Anonyme flamand

ANONYME FLAMAND

 

CHARLES ET ELEGAST

 

Œuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 


 

 

La langue flamande n'a pas toujours été, comme aujourd'hui, dédaignée, presque reléguée dans les campagnes et les classes inférieures, reniée souvent par ceux dont les aïeux se faisaient gloire jadis de résister aux empiétements du despotisme, en employant les expressions acerbes de l'idiome maternel. Il y eut un temps où comtes et barons, écuyers et pages, dames et jouvencelles, parlaient le flamand comme nos artisans et nos campagnards. Alors les poètes et les trouvères surent faire passer la langue des Van Artevelde dans les rythmes les plus énergiques, dans les vers les plus harmonieux, les plus suaves; l'adapter aux grandes images de l'épopée, et au tendre laisser-aller de la ballade ; la parquer dans les mètres du tenson langoureux ou de la servante pleine d'amour; la polir pour ridiculiser les abus ou pour raconter des aventures romanesques. Alors elle était fière et pointilleuse, repoussant le néologisme, rejetant les vocables d'origine étrangère, et pivotant déjà sur certains principes de grammaire, à une époque où le français, se dégageant lentement du dialecte roman, commençait à peine à bégayer les premiers mots de cette sonore langue française de nos jours. Alors elle avait ses poèmes et ses romans, et Maerlant composait déjà, en 1270, sa Bible rimée en flamand, qu'on comprend encore aujourd'hui sans trop de difficulté, tandis que le dialecte dont se servirent Rutebeuf et le Bossu d'Arras, est presqu'intelligible pour qui n'a point fait d'études approfondies de linguistique française.

La littérature flamande des XIIIe et XIVe siècles, présente un grand nombre d'écrits remarquables : le roman du Renard, qui occupe, depuis tant d'années, la studieuse Allemagne, est trop connu pour que nous en parlions ici ; mais à côté de cette fine et spirituelle satyre, peuvent être rangés sans pâlir plusieurs ouvrages d'imagination qui renferment un véritable mérite : — Ferragus en Galiena; — Segelyn van Jerusalem, avec son épée appelée Rosebrant, et son cheval nommé Glorifier; Floris en Blanchefloer, épisode d'amour plein de charmes et de détails gracieux; — De Kinderen van Limbourg; Ysewyn; Malagys ; et une foule d'autres que nous retrouvons parfois, défigurés et mutilés, dans ces livres de la Bibliothèque bleue, qui faisaient les délices de notre enfance !

Les Allemands, les Anglais et surtout les Hollandais ont, depuis longtemps, jeté les yeux sur l'étude de la langue flamande, moins encore sous le rapport archéologique que sous le rapport littéraire, car il y a des véritables beautés enfouies au fond de ces vieilles productions du génie de nos pères. Les savants étrangers semblent avoir, pris à tâche de fouiller dans notre littérature ancienne, et ils le font avec cette persévérance investigatrice et consciencieuse, qui caractérise un véritable amour de savoir ; et heureusement pour nous, leurs constants efforts sont couronnés de succès. Nous pouvons nous enorgueillir de voir l'Angleterre, et plus encore l'Allemagne, toutes deux si riches en chefs-d'œuvre, rechercher avec une incessante avidité, les débris de la langue flamande. A Karlsruhe, c'est l'infatigable M. Mone qui consacre chaque année dans l’Anzeiger, recueil scientifique qu'il publie, plusieurs pages à la reproduction de fragments en prose ou en vers flamands. A Breslau, la dernière ville germanique, et qui entend déjà parler, à côté d'elle, la langue slavonne, c'est M. Hoffman de Fallersleben, qui, sous le nom d'Horœ Belgicœ, nous a donné des études et des recherches du plus haut intérêt, sur des chansons et des poèmes dont la Flandre peut réclamer la gloire de la composition. A Londres, nous voyons M. J. Bosworth, qui fait paraître une grammaire flamande historique, sous le titre de : The Origin of the Dutch (l'origine du flamand) ; à Groningue même, le professeur G. J. Mayer vient d'imprimer une vie de Jésus-Christ, en flamand du XIIIe siècle, le plus ancien ouvrage en prose flamande que l'on connaisse. Et chez nous aussi, l'on s'est réveillé d'une longue et insoucieuse apathie : la Bataille de Woeringen, de Jean van Heelu, que M. Willems vient d'éditer, prouve assez que nous nous mettons à la hauteur de ce genre de travaux littéraires, et la prochaine publication du roman flamand du Renard, confiée aux soins de ce laborieux philologue, nous promet un des beaux monuments de la langue flamande.

Cette petite rétrospection achevée, revenons à M. Hoffman de Fallersleben.

Le quatrième cahier de ses Horœ Belgicœ, publié récemment, contient en entier un roman flamand de 1380 vers, intitulée Caerl ende Elegast, aventure pleine d'imagination et d'idées poétiques, épisode sévère, empreint de ce cachet de naïveté, qui distingue l'enfance d'une littérature, et offrant déjà une intrigue presqu'aussi tortueuse que celle qui sillonne nos productions modernes.

Dans une courte préface, annexée au Caerl ende Elegast, M. Hoffman dit que jusqu'ici le manuscrit de cette bizarre nouvelle n'a pas encore été trouvé, qu'il a été imprimé deux fois, mais que les exemplaires de ces deux éditions sont devenus si rares, qu'il n'en existe plus qu'un seul de chacune, enfin que c'est sur la collation de ces deux exemplaires qu'il s'est hasardé à publier ce roman. Cette dernière assertion se contredit par une acquisition toute récente, faite par M. Serrure, d'un exemplaire d'une troisième édition du Caerl ende Elegast, inconnue à M. Hoffman ; cet exemplaire, imprimé à Anvers chez Godefroi Bac, vers 1500, est remarquable par sa belle conservation et par une superbe gravure sur bois, représentant le combat de Charles et d'Elegast, les deux héros de cette production littéraire.

Quant à l'absence du manuscrit que M. Hoffman regrette, il est fâcheux que ce savant n'ait point eu connaissance du 3ème numéro de l’Anzeiger, année 1835. Dans ce numéro, M. Mone rapporte, à la page 32 et suivantes, un précieux fragment du Caerl ende Elegast, de 237 vers, trouvé manuscrit, écriture du XIVe siècle, sur une feuille de parchemin, servant de couverture à un manuscrit de la Bibliothèque d'Arras. Ce fragment renferme tout le commencement du poème qui nous occupe, et en le comparant avec le texte donné par M. Hoffman, l'on y aperçoit quelques variantes, qui sont toutes en faveur du texte du manuscrit, dont la langue est plus pure et porte mieux le caractère de l'époque.

Le profond archéologue hollandais Van Wyn et Jacques Grimm, de Gottingue, doutent que ce roman ait originairement été traité en flamand. Grimm pense. et à juste titre peut-être, que le sujet en a été tiré d'une saga danoise, intitulée Carl Magnus, et qui en effet, d'après l'analyse qu'il donne de cette saga, dans les Deutsche Sagen, ressemble en plusieurs points à notre Caerl ende Elegast. Du reste, ni Van Wyn, ni Hoffman, ni Grimm, ne peuvent assigner une date précise à la confection de ce poème; une plus grande obscurité encore règne sur le nom du poète qui le conçut ; jusqu'ici ce nom est demeuré entièrement inconnu. Remarquons en passant que ce roman est encore un de ceux qui appartiennent au cycle de Charlemagne.

