POLYEN.
RUSES DE GUERRE.
LIVRE HUITIÈME.
LIVRE HUITIÈME: CHAP. Ier. - Amulius. - CHAP. II. - Numitor - CHAP. III. - Romulus - CHAP. IV. - Numa - CHAP. V. - Tullus. - CHAP. VI. - Tarquin - CHAP. VII. - Camille - CHAP.- VIII. - Mucius - CHAP. IX. - Sylla - CHAP. X. - Marius - CHAP. XI. - Marcellus - CHAP. XII. - Atilius - CHAP. XIII. - Caïus - CHAP. XIV. - Fabius - CHAP. XV. - Quintus - CHAP. XVI. - Scipion - CHAP. XVII. - Porcius Caton - CHAP. XVIII - Faune. - CHAP. XIX. - Titus - CHAP. XX. - Caïus - CHAP. XXI. - Pinarius - CHAP. XXII. - Sertorius - CHAP. XXVII. - César.- CHAP. XXIV. - Auguste - CHAP. XXV. - Les Romains - CHAP. XXVI. - Sémiramis - CHAP. XXVII. - Rodogune - CHAP. XXVIII. - Tomyris - CHAP. XXIX. - Nilétis - CHAP. XXX. - Philotis. - CHAP. XXXI. - Clélie. - CHAP. XXXII. - Porcie. - CHAP. XXXIII. - Télésille.- CHAP. XXXIV. - Chilonis. - CHAP. XXXV. - Piérie. - CHAP. XXXVI. - Polycrite. - CHAP. XXXVII. Les Phocéens. - CHAP: XXXVIII. - Arétaphile. - CHAP. XXXIX. - Camma. - CHAP. XL. - Timoclée. - CHAP. XLI. - éryxo - CHAP. XLII. - Pythopolis. - CHAP. XLIII. - Chrysame. - CHAP. XLIV. Polyclée - CHAP. XLV. Léine - CHAP. XLVI. - Thémisto. - CHAP. XLVII - Phérétime. - CHAP. XLVIII. - Axiothée. - CHAP. XLIX. - Archidamis. - CHAP. L. - Laodice. - CHAP. LI. - Théano. - CHAP. LII. - Déidamie. - CHAP. LIII. - Artémise - CHAP. LIV. - Tanie. - CHAP. LV. Tirgatao. - CHAP. LVI. Amage. - CHAP. LVII. - Arsinoé. - CHAP. LVIII. - Cratésipolis. - CHAP. LIX. - La Prêtresse. - CHAP. LX. Cynnane. - CHAP. LXI. - Pyste. - CHAP. LXII. - épicharis. - CHAP. LXIII. - Les Milésiennes. - CHAP. LXIV. - Les Méliennes. - CHAP. LXV. - Les Phocéennes. - CHAP. LXVI. - Les Femmes de Chio. - CHAP. LXVII. - Les Thasiennes. - CHAP. LXVIII. - Les Argiennnes. - CHAP. LXIX. - Les Acarnaniennes. - CHAP. LXX. - Les Cyrénéennes. - CHAP. LXXI ET DERNIER. Les Lacédémoniennes.
CHAPITRE PREMIER
AMULIUS
Amulius et
Numitor étaient frères. Amulius, le plus jeune des deux, entreprit de se faire
roi à force ouverte, et le fut effectivement d'Albe. Il mit son frère Numitor
en prison, et pour empêcher que de Silvie, fille de Numitor, il ne vînt des
enfants qui vengeassent l'injure faite à leur aïeul, il la fit prêtresse de
Vesta, parce que les vestales étaient obligées à garder une continence perpétuelle.
CHAPITRE II
NUMITOR
Rémus et
Romulus furent fils de Mars et de Silvie. Ils s'élevèrent contre Amulius. Le
tumulte qui avait commencé dans le fort, passa dans la ville. Numitor, sachant
ce qui se passait, dit aux habitants : « Les ennemis entrent dans le pays, et
Amulius a pris la fuite, après avoir livré la ville. Armez‑vous, et vous
rendez à la place publique. » Les habitants s'armèrent et s'assemblèrent. Rémus
et Romulus, après avoir fait périr Amulius, descendirent du fort, et apprirent
aux habitants assemblés qui ils étaient, ce qu'ils avaient eu à souffrir, et
la vengeance qu'ils avaient tirée de l'injure faite à leur aïeul. Le peuple
donna des éloges à leur action, et la royauté à Numitor.
CHAPITRE
III
ROMULUS
I. Les Romains
n'avaient point de femmes. Pour leur en procurer, Romulus fit publier dans les
villes voisines qu'il célébrerait une fête publique à l'honneur de Neptune,
dompteur de chevaux, et donnerait des prix considérables pour les courses. Le
spectacle attira beaucoup de monde des villes des environs, hommes, femmes et
filles. Romulus défendit de toucher aux hommes et aux femmes. Il ordonna
seulement d'enlever les filles, non pas pour les insulter mais pour les épouser.
Ce fut ainsi que les Romains commencèrent à se créer une postérité.
II. Romulus
campa à dix stades de la ville de Fidène. La nuit il fit sortir ses troupes
des retranchements. En ayant pris la moitié, il la fit marcher de front, et
ayant ordonné aux autres de marcher en colonnes, il marqua en secret aux chefs
ce qu'ils avaient à faire. Pour lui, accompagné de quelques‑uns des plus
dispos, tous armés de haches, il se présenta aux murs, après avoir commandé
au reste de ce corps d'armée de se tenir en embuscade près de là. Au point du
jour il fit attaquer les portes à coups de hache. Les Fidénates, troublés par
la témérité de cette entreprise, ouvrirent les portes, et fondirent en désordre
sur les ennemis. Les Romains lâchèrent pied. Les Fidénates, ne voyant que
ceux qui leur faisaient face, sans apercevoir ceux qui étaient derrière, méprisèrent
ceux qu'ils voyaient, et les poussèrent vigoureusement, dans l'espérance de
les exterminer. Quand ils se furent avancés plus loin, les chefs qui
conduisaient les colonnes couvertes par la ligne de front, les firent approcher,
et s'asseoir à terre, afin que les ennemis ne les vissent point. Cela fait,
ceux de la ligne de front prirent la fuite, et s'étant coulés derrière les
colonnes, firent volte‑face contre ceux qui les poursuivaient. Alors les
colonnes se levèrent, et ces soldats frais se jetèrent avec grand bruit sur
les Fidénates harassés, qui furent attaqués en même temps par ceux qui
avaient fait semblant de fuir. Les Fidénates, poussés de toutes parts, furent
mis en déroute, et la plupart tués, et leur ville fut prise.
CHAPITRE IV
NUMA
Numa voulant détourner
les Romains de la guerre et du sang, les porter à la paix et leur donner des
lois, se retira de la ville dans un temple consacré aux Nymphes, et après y être
demeuré seul beaucoup de temps, il revint à la ville chargé d'oracles, qu'il
disait avoir reçus des Nymphes, et qu'il conseilla d'observer comme des lois
inviolables. Il trouva dans les Romains toute la soumission qu'il pouvait
souhaiter. Numa établit comme des lois des Nymphes, toutes les fêtes et les cérémonies,
et tous les sacrifices qui s'observent encore aujourd'hui. Je pense qu'il le fit
à l'imitation de Minos et de Lycurgue, dont l'un reçut ou voulut qu'on crût
qu'il avait reçu de Jupiter, et l'autre d'Apollon, les lois qu'ils avaient
proposées, celui‑là aux Crétois, et celui‑ci aux peuples de Lacédémone.
CHAPITRE
V
TULLUS
Tullus était à
la tête des Romains campés contre les Fidénates. Ceux d'Albe, trahissant les
Romains, abandonnèrent leur aile gauche, et se retirèrent sur les montagnes.
Un cavalier accourut annoncer cette nouvelle à Tullus, qui lui cria fort haut :
« Garde bien ton rang, c'est par mon ordre que ceux d'Albe ont fait ce
mouvement pour enfermer les Fidénates. » Les Romains ayant entendu ce
discours, poussèrent de grands cris de joie, qui furent entendus par les Fidénates.
La peur qu'ils eurent d'être enfermés par ceux d'Albe, les obligea de prendre
la fuite.
CHAPITRE
VI
TARQUIN
Tarquin avait
longtemps fait la guerre aux Gabiens, sans avoir pu venir à bout de les dompter
et de prendre leur ville. II s'avisa enfin de maltraiter cruellement Sextus, le
plus jeune de ses fils, et de l'envoyer comme transfuge chez les Gabiens.
Ceux‑ci le voyant dans un état digne de compassion, le reçurent. Il
promit de faire éprouver à son père la vengeance la plus éclatante, et en
effet il se concilia la confiance des Gabiens par toutes ses entreprises. Il
ravageait les terres des Romains, il leur donnait la chasse, il faisait des
prisonniers sur eux, il leur donnait des batailles avec succès. En un mot, il
gagna tellement l'estime des Gabiens, qu'ils le firent leur général. Quand il
se vit revêtu de cette dignité, il envoya secrètement demander à Tarquin ce
qu'il y avait à faire. Tarquin se promenait alors dans un jardin. Ayant entendu
l'ambassade de son fils, il rompit les pavots les plus élevés, et dit à
l'envoyé : « Dis à mon fils qu'il fasse cela. » Sextus ayant eu cette réponse,
fit périr les plus considérables d'entre les Gabiens, et ayant ainsi affaibli
et diminué le nombre des habitants, il livra la ville aux Romains.
CHAPITRE
VII
CAMILLE
I. Camille
faisait la guerre aux Falériens. Un maître d'école des Falériens ayant mené
hors des murs tous les enfants de la ville, comme pour leur faire faire de
l'exercice, les livra aux Romains. Camille indigné de la cruauté du pédagogue,
lui fit lier les mains derrière le dos, et le livra en cet état aux enfants
pour le mener à leurs pères. Les Falériens firent mourir honteusement le pédagogue,
et charmés de l'humanité et de la justice de Camille, se livrèrent à lui
sans combat. Ce fut ainsi que Camille se rendit maître par un acte de bonté
d'une ville qu'il n'avait pu conquérir par les armes.
II. Les Celtes,
conduits par leur roi Brennus, prirent Rome, et en demeurèrent maîtres pendant
sept mois. Camille ayant rassemblé les Romains qui se trouveraient hors de
Rome, chassa les Celtes, et rétablit les Romains dans la ville. Treize ans après,
les Celtes ayant entrepris de faire de nouveau la conquête de Rome, campèrent
sur les bords du fleuve Anion, assez près de la ville. Camille, nommé
dictateur pour la cinquième fois, se mit à la tête de l'armée romaine. Pour
résister aux épées des Celtes, avec lesquelles ils coupaient les têtes, il
fit forger des casques de fer, et les fit polir, tant pour faire glisser les épées
des Celtes, que pour les casser, et les boucliers, il les fit garnir tout autour
d'une plaque d'airain, à cause que le bois seul ne résistait pas assez aux
coups. Il apprit à ses soldats à se servir de longues piques, et à se présenter
eux-mêmes aux coups des ennemis. Les épées des Celtes étaient mal forgées,
et d'une trempe molle elles se faussaient et s'ébréchaient aisément, et
devenaient inutiles dans le combat. Ainsi les Celtes furent facilement vaincus.
La plupart périrent, et le reste prit la fuite.
CHAPITRE VIII
MUCIUS
Les Tyrrhéniens
faisaient la guerre aux Romains. Porsenna était roi des Tyrrhéniens, et
Publicola était consul des Romains pour la troisième fois. Mucius, Romain,
homme expérimenté dans la guerre, forma le dessein de tuer Porsenna, se glissa
dans le camp des Tyrrhéniens, habillé comme eux, et parlant la même langue,
et s'avance jusqu'au trône. Il ne connaissait point le roi, mais choisissant
des yeux celui qui lui parut tel, il tira l'épée, et le tua. Il fut aussitôt
pris, et dit qui il était. Porsenna fit un sacrifice en action de grâces de
son salut. Mucius s'approcha de l'autel où le feu était allumé, et tenant sa
main droite dessus, il la laissa brûler, en parlant toujours à Porsenna, d'un
visage gai et d'une contenance ferme et assurée. Porsenna ne put s'empêcher
d'admirer la constance de l'homme. Mucius lui dit : « Que cela ne te surprenne
point, il y a trois cents Romains aussi courageux que moi, qui se sont glissés
dans ton camp, et qui n'attendent que l'occasion d'exécuter contre toi ce que
j'ai entrepris. » Porsenna crut ce que lui disait Mucius, et la peur qu'il en
eut, l'obligea à faire la paix avec les Romains.
CHAPITRE
IX
SYLLA
I. Dans la
guerre contre les alliés les soldats romains assommèrent, à coups de pierres
et de bâton, Albin, ancien officier. Sylla ne fit point de punition de cette
faute, il crut qu'en usant d'indulgence envers les meurtriers, il les rendrait
plus hardis à la guerre, et que se regardant comme coupables d'une grande
faute, ils chercheraient à l'effacer par de grandes actions. En effet, on les
vit faire des choses surprenantes dans les combats, comme s'ils eussent voulu
faire oublier par là ce qu'ils avaient commis contre Albin.
