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HÉRON DE CONTANTINOPLE

 

EXTRAITS DES POLIORCÉTIQUES

 

 

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

Mémoires de la Société d’émulation du Doubs, 1870-1871, pages 352-380

 

 

EXTRAITS DES

POLIORCÉTIQUES

de

HÉRON DE CONSTANTINOPLE

TRADUITS POUR LA PREMIÈRE FOIS DU GREC EN FRANÇAIS

 

NOTICE

 

En 1572, François Barozzi, patricien de Venise, publia, sous le titre De machinis bellicis, la traduction latine d’un traité grec sur les machines de siège, qu’il avait trouvé dans un manuscrit de la bibliothèque Saint-Sauveur à Bologne (Codex Bononiensis Sancti Salvaloris, 587). Ce manuscrit, copié au xvie siècle sur un original probablement perdu aujourd’hui, attribue l’ouvrage à un auteur du nom de Héron.

En 1854, M. Th.-Henri Martin a donné le texte grec et la traduction française d’un certain nombre de fragments d’après un manuscrit de la bibliothèque d’Oxford (Codex Oxoniensis Bodleianus Barocianus, 169), qui avait appartenu à Barozzi et qui n’est qu’une copie de celui de Bologne, moins les figures. M. Henri Martin a de plus clairement établi, par divers passages de l’ouvrage lui-même, que l’auteur était bien réellement Héron de Constantinople, dit Héron III ou le jeune, savant chrétien qui vivait à Constantinople au commencement du xe siècle de notre ère, et qui a composé, outre un traité des Cadrans solaires, aujourd’hui perdu, et les Poliorcétiques dont nous nous occupons, une Géodésie,[1] c’est-à-dire un recueil de problèmes de géométrie pratique, et très probablement aussi un certain nombre de compilations relatives à l’art militaire.[2]

En 1867, M. Wescher a publié, d’après le manuscrit de Minoïde Mynas, écrit au commencement du xe siècle, le texte complet sous ce titre: Ἀνωνύμου ἤτοι Ἥρωνος Βυζαντίου Πολιορκητικὰ, ἐκ τῶν Ἀθηναίου, Βίτωνος, Ἥρωνος Ἀλεξανδρέως, Ἀπολλοδώρου καὶ Φίλωνος; Poliorcétique anonyme ou de Héron de Byzance, extraite des œuvres d’Athénée, Biton, Héron d’Alexandrie, Apollodore et Philon.

Les figures qui accompagnent le texte sont dessinées en perspective: elles constituent une interprétation élégante, mais souvent peu exacte, des dessins géométriques donnés par les anciens ingénieurs. M. Wescher a collationné, pour son adition, le texte de Mynas avec celui des deux manuscrits de Barozzi, cités plus haut, et avec les deux suivants qui découlent également du manuscrit de Bologne: Codex Vaticanus 1429, avec figures; Codex Lugdunensis Vossianus 75, sans figures.

J’indiquerai, pour terminer cette énumération des manuscrits des Poliorcétiques de Héron, un manuscrit de l’Escurial, signalé dans le catalogue qu’a donné M. Miller du fonds grec de cette bibliothèque (p. 112, n° 136), et un autre, écrit au xvie siècle, avec figures coloriées. Ce dernier, composé de 49 feuillets in f°, a passé, en 1764, de la bibliothèque du collège de Clermont dans la bibliothèque de Meermann, dont la vente s’est faite à Leyde en 1824. J’ignore ce qu’il est devenu depuis cette époque.

L’ouvrage de Héron le jeune est une paraphrase complète du traité d’Apollodore tel qu’il subsiste de nos jours, avec quelques emprunts faits à Philon de Byzance, Héron l’ancien, Athénée et Biton; l’auteur paraît avoir eu, en outre, sous les yeux les livres aujourd’hui perdus de Hégétor de Byzance, de Dyadès et de Chæréas.


 

EXTRAITS DES

POLIORCÉTIQUES

DE

HÉRON DE CONSTANTINOPLE

 

PRÉAMBULE

 

