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Théophraste

Sur les plantes

livre 1

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 

 

 

 

 

TRADUCTION FRANÇAISE

DU 1er LIVRE DE THÉOPHRASTE  SUR LES PLANTES

Par M. Emile Egger

et M. le Docteur Eugène Fournier

 

 

I. Pour embrasser les différences des plantes et l'ensemble de leur nature, il faut examiner celles-ci suivant leurs organes, leurs caractères, leur reproduction et leur habitat; quant aux mœurs et aux actions, elles n'en offrent pas comme les animaux. Ce qui concerne leurs caractères, leur reproduction et leur habitat est beaucoup plus facile à considérer ; ce qui concerne leurs organes offre plus d'incertitude. Et d'abord, on n'a pas suffisamment établi quelles sont les parties qui méritent le nom d'organes. Un organe, qui dépend de la nature essentielle du sujet, paraît devoir rester toujours uni à lui, soit en général, soit à dater de son apparition, comme le font chez les animaux les parties d'une apparition postérieure, à moins qu’elles ne soient perdues par une maladie, par la vieillesse ou par une mutilation. Mais il est chez les plantes des parties de ce genre qui n'ont qu'une durée annuelle : telles sont la fleur, le bourgeon, la feuille, le fruit, c'est-à-dire tout ce qui précède pu accompagne la maturation. Il en est de même du surgeon, car c'est toujours un accroissement annuel que prend l'arbre soit par ses rameaux aériens, soit par ses racines. Si de toutes ces parties on fait des organes, on aura de ceux-ci un nombre indéfini et qui ne sera jamais le même ; si on ne les tient pas pour tels, il arrivera que les parties par lesquelles l'ensemble parvient à sa perfection finale ne seront pas des organes. Car c'est bien en bourgeonnant, en fleurissant et en fructifiant que toute plante paraît et devient en effet plus belle et plus parfaite. Voilà les principales des incertitudes que j'indiquais.

Mais peut-être ne convient-il pas de pousser semblablement cette recherche sur les autres parties des plantes et sur les parties de la reproduction, ni de placer les produits de celle-ci, les fruits par exemple, parmi les organes. En effet le fœtus n'est pas un organe de l'animal. Quand tu considérerais la beauté la plus exquise, elle ne prouvera rien, puisque les femelles des animaux, en état de gestation, ont bonne apparence. D'un autre côté bien des parties qui sont des organes chez les animaux sont perdues par eux annuellement : les cornes par le cerf, les plumes par les oiseaux, et les poils par les quadrupèdes ; il n'y aurait donc rien d'étonnant à comparer ces phénomènes à celui de la chute des feuilles. Il ne faut pas non plus placer parmi les organes les parties qui concernent la reproduction, car chez les animaux les unes sont comprises dans la délivrance, les autres sont évacuées comme étrangères à l'organisme. Les parties destinées à la végétation sont à peu près comme celles de la reproduction, car la végétation n'existe qu'en vue de la reproduction. En général, comme nous l'avons déjà dit, nous ne devons pas chercher partout des comparaisons avec les animaux, parce que le nombre en serait infini, la végétation comme la vie se manifestant de toutes sortes de manières. Aussi faut-il concevoir les faits non seulement en vue de l'état présent, mais en vue de l'état à venir ; ce qu'on ne peut assimiler exactement, il est superflu de s'en occuper, pour ne pas perdre de vue l'objet même de la recherche.

On peut dire sommairement que la connaissance des plantes comprend d'une part celle de leurs parties extérieures et de leur conformation générale, d'autre part celle de leurs parties internes, correspondant à celles que chez les animaux l'anatomie met à jour. Parmi ces parties, il faut distinguer d'abord celles qui sont communes à toutes, et celles qui sont propres à chaque famille, et, de ces parties, celles qui ont des similaires nombreux: telles sont la feuille, la racine et l'écorce.

Il ne faut pas d'ailleurs oublier que dans ces rapprochements fondés sur l'analogie, comme pour les animaux, c'est toujours vers la ressemblance et la perfection la plus complète qu'il faut diriger ses comparaisons. Et, somme toute, dans ces comparaisons établies d'un règne à l'autre, il faut se garder d'assimiler sur de simples analogies. Tels sont les principes sur ce sujet.

Les différences que présentent les organes des végétaux peuvent se ramener d'une manière générale à trois catégories : l'une comprend la présence ou l'absence (par exemple des feuilles ou des fruits) ; la deuxième la dissemblance ou l'inégalité, et la troisième la situation. La dissemblance se montre dans la forme, la couleur, le rapprochement ou l'écartement, la surface rude ou lisse et les autres caractères, et toutes les modifications du liquide contenu. L'inégalité consiste à varier du plus au moins, selon le nombre et selon la dimension. On pourrait même dire que tous les caractères rentrent dans celui-ci, car le plus et le moins constituent un excès et un défaut. La situation produit encore des différences, par exemple selon que les fruits sont au-dessus ou au-dessous des feuilles, selon que l'arbre les porte en haut ou latéralement, ou parfois sur le tronc lui-même comme le sycomore d'Egypte. Le fruit peut encore se trouver sous terre, comme ceux de l'Arachidne ou de la Colocase appelée par les Égyptiens ouiggon,[1] et d'ailleurs être ou non pourvu d'un pédoncule. Il en est de même des fleurs : les unes se trouvent autour du fruit, les autres ailleurs. Il faut examiner encore la situation dans les feuilles et dans les surgeons. Certaines parties diffèrent par la disposition : les unes sont éparses, tandis que les rameaux du sapin sont verticillés, et les ramifications de ceux-ci à distance et en nombre égal comme chez ceux des triozies. D'où il résulte qu'il faut tirer les différences des éléments dont se compose pour chaque plante la totalité de la forme visible.

Après avoir énuméré les organes, il convient de traiter de chacun d'eux. Les principaux, les plus grands, communs à la plupart des végétaux, sont les suivants : la racine, la tige, la branche, le rameau, division qui rappelle celle des membres chez les animaux. En effet, aucun de ces organes n'est comparable aux autres, et c'est leur réunion gui constitue l'ensemble. Or la racine est l'organe par où la plante attire l'aliment, la tige celui vers lequel l'aliment est porté. Par tige j'entends l'organe unique qui s'élève au-dessus du sol, qui le plus communément se rencontre chez les plantes annuelles comme chez les plantes vivaces, et qui chez les arbres prend le nom de tronc. Les branches sont les organes qui se détachent du tronc, et les rameaux ceux qui croissent un par un sur la branche, comme principalement les formations annuelles. Ce sont là les parties les plus essentielles des arbres. La tige, comme nous l'avons dit, est la plus commune; cependant il y a des plantes qui ne l'ont même pas, par exemple quelques-unes des herbacées. Il en est qui ont une tige, non pas constante, mais annuelle : telles sont toutes celles qui ont les racines vivaces.

Somme toute, la plante est multiple et variée, difficile à définir en général ; la preuve en est qu'il n'existe aucun organe qui se rencontre dans tous les végétaux, comme chez les animaux la bouche et l'estomac. Tantôt c'est l'analogie qui détermine la ressemblance, tantôt c'est une autre raison. On ne saurait dire, en effet, que toute plante ait une racine, ou une tige, ou une branche, ou un rameau, ou une feuille, ou une fleur, ou un fruit ; qu'elle ait même une écorce ou une moelle, ou des fibres, ou des vaisseaux : témoin le champignon et la truffe; et cependant c'est dans ces éléments, comme dans les éléments de même genre, que gît l'essence des plantes. Mais c'est dans les arbres, comme il a été dit, que se rencontrent surtout ces éléments; et ce qui leur est le plus spécial, c'est la variété de ces éléments. C'est pourquoi il est juste de leur comparer le reste des végétaux, car les arbres servent à distinguer les formes des autres espèces : ils se caractérisent par le nombre et la rareté, la densité et la laxité, par la faculté de rester un ou de se diviser, et par leurs autres ressemblances.

D'ailleurs, aucun des éléments dont je viens de parler n'est homogène. Sans doute un fragment quelconque de la racine ou du tronc est bien composé des mêmes parties, mais on ne donne pas à ce fragment le nom de tronc; c'est une partie du tronc, comme le sont les membres des animaux. Prenons pour exemple la jambe et l'avant-bras: chacun de leurs morceaux est bien composé de parties semblables, mais il ne porte pas le même nom que le tout; il n'a même pas de nom spécial. Il en est de même de tous les organes simples d'aspect; leurs parties n'ont pas de nom, tandis que les parties des organes composés ont chacun le leur : pour le pied, la main, la tête, on nomme le doigt, le nez, l'œil. C'est à peu près tout ce que nous avons à dire sur les plus grands organes des végétaux.

II. Il y en a d'autres dont se composent les précédents : comme l'écorce, la moelle (chez les végétaux à moelle), le bois; et ceux-là se forment d'éléments similaires. Ils précèdent les autres, surtout parmi eux le liquide,[2] la fibre, le vaisseau, la chair;[3] car ce sont des éléments fondamentaux, ou mieux encore des puissances qui donnent la vie à ces éléments : ils sont communs à tous les êtres. Voilà les éléments qui renferment en eux l'essence et toute la nature de la plante.