II. Sylla, campé
devant Archélaüs général de Mithridate, vers Orchomène, vit que ses
soldats, mis en déroute, prenaient la fuite. Il descendit de cheval, et
saisissant l'enseigne, il poussa à travers les fuyards, et s'avança vers les
ennemis, en criant : « C'est ici, Romains, où je dois périr avec gloire. Si
l'on vous demande en quel lieu vous avez trahi Sylla, souvenez-vous de dire que
c'est à Orchomène. » Ces paroles firent honte aux Romains, ils revinrent sur
leurs pas, et donnant courageusement sur les ennemis, ils leur firent prendre la
fuite.
CHAPITRE
X
MARIUS
I. Les Cimbres
et les Teutons firent une incursion en Italie. C'étaient des hommes sauvages,
d'une taille haute, d'un regard affreux, et d'un son de voix qui sentait la bête
féroce. Marius ne voulut pas d'abord que ses soldats en vinssent aux mains avec
eux, mais il leur ordonna de se tenir dans leurs retranchements, et de se
contenter d'envisager de là les Barbares, et de tirer sur eux. De cette manière
il les accoutuma à les voir et à les entendre. Les Romains cessèrent d'en être
surpris, et les méprisèrent, ils demandèrent même à Marius qu'il les menât
contre eux. Il le fit, et de cent mille hommes qu'avaient les Barbares, les uns
furent tués, et les autres faits prisonniers.
II. Marius étant
sur le point de donner bataille aux Cimbres et aux Teutons, au pied de quelques
coteaux, où le terrain était inégal, envoya Marcellus pendant la nuit, avec
trois mille soldats bien armés, et lui ordonna de tourner quelques hauteurs
inaccessibles, pour gagner les derrières des ennemis. Quand cela fut fait,
Marius ordonna à ses troupes de descendre peu à peu des hauteurs qu'elles
occupaient dans la plaine, afin que les ennemis, s'imaginant que l'on se
disposait à la fuite, essayassent de les poursuivre et descendissent aussi,
dans la plaine. Quand ils y furent descendus, ils eurent en face les troupes de
Marius, et en queue celles de Marcellus. Les Romains taillèrent les ennemis en
pièces, et remportèrent une victoire signalée.
III. Marius
ayant à combattre contre les Cimbres, nés dans un climat très froid, se
persuada que s'il leur était aisé de supporter la glace et la neige, ils ne
supporteraient pas si patiemment la chaleur. On était au mois d'août. Marius
choisit l'assiette de son camp, de manière qu'il avait le soleil à dos, au
lieu que les Barbares l'avaient dans les yeux. N'en pouvant supporter la trop
grande clarté et l'ardeur, baignés de sueur, et tout essoufflés, ils se
couvraient le visage de leurs pavois, et découvraient leurs corps aux Romains,
qui en firent un horrible carnage. Il périt dans cette bataille cent vingt
mille Barbares, et il y en eut soixante mille de pris.
CHAPITRE
XI
MARCELLUS
Marcellus assiégeant
Syracuse, ne put s'en rendre le maître. Archimède l'en empêcha, par le moyen
de ses machines. Marcellus n'osant donc plus donner d'assaut aux murailles,
remit au temps le succès du siège. Longtemps après, ayant fait rencontre de
Damippe, Spartiate, qui sortait de Syracuse par mer, il le fit prisonnier, et
apprit de lui qu'il y avait à l'enceinte de la ville une tour gardée négligemment,
où l'on pouvait mettre beaucoup de soldats, et qu'il était aisé de monter sur
le mur. Marcellus ayant préparé des échelles d'une longueur suffisante, prit
le temps que les Syracusains célébraient une fête de Diane, et étaient dans
le vin et dans les jeux. Il se saisit de la tour, garnit tout le mur d'armes, et
dès avant l'aurore, il eut brisé le boulevard des six portes (ou l'Hexapile),
et s'empara de la ville dans le moment. Ses troupes, en récompense de la manière
vigoureuse dont cette attaque avait été poussée, demandèrent le pillage de
la ville. Marcellus leur abandonna les esclaves et les biens, mais il leur défendit
de toucher aux choses sacrées, et aux corps des personnes libres.
CHAPITRE XII
ATILIUS
Atilius ayant été
pris par les Carthaginois, leur jura, s'ils le laissaient aller, de persuader au
Sénat de Rome de faire la paix
et s'il ne le leur persuadait pas, de revenir se mettre dans les fers. Étant
arrivé à Rome, au lieu d'exhorter le Sénat à la paix, il lui apprit le découragement
des Carthaginois, et leur faiblesse, il lui en découvrit tous les secrets, et
de quelle manière on pouvait venir à bout de prendre Carthage. Le sénat lui
proposa de demeurer, et lui représenta que les serments faits par force étaient
nuls. Ce fut en vain, il ne se laissa pas même ébranler aux tendres
embrassements de ses enfants, de sa femme, de ses amis et de ses proches. Il ne
put se résoudre à violer son serment. Il monta sur un vaisseau, et s'étant
rendu à Carthage, il ne fit point un mystère de tout ce qu'il avait dit, et de
sa conduite, et déclara quelles étaient les dispositions des Romains. Les
Carthaginois, pour se venger, le jetèrent dans une prison, l'y tourmentèrent
longtemps, et lui firent souffrir une mort cruelle.
CHAPITRE
XIII
CAIUS
Caïus avait
donné un ordre dans toute l'armée, que chacun se tînt sous les armes à son
poste. C'était en été. Son fils mena boire à une rivière voisine son cheval
qui avait soif. Caïus fit couper la tête à son fils, pour le punir de sa désobéissance
et par cet exemple rigoureux, il apprit à tous ses soldats quel respect on doit
à la discipline.
CHAPITRE
XIV
FABIUS
I. Dans la
guerre contre Annibal, on parlait désavantageusement de Fabius, parce qu'il évitait
d'en venir aux mains. Son fils l'exhortait à se laver de cette tache prétendue.
Il fit examiner à son fils chaque partie de l'armée, et lui faisant remarquer
les endroits faibles, il lui dit : « Est‑il à propos, à ton avis, de
mettre tout au hasard ? Il est rare que toute l'armée combatte, et quelquefois
il arrive qu'elle est vaincue par l'endroit où sont les meilleurs soldats. Si
l'on veut m'en croire, on n'en viendra point aux mains, on se contentera de
suivre les ennemis, de tenir les hauteurs, et de détacher les villes de leurs
intérêts. » Ces discours et cette pratique le firent passer dans le temps
pour un homme timide, mais quand on eut vu dans la suite que les autres généraux
avaient perdu des armées considérables, les Romains eurent recours de nouveau
à Fabius et à sa conduite. Il fut fait dictateur, et surnommé Maxime,
c'est‑à‑dire, très grand.
II. Fabius fut
surnommé Maxime, c'est‑à‑dire, très grand, et Scipion eut le
surnom de grand. Scipion en fut piqué de jalousie, et ne put s'empêcher de
dire à Fabius : « On t'appelle très grand pour avoir conservé les troupes,
et moi qui ai vaincu Annibal en face, on ne m'appelle que le grand. » Fabius
lui répondit : « Si je ne t'avais pas conservé les soldats, tu n'aurais pas
eu l'honneur de combattre et de vaincre Annibal. »
III. Fabius prit
par adresse la ville le Tarente, quoique soutenue par Annibal. Il y avait dans
l'armée de Fabius un soldat qui était de Tarente. Il avait dans la ville une sœur
très belle, dont était amoureux Abrence, à qui Annibal avait confié la garde
des murs de Tarente. Fabius, instruit de cette intrigue, envoya le soldat
tarentin voir sa sœur. Par le moyen de la maîtresse, le frère se rendit ami
du galant, et l'attira dans les intérêts des Romains, jusque‑là
qu'Abrence ayant fait ses conditions, enseigna un endroit des murs par où
l'attaque serait aisée. Fabius y fit présenter des échelles, monta sur le
mur, et prit la ville d'assaut. En cela il fut d'autant plus admiré de tout le
monde, qu'il avait employé l'artifice pour vaincre Annibal, qui n'était
redevable qu'aux tromperies et qu'à la ruse de la plupart de ses victoires.
CHAPITRE XV
QUINTUS
Quintus Fabius,
fort avancé en âge, souhaitant de voir son fils nommé général, pria les
Romains de ne point penser à faire cet honneur à son fils, de peur, si cela
arrivait, que lui, dans son extrême vieillesse, ne fût obligé de voyager et
de suivre l'armée, pour ne pas abandonner son fils. Les Romains, persuadés que
les affaires de l'État en seraient mieux gouvernées, si Fabius demeurait à
Rome, déclarèrent le jeune homme général, et Fabius ne l'accompagna point à
l'armée, afin de ne pas attirer à lui‑même la gloire des heureux succès
de son fils.
CHAPITRE XII
SCIPION
I. Scipion étant
en Ibérie, fut informé que l'armée ennemie venait au combat sans avoir repu.
Il affecta de la lenteur à mettre ses troupes en ordre de bataille. Ce ne fut
qu'à la septième heure du jour qu'il fit aller à la charge, et rencontrant
des ennemis affaiblis par la faim et la soif, il n'eut pas de peine à les
vaincre.
II. Scipion
chassa de son camp toutes les filles de joie, et leur dit d'aller dans les
villes où l'on était en fête. Il commanda d'ôter les lits, les tables, les
vases, et toutes sortes de meubles, excepté à chaque soldat une marmite, une
broche et un pot. Il leur défendit d'avoir aucun gobelet d'argent, plus grand
que de la capacité de deux cotyles, et de se baigner. Il voulait que ceux qui
se frottaient d'huile, se frottassent eux‑mêmes. Il disait qu'il n'y
avait que les bêtes de charge qui avaient besoin de frotteurs étrangers. Il
voulait qu'on dînât debout, et qu'on ne prît rien de cuit à dîner. À
souper, il permettait la viande rôtie et bouillie. Pour vêtement il voulait
qu'on se servît de la saie gauloise, et lui, tout le premier, en prit une
noire, qu'il attacha avec une agrafe. Voyant un jour les officiers généraux
couchés sur des nattes, il dit qu'il ne pouvait s'empêcher de déplorer la
mollesse et le luxe où il voyait les troupes plongées.
III, Scipion
voyant un soldat qui portait un pieu pour le retranchement, lui dit : «
Camarade, il me paraît que tu as de la peine.‑ Beaucoup, dit le soldat.
‑ C'est bien fait, reprit Scipion, puisque tu te fies plus à une
palissade qu'à ton épée. »
IV. Scipion
trouvant un soldat qui s'en faisait accroire, à cause de la beauté de son
bouclier, lui dit : « Il est honteux pour un Romain d'avoir plus de confiance
en sa main gauche qu'en sa main droite. »
V. Scipion,
voyant le peuple animé et en mouvement contre lui, dit : « Je n'ai pas peur
des cris tumultueux des soldats en armes, je ne serai pas étonné par le bruit
d'une foule de gens, dont je sais que l'Italie n'est pas la mère, elle n'en est
que la marâtre. » Ce discours fit apaiser le tumulte, et le bruit cessa.
VI. Quand
Scipion eut pris la ville d'Enysse en Ibérie, ceux qui poursuivaient les
fuyards, lui amenèrent une fille d'une beauté merveilleuse. Il en fit chercher
le père, et la lui remit entre les mains. Le père lui offrit de grands présents,
et Scipion les lui rendit, en disant que c'était pour la dot de la fille. À
toutes les autres femmes de condition, aux filles et aux jeunes garçons qu'on
avait pris, il donna à chacun une garde de deux Romains sages et des plus âgés,
pour en avoir soin, et il fournit à tous les captifs ce qui leur était nécessaire,
à chacun selon son état. La tempérance de Scipion gagna la plupart des villes
de l'Ibérie, qui entrèrent volontiers dans l'alliance des Romains.
VII. Scipion
ayant fait alliance avec Syphax, roi des Massésyliens, était passé en Sicile.
Asdrubal avait une fille d'une beauté admirable. Il promit de la donner en
mariage à Syphax, s'il voulait abandonner les Romains. Syphax épousa la fille,
et s'étant uni d'intérêt aux Carthaginois, il écrivit aussitôt à Scipion,
pour lui défendre d'entrer dans la Libye. Scipion, sachant que les Romains, qui
avaient fait grand fond sur l'amitié de Syphax, n'oseraient rien entreprendre
contre la Libye, s'ils étaient informés de sa défection, les assembla tous,
et changeant le sens de la lettre de Syphax, il leur fit entendre qu'il appelait
les Romains en Libye, qu'il s'étonnait de leur retardement, et leur représentait
qu'il fallait mettre à profit son secours et son alliance. Par ces discours,
Scipion anima les Romains. Ils demandèrent avec empressement qu'on leur fixât
au plus tôt le jour de leur embarquement.