1. — Beaucoup de machines de siège présentent de grandes difficultés; car les dessins en sont compliqués et obscurs, ou bien les pensées des auteurs qui en traitent offrent quelque chose de difficile, ou, pour mieux dire, d’impossible à saisir pour le commun des hommes, et peut-être même d’accessible seulement à une grande sagacité, attendu que la vue des figures ne suffit pas pour rendre claires et intelligibles ces pensées, qui ne sont ni aisées à comprendre, ni connues de tout le monde, ni faciles à réaliser par l’art du constructeur et du charpentier, et qui ont besoin d’explications et de commentaires que les mécaniciens, auteurs de l’invention et de la description, pourraient seuls donner. Telles sont, par exemple, les machines décrites dans le traité des Poliorcétiques, adressé par Apollodore à l’empereur Hadrien; dans les Commentaires relatifs à l’art des sièges, adressés par Athénée à Marcellus, et rédigés par lui d’après les écrits d’Agésistrate et d’autres hommes habiles; et[3] dans le traité des projectiles de guerre, adressé par Biton à Attale, traité concernant la fabrication des machines de guerre et compilé par lui dans les écrits de divers mécaniciens antérieurs. Il en est de même des machines à opposer aux assiégeants et de divers préceptes concernant les précautions à prendre et le régime à suivre, ou bien la construction cl l’attaque des portes de villes. Tout cela est devenu entièrement étranger à la plupart des hommes et difficile à comprendre, soit à cause de l’oubli que le temps a amené avec lui, soit parce que les termes scientifiques se trouvent inusités dans le langage vulgaire. C’est pourquoi il nous a semblé que tous ces objets ne pouvaient convenablement trouver place dans le présent volume, d’après la méthode d’exposition générale et savante des orateurs de l’antiquité; car les obscurités fréquentes qui s’y rencontrent, concentrant sur elles toute l’attention des lecteurs, auraient pu ne pas laisser à l’esprit la force de discerner même ce qui est clair. Nous nous bornons donc aux machines de siège d’Apollodore, que nous avons expliquées d’un bout à l’autre par nos travaux et nos réflexions subsidiaires, en y ajoutant de notre propre fonds beaucoup d’inventions analogues. En outre, nous avons choisi çà et là, chez les autres auteurs, quelques préceptes faciles à connaître et à saisir avec vérité, préceptes qui sont, suivant l’expression d’Anthémius, des axiomes du sens commun, et qui peuvent être compris sur l’énoncé du problème et à la simple inspection de la figure, sans avoir besoin d’aucun enseignement ni d’aucune interprétation : d’ailleurs, par l’emploi de termes vulgaires, par la simplicité de notre style, nous les avons rendus tellement clairs qu’ils pourront facilement être mis en pratique par le premier constructeur et le premier charpentier venus. Nous les avons intercalés, aux places convenables, au milieu des préceptes d’Apollodore, et nous y avons joint, avec des définitions bien claires, les figures qui s’y rapportent; car nous savons que les figures bien définies peuvent, à elles seules, faire disparaître toutes les difficultés et toutes les obscurités d’une construction.

2. — Or, on a besoin, pour le siège, des engins suivants: des tortues (χελωνῶν) d’espèces et de formes diverses, telles que celles à l’usage des mineurs; celles à l’usage des terrassiers (χωστρίδων); celles qui portent un bélier; celles qui ont une roue en avant; celles qu’on nomme boucliers (λαῖσαι), qui sont extrêmement légères, de nouvelle invention et faites de branches entrelacées; celles qu’on nomme éperons et qui sont en forme de coin pour protéger contre les masses roulées par les ennemis; [enfin] celles d’osier (γερροχελωνῶν). On a besoin encore de herses (τριβόλων) en bois, longues de cinq coudées (2,30 m); de béliers (κριῶν), formés d’une seule pièce de bois ou de plusieurs pièces; de tours de bois (ξυλοπυργίων) portatives; de diverses espèces d’échelles (κλιμάκων), faciles à se procurer, composées de plusieurs pièces et très légères. Il faut des abris contre la chute des masses élevées en l’air par les ennemis et contre les incendies allumés par les machines qui lancent du feu (πυροβόλων). Il faut des observatoires (κοποὶ) du haut desquels on puisse voir tout ce qui se passe à l’intérieur des villes; des instruments divers pour percer diverses espèces de murailles; des ponts volants (διαβάθραι) commodes pour traverser les fossés de toute espèce; des machines (μηχαναί) pour monter sans échelles sur les murs; des engins de siège (πολιορκητήρια) qui ne puissent être renversés, pour l’attaque des villes maritimes; d’autres enfin sur lesquels des armées très nombreuses puissent traverser des fleuves, en masse et avec ordre.

Il faut savoir construire toutes ces choses d’après les anciens architectes, au moyen de matériaux faciles à se procurer, avec des formes variées sous des dimensions aussi petites que possibles, de peu de poids, susceptibles d’être faites par des ouvriers quelconques, aisées à réparer, difficiles à enlever de vive force, d’un transport commode, sûres, difficiles à briser, aisées à monter au besoin et à démonter. Toutes ces connaissances, qui peuvent fournir des ressources faciles à l’art stratégique pour le siège des places, en ce qui concerne soit la construction soit l’usage [des machines], se trouvent déposées dans ce livre, où nous les avons mises par écrit les unes à la suite des autres et avec ordre.