Nous avons essayé de donner une traduction de ce roman, traduction qui, sans être littérale, sans s'attacher à ces minuties naïves qui ne sauraient passer dans la langue française, se rapproche cependant, autant que possible, du texte et n'enlève rien aux pensées mères, aux images qui y sont répandues. Nous espérons que l'exactitude que nous avons taché de mettre dans cette traduction, excusera parfois l'absence du style, les tournures un peu forcées ; qu'il n'est point aisé d'éviter dans la reproduction d'un poème composé pour une autre époque el qui est si éloignée de nous.

Jules De Saint-génois.

Ajout de Paul Meyer, Recherches sur l'épopée française, 1867.

Dans le chapitre consacré à la légende de Charlemagne dans les Pays-Bas, M. G. Paris passe en revue un assez grand nombre d'imitations flamandes, dans lesquelles un patriotisme étroit voudrait voir des compositions originales.[1] Ainsi il montre que le Carl and Elegast, jusqu'ici regardé comme original, est traduit du français. Le nombre en serait plus grand encore si l'ancienne poésie néerlandaise, proscrite par l'autorité ecclésiastique, n'avait subi d'énormes pertes. Le fait est qu'actuellement presque toute cette littérature n'existe plus qu'à l'état de fragments recueillis de nos jours dans de vieilles reliures ou sur des feuillets de garde.

 

 

 

 


 

 

Écoutez-moi, je vais vous raconter une belle et véridique histoire. C'était un soir que Charles[2] s'en était allé coucher à Ingelheim sur le Rhin. Toute la contrée environnante lui appartenait, et au titre de roi il joignait celui d'empereur. Le peuple a encore conservé le souvenir de ce qui lui arriva ce jour.

Or, comme il se trouvait à Ingelheim, se préparant à tenir cour plénière le lendemain, la tête ceinte de la couronne impériale, il arriva que pendant son sommeil lui apparut un ange qui l'appela par son nom. Le roi fut réveillé par la douce voix de l'ange, qui lui disait : — Lève-toi, noble guerrier, hâte-toi de revêtir ton accoutrement, couvre-toi de ton armure ; le Dieu qui règne au-dessus de nous, t'ordonne par ma bouche de te faire voleur cette nuit; si tu désobéis, tu perdras la vie et l'honneur; si tu n'accordes pas de confiance à mes paroles, tu mourras avant que la cour plénière ne soit dissoute. Crois à mes paroles; viens voler, prends ta lance et ton écu. Arme-toi, monte ton fringant destrier. Dépêchons, plus de retard. —

Le roi entendit ces paroles et les trouva étranges, car il ne vit personne qui indiquait d'où partait cet avertissement, n crut avoir entendu cette allocution dans son sommeil et n'y fit pas attention ; mais l'ange, qui venait de Dieu, se courrouça et appela de nouveau le roi : — Debout, Charles, viens voler, Dieu te l'ordonne par ma bouche. — Après avoir prononcé ces mots, il se tut. Le roi s'écria à son tour, tout saisi d'effroi : —Ah! Ciel, quelle chose étrange ! est-ce quelque mauvais génie qui me tourmente ou qui m'apporte une grande nouvelle? Beau messager des cieux, quel besoin ai-je de voler? Je suis entouré de tant de richesses! Est-il sur la terre un seul homme, qu'il soit roi ou comte, qui possède autant de domaines que moi? Tous ne me sont-ils pas soumis, tous ne sont-ils pas à mon service? Mes états sont si vastes qu'ils n'ont pas de pareils; toute la contrée m'appartient jusqu'à Cologne, sur le Rhin, et plus loin, jusqu'à Rome, tout est sous la puissance de l'empereur! Je suis suzerain, ma femme est suzeraine. A l'orient, mon royaume s'étend jusqu'aux rives lointaines du; Danube; à l'occident, jusqu'au sauvage Océan. J'ai d'autres possessions encore : la Galice et l'Espagne, que j'ai obtenues par mon bras, après avoir repoussé les infidèles jusqu'à ce que le pays me demeurât à moi seul. Dites, qu'ai-je besoin de voler? Infortuné que je suis! pourquoi Dieu me commande-t-il une semblable chose? Jamais je n'enfreins ses ordres! S'il était vrai cependant que ce fut sa volonté!.... mais non, je ne puis croire que Dieu m'ait imposé la honte de me faire voleur. — Comme il était plongé dans cette pénible pensée, ne sachant à quoi s'arrêter, une douce somnolence redescendit sur ses yeux. Alors l'ange reprit : — Seigneur roi, veux-tu suivre l'ordre de Dieu, tu seras sauvé ; car il y va de ta vie. Agis comme je te dis, viens, fais-toi voleur; plus tard, tu te réjouiras de ce qui te cause maintenant tant de répugnance! —

L'ange se tut encore, et Charles, stupéfait de ce qu'il entendait, continua : — C'est Dieu qui l'a commandé, je ne veux point désobéir à sa parole, je serai voleur, quelle que soit l'horreur que je ressente pour le vol, dussé-je être pendu par la gorge! Et cependant j'aurais préféré que Dieu m'eut retiré tout ce dont je relève de lui, et mes châteaux, et mes domaines, et mon accoutrement de chevalier; j'aurais préféré devoir gagner la vie, l'écu et la lance au poing, comme un homme qui n'a rien et qui vit à l'aventure. Voler ou offenser Dieu ! triste alternative! Puisse le ciel soutenir mon courage! Oh! je voudrais sortir de ce palais inaperçu, dut cela me coûter sept de mes châteaux situés sur le Rhin! Comment raconterai-je mon déshonneur aux chevaliers et aux seigneurs qui sont à ma cour! Comment leur dire qu'en cette nuit obscure je doive seul, sans le secours de personne, aller dans un pays qui m'est étranger et inconnu? —

Après avoir proféré ces paroles, Charles, tout-à-fait résigné à son destin, se hâta de revêtir son armure précieuse ; car c'était la coutume qu'on plaçât les armes du roi auprès du lit où il reposait. Ses armes étaient les plus belles qu'on put voir !

Lorsqu'il fut habillé, il traversa son palais, ouvrant portes et verrous; quelle que fut la solidité des clôtures, tout cédait à son bras vigoureux, il pénétrait où il voulait. Par bonheur, nul ne l'aperçut, car toute la cour était plongée dans un profond sommeil. Dieu l'avait voulu ainsi, afin de mettre le roi à couvert.

Le pont-levis baissé, Charles se dirigea silencieusement vers l'écurie, où se trouvaient son cheval et sa selle. Il sauta sur son admirable palefroi et marcha vers la porte, où dormaient, sans se douter de la présence de leur maître, la sentinelle et le portier ; Dieu l'avait encore voulu ainsi.

Le roi conduisit son cheval en dehors, et, tout en chevauchant, récita une fervente prière[3] ………………

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Chemin faisant, il se mit à penser vers quel côté il dirigerait ses pas pour voler, lorsque tout-à-coup il entra dans une vaste forêt ; la lune brillait dans tout son éclat, les étoiles scintillaient au firmament, le ciel était pur et serein.

