ce dernier, qui se précipitait alors, à tout hasard, contre l'obstacle, et ne s'arrétait, non plus qu'un torrent; dans la voie de révolte où il s'était lancé.

II

1. Nec sane haec sola pernicies orientem diversis cladibus adfligebat. Namque et Isauri (12), quibus est usitatum saepe pacari saepeque inopinis excursibus cuncta miscere, ex latrociniis occultis et raris, alente inpunitate adulescentem in peius audaciam ad bella gravia proruperunt, diu quidem perduelles spiritus inrequietis motibus erigentes, hac tamen indignitate perciti vehementer, ut iactitabant, quod eorum capiti quidam consortes apud Iconium (13) Pisidiae oppidum in amphitheatrali spectaculo feris praedatricibus obiecti sunt praeter morem.

2. Atque, ut Tullius ait (14), ut etiam ferae fame monitae plerumque ad eum locum ubi aliquando pastae sunt revertuntur, ita homines instar turbinis degressi montibus impeditis et arduis loca petivere mari confinia, per quae viis latebrosis sese convallibusque occultantes cum appeterent noctes luna etiam tum cornuta ideoque nondum solido splendore fulgente nauticos observabant quos cum in somnum sentirent effusos per ancoralia, quadrupedo gradu repentes seseque suspensis passibus iniectantes in scaphas eisdem sensim nihil opinantibus adsistebant et incendente aviditate saevitiam ne cedentium quidem ulli parcendo obtruncatis omnibus merces opimas velut viles nullis repugnantibus avertebant. Haecque non diu sunt perpetrata.

3. Cognitis enim pilatorum caesorumque funeribus nemo deinde ad has stationes appulit navem, sed ut Scironis praerupta letalia (15) declinantes litoribus Cypriis contigui navigabant, quae Isauriae scopulis sunt controversa.

4. Procedente igitur mox tempore cum adventicium nihil inveniretur, relicta ora maritima in Lycaoniam adnexam Isauriae se contulerunt ibique densis intersaepientes itinera praetenturis provincialium et viatorum opibus pascebantur.

5. Excitavit hic ardor milites per municipia plurima, quae isdem conterminant, dispositos et castella, sed quisque serpentes latius pro viribus repellere moliens, nunc globis confertos, aliquotiens et dispersos multitudine superabatur ingenti, quae nata et educata inter editos recurvosque ambitus montium eos ut loca plana persultat et mollia, missilibus obvios eminus lacessens et ululatu truci perterrens.

6. Coactique aliquotiens nostri pedites ad eos persequendos scandere clivos sublimes etiam si lapsantibus plantis fruticeta prensando vel dumos ad vertices venerint summos, inter arta tamen et invia nullas acies explicare permissi nec firmare nisu valido gressus: hoste discursatore rupium abscisa volvente, ruinis ponderum inmanium consternuntur, aut ex necessitate ultima fortiter dimicante, superati periculose per prona discedunt.

7. Quam ob rem circumspecta cautela observatum est deinceps et cum edita montium petere coeperint grassatores, loci iniquitati milites cedunt. ubi autem in planitie potuerint reperiri, quod contingit adsidue, nec exsertare lacertos nec crispare permissi tela, quae vehunt bina vel terna, pecudum ritu inertium trucidantur.

8. Metuentes igitur idem latrones Lycaoniam magna parte campestrem cum se inpares nostris fore congressione stataria documentis frequentibus scirent, tramitibus deviis petivere Pamphyliam diu quidem intactam sed timore populationum et caedium, milite per omnia diffuso propinqua, magnis undique praesidiis conmunitam.

9. Raptim igitur properantes ut motus sui rumores celeritate nimia praevenirent, vigore corporum ac levitate confisi per flexuosas semitas ad summitates collium tardius evadebant. et cum superatis difficultatibus arduis ad supercilia venissent fluvii Melanis (16) alti et verticosi, qui pro muro tuetur accolas circumfusus, augente nocte adulta terrorem quievere paulisper lucem opperientes. Arbitrabantur enim nullo inpediente transgressi inopino adcursu adposita quaeque vastare, sed in cassum labores pertulere gravissimos.

10. Nam sole orto magnitudine angusti gurgitis sed profundi a transitu arcebantur et dum piscatorios quaerunt lenunculos vel innare temere contextis cratibus parant, effusae legiones, quae hiemabant tunc apud Siden (18), isdem impetu occurrere veloci. Et signis prope ripam locatis ad manus comminus conserendas denseta scutorum conpage semet scientissime praestruebant, ausos quoque aliquos fiducia nandi vel cavatis arborum truncis amnem permeare latenter facillime trucidarunt.

11. Unde temptatis ad discrimen ultimum artibus multum cum nihil impetraretur, pavore vique repellente extrusi et quo tenderent ambigentes venere prope oppidum Laranda.

12. Ibi victu recreati et quiete, postquam abierat timor, vicos opulentos adorti equestrium adventu cohortium, quae casu propinquabant, nec resistere planitie porrecta conati digressi sunt retroque concedentes omne iuventutis robur relictum in sedibus acciverunt.

13. Et quoniam inedia gravi adflictabantur, locum petivere Paleas nomine (17), vergentem in mare, valido muro firmatum, ubi conduntur nunc usque commeatus distribui militibus omne latus Isauriae defendentibus adsueti. circumstetere igitur hoc munimentum per triduum et trinoctium et cum neque adclivitas ipsa sine discrimine adiri letali, nec cuniculis quicquam geri posset, nec procederet ullum obsidionale commentum, maesti excedunt postrema vi subigente maiora viribus adgressuri.

14. Proinde concepta rabie saeviore, quam desperatio incendebat et fames, amplificatis viribus ardore incohibili in excidium urbium matris Seleuciae (19) efferebantur, quam comes tuebatur Castricius tresque legiones bellicis sudoribus induratae.

15. Horum adventum praedocti speculationibus fidis rectores militum tessera data sollemni armatos omnes celeri eduxere procursu et agiliter praeterito Calycadni fluminis ponte (20), cuius undarum magnitudo murorum adluit turres, in speciem locavere pugnandi. Neque tamen exiluit quisquam nec permissus est congredi. formidabatur enim flagrans vesania manus et superior numero et ruitura sine respectu salutis in ferrum.

16. Viso itaque exercitu procul auditoque liticinum cantu, represso gradu parumper stetere praedones exsertantesque minaces gladios postea lentius incedebant.

17. Quibus occurrere bene pertinax miles explicatis ordinibus parans hastisque feriens scuta qui habitus iram pugnantium concitat et dolorem proximos iam gestu terrebat sed eum in certamen alacriter consurgentem revocavere ductores rati intempestivum anceps subire certamen cum haut longe muri distarent, quorum tutela securitas poterat in solido locari cunctorum.

18. Hac ita persuasione reducti intra moenia bellatores obseratis undique portarum aditibus, propugnaculis insistebant et pinnis, congesta undique saxa telaque habentes in promptu, ut si quis se proripuisset interius, multitudine missilium sterneretur et lapidum.

19. Illud tamen clausos vehementer angebat quod captis navigiis, quae frumenta vehebant per flumen, Isauri quidem alimentorum copiis adfluebant, ipsi vero solitarum rerum cibos iam consumendo inediae propinquantis aerumnas exitialis horrebant.

20. Haec ubi latius fama vulgasset missaeque relationes adsiduae Gallum Caesarem permovissent, quoniam magister equitum longius ea tempestate distinebatur, iussus comes orientis Nebridius contractis undique militaribus copiis ad eximendam periculo civitatem amplam et oportunam studio properabat ingenti, quo cognito abscessere latrones nulla re amplius memorabili gesta, dispersique ut solent avia montium petiere celsorum. 

II. 

1. D'autres calamités affligeaient encore l'Orient à cette époque. On commît l'habitude inquiète des Isauriens: tantôt dans un état de calme apparent, et tantôt répandant partout la désolation par leurs courses inopinées, quelques actes de déprédation tentés furtivement de loin en loin leur ayant réussi, ils s'enhardirent par l'impunité jusqu'à se lancer dans une agression sérieuse. Ces hostilités jusque-là n'avaient eu que leur turbulence pour cause. Cette fois, et avec une sorte de jactance, ils mettaient en avant le sentiment national, révolté par un outrage insigne. Des prisonniers isauriens (chose inouïe!), avaient été livrés aux bêtes dans l'amphithéâtre d'Iconium en Pisidie:

2.  « La faim, a dit Cicéron, ramène les animaux féroces où ils ont une fois trouvé pâture. » Des masses de ces barbares désertent donc leurs rocs inaccessibles , et viennent, comme l'ouragan, s'abattre sur les côtes. Cachés dans le fond des ravins ou de creux vallons, ils épiaient l'arrivée des bâtiments de commerce, attendant pour agir que la nuit fût venue. La lune, alors dans le croissant, ne leur prêtait qu'assez de lumière pour observer, sans que leur présence fut trahie. Dés qu'ils supposaient les marins endormis, ils se hissaient des pieds et des mains le long des câbles d'ancrage, escaladaient sans bruit les embarcations, et prenaient ainsi les équipages à l'improviste. Excitée par l'appât du gain, leur férocité n'accordait de quartier à personne, et, le massacre terminé, faisait, sans choisir, main basse sur tout le butin.
Ce brigandage toutefois n'eut pas un long succès. 

3. On finit par découvrir les cadavres de ceux qu'ils avaient tués et dépouillés, et dès lors nul ne voulut relâcher. dans ces parages. Les navires évitaient la côte d'Isaurie comme jadis les sinistres rochers de Sciron, et rangeaient de concert le littoral opposé de l'île de Chypre. 

4. Cette défiance se prolongeant, les Isauriens quittèrent la plage qui ne leur offrait plus d'occasion de capture, pour se jeter sur le territoire de leurs voisins de Lycaonie. Là, interceptant les routes par de fortes barricades, ils rançonnaient pour vivre tout ce qui passait, habitants ou voyageurs.

5. Il y eut alors un mouvement de colère parmi les troupes romaines cantonnées dans les municipes nombreux du pays , ou dans les forts de la frontière. Mais l'invasion néanmoins ne laissait pas de s'étendre; car dans les premiers engagements qui eurent lieu, soit avec le gros des barbares, soit avec leurs partis détachés, les nôtres, partout inférieurs en nombre, ne combattirent qu'avec désavantage des ennemis nés et nourris au milieu des montagnes, gravissant toutes leurs aspérités avec la même aisance que nous marchons en plaine, et qui tantôt vous accablent de loin sous une grêle de traits , tantôt sèment l'épouvante par d'affreux hurlements. 

6. Souvent nos soldats, forcés pour les suivre d'escalader des pentes abruptes, en glissant et en s'accrochant aux ronces et aux broussailles des rochers, voyaient tout à coup, après avoir gagné quelque pic élevé, le terrain leur manquer pour se développer et manoeuvrer de pied ferme. Il fallait alors redescendre, au hasard d'être atteints par les quartiers de roches que l'ennemi, présent sur tous les points, faisait rouler sur leurs têtes; ou, s'il y avait nécessité de faire halte et de combattre, se résigner à périr sur place, écrasés par la chute de ces blocs monstrueux.

7. Finalement, on eut recours à une tactique mieux entendue : c'était d'éviter d'en venir aux mains tant que l'ennemi offrirait le combat sur les hauteurs, mais de tomber dessus, comme sur un vil troupeau, dès qu'il se montrerait en rase campagne. Des partis d'Isauriens s'y risquèrent souvent, et furent chaque fois taillés en pièces avant qu'un seul homme eût pu se mouvoir, ou brandir l'un des deux ou trois javelots dont ce peuple marche ordinairement armé.

8. Ces brigands commencèrent alors à regarder comme dangereuse l'occupation de la Lycaonie; car c'est généralement un pays de plaines, et plus d'une expérience leur avait démontré qu'ils ne pouvaient tenir contre nous en bataille rangée. Ils prennent donc des routes détournées, et pénètrent en Pamphilie, contrée intacte depuis longtemps, mais que la crainte de l'invasion et de ses désastres avait fait couvrir de postes militaires très rapprochés, et de fortes garnisons. 

9. Comptant sur la vigueur de leurs corps et l'agilité de leurs membres, ils s'étaient flattés de prévenir, par une marche forcée, la nouvelle de leur irruption; mais les sinuosités du chemin qu'ils s'étaient tracé, et l'élévation des crêtes à franchir, leur prirent plus de temps qu'ils n'avaient pensé. Et lorsque, surmontant ces premiers obstacles, ils arrivèrent aux escarpements da fleuve Mélas, dont le lit, profondément encaissé, forme une sorte de circonvallation autour de la contrée, la peur s'empara d'eux, d'autant plus qu'il était nuit close; et il fallut faire halte jusqu'au jour. Ils avaient compté passer le fleuve sans coup férir, puis tout surprendre et ravager à l'autre bord. Mais il leur restait à subir de rudes épreuves, et en pure perte. 

10. Au lever du jour, ils voient devant eux des rives ardues, un canal étroit mais profond, qu'il faut renoncer à franchir à la nage. Tandis qu'ils cherchent à se procurer des barques de pêcheurs, ou fabriquent à la hàte des radeaux en joignant ensemble des troncs d'arbres, les légions, qui hivernaient dans les environs de Sida, se portent en un clin d'oeil sur la rive opposée, y plantent résolument leurs aigles, et, improvisant un rempart de leurs boucliers habilement joints, n'eurent plus qu'à tailler en pièces tout ce qui se hasarda sur les radeaux, ou tenta le passage à l'aide des troncs d'arbres creusés. 

11. Les Isauriens, après s'être épuisés en efforts inutiles, cédèrent à la crainte autant qu'à la force; et, marchant à l'aventure, arrivèrent à Laranda, où ils passèrent quelque temps à se ravitailler et à se refaire. 

12. Revenus enfin de leur effroi, ils allaient tomber sur les riches bourgades des environs, quand l'approche fortuite d'un détachement de cavalerie, dont ils n'osèrent soutenir le choc dans une plaine, les contraignit de faire retraite. Tout en se repliant néanmoins, ils ne laissèrent pas de convoquer l'arrière-ban de leur jeunesse en état de porter les armes.

13. La faim, dont ils éprouvaient de nouveau les extrémités, les amène ensuite devant une ville nommée Paléa, voisine de la mer, et ceinte de fortes murailles: c'est encore aujourd'hui le magasin central des subsistances du corps d'occupation de l'Isaurie. Ils furent arrêtés devant cette forteresse trois jours et autant de nuits. Mais comme la place est sur un plateau qu'on ne peut escalader qu'à découvert, et que ni les travaux de mine ni aucun autre moyen de guerre n'était pour eux praticable, ils levèrent le siège, la douleur dans l'âme, mais poussés par la nécessité à tenter ailleurs quelque grand coup. 

14. Cet échec avait redoublé leur rage, aiguillonnée déjà par le désespoir et la faim. Bientôt toute cette masse, grossie des nouvelles recrues, s'élance avec une impétuosité irrésistible pour saccager la ville métropole de Séleucie. Le comte Castrice occupait alors cette place avec trois légions de vétérans aguerris. 

15. Au signal de leurs chefs, avertis à propos de l'approche des Isauriens, les troupes, aussitôt sur pied, font en avant un mouvement rapide, et, passant à la course le pont du fleuve Calicadne, dont les profondes eaux baignent le pied des tours qui protègent la ville, vont se ranger en bataille sur l'autre bord. Défenses furent faites néanmoins d'escarmoucher et de sortir des rangs; car tout était à redouter de l'aveugle furie de ces bandes, supérieures en nombre, et toujours prêtes à se jeter, au mépris de la vie, jusque sur la pointe de nos armes. 

16. Toutefois le son lointain des clairons et l'aspect d'une force régulière refroidirent un peu l'ardeur des barbares. Ils font halte, puis s'ébranlent de nouveau, mais cette fois d'un pas mesuré, et brandissant de loin leurs glaives d'un air de menace. 

17. Les nôtres, pleins de résolution, voulaient marcher à l'ennemi enseignes déployées, et frappaient de leurs piques sur leurs boucliers; moyen d'excitation toujours efficacement employé chez les soldats, et qui déjà produisait l'effet opposé chez leurs adversaires. Mais les chefs arrêtèrent cet élan: ils avaient réfléchi sur l'inconséquence de s'engager à découvert, quand on avait derrière soi l'abri de fortes murailles. 

18. On fait donc rentrer les troupes, qui sont distribuées sur les terrasses et postées aux créneaux avec provision de toute espèce de projectiles, afin d'accabler, sous une grêle de pierres et de traits, tout ce qui se montrerait à portée. 

19.  Les assiégés, cependant, avaient un grave sujet d'inquiétude. L'abondance régnait chez les Isauriens, qui avaient pu s'emparer des bateaux de l'approvisionnement des grains; tandis qu'au dedans des murs, les ressources ordinaires s'épuisant par la consommation de chaque jour, on se voyait menacé prochainement de toutes les horreurs de la famine.

20. Le bruit de ces événements se répandit, et dépêches sur dépêches en portèrent les détails à la connaissance de Gallus. Le prince s'en émut; et comme le général de la cavalerie était occupé au loin, il enjoignit à Nébride, comte d'Orient, de rassembler des forces de tous côtés, pour dégager à tout prix une possession si importante et par la grandeur de la ville et par les avantages de sa situation. A cette nouvelle, les Isauriens décampent; puis, sans rien tenter de plus qui soit digne de remarque, ils se dispersent, suivant leur tactique ordinaire, et regagnent leurs monts inaccessibles

III

1. Eo adducta re per Isauriam, rege Persarum (21) bellis finitimis inligato repellenteque a conlimitiis suis ferocissimas gentes, quae mente quadam versabili hostiliter eum saepe incessunt et in nos arma moventem aliquotiens iuvant, Nohodares quidam nomine e numero optimatum, incursare Mesopotamiam (22) quotiens copia dederit ordinatus, explorabat nostra sollicite, si repperisset usquam locum vi subita perrupturus.

2. Et quia Mesopotamiae tractus omnes crebro inquietari sueti praetenturis et stationibus servabantur agrariis, laevorsum flexo itinere Osdroenae subsederat extimas partes (23), novum parumque aliquando temptatum commentum adgressus. quod si impetrasset, fulminis modo cuncta vastarat. erat autem quod cogitabat huius modi.

3. Batnae (24) municipium in Anthemusia (25) conditum Macedonum manu priscorum ab Euphrate flumine brevi spatio disparatur, refertum mercatoribus opulentis, ubi annua sollemnitate prope Septembris initium mensis ad nundinas magna promiscuae fortunae convenit multitudo ad commercanda quae Indi mittunt et Seres (26) aliaque plurima vehi terra marique consueta.

4. Hanc regionem praestitutis celebritati diebus invadere parans dux ante edictus per solitudines Aboraeque amnis (27) herbidas ripas, suorum indicio proditus, qui admissi flagitii metu exagitati ad praesidia descivere Romana. Absque ullo egressus effectu deinde tabescebat immobilis. 

III. 

1.  Les choses en étaient là du côté de l'Isaurie. Le roi de Perse alors se trouvait engagé de sa personne dans une guerre de frontières avec des peuplades belliqueuses qui tour à tour, suivant le caprice du moment, sont pour lui des voisins hostiles ou des auxiliaires contre nous. Mais l'un de ses grands officiers, nommé Nohodarès, avait mission de harasser la Mésopotamie, et surveillait nos mouvements avec une inquiète vigilance, épiant le moment propice pour une irruption. 

2. Nobodarès, qui savait que cette contrée, constamment exposée aux insultes, était gardée dans toutes les directions par des postes et des ouvrages de défense, crut devoir faire un circuit sur la gauche, et alla s'embusquer sur la lisière de l'Osdroène; manoeuvre dont il est peu d'exemples, et qui, si elle eût réussi, aurait eu les effets de la foudre. On va pouvoir en juger.

3. A peu de distance de l'Euphrate, en Mésopotamie, on trouve Batné, fondée autrefois par les Macédoniens, aujourd'hui ville municipale. C'est la résidence d'un grand nombre de riches négociants, et le centre d'un commerce très actif, tant en produits de l'Inde et de la Sérique, qu'en denrées de toute provenance qui affluent sur ce marché par terre et par mer, et chaque année, dans les premiers jours de septembre, y attirent en foule des trafiquants de tous degrés. 

4. C'étaient précisément ces jours d'encombrement et de tumulte que Nohodarès avait marqués pour un coup de main. Il attendait le moment, caché parmi les hautes herbes des rives solitaires de l'Aboras; mais sa présence nous fut révélée par quelques-uns des siens que la crainte d'un châtiment avait fait déserter. Dès lors il abandonna son embuscade sans oser frapper un seul coup, et parut s'endormir dans une complète inaction.

IV

1. Saraceni (28) tamen nec amici nobis umquam nec hostes optandi, ultro citroque discursantes quicquid inveniri poterat momento temporis parvi vastabant milvorum rapacium similes, qui si praedam dispexerint celsius, volatu rapiunt celeri, aut nisi impetraverint, non inmorantur.

2. Super quorum moribus licet in actibus principis Marci (29) et postea aliquotiens memini rettulisse, tamen nunc quoque pauca de isdem expediam carptim.

3. Apud has gentes, quarum exordiens initium ab Assyriis ad Nili cataractas porrigitur et confinia Blemmyarum (30), omnes pari sorte sunt bellatores seminudi coloratis sagulis pube tenus amicti, equorum adiumento pernicium graciliumque camelorum per diversa se raptantes, in tranquillis vel turbidis rebus: nec eorum quisquam aliquando stivam adprehendit vel arborem colit aut arva subigendo quaeritat victum, sed errant semper per spatia longe lateque distenta sine lare sine sedibus fixis aut legibus: nec idem perferunt diutius caelum aut tractus unius soli illis umquam placet.

