MARCELLUS.
DE LA MÉDECINE
Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer
MARCELLUS. DE LA MÉDECINE POEME TRADUIT POUR LA PREMIÈRE FOIS EN FRANÇAIS PAR M. LOUIS BAUDET Professeur.
NOTICE SUR MARCELLUS EMPIRICUS.Malgré les antiques privilèges confirmés et renouvelés par Constantin et ses successeurs[1] en faveur des médecins, de leurs femmes et de leurs enfants, les bons médecins étaient rares au ive siècle. De tout temps les astrologues et les magiciens avaient disputé aux maîtres de la science la confiance des malades et le droit de les guérir : peu à peu, en dépit d'Hippocrate et de Galien, en dépit des railleries de tous les hommes sages et éclairés, leur empire s'était affermi; la plupart des médecins eux-mêmes, on peut le croire, pour combattre ou pour détruire une concurrence nuisible, ou pour s'épargner des études plus difficiles, se contentaient de suivre la routine de l'empirisme ; et telle fut à la fin la puissance des traitements par sortilèges et des opérations magiques sur l'esprit des populations et des princes mêmes, que Constantin, en 321, les affranchissait de toutes poursuites.[2] C'était mettre l'art de guérir à la portée de bien du monde. Constance et Valentinien, moins débonnaires, punirent de mort l'emploi de ces pratiques superstitieuses[3] réprouvées par le christianisme. « Mais, dit Tillemont,[4] il y a des choses que les lois divines et ecclésiastiques condamnent, et que les civiles peuvent tolérer pour ne pas faire trop de coupables. » Et d'ailleurs, à défaut de médecins instruits et expérimentés, force était bien de laisser chacun essayer de se guérir à sa guise. De là l'origine de ces recueils de recettes médicales composés en vers et en prose par des hommes à peu près étrangers à l'ait de guérir, mais recommandâmes par leurs connaissances et leurs lumières, tels que Siburius,[5] préfet du prétoire en 379, ami de Symmaque et de Libanais, Eutrope l'historien, lié aussi avec Symmaque,[6] Marcellus et quelques autres. Marcellus, surnommé l'Empirique,[7] naquit vers le milieu du IVe siècle, à Bordeaux peut-être ou à Bazas, mais bien certainement dans la Gaule.[8] L'histoire de ses premières années est demeurée inconnue. A l'exemple de son compatriote Julius Ausonius, qu'il s'était sans doute proposé pour modèle, cet homme, dont Libanius vante les qualités de l'âme non moins que le savoir,[9] et que Suidas appelle « un monde de toute sorte de vertus, ou, pour mieux dire, une vertu vivante, » semble ne s'être adonné à l'étude de la médecine que pour le plaisir d'être utile, et non dans l'intérêt de sa fortune ou de son ambition. Comme il ne faisait pas profession de médecin, qu'il n'en accepta pas le nom, dont il était digne pourtant et qu'on lui donna plus tard,[10] la première moitié de sa vie, partagée entre le travail et les soins qu'il prodiguait sans éclat, s'écoula dans une modeste obscurité. Mais à la fin, son habileté, ses succès nombreux firent du bruit dans le monde : les services qu'il rendit, dans plusieurs maladies graves, à quelques familles considérables par leur opulence ou leur crédit,[11] attirèrent sur lui, non moins que la renommée de son mérite et de sa probité, les regards de l'empereur. Appelé à la cour de Théodose,[12] il fut nommé maître des offices,[13] et il exerçait encore cette charge en 395, la première année du règne d'Arcadius.[14] Mais l'eunuque Eutrope, qui, selon l'expression de Zosime, « dominait cet empereur comme une bête,[15] » déposséda Marcellus de cet emploi, pour le donner à l'Espagnol Osius, son favori, dont Claudien a tracé un si plaisant portrait.[16] Dépouillé de ses honneurs, Marcellus reprit l'exercice de la médecine ; et quelques années après, parvenu à une extrême vieillesse, il rédigea, sous le règne de Théodose II, au commencement du Ve siècle, son traité de Medicamentis, c'est une liste de tous les remèdes qu'il avait pu recueillir dans ses lectures et dans le cours de ses voyages. Les médecins modernes se sont beaucoup moqué de ces remèdes, bien ridicules sans doute pour la plupart, et qui ne devaient leur efficacité qu'au hasard ou à la confiance inspirée par le médecin à ses malades : car il faut croire qu'il en était alors comme aujourd'hui, où c'est souvent encore la foi qui sauve. Quoi qu'il en soit, il est prouvé que Marcellus obtenait de ses traitements d'heureux résultats, et le noble but qu'il se proposait en composant son recueil mérite plutôt des éloges que des railleries. Car ce n'était point par une vaine ambition de gloire scientifique ou littéraire qu'il écrivait ce traité. Après une longue vie consacrée à bien faire, il voulut, avant de mourir, laisser à ses enfants, qu'il n'avait eus que dans un âge assez avancé,[17] et qu'il n'avait pas le temps de former à ses leçons, le secret de continuer ses bonnes œuvres et les moyens d'imiter son exemple. Il faut lire l'épître dédicatoire qu'il leur adresse : la sagesse de ses conseils, l'esprit de bienveillance et de charité toute chrétienne[18] qui respire dans cette belle page, donneront, je crois, une heureuse idée de son caractère : et, si la médecine était mauvaise et prêtait à rire, on reconnaîtra, du moins, que le médecin valait mieux qu'elle, et qu'il avait droit à l'estime des hommes et au respect de la critique.