C'est une chose bien étrange, se dit l'empereur en lui-même, j'avais coutume de haïr les voleurs, je les poursuivais partout où ces misérables dépouillaient leur prochain; et cependant je comprends à cette heure comment il y a des hommes qui peuvent mener cette vie, ils savent qu'ils risquent corps et biens, que si l'on s'empare d'eux on les pendra, qu'on leur coupera la tête, qu'on les fera mourir d'une manière ou d'autre. Oh! leur anxiété est souvent terrible ! Vraiment cela m'ouvre les yeux, il ne m'arrivera plus de condamner au dernier supplice un homme qui n'a commis qu'un léger vol! Hélas! pour une petite faute, j'ai chassé de mon royaume Elegast, qui tant de fois maintenant engage ses jours pour obtenir le peu qui le fait vivre. Que d'inquiétudes il doit éprouver ! Sans asile, dépouillé d'alleu et de fief, il cherche son existence dans les brigandages et il est obligé de se cacher toujours. Je le privai des domaines dont il était seigneur, je lui pris territoire et château; parce que j'étais mal instruit do la vérité. Car parmi ceux qui s'étaient retirés avec lui, se trouvaient des chevaliers et des sergents en grand nombre, que j'ai tous dépossédés ; et maintenant la pauvreté les a enchainés au parti d'Elegast. Mais, je le jure, je ne les laisserai pas en paix, je découvrirai leur retraite, je les dépouillerai de tout ce qu'il possèdent. Elegast n'a point d'abri, lui, il doit se tenir caché dans les déserts et les forêts; il ne vole point le pauvre qui vit de ses sueurs, ni le pèlerin, ni le marchand. Il n'en veut qu'aux riches, aux évêques et aux chanoines, aux abbés et aux moines, aux doyens et aux prêtres; partout où il peut les atteindre, il s'empare d'eux, il leur prend mules et chevaux, il les jette bas de leur selle, et les dépouille de ce qu'ils portent sur eux; il leur arrache vêtements et joyaux. Partout les riches sont ses victimes, et ses ruses sont si multiformes que nul ne peut l'atteindre ; et cependant il en est plus d'un qui a fait ses efforts pour le prendre. Que ne puis-je l'avoir pour compagnon pendant cette nuit ! Oh ! mon Dieu, de grâce faites que cela soit! —

Tout en disant ces mots, il poursuivit sa route. Tout-à-coup il entendit un chevalier qui accourait, mais qui tâchait de dissimuler le bruit que faisait les pas de son destrier. Il avait une armure aussi noire que du charbon (sic); son casque, l'écu suspendu à son col, son haubert qui était digne d'admiration, la cotte de mailles dont il était couvert, son cheval même, tout était si noir que le roi crut, en l'entrevoyant sur son chemin, que c'était le diable.

Quelque soit le résultat de tout ceci, bon ou mauvais, pensa le roi, je veux poursuivre l'aventure de cette nuit, quoique je sois bien assuré que c'est le diable. Car s'il avait quelque chose de l'essence divine, il n'aurait point cette sombre couleur; chevalier et palefroi, tout ce qui frappe en lui mes regards, est noir. Et cela commence à exciter mon inquiétude. Je prie Dieu qu'il veille à ma conservation!

Cependant le chevalier noir avait appris que le roi devait venir au-devant de lui. Sans doute, pensa-t-il, le roi s'est égaré dans cette forêt; avançons, je saurais cela de celui qui vient là. Et vraiment il y devra laisser ses armes, qui me semblent les plus belles que je vis depuis sept ans; elles brillent de pierreries et d'or, comme la clarté du jour. D'où vient-il dans cette forêt? ce ne peut être un homme pauvre qui porte de telles armes, qui monte un pareil palefroi, si vigoureux, si beau de conformation.

Alors les deux inconnus se rencontrèrent et se passèrent sans même se saluer, ils se regardèrent attentivement l'un l'autre, mais aucune parole ne sortit de leur bouche. Lorsque celui qui montait le cheval noir se fut éloigné du roi, il s'arrêta.

Qui peut être cet autre, se demanda-t-il, pourquoi court-il ainsi, pourquoi évite-t-il de s'incliner lorsqu'il me rencontre, pourquoi ne me parle-t-il pas, ne m'interroge-t-il pas? J'imagine qu'il médite quelque mauvais coup. Si j'étais sûr qu'il vint pour m'espionner, moi ou les miens, pour nous opprimer ou pour nuire au roi qui m'a exilé, il ne dormirait point paisiblement cette nuit! A quoi lui servirait de parcourir les bois et les broussailles s'il n'avait pour but de me chercher. Par le Dieu qui me créa! il ne m'échappera point cette nuit. Je veux éprouver ses forces, je veux lui parler et le connaître. Je gagnerai son destrier et son harnais, et je le ferai retourner avec honte, car il est venu ici comme un insensé!

Aussitôt il fit rebrousser chemin à son cheval et se mit à poursuivre le roi. Lorsqu'il fut sur le point de l'atteindre, il lui cria à haute voix :

— Chevalier, arrêtez; où allez-vous ainsi? Je veux savoir ce que vous cherchez, ce que vous machinez ici. Avant que vous ne m'échappiez, dussiez-vous être plus fier encore, il faut que votre bouche me réponde. Je veux savoir qui vous êtes et où vous allez à cette heure, je veux connaître le nom de votre père, entendez-vous bien !

Alors le roi répliqua : Vous me demandez tant de choses, que je ne puis satisfaire à toutes vos questions. Tenez, je préfère de me battre que d'être contraint à vous répondre. Ma vie me semblerait méprisable, si un homme pouvait me forcer à quelque chose que je ne veux point déclarer. Que la suite de ce combat soit heureuse ou déplorable pour moi, n'importe, la lutte qui va commencer entre nous décidera !

L'écu du roi était voilé. Car Charles ne voulait pas découvrir son bouclier, afin de ne point montrer le signe royal qui s'y trouvait ; il ne voulait pas qu'on sut qu'il était le roi !

Alors les champions retournèrent leurs agiles et vigoureux palefrois. Tous deux étaient bien armés, leurs lances étaient bonnes. Ils se réunirent dans une espèce de champ clos, et se précipitèrent l'un sur l'autre avec tant d'ardeur de part et d'autre, que les chevaux ployèrent sur leurs jarrets. Ils saisirent impétueusement leur redoutable épée comme font de bons combattants. Ils luttèrent si longtemps que pendant le combat on eut pu marcher toute une lieue. Le sombre chevalier était fort et souple, ses mouvements étaient si rapides que le roi faillit être atteint. Aussi ce dernier frappa-t-il, avec tant de force sur l'écu que l'autre tenait devant lui, qu'il se brisa en éclats, comme une branche de tilleul.

Le chevalier revint sur le roi. Les épées se baissaient et se relevaient, heurtant les casques et les cottes de mailles si fortement que d'autres combattants eussent sans doute succombé. Il n'y eut point haubert si solide au travers duquel ne vint jaillir le sang qui se frayait un passage entre le cuir qui le recouvrait. Le bruit des coups se reproduisait au loin ; les éclats de boucliers volaient çà et là ; sur la tête des champions se pliaient leurs heaumes sillonnés d'entailles et d'ouvertures, tant la pointe des épées était aiguë.

