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Palladius

 L'économie rurale de Palladius Rutilius Taurus Aemilianus
trad. nouvelle par M. Cabaret-Dupaty,...
C. L. F. Panckoucke, 1843.
Bibliothèque latine-française. Seconde série


 L'économie rurale

PALADIUS RUTILIUS TAURUS AEMILIANUS.

DE L'ÉCONOMIE RURALE

LIVRE I.

DES PRÉCEPTES AGRONOMIQUES.

Avant-propos.

I. LA première règle de goût est de proportionner ses leçons à la nature des esprits. Voulez-vous former un agriculteur, ne recourez pas, comme quelques-uns l'ont fait, aux fleurs de rhétorique et aux artifices oratoires. A quoi leur a servi d'étaler leur science devant des villageois ? ils n'ont même pas été compris des savants. Mais, pour ne pas imiter ceux que nous critiquons, bornons ici notre préambule. Nous allons traiter, avec l'aide des dieux, de tout ce qui concerne l'agriculture, des pâturages, des édifices rustiques, conformément aux préceptes de l'art, de la manière de découvrir l'eau, et en général de tout ce qu'un agriculteur doit faire ou entretenir dans chaque saison pour son avantage comme pour son agrément. Afin de suivre un ordre méthodique, je parlerai, mois par mois, de l'ensemble de l'économie rurale.

Des quatre choses nécessaires à l'agriculture.

II. Le choix et la culture d'un terrain exigent quatre choses : l'air, l'eau, la terre et le travail. Les trois premières dépendent de la nature ; l'autre, de nos moyens et de notre volonté:. Dans le choix du terrain que vous destinez à la culture, examinez avant tout si l'air est pur et doux, si l'eau est saine et abondante, qu'elle prenne sa source dans le lieu même, qu'elle y vienne d'ailleurs, ou qu'elle soit amassée par la pluie. Quant au sol, il doit être fertile et bien situé.

De la salubrité de l'air.

III. On juge que l'air d'un endroit est sain, lorsqu'il ne s'y trouve point de vallées profondes, ni de brouillards épais ; lorsqu'à l'aspect des habitants on remarque qu'ils ont le teint frais, la tête dégagée d'humeurs, la vue en bon état, l'ouïe nette, la voix pure et claire. Ces indices annoncent la salubrité de l'air ; les signes contraires sont une preuve que le climat en est pernicieux.

Des qualités que doit avoir l'eau.

IV. L'eau saine ne se tire ni des lacs, ni des marais, ni des mines. Elle doit être limpide, sans limon, sans odeur ni saveur, tiède en hiver et fraîche en été. Mais, comme des apparences spécieuses en dérobent ordinairement les défauts secrets, vous jugerez aussi de sa nature d'après la santé des habitants. Examinez s'ils ont la gorge libre, la tête saine, l'estomac et la poitrine exempts de maladies habituelles ou accidentelles ; [car les vices des organes supérieurs se communiquent souvent aux régions inférieures, en sorte que, après avoir attaqué la tête, le principe d'une maladie se porte sur la poitrine ou sur l'estomac ; dans ce cas, c'est plutôt à l'air qu'il faut s'en prendre.] Examinez ensuite si leur ventre, leurs entrailles, leurs flancs ou leurs reins n'éprouvent ni douleurs ni gonflement, et s'ils n'ont aucune affection de vessie. Dès que vous aurez constaté ces faits et d'autres semblables chez la plupart des habitants, vous n'aurez rien à craindre ni de l'air ni de l'eau. 

De la nature du terrain.

V. Quant à la nature du sol, attachez-vous à sa fécondité. Point de mottes blanches et nues, ni de sablon ingrat sans parties terreuses ; point d'argile pure ni de gravier sec, point de sable maigre, ni de poussière jaune aussi stérile que le roc ; point de terre salée, amère ou fangeuse; point de tuf sablonneux et aride, ni de vallon sombre et pierreux. Choisissez un terrain meuble et presque noir, qui se revête naturellement de gazon, ou un terrain léger et d'une couleur mixte, qui prendra de la consistance à l'aide d'une terre grasse. Les produits n'en doivent être ni galeux, ni rabougris, ni privés de sucs naturels. Il sera propre aux blés, s'il est couvert d'hièble, de joncs, de roseaux, de gazon, de trèfle vigoureux, de buissons bien fournis et de pruniers sauvages.
Cependant attachez-vous moins à la couleur qu'à la douceur et à la fécondité. On reconnaît qu'une terre est grasse, lorsque ses molécules délayées et pétries dans l'eau douce sont adhérentes et glutineuses. On peut encore s'en assurer en creusant un fossé et en le remplissant : si la terre dépasse le niveau du sol, elle est grasse ; si elle s'enfonce, elle est maigre ; si elle reprend son niveau, elle est médiocre. Pour connaître si une terre est douce, détrempez-en une motte de la partie la plus ingrate dans un vase d'argile rempli d'eau, et goûtez-la. Vous la jugerez de même propre à la vigne, si elle est assez légère de corps et de couleur pour se résoudre aisément en poussière ; si les arbustes qu'elle produit sont lisses, polis, élancés, féconds, comme les poiriers sauvages, les prunelliers, les ronces, et d'autres de la même espèce ; s'ils n'ont point de branches tortues, stériles ou desséchées de maigreur.

Que votre terrain ne soit pas trop plat ; les eaux y séjourneraient ; escarpé, elles l'effleureraient à peine ; trop bas, elles s'y amasseraient au fond d'un vallon ; trop élevé il serait constamment exposé aux mauvais temps et aux ardeurs du soleil. Préférez un sol qui tienne le juste milieu, une campagne découverte, dont la pente insensible laisse écouler les eaux du ciel ; un coteau dont les flancs soient mollement inclinés ; une vallée peu profonde, où l'air circule librement ; une montagne protégée par la cime d'une autre, et à l'abri des vents importuns, ou qu'au moins cette montagne compense sa hauteur et son âpreté par sa richesse en herbe et en bois.

Comme il y a plusieurs espèces de terres, des terres grasses ou maigres, compactes ou légères, sèches ou humides, et, parmi celles-ci, plusieurs terres vicieuses, mais souvent nécessaires à cause de 1a diversité des semences, faites choix, avant tout, ainsi que je l'ai dit plus haut, d'un terrain gras et friable, qui coûte peu de peine et donne beaucoup de fruits. Mettez dans la seconde classe le terrain compacte, qui exige sans doute beaucoup de travail, mais qui répond aux espérances de l'agriculteur. Le pire de tous est le terrain à la fois sec et compact, maigre et froid. Fuyez-le comme s'il était frappé de la peste.

Du travail. Maximes agronomiques.

VI. Quand vous aurez mûrement examiné ce qui est du ressort de la nature et indépendant des soins de l'homme, occupez-vous de la partie qui est dévolue au travail ; et, dans ce but, il importe essentiellement que vous graviez dans votre mémoire les maximes suivantes qui embrassent tout le système des opérations rustiques.

« La présence du propriétaire améliore un champ.

« Ne tiens pas trop à la couleur du sol, parce qu'elle n'est pas une preuve sûre de sa bonté.

« Ne confie à la terre que les plus belles espèces de grains et d'arbrisseaux déjà éprouvées dans tes domaines ; défie-toi des autres, avant d'en avoir fait l'essai.

« Les semences dégénèrent plus vite dans les lieux humides que dans les lieux secs ; on prévient cet inconvénient en choisissant bien sa terre.

« Il est indispensable d'avoir à soi des forgerons, des charpentiers et des artisans pour travailler aux futailles et aux cuves, afin que les paysans ne soient pas détournés de leur besogne ordinaire par la nécessité de recourir à la ville.

« Dans les pays froids, plante la vigne au midi ; dans les pays chauds, au nord ; dans les pays tempérés, au levant, ou, s'il est nécessaire, au couchant.

« On ne peut fixer la mesure du travail dans une si grande diversité de terroirs. La culture habituelle du sol dans telle ou telle province t'apprendra aisément le nombre de jours que demandent les plantations ou les semailles.

« Ne touche jamais à rien de ce qui est en fleur.

« Il est impossible de bien choisir ce qu'on doit semer, si la personne chargée de ce soin ne le choisit elle-même.

« Dans les travaux des champs le service est l'affaire des jeunes gens, le commandement celle des vieillards.

« Trois choses sont à considérer dans la taille des vignes : l'espérance du fruit, le bois qui doit remplacer celui qu'on retranche, et l'endroit du cep où l'on veut qu'il repousse.
« En taillant la vigne de bonne heure, on aura plus de sarments ; en la taillant plus tard, on aura plus de fruits.

« Ainsi que les arbres, les vignes doivent être transplantées d'un méchant terrain sur un sol meilleur.

«Taille de près ta vigne, si la vendange a été bonne, et, de moins près, si elle a été médiocre.

« Pour greffer, émonder on couper, emploie des outils solides et tranchants. 

« Achève de soigner ta vigne et tes arbres avant l'épanouissement des bourgeons et des fleurs.

« Dans les vignobles, la houe doit compléter l'œuvre de la charrue.