VIII. On prit
trois espions carthaginois, et selon les lois romaines on devait les faire
mourir. Scipion ne voulut pas user de cette rigueur. Il leur fit faire le tour
de l'armée, et ils y virent les Romains qui s'exerçaient, les uns à tirer le
javelot, les autres à lancer des traits, d'autres à sauter, d'autres qui préparaient
leurs armes, et d'autres qui aiguisaient leurs épées. Quand ils eurent tout
observé, on les ramena à Scipion, lui, les ayant fait dîner, leur dit : «
Allez‑vous‑en dire à celui qui vous a envoyés, tout ce que vous
avez vu. » Les espions, de retour, firent un fidèle récit de toutes choses
aux Carthaginois, qui furent frappés d'étonnement, en apprenant les grands préparatifs
des Romains, et la grandeur d'âme de Scipion.
CHAPITRE XVII
PORCIUS CATON
Porcins Caton étant
entré en Ibérie, reçut de toutes les villes des ambassades, par lesquelles
elles déclaraient qu'elles se livraient aux Romains. Il leur ordonna de lui
envoyer des otages à jour nommé. Quand ils furent venus, il donna à deux
hommes de chaque ville une lettre à rendre à la ville qui les avait envoyés,
avec ordre que toutes les lettres fussent lues le même jour. À leur retour, et
le jour marqué, ils firent la lecture de ces lettres, qui portaient : «
Abattez aujourd'hui les murailles de votre ville. » Chaque ville n'eut pas le
temps d'envoyer dans les villes du voisinage, et dans la peur qu'elle eut d'être
la seule à ne pas obéir, et de tomber dans l'esclavage, les ordres furent exécutés,
et dans un seul jour toutes les villes d'Ibérie furent démantelées.
CHAPITRE
XVIII
FAUNE
Après que Diomède
fut mort en Italie, Faune célébra en son honneur des jeux funéraires. Le
premier jour il fit une marche de Grecs armés, et le second jour il ordonna aux
Barbares de faire la même pompe. Comme ils n'avaient point d'armes, il leur en
fit prêter par les Grecs. Les Barbares s'en servirent pour exterminer ceux qui
les leur avaient prêtées.
CHAPITRE XIX
TITUS
Cléonyme ayant
pris en guerre Titus, demanda pour sa rançon deux villes, Épidamne et
Apollonie. Le père de Titus refusa de les livrer à Cléonyme, et ordonna à
son fils de se sauver. Titus fit une figure qui le représentait endormi, et la
coucha dans son appartement. Après cela il monta secrètement sur un esquif, et
prit la fuite, pendant que ses gardes étaient en sentinelle auprès de sa représentation.
CHAPITRE XX
CAIUS
Les Carthaginois
étaient abordés aux environs de la Tyndaride, avec quatre‑vingts
navires, et Caïus était dans la même plage, avec deux cents galères. Le
nombre supérieur de ses vaisseaux devait empêcher les ennemis de s'avancer. Il
ôta les voiles de cent de ses vaisseaux, et n'en mit que cent autres au vent.
Ayant caché le reste, et l'ayant bien amarré avec des câbles, il se mit à
voguer. Alors les Carthaginois comptant les voiles, crurent n'avoir affaire qu'à
un nombre de vaisseaux à peu près égal, et hasardèrent le combat. Caïus
n'eut pas de peine à remporter la victoire sur peu de navires, avec une flotte
aussi nombreuse qu'était la sienne.
CHAPITRE
XXI
PINARIUS
Les Ennéens, résolus
de renoncer à l'alliance des Romains, redemandèrent les clés des portes à
Pinarius, gouverneur de la place. « Demain, dit‑il, si tout le peuple
assemblé l'ordonne par un décret public, j'obéirai. » Tout le peuple
s'assembla le lendemain au théâtre. Pendant la nuit, Pinarius avait fait
mettre en embuscade sous le fort les plus vigoureux de ses soldats, et avait
ordonné aux autres d'entourer le théâtre, et d'en occuper les issues, en
attendant le signal qu'il leur donnerait. Les Ennéens assemblés firent un décret,
par lequel ils déclaraient leur défection. Dans le moment le gouverneur donna
le signal, et ses soldats se mirent, les uns à lancer des traits de haut en
bas, et les autres, qui bouchaient les passages, ayant tiré l'épée, frappèrent
sur le peuple entassé. Les habitants tombèrent tous les uns sur les autres, et
périrent, à la réserve de quelques‑uns qui se laissèrent couler de
dessus les murs, et s'échappèrent secrètement par un aqueduc.
CHAPITRE
XXII
SERTORIUS
Pendant que
Sertorius était en Ibérie, des chasseurs lui firent présent d'un faon de
biche blanche. Sertorius l'éleva et l'apprivoisa. Le faon le suivait partout,
jusque sur le tribunal, et quand Sertorius prononçait des jugements, l'animal
lui présentait la bouche, comme pour lui parler. Sertorius persuada aux
Barbares que cet animal était consacré à Diane, et que la déesse se servait
de ce faon pour lui découvrir toutes les choses futures et le secourir dans
toutes ses guerres. Tout ce qu'il apprenait secrètement par les espions, il en
cachait les véritables auteurs, et disait qu'il l'avait su par le faon que la déesse
avait instruit, tantôt des embûches des ennemis, tantôt de leurs incursions.
Enfin toutes les victoires qu'on devait remporter sur les ennemis, tout cela lui
était prédit de Diane, par la bête, à ce qu'il assurait. Par ces discours il
remplissait les Barbares d'étonnement, ils l'adoraient, et tous avaient recours
à lui, comme à un homme assisté du secours divin.
CHAPITRE
XXIII
CÉSAR
I. César étant
sur mer, pour aller trouver Nicomède, fut pris sur la côte de Malée par des
pirates de Cilicie, qui lui demandèrent une rançon considérable. César leur
promit le double de ce qu'ils demandaient. Ils abordèrent à Milet, au- dehors
des murs. César envoya dans la ville Épicrate, esclave milésien, qui était
à son service, et pria par lui les Milésiens de lui prêter de l'argent. On
lui envoya dans le moment tout ce qu'il demandait. Épicrate avait eu ordre en même
temps de préparer un grand festin, avec une cruche pleine d'épées, et du vin
mêlé de suc de Mandragore. César compta aux pirates la double rançon qu'il
leur avait promise, et leur présenta le festin qui leur avait été préparé.
Les pirates joyeux de voir une si grosse somme, acceptèrent le régal, et
burent amplement. La quantité de vin qu'ils prirent, et la mixtion qu'il y
avait, les livrèrent au sommeil. César les voyant endormis, les fit tuer, et
rendit sur‑le‑champ aux Milésiens l'argent qu'ils lui avaient prêté.
II. César
entrant dans les Gaules, eut les Alpes à traverser. On lui apprit que les
troupes des Barbares montagnards gardaient les passages. Il étudia la nature du
climat, et vit que du haut des montagnes, il descendait en bas beaucoup de rivières,
qui formaient des lacs, d'une grande profondeur, desquels, à la pointe du jour,
il s'élevait des brouillards fort épais. César prit ce temps même pour faire
faire le tour des montagnes à la moitié de ses troupes. Le brouillard en déroba
la vue aux Barbares, qui ne firent aucun mouvement. Mais quand César se trouva
sur la tête des ennemis, ses troupes jetèrent de grands cris. L'autre moitié
de son, armée, qui était en bas, répondit à ces cris par d'autres, et toutes
les montagnes des environs en retentirent. Les Barbares furent épouvantés, et
prirent la fuite. Ce fut ainsi que César traversa les Alpes sans combat.
III. César
faisait la guerre aux Helvétiens. C'est une nation de la Gaule, et ils avaient
fait une incursion sur les terres des Romains, au nombre de trois cent mille
hommes, dont il y en avait deux cent mille qui portaient les armes. César
faisait toujours retraite devant eux, à une journée de distance. Cette timidité
apparente animait d'autant plus les Barbares à le poursuivre. Enfin ils arrivèrent
au Rhône, et comme ils étaient sur le point de le passer, César campa auprès
du fleuve. Le fleuve est rapide, et les Barbares eurent bien de la peine à le
passer. Ils n'avaient encore mis que trente mille hommes de l'autre côté, et
le reste ne devait passer que le jour suivant. Ceux, qui étaient passés, se
reposaient de leur fatigue sur le bord du fleuve. César survint la nuit, et les
ayant attaqués, les mit tous en déroute, à cause que le fleuve les empêchait
et de se joindre et de faire retraite.
IV.
Dans une incursion des Germains, César n'osait donner combat. Mais ayant
appris que leurs devins les avaient avertis d'éviter d'en venir aux mains avant
la nouvelle lune, il se hâta de faire avancer ses troupes, dans l'espérance
que la superstition rendrait les Barbares moins ardents au combat. En effet,
pour avoir bien pris son temps, il remporta une victoire éclatante sur les
Germains.
V. César étant
dans l'île de Bretagne, voulait passer un grand fleuve. Cassivellane, roi des
Bretons, s'opposait au passage, avec une cavalerie nombreuse et beaucoup de
chariots. César avait un très grand éléphant, animal que les Bretons
n'avaient jamais vu. Il l'arma d'écailles de fer, lui mit sur le dos une grande
tour garnie de gens de trait et de frondeurs, tous adroits, et le fit avancer
dans le fleuve. Les Bretons furent frappés d'étonnement à l'aspect d'une bête
si énorme qui leur était inconnue. Et qu'est‑il besoin de dire que leurs
chevaux en furent effrayés, puisqu'on sait que parmi les Grecs même, la vue
d'un éléphant nu fait fuir les chevaux. A plus forte raison ceux des Barbares
ne purent supporter la vue d'un éléphant armé et chargé d'une tour d'où
volaient des pierres et des traits. Bretons, chevaux, et chariots, tout cela
prit la fuite, et les Romains, par le moyen de la terreur que donna un seul
animal, passèrent le fleuve sans danger.
VI.
César, informé que Q. Cicéro, assiégé par les Gaulois, perdait
courage, envoya un soldat avec un billet qu'il lui ordonna d'attacher à un
javelot, et de lancer dans la place. Le soldat le fit, et les gardes des murs
ayant trouvé le billet, le portèrent à Q. Cicéro qui y lut : « César à
Cicéro. Courage. Attends du secours. » Peu de temps après on vit s'élever de
la fumée et de la poussière, c'était César qui ravageait le pays. Il fit
lever le siège, et non seulement il délivra Cicéro, mais il châtia encore
les assiégeants.
VII. César, à
la tête de sept mille hommes, faisait la guerre aux Gaulois. Pour faire croire
qu'il avait encore moins de troupes, il fit dresser des retranchements de peu d'étendue,
et, ayant choisi un lieu couvert, qui lui parut commode, il s'y cacha avec la
plus grande partie de ses soldats. Quelques cavaliers sortirent des
retranchements pour escarmoucher avec les Barbares qui, voyant si peu de gens,
vinrent à eux en sautant. Les Romains se mirent à couvert de leurs tranchées,
et les Barbares s'attachèrent à défaire la palissade. Pendant ce
temps‑là le signal fut donné par la trompette, et à l'instant les gens
de pied sortirent des retranchements, et César sortant de son embuscade avec la
cavalerie, vint attaquer les ennemis de l'autre côté. Les Gaulois se trouvèrent
enfermés au milieu, et la plupart furent tués.
VIII. César
assiégeait un fort des Gaulois. Après que les Barbares eurent fait une longue
résistance, il tomba une pluie si abondante, que ceux qui gardaient les murs,
abandonnèrent tous leurs postes. César fit prendre les armes au même instant,
et attaquant les murs, il les trouva sans défense. Il n'eut pas de peine à
monter dessus, et la place fut emportée.
IX. César avait
entrepris de se rendre maître de la plus grande ville des Gaulois, nommée
Gergovie. Il avait devant lui Vercingétorix, roi des Gaulois, avec une armée
de sa nation. Il y avait un grand fleuve qui portait bateaux, et dont le passage
paraissait impossible. Les Barbares avaient du mépris pour César, et se
persuadaient qu'il n'oserait passer le fleuve. Pendant la nuit, il cacha dans
une forêt épaisse deux légions, qui, pendant que les Gaulois observaient César,
rétablirent un ancien pont qui était vers le haut de la rivière. On l'avait
rompu, mais les piles de bois étaient encore sur pied, et les traverses qui
manquaient, furent coupées dans la forêt, et mises en place avec tant de
promptitude, que les Romains passèrent de l'autre côté avant que les Barbares
s'en fussent aperçus. Ce passage exécuté contre toute apparence, les étonna
et les obligea de prendre la fuite. César fit traverser le fleuve au reste de
ses troupes sur des radeaux, et apprit aux Gaulois à le craindre.