4. Vita est illis semper in fuga uxoresque mercenariae conductae ad tempus ex pacto atque, ut sit species matrimonii, dotis nomine futura coniunx hastam et tabernaculum offert marito, post statum diem si id elegerit discessura, et incredibile est quo ardore apud eos in venerem uterque solvitur sexus.

5. Ita autem quoad vixerint, late palantur, ut alibi mulier nubat, in loco pariat alio liberosque procul educat nulla copia quiescendi permissa.

6. Victus universis caro ferina est lactisque abundans copia qua sustentantur, et herbae multiplices et siquae alites capi per aucupium possint, et plerosque mos vidimus frumenti usum et vini penitus ignorantes (31).

7. Hactenus de natione perniciosa. nunc ad textum propositum revertamur. 

IV

1. D'un autre côté, les Sarrasins, que je ne nous souhaite ni pour amis ni pour ennemis, se montraient soudain, tantôt sur un point tantôt sur un autre, déprédateurs rapides de tout ce qui se trouvait sur leur chemin, et pareils au milan ravisseur, qui fond sur sa proie d'aussi haut qu'il la découvre; également prompt à disparaître, soit qu'il ait pu la saisir, ou qu'il ait manqué son coup. 

2. J'ai déjà parlé des habitudes de ce peuple en traçant l'histoire de l'empereur Marc-Aurèle et de quelques-uns des règnes suivants : j'en dirai encore deux mots. 

3. Répandue sur une région qui s'étend depuis l'Assyrie jusqu'aux cataractes du Nil et aux confins du pays des Blemmyes, cette race a même physionomie partout. Tous sont guerriers d'instinct, vont à demi nus, n'ayant pour tout vêtement qu'une courte casaque bigarrée, et changent continuellement de place, en paix comme en guerre, à l'aide de leurs coursiers agiles et de leurs maigres chameaux. Pas une main chez eux ne touche la charrue, ne cultive une plante, ne demande la subsistance de l'homme à la terre. Tout ce peuple erre indéfiniment dans de vastes solitudes, sans foyer, sans assiette fixe, et sans loi. Aucun ciel, aucun sol n'a de quoi l'arrêter longtemps. 

4. L'émigration est sa vie là, l'union de l'homme et de la femme n'est qu'un contrat de louage : pour toute forme matrimoniale, l'épouse, fiancée à prix fait et à temps, apporte, en manière de dot, une lance et une tente à son mari, se tenant prête, le terme expiré, à le quitter au moindre signe. On ne saurait dire avec quelle fureur, dans cette nation, les deux sexes s'abandonnent à l'amour. 

5. L'existence y est si mobile, qu'une femme se marie en un lieu, accouche dans un autre, et élève ses enfants loin de là, sans avoir, un moment, pris domicile. 

6. Ils se nourrissent universellement de venaison, de lait que leurs bestiaux fournissent en abondance, de plusieurs sortes d'herbes, dont leur sol offre une grande variété, et, quand ils peuvent, d'oiseaux pris au piège. Presque tous ceux que nous avons vus ignoraient l'usage du pain et du vin. 

7. C'est assez parler de cette nation dangereuse; reprenons notre récit.

V

1. Dum haec in oriente aguntur, Arelate hiemem agens Constantius post theatralis ludos atque circenses ambitioso editos apparatu diem sextum idus Octobres, qui imperii eius annum tricensimum terminabat, insolentiae pondera gravius librans, siquid dubium deferebatur aut falsum, pro liquido accipiens et conperto, inter alia excarnificatum Gerontium Magnentianae comitem partis exulari maerore multavit.

2. Utque aegrum corpus quassari etiam levibus solet offensis, ita animus eius angustus et tener, quicquid increpuisset, ad salutis suae dispendium existimans factum aut cogitatum, insontium caedibus fecit victoriam luctuosam.

3. Siquis enim militarium vel honoratorum (32) aut nobilis inter suos rumore tenus esset insimulatus fovisse partes hostiles, iniecto onere catenarum in modum beluae trahebatur et inimico urgente vel nullo, quasi sufficiente hoc solo, quod nominatus esset aut delatus aut postulatus, capite vel multatione bonorum aut insulari solitudine damnabatur.

4. Accedebant enim eius asperitati, ubi inminuta vel laesa amplitudo imperii dicebatur, et iracundae suspicionum quantitati proximorum cruentae blanditiae exaggerantium incidentia et dolere inpendio simulantium, si principis periclitetur vita, a cuius salute velut filo pendere statum orbis terrarum fictis vocibus exclamabant.

5. Ideoque fertur neminem aliquando ob haec vel similia poenae addictum oblato de more elogio revocari iussisse, quod inexorabiles quoque principes factitarunt. et exitiale hoc vitium, quod in aliis non numquam intepescit, in illo aetatis progressu effervescebat, obstinatum eius propositum accendente adulatorum cohorte.

6. Inter quos Paulus eminebat notarius (33) ortus in Hispania, glabro quidam sub vultu latens, odorandi vias periculorum occultas perquam sagax. is in Brittanniam missus ut militares quosdam perduceret ausos conspirasse Magnentio, cum reniti non possent, iussa licentius supergressus fluminis modo fortunis conplurium sese repentinus infudit et ferebatur per strages multiplices ac ruinas, vinculis membra ingenuorum adfligens et quosdam obterens manicis, crimina scilicet multa consarcinando a veritate longe discreta. unde admissum est facinus impium, quod Constanti tempus nota inusserat sempiterna.

7. Martinus agens illas provincias pro praefectis aerumnas innocentium graviter gemens saepeque obsecrans, ut ab omni culpa inmunibus parceretur, cum non inpetraret, minabatur se discessurum: ut saltem id metuens perquisitor malivolus tandem desineret quieti coalitos homines in aperta pericula proiectare.

8. Per hoc minui studium suum existimans Paulus, ut erat in conplicandis negotiis artifex dirus, unde ei Catenae inditum est cognomentum, vicarium ipsum (34) eos quibus praeerat adhuc defensantem ad sortem periculorum communium traxit. Et instabat ut eum quoque cum tribunis et aliis pluribus ad comitatum imperatoris vinctum perduceret: quo percitus ille exitio urgente abrupto ferro eundem adoritur Paulum. Et quia languente dextera, letaliter ferire non potuit, iam districtum mucronem in proprium latus inpegit. Hocque deformi genere mortis excessit e vita iustissimus rector ausus miserabiles casus levare multorum.

9. Quibus ita sceleste patratis Paulus cruore perfusus reversusque ad principis castra multos coopertos paene catenis adduxit in squalorem deiectos atque maestitiam, quorum adventu intendebantur eculei uncosque parabat carnifex et tormenta. et ex is proscripti sunt plures (35) actique in exilium alii, non nullos gladii consumpsere poenales. nec enim quisquam facile meminit sub Constantio, ubi susurro tenus haec movebantur, quemquam absolutum. 

V

1. Durant ces agitations de l'Orient, Constance, qui avait fixé sa résidence d'hiver à Arles, y célébrait fastueusement, par la pompe des jeux du Cirque et des représentations théâtrales, la trentième année de son règne, accomplie le 6 des ides d'octobre (10 octobre). Un penchant à la tyrannie, de plus en plus prononcé, lui faisait accueillir toute accusation, quelque chimérique ou douteuse qu'elle fût, comme positive et démontrée. Le comte Géronce entre autres, qui avait été du parti de Magnence, fut d'abord livré à la torture, puis envoyé en exil. 

2. Comme le plus léger attouchement révolte la sensibilité dans une partie malade, de même, pour cet esprit pusillanime et borné, le moindre bruit se traduisait en attentat, en complot formé contre sa vie. Ce qu'il fit de victimes par peur suffit à transformer sa victoire en calamité publique. 

3. Si élevé qu'on fût comme militaire ou comme honorable, ou par la considération acquise parmi les siens, on pouvait, sur un propos, sur un soupçon, se voir chargé de chaînes et traîné comme une bête fauve; et, sans même qu'un accusateur intervînt, on vous avait interrogé, ou seulement cité ; votre nom avait été prononcé; c'était assez pour qu'il s'ensuivît un arrêt de mort, de proscription ou d'exil.

4. Ces frayeurs sanguinaires, cette inquiétude fougueuse qui s'emparaient du prince à l'idée seule d'une atteinte portée à son pouvoir ou à sa personne, une homicide adulation travaillait encore à les accroître. C'était autour de lui comme un concert d'exagérations perfides, de doléances simulées, d'hypocrites déclamations sur les périls de cette vie précieuse, à laquelle tenaient, comme par un fil, les destinées de l'univers. 

5. Aussi est-il sans exemple qu'au moment où, suivant l'usage, le tableau des jugements rendus lui était soumis, il ait jamais révoqué une condamnation de cette nature; clémence assez commune pourtant chez les souverains les plus impitoyables. Et l'âge, qui d'ordinaire amortit les instincts féroces, ne fit que les développer chez lui, excité comme il l'était par les encouragements de cette tourbe de flatteurs qui ne le quittait point.

6. Au milieu d'eux se distinguait Paul le notaire. Cet Espagnol, qui cachait une astuce profonde sous sa face imberbe, était d'une adresse merveilleuse à pénétrer dans les secrets de chacun pour y trouver de quoi le perdre. II avait été envoyé en Bretagne avec mission de se saisir de quelques officiers signalés comme fauteurs du parti de Magnence, mais qui n'y avaient trempé qu'à leur corps défendant. Ce ministère de rigueur prit dans ses mains une extension indéfinie, comme l'inondation qui gagne de proche en proche; et bientôt une multitude d'existences se trouvèrent menacées. Ce n'était que ruine et désolation sur ses pas. Les prisons se remplirent d'hommes nés libres, dont les membres quelque fois étaient brisés sous le poids des chaînes; et cela, pour des crimes inventés à plaisir et dénués de toute vraisemblance. Tant d'excès aboutirent à une scène tragique, et qui imprime au règne de Constance une tache ineffaçable.

7. Martin, qui administrait ces provinces comme lieutenant des préfets, déplorait amèrement des actes d'un si odieux arbitraire. Souvent il avait intercédé en faveur des victimes, demandant grâce pour les innocents. Ne pouvant rien obtenir, il déclare en dernier lieu qu'il va se démettre de sa charge, croyant par cette menace intimider l'informateur sans pitié, et l'empècher de tirer les gens de leur repos pour en faire des coupables. 

8. Paul craignit en effet que sa propre influence n'en souffrit; et, par un trait nouveau de cette fatale habileté qui lui a valu le surnom de "Catena" (chaîne), au moment où le préfet par intérim défendait le plus chaudement les intérêts de ses administrés, il sut l'engager lui-même dans le danger commun. Déjà il pressait l'arrestation du nouveau prévenu, dans l'intention de le conduire enchaîné avec les autres à la cour de l'empereur. Martin, en présence d'un péril si pressant, se jette sur Paul l'épée nue, mais il frappa d'une main mal assurée, et, voyant le coup sans effet, tourna l'arme contre lui-même, et s'en perça le flanc. Ainsi périt misérablement le plus honnête des hommes, en s'efforçant de sauver des milliers d'infortunés. 

9. Après tant d'atrocités, Paul, tout couvert de sang, revint au camp où se trouvait l'empereur, traînant après lui une foule de captifs, tous pliant sous le poids des chaînes, et dans le plus déplorable état de misère et d'accablement. A leur arrivée ils trouvèrent les chevalets dressés, et le bourreau comme en permanence, au milieu de l'appareil des tortures. Ceux-ci furent proscrits, ceux-là exilés; le reste passa par le glaive. Car dans tout ce règne de Constance, où il suffisait d'un soupçon pour mettre en jeu les instruments de supplice, on aurait peine à trouver un seul exemple d'acquittement.

VI

1. Inter haec Orfitus praefecti potestate regebat urbem aeternam ultra modum delatae dignitatis sese efferens insolenter, vir quidem prudens et forensium negotiorum oppido gnarus, sed splendore liberalium doctrinarum minus quam nobilem decuerat institutus, quo administrante seditiones sunt concitatae graves ob inopiam vini (36): huius avidis usibus vulgus intentum ad motus asperos excitatur et crebros.

2. Et quoniam mirari posse quosdam peregrinos existimo haec lecturos forsitan, si contigerit, quamobrem cum oratio ad ea monstranda deflexerit quae Romae gererentur, nihil praeter seditiones narratur et tabernas et vilitates harum similis alias, summatim causas perstringam nusquam a veritate sponte propria digressurus.

3. Tempore quo primis auspiciis (37) in mundanum fulgorem surgeret victura dum erunt homines Roma, ut augeretur sublimibus incrementis, foedere pacis aeternae Virtus convenit atque Fortuna plerumque dissidentes, quarum si altera defuisset, ad perfectam non venerat summitatem.

4. Eius populus ab incunabulis primis ad usque pueritiae tempus extremum, quod annis circumcluditur fere trecentis, circummurana pertulit bella, deinde aetatem ingressus adultam post multiplices bellorum aerumnas Alpes transcendit et fretum, in iuvenem erectus et virum ex omni plaga quam orbis ambit inmensus, reportavit laureas et triumphos, iamque vergens in senium et nomine solo aliquotiens vincens ad tranquilliora vitae discessit.

5. Ideo urbs venerabilis post superbas efferatarum gentium cervices oppressas latasque leges fundamenta libertatis et retinacula sempiterna velut frugi parens et prudens et dives Caesaribus tamquam liberis suis regenda patrimonii iura permisit.

6. Et olim licet otiosae sint tribus pacataeque centuriae (38) et nulla suffragiorum certamina set Pompiliani redierit securitas temporis, per omnes tamen quotquot sunt partes terrarum, ut domina suscipitur et regina et ubique patrum reverenda cum auctoritate canities populique Romani nomen circumspectum et verecundum.

7. Sed laeditur hic coetuum magnificus splendor levitate paucorum incondita, ubi nati sunt non reputantium, sed tamquam indulta licentia vitiis ad errores lapsorum ac lasciviam. Ut enim Simonides lyricus docet, beate perfecta ratione vieturo ante alia patriam esse convenit gloriosam.

8. Ex his quidam aeternitati se commendari posse per statuas aestimantes eas ardenter adfectant quasi plus praemii de figmentis aereis sensu carentibus adepturi, quam ex conscientia honeste recteque factorum, easque auro curant inbracteari, quod Acilio Glabrioni delatum est primo (39), cum consiliis armisque regem superasset Antiochum. Quam autem sit pulchrum exigua haec spernentem et minima ad ascensus verae gloriae tendere longos et arduos, ut memorat vates Ascraeus (40), Censorius Cato monstravit. qui interrogatus quam ob rem inter multos... statuam non haberet malo inquit ambigere bonos quam ob rem id non meruerim, quam quod est gravius cur inpetraverim mussitare.

9. Alii summum decus in carruchis solito altioribus et ambitioso vestium cultu ponentes sudant sub ponderibus lacernarum, quas in collis insertas cingulis ipsis adnectunt nimia subtegminum tenuitate perflabiles, expandentes eas crebris agitationibus maximeque sinistra, ut longiores fimbriae tunicaeque perspicue luceant varietate liciorum effigiatae in species animalium multiformes (41).

10. Alii nullo quaerente vultus severitate adsimulata patrimonia sua in inmensum extollunt, cultorum ut puta feracium multiplicantes annuos fructus, quae a primo ad ultimum solem se abunde iactitant possidere, ignorantes profecto maiores suos, per quos ita magnitudo Romana porrigitur, non divitiis eluxisse sed per bella saevissima, nec opibus nec victu nec indumentorum vilitate gregariis militibus discrepantes opposita cuncta superasse virtute.

11. Hac ex causa conlaticia stipe Valerius humatur ille Publicola et subsidiis amicorum mariti inops cum liberis uxor alitur Reguli et dotatur ex aerario filia Scipionis (42), cum nobilitas florem adultae virginis diuturnum absentia pauperis erubesceret patris.

12. At nunc si ad aliquem bene nummatum tumentemque ideo honestus advena salutatum introieris, primitus tamquam exoptatus suscipieris et interrogatus multa coactusque mentiri, miraberis numquam antea visus summatem virum tenuem te sic enixius observantem, ut paeniteat ob haec bona tamquam praecipua non vidisse ante decennium Romam.

13. Hacque adfabilitate confisus cum eadem postridie feceris, ut incognitus haerebis et repentinus, hortatore illo hesterno clientes numerando, qui sis vel unde venias diutius ambigente agnitus vero tandem et adscitus in amicitiam si te salutandi adsiduitati dederis triennio indiscretus et per tot dierum defueris tempus, reverteris ad paria perferenda, nec ubi esses interrogatus et quo tandem miser discesseris, aetatem omnem frustra in stipite conteres summittendo.

14. Cum autem commodis intervallata temporibus convivia longa et noxia coeperint apparari vel distributio sollemnium sportularum (43), anxia deliberatione tractatur an exceptis his quibus vicissitudo debetur, peregrinum invitari conveniet, et si digesto plene consilio id placuerit fieri, is adhibetur qui pro domibus excubat aurigarum (44) aut artem tesserariam profitetur aut secretiora quaedam se nosse confingit.

15. Homines enim eruditos et sobrios ut infaustos et inutiles vitant, eo quoque accedente quod et nomenclatores (45) adsueti haec et talia venditare, mercede accepta lucris quosdam et prandiis inserunt subditicios ignobiles et obscuros.

16. Mensarum enim voragines et varias voluptatum inlecebras, ne longius progrediar, praetermitto illuc transiturus quod quidam per ampla spatia urbis subversasque silices sine periculi metu properantes equos velut publicos signatis quod dicitur calceis (46) agitant, familiarium agmina tamquam praedatorios globos post terga trahentes ne Sannione quidem, ut ait comicus, domi relicto (47). Quos imitatae matronae complures opertis capitibus et basternis per latera civitatis cuncta discurrunt.

17. Utque proeliorum periti rectores primo catervas densas opponunt et fortes, deinde leves armaturas, post iaculatores ultimasque subsidiales acies, si fors adegerit, iuvaturas, ita praepositis urbanae familiae suspensae digerentibus sollicite, quos insignes faciunt virgae dexteris aptatae velut tessera data castrensi iuxta vehiculi frontem omne textrinum incedit: huic atratum coquinae iungitur ministerium, dein totum promiscue servitium cum otiosis plebeiis de vicinitate coniunctis: postrema multitudo spadonum a senibus in pueros desinens, obluridi distortaque lineamentorum conpage deformes, ut quaqua incesserit quisquam cernens mutilorum hominum agmina detestetur memoriam Samiramidis (48) reginae illius veteris, quae teneros mares castravit omnium prima velut vim iniectans naturae, eandemque ab instituto cursu retorquens, quae inter ipsa oriundi crepundia per primigenios seminis fontes tacita quodam modo lege vias propagandae posteritatis ostendit.

18. Quod cum ita sit, paucae domus studiorum seriis cultibus antea celebratae nunc ludibriis ignaviae torpentis exundant, vocali sonu, perflabili tinnitu fidium resultantes. denique pro philosopho cantor et in locum oratoris doctor artium ludicrarum accitur et bybliothecis sepulcrorum ritu in perpetuum clausis organa fabricantur hydraulica (49), et lyrae ad speciem carpentorum ingentes tibiaeque et histrionici gestus instrumenta non levia.

19. Postremo ad id indignitatis est ventum, ut cum peregrini ob formidatam haut ita dudum alimentorum inopiam pellerentur ab urbe praecipites, sectatoribus disciplinarum liberalium inpendio paucis sine respiratione ulla extrusis, tenerentur minimarum adseclae veri, quique id simularunt ad tempus, et tria milia saltatricum ne interpellata quidem cum choris totidemque remanerent magistris.

20. Et licet quocumque oculos flexeris feminas adfatim multas spectare cirratas, quibus, si nupsissent, per aetatem ter iam nixus poterat suppetere liberorum, ad usque taedium pedibus pavimenta tergentes iactari volucriter gyris, dum exprimunt innumera simulacra, quae finxere fabulae theatrales.

21. Illud autem non dubitatur quod cum esset aliquando virtutum omnium domicilium Roma, ingenuos advenas plerique nobilium, ut Homerici bacarum suavitate Lotophagi (50), humanitatis multiformibus officiis retentabant.

22. Nunc vero inanes flatus quorundam vile esse quicquid extra urbis pomerium nascitur aestimant praeter orbos et caelibes, nec credi potest qua obsequiorum diversitate coluntur homines sine liberis Romae.

23. Et quoniam apud eos ut in capite mundi morborum acerbitates celsius dominantur, ad quos vel sedandos omnis professio medendi torpescit, excogitatum est adminiculum sospitale nequi amicum perferentem similia videat, additumque est cautionibus paucis remedium aliud satis validum, ut famulos percontatum missos quem ad modum valeant noti hac aegritudine colligati, non ante recipiant domum quam lavacro purgaverint corpus. Ita etiam alienis oculis visa metuitur labes.

24. Sed tamen haec cum ita tutius observentur, quidam vigore artuum inminuto rogati ad nuptias ubi aurum dextris manibus cavatis offertur, inpigre vel usque Spoletium pergunt. haec nobilium sunt instituta.

25. Ex turba vero imae sortis et paupertinae in tabernis aliqui pernoctant vinariis, non nulli velariis umbraculorum theatralium latent, quae Campanam imitatus lasciviam Catulus in aedilitate (51) sua suspendit omnium primus; aut pugnaciter aleis certant turpi sono fragosis naribus introrsum reducto spiritu concrepantes; aut quod est studiorum omnium maximum ab ortu lucis ad vesperam sole fatiscunt vel pluviis, per minutias aurigarum equorumque praecipua vel delicta scrutantes.