« Il ne faut pas épamprer la vigne dans les lieux chauds, secs et bien exposés ; elle demande plutôt à s'y couvrir de feuilles.

« Si le vulturne ou quelque souffle ennemi dessèche tes vignes, couvre-les de chaume ou de quelque autre abri.

« Une branche d'olivier, rapprochée du tronc quand elle est verte, vigoureuse ou stérile, doit être retranchée comme le fléau de l'arbre entier.

« Fuis la stérilité comme la peste.

« Dans un terrain façonné, ne mets absolument rien entre les jeunes plants de vigne.

« Suivant les Grecs, un terrain peut, de trois en trois ans, tout recevoir, excepté des choux.

« Tous les légumes, selon les auteurs grecs, doivent être semés dans une terre sèche ; la fève seule demande de l'humidité.

« Affermer sa métairie ou son champ à un maître ou à un cultivateur qui a des propriétés voisines, c'est s'exposer à des pertes ou à des procès.

« Le milieu d'un champ court des risques, si l'on n'en cultive pas les extrémités.

« Tous les blés semés trois fois dans un sol humide, deviennent une espèce de fleur de froment.

« Trois fléaux sont également funestes : la stérilité, la maladie et le voisin.

« Couvrir de vignes un terrain stérile, c'est nuire et à son travail et à sa bourse.

« Les plaines produisent plus de vin ; les coteaux, un vin de meilleure qualité.

« L'aquilon féconde les vignes, l'autan leur donne de la qualité. Il dépend donc de nous d'avoir du vin bon où abondant. 

« La nécessité ne connaît point de fêtes.

« On sème quand la terre est humide ; cependant, après une longue sécheresse, les semailles hersées se conservent plus sûrement dans la terre que dans les greniers.

« Les mauvais chemins ne sont pas moins contraires à l'agréable qu'à l'utile.

« L'homme qui se charge de la culture d'un champ, s'engage, sans aucun espoir d'acquittement, envers un créancier qui l'accable de redevances.

« Quiconque, en labourant, laisse entre des sillons une partie du sol en friche, diminue sa récolte et fait dégénérer la fertilité de sa terre.

« Un petit fonds bien cultivé rapporte plus qu'un grand domaine négligé.

« Renonce entièrement aux raisins noirs, à moins que tu ne veuilles, comme dans les provinces, en faire du râpé.

« De longs échalas secondent le développement de la vigne.

« Quand la vigne est jeune et verte, n'y porte pas le tranchant de l'acier.

« L'incision d'un sarment doit toujours épargner le bourgeon, de peur que la larme qui en découle ordinairement ne fasse périr le cep.

« L'émondeur proportionnera la coupe des sarments à la faiblesse ou à la vigueur des souches.

« Une terre profonde, suivant les Grecs, donne aux oliviers une taille extraordinaire et des fruits grêles, aqueux, tardifs, avec un goût de marc d'huile.

« L'olivier aime la chaleur et le souffle caressant des doux zéphyrs.

« Assouplis par degrés la vigne dont tu veux faire une treille ; qu'elle s'élève de quatre pieds dans les terrains les plus contraires, et de sept dans les plus favorables.

« Un jardin exposé à une douce température et arrosé par une source d'eau vive, peut, en quelque sorte, se passer de soins et de culture.

« Il faut lier les grappes de raisin quand elles sont vertes ; on ne risque pas alors d'en faire tomber les grains ou de les écraser.

« Attache toujours tes vignes dans un endroit différent, de crainte que le frottement continu des liens ne finisse par user le sarment.

« Fouir la terre quand les yeux de la vigne sont ouverts, c'est détruire l'espoir d'une belle vendange ; ne la remue donc que lorsqu'ils sont fermés.

« Si ta terre doit recevoir du grain, creuse-la de deux pieds pour qu'elle soit fertile ; les arbres et les vignes en exigent deux de plus.

« Une jeune vigne croît aisément, quand on lui prodigue des soins assidus ; elle meurt aussi promptement, quand on la néglige.

« Avant de te charger de la culture d'une terre, consulte tes moyens, dans la crainte que son étendue ne dépasse ta fortune, et que tu ne sois obligé d'abandonner honteusement une entreprise téméraire.

« Les semences ne doivent pas avoir plus d'un an. Trop vieilles, elles pourrissent et ne sortent point de terre.

« Le blé des coteaux donne sans doute des grains plus gros, mais en moindre quantité.

« Fais toutes tes semailles à la nouvelle lune et dans les jouis tempérés ; car une douce chaleur fait lever les semences, tandis que le froid les tue.

« Si tu as un champ couvert d'inutiles forêts, mets en jachères les parties grasses du terrain, et abandonne aux arbres les parties stériles. Les premières répondront à tes vœux par leur fertilité ; les secondes s'engraisseront au moyen du feu. Tu laisseras celles-ci chômer pendant cinq ans, et la portion du sol jadis stérile rivalisera avec celle qui était naturellement féconde.

« Les Grecs veulent que l'olive soit plantée et recueillie par des enfants purs et des vierges, sans doute parce que l'olivier est le symbole de la chasteté.

« Il est inutile de rien prescrire sur les noms des blés, qui varient suivant les temps et les lieux. II suffit de choisir ceux qui tiennent le premier rang dans le pays qu'on habite, ou d'éprouver ceux qu'on tire d'ailleurs.

« Coupe le lupin et la vesce pendant qu'ils sont verts, et promène immédiatement après la charrue sur leurs racines ; elles engraisseront tes champs comme du fumier. Si tu les laisses sécher avant la coupe, elles perdront tout leur suc.

« Un sol humide demande plus de fumier qu'un terrain sec.

« Hâte-toi de donner à la vigne tous les soins qu'elle exige dans les endroits découverts, chauds, secs, plats et voisins de la mer ; dans les lieux froids, humides, couverts, montagneux, situés au milieu des terres, mets-toi plus tard à la besogne. Ce conseil regarde non seulement les mois et les jours, il s'étend encore aux heures de travail.

« Tous les travaux de la campagne peuvent être faits quinze jours avant ou quinze jours après l'époque fixée ; ce n'est ni trop tôt ni trop tard.

« Les blés aiment une campagne étendue, découverte, et dont la pente est tournée au levant.

« Une terre compacte, argileuse et humide nourrit bien le blé et le froment.

« L'orge se plaît dans un terrain meuble et sec ; elle meurt dans un terrain fangeux.

« Les semailles trimestrielles conviennent aux lieux froids et couverts de neige, où l'été est humide ; rarement elles prospèrent ailleurs.

« L'ensemencement trimestriel réussit mieux dans les climats tempérés, lorsqu'on le fait en automne.

« Si tu es réduit à tirer quelque parti d'une terre salée, il faut y faire des plantations ou l'ensemencer à la fin de l'automne, afin que son amertume disparaisse avec les pluies d'hiver. Tu devras y ajouter aussi un peu de terre douce ou de sable de rivière, si tu lui confies des arbrisseaux.

« N'établis de pépinière que dans un terrain médiocre ; tu transporteras ensuite tes plants dans un sol plus fertile.

« Les pierres qu'on laisse sur la terre sont glacées en hiver et brûlantes en été ; aussi nuisent-elles aux grains, aux arbustes et aux vignes.

« La terre qu'on remue autour des arbres doit être retournée sens dessus dessous.
« Pour activer la végétation des arbres, on les entoure de couches successives de terre et de fumier ; cette double opération produit un résultat parfait.

« Ne mets pas à la tête de ton domaine un de tes esclaves favoris, élevés au milieu des caresses : la confiance qu'inspire une ancienne affection autorise le coupable à compter sur l'impunité."

Un choix et de l'exposition du terrain.

VII. Lorsque vous voudrez choisir ou acquérir une terre, examinez si la négligence de ceux qui la cultivent n'en a pas altéré la fécondité naturelle, ni fait dégénérer la richesse et la vigueur de ses produits. Quoiqu'on puisse corriger ce défaut par la greffe, il est plus avantageux d'exploiter un sol qui n'a pas souffert, que d'être réduit à attendre les fruits tardifs d'une terre amendée. En semant d'autres blés, il vous sera facile de réparer le vice des précédents. Il n'en est pas de même des vignes. Évitez soigneusement la faute de ceux qui, n'aspirant qu'à la réputation de posséder plus de terrain façonné que les autres, ont couvert le sol de souches stériles ou de mauvais fruits. Acheter une terre plantée de la sorte, ce serait se condamner à d'innombrables travaux pour la rendre fertile.

Voici quelle doit être l'exposition du terrain que vous voulez choisir. Dans les climats froids, il regardera le midi ou le levant. Si ces deux points étaient masqués par une montagne, il serait glacé de froid ; au nord, il ne verrait point le soleil ; au couchant, il en jouirait trop tard. Au contraire, dans les climats chauds, préférez le côté du nord, comme le meilleur, le plus agréable et le plus sain. S'il y a une rivière voisine de l'endroit où vous voulez placer vos constructions, examinez-en la nature, parce que souvent il en sort des exhalaisons funestes ; dans ce cas, il faut vous en écarter pour bâtir. Évitez les marais à tout prix, surtout ceux qui sont au midi ou au couchant, et qui se dessèchent en été : ils corrompent l'air et engendrent des animaux nuisibles.

