le de divinatione de Cicéron

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Texte 1

 

Nam quid ego hospitem nostrum, clarissimum atque optimum virum, Deiotarum* regem, commemorem qui nihil unquam nisi auspicato** gerit ? qui, cum ex itinere quodam proposito et constituto revertisset, aquilae admonitus volatu, conclave illud, ubi erat mansurus, si ire perrexisset, proxima nocte corruit.

(*) Déjotarus (vers 115 - 40 ACN) : roi de Galatie (Asie Mineure); allié de Rome; en 51, il aide Cicéron, gouverneur en Cilicie (Asie Mineure). C'est à cette occasion que se nouent les liens d'hospitalité entre les frères Cicéron et Déjotarus. Voici ce qu'en dit Cicéron : 
Mes fonctions m'ont fait devenir l'ami de Déjotarus; une bonne volonté commune nous a unis des liens de l'hospitalité; les relations suivies créèrent l'intimité; mais c'est surtout son grand dévouement pour moi et mon armée qui nous attacha l'un à l'autre.
(**) les auspices : avant de s'engager dans une entreprise importante (voyage, guerre, ...), on consulte les auspices (au sens strict les vols d'oiseaux, mais d'autres signes sont exploités) pour savoir si les dieux approuvent ou désapprouvent l'action projetée.

auspicari, or atus :  sum prendre les auspices
auspicato : abl. absolu sans sujet ; (forme impers.) : "les auspices une fois pris"
revertere, o verti, versum : revenir sur ses pas, rebrousser chemin
volatus, us : le vol (d'un oiseau)
conclave, is : n.la chambre
corruere, o, ui, utum : s'effondrer
Est-il besoin de rappeler le roi Déjotarus, cet homme d'un si grand renom et d'une si haute vertu, qui nous est uni par les liens de l'hospitalité ? Jamais il ne fait rien sans avoir pris les auspices. Il avait un jour décidé de partir en voyage et s'était mis en route ; averti par le vol des oiseaux, il revint sur ses pas et le gîte où il aurait dû se reposer s'il avait continué son chemin s'effondra la nuit suivante.  de divinatione, 1, 15.

Réfléchissons ...

1. Fais le point : résume les faits.
2. L'histoire racontée ici a-t-elle des chances d'être vraie ? Fonde ta réflexion sur la personnalité des protagonistes et sur les textes ci-dessous.

Dans la ville (Chios, en Grèce),à la même époque, le toit d'une école s'écroula sur les enfants qui apprenaient à lire, en sorte que, de cent qu'ils étaient, un seul réchappa. Hérodote (Ve ACN)

Ayant échappé à la mort contre toute espérance, Hérode acquit la réputation de favori de la divinité; comme ce soir-là, une foule de personnages importants avaient soupé avec lui, à la fin du banquet, dès que tout le monde fut sorti, l'édifice s'écroula.  Flavius Josèphe (Ier PCN)

Nous habitons une ville qui n'est en grande partie étayée que sur de minces poutres. C'est de cette façon-là que le gérant pare aux éboulements; et quand il a bouché la fissure d'une vieille crevasse, il invite les gens à dormir en toute sécurité - sous la menace du désastre !   Juvénal (IIe PCN)

3. N'oublie pas que Quintus tente de convaincre son frère que la divination existe. Quels sont les procédés employés pour atteindre ce but ?
4. Mets en évidence le raisonnement implicite suivi par Quintus.
5. Vois-tu des possibilités de critique ?

Réponses (Extrait 1 - 1, 15 (26))