26. Et est admodum mirum videre plebem innumeram mentibus ardore quodam infuso cum dimicationum curulium eventu pendentem. haec similiaque memorabile nihil vel serium agi Romae permittunt. ergo redeundum ad textum. 

VI

1. Orfite, à cette époque, gouvernait à titre de préfet la ville éternelle, et, dans l'exercice de cette charge, dépassait audacieusement les bornes d'un pouvoir délégué; esprit capable et rompu à la pratique des affaires, mais en qui le défaut de culture se montrait à un degré presque honteux chez un homme bien né. Il éclata sous son administration des séditions graves, causées par la disette du vin, cette boisson dont l'usage immodéré est si fréquemment la cause immédiate des soulèvements populaires. 

2. Mais je me figure l'étonnement d'un étranger à qui ce livre tomberait entre les mains, en ne trouvant qu'émeutes, scènes d'ivrognerie, et autres semblables turpitudes, dans la relation de ce qui s'est passé à Rome à cette époque. Une explication est donc indispensable. Je la ferai courte et sincère autant qu'il dépendra de moi, et sans porter à la vérité aucune atteinte volontaire.

3. Au moment où cette Rome, dont la durée égalera celle du genre humain, apparut sur la scène du monde, un pacte eut lieu cette fois entre la Fortune et la Vertu, jusque-là si divisées, pour favoriser d'un commun accord les développements merveilleux de la cité naissante. Que l'une ou l'autre eût fait défaut, et Rome restait au-dessous de ce faîte de gloire où elle est parvenue.

4. Le peuple romain, à dater de son berceau jusqu'au temps où pour lui finit l'enfance, période de trois siècles environ, combat autour de ses murailles. De rudes guerres occupent encore son adolescence; c'est alors qu'il franchit les Alpes et la mer. L'âge viril pour lui n'est plus qu'une suite de triomphes. Il parcourt le monde, et de chaque pays que visitent ses armes il rapporte une moisson de lauriers. Enfin la vieillesse le gagne, et, bien que son seul nom remporte encore des victoires, il aspire au repos. 

5. Alors la cité vénérable, satisfaite d'avoir courbé sous son joug les nations les plus fières, et fondé une constitution sauvegarde éternelle de la liberté de ses enfants, choisit au milieu d'eux les Césars, pour leur confier, en prudent chef de famille, la tutelle du patrimoine commun.

6. Aujourd'hui plus d'inquiètes tribus, plus de centuries turbulentes, plus de tourmentes électorales; partout la sérénité du temps de Numa. Et cependant il n'est pas un point du globe où Rome ne soit saluée de reine et de maîtresse, où l'on ne s'incline devant l'antique majesté du sénat, où le nom romain ne soit craint et respecté.

7. Mais le noble corps du sénat voit sa splendeur ternie par la légèreté dissolue de quelques-uns de ses membres, qui ne gardent plus de ménagements dans le vice, et se livrent à des égarements de tous genres, sans vouloir se rappeler sur quel sol ils ont pris naissance; car, comme le dit le poète Simonide : "Point de bonheur complet si la patrie n'est glorieuse". 

8. Il en est parmi ces hommes qui croient éterniser leur nom en se faisant élever des statues : comme si l'on était mieux récompensé par d'inertes simulacres d'airain que par le témoignage de sa conscience ! Ils font même pour eux dorer le bronze; hommage qu'Acilius Glabrion obtint le premier, quand, par sa conduite autant que par ses armes, il eut mis à fin la guerre d'Antiochus. Ah ! qu'il vaut mieux se mettre au-dessus d'honneurs si puérils, n'aspirer qu'à la vraie gloire, et n'y marcher que par cette voie longue et pénible que dépeint le poète d'Ascra ! J'en appelle à cet égard à l'exemple de Caton le Censeur. Comment se fait-il, lui disait-on an jour, que parmi tant de statues élevées aux hommes illustres de notre pays on ne voie pas figurer la vôtre? "J'aime bien mieux, répondit-il, que les honnêtes gens disent : Comment n'est-elle pas là ? que : Comment s'y trouve-t-elle?"

9. Les uns mettent la gloire suprême dans l'exhaussement singulier d'un carrosse, ou dans une fastueuse recherche de costume. Leur mollesse succombe sous ces manteaux à trame si déliée, qu'une simple agrafe retient autour du cou, et qu'on fait voltiger rien qu'en soufflant dessus. A tous moments vous les voyez en secouer les plis, surtout du côté gauche : c'est pour faire valoir les franges de la bordure et le curieux travail d'une tunique parsemée de figures d'animaux qui font corps avec le tissu. 

10. D'autres vous viennent de but en blanc, et d'un air d'importance, faire parade de leur immense fortune. Vous en avez pour un jour entier à écouter l'énumération de leurs biens, le détail de leurs revenus, qui vont se multipliant d'année en année. Ils ignorent apparemment que leurs ancêtres, qui ont étendu si loin la puissance romaine, ne brillaient guère par leurs richesses. Ces hommes, dont l'énergie, aux prises avec tous les maux de la guerre, a triomphé de tant d'obstacles, n'étaient pas mieux pourvus, mieux nourris, mieux vêtus que le dernier soldat. 

11. Oui, il fallut une quête pour inhumer le grand Publicola. On se cotisa parmi les amis de Régulus pour subvenir à l'entretien de sa veuve et de ses enfants. La fille adulte d'un Scipion ne fut dotée qu'aux dépens du trésor public. 

12. Un sentiment de pudeur s'empara du sénat en voyant cette vierge consumer dans le célibat ses belles années parce que son père était pauvre et servait au loin la patrie.
Allez, honnête étranger, vous présenter chez un de nos Crésus du jour, si gonflés de leur opulence. Au premier abord vous êtes reçu à bras ouverts; il vous fait questions sur questions, jusqu'à vous obliger à mentir pour ne pas rester court. Émerveillé, vous chétif, d'être ainsi choyé dès la première vue par un personnage de cette importance, vous vous prenez à regretter de n'être pas venu à Rome dix ans plus tôt. 

13. Cette réception vous met en goût, vous y retournez le lendemain; mais vous n'êtes plus qu'un intrus, un importun; on vous fait attendre. Votre obligeant questionneur de la veille a bien d'autres affaires ! il compte ses espèces. Il lui faut une heure pour se rappeler qui vous êtes et d'où vous venez. Il se remet enfin votre figure, et vous voilà des siens. Mais après trois ans de cour assidue avisez-vous de faire une absence; au retour, c'est à recommencer. Quant à s'enquérir de ce que vous êtes devenu, il y songe autant que si vous n'étiez plus du monde. Vous passeriez votre vie près de ce soliveau, sans faire un pas de plus.

14. Mais il se prépare un de ces dîners en plusieurs actes, festins interminables et meurtriers; ou bien il s'agit de régler une distribution de sportules, suivant l'usage. Grave sujet de délibération. Donnera-t-on la préférence à un étranger sur telle autre personne à qui l'on doit un retour de politesse? Le scrutin dit oui. Qui donc ira chercher l'invitation? Celui qui aura, la nuit, fait sentinelle à la porte d'un cocher du cirque; ou quelque maître en l'art de jouer aux dés; ou le premier charlatan qui se dit possesseur de quelque grand secret.

15. Porte fermée aux hommes de savoir et de principes; ces gens ne sont bons à rien, et leur présence porte malheur. Ajoutez les fraudes intéressées des nomenclateurs; race qui tire argent de tout, et ne se fait guère scrupule d'introduire un nom subreptice, ni d'imposer à l'hospitalité ou à la munificence des grands un inconnu ou même un indigne.

16. Je ne peindrai pas ces gouffres appelés banquets, ni les mille raffinements que la sensualité y déploie. Mais que dire de ces courses extravagantes au travers de la ville? de ces chevaux lancés à toute bride, au mépris de tous dangers, sur le pavé rocailleux des rues, comme si l'on courait officiellement la poste avec les relais de l'État? de cette multitude de valets, véritable bande de voleurs que l'on traîne après soi, sans laisser même, comme dans la comédie, Sannion pour garder le logis ? L'exemple a porté fruit. On voit les dames romaines, à l'abri de leur voile, courir en litière de quartier en quartier. 

17. A la guerre, un tacticien habile a soin de garnir de soldats pesamment armés tout son front de bataille; mettant en seconde ligne les troupes légères, en troisième les gens de trait, et derrière eux enfin le corps de réserve, qu'on ne fait donner que comme dernière ressource. Cette armée de valets a de même ses directeurs de manoeuvres, tenant une baguette pour insigne, et disposant leur monde en conformité de l'ordre du jour. D'abord, à la hauteur de la voiture, s'avancent les esclaves de métiers: Après eux vient la population enfumée des cuisines; puis la valetaille sans emploi proprement dit, grossie de tous les fainéants du quartier. La marche est fermée par les eunuques de tout âge, les vieux en tête, tous également livides et difformes. A l'aspect de cette troupe hideuse, n'ayant d'hommes que le nom, on ne peut que maudire la mémoire de Sémiramis, qui, la première, soumit l'enfance à cette cruelle mutilation. C'est outrager la nature, et contrarier violemment ses vues. Car, dès les premiers moments de l'être, elle a marqué ces organes comme source de vie, comme principe de génération.

18. Qu'arrive-t-il? Le peu de maisons où le culte de l'intelligence était encore en honneur sont envahies par le goût des plaisirs, enfants de la paresse. On n'y entend plus que voix qui modulent, qu'instruments qui résonnent. Les chanteurs ont chassé les philosophes, et les professeurs d'éloquence ont cédé la place aux maîtres en fait de voluptés. On mure les bibliothèques comme les tombeaux. L'art ne s'ingénie qu'à fabriquer des orgues hydrauliques, des lyres colossales, des flûtes, et autres instruments de musique gigantesques, pour accompagner sur la scène la pantomime des bouffons. 

19. Enfin, un fait assez récent montre à quel point les idées sont perverties.
La crainte d'une disette ayant fait précipitamment expulser de Rome tous les étrangers, l'exécution s'étendit brutalement, même au très petit nombre qui exerçait des professions scientifiques et libérales, et sans leur laisser le temps de se reconnaître; tandis qu'on exceptait formellement de la mesure quiconque était de la suite des histrions, ou sut à propos se faire passer pour en être; tandis qu'on souffrait, sans leur adresser même une question, la présence de trois mille danseuses et d'autant de choristes, figurants ou directeurs. 

20. Aussi ne fait-on plus un pas sans rencontrer de ces femmes aux longs cheveux bouclés, qui auraient pu, étant mariées, donner chacune trois enfants à l'État, et dont toute l'existence consiste à balayer du pied le plancher d'un théâtre, à pirouetter sans fin sur elles-mêmes, à décrire, en un mot, toutes les évolutions, à prendre toutes les attitudes commandées par les caprices de l'art chorégraphique.

21. Il fut un temps où Rome était le sanctuaire de toutes les vertus. Alors sans doute, pour y retenir l'étranger, l'ingénieuse hospitalité des grands savait, sous mille formes, exercer ce pouvoir qu'Homère attribue aux fruits du pays des Lotophages. 

22. Maintenant, pour qu'on fasse fi de vous, il suffit à certaines gens que vous soyez né en dehors du Pomérium, à moins cependant que vous n'ayez l'avantage d'être veuf ou célibataire. Car on n'imaginerait point de quelles prévenances, de quel culte on devient l'objet, dès qu'on est sans lignée.

23. Rome est le centre d'action de l'univers entier. Il est donc naturel que les maladies y sévissent plus qu'ailleurs, et que souvent toutes les ressources de l'art médical deviennent impuissantes même pour les pallier. Or, voici le préservatif qu'on a imaginé : Quand on a quelque ami atteint d'une affection grave, on s'épargne le spectacle de ses souffrances. Autre précaution qui ne laisse pas que d'être efficace : Un valet est-il dépêché pour s'enquérir de la santé du patient? à son retour le logis lui est fermé, jusqu'à ce qu'il ait fait aux bains ablution complète. On craint la vue d'un malade même par intermédiaire: 

24. mais qu'il survienne une invitation à quelque noce, où l'argent se distribue à pleines mains; de tous ces gens si méticuleux sur leur santé il n'en est pas un, fût-il travaillé par la goutte, qui, ne trouve des jambes pour courir, s'il le faut, jusqu'à Spolète. Voilà la vie que se sont faite les grands.

25. Quant à la populace qui n'a ni feu ni lieu, tantôt elle passe la nuit dans les cabarets, et tantôt elle dort à l'abri de ces tentures dont Catulus, étant édile, s'avisa le premier, par un raffinement emprunté à la mollesse campanienne, de couvrir nos amphithéâtres; ou bien elle se livre avec fureur au jeu des dés, retenant son haleine, qu'elle chasse ensuite avec un bruit dont l'oreille est choquée; ou bien encore (et c'est là le goût qui domine) on la voit du matin au soir, bravant le soleil et la pluie, s'exténuer en débats sans fin touchant les moindres circonstances du mérite ou de l'infériorité relative de tel cheval ou de tel cocher. 

26. Étrange engouement que celui de tout un peuple respirant à peine dans l'attente du résultat d'une course de chars ! Voilà les préoccupations auxquelles Rome est livrée, et qui n'y laissent place pour rien de sérieux. Mais revenons à notre sujet.

VII

1. Latius iam disseminata licentia onerosus bonis omnibus Caesar nullum post haec adhibens modum orientis latera cuncta vexabat nec honoratis parcens nec urbium primatibus nec plebeiis.

2. Denique Antiochensis ordinis vertices sub uno elogio iussit occidi ideo efferatus, quod ei celebrari vilitatem intempestivam urgenti, cum inpenderet inopia, gravius rationabili responderunt; et perissent ad unum ni comes orientis tunc Honoratus fixa constantia restitisset.

3. Erat autem diritatis eius hoc quoque indicium nec obscurum nec latens, quod ludicris cruentis delectabatur et in circo sex vel septem aliquotiens vetitis certaminibus pugilum (52) vicissim se concidentium perfusorumque sanguine specie ut lucratus ingentia laetabatur.

4. Accenderat super his incitatum propositum ad nocendum aliqua mulier vilis, quae ad palatium ut poposcerat intromissa insidias ei latenter obtendi (53) prodiderat a militibus obscurissimis. Quam Constantina exultans ut in tuto iam locata mariti salute muneratam vehiculoque inpositam per regiae ianuas emisit in publicum, ut his inlecebris alios quoque ad indicanda proliceret paria vel maiora.

5. Post haec Gallus Hierapolim profecturus ut expeditioni specie tenus adesset, Antiochensi plebi suppliciter obsecranti ut inediae dispelleret metum, quae per multas difficilisque causas adfore iam sperabatur, non ut mos est principibus, quorum diffusa potestas localibus subinde medetur aerumnis, disponi quicquam statuit vel ex provinciis alimenta transferri conterminis, sed consularem Syriae Theophilum (54) prope adstantem ultima metuenti multitudini dedit id adsidue replicando quod invito rectore nullus egere poterit victu.

6. Auxerunt haec vulgi sordidioris audaciam, quod cum ingravesceret penuria commeatuum, famis et furoris inpulsu Eubuli cuiusdam inter suos clari domum ambitiosam ignibus subditis inflammavit rectoremque ut sibi iudicio imperiali addictum calcibus incessens et pugnis conculcans seminecem laniatu miserando discerpsit. Post cuius lacrimosum interitum in unius exitio quisque imaginem periculi sui considerans documento recenti similia formidabat.

7. Eodem tempore Serenianus ex duce, cuius ignavia populatam in Phoenice Celsen ante rettulimus, pulsatae maiestatis imperii reus iure postulatus ac lege, incertum qua potuit suffragatione absolvi, aperte convictus familiarem suum cum pileo, quo caput operiebat, incantato vetitis artibus ad templum misisse fatidicum, quaeritatum expresse an ei firmum portenderetur imperium, ut cupiebat, et cunctum.

8. Duplexque isdem diebus acciderat malum, quod et Theophilum insontem atrox interceperat casus, et Serenianus dignus exsecratione cunctorum, innoxius, modo non reclamante publico vigore, discessit.

9. Haec subinde Constantius audiens et quaedam referente Thalassio doctus, quem eum odisse iam conpererat lege communi, scribens ad Caesarem blandius adiumenta paulatim illi subtraxit, sollicitari se simulans ne, uti est militare otium fere tumultuosum, in eius perniciem conspiraret, solisque scholis iussit esse contentum palatinis et protectorum cum Scutariis et Gentilibus (55), et mandabat Domitiano, ex comite largitionum, praefecto (56) ut cum in Syriam venerit, Gallum, quem crebro acciverat, ad Italiam properare blande hortaretur et verecunde.

10. Qui cum venisset ob haec festinatis itineribus Antiochiam, praestrictis palatii ianuis, contempto Caesare, quem videri decuerat, ad praetorium cum pompa sollemni perrexit morbosque diu causatus nec regiam introiit nec processit in publicum, sed abditus multa in eius moliebatur exitium addens quaedam relationibus supervacua, quas subinde dimittebat ad principem.

11. Rogatus ad ultimum admissusque in consistorium (57) ambage nulla praegressa inconsiderate et leviter proficiscere inquit ut praeceptum est, Caesar sciens quod si cessaveris, et tuas et palatii tui auferri iubebo prope diem annonas. Hocque solo contumaciter dicto subiratus abscessit nec in conspectum eius postea venit saepius arcessitus.

12. Hinc ille commotus ut iniusta perferens et indigna praefecti custodiam protectoribus mandaverat fidis. quo conperto Montius tunc quaestor acer quidem sed ad lenitatem propensior, consulens in commune advocatos palatinarum primos scholarum adlocutus est mollius docens nec decere haec fieri nec prodesse addensque vocis obiurgatorio sonu quod si id placeret, post statuas Constantii deiectas super adimenda vita praefecto conveniet securius cogitari.

13. His cognitis Gallus ut serpens adpetitus telo vel saxo iamque spes extremas opperiens et succurrens saluti suae quavis ratione colligi omnes iussit armatos et cum starent attoniti, districta dentium acie stridens adeste inquit viri fortes mihi periclitanti vobiscum.

14. Montius nos tumore inusitato quodam et novo ut rebellis et maiestati recalcitrantes Augustae per haec quae strepit incusat iratus nimirum quod contumacem praefectum, quid rerum ordo postulat ignorare dissimulantem formidine tenus iusserim custodiri.

15. Nihil morati post haec militares avidi saepe turbarum adorti sunt Montium primum, qui divertebat in proximo, levi corpore senem atque morbosum, et hirsutis resticulis cruribus eius innexis divaricaturn sine spiramento ullo ad usque praetorium traxere praefecti.

16. Et eodem impetu Domitianum praecipitem per scalas itidem funibus constrinxerunt, eosque coniunctos per ampla spatia civitatis acri raptavere discursu. iamque artuum et membrorum divulsa conpage superscandentes corpora mortuorum ad ultimam truncata deformitatem velut exsaturati mox abiecerunt in flumen.

17. Incenderat autem audaces usque ad insaniam homines ad haec, quae nefariis egere conatibus, Luscus quidam curator urbis subito visus: eosque ut heiulans baiolorum praecentor (58) ad expediendum quod orsi sunt incitans vocibus crebris. qui haut longe postea ideo vivus exustus est.

18. Et quia Montius inter dilancinantium manus spiritum efflaturus Epigonum et Eusebium nec professionem nec dignitatem ostendens aliquotiens increpabat, qui sint hi magna quaerebatur industria, et nequid intepesceret, Epigonus e Lycia philosophus ducitur et Eusebius ab Emissa Pittacas cognomento, concitatus orator, cum quaestor non hos sed tribunos fabricarum insimulasset promittentes armorum si novas res agitari conperissent.

19. Isdem diebus Apollinaris Domitiani gener, paulo ante agens palatii Caesaris curam, ad Mesopotamiam missus a socero per militares numeros immodice scrutabatur, an quaedam altiora meditantis iam Galli secreta susceperint scripta, qui conpertis Antiochiae gestis per minorem Armeniam lapsus Constantinopolim petit exindeque per protectores retractus artissime tenebatur.

20. Quae dum ita struuntur, indicatum est apud Tyrum indumentum regale (65) textum occulte, incertum quo locante vel cuius usibus apparatum. Ideoque rector provinciae tunc pater Apollinaris eiusdem nominis ut conscius ductus est aliique congregati sunt ex diversis civitatibus multi, qui atrocium criminum ponderibus urgebantur.

21. Iamque lituis cladium concrepantibus internarum non celate ut antea turbidum saeviebat ingenium a veri consideratione detortum et nullo inpositorum vel conpositorum fidem sollemniter inquirente nec discernente a societate noxiorum insontes velut exturbatum e iudiciis fas omne discessit, et causarum legitima silente defensione carnifex rapinarum sequester et obductio capitum et bonorum ubique multatio versabatur per orientales provincias, quas recensere puto nunc oportunum absque Mesopotamia digesta, cum bella Parthica dicerentur, et Aegypto, quam necessario aliud reieci ad tempus. 

VII

1. Déjà la tyrannie de César était suffisamment à charge aux gens de bien; mais elle passa bientôt toute mesure, et l'oppression, pesant indifféremment sur les hauts fonctionnaires publics, sur les magistrats des villes et même sur le bas peuple, s'étendit sur l'Orient tout entier.

2. Dans un accès de rage, il alla jusqu'à envelopper dans une liste d'exécution en masse les noms des citoyens les plus notables d'Antioche. Et cela, parce qu'il avait exigé la publication d'un abaissement arbitraire de tarif au moment où une disette était imminente, et que ceux-ci avaient fait à l'agent du fisc une réponse un peu vive. Pas un n'eût échappé sans la courageuse résistance d'Honorat, qui était encore alors comte d'Orient. 

