Phocas

NICÉPHORE PHOCAS.

 

FRAGMENTS MILITAIRES INÉDITS

Traduction française : Charles GRAUX

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 


 

NICÉPHORE PHOCAS.

FRAGMENTS MILITAIRES INÉDITS

Publiés d’après le manuscrit de Bâle et les manuscrits de la Bibliothèque nationale de Paris 26 du supplément grec et 2437 de l’ancien fonds grec (= h).

TRADUCTION PRANÇAISE

L Qu’il est nuisible de faire traverser à l’armée un pays sans eau, quand røwi approche.

li faut savoir, en outre, que, lorsqu’on s’attend à voir bientôt l’ennemi, il est très-désavantageux d’engager l’armée dans un pays dépourvu d’eau, surtout en été. Encore, l’hiver, les soldats supporteraient-ils bien le manque d’eau pendant toute une journée; mais l’été, ils ne gagneront seulement pas midi: hommes et chevaux périront. C’est trop de se mettre à la fois deux guerres sur les bras, j’entends la guerre contre les ennemis, et la guerre contre la chaleur, en souffrant de la privation d’eau. Que l’armée préfère, s’il le faut, trois ou quatre journées de fatigue à une route plus courte, qui n’offrirait point d’eau. Il vaut bien mieux choisir la fatigue d’une route longue, mais sans danger, et marcher eu sûreté, que de prendre la traverse et tomber dans le péril.

II. Qu’il ne faut pas mener à la suite de l’armée en pays ennemi de bouches inutiles.

Il est dangereux et nuisible, — tel est l’avis des anciens, et c’est ce que notre propre expérience nous a aussi démontré, — d’emmener en pays ennemi des bouches inutiles, ainsi que de traîner à sa suite plus de bagages qu’il n’est strictement nécessaire, avec un grand nombre de mulets, d’ânes et de chameaux. Cela est surtout vrai lorsqu’on fait une expédition chez les Bulgares; leur pays est rempli de défilés boisés et de difficile accès, ainsi que de passages étroits: si l’armée doit les franchir, elle est condamnée, dans ces conditions, à perdre beaucoup de temps. La route d’un jour, grâce à cette foule oisive, à ce train immense et de luxe, à tout ce bagage superflu et somptueux, sera faite à grand-peine en quatre. Faut-il traverser des fleuves profonds ou à lit de vase, passer sur des ponts, c’est alors que les mouvements sont singulièrement entravés par cette queue. Cependant, les vivres que devraient consommer les combattants avec le nombre de valets convenable et utile, les bouches inutiles les dévorent, et le manque de vivres ne tarde pas à forcer l'armée de battre en retraite sans avoir pu rien faire. C’est ainsi que souvent les résultats que l’ennemi, même avec des forces considérables, n’aurait pu obtenir par lui-même, sont amenés par une disette que l’imprévoyance a causée. Puis ces mêmes gens, qui ne prennent point part aux fatigues et à qui l’ennemi fait peur, profèrent des paroles et des cris d’un effet fâcheux; ils s’empressent, s’ingénient dans la mesure du possible à renverser les projets formés par l’Empereur pour le succès de l’entreprise, et à accélérer la retraite.

III. Des guides et des espions.

II est bon de ne rien négliger de ce dont l’armée & quelque avantage à retirer; aussi faudra-t-il se procurer des guides expérimentés et intelligents, et leur faire du bien, s’occuper d’eux de tonte manière, s’intéresser à eux: car, sans eux, on ne peut mener à bonne fin aucune entreprise utile. Les guides dont nous parlons ne sont pas simplement des gens qui savent les chemins (car, pour cela, les premiers venus, des paysans suffiraient), mais il leur faut, en outre, être en état de diriger les mouvements de l’armée au passage des déifiés, de prévoir et de connaître les dimensions des camps, ainsi que les lieux qui seront propres à les établir, comme étant abondamment pourvus d’eau et tels qu’on ne puisse jamais s’y trouver bloqué. [Enfin ils doivent posséder une connaissance exacte de la position du pays de l’ennemi: l’armée y étant conduite par eux, fera du butin et des prisonniers].

Il faut avoir aussi de nombreux et bons éclaireurs, de ceux qui sont connus chez le peuple du Levant (c.-à-d. les Arméniens) sous le nom de Ptrapésites. On les envoie sans cesse sur le territoire ennemi, les uns d’un côté, les autres de l’autre, pour y enlever des prisonniers dans le but d’être exactement renseigné par leur moyen sur les desseins de l’adversaire, d’apprendre s’il rassemble ses troupes, si des alliés viennent à son secours, en un mot, de n’ignorer rien de ce qui se prépare.

Les espions proprement dits rendent, eux aussi, les plus grands services. Ils vont dans le pays de l’ennemi, s’enquièrent exactement de tout et en instruisent ceux qui les ont envoyés. Le lieutenant général des armées de terre, ainsi que les généraux des armées frontières, doivent entretenir des espions non seulement chez les Bulgares, mais aussi chez les autres nations avoisinantes, en Patzinaquie, en Turquie, eu Russie, pour que rien, dans les projets de ces peuples, ne nous reste inconnu.

Parfois ceux des ennemis qui ont été faits prisonniers avec femmes et enfants peuvent être plus utiles eux-mêmes que les espions ordinaires. Les généraux, après s’être engagés à leur donner la liberté, ainsi qu’à leurs femmes et à leurs enfants, les envoient espionner. Ils observent comment tout va chez leurs compatriotes, reviennent et rapportent fidèlement ce qui en est.