1. Déjotarus part en voyage selon un itinéraire bien établi. Un vol d'aigle est interprété comme un mauvais présage; il rebrousse chemin; la nuit suivante, la chambre où il aurait dû loger s'effondre.
2. L'histoire est relativement récente : elle est arrivée à un personnage toujours en vie; le narrateur (Quintus) et l'auteur (Marcus) connaissent personnellement Déjotarus; peut-être leur a-t-il raconté l'incident lui-même.
De plus, de tels accidents n'étaient pas rares (voir textes) 
(Réf. des textes cités : CIC., pro Dej., 39; HDT., 6, 27; FL. JOS., Bell. Iud., 1, 17, 4; JUV., 3, 190 - 196)
3. Quintus se borne à évoquer (quid ... commemorem) le personnage; c'est une manière de faire remarquer qu'il va parler d'un personnage bien connu de son interlocuteur; il en va peut-être de même de l'anecdote qui va suivre.
Hospitem
: rappel du lien personnel existant entre les Cicéron et Déjotarus, d'où caractère fiable de l'information.
Clarissimum et optimum
: renom et excellence du personnage, d'où validité de la divination (x est un homme considérable; x fait confiance à la divination; donc, la divination est une pratique valable).
4. Dans des circonstances précises et assurées, l'avenir a été prévu et s'est réalisé. Donc, il y a possibilité de connaître l'avenir; donc, la divination existe.
5. Pourquoi le message concernant l'avenir est-il formulé de manière symbolique (on pourrait imaginer un avertissement direct), floue (vol d'aigle, donc danger; mais lequel ?) et hasardeuse (et si Déjotarus ne l'avait pas vu ?) ?
N'y a-t-il pas des cas où le signe se manifeste sans être suivi de réalisation ou inversement n'y a-t-il pas des catastrophes sans signe avant-coureur ?
L'effondrement n'a-t-il pas fait des victimes ? Si oui, pourquoi n'ont-elles pas été prévenues ?
Dans l'Antiquité, on part toujours en voyage avec quelque inquiétude. Le "pressentiment" de Déjotarus n'en est peut-être que la manifestation.
Enfin, Cicéron lui-même se livre à une critique de l'anecdote rapportée par Quintus (2, 7 - texte 7 ci-après). 

Texte 2


Dyrrachium ou Durazzo

At ex te ipso non commenticiam rem, sed factam eiusdem generis audivi : C. Coponium ad te venisse Dyrrachium*, cum classi Rhodiae praeesset, cumprime hominem prudentem atque doctum, eumque dixisse remigem quemdam e quinqueremi Rhodiorum** vaticinatum madefactum iri minus XXX diebus Graeciam sanguine, rapinas Dyrrachii, et conscensionem in naves cum fuga fugientibusque miserabilem respectum incendiorum. Paucis sane post diebus ex Pharsalia fuga venisse Labienum***; qui cum interitum exercitus nuntiavisset, reliqua vaticinationis brevi esse confecta. Nam et ex horreis direptum effusumque frumentum vias omnes angiportus constraverat et naves subito perterriti metu conscendistis et noctu ad oppidum respicientes flagrantes onerarias, quas incenderant milites, quia sequi noluerant, videbatis; postremo, verum vatem fuisse sensistis.

*  C'est la guerre civile entre César et Pompée. Les armées ennemies s'affrontent d'abord autour de Dyrrachium et César a le dessous. Il se replie alors vers la Thessalie. Pompée le suit. La bataille décisive a lieu à Pharsale. César y remporte la victoire. 
Cicéron, après avoir longuement hésité, s'est rallié à Pompée. Il est à Dyrrachium, mais il ne suit pas Pompée en Thessalie.

** Rhodes avait fourni à Pompée une flotte importante.
***  Labienus (vers 100 - 45 ACN) : il a été le bras droit de César pendant toute la guerre des Gaules; au début de la guerre civile, il rejoint le camp de Pompée.

 

te ipso : désigne Marcus Cicéron
commenticius, a, um : inventé, imaginé
C. Coponium ... confecta :  propositions infinitives dépendant d'audivi
cumprime
(adv.) : parmi les premiers
remex, igis : le rameur
quinqueremis, is : la quinquérème (navire à cinq rangs de rameurs)
vaticinari, or, atus sum : prophétiser
madefacere, io, feci, factum: mouiller, arroser
madefactum iri:  inf. fut. p.
conscensio, ionis : la montée
respectus, us: la vue
interitus, us: la mort

vaticinatio, ionis: la prophétie
brevi : en peu de temps
horreum, i : le grenier, l'entrepôt
angiportus, us :  la ruelle
oneraria (navis) :  le navire de transport