Du bâtiment.

VIII. Proportionnez vos constructions à la valeur du fonds et à l'état de votre fortune. Quand on bâtit sur une trop vaste échelle, l'entretien coûte souvent plus que l'édifice. Calculez donc les dimensions du bâtiment de manière que, s'il éprouve quelque accident, un ou deux ans au plus du revenu de la terre où il se trouve, suffisent pour le réparer. Le maître-logis occupera un terrain un peu plus élevé et plus sec que les autres parties, afin que les fondations en soient plus solides et la vue plus riante. Élargissez chaque côté de ses fondations d'un demi-pied de plus que le mur qu'elles doivent porter. Si vous rencontrez le roc ou le tuf, vous les creuserez simplement d'un ou de deux pieds. Si le fond est une argile ferme ou compacte, vous leur donnerez en profondeur la cinquième on la sixième partie de l'élévation totale que l'édifice doit avoir. Si le terrain est trop mou, vous les enterrerez davantage, jusqu'à ce que vous découvriez la pure argile qui ne présente aucun vestige de décombres. Si vous ne la trouvez point, vous les creuserez proportionnellement au quart de la hauteur du bâtiment.

De plus, ayez soin que votre construction puisse être entourée de jardins, de vergers ou de prairies. La façade doit, dans toute sa longueur, regarder le midi, de sorte qu'en hiver un de ses angles voie le soleil levant, et qu'elle se détourne un peu du couchant. Ainsi, bien éclairé dans la saison des frimas, le bâtiment sera garanti de la chaleur en été.

Des appartements d'hiver et d'été, et des planchers.

IX. Le bâtiment doit avoir dans de petites dimensions des appartements d'été et des appartements d'hiver. Ceux-ci seront égayés par le soleil durant presque tout le temps qu'il paraîtra sur l'horizon. Ils auront des planchers convenables. Vous ferez d'abord en sorte que la charpente soit de niveau et solide, afin que personne ne l'ébranle en marchant. Ensuite vous prendrez garde de confondre les planches de chêne avec celles d'yeuse, parce que le chêne, quand l'humidité l'a pénétré, se déjette en séchant, et fait fendre les planchers, tandis que l'yeuse ne s'altère jamais. Si cependant vous n'avez que du chêne à votre disposition, vous le scierez en planches très minces, que vous mettrez sur deux rangées, l'une droite et l'autre transversale, en les fixant avec un grand nombre de clous.

Les planchers de hêtre ou de chêne appelés cerri ou farni, vous feront un très long usage, pourvu qu'une couche de paille ou de fougère empêche l'humidité de la chaux de pénétrer jusqu'au corps du plancher. Alors vous en établirez une autre composée de deux parties de pierres brisées et d'une partie de chaux. Lorsqu'elle aura six doigts d'épaisseur, et qu'elle sera nivelée, il faudra, pour les appartements d'hiver, la garnir de manière que les valets puissent s'y tenir même pieds nus, sans souffrir du froid. Après y avoir donc étendu du gravois et de la terre cuite, vous battrez bien ensemble du charbon, du sable, de la cendre et de la chaux, et vous en mettrez jusqu'à six pouces d'épaisseur. Lorsque le tout sera nivelé, vous aurez un sol noir qui boira sur-le-champ les liquides tombés des vases.

Quant aux appartements d'été, ils doivent regarder le nord-est, et être pavés, soit en terre cuite, comme je l'ai dit ci-dessus, soit en pièces de marbre de forme carrée ou en losanges dont les angles et les côtés, joints ensemble, présentent une surface polie. Si ces matériaux vous manquent, vous couvrirez le sol d'une couche utile de marbre pilé ou d'un enduit de sable et de chaux.

De la chaux et du sable.

X. De plus, quiconque fait bâtir doit se connaître en chaux et en sable. Il y a trois espèces de sables fossiles, le noir, le blanc et le rouge. Celui-ci est bien supérieur aux deux autres ; le blanc tient le second rang, le noir occupe le troisième. Le sable qui craque entre les mains convient aux ouvrages de maçonnerie. Il est également bon, si, répandu sur une étoffe ou un linge blanc, il ne laisse ni tache ni ordure après qu'on l'en a secoué.

Cependant, à défaut de sable fossile, on pourra se servir de celui de rivière ou de mer. Comme le sable de mer se sèche lentement, on ne l'emploiera pas tout de suite, mais on le laissera égoutter quelque temps pour qu'il n'endommage pas la maçonnerie en la surchargeant. Son humidité salée détache aussi les enduits des voûtes. Le sable fossile est bon pour le ciment des murailles et pour les voûtes, à cause de sa prompte dessiccation. Il est encore meilleur, si on le mêle à la chaux dès qu'il sort de terre ; car s'il reste longtemps exposé au soleil, à la gelée ou à la pluie, il ne vaut plus rien. Le sable de rivière convient mieux aux enduits ; néanmoins, si l'on est forcé d'employer du sable de mer, il sera bon de le plonger auparavant dans une mare d'eau douce qui le dépouillera de son sel.

Pour faire de la chaux, on cuira des pierres dures et blanches, des pierres de Tibur, des pierres colombines que fournissent les rivières, des pierres rouges, des pierres ponces ou du marbre commun. La chaux faite avec des pierres dures et compactes est propre aux bâtisses ; celle qui provient des pierres molles et spongieuses convient mieux aux enduits. Il faut toujours mettre une partie de chaux sur deux de sable. En mêlant au sable de rivière un tiers de ciment, on donnera aux constructions une admirable solidité.

Des murs en briques.

XI. Si vous voulez que les murailles du maître-logis soient en briques, ayez soin lorsqu'elles seront achevées, d'élever sur la partie supérieure que dominera la charpente, une maçonnerie en terre cuite d'un pied et demi avec des corniches saillantes, afin que si les tuiles ou les gouttières viennent à se dégrader, la pluie ne s'infiltre pas dans le mur. Ensuite, attendez que vos murailles soient sèches et raboteuses avant de les revêtir d'un crépi ; il ne tiendrait pas, si elles étaient humides et lisses. Vous les enduirez donc jusqu'à trois fois, afin que le dernier crépi n'éprouve aucune altération. 

Des jours et de la hauteur du bâtiment.

XII. Une maison rustique veut, avant tout, être bien éclairée ; ensuite, comme je l'ai dit, les appartements, distribués d'après les saisons, devront correspondre aux points cardinaux, c'est-à-dire celui d'été au nord, celui d'hiver au midi, celui du printemps et d'automne au levant. Pour les salles à manger et les chambres à coucher, il faut avoir soin d'additionner leur largeur et leur longueur, et de prendre la moitié de la somme pour en fixer l'élévation.

Des voûtes et des claies de jonc.

XIII. Le meilleur moyen pour construire les voûtes dans les bâtiments rustiques, est d'employer les matières que la métairie fournit aisément. On se servira de planches ou de roseaux de la manière suivante : on posera horizontalement, dans le lieu où l'on doit élever la voûte, des solives en bois des Gaules ou de cyprès d'une égale dimension, à un pied et demi les unes des autres ; ensuite, avec des liens de genévrier, d'olivier, de buis ou de cyprès, il faudra les cintrer vers la charpente, et y attacher deux perches en traverse au moyen de cordes de joncs. On étendra par dessous une claie à mailles serrées avec des cannes de marais, ou d'autres plus grosses dont on fait usage après les avoir aplaties. Quand cette claie sera attachée dans toute son étendue aux solives et aux perches, on la couvrira d'abord d'un enduit de pierre-ponce qu'on unira avec la truelle afin de resserrer les cannes; puis on nivellera le tout avec du mortier ; et enfin, en y étendant un mélange de poudre de marbre broyé et de chaux, on polira cet enduit jusqu'à ce qu'on lui ait donné le plus beau lustre.

Des ouvrages en stuc.

XIV. Souvent aussi on aime les voûtes en stuc. On fait, entrer dans cette composition de la chaux éteinte depuis longtemps. La chaux, pour être bonne, doit pouvoir être taillée, comme le bois, avec une hache. Si le tranchant de l'outil ne rencontre aucun obstacle, si les parties qui s'y attachent sont molles et visqueuses, la chaux convient à ces sortes d'ouvrages.

Des crépis.

XV. Pour rendre le crépi des murailles solide et brillant, on passera souvent la truelle sur la première couche ; quand cette couche sera sèche, on en mettra une seconde, puis une troisième ; ensuite on les recrépira à la truelle avec de la poudre de marbre qui aura été remuée jusqu'à ce qu'elle ne tienne plus à la gâche. Lorsque cette couche de marbre commencera à sécher, on la recouvrira d'une autre couche de poudre plus fine, afin de conserver au mur sa solidité et son éclat.

Il faut éviter de bâtir au fond des vallées.

XVI. N'allez pas, à l'exemple d'un grand nombre de gens, pour avoir de l'eau à votre disposition, engloutir votre métairie au fond d'une vallée, et sacrifier la santé de ceux qui l'habitent à un agrément éphémère, surtout si le canton où vous êtes est sujet à des maladies pendant l'été. Manque-t-il de puits oui de fontaines, faites des citernes où vous conduirez l'eau de tous les toits. Voici comment on les construit.