X. César assiégeait
Gergovie, qui était une ville très forte, par la bonté de ses murs, et par
son assiette avantageuse. Elle était bâtie dans un lieu élevé et sûr, sans
hauteurs du voisinage qui la dominassent. À gauche il y avait des taillis bas
et épais, qui joignaient la colline sur laquelle était la ville, à droite, c'était
un précipice où il n'y avait qu'un petit sentier que les Gergoviens gardaient
avec beaucoup de soin et de troupes. César prit les plus dispos de ses soldats
et les plus endurcis à la fatigue, et les envoya la nuit dans les taillis. Il
ne leur donna que des javelots très courts, et des dagues de peu de longueur,
à cause de l'embarras des broussailles, et leur ordonna de se couler doucement
dans ces taillis, non pas tout debout, mais couchés et en se traînant sur les
genoux. Ces gens se traînèrent ainsi jusqu'au point du jour, au côté gauche
de la colline. Au côté droit, César présenta son armée, pour y attirer les
Barbares. En effet, ils s'opposèrent fortement à l'ennemi qu'ils voyaient,
pendant que ceux qu'ils ne voyaient pas gagnaient la hauteur.
XI. César assiégeait
Alésia, ville dès Gaules. Les Gaulois avaient rassemblé contre lui, jusqu'à
deux cent mille hommes. La nuit, César fit un détachement de trois mille
soldats bien armés, et de toute la cavalerie, et leur ayant fait faire le tour
du camp des ennemis à droite et à gauche, leur ordonna de se montrer le
lendemain à la seconde heure du jour, d'attaquer les derrières des ennemis, et
de combattre vigoureusement. Au point du jour il mena le reste de ses troupes au
combat. Les Barbares, fiers de leur multitude, reçurent les Romains comme en
badinant. Mais quand ceux qui étaient derrière, se furent montrés, en
poussant de grands cris, les Barbares environnés n'espérèrent plus de pouvoir
s'échapper. Ils se troublèrent, et l'on convient qu'il y eut un très grand
carnage de Gaulois.
XII. César
voulant s'emparer de Dyrrachium, dont Pompée était le maître, avait peu de
cavaliers, au lieu que la cavalerie des ennemis était nombreuse. Voici
l'artifice dont il usa, pour donner à croire qu'il avait beaucoup de chevaux.
Ayant fait monter à cheval quelque peu de cavaliers, il les fit précéder par
trois compagnies d’infanterie, qui n'avaient d'autre ordre, sinon d'exciter,
en traînant les pieds, le plus de poussière qu'ils pourraient. Les nuages qui
s'en élevèrent, firent croire aux ennemis que César avait un corps considérable
de cavalerie. La peur les saisit, et ils prirent la fuite.
XIII. César se
retirait avec son armée par un chemin étroit. Il avait à sa gauche un marais,
la mer à sa droite, et les ennemis en queue. Il contenait ceux‑ci par de
vigoureuses attaques et par des haltes fréquentes. La flotte de Pompée, qui le
côtoyait, l'incommodait fort, en tirant sur ses troupes. Pour rendre inutiles
tous les traits qu'on lançait du côté de la mer, il ordonna à ses soldats de
passer leur bouclier de la main gauche à la main droite, et par ce moyen ils se
trouvèrent à couvert du côté de la flotte ennemie.
XIV. Pendant que
César et Pompée étaient en Thessalie, celui‑ci, qui était dans
l'abondance de toutes choses, évitait de combattre tandis que César avait
impatience d'en venir à une action décisive. Pour exciter les ennemis à se déterminer
au combat, César fit semblant de décamper, comme pour aller aux vivres, et mit
ses troupes en marche. Celles de Pompée prenant cela pour une fuite, méprisèrent
l'armée de César, et ne pouvant plus se modérer, elles s'avancèrent et forcèrent
Pompée à les emmener au combat. Quand César les vit en mouvement, il les
attira dans une plaine, et ayant fait volte‑face, en ce lieu, il donna une
bataille fameuse, dont le succès lui fut glorieux, par une victoire complète.
XV.
Les soldats de César, ennuyés de porter les armes, se soulevèrent, et
demandèrent leur congé avec grand bruit. César s'avança au milieu de la
multitude, avec un visage gai et une contenance assurée. Il dit : « Camarades,
que demandez‑vous ? » Ils crièrent tous : « D'être congédiés. » Il
répondit : « À la bonne heure, citoyens, demeurez en repos, et ne faites
point de tumulte. » Ce terme de citoyens, employé par César, au lieu de celui
de camarades, piqua les soldats. Ils changèrent de sentiment à l'heure même,
et crièrent : « Nous aimons mieux être appelés camarades que citoyens. » César
répondit en riant : « Pour redevenir camarades, faisons donc de nouveau la
guerre ensemble. »
XVI. Dans une
bataille contre le jeune Pompée, César voyant les soldats prendre la fuite,
descendit de cheval, et s'écria : « Camarades, n'avez‑vous point de
honte de m'abandonner au pouvoir des ennemis, et fuyant lâchement ? » Ce
discours donna de la confusion aux fuyards ils firent volte-face, et revinrent
au combat.
XVII. César
voulait que ses soldats se tinssent toujours prêts à marcher, les fêtes,
pendant la pluie, la nuit, le jour, à toute heure, et c'est pour cela qu'il ne
marquait jamais d'avance ni le jour ni le moment.
XVIII. César
faisait toujours ses irruptions à la course, afin que lés traîneurs ne
pussent l'atteindre.
XIX. Quand César
voyait ses soldats troublés par le bruit qui se répandait que les ennemis
attendaient de nombreuses troupes, loin de le nier, il faisait encore le renfort
plus considérable qu'il n'était, et disait à ses troupes, pour les animer que
plus on avait d'ennemis, plus il fallait apporter de courage à les combattre.
XX.
César voulait que les armes de ses soldats fussent enrichies d'or et
d'argent, non seulement parce qu'elles en étaient plus belles, mais aussi parce
que les voyant d'un grand prix, ils combattraient d'autant plus vivement pour ne
les pas perdre.
XXI. César ne
faisait pas d'attention à toutes les fautes des soldats, et les coupables, il
ne les punissait pas toujours selon la rigueur des lois. Il estimait que
l'indulgence dont il usait en ces rencontres, rendait les soldats plus
courageux. Mais il ne pardonnait jamais de s'être révolté ni d'avoir quitté
son poste.
XXII. César
appelait ses soldats camarades, dans le dessein de les rendre plus courageux
dans les combats, par l'honneur qu'il leur faisait de les égaler à lui.
XXIII. César
ayant appris que des légions avaient été défaites dans les Gaules, jura de
ne se point faire couper les cheveux, qu'il n'eût vengé la mort des Romains.
Cela lui causa l'affection de tout le monde.
XXIV. César,
dans une disette de grains, fit faire du pain pour ses soldats, avec une
certaine plante. On donna un de ces pains à Pompée, pendant la guerre qui se
faisait entre César et lui. Pompée fit cacher ce pain, pour ne pas apprendre
à ses soldats jusqu'où les ennemis pouvaient pousser l'abstinence.
XXV. César étant
près de donner bataille à Pompée, vers Pharsale, observa que la plupart des
ennemis étaient de jeunes gens que leur beauté rendait vains. Il ordonna à
ses soldats de pousser la pointe de leurs lances et de leurs javelots, non pas
contre le corps des ennemis, mais contre leurs visages. Ces beaux garçons
craignant d'être défigurés, prirent honteusement la fuite.
XXVI. Les
soldats de César ayant reçu un échec aux environs de Dyrrachium, s'offrirent
d'eux‑mêmes à être décimés. Non seulement César ne voulut point les
punir, mais il les consola, et les exhorta à réparer le malheur par de
nouvelles tentatives. Cela fit que dans les combats suivants, le grand nombre
des ennemis ne les empêcha point de remporter la victoire.
XXVII. Pompée
avait fait dénoncer comme ennemis tous ceux qui se tiendraient neutres entre César
et lui. César, au contraire, déclara qu'il regarderait comme amis ceux qui ne
se porteraient ni pour l'un ni pour l'autre.
XXVIII. César
était en Ibérie auprès d'Ilerda. II s'était fait une trêve et pendant
qu'elle durait encore, les ennemis ayant fait irruption dans ses quartiers, y tuèrent
beaucoup de ses soldats, qui ne s'attendaient point à une pareille surprise. César
fit renvoyer sains et saufs tous ceux qui se trouvèrent dans son camp, et cela
lui fit gagner l'estime et la bienveillance des ennemis.
XXIX.
César ayant vaincu Pompée à Pharsale, vit que ses troupes n'usaient
pas de la victoire avec modération. Il s'écriait « Épargnez les ennemis. »
XXX. César
ayant heureusement terminé toutes ses guerres, permit à chacun de ses soldats
de sauver celui des ennemis qu'il voudrait. Par cette humanité il rappela tous
les Romains qui lui avaient été opposés et la ville se remplit de gens qui
lui devinrent affectionnés.
XXXI. César fit
redresser les statues de Pompée et de Sylla, ses ennemis, que la multitude
avait renversées. Cela plut extrêmement aux Romains, et lui en attira la
bienveillance.
XXXII. Un
Aruspice dit une fois que le sacrifice n'était pas de bon augure. César répondit
: « Il le sera, quand je voudrai. » Par ce discours il rassura les soldats.
XXXIII.
Une victime fut trouvée sans cœur. « Quelle merveille, dit César,
qu'une bête manque de cœur ! » Ces paroles donnèrent du courage aux soldats.
CHAPITRE
XXIV
AUGUSTE
I. Auguste ne
faisait pas mourir tous ceux qui lâchaient pied dans les combats. Il se
contentait de les faire décimer.
II. A ceux qui
manquaient de faire leur devoir par timidité, Auguste faisait distribuer de
l'orge, au lieu de froment.
III. Ceux qui
faisaient quelque faute dans le camp, Auguste les faisait tenir debout et sans
ceinturon devant la tente du général ou même il leur faisait porter des
briques tout le jour.
IV. Auguste
recommandait souvent aux officiers généraux d'avoir une attention particulière
à la sûreté des troupes. Il avait continuellement à la bouche : « Hâte‑toi
lentement, car le général qui se précautionne, vaut mieux que celui qui se
laisse emporter par son courage. »
V.
Auguste n'épargnait pas les grands présents d'or et d'argent à ceux
qui avaient fait de belles actions.
VI. Auguste
disait que ceux qui se précipitaient dans les dangers sans utilité, faisaient
comme ceux qui voudraient pêcher avec des hameçons d'or.
VII. Dans la
guerre contre Brutus et Cassius, Auguste voulait traverser la mer Adriatique.
Mucius, général de la flotte ennemie, était à l'ancre sur la côte d'une île
qui est devant Bronduse, et s'opposait au passage d'Auguste. Celui‑ci fit
semblant de vouloir donner combat à Mucius. Il fit tenir à ses galères le côté
droit du golfe, et les fit voguer le long des côtes de l'Italie, comme si elles
eussent voulu porter sur l'île, et prenant de l'autre côté les vaisseaux de
charge, il mit dessus les tours et les machines. Mucius, trompé par cet
appareil, s'avança en pleine mer pour se battre plus aisément au large qu'à
l'étroit. Mais Auguste ne s'attacha point à le combattre, il se contenta
d'aborder à l'île. Mucius n'ayant point de port où se retirer, fut obligé
par les vents à prendre la route de la Thesprotide. Auguste traversa de cette
sorte la mer Adriatique en sûreté, et s'en alla en Macédoine.
CHAPITRE
XXV
LES ROMAINS
I. Quand les
Celtes eurent pris la ville de Rome, les Romains firent un traité avec eux, par
lequel ils promirent de payer tribut, de laisser la porte toujours ouverte, et
de leur permettre de cultiver la terre. Le traité fait, les Celtes campèrent.
Les Romains les traitant en amis, leur envoyèrent des présents, surtout
beaucoup de vin. Les Celtes l'aiment extrêmement. Ils en burent avec excès et
s'enivrèrent. Les Romains les trouvant endormis, les tuèrent tous. Et afin
qu'il parût qu'ils avaient égard au traité, ils bâtirent sur le haut d'une
roche inaccessible une porte qui demeura toujours ouverte.
II. Énée et
les Troyens qui fuyaient avec lui, abordèrent en Italie, et jetèrent l'ancre
vers l'embouchure du Tibre. Pendant que descendus à terre ils erraient çà et
là, leurs femmes tinrent conseil ensemble, et Rhomé dit aux autres Troyennes :
« Jusqu'à quand errerons‑nous ? Jusqu'à quand courrons‑nous les
mers ? Brûlons les vaisseaux, et mettons les hommes dans la nécessité
d'habiter cette terre. » Aussitôt elle alluma le feu toute la première.
Toutes les autres femmes en firent autant. La flotte fut consumée par les
flammes, et les Troyens, faute de navires, s'établirent en Italie.