Mais je tiens de toi un exemple analogue qui n'a rien d'une fiction, c'est un fait positif que tu m'as raconté. C. Coponius, qui alors commandait en qualité de préteur la flotte de Rhodes, vint te trouver à Dyrrachium ; c'était un homme fort instruit et avisé. Il te dit qu'un rameur d'une galère rhodienne à cinq rangs de rames avait fait cette prophétie : dans moins de trente jours la Grèce serait baignée de sang, Dyrrachium mis au pillage, toi et tes amis vous vous embarqueriez pour fuir et vous verriez avec douleur des navires vous emportant, l'incendie se propager [tandis que la flotte de Rhodes irait chercher promptement un abri dans son port d'attache. Tu ne laissas pas d'être fort troublé. Marcus Varron et M. Caton qui étaient auprès de toi, des hommes cultivés, certes, furent épouvantés.] Peu de jours après, Labienus arriva de Pharsale annonçant la déroute et la perte de l'armée. Le reste de la prédiction ne tarda pas à s'accomplir : le blé pillé dans les granges se répandait sur tous les chemins larges et étroits, frappés de terreur vous courûtes brusquement aux bateaux et, regardant vers la ville dans la nuit, vous voyiez les navires de charge en flammes ; les soldats y avaient mis le feu parce qu'ils ne voulaient pas vous suivre ; [la flotte de Rhodes vous avait abandonnés] et vous reconnûtes que le prophète avait dit vrai.  de divinatione, 1, 22.

Réfléchissons ...

1. Fais le point : quels sont les faits rapportés ?
2. L'histoire est-elle vraie ?
3. Quels sont les procédés employés par Quintus pour donner du poids à son anecdote ?
4. Quel est l'aspect insolite de la prophétie ? En quoi la renforce-t-il ?
5. Quels sont les éléments de la prophétie ? Mets-les en parallèle avec leur réalisation. Montre que ce parallélisme apparaît dans le choix des mots.
6. ... madefactum iri minus XXX diebus Graeciam sanguine : cette première donnée des propos du rameur est-elle vraiment une prophétie ? A titre d'indice, voici un autre extrait du de divinatione :

Quand Crésus reçut cette réponse : "En passant l'Halys [frontière entre le royaume de Crésus et la Perse], Crésus renversera un grand empire", il crut qu'il renverserait la puissance de l'ennemi, mais ce fut la sienne. Quoi qu'il arrivât, l'oracle avait dit vrai.

7. Quelle explication rationnelle peut-on avancer des événements rapportés par Quintus ? Voici quelques textes qui aideront ta réflexion :

Tu voudrais que je t'écrive, mais je ne peux le faire car il ne se passe rien qui mérite d'être écrit, vu que je n'approuve en aucune manière, ni ce qui arrive, ni ce qu'on fait. Cicéron (lettre écrite au camp de Pompée)

Il n'y avait personne parmi nous qui ne craignît l'issue de la bataille. Cicéron

Il ne dissimulait pas son regret d'être venu, raillait l'état des préparatifs de Pompée, dénigrait en secret ses desseins, ne se tenait pas de lancer constamment un sarcasme ou une plaisanterie aux gens de son parti. Il se promenait toujours dans le camp, sans rire lui-même et gardant un air sombre. Plutarque (Vie de Cicéron)

Lors d'un combat devant Dyrrachium, comme Pompée, exhortant ses troupes, avait donné l'ordre à chacun de ses officiers de dire un mot d'encouragement aux soldats, ceux-ci avaient écouté froidement et en silence.  Plutarque (Vie de Caton)

Réponses (Extrait 2 - 1, 22 (68 - 69))

1. Pendant la guerre civile, un rameur prophétise la bataille de Pharsale et ses conséquences à Dyrrachium (pillages, incendies, fuite des partisans de Pompée et trahison de la flotte rhodienne). La prophétie se réalise.
2. L'histoire a toutes les garanties de l'authenticité : Cicéron fait dire à Quintus que c'est lui-même qui la lui a racontée. Cicéron était à Dyrrachium. De plus, les événements qu'ils racontent étaient bien connus.
3. Quintus fait appel à un événement dont son interlocuteur a été le témoin - et même un des acteurs. La prophétie du rameur est rapportée par un personnage que Quintus qualifie de prudens atque doctus, ce qui laisse supposer que Coponius a pris cette prophétie au sérieux. Il s'agit de l'"argument d'autorité" : une personne savante et avisée a cru à la valeur de la prophétie. Donc, cette prophétie a une valeur.
4. La prophétie est faite par un personnage de condition fort basse : un rameur (un esclave, peut-être). La basse extraction sociale du prophète laisse supposer son ignorance. Par conséquent, la "naïveté" du personnage est une garantie que ce n'est pas vraiment lui qui s'exprime, mais un dieu par sa bouche.
5.

