PALLADIUS
DE L'ÉCONOMIE
RURALE
LIVRE V.
AVRIL.
De la
luzerne.
I. Au mois de mai, semez, comme nous
l'avons dit, la luzerne sur des planches préparées. Une fois semée,
elle dure dix ans. On peut la couper quatre ou six fois l'an. Elle
fume les terres, engraisse les animaux maigres, et guérit ceux qui
sont malades. Un arpent de luzerne fournit abondamment toute une
année à la nourriture de trois chevaux. Un cyathe de cette graine
suffit pour ensemencer un espace de cinq pieds de large sur dix de
long. On la recouvre, dès qu'elle est semée, avec de petits râteaux
de bois; car le soleil la brûlerait à l'instant. L'ensemencement
achevé, au lieu d'en approcher le fer, on la délivrera souvent des
mauvaises herbes avec des râteaux de bois, afin qu'elle n'en soit
pas étouffée lorsqu'elle est encore tendre.
La première coupe se fait tard, pour
que la luzerne répande un peu de graine; mais on peut faire les
autres aussi promptement qu'on voudra, et les donner aux bestiaux.
Il ne faut pas cependant les saturer de nouveau fourrage, parce
qu'il les gonfle et leur fait beaucoup de sang. Quand la luzerne
sera coupée, arrosez-la souvent. Quelques jours après, quand elle
commencera à pousser, arrachez toutes les autres herbes : de cette
manière, vous en ferez six récoltes par an, el elle pourra se
conserver pendant dix années consécutives.
Des
oliviers et des vignes.
II. C'est à présent qu'on greffe
l'olivier dans les climats tempérés. On le greffe entre l'écorce,
ainsi que les arbres fruitiers, comme je l'ai dit ci-dessus. Pour le
greffer sur un olivier sauvage, et empêcher qu'un rejeton
infructueux ne provienne d'un olivier franc déjà greffé et brûlé par
accident, voici ce qu'il faudra faire : Mettez d'abord des branches
d'olivier sauvage dans la fosse où vous vous proposez de les
greffer; remplissez ensuite les fosses jusqu'à moitié. Lorsque
l'olivier sauvage aura pris, vous le grefferez au bas, ou vous le
planterez tout greffé; vous entretiendrez la greffe un peu
au-dessous du sol, et vous entasserez de la terre à mesure qu'il
croîtra. La commissure de la greffe se trouvant ainsi enterrée, si
on brûle ou si on coupe l'olivier, on ne l'empêche pas de se
reproduire, parce qu'au privilège patent de repousser qu'il tient de
l'olivier franc, il joindra secrètement la vigoureuse fécondité de
l'olivier sauvage auquel il sera uni. Quelques-uns greffent les
oliviers dans leurs racines, les déterrent quand ils ont pris, avec
une partie de ces racines, et les transplantent comme des pieds
d'arbres. Les Grecs veulent qu'on greffe l'olivier depuis le
huitième jour des calendes d'avril jusqu'au troisième des nones de
juillet. Cette opération a lieu plus tard dans les pays froids, et
plus tôt dans les pays chauds.
On achèvera maintenant de fouir les
vignes avant les ides d'avril dans les pays très froids, et l'on
terminera ce qui restait à faire dans le mois de mars. On greffera
aussi les vignes. On purgera des mauvaises herbes les pépinières
formées précédemment, et on fouira légèrement le pied des arbres. On
sème à présent le millet et le panic dans les lieux médiocrement
secs. Passé les ides de ce mois, on laboure les terrains gras et
ceux qui retiennent longtemps l'eau, parce qu'ils ont produit toutes
leurs herbes, et que la graine de ces herbes n'est pas encore
affermie par la maturité.
Des
jardins.
III. C'est aussi à la fin de ce mois,
et presque à l'issue du printemps, qu'on peut semer les choux pour
les cultiver sur tige, parce que le temps des tendrons est passé.
Il est bon de semer à présent l'ache
dans les pays froids ou chauds, en quelque terrain que ce soit,
pourvu qu'il ne manque jamais d'eau, quoique, au besoin, l'ache
s'accommode d'un sol aride, et qu'on puisse la semer tous les mois,
depuis l'ouverture du printemps jusqu'à la fin de l'automne.
On range dans la classe de l'ache le
maceron, qui est cependant plus dur et plus amer, ainsi que l'ache
de marais, à la feuille molle et à la tige tendre, qui vient dans
les mares d’eau, et le persil sauvage qui se plaît dans un sol
rocailleux. Les amateurs peuvent se procurer toutes ces espèces.