III. Coriolan,
chassé par les Romains, s'enfuit chez les Tyrrhéniens auxquels il promit la
victoire contre sa patrie. Les Tyrrhéniens le crurent, et l'établirent général
de leurs troupes. Il remporta plusieurs victoires, et résolut enfin d'attaquer
Rome même, et de la prendre d'assaut. Les dames romaines, conduites par Véturie,
mère de Coriolan, sortirent de la ville, et vinrent au-devant des troupes
ennemies. Elles se prosternèrent devant Coriolan, tendirent les rameaux
d'olivier dont se munissaient les suppliants, et disaient : « Si tu as résolu
de détruire la ville, commence par ôter la vie à ta mère, et à toutes les
autres mères des Romains. » Coriolan fut attendri, pleura, et fit retirer son
armée. Cette retraite fut un effet de sa piété, mais elle fut pernicieuse au
général. Les Tyrrhéniens lui firent un crime de trahison d'avoir abandonné
une victoire certaine, et le condamnèrent à mort.
CHAPITRE
XXVI
SÉMIRAMIS.
Sémiramis étant
au bain, apprit la révolte des Siraques. Aussitôt, nu‑pieds comme elle
était, et sans se donner le temps de raccommoder ses cheveux, elle partit pour
leur aller faire la guerre. Voici ce qu'elle fit graver sur sa colonne : « La
nature m'a fait naître femme, mais j'ai égalé par mes actions les hommes les
plus courageux. J'ai tenu le royaume de Ninus. J'ai donné pour bornes à mes États,
à l'orient, le fleuve Inamane, au midi, le pays qui produit l'encens et la
myrrhe, et du côté des régions froides, les Saques et les Sogdiens. Avant moi
aucun Assyrien n'avait vu la mer, et moi, j'en ai vu quatre, au‑delà
desquelles on ne peut plus aller, car qui est‑ce qui en pourrait
faire le tour ? J'ai contraint les fleuves à couler où j'ai voulu, et
j'ai voulu qu'ils coulassent où il convenait. J'ai fait ensemencer une terre stérile,
après l'avoir fertilisée par le mélange de mes rivières. J'ai bâti des murs
imprenables. J'ai fait avec le fer des chemins sur les roches inaccessibles.
J'ai aplani pour mes chariots des routes en des lieux où les bêtes ne
pouvaient passer, et tous ces ouvrages m'ont encore laissé du temps de reste,
que j'ai utilement employé, pour moi et pour mes amis. »
CHAPITRE XXVII
RODOGUNE
Rodogune se
lavait les cheveux pour les nettoyer. On vint lui dire qu'une nation, soumise à
son empire, s'était soulevée. Sans se donner le temps d'arranger ses cheveux,
elle les attacha seulement d'un nœud, et montant à cheval, elle se mit à la tête
de son armée, avec serment de ne point couvrir sa tête qu'elle n'eût dompté
les rebelles. Elle leur fit la guerre longtemps et les vainquit enfin. Après la
victoire, elle se lava et couvrit sa chevelure. De là vint que le sceau royal
des Perses porte pour empreinte Rodogune avec les cheveux pendants et attachés
d'un nœud.
CHAPITRE
XXVIII
TOMYRIS
Tomyris, dans la
guerre que lui fit Cyrus, feignit d'avoir peur des ennemis. Les Massagètes
prirent la fuite. Les Perses les poussèrent, et trouvèrent dans leur camp une
grande abondance de vin, de vivres et de victimes. Ils en prirent avec excès,
et firent débauche toute la nuit, comme gens qui avaient remporté la victoire.
Après s'être remplis de vin et de viandes, ils se mirent à dormir. Tomyris
les surprit dans cet état, et les trouvant appesantis, elle fit périr et Cyrus
et tous les Perses.
CHAPITRE XXIX
NlTÉTIS
Cyrus, roi des
Perses, demanda au roi d'Egypte Amasis, une de ses filles, en mariage. Il lui
envoya Nitétis, fille du roi Apriès, qu'il avait dépossédé. Nitétis
feignit longtemps d'être fille d'Amasis, et vécut comme telle avec Cyrus
pendant quelques années. À la fin se voyant mère de beaucoup d'enfants, et
bien sûre d'avoir gagné l'affection de son mari, elle lui découvrit que son père
était Apriès, seigneur d'Amasis, et lui suggéra que quand Amasis serait mort,
il serait bon de punir son crime sur son fils Psammetic. Cyrus approuva la
proposition, mais il mourut avant que d'avoir pu exécuter le projet. Cambyse
son fils, persuadé par sa mère Nitétis, porta la guerre en Egypte, et rétablit
le sceptre dans la branche d'Apriès.
CHAPITRE XXX
PHILOTIS
Les Latins,
conduits par Posthumius, faisaient la guerre aux Romains, et demandaient leurs
filles en mariage pour faire la paix, comme les Romains avaient enlevé celles
des Sabins pour les épouser. Les Romains craignaient la guerre, mais ils ne
pouvaient se résoudre à donner leurs filles. Une esclave d'une grande beauté,
nommée Philotis, conseilla aux Romains de la prendre, elle et les autres
esclaves qui auraient le plus l'air de condition, de les parer et de les livrer
aux ennemis comme filles romaines. Elle les avertit que quand les Latins les
auraient acceptées, et se seraient couchés avec elles, elle allumerait un feu
la nuit. Les Latins se couchèrent avec les prétendues filles des Romains.
Philotis alluma le feu, et les Romains, à ce signal, fondant sur les Latins qui
dormaient, les tuèrent tous.
CHAPITRE
XXXI
CLÉLIE
Pendant la
guerre des Romains contre les Tyrrhéniens, il se fit un traité pour la sûreté
duquel les Romains donnèrent en otage les filles des plus nobles d'entre eux.
Ces filles, devenues otages, allèrent ensemble se baigner au Tibre. Clélie,
l'une d'entre elles, leur persuada à toutes d'attacher leurs robes à leur tête,
et de passer à la nage le fleuve, qui n'est pas aisé à traverser, à cause de
ses tournoiements et de sa profondeur. Elles passèrent toutes à la nage. Les
Romains admirèrent leur hardiesse, mais respectant la foi du traité, ils les
renvoyèrent aux Tyrrhéniens. Leur roi Porsenna demanda à ces filles, quelle
était celle d'entre elles qui leur avait persuadé de faire cette entreprise.
Clélie, sans attendre que les autres parlassent, s'accusa elle‑même.
Porsenna, pénétré d'estime pour le courage de cette fille, lui fit présent
d'un cheval richement équipé, donna de grandes louanges aux autres, et les
renvoya toutes aux Romains.
CHAPITRE XXXII
PORCIE
Porcie, fille de
Caton et femme de Brutus, ayant quelque soupçon que son mari machinait quelque
chose contre César, prit un rasoir, et s'en fit une profonde blessure à la
cuisse, pour montrer à Brutus la fermeté de son esprit dans les douleurs du
corps. Alors Brutus crut qu'il pouvait lui faire part du secret. Porcie lui
apporta ses habits, où elle avait caché une épée. Brutus attaqua César avec
les autres conjurés, et le tua. Dans la suite, Brutus avec Cassius ayant été
battu par Auguste en Macédoine, se tua lui‑même. Porcie essaya d'abord
de se faire mourir en ne mangeant point, mais ses domestiques et ses proches
l'empêchaient d'exécuter cette résolution. Elle demanda un brasier ardent,
sous prétexte de se frotter d'essences. Quand elle l'eut, prenant des charbons
allumés à pleines mains, elle se les enfonça dans la bouche et les avala ,
avant que personne de ceux qui étaient dans la maison l'en pût empêcher.
Ainsi mourut Porcie, qui dans cette manière de finir ses jours, montra une ruse
singulière, accompagnée d'une résolution mâle et d'un grand amour pour son
mari.
CHAPITRE
XXXIII
TÉLÉSILLE
Après que Cléomène
eut fait périr dans un combat (comme on dit) sept mille sept cent
soixante‑dix‑sept Argiens, il marcha contre Argos, dans le dessein
de se rendre maître de la place. Télésille, musicienne, arma toutes les
femmes d'Argos, et les mena au combat. Elles se présentèrent sur les murs et
les défendirent contre Cléomène. Elles le repoussèrent, chassèrent l'autre
roi Démarate, qui s'était glissé dans la ville, et sauvèrent la place qui était
sur le point d'être prise. Cette belle action des femmes est encore célébrée
jusqu'à ce jour par les Argiens, à la nouvelle lune du quatrième mois dit
Hermien ou de Mercure, et le jour de la fête, les hommes s'habillent en femmes,
et les femmes prennent des habits d'hommes.
CHAPITRE
XXXIV
CHILONIS
Chilonis, fille
de Cléadès, et femme de Théopompe, sachant que son mari avait été fait
captif et mis en prison par les Arcadiens, se rendit volontairement aux ennemis.
Les Arcadiens admirèrent cet excès d'amour conjugal, et lui permirent d'entrer
dans la prison. Elle changea d'habits avec son mari, et lui ayant persuadé de
sortir, elle demeura chez les ennemis. Théopompe, sauvé par l'adresse de sa
femme, enleva la prêtresse de Diane qui présidait à une cérémonie
religieuse qui se faisait à Phénie. Les Tégéates pour la ravoir, rendirent
Chilonis à Théopompe.
CHAPITRE
XXXV
PIÉRIE
Les Ioniens établis
à Milet, s'étant soulevés contre les descendants de Nélée, se retirèrent
à Myonte, d'où ils faisaient la guerre aux Milésiens. Mais ce n'était pas
une guerre sans trêve. Les uns et les autres se fréquentaient les jours de fête.
Piérie, fille d'un homme de grande distinction de Myonte, appelé Pythas, vint
à Milet à une fête que les habitants célébraient à l'honneur de Nélée.
Phrygius, le plus puissant des descendants de Nélée, devint amoureux de Piérie,
et lui demanda ce qu'elle souhaitait qu'il fît pour elle. « Je ne souhaite
rien plus ardemment, répondit Piérie, que de pouvoir venir ici souvent et en
grande compagnie. » Phrygius comprit qu'elle demandait la paix et l'amitié
pour ses citoyens, et il fit cesser la guerre. De cette sorte l'amour louable et
glorieux de Phrygius et de Piérie, procura la paix publique.
CHAPITRE
XXXVI
POLYCRITE
Les Milésiens
faisaient la guerre aux Naxiens. Les Hérythriens donnaient secours à ceux de
Milet, et Diognet, général des Hérythriens, enleva un grand butin de Naxe, et
entre autres beaucoup de femmes et de filles, du nombre desquelles fut
Polycrite. Le général en devint amoureux, et la traita, non pas en esclave,
mais en femme légitime. Dans le camp des Milésiens on célébrait une fête de
leur pays, et tout le monde était dans la joie et dans la débauche du vin.
Polycrite pria Diognet de lui permettre d'envoyer à ses frères, quelque part
du régal. Il l'accorda, et Polycrite fit couler dans le gâteau qu'elle leur
envoya, un billet tracé sur une lame de plomb, avec ordre à celui qui le
portait, de dire à ses frères que c'était le morceau de la bouche de leur sœur,
et qu'ils le mangeassent seuls. Ils trouvèrent la lame de plomb, et l'ayant
ouverte, ils y lurent qu'elle leur donnait avis d'attaquer la nuit les ennemis
que la débauche de la fête avait enivrés, et qu'ils trouveraient endormis.
Sur cet avis les généraux profitèrent de l'occasion, et surprenant les
ennemis, la nuit, les vainquirent. Polycrite, pour sa récompense, obtint des
citoyens la vie de Diognet.
CHAPITRE
XXXVII
LES PHOCÉENS
Les Phocéens,
conduits par Foxus, portèrent les armes pour Mandron, roi des Bébryciens, qui
était en guerre contre les Barbares du voisinage. Mandron persuada aux Phocéens
de s'établir dans le pays et dans la ville. Les victoires fréquentes qu'ils
remportèrent, et les dépouilles dont ils s'enrichirent, leur attirèrent
l'envie des Bébryciens, qui, profitant de l'absence de Mandron, prirent la résolution
de dresser des embûches aux Phocéens, et de les faire tous périr. Lampsace ,
fille de Mandron, encore vierge, ayant su le mauvais dessein de ses
compatriotes, essaya de les en détourner. Ne l'ayant pu, elle avertit secrètement
les Grecs. Ils indiquèrent dans le faubourg un grand sacrifice, auquel ils
invitèrent les Barbares. Quand ils les virent enfermés dans un lieu du festin,
et occupés de la bonne chère, les uns se saisirent des murs, et les autres tuèrent
ceux qui se régalaient, et se rendirent maîtres de la ville. Ils firent de
grands honneurs à Lampsace, et de son nom ils appelèrent la ville Lampsaque.
CHAPITRE
XXXVIII
ARÉTAPHILE
Nicocrate, tyran
de Cyrène, entre plusieurs cruautés dont il usa contre les habitants, tua de
sa propre main Ménalippe, prêtre d'Apollon, et épousa sa femme Arétaphile,
qui était fort belle. Arétaphile résolut de venger sa patrie et son mari sur
le tyran, et tenta d'abord le poison. Ayant été découverte, elle dit que ce
n'était qu'un philtre qu'elle avait préparé pour se concilier l'amour de son
mari. La mère du tyran voulut qu'Arétaphile fût mise à la question. Cette
femme eut le courage de souffrir les plus horribles tourments, sans jamais
confesser autre chose que le philtre. Le tyran fut persuadé de son innocence,
continua de vivre avec elle, et lui marqua même plus de considération
qu'auparavant, pour la dédommager de ce qu'elle avait injustement souffert.
