BIBLIOTHÈQUE DE PHOTIUS

     Jugement sur les dix plus célèbres orateurs de la Grèce.

       Traduction françaisel'Abbé GEDOYN.

       Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

          

      259 ANTIPHON.

          Discours.   

      

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

259. Antiphon, Discours

 

 

Ἀνεγνώσθη Ἀντιφῶντος λόγοι διάφοροι. Εἰσὶ δ´ αὐτοῦ οἱ λόγοι τὸ ἀκριβὲς καὶ πιθανὸν καὶ περὶ τὴν εὕρεσιν δεινὸν οἰκειούμενοι. Ἔστι δὲ ὁ ἀνὴρ καὶ ἐν τοῖς ἀπόροις τεχνικός, καὶ τὰς ἐπιχειρήσεις ἐξ ἀδήλου ποιούμενος, καὶ ἐπὶ τοὺς νόμους καὶ τὰ πάθη τρέπων τοὺς λόγους, τοῦ εὐπρεποῦς μάλιστα στοχαζόμενος.

Ὁ μέντοι Σικελιώτης Καικίλιος μὴ κεχρῆσθαί φησι τὸν ῥήτορα τοῖς κατὰ διάνοιαν σχήμασιν, ἀλλὰ κατευθὺ αὐτῷ καὶ ἀπλάστους τὰς νοήσεις ἐκφέρεσθαι, τροπὴν δὲ ἐκ τοῦ πανούργου καὶ ἀνάλλαξιν οὔτε ζητῆσαι τὸν ἄνδρα οὔτε χρήσασθαι, ἀλλὰ δι´ αὐτῶν δὴ τῶν νοημάτων καὶ τῆς φυσικῆς αὐτῶν ἀκολουθίας ἄγειν τὸν ἀκροατὴν πρὸς τὸ βούλημα. Οἱ γὰρ πάλαι ῥήτορες ἱκανὸν αὑτοῖς ἐνόμιζον εὑρεῖν τε τὰ ἐνθυμήματα καὶ τῇ φράσει περιττῶς ἀπαγγεῖλαι. Ἐσπούδαζον γὰρ τὸ ὅλον περὶ τὴν λέξιν καὶ τὸν ταύτης κόσμον, πρῶτον μὲν ὅπως εἴη σημαντικὴ καὶ εὐπρεπής, εἶτα δὲ καὶ ἐναρμόνιος ἡ τούτων σύνθεσις. Ἐν τούτῳ γὰρ αὐτοῖς καὶ τὴν πρὸς τοὺς ἰδιώτας διαφορὰν ἐπὶ τὸ κρεῖττον περιγίνεσθαι. Εἶτα εἰπὼν ὡς ἀσχημάτιστος εἴη κατὰ διάνοιαν ὁ τοῦ Ἀντιφῶντος λόγος, ὥσπερ ἐπιδιορθούμενος ἑαυτόν· «Οὐ τοῦτο λέγω, φησίν, ὡς οὐδὲν εὑρίσκεται διανοίας παρὰ Ἀντιφῶντι σχῆμα· καὶ γὰρ ἐρώτησίς που καὶ παράλειψις καὶ ἕτερα τοιαῦτα ἔνεισιν αὐτοῦ τοῖς λόγοις· ἀλλὰ τί φημι; Ὅτι μὴ κατ´ ἐπιτήδευσιν μήτε συνεχῶς ἐχρήσατο τούτοις, ἀλλ´ ἔνθα ἂν ἡ φύσις αὐτὴ μεθοδείας τινὸς χωρὶς ἀπῆγεν· ὃ δὴ καὶ περὶ τοὺς τυχόντας τῶν ἰδιωτῶν ἔστιν ὁρᾶν. Διὰ τοῦτο καὶ ὅταν τις ἀσχηματίστους εἶναι λέγῃ λόγους, οὐ καθάπαξ οἰητέον τῶν σχημάτων αὐτοὺς ἀπεστερημένους εἶναι (τοῦτο γὰρ ἀδύνατον) ἀλλ´ ὅτι τὸ ἐμμέθοδον καὶ συνεχὲς καὶ ἐρρωμένον τῶν σχημάτων οὐκ ἔστιν ὁρώμενον ἐν αὐτοῖς».