Pour avoir de l'ache de grande espèce, renfermez dans un linge clair
une pincée de graines, et mettez-la dans une petite fosse ; alors
les germes de toutes ces graines formeront ensemble une seule tête
solide. Pour que l'ache soit crépue, battez les graines auparavant,
ou roulez quelque poids sur les planches où elles naissent, ou
foulez-les quand elles sont levées. La graine d'ache vient plus tôt
quand elle est vieille, et plus tard quand elle est nouvelle.
Si vous pouvez l'arroser, semez
l'arroche ce mois-ci, en juillet et dans tous les autres mois
jusqu'en automne. Elle aime à être constamment saturée d’eau.
Couvrez-en la graine dès qu'elle est semée. De temps en temps
délivrez-la des mauvaises herbes. Il n'est pas nécessaire de la
transplanter quand elle est bien semée; néanmoins elle croît mieux
lorsqu'on la sème clair, et qu'on lui prodigue l'eau et le fumier.
En la coupant toujours avec le fer, elle ne cessera pas de
repousser.
Semez à présent le basilic, Il vient
promptement, diton, quand on l'arrose d'eau chaude immédiatement
après l'avoir semé. Un phénomène qu'atteste Martialis, c'est qu'il
produit tour à tour des fleurs pourprées, blanches, roses, et que,
si on sème souvent la graine de ces fleurs, il se change tantôt en
serpolet, tantôt en sisymbre.
Semez encore, à cette époque, les
melons, les concombres, les poireaux. Plantez, au commencement du
mois, les câpriers, le serpolet et les pieds de colocasie. Semez
aussi la laitue, la poirée, la ciboule, la coriandre; la chicorée
une seconde fois, pour la manger en été; les courges et la menthe,
soit en racines, soit en pieds.
Du
jujubier.
IV. On plante le jujubier en avril
dans les pays chauds, et en juin dans les pays froids. Il aime un
terrain chaud et exposé au soleil. On peut en semer les noyaux: le
planter en bouture ou en pied. Il croit très lentement. Lorsqu'on le
plante en pied, il vaut mieux le faire au mois de mars, dans une
terre molle. Si l'on en sème les noyaux, on en doit mettre trois
ensemble, la pointe en bas, dans une fosse d'un palme; on répand du
fumier et de la cendre au fond de la fosse et à la surface, et dès
que la tige est levée, on arrache avec la main les herbes qui
croissent autour d'elle. Lorsqu'elle est de la grosseur du pouce, on
la transplante dans un terrain remué avec la houe, ou dans une
fosse. Le jujubier se plaît dans une terre médiocrement fertile,
légère et presque maigre. En hiver, il se trouve bien d'un amas de
pierres qu'on entasse autour du tronc, et qu'on retire en été, s'il
languit, on le ravive en le frottant avec une étrille de fer, ou en
mettant avec ménagement et à plusieurs reprises de la bouse de vache
sur ses racines. On cueille les jujubes quand elles sont mûres, et
on les garde dans un long vase de terre cuite, qu'on bouche et qu'on
dépose dans un lieu sec; ou bien, dès qu'elles sont cueillies, on
les arrose de quelques gouttes de vin vieux, afin de les empêcher de
se rider. On les conserve également sur leurs branches coupées, ou
en les enveloppant de leurs feuilles et en les tenant suspendues.
Du
grenadier, du figuier, du citronnier et du palmier.
V. C'est encore dans ce mois qu'on
plante et qu'on greffe les grenadiers dans les climats tempérés,
d'après la méthode que j'ai prescrite. On peut, vers les calendes de
mai, écussonner le pêcher comme le figuier, de la manière que j'ai
indiquée en parlant de la greffe de ce dernier arbre. On greffe, ce
mois-ci, le citronnier dans les pays chauds, ainsi que je l'ai dit
plus haut. A cette époque, on dispose les plants de figuier dans les
pays froids, en se conformant aux préceptes que j'ai donnés. C'est
aussi maintenant qu'on greffe le figuier en fente ou sous l'écorce,
comme je l'ai recommandé ci-dessus, et en écusson clans les pays
secs. On plante à présent, dans les climats chauds et exposés au
soleil, les pieds de palmiers qu'on nomme céphalons. On pourra, ce
mois-ci, greffer le cormier sur lui-même, sur le cognassier et sur
l'aubépine.
De
l'huile et du vin de violettes.
VI. Mêlez ensemble autant d'onces de
violettes que de livres d'huile, et laissez à l'air ce mélange
durant quarante jours. Versez ensuite sur cinq livres de violettes
dégagées de toute humidité, dix setiers de vin vieux, et, trente
jours après, édulcorez le tout avec dix livres de miel.
Des
veaux, des béliers et des agneaux.