Elle avait une fille en âge nubile, et d'une beauté singulière. Elle l'offrit
à Léandre, frère du tyran. Ce jeune homme, ayant pris de l'amour pour elle,
la demanda en mariage à son frère, et l'épousa. À la persuasion de sa
belle‑mère, il prit la résolution de rendre la liberté à la ville.
Pour cet effet, il corrompit Daphnis, officier de la chambre du tyran, et tua
Nicocrate par son moyen.
CHAPITRE XXXIX
CAMMA
De l'empire des
Gaules divisé en tétrarquies, Sinorix et Sinatus en possédaient deux
portions. Sinatus avait une femme très renommée pour la beauté merveilleuse
du corps et les vertus de l'âme. Elle s'appelait Camma, et était prêtresse de
Diane, l'une des divinités que les Gaulois servent le plus religieusement. Dans
les cérémonies et les sacrifices, elle paraissait toujours avec des ornements
pompeux et un grand éclat. Sinorix l'aimait passionnément, et, ne pouvant espérer
de pouvoir lui plaire, ni l'enlever, pendant la vie de Sinatus, il prit le parti
de le faire assassiner en cachette. Peu de temps après, il rechercha la veuve.
Camma refusa longtemps son alliance, mais enfin, importunée par ses proches et
par ses amis, elle feignit de se rendre et donna parole. « Que Sinorix,
dit‑elle vienne au temple de Diane, et nous ferons le mariage en présence
de la déesse. » Sinorix se rendit au temple accompagné de tout ce qu'il y
avait d'hommes et de femmes de quelque condition parmi les Gaulois. Camma le reçut
gracieusement, et le faisant approcher de l'autel, elle prit une coupe d'or, et
en ayant fait une libation, elle but de la même coupe, et fit boire le reste à
Sinorix. C'était un présent que l'époux ne refusait pas de l'épouse. Il vida
la coupe avec joie, mais la liqueur qui était dedans, était de l'hydromel
empoisonné. Camma voyant qu'il avait bu, jeta un grand cri, et adorant la déesse,
elle dit : « Je te rends grâces, vénérable déesse, de ce que par ton
secours j'ai pu, dans ton temple même, tirer vengeance de la mort de mon mari,
tué injustement à cause de moi. » Elle mourut sur‑le‑champ, en
achevant ces mots, et Sinorix mourut au même lieu au pied de l'autel de la déesse.
CHAPITRE XL
TIMOCLÉE
Timoclée, Thébaine,
était sœur de Théagène, celui‑là, même qui fit la guerre à
Philippe, à qui Philippe dit : « Jusqu'où me suivras‑tu ? » et qui répondit
: « Jusqu'en Macédoine. » Théagène mourut, et sa sœur vivait lorsque
Alexandre renversa Thèbes. La ville était au pillage, et chacun butinait de
son coté. La maison de Timoclée tomba au pouvoir d'un Thrace, capitaine de
cavalerie. Après souper, il fit venir Timoclée dans son cabinet, et ne s'étant
pas contenté de son honneur, il la força encore à lui découvrir ce qu'elle
avait d'or et d'argent caché. Elle lui dit qu'en colliers, en bracelets, en
coupes et autres vases, et en espèces monnayées, elle avait une grande quantité
d'or et d'argent, mais voyant la ville au sac, elle avait tout jeté dans un
puits sans eau. Le Thrace la crut, et se fit mener au puits qui était dans le
jardin. Il y descendit et y chercha l'or et l'argent. Timoclée le voyant là,
jeta sur lui des pierres, et fut si bien secondée par ses femmes, que le Thrace
demeura sous le monceau. Les Macédoniens la prirent et la menèrent à
Alexandre. Elle avoua le fait, mais elle soutint qu'elle avait eu raison de se
venger du Thrace qui lui avait fait trop de violence. Alexandre, pénétré
d'admiration, la renvoya libre, et lui accorda la liberté de tous ses parents.
CHAPITRE XLI
ERYXO
Laarque avait été
déclaré roi de Cyrène, à condition de conserver la royauté pour Battus,
fils mineur d'Arcesilas. Mais au lieu de se montrer roi, il se rendit tyran, et
usa de toutes sortes de violences contre les habitants. La mère du jeune Battus
était Eryxo, femme très sage et très vertueuse. Laarque prit de l'amour pour
elle, et la rechercha en mariage. Elle le renvoya à ses frères, et comme ils
affectaient de ne se point déterminer, elle envoya une suivante dire au tyran :
« Mes frères s'opposent présentement à notre mariage, mais il n'y a qu'à
commencer par nous unir. Il faudra bien, après cela, qu'ils y consentent. » Il
accepta la proposition avec joie, et, pour se trouver au rendez‑vous, il
alla la nuit, et sans gardes, chez Eryxo. En entrant dans la maison, il
rencontra Polyarque, le plus âgé des frères d'Eryxo, qui se tenait en
embuscade dans ce lieu avec deux jeunes hommes armés d'épées. Ils percèrent
le tyran, et lui ôtèrent la vie. Après quoi, produisant Battus, ils le
proclamèrent roi, et remirent les Cyréniens sous la domination de leur maître
naturel.
CHAPITRE XLII
PYTHOPOLIS
Pythès ayant
trouvé, des mines d'or, y fit travailler tous les habitants, et les força à
creuser et purifier l'or, sans leur permettre de faire aucun autre ouvrage sur
terre ou sur mer. Comme cette occupation forcée les empêchait de cueillir les
fruits, et de se munir des choses les plus nécessaires à la vie, ils perdirent
courage. Leurs femmes vinrent trouver Pythopolis, femme de Pythès, et lui crièrent
merci. Elle les renvoya avec de bonnes espérances. Elle manda les orfèvres, et
leur ordonna de faire des poissons d'or, des gâteaux, des confitures, et toutes
sortes de mets du même métal. Pythès revint d'un voyage, et demanda à
souper, sa femme lui fit servir une table d'or, couverte, non pas de viandes véritables,
mais de toutes sortes de vivres formés d'or. Pythès trouva la chose bien imitée,
et loua l'art des orfèvres mais il demanda à manger. On lui servit d'autres
mets pareils et puis encore d'autres. Il se fâcha, et dit qu'il avait faim.
Alors sa femme lui dit : « Tu as ruiné l'agriculture et tous les arts qui
procurent aux hommes la nécessité de la vie, et tu as voulu qu'on ne travaillât
qu'à l'or. Tu vois maintenant qu'il n'est d'aucune utilité pour l'usage de la
vie, si l'on manque de fruits et de grains. » Pythès, instruit par la sagesse
de sa femme, fit cesser le travail des mines, et permit aux habitants de vaquer
à l'agriculture et aux arts.
CHAPITRE XLIII
CHRYSAME
Une colonie
d'Ioniens, conduite par Cnopus, de la race de Codrus, étant entrée en Asie,
faisait la guerre à ceux d'Erythres. Un oracle l'avait averti de demander pour
général aux Thessaliens la prêtresse d'Hécate. Il envoya une ambassade aux
Thessaliens pour leur faire part de l'oracle, et ils lui envoyèrent la prêtresse
Chersame. Elle était habile dans la composition des poisons. Elle prit dans un
troupeau un taureau de belle figure et de grande taille. Elle lui dora les
cornes, et lui orna le corps de festons et de bandelettes de pourpre, enrichies
d'or, et dans ce qu'elle lui donna à paître, elle y mêla des drogues qui
faisaient entrer en fureur. Le taureau devint furieux, et tous ceux qui en
mangeraient, devaient être attaqués du même mal. Les ennemis étaient campés
tout auprès des Ioniens. Chrysame plaça un autel en présence des ennemis, et
ayant tout disposé pour le sacrifice, elle ordonna qu'on amenât le taureau.
Comme il était en fureur, il se mit à sauter, s'échappa en mugissant de ceux
qui le tenaient, et s'enfuit. Les ennemis voyant un taureau à cornes dorées,
et orné de festons, qui venait à eux, en abandonnant l'autel où il devait être
immolé, le prirent à bon augure, saisirent l'animal, le sacrifièrent aux
dieux, et s'empressèrent tous à goûter de sa chair, pour avoir part chacun
d'eux au présent que les dieux leur avaient fait. Dans le moment toute l'armée
entrant en fureur, se mit à sauter et à courir çà et là, et l'on abandonna
toutes les gardes. Chrysame voyant les ennemis en cet état, ordonna
sur‑le‑champ à Cnopus d'armer ses troupes, et de fondre sur les
ennemis, à qui il était impossible de faire aucune résistance. Cnopus les lit
tous périr, et se rendit maître d'Erythres, grande ville et très florissante.
CHAPITRE XLIV
POLYCLÉE
Eate, fils de
Philippe, faisait la guerre aux Béotiens, qui habitaient anciennement la
Thessalie. Il avait avec lui une sœur nommée Polyclée et tous deux étaient
de la race des Héraclides. Un oracle avait prédit que celui de cette race qui
passerait le premier le fleuve Achéloüs, régnerait dans le pays. L'armée était
sur le point de passer le fleuve. Polyclée s'étant lié le pied, dit à son frère
qu'elle s'était blessée à la cheville du pied, et le pria de la vouloir
porter de l'autre coté du fleuve. Sans se défier de rien, il consentit à
rendre ce service à sa sœur, donna son bouclier à ceux qui portaient ses
armes, prit sa sœur, et marcha hardiment à travers le fleuve. Quand il fut près
du rivage, sa sœur se dégagea, sauta à terre, et se tournant vers Eate, elle
lui dit : « La royauté m'appartient, suivant l'oracle, puisque j'ai été la
première à mettre le pied dans le pays. » Eate voyant la tromperie, n'en fut
point fâché. Il admira la prudence de cette fille, et la prit pour sa femme.
Ils régnèrent ensemble, et eurent un fils, nommé Thessalus, du nom duquel ils
appelèrent la ville de Thessalie.
CHAPITRE XLV
LÉÈNE
Il n'y a aucun
Grec qui ne sache l'entreprise d'Aristogiton et d'Harmodius contre les tyrans.
Aristogiton avait une maîtresse, nommée Léène. Hippias l'ayant saisie, lui
fit donner la torture, pour l'obliger à nommer les complices de la
conspiration. Elle souffrit le plus patiemment qu'elle put, mais sentant à la
fin que la violence des tourments la forcerait de parler, pour s'en ôter le
moyen, elle se coupa la langue avec les dents. Les Athéniens, dans le dessein
d'honorer sa mémoire, mirent une statue dans la citadelle qui la représentait,
non pas sous sa forme naturelle, mais sous la figure de l'animal dont elle
portait le nom, d'une lionne de bronze. Ceux qui sont entrés dans la citadelle,
ont pu remarquer dans le vestibule une lionne de bronze, qui n'a point de langue
dans la gueule. C'est le monument dressé à l'honneur de cette femme.
CHAPITRE LXVI THÉMISTO
Thémisto était
fille de Criton l'Eanthien. Philon, fils du tyran Phricodème en fut amoureux,
et le tyran la demanda en mariage pour son fils. Le père n'y voulut pas
consentir. Le tyran, pour s'en venger, prit les enfants de Criton, et en présence
du père et de la mère, les fit jeter aux bêtes affamées. Ensuite il enleva
leur fille, et la fit épouser à son fils. Thémisto, forcée à ce mariage,
feignit d'y consentir, et se munit d'une épée qu'elle cacha sous sa robe.
Voyant son mari endormi dans son lit, elle lui coupa le cou sans qu'il parlât,
et la nuit même étant allée à la mer, elle y trouva une barque, et ayant le
vent bon, elle s'éloigna du rivage et se mit à voguer toute seule. Elle aborda
à Hélice, ville de l'Achaïe, où il y avait un temple de Neptune fort respecté.
Elle s'y réfugia comme suppliante. Phricodème y envoya Héracon, frère du
mort, pour demander la fille aux Hélicéens, qui la livrèrent. Comme on la
ramenait, il s'éleva une tempête qui poussa la barque à Rhion en Achaïe. En
y abordant, elle vit paraître deux galéasses des Arcaniens qui étaient en
guerre avec le tyran, et qui s'étant emparés de la barque, la menèrent à
Acarne Le peuple d'Acarne, informé de ce qui s'était passé, eut pitié de la
fille, et ayant mis Héracon dans les fers, le livra à Thémisto. Le tyran députa
vers elle, pour demander la liberté de son fils. Elle dit qu'elle ne le
rendrait que quand on lui aurait envoyé son père et sa mère. Phricodème les
envoya, mais cela n'empêcha pas les Acarniens de maltraiter Héracon, et de le
faire mourir cruellement, et peu de temps après le tyran même fut tué par les
habitants de la ville. Ceux d'Hélice ne furent pas longtemps sans être punis.
