le de divinatione de Cicéron

 

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Texte 12

CONTEXTE : Cicéron donne son explication d'une prophétie que Quintus a évoquée. La voici :

C. Coponius qui alors commandait la flotte de Rhodes vint te trouver à Dyrrachium*; c'était un homme fort instruit et avisé. Il le te dit qu'un rameur d'une galère rhodienne à cinq rangs de rames avait fait cette prophétie : dans moins de trente jours, la Grèce sera baignée de sang, Dyrrachium mis au pillage, toi et tes amis, vous vous embarqueriez pour fuir et vous verriez avec douleur, des navires vous emportant, l'incendie se propager. (...) Peu de jours après, Labiénus arriva de Pharsale annonçant la déroute et la perte de l'armée. Le reste de la prédiction ne tarda pas à s'accomplir : le blé pillé dans les granges se répandait surtous les chemins larges ou étroits, frappés de terreur vous courûtes brusquement aux bateaux et, regardant vers la ville dans la nuit, vous voyiez les navires de charge en flammes; les soldats y avaient mis le feu pour ne pas vous suivre.

Quid ! inquies, remex ille de classe Coponii, nonne ea praedixit quae facta sunt ? Ille vero, et ea quidem quae omnes eo tempore, ne acciderent, timebamus. Castra enim in Thessalia* castris collata audiebamus, videbaturque nobis exercitus Caesaris et audaciae plus habere, quippe qui patriae bellum intulisset, et roboris propter vetustatem**. Casum autem proelii nemo nostrum erat, quin timeret, sed ita, ut constantibus hominibus par erat, non aperte. Ille autem Graecus, quid mirum si magnitudine timoris, ut plerumque fit, a constantia atque a mente atque a se ipse discessit ? Qua perturbatione animi quae, sanus cum esset, timebat ne evenirent, ea demens eventura esse dicebat.

(*) C'est la guerre civile entre César et Pompée. Après des affrontements autour de Dyrrachium où il a le dessous, César se replie vers la Thessalie où Pompée le suit. La bataille décisive a lieu à Pharsale où César est vainqueur (48 ACN). Coponius était resté à Dyrrachium où il commandait la flotte. C'est là aussi que se trouvait Cicéron lui-même.
(**) L'armée de César était pour une part importante constituée de vétérans de la guerre des Gaules.

inquies : diras-tu
remex, igis : le rameur
ille : s.-e. [praedixit]
quippe qui + subj. : puisque
robor, oris : la force
vetustas, atis : l'ancienneté
quin = ut non
par, paris
: convenable, approprié
aperte : ouvertement

 

Eh quoi ? diras-tu, n'a-t-il pas prédit ce qui est arrivé par la suite ? Oui, il a prédit ce qu'à ce moment-là nous redoutions tous, car nous savions que les deux armées campaient en Thessalie et celle de César nous paraissait avoir et plus d'audace, parce qu'elle faisait la guerre à la patrie, et plus de force, parce qu'elle était composée de vétérans. Aucun de nous n'était tranquille quant à l'issue du combat mais en hommes à l'âme ferme nous ne laissions pas voir nos craintes. Quoi d'étonnant si ce Grec, dans sa terreur, ainsi qu'il arrive souvent, s'est démoralisé, a perdu l'esprit, a été hors de lui ? Dans son trouble il annonçait, devenu fou, ce qu'il redoutait quand il était dans son bon sens.  de divinatione, 2, 55.

Réfléchissons ...

1. Résume les faits. Comment pourrait-on caractériser rapidement les interprétations proposées par les deux frères ?
2. Quels sont les deux éléments qui expliquent, selon Cicéron, la "prophétie" du rameur ?
3. Ces éléments étaient présents chez d'autres. Pourquoi le rameur est-il le seul à avoir prophétisé ?
4. Montre que les représentations différentes que se font du rameur les deux interlocuteurs en présence s'intègrent à leur interprétation des faits.
5. Cicéron répond-il à tous les éléments de l'événement rapporté par Quintus ?