Il est encore d'autres organes, comme annuels : ceux qui concernent la formation du fruit, tels que la feuille, la fleur, le pédoncule; celui-ci est l'organe par où s'attachent à la plante la feuille et le fruit, comme aussi la vrille et le bourgeon, qu'il soutient, et surtout la semence du fruit. Le fruit se compose de la semence et du péricarpe. Outre ces organes, il en est qui sont particuliers à certaines essences, comme la galle du chêne et la vrille de la vigne. Voilà comment il faut traiter des parties des arbres.

Chez les plantes annuelles, il est évident que tous les organes sont annuels : la nature ne va que jusqu'à la production des fruits. Les végétaux qui portent des fruits au bout de l'année, ceux qui vivent deux ans, comme le sélisium et quelques autres, et ceux qui durent plus longtemps, ont tous une tige, proportionnée à leur durée. En effet, lorsqu'ils sont sur le point de porter graine, alors ils montent en tige, comme si les tiges étaient faites pour la graine. Telles sont les distinctions à faire sur ce sujet.

Il importe maintenant de traiter séparément et sommairement de chacun des éléments dont je parlais tout à l'heure. On voit bien ce qu'est l'humide, que quelques auteurs nomment d'une manière générale et constante le suc, comme Menestor, que d'autres ne dénomment pas, et que d'autres encore appellent tantôt suc et tantôt larme.[4] Les fibres et les vaisseaux n'ont pas de noms par eux-mêmes, mais par analogie participent de celui qu'on leur donne chez les animaux.

Il existe peut-être d'autres différences dans ces organes et dans tout le règne végétal, si multiple comme nous l'avons dit. Mais comme il faut aller par le connu à l'inconnu, et que le plus connu est le plus développé et le plus apparent à nos sens, il est évident qu'il faut traiter de ces matières suivant la méthode déjà tracée ici. En effet, nous établirons le rapport des autres parties aux premières, selon le degré et la nature de la ressemblance qu'elles offriront.

Les organes étant bien établis, il faut maintenant traiter de leurs différences : c'est en effet ainsi que se montreront leur essence et la diversité réciproque des espèces. Nous avons à peu près tout dit sur l'essence des grands organes ! je veux parler de la racine, de la tige et des autres ; car leurs fonctions et tout ce que l'on peut dire à ce sujet, sera exposé plus tard. Je vais donc dire de quoi se composent ces organes et les autres, en commençant par les éléments fondamentaux. Ces derniers sont d'abord l'humide et le chaud car toute plante apporte en naissant quelque humidité et quelque chaleur, comme tout animal : quand ces éléments s'affaiblissent, surviennent la vieillesse et la corruption; quand ils ont disparu, la mort et la dessiccation. Or chez la plupart des plantes, l'humide n'a pas de nom, bien que quelques-uns le dénomment, comme nous l'avons dit. Le même fait se présente chez les animaux; le liquide n'est dénommé que chez ceux qui ont du sang, lequel sert à les distinguer, puisque l'on dit: les animaux sanguins ou non sanguins. L'humide est donc un élément unique, de même que le chaud, qui lui est intimement associé. Mais voici d'autres éléments intérieurs qui n'ont pas de nom par eux-mêmes et qui sont désignés par leur similitude avec certaines parties des animaux. Les plantes ont en effet comme des fibres, c'est-à-dire des organes continus, fissiles et très longs, qui ne poussent ni en épaisseur ni en longueur. Voyons maintenant les vaisseaux : ceux-ci sont en grande partie semblables aux fibres, mais plus grands et plus épais; ils ont des ramifications et du liquide. Voyons ensuite le bois et la chair: le bois est fissile ; la chair se divise en tous sens, comme la terre et ce qui se compose de terre, et elle tient le milieu entre la fibre et le vaisseau ; la nature s'en manifeste bien, entre autres, dans la partie charnue des péricarpes. Les noms d'écorce et de moelle sont des termes propres ; il faut aussi les définir: l'écorce est la partie la plus extérieure, séparable du corps sous-jacent; la moelle est ce qui est au milieu du bois, troisième substance à partir de l'écorce, comparable à la moelle des os. Il en est qui l'appellent cœur, d'autres enterioné; pour d'autres, le cœur est la partie intérieure de la moelle ; pour d'autres encore, c'est le myelos. Telles sont à peu près toutes les parties.

Or les derniers nommés de ces éléments sont composés des premiers : le bois de la fibre et de l'humide quelquefois de chair ; en effet, celle-ci peut s'endurcir et se lignifier comme chez les dattiers et les férules, et comme tout tissu induré semblable aux racines des raves. La moelle se compose d'humide et de chair; il y a telle écorce qui comprend les trois éléments, par exemple celle du chêne, du peuplier, du poirier. Celle de la vigne se compose d'humide et de libres, celle du chêne liège d'humide et de chair. D'un autre côté, si les grands et principaux organes sont composés de ces éléments, comme les membres des animaux, cependant ni la proportion ni le nombre de ces éléments ne sont les mêmes chez tous. Après avoir établi quelles sont toutes ces parties, il faut exposer leurs différences, ainsi que toutes les essences des arbres et des plantes.

III. Mais puisque la connaissance des choses est plus claire quand on les distingue selon leurs genres, il convient d'agir ainsi dans les cas qui le permettent. Or ici, les types principaux, les plus grands, ceux qui comprennent tous les organes ou la plupart des organes, sont les suivants : l'arbre, l'arbrisseau, le buisson et l'herbe. L'arbre est constitué par un tronc unique partant de la racine, se divisant par nœuds en plusieurs branches, difficile à fendre, tel que l'olivier, le figuier, la vigne. L'arbrisseau émet plusieurs branches latérales partant de la racine, comme la ronce, le paliurus. Le buisson émet dès la racine plusieurs tiges verticales et latérales, comme la gambré et le péganon. L'herbe porte des feuilles dès la racine, sans tronc, avec une hampe fructifère, comme le froment et les végétaux légumineux. Mais il faut accepter et concevoir ces définitions d'une manière sommaire et générale, car certaines plantes paraissent se modifier [d'elles-mêmes], d'autres se transformer et sortir de leur forme naturelle par la culture, comme la mauve quand elle pousse en hauteur et devient arborescente.[5]

Cela lui arrive sans beaucoup de temps, en six ou sept mois, de manière à égaler une petite lance en hauteur et en largeur, et à pouvoir servir de canne. Avec plus de temps, la croissance ne serait que régulière.

Il en est de même des betteraves : cette espèce en effet prend aussi de la taille, mais plus encore le gatilier, le paliurus et le lierre, qui deviennent arborescents, de la manière susdite, quoiqu'ils ne soient que des arbrisseaux. Le myrte, si on ne le recèpe pas, prend le port d'un arbrisseau, comme le noisetier d'Héraclée. Ce dernier paraît même porter des fruits plus nombreux et meilleurs si on lui laisse des jets nombreux, sa nature étant celle d'un arbrisseau. Ce ne seraient pas non plus des arbres à tronc unique que le pommier, le grenadier ni le poirier, ni tous ceux qui poussent latéralement au-dessus de la racine, si la taille ne les rendait tels en supprimant les autres rameaux. Il en est auxquels on laisse plusieurs tiges à cause de leur gracilité, comme le grenadier et le pommier, ce que l'on fait aussi pour les oliviers étêtés et les figuiers. Peut être dirait-on que l'on devrait tirer une division de la grandeur et de la petitesse, de la force et de la faiblesse, et de la durée. En effet certains des buissons et des légumineux n'ont qu'une tige et prennent en quelque sorte la nature d'un arbre, comme la rave, le péganon; aussi quelques-uns les nomment dendrolachana; en effet, tous les légumineux, ou du moins la plupart, lorsqu'ils durent, prennent comme des ramifications, et dans l'ensemble les caractères d'un arbre, si ce n'est qu'ils durent moins longtemps. C'est pour cela que, comme nous l'avons dit, il ne faut pas ici définir trop rigoureusement, mais se contenter de définitions générales comme celles-ci : cultivé ou sauvage, fructifère ou stérile, florifère ou sans fleur, conservant ou perdant ses feuilles. En effet, la plante sauvage et la plante domestique paraissent différer par la culture, car Hippon dit que tout être sauvage peut devenir domestique s'il reçoit les soins de l'homme. D'ailleurs, la présence ou l'absence des fruits ou des fleurs dépend de la nature des lieux et de l'air ambiant; ce sont les mêmes conditions pour la chute ou la conservation du feuillage. On dit qu'à Eléphantine ni la vigne ni les figuiers ne portent de feuilles. Il n'en faut pas moins constater ces différences, d'autant plus qu'il y a quelque chose de commun entre les arbres, les arbrisseaux, les buissons et les herbes. Si l'on traite en général de leurs principes, il est évident qu'on n'aura pas à considérer séparément chacun d'eux ; il est rationnel que les principes soient communs à toutes les plantes. Il semble cependant qu'il y ait quelque différence naturelle entre les types sauvages et les types domestiques, s'il est vrai que certains des premiers ne puissent vivre dans nos cultures, et loin d'accepter les soins de l'homme ne font par eux que dégénérer, comme le sapin, le pin, le célastrop, et généralement tout ce qui aime les terrains humides et neigeux ; ainsi sont, parmi les buissons et les herbes, le câprier et le lupin. Il convient d'appliquer les dénominations de sauvage et de cultivé en comparant les types aux précédents et aux végétaux les mieux domestiqués. L'espèce humaine est vraiment la seule ou du moins la plus complètement domestiquée.