3. On aurait pu juger des penchants cruels de ce prince, rien qu'à la passion qu'il affichait pour les spectacles qui font couler le sang. La représentation prohibée d'un combat de ceste, où cinq ou six couples de malheureux se meurtrissaient et s'ensanglantaient à l'envi sous ses yeux, dans le cirque, lui causait la joie d'une bataille gagnée. Cette disposition sanguinaire s'irrita encore par l'avis qu'il reçut d'une trame ourdie contre lui par quelques soldats des plus obscurs. 

4. La révélation venait d'une femme de basse condition, qui avait sollicité et obtenu qu'on l'introduisît au palais pour être entendue. Constantine, dans l'enthousiasme de cette découverte, et comme si les jours de son mari eussent été désormais assurés, combla de présents la délatrice, et la fit reconduire dans son propre char, par la porte d'honneur. On comptait que ces faveurs serviraient d'amorce à de nouvelles et plus importantes dénonciations.

5. Gallus allait se rendre à Hiérapolis, afin d'assister à l'expédition du moins pour la forme, quand d'instantes supplications lui furent adressées par la population d'Antioche, qui le pressait de la rassurer contre le danger d'une famine que rendait trop probable une réunion de fâcheuses circonstances. C'est le cas où un pouvoir étendu doit user de ses ressources pour le soulagement des souffrances locales. Gallus ne donna point d'ordre, ne prit aucune mesure, pour faire refluer les subsistances des provinces voisines. Mais en ce moment il avait à ses côtés Théophile, consulaire de Syrie. Ce fut littéralement une victime qu'il offrit en sacrifice aux terreurs de cette multitude; répétant avec affectation que les vivres ne pouvaient manquer qu'autant que le gouverneur le voulait bien. 

6. La populace prit ces mots pour un encouragement à des excès. Aussi le fléau ne fit pas plus tôt sentir ses rigueurs, qu'elle se porta en foule, sous l'inspiration de la colère et de la faim, vers la magnifique demeure d'Eubule, personnage en grande considération parmi les siens, et la réduisit en cendres. Déjà le gouverneur lui était comme adjugé par sentence du prince. Accablé de coups, foulé aux pieds, son corps fut enfin déchiré en lambeaux. Cette fin tragique fut pour plus d'un l'occasion d'un retour sur eux-mêmes, en leur montrant en perspective quel sort leur était réservé.

7. Au moment même où le meurtre se consommait, ce Sérénien dont la lâcheté, avons-nous dit, causa le pillage de la ville de Celse en Phénicie, devenu de général accusé, et accusé à juste titre, aux termes de la loi, du crime de lèse-majesté, obtenait, on ne sait comment, son absolution devant les juges. Il était établi jusqu'à l'évidence qu'un de ses gens, porteur de son propre bonnet, préalablement soumis à une opération magique, s'était présenté par son ordre à un temple où l'on prédisait l'avenir, et avait demandé au sort, en termes exprès, si son maître obtiendrait l'objet de ses voeux, l'empire sans partage. 

8. Déplorable coincidence! Théophile périt victime innocente de la fureur populaire; tandis que Sérénien, digne de l'exécration universelle, est scandaleusement acquitté dans le silence de la vindicte publique.

9. Constance, instruit de ces faits, et prévenu déjà par les rapports de Thallasse, qui venait de payer le tribut à la nature, ne cessa pas pour cela de correspondre sur le ton de la douceur avec Gallus. Mais il commença par lui retirer peu à peu les forces dont il disposait, sous couleur d'une bien. veillante sollicitude : "L'esprit turbulent du soldat, qui toujours fermente dans l'inaction, lui faisait appréhender pour César quelque conspiration militaire. Il suffisait d'ailleurs à sa sûreté de la présence des cohortes palatines et des protecteurs, renforcés des scutaires et des gentils". Il mandait en même temps au préfet Domitien, précédemment trésorier, de se rendre en Syrie près de Gallus, pour lui rappeler avec respect et avec mesure les invitations réitérées qu'il avait reçues de l'empereur de venir le joindre, en le pressant d'y déférer. 

10. Domitien, arrivé en toute hôte à Antioche, passe devant le palais sans se présenter à César, comme l'exigeait l'étiquette, et, en grande pompe, va droit au prétoire, où, sous prétexte d'indisposition, il reste plusieurs jours enfermé, sans mettre le pied à la cour ni paraître en public. Il ne fit durant cet intervalle que travailler à perdre César, surchargeant de détails, même insignifiants, les rapports qu'il adressait à Constance. 

11. A la fin, sommé par le prince de paraître devant lui, il entre au consistoire ; et là, sans aucune préparation, et du ton le plus inconsidéré : "César, dit-il, il faut partir. Obéissez à l'ordre que vous avez reçu; et sachez bien qu'à la moindre hésitation de votre part, je supprime ce qui est alloué pour votre entretien de bouche et celui de votre palais". Après cette étrange apostrophe, il sortit de l'air d'un supérieur mécontent, et refusa obstinément de reparaître à la cour, quelque injonction qu'il en reçût. 

12. Gallus, outré de ce qu'il appelait une offense à sa personne et à sa dignité, s'assura aussitôt du préfet, en plaçant près de lui un poste de protecteurs choisis parmi ses affidés.
A ce coup d'autorité, Montius, alors questeur, esprit sujet à l'entraînement, mais à qui toute violence était antipathique, crut devoir, dans l'intérét commun, se porter médiateur. Il réunit les chefs des cohortes palatines, et commence devant eux par insinuer sans aigreur que ce qu'on avait fait n'était ni convenable ni utile. Puis, s'échauffant peu à peu, il éleva la voix, et dit d'un ton d'amertume qu'après un tel procédé on n'avait plus qu'à renverser les statues de l'empereur, et mettre à mort le préfet. 

13. Gallus se redressa comme un serpent blessé, lorsqu'on lui rapporta ces paroles. Préoccupé déjà de vues gigantesques, et d'ailleurs incapable d'hésiter sur les moyens quand il s'agissait de sa propre sûreté, il fait mettre sur pied toutes ses forces, et fulmine, en grinçant les dents, cette allocution à la troupe étonnée : "A moi, braves amis ! notre péril est commun. Voici qui est nouveau et même étrange. 

14. Montius va déclamant contre nous, et nous signale avec emphase comme réfractaires, comme rebelles à la majesté impériale! Et pourquoi cet emportement? Parce qu'un préfet insolent a méconnu son devoir, et que je l'ai mis sous bonne garde, seulement pour lui donner une leçon".

15. Il n'en fallut pas davantage à cette soldatesque avide de troubles. Montius se trouvait dans le voisinage. Ils se jettent sur ce vieillard infirme et débile, lui attachent des cordes grossières aux deux jambes, et le traînent presque écartelé, et retenant à peine un souffle de vie, jusqu'au prétoire du préfet. 

16. Domitien est également assailli, précipité par les degrés, garrotté des mêmes liens; et tous deux sont ainsi tirés çà et là au travers de la ville, de toute la vitesse des jambes de leurs bourreaux. Bientôt leurs cadavres sont démembrés; on foule encore sous les pieds les deux troncs, jusqu'à en effacer toute trace de la forme humaine; et la rage du soldat, enfin assouvie, abandonne ces restes au courant du fleuve. 

17. Une circonstance avait particulièrement poussé ces forcenés à cet excès de frénésie : ce fut l'apparition soudaine au milieu d'eux d'un nommé Luscus, préposé à quelque partie du service de la ville, et qui, pareil au précepteur, animant de la voix ses manoeuvres au travail, n'avait cessé par des vociférations de les exciter à ne pas s'arrêter en si beau chemin. Ce misérable fut, peu de temps après, brûlé vif pour ce même fait.

18. Les noms Épigonius et Eusèbe étaient sortis à plusieurs reprises de la bouche mourante de Montius, déchiré par les mains de ces furieux, mais sans qu'il eût articulé ni profession ni qualité. On fit jouer plus d'un ressort pour découvrir à qui appartenaient ces deux noms; et, afin de profiter de l'agitation des esprits, on fit venir de Lycie le philosophe Épigonius, et d'Émèse l'éloquent orateur Eusèbe, surnommé Pittacus. Ceux-ci n'étaient pas cependant les personnes que Montius avait voulu désigner. Les noms étaient ceux des tribuns des manufactures d'armes, lesquels avaient promis le secours de leurs arsenaux, au cas où quelque mouvement politique viendrait à s'opérer.

19. Apollinaire, gendre de Domitien, et naguère intendant du palais de César, parcourait alors, avec des instructions de son beau-père, les cantonnements de Mésopotamie. Sa mission, dont il s'acquittait peu discrètement, était de s'informer sous main si Gallus, dans quelque correspondance intime, n'aurait pas laissé percer des pensées de haute ambition. A la nouvelle des événements d'Antioche, Apollinaire s'enfuit à travers l'Arménie inférieure, cherchant à gagner Constantinople. Mais, atteint dans sa fuite par un détachement de protecteurs, il fut ramené à Antioche et emprisonné très étroitement. 

20. On apprit sur ces entrefaites qu'un manteau royal avait été clandestinement fabriqué à Tyr, sans qu'on eût pu découvrir qui en avait fait la commande, ni à qui il était destiné. Ce fut assez pour motiver l'arrestation du gouverneur de la province, père d'Apollinaire, et du même nom que lui. On se saisit également d'une multitude de personnes de différentes villes, sur la tête desquelles on faisait peser les plus graves accusations.

21. Ces malheurs publics s'accomplissaient comme à son de trompe. Le noir génie du prince ne cachait plus ses fureurs; la vérité blessait sa vue. Plus d'informations juridiques sur le mérite des charges; plus de différence entre les innocents et les coupables. Toute justice était bannie des tribunaux. En un mot, la défense muette, la spoliation organisée par l'entremise du bourreau, les exécutions multipliées, la confiscation partout; voilà quel tableau présentait alors l'Orient. C'est, je crois, le moment de jeter un coup d'oeil sur ces provinces, laissant de côté la Mésopotamie, dont j'ai donné une idée complète dans la relation de la campagne contre les Parthes, aussi bien que l'Égypte, sur laquelle il entre dans mon plan de revenir plus tard.

VIII

1. Superatis Tauri montis verticibus qui ad solis ortum sublimius attolluntur, Cilicia spatiis porrigitur late distentis dives bonis omnibus terra, eiusque lateri dextro adnexa Isauria, pari sorte uberi palmite viget et frugibus minutis, quam mediam navigabile flumen Calycadnus interscindit.

2. Et hanc quidem praeter oppida multa duae civitates exornant Seleucia opus Seleuci regis, et Claudiopolis quam deduxit coloniam Claudius Caesar. Isaura enim antehac nimium potens, olim subversa ut rebellatrix interneciva aegre vestigia claritudinis pristinae monstrat admodum pauca.

3. Ciliciam vero, quae Cydno amni exultat, Tarsus nobilitat, urbs perspicabilis hanc condidisse Perseus memoratur, Iovis filius et Danaes, vel certe ex Aethiopia profectus Sandan quidam nomine vir opulentus et nobilis et Anazarbus auctoris vocabulum referens, et Mopsuestia vatis illius domicilium Mopsi (60), quem a conmilitio Argonautarum cum aureo vellere direpto redirent, errore abstractum delatumque ad Africae litus mors repentina consumpsit, et ex eo cespite punico tecti manes eius heroici dolorum varietati medentur plerumque sospitales.

4. Hae duae provinciae bello quondam piratico catervis mixtae praedonum a Servilio pro consule missae sub iugum factae sunt vectigales. et hae quidem regiones velut in prominenti terrarum lingua positae ob orbe eoo monte Amano disparantur.

5. Orientis vero limes (59) in longum protentus et rectum ab Euphratis fluminis ripis ad usque supercilia porrigitur Nili, laeva Saracenis conterminans gentibus, dextra pelagi fragoribus patens, quam plagam Nicator Seleucus occupatam auxit magnum in modum, cum post Alexandri Macedonis obitum successorio iure teneret regna Persidis, efficaciae inpetrabilis rex, ut indicat cognomentum.

6. Abusus enim multitudine hominum, quam tranquillis in rebus diutius rexit, ex agrestibus habitaculis urbes construxit multis opibus firmas et viribus, quarum ad praesens pleraeque licet Graecis nominibus appellentur, quae isdem ad arbitrium inposita sunt conditoris, primigenia tamen nomina non amittunt, quae eis Assyria lingua institutores veteres indiderunt.

7. Et prima post Osdroenam quam, ut dictum est, ab hac descriptione discrevimus, Commagena, nunc Euphratensis, clementer adsurgit, Hierapoli, vetere Nino et Samosata civitatibus amplis inlustris,

8. Dein Syria per speciosam interpatet diffusa planitiem. hanc nobilitat Antiochia, mundo cognita civitas, cui non certaverit alia advecticiis ita adfluere copiis et internis, et Laodicia et Apamia itidemque Seleucia iam inde a primis auspiciis florentissimae.

9. Post hanc adclinis Libano monti Phoenice, regio plena gratiarum et venustatis, urbibus decorata magnis et pulchris; in quibus amoenitate celebritateque nominum Tyros excellit, Sidon et Berytus isdemque pares Emissa et Damascus saeculis condita priscis.

10. Has autem provincias, quas Orontes ambiens amnis imosque pedes Cassii montis illius celsi praetermeans funditur in Parthenium mare, Gnaeus Pompeius superato Tigrane regnis Armeniorum abstractas dicioni Romanae coniunxit.

11. Ultima Syriarum est Palaestina per intervalla magna protenta, cultis abundans terris et nitidis et civitates habens quasdam egregias, nullam nulli cedentem sed sibi vicissim velut ad perpendiculum aemulas: Caesaream, quam ad honorem Octaviani principis exaedificavit Herodes, et Eleutheropolim et Neapolim itidemque Ascalonem Gazam aevo superiore exstructas.

12. In his tractibus navigerum nusquam visitur flumen sed in locis plurimis aquae suapte natura calentes emergunt ad usus aptae multiplicium medelarum. verum has quoque regiones pari sorte Pompeius Iudaeis domitis et Hierosolymis captis in provinciae speciem delata iuris dictione formavit.

13. Huic Arabia est conserta, ex alio latere Nabataeis contigua; opima varietate conmerciorum castrisque oppleta validis et castellis, quae ad repellendos gentium vicinarum excursus sollicitudo pervigil veterum per oportunos saltus erexit et cautos. Haec quoque civitates habet inter oppida quaedam ingentes Bostram et Gerasam atque Philadelphiam murorum firmitate cautissimas. Hanc provinciae inposito nomine rectoreque adtributo obtemperare legibus nostris Traianus conpulit imperator incolarum tumore saepe contunso cum glorioso marte Mediam urgeret et Parthos.

14. Cyprum itidem insulam procul a continenti discretam et portuosam inter municipia crebra urbes duae faciunt claram Salamis et Paphus, altera Iovis delubris altera Veneris templo insignis. Tanta autem tamque multiplici fertilitate abundat rerum omnium eadem Cyprus ut nullius externi indigens adminiculi indigenis viribus a fundamento ipso carinae ad supremos usque carbasos aedificet onerariam navem omnibusque armamentis instructam mari committat.

15. Nec piget dicere avide magis hanc insulam populum Romanum invasisse quam iuste. Ptolomaeo enim rege foederato nobis et socio ob aerarii nostri angustias iusso sine ulla culpa proscribi ideoque hausto veneno voluntaria morte deleto et tributaria facta est et velut hostiles eius exuviae classi inpositae in urbem advectae sunt per Catonem, nunc repetetur ordo gestorum. 

VIII

1. Quand on a surmonté la cime altière du Taurus, du versant occidental de la montagne on voit se dérouler, à droite, les vastes campagnes de la Cilicie; à gauche, la verte Isaurie, également fertile en vignobles et en moissons. Le Calycadne, fleuve navigable, partage en deux cette dernière province. 

2. Deux villes, entre cent autres, en font l'ornement : Séleucie, fondée par le roi Séleucus , et Claudiopolis, colonie de l'empereur Claude. Isaure, jadis trop puissante, et sur laquelle de sanglantes révoltes ont appelé la destruction, aujourd'hui montre à peine çà et là quelques vestiges de son ancienne grandeur.

3. La Cilicie, déjà fière d'être arrosée par le Cydnus, compte encore parmi ses titres de gloire Tarse, si digne d'attirer les regards; Tarse, incertaine si elle doit le jour à Persée, fils de Jupiter et de Danaé, ou à Sandan, noble et riche personnage venu d'Éthiopie; Anazarbe, dont le nom rappelle celui de son fondateur; et Mopsueste, séjour de Mopsus, compagnon des Argonautes, qui, séparé fortuitement de l'expédition comme elle revenait chargée de la dépouille dorée du bélier de Colchos, trouva sur la rive d'Afrique une fin prématurée. Depuis ce jour les mânes du héros, sous le sable punique qui le couvre, manifestent une vertu curative qu'on invoque rarement sans effet. 

4. Ces deux provinces, durant la guerre des pirates, firent cause commune avec ces brigands, furent domptées par le proconsul Servilius, et assujetties au tribut. Séparés du monde oriental par le mont Amanus, leurs territoires réunis n'occupent qu'une longue bande, formant saillie sur le littoral du continent. 

5. L'Orient est borné dans un autre sens par une large zone qui se prolonge en ligne directe du cours de l'Euphrate à la vallée du Nil, resserrée à gauche par les régions que parcourent les hordes sarrasines, et battue à droite par la mer. Cette contrée fut conquise et considérablement étendue par Séleucus Nicator, à qui échut le domaine propre des rois de Perse dans le partage de la succession d'Alexandre. 

6. Génie actif, et non moins heureux, comme l'indique son surnom, ce prince sut mettre à profit les intervalles de tranquillité de son long règne, et employer les milliers de bras qu'ils laissaient disponibles, à transformer les chétives demeures d'une population rustique en villes fortes et opulentes. Sous les noms grecs que leur imposa le fondateur, ces cités de nouvelle création conservent encore de vieilles dénominations assyriennes, qui perpétuent la tradition de leur origine.

7. Après l'Osdroène, que nous avons exceptée de cette description, vient la Comagène, qu'on appelle aujourd'hui Euphratensis. Le sol de cette province forme un plateau peu élevé, où l'on remarque deux villes importantes et renommées : Hiérapolis, qui est l'ancien Ninus, et Samosate. 

8. De là s'étendent les magnifiques plaines de la Syrie, célèbre par Antioche, sa métropole, qui est sans rivale par les richesses de son sol et par celles qu'y fait affluer le commerce; célèbre encore par les villes de Laodicée, d'Apamée et de Séleucie, toutes trois florissantes dès leur origine, et qui n'ont pas dégénéré.

9. Vient ensuite la Phénicie, qui s'appuie au mont Liban; pays charmant, d'un aspect enchanteur, et qu'embellissent encore de puissantes et splendides cités. Tyr, Sidon et Béryte brillent au milieu d'elles par les délices de leur séjour et l'éclat de leurs souvenirs; mais sans effacer Émesse ni Damas, leurs aînées. 

10. Toutes ces provinces sont arrosées par l'Oronte au cours sinueux, qui côtoie le mont Cassius, et se jette dans la mer Parthénienne. Elles formaient une dépendance de la couronne d'Arménie; mais Pompée, après avoir abattu Tigrane, opéra leur réunion à l'empire.

11. La Palestine, district le plus reculé de la Syrie, offre par intervalles de spacieuses vallées, d'une belle et riche culture. Elle a aussi ses villes d'élite, dont chacune serait en droit de disputer la prééminence, ou plutôt qui semblent toutes avoir passé sous un niveau. Telles sont Césarée, bâtie par Hérode en l'honneur de l'empereur Auguste; Eleuthéropolis et Néapolis; sans oublier Ascalon et Gaza, construites dans les siècles passés. 

12. On ne rencontre en ce pays aucun fleuve navigable; mais il abonde en eaux thermales, considérées comme spécifique pour toutes sortes de maux. C'est encore là une conquête de Pompée, qui, après avoir dompté les Juifs, réduisit le pays en province romaine sous l'autorité d'un gouverneur.

13. L'Arabie touche d'un côté à la Palestine, et, de l'autre, au pays des Nabathéens. C'est un pays riche en denrées d'exportation; et, pour le protéger contre les incursions des peuplades voisines, la politique vigilante des anciens possesseurs y a élevé nombre de châteaux et de forteresses, en choisissant avec discernement les meilleurs points de défense. On y compte aussi des villes considérables ceintes de fortes murailles, telles que Bostra, Gérasa et Philadelphie. L'empereur Trajan, durant son heureuse et brillante expédition contre les Parthes, donna plus d'une sévère leçon à l'orgueil des Arabes, et, finalement, soumit le pays à nos lois, après l'avoir constitué en province romaine, et lui avoir donné un gouverneur.

14. Un large bras de mer sépare l'île de Chypre du continent. Elle a d'excellents ports, et compte un grand nombre de villes municipales. Les plus renommées sont Salamine et Paphos, l'une par le culte de Jupiter, l'autre par son temple consacré à Vénus. Toutes choses y abondent à ce point que l'île, avec ses ressources propres et locales, et sans rien tirer du sol ni de l'industrie d'autres contrées, peut construire un navire de charge, de la quille à l'extrémité de la mâture, et le mettre à la mer muni de tous ses agrès. 

15. En s'emparant de ce pays, je ne crains pas de le dire, Rome a montré plus d'avidité que d'esprit de justice.
Ptolémée, qui y régnait, avait pour lui notre alliance, la foi des traités. Proscrit sans qu'on eût un seul reproche à lui faire, et uniquement parce que notre trésor avait des besoins, ce prince termine volontairement ses jours par le poison et voilà l'île rendue tributaire, comme on fait d'un ennemi vaincu, et ses dépouilles trausportées à Rome sur les vaisseaux de Caton. Mais reprenons l'ordre des faits.