Réponses (Extrait 12 - 2, 55 (114))

1. Lors de la guerre civile, un rameur de la flotte pompéienne prédit la défaite de Pharsale et les troubles qui s'ensuivent. Quintus propose une interprétation surnaturelle, Cicéron une interprétation psychologique.
2. Cicéron attribue la prophétie à :
a) la déduction à partir d'observations et d'informations (audiebamus) : l'affrontement imminent, la présence des armées en Thessalie (> la Grèce couverte de sang), les avantages de César;
b) la crainte.
3. Ces informations et ces craintes étaient largement répandues notamment parmi les têtes du parti pompéien; mais en hommes responsables et forts (constantibus), ils refusaient d'en laisser rien paraître (non aperte). Leur contrôle sur eux-mêmes les empêchait de tenir des propos défaitistes.
4. Pour Quintus, le rameur est un "naïf", un "innocent"; sa basse condition rend "anormal", donc surnaturel, qu'il s'exprime sur des sujets aussi importants. Puisque le prophète, par lui-même, ne sait rien (ou ne devrait rien savoir) et qu'il parle de sujets qui le dépassent, c'est qu'une force (un dieu ?) parle par sa bouche. Pour Cicéron, le rameur est un Grec (Graecus) (les Romains les méprisaient pour leur "légèreté") en proie à la peur. C'est elle qui lui fait dire ce que beaucoup pensent sans le dire.
5. Cicéron insiste surtout sur un aspect de la prophétie : celui qui concerne la défaite de Pharsale. Il ne parle pas des conséquences à Dyrrachium (les troubles, l'incendie et la fuite des chefs pompéiens). Il est vrai que ces événements-là étaient moins prévisibles par la démarche rationnelle.

 

Texte 13

CONTEXTE : Cicéron analyse deux anecdotes concernant les oracles où un dieu est supposé répondre à ceux qui lui posent des questions.


Nam cum sors illa edita est opulentissimo regi Asiae,
"Croesus* Halyn* penetrans magnam pervertet opum vim", 
hostium vim sese perversurum putavit, pervertit autem suam. Utrum igitur eorum accidisset, verum oraculum fuisset. Cur autem hoc credam unquam editum Croeso ? Aut Herodotum** cur veraciorem ducam Ennio*** ? Num minus ille potuit de Croeso quam de Pyrrho fingere Ennius ? Quis enim est qui credat, Apollinis ex oraculo Pyrrho**** esse responsum,
"Aio te, Aeacida****, Romanos vincere posse?"
Primum latine Apollo nunquam locutus est. Deinde ista sors inaudita Graecis est. Praeterea Pyrrhi temporibus iam Apollo versus facere desierat. Postremo quanquam semper fuit, ut apud Ennium*** est,
"stolidum genus Aeacidarum****;
bellipotentes sunt magis quam sapientipotentes"
,
tamen hanc amphiboliam versus intelligere potuisset, "vincere te Romanos", nihilo magis in se quam in Romanos valere.

(*) Crésus : dernier roi de Lydie (Asie Mineure) (mort en 546 ACN); sa richesse était proverbiale. Il fut vaincu par Cyrus,le roi des Perses. Le fleuve Halys marquait la limite de son royaume.
(**) Hérodote : historien grec (Ve s. ACN). C'est lui qui nous a conservé l'histoire de Crésus.
(***) Ennius : poète latin (239 - 169 ACN). Son oeuvre principale est les Annales, poème épique sur l'histoire de Rome; il y évoquait la guerre contre Pyrrhus (voir ****).
(****) Pyrrhus (319 - 279 ACN) : roi d'Epire (Grèce); pénétra en Italie et battit les Romains plusieurs fois, mais toujours avec de lourdes pertes. Il finit par quitter l'Italie. Il passait pour le descendant d'Eaque, personnage légendaire, grand-père d'Achille.

sors, sortis : la prophétie
opulentus, a, um : riche
Halyn : acc.
penetrare, o, avi, atum + acc. : pénétrer dans
pervertere, o, verti, versum : renverser
vis : ici : l'abondance
verax, acis : vrai
ducere : considérer comme
versus, us : le vers
stolidus, a, um : stupide
Aeacides, ae : fils, descendant d'Eaque (Aeacida : voc.); voir ****
bellipotens, ntis : puissant à la guerre, guerrier
sapientipotens, ntis : puissant par la sagesse, sage
amphibolia, ae : l'ambiguïté, le double sens
nihilo magis : en rien plus, autant

