Psellos

MICHEL PSELLOS

 

TABLEAU SOMMAIRE OU HYPOTYPOSE DES ANCIENS DOGMES CHALDEENS

Traduction française : A-ED CHAIGNET

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 

 

TABLEAU SOMMAIRE

OU HYPOTYPOSE

DES ANCIENS DOGMES DES CHALDÉENS

DE

MICHEL PSELLUS.

 

 

L'auteur de ce résumé des doctrines des Chaldéens est Michel Psellus[1] qu'il faut distinguer de plusieurs autres écrivains byzantins du même nom, dont a traité Léo Allatius dans un mémoire particulier intitulé de Psellis et publié à Rome en 1634.

Notre Michel Psellus est né en 1020 : on a de lui une Introduction à la philosophie (imprimée à Venise en 1532 et à Paris en 1541) ; un ouvrage sur les opinions des philosophes concernant l’âme (Paris, 1658); un commentaire sur les v voces de Porphyre et les catégories d'Aristote (Venise, 1532; Paris, 1541); enfin, un Commentaire sur le De interpretatione (Venise, 1503). — De plus, on lui attribue une Σύνοψις εἰς τὴν 'Αριστοτέλους λογικὴν ἐπιστημήν (édité par Elias Ehinger, Wittenberg, 1597), dont le titre, dans un manuscrit de Munich, est précédé des mots : τοῦ σοφωτάτου Ψελλου... Prantl considère le Compendium de Petrus Hispanus, intitulé : Summulœ Logicales, comme une traduction latine de la Σύνοψις de Psellus, tandis que Val. Rose (Hermès, II, 1767) et Charles Thurot (Revue archéologique, 1864, et Revue critique, 1867) font le contraire.

On cite encore de lui un Lyrœ Pythagoricœ diagramma, inédit, une ἐξήγησις sur les oracles de Zoroastre, et enfin le mémoire dont nous venons de donner la traduction, et dont le manuscrit appartient à la Bibliothèque de Gottorp.

Michel Psellus, on le voit, mérite le nom de πολυγραφώτατος, plus sans doute que celui de φιλοσόφων ὕπατος, le prince des philosophes, que lui donne Zonaras.

 