3. — Et qu’un éplucheur de mots, curieux de trouver ici la diction d’un atticiste, ou bien l’art, la beauté, l’harmonie du style et l’emploi habilement calculé des figures, ne vienne point critiquer ce qu’il y a d’humble et de vulgaire dans nos expressions! Qu’il écoute plutôt les savants hommes de l’antiquité lui dire que tout traité sur l’art des sièges doit être rendu clair et facile à comprendre par des redites, des répétitions, des explications subsidiaires pour faciliter l’intelligence des pensées et des opérations, mais que les préceptes de la dialectique et les préceptes correspondants [de la rhétorique] n’y sauraient trouver une application convenable. Qu’il apprenne aussi que, suivant le témoignage de Porphyre, si avancé dans la sagesse, le grand Plotin écrivait sans aucun égard pour la calligraphie, sans même diviser clairement ses syllabes et sans s’inquiéter de l’orthographe, niais en ne se préoccupant que de la pensée et des choses exprimées; car il savait qu’il y a trois genres de fautes, savoir: dans les mots, dans les pensées et dans les choses; que celui qui se trompe dans les mots ne doit pas être blâmé, attendu que les pensées et les choses n’en éprouvent aucun dommage; que celui qui commet une faute dans les pensées mérite de sévères reproches, comme parlant d’une manière insensée sur les choses exprimées par les mots; et qu’on doit être plus rigoureux encore pour l’homme aveuglé sur les choses elles-mêmes, parce que c’est un fou qui écrit des faussetés, et qui tombe dans cette ignorance habituelle que Platon nomme une ignorance double, en ce qu’elle consiste à savoir que l’on connaît et à ne pas savoir que l’on ignore. D’un autre côté, l’historien Callisthène dit : « Celui qui entreprend d’écrire ne doit pas s’écarter de son rôle, mais assortir sa pensée à sa personne et au sujet qu’il traite. Certes, pour développer un sujet, on retirerait plus de profit de ce précepte que de ceux de Philolaüs, d’Aristote, d’Isocrate, d’Aristophane, d’Apollonius et d’autres auteurs semblables. Car ceux-ci ne paraîtront pas, sans doute, inutiles à des jeunes gens studieux qui voudront se former aux exercices élémentaires; mais, pour ceux qui voudraient se livrer à un travail sérieux, ces préceptes seraient très éloignés de fournir des connaissances vraiment pratiques. C’est pourquoi Héron le mathématicien, comprenant le précepte de Delphes qui nous rappelle d’épargner le temps, et sachant aussi qu’il faut connaître la mesure du temps, parce que c’est le terme de la sagesse, pensait que la partie la plus importante et la plus nécessaire des études philosophiques était celle qui concerne la tranquillité : elle est encore aujourd’hui, disait-il, l’objet des recherches de beaucoup de philosophes, et il assurait que jamais on n’y parviendrait par des paroles. Mais la mécanique, surpassant par des actes l’instruction en paroles, a enseigné à tous les hommes l’art de s’assurer une vie tranquille, et cela par une seule partie de cette science, par celle qu’on nomme construction des projectiles de guerre. Car par elle on se met en état de ne jamais craindre les invasions des adversaires et des ennemis, soit pendant la paix, soit pendant la guerre, pourvu qu’en tout temps et en toute circonstance, outre les provisions de bouche pour les sièges et les expéditions, outre les préparations dites d’Epiménide, dont une petite quantité suffit à l’estomac, outre certains aliments qui, pris à faible dose, calment la faim et préviennent la soif, on se procure aussi avec le plus grand soin tout ce qui est nécessaire à la fabrication des projectiles de guerre. Puisque, d’ailleurs, ceux qui savent bien d’une manière générale ce qui concerne l’établissement des sièges, savent aussi les moyens d’y résister, et que ces deux choses, quoique contraires, ne forment en réalité qu’une même science, par conséquent ceux qui, à l’aide de la mécanique, à l’aide de l’art de préparer pour chaque jour des aliments dont une petite quantité suffise à l’estomac, et à l’aide d’un régime pratiqué en commun avec un ordre parfait, seront en état de former ou de faire lever un siège, ceux-là passeront leur vie dans la tranquillité. Aussi, contre ces écrivains si féconds, qui perdent leur temps en discours futiles, qui déploient une élocution fleurie pour orner de vailles déclamations consacrées à développer la définition d’un objet inanimé, à faire l’éloge ou la satire d’un animal, non d’après son mérite, mais de manière à faire parade de la variété de leurs connaissances, contre ces écrivains, dis-je, l’indien Calanus de Taxile a pu dire avec convenance : « Nous ne ressemblons point au philosophes grecs, chez qui, sur des sujets minces et sans importance, il se fait une énorme dépense de discours pleins d’habileté : nous, au contraire, sur les sujets les plus importants et les plus utiles à la vie, nous avons coutume de donner des préceptes aussi courts et aussi simples que possible, afin que tout le monde puisse les retenir aisément. »

(Traduction de M. Th.-Henri Martin modifiée).[4]

CHAPITRE I

DU SIÈGE DES VILLES SITUÉES SOIT SUR DE HAUTES COLLINES, SOIT EN PLAINE, ET DES MACHINES NÉCESSAIRES POUR CELA

I. — Le général, très habile dans la conduite des armées, conservé par la Providence suprême à cause de sa piété, toujours soumis aux ordres, aux intentions et à la sagesse de nos divins empereurs, et dont le devoir est d’assiéger dans leurs places fortes les ennemis et les rebelles, doit d’abord, dans ses excursions, observer exactement la position des villes; il doit, avant tout, garder exemptes de tout dommage les troupes qu’il commande; il doit ensuite entreprendre le siège des villes ennemies, et, se préparant ostensiblement à donner l’assaut (καστρομαχεῖν) d’un côté, pour que les ennemis, induits en erreur, apprêtent de ce côté-là leur résistance, faire avancer d’un autre côté ses machines; il doit diriger ses attaques vers les parties les plus faibles des murailles, de telle sorte que les corps de troupe se succèdent sans interruption; il doit troubler sans cesse les assiégés en les attirant de côté et d’autre, et faire retentir pendant la nuit le bruit des trompettes vers les points les plus fortifiés, afin que la multitude des ennemis, croyant ces intervalles enlevés, quitte les courtines pour s’enfuir avec les autres.