Des citernes.

XVII. Proportionnez la grandeur des citernes à vos goûts et à vos moyens ; qu'elles soient plus longues que larges, et closes de murs solides. Sauf la place des égouts, raffermissez le sol par une couche épaisse de blocaille, que vous unirez au moyen d'un mortier de terre cuite. Polissez soigneusement ce fond jusqu'à ce qu'il reluise, et, à cet effet, frottez-le sans cesse avec du lard bouilli. Dès que l'humidité aura disparu, pour éviter toute crevasse, vous tapisserez les parois d'une couche pareille ; et quand la citerne sera ferme et sèche depuis longtemps, vous y introduirez l'eau à demeure. Il sera bon de nourrir dans ce réservoir des anguilles et des poissons de rivière, afin que leur mouvement l'anime en lui donnant l'aspect d'une eau courante. Si l'enduit du sol ou des murailles se dégrade en quelque endroit, vous contiendrez avec du malte l'eau qui cherche à s'enfuir.

Pour boucher les crevasses et les cavités des citernes, des lacs ou des puits, et arrêter le suintement de l'humidité à travers les pierres, vous pouvez prendre une quantité égale de poix liquide et de graisse connue sous le nom de suif ou de cambouis. Faites-les bouillir ensemble dans une marmite jusqu'à ce qu'ils écument ; ensuite retirez-les du feu. Quand ce mélange sera refroidi, jetez-y quelques pincées de chaux, et brouillez-le bien pour en faire un seul tout. Puis appliquez-le comme du mastic sur les parties dégradées qui livrent passage à l'eau, et faites-le adhérer au moyen d'une forte pression. Il sera bon d'amener l'eau par des tuyaux d'argile, et de tenir les citernes closes ; car l'eau du ciel est la meilleure à boire, et quand vous pourriez employer l'eau courante, si elle n'était point saine, il faudrait la réserver pour les lavoirs et la culture des jardins.

De la cave.

XVIII. La cave doit regarder le nord, être fraîche, sombre, éloignée des eaux courantes, des citernes, des bains, des fours, des étables, des fumiers et des lieux infects. Elle sera pourvue de tous les vaisseaux nécessaires pour suffire à la vendange. Disposée en forme de basilique, elle aura, entre deux bassins destinés à recevoir le vin, un pressoir élevé sur une estrade à laquelle on arrivera par trois ou quatre marches. Des canaux de maçonnerie ou des tuyaux d'argile partiront de ces bassins, et conduiront le vin, à travers des ouvertures pratiquées au pied des murs, dans des futailles qui y seront adossées. Si l'on a une grande quantité de vin, on mettra les cuves au centre, et, pour qu'elles ne gênent point le passage, on les exhaussera sur de petites bases ou sur des futailles enfoncées dans le sol à une assez grande distance les unes des autres, afin que le garçon de cave puisse, au besoin, en approcher librement. Si, au contraire, on destine un emplacement séparé aux cuves, il sera, comme le pressoir, élevé sur de petites estrades, et consolidé par un enduit de terre cuite, afin que si une cuve vient à fuir sans qu'on s'en aperçoive, le vin ne se perde pas, mais soit reçu dans le bassin de dessous.

Du grenier.

XIX. Le grenier demande aussi à être exposé au nord. Situé dans la partie supérieure du bâtiment, il doit être froid, sec, aéré, à l'abri de toute humidité, loin du fumier et des étables. Il sera construit assez solidement pour qu'il ne puisse pas se crevasser. Vous couvrirez donc le sol entier de briques de deux pieds ou d'une moindre dimension, posées sur une couche de mortier de terre cuite. Si vous comptez sur une abondante récolte, vous ferez des magasins particuliers pour chaque espèce de grains; si la nature de votre terre promet peu, vous séparerez les grains par des claies, ou vous renfermerez votre mince récolte dans de petits paniers d'osier. Quand vos greniers seront faits, vous enduirez les parois d'un mélange de boue et de marc d'huile ; vous y ajouterez, au lieu de paille, des feuilles d'olivier sauvage aux fruits secs, ou d'olivier franc. Dès que cet enduit sera sec, vous le revêtirez d'une autre couche de marc d'huile, et vous, attendrez qu'elle soit sèche pour serrer votre blé. Cette précaution le garantira des charançons et des autres insectes nuisibles.

Quelques-uns, pour conserver le blé, y entremêlent des feuilles de coriandre. Le moyen le meilleur est de le transporter de l'aire dans un lieu voisin pour le rafraîchir pendant quelques jours, et de le renfermer ensuite au grenier. Columelle n'est pas d'avis qu'on évente le blé, parce qu'alors trop d'insectes se glissent dans le tas entier ; au lieu que, si on ne le remue point, ils s'arrêtent à la superficie, et n'y pénètrent pas à plus d'une palme de profondeur, en sorte qu'ils ne gâtent que cette espèce de croûte, et que le reste se conserve intact. Le même auteur assure qu'il ne peut pas s'y engendrer d'animaux nuisibles au delà de cette profondeur. La conyze sèche, étendue sur le blé, d'après les Grecs, en prolonge la durée. Au reste le vent du midi ne doit jamais donner sur les greniers.

Du cellier à huile.

XX. Le cellier à huile sera exposé au midi et protégé contre le froid, il recevra le jour par des pierres transparentes. Les frimas ne pourront ainsi arrêter aucun travail d'hiver, et la douceur de la température empêchera l'huile de geler quand on la pressera. C'est à l'usage qu'on est redevable de la forme des meules, des roulettes et de l'arbre du pressoir. Les vaisseaux seront toujours propres, afin qu'ils ne gâtent pas la nouvelle huile par quelque odeur de rance. Si vous voulez y mettre plus de soin, vous élèverez, entre des conduits creusés à droite et à gauche, un carrelage sous lequel vous tiendrez un feu allumé dans un fourneau. Vous répandrez ainsi dans le cellier une chaleur dégagée de cette odeur de fumée qui en infectant l'huile, en altérerait, comme il arrive souvent, la couleur et le goût. 

Des écuries et des étables.

XXI. Les écuries et les étables regarderont le midi ; néanmoins elles auront au nord des fenêtres, qu'on fermera en hiver, afin qu'elles n'incommodent pas les animaux, et qu'on laissera ouvertes en été pour donner de la fraîcheur. Elles seront élevées au-dessus du sol, pour être à l'abri de l'humidité qui pourrirait la corne de leurs pieds. Les bœufs se porteront mieux s'ils sont près de l'âtre et voient la lumière du feu. Huit pieds d'espace suffisent à une paire de bœufs lorsqu'ils se tiennent debout, et quinze lorsqu'ils sont couchés. Planchéiez les écuries avec du chêne que vous recouvrirez de litière, les chevaux seront ainsi plus mollement couchés et plus fermement appuyés sur leurs pieds.

De la cour.

XXII. La cour s'étendra au midi et sera exposée au soleil, afin que, pendant l'hiver, la chaleur pénètre davantage les animaux qui s'y trouvent. Il faudra aussi, pour tempérer l'ardeur de l'été, leur fabriquer avec des fourches, des planches et du feuillage, une galerie couverte de bardeaux ou de tuiles, si vous en avez abondamment, ou de glaïeuls et de genêts, si vous préférez un moyen économique et plus facile.

Des volières.

XXIII. Établissez les volières au pied des murs de la cour, parce que le fumier des oiseaux est très nécessaire à l'agriculture, excepté celui des oies, qui nuit à toutes les productions de la terre. Quant aux autres oiseaux, on ne peut se dispenser de leur donner un logement.

Du colombier.

XXIV. Le colombier peut être placé au haut d'une tourelle dans le maître-logis. Les murs en seront blancs et polis, percés, suivant l'usage, aux quatre côtés, de petites ouvertures pour ne laisser entrer et sortir que les pigeons. Leurs nids occuperont l'intérieur. Les pigeons n'auront rien à craindre des fouines, si l'on jette parmi eux des branches d'arbrisseaux raboteuses et dégarnies de feuilles, ou une vieille bottine de genêt dont on chausse les animaux. Ce talisman les préserve de la mort, pourvu qu'il soit apporté mystérieusement par quelqu'un qui ne soit vu de personne. Ils n'abandonneront pas non plus leur asile, si vous suspendez à chaque issue un morceau de courroie, de lien ou de corde qui ait servi à étrangler un homme. Ils y amèneront d'autres pigeons, s'ils sont constamment nourris de cumin, ou si on les frotte avec la sueur des aisselles d'un bouc. Pour qu'ils multiplient, donnez-leur souvent de l'orge grillée, des fèves ou de l'ers. Trois setiers de blé ou de graines par jour suffisent à trente pigeons libres, pourvu qu'en hiver on leur donne de l'ers pour favoriser les pontes. On suspendra en plusieurs endroits du colombier des bouquets de rue pour écarter les bêtes nuisibles.

Du logement des tourterelles.