La ville fut abîmée par un tremblement de terre, suivi d'une inondation, et
l'on regarda cet accident comme une marque du ressentiment qu'avait Neptune, de
ce que les habitants avaient livré une suppliante, qui s'était réfugiée au
temple de ce dieu.
CHAPITRE XLVII
PHÉRÉTIME
Arcésilas, roi
de Cyrène, fils de Battus, perdit son royaume, par la révolte de ses sujets.
Sa mère Phérétime alla trouver Evelthon, roi de Salamine en Chypre, et lui
demanda du secours, mais Evelthon ne lui en donna point. Pendant ce
temps‑là, Arcésilas en ayant tiré abondamment des Grecs, recouvra son
royaume et tira une cruelle vengeance de ceux qui l'avaient chassé. Il fut
enfin tué par les Barbares du voisinage. Tant de malheurs n'étonnèrent point
Phététime. Elle se réfugia auprès d'Argande, satrape d'Egypte, et faisant
valoir auprès de lui quelques services qu'elle avait rendus à Cambyse, elle
obtint des troupes considérables de terre et de mer, et rentrant dans le pays
de Cyrène, elle s'y rendit terrible, et vengeant son fils, elle rétablit la
royauté dans sa race.
CHAPITRE XLVIII
AXIOTHÉE
Axiothée était
femme de Nicoclès, roi de Paphos, dans l'île de Chypre. Quand Ptolémée, roi
d'Egypte, envoya des gens pour le détrôner, Nicoclès se pendit lui‑même,
et ses frères se poignardèrent. Axiothée, jalouse de la vertu de ses
beaux‑frères, rassembla leurs sœurs, leur mère, leurs femmes, et leur
persuada de ne rien souffrir d'indigne de leur noblesse. Elles la crurent, et
ayant fermé les portes de leur appartement, elles montèrent sur la terrasse du
toit, et là, en présence de tous les habitants qui étaient accourus au
spectacle, elles poignardèrent leurs enfants qu'elles tenaient entre les bras,
et ayant mis le feu à la maison, les unes s'enfoncèrent des épées dans le
corps, et les autres coururent hardiment se précipiter dans les flammes. Axiothée,
qui était comme leur général, se montra aussi courageuse qu'elles dans le
malheur, car voyant qu'elles avaient toutes péri noblement, elle s'enfonça l'épée
dans la gorge, et se jeta dans le feu, afin que son cadavre même ne fût pas au
pouvoir des ennemis.
CHAPITRE XLIX
ARCHIDAMIS
Pendant que
Pyrrhus, roi des Épirotes, faisait la guerre aux Lacédémoniens, ceux de
Sparte, mis en fuite dans un combat donné devant les murs de la ville, résolurent
d'envoyer les enfants et les femmes en Crète, et demeurèrent seuls à
combattre jusqu'à vaincre ou mourir. Archidamis, fille du roi Cléade, s'opposa
à l'exécution de ce décret, et dit que les Lacédémoniennes estimaient qu'il
était beau de mourir avec les hommes, si elles ne pouvaient vivre avec eux. On
partagea donc avec les femmes les travaux de la guerre. On les vit travailler
aux tranchées, apporter des armes, donner la trempe aux pointes des javelots,
prendre soin des blessés. Enfin les hommes voyant le courage des femmes, en
devinrent plus hardis dans les combats, et chassèrent Pyrrhus de leur pays.
CHAPITRE L LAODICE
Antiochus,
surnommé le dieu, épousa Laodice, sa sœur de père, dont il eut Séleucus. Il
épousa encore depuis Bérénice, fille du roi Ptolémée, dont il eut un fils,
qu'il laissa fort jeune quand il mourut. Il nomma en mourant son fils Séleucus
pour son successeur. Laodice fit en sorte de faire périr le fils qu'avait eu Bérénice,
et celle‑ci eut recours au peuple, dont elle tâcha d'exciter la
compassion et d'obtenir le secours. Ceux qui avaient tué l'enfant, en
produisirent à la multitude un autre tout semblable. Le peuple le prit pour le
vrai fils de Bérénice, et lui donna une garde royale. Pour la sûreté de Bérénice,
on lui donna pour gardes des Gaulois soudoyés. On la mit dans le lieu le plus
fort du palais, et on la rassura par des serments et des traités. Elle avait
avec elle le médecin Aristarque, qui lui, persuada d'ajouter foi à ces
serments, mais on ne les employait que pour la tromper. En effet, on força le
lieu de sa retraite, et on la tua, avec la plupart de, ses femmes, qui avaient
voulu la défendre. Il en resta trois, Panariste, Manie et Géthosyre, qui cachèrent
le corps de Bérénice en terre, et prenant une autre femme, la couchèrent dans
le lit de Bérénice, et demeurèrent auprès d'elle, comme pour panser ses
blessures. Elles amusèrent ainsi les domestiques, jusqu'à l'arrivée de Ptolémée,
père de la princesse, qu'elles envoyèrent chercher. Il vint, et par le moyen
des lettres qu'il écrivit au nom de Bérénice et de son fils, comme s'ils
eussent encore été en vie, et par l'adresse de Panariste, il se rendit maître,
sans coup férir de tout le pays, depuis le mont Taurus jusqu'aux Indes.
CHAPITRE
LI
THÉANO
Quand on eut découvert
à Lacédémone que Pausanias était dans les intérêts des Mèdes, il se réfugia,
comme, suppliant, dans le temple de Minerve à la maison d'airain, asile
inviolable, dont il n'était pas permis d'arracher ceux qui s'y étaient mis à
couvert. Sa propre mère Théano, toute la première, prit une brique, et la
posa devant la porte du temple. Les Lacédémoniens admirant en même temps, son
courage et sa sagesse, firent comme elle, et chacun prenant une brique, la plaça
devant la porte, qui se trouva ainsi murée. De cette manière, sans arracher le
suppliant de son asile, on punit sa trahison, en le laissant, mourir enfermé.
CHAPITRE LII
DÉIDAMIE
Déidamie, fille
de Pyrrhus, s'étant emparée d'Ambracie, dans le dessein de venger la mort de
Ptolémée, tué en trahison, reçut une ambassade des Épirotes, et leur
accorda la paix, à condition qu'on lui rendît les biens et les honneurs de ses
ancêtres. Mais les paroles qu'on lui donna ne furent que des pièges dont on se
servait pour la tromper, car les Épirotes s'étant assemblés, envoyèrent
Nestor, l'un des gardes d'Alexandre, pour la tuer. Nestor l'ayant trouvée les
yeux baissés, fut touché de vénération, et s'en retourna sans lui faire de
mal. Elle s'enfuit au temple de Diane, dite Hugémone. Milon, accusé d'avoir tué
sa propre mère Philotère, alla tout armé attaquer Déidamie. Elle lui cria :
« Le meurtrier de sa mère entasse meurtre sur meurtre. » Elle n'en put dire
davantage. Milon la tua là, dans le temple même de la déesse.
CHAPITRE LIII
ARTÉMISE
I. Artémise
donnait un combat sur mer, vers Salamine. Les Perses s'ébranlèrent pour fuir,
et les Grecs se mirent à les suivre. Artémise se voyant sur le point d'être
jointe par eux, ordonna à l'équipage d'ôter de son navire tout ce qui pouvait
le faire connaître pour être de la flotte persane, et au pilote de pousser le
vaisseau contre le navire persan qui allait devant. Les Grecs voyant cette manœuvre,
crurent que ce vaisseau était des leurs, et le laissant passer, donnèrent la
chasse aux autres. Artémise ayant de cette sorte évité le danger, se retira
dans la Carie.
II. Artémise,
fille de Lygdamis, fit couler à fond un vaisseau de la flotte des Calyndiens,
alliés des ennemis, et le capitaine Damasippe périt avec le vaisseau. Le roi,
pour récompenser Artémise, lui envoya une armure grecque complète, et au général
de la flotte, il envoya une quenouille et un fuseau. III. Artémise commandant une galère longue, avait deux pavillons, un à la façon des Barbares, et l'autre grec. Quand elle poursuivait un navire grec, elle mettait le pavillon des Barbares, mais quand un navire grec lui donnait la chasse, elle arborait le pavillon grec, afin que ceux qui la poursuivaient, prenant son vaisseau pour grec la laissassent passer librement.
IV. Artémise,
dans le dessein de surprendre Latmus, cacha ses troupes et ses armes, et
accompagnée d'eunuques et de femmes, et de joueurs de flûte et de tambours,
elle alla dans un bois consacré à la mère des dieux, éloigné de la ville de
sept stades, comme pour y célébrer les mystères. Les Latmiens vinrent au
spectacle, et admirèrent sa piété religieuse. Mais pendant qu'ils s'amusaient
là les troupes, qu'Artémise avait cachées, s'emparèrent de la ville, et de
cette manière elle prit avec des flûtes et des tambours une place qu'elle
n'avait pu prendre les armes à la main.
V.
Artémise, reine de Carie, porta les armes pour Xerxès dans l'expédition
qu'il fit en Grèce. Le roi lui donna le prix, comme à la personne qui avait le
mieux fait son devoir à Salamine. Dans le fort du combat, voyant son courage et
son ardeur, pendant que la plupart des hommes se comportaient mollement, il s'écria
: « O Jupiter, tu as rendu les femmes hommes, et les hommes femmes. »
CHAPITRE LIV
TANIE
Tanie (ou plutôt
Manie), fille de Zénis, prince des villes des environs de Dardane, après le décès
de son mari, mort de maladie, prit le gouvernement de l'État, moyennant le
secours que lui donna Pharnabaze. Elle allait elle‑même au combat, montée
sur un char. Elle donnait l'ordre aux combattants, les arrangeait elle‑même,
et après la victoire elle distribuait les prix aux soldats selon leur mérite.
Aucun de ses ennemis n'eut de l'avantage sur elle. Il n'y eut que son gendre
Midius qui pût lui nuire. Elle n'avait garde de s'en défier, vu ce qu'il lui
était. Il abusa de la confiance de sa belle‑mère, et l'ayant attaquée
lui ôta la vie.
CHAPITRE LV
TIRGATAO
Tirgatao,
princesse méotide, épousa Hécatée, roi des Sintes, qui habitent un peu
au‑dessus du Bosphore. Cet Hécatée ayant perdu ses États, fut reçu par
Satyre, tyran du Bosphore, qui lui fit épouser sa fille, et le pressa de faire
mourir sa première femme. Bécotée aimait la Méotide, et ne put se résoudre
à la tuer. Il se contenta de l'envoyer dans un lieu fort, l'y enferma, lui
donna des gardes, et lui défendit de sortir de ce lieu. Tirgatao trouva moyen
de tromper ses gardes, et s'enfuit. Hécatée et Satyre la firent chercher
partout, dans la crainte qu'ils eurent, qu'elle n'armât contre eux toute la Méotide.
Pendant qu'ils la cherchaient vainement, Tirgatao, traversant les déserts et
les précipices, se tenait cachée pendant le jour dans les forêts, et ne
marchait que la nuit. Enfin elle arriva chez les Ixomantes, et c'était le
royaume de son père. Elle trouva qu'il était mort. Elle épousa celui qui lui
avait succédé, et porta les Ixomantes à la guerre. Elle rassembla plusieurs
nations belliqueuses de la Méotide, et faisant des courses dans le pays des
Sintes et dans celui de Satyre, elle porta le ravage partout. Hécatée et
Satyre lui envoyèrent demander la paix, et lui donnèrent pour otage Métrodore,
fils de Satyre. Elle voulut bien traiter avec eux, mais ils n'avaient fait des
serments que pour la tromper, car Satyre gagna deux amis, qui feignirent de se réfugier
auprès de Tirgatao pour implorer sa protection, dans le dessein d'attenter à
sa vie. Ils se réfugièrent donc auprès d'elle, et Satyre les envoya souvent
redemander. Tirgatao garda religieusement la parole qu'elle leur avait donnée
de les protéger, et refusa constamment de les livrer. La voyant dans cette
disposition, ils vont la trouver, et pendant que l'un d'eux lui parlait
d'affaires importantes, l‘autre tirant l'épée, lui allongea un coup qui
porta heureusement dans la ceinture de la reine. Ses gardes accoururent,
saisirent les deux hommes et leur donnèrent la question. Ils confessèrent le
crime, et en découvrirent l'auteur. Aussitôt Tirgatao recommença la guerre,
tua l'otage, et porta dans le pays ennemi le carnage et la désolation. Satyre
en mourut de chagrin, et Gorgippe son fils lui succéda. Celui‑ci alla
implorer la clémence de Tirgatao. Ses supplications et ses grands présents
apaisèrent enfin la reine qui mit fin à la guerre.
CHAPITRE LVI AMAGE
Amage, femme de
Médosuc, roi des Sarmates, qui habitent les côtes du Pont, voyant son mari
plongé dans la débauche, et abruti par le vin, se mit à gouverner l'État.
Elle posait elle‑même les gardes sur les frontières, elle arrêtait les
incursions des ennemis, et protégeait ses voisins quand ils étaient maltraités.