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1. Pour exposer brièvement les doctrines chaldaïques, sur lesquelles tu m'as prié de t'écrire, je commence moi aussi, et comme elles, par l’un ineffable. — 2. Après lui ils imaginent une sorte d'abîme paternel,[2] composé de trois triades, ayant chacune pour premier membre le Père, pour deuxième, la Puissance, pour troisième, la Raison. — 3. Après cela, ils disent qu'il y a des (triades)? intelligibles et intellectuelles, dont la première est l’Yunx, après laquelle viennent trois autres (yunges) paternelles, intelligibles et inexprimables,[3] divisant les mondes en trois régions : région de l’empyrée, région de l’éther, région de la matière.— 4. Après les Yunges suivent, contigus, sans discontinuité, προσεχεῖς, disent-ils, les Συνοχεῖς. Les Yunges créent pour eux les unions inexprimables de toutes les choses; les Συνοχεῖς unifient (ἐνίζουσι) les processions de la pluralité des êtres, fixant solidement, en eux-mêmes, entre les intelligibles et les intellectuels, le centre de la communauté des deux.[4] — 5. Immédiatement après les Συνοχεῖς, ils placent les télétarques qui sont aussi au nombre de trois : dont un est le télétarque de l'empyrée, l'autre de l'éther, l'autre de la matière. Les Yunges sont uniquement monades, les Συνοχεῖς sont des monades, mais qui déjà laissent apparaître la pluralité, les télétarques sont des monades ayant la pluralité divisée et distinguée. — 6. Après ceux-ci ils estiment, je crois, que sont les pères sources, τοὺς πηγαίους πατέρας, qui sont les meneurs du monde, κοσμαγοί, dont le premier est celui qu'on appelle le une fois (au delà), ἅπαξ, après lequel vient Hécate au second rang, et au milieu, — le troisième est celui qu'on appelle le Deux fois au delà, δίς ἐπέκεινα; après lesquels viennent les trois Implacables, ἀμείλικτοι, et enfin le septième, le dieu qui se ceint d'une ceinture, ὑπεζωκώς. — 7. Le une fois au-delà est la raison paternelle, νοῦς πατρικός, considérée par rapport aux intelligibles, ς πρὸς τὰ νοητά, qui est le père[5] de tous les intellectuels ; Hécate remplit tout de lumière intellectuelle et de vie. Ces dieux sont appelés pères et meneurs des mondes, parce qu'ils sont immédiatement placés sur les mondes, ἐπιβαίνοντες. — 8. Hécate a autour d'elle les sources des natures (φύσεων) diverses. La nature des sources placées selon le baudrier (le ceinturon) contribue à accomplir la fin (des choses)[6] : elle est placée sur le dos d'Hécate ; la nature des sources est placée sur son flanc, la nature des âmes est à droite ; la nature des vertus est à gauche. — 9. Le deux fois au delà a reçu en partage, parmi les sources, le rang et la fonction démiurgique, comme Hécate ceux de zoogone ; car lui, il prépose[7] au monde le type des idées, et il s'appelle deux fois au-delà, parce qu'il est dyadique, contenant dans sa raison les intelligibles et communiquant la sensation aux mondes. Celui qui est appelé une fois au-delà, doit ce nom à ce qu'il est unie,  ἑνιαῖος. Hécate est seulement au-delà.[8] — 10. Les implacables,[9] qui viennent ensuite, surveillent la puissance incendiante des Συνοχεῖς, et gardent pures et sans mélange les hyparxis d'en haut des pères et leurs énergies-sources. La source des dieux revêtus d'une ceinture est la cause première efficiente, πρωτουργός, de la distinction intellectuelle. — 11. Il y a aussi une triade source de la foi, de la vérité et de l'amour. — 12. Après celles-ci viennent les sources démiurgiques, comme celle des idées, τῶν ἰδεῶν, suivant laquelle le monde et ce qu'il contient possède figure, masse, forme, εἶδος, et vie propre, et la source du soleil, constituée, ἱδρυμένη, avant les archées héliaques ; car c'est le Démiurge qui est cause des archées héliaques, et Hécate des archées zoogones. De la source héliaque procède le soleil archique et le soleil archangélique. — 13. Ils disent encore que c'est dans le Démiurge qu'est la source de la sensation parce que c'est lui qui introduit la sensation dans les mondes. Il y a aussi une source des vertus expiatoires, des foudres, des miroirs,[10] des rites mystiques,[11] des caractères, des euménides et des télétarques. 14. Dans les rites magiques, les pères ont le rang d'archées : il y a aussi une source du songe, qui tient son archée de l'âme source. — 13. Aux sources premières sont analogues les premières archées, aux moyennes les moyennes, aux particulières les dernières. — 16. La sommité des archées zoogones s'appelle Hécate ; — la médianité, l'âme archique, le membre qui termine la triade;[12] la vertu archique. — 17. Après l’ordre des archées vient l’ordre des archanges; ces anges chefs, ἡγέμονες, procèdent de toutes les archées. — 18. Après la procession archangélique suspendue et unie aux archées existe celle des azones ; ils sont appelés azones parce qu'il usent librement de leurs ceintures, s'en débarrassent facilement et parce qu'ils sont fixés au-dessus des dieux visibles. — 19. Après les zones, le cercle fixe, ἀπλανής, embrassant les sept sphères. — 20. Les choses qui sont au-dessous de la lune consistent dans les quatre éléments : il y a des ordres divins et des γένη, genres divers autour de chacun des éléments. — 21. Après eux, viennent les anges satellites des dieux ; à la suite desquels les bandes des démons, les unes plus universelles, les autres plus particulières, qui procèdent jusqu'aux plus matérielles ; et après eux, viennent les héros. — 22. Le genre angélique a plus d'affinité avec les dieux ; il est lié avec les fonctions d'assesseurs, πρὸς τὰς παρεδρίας, et fait remonter les âmes jusqu'à un certain degré, mais pas au-delà du monde : le genre des héros est lié aux mortels; le genre des démons est placé au milieu de ces deux. — 23. De ceux-ci les uns possèdent une puissance bienfaisante et bonne, et par des ascensions hiératiques enveloppent et entraînent à des lieux opposés[13] à ceux-là (?). — Les autres entraînent en bas les âmes, on les appelle : le genre bestial et impie, θηροπόλον καὶ ἀναιδές ; ils renversent la nature et l'assujettissent par des dons funestes ; ils ensorcellent les âmes ou punissent celles qui ont été abandonnées de la lumière divine : ce genre vit dans le gouffre, κοίλωμα, divisé en mâle et femelle. — De nos âmes, disent-ils, il y a deux causes sources ; l’une la raison paternelle, l'autre l’âme source ; car le père arraché l’âme de celle-là (de l’âme source) et lui ordonne de procéder ; — celle-là crée son être même et sa forme. — 25. L'homme en tant qu'être composé, et possédant plusieurs espèces, εἴδη, qui ont de l'affinité avec les choses irrationnelles, le Père l’a placé dans le monde ; car tout composé étant une partie du monde, est compris dans l’ordre du monde. Le feu intellectuel vient d'en haut et n'a besoin que de la source qui lui est propre ; s'il sympathise avec le corps, nécessairement il en a soin, et est rangé dans l’ordre du Destin, ὑπὸ τῇ μοίρᾳ τέταχθαι, et est mené par la nature. — 26. Il a procédé, il est vrai, de (l’âme) source[14] selon la volonté du Père ; il a une substance autogone et auto vivante, αὐτόγονον καὶ αὐτόζωον ; car c'est une forme sans matière et qui subsiste par elle-même, αὐθυπόστατον. — 27. La matière est issue du Père, elle est posée comme fondement au-dessous du corps ; le corps par lui-même est sans qualité ; quand il a pris des puissances diverses, il se divise dans les quatre éléments dont le monde en son tout et notre corps tirent leur figure. — 28. La sommité de chaque série, σειρά, est nommée source ; les choses qui viennent ensuite et leur sont contiguës, τὰ προσεχή, sont les fontaines; κρῆναι ; — celles qui viennent ensuite sont les rivières, ὀχετοί ; — celles qui viennent après, s'appellent les ruisseaux, τὰ ρεῖθρα. Telle est, en résumé, la théologie et la philosophie des Chaldéens.