L'empereur songea en lui-même : Voilà un adversaire rompu aux armes; si je succombe, ce sera une honte éternelle pour moi, et mon honneur demeurera à jamais perdu. — Cette pensée le ranima. Il redoubla d'efforts et atteignit son antagoniste d'un coup si terrible, qu'il le fit tomber chancelant de son palefroi. Nulle trêve n'était à espérer entre eux. Le chevalier noir frappa si violemment sur le heaume de Charles qu'il s'inclina, et que l'épée du premier se brisa en deux morceaux. Telle était l'animosité de la lutte.

Lorsque le chevalier vit qu'il avait perdu son glaive : Grand Dieu, s'écria-t-il, je suis privé de ma bonne lame; à quoi me sert de vivre maintenant? Désormais je ne pourrai plus courir d'aventures, car je ne saurai plus me défendre ! Oh ! quand on n'a plus de bonne dague à la main, la vie ne vaut plus même deux poires (sic).

Le roi pensa que ce serait une honte à lui de frapper un homme qui était là, terrassé devant lui, sans arme, et voyant l'épée de son adversaire brisée sur le sol, il murmura : C'est une lâche vengeance que celle d'un homme qui porte des coups à un autre qui ne peut se défendre !

Alors il se fit un long silence dans la forêt ; les deux combattants n'avaient plus qu'une idée : celle de savoir qui ils étaient.

Par le Dieu qui me donna la vie ! s'écria Charles, vous ne me dites rien, sire chevalier, ni comment vous vous appelez, ni qui vous êtes. Or donc, finissons ce combat. Si l'honneur me le permet, je vous laisserai partir en paix, lorsque je saurai votre nom.

— Je le veux bien, repartit le chevalier noir, si vous m'apprenez ce qui vous a pressé de venir dans ce lieu cette nuit ? quelle est la victime que vous attendez ici ?

— Parlez, d'abord, reprit Charles le noble héros, et je vous dirai ce que je cherche, et pourquoi je n'ose point chevaucher ici pendant le jour. C'est une grande nécessité qui me poursuit et qui me force de m'armer ainsi. Je vous en raconterai les motifs, si vous m'avouez votre nom; ayez-en la certitude !

— Seigneur, reprit Elegast le chevalier (sic), le malheur s'est appesanti sur moi, j'ai perdu terres et biens, et cela par l'adversité, comme on le voit souvent. Vous découvrirai-je mes infortunes passées? Oh! mon Dieu! si je devais vous dire tout, mon récit vous semblerait éternel ! mon sort est si digne de pitié !

En entendant ces choses, le roi se réjouit en lui-même, comme si l'on était venu lui annoncer que toutes les richesses qu'amène le Rhin lui appartenaient.

— Chevalier, s'écria-t-il, de grâce dites-moi votre nom, dites-moi comment vous gagnez la vie. Par tout ce que Dieu a de sacré! vous n'avez rien de mauvais à craindre de moi; si vous satisfaites ma curiosité je vous instruirai de tout ce que vous me demanderez, sans combat, sans aucun courroux!

— Voici donc la vérité, seigneur, répliqua le chevalier noir, je m'appelle Elegast, je ne veux point vous le cacher. Je vis des vols que je commets, mais vraiment je ne dépouille point le pauvre malheureux qui gagne péniblement l'existence; je laisse en paix les pèlerins et les marchands. Quand aux autres, je ne les ménage pas! Du jour où je perdis mes biens, où le roi Charles me chassa de mes domaines, je vous l'avoue, dussé-je en rougir, je me suis caché dans les lieux sauvages, dans les forêts. Là où un riche possède assez pour faire vivre douze hommes, je m'empare de tout. Je prends adroitement aux évêques et aux chanoines, aux abbés et aux moines, aux doyens et aux prêtres; et quelle que soit la solidité d'un coffre, s'il renferme un trésor, je l'emporte et en divise l'or entre mes compagnons. Que vous dirai-je encore? mes ruses savent revêtir mille formes différentes. Dans ce moment mes compagnons sont dans forêt, pendant que je cours chercher quelque aventure. Hélas ! je viens d'en rencontrer une bien amère; car j'ai perdu ma bonne épée, et je donnerais toute chose pour la ravoir intacte. Et puis encore j'ai reçu plus de coups que jamais main d'homme n'en a donné en une seule nuit. Maintenant à votre tour, chevalier, de me déclarer votre nom, de me dire ceux qui vous haïssent. La puissance de ces derniers est-elle si grande que vous deviez chevaucher dans la nuit? Ne pouvez-vous point écraser ceux qui vous portent tant de haine? Vous êtes habile au maniement des armes cependant!

Dieu a entendu ma prière, pensa le roi, il saura bien me tirer de ce pas. Voilà l'homme que je désirais avant tous les autres, je pourrai me joindre à lui cette nuit, la Providence me l'a amené à propos. Maintenant, il faut que je forge un mensonge, la nécessité m'y contraint.

— Par le Dieu qui me commande ! dit le roi à Elegast, vous aurez en moi un bon et fidèle compagnon. Je vais vous découvrir mes habitudes. A quoi sert de tromper des amis? J'ai volé tant de choses que si j'étais pris seulement avec la moitié de ce que j'ai dérobé, on ne me laisserait pas échapper, je vous assure. Mais la nécessité m'a forcé, et la nécessité, vous le savez, brise toute répugnance!

— Mais enfin, quel est votre nom ? demanda le chevalier noir?

— Je m'appelle Adelbert, dit le roi; j'ai coutume de voler, au mépris des lois, et dans les églises et dans les ermitages et dans les hôpitaux. Je prends tout ce qui me tombe sous la main, et je ne laisse de l'aisance à personne, ni aux riches ni aux pauvres. Je n'écoute point leurs plaintes, et je ne connais point d'indigent à qui j'aie donné quelque aumône ; je lui déroberais plutôt le peu qu'il possède que de lui donner quelque parcelle de ce qui m'appartient. Voilà comme je me suis toujours conduit. Et maintenant je viens de mettre la ruse en avant, pour m'emparer d'un trésor que je connais. Vraiment je voudrais avoir quelqu'un qui m'aidât à l'enlever, pourvu que j'obtinsse la récompense de mes peines. Ce trésor a été mal acquis, et Dieu ne nous punirait point, si nous en dérobions une partie; ce trésor est enfoui dans un manoir dont je connais tous les détours. Dussions-nous ne retirer que cinq cents livres de notre expédition, nous pourrions nous en contenter. Ainsi, dites-moi, chevalier, voulez-vous être mon compagnon, cette nuit, dans cette entreprise? Nous cacherons, jusqu'au lever de l'aurore, ce que nous aurons trouvé ensemble. Alors j'établirai un partage, et vous choisirez votre part; mais celui qui recule doit perdre.

— Où donc est ce trésor, cher compagnon, demanda Elegast. Avant de nous mettre en marche, je veux le savoir, ou bien je ne vous suis pas.

Alors, Charles le noble héros, reprit :

— Je vous l'apprendrai donc. Le roi a de si grands trésors que nous pourrions aisément y toucher, sans lui causer un dommage considérable.