IV. On remarque encore dans la forme des différences qui caractérisent l'ensemble et les parties, par exemple la grandeur et la petitesse, la rudesse et la mollesse, surface lisse ou rude de l'écorce, des feuilles et du reste, ainsi qu'une certaine beauté ou laideur, notamment dans les fruits. Les fruits des végétaux sauvages, du poirier sauvage et de l'olivier sauvage, paraissent plus nombreux, ceux des types domestiques plus beaux, leurs jus plus doux au goût et plus savoureux, et pour tout dire plus tempérés. Ce sont là ces différences naturelles dont j'ai parlé, plus frappantes encore entre l'absence ou la présence des fruits, la chute ou la persistance des feuilles, et toutes les autres différences analogues. Il faut aussi considérer partout et toujours les différences qui proviennent des lieux, car il n'est guère possible de faire autrement. Ces différences paraissent emporter avec elles une séparation générique, comme entre les plantes aquatiques et les terrestres, de même que chez les animaux. Il y a en effet des plantes qui ne peuvent vivre que dans l'humidité : celles qui l'aiment sont distribuées les unes ici, les autres là, de manière à vivre les unes dans les marais, les autres dans les lacs, les autres dans les fleuves, d'autres enfin dans la mer elle-même; les unes, plus petites, dans celle qui baigne nos côtes ou même sur le rivage ; les autres, plus grandes, dans la mer Erythrée. Parmi les végétaux des terrains humides et marécageux il faut citer le saule et le platane; d'autres ne peuvent vivre dans les lieux humides, mais recherchent les endroits secs. Si l'on voulait examiner tout cela avec rigueur, on trouverait bien des plantes communes à des stations différentes et comme amphibies, ainsi que le tamarix, le saule, l'aulne, et [on verrait] des plantes notoirement terrestres vivre aussi dans la mer, comme le dattier, la scille, l’anthericon. Mais il n'est pas du propre de notre science de pénétrer ainsi dans les détails, car la nature elle-même [ni ailleurs] ni en ces choses n'est soumise à des lois absolues. Voilà donc comme il faut traiter les différences et en général toute la science des plantes. Au moins tous ces végétaux et les autres différeront donc, comme il a été dit, par les formes de l'ensemble et par les différences des parties, soit par la présence ou l'absence, par le plus ou le moins, par les différences de situation, ou par les autre» distinctions indiquées plus haut, toutefois il convient peut-être de comprendre aussi les lieux dans lesquels chaque type croît naturellement ou ne croît pas. C'est d'ailleurs en soi-même un caractère bien important et le plus spécial de tous aux plantes que d'être attachées au sol et de n'en être pas indépendantes comme les animaux.

V. Examinons maintenant les différences, organe par organe, d'abord d'une manière générale et commune, puis en particulier, et enfin en considérant les choses de plus haut. Il est des plantes d'un seul jet et à tronc, élevé, comme le sapin, le pin, le cyprès ; d'autres plus tortueuses et à tronc court, comme le saule, le figuier, le grenadier : mêmes variétés pour l'épaisseur et la gracilité. On trouve encore des tiges uniques et des troncs multiples (ce qui, d'une certaine façon, revient au même que d'être avec ou sans rejets latéraux); des rameaux nombreux, ou rares comme chez le dattier ; et encore chez les mêmes plantes des différences selon la force et l'épaisseur, et d'autres de même sorte. Ajoutons que les unes ont l'écorce mince, comme le laurier, le tilleul ; d'autres l'écorce épaisse, comme le chêne ; d'autres l'écorce lisse, comme le pommier, le figuier ; d'autres l'écorce rude, comme le chêne sauvage, le chêne liège, le dattier. Toutes d'ailleurs, dans leur jeunesse, ont l'écorce plus lisse, et en vieillissant l'ont plus rude; chez quelques-unes elle devient cassante, comme chez la vigne, quelquefois même jusqu'à tomber autour du tronc, comme chez l'andrachlé, le pommier, l'arbousier. L'écorce est charnue chez les unes, par exemple chez le liège, le chêne, le peuplier ; chez d'autres elle est fibreuse et sans chair, également chez des arbres, des arbustes et des plantes annuelles, par exemple chez la vigne, l’acorus, le froment. Tantôt elle se compose de plusieurs feuillets, comme chez le tilleul, le sapin, la vigne, le genêt, l'ail ; tantôt d'un seul, comme chez le figuier, l'acorus, l'ivraie. Telles sont dans ces plantes les différences selon les écorces.

Quant aux bois et en général aux tiges, les unes sont charnues comme chez le chêne, le figuier, et, parmi les végétaux plus petits, chez le rhamnus, la betterave, la ciguë ; les autres sans chair, comme chez le cèdre, le jujubier, le cyprès. D'autres sont fibreuses : tels sont les bois du sapin et du dattier ; d'autres sans fibres, comme celui du figuier. De même il en est avec des vaisseaux, d'autres sans vaisseaux. Parmi les buissons et les arbrisseaux, et en général parmi les plantes frutescentes, on pourrait encore saisir d'autres différences. L'acore a des articulations, la ronce et le paliurus ont des épines. Le typha et quelques plantes homonymes de marécage ou d'étang sont dépourvues de diaphragmes et continues, comme le jonc. La tige du cyperus et celle du butomus ont une certaine analogie avec les précédentes, et encore plus celle du champignon. Telles sont à peu près les différences dont on peut tirer un classement d'ensemble. D'autres concernent les manières d'être et de vivre, comme la rudesse et la douceur, la flexibilité ou la fragilité, la densité et la laxité, la légèreté et la gravité, et les autres caractères de cette sorte. Le saule, vert encore, est déjà léger; le liège, le buis et l'ébénier ne le deviennent pas même en se desséchant. Certains troncs sont fissiles comme celui du sapin; d'autres sont plus faciles à briser, comme ceux de l'olivier. Les uns sont sans nœuds, comme ceux du sureau ; d'autres ont des nœuds, comme ceux du pin et du sapin. Il faut pourtant tenir ces caractères pour naturels, car le sapin est fissile à cause de la rectitude de ses pores, et l'olivier est fragile parce qu'il est tortueux et dur. Le tilleul est flexible, ainsi que les essences analogues, à cause de l'humidité qui l'imprègne. Le buis et l'ébénier sont lourds parce qu'ils sont denses, le chêne parce qu'il est granuleux. De même toutes les autres particularités peuvent être rattachées à la nature de la plante.

VI. Les plantes diffèrent encore par la moelle : d'abord s'il est vrai que certaines en soient dépourvues; comme on le prétend de plusieurs et du sureau; ensuite parce que, même chez celles qui en sont pourvues, cette moelle est tantôt charnue, tantôt ligneuse, tantôt membraneuse. Elle est charnue comme chez la vigne, le figuier, le pommier, le grenadier, le sureau, la férule. Elle est ligneuse chez le pin, le sapin, le mélèze, chez ce dernier surtout, parce qu'il est résineux. Elle est plus dure et plus épaisse chez le cornouiller, l'yeuse, le chêne, la luzerne en arbre, le mûrier, l'ébénier, le lotus. Les moelles diffèrent encore par la couleur : elles sont noires chez l'ébénier et chez le chêne que l'on nomme mélandryon, et toutes sont plus dures et plus fragiles que les bois ; c'est pourquoi elles ne supportent pas la flexion. Les unes sont d'un tissu plus lâche, les autres moins. Elles ne sont pas membraneuses chez les arbres, si ce n'est rarement, mais chez les arbrisseaux et en général dans les tiges herbacées, comme chez le roseau, les férulacées et les plantes de ce genre. Les uns ont une moelle épaisse et apparente, comme l'yeuse, le chêne et les autres essences susdites; les autres une moelle moins apparente, comme l'olivier, le buis, car il n'est pas possible de l'y trouver si bien délimitée; quelques-uns disent même qu'elle n'occupe pas seulement le milieu, mais tout l'ensemble du bois, de sorte qu'il n'y a point de place déterminée [pour elle], et que certains végétaux paraîtraient en être dépourvus. Chez le dattier, en effet, aucune différence ne parait exister de ce chef.