 


 

[1] Le texte se trouve dans Kroll, Orac. chald., Epimetr., p. 73.

[2] Πατρικὸν βυθόν.

[3] Άφθεγκτούς.

[4] Τς ἀμφοτέρων κοινωνίας.

[5] Ceci fixe le sens de νοῦς πατρικός.

[6] Συμπεραίνει τὸ τέλος.

[7] Προὔθηκεν.

[8] Il y a ainsi 3 degrés :

1.  Au delà.

2.  Une fois au delà.

3.  Deux fois au delà.

Mais ils ne se trouvent que dans l’ordre intellectuel ; car dans l'intelligible pur il n'y a pas lieu d'appliquer la mesure. Il y a une triade dans le monde intelligible ; mais il n'y a pas de degrés de dignité entre ses membres. Dam., t. I, p. 154, 21, § 70. Et t. II, p. 63.

[9] Les foudres qui annoncent et témoignent la puissance divine et n'épargnent personne, contre lesquelles personne ne peut se garer.

[10] Διοπτραί. Réfraction de la lumière. Le sens en est obscur : ce sont des effets de lumière qui ont quelque rapport avec le miroir orphique.

[11] Τελεταί.

[12] Ἀοπεράτωσις.

[13] Le texte est altéré.

[14] Ἀὸ τῆς πηγαίας ou plutôt πηγς.