 


Ainsi quand au roi le plus riche de l'Asie fut donnée cette réponse : "En passant l'Halys, Crésus renversera un grand empire", Crésus crut qu'il renverserait la puissance de l'ennemi, ce fut la sienne. Quoi qu'il arrivât, l'oracle avait dit vrai. Mais pourquoi croirai-je que cette réponse fut faite à Crésus ? Pourquoi attribuerai-je à Hérodote plus de véracité qu'à Ennius ? L'historien grec était aussi capable d'inventer une histoire sur Crésus, que le poète Ennius d'en fabriquer une sur Pyrrhus. Qui peut croire que l'oracle d'Apollon ait répondu : "J'affirme, Eacide, toi les Romains pouvoir vaincre". D'abord Apollon n'a jamais parlé latin ; en second lieu les Grecs ignorent cette réponse ; de plus, au temps de Pyrrhus, Apollon avait cessé de répondre en vers. Enfin, bien que, suivant le mot d'Ennius, "la race obtuse des Eacides brillât plus par ses qualités guerrières que par son aptitude à réfléchir", Pyrrhus n'eût pas manqué de comprendre ce que ces mots : "toi les Romains vaincre" avaient d'amphibologique.  de divinatione, 2, 56.

Réfléchissons ...

1. Résume les faits.
2. Qu'est-ce que les deux anecdotes évoquées ici ont en commun ?
3. Analyse les réponses de l'oracle. Montre en quoi les mécanismes sont différents.
4. Un petit jeu grammatical : une prédiction se fait au futur; pourquoi la réponse faite à Pyrrhus n'est-elle pas au futur ?
5. Cicéron fait une double critique de ces anecdotes; sur quoi porte-t-elle ?
6. Démonte le mécanisme des critiques de Cicéron.
7. Quels sont les arguments que développe Cicéron contre l'histoire rapportée par Ennius ? Sont-ils tous recevables ?  

Réponses (Extrait 13 - 2, 56 (115 - 116))

1. Crésus interroge l'oracle qui lui répond que s'il franchit la frontière de ses Etats, ce sera la fin d'un grand empire; c'est lui qui sera vaincu.
Pyrrhus interroge l'oracle sur sa guerre contre les Romains; l'oracle lui laisse supposer qu'il peut les vaincre, mais la phrase est construite de telle manière qu'elle peut signifier l'inverse.
2. Dans les deux cas, l'oracle fournit une réponse qui à première vue, annonce au consultant la victoire en cas de conflit. Mais c'est la défaite qui l'attend. En réalité, les réponses sont ambiguës et les consultants y ont vu ce qui les confortait dans leur projet.
3. Les deux réponses ne fonctionnent pas de la même manière :
a) la réponse a un sens, mais la formulation ne permet pas de savoir à qui elle s'applique. A qui appartient la magna opum vis ? L'ambiguïté réside aussi dans le fait que pervertet peut désigner une action immédiate (Crésus détruit l'empire perse) ou médiate (en attaquant l'empire perse, Crésus provoque une réaction et ce sont les Perses qui détruisent l'empire de Crésus).
b) la réponse a deux sens : dans la prop. inf., le sujet et le COD se mettent au même cas; ils sont donc (théoriquement) interchangeables. En général, le sens empêche la confusion; dans ce cas précis, la place du te incite à penser qu'il est S., mais grammaticalement, l'analyse de te comme COD est possible.
4. Si l'inf. fut. de vincere était employé dans la prop. inf., il y aurait accord grammatical avec le sujet et l'ambiguïté disparaîtrait (te Romanos victurum ou te Romanos victuros).
5. La critique de Cicéron porte à la fois sur le mécanisme des réponses de l'oracle et sur la véracité des faits.
a) Il est malhonnête de répondre à une question de telle manière que la réponse s'avère exacte, quelles que soient les circonstances.
b) Mais Cicéron met même en doute que les faits se soient passés ainsi. C'est l'information elle-même qui est rejetée.
6. L'oracle a fourni une réponse ambiguë à Crésus. Mais, de toute façon, je doute que cette histoire soit vraie. Il n'y a pas de raison de croire Hérodote plus qu'Ennius. Or, Ennius raconte une histoire invraisemblable de même type. Si Ennius nous a raconté une fiction, Hérodote peut l'avoir fait aussi.
7.
a) Apollon ne parle pas latin.
Ennius ne prétend pas reproduire les paroles exactes d'Apollon; il en fournit une traduction. (L'ambiguïté est possible en grec à condition d'employer phemi.)
b) L'histoire est inconnue de la tradition grecque.
c) A l'époque de Pyrrhus, les oracles étaient en prose.
Ennius écrivant en vers ne pouvait pas faire exception pour la réponse d'Apollon.
d) Il faut être stupide pour ne pas voir l'ambiguïté.