Lorsque Charles eut fait cette étrange proposition, Elegast éclata en hauts cris: — Dieu me défend un semblable vol, s'écria-t-il. Ceux qui me conseillent de porter pareil méchef au roi, sont indignes de vivre. Quoiqu'il ait été égaré par de mauvais conseils, et qu'il m'ait dépouillé de mes biens et banni loin de sa présence, je lui serai toujours fidèle autant que je le pourrai. Je ne veux point lui faire de mal à la faveur des ténèbres de la nuit, car c'est un seigneur plein de justice; si je ne me conduisais pas avec honneur vis-à-vis de lui, j'en devrais rougir devant Dieu. Aussi qu'on ne me conseille plus une semblable chose!

En entendant ces paroles, le roi se réjouit en son âme que cet Elegast, ce voleur redouté, le révérât et l'aimât encore. — S'il pouvait rentrer dans le rang qu'il occupait jadis, pensa-t-il, je le comblerais de tant de biens, qu'il vivrait désormais avec honneur, et qu'il ne songerait plus à l'état de brigand. Tout-à-coup, sortant de sa rêverie, il demanda à Elegast s'il voulait le conduire ailleurs, dans un lieu où ils pourraient également chercher ensemble quelque trésor important : « Laissez-moi vous suivre, ajouta-t-il, je vous promets le silence et l'appui de mon bras. »

— Volontiers, repartit Elegast, mais, en médisant cela, ne badinez-vous point? Ecoutez, nous pouvons aller sans crime voler chez Eggerik d'Eggermonde, qui a épousé la sœur du roi. C'est une calamité véritable que cet homme vive; il a trahi une foule de personnes, il leur a causé de grands malheurs, et si toute chose pouvait marcher à son gré, il ne manquerait pas d'enlever à son souverain, l'honneur, la vie même. Et cependant le misérable tient de l'empereur tout ce qu'il possède, et ses châteaux et ses fiefs. Dut-il ne point trouver d'asile, nous irons le voler; il le mérite. Ainsi, si vous le voulez, nous nous dirigerons de ce côté.

Lorsque le roi eut entendu la ferme résolution du chevalier noir, il se tut. Au bout de quelques instants, ils convinrent d'aller s'emparer du trésor d'Eggerik.

Tout en chevauchant sur leurs fringants palefrois, ils arrivèrent dans un vaste champ, où gisait une charrue. Le roi descendit de son destrier, pendant qu'Elegast poursuivait sa route ; il s'empara du soc en fer que sa main vigoureuse arracha à la charrue; puis il dit : — Ceci est un instrument convenable pour notre entreprise; celui qui veut creuser sous les manoirs, doit se munir des outils dont il a besoin! Puis il reprit sa monture, aiguillonna son cheval, et rejoignit promptement Elegast, qui l'avait devancé.

Lecteur, écoutez bien, soyez attentif.

Ils arrivèrent enfin devant le formidable château d'Eggerik, qui était le plus beau, le plus fort qui se trouvât sur le Rhin.

— C'est ici, s'écria Elegast, en s'arrêtant ; voyez, Adelbert, que faut-il faire maintenant, je veux agir d'après vos conseils? Je me reprocherais éternellement que malheur vous advînt, et qu'on m'en attribuât la faute.

— Jamais, je pense, repartit le roi à ces mots, je ne pénétrai dans les salles de ce manoir, et vraiment je sens une grande répugnance d'y mettre le pied. C'est à vous à accomplir la tâche que vous vous êtes imposée !

— Je le veux, bien, répondit Elegast. Mais si vous êtes véritablement un voleur habile, je le saurai bientôt. — Venez, creusons un trou sous la muraille, afin que nous puissions nous glisser au-dedans.

La proposition fut approuvée de part et d'autre.

Ils attachèrent leurs fringants destriers, et se dirigèrent doucement vers le mur extérieur. Elegast tira de dessous son armure, un fer à creuser la terre; le roi, à son tour, prit le pesant soc de charrue. A l'aspect de cet énorme outil, Elegast s'arrêta, sourit et demanda d'où venait cet instrument singulier. Vraiment si je connaissais la maison du forgeron qui l'a fait, dit-il, je lui en commanderais un semblable pour moi; jamais je ne vis une pioche de cette forme.

— Cela peut être, répliqua le roi; il y a trois jours que je chevauchai le long du Rhin, j'allais à la chasse, lorsque tout-à-coup je perdis mon épieu; il m'échappa sur le chemin, pendant qu'on me poursuivait. La honte m'empêcha de me retourner, j'étais donc privé de mon épieu. Voilà pourquoi j'entrai dans un champ qu'éclairait la pâle clarté de la lune, et j'y pris le soc d'une charrue.

— Ce fer est bon, repartit Elegast, pourvu qu'il puisse nous servir à accomplir noire projet. Mais je vous en prie, après aujourd'hui, faites faire un autre outil!

Ils se mirent à creuser. Elegast maniait mieux sa pioche, il travaillait plus efficacement que le roi. Quoique celui-ci fut vigoureux et de haute taille, un semblable ouvrage lui était peu familier.

Lorsque le trou eût été percé d'outre en outre, et qu'ils fussent prêts à s'y glisser, Elegast dit à Charles: Restez-ici, vous recevrez en dehors tout ce que je vous apporterai.

Car il ne voulait point permettre que le roi entrât; il voyait en lui tant d'inaptitude à ce genre de travail, qu'il commença à douter de son habileté de voleur. Cela n'empêcha point que les conventions de partage ne restassent les mêmes. Elegast entra donc et le roi demeura en dehors.

Elegast connaissait des pratiques mystérieuses qu'il employait dans beaucoup de circonstances. Aussi ne manqua-t-il pas d'en faire usage ici. Il arracha une certaine herbe qui avait la vertu de faire comprendre ce que les coqs chantaient, ce que les chiens aboyaient. Il mit cette herbe dans sa bouche, écouta avec attention, et ne tarda pas à entendre un coq et un chien qui disaient dans leur langage que le roi Charles était là en personne à attendre hors des murs du manoir.

— Gomment est-il possible? s'écria Elegast, le roi serait là; ah! je crains qu'un malheur ne me menace! je suis trahi, j'imagine! ou bien est-ce quelque mauvais génie qui m'induit en erreur?

Elegast se hâta d'aller retrouver l'empereur où il l'avait laissé, et lui raconta ce qu'il venait d'apprendre.

— Que ferait le roi ici, demanda Charles? Êtes-vous homme à croire au chant d'un coq ou à l'aboiement d'un chien? Alors vous n'avez pas de foi ferme? Vous me racontez sans doute des fables ? Je vous dis que vous n'avez point de foi ferme.

— Eh bien! reprit Elegast, prêtez l'oreille, écoutez! Il mit un peu de l'herbe magique dans la bouche du roi. Maintenant, poursuivit-il, vous comprendrez ce que j'ai entendu il y a un instant. En effet, le coq chanta de nouveau et répéta que le roi était là, mais qu'il ignorait à quelle distance.

— Compagnon, s'écria Elegast, je veux être pendu par la gorge, si ce que dit ce coq n'est point vrai!

— Comment, compagnon, reprit Charles, avez-vous peur de l'approche du roi? Je vous croyais plus courageux! Allons en avant, dussions-nous être pris aujourd'hui même.

— J'y consens, mais qu'y gagnerez-vous? demanda Elegast ; et tout en parlant ainsi, il avait ôté l'herbe que le roi tenait dans sa bouche. Étonné de ne plus avoir cette herbe, le roi exclama : Que m'arrive-t-il donc, j'ai perdu cette herbe que je tenais serrée entre mes dents. Par ma foi! cela m'inquiète!