XXV. Ménagez deux logements au-dessous de votre colombier. L'un, étroit et sombre, renfermera les tourterelles. Elles sont fort aisées à nourrir, puisqu'il leur suffit d'avoir toujours, pendant l'été, seule saison où elles engraissent, du blé ou du millet détrempé dans de l'hydromel. Un demi-boisseau de cet aliment peut en nourrir cent vingt par jour. II faut souvent leur changer l'eau.

Des grives.

XXVI. L'autre logement sera destiné aux grives. Engraissées hors de la saison ordinaire, elles deviennent un mets exquis et d'un excellent revenu pour le propriétaire, qui en retire un bénéfice en les sacrifiant au luxe d'autrui. La volière sera propre, claire, bien unie partout, et traversée de perches où les prisonnières puissent se reposer de leur vol. Placez-y des rameaux verts, que vous renouvellerez souvent. Donnez-leur en abondance des figues sèches pilées avec de la fleur de farine ; et, pour prévenir le dégoût, présentez-leur de temps en temps, si vous le pouvez, de la graine de myrte, de lentisque, d'olivier sauvage, de lierre, d'arbousier, et surtout de l'eau pure. Celles que vous aurez prises sans blessures seront renfermées avec d'anciennes élèves, dont la compagnie les apprivoisera en les engageant à prendre de la nourriture, et adoucira le chagrin de leur récente captivité.

Des poules.

XXVII. Il n'y a pas une femme, pour peu qu'elle soit intelligente, qui ne sache élever des poules. Il suffit de dire qu'il leur faut du fumier, de la poussière et de la cendre. Préférez les noires et les rousses ; n'en ayez point de blanches. Le raisin rend les poules stériles. L'orge à demi cuite multiplie leurs pontes et grossit leurs oeufs. Deux cyathes suffisent pour nourrir une poule qui a sa liberté. Faites toujours couver aux poules des oeufs en nombre impair, à la nouvelle lune, depuis le dixième jour jusqu'au quinzième.
Elles sont sujettes à la pépie, qui couvre le bout de leur langue d'une pellicule blanche. On enlève légèrement cette peau avec l'ongle, et on met de la cendre sur la plaie ; puis on la nettoie et on la frotte d'ail broyé. On peut encore leur faire avaler un brin d'ail trituré dans l'huile, ou mêler de la staphisaigre à tous leurs aliments. Si elles mangent des lupins amers, la graine en paraîtra sous leurs yeux ; elles en mourraient, si l'on n'avait soin de la retirer en perçant délicatement l'enveloppe avec une aiguille. Ensuite on leur bassine les yeux avec du suc de pourpier et du lait de femme, ou avec du sel ammoniac mélangé de miel et de cumin en parties égales. Pour détruire, leur vermine, on prend une close pareille de staphisaigre et de cumin grillé, que l'on broie ensemble dans du vin trempé d'eau où l'on aura fait bouillir des lupins amers, et l'on en frotte la racine de leurs plumes.

Des paons.

XXVIII. Il est très facile de nourrir les paons, à moins qu'on n'ait à redouter les voleurs et les animaux nuisibles. Ils trouvent ordinairement leur pâture et celle de leurs petits en se promenant dans la campagne ; le soir, ils perchent sur les plus grands arbres. Le seul soin qu'ils exigent, c'est qu'on préserve des attaques du renard leurs femelles qui couvent dispersées dans les champs. Aussi leur sort est-il plus heureux quand on les élève dans de petites îles.

Cinq femelles suffisent à un mâle. Les mâles font la guerre à leurs oeufs et à leurs petits comme à des étrangers, jusqu'à ce que l'aigrette paraisse. Ils entrent en chaleur aux ides de février. Des fèves légèrement grillées les excitent à l'amour, pourvu qu'on les leur donne chaudes tous les cinq jours. Six cyathes suffisent à chaque paon. Le mâle témoigne son ardeur toutes les fois qu'il s'enveloppe de sa queue étincelante de pierreries, et qu'il en étale les riches émeraudes en s'élançant avec un cri aigu.

Si vous confiez à une poule des oeufs de paon, les femelles qu'on a empêchées de couver pondront trois fois l'an. Ordinairement la première ponte est de cinq oeufs ; la seconde, de quatre ; la troisième, de trois ou de deux. Choisissez, si cette méthode vous plaît, des poules qui soient bonnes couveuses ; donnez-leur, pendant neuf jours, à dater du premier quartier de la lune, neuf oeufs à couver, cinq de paon et quatre de poule. Le dixième jour retirez tous les oeufs de poule, et remettez-en autant de nouveaux, afin que les oeufs puissent éclore avec ceux de paon au trentième jour de la lune, c'est-à-dire après trente jours pleins.

Retournez souvent avec la main les oeufs de paon que la poule couve, parce qu'elle aurait de la peine à le faire elle-même. Vous les marquerez aussi d'un côté, afin de vous rappeler que vous les avez successivement retournés. Choisissez toujours de grandes poules ; les petites couvent moins d'œufs. Si vous désirez transporter auprès d'une seule couveuse les jeunes paons éclos sous plusieurs poules, Columelle prétend que vingt-cinq jours suffisent. Pour moi, si je voulais qu'ils fussent bien élevés, je réduirais ce nombre à quinze.

Les premiers jours, on donnera aux petits de la farine d'orge arrosée de vin, ou de la bouillie qu'on aura fait refroidir. On y ajoutera plus tard des poireaux hachés ou du fromage nouveau bien égoutté, parce que le petit-lait est contraire aux jeunes paons. On leur présente aussi des sauterelles auxquelles on a ôté les pattes. Tel sera leur régime jusqu'au sixième mois. Ensuite vous pourrez de temps en temps leur donner de l'orge. Cependant, trente-cinq jours après leur naissance, on ne risque rien de les lancer à travers champs pour pâturer avec leur nourrice, dont les gloussements les rappelleront à la ferme. S'ils ont la pépie et des indigestions, vous les guérirez en leur appliquant le même traitement qu'aux poules. Ils courent de très grands risques, lorsque leur crête commence à pousser ; ils éprouvent alors les mêmes douleurs que les enfants quand leurs petites dents s'efforcent de percer les gencives gonflées.

Des faisans.

XXIX. Lorsqu'on élève des faisans  les nouveau-nés, c'est-à-dire ceux qui ont un art, doivent travailler à la reproduction ; car les vieux sont impuissants. Le faisan s'approche de sa femelle au mois de mars ou d'avril. Deux femelles lui suffisent, parce qu'il n'est pas aussi vif en amour que les autres oiseaux. Les faisanes font une ponte par an ; cette ponte est environ de vingt oeufs. Les poules couvent plus heureusement si on leur donne quinze oeufs de faisan et cinq de leur espèce. On observera, pour les pontes, l'ordre des lunaisons et des jours, dont nous avons parlé précédemment.
Les petits seront éclos au bout d'un mois. Pendant quinze jours, on les nourrira de farine d'orge bouillie, que l'on fera un peu refroidir, et qu'on arrosera de quelques gouttes de vin. On leur donnera plus tard du froment concassé, des sauterelles et des oeufs de fourmi. Il est essentiel de les empêcher d'approcher de l'eau, pour que la pépie ne les enlève point. S'ils en sont atteints, on leur frotte souvent le bec avec de l'ail broyé dans de la poix liquide, ou bien on extirpe la pellicule, comme on le fait aux poules.

On engraisse les faisans en les tenant enfermés durant trente jours, et en leur donnant, sous la forme de boulettes, un boisseau de farine de froment ; ou, si l'on préfère la farine d'orge, en les empâtant d'un boisseau et demi de cette farine pendant le même nombre de jours. On aura soin d'humecter les boulettes d'huile pour qu'elles passent mieux dans le gosier ; car si elles s'arrêtent sous l'épiglotte, elles les étouffent sur-le-champ. On doit également bien prendre garde de ne leur présenter de nouvelle nourriture qu'autant qu'ils ont digéré la première, parce qu'ils meurent promptement d'indigestion.

Des oies.

XXX. L'oie ne peut guère se passer d'herbe ni d'eau. Elle est le fléau des lieux ensemencés, auxquels sa fiente ne nuit pas moins que son bec. Elle nous donne des petits et nous fournit ses plumes qu'on arrache au printemps et en automne. Les mâles se contentent de trois femelles. S'ils n'ont pas de rivière, vous leur ferez une mare. A défaut d'herbe, vous sèmerez, pour leur nourriture, du trèfle, du fenugrec, de la chicorée sauvage et de petites laitues. Les oies blanches sont les plus fécondes ; celles dont le plumage est brun ou nuancé, le sont moins, parce qu'elles ont passé de l'état sauvage à l'état domestique. Elles couvent depuis les calendes de mars jusqu'au solstice d'été. Elles pondent davantage quand on fait couver leurs oeufs à des poules. On permet néanmoins aux mères qui ne pondent plus de soigner leur dernière couvée. Quand on a conduit une fois à leur loge les oies qui veulent pondre, elles prennent l'habitude d'y aller d'elles-mêmes. Les poules couvent les oeufs d'oie, comme les oeufs de paon ; mais on met des orties sous les oeufs d'oie, pour qu'ils n'éprouvent aucun dommage. Les oisons doivent être nourris dans leur loge les dix premiers jours. On pourra ensuite, s'il fait beau, les mener dans des lieux où il n'y ait point d'orties, parce qu'ils en redoutent les piqûres.