2 — Si les villes sont situées sur des collines ou sur des hauteurs escarpées et difficilement abordables, il faut se protéger contre les masses que les ennemis peuvent rouler d’en haut, telles que des pierres rondes, des colonnes, des roues, des moellons, des chariots à quatre roues chargés de fardeaux, différentes espèces de paniers de claie pleins de cailloux ou de terre damée, ou bien certaines machines formées de planches jointes circulairement et serrées extérieurement par des liens comme les tonneaux que l’on construit pour contenir du vin, de l’huile ou d’autres liquides, et tous les autres moyens de défense que les ennemis peuvent imaginer.

3. — Pour s’opposer à ces moyens destructeurs, il faut préparer des herses de bois, longues de cinq coudées (2,30 m), que quelques-uns nomment herses en forme de lambda (λαβδαραίας), et dont chaque branche ait une grosseur d’environ deux pieds de tour, de telle sorte qu’elle ne puisse être brisée ou fendue, mais qu’elle résiste au choc des masses pesantes; il faut construire ces herses en nombre suffisant pour pouvoir les disposer sur trois rangs ou même sur quatre rangs. En effet, en entourant ainsi les lieux escarpés et difficiles à gravir, on peut monter sans autre danger que celui d’être exposé aux projectiles; car l’impétuosité violente des pierres vient s’amortir contre le bec des herses.[5]

4. — Il y a encore un autre moyen de se préserver du choc violent des masses roulées d’en haut. Il faut, en commençant au pied de la colline, creuser des fossés obliques, en se dirigeant et en montant vers certaines parties des murs. Ces fossés doivent avoir une profondeur d’environ cinq pieds (1,50 m) et avoir un épaulement qui s’élève à l’aplomb de la tranchée sur la gauche, de telle sorte que les masses roulées d’en haut viennent se heurter contre cet épaulement qui sert ainsi de rempart (προτείχισμα) et de bouclier aux assaillants. Les sapeurs doivent fortifier de la manière suivante la partie du fossé déjà creusée : ils doivent aiguiser par le bout inférieur, en forme de pieux, des pièces de bois d’environ six coudées (2,75 m), ou des troues de jeunes arbres (νεάκια), et les enfoncer en terre en avant de l’épaulement formé par le remblai sur la gauche, afin de présenter de la résistance, les inclinant du côté du sommet de la colline; ils doivent ensuite placer des planches extérieurement à ces pieux, et réunir ceux-ci au moyen de clayonnages faits avec des branches d’arbres; enfin, jetant de ce coté tous les matériaux qu’ils retirent en creusant ils doivent préparer des routes droites pour faire monter les tortues. Ces tortues que l’on approchera doivent être en éperons (ἐμβόλους) ou à la partie antérieure, c’est-à-dire en forme de coin; elles ont pour base un triangle ou un pentagone avec un angle aigu en avant, et, construites sur cette large base, elles vont en se rétrécissant jusqu’à l’arête qui forme le faite de la machine, de telle sorte qu’elles ressemblent par devant à des proues de navire posées à terre et serrées les unes contre les autres. Il faut qu’elles soient petites et nombreuses, pour qu’elles puissent être préparées promptement et facilement et être portées sans peine par un petit nombre d’hommes. Elles doivent avoir à leur base des pointes de bois poli, longues d’un pied, ou des clous de fer au lieu de roues, afin que, posées à terre, elles s’y fixent et ne puissent être entrainées en bas par un choc. De plus, chacune d’elles doit avoir en tête une pièce de bois oblique, comme celle que les chars ont à leur timon, pour l’arrêter et la maintenir en place quand elle va reculer sur la pente, surtout lorsque ceux qui la font avancer en montant sont las et ont besoin de se reposer un peu. Il arrivera donc, ou bien que les masses lancées d’en haut, tombant dans le fossé, seront détournées de leur direction, ou bien que, venant frapper coutre les pieux inclinés obliquement, elles seront arrêtées dans leur course, ou bien que, se heurtant contre le bec des tortues éperons, elles seront rejetées d’un côté ou de l’autre et que l’espace intermédiaire sera à l’abri de leurs coups.[6]

5. — Mais il vaut mieux faire avancer aussi les tortues dites tortues d’osier (γερροχελώναι), plus légères que les tortues éperons; elles sont de même forme, et on les fait en entrelaçant des branches d’osier fraîchement coupées, ou bien des branches de tamaris ou de tilleul; elles sont aussi terminées en angle aigu en avant et jusqu’à l’arête qui forme le faîte de la machine.

6. — Quant aux tortues boucliers (λαῖσαι)[7], extrêmement légères et faciles à construire, faites aussi de sarments de vigne ou de baguettes (βεργῶν) fraîchement coupées qu’on entrelace en dos d’âne, il ne faut pas les porter dans les lieux en pente rapide et escarpée, de peur que, incapables de résister au choc de trop fortes masses, elles ne causent la mort de ceux qui les conduisent. Mais il faut plutôt s’en servir quand les villes sont situées dans des plaines et en rase campagne, car c’est alors qu’elles pourront rendre de bons services.