IX

1. Inter has ruinarum varietates a Nisibi quam tuebatur (61) accitus Vrsicinus, cui nos obsecuturos iunxerat imperiale praeceptum, dispicere litis exitialis certamina cogebatur abnuens et reclamans, adulatorum oblatrantibus turmis, bellicosus sane milesque semper et militum ductor sed forensibus iurgiis longe discretus, qui metu sui discriminis anxius cum accusatores quaesitoresque subditivos sibi consociatos ex isdem foveis cerneret emergentes, quae clam palamve agitabantur, occultis Constantium litteris edocebat inplorans subsidia, quorum metu tumor notissimus Caesaris exhalaret.

2. Sed cautela nimia in peiores haeserat plagas, ut narrabimus postea, aemulis consarcinantibus insidias graves apud Constantium, cetera medium principem sed siquid auribus eius huius modi quivis infudisset ignotus, acerbum et inplacabilem et in hoc causarum titulo dissimilem sui.

3. Proinde die funestis interrogationibus praestituto imaginarius iudex equitum resedit magister (62) adhibitis aliis iam quae essent agenda praedoctis, et adsistebant hinc inde notarii, quid quaesitum esset, quidve responsum, cursim ad Caesarem perferentes, cuius imperio truci, stimulis reginae exsertantis aurem subinde per aulaeum, nec diluere obiecta permissi nec defensi periere conplures.

4. Primi igitur omnium statuuntur Epigonus et Eusebius ob nominum gentilitatem oppressi. praediximus enim Montium sub ipso vivendi termino his vocabulis appellatos fabricarum culpasse tribunos ut adminicula futurae molitioni pollicitos.

5. Et Epigonus quidem amictu tenus philosophus, ut apparuit, prece frustra temptata, sulcatis lateribus mortisque metu admoto turpi confessione cogitatorum socium, quae nulla erant, fuisse firmavit cum nec vidisset quicquam nec audisset penitus expers forensium rerum; Eusebius vero obiecta fidentius negans, suspensus in eodem gradu constantiae stetit latrocinium illud esse, non iudicium clamans.

6. Cumque pertinacius ut legum gnarus accusatorem flagitaret atque sollemnia, doctus id Caesar libertatemque superbiam ratus tamquam obtrectatorem audacem excarnificari praecepit, qui ita evisceratus ut cruciatibus membra deessent, inplorans caelo iustitiam, torvum renidens fundato pectore mansit inmobilis nec se incusare nec quemquam alium passus et tandem nec confessus nec confutatus cum abiecto consorte poenali est morte multatus. Et ducebatur intrepidus temporum iniquitati insultans, imitatus Zenonem illum veterem Stoicum (64) qui ut mentiretur quaedam laceratus diutius, avulsam sedibus linguam suam cum cruento sputamine in oculos interrogantis Cyprii regis inpegit.

7. Post haec indumentum regale quaerebatur et ministris fucandae purpurae tortis confessisque pectoralem tuniculam sine manicis textam, Maras nomine quidam inductus est ut appellant Christiani diaconus, cuius prolatae litterae scriptae Graeco sermone ad Tyrii textrini praepositum celerari speciem perurgebant quam autem non indicabant denique etiam idem ad usque discrimen vitae vexatus nihil fateri conpulsus est.

8. Quaestione igitur per multiplices dilatata fortunas cum ambigerentur quaedam, non nulla levius actitata constaret, post multorum clades Apollinares ambo pater et filius in exilium acti cum ad locum Crateras nomine pervenissent, villam scilicet suam quae ab Antiochia vicensimo et quarto disiungitur lapide, ut mandatum est, fractis cruribus occiduntur.

9. Post quorum necem nihilo lenius ferociens Gallus ut leo cadaveribus pastus multa huius modi scrutabatur. quae singula narrare non refert, me professione modum, quod evitandum est, excedamus. 

IX

1. Au milieu de la série de catastrophes que nous avons retracée plus haut, Ursicin, qui commandait à Nisibe, et sous les ordres duquel j'avais été placé par la volonté expresse de l'empereur, se voit tout à coup mandé à Antioche, et chargé, malgré lui, de présider l'instruction meurtrière qui allait s'ouvrir. Il obéit, mais en protestant à chaque pas, et ne cessant de faire tête à cette meute adulatrice qui aboyait autour de lui. Comme militaire, Ursicin était homme de tête et d'action; mais personne n'était moins capable de diriger une procédure. Alarmé sur ses propres périls en voyant quels gens lui étaient associés dans cette mission, accusateurs ou juges, tous sortis de la même caverne, il prit le parti de faire un secret rapport à Constance de tout ce qui se passait ostensiblement ou dans l'ombre, implorant de lui les moyens de tenir en bride chez Gallus cette fougue dont il ne connaissait que trop les écarts. 

2. Mais, ainsi que nous le verrons plus tard, cette précaution même fit donner Ursicin contre un écueil plus dangereux. Il avait des envieux qui ourdissaient trame sur trame pour le compromettre auprès de Constance; caractère, en général, assez modéré, mais trop enclin à prêter l'oreille aux confidences du premier venu, et qui devenait alors cruel, implacable, et tout à fait différent de lui-même.

3. Au jour marqué pour les sinistres interrogatoires, le maître de la cavalerie, vrai simulacre de juge, prend place au milieu d'assesseurs dont chacun avait sa leçon faite d'avance. Plusieurs notaires assistaient, commodément placés pour recueillir les questions et les réponses, et couraient aussitôt les rapporter à César. Cachée derrière une tapisserie, la reine prêtait une oreille avide aux débats; et les féroces injonctions de l'un, les incessantes provocations de l'autre, furent la perte de plus d'un accusé, à qui l'on ne permit pas même de discuter les charges, ni de présenter sa défense.

4. On fit comparaître en premier lieu Épigonius et Eusèbe, victimes tous deux d'une ressemblance de noms. On se souvient, en effet, que Montius, aux approches de la mort, avait comme jeté en l'air ces deux noms, voulant dénoncer les tribuns de la manufacture, qui lui avaient promis des armes en cas de soulèvement. 

5. Épigonius n'avait du philosophe que le manteau, comme il ne le fit que trop voir. Il descendit tout d'abord aux supplications les plus vaines; puis, les flancs sillonnés par le fer, et la mort sous les yeux, il confessa lâchement une prétendue participation à des complots imaginaires; lui qui, placé tout à fait en dehors du mouvement des affaires publiques, n'avait eu, dans le fait, d'entrevue avec personne ni reçu la moindre communication. Eusèbe, au contraire, nia tout avec constance, sans faiblir un instant au milieu des tortures, ne cessant de crier que c'était assassiner les gens, et non les juger.
Eusèbe, en homme familier avec les lois, avait insisté obstinément sur une confrontation avec son accusateur, et sur l'observation des formes. 

6. Cette revendication toute naturelle de ses droits, César la qualifia d'insurrection et de révolte, et ordonna d'arracher à cet insolent la chair de dessus les membres. L'exécution fut assez terrible pour ne plus laisser prise à l'instrument de torture sur les os mis à nu ; mais le patient la soutint immobile avec une incroyable énergie, souriant amèrement à ses bourreaux, et faisant appel à la justice divine. On ne lui arracha pas un aveu, pas une déposition quelconque, pas un signe d'acquiescement ou de soumission. Pour en finir, un arrêt, rendu de guerre lasse, l'envoya à la mort avec son abject compagnon d'infortune.Sa contenance intrépide, en marchant au supplice, semblait faire le procès à l'iniquité du temps. On eût dit ce Zénon, chef de l'ancienne école stoïque, qui, poussé à bout par les tortures du roi de Chypre, extirpa de ses dents sa langue, dont on exigeait un mensonge, et la cracha toute sanglante à la face du tyran.

7. Vint ensuite l'enquête touchant le manteau royal. Les ouvriers employés à teindre en pourpre furent mis à la torture, et déclarèrent avoir teint un corps de tunique sans manches. Sur cet indice, on arrêta un nommé Maras, qualifié de diacre parmi les chrétiens, dont on produisit une lettre écrite en grec au chef de la manufacture de Tyr, et contenant l'invitation de presser un ouvrage non spécifié. Maras, également appliqué à la question, et torturé jusqu'à la mort, ne révéla rien de plus. 

8. La question fut aussi employée en beaucoup d'autres cas, mais avec des résultats différents. Tantôt elle laissa subsister le doute, tantôt elle ne prouva que la légèreté des accusations. Quant aux deux Apollinaires, père et fils , les derniers d'une longue série de victimes, ils furent envoyés en exil. Mais à leur arrivée à Cratères, maison de campagne qu'ils possédaient à vingt-quatre milles d'Antioche, on leur rompit les jambes; après quoi ils furent mis à mort par ordre exprès de Gallus. 

9. La férocité du prince ne s'en tint pas là : tel qu'un lion dont la faim s'irrite par le carnage, il ne s'en montra que plus ardent aux recherches de ce genre. Mais je m'abstiendrai de l'y suivre pas à pas, pour ne point dépasser les limites que je me suis posées.

X

1. Haec dum oriens diu perferret, caeli reserato tepore Constantius consulatu suo septies et Caesaris ter egressus Arelate Valentiam petit, in Gundomadum et Vadomarium fratres Alamannorum reges arma moturus (63), quorum crebris excursibus vastabantur confines limitibus terrae Gallorum.

2. Dumque ibi diu moratur commeatus opperiens, quorum translationem ex Aquitania verni imbres solito crebriores prohibebant auctique torrentes, Herculanus advenit protector domesticus, Hermogenis ex magistro equitum filius, apud Constantinopolim, ut supra rettulimus, populari quondam turbela discerpti. Quo verissime referente quae Gallus egerat, damnis super praeteritis maerens et futurorum timore suspensus angorem animi quam diu potuit emendabat.

3. Miles tamen interea omnis apud Cabillona collectus morarum inpatiens saeviebat hoc inritatior, quod nec subsidia vivendi suppeterent alimentis nondum ex usu translatis.

4. Unde Rufinus ea tempestate praefectus praetorio ad discrimen trusus est ultimum. ire enim ipse compellebatur ad militem, quem exagitabat inopia simul et feritas, et alioqui coalito more in ordinarias dignitates asperum semper et saevum, ut satisfaceret atque monstraret, quam ob causam annonae convectio sit impedita.

5. Quod opera consulta cogitabatur astute, ut hoc insidiarum genere Galli periret avunculus (66), ne eum ut praepotens acueret in fiduciam exitiosa coeptantem. verum navata est opera diligens hocque dilato Eusebius praepositus cubiculi missus est Cabillona aurum secum perferens, quo per turbulentos seditionum concitores occultius distributo et tumor consenuit militum et salus est in tuto locata praefecti. deinde cibo abunde perlato castra die praedicto sunt mota.

6. Emensis itaque difficultatibus multis et nive obrutis callibus plurimis ubi prope Rauracum (67) ventum est ad supercilia fluminis Rheni, resistente multitudine Alamanna pontem suspendere navium conpage Romani vi nimia vetabantur ritu grandinis undique convolantibus telis, et cum id inpossibile videretur, imperator cogitationibus magnis attonitus, quid capesseret ambigebat.

7. Ecce autem ex inproviso index quidam regionum gnarus advenit et mercede accepta vadosum locum nocte monstravit unde superari potuit flumen: et potuisset aliorsum intentis hostibus exercitus inde transgressus nullo id opinante cuncta vastare, ni pauci ex eadem gente, quibus erat honoratioris militiae cura commissa, populares suos haec per nuntios docuissent occultos, ut quidam existimabant.

8. Infamabat autem haec suspicio Latinum domesticorum comitem et Agilonem tribunum stabuli atque Scudilonem Scutariorum rectorem, qui tunc ut dextris suis gestantes rem publicam colebantur.

9. At barbari suscepto pro instantium rerum ratione consilio, dirimentibus forte auspicibus vel congredi prohibente auctoritate sacrorum, mollito rigore, quo fidentius resistebant, optimates misere delictorum veniam petituros et pacem.

10. Tentis igitur regis utriusque legatis et negotio tectius diu pensato cum pacem oportere tribui, quae iustis condicionibus petebatur, eamque ex re tum fore sententiarum via concinens adprobasset, advocato in contionem exercitu imperator pro tempore pauca dicturus tribunali adsistens circumdatus potestatum coetu celsarum ad hunc disservit modum:

11. Nemo quaeso miretur, si post exsudatos labores itinerum longos congestosque adfatim commeatus fiducia vestri ductante barbaricos pagos adventans velut mutato repente consilio ad placidiora deverti.

12. Pro suo enim loco et animo quisque vestrum reputans id inveniet verum, quod miles ubique, licet membris vigentibus firmus, se solum vitamque propriam circumspicit et defendit, imperator vero officiosus dum metuit omnibus, alienae custos salutis nihil non ad sui spectare tutelam rationes populorum cognoscit et remedia cuncta quae status negotiorum admittit, arripere debet alacriter secunda numinis voluntate delata.

13. Ut in breve igitur conferam et ostendam qua ex causa omnes vos simul adesse volui, commilitones mei fidissimi, accipite aequis auribus quae succinctius explicabo. Veritas enim absoluta semper ac perquam est simplex.

14. Arduos vestrae gloriae gradus, quos fama per plagarum quoque accolas extimarum diffundit, excellenter adcrescens, Alamannorum reges et populi formidantes per oratores quos videtis summissis cervicibus concessionem praeteritorum poscunt et pacem. Quam ut cunctator et cautus utiliumque monitor, si vestra voluntas adest, tribui debere censeo multa contemplans. Primo ut Martis ambigua declinentur, dein ut auxiliatores pro adversariis adsciscamus quod pollicentur tum autem ut incruenti mitigemus ferociae flatus perniciosos saepe provinciis, postremo id reputantes quod non ille hostis vincitur solus, qui cadit in acie pondere armorum oppressus et virium, sed multo tutius etiam tuba tacente sub iugum mittitur voluntarius qui sentit expertus nec fortitudinem in rebellis nec lenitatem in supplices animos abesse Romanis.

15. In summa tamquam arbitros vos quid suadetis opperior ut princeps tranquillus temperanter adhibere modum adlapsa felicitate decernens. Non enim inertiae sed modestiae humanitatique, mihi credite, hoc quod recte consultum est adsignabitur.

16. Mox dicta finierat, multitudo omnis ad, quae imperator voluit, promptior laudato consilio consensit in pacem ea ratione maxime percita, quod norat expeditionibus crebris fortunam eius in malis tantum civilibus vigilasse, cum autem bella moverentur externa, accidisse plerumque luctuosa, icto post haec foedere gentium ritu (68) perfectaque sollemnitate imperator Mediolanum ad hiberna discessit. 

X

1. Ce régime de souffrance se prolongeait pour l'Orient, lorsque Constance, consul pour la septième fois avec Gallus, qui l'était pour la troisième, partit d'Arles au retour de la belle saison, pour porter la guerre chez les Allemands, dont les fréquentes incursions, sous la conduite de leurs rois Gundomade et Vadomaire son frère, semaient le ravage parmi leurs voisins de la Gaule. 

2. Le prince s'arrêta longtemps à Valence, attendant des vivres d'Aquitaine, parce que les torrents, enflés par la fréquence extraordinaire des pluies, entravaient l'expédition des convois. Pendant ce séjour forcé arrive Herculanus, qui servait dans les protecteurs, et qui était fils de cet Hermogène, général de la cavalerie, massacré à Constantinople, ainsi qu'il a été dit plus haut, dans un soulèvement populaire. L'empereur, au fidèle rapport que lui fit cet officier de la conduite de Gallus, ne put que gémir amèrement sur le passé, et concevoir de vives alarmes pour l'avenir. Il fit toutefois effort pour cacher le trouble de son esprit. 

3. Cependant les troupes concentrées sur Châlons s'irritaient de tant de retards; d'autant plus que, les convois n'arrivant pas, les distributions vinrent à manquer. 

4. Dans cette circonstance, Rufin, préfet du prétoire, eut à remplir la plus dangereuse des missions, celle de faire entendre raison aux soldats, en leur démontrant que la pénurie dont ils souffraient était involontaire. II lui était formellement enjoint d'entrer en pourparler avec ces esprits farouches, exaspérés par la faim, et naturellement portés à en vouloir à l'autorité civile.

5. Dans le fait, ce n'était rien moins qu'un coup monté pour le perdre; on voulait se défaire de cet oncle de Gallus, dont l'influence politique pouvait servir d'appui aux vues pernicieuses de son neveu. Mais il se tira d'affaire avec adresse, et le dessein fut ajourné. Eusèbe, grand chambellan, arriva ensuite à Châlons avec une somme considérable, dont la distribution, faite sous main entre les meneurs, calma l'effervescence, et assura la vie du préfet. Bientôt des arrivages nombreux rétablirent l'abondance dans l'armée, et l'on put prendre jour pour lever le camp.

6. Après plusieurs marches pénibles dans des défilés où il fallut se faire jour au travers des neiges, on atteignit enfin le Rhin près de Rauraque. Alors une multitude d'Allemands se montra sur l'autre rive, et, par une grêle de traits, empêcha les Romains de jeter un pont de bateaux. L'obstacle semblait insurmontable, et l'empereur, abîmé dans ses réflexions, ne savait quel parti prendre, 

7. quand il se présenta, lorsqu'on y pensait le moins, un guide bien au fait des localités, qui indiqua, moyennant salaire, un gué dont on se servit la nuit suivante. Le fleuve une fois franchi sur un point éloigné, tout ce pays allait être surpris et ravagé à l'improviste; mais l'ennemi, à qui il fallait dérober ce mouvement, en eut secrètement avis par des Allemands de nation, pourvus de grades éminents dans notre armée. 

8. Tel est du moins le soupçon qui plana sur trois officiers, le comte Latin des protecteurs, Agilon, grand écuyer, et Scudilon chef des scutaires, considérés tous trois jusque-là comme les plus fermes colonnes de l'empire. 

9. En présence d'un tel danger, les barbares tinrent conseil d'urgence sur ce qu'il y avait à faire; et, soit que les auspices aient été menaçants, ou qu'ils aient lu la défense de combattre dans leurs sacrifices, l'énergie qu'ils avaient montrée d'abord tomba tout à coup, et ils députèrent les principaux d'entre eux pour implorer la clémence de l'empereur et obtenir la paix. 

10. Les envoyés des deux rois furent reçus; et, après un mûr examen de leurs propositions, le conseil fut unanime pour la paix, dont les conditions semblaient raisonnables. Constance alors convoqua l'armée, et du haut de son tribunal, entouré de ses grands dignitaires, prononça cette courte allocution : 

11. "Qu'on ne se hâte point de trouver étrange que, parvenu au terme de si longues marches, disposant d'immenses approvisionnements, ayant tout lieu, comme je le fais, de compter sur mon armée, je puisse, au moment où nous foulons du pied le sol des barbares, changer de dessein, et revenir subitement à des idées de paix. 

12. Chacun de vous comprendra, s'il veut bien réfléchir, que le soldat, quelle que soit sa valeur individuelle, n'a que lui seul à considérer et à défendre; au lieu que l'empereur, qui veille sur les intérêts de tous, dont le dépôt est entre ses mains, connaît seul le fort et le faible de la chose publique, et seul, avec l'aide divine, peut appliquer sûrement au mal le remède. Prêtez-moi donc, braves compagnons, une oreille favorable. 

13. Je veux vous dire pourquoi je vous ai convoqués, et vous le dire en peu de mots. La vérité se montre sobre de paroles, et son langage va droit au but. 

14. La renommée a fait retentir votre gloire jusque dans les contrées qui touchent aux extrémités du monde. La nation des Allemands et ses rois s'en alarment; vous voyez leurs députés devant vous. Ils viennent, au nom de leurs compatriotes, nous supplier humblement d'oublier le passé, et de mettre fin à la guerre. Partisan comme je le suis de la modération et des conseils prudents et utiles, je pense qu'il est bon d'accéder à leurs prières. J'y vois de nombreux avantages. Nous évitons par là les chances toujours périlleuses des combats; d'adversaires qu'ils étaient, nous allons avoir, suivant leur promesse, les Allemands pour auxiliaires; nous apprivoisons, sans qu'il en coûte de sang, cette férocité si redoutable à nos provinces. Songez-y bien: on peut vaincre ailleurs que sur un champ de bataille, sans bruit de clairon, sans mettre le pied sur son ennemi; et cette domination est la plus sûre qu'on accepte, après expérience, de son énergie quand on lui résiste, de sa mansuétude quand on se soumet. 

15. En résumé, j'attends votre décision comme arbitres; je l'attends en prince ami de la paix, et qui tient à montrer sa moderation plus qu'à profiter de ses avantages. C'est aussi le parti que la raison vous conseille; et nul, croyez-moi, ne vous accusera d'avoir manqué de coeur, parce que vous aurez été généreux et humains".

16. A peine l'empereur eut cessé de parler, que la multitude, empressée de lui complaire, témoigne unanimement son approbation du discours, et se prononce pour la paix. Le rapprochement que voici contribua surtout à ce résultat : on avait remarqué que dans les fréquentes prises d'armes de son règne, Constance, toujours favorisé par la fortune contre les ennemis du dedans, n'avait guère éprouvé que des revers en présence de ceux du dehors. Le traité fut donc conclu suivont les rites nationaux des deux peuples ; et, les actes solennels accomplis, l'empereur alla passer l'hiver à Milan.

XI

1. Ubi curarum abiectis ponderibus aliis tamquam nodum et codicem difficillimum Caesarem convellere nisu valido cogitabat, eique deliberanti cum proximis clandestinis conloquiis et nocturnis qua vi, quibusve commentis id fieret, antequam effundendis rebus pertinacius incumberet confidentia, acciri mollioribus scriptis per simulationem tractatus publici nimis urgentis eundem placuerat Gallum, ut auxilio destitutus sine ullo interiret obstaculo.