Elegast se mit à rire de nouveau et dit : S'il est vrai que vous soyez voleur, d'où vient qu'on ne vous prend pas lorsque vous allez voler? Réellement c'est un grand miracle de vous voir en vie ; compagnon, continua-t-il, je vous ai dérobé votre herbe, je l'avoue, mais vous, vous n'avez pa» la moindre connaissance de la profession de voleur.

— Vous dites la vérité, pensa le roi !

Puis ils se turent tous deux. Dieu avait ordonné à Charles qu'il gardât le secret de son rang.

Une chose troublait encore Elegast mais heureusement qu'il connaissait une prière magique pour faire dormir tous ceux qui étaient dans le manoir.

Il rentra donc dans le château, ouvrit toutes les serrures, et alla droit à l'endroit où le trésor était caché, avant que quelqu'un le vit ou l'entendit. Il puisa dans le trésor jusqu'à ce qu'il en eut assez, et apporta son butin au roi Charles, qui voulut alors s'en aller. Elegast lui commanda de rester, lui disant qu'il allait chercher une selle qui se trouvait dans la chambre où Eggerik et sa femme reposaient. —C'est, poursuivit-il, la plus belle selle qu'il soit donné à des regards d'homme de contempler; le pommeau en est admirable ; cent clochettes d'or resplendissant y sont attachées et s'agitent sans cesse, lorsque Eggerik chevauche. Ainsi, compagnon, attendez, car je vais lui dérober cette selle, dussé-je en être puni par la corde! Tant de hardiesse déplut au roi, Charles eut préféré abandonner la selle et tout ce qu'elle avait d'attrayant. Elegast retourna donc pour la troisième fois. Lorsqu'il fut parvenu jusqu'auprès de la selle, les clochettes firent un tel bruit, qu'Eggerik s'en réveilla.

— Qui touche à ma selle? s'écria-t-il, et aussitôt, se levant à moitié, il tira sa dague. Sa femme essaya de le calmer.

— Qu'est-ce donc qui vous poursuit, demanda-t-elle? Sont-ce des démons qui vous tourmentent? Puis arrachant l'épée aux mains de son époux; personne ne peut être entré ici, s'écria-t-elle. Ce doit être quelque autre chose qui vous trouble.

Elle fit des instances sans nombre, pour qu'Eggerik voulut dévoiler les pensées qui l'empêchaient de dormir depuis trois nuits ; elle l'interrogea avec sollicitude : la malice des femmes, quelque soit leur âge, sait prendre mille formes différentes ! Enfin, elle l'obséda à un tel point, qu'il finit par lui avouer qu'il avait juré la mort du roi, qu'il avait choisi déjà ceux qui devaient accomplir ce serment, et que même les meurtriers ne devaient point tarder d'arriver; il les nomma tous, il dit qui ils étaient.

Elegast entendit cet étrange discours, et n'en oublia pas une parole ; car, pensa-t-il, il conduira à parfin ce crime affreux, ce détestable meurtre, si je ne retiens pas tous ses projets pour les déjouer ensuite.

La femme d'Eggerik, en entendant cette horrible révélation, éclata en plaintes amères. Le farouche époux, irrité par ses larmes, la frappa si violemment que le sang lui ruissela du nez et de la bouche. La malheureuse se souleva péniblement et se pencha au-dessus de la ruelle du lit. Prévoyant que cette circonstance pourrait le servir plus tard, Elegast se glissa doucement jusqu'auprès du lit, tendit son gantelet de fer et y reçut le sang qui coulait avec abondance. Car il espérait que ce sang servirait de preuve pour convaincre le roi du crime qui le menaçait. Puis Elegast murmura une prière qui endormait tous ceux qui étaient à la portée de l'entendre, et lorsqu'il vit que les deux époux étaient replongés dans un profond sommeil, et qu'il n'en avait plus rien à craindre, il s'empara de la selle et de l'épée qu'il convoitait, puis ensuite il s'en alla retrouver, hors de l'enceinte du manoir, le roi et son fidèle destrier. A l'aspect des objets enlevés par Elegast, Charles eut peur; s'il avait été le maître, il ne fut point resté dans ce lieu, tant la crainte s'était emparée de lui.

— Où es-tu resté Elegast, demanda-t-il?

— Oh! ce retard n'est point de ma faute, repartit Elegast. Par tout ce que Dieu a créé! je ne sais comment mon cœur ne se brise point de douleur ! Mais non, ce n'est ni la douleur ni la tristesse qui le brisera, j'en suis assuré, c'est la fureur qui vient de s'y allumer. Compagnon, poursuivit-il, voici la selle dont je vous ai parlé aujourd'hui, prenez là; moi, je cours trancher la tête au traître Eggerik, je cours le tuer à coups de poignard, là dans son lit auprès de sa femme. Et pour tout l'or du monde, nul ne m'empêchera d'exécuter cette pensée; je veux y aller à l'instant même.

Alors le roi conjura son compagnon de lui apprendre ce qui le remplissait d'un si grand courroux. — Vraiment êtes-vous fou, murmura-t-il, vous tenez plus de mille livres d'or, et vous avez la selle qui est le but de votre expédition, n'est-ce pas assez?

— Ah! seigneur, reprit Elegast, c'est bien autre chose qui m'oppresse le cœur et remplit mon esprit de tristesse. J'ai perdu mon maître, qui était mon roi; j'avais autrefois un asile assuré, la pauvreté ne me menaçait point. Hélas! mon souverain mourra peut-être demain au lever de l'aurore! Et voulez-vous savoir par qui? par Eggerik qui a juré sa mort.

Alors Charles comprit pourquoi Dieu l'avait forcé de se faire voleur, afin de le protéger contre une mort affreuse. Aussi se hâta-t-il de remercier le Tout-Puissant.

— Et pensez-vous que tuer Eggerik, soit le moyen de sauver le roi, dit Charles? Le château ne se remplirait-il point de tumulte? Vous seriez perdu, si vous alliez, vous, empêcher l'accomplissement du destin! Si le roi meurt, eh bien! il sera mort. Et vous même, votre douleur sera bientôt guérie.

Charles dit cela avec une intention cachée, afin d'éprouver Elegast. Cependant il eut voulu être loin de ce lieu; attendre si longtemps, le mécontentait.

— Par le Dieu qui donne la vie! repartit Elegast, si vous n'étiez mon compagnon, ce que vous venez de dire serait puni par moi cette nuit même, à cause de la manière dont vous parlez du roi Charles, qui est digne de tout honneur. Par le Dieu qui me créa! je mettrai ma pensée à exécution, je vengerai mon courroux, car la mort de l'empereur est jurée. Avant que je sorte de ce manoir, il faut que vous me suiviez de gré ou de force.

— Cet homme est mon ami, pensa le roi ; si j'ai mal agi à son égard, je changerai de conduite envers lui; pourvu que le ciel m'accorde vie, il récupérera ce qu'il a perdu. Compagnon, ajouta-t-il à voix haute, je vais vous donner un meilleur conseil pour faire tomber Eggerik d'Eggermonde dans les filets. Demain au matin, rendez-vous auprès du roi, racontez-lui le complot tramé contre lui, révélez-lui chaque circonstance. En entendant vos paroles, il vous pardonnera tout ce qui s'est passé, et votre récompense sera grande. Vous pourrez marcher toute votre vie à ses côtés, comme si vous étiez son frère.