Les végétaux diffèrent encore par leurs racines. Les uns ont des racines fortes et nombreuses, comme le figuier, le chêne, le platane, qui gagnent du terrain tant qu'elles en ont devant elles. D'autres ont peu de racines, comme le grenadier, le pommier; d'autres encore n'en ont qu'une, comme le sapin, le pin; je dis une seule, parce que la racine principale est forte et pénètre dans la profondeur, et que les latérales qui en partent sont petites. A la vérité, certains végétaux qui ne sont pas monorrhizes ont bien la racine médiane forte et plongeant en profondeur, comme l'amandier; l'olivier au contraire à la racine médiane petite; tandis que les autres sont plus grosses et recourbées, comme les pattes d'un crabe. On voit encore des racines épaisses, d'autres inégales comme celles du laurier, de l'olivier; et d'autres grêles d'un bout à l'autre comme celles de la vigne. Les racines diffèrent encore par leur surface lisse ou rude, et par leur poids. Partout en effet les racines sont plus lâchement éparses que les rameaux, mais plus ou moins lourdes et ligneuses. Les unes sont fibreuses comme celles du sapin, les autres plutôt charnues, comme celles du chêne, les autres enfin comme noueuses et frangées, par exemple celles de l'olivier, et ceci parce qu'elles ont beaucoup de ramifications grêles et denses ; sans doute toutes les grosses racines en poussent de petites, mais non à fie point nombreuses et pressées. D'ailleurs les végétaux ont les racines tantôt profondes comme le chêne, tantôt a la surface du sol comme l'olivier, le grenadier, le pommier, le cyprès. En outre les unes sont droites et à surface égale, les autres tortueuses et inégales, car cela ne tient pas à la nature d'un terrain qui les gêne, mais à leur nature propre, comme chez le laurier et l'olivier; quant aux racines du figuier et des plantes analogues, elles se tordent par le défaut d'espace. Toutes contiennent une moelle, comme les troncs et les branches, ce qui est naturel à cause de leur origine. Les unes ont des ramifications latérales qui se portent vers le haut comme la vigne, le grenadier; les autres n'en ont pas, comme le sapin, le cyprès, le mélèze; Mêmes différences entre les racines des plantes buissonnantes, des plantes herbacées et des autres. Il y a pourtant une exception ici : certaines en manquent complètement, comme la truffe, le champignon, la pezize, le caprin.

Certaines plantes sont polyrrhizes, comme le froment, le tefs, l'orge et tout ce genre …,[6] les autres oligorrhizes comme les légumineuses. Presque toutes les plantes potagères sont monorrhizes, comme la rave, la betterave, le persil, l'oseille; quelques-unes seulement projettent aussi de longues pousses, comme le persil et la betterave, de manière qu'en proportion elles sont plus profondes que celles des arbres. Les unes sont charnues comme celles du radis, de la rave, de l'arum, du safran, les unes ligneuses comme celles de la roquette, du basilic. Il en est de même pour la plupart des plantes sauvages, quand leurs racines ne sont pas dès l'origine nombreuses et divergentes, comme celles du blé, de l'orge et de l'herbe appelée poa.

En effet les caractères des racines sont tels chez les plantes annuelles et chez les herbacées que les unes se divisent perpendiculairement en plusieurs ramules de calibre égal, tandis que d'autres n'en ont qu'un ou deux considérables, d'où partent les autres. En général, les différences des racines sont nombreuses chez les plantes à tige herbacée et chez les plantes potagères ; les unes sont ligneuses comme celles du basilic, les autres charnues comme celles de la betterave et encore bien plus celles de l'arum, de l'asphodèle et du safran. D'autres paraissent composées d'écorce et de chair, comme celles des radis et des raves ; d'autres encore sont articulées comme celles des roseaux, du gazon et de toutes les graminées; celles-ci sont seules ou presque seules analogues aux parties aériennes ; car elles sont comme des chaumes enracinés par leurs petites radicelles [adventives]. Ailleurs l'organe radiculaire est écailleux ou tunique, comme celui de la scille, du muscari, de l'oignon et des autres plantes bulbeuses; on peut toujours lui enlever quelque tunique. Toutes les plantes bulbeuses d'ailleurs paraissent avoir deux sortes de racines (et peut-être même toutes les plantes à tubercule pesant et à radicelles pendantes) : d'une part le corps charnu et tunique, comme la seille, et d'autre part les radicelles qui en naissent; car ce n'est pas seulement par la gracilité et l'épaisseur que ces deux sortes diffèrent entre elles, comme les racines des arbres et des plantes potagères, mais par une [nature réellement contraire. Très remarquables aussi sont les racines de l'arum et du cyperus: l’une épaisse, lisse et charnue, l'autre grêle et fibreuse. C'est pourquoi l'on pourrait hésiter à les admettre comme racines : d'un côté elles paraissent l'être parce qu'elles sont souterraines, d'un autre elles ne le paraissent pas, tant le reste de leurs caractères y répugnent. En effet la racine va toujours en s'amincissant et en s'atténuant vers son extrémité, tandis que celles de la scille, des muscari et des arums grossissent en sens inverse. En outre, les autres racines détachent latéralement des radicelles, tandis que celles de la scille et du muscari ne le font pas, pas plus que celles des aulx ou des oignons. Du moins les organes qui chez ceux-ci naissent au milieu de la bulbe paraissent des racines et se nourrissent. Cette bulbe parait comme un fœtus ou un fruit, c'est pourquoi on n'a pas tort de la regarder comme produisant sous terre ; d'ailleurs elle est au-dessus des racines; et, comme sa nature est supérieure à celle d'une racine, tout cela cause du doute. En effet appeler racine tout organe souterrain n'est pas exact. A ce compte, la hampe du muscari et du gétliyum, et toutes celles qui descendent dans la profondeur seraient des racines ; de même que la truffe et ce qu'on nomme aschion (lycoperdon), et la colocase, et tout ce qui est hypogé, végétaux dont aucun n'est une racine : c'est la nature essentielle qui doit décider, et non la situation. Mais, après tout, ce raisonnement peut être exact, et ce corps n'en être pas moins une racine : il y aurait là de pures différences entre racines : l'une serait aussi grosse, l'autre telle que nous avons dit, et l'une serait nourrie par l'autre.

Pourtant les grosses racines charnues paraissent aussi aspirer les sucs. Celles des arums, par exemple, sont retournées [par le cultivateur] avant la naissance de la hampe, et elles grossissent quand elles sont gênées, pour frayer passage à leur végétation. Car il est évident au moins que tous ces organes tendent naturellement à se diriger plutôt vers le bas. En effet leurs tiges et, en général, leurs parties aériennes sont courtes et sans force, tandis que les parties souterraines sont grosses, nombreuses et fortes, non seulement chez les plantes susdites, mais chez le roseau et le gazon, et en général chez toutes les graminées et les plantes analogues. Les férulacées ont aussi les racines grosses et charnues. Beaucoup de plantés herbacées ont encore des racines de ce genre, par exemple le safran, le crocus et la plante qu'on nomme perdicium. Cette dernière aussi a les racines charnues et plus nombreuses que les feuilles; on l'appelle perdicium parce que les perdrix s'y roulent et la déterrent.

Il en est de même de la plante qu'on appelle en Egypte ouiggon : elles a les feuilles grandes, la hampe courte, tandis que sa racine est longue et en est comme le fruit. Elle est estimée comme aliment; on la récolte lorsque le fleuve s'est retiré, en retournant les mottes. Parmi les plantes dont les caractères sont les plus apparents se trouvent le silphium et ce qu'on nomme magydaris; car pour ces deux plantes et pour toutes les analogues, c'est dans les racines qu'est surtout leur essence. Voilà ce qui en est sur ce sujet.

Quelques racines paraissent encore se distinguer, outre les susdites, par exemple celle de l'arachidna et de la plante analogue à l'aracos; car elles portent toutes deux un fruit qui n'est pas plus petit que le fruit d'en haut. La plante analogue à l'aracos a d'abord une seule racine épaisse et plongeante ; et les latérales; qui portent le fruit, plus minces même vers le haut et souvent divisées. Elle aime les terrains à fond sablonneux. Aucune de ces deux plantes n'a de feuilles, ni rien de semblable à des feuilles ; elles semblent plutôt porter deux sortes de fruit, ce qui parait étonnant. Telles sont les différences de nature et de fonctions,

VII. Il semble que, chez toutes les plantes, la racine s'accroisse avant les parties aériennes; en effet elle pousse en profondeur; mais aucune racine ne s'étend plus loin que ne pénètre la chaleur du soleil, car c'est la chaleur qui engendre. Cependant il importe beaucoup pour la profondeur et encore plus pour la force de la racine que le terrain soit léger, poreux et facilement perméable; en effet dans un terrain semblable l'accroissement est plus prolongé et plus développé: Cela est remarquable sur les espèces cultivées; quand elles ont de l'eau, elles poussent pour ainsi dire n'importe où, pourvu que la place soit vide et que rien ne leur fasse obstacle, quand ce serait l'eau d'un puits ou d'un canal. C'est ainsi que dans le Lycée, le platane planté contre le canal, même dans sa jeunesse, poussa de trente-trois coudées, ayant en même temps l'eau et la nourriture nécessaires.

Il semble que le figuier ait, pour ainsi dire, la racine la plus longue; ainsi sont en général les végétaux à racines solitaires et droites. D'ailleurs, toutes les plantes, quand elles sont dans la vigueur de leur jeunesse, ont déjà la racine plus profonde et plus longue que les plantes âgées. Car les racines dépérissent en même temps que le reste du corps. Chez toutes aussi, les suos sont plus énergiques dans les racines; quelquefois, ils le sont là par excellence. C'est pourquoi les racines sont amères quand les fruits sont doux. D'autres racines sont médicinales, quelques-unes odorantes, comme celles de l'iris. La nature et l'essence de la racine sont parfois spéciales, comme chez le figuier d'Inde, car il émet de ses rameaux des radicelles qui vont s'attacher à la terre, s'enraciner, et former autour de l'arbre un cercle continu à distance de son tronc. C'est un fait analogue à celui-là, mais encore plus étonnant, qu'il y ait des plantes dont les feuilles émettent des racines, comme on le voit, dit-on, chez une herbe qui croît près d'Oponte, et qui est agréable à manger. En effet ce qu'on observe chez les lupins est moins étonnant, à savoir que quand on les sème sur une couche épaisse de détritus, leur racine se fait jour au travers jusqu'au sol et germe par sa propre force. Telles sont les différences à observer dans les racines.