Les lettres dont parle Marcellus et qui suivent son Epître dédicatoire, sont au nombre de sept. Plusieurs sont apocryphes: par exemple, celle d'Hippocrate à Mécène ; on l'attribue avec plus de raison à Antonius Musa. Une autre, la cinquième, adressée sous le nom de Celse à Julius Callistus, est de Scribonius Largus. Quelques critiques pensent que la plupart de ces lettres ont été fabriquées par les moines du moyen âge.[19] Les empiriques de cette époque étaient seuls, en effet, capables de pareils anachronismes. Il ne serait pas difficile de retrouver des traces de leur ignorance superstitieuse dans le traité de Medicamentis, et plusieurs des recettes miraculeuses qu'il renferme pourraient bien n'être que des interpolations de ces pieux faussaires. Le poème de soixante-dix-huit vers qui termine ce traité a été quelquefois considéré comme la suite et la conclusion du poème de Serenus Sammonicus.[20] G. Barth l'a retrouvé dans un manuscrit sous le nom de Vindicianus,[21] et il l'attribue, sans hésiter, à ce médecin, contemporain de Marcellus.[22] Selon lui, ce dernier, qui n'était qu'un simple compilateur, avait pris ce poème à Vindicianus, comme il avait emprunté à tant d'autres les matériaux de son traité. Mais Marcellus, on l'a vu, avoue de bonne foi ses plagiats ; or, quand il dit que ces vers sont de lui, on peut, malgré quelques manuscrits, le croire sur parole. Ce poème a été souvent imprimé séparément, notamment par P. Pithou en 1590[23] et par P. Burmann en 1731.[24] Wernsdorf se proposait de le comprendre dans ses Poetae Latini minores; mais il est mort avant de réaliser ce projet. La nouvelle édition qu'en donne ici M. Baudet, avec la première traduction qui en ait été faite en français, a été collationnée sur celle de Burmann. Les leçons de Robert Constantin et les variantes du manuscrit de Barth ont été heureusement mises à profit par l'élégant traducteur, qui, en plusieurs endroits du texte, a introduit d'habiles et ingénieuses restitutions. E.-F. CORPET. Mai 1845
[1] Cod. Theod., lib. xiii, tit. 3, l. 1 et seq. [2] Cod. Theod., lib. ix, tit. 16, l. 3: Nullis vero criminationibus implicanda sunt remedia humanis quaesita corporibus. — Voir la note de J. Godefroy. [3] Amm. Marcellin, lib. xvi, c. 8 ; lib. xix, c. 12, lib. xxix, c. 2. [4] Histoire des Empereurs, t. iv, p. 182. [5] Il ne reste rien de ses écrits. J. Cornarius (Epist. nuncup. in Marcell. de medic.) a prétendu qu'il avait traduit du grec en latin la Composition des remèdes de Scribonius Largus; mais les Bénédictins (Histoire litt. de la France, t. i, 2e part, p. 247) ont réfuté cette conjecture, qui d'ailleurs se réfutait d'elle-même, puisque Scribonius déclare qu'il écrivait en latin. On a attribué aussi à Siburius un recueil en cinq livres intitulé de Re medica ou Pliniana medicina, qui porte ordinairement le-nom de C. Plinius Valerianus (Schoell, Histoire abrégée de la Littér. rom., t. iii, p. 233). [6] J. Cornarius (loc. cit.) et les Bénédictins (Histoire litt. de la France, t. i, 2e part., p. 222) pensent que l'Eutrope cité par Marcellus dans son Epître dédicatoire n'est autre que l'historien. [7] C'est probablement à son livre qu'il doit ce surnom; il écrit lui-même à ses enfants : Libellum hunc de empiricis.... conscripsi. Mais il ne faut pas prendre cette déclaration à la lettre. Il n'était pas exclusivement empirique ; il empruntait aussi aux deux autres sectes ce qui lui semblait bon et utile : car il dit, au commencement de son poème (v. 6 et 7) : Quod logos, aut methodos, simplexque empirica pangit, Hoc liber iste tenet, diverso e doginate sumptum [8] Il était Gaulois, parce qu'après avoir nommé Pline, Apulée, Celse, il désigne plus particulièrement comme ses concitoyens, cives me majores nostri Siburius, Eutrope et Ausonius; or, cet Ausonius, d'après le témoignage d'Ausone, son fils, était né à Basas. Une autre preuve, selon les Bénédictins (Histoire litt. de la France, t. ii, p. 51), que Marcellus était Gaulois, c'est que dans son recueil il donne à certaines plantes le nom qu'elles portaient dans les Gaules ; par exemple, en parlant de la verveine, il dit (c. i): Corona ex herba hierabotane, quant nos verbenam dicimus, et (c. xxvi) : Eodem modo data.Hierabotane prodest, quam nos verbenacam dicimus. « Or, ajoutent les Bénédictins, il est