On engraisse mieux les oies quand elles sont jeunes, dès le quatrième mois, avec de la farine d'orge qu'on leur donne trois fois par jour. Pour les empêcher de vaguer, on les enferme dans un endroit chaud et obscur. Les vieilles oies mêmes engraissent ainsi en deux mois. Les jeunes sont souvent grasses dès le trentième jour. Le meilleur moyen de les engraisser est de leur donner à satiété du millet détrempé. On peut mêler à leur nourriture toutes sortes de légumes, à l'exception de l'ers. Il faut aussi prendre garde que les petits n'avalent de longs poils. Les Grecs, pour engraisser les oies, détrempent dans de l'eau chaude deux parties de farine d'orge sur quatre de son, dont ils les laissent se gorger à leur gré. Ils les font boire trois fois par jour, et leur donnent de l'eau même au milieu de la nuit. Un mois après, si l'on veut que leur foie s'attendrisse, on fera des boulettes de figues sèches broyées et amollies dans l'eau et on leur en servira pendant vingt jours consécutifs.

Des réservoirs.

XXXI. D'autres objets appelleront vos soins. Vous creuserez dans le sol, on vous taillerez dans la pierre, près de votre métairie, deux réservoirs qu'il vous sera facile de remplir d'eau de fontaine on d'eau de pluie. L'un servira au menu bétail ou aux oiseaux aquatiques ; dans l'autre, vous ferez tremper les baguettes, les cuirs, les lupins, et tout ce qu'on a coutume d'y plonger à la campagne.

Du fenil, du pailler et du bûcher.

XXXII. Peu importe en quel lieu vous serrerez le foin, la paille, le bois et les cannes, pourvu que cet endroit soit sec, bien aéré, et éloigné de la maison à cause des accidents soudains qui peuvent résulter des incendies.

Du fumier.

XXXIII. Reléguez les fumiers dans l'endroit le plus humide, et dérobez au maître-logis leur odeur infecte. S'il s'y rencontre des graines de prunelliers, l'abondance de l'eau les pourrira. Le premier de tous les fumiers, surtout pour les jardins, est celui que fournissent les ânes ; vient ensuite celui des brebis, des chèvres et des bêtes de somme. Le fumier de porc est très mauvais, mais les cendres en sont excellentes. La fiente brûlante des pigeons et des autres oiseaux, excepté celle des oiseaux de marais, est utile aux champs ensemencés. Le fumier d'un an bonifie les guérets, et n'engendre point d'herbes ; il perd en vieillissant ; quand il est nouveau, il fertilise les prairies. On peut encore employer comme engrais les immondices de la mer lavées dans de l'eau douce et mêlées à d'autres ordures, ainsi que le limon qu'auront déposé les eaux de source ou les rivières débordées. 

Des jardins et des vergers.

XXXIV. Les jardins et les vergers toucheront à la métairie. Le jardin sera tout près du tas de fumier, dont les sucs le fertiliseront naturellement, et à une grande distance de l'aire, parce que la poussière de la paille lui serait nuisible. Un terrain plat, légèrement incliné et entrecoupé d'eaux vives, est un heureux emplacement pour un jardin. Si vous n'avez pas d'eau de source, creusez lui puits ; ou, si vous ne pouvez y parvenir, construisez sur une partie élevée du sol un réservoir que la pluie remplira d'eau, afin que votre jardin soit arrosé pendant les chaleurs de l'été. A défaut de ces ressources, bêchez-le toujours à plus de trois ou quatre pieds de profondeur, comme une terre à façonner ; alors il bravera la sécheresse.

Toute terre amendée par le fumier convient à la culture d'un jardin ; néanmoins ne choisissez ni une terre crayeuse ou argileuse, ni une terre rouge. Ayez soin aussi de partager en deux les jardins qui manquent d'humidité naturelle ; exposez au sud la partie que vous cultiverez en hiver, au nord celle que vous cultiverez en été.

Les jardins doivent être clos ; mais il y a plusieurs genres de clôture. Les uns, en remplissant des moules de terre délayée, imitent les murs de briques. Ceux qui en ont les moyens, construisent des murs de boue et de pierre. Le plus grand nombre entasse des pierres disposées en ordre sans aucun ciment de terre. Quelques-uns environnent de fossés le sol qu'ils veulent cultiver ; mais les fossés ne sont utiles qu'autant que le terrain est marécageux, parce qu'ils attirent à eux toute l'humidité. D'autres entourent leur jardin de pieds et de graines d'arbrisseaux épineux. Le mieux est de cueillir de la graine mûre de prunellier et d'églantier, et d'en mêler avec de la farine d'ers trempée dans l'eau ; ensuite on en couvre de vieilles cordes de genêt, de manière que cette graine y pénètre et s'y conserve jusqu'au commencement du printemps. Alors on creuse, dans l'endroit où l'on veut former une haie, deux tranchées d'un pied et demi de profondeur, distantes l'une de l'autre de trois pieds ; puis on couche le long de ces deux tranchées les cordes garnies de leurs graines, et on les recouvre légèrement de terre. Par ce moyen les buissons paraissent le trentième jour. Tant qu'ils sont jeunes, on en facilite la croissance par des appuis qui les réunissent dans les espaces restés vides.

Partagez votre jardin de manière que la partie qui doit être ensemencée en automne, soit façonnée au printemps, et que celle qui doit l'être au printemps, soit bêchée en automne : ces deux labours seront ainsi rendus fructueux, l'un par le froid, l'autre par le soleil. Faites des planches étroites et longues, c'est-à-dire qui aient six pieds de large sur douze de long, afin qu'on puisse de chacun des grands côtés nettoyer la moitié de leur largeur. Les bords, dans les lieux humides ou baignés par des ruisseaux, seront exhaussés de deux pieds, et d'un seul dans les terrains secs. Si l'eau coule entre les planches, celles-ci devront être plus élevées, afin que l'eau pénètre plus aisément la partie supérieure, et qu'après l'avoir bien abreuvée, elle puisse être détournée sur d'autres planches.

Quoique nous fixions, mois par mois, l'époque des semailles, chacun se réglera sur la nature du pays et du climat. L'ensemencement d'automne se fait plus tôt dans les pays froids que dans les pays chauds, et celui du printemps a lieu plus tard ; le premier peut être plus tardif dans les contrées chaudes, et le second plus hâtif. Semez toujours quand la lune croît ; coupez ou cueillez quand elle est en décours. 

Des préservatifs.

XXXV. Pour préserver vos plantations des nuées et de la rouille, quand vous verrez des nuées menaçantes, brûlez toutes les pailles et toutes les immondices entassées dans votre jardin. On cite un grand nombre de talismans contre la grêle. Enveloppez une meule d'étoffe rose ; levez d'un air menaçant contre le ciel des haches ensanglantées ; entourez tout votre jardin de vigne blanche ; suspendez-y une chouette, les ailes étendues ; frottez vos outils de graisse d'ours. Il y a des personnes qui conservent cette graisse battue dans l'huile, et qui en frottent leurs serpettes avant de faire la taille. Mais cette opération doit se faire en secret pour qu'aucun émondeur ne s'en aperçoive. Elle est, dit-on, si efficace, que ni la gelée, ni les nuées, ni aucun animal, ne peuvent plus causer aucun dommage ; divulguée, elle perdrait toute sa vertu.

Pour détruire les moucherons et les limaçons, répandez du marc d'huile nouvelle ou de la suie détachée des voûtes.

Pour détruire les fourmis, si la fourmilière est dans le jardin, mettez auprès un cœur de chouette. Si les fourmis viennent du dehors, tracez une ligne autour du jardin avec des cendres ou de la craie.

Pour détruire les chenilles, trempez les graines que vous devez semer dans leur sang ou dans du suc de joubarbe. Pour préserver les pois chiches de leurs nombreux ravages, plantez-les entre les légumes. Quelques-uns jettent sur les chenilles des cendres de figuier, et sèment ou suspendent des scilles dans leur jardin. Il en est qui, pour écarter les chenilles et les autres bêtes, font faire le tour du jardin à une femme sans ceinture, pieds nus et les cheveux flottants, à l'époque de ses règles. D'autres clouent des écrevisses de rivière en plusieurs endroits de leur jardin.

Pour détruire les animaux qui nuisent aux vignes, plongez dans l'huile les cantharides qu'on trouve communément sur les roses, et laissez-les-y pourrir. Quand il faudra tailler la vigne, vous frotterez les serpettes avec cette huile.

On détruit les punaises, soit avec du marc d'huile et du fiel de bœuf dont on frotte les lits ou les chambres, soit avec des feuilles de lierre broyées dans de l'huile, soit avec des sangsues brûlées.