Prophétie

la Grèce couverte de sang

le pillage de Dyrrachium

la fuite par mer
(conscensionem in naves)

l'incendie (respectum incendiorum)

 

Réalité

la bataille de Pharsale

les soldats pillent les entrepôts

les têtes du parti pompéien prennent la mer
(naves conscendistis)

les soldats incendient la flotte pour ne pas suivre les chefs pompéiens (respicientes ... incenderant)

 

6. La Grèce couverte de sang est une prévision hautement vraisemblable : en effet, l'affrontement entre les armées de César et de Pompée était inévitable et aurait lieu en Grèce. Par contre, la prophétie du rameur ne dit rien ni de l'endroit de la rencontre, ni surtout du camp à qui reviendra la victoire. La suite laisse néanmoins supposer qu'elle irait aux césariens.
Réf du texte cité
: de div, 2, 56
7. Le caractère prophétique des paroles du rameur repose sur le fait que le rang très modeste du personnage aurait dû l'empêcher d'émettre par lui-même des considérations clairvoyantes sur la situation à venir. Mais ne peut-on imaginer que parmi les acteurs -même modestes- des événements, les commentaires allaient bon train? De plus,l'ambiance n'était pas à l'optimisme dans le camp pompéien. A titre d'information, l'anecdote suivante montre que Pompée lui-même n'était pas très rassuré sur l'issue de la bataille :

Pendant la nuit [avant Pharsale], Pompée se vit en songe entrant dans son théâtre aux applaudissements de la foule, et ornant lui-même de nombreuses dépouilles le temple de Vénus victrix. Cette vision, d'un côté, était encourageante, mais de l'autre assez inquiétante, car il craignait d'apporter lui-même la gloire et l'éclat de la victoire à César dont la race remontait à Vénus. Plutarque, Vie de Pompée, 68, 2 -3

Réf. des textes cités : CIC., ad Att., 11, 4; de div., 2, 55 ; PLUT., Cic., 38; Cat. Min., 54 

Texte 3

Bello Punico secundo*, nonne C. Flaminius, consul iterum, neglexit signa rerum futurarum magna cum clade rei publicae ? Qui cum castra movisset et contra Hannibalem legiones duceret, et ipse et equus eius ante signum Iovis Statoris** sine causa repente concidit, nec eam rem habuit religioni, obiecto signo, ut peritis videbatur, ne committeret proelium. Idem cum tripudio*** auspicaretur, pullarius diem proelii committendi differebat. Tum Flaminius ex eo quaesivit si ne postea quidem pulli pascerentur, quid faciendum censeret. cum ille quiescendum respondisset, Flaminius : "Praeclara vero auspicia, si esurientibus pullis, res geri poterit, saturis, nihil geretur." Itaque signa convelli et se sequi iussit. quo tempore cum signifer**** signum non posset movere loco, nec quidquam proficeretur, plures cum accederent, Flaminius, re nuntiata, suo more neglexit. Itaque tribus his horis concisus exercitus atque ipse interfectus est.

(*) La deuxième guerre Punique (entre Rome et Carthage) (219 - 201 ACN) fut marquée par plusieurs défaites infligées aux Romains par Hannibal. Celle qui est évoquée ici a eu lieu près du lac Trasimène (217); Flaminius commandait l'armée romaine.
(**) Jupiter Stator (qui arrête les fuyards) : il y avait à Rome un temple de Jupiter Stator sur le forum à l'endroit où, selon la légende, Jupiter avait arrêté la fuite des Romains qui reculaient devant l'ennemi. Il y avait des temples (et des statues) de Jupiter Stator un peu partout en Italie.
(***) "Les augures ont mis au point pour les campagnes militaires un système particulier pour prendre les auspices: celui des poulets sacrés. Le matin de la bataille, on regarde si les poulets mangent bien en laissant tomber de la nourriture du bec; en ce cas, les auspices sont favorables. En cas contraire, mieux vaut ne pas engager le combat."(Florence DUPONT, la vie quotidienne du citoyen romain sous la République, p. 209)
(****) L'enseigne joue le rôle de drapeau de la légion. Le bas de la hampe est pourvu d'une pointe qui permet de la planter dans le sol. Au moment où l'armée se met en route, le porte-enseigne doit donc l'arracher du sol.