7. — Les troupes qui montent à l’assaut (ὁ δὲ πρὸς τὴν καστρομαχίαν ἀνερχόμενος λαός) marcheront derrière les éperons, c’est-à-dire les tortues, dont la largeur les protège, et elles seront à l’abri des traits ou des pierres de fronde sous les tortues nommées vignes (ἀμπελοχελώναι) dont voici la structure: les hoplites portant des pieux verticaux; ces pieux sont alternativement de deux longueurs inégales; leur grosseur est d’environ douze doigts (0,20 m) de tour; ils sont attachés à cinq pieds (0,50 m) de afin que leur distance de cinq pieds soit invariable; les plus longs de ces pieux doivent avoir plus d’une

fois et demie et les plus courts plus d’une fois la hauteur d’un homme, Recouverts en dessous, ils ressemblent à une treille de vigne à cause de leur inégalité.[8] L’espace compris depuis le haut de la tortue éperon jusqu’aux pieux inégaux recouverts sera vu ensemble dans la figure. Les pieux portés par les hoplites devront avoir à leur extrémité inférieure comme des épées qui, s’enfonçant en terre, permettront aux porteurs de se reposer. On y suspend, en dehors et en tête, des peaux ou des toiles de lin bien épaisses ou des étoffes velues, et sur les pieux d’inégale hauteur on place des peaux doubles, non pas tendues de manière à présenter une surface unie, mais un peu ramassées et relâchées entre les pieux inégaux, afin que, cédant aux projectiles qui les frappent, elles en amortissent la force, et qu’à l’intérieur les soldats restent à l’abri de tout mal.[9]

8. — Si les villes sont situées en plaine et en rase campagne, il faut faire avancer les tortues protectrices des terrassiers (τὰς χωστρίδας χελώνας), tortues portées sur des roues (ὑποστόχους οὖσας) et couvertes par devant, afin que ceux qui comblent les fossés ne puissent être frappés par les ennemis, ou bien les tortues boucliers dont il a été question plus haut, tortues très légères et utiles pour combler les fossés, pour remblayer les lieux pleins d’eau et inondés par la pluie, et pour faire disparaître par un nivellement toutes les mares voisines des murs, de telle sorte que l’approche des machines soit facile et exempte de dangers.

9. — Il faut examiner avec une grande attention les passages de plain-pied qui se présentent sur les fossés, parce que souvent les ennemis y ont caché sous terre des vases d’argile, et qu’ainsi le chemin, qu’on a trouvé commode et sans danger pour les hommes, se défonce sous le poids excessif des machines, et se déchire par le brisement et l’affaissement des vases d’argile qui se trouvaient au-dessous. Il faut donc, avec des javelots solides, armés de fortes pointes de lances, ou bien entièrement en fer, ou bien avec certaines tarières propres à cet usage, sonder le terrain.

10. — Pour se préserver des chausse-trappes (τριβόλους) invisibles, semées çà et là par les ennemis et mêlées à la terre, il faut mettre sous la chaussure des semelles de bois qui permettent de marcher sur les chausse-trappes sans se faire de mal, ou bien il faut en nettoyer le terrain avec des râteaux armés de dents que quelques-uns nomment des griffons (γριγάνας).

11. — Quant aux portes (θύρας) posées sur des fosses, il faut les découvrir en sondant et les déterrer avec des hoyaux à deux dents (δικέλλαις).

12. — Il faut aussi que les mines ὑπορύξεις) creusées sous terre près du rempart le soient d’une manière cachée et profonde vers les fondations du mur, et non à fleur de terre, de peur que les ennemis, s’en étant aperçus, ne fassent une contre-mine à l’intérieur, et, qu’ayant percé le rempart à l’opposite, ils ne fassent périr par la fumée et par l’eau ceux qui travaillent dans la galerie (τὴν ὀρυγήν).

13. — Tous les objets qui viennent d’être décrits se trouvent ci-dessous rangés par ordre et avec leurs figures.[10]

(Traduction de M. Th.-Henri Martin modifiée.)

CHAPITRE II

DES ÉCHELLES DE CUIR ET DES ÉCHELLES RÉTICULÉES.

1. — Celui qui veut s’emparer facilement d’une ville doit, d’après Philon d’Athènes, envahir subitement le territoire ennemi, en choisissant de préférence l’époque des vendanges ou bien le jour d’une fête célébrée en dehors de la cité. Car, la plupart des habitants étant alors sortis de la ville, il fera beaucoup de prisonniers et il lui sera aisé de prendre la ville ou de la soumettre à un tribut, parce que les citoyens restés dans l’intérieur des remparts seront poussés par leur affection et par leurs liens de parenté à lui accorder ce qu’il sollicitera en échange des prisonniers.

2. — Si nous voulons nous emparer par surprise et pendant la nuit d’une ville, alors que les citoyens ignorent notre arrivée et n’ont aucun soupçon, il faut choisir ou bien la saison d’hiver, parce que, à ce moment, la plupart des habitants, à cause du froid, se renferment dans leurs maisons et ne sont pas prêts à combattre, ou bien une fête générale célébrée dans la ville.[11] Lorsque, vers la fin de la fête, la foule se livrera aux jeux et sera abattue par l’ivresse, nous préparerons et nous approcherons des murs les échelles de cuir. Ces échelles sont cousues comme des outres; elles sont soigneusement enduites de graisse sur toutes les coutures, de façon à ne pas laisser échapper l’air; car il faut lorsqu’on les gonflera et qu’on les remplira de vent, l’air ne trouvant aucune issue, elles soient forcées de se dresser par l’air même pour permettre l’escalade. Si le mur est plus haut que, ces échelles, on placera au-dessus d’elles des échelles de cordes; ces échelles sont préparées avec des cordes entrelacées et cousues formant un filet, comme celui qu’on appelle sarcine (σάρκινα). La partie supérieure de ces échelles sera munie de crochets, afin qu’elles puissent s’accrocher au mur lorsqu’on les lancera, et faciliter ainsi l’ascension à ceux qui en seront chargés. La figure des échelles est dessinée ici.