VIII. Voici comment on peut considérer les différences des arbres. Les uns sont noueux, les autres sans nœuds, et cela du plus au moins selon leur nature et leur station. Quand je dis sans nœuds, ce n'est pas qu'ils puissent en être absolument dépourvus, — car il n'est pas d'arbre sans nœuds, au rebours d'autres plantes telles que le schoenus, le typha, le cyperus et, en général, les herbes des marécages — mais c'est qu'ils en ont très peu. Or, il s'en forme peu chez le sureau, le laurier, le figuier, en général chez tous les arbres à, écorce lisse, tous ceux qui ont l'intérieur creux ou très poreux. Noueux sont, au contraire, l'olivier, le mélèze, l'oléaster : de ces arbres, les uns se plaisent dans les lieux ombragés, abrités des vents et humides, d'autres dans les lieux exposés au soleil, aux intempéries, aux vents, dans les terrains maigres et secs : les uns ont moins, les autres plus de nœuds que ceux de même famille. En général, ceux des montagnes ont plus de nœuds que ceux de la plaine, et ceux des terrains secs plus que ceux des terrains marécageux. La plantation même produit, si elle est dense, des troncs sans nœuds et droits; si elle est clairsemée, des troncs plus noueux et plus tortueux, car ainsi les premiers sont dans l'obscurité, et les seconds éclairés.

Les mâles sont aussi plus noueux que les femelles, dans les végétaux où existent les deux sexes, comme chez le cyprès, le sapin, le charme, le cornouiller (en effet, on connaît un cornouiller femelle) ; mêmes différences si l'on passe des végétaux sauvages aux végétaux cultivés, surtout d'une race à l'autre, de l'oléaster à l'olivier, du caprifiguier au figuier, du poirier sauvage au poirier cultivé. Les premiers sont tous plus noueux, comme, en général, les bois denses par rapport aux bois de faible densité : en effet, les mâles et les sauvageons sont plus denses, à moins que, à cause de sa densité naturelle, certain végétal ne se montre toujours peu ou point noueux, comme le buis, le lotus. Tantôt les nœuds sont placés sans ordre et au hasard, tantôt ordonnés quant à leur intervalle et à leur nombre, comme il a été dit; aussi appelle-t-on ces végétaux taxiozotes. Chez les uns les intervalles sont presque égaux ; chez les autres la différence des intervalles est proportionnelle à l'épaisseur, comme de raison. C'est ce qui apparaît surtout dans l'oléaster et les roseaux ; en effet, l'articulation est comme le nœud. Les nœuds sont disposés tantôt en rapport régulier, comme ceux de l'olivier, tantôt au hasard. Chez les uns ce rapport est de deux ; chez d'autres de trois ; chez d'autres encore il est plus considérable ; chez quelques-uns, il va jusqu'à cinq. Ceux du sapin sont droits ainsi que les rameaux, et comme fichés dans le tronc; ceux des autres ne le sont pas. Aussi, le sapin est-il robuste. Ceux du pommier sont très particuliers, semblables à des figures d'animaux; il y en a un très grand, avec d'autres à l'entour nombreux et petits. Les nœuds sont aveugles ou féconds. Par aveugles, j'entends ceux qui ne portent aucun rameau. Ils sont tels par nature ou par l'effet d'une lésion, lorsqu'ils ne peuvent se développer ou se faire jour, ou lorsqu'ils sont coupés et se montrent comme brûlés. Les nœuds aveugles se trouvent surtout sur les rameaux épais et chez quelques arbres sur le tronc. D'ailleurs, en général, partout où, soit sur le tronc, soit sur les rameaux, on aura pratiqué une section ou une entaille, il se produit un nœud, divisant l'unité de végétation et y commençant une autre unité soit par la mutilation, soit par une autre cause, car ce n'est certainement pas un effet naturel que la vie naisse d'une blessure. Mais, toujours et partout, ces rameaux paraissent beaucoup plus riches en nœuds [que le tronc] parce que chez eux l'entre-nœuds ne s'est pas encore développé; ainsi les jets récents sont les plus raboteux du figuier, ainsi les extrémités des sarments de la vigne. En effet, le nœud des autres plantes est comparable à l'œil de la vigne et à l'articulation du chaume.

D'autres arbres sont affectés de miellat, comme l'orme, le chêne et surtout le platane, et cela toujours s'ils vivent dans les lieux Apres, humides et exposé» aux vents. Cette maladie leur survient dans leur vieillesse au voisinage de la terre et comme à la tête du tronc. Quelques-uns, comme l'olivier, portent ce qu'on appelle gongre ou quelque chose d'analogue; cette maladie est, en effet, toute spéciale à l'olivier, qui parait y être le plus sujet. Les uns l'appellent premnon, les autres crotone ou d'autres noms. Les arbres droits à une seule racine, dépourvus de jets latéraux, n'en sont que peu ou point atteints. L'olivier et l'oléaster ont sur le tronc des cavités particulières.[7]

IX. Considérons maintenant d'une part les arbres qui s'accroissent en hauteur principalement ou uniquement, comme le sapin, le dattier, le cyprès, et en général ceux qui n'ont qu'un tronc unique, et tout ce qui n'a ni beaucoup de racines ni beaucoup de rameaux; d'autre part ceux qui ont en largeur un développement analogue. Quelques-uns se divisent de bonne heure, comme le pommier ; d'autres très rameux, ont aussi une puissance plus considérable à leur partie supérieure, comme le grenadier. Néanmoins, pour chacun d'eux, la culture, le lieu et l'alimentation ont une grande influence. La preuve en est que ces arbres, s'ils sont serrés, deviennent élancés et maigres ; s'ils sont clairsemés, plus épais et plus courts; si on leur laisse leurs rameaux, ils restent courts ; si on les leur, taille, ils s'élancent comme le fait la vigne. Ce qui confirme cette opinion, c'est que parmi les légumes il en est qui prennent le port d'un arbre, comme nous l'avons dit de la mauve et de la rave. Tous d'ailleurs croissent bien dans les lieux qui leur conviennent..... En effet, parmi les plantes de même nature, les moins noueuses, les plus grandes et les plus belles sont celles qui habitent dans leur station propre, comme le sapin de Macédoine l'emporte sur celui du Parnasse et sur les autres. Tous ces arbres, comme en général la forêt spontanée, sont plus beaux et plus nombreux sur la montagne, à l'exposition du nord qu'à celle du midi.

D'autre part il y a des arbres à feuilles persistantes, d'autres à feuilles caduques. Parmi les arbres cultivés; l'olivier, le dattier, le laurier, le myrte, le cyprès et un certain arbre résineux conservent leurs feuilles ; ainsi font, parmi les arbres silvestres, le sapin, le mélèze, le genévrier, l'if, le thuya et ce que les Arcadiens appellent chêne-liège, le phillyrea, le cèdre, le pin silvestre, le tamarix, le buis, l'yeuse, le celastrus, l'alaterne, l'épine vinette, l'apharce (tout cela vient autour de l'Olympe), puis le pourpier, l'arbousier, le térébinthe et le laurier sauvage. Le pourpier et l'arbousier paraissent perdre leurs feuilles sur les rameaux d'en bas, les conserver sur les rameaux les plus éloignés, et faire naître toujours des ramuscules à leur aisselle. Voilà pour ce qui concerne les arbres.

Parmi les arbrisseaux il y a le lierre, la ronce, l'aubépine, le calamus, le petit genévrier : il est en effet une espèce de ce genre qui ne devient pas arborescente. Parmi les buissons et les herbes on compte la rue, la rave, la rose, la violette arborescente, l'armoise, la marjolaine, le serpolet, l'origan, le céleri, l'olusatrum, le pavot et beaucoup d'espèces sauvages. Chez ces plantes, il est aussi des feuilles qui persistent aux extrémités, tandis que les autres feuilles tombent, comme chez l'origan, le céleri ……………. car la rue elle-même se modifie et se détériore. Tous les autres végétaux à feuilles persistantes ont ces feuilles plus étroites, assez luisantes et odorantes. Quelques-uns qui ne sont pas naturellement à feuilles persistantes le deviennent à cause de leur station, comme nous l'avons dit des arbres d'Éléphantine et de Memphis ; plus bas, dans le Delta, peu s'en faut qu'ils ne poussent toujours des feuilles. En Crète, dans le territoire de Gortyne, on raconte qu'il existe près d'une fontaine un platane qui ne perd pas ses feuilles (c'est sous ce platane que, selon leurs fables, Jupiter s'unit à Europe) ; mais que tous les arbres voisins les perdent. A Sybaris est un chêne toujours vert que le regard embrasse du haut de la citadelle ; on dit qu'il ne prend pas ses feuilles en même temps que les autres chênes, mais seulement après la canicule. On raconte encore qu'il existe à Chypre un platane semblable. Tous les arbres perdent leurs feuilles en automne et après l'automne, toutefois les uns les perdent plus tôt, les autres plus tard, de manière à empiéter sur l'hiver. D'ailleurs il n'y a pas un tel rapport entre la chute des feuilles et leur naissance, que les feuilles nées les premières doivent tomber les premières aussi ; quelques arbres les prennent de bonne heure, mais ne les perdent pas pour cela plus tôt que les autres ; quelques-uns même retardent sur les autres comme l'amandier. D'autres les prennent tard, il est vrai, mais ne retardent presque pas pour les perdre, par exemple, le mûrier.