 

signum, i : attention ! les sens de signum sont très nombreux; ici, 1. la statue 2. le signe 3. l'enseigne
habere aliquid religioni : avoir un scrupule religieux à propos de quelque chose
tripudium, i : le tripudium (voir note ***)
auspicari, or, atus sum : prendre les auspices
pullarius, i : le devin qui a la charge des poulets sacrés
pullus, i : le poulet
praeclarus, a, um : fameux
esurire, io, ivi : avoir faim
satur, uris : repu
convellere, o, ulsi, ulsum : arracher
signifer, eri : le porte-enseigne
nihil proficitur : cela ne sert à rien, cela ne donne aucun résultat

 

 


Pendant la deuxième guerre punique le mépris qu'affecta Caius Flaminius, consul pour la deuxième fois, pour les présages n'eut-il pas pour suite un grand désastre national ? [Après la lustration de l'armée], il avait levé le camp et conduisait les légions contre Hannibal [dans la direction d'Arretium] quand son cheval et lui-même s'abattirent brusquement et sans cause devant la statue de Jupiter Stator ; il ne voulut pas avoir égard à ce signe malgré les experts qui le considéraient comme interdisant d'engager le combat. On prit les auspices par le procédé du tripudium et l'augure observant les poulets déclara qu'il fallait ajourner la bataille. Flaminius alors lui demanda ce qu'il faudrait faire si, même plus tard, les poulets refusaient la nourriture et, quand l'augure eut répondu qu'il faudrait attendre encore, le consul s'exclama: "La belle chose en vérité que ces auspices : si les poulets ont faim on peut marcher, s'ils sont rassasiés rien à faire !" Après quoi il donna l'ordre d'enlever les enseignes et de le suivre. Alors le porte-enseigne [du premier manipule] se trouva dans l'impossibilité de retirer la sienne du sol, même avec le concours de plusieurs autres légionnaires, on rapporta le fait à Flaminius qui, toujours animé du même esprit, n'en tint nul compte. Trois heures après, l'armée était taillée en pièces et lui-même était tué.  de divinatione, I, 35.

Réfléchissons ...

1. Fais le point : résume les faits.
2. Pour chacun des trois présages, relève les éléments qui les font apparaître comme défavorables.
3. Comment réagit Flaminius envers chacun des trois présages ?
4. En quoi l'épisode central se différencie-t-il des deux autres ?
5. La remarque de Flaminius (Praeclara ... gereretur.) contient une critique profonde de la croyance dans les auspices. Explique-la. Aide-toi de ce que dit Cicéron des haruspices (qui examinaient les entrailles des animaux sacrifiés) :

Comment les haruspices sont-ils convenus que telle partie du foie appartiendrait à l'ennemi, que telle autre nous concernerait directement, que certaines fissures annonçaient un danger, d'autres un avantage ? (...) Que peut avoir de commun la bile d'un poulet, le foie, le coeur, le poumon d'un taureau et ce qui sera ?

6. Le troisième présage peut peut-être s'expliquer psychologiquement. Pourquoi ? Voici un texte qui te donnera certaines indications à ce sujet :

Sur ce, après avoir enfourché son cheval, Flaminius ordonna qu'on arrache les enseignes; soudain, le cheval tomba et désarçonna le consul qui heurta le sol de la tête. Alors que tous les assistants étaient effrayés comme par un présage qui déconseillait d'engager le combat, on annonça que malgré tous les efforts du porte-drapeau, l'enseigne ne pouvait être arrachée du sol. Se tournant vers le messager, il lui dit: "Est-ce que par hasard, tu m'apportes aussi une lettre du sénat qui m'interdit d'agir ? Va-t-en, ordonne qu'on déterre l'enseigne, si la main est trop engourdie par la peur pour l'arracher du sol."  Tite-Live