Texte 14

CONTEXTE : Cicéron combat l'idée émise par Quintus que les rêves peuvent annoncer l'avenir.

Iam vero quis dicere audeat, vera omnia esse somnia ? "Aliquot somnia vera, inquit Ennius*; sed omnia noenum necesse." Quae est tandem ista distinctio ? Quae vera, quae falsa habet ? Et, si vera a deo mittuntur, falsa unde nascuntur ? Nam si ea quoque divina, quid inconstantius deo ? Quid inscitius autem est quam mentes mortalium falsis et mendacibus visis concitare ? Sin vera visa divina sunt, falsa autem et inania humana, quae est ista designandi licentia, ut hoc deus, hoc natura fecerit potius quam aut omnia deus, quod negatis, aut omnia natura ? Quod quoniam illud negatis, hoc necessario confitendum est. Naturam autem eam dico, qua nunquam animus insistens agitatione et motu esse vacuus potest. Is, cum languore corporis nec membris uti nec sensibus potest, incidit in visa varia et incerta ex reliquiis, inhaerentibus earum rerum, quas vigilans gesserit aut cogitarit; quarum perturbatione mirabiles interdum exsistunt species somniorum. Quae si alia vera, alia falsa, qua nota internoscantur, scire sane velim. Si nulla est, quid istos interpretes audiamus ?

(*) Ennius : poète latin (239 - 169 ACN). Son oeuvre principale est les Annales, poème épique sur l'histoire de Rome.

noenum = non
habere
: considérer comme
habet : S. s.-e. [distinctio]
inscitus, a, um : inconséquent, absurde
concitare, o, avi, atum : exciter, émouvoir
designare, o, avi, atum : faire la distinction
licentia, ae : la permission, le pouvoir (que l'on se donne de faire qqchose)
ut : introduit une prop. de conséquence
quod quoniam : or, puisque
naturam : s.-e. [visa facere]
insistere, o, stiti, stitum : s'arrêter
insistens : même au repos
vigilare, o, avi, atum : être éveillé
gesserit - cogitarit : subj. d'indétermination
exsistere, o, stiti, stitum : sortir, s'élever de
internoscere, o, novi, notum : connaître


Qui oserait dire enfin que tous les songes sont véridiques ? Quelques-uns le sont, dit Ennius, il n'est nullement nécessaire qu'ils le soient tous. Que signifie cette distinction ? A quoi reconnaît-on ceux qui sont véridiques et ceux qui sont fallacieux ? Et si les premiers sont des messages divins, d'où les autres viennent-ils ? Si, en effet, ils sont également divins, quoi de plus inconséquent qu'un dieu ? Quoi de moins raisonnable que d'agiter les âmes des hommes par des visions mensongères qui ne peuvent que les égarer ? Si les songes véridiques sont d'origine divine et ceux qui sont fallacieux et vains d'origine humaine, de quel droit les distinguez-vous, désignant telle vision comme ayant un dieu pour auteur, telle autre comme naturelle, au lieu de les rapporter toutes à la divinité, parti que vous refusez d'admettre ou de les déclarer toutes naturelles ? C'est cependant la conclusion qui s'impose puisque vous rejetez l'autre hypothèse. Quand je dis que les songes sont l'oeuvre de la nature, j'entends par là que l'esprit ne reste jamais immobile, il y a en lui une agitation incessante. Lorsque l'engourdissement des corps ne lui permet de faire usage ni des membres ni des sens, ce sont des visions instables et incertaines qui l'occupent, résidu des pensées qu'il a formées et des actions qu'il a résolues pendant la veille. De la confusion qui règne alors peuvent naître parfois dans le rêve les visions les plus étranges. Si les unes sont véridiques, les autres fallacieuses, je voudrais savoir à quelle marque on les distinguera les unes des autres. S'il n'y a aucun critérium, quelle audience les interprètes méritent-ils ?  de divinatione, 2, 62. 