CHAPITRE V

DE LA CONSOLIDATION DES TORTUES

1. — Sur la face supérieure des chevrons de ces tortues, on enfoncera d’en haut des clous à tête plate, longs de huit doigts (0,15 m) ou des broches en fer travaillées avec soin. Ces clous ou broches ne seront enfoncés que de quatre doigts et auront par suite une saillie de quatre doigts; ou remplira les intervalles d’un enduit d’argile gras et visqueux (πηλὸν λιπαρὸν καὶ κολλώδη), mélangé de poils de porc ou de bouc, de telle manière que cet enduit ne puisse ni se déchirer ni se fendre. La force des clous et la forme aplatie de leur tête contribueront du reste à le consolider.

2. — Sur les côtés des tortues on suspendra des lambeaux d’étoffe grossière (ῥάκη)[12] ou des peaux, afin que l’assiégé ne puisse faire couler sur les hommes qui travaillent à l’intérieur ni du sable chaud, ni de la poix, ni de … (τήλη) bouillant, ni leur verser d’en haut de l’huile, liquide qui a la propriété de s’échauffer rapidement et de se refroidir lentement; ces substances, aussi bien que le feu, consumeraient la chair des hommes.

3. — Ainsi construites, les tortues ne seront point exposées à être incendiées par les brandons (πυροφόρον) et les matières enflammées qu’on jettera d’en haut. De plus, les liquides brûlants qu’on versera sur elles ne pourront s’infiltrer à travers leurs couvertures.

4. — Il faut de même protéger les clayonnages (τὰ πλέγματα) des tortues boucliers (λαῖσαι) et des tortues en osier (γερροχελῶναι) au moyen de peaux encore fraîches de bœufs récemment égorgés, de telle façon qu’ils puissent braver l’action du feu.

5. — Toutes ces tortues doivent recevoir leur enduit hors de la portée des pierres ou des traits lancés par les machines (λιθοβόλων ὀργάνων καὶ τοξοβολισμῶν). Une fois terminée et montées sur des roues (ὑπότροχοι), on les fera avancer ensemble contre les remparts. Le dessin est ci-dessous.

 

CHAPITRE XIII

DE LA CONSTRUCTION DES TOURS SELON LA MÉTHODE DE DYADÈS ET DE CHÆRÉAS, DISCIPLES DE POLYEIDOS DE THESSALIE

1. — Dyadès et Chæréas, disciples de Polyeidos de Thessalie, mécaniciens qui prirent part à l’expédition d’Alexandre de Macédoine, furent les premiers qui inventèrent les tarières pour percer les murs (τὰ τρύπανα), les ponts volants et les tours de bois (τοὺς ξυλίνους πύργους)portées sur des roues.

2. — Ils donnaient aux plus petites de ces tours une hauteur de soixante coudées (27,70 m), une base carrée de dix-sept coudées (7,90 m) de côté tant en longueur qu’en largeur, et dix étages, dont le plus élevé se rétrécissait en un carré qui avait pour superficie le cinquième de celle comprise entre les quatre côtés de la base, ainsi qu’il sera montré ci-après.

3. — Ils donnaient à d’autres tours, plus grandes que les précédentes dans le rapport de 3 à 2, quinze étages et une hauteur de 90 coudées (41,60 m), et à d’autres tours, doubles des premières, vingt étages et une hauteur de 124 coudées environ (57,30 m).

4. — Ils construisaient les grandes et les petites tours d’après les mêmes proportions, en augmentant et en diminuant les dimensions des pièces de bois, c’est-à-dire la longueur, la largeur et l’épaisseur, et, de même, ils proportionnaient les divisions des étages avec la hauteur des tours.

5. — Ils les faisaient à six roues et quelquefois à huit roues, à cause de leur masse considérable.

6. — Ils faisaient en sorte que la surface supérieure fût toujours le cinquième de celle de la base.

Comme les supports du milieu et les piliers latéraux sont difficiles à trouver à cause de leur grande largeur, il est nécessaire de suivre Dyadès et Chæréas, et de donner à ces supports une base carrée de douze doigts de côté et une surface moindre en haut, surtout aux piliers latéraux, et de choisir pour cela des pièces de bois qui se trouvent avoir des dimensions proportionnées â la grandeur de la tour qu’on veut construire.

Pour ce qui concerne les divisions des tours en étages et les élévations de ces étages, Dyadès et Chæréas, comptant par coudées, donnaient au premier étage d’en bas, à partir de la base, une hauteur de sept coudées et de douze doigts, à chacun des cinq étages au-dessus du premier une hauteur de cinq coudées seulement, et à chacun des étages supérieurs une hauteur de quatre coudées et un tiers. L’épaisseur totale des planchers des étages, le plancher de la base et le faîte de la tour, étaient compris dans le calcul de la hauteur. De même, dans la tour la plus petite, la division des étages gardait les mêmes proportions par rapport à la hauteur. Ainsi nous trouvons que, pour la construction des tours mobiles, les dimensions adoptées par Apollodore sont, non seulement proportionnelles, mais parfaitement égales aux dimensions prises par Dyadès et Chæréas.