7. En quoi la triple anecdote rapportée par Quintus peut-elle être un argument en faveur de sa thèse ?

Réponses (Extrait 3 - 1, 35 (77))

1. Le jour d'une bataille décisive, le général Flaminius fait une chute de cheval devant la statue de Jupiter Stator. Il consulte les auspices par les poulets sacrés; les signes étant défavorables, il se moque du procédé utilisé. Un porte-enseigne ne peut arracher l'enseigne du sol. Flaminius n'en tient pas compte. Il est vaincu et tué.
2.
a) Le premier présage touche le général (ipse) et son cheval. La chute est symbole d'échec; elle a lieu devant la statue de Jupiter Stator, le dieu qui est censé préserver les Romains de la défaite; elle se produit sans cause matérielle.
b) Les poulets refusent de manger.
c) Le présage touche l'enseigne, c'est-à-dire ce qui conduit la légion (le texte original dit qu'il s'agit de l'enseigne de la première ligne). L'enseigne qui est le symbole de la légion elle-même ne peut être arrachée, même avec le concours de plusieurs hommes : il s'agit là d'un événement insolite. Tout se passe comme si l'objet refusait de jouer son rôle.
3.
a) Des devins (peritis) interprètent la chute de Flaminius dans un sens défavorable. Il n'en tient pas compte.
b) Selon l'usage, il consulte les poulets sacrés. Comme les signes sont défavorables, il entame un "débat" avec le devin où il démontre l'ampleur de son scepticisme.
c) Les enseignes refusent d'aller au combat. Alors qu'il en est informé (re nuntiata), Flaminius passe outre.
4. L'épisode central (le tripudium) concerne un signe demandé; les deux autres sont des signes "accidentels".
5. Flaminius met en cause le lien que la divination établit entre des faits indépendants : l'appétit des poulets et l'issue d'une bataille.
Réf. du texte cité : de div., 2, 12
6. Les deux présages précédents étaient inévitablement connus des soldats qu'on peut supposer inquiets de l'"impiété" de Flaminius. Le porte-enseigne était peut-être paralysé par l'inquiétude; ne peut-on également supposer que son attitude (ainsi que celle de ceux qui sont venus à son aide) ait été un "coup monté" destiné à ajouter un présage de plus pour faire réfléchir Flaminius.

Réf. du texte cité
: de div., 22, 3, 11 - 14
7. Quintus s'appuie sur des faits historiques (que d'ailleurs son frère ne conteste pas). La force de l'argument tient précisément du fait qu'il y a eu trois signes qui allaient dans le même sens et que les événements leur ont donné raison dans des délais très courts (tribus his horis). La dernière phrase insiste d'ailleurs sur le fait que l'armée et le général ont péri (ce qui correspond aux présages 3 et 1). 

Texte 4

Si sunt di neque ante declarant hominibus quae futura sunt, aut non diligunt homines aut, quid eventurum sit, ignorant aut existimant nihil interesse hominum scire, quid futurum sit, aut non censent esse suae maiestatis praesignificare hominibus quae sunt futura aut ea ne ipsi quidem dii significare possunt. At neque non diligunt nos (sunt enim benefici generique hominum amici); neque ignorant ea quae ab ipsis constituta et designata sunt; neque nostra nihil interest scire ea quae eventura sunt (erimus enim cautiores, si sciemus); neque hoc alienum ducunt maiestate sua (nihil est enim beneficentia praestantius); neque non possunt futura praenoscere. Non igitur sunt di nec significant futura. Sunt autem di; significant ergo. Et non, si significant, nullas vias dant nobis ad significationis scientiam (frustra enim significarent) nec, si dant vias, non est divinatio; est igitur divinatio. interesse + G. : il importe à
praesignificare, o, avi, atum : faire connaître à l'avance
neque (lignes 7, 8, 9, 11, 13) : la négation porte sur toute la proposition; traduire par "il n'est pas vrai que ..."
nostra : quand le complément de interesse est un pron. pers., c'est l'adj. possessif à l'abl. fém. sg. qui prend sa place
cautus, a, um : prudent
ducere : considérer comme
praestans, ntis : remarquable, distingué
praenoscere, o, novi, notum : connaître à l'avance (on aurait plutôt attendu praesignificare)
non (lignes 14, 15) : trad. par "il n'est pas vrai que ..."
nec (ligne 17) : trad. par "il n'est pas vrai que ..."