Φέρονται δὲ αὐτοῦ λόγοι ξʹ, ὧν ὁ Καικίλιος κεʹ φησιν αὐτοῦ καταψεύδεσθαι, ὡς εἶναι τοὺς διαφυγόντας τὸ νόθον εʹ καὶ λʹ.

Οὗτος τῷ οἰκείῳ πατρὶ Σοφίλῳ σοφιστεύοντι μαθητεῦσαι λέγεται· Καικίλιος δὲ Θουκυδίδου τοῦ συγγραφέως μαθητὴν γεγονέναι φησὶ τὸν ῥήτορα. Διενεχθῆναι δέ φασιν αὐτὸν καὶ Σωκράτει τῷ φιλοσόφῳ, οὐ πρὸς φιλονεικίαν ἀλλὰ πρὸς ἔλεγχον ὁρῶντα. Συντάξαι δὲ αὐτὸν καὶ πρῶτόν φασι τοὺς ἐν τοῖς δικαστηρίοις ἀγωνιστικοὺς λόγους· τῶν γὰρ πρὸ αὐτοῦ οὐδεὶς φαίνεται καθεὶς ἑαυτὸν εἰς τοῦτον τὸν ἀγῶνα, οὐδ´ ἔστι λαβεῖν δικανικὸν λόγον τῶν Ἀντιφῶντι πρότερον γεγραμμένων.

Πρῶτον δὲ αὐτὸν καὶ ῥητορικὰς συντάξασθαί φασι τέχνας, ἀγχίνουν γεγονότα· διὰ τοῦτο λαβεῖν ἐπώνυμον καὶ τὸν Νέστορα. Κωμῳδεῖ δὲ αὐτὸν εἰς φιλαργυρίαν Πλάτων ἐν Πεισάνδρῳ. Λόγος δὲ αὐτὸν καὶ τραγῳδίας συνθεῖναι, ἰδίᾳ τε καὶ Διονυσίῳ συνδιατρίβοντα τῷ τυράννῳ. Σχολάζοντα δὲ πρότερον τῇ ποιήσει τέχνην φασὶν αὐτὸν ἐξευρεῖν ἀλυπίας, καὶ κατὰ τὴν ἀγορὰν ἐν Κορίνθῳ οἰκημάτιόν τι οἰκοδομησάμενον ἐπιγράψαι δύνασθαι αὐτὸν τοὺς λυπουμένους διὰ λόγων θεραπεύειν· καὶ δὴ καὶ πυνθανόμενος τὰς αἰτίας τῆς λύπης τοὺς ἀνιωμένους παρεμυθεῖτο. Τοῦτο δὲ τὸ ἐπιτήδευμα ἧττον εἶναι νομίσας τῆς ἑαυτοῦ μεγαλονοίας ἐπὶ ῥητορικὴν ἐτράπη. Συνεγράψατο δὲ καὶ κατὰ Ἱπποκράτους τοῦ ἰατροῦ λόγον, καὶ εἷλεν αὐτὸν ἐξ ἐρήμου. Ὁ δὲ χρόνος ἦν, καθ´ ὃν ἤκμαζεν, ἐν ᾧ διαπέπρακται τὰ Περσικά, ὀλίγῳ πρότερον Γοργίου τοῦ σοφιστοῦ γεγονώς· παρέτεινε δὲ τὸν βίον ἕως τῆς ὑπὸ τῶν υʹ γεγενημένης καταλύσεως τῆς δημοκρατίας, ἧς καὶ αὐτὸν αἰτίαν μετεσχηκέναι φασὶ παρασχεῖν· διὸ καὶ μετὰ τὴν κατάλυσιν τῶν υʹ εἰσαγγελθεὶς ἑάλω, καὶ τοῖς τῶν προδοτῶν ἐπιτιμίοις ὑποβληθεὶς ἄταφος ἐρρίφη, καὶ γέγονεν ἄτιμος, οὐκ αὐτὸς μόνον ἀλλὰ καὶ οἱ ἐξ αὐτοῦ φύντες. Λυσίας δὲ τοὐναντίον ἱστορεῖ· φησὶ γὰρ μᾶλλον αὐτὸν ὑπὸ τῶν υʹ ἀνῃρῆσθαι. Οἱ δέ φασιν αὐτὸν πρεσβευτὴν πρὸς Διονύσιον τὸν τύραννον παραγεγονότα, καὶ ζητήσεώς τινος παραπεσούσης τίς ἄριστός ἐστι χαλκός, αὐτὸν ἄριστον εἶναι φάναι ἐξ οὗ στῆλαι Ἁρμοδίῳ πεποίηνται καὶ Ἀριστογείτονι· ἀκούσαντα δὲ τὸν Διονύσιον, καὶ εἰς αὑτὸν ὑπονοήσαντα τὸν λόγον ἀπερρίφθαι καὶ προτροπὴν εἶναι τῆς αὑτοῦ καταλύσεως, τὴν ἐπὶ θανάτῳ τὸν ῥήτορα καταδικάσαι. Οἱ δὲ διότι, φασί, τὰς τραγῳδίας αὐτοῦ διασύρων ἐπαρρησιάζετο.  