(Traduction de M. Th.-Henri Martin.)

CHAPITRE XIV

FRAGMENT

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Pour ce qui concerne les divisions des tours en étages et les élévations de ces étages, Dyadès et Chæréas, comptant par coudées, donnaient au premier étage d’en bas, à partir de la base, une hauteur de sept coudées et douze doigts (3,50 m), à chacun des cinq étages au-dessus du premier une hauteur de cinq coudées seulement (2,40 m), et à chacun des étages supérieurs une hauteur de quatre coudées et un tiers (2,00 m). L’épaisseur totale des planchers des étages, le plancher de la base et le faîte de la tour étaient compris dans le calcul de la hauteur. De même, dans la tour la plus petite, la division des étages gardait les mêmes proportions par rapport à la hauteur.

(Traduction de M. Th.-Henri Martin.)

CHAPITRE XIX

DE L’ÉCHELLE MOBILE SUR DES ROUES  ET PORTANT UN PONT (ἐπιβάθρα)

1. — Il y a aussi une échelle d’une autre forme, montée sur des roues, faite de bois forts et légers, à la partie supérieure de laquelle s’adapte extérieurement, au moyen d’un axe, une autre échelle destinée à servir de pont.

2. — Les extrémités de l’axe qui sont engagées dans les montants de la première doivent être cylindriques, et leur circonférence doit être polie de façon à permettre à cette seconde échelle de se rabattre facilement, quand on veut la rapprocher de la pièce inférieure, et aussi pour qu’on puisse la redresser aisément, quand on la tire de l’arrière avec des cordes disposées symétriquement et munies de machines appelées moufles (διὰ μαγγάνων τῶν λεγομένων πολυσπάστων). Ces moufles sont des poulies disposées à la suite les unes des autres, de manière à produire une grande force pour tendre ou relâcher les cordes.

3. — Il faut, à la partie supérieure de la première échelle, établir des arrêts et certaines saillies pour empêcher que la seconde, quand elle sera dressée, ne se renverse et ne tombe sur ceux qui la font mouvoir.

4. — Si l’échelle du bas est d’une seule pièce, il faut que chaque échelon dépasse les montants, et que ces parties en saillies soient percées de manière à faire passer par ces trous une corde bien tendue qui empêche l’échelle de se briser. Si elle est composée de plusieurs pièces, on la construira comme les échelles dont on a parlé plus haut.

5. —Quant à l’échelle supérieure, il faut qu’elle soit couverte d’un plancher dans toute sa longueur, et renforcée encore par des cordes qui l’entourent, de façon à présenter un passage solide une fois qu’elle sera appuyée contre le mur. On l’élèvera au-dessus de l’autre, on la dressera bien verticalement, et on les approchera toutes du rempart en même temps.

6. — L’échelle inférieure, qui est munie d’échelons pour permettre de monter, doit être placée en face du mur, à une distance telle qu’en lâchant les cordes dans une certaine mesure, l’extrémité de l’échelle planchéiée vienne, en s’abaissant, tomber sur le mur et fournir ainsi lui passage aux assaillants.

7. — La largeur de l’échelle et du pont doit être telle que cinq, quatre ou au moins trois hommes puissent passer de front sur le pont et combattre ensemble contre les défenseurs qui se tiennent sur la muraille.

8. — Il faut mettre des armatures de cuir sur les deux côtés de l’échelle et du pont, de manière à amortir les coups qui viendraient de côté. Il faut encore assurer l’échelle inférieure avec des pieux fichés en terre et la fixer avec des cordages tendus. Cette échelle doit être plus élevée que le rempart d’au moins trois pieds, pour que les traits qui viennent dudit rempart ne puissent arriver jusqu’aux porteurs qui sont en bas et frapper ceux qui manœuvrent les cordages; de plus, le pont s’abaissant du côté du mur, les soldats n’auront qu’à descendre et seront pleins de courage et d’ardeur ; si l’échelle était moins élevée que le mur, il arriverait le contraire. La figure est ci-dessous.

CHAPITRE XX

DE LA TORTUE PORTANT UN PONT

I. — On fera aussi un pont très commode et qui seul porte le nom de διαβάθρα, lorsque l’on aura à traverser des fossés larges ou profonds et pleins d’eau qu’il sera impossible de combler.[13]

2. — Ce pont aura une longueur égale à la largeur du fossé et sera rendu facilement mobile comme nous l’avons indiqué.[14]

3. — Il sera dressé à l’avant d’une tortue de terrassier (χοστρίδος χελώνης) et manœuvré de l’arrière par des cordes ou bien par les moufles dont nous avons parlé plus haut,[15] lorsque les dimensions ou les poids l’exigeront.

4. — Quand, à l’aide de la tortue qui le porte, on l’aura approché du bord extérieur du fossé, on détendra les cordes qui sont par derrière, et l’extrémité du pont, en s’abaissant, ira tomber sur le bord opposé, et fournira ainsi un passage sûr à ceux qui s’élanceront pour traverser le fossé, munis des tortues boucliers (λαῖσαι).

5. — Celles-ci seront enduites d’argile sur le clayonnage et protégées, par un mélange de cendre et de sang ainsi que par des cuirs frais de bœuf, contre les matières incendiaires et les liquides bouillants que l’on jette du haut du mur.