 

 


Si les dieux existent et ne révèlent pas aux hommes les événements futurs, c'est ou bien qu'ils n'aiment pas les hommes, ou bien qu'ils jugent qu'il ne leur importe en rien de savoir ce qui arrivera ou encore qu'ils considèrent cette révélation comme peu compatible avec leur propre majesté ou enfin qu'ils ne disposent pas de moyens de le faire. Or, il n'est pas vrai que les dieux n'aiment pas les hommes (ils sont bienfaisants pour le genre humain et agissent envers lui en amis), ils n'ignorent pas ce qu'ils ont eux-mêmes arrêté, décidé, il est faux que la connaissance de l'avenir ne nous importe en rien (nous serons davantage sur nos gardes si nous l'avons), ils ne peuvent croire que la révélation en soit incompatible avec leur majesté (rien n'est plus beau que la bienfaisance) et il est inadmissible qu'ils ne sachent point ce qui arrivera. Donc il est impossible qu'il y ait des dieux et qu'ils ne nous annoncent pas les événements à venir. Mais il y a des dieux, donc ils nous les annoncent. Et puisqu'il en est ainsi on ne conçoit pas qu'ils ne nous donnent pas le moyen de comprendre les signes annonciateurs (ces signes seraient inutiles) et, s'ils nous le donnent, qu'il n'y ait pas une science divinatoire. Il y a donc une science divinatoire.  de divinatione, 1, 38.

Réfléchissons ...

1. Quelles sont les grandes divisions du texte ? Caractérise-les.
2. Représente par un schéma l'argumentation développée ici.
3. Une des suppositions de la première phrase ne reçoit pas l'objection appropriée. Laquelle ? Envisage une objection qui pourrait répondre correctement à la supposition en question.
4. La même proposition est présentée une fois comme supposition et une fois comme vérité. Laquelle ?
5. Fais la critique de cette belle construction.

Réponses (Extrait 4 - 1, 38 (82 - 83)

1.
a) Si sunt di ... possunt : motifs pour lesquels les dieux pourraient ne pas nous communiquer l'avenir;
b) At neque non ... praenoscere : rejet des motifs supposés contenus en a);
c) Non igitur ... ergo : conclusion de a) et b);
d) Et non si ... divinatio : deuxième conclusion.
2.

I.

A. S'IL Y A DES DIEUX ET S'ILS NE COMMUNIQUENT PAS L'AVENIR AUX HOMMES,

C'est parce que

1. Les dieux n'aiment pas les hommes

OU

2. Les dieux ignorent l'avenir

OU

3. Les dieux pensent qu'il ne sert à rien que les hommes connaissent l'avenir

OU

4. Les dieux jugent indigne d'eux de communiquer l'avenir aux hommes

 

OU

5. Les dieux ne sont pas capables de communiquer l'avenir aux hommes

 

 

OR, les dieux aiment les hommes

 

les dieux connaissent l'avenir

 

la connaissance de l'avenir est utile aux hommes

 


communiquer l'avenir aux hommes est faire preuve de bienfaisance (et il n'est rien de plus beau que la bienfaisance ; son exercice ne peut donc être indigne d'eux)

 


les dieux ne peuvent ignorer l'avenir.

 

B. DONC

Il est faux que :

il y ait des dieux et qu'ils ne communiquent pas l'avenir aux hommes

C. OR,

il y a des dieux

D. DONC,

LES DIEUX COMMUNIQUENT L'AVENIR AUX HOMMES.

 

II.

B. S'IL Y A DES DIEUX ET S'ILS COMMUNIQUENT L'AVENIR AUX HOMMES,

ils ne peuvent pas ne pas leur donner le moyen de le comprendre CAR ils agiraient en vain.

 

III.

C. S'IL Y A DES DIEUX ET S'ILS DONNENT AUX HOMMES LES MOYENS DE COMPRENDRE L'AVENIR,

il ne peut pas ne pas y avoir de divination

DONC,

LA DIVINATION EXISTE.