Réfléchissons ...1. 

Quel est le raisonnement que combat Cicéron ? Pour aider ta réflexion, voici ce que Quintus a dit au sujet des rêves :

Mais, objectera-t-on, bien des songes sont menteurs. Ne devrait-on pas dire plutôt que nous ne savons pas les interpréter ? Admettons cependant qu'il y en ait de menteurs, qu'est-ce que cela prouve contre ceux qui disent vrai ? Et peut-être y en aurait-il beaucoup plus si nous étions davantage nous-mêmes à l'état de pureté quand nous allons dormir : remplis de nourriture et de vin comme nous le sommes, nous avons des visions troubles et confuses. (...)
S'il est vrai que, de la fonction dévolue aux yeux, les yeux seuls peuvent s'acquitter et, d'autre part, qu'ils peuvent quelquefois ne pas remplir leur office, on est en droit de dire qu'avoir fait usage, ne fût-ce qu'une fois, de ses yeux pour voir les choses comme elles sont, c'est d'avoir montré qu'on possédait le sens de la vue et qu'on pouvait par lui avoir des perceptions vraies. De même, si en l'absence d'une faculté divinatoire, la divination est impossible, quelqu'un qui possède cette faculté peut bien se tromper quelquefois et prendre le faux pour le vrai, mais il suffit, pour qu'on puisse tenir pour établie l'existence d'une faculté divinatoire qu'une prophétie ait été , ne fût-ce qu'une fois, reconnue véridique dans des conditions permettant d'exclure l'hypothèse d'une coïncidence fortuite.

2. Quelles sont les objections que soulève Cicéron ?
3. Comment Cicéron explique-t-il le mécanisme des rêves ?
4. L'explication fournie par Cicéron du mécanisme des rêves est très simple. Montre pourquoi elle est à l'opposé de la divination.

Réponses (Extrait 14 - 2, 62 (127 - 128))

1. Tous les rêves n'annoncent pas l'avenir.
Mais certains annoncent l'avenir.
Donc, la divination existe.

Réf. du texte cité
: de div., I, 29 et 32
2. Certains rêves sont vrais et d'autres faux.
Si les rêves vrais sont envoyés par les dieux, d'où viennent les faux ?
a) Ils viennent aussi des dieux.
Donc, les dieux sont fantasques.
[Or, les dieux ne sont pas fantasques; donc, les rêves faux ne viennent pas des dieux.]
b) Ils viennent de l'homme.
L'homme n'a pas le moyen de faire la distinction entre les vrais et les faux. Seul, l'avenir une fois réalisé permet de faire le tri, mais si l'homme ne peut savoir qu'après coup quels sont les songes véridiques, il n'y a pas à proprement parler de divination.
3. Les rêves ne sont rien d'autre que la manifestation pendant le sommeil des préoccupations de l'état de veille. La "langueur" du corps et des sens explique le caractère désordonné (varia et incerta) et bizarre (mirabiles) du rêve.
4. Loin d'apporter des éclaircissements sur l'avenir, le rêve n'exprime que le passé (vigilans gesserit aut cogitarit); le rêve ne me renseigne pas sur ma destinée, mais sur ce que j'ai en tête. Voir à ce sujet de div., 1, 29 qui renvoie à PLATON, Rép., 9, 571 c-d.

Texte 15

CONTEXTE : Cicéron combat l'idée émise par Quintus que les rêves peuvent annoncer l'avenir.

Defert ad coniectorem quidam, somniasse se ovum pendere ex fascea lecti sui cubicularis (est hoc in Chrysippi* libro somnium); respondit coniector, thesaurum defossum esse sub lecto. Fodit; invenit auri aliquantum, idque circumdatum argento. Misit coniectori, quantulum visum est de argento. Tum ille : "Nihilne, inquit, de vitello." Id enim ei ex ovo videbatur aurum declarasse, reliquum argentum. Nemone igitur unquam alius ovum somniavit ? Cur ergo hic nescio qui thesaurum solus invenit ? Quam multi inopes, digni praesidio deorum, nullo somnio ad thesaurum reperiendum admonentur ? Quam autem ob causam tam est obscure admonitus, ut ex ovo nasceretur thesauri similitudo potius quam aperte thesaurum quaerere iuberetur ? Ergo obscura somnia minime consentanea sunt maiestati deorum.