— Pour ce qui me regarde, répliqua Elegast, je ne paraîtrai point devant le roi. Il nourrit encore une trop grande colère contre moi, parce qu'un jour je détournai de son trésor une si chétive parcelle, qu'elle comportait à peine la valeur de deux chevaux. Ni le jour, ni la nuit, je ne viendrai point dans un lieu où il pourrait m'apercevoir. Hélas! voilà ma peine, voilà mon malheur!

— Eh bien! voulez-vous savoir ce que je ferais, poursuivit Charles; retournez dans votre retraite, revenez auprès de vos compagnons, ramenez votre butin et demain au matin nous le partagerons à noire aise. C'est moi qui me rendrai auprès du roi pour l'instruire. Car, si on l'assassinait, j'en aurais grande peine.

En disant ces paroles, les deux voleurs se séparèrent; Elegast se dirigea vers la retraite où il avait laissé ses compagnons, et Charles, le noble héros, rentra dans son château d'Ingelheim, le cœur tout oppressé et pensant que ceux qu'il comblait d'honneurs juraient sa perte.

La porte du palais était encore ouverte comme au moment du départ, toute la cour dormait profondément. Il replaça le cheval à l'écurie et se rendit à ses appartements avant que quelqu'un l'entendit ou le vit. Puis il se débarrassa de sa pesante armure.

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La sentinelle monta au haut des remparts et donna de la trompette pour annoncer le jour qu'on voyait se lever pur et serein. Alors se réveilla chaque homme à qui Dieu avait envoyé le sommeil pour que le départ du roi demeurât ignoré ! Aussitôt le roi Charles demanda un de ses chambellans et fit assembler son conseil secret. Il l'instruisit des projets d'Eggerik d'Eggermonde, qui ne devait pas tarder d'arriver avec toutes ses forces, afin de lui ôter la vie; il demanda avis au conseil et le conjura de veiller à la conservation de son honneur royal, confié à la garde des seigneurs.

Alors le duc de Bavière parla :

— Laissez-les venir, ils nous trouveront préparés ; plus d'un d'entre eux y perdra la vie. Voici un avis qui me semble bon à suivre. Il y a ici plus d'un Français intrépide venu de la France et du Boulonnais, plus d'un chevalier, plus d'un sergent, qui vint avec vous dans ce pays. Ils s'armeront tous et s'assembleront dans la grande salle, et vous même, seigneur roi, vous vous tiendrez debout tout armé au milieu d'eux. Ceux qui voudront vous frapper ou vous toucher parmi nous auront à faire à nous, nous vous défendrons, nous répandrons le sang sur leurs traces, et à Eggerik avant tous les autres.

Cet avis fut adopté.

Ils s'armèrent à la hâte ; tous ceux qui étaient là et qui avaient le droit de porter des armes, forts et faibles, tous juraient d'opposer une vigoureuse résistance. Eggerik était investi d'une puissance formidable, tous ceux qui habitaient sur les deux rives du Rhin se trouvaient heureux d'obtenir son appui.

Soixante hommes armés et couverts de leur haubert furent placés à la porte d'entrée. Lorsque les gens d'Eggerik parurent, on les laissa se précipiter en foule dans le palais d'Ingelheim. Mais lorsqu'ils furent entrés, on les dépouilla de leurs vêtements, et l'on trouva sur leurs corps nu des hauberts blancs et des dagues acérées. Le crime était manifeste. On les fit prisonniers tout autant qu'ils étaient, jusqu'à ce qu'on connut leurs noms. Eggerik arriva avec la dernière troupe ; celle-ci était chargée du meurtre. Comme Eggerik était à pied et qu'il essayait de pénétrer dans la salle, on ferma toutes les portes. On s'empara d'eux comme on avait fait des autres. On trouva le seigneur d'Eggermonde mieux armé encore que ses compagnons. On le conduisit dans le palais devant le roi son seigneur, dont la présence eut dû lui faire monter la rougeur de la honte à la face; Charles l'accusa du crime, Eggerik nia.

— Mon seigneur, s'écria-t-il, changez d'avis; car si vous me faites une offense non méritée, vous savez qu'une foule d'amis prendront mon parti et abandonneront le vôtre. D'ailleurs, vous ne seriez pas assez courageux, ni aucun de vos barons assez brave pour soutenir, monté sur son cheval de bataille, que je vous aie trahi. Si quelqu'un est là qui veut le prouver, je le lui ferai nier au moyen de ma dague ou de la pointe de ma lance. Que celui qui a de l'audace, paraisse donc !

Lorsque le roi entendit cela, il se réjouit dans son âme et envoya message sur message vers Elegast, afin de le faire venir aussi promptement que possible, lui promettant pardon de tous ses méfaits et lui assurant de grandes richesses s'il voulait soutenir le combat contre Eggerik.

Les envoyés firent comme le roi avait dit. Ils chevauchèrent avec tant d'ardeur qu'ils atteignirent bientôt Elegast, et lui apprirent ce que le roi désirait de lui. Elegast conçut une grande joie de ces paroles, car en entendant celte heureuse nouvelle, il abandonna aussitôt la selle enlevée à Eggerik, et pria par sa foi chrétienne que si Dieu lui voulait octroyer quelque grâce, il n'en demandait point d'autre que celle d'aller se battre pour défendre l'honneur de son légitime seigneur.

Les envoyés partirent bientôt après, amenant avec eux le bon chevalier Elegast. Lorsque ce dernier arriva dans la salle du roi, il dit : Dieu garde cette cour et le roi et tous ceux que j'aperçois ici! Mais quant à Eggerik, je le regarde comme indigne de mes salutations. Le Dieu saint qui se laissa crucifier, et la dame Vierge Marie, peuvent nous montrer aujourd'hui toute leur puissance, en prouvant à tous les regards qu'Eggerik d'Eggermonde mérite d'être pendu. Et certes, si le seigneur pouvait pécher, il pécherait aujourd'hui s'il dérobait à la potence, ce traître qui jura la mort du roi, notre sire, sans la moindre raison, sans aucune nécessité !

Eggerik eut bien voulu venger les amères paroles qu'Elegast venait de proférer, mais il n'en eut point le pouvoir, car ceux qui étaient là pour le contenir étaient en grand nombre.

— Sois bien venu à ma cour, s'écria le roi, en s'adressant au généreux chevalier. Par tous ceux qui implorent le Tout-Puissant à cause de leurs péchés ! je vous somme à cette heure, sire Elegast, de révéler le forfait, le meurtre affreux médité par Eggerik, que vous voyez devant vous; ne craignez point de parler en présence de tous ceux qui sont ici, dites la vérité, et voilà tout, racontez ce qui s'est passé!

— Volontiers, répondit Elegast, je ne vois point ce qui m'arrêterait. J'affirme donc dès à présent qu'Eggerik a juré votre mort. Je le lui ai entendu dire à sa femme qu'il frappa, parce qu'elle le priait de s'abstenir d'un semblable forfait.[4]

Et ce disant, Elegast montra au roi et à ceux qui l'entouraient, le gantelet où il avait recueilli le sang de la femme d'Eggerik.