3. A la supposition que les dieux ne sont pas capables de communiquer l'avenir aux hommes (aut ea ne ipsi quidem dii significare possunt), Quintus répond que les dieux ne peuvent ignorer l'avenir (neque non possunt futura praenoscere). Or,la connaissance n'implique pas la communication. L'argument que Quintus aurait pu invoquer aurait dû reposer sur la toute-puissance divine : aux dieux, il n'est rien d'impossible, donc, ils peuvent communiquer l'avenir. 
4. L'existence des dieux est posée au début du raisonnement comme supposition (si sunt dei) et ensuite comme certitude (sunt autem dei). 

5. Le raisonnement très serré en apparence repose sur des propositions dont la vérité est loin d'être assurée; par ex., "les dieux aiment les hommes" est une vérité stoïcienne que rejetaient les épicuriens. Cicéron fait une critique brillante de l'argumentation de son frère (2, 49 - 51). On peut envisager de la soumettre aux élèves, après leur propre démarche critique.

49 Ils s'appuient pour conclure sur des propositions dont on ne leur accorde aucune. Une conclusion n'a de valeur que si ce qui est contesté et qu'on veut prouver découle de prémisses incontestées.
50 (...) Non seulement, vous ne vous appuyez pas sur des propositions admises par tout le monde, mais celles que vous énoncez, alors même qu'on vous les accorderait, n'engendrent pas la conséquence que vous voudriez en tirer. Vous posez en premier lieu : "S'il y a des dieux, ils sont bienfaisants envers les hommes." Qui donc vous accordera cela ? Epicure ? Il déclare que les dieux n'ont souci de quoi que ce soit, eux-mêmes compris. (...)
51 Je poursuis : "Les dieux n'ignorent rien parce que c'est eux qui décident tout." Voilà un point, ce décret des dieux immortels, sur lequel les plus savants des hommes se livrent bataille et quelle bataille ! Il est, dis-tu, de notre intérêt de connaître les événements à venir. Il y a de Dicéarque un gros livre écrit pour prouver qu'il vaut mieux les ignorer. Les stoïciens disent qu'il n'est pas contraire à la majesté des dieux de donner à l'homme des avis. Il faudra donc qu'ils regardent à l'intérieur de toutes les maisons pour voir ce qui convient à chacun. "Ils ne peuvent pas ne pas savoir tout ce qui sera." Proposition que rejettent ceux qui croient à l'indétermination du futur. (...) Après quoi, ils lancent cette conclusion : "Il n'est pas possible que les dieux existent et qu'ils ne révèlent pas l'avenir." Ils croient l'avoir démontré et ils posent ensuite : "Or, il y a des dieux." Cela même, tout le monde ne l'accorde pas. "Donc, ils révèlent l'avenir." Même cette affirmation n'est pas une conséquence nécessaire des propositions qui précèdent, car il se pourrait qu'il y eût des dieux et qu'ils ne pussent faire connaître l'avenir par des signes. "Il est impossible, s'ils le révèlent, qu'ils ne donnent pas quelques moyens d'interpréter les signes révélateurs." Il se peut qu'ayant ces moyens, ils ne les communiquent pas aux hommes. (...) "On ne peut nier l'existence d'une science divinatoire s'ils les donnent. "Admettons qu'ils les donnent, bien que ce soit une absurdité, qu'importe si nous ne pouvons les recevoir. Vient enfin la proposition finale : "Il y a une science divinatoire." Que ce soit une conclusion c'est certain, mais pour établie, elle ne l'est pas; car de prémisses fausses, comme nous l'ont enseigné ces mêmes stoïciens, on ne peut tirer une démonstration véritable.Toute leur argumentation est donc par terre.

Remarque méthodologique :

L'extrait dont la traduction est citée ci-dessus pourrait constituer un "diptyque" avec l'extrait analysé; cependant, il est évident que la longueur de la réfutation la rend difficilement exploitable en classe. Néanmoins, on peut envisager de lire dans le texte la critique d'un des arguments de Quintus. Dans ce cas, on mettra en évidence plus la démarche que le contenu.

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