J’ai lu les oraisons d’Antiphon[1] & j'y ai trouvé de l'exactitude, de la force & de l'invention. Cet orateur dans les questions purement probables, a beaucoup d'art ; il s'entend bien à tirer le vrai de l'obscurité qui le couvre, ses arguments sont subtils & pressants : souvent laissant là le raisonnement, il tourne tout à coup son discours du côté des lois & des mœurs, alors il devient touchant & jamais il ne perd de vue ce que nous appelons les convenances, les bienséances.

Cecilius dit qu'Antiphon n'a point connu les figures des pensées qu'il n'a ni cherché ni employé ces tours heureux, ces changements subits, par le moyen desquels on passe d'une chose à une autre ; qu'il disait amplement ce qu'il pensait, sans fiction ni détour ; mais que par la liaison naturelle de ses pensées & par les conséquences qu'il en savait tirer, il tournait, comme il voulait, l'esprit de son auditeur. Les anciens Rhéteurs, ajoute-t-il, ne songeaient qu'à trouver des enthymèmes & à les bien exprimer : ils étaient tout occupé du soin de rendre leur diction énergique, ou agréable & toute leur composition harmonieuse. Par là ils se croyaient fort supérieurs aux autres en l'art de parler. Ensuite le même Cecilius se rétractant en quelque sorte ; quand je dis, continue-t-il, que les oraisons d'Antiphon sont sans figures, je ne prétends pas dire qu'elles en soient totalement dénuées ; car on y trouve l'interrogation, la prolepse & quelques autres semblables ; mais je veux dire qu'il en fait rarement usage, qu'il y est conduit par la seule nature, sans le secours d'aucune méthode & qu'il n'a jamais connu ni l'art, ni les préceptes. C’est ce que l'on peut remarquer & dans les écrits d'Antiphon & dans ceux des autres Rhéteurs du même temps : non, comme je l'ai déjà dit, que les figures y manquent absolument ; car il n’est guère possible qu'un discours d'une juste longueur, n'en ait quelques-unes ; mais parce qu'elles ne se font sentir, ni par leur véhémence, ni par leur nombre & leur variété, on est bien fondé à dire que ces anciens orateurs en ont ignoré l'art.

Il y a soixante oraisons qui portent le nom d'Antiphon. Cecilius n'en reconnaît que trente-cinq, regardant les autres au nombre de vingt-cinq, comme supposées. Ce Rhéteur eut pour maître, selon quelques-uns, Sophile, son propre père, qui exerçait la profession de Sophiste ; & selon Cecilius, l'historien Thucydide. Il ajoute qu'Antiphon disputait souvent contre Socrate, non par envie de disputer, mais pour éclaircir les questions & pour démêler la vérité.