— Si le traître ose nier cela, reprit-il, je le ferai bien se repentir de son crime, avant que le soleil ne descende de l'horizon. Car tout homme qui est provoqué en combat singulier, ne peut jamais refuser la lutte. Ainsi mon défi est-il accepté?

— Par ma foi ! intervint l'empereur, vous dites vrai ; et, si j'agissais d'après la justice, je devrais faire chercher un valet pour pendre ce misérable par la gorge!

Alors c'en fut fait d'Eggerik. Il pensa en lui-même, quand le roi eut parlé, qu'il valait mieux encore se battre que d'être pendu.

Dans toute la cour, il n'y eut pas une seule voix qui s'éleva en sa faveur, aussi le combat fut-il accepté. Le roi ordonna à ses barons de se tenir prêts et de se trouver armés au champ clos, un peu après l'heure de midi. Il fit préparer le lieu du combat, et implora le seigneur de vouloir décider de la lutte d'après le droit et la justice. Puis, il parla pour fortifier la résolution d'Elegast, et lui promit en mariage sa sœur, la femme du traître Eggerik, si le combat avait une heureuse issue, s'il n'y perdait point la vie ! On entoura le champ clos des cordes et d'hommes armés. Peu de temps avant l'heure de vêpres parut Elegast; il arriva le premier dans la lice, parce qu'il était l'accusateur. Puis, il s'agenouilla sur l'herbe et fit sa prière.—Dieu, par votre bonté, je vous supplie de m'accorder aujourd'hui le pardon de tous les méfaits que je commis oncques; je n'en ignore point la gravité! Dieu clément, en qui est toute puissance, ne vengez pas en ce jour mes péchés sur moi ! Oh ! par vos cinq plaies saintes que vous reçûtes à cause de notre perversité humaine, secourez-moi aujourd'hui, ne permettez point que je meure, que je sois blessé dans le combat. Dieu parfait ! si le poids de mes péchés ne m'attire point votre colère, j'ai grand espoir de sortir vainqueur de la lutte. Oh ! faites en sorte, je vous en prie, que je triomphe! Et vous Marie, douce dame, je veux vous servir avec une fidélité exemplaire, et si dans ce jour je conserve la vie, je n'irai plus désormais parcourir les bois et les lieux sauvages pour me livrer au brigandage et à la violence.

Lorsqu'Elegast eut achevé sa prière, il se signa de la main droite sur toutes les parties du corps, bénit son accoutrement de chevalier et le cheval qui l'attendait, et supplia encore le seigneur de pouvoir se comporter honorablement et de sortir intact de la lutte. Alors il s'assit sur la selle et s'appendit son écu au côté gauche.

Maintenant va commencer un combat acharné. Elegast saisit sa lance, car Eggerik accourait tout armé et plein d'ardeur dans le champ clos, le cœur enflammé de courroux. Puis sans adresser la moindre prière à Dieu, il aiguillonna vigoureusement son cheval des éperons et se précipita sur son adversaire; Elegast s'élança sur Eggerik et lui perça d'outre en outre le cuir qui recouvrait son haubert; le choc le fit tomber violemment de son palefroi. Eggerik tira promptement son épée du fourreau.

— A moi maintenant, s'écria-t-il, avancez je vous tuerai tous les deux, vous Elegast et votre cheval, à moins que vous tombiez tout d'abord le premier sur la sable, et alors votre destrier conservera la vie ; il est si fort et si vigoureux que ce serait vraiment dommage si je le tuais, tout le monde en aurait grande peine; certes, si vous devez gagner l'existence je vous conseille de garder votre cheval.

— Si vous n'étiez à pied, reprit aussitôt Elegast, j'abrégerais promptement ce combat; mais puisque vous êtes désarçonné je ne veux point vous frapper, je veux au contraire qu'il y ait du mérite à vous vaincre, dussé-je être puni de ma générosité. Ainsi donc replacez-vous sur votre destrier, battons-nous d'une manière digne de bons chevaliers ; dussé-je succomber dans la lutte, plutôt que de profiter de votre mésaventure, je préfère que ma conduite m'attire des éloges !

Mais le roi Charles était mécontent qu'Elegast tergiversât si longtemps pour épargner son antagoniste. Car Eggerik reprit aussitôt son cheval, et Elegast parlait encore que le premier était déjà remonté sur sa selle. Aussitôt recommença un combat qui dura longtemps encore après l'heure de vêpres, et certes, nul ne vit jamais dans un même jour une lutte si acharnée.

Alors le roi prit la parole : — Parle Dieu vrai et tout puissant ici-bas ! abrégez cette interminable lutte, s'écria-t-il. Elegast avait une épée d'une valeur inappréciable, elle était toute d'or, le roi la lui avait donnée en présent. Il la brandit avec force au-dessus de sa tête, et en frappa un coup si terrible qu'il trancha une partie de la tête d'Eggerik, et le traître tomba mort de sa selle.

A cet aspect, le roi s'écria plein de ferveur : Dieu tout puissant, qui êtes au-dessus de nous, louanges à vous, qui m'avez secouru dans cette circonstance. Ah ! combien sont insensés ceux qui ne vous servent point! car vous aidez toujours ceux qui recourent à vous !

Finissons cette histoire.

Eggerik fut trainé jusqu'à la potence, on le pendit avec tous ses compagnons, traîtres comme lui. Elegast fut comblé d'honneurs ; le roi lui donna la femme d'Eggerik en mariage, et ces deux époux fortunés ne se quittèrent plus de toute leur vie.

C'est ainsi que Dieu arrange toujours tout pour le mieux. Que le père céleste nous accorde grâce. Maintenant dites tous Amen.

 

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Sauf quelques invraisemblances, quelques croyances superstitieuses, inhérentes à l'époque, ce poème délayé convenablement dans un style élégant et chaleureux, produirait, nous paraît-il, une des plus jolies intrigues d'un roman de nos jours. Il y a parfois dans les pensées et dans les images, une élévation qui frappe. L'enchaînement des faits, et ceci est un mérite extraordinaire dans les productions de ces siècles, est rarement rompu ici par ces transitions brusques, imprévues, inadmissibles, qui caractérisent la plupart des œuvres d'imagination du moyen-âge. Dans Caerl ende Elegast, il y a une unité de personnages et de lieux qui en rend la lecture extrêmement attachante. Cà et là, l'on rencontre des peintures imposantes qui reproduisent admirablement la grande figure de Charlemagne, sa puissance, sa force musculaire, enfin tout ce qui constitue un héros de la chevalerie. D'un autre côté, le noble caractère d'Elegast est conservé jusqu'à la fin avec un rare bonheur. Puisse cette pâle traduction faire connaître combien notre vieille littérature flamande possède d'œuvres qui méritent d'être étudiées.

 

 

 

 

 


 

[1] Voir dans la Bibl. de l'Éc. des ch., 6, 1, 384-392, la discussion de M. G. Paris contre M. Bormans.

[2] Charlemagne.

[3] Nous omettons cette prière, dont la naïveté messiérait dans une traduction.

[4] Nous ne traduisons pas une douzaine de vers, qui ne sont qu'une répétition servile de ceux traduits plus haut où il est question de la scène entre Eggerik et sa femme.