Pour que vos légumes n'engendrent pas d'animaux nuisibles, faites sécher dans une écaille de tortue toutes les graines que vous devez semer, ou bien semez de la menthe en plusieurs endroits de votre jardin, et particulièrement entre les choux. Vous obtiendrez, dit-on, le même effet, en semant un peu d'ers, surtout parmi les radis et les raves. On prétend aussi qu'en versant sur les légumes du fort vinaigre mêlé avec du suc de jusquiame, on tue les pucerons.

Pour chasser les chenilles, on brûle, dit-on, des pousses d'ail sans têtes dans tout le jardin, et l'on en répand l'odeur en différents endroits. Pour garantir les vignes de ces animaux, on prétend qu'il faut frotter les serpettes avec de l'ail broyé. Vous les empêcherez aussi de pulluler, en brûlant du bitume et du soufre autour des troncs d'arbre et des pieds de vigne, ou en faisant bouillir dans l'eau des chenilles prises dans le jardin voisin, et en arrosant avec cette eau le vôtre dans toutes ses parties.

Pour empêcher les cantharides de faire tort aux vignes, il faut en écraser sur la pierre où l'on aiguise les serpettes.

Voulez-vous qu'aucune bête ne nuise à vos arbres ni à vos plantes, Démocrite conseille de mettre dans un vase d'argile, plein d'eau et couvert, une certaine quantité d'écrevisses de rivière, ou au moins dix de ces homards que les Grecs appellent pagures ; exposez le vase en plein air, pendant dix jours, afin qu'ils se dessèchent au soleil : ensuite arrosez de cette eau tous les végétaux que vous désirez conserver intacts, en répétant la même opération tous les huit jours, jusqu'à ce qu'ils aient pris, à votre gré, de la consistance et de la vigueur.

On chasse les fourmis en répandant autour de leur trou de l'origan et du soufre broyés ensemble ; mais ce moyen nuit aussi aux abeilles. On peut également calciner des coquilles d'escargot vides, et boucher leur trou avec les cendres.

On met en fuite les cousins en brûlant du galbanum ou du soufre.

On détruit les pucerons en arrosant fréquemment le sol avec du marc d'huile ou du cumin sauvage broyé dans l'eau, ou avec une infusion de graine de concombre sauvage, ou avec l'eau de lupins mêlée à celle de la vigne blanche amère.

On se débarrasse des rats en plaçant chez soi, la nuit, du marc d'huile dans un plat ; on les empoisonne aussi en leur donnant du pain, ou du fromage, ou de la graisse, ou de la farine d'orge mêlée avec de l'hellébore noir. Une infusion de coloquinte et de concombre sauvage ne leur est pas moins funeste.

Suivant Apulée, on se défait des mulots en trempant des graines dans du fiel de bœuf avant de les semer. Quelques personnes bouchent leurs trous avec des feuilles de laurier-rose ; les mulots, pour s'ouvrir un passage, les rongent et périssent.
Voici comment les Grecs font la chasse aux taupes. Ils percent une noix ou tout autre fruit aussi solide, la bourrent de paille, de cire et de soufre, ferment avec soin tous les petits passages des taupes et tous les conduits par où elles respirent, à l'exception d'un seul qui doit être large, et à l'entrée duquel ils placent la noix allumée en dedans, de manière qu'elle reçoive l'air d'un côté et le renvoie de l'autre. Ainsi enfumées dans leurs retraites, les taupes déguerpissent aussitôt ou meurent asphyxiées. 

Bouchez le trou des mulots avec des cendres de chêne ; ils prendront la gale à force de s'y frotter, et périront.

Les serpents redoutent presque tout ce qui est amer ; toute mauvaise odeur préserve de leur souffle malfaisant. Brûlez du galbanum, du bois de cerf, des racines de lis ou de la corne de pied de chèvre, et vous écarterez ces monstres venimeux.
Les Grecs pensent que lorsque des nuées de sauterelles s'élèvent tout à coup, pendant que chacun est renfermé chez soi, elles pourront passer au delà ; et que, même en surprenant les gens en plein air, elles ne nuisent à aucun fruit, pourvu qu'ils se réfugient aussitôt sous leurs toits. On dit aussi qu'on repousse ces nuées en répandant, avec de la saumure, de l'eau dans laquelle on aura fait bouillir des lupins amers ou des concombres sauvages. Des auteurs prétendent qu'on peut chasser les sauterelles ou les scorpions en brûlant quelques-uns de ces animaux en plein jour.
Il y a des gens qui mettent en fuite les chenilles avec des cendres de figuier. Si elles persistent à rester, on en fait bouillir quelques-unes dans de l'urine de bœuf avec du marc d'huile, à doses égales; et lorsque ce mélange est refroidi, on en arrose tous les légumes.

Les Grecs appellent prasocurides les bêtes qui nuisent aux jardins. Couvrez légèrement de terre, dans l'endroit où elles fourmillent, les intestins d'un mouton fraîchement tué, sans en ôter les ordures. Deux jours après ; vous les y trouverez rassemblées en masse. Répétez cette opération deux ou trois fois, et vous anéantirez ainsi toute cette nuisible espèce.

On croit qu'on peut se préserver de la grêle en promenant dans ses domaines une peau de crocodile, d'hyène ou de veau marin, et en la suspendant à l'entrée de la métairie ou de la cour, lorsque le fléau approche. On prétend aussi que si l'on parcourt les vignes en portant dans la main droite une tortue de marais renversée sur le dos, et qu'au retour on la dépose dans la même situation, en fixant, au moyen de mottes de terre, la courbure de son dos, pour l'empêcher de se retourner et la forcer de rester ainsi couchée, la nuée dangereuse respectera l'endroit muni de ce précieux talisman.
Quelques personnes, en voyant approcher la nuée, la reflètent dans un miroir qu'elles lui présentent ; et, soit que son image lui déplaise, soit qu'étant, pour ainsi dire, doublée, elle cède la place à une autre, la nuée se détourne. Une peau de veau marin, étendue sur un cep, préserve aussi, dit-on, le vignoble entier du fléau qui le menace. On prétend que les semences d'un jardin ou d'un champ sont à l'abri de tout mal et de toute bête funeste, lorsqu'on les a macérées avec des racines broyées de concombre sauvage. Le crâne d'une jument qui a porté, ou celui d'une ânesse, placé dans un jardin, est également regardé comme une cause de fécondité pour tout ce qui l'entoure.

De l'aire.

XXXVI. L'aire doit être près de la métairie, pour faciliter les transports et avoir moins à redouter, la fraude, chacun craignant l'œil du propriétaire ou de son intendant. Elle sera pavée de cailloux, ou de quartiers de roche ; ou, vers l'époque où l'on bat le grain, vous l'arroserez et la soumettrez pour l'affermir au piétinement des bestiaux; ensuite elle sera close et munie de barreaux solides, à cause des bêtes de somme qu'on y fait alors entrer. Vous établirez près de là un autre terrain propre et uni, où vous transporterez vos grains pour les rafraîchir, avant de les serrer dans les greniers. Cette précaution les conservera plus longtemps. Vous construirez aussi, de quelque côté que ce soit, surtout dans les pays humides un hangar sous lequel vous pourrez, en cas d'averse, si la nécessité vous y oblige, abriter sur-le-champ vos grains, soit nettoyés, soit à demi battus. L'aire sera placée dans un lieu élevé et parfaitement aéré, pourvu néanmoins qu'elle soit éloignée des jardins, des vignes et des vergers : car si le fumier et la paille font du bien aux racines des arbrisseaux, d'un autre côté, en s'attachant aux feuilles, ils les percent et les dessèchent.

Des abeilles.

XXXVII. Les ruches auront une forme carrée. Afin de les garantir des voleurs, et d'en écarter les hommes et les troupeaux, vous les placerez près du maître-logis, dans un endroit retiré du jardin, à l'abri des vents, et exposé à la douce chaleur du soleil.
Multipliez les fleurs : que vos soins les fassent éclore sur les herbes, sur les plantes et sur les arbres. Que dans votre jardin croissent l'origan, le thym, le serpolet, la sariette, la mélisse les violettes sauvages, l'asphodèle, la citronnelle, la marjolaine, l'hyacinthe qu'on appelle iris ou glaïeul à cause de ses feuilles gladiées, le narcisse, le safran, toutes les herbes parfumées et à fleurs odoriférantes. Qu'on y trouve des roses, des lis, des fèves, du romarin, du lierre ; qu'on y voie le jujubier, l'amandier, le pêcher, le poirier, les arbres à fruits dont la fleur n'a rien d'amer ; et, parmi les arbres des forêts, le chêne à glands, le térébinthe, le lentisque, le cèdre, le tilleul, la petite yeuse et le pin. Quant aux ifs, ce sont des ennemis qu'il faut bannir.
Le thym fournit le miel de première qualité ; la thymbrée, le serpolet ou l'origan, donnent le second en bonté ; le romarin et la sarriette, le troisième. Les autres végétaux, tels que les arbousiers et les légumes, communiquent au miel un goût sauvage.
Plantez les arbres au nord ; rangez les arbrisseaux et les arbustes le long des murailles ; semez les herbes derrière sur un terrain uni. Qu'une source ou qu'un ruisseau paisible s'y rende, et forme dans son cours de petites flaques d'eau, couvertes çà et là de baguettes transversales où les abeilles se poseront en sûreté, quand elles viendront se rafraîchir.
Tenez leur domicile éloigné de tous les lieux infects, des bains, des étables, des éviers de cuisine. Écartez-y les lézards, les cloportes et les autres animaux qui leur font la guerre. Effrayez les oiseaux avec des épouvantails et des crécelles. Qu'un gardien propre et chaste approche souvent des abeilles avec de nouvelles ruches toutes préparées pour recueillir les jeunes essaims. Évitez l'odeur de bourbe et d'écrevisse brûlée, ainsi que les échos qui contrefont la voix humaine. Proscrivez le tithymale, l'ellébore, la thapsie, l'absinthe, le concombre sauvage, et en général toute amertume capable d'altérer la douceur du miel.