C'est lui, dit-il, qui a composé le premier[2] des Discours dans le genre judiciaire; & de fait, on n'en voit aucun avant son temps. On peut dire aussi qu'il fût le premier inventeur de la Rhétorique, il était né avec d'excellentes dispositions pour cela ; aussi lui donnait-on le surnom de Nestor. Platon[3] dans une de ses pièces le fait discourir avec Pisandre & le tourne en ridicule sur son avarice. On dit qu'il avait fait plusieurs tragédies, non seulement lorsqu’il menait une vie privée, mais même à la Cour de Denys le tyran, où il jouait un rôle plus considérable. Et dans le temps qu'il s'appliquait à la poésie, on assure qu'il trouva l'art de consoler les personnes affligées & qu'ayant fait bâtir une petite maison près du marché, à Corinthe, il y mit une affiche qui annonçait ce singulier talent. En effet il interrogeait ceux qui venaient chez lui, pour savoir la cause de leur chagrin & il les renvoyait toujours consolés & tranquilles. Mais ne trouvant pas cette occupation digne de lui, il reprit ses fonctions d'orateur : & son premier plaidoyer fut contre le Médecin Hippocrate,[4] qui se laissa condamner par défaut. Antiphon vivait sur la fin de la guerre des Perses contre les Grecs, il était un peu plus ancien[5] que le Sophiste Gorgias & il vécut jusqu'au temps où les quatre cents abolirent la démocratie à Athènes. On crut même qu'il avait eu bonne part à cette révolution ; c’est pourquoi après que leur domination eût cessé, on lui fit son procès, il fut condamné à mort ; son corps demeura sans sépulture, punition portée par la loi contre les traîtres à leur patrie : enfin on le déclara infâme lui & toute sa postérité. Cependant Lysias dit qu'au contraire les quatre cents le sacrifièrent à leur vengeance. D'autres ont écrit qu'il fut député vers Denys & qu'un jour ce tyran lui ayant demandé quel était le meilleur bronze, il répondit, Celui dont on a fait les statues d’Harmodius[6] & d'Aristogiton & que Denys ayant compris ce qu'il voulait dire, jura aussitôt sa perte. D'autres rapportent qu'il s'était attiré la haine du tyran, pour avoir dit trop librement ce qu'il pensait de ses vers, où il se piquait de réussir.

[1] Thucydide, liv. 8, parle de cet orateur comme d'un des principaux auteurs de l'oligarchie à Athènes. Quelques-uns disent qu'il fut le maître de cet historien & d'autres qu'il fut son disciple. Les uns aussi le font mourir d'une façon, les autres d'une autre. Ce sont, je crois, ces contradictions qui ont déterminé Vossius, encore plus qu'un passage d'Hermogène, à distinguer deux Antiphons, l’un de Rhamnus plus ancien que Thucydide, l'autre postérieur.

[2] Quintilien, liv. 3, ch. i. a dit la même chose de cet orateur.

[3] Cela doit s'entendre de Platon le Poète comique, qui était un peu plus ancien que Platon le Philosophe.

[4] Il ne faut pas confondre cet Hippocrate avec le célèbre médecin du même nom. Celui-ci était de l'île de Coos, & vivait 460 ans avant l'Ere chrétienne. Plutarque dit : contre le médecin Hippocrate qui était préteur. Je suis persuadé qu’un mot, par la faute des copistes, a passé mal à propos dans le texte de Plutarque, & ensuite dans celui de Photius. Cet Hippocrate était, selon toute apparence, le Capitaine Athénien dont parle Thucydide, & qui vivait au temps de la guerre du Péloponnèse.

[5] Plutarque au contraire dit qu'il était plus jeune. Je crois qu'il s'en faut tenir au sentiment de Plutarque.

[6] Harmodius & Aristogiton, tous deux Athéniens, sont célèbres par l'amitié qui était entre eux, & par le courage qu'ils eurent de délivrer leur patrie de la tyrannie d'Hipparque fils de Pisistrate. Les Athéniens leur dressèrent des statues comme à leurs libérateurs.