2. Huic sententiae versabilium adulatorum refragantibus globis inter quos erat Arbetio ad insidiandum acer et flagrans, et Eusebius tunc praepositus cubiculi effusior ad nocendum id occurrebat Caesare discedente Vrsicinum in oriente perniciose relinquendum, si nullus esset, qui prohiberet altiora meditaturum.

3. Isdemque residui regii accessere spadones, quorum ea tempestate plus habendi cupiditas (69) ultra mortalem modum adolescebat, inter ministeria vitae secretioris per arcanos susurros nutrimenta fictis criminibus subserentes: qui ponderibus invidiae gravioris virum fortissimum opprimebant, subolescere imperio adultos eius filios mussitantes, decore corporum favorabiles et aetate, per multiplicem armaturae scientiam (70) agilitatemque membrorum inter cotidiana proludia exercitus consulto consilio cognitos: Gallum suopte ingenio trucem per suppositos quosdam ad saeva facinora ideo animatum ut eo digna omnium ordinum detestatione exoso ad magistri equitum liberos principatus insignia transferantur.

4. Cum haec taliaque sollicitas eius aures everberarent expositas semper eius modi rumoribus et patentes, varia animo tum miscente consilia, tandem id ut optimum factu elegit: et Vrsicinum primum ad se venire summo cum honore mandavit ea specie ut pro rerum tunc urgentium captu disponeretur concordi consilio, quibus virium incrementis Parthicarum gentium a arma minantium impetus frangerentur.

5. Et nequid suspicaretur adversi venturus, vicarius eius, dum redit, Prosper missus est comes: acceptisque litteris et copia rei vehiculariae data Mediolanum itineribus properavimus magnis.

6. Restabat ut Caesar post haec properaret accitus et abstergendae causa suspicionis sororem suam, eius uxorem, Constantius ad se tandem desideratam venire multis fictisque blanditiis hortabatur. Quae licet ambigeret metuens saepe cruentum, spe tamen quod eum lenire poterit ut germanum profecta, cum Bithyniam introisset, in statione quae Caenos Gallicanos (71) appellatur, absumpta est vi febrium repentina. cuius post obitum maritus contemplans cecidisse fiduciam qua se fultum existimabat, anxia cogitatione, quid moliretur haerebat.

7. Inter res enim inpeditas et turbidas ad hoc unum mentem sollicitam dirigebat, quod Constantius cuncta ad suam sententiam conferens nec satisfactionem suscipiet aliquam nec erratis ignoscet, sed, ut erat in propinquitatis perniciem inclinatior, laqueos ei latenter obtendens, si cepisset incautum, morte multaret.

8. Eo necessitatis adductus ultimaque ni vigilasset opperiens, principem locum, si copia patuisset [quam] adfectabat, sed perfidiam proximorum ratione bifaria verebatur, qui eum ut truculentum horrebant et levem, quique altiorem Constantii fortunam in discordiis civilibus formidabant.

9. Inter has curarum moles inmensas imperatoris scripta suscipiebat adsidua monentis orantisque, ut ad se veniret et mente monstrantis obliqua rem publicam nec posse dividi nec debere, sed pro viribus quemque ei ferre suppetias fluctuanti, nimirum Galliarum indicans vastitatem.

10. Quibus subserebat non adeo vetus exemplum quod Diocletiano et eius collegae ut apparitores Caesares non resides, sed ultro citroque discurrentes obtemperabant et in Syria Augusti vehiculum irascentis per spatium mille passuum fere pedes antegressus est Galerius (72) purpuratus.

11. Advenit post multos Scudilo Scutariorum tribunus velamento subagrestis ingenii persuasionis opifex callidus. qui eum adulabili sermone seriis admixto solus omnium proficisci pellexit vultu adsimulato saepius replicando quod flagrantibus votis eum videre frater cuperet patruelis, siquid per inprudentiam gestum est remissurus ut mitis et clemens, participemque eum suae maiestatis adscisceret, futurum laborum quoque socium, quos Arctoae provinciae diu fessae poscebant.

12. Utque solent manum iniectantibus fatis hebetari sensus hominum et obtundi, his incelebris ad meliorum expectationem erectus egressusque Antiochia numine laevo ductante prorsus ire tendebat de fumo, ut proverbium loquitur vetus, ad flammam (73), et ingressus Constantinopolim tamquam in rebus prosperis et securis, editis equestribus ludis capiti Thoracis aurigae coronam inposuit (74) ut victoris.

13. Quo cognito Constantius ultra mortalem modum exarsit ac nequo casu idem Gallus de futuris incertus agitare quaedam conducentia saluti suae per itinera conaretur, remoti sunt omnes de industria milites agentes in civitatibus perviis.

14. Eoque tempore Taurus quaestor ad Armeniam missus confidenter nec appellato eo nec viso transivit. venere tamen aliqui iussu imperatoris administrationum specie diversarum, eundem ne commovere se posset, neve temptaret aliquid occulte custodituri, inter quos Leontius erat, postea urbi praefectus ut quaestor, et Lucillianus quasi domesticorum comes et Scutariorum tribunus nomine Bainobaudes.

15. Emensis itaque longis intervallis et planis cum Hadrianopolim introisset urbem Haemimontanam, Vscudamam antehac appellatam, fessasque labore diebus duodecim recreans vires conperit Thebaeas legiones in vicinis oppidis hiemantes consortes suos misisse quosdam, eum ut remaneret promissis fidis hortaturos et firmis, sui fiducia abunde per stationes locati confines, sed observante cura pervigili proximorum nullam videndi vel audiendi quae ferebant furari potuit facultatem.

16. Inde aliis super alias urgentibus litteris exire et decem vehiculis publicis, ut praeceptum est, usus relicto palatino omni praeter paucos tori ministros et mensae, quos avexerat secum, squalore concretus celerare gradum conpellebatur adigentibus multis, temeritati suae subinde flebiliter inprecatus, quae eum iam despectum et vilem arbitrio subdiderat infimorum.

17. Inter haec tamen per indutias naturae conquiescentis sauciabantur eius sensus circumstridentium terrore larvarum, interfectorumque catervae Domitiano et Montio praeviis correptum eum ut existimabat in somnis uncis furialibus obiectabant.

18. Solutus enim corporeis nexibus animus  (75) semper vigens motibus indefessis et cogitationibus subiectus et curis, quae mortalium sollicitant mentes, colligit visa nocturna, quas phantasias nos appellamus.

19. Pandente itaque viam fatorum sorte tristissima, qua praestitutum erat eum vita et imperio spoliari, itineribus interiectis permutatione iumentorum emensis venit Petobionem oppidum Noricorum (76), ubi reseratae sunt insidiarum latebrae omnes, et Barbatio repente apparuit comes, qui sub eo domesticis praefuit, cum Apodemio agente in rebus milites ducens, quos beneficiis suis oppigneratos elegerat imperator certus nec praemiis nec miseratione ulla posse deflecti.

20. Iamque non umbratis fallaciis res agebatur, sed qua palatium est extra muros, armatis omne circumdedit. ingressusque obscuro iam die, ablatis regiis indumentis Caesarem tunica texit et paludamento communi, eum post haec nihil passurum velut mandato principis iurandi crebritate confirmans et statim inquit exsurge et inopinum carpento privato inpositum ad Histriam duxit prope oppidum Polam, ubi quondam peremptum Constantini filium accepimus Crispum (77).

21. Et cum ibi servaretur artissime terrore propinquantis exitii iam praesepultus, accurrit Eusebius cubiculi tunc praepositus Pentadiusque notarius et Mallobaudes armaturarum tribunus iussu imperatoris conpulsuri eum singillatim docere, quam ob causam quemque apud Antiochiam necatorum iusserat trucidari.

22. Ad quae Adrasteo pallore (78) perfusus hactenus valuit loqui, quod plerosque incitante coniuge iugulaverit Constantina, ignorans profecto Alexandrum Magnum (79) urgenti matri ut occideret quendam insontem, et dictitanti spe impetrandi postea quae vellet eum se per novem menses utero portasse praegnantem, ita respondisse prudenter aliam, parens optima, posce mercedem; hominis enim salus beneficio nullo pensatur.

23. Quo conperto inrevocabili ira princeps percitus et dolore fiduciam omnem fundandae securitatis in eodem posuit abolendo. Et misso Sereniano, quem in crimen maiestatis vocatum praestigiis quibusdam absolutum esse supra monstravimus, Pentadio quin etiam notario et Apodemio agente in rebus, eum capitali supplicio destinavit (80), et ita conligatis manibus in modum noxii cuiusdam latronis cervice abscisa ereptaque vultus et capitis dignitate cadaver est relictum informe paulo ante urbibus et provinciis formidatum.

24. Sed vigilavit utrubique superni numinis aequitas. nam et Gallum actus oppressere crudeles, et non diu postea ambo cruciabili morte absumpti sunt, qui eum licet nocentem blandius palpantes periuriis ad usque plagas perduxere letales. quorum Scudilo destillatione iecoris pulmones vomitans interiit, Barbatio, qui in eum iam diu falsa conposuerat crimina, cum ex magisterio peditum altius niti quorundam susurris incusaretur, damnatus extincti per fallacias Caesaris manibus inlacrimoso obitu parentavit.

25. Haec et huius modi quaedam innumerabilia ultrix facinorum impiorum bonorumque praemiatrix aliquotiens operatur Adrastia atque utinam semper quam vocabulo duplici etiam Nemesim (81) appellamus: ius quoddam sublime numinis efficacis, humanarum mentium opinione lunari circulo superpositum, vel ut definiunt alii, substantialis tutela generali potentia partilibus praesidens fatis, quam theologi veteres fingentes Iustitiae filiam ex abdita quadam aeternitate tradunt omnia despectare terrena.

26. Haec ut regina causarum et arbitra rerum ac disceptatrix urnam sortium temperat accidentium vices alternans voluntatumque nostrarum exorsa interdum alio, quam quo contendebant, exitu terminans multiplices actus permutando convolvit. eademque necessitatis insolubili retinaculo mortalitatis vinciens fastus tumentes in cassum et incrementorum detrimentorumque momenta versans, ut novit, nunc erectas mentium cervices opprimit et enervat, nunc bonos ab imo suscitans ad bene vivendum extollit. pinnas autem ideo illi fabulosa vetustas aptavit, ut adesse velocitate volucri cunctis existimetur, et praetendere gubernaculum dedit eique subdidit rotam, ut universitatem regere per elementa discurrens omnia non ignoretur.

27. Hoc inmaturo interitu ipse quoque sui pertaesus excessit e vita aetatis nono anno atque vicensimo cum quadriennio imperasset. natus apud Tuscos in Massa Veternensi, patre Constantio Constantini fratre imperatoris, matreque Galla sorore Rufini et Cerealis, quos trabeae consulares nobilitarunt et praefecturae.

28. Fuit autem forma conspicuus bona, decente filo corporis membrorumque recta conpage, flavo capillo et molli, barba licet recens emergente lanugine tenera, ita tamen ut maturius auctoritas emineret, tantum a temperatis moribus Iuliani differens fratris, quantum inter Vespasiani filios fuit Domitianum et Titum.

29. Assumptus autem in amplissimum fortunae fastigium versabilis eius motus expertus est, qui ludunt mortalitatem nunc evehentes quosdam in sidera, nunc ad Cocyti profunda mergentes. cuius rei cum innumera sint exempla, pauca tactu summo transcurram.

30. Haec fortuna mutabilis et inconstans fecit Agathoclem Siculum ex figulo regem et Dionysium gentium quondam terrorem Corinthi litterario ludo praefecit.

31. Haec Adramyttenum Andriscum (82) in fullonio natum ad Pseudophilippi nomen evexit et Persei legitimum filium artem ferrariam ob quaerendum docuit victum.

32. Eadem Mancinum (83) post imperium dedit Numantinis, Samnitum atrocitati Veturium (84), et Claudium Corsis, substravitque feritati Carthaginis Regulum, istius iniquitate Pompeius post quaesitum Magni ex rerum gestarum amplitudine cognomentum ad spadonum libidinem in Aegypto trucidatur.

33. Et Eunus quidam ergastularius servus eluctavit in Sicilia fugitivos. quam multi splendido loco nati eadem rerum domina conivente Viriathi genua sunt amplexi vel Spartaci? quot capita, quae horruere gentes, funesti carnifices absciderunt? alter in vincula ducitur, alter insperatae praeficitur potestati, alius a summo culmine dignitatis excutitur.

34. Quae omnia si scire quisquam velit quam varia sint et adsidua, harenarum numerum idem iam desipiens et montium pondera scrutari putabit. 

XI

1. Là, désormais libre de tout souci, il concentra toutes ses pensées sur ce qui était pour lui l'affaire difficile, le noeud gordien : en finir avec Gallus. Plus d'une fois, la nuit, il agita la question avec ses affidés dans ses conférences secrètes. Emploierait-on la force ou la ruse pour arrêter cet audacieux dans ses projets de renversement? Voici le moyen auquel on s'arrêta. Une lettre bienveillante et flatteuse fut écrite à Gallus pour l'appeler auprès de l'empereur, sous prétexte d'affaires de la plus haute importance. Une fois qu'on l'aurait isolé de la sorte, rien de plus facile que de lui porter le dernier coup.

2. Cet avis cependant trouva de nombreux contradicteurs dans ce tourbillon d'intérêts versatiles; entre autres Arbétion, promoteur d'intrigues aussi ardent que rusé, et Eusèbe, grand chambellan, qui le passait encore en scélératesse. Tous deux alléguaient le danger de la présence d'Ursicin en Orient, où il allait se trouver seul après le départ de Gallus, et sans contre-poids pour son ambition. 

3. En quoi ils étaient puissamment secondés par la cabale des eunuques du palais, alors possédée d'une fureur de s'enrichir inimaginable, et qui ne savait que trop bien profiter des facilités de son service intime pour semer contre cet homme de bien les plus perfides insinuations.
Tous les ressorts de leur malignité étaient tendus pour le perdre. C'étaient de continuels chuchotements sur ses deux fils déjà grands, et dont les visées pouvaient bien aller jusqu'à l'empire, intéressants comme ils étaient tous deux par leur beauté, leur jeunesse, et leur dextérité singulière à exécuter les passes multipliées de l'armature; talents dont on ne manquait pas de faire parade aux yeux de l'armée, dans les exercices militaires de chaque jour. On avait habilement exploité la nature féroce de Gallus, pour pousser ce prince à des excès qui devaient révolter tous les ordres de l'État; le tout pour en venir un jour à faire passer les insignes du pouvoir aux enfants du général de la cavalerie.

4. Ces propos ne manquèrent pas d'arriver aux oreilles du prince, en pareil cas toujours ouvertes, toujours accessibles. Ils eurent d'abord l'effet de le jeter dans l'incertitude. Mais enfin il prit son parti, qui fut de s'assurer d'abord d'Ursicin. Ce dernier fut donc invité, dans les termes les plus flatteurs, à se rendre à la cour. On avait besoin, soi-disant, de s'entendre avec lui sur des mesures urgentes à prendre contre les Parthes, dont les armements extraordinaires menaçaient l'empire d'une prochaine irruption. 

5. Pour lui ôter toute défiance, le comte Prosper, son lieutenant, fut chargé de le remplacer dans son service jusqu'au retour. Au reçu de la lettre, munis tous deux d'ordres pour les relais de l'État, nous nous rendîmes en diligence à Milan.

6. Il ne restait plus qu'à presser Gallus de partir. Constance, pour écarter jusqu'à l'ombre d'un soupçon, fit dans sa lettre les plus affectueuses instances pour qu'il amenât avec lui sa femme, cette soeur chérie qu'il désirait tant revoir. Celle-ci hésita d'abord, sachant bien de quoi Constance était capable. Elle consentit toutefois au voyage, espérant en son influence sur son frère; mais elle eut à peine mis le pied en Bithynie, qu'elle mourut subitement d'un accès de fièvre, à la station appelée les Cènes galliques. Cette mort privait son époux de l'appui sur lequel il comptait le plus. II en fut frappé au point de ne plus savoir à quoi se résoudre. 

7. Dans le trouble de son esprit, cette pensée lui revenait sans cesse, que Constance sacrifiait tout à son but, n'admettait aucune composition, ne pardonnait aucune faute, et se montrait d'autant plus impitoyable qu'on le touchait de plus près : assurément son appel n'était qu'un piège, et il y allait de la vie de s'y laisser envelopper.

8. Dans cette situation si critique, et regardant sa perte comme certaine s'il ne faisait un effort pour s'en tirer, Gallus considéra quelles chances il pouvait avoir pour s'emparer du rang suprême. Mais il avait un double motif d'appréhender les défections : il savait être haï pour sa violence, autant que méprisé pour son peu de caractère; et c'était un épouvantail pour ses adhérents que le succès continu des armes de Constance dans les guerres civiles. 

9. Au milieu de ces terribles perplexités, les lettres de l'empereur venaient coup sur coup le presser, tour à tour sur le ton de la remontrance ou de la prière, et toujours insinuant, sous une phraséologie captieuse, que, dans les embarras présents de l'État (ce qui faisait allusion au ravage des Gaules), l'action du pouvoir ne pouvait ni ne devait être plus longtemps divisée; qu'il fallait se rapprocher, contribuer de concert, chacun dans la mesure de ses facultés, au salut de la chose publique. 

10. Sous Dioclétien, ajoutait-il (et c'était un souvenir récent), les Césars, ses collègues, n'avaient pas même de résidence fixe, mais attendaient, comme autant d'appariteurs, l'ordre de se porter de leur personne sur un point désigné. N'avait-on pas vu en Syrie cet empereur, dans un accès de dépit, laisser marcher devant son char, l'espace de près d'un mille, Galérius à pied, tout revêtu qu'était ce dernier de la pourpre?

11. Plusieurs émissaires avaient successivement échoué près de Gallus. Arrive enfin Scudilon, tribun des scutaires, l'esprit le plus délié, le plus insinuant sous sa grossière enveloppe, qui, tour à tour cajolant et parlant raison, put enfin le décider à partir. L'hypocrite revenait à chaque instant sur la tendre impatience que le frère de sa femme, le fils de son oncle; avait de le revoir. Quelques écarts d'imprudence pouvaient-ils ne pas trouver grâce devant ce prince si doux, si clément, qui ne voulait que lui faire part de sa grandeur, et l'associer à ses futurs travaux pour le soulagement des souffrances trop prolongées des provinces du nord?

12. A ceux qu'une fois elle a marqués de son sceau, la fatalité trouble le jugement, ôte l'intelligence. Gallus se laissa prendre à ces flatteuses amorces. Ranimé par les promesses d'un avenir plus heureux, il quitte Antioche sous de funestes auspices, et se dirige sur Constantinople. C'était, comme dit le proverbe, se jeter dans le feu pour éviter la fumée. Il fit son entrée dans cette ville en homme à qui la fortune sourit et qui n'a rien à craindre, y donna des courses de char, et couronna de sa main le cocher Corax, qui en était sorti vainqueur.

13. Cette particularité vint aux oreilles de Constance, et le mit dans une fureur inexprimable. Craignant que Gallus, dans le doute de ce qui l'attendait, ne tentât, chemin faisant, quelque moyen de pourvoir à sa sûreté, il prit soin de dégarnir de troupes toutes les villes qui se trouvaient sur son passage. 

14. Sur ces entrefaites, Taurus, qui se rendait comme questeur en Arménie, traversa Constantinople sans aller saluer Gallus, et sans paraître faire attention à lui. Diverses personnes se présentèrent cependant de la part de l'empereur, soi-disant pour remplir près de César tel ou tel office, mais en réalité pour s'assurer de ses démarches et le garder à vue. De ce nombre était Léonce, depuis préfet de Rome, et qui se trouvait là en qualité de questeur; Lucillien, qui prenait le titre de chef des gardes de César, et le tribun des scutaires, Bainobaudes.

15. Après une longue marche en plaine, on arriva à Andrinople, autrefois Uscudame, dans la région de l'Hémus. Pendant un repos de douze jours que Gallus prit dans cette ville, il apprit que des détachements de la légion thébaine, cantonnés dans les villes voisines, avaient envoyé vers lui une députation, pour l'engager, sous les promesses les plus positives, à ne pas aller plus loin, et à compter sur l'appui de leur corps, qui se trouvait réuni dans les environs. Mais la surveillance était si stricte, que Gallus ne put un seul instant s'aboucher avec les légionnaires et recevoir leur communication. 

16. Lettres sur lettres lui arrivant toujours de la part de l'empereur, il lui fallut donc repartir d'Andrinople, réduit à dix chariots de transport, nombre limité par les ordres, et laissant en arrière tout ce qu'il avait amené de suite, à la réserve de quelques officiers de la chambre et de la bouche. Un complet abandon de tout soin de sa personne attestait la précipitation de sa marche, sans cesse hâtée par l'un ou l'autre de ses gardiens. Tantôt il gémissait amèrement, tantôt se répandait en imprécations sur la fatale témérité qui le mettait ainsi, être passif et dégradé, à la merci de mains subalternes. 

17. Jusque dans le silence des nuits, trêve ordinaire aux soucis humains, sa conscience troublée suscitait autour de lui des fantômes, qui l'épouvantaient par des cris funèbres. Il lui semblait voir les spectres de ses nombreuses victimes, Domitien et Montius en tête, sur le point de le saisir, et de le livrer aux mains vengeresses des Furies. 

18. Car dans le sommeil l'âme, dégagée des liens du corps, mais toujours active et préoccupée des intérêts de la vie, se crée d'ordinaire ces simulacres des choses, que la philosophie appelle visions.