Il semble que la région et la station humide contribuent à la persistance des feuilles, car dans les lieux secs et à sol maigre les végétaux à feuilles précoces les perdent plus tôt, et les vieux arbres plus vite que les jeunes. Quelques arbres perdent leurs feuilles avant de mûrir leurs fruits, comme les figuiers tardifs et les poiriers. Chez les arbres toujours verts, la chute des feuilles et la dessiccation se font graduellement : les feuilles n'y persistent pas toujours les mêmes ; il s'en développe de nouvelles tandis que les autres se dessèchent, ce qui se produit surtout aux environs du solstice d'été ; mais il faudrait voir si chez quelques-uns cela n'a pas lieu après le coucher de l'ourse ou dans un autre temps. Tel est le régime de la chute des feuilles.

X. Les feuilles des autres arbres sont [dans chaque essence] semblables entre elles ; cependant celles du peuplier blanc et du ricin (qu'on appelle aussi croton) sont dissemblables et de configuration variée ; les nouvelles sont arrondies et les anciennes anguleuses, et ce changement est général. Chez le lierre, c'est le contraire : dans sa jeunesse, elles sont plus anguleuses, et dans sa vieillesse plus circulaires; car cette essence se modifie aussi. L'olivier, le tilleul, l'orme et le peuplier blanc ont quelque chose de spécial : ces arbres paraissent tourner horizontalement la page supérieure de leur feuille après le solstice et, à ce signe, on reconnaît que le solstice est passé.

Chez toutes les feuilles, la page supérieure diffère de la page inférieure. En général, la page supérieure est plus verte et plus lisse ; elles ont, en effet, les nerfs et les vaisseaux sur la page inférieure comme la main ; mais chez l'olivier cette page est plus blanche et moins lisse. Elle est lisse aussi chez le lierre. Toutes les feuilles, ou du moins la plupart d'entre elles, présentent la face supérieure étalée et très haute au soleil. Cette face est ordinairement tournée vers le jour ; aussi n'est-il pas facile de dire laquelle des deux faces de la feuille est plus tournée vers le rameau : la supination parait en rapprocher davantage la face inférieure, tandis que la nature n'en veut pas moins [ce voisinage pour] la face supérieure, d'autant plus que le renversement est causé par le soleil ; on pourrait voir [ainsi] toutes les feuilles denses et opposées comme celle du myrte.

Quelques-uns croient que la nourriture parvient à la supérieure par la face inférieure, parce que celle-ci est toujours humide et villeuse ; mais c'est une erreur. Cela tient peut-être, en dehors de la nature propre des deux pages, à ce qu'elles sont inégalement ensoleillées, bien que la nourriture arrive également à chacune d'elle par les nerfs et les vaisseaux; on ne doit guère, en effet, la supposer passant de l'une a l'autre quand elles n'ont ni pores ni vaisseaux ni épaisseur pour ce passage. Quant à savoir par où s'effectue cette nourriture, c'est un sujet différent.

Les feuilles se distinguent entre elles par de nombreuses différences. Les unes sont larges comme celles de la vigne, du figuier, du platane; les autres étroites, comme celles de l'olivier, du grenadier, du myrte ; d'autres sont aiguës comme celles du mélèze, du pin, du genévrier ; d'autres sont, comme charnues, par exemple celles du cyprès, du tamarix, du pommier ; parmi les plantes buissonnantes, celles du daphné, de la pimprenelle épineuse ; et parmi les herbacées, celles du polium, qu'on sait bon contre les vers qui attaquent les vêtements. Quand aux feuilles des bettes et des raves, elles sont charnues d'une autre façon, ainsi que celles des pegania, car chez ces dernières la lame charnue s'étend en largeur au lieu d'être cylindrique. Parmi les arbrisseaux, le tamarix a aussi la feuille charnue.

Il y a encore quelques arbrisseaux à feuilles graminoïdes comme le dattier, le choix et tout ce qui lui ressemble. Ces derniers ont, pour les caractériser d'un seul mot, des feuilles angulo-pinnées. Le calamus, le cyperus, le butomus et les antres plantes des marécages ont aussi des feuilles graminoïdes. Toutes ces feuilles sont comme composées de deux moitiés, leur milieu formant une carène, d'où part pour les folioles un grand canal médian. Les feuilles diffèrent encore entre elles par leur forme. Les unes sont arrondies comme celles du pommier, d'autres plus allongées comme celles du poirier : d'autres s'avancent en pointe et même ont des épines latérales comme celles du smilax. Ces dernières sont bien fendues et comme dentées en scie, comme .......... d'autres sont entières comme celles du sapin et du pin; d'une certaine façon, on peut dire aussi fendues les feuilles de la vigne et celles du figuier, qui ressemblent à un pied de corneille. Quelques-unes ont des fissures comme celles de l'orme, du noisetier et du chêne. Les unes sont épineuses au sommet et sur les côtés comme celles du chêne vert, du chêne ordinaire, du smilax, de la ronce, du paliurus et des autres. Les autres le sont seulement au sommet, comme celles du mélèze, du pin et du sapin, du genévrier mâle et femelle. De tous les arbres que nous connaissons, il n'en est aucun dont les feuilles soient complètement épineuses, tandis qu'il y a des feuilles de ce genre chez les autres végétaux des broussailles, tels que l'acorna, le drypis, le chardon et presque toute la série des carduacées. En effet, chez eux l'épine remplace la foliole : et si l'on n'appelait pas cela des feuilles, il en résulterait qu'ils seraient complètement dépourvus de feuilles, et que plusieurs d'entre eux, ayant des épines, n'auraient point de feuilles, par exemple l'asperge.

Maintenant il y a des feuilles dépourvues de pédoncule comme celles de la scille et du muscari ; et d'autres qui ont un pédoncule. Certains en ont un long, comme la vigne et le lierre, d'autres un court et pour ainsi dire, faisant partie de la feuille comme chez l'olivier, et non pas rattaché à leur tissu comme chez le platane et la vigne. Nouvelle différence, c'est que les feuilles ne naissent pas toujours des mêmes parties, mais naissent des rameaux chez la plupart, chez d'autres des branches, chez le chanvre même du tronc, chez beaucoup de plantes potagères directement de la racine, comme chez l'ail, l'oignon, la chicorée, et encore l'asphodèle, la scille, le muscari, le sisyrinchion, et en général chez les plantes bulbeuses; et chez elles ce n'est pas seulement le premier germe, mais même toute la hampe qui est dépourvue de feuilles. Chez quelques-unes, quand la tige s'est développée, des feuilles naissent naturellement comme chez la laitue, le basilic, le céleri et aussi les céréales. Quelques-unes de ces plantes ont aussi la tige épineuse comme la laitue et toutes les plantes à feuilles épineuses et même quelques arbrisseaux encore bien plus, comme la ronce et le paliurus, Une différence commune à tous les arbres et aux autres végétaux, c'est que les uns sont polyphylles, les autres oligophylles. Généralement, les végétaux polyphylles ont les feuilles disposées avec ordre comme le myrte ; les autres les ont disposées sans ordre et presque au hasard, comme le plus grand nombre des autres végétaux. La feuille creuse est spéciale à certaines plantes potagères telles que l'ail et l'oignon. En un mot les feuilles diffèrent par la grandeur, le nombre, la forme, le volume, l'état plan ou creux, rude ou lisse, épineux ou non épineux.

Il faut encore considérer d'où et comment elles prennent naissance; si c'est de la racine, du rameau, de la tige ou de la branche ; si c'est par un pétiole ou directement de leur propre tissu ; beaucoup de sortes de feuilles s'insèrent par elles-mêmes. Quelques-unes portent un fruit, qu'elles embrassent dans leur milieu, comme le ruseus alexandrinus.

Les différences ordinaires des feuilles viennent d'être exposées et presque toutes se ramènent aux caractères indiqués.

Quant à leur composition, les unes ont la fibre, l'écorce et la chair, comme celles du figuier et de la vigne, les autres la fibre seulement, comme celles du chaume et du blé. L'humide est commun à toutes les feuilles, car il se trouve dans tous les organes, les feuilles comme les autres organes annuels, le pédoncule, la fleur, le fruit, et autres, et plus encore chez les organes non annuels, car aucun ne manque de cet élément. Parmi les pédoncules, les uns semblent composés seulement de fibres, comme [les gaines] du blé et du calamus, les autres des mêmes éléments que les tiges. Quant aux fleurs, les unes se composent d'une écorce, de vaisseaux et de chair, les autres de chair seulement comme l'organe médian des arums. Il en est de même des fruits ; les uns sont composés de chair et de fibre, les autres de chair seulement, d'autres aussi d'un derme : l'humide ne manque pas non plus à ceux-ci. Le fruit des pruniers et des concombres se compose de chair et de fibre ; celui des mûriers et du grenadier de fibre et de derme. D'autres sont composés différemment. D'une manière générale, la partie extérieure est l'écorce, la partie intérieure la chair ; quelques-uns ont aussi un noyau.