constant que les Gaulois nommaient ainsi cette plante. » Mais les Romains la nommaient de même, et Pline, à propos de la verveine (lib. xxv, c. 59), ne s'exprime pas autrement que Marcellus : Nulla tamen Romanœ nobilitatis plus habet, quam hierabotane. Aliqui peristereona, nostri verbenacam vacant. Parmi les grammairiens célébrés par Ausone, il en est un qui portait le nom de Marcellus, et qui était né à Bordeaux (AUSONE, Profess., xviii). Marcellus Empiricus pouvait sortir de la même famille, mais ne pouvait être, comme le prétendait Vinet (in Auson., § 162), le père de ce grammairien, mort avant Ausone. Voir l'Histoire litt. de la France par les Bénédictins, t. i, 2e partie, p. 217. Marcellus, d'ailleurs, ne devint père que sur la fin de sa vie, c'est-à-dire dans les dernières années du IVe siècle (voir plus loin, p. 269), et il est douteux que ses enfants aient pu être connus d'Ausone, qui était alors bien près de mourir. [9] Liban., Epist. ccclxv, éd. Wolf. [10] Dans son Epître dédicatoire, Marcellus évite de prendre la qualité de médecin; mais Libanius la lui donne partout, notamment dans sa lettre ccclxv à Anatolius. [11] Liban., Epist. ccclxii, ccclxv, ccclxxxi, ccclxxxvii et cccxcv. [12] Les Bénédictins (Histoire litt. de la France, t. ii, p. 49) pensent que Marcellus a pu être introduit à la cour ou par Julius Ausonius ou par le poète Ausone qui, en effet, quoique retiré dans les Gaules depuis la mort de Gratien, avait conservé du crédit auprès de Théodose. [13] En tête de son Epître dédicatoire, il prend le titre d'ex-maître des offices de Théodose l'Ancien : Marcellus V. I., ex-mag. offic. Theodosii Sen. Je ne sais pourquoi Funck (de Vegeta Lat. ling. senect., c. ix, § 31) reproche à Vossius d'avoir adopté cette leçon, donnée par Pithou, plutôt que la leçon vicieuse de J. Cornarius : ex magno officio Theodosii Sen., blâmée avec raison par J. Godefroy (Cod. Theod., lib. xvi, tit. 5, l. 29). — On a prétendu que Marcellus avait aussi été archiatre ou premier médecin de l'empereur Théodose. Cette conjecture, qui ne s'appuie sur aucun texte, ne me parait pas fondée. Car il est probable que, s'il avait eu cette qualité, il n'aurait pas négligé de la joindre à celle de maître des offices, surtout en tête d'un traité sur la science médicale. [14] On trouve dans le Code Théodosien (liv. vi, tit. 29, l. 8, et liv. xvi, tit. 5, l. 29) deux lois d'Arcadius adressées à Marcellus, maître des offices, datées l'une du 1er juin et l'autre du 24 novembre 395. [15] Voir Tillemont, Histoire des Empereurs. t. v, p. 429. [16] In Eutrop., lib. ii, v. 347 et seq. [17] Libanius (Epist. ccclxv) dit que Marcellus pria longtemps les dieux de le rendre père, qu'il n'obtint cette grâce que fort tard, et que ses enfants sont un cadeau d'Esculape. [18] Outre cette épître dédicatoire, une des deux lois d'Arcadius citées plus haut (p. 268, note 7), semble prouver que Marcellus était chrétien. L'empereur lui recommande, en effet, de rechercher si parmi les officiers du palais impérial il ne se trouvait pas des hérétiques, et lui ordonne, dans ce cas, de les destituer et de les chasser de la ville : Sublimitatem tuam investigare prœcipimut, an aliqui hareticorum, vel in Scriniis, vel inter Agentes in rebus, vel inter Palatines, cum legum nostrarum injuria, audeant militare : quitus, exemplo divi patris nostri, omnibus et a nobis negata est militandi facultas. Quoscumque autem deprehenderis culpœ hujus adfines, cum ipsis quibus, et in legum nostrarum et in religionum excidium, conniventiam prœstiterunt, non solum militia eximi, verum etiam extra mania urbis jubebis arceri. Il ne pouvait guère charger un païen d'une si pieuse inquisition. [19] Schoell, Histoire abrégée, de la Littér. rom., t. iii, p. 231. [20] Notamment par Robert Constantin, qui a publié ce poème à la suite de Serenus Sammonicus, à Lyon, en 1566. [21] Adversar., lib. l, c. 6. [22] Vindicianus était un médecin célèbre, ami de S. Augustin (Confess. lib. iv, c. 3, et lib. vii, c. 6). [23] Epigrammata et poematia vetera. [24] Poetae Latini Minores. [25] Quelques auteurs pensent que le folium est le nard ; mais la mention que Marcel lui fait, deux vers plus bas, de cette dernière plante, ne nous permet pas de nous ranger à cet avis.
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