(*) Chrysippe : philosophe grec (IIIe s. ACN)

coniector, oris : l'interprète (des signes)
ovus, i : l'oeuf
fascea, ae : la sangle
cubicularis, e : de la chambre à coucher (la précision est due au fait que les Romains utilisaient aussi des lits de table)
thesaurus, i : le trésor
defodere, io, fodi, fossum : enterrer
fodere, io, fodi, fossum : creuser
aliquantus, a, um : en assez grande quantité
quantulum : aussi peu
vitellum, i : le jaune (d'oeuf)
id = vitellum
hic nescio qui
: je ne sais qui, cet inconnu
aperte : ouvertement
consentaneus, a, um : conforme à, en accord avec

 

Quelqu'un rapporte à un interprète qu'il a vu en rêve un oeuf pendu aux sangles de son lit (ce rêve est raconté dans le livre de Chrysippe). L'interprète répond qu'il y a un trésor caché sous ce lit. Le songeur creuse et trouve une certaine quantité d'or avec de l'argent tout autour. Après quoi il envoie au devin une partie de l'argent, tout juste assez pour ne pas avoir l'air de vouloir tout garder. N'aurai-je donc rien du jaune ?", dit alors l'interprète pour qui cette partie de l'oeuf apparu en rêve représentait l'or et le reste l'argent. Aucun autre homme n'a-t-il donc fait ce rêve d'un oeuf ? Pourquoi cet inconnu est-il le seul qui ait trouvé un trésor ? Combien d'indigents méritant d'être secourus par les dieux n'ont jamais fait un songe pouvant les conduire à la découverte d'un trésor ? Et pourquoi un avis si obscur, cet oeuf qui devient un trésor ? Pourquoi l'homme ainsi favorisé n'a-t-il pas été clairement invité à chercher le trésor [tout de même qu'il fut clairement enjoint à Simonide de ne pas s'embarquer] ? Ces songes obscurs me paraissent très peu compatibles avec la majesté des dieux.  de divinatione, 2, 65.

Réfléchissons ...

1. Résume les faits.
2. Analyse le mécanisme de l'interprétation du rêve.
3. Quels sont les arguments développés par Cicéron pour démontrer l'absurdité de cette anecdote ?
4. Cicéron croit-il que cette histoire est vraie ?

Réponses (Extrait 15 - 2, 65 (134))

1. Un homme rêve d'un oeuf suspendu aux sangles de son matelas. Il consulte un devin qui lui dit qu'un trésor est enterré sous son lit. Il creuse et découvre un trésor constitué d'or et d'argent. Le devin estime son salaire insuffisant.
2. La situation de l'oeuf indique la situation du trésor (sous le lit). L'oeuf symbolise le trésor puisqu'il est constitué de jaune (l'or) et de blanc (l'argent).
3.
a) Si un oeuf vu en rêve symbolise un trésor, il doit toujours en être ainsi. Or, des gens rêvent d'oeuf sans découvrir de trésor.
b) Pourquoi des indigents dignes de la sollicitude divine ne rêvent-ils pas d'oeuf et ne découvrent-ils pas de trésor?
c) Si les dieux utilisent une voie détournée (oeuf = trésor) pour communiquer leur message, alors que l'avertissement aurait pu être direct (il y a un trésor sous le lit), c'est qu'ils sont fantasques. Or, ils ne le sont pas. Donc, le rêve n'est pas un message divin.
4. Cicéron rapporte une anecdote qu'il a trouvée dans un livre grec. Rien dans le texte de Cicéron ne nous permet de dire qu'il considère que les faits rapportés se sont réellement passés. Il peut très bien se livrer à une critique in abstracto, à moins qu'il ne s'en prenne à une anecdote à laquelle son frère accorde foi. Cicéron mentionne que l'anecdote concerne un inconnu (hic nescio qui). C'est peut-être un indice de scepticisme.