Sa réputation se répandit parmi tous les Scythes, jusque-là que ceux de la
Chersonèse, vexés par le roi des Scythes de leur voisinage, eurent recours à
elle, et demandèrent sa protection. Elle se contenta d'abord d'écrire à ce
roi, pour lui commander de laisser la Chersonèse en paix. Le Scythe méprisa
ses ordres. Elle prit six vingt hommes des plus vigoureux, et sur le courage
desquels elle faisait le plus de fond, et leur donnant à chacun trois chevaux,
elle usa d'une si grande diligence qu'elle parcourut en une nuit et un jour
douze cents stades, et se montrant à l'improviste au palais des Scythes, elle
commença par tuer tous ceux qui gardaient les portes. Les Scythes furent
surpris par un accident aussi imprévu, ils se figurèrent les ennemis bien plus
nombreux qu'ils ne l'étaient. Amage, continuant son irruption, pénétra dans
le palais, tua le Scythe et tous ses parents et amis qui se trouvèrent là,
livra le pays à ceux de la Chersonèse, et ayant établi roi le fils du mort,
elle le chargea de gouverner avec justice, et de s'abstenir de nuire aux Grecs
et aux Barbares de son voisinage, s'il ne voulait avoir le même sort que son père.
CHAPITRE LVII
ARSINOÉ
Après la mort
de Lysimachus, Arsinoé sa veuve, voyant un grand trouble dans Éphèse, et que
ceux du parti de Séleucus abattaient les murs, et ouvraient les portes, fit
mettre dans sa chaise à porteurs une de ses suivantes, vêtue de ses habits
royaux, et la fit accompagner par ses gardes, pendant qu'elle‑même, vêtue
de haillons, et le visage couvert d'un masque sale, sortit seule, par une autre
porte, et courut s'embarquer. Ménécrate, un des chefs, attaqua la chaise, et
croyant tuer Arsinoé, perça de coups la suivante.
CHAPITRE LVIII
CRATÉSIPOLIS
Cratésipolis
avait dessein de livrer le haut Corinthe à Ptolémée. Il y avait une garde de
gens soudoyés, qui disait souvent à Cratésipolis, qu'elle devait donner de
grands soins à la conservation de la place. Elle approuvait leur avis, comme
donné par des gens de cœur et fidèles, et dit qu'elle ferait venir du renfort
de Sicyone, pour assurer la conservation de la place. Elle envoya ouvertement à
Sicyone, et en secret vers, Ptolémée, et celui‑ci fit partir des
soldats, qui étant arrivés la nuit, furent reçus comme venant de Sicyone.
Ainsi Ptolémée se rendit maître du haut Corinthe, en dépit de ceux qui le
gardaient.
CHAPITRE LIX
LA PRÊTRESSE
Les Etoliens
faisaient la guerre à ceux de Pellène. Au-devant de Pellène il y a un rocher
fort élevé, vis‑à‑vis de la citadelle, et c'était sur cette
hauteur que les Pelléniens se rassemblaient sous les armes. La Prêtresse de
Minerve, suivant la cérémonie observée ce jour‑là, se montra hors de
la citadelle, armée de toutes pièces, et la tête couverte d'un casque à
trois crêtes, et se mit à regarder l'armée des habitants. C'était une fille
très belle et de la taille la plus avantageuse. Les Etoliens voyant sortir du
temple de Minerve une vierge armée, crurent que c'était Minerve en personne,
qui venait au secours des Pelléniens, ils prirent la fuite. Les Pelléniens les
poursuivirent et en tuèrent un grand nombre.
CHAPITRE LX
CYNNANE
Cynnane, fille
de Philippe, apprit les exercices militaires. Elle se mettait à la tête d'une
armée, et savait la conduire contre les ennemis. Elle donna bataille aux
Illyriens, fit tomber leur reine, morte d'un coup qu'elle lui donna elle‑même
sur le cou, et tua un grand nombre d'Illyriens. Elle épousa Amyntas, fils de
Perdicas et l'ayant perdu peu de temps après elle ne voulut point prendre de
second mari. Elle n'eut qu'une fille d'Amyntas, nommée Eurydice, qu'elle éleva
aussi aux armes. Après qu'Alexandre fut mort à Babylone, voyant ses
successeurs dans la division, elle entreprit de passer le Strymon. Antipater
voulut s'opposer à son passage, mais elle força les troupes d'Antipater, et
passa le fleuve, et malgré tous les ennemis qu'elle trouva sur sa route, elle
traversa l'Hellespont, dans le dessein de combattre l'armée des Macédoniens.
Alcétas vint à sa rencontre avec des troupes. Les Macédoniens voyant la fille
de Philippe, sœur d'Alexandre, eurent honte de leur résolution, et ne
voulaient plus se battre avec elle. Alcétas fut d'un sentiment contraire.
Cynnane lui reprocha son ingratitude, et sans s'étonner de la multitude des
ennemis ni de l'appareil des armes, elle aima mieux mourir noblement, que de
voir en elle la postérité de Philippe dépouillée de la royauté. CHAPITRE LXI
PYSTE
Pyste, femme de
Séleucus, surnommé Callinique ou le victorieux, ayant été prise par les
ennemis, dans le temps que son mari fut vaincu par les Gaulois, du côté
d'Ancyre, se dépouilla des habits royaux, et ayant pris les haillons d'une misérable
esclave, fut vendue parmi les autres captives. Ayant été menée à Rhodes avec
d'autres esclaves, elle se fit connaître. Les Rhodiens rendirent l'argent à
celui qui l'avait achetée, et l'ayant parée magnifiquement, la renvoyèrent à
Antioche.
CHAPITRE LXII
ÉPICHARIS
Pison et Sénèque
conspirèrent contre Néron. Gallion, frère de Sénèque, avait une maîtresse,
nommée Épicharis. Néron crut qu'elle pourrait avoir connaissance de la
conspiration, et lui fit donner la question très cruellement. Elle la supporta
constamment, sans nommer personne, et Néron remit à la faire encore tourmenter
une autre fois. Trois jours après il l'envoya chercher dans une chaise à
porteurs. Pendant qu'elle y était, elle détacha sa ceinture, et s'en étrangla
elle-même. Quand les porteurs furent arrivés au lieu où elle devait être
tourmentée de nouveau, ils lui ordonnèrent de sortir de la chaise, mais ils
l'y trouvèrent morte. Le tyran ne se possédait pas de rage, de voir qu'il
avait été vaincu par une courtisane.
CHAPITRE LXIII
LES MILÉSIENNES
Les filles de
Milet furent saisies d'une espèce de fureur mélancolique, qui les portait à
s'étrangler, sans aucun sujet apparent de chagrin. Une femme de la ville
conseilla qu'on portât à travers la place les corps de celles qui se seraient
ainsi donné la mort. On en forma un décret, qui fut publié. C'en fut assez
pour guérir ces filles. Elles ne purent supporter d'être montrées en public
dans un état honteux, et elles cessèrent de s'étrangler elles‑mêmes.
CHAPITRE LXIV
LES MÉLIENNES
Les Méliens,
conduits par Nymphée, s'établirent dans la Carie. Les Cariens de Cyrasse formèrent
le dessein de se défaire des Méliens, et pour en venir à bout, les invitèrent
au festin public qu'ils faisaient dans une de leurs fêtes. Une fille carienne
qui aimait Nymphée, lui découvrit le mauvais dessein de ses compatriotes.
Nymphée dit aux Cariens que les Grecs n'allaient point à ces sortes de festins
sans leurs femmes. Les Cariens dirent qu'ils les amenassent. Les Méliens y allèrent
sans armes, mais les femmes s'étaient munies d'épées, qu'elles avaient cachées
dans les plis de leurs robes, et chacune d'elles se plaça auprès de son mari.
Comme on soupait, on s'aperçut du signal que faisaient les Cariens. Dans le
moment toutes les femmes ouvrirent leurs robes, et les hommes prenant les épées,
donnèrent sur les Barbares. Ils les tuèrent tous, s'emparèrent de leur ville
et du pays.
CHAPITRE LXV
LES PHOCÉENNES
Les Phocéens et
les Thessaliens se faisaient une guerre sans quartier, jusque‑là que les
Thessaliens avaient ordonné par un décret public, qu'on n'épargnât aucun
homme fait, et qu'on fît esclave les femmes et les enfants. Comme les Phocéens
étaient sur le point de donner bataille, leurs femmes firent de leur côté cet
autre décret : « Dressons un grand bûcher, et quand nous saurons que nos
maris auront été vaincus, nous y monterons avec nos enfants, et nous y
mettrons le feu pour nous brûler. » Cette résolution des femmes anima les
maris, qui combattirent courageusement, et remportèrent la victoire.
CHAPITRE LXVI LES FEMMES DE CHIO
Ceux de Chio étaient
en guerre contre les Erythréens, au sujet de Leuconie. Ne pouvant plus résister
aux Erythréens, ils demandèrent à traiter, et promirent de sortir sans autre
chose que chacun sa robe et son manteau. Il parut insupportable à leurs femmes
de les voir en cet état, et prendre la fuite presque nus. Elles s'en
plaignirent amèrement, mais les hommes dirent qu'ils l'avaient juré. Les
femmes leur conseillèrent de ne point quitter leurs armes, et de soutenir
qu'ils étaient dans l'usage d'appeler le dard leur manteau, et le bouclier leur
robe. Ceux de Chio crurent le conseil de leurs femmes, et se présentant avec
leurs armes, se rendirent formidables aux Erythréens.
CHAPITRE LXVII
LES THASIENNES
Les Thasiens
assiégés voulaient élever au-dedans de leur ville des machines pour résister
aux ennemis, mais les cordages leur manquaient pour les lier. Les Thasiennes se
rasèrent, et donnèrent leurs cheveux, qui servirent de liens pour attacher et
affermir les machines.
CHAPITRE XLVIII
LES ARGIENNES
Pyrrhus, roi
d'Epire, appelé par Aristée Argien, entra dans Argos, dans le dessein de s'en
rendre maître. Les Argiens se rassemblèrent en armes dans la place publique,
et leurs femmes étant montées sur les terrasses des toits, jetaient de là des
pierres et des tuiles sur les Épirotes, et les contraignaient à faire
retraite. Pyrrhus, ce grand et fameux général, périt en cette rencontre d'un
coup de tuile qu'il reçut à la tête. Ce fut une grande gloire, parmi les
Grecs, pour les Argiens, que Pyrrhus, un des plus grands guerriers qu'il y ait
eu, ait été tué, non pas par les hommes, mais par les femmes argiennes.
CHAPITRE LXIX
LES
ACARNANIENNES
Après une
longue guerre entre les Acarnaniens et les Etoliens, ceux‑ci trouvèrent
moyen d'entrer dans Arcane par trahison. Les hommes se voyant dans un aussi
pressant danger, apportèrent toute la résistance possible. Les femmes, montées
sur les terrasses des toits, lançaient sur les ennemis des pierres et des
tuiles, et en firent périr un grand nombre. Quand elles virent leurs maris lâcher
pied ou avoir du dessous, elles les animèrent par les prières et les
reproches. Elles vinrent à bout de leur faire recommencer le combat ; mais
enfin, malgré leur résistance vigoureuse, ils succombèrent et périrent. Les
femmes étant descendues, vinrent embrasser les corps morts de leurs maris, de
leurs frères et de leurs pères, si étroitement, que les ennemis ne pouvant
les en détacher, furent contraints de les tuer avec les hommes.
CHAPITRE LXX
LES CYRÉNÉENNES
Pendant la
guerre que Ptolémée fit à ceux de Cyrène, les Cyréniens ayant fait venir
d'Etolie, Lycope pour être leur général, lui donnèrent le gouvernement de l'État.
Les Cyréniens faisaient les fonctions les plus dangereuses de la guerre, et les
femmes servaient à l'armée. Elles dressaient les palissades, creusaient les
tranchées, portaient les javelots, voituraient des pierres, pansaient les blessés,
préparaient à manger. Quand les hommes eurent manqué, Lycope changea la forme
de l'État en monarchie. Les femmes lui reprochèrent si vivement son
usurpation, qu'il ne le put endurer. Dans sa colère, il en tua une grande
partie, et elles couraient d'elles‑mêmes à la mort.
CHAPITRE LXXI ET
DERNIER
LES LACÉDÉMONIENNES
Les filles de
Lacédémone avaient été données en mariage aux Minyens, descendus des
Argonautes. Ces gens, admis à vivre sous les lois communes du pays, ne se
contentèrent pas de cet avantage, ils affectèrent aussi la royauté. Les
Spartiates les mirent en prison. Les Lacédémoniennes qu'ils avaient épousées... Le reste manque. On peut y suppléer par Hérodote, liv. 4, et ci‑dessus liv. 7, au chapitre des Tyrrhéniennes. On y trouve la même histoire, seulement le nom de Ményens est substitué à celui de Tyrrhéniens ; voy. Valér. Maxim., liv. 4 c. 6, exemp. 3. |