VII. Les veaux naissent communément ce
mois-ci. N'épargnez pas le fourrage aux mères, afin qu'elles
puissent suffire à la tâche qu'on leur impose, et allaiter leurs
petits. Donnez aux veaux, comme médicament salivaire, un mélange de
lait et de millet grillé en poudre. C'est à présent qu'il faut
tondre les brebis dans les pays chauds, et marquer les agneaux
tardifs. C'est à présent aussi que les béliers doivent saillir pour
la première fois. Cet accouplement est le meilleur, parce que les
agneaux sont déjà forts quand l'hiver arrive.
Des
abeilles.
VIII. Vous chercherez, ce mois-ci, des
abeilles dans des lieux exposés au soleil. Elles indiquent
elles-mêmes les cantons qui leur conviennent en butinant sans cesse
près des fontaines. Si l'on n'en voit qu'un petit nombre, c'est que
l'endroit n'est pas favorable à leur travail ; mais si elles
viennent en foule s'y rafraîchir, on pourra découvrir leurs essaims.
Voici comment.
Pour vous assurer d'abord de la
distance où ils se trouvent, portez un petit pot rempli de terre
rouge délayée; puis, après avoir examiné les fontaines ou les eaux
voisines, touchez le dos des abeilles qui viendront y boire avec un
brin de paille trempée dans cette liqueur, et restez là tranquille.
Si celles que vous aurez teintes reviennent promptement, vous saurez
que leur établissement est dans le voisinage; si elles tardent, il
sera plus éloigné, et vous jugerez de sa distance par le temps
qu'elles mettront à revenir. Il est aisé de découvrir celles qui
habitent le voisinage; vous trouverez de la manière suivante celles
qui logent plus loin.
Coupez un bout de roseau terminé par
un noeud à chaque extrémité; pratiquez sur le côté une ouverture par
laquelle vous introduirez un peu de miel ou de
defrutum et déposez-le près de la fontaine. Lorsque les
abeilles se seront rendues dans cet endroit, et qu'attirées par
l'odeur elles auront pénétré dans le roseau, vous en boucherez
l'ouverture avec le pouce, et vous ne laisserez sortir qu'une
abeille, dont vous suivrez la direction : elle vous indiquera le
côté où elle demeure. Dès que vous commencerez à la perdre de vue,
vous en lâcherez aussitôt une autre que vous suivrez de même: ainsi
lâchées successivement, elles vous conduiront jusqu'au lieu où est
l'essaim. Quelques-uns mettent près de l'eau un très petit pot de
miel. Lorsqu'une abeille goûte de ce miel en venant se rafraîchir,
et qu'elle regagne l'endroit où butinent ses compagnes, elle en
amène quelques-unes. La foule augmente successivement. On remarque
le côté par où elles s'en retournent, et on les suit jusqu'à
l'endroit où sont les essaims.
Si l'essaim est caché au fond d'un
trou, vous l'en chasserez à l'aide de la fumée; et, quand il sera
sorti, vous l'effrayerez par le son de l'airain, jusqu'à ce qu'il se
suspende à un arbrisseau ou à une branche d'arbre: alors vous lui
présenterez un vase où vous le recueillerez. S'il est sur la branche
d'un arbre creux, vous la couperez par le haut et par le bas avec
une scie très fine, vous l'envelopperez dans une étoffe propre, et
vous l'emporterez pour la placer parmi vos ruches.
C'est le matin qu'on cherche les
abeilles afin d'avoir toute la journée pour les suivre; car, le
soir, quand elles ont fini leur tâche, elles ne viennent plus
ordinairement se rafraîchir. Les vases où on les recueille seront
frottés de citronnelle ou d'herbes odoriférantes et arrosées d'un
peu de miel. En faisant cette opération au printemps, et en mettant
des vases ainsi parfumés près des fontaines, dans les endroits où se
rassemblent les abeilles, il s'en amassera une multitude qui s'y
rendront d'elles-mêmes, pourvu que les vases soient à l'abri des
voleurs.
C'est encore dans ce mois, comme dans
le précédent, qu'il faut nettoyer les ruches, et tuer les papillons
qui se multiplient surtout quand les mauves sont en fleur. Voici la
manière de s'en défaire: Placez, le soir, entre les ruches, un vase
de cuivre semblable à une chaudière de bain, c'est-à-dire haut et
resserré, avec une lumière au fond. Les papillons voltigeront, dans
ce vase étroit, autour de la flamme, où, en approchant de trop près,
ils ne manqueront pas de se brûler.
Des
heures.
IX. Les heures de ce mois
correspondent à celles du mois de septembre. En voici le tableau.
Ie |
et |
XIe |
heures |
XXIV |
pieds |
IIe |
et |
Xe |
heures |
XIV |
pieds |
IIIe |
et |
IXe |
heures |
X |
pieds |
IVe |
et |
VIIIe |
heures |
VII |
pieds |
Ve· |
et |
VIIe |
heures |
V |
pieds |
VIe |
|
|
heure |
IV |
pieds. |
|