19. Ainsi Gallus se voyait fatalement entraîné vers le terme où il devait perdre l'empire avec la vie. Il franchit, rapidement les distances à l'aide des relais de l'État, et arriva à Pétobion, ville de la Norique. Là tout déguisement cessa. Le comte Barbation, qui avait commandé les gardes sous Gallus, parut avec Apodème, intendant de l'empereur. Ils avaient sous leurs ordres un détachement de soldats, tous comblés des bienfaits de Constance, et choisis par ce motif, comme également inaccessibles aux offres et à la pitié.

20. Le masque était levé. Un cordon de sentinelles fut mis autour du palais. Vers le soir, Barbation entre chez Gallus, lui fait quitter les vêtements royaux, et revêtir une tunique et un manteau ordinaire, ne cessant toutefois de protester avec serment que les ordres de l'empereur étaient de ne pas pousser les choses plus loin; mais à l'instant même il lui dit - "Levez-vous"; puis le fait monter dans un chariot de simple particulier, et le conduit près de la ville de Pola en Istrie, où l'on sait que Crispus, fils de Constantin, fut mis à mort.

21. Tandis qu'il était là gardé de près, et que son imagination, terrifiée, anticipait les horreurs du dénoûment, arrivent en toute hàte Eusèbe, grand chambellan, et Mellobaudes, tribun de l'armature, chargés par l'empereur de lui faire subir un interrogatoire particulier sur chacun des meurtres commis en son nom à Antioche. 

22. Gallus, à cette annonce, devint pâle comme Adraste, et recueillit à peine assez de force pour dire que les instigations de sa femme Constantine avaient fait presque tout. Apparemment il ignorait cette belle parole d'Alexandre le Grand à sa mère Olympias, qui lui demandait la mort d'un innocent, comme récompense, disait-elle, d'avoir porté ce prince neuf mois dans son sein. "Demandez autre chose, ma mère; aucun bienfait n'équivaut à la vie d'un homme".

23. Constance fut piqué jusqu'au vif de cette excuse; il ne vit plus de salut pour lui-même que dans la perte de Gallus. Et, sans plus attendre, il dépêcha Sérénien, que l'on a vu plus haut échapper, comme par miracle, à l'action de lèse-majesté, de concert avec le notaire Pentade et son intendant Apodème, avec ordre de procéder à l'exécution. On lia donc les mains à Gallus comme à un voleur, et le fer trancha sa tête, ne laissant qu'un tronc informe de ce prince, naguère la terreur des villes et des provinces. 

24. Mais la justice divine se signala doublement en cette circonstance; car si Gallus n'encourut que la peine due à ses cruautés, les deux traîtres dont les caresses et les parjures l'avaient fait tomber dans le piège où l'attendait la mort eurent également tous deux une fin misérable. Scudilon périt d'un ulcère qui lui fit rendre les poumons. Quant à Barbation, qui de longue main s'était fait arme du faux comme du vrai contre son propre maître, on le vit, il est vrai, parvenir au rang de général de l'infanterie; mais, sacrifié lui-même à une sourde accusation de porter plus haut ses vues, il ne tarda pas à faire de son sang une offrande funèbre aux mânes du prince qu'il avait trahi.

25. Ici, comme en mille autres exemples (et que n'en est-il toujours de même !), il faut reconnaltre la main d'Adraste ou Némésis, car on lui donne ces deux noms. Quelle que soit l'idée qu'ils représentent, ou juridiction rémunératrice et vengeresse, rendant ses arrêts, suivant l'opinion vulgaire, d'une région des cieux élevée au-dessus du globe de la lune; ou, suivant une autre définition, intelligence toute puissante et tutélaire, dont la sollicitude, à la fois générale et individuelle, préside aux destins de l'humanité; ou fille de la justice, d'après la théogonie ancienne, qui des profondeurs de l'éternité surveille invisiblement toutes choses ici-bas; 

26. ces deux noms n'en expriment pas moins la souveraine puissance, arbitre des causes, dispensatrice des effets; celle qui tient l'urne des destinées, crée les vicissitudes, renverse les combinaisons de la prudence mortelle, et du conflit des circonstances fait jaillir des résultats inattendus; celle encore qui, enchaînant l'orgueil humain des noeuds inextricables de la nécessité, donne à son gré le signal des élévations et des abaissements de fortune, abat et prosterne les esprits superbes, inspirant aux humbles et aux simples le courage de sortir d'abjection. La fabuleuse antiquité lui a prêté des ailes, pour faire entendre qu'elle se porte partout avec la rapidité de l'oiseau. On lui met aussi un gouvernail en main, et une roue sous les pieds; double emblème de son pouvoir et de sa mobilité.

27. Ainsi périt Gallus d'une mort prématurée, qui cependant fut pour lui-même une délivrance. Il avait vécu vingt-neuf ans, et en avait régné quatre. II était né à Massa dans le Siennois, en Toscane, de Constance, frère de l'empereur Constantin, et de Galla, soeur de Rufin et de Céréalis, revêtus tous deux des insignes de consul et de préfet. 

28. Gallus était d'une figure avantageuse; sa taille était bien prise, ses membres exactement proportionnés, sa chevelure blonde et fine; et quoique sa barbe ne fit que commencer à poindre en duvet, tout son air annonçait une maturité anticipée. Quant au moral, le contraste était plus grand entre son humeur et l'aménité de Julien, son frère, qu'entre les caractères des deux fils de Vespasien, Domitien et Titus. 

29. Élevé par la fortune au plus haut degré de faveur, il subit un de ces retours dont elle bouleverse en se jouant l'existence humaine, plaçant un homme au-dessus des nues, et l'instant d'après le précipitant dans l'abîme. Les exemples de ces vicissitudes arrivent en foule sous ma plume; mais je veux borner mes citations.

30. C'est cette même fortune inconstante et mobile qui du potier Agathocle fit un roi de Sicile; et du tyran Denys, l'effroi de ses peuples, un maître d'école à Corinthe. 

31. C'est elle qui fit passer pour Philippe un Andriscus d'Adramytte, né dans un moulin à foulon, et réduisit le fils légitime de Persée à se faire apprenti forgeron pour gagner sa vie. 

32. C'est elle encore qui livre aux Numantins Mancinus, déchu de son commandement, abandonne Véturius aux représailles des Samnites, Claudius à la cruauté des Corses, et Régulus aux atroces rancunes de Carthage. Sa rigueur met à la merci d'un eunuque d'Égypte ce Pompée à qui tant d'exploits avaient mérité le surnom de Grand. 

33. Un esclave échappé de la gêne, Eunus, s'est vu général d'une armée de fugitifs. Que de nobles personnages, par l'effet de ses caprices, ont fléchi le genou devant un Viriathe ou un Spartacus ! Que de têtes, dont un signe faisait tout trembler, sont tombées sous la main d'un ignoble bourreau ! Tel se voit chargé de chaînes, tel est précipité du faîte des grandeurs. 

34. Qui peut vouloir énumérer tous ces exemples? L'entreprise serait aussi folle que compter les grains de sable des mers, ou supputer le poids des montagnes.

NOTES SUR AMMIEN MARCELLIN.
LIVRE XIV.

CHAPITRE PREMIER.

(1) Insuperabilis expeditionis eventus. Magnence, soldat de fortune et d'extraction barbare, parvenu au poste de chef des gardes de l'empereur Constant, se fraya un chemin au trône par le meurtre de son maître. Cet usurpateur, dont l'esprit ne manquait pas de ressources, balança quelque temps la fortune de l'empereur Constance; il osa même lui proposer de consacrer l'assassinat et la dépossession de son frère, en partageant avec lui ses dépouilles; mais l'offre fut rejetée avec indignation. Vaincu à Mursa en Illyrie, Magnence ne tarda pas à périr. C'est à cette guerre civile, longtemps incertaine, et qui se termina par une sanglante bataille, que fait allusion Ammien au début du quatorzième livre et au chapitre cinq du quinzième.

(2) Caesaris. L'habile politique d' Octave avait substitué à l'odieux titre de roi celui d'empereur (imperator), qui existait sous la république, et n'emportait d'autre idée que celle de triomphateur et de chef d'armée, mais qui, joint à celui de prince du sénat, réunit alors dans ses mains tout le pouvoir exécutif, en même temps que l'adjonction de la puissance tribunitienue lui donnait l'initiative ou le veto en matière de lois. Octave devait à l'adoption le surnom de César, à la flatterie du sénat celui d'Auguste. Tous deux devinrent des titres de dignité chez ses successeurs, et dans les premiers temps se confondirent à peu prés comme désignation du pouvoir suprême. Mais à dater du règne d'Adrien le monarque se réserva le titre d'Auguste, et celui rie César ne fut plus significatif que du second rang dans l'État.

(3) Caesaris Galli. Gallus était le fils allié de Jules Constance, fière de Constantin. L'empereur Constance, son cousin, devenu seul maître de l'empire après la mort violente de ses deux frères, sentit le besoin d'alléger le fardeau du gouvernement, en nommant un César. Il fit choix de Gallus, qu'il tira, ainsi que son frère Julien, qui fut depuis empereur, de la dure captivité où ces deux jeunes princes avaient langui depuis le massacre de leur famille, et lui confia l'autorité sur les quinze provinces d'Orient.

(4) Hannibalio regi , fratris filio. Annibalien (Flav. Claud.) était fils de Dalmace Annibalien , frère de Constantin le Grand. Cet empereur, en lui donnant en mariage sa fille Valérie Constantine, l'avait fait roi du Pont, de la Cappadoce et de l'Arménie. Cette disposition, ainsi que toutes celles que Constantin avait faites en faveur de ses frères et neveux, fut annulée à sa mort par le massacre de tous ces princes, autorisé, si ce n'est excité sons main, par ses trois fils : ceux-ci se hâtèrent du moins d'en profiter pour reprendre les donations de leur père, et opérer un nouveau partage de l'empire. Gibbon remarque qu'Annibalien seul avait reçu le litre de roi avec son apanage, et il regarde le fait comme problématique et douteux.
Comitem Orientis. Le titre de comte (comes), institué par Constantin (suivant Tillemon t, il remonterait jusqu'à Auguste), n'était d'abord qu'une distinction purement honorifique, et qui semble n'avoir entraîné d'autre obligation, dans l'origine, que celle d'accompagner la cour. Dans la suite, les comtes furent revêtus de grandes charges civiles ou militaires, du gouvernement des provinces, de la garde du trésor, de la surveillance des côtes, etc. Il y avait des comtes de trois degrés ; celui d'Orient avait l'autorité sur les quinze provinces composant cette division de l'empire. Ce titre eut, dans l'origine, la prééminence sur celui de duc ( dux ), terme générique, et qui alors désignait seulement un commandant militaire.

(5) Per Antiochiae latera. Antioche , célèbre capitale de la dynastie des Séleucides, devint, dans la suite, la troisième ville de l'empire romain. Son nom moderne est Antakia. Elle est comprise aujourd'hui dans le pachalik d'Alep.

(6) Pernoctantium luminum claritudo. L'effet de l'éclairage nocturne des rues d'Antioche est notamment remarqué par Libanius et par saint Jérôme. La ville présentait le même aspect qu'en plein jour, toutes les boutiques , même celles des bouchers, restant ouvertes. Mais il paraît que cette magnificence était à la charge des artisans.

(7) Amphiarao referente, aut Marcio. Amphiaraüs, célèbre devin des temps héroïques de la Grèce, et l'un des sept chefs qui formèrent le siége de Thèbes, périt devant cette ville par la trahison d'Éryphile , sa femme. Le nom de Mucius est cité par Tite-Live et plusieurs auteurs, qui le désignent comme ayant prédit le désastre de Cannes.

(8) In Gordianorum actibus. Le règne des deux Gordien, si l'on peut donner ce nom à une domination de quelques semaines, qui ne s'étendit qu'à une minime fraction de l'empire, était retracé dans l'un des treize livres d'Ammien qui ne sont pas venus jusqu'à nous.

(9) Maximini truculenti. Maximin (C. J. Verus), Thrace de naissance et de basse extraction, succéda, par l'assassinat, à l'empereur Alexandre Sévère, qui l'avait comblé de bienfaits. Maximin devait son premier avancement à l'empereur Septime Sévère , dont il s'était attiré l'attention par sa taille de géant (il était haut de sept pieds) et sa force prodigieuse. Il était brave soldat, mais brutal et féroce. Sa cruauté , dont les preuves abondent, finit par exciter une sédition, dans laquelle il périt, après un assez court règne, à l'âge de soixante-cinq ans.

(10 Thalassius pre fectus prætorio praesens. La charge de préfet du prétoire, sous les premiers empereurs , était ar rivée successivement à embrasser l'administration tant civile que militaire. L'homme qui en était revêtu était de fait le second de l'empire, et remplissait auprès du souverain un rôle analogue à celui du grand vizir près des sultans. Dioclétien institua quatre préfets, pour répondre à sa division du gouvernement entre quatre personnes; et Constantin leur ôta le pouvoir militaire. A l'époque où nous reporte ce récit, il y avait donc un préfet, qui n'était plus que magistrat civil, pour l'Orient, un pour l'Illyrie, un pour l'Italie, et un pour les Gaules; cette dernière division comprenait la Grande Bretagne et l'Espagne. Mais la Juridiction d'un préfet pouvait embrasser deux de ces sections de l'empire; et, même après la réduction de ses pouvoirs, l'exercice de cette magistrature, qui ressorlissait immédiatement au chef de l'État, et qui conférait le privilége d'une correspondance directe avec lui, pouvait aller jusqu'à balancer l'autorité des Césars, ou du moins jusqu'à devenir l'occasion de collisions fréquentes. La qualification de praesens (en assistance) indique la présence de ces hauts fonctionnaires à la cour; ce qui arrivait lorsque les princes, dont les voyages étaient fréquents, habitaient leur capitale.

(11) Creberrime Augustum. L'empereur Constance (Flavius Julius ), fils et successeur de Constantin, était cousin de Gallus.

CHAPITRE II.

(12) Namque et lsauri. Les lsauriens habitaient un district montagneux, à peine distinct sur les cartes, de l'ancienne Cilicie; et ses sauvages habitants durent figurer au nombre de ces pirates qui désolaient la Méditerranée au temps de la plus grande puissance de Rome, et qui tinrent un moment en échec les armes triomphantes de la république. Ce pays paraît n'avoir pas été pacifié complétement, même après la destruction de ses forces maritimes par Pompée. Le même esprit de révolte et de brigandage y subsista toujours; et Cicéron, durant son proconsulat de Cilicie, dut donner à ces montagnards une sévère correction. Sous les règnes malheureux de Valérien et de Gallien, l'insurrection rendit l'Isaurie à ses habitudes d'indépendance et de rapine, et l'énergie dégénérée de Rome, impuissante désormais à remettre sous le joug cette population de quelques montagnes situées au cœur de l'empire, ne put que l'enfermer d'une ceinture de forteresses, souvent insuffisante pour contenir ses incursions. On vit cependant cette race proscrite et méprisée fournir par la suite des soldats aux armées impériales, et deux de ses enfants s'asseoir sur le trône de Constantin.

(13) Apud Iconium. Aujourd'hui Konia ou Cogni, ville de Caramanie, dans la Turquie asiatique.

(14) Ut Tullius ait. Cette citation est empruntée avec quelques variantes an plaidoyer pour Cluentius. Voici textuellement le passage : « Non ignoratis, judices, ut etiam bestiae, fane dominante, plerumque ad eum locum ubi pastae aliquando sint revertantur. »

(15) Scirronis praerupta letalia. Rochers situés entre Mégare et Corinthe, ainsi nommés de Scirron, fameux brigand tué par Thésée, qui avait l'habitude d'en précipiter ceux qu'il dépouillait.

(16) Ad supercilia fluvii Melanis. Le Mélas est le même fleuve que le Cydnus, qui faillit causer la mort à Alexandre. Son nom moderne, Kara- fou (fleuve noir), n'est que la traduction de l'ancien ; ce qui tient sans doute à la couleur du sable de son lit. Ce fleuve prend sa source dans le mont Taurus. L'aspect sous lequel il est ici présenté ee rappelle en rien cette riante description d'un autre historien : « Ce fleuve n'est pas si renommé pour la grandeur de son canal que pour la beauté de ses eaux; car, venant à couler tout doucement dès sa source, il s'épand dans un lit de gravier fort pur, et où il ne tombe jamais de torrent qui trouble la netteté de son eau ni la tranquillité de son cours. Ainsi il se conserve toujours en ce même état jusque dans la mer, et l'eau en est extrêmement fraîche, à cause de l'ombrage agréable des arbres dont ses rives sont couvertes. » (Quint-Curt., trad. de Vaugelas, liv. III, cfr. 4. )

(17) Locum petirere Paleas nomine. Ammien paraît être le seul écrivain qui ait mentionné cette localité, dont il parle comme d'une forteresse importante. On n'en trouve pas même le nom chez d'Anville. Peut-être n'était ce qu'un point militaire provisoire, un centre d'approvisionnement fortifié.

(18 Quae hiemabant tunc apud Siden. Sida, ville de l'A natolie, aujourd'hui Scandator ou Candator, et, selon Procoke, Candelava.

(19) In excidiam matris Seleuciae. Séleucie, ville métropole de la Cilicie, bâtie par le roi Séleucus Nicator; de nos jours, Selefkié, dans la Caramanie.

(20) Praeterlto Calycadni fluminis ponte. Le Calycadne baignait les murs de Séleucie. Le nom moderne de cette rivière est Kelikedni.

CHAPITRE III.

(21) Rege Persarum. Sapor, en persan Chapour, second du nom, et quatrième souverain de la dynastie sassanide, était fils d'Hormisdas, suivant quelques auteurs, et son frère, suivant d'autres. Il reçut la couronne avant de naître, Elle avait été posée sur le ventre de sa mère enceinte, par les grands du royaume, qui avaient reconnu pour leur légitime souverain l'enfant auquel elle allait donner le jour. Son long règne de soixante-douze ans fut constamment hostile et souvent désastreux aux Romains, qu'il avait battus à Singare, avant l'époque où commence ce qui nous reste de l'ouvrage d'Ammien. On verra Sapor, dans le cours de cette histoire, s'emparer de la ville d'Amide, la saccager, et reprendre par traité, après la mort de Julien, les provinces conquises sur la Perse par le césar Galère.

(22) Mesopotamiam. Littéralement, contrée interfluviale. Vaste territoire enfermé, suivant la presque totalité de son circuit, par les eaux de l'Euphrate et du Tigre, et dont le nom moderne est Dchézira. La Mésopotamie comprenait plusieurs provinces, désignées sous des noms divers par les historiens et les géographes.

(23) Osdroenae subsederat extimas partes. L'Osdroène, partie de la Mésopotamie, qui en avait été distraite sous le règne de Constantin. Elle tirait vraisemblablement son nom d'Osdroès, roi ou chef arabe, qui en avait fait la conquête.

(24) Batnae, ville ouverte de l'Osdroène, à une journée de distance d'Édesse la capitale, parait avoir été, à une certaine époque, l'entrepôt du commerce de l'Orient avec l'Europe. II existait en Syrie une antre ville du même nom.

(25In Anthemusia. Selon Pline et Tacite il s'agirait d'une ville, et selon Ptolémée et Strabon d'un district de Mésopotamie. Quelques auteurs identifient I'Anthémusie avec l'Osdroène, qui dans cette hypothèse aurait été connue sous le premier nom avant sa conquête par Osdroès.

(26) Quae Indi mittunt aut Seres. Pline, livre XII, évalue à cent millions de sesterces l'importation qui se faisait annuellement à Rome en produits de l'Inde. du pays des Sères (la Chine), et de la péninsule arabique.

CHAPITRE IV.

(27) Aboraeque amnis. L'Aboras, affluent de l'Euphrate, qu'il joint près de l'ancienne Circésium , n'est pas marqué sur la plupart des cartes. Gibbon l'assimile à tort avec le fleuve nommé Araxe par Xénophon, qui se jette dans la mer Caspienne. II suffit de jeter les yeux sur l'itinéraire de la retraite des dix mille, pour reconnaître qu'ils ne purent rencontrer I'Aboras sur leur chemin. C'est près du confluent de I'Aboras et de l'Euphrate qu'un monument, élevé au dernier des Gordiens, marquait la place où ce prince avait été assassiné.

(28Sarraceni. Cette nation est désignée, au livre XXII , chap. 15, sous le nom d'Arabes scénites. Le nom générique d'Arabes est plus anciennement connu. Cicéron, dans la partie de sa correspondance qui traite de son proconsulat de Cilicie, parle des Arabes comme d'un peuple que sa manière de combattre pouvait faire confondre avec les Parthes. Mais Pline paraît être l'auteur le plus ancien chez qui le nom de Sarrasin soit mentionné.

(29) Principis Marci. Marc-Aurèle (Marcus Anrélius Antoninus) , l'un des meilleurs et des plus grands princes de l'antiquité païenne, naquit à Rome le 26 avril 121, et mourut à Sirmium ou â Vienne le 17 mars 180. Son règne de dix-neuf ans, le dernier de la série commencée à Nerva, qui n'a donné que des princes modèles, a réalisé le mot de Platon, que Marc-Aurèle lui-même avait souvent à la bouche : « Les peuples ne seront heureux que lorsque a les philosophes deviendront rois, ou les rois philosophes. » Cette période, où l'histoire montre sur le trône du monde une succession de cinq monarques aussi bienveillants que capables, est citée comme celle où le genre humain a été le plus heureux. C'est sans contredit l'âge d'or du gouvernement absolu.

(30) Confinia Blemyorum. Les Blémyes, peuple d'Abyssinie voisin des cataractes du Nil, subjugué en 450 par les forces de l'empereur Marcien.