Des ruches.

XXXVIII. Les meilleures ruches sont en liége : elles garantissent également de la chaleur et du froid. On peut néanmoins en faire avec des férules, ou, à défaut de férules, avec des baguettes d'osier, avec le bois d'un arbre creux, ou avec des planches façonnées comme des douves. Les ruches d'argile, glaciales en hiver et brûlantes en été, sont les plus mauvaises.

Sur le lieu que nous avons prescrit de clore, construisez des estrades de trois pieds de haut, recouvertes en terre cuite et crépies de stuc : vous éviterez ainsi les dommages que causent les lézards et les autres bêtes qui s'y glissent ordinairement. Exhaussez vos ruches sur ces supports à une légère distance les unes des autres, afin que les pluies ne puissent y pénétrer, et ménagez un orifice assez étroit pour que vos essaims n'aient à redouter ni le froid ni la chaleur. Une haute muraille les mettra a l'abri de la bise, et leur renverra la chaleur du soleil. Toutes les entrées des ruches feront face au soleil d'hiver : chaque ruche en comporte deux ou trois, dont la largeur ne doit pas excéder la taille d'une abeille. La petitesse de ces trous empêchera les animaux nuisibles d'entrer ; ou, s'ils guettent les abeilles à leur sortie, elles pourront s'échapper par un autre passage que celui près duquel ils sont à l'affût.

De l'achat des abeilles.

XXXIX. Quand vous achèterez des abeilles, faites en sorte que les ruches soient pleines. On s'en assure à l'inspection même de la ruche, à l'intensité du bourdonnement, ou aux rentrées et aux sorties fréquentes de l'essaim. Achetez-les aussi dans le voisinage plutôt que dans un canton éloigné, de peur que le changement d'air ne les incommode. Néanmoins, si vous en faites venir de loin, vous porterez les ruches sur vos épaules pendant la nuit, en ayant soin de ne les mettre en place et de ne les ouvrir que sur le soir. Vous prendrez garde ensuite durant trois jours que l'essaim ne sorte pas tout à la fois ; ce serait un signe qu'il voudrait s'enfuir. Pour prévenir cet accident et d'autres semblables, nous détaillerons ce qu'il faudra faire chaque mois. On croit cependant que les abeilles ne prennent jamais la fuite, lorsqu'on a frotté les ouvertures des ruches avec la fiente d'un veau premier-né.

Des bains.

XL. Si l'eau est abondante, un chef de famille devra s'occuper du soin de construire une salle de bains - c'est une chose qui contribue beaucoup à l'agrément et à la santé. Il faut placer cette salle du côté où la chaleur se fera le plus sentir, et dans un lieu à l'abri de toute humidité qui refroidirait les fourneaux. Elle aura en hiver des fenêtres au midi et au couchant, afin d'être, pendant tout le jour, échauffée et éclairée par le soleil.

Voici comment vous bâtirez les bains. Vous garnirez d'abord le sol de briques de deux pieds, et vous l'inclinerez de manière à qu'une balle ne puisse s'y tenir sans rouler jusqu'au fourneau ; par ce moyen, la flamme en s'élevant échauffera davantage les cabinets. Vous construirez sur ce sol des piliers de briquettes liées entre elles par un mortier d'argile et de crins, hauts de deux pieds et demi, et distants d'un pied et demi l'un de l'autre. Sur ces piliers vous dresserez deux briques du deux pieds, que vous revêtirez d'une couche de terre cuite, et que vous couvrirez de marbre, si vous en avez.
Quant à la chaudière de plomb assise sur un plateau de cuivre, vous la placerez en dehors au-dessus du fourneau, au centre de la salle des bains. Un tuyau dirigé vers cette chaudière y conduira l'eau froide, et un autre de même calibre, dirigé vers le bain, y portera matant d'eau chaude, que le premier tuyau aura porté d'eau froide dans la chaudière.

Les cabinets ne seront point carrés ; ils auront, par exemple, dix pieds de large sur quinze de long : ainsi resserrée, la chaleur aura plus de force. Chacun donnera aux bains la forme qui lui plaira. Les salles d'été tireront leur jour du nord, et celles d'hiver du midi. S'il est possible, disposez-les de manière que les eaux qui auront servi s'écoulent à travers les jardins. Les voûtes faites en matériaux de Ségni sont les plus solides. Celles qui sont en planches seront soutenues par des arcs de fer traversés de barres du même métal. Si vous ne voulez pas de planches, vous mettrez sur ces arcs et sur ces barres des briques de deux pieds jointes par des crampons de fer, et liées entre elles avec un mortier de crins et d'argile ; puis vous les revêtirez par-dessous d'un enduit de terre cuite auquel le strie donnera du lustre. Vous pourrez également, si vous visez à l'économie, établir les appartements d'hiver au-dessus des bains : vous échaufferez ainsi le bâtiment, et les fondations ne vous coûteront rien. 

Des malthes pour les réservoirs d'eau chaude et d'eau froide.

XLI. Puisque nous parlons des bains, il est bon de connaître les malthes qui conviennent aux réservoirs d'eau chaude et d'eau froide, afin que si les cuves viennent à se fendre, on puisse les réparer sur-le-champ. Voici la composition qu'on emploie pour les réservoirs d'eau chaude. Prenez de la poix dure et de la cire vierge, à doses égales ; une quantité de poix liquide égale à la moitié de ce mélange ; de la terre cuite pulvérisée et de la fleur de chaux ; broyez le tout dans un mortier, et servez-vous-en pour remplir les fentes.

Autre recette : Pilez de la gomme ammoniaque fondue, des figues, de l'étoupe, de la poix liquide, et bouchez les fentes avec ce mélange.

Autre recette : Enduisez ou remplissez les fentes de gomme ammoniaque et de soufre fondus ; ou bien enduisez-les de poix dure et de cire blanche, recouvertes de gomme ammoniaque, et promenez le cautère par-dessus ; ou bien passez sur les fentes un mastic de fleur de chaux et d'huile, en ayant soin de ne pas introduire d'eau immédiatement après.

Autre recette : Mêlez ensemble de la fleur de chaux, de l'huile et du sang de taureau, et bouchez les fentes avec cette composition ; ou bien broyez des figues, de la poix dure et des écailles d'huîtres sèches, et remplissez soigneusement les fentes avec ce mélange.
De même, pour réparer les réservoirs d'eau froide, pilez de la fleur de chaux et du mâchefer dans du sang de bœuf, et faites-en une espèce de cérat dont vous les enduirez. Vous arrêterez aussi l'écoulement de l'eau froide à travers les fentes en les enduisant d'un mélange de suif fondu et de cendre passée au crible.

De la boulangerie.

XLII. Si vous avez de l'eau en abondance, faites en sorte que celle qui aura servi aux bains se rende aux boulangeries. Elles mettront en mouvement des moulins qui y seront établis, et vous pourrez ainsi moudre le blé sans avoir besoin du travail des hommes ni de celui des bêtes.

Des objets nécessaires à la campagne.

XLIII. Voici les objets dont on doit se pourvoir à la campagne : des charrues simples, ou, si le pays est plat, des charrues à oreilles qui, en élevant davantage les raies du labour, préservent les semences du séjour de l'eau pendant l'hiver ; des pioches, des houes, des serpes pour tailler les arbres et la vigne ; des faucilles pour la moisson, des faux pour la fenaison; des hoyaux, des loups, c'est-à-dire de petites scies à manche, dont les plus grandes n'aient qu'une coudée, qu'on peut facilement introduire au milieu des arbres ou des vignes pour les couper, ce qui est impraticable avec une scie commune; des plantoirs pour fixer les sarments dans les terres façonnées ; des faux en forme de croissant affilées par le dos ; des serpettes courbes pour détacher plus aisément des jeunes arbres les frousses sèches ou trop saillantes ; des faucilles dentelées pour couper la fougère ; de petites scies, des sarcloirs et des outils pour se débarrasser des ronces ; des haches simples ou à pic ; des pioches simples ou fourchues ; des haches dont le dos ressemble à une herse ; des cautères, des instruments pour la castration et pour la tonte, ou pour le pansement des animaux ; des tuniques de peau avec des capuchons, des guêtres et des gants de peau qui puissent servir dans les forêts ou dans les buissons, tant aux ouvrages rustiques qu'à l'exercice de la chasse.

Après avoir achevé les préceptes généraux, nous allons détailler les travaux de chaque mois, en commençant par celui de janvier.