6. — De même que pour les tortues de sapeurs (τῶν ὀκρυτρίδων χελωνῶν), ainsi que nous l’avons montré plus haut, de même pour ces tortues boucliers, il faut que la distance entre les différentes tortues ne soit pas de plus de vingt pieds (7,20 m), et c’est à trois pieds (0,9 m) au-dessus de terre que les travailleurs devront commencer à percer le mur. La figure est ci-dessous.

CHAPITRE XXI

DE LA TORTUE DE TERRASSIERS MUNIE D’UN RADEAU SELON PHILON DE BYZANCE

1. — D’après Philon de Byzance, on approche de ces sortes de fossés des tortues de terrassiers (χελώνας χωστίδας), munies de radeaux (σχεδίας)[16] au moyen desquels on dirige les soldats vers la partie du mur que l’on veut attaquer.

2. — Ces soldats enfoncent des chevilles de fer trempé qui pénètrent dans les joints et dans les fentes[17] des briques et des pierres; ils frappent ces chevilles à coups de marteaux de fer à mesure qu’ils montent.

3. — On a aussi des crochets, munis de cordes et de filets, qu’on lance sur les créneaux et qui les saisissent, de façon que les soldats, quand une fois ils en ont l’habitude, ne se refusent pas à cette escalade. C’est ce mode d’attaque qu’emploient d’ordinaire les Égyptiens, pour s’emparer sans grande peine des places qui ne sont point préparées à se défendre, qui ne sont pas très fortes et dont les remparts n’ont qu’une médiocre hauteur. La figure est ci-dessous.

CHAPITRE XXII

DE QUELQUES REMARQUES AYANT TRAIT A TOUTES LES

ÉCHELLES ET A TOUS LES PONTS

1. — Il faut, chaque fois qu’on se servira d’échelles, ou de ponts, ou d’autres procédés d’escalade, bien prendre garde aux épais filets de lin que les assiégés auraient pu préparer à l’avance. Car, en lançant ces filets et les retirant aussitôt, on saisit vivants ceux qui grimpent [le long des murs], ou qui s’élancent sur les ponts [volants], et qui tombent ainsi au pouvoir de leurs ennemis.

2. — Il faut veiller à ce que l’ascension au moyen d’échelles soit exempte de dangers, comme nous l’avons dit lorsque nous avons traité en détail des poutres ancrées et des corps pesants qu’on lance du haut des murs

CHAPITRE XXV

DES MACHINES NAUTIQUES PROPRES A L’ATTAQUE DES VILLES

1. — Il y a certaines machines (μηχανάς) que l’on fait agir de dessus des embarcations (πλοίων); quelques personnes les appellent sambyques (σαμβύκας), à cause de leur analogie avec les instruments de musique qui portent ce nom ; elles sont semblables au tube (αὐλῷ) que nous venons de décrire, sauf qu’elles ne présentent pas la disposition en forme de voûte.

Athénée dit qu’elles ne méritent point une description, parce que tout le monde les connaît et que leur mode de construction saute aux yeux. Souvent il vaut mieux ne pas en avoir que de les construire contrairement aux principes et dans de mauvaises proportions. Lors du siège de Chio, on s’en était rapporté au coup d’œil pour déterminer leur grandeur: aussi se trouvent-elles plus hautes que les tours, et les soldats qui étaient montés sur les sambyques périrent tous par le feu, ne pouvant ni descendre sur le mur à cause de cette trop grande hauteur, ni abaisser d’aucune façon la machine elle-même. Si cet incendie n’avait pas eu lieu, les barques auraient été renversées, parce que le centre de gravité de l’appareil était placé trop haut. C’est pourquoi il convient que ceux qui sont chargés de construire de telles machines ne soient point étrangers à la science de l’optique.

2. — Quelques ingénieurs (ἀρχιτεκτόνοι) se servent aussi lorsqu’ils veulent prendre une ville maritime, de deux embarcations qu’ils relient. Ils dressent au-dessus la tour de charpente (τὸ μηχάνημα) et la font ainsi avancer par les temps calmes contre les murs de l’ennemi. Mais, si les embarcations sont surprises par un vent contraire et qu’elles viennent à être battues par le ressac, la tour établie au-dessus d’elles vacille et se disloque sous l’influence de ces secousses. Les deux barques n’ont pas toujours, en effet, le même mouvement; il peut arriver que l’une d’elles soit au sommet de la vague, tandis que l’autre sera dans le creux: et, si notre engin, ainsi secoué, vient à se briser par l’effet même de nos propres combinaisons, la confiance et l’audace de nos ennemis s’en accroîtront certainement. L’esprit humain étant fertile en ressources, il faut non seulement que nous connaissions les belles inventions des autres, mais encore que nous en trouvions de nouvelles par nous-mêmes: aussi aurons-nous soin, pour lester notre machine, de fixer au milieu du plancher qui recouvre les deux barques ce qu’on appelle une guenon (πιθήκον): c’est un poids analogue comme dimensions à celui qu’on voit dans la figure. On le suspend à la partie inférieure de l’appareil qu’on veut équilibrer; et, quand les flots agités viennent de tous côtés battre les embarcations, l’engin reste droit et ne vacille pas.

3. — Il faut également prendre ses dispositions pour résister aux vents contraires, ainsi qu’aux assiégés; on préparera donc de petites hélépoles (ἑλεπόλεις) semblables à certains