(31) Usum vini penitus ignorantes. On peut citer à ce propos le mot de l'empereur Pescennius Niger à ses soldats, qui, venant d'être battus par les Sarrasins, demandaient à grands cris une distribution de vin : Ce sont des buveurs d'eau qui vous ont vaincus.

CHAPITRE V.

(32) Militarium vel honoratorum. La distinction de militaire et de civil élan inconnue dans l'ancienne Rome: tout citoyen de la république était soldat. Une déinarcation a commencé à s'établir avec le régime impérial, dont elle favorisait les vues de domination et de stabilité. Puis, la nouvelle classification de dignités et de charges introduites par Constantin acheva la séparation des deux ordres, et la désignation d'honorable (honoratus) devint le titre distinctif d'une classe de magistrats et de citoyens.

(33Paulus eminebat notarius. Ce titre , sous le bas empire, n'avait rien de commun avec la profession qu'il désigne anjourd'hui. Les notaires étaient un ordre particulier de fonctionnaires publics, divisé en trois classes; et leur attribution spéciale (à laquelle ils devaient leur nom) était de recueillir et de formuler les résultats des délibérations dans le conseil du prince. Mais, outre cette occupation sédentaire, ils étaient souvent appelés au loin par les missions les plus importantes et les plus diverses. On les voit, dans le récit d'Ammien, remplissant tour à tour un rôle militaire ou civil, administratif ou judiciaire, figurer dans les armées et jusque sur les champs de bataille , et diriger en chef des enquêtes juridiques. Cette institution fournissait des sujets pour les plus hautes charges de l'Etat, et semble en avoir éte en quelque sorte le séminaire.

(34) Vicarium ipsum. L'administration si étendue des préfets du prétoire exigeait que le pouvoir fôt délégué en partie à des substituts d'office, ou du choix du titulaire. Nous avons préféré à la dénomination de vicaire, employée par les précédents traducteurs, tantôt celle de lieutenant, qui exprime ou iginairement la même idée, et qui est d'un usage moins circonscrit dans notre langue, tantôt celle de vice-préfet. Le lieutenant des préfets exerçait sa charge par mandat direct du prince; différant en cela du lieutenant d'un préfet, qui n'était que le délégué du dignitaire en titre.

(35Proscripti sunt plures. Le mot proscriptus implique l'idée de déportation avec perte des biens. L'exil simple n'entraînait pas de droit la confiscation.

CHAPITRE VI.

(36) Ob inopiam vini. C'est sous le règne d'Auguste que commença l'usage des distributions régulières de pain et de farine au bas peuple de Rome. Constantin y ajouta des rations d'huile, de vin et de viande de porc. Les distributions s'opéraient sur les degrés de l'amphithéâtre, et à la diligence des édiles, auxquels ressortissait tout le régime des subsistances.

(37) Tempore quo primis auspiciis. Ce rapprochement allégorique des phases de la puissance romaine avec les quatre âges de la vie, est visiblement imité du premier livre de Florus.

(38) Licet otiosae sint tribus, pacataeque centuriae. Au temps où Ammien écrivait, non seulement les tribus et les centuries étaient muettes; mais ce classement électoral de la population romaine n'existait plus même de nom.

(39) Quod Acilio Glabrioni delatum est primo. La statue élevée au consul Acilius Glabrion fut placée dans le temple de la Piété, qu'il avait fait construire; et cet honneur, jusque-là sans exemple , lui fut décerné par les soins de son propre fils, chargé, en qualité de décemvir, de la consé cration de l'édifice bâti par son père.

(40) Ut memorat Ascraeus vates. Voici le passage d'Hésiode :
τῆς δ' ἀρετῆς ἱδρῶτα θεοὶ προπάροιθεν ἔθηκαν
ἀθάνατοι· μακρὸς δὲ καὶ ὄρθιος οἶμος ἐς αὐτὴν
καὶ τρηχὺς τὸ πρῶτον· ἐπὴν δ' εἰς ἄκρον ἵκηται,
ῥηιδίη δὴ ἔπειτα πέλει, χαλεπή περ ἐοῦσα.
Les dieux ont voulu que la vertu coûtât des sueurs. Le chemin qui y mène est long, pénible, et escarpé dans ses abords. Mais dés qu'on est parvenu au sommet, il devient aisé, quelque raboteux qu'il ait paru au commencement. (Travaux et Jours, v. 265 à 268.)

(41) Effigiatae in species animalium multiformes. L'art de brocher les étoffes est mentionné dans un passage d'Astéries, évêque d'Amasie. II remonte donc au moins au quatrième siècle.

(42) Dotata ex aerario filia Scipionis. Cnéus Cornélius Scipion, général d'une armée jusqu'alors victorieuse, avait écrit au sénat pour demander un successeur, alléguant la nécessité pour lui de se transporter d'Espagne à Rome, afin de pourvoir à l'établissement de sa fille. Le sénat, pour le conserver à son poste, s'empressa de lui trouver un gendre, et tira du trésor onze mille as (environ 550 f.), qui servirent de dot à la tille de Scipion. Sénèque remarque, à ce sujet, qu'une pareille somme de son temps n'eût pas suffi à la fille d'un affranchi pour acheter un miroir.

(43Distributio sotemnium sportutarum. Sportula est le diminutif de sporta, corbeille. II était d'usage à Rome, parmi les citoyens de distinction, de faire part à ses amis ou à ses clients des délicatesses de sa table, et l'envoi s'en faisait dans des corbeilles (sportutae). Ces marques d'attention dégénérèrent par la suite en gratifications pé cuniaires, et le contenu prit le nom du contenant. Juvénal parle des sportutes en divers endroits, notamment dans sa troisième satire.

(44) Pro domibus excubabat aurigarum. Les concurrents pour la course des chars étaient partagés en quadrilles, distingués par les couleurs verte, rouge, btanche et bleue. De là les divisions du peuple, qui prenait parti pour telle ou telle couleur, avec tout le fanatisme d'opinion qu'il apportait jadis dans les comices. Les factions du cirque ont fini par prendre ascendant sur la politique, et par gouverner ou du moins troubler l'Etat. II y avait des gens qui, par engouement pour une couleur, ou pour faire leur cour à tel grand personnage qui la favorisait, passaient la nuit devant la porte des cochers. Caligula, au rapport de Suétone, soupait et couchait dans l'écurie de la quadrille verte. Le même auteur remarque dans la Vie de Domitien que ce prince porta le nombre des quadrilles à six, en ajoutant aux couleurs distinctives l'or et le pourpre. .

(45) Nomenclatores. Les nomenclateurs étaient des affranchis, ou même des ingénus, attachés aux personnages éminents, et dont l'emploi près de leur patron était de lui désigner nominativement les gens que celui-ci désirait saluer dans la rue. Ils avaient aussi la fonction d'assigner dans les repas la place à chaque convive.

(46) Equos publicos, signatis, quod dicitur, calceis. L'institution des relais de poste existait depuis longtemps dans l'empire, mais seulement comme moyen d'administration et de gouvernement. L'État, qui défrayait ce service, s'en réservait la jouissance exclusive. Les particuliers ne pouvaient user des relais que sur un permis scellé, lequel ne se délivrait que dans le cas de mission officielle. De là l'expression figurée de signat i calcei, appliquée à ceux à qui cette faculté était accordée.

(47Ne Sannione quidem domi relicto. (Voir l'Eunuque de Térence, acte iv, sc. 8.)

(48)  Detestetur memoriam Semiramidis. On ne sait à quelle autorité est empruntée cette tradition ; mais Ammien et Claudien paraissent les seuls écrivains de l'antiquité qui aient fait cet outrage à la mémoire de Sémiramis. Le poète, dans son invective contre Eutrope, parle ainsi de l'invention qu'il attribue à cette reine, et de ses motifs :
Mentita virum, ne vocis acutae
Mollities levesque genae se prodere possent, 
Hos sibi conjuunit similes.

(49) Organa hydraulica. L'invention de ces orgues, dont l'eau était le moteur, est attribuée par Athénée à un certain Ctésibius d'Alexandrie. Néron le premier en introduisit l'usage à Rome.

(50)  Ut Homerici baccarum suavitate Lothophagi. « Au moment où mes guerriers ont porté à leurs lèvres ce fruit aussi doux que le miel, loin de songer à mes ordres ni à leur départ, ils n'aspirent qu'à couler leurs jours parmi ce peuple. Savourer le lotos est leur seul charme. ils ont oublié jusqu'au nom de la patrie. » ( Odyssée, trad. de Bitaubé, liv. IX.)

(51Catulus in aedilitate. Gronovius remarque, d'après le témoignage de Pline rapproché d'un passage de Cicéron, que Catulus introduisit l'usage de ces tentures lorsqu'il faisait la dédicace du Capitole, et qu'à cette époque il avait été consul et censeur, et conséquemment ne pouvait plus être édile.

CHAPITRE VIl.

(52Vetitis certaminibus pugilum. Les combats de gladiateurs et autres jeux du cirque, incompatibles avec l'esprit du christianisme, furent défendus par Constantin. Mais le grand nombre d'édits rendus à cet effet par les successeurs de ce prince jusqu'au règne d'Honorius , qui vit à Pollentia le dernier de ces jeux meurtriers, prouve que le goût populaire lutta longtemps contre le pouvoir et la législation.

(53Insidias ei latenter obtendi. Selon Zonare, qui rapporte le fait tout au long dans ses Annales, il ne s'agissait que d'un attentat isolé, commandé par Magnence avant sa défaite, et dont le but était, en frappant Gallus, d'attirer l'attention et les forces de Constance vers l'Orient.

(54) Consularem Syriae Theophilum. Le mot de consulaire, sous la république, indiquait simplement un titre, un caractère honorifique, inhérent à la personne de celui qui avait été consul. Depuis Auguste, le titre de consul, qui n'était plus conféré par l'élection populaire, bien qu'il ait continué, jusqu'à son abolition définitive par Justinien , d'être recherché même par les princes, avait cessé d'exprimer l'idée de pouvoir et de magistrature suprême, tandis que celui de consulaire devint significatif de fonctions effectives. Constantiu changea toute la hiérarchie. A l'ancienne division administrative de l'empire se trouvait substitué un fractionnement du territoire en cent seize provinces. Trois furent régies par des proconsuls, trente-sept par des consutaires, cinq par des correcteurs, et soixante-onze par des présidents. La province de Syrie était une de celles dont l'administrateur avait le titre de consulaire.

(55) Scholis palatinis et protectorum cum scutariis et gentilibus. On appelait écoles (scholae) des édifices voisins du palais, servant de caserne on de quartier aux divers corps de troupes dont se composait la garde spéciale, ou maison militaire de l'empereur. Les mots palatini ou domestici, et celui de protectores, indiquent suffisamment cette nature de service. Les scutaires et les gentils étaient des milices tirant leurs noms sans doute, la première, d'une particularité de son armure; la seconde, de la composition même du corps, qui se recrutait d'étrangers.

(56) Ex comite largitionum praefecto. Littéralement comte des largesses; trésorier des dépenses publiques, par opposition à comes rei privatae, trésorier du domaine privé.

(57) Consistorium. Salle où le prince tenait conseil. Ce mot, qu'on ne trouve dans aucun historien antérieur à l'empire, ne saurait en effet apparteuirà la langue de Rome républicaine, puisqu'il exprime l'exclusion du sénat de la connaissance des affaires publiques.

(58) Bajulorum praecentor. Quelques interprètes veulent voir dans le mot praecentor le joueur de flûte qui précédait la marche dans les enterrements. Mais lui donner un tel sens dans ce passage , c'est ôter toute vérité à la comparaison. Quel rapport entre une émeute et un convoi funèbre, entre un chant de deuil et les cris forcenés d'un agitateur? Praecentor nous paraît exprimer en général l'action d'accompagner, c'est-à-dire d'aider, de soutenir par le son. Les anciens faisaient un usage bien plus étendu que nous de la musique : elle était chez eux comme inhérente à la déclamation, et quelques orateurs ne parlaient en public qu'avec l'assistance d'un joueur de flûte (voir la note sur le joueur de flûte de Gracchus, livre XXX). On l'employait aussi comme moyen d'excitation , notamment dans les travaux qui exigent un grand concours de bras. Un chanteur ou joueur de flûte était placé près des ouvriers, modérant ou pressant leur activité tour à tour, et donnant en quelque sorte le ton à la manoeuvre, dont il charmait du moins les fatigues par le pouvoir secret de l'harmonie. Les vibrations du tambour exercent aujourd'hui sur le coeur de nos soldats un effet analogue, ou même plus énergique encore.

(59) Orientis limes. Ammien n'a pas nommé cette contrée , dont la délimitation, telle qu'il la donne, est celle du royaume de Syrie, sous la domination des Séleucides. L'ancienne Syrie fut subdivisée en plusieurs provinces par les Romains.

CHAPITRE Vlll.

(60Mopsuestia vastis illius domicilium Mopsi. C'est dans cette ville, qui s'appelait aussi Mopsucrène, que l'empereur Constance rendit les derniers soupirs.

CHAPITRE IX.

(61) Nisibi quam tuebatur. Nisibe, très forte ville de Mésopotamie, l'une des places frontières de l'empire, et célèbre par le siège soutenu contre l'armée de Sapor, qui dut faire retraite après de gigantesques efforts pour s'en emparer. Nisibe fut cédée aux Perses, en conséquence du honteux traité de Jovien, nonobstant les prières et les plaintes de ses habitants, dont la généreuse douleur est retracée dans un assez éloquent tableau au livre XXIIIe.

(62). Equitum resedit magister. Lorsque Constantin voulut opérer une séparation complète des deux ordres, il créa un maître de l'infanterie, par analogie au titre de maître de la cavalerie, qui existait même sous la république, et réunit dans les mains de ces deux fonctionnaires la direction et le commandement de la force armée, en les investissant de toute l'autorité militaire qu'avait exercée précédemment le préfet du prétoire. Pendant la paix chacun de ces deux officiers n'avait de rapports qu'avec l'arme qui ressortissait â son titre; mais en temps de guerre ils pouvaient commander en chef les armées, et avoir indifféremment sous leurs ordres des troupes de pied et de cheval.

CHAPITRE X.

(63). Alamannorum reges arma moturus. Le peuple allemand n'est pas même cité dans l'énumération que nous a laissée Tacite des diverses nations de la Germanie. On voit paraître son nom pour la première fois dans les historiens du règne de Constantin, mais sans indication d'origine. Quelques auteurs identifient ce peuple avec la race franke, dont l'habitation primitive paraît avoir été sur les bords de la Saale, dans une partie du territoire qui porte encore aujourd'hui le nom de Franconie. Mais l'opinion la plus vraisemblable, puisqu'elle s'appuie sur la signification même du mot Allemand, en langue germanique, est que ce mot désigne non pas une race, mais une confédération de diverses peuplades, ou peut-être une fusion des restes d'anciennes tribus germaniques écrasées par les Romains, et qui, acculées dans le fond de leurs forêts, se seraient retournées ensemble contre leurs oppresseurs.

(64) Zenonem illum veterem stoicum. Ammien confond ici les personnes et les faits. D'abord il prend Zénon d'Élée pour le Zénon fondateur de l'école du Portique; puis le personnage torturé par un roi de Chypre est Anasarque d'Abdère, et non Zénon. La mort de Zénon d'Élée, chef de la secte éléatique, est en effet semblable à celle d'Anaxarque; mais le tyran dont il fut la victime se nommait Démylos suivant les uns, et Néarque suivant les autres.

(65) Indumentum regale. Les lois défendaient expressément aux simples particuliers de se vêtir de la pourpre, réservée aux empereurs; mais il y avait une exception de tolérance pour les cérémonies du culte chrétien. La dalmatique de pourpre dont se couvraient les prêtres pour officier ressemblait, par la forme et la coupe, au vêtement impérial. Ammien laisse entrevoir que le supplice du diacre Maras était l'effet d'une méprise occasionnée par cette ressemblance.

(66) Galli periret avunculus. Ruffin était frère de Galla, mère de Gallus.

(67) Rauracum ou Augusta Rauracorum. Ville située autrefois sur l'emplacement même ou dans les environs de la ville moderne de Bâle.

(68) Icto foedere gentium ritu. Les traités chez les barbares étaient environnés de formes symboliques, plus ou moins bizarres ou significatives. Tacite décrit ainsi celles qui accompagnèrent le traité passé entre Rhadamisthe et son on cle Mithridate : « Quand ces rois font un traité, leur usage est de s'entrelacer les mains , et de se faire attacher en semble les pouces par un noeud très serré. Lorsque le sang s'est porté aux extrémités, une très légère piqûre le fait jaillir, et ils en sucent mutuellement quelques gouttes. » ( Trad. de Dureau de la Malle. )

CHAPITRE XI.

(69Spadones quorum ea tempestate plus habendi cupiditas. Le service des eunuques du palais, importation de la mollesse de l'Orient, ne commence guère à marquer dans l'histoire qu'à dater du règne d'Héliogabale. Alexandre Sévère le réduisit à la seule fonction de soigner les bains des femmes; mais sous les règnes suivants les eunuques reprirent leur influence, qui continua de s'accroître en raison de la décadence de l'empire. Bientôt on vit ces êtres dégradés s'emparer des plus hautes dignités civiles, commander les armées , et gouverner l'État.

(70) Per multiplicem armaturae scientiam. L'armature, selon Valois, qui s'appuie de l'autorité de Végèce, contre le sentiment de Scaliger, était une danse militaire très compliquée, une espèce de pyrrhique, exécutée chaque jour par les soldats dans le champ de Mars, sous des instructeurs spéciaux, et qui avait deux modes, respectivement applicables à la cavalerie et à l'infanterie. Cet exercice était dans l'origine commun à toute l'armée. Il devint par la suite un privilége réservé aux seuls princes (soldats d'élite). Peu à peu cette élite parait avoir formé, sous le nom d'armature, un corps spécial, complétement organisé selon l'échelle de la hiérarchie militaire.

(71).Caenos gallicanos. C'était la première station des voyageurs qui passaient de Galatie en Bithynie.

(72) Mille passuum fere pedes antegressus est Galerius. Un échec éprouvé parle césar Galerius, dans un combat risqué inconsidérément par lui contre les Perses avec des forces inférieures, lui attira de la part de Dioclétien ce muet et sévère témoignage de mécontentement.

(73) .De fumo in flammam. Locution équivalente au proverbe français tomber de fièvre en chaud mal.

(74) Capiti Coracis aurigae coronam imposuit. La coutume voulait que celui qui présidait aux jeux couronnât de sa main les vainqueurs.

(75) Solutus corporeis nexibus animus. Cette pensée est conforme à la doctrine des péripatéticiens. «Durant le jour, disent-ils, l'âme, subordonnée au corps, et comme embarrassée dans la matière, ne peut avoir une vue claire de la vérité. Mais la nuit elle s'affranchit de cette dépendance, et, concentrée alors autour du coeur, elle découv re les choses futures. » Tel est, suivant eux , le principe des songes, qu'ils regardent comme une manifestation de l'avenir.

(76). Petobionem oppidum Noricorum. Aujourd'hui Pettaw, sur la Drave, en Styrie.

(77) Ubi peremptum accepimus Crispum. Crispe, fils de Constantin, accusé par sa belle-mère Fausta d'avoir tenté de la corrompre, fut mis à mort par son père, qui, reconnaissant plus tard l'innocence de son fils, étouffa sa femme dans un bain chaud. Gibbon révoque en doute le crime de Fausta et sa punition.

(78) Adrasteo pallore. Allusion au vers 479 du sixième livre de l'Énéide:
Parthenopaeus, et Adrasti pallentis imago. 

(79 Alexandrum magnum. Wagner regarde ce passage comme une interpolation. Il est certain du moins que l'exemple n'est pas heureusement amené.

(80). Eum capitali supplicio destinavit. L'historien Zonare prétend qu'on outre-passa les. désirs de Constance. «L'empereur, dit-il, voulait seulement dépouiller Gallus de sa dignité, et l'envoyer en exil. Cédant ensuite aux instigations de ses familiers, il dépêcha des émissaires pour mettre le César à mort; puis le repentir le prit, et il écrivit pour révoquer l'ordre. Mais le grand chambellan Eusèbe s'était arrangé pour que la lettre de grâce n'arrivât qu'après l'exécution. »

(81) Adrastia quam duplici vocabulo etiam Nemesis. « Si l'obscurité, dit un commentateur, est un mérite en philosophie, ce morceau doit être hautement apprécié par nos philosophes. » Le jugement n'est pas trop rigoureux. Dégagé de son fatras allégorique, ce passage n'est qu'un lieu commun des plus vulgaires ; il mérite cependant l'attention sous un rapport. Au milieu de cette confusion de théories mythologiques, où l'auteur prête à Némésis, déesse de la vengeance, des attributs qui sont ceux de la Fortune ou de la Nécessité, on trouve un argument de plus à opposer aux inductions qu'on a tirées des écrits de l'auteur pour prétendre qu'il était chrétien.

(82) Adramytenum Andriscum. Andriscus, surnommé Pseudo-Philippe (le faux Philippe), aventurier de basse extraction, qui seize ans après la mort de Persée, roi de Macédoine, réussit à se faire passer pour son enfant naturel, à l'aide d'une ressemblance singulière, mais fortuite, avec ce prince. Le succès couronna d'abord son audace. II devint maître de la Macédoine, et y tint quelque temps tête aux Romains. Battu enfin par Métellus le Macédonique, qui se fit livrer sa personne, il fut amené à Rome, et mis à mort.

(83Mancinum post imperium. Mancinus Hostilius, général romain, battu devant Numance, fut livré aux assiégés en expiation de sa défaite; mais ceux-ci le renvoyèrent sain et sauf.

(84) Samnitum atrocitati Veturium. Titus Vetnrius, général romain que les Samnites firent passer sous le joug avec son armée, surprise sans combat au défilé de Caudium.