XI. Vient en dernier la graine, commune à tous. Elle contient, innés en elle, l'humide et le chaud, dont le défaut les laisse stériles de même que les œufs.

Et chez les unes la graine est en contact direct avec l'enveloppe, comme chez le dattier, le noyer, l'amandier, parmi lesquels l'enveloppe est plus charnue chez le dattier; chez d'autres il y a en outre interposition d'un noyau, comme, chez l'olivier, le prunier et d'autres semblables. Quelques-uns ont leurs graines dans une gousse, d'autres dans une bale, d'autres dans une capsule; les autres sont parfaitement gymnospermes. Exemple du premier cas ; non seulement les plantes annuelles telles que les légumineuses cultivées et nombre d'autres espèces champêtres, mais aussi quelques arbres tels que le caroubier, que l'on appelle aussi figuier d'Egypte, l'arbre de Judée et le baguenaudier de Lipara. Exemple du second cas : certaines plantes annuelles comme le blé et le millet. Les végétaux angiospermes, c'est-à-dire ayant les graines renfermées dans une capsule, sont le pavot, et les papavéracées (car le sésame a une structure particulière); enfin on doit reconnaître comme gymnospermes beaucoup de plantes potagères : l'aneth, la coriandre, l'anis, le cumin, le fenouil.

Parmi les arbres, aucun n'est gymnosperme, mais chez les uns la graine est entourée d'une chair ou d'enveloppes tantôt tégumentaires comme, celles du gland et de l'arbre d'Eubée, tantôt ligneuses comme celles de l'amande et de la noix. Aucun non plus n'est angiosperme, à moins que l'on ne regarde le cône : comme une capsule parce que l'on peut en séparer les fruits.

Quant aux graines elles-mêmes, les unes sont complètement charnues, comme toutes celles qui ressemblent à la noix ou au gland ; les autres ont leur chair contenue dans un noyau, comme celle» de l'olivier, du laurier et d'autres arbres. Les unes ont ou un noyau, ou du moins l'apparence d'un noyau, et sont comme sèches, telles sont celles du chardon, les grains de la ligue et beaucoup de graines potagères. Celles du dattier sont les plus remarquables, car elles n'offrent aucune cavité, ni même aucune sérosité ; toutefois il s'y trouve évidemment quelque humidité et quelque chaleur, selon ce que nous avons dit. Les graines diffèrent aussi entre elles, parce qu'elles sont tantôt rapprochées les unes contre les autres, tantôt écartées même par rangées comme celles de la coloquinte et du melon [et parmi les arbres[8] . . . . .]

Parmi les premières, les unes sont entourées d'une seule enveloppe, comme celles du grenadier, du poirier, du pommier, de la vigne et du figuier 5 les autres, bien qu'étroitement pressées, ne sont pas cependant réunies dans une enveloppe commune comme les graines en épi des plantes annuelles, à moins qu'on ne regarde l'axe de l'épi comme une enveloppe. Ainsi seront la grappe et les inflorescences racémiformes, et toutes celles qui, à cause de la vertu du sol, portent des fruits serrés, comme l'olivier, en Syrie et ailleurs, à ce que l'on dit. Mais il semble qu'il y ait une différence naturelle en ce que certaines graines deviennent serrées quoique naissant chacune sur un seul pédoncule et d'une seule attache (comme nous l'avons dit des inflorescences racémiformes et spéciformes que n'entoure aucune enveloppe commune), et que d'autres ne le deviennent pas. En effet, quand on examine séparément chacune des graines ou des enveloppes, on voit que chacune d'elles a un mode propre d'origine comme le grain de raisin ou la grenade, et, d'un autre côté, le grain de blé ou d'orge.

Mais il ne faudrait pas croire qu'il en soit ainsi des graines du poirier et du pommier parce qu'elles se touchent et sont entourées comme d'une pellicule membraneuse qu'enveloppe le péricarpe; cependant, chacune de ces graines a aussi son origine et sa nature distinctes. Celles du grenadier sont on ne peut plus isolées, car chacune d'elles a un noyau, et elles ne sont pas, comme dans les figues, indistinctes à cause du mucilage. Entre ces deux sortes de graines il existe, en effet, une différence, quoique toutes les deux soient environnées d'une substance charnue qu'entoure une enveloppe générale : c'est que chaque graine du grenadier offre autour de son noyau propre cette substance charnue et humide, tandis que les grains de la figue sont tous plongés dans une substance commune comme les pépins de raisin et tout ce qui se comporte de même. On pourrait encore observer ici d'autres différences, dont il importe de ne pas méconnaître les principales et surtout celles qui tiennent à la nature des choses,

XII. Les différences qui affectent les sucs, les linéaments et toute la figure de la plante sont assez apparentes pour tous, de sorte qu'on n'a pas besoin de les décrire ici ; [je ferai remarquer] toutefois que la figure du péricarpe n'a jamais de lignes droites ni d'angles. Parmi les sucs, les uns sont vineux comme ceux de la vigne, du mûrier, du myrte ; les autres huileux comme ceux de l'olivier, du laurier, du noyer, de l'amandier, du mélèze, du pin, du sapin; les autres sucrés comme ceux du figuier, du dattier, du châtaignier ; les autres piquants comme ceux de l'origan, de la sarriette, du cresson, de la moutarde ; d'autres amers comme ceux de l'absinthe et de la centaurée. Les sucs se caractérisent encore par leur arôme, comme ceux de l'anis, du genévrier femelle; quelques-uns peuvent être dits aqueux, comme ceux des pruniers ; d'autres acides, comme ceux des grenades et de quelques pommes. D'ailleurs, il faut tenir pour vineux même ceux de cette dernière classe. Enfin, il y a d'autres sucs dans d'autres espèces. Je parlerai de tout cela avec plus de détail en traitant des sucs, en comptant les sortes, leur nombre, leurs différences réciproques, la nature et la force de chacun d'eux.

Chez les arbres eux-mêmes, la lymphe offre, comme il a été dit, diverses apparences : tantôt c'est un latex, comme chez le figuier et le pavot ; tantôt une résine, comme chez le sapin, le mélèze et les conifères ; ailleurs, c'est un liquide aqueux comme chez la vigne, le poirier, le pommier, et parmi les plantes potagères, chez le melon, la citrouille, la laitue. D'autres ont déjà un certain piquant, comme la lymphe du thym et de la sarriette; d'autres un arôme, comme celle du céleri, de l'aneth, du fenouil et des végétaux semblables. En un mot, toutes se comportent suivant la nature propre de chaque arbre, et on peut dire, en général, de chaque plante. En effet, tout végétal a un tempérament qui lui est propre et inné, et qui appartient naturellement aux fruits qui en dépendent; dans le suc de ceux-ci se révèle une certaine parenté [avec celui du végétal] qui n'est pas, sans doute, rigoureuse ni évidente, mais qui l'est dans les péricarpes. C'est pourquoi la nature du suc subit une maturation et une coction qui la purifie : il faut voir là, en quelque sorte la matière, d'un côté, et de l'autre, l'apparence et la forme.

Les graines se différencient par leurs sucs comme les tuniques qui les enveloppent ; en un mot, tous les organes des arbres et des plantes, telles que la racine, la tige, le rameau, la feuille, le fruit, ont une certaine parenté avec la nature entière [du végétal], quand même ils s'en écarteraient par leurs arômes et leurs sucs, de manière qu'il y a parmi les organes d'un même végétal des parties, les unes douées, les autres complètement dépourvues d'odeur et de saveur. En effet, chez quelques-uns les fleurs sont plus odorantes que les feuilles ; chez d'autres, inversement, ce sont les feuilles et les rameaux, comme chez ceux dont on fait des couronnes; chez d'autres, ce sont les fruits; chez d'autres aucun organe [ne l'emporte]; chez quelques-uns, ce sont les racines ; chez d'autres, une partie quelconque. Il en est de même des qualités alimentaires ; on prouve des parties comestibles et d'autres qui ne le sont pas. Le tilleul offre un fait très particulier : ses feuilles sont sucrées, et beaucoup d'animaux s'en nourrissent, mais le fruit n'est mangeable pour aucun d'eux» Aussi, n'est-il point étonnant, en revanche, que des feuilles ne soient pas comestibles et que les fruits [correspondants] le soient non seulement pour nous mais pour les autres animaux. Mais sur ce sujet et sur les autres sujets semblables, il y aura lieu, plus tard, d'essayer de considérer les causes.

XIII. Il sera maintenant évident que selon chaque organe il y a entre les plantes des différences nombreuses et de plusieurs sortes. Les fleurs mêmes sont les unes floconneuses, comme celles de la vigne, du mûrier et du lierre ; les autres foliacées, comme celles de l'amandier, du pommier, du poirier et du prunier. Les unes sont grandes; la fleur foliacée de l'olivier, est petite. De même, chez les plantes annuelles et herbacées, il y a des fleurs foliacées et d'autres floconneuses. D'ailleurs les fleurs sont bicolores ou unicolores. Chez les arbres elles sont pour la plupart unicolores et blanches ; seule pour ainsi dire la fleur du grenadier est pourpre et celles de quelques amandiers rosée. Aucune autre espèce arborescente cultivée n'a la fleur apparente ni bicolore ; on peut excepter quelques essences sylvestres comme le sapin, dont la fleur est jaune de soufre et celles qu'on dit, dans la mer extérieure, avoir la coloration de la rose. Au contraire, chez les espèces annuelles, la plupart ont une fleur double et bicolore; je dis une fleur double, parce qu'il existe comme une fleur au milieu de la fleur, par exemple chez la rose, le lys et la violette noire.

Quelques fleurs sont monophylles, portant seulement la trace de divisions plus nombreuses : ainsi est celle du liseron, dans laquelle les folioles ne se sont pas séparées ; chez le narcisse, les folioles unies dans le bas ne se séparent angulairement que vers les extrémités, Il en est à peu près de même chez l'olivier. Il y a ici des différences d'origine et de position : certaines plantes ont la fleur autour du fruit, comme la vigne, l'olivier, et alors, en se détachant, la fleur parait perforée au centre : ce signe même est une preuve que la chute de la fleur s'est bien opérée, car, par suite d'un excès de sécheresse ou d'humidité, la fleur entraîne le fruit avec elle et ne paraît pas perforée. D'ailleurs, la plupart des arbrisseaux ont la fleur située sur le milieu du péricarpe, et quelques-uns même à son sommet, comme le grenadier, le pommier, le poirier [le prunier], le myrte, et, parmi les sous-arbrisseaux, le rosier et la plupart de ceux dont on fait des couronnes. En effet, ces espèces ont les graines en bas, au-dessous de la fleur, ce qui est très apparent sur le rosier à cause du volume de son fruit. Quelques espèces ont la fleur sur la graine elle-même, comme l'acanus, le cnicus et toutes les carduacées ; en effet, ici, à chaque graine répond une fleur. Il en est de même chez quelques plantes herbacées, par exemple chez l’anthemiss; parmi les plantes potagères, chez le melon, la courge et la pastèque : toutes ont au-dessus du fruit la fleur qui persiste longtemps pendant son accroissement. D'autres végétaux sont conformés d'une manière plus spéciale, tels que le lierre et le mûrier; chez eux, en effet, la fleur embrasse la totalité des péricarpes, et au lieu d'être placée à leur sommet, ou de les entourer isolément chacun, elle s'insère sur les parties médianes : toutefois, cela n'est pas très visible à cause de l'état floconneux.

Certaines fleurs sont stériles, comme, chez les melons, celles qui croissent aux extrémités des rameaux; aussi les supprime-t-on, car elles nuisent à l'accroissement du fruit. On dit aussi pour le citronnier, que toutes les fleurs qui ont un stylet sortant de leur milieu sont fertiles, et que celles qui n’en ont pas sont stériles. Il y a lieu d'examiner sur d'autres essences s'il arrive que la fleur stérile soit ou non séparée des autres.

En effet, il y a des races de vigne et de grenadier qui ne peuvent parfaire leur fruit, et chez lesquelles la force de production ne va que jusqu'à la fleur. La fleur du grenadier se montre bien nombreuse et serrée, et son volume large comme celui des grenades; au-dessous de celles-ci sont les petites grenades[9] dont le calice, comme dégénéré, a les lèvres profondément ouvertes. Quelques auteurs soutiennent que parmi les plantes de même essence les unes fleurissent et les autres ne fleurissent pas, notamment parmi les dattiers; que le mâle fleurit, mais que la femelle ne fleurit pas et développe de suite son fruit. Les végétaux ainsi constitués offrent des différences comme ceux qui ne peuvent pas parfaire leur fruit, Tout cela démontre jusqu'à l'évidence que la nature de la fleur a des différences nombreuses.

XIV. — Les arbres diffèrent entre eux comme il suit quant à la production de leurs fruits : tantôt ce sont les rameaux de Tannée qui les portent, tantôt ceux de l'année précédente, tantôt les uns et les autres. Ce sont les premiers chez le figuier, la vigne ; ce sont les seconds chez l'olivier, le grenadier, le pommier, l'amandier, le poirier, le myrte et presque tous les végétaux semblables. S'il leur arrive de produire une fleur ou un fruit (comme cela arrive au myrte, et surtout, pour ainsi dire, aux rameaux qui naissent après l'Arcture), le fruit ne peut se parfaire mais périt à moitié de son développement. On voit parfois des fruits neutres sur les deux sortes de rameaux, sur ceux de l'année et sur les autres, chez quelques pommiers et chez quelques autres essences fructifères qui portent deux fois. Le figuier d'Olynthe porte aussi sur les rameaux de l'année des fruits qui mûrissent.

Quelquefois les fruits naissent sur le tronc lui-même, comme sur le sycomore d'Egypte; quelques-uns disent qu'il en porte aussi sur les rameaux comme le caroubier, qui en porte en effet sur ceux-ci, mais en petit nombre. [On appelle aussi ceronia l'espèce qui produit la figue dite d'Egypte].

Certains arbres, comme d'ailleurs beaucoup de végétaux, portent leurs fruits à leur sommet, d'autres latéralement, d'autres des deux façons. Les plus nombreux parmi les arbres et les autres végétaux sont les aérocarpes, comme parmi les céréales les spicatae et parmi les arbrisseaux la bruyère, la spirée, le Vitel Agnus, et tous les autres, et les légumes à racine tuberculeuse. On trouve les fruits des deux façons chez la blette, l'arroche, le chou ; on le voit de même chez l'olivier; et quand celui-ci est aérocarpe, on dit que c'est signe de bonne récolte. Le dattier aussi, d'une certaine façon, est aérocarpe ; il est en outre aérophylle et aéroblaste, car chez lui toute la vie est concentrée au sommet.

Voilà donc comment il faut considérer les différences suivant les parties. Pour nous résumer : en considérant l'ensemble de la nature, on peut dire que les végétaux sont cultivés ou sauvages, féconds ou stériles, à feuilles persistantes ou caduques, comme il a été dit, ou même complètement aphylles ; qu'ils sont pourvus ou dépourvus de fleurs, portent tôt ou tard en saison les fleurs ou les fruits : ainsi encore d'autres oppositions analogues. Ces oppositions concernent les organes, et ne peuvent pas exister sans eux. Mais la différence la plus spéciale et en quelque façon la plus grande, qui existe aussi chez les animaux, c'est que les végétaux sont aquatiques ou terrestres ; en effet il en est qui ne peuvent pas croître dans la terre humide, d'autres qui le peuvent, mais en se détériorant. Or, l'on peut dire qu'entre toutes les espèces d'arbres et même de plantes la plupart se localisent suivant la variété; presque aucune de ces espèces en effet n'est simple, mais elles se dédoublent en variétés dites cultivées et sauvages, ce qui offre la différence la plus grande et la plus apparente; à côté du figuier est l’érinéos, à côté de l'olivier l'oléaster, à côté du poirier l’achras : variétés qui diffèrent dans chaque espèce par les fruits, les feuilles, et les autres caractères des formés et des organes. Les plantes sauvages sont presque tontes sans nom ; peu de gens seulement les connaissent. Les plantes cultivées, au contraire, sont nommées pour là plupart et là connaissance en est plus commune : je cite pour exemple, la vigne, le figuier, le grenadier, le pommier, le poirier, le laurier, le myrte et les autres; l'usage en étant vulgaire en vulgarise les différences. Or, ceci est particulier à chaque espèce : c'est qu'on ne divise guère les espèces sauvages qu'en mâles et femelles, tandis qu'on divise les espèces cultivées d'après un plus grand nombre de caractères. Or, tantôt il est facile de saisir et d’énumérer les espèces, tantôt cela est plus difficile à cause de leur extrême variété.

Voilà comment il faut essayer de comprendre les différences des parties et des autres caractères. Nous viendrons maintenant à parler de la génération, ce qui suivra naturellement l'exposition précédente.

 


 

[1] Théophraste prend ici le tubercule pour un fruit. Voyez plus loin I, 6, 11.

[2] Τὸ ὑγρόν. Le sens vague et multiple dans lequel l'auteur emploie ce mot nous oblige à le traduire par un correspondant aussi vague.

[3] Σάρξ. Ce serait pour les botanistes modernes le parenchyme. Nous sommes obligé de le traduire par son correspondant exact, chair, l'auteur nous disant que ce mot est emprunté à la zoologie.

[4] En grec δάκρυον, larme. Il s'agit ainsi des sécrétions telles que la gomme et la résine des plantes.

[5] Ici Théophraste se trompe en pensant qu'une mauve herbacée comme le Mulva silvestris, se transforme en une plante à haute tige comme l’Althœa rosea.

[6] Ici le grec ajoute deux mots, καθάπερ εἰκαζούσαις, que nous avouons n'avoir pu traduire.

[7] Le texte porte οὐλότητας, que nous croyons pouvoir corriger en κοιλότητας.

[8] Le grec ajoute περσικῆς, μηλέας, que M. Fournier n'ose pas traduire, croyant que ces mots sont interpolés par un copiste ignorant.

[9] Au lieu de κάτωθεν δ'  ἕτεροι δι' ὧν, M. Fournier a lu : κάτωθεν δὲ τὰ ῥοίδια, ὧν, etc. Le texte des manuscrits n'a pas paru traduisible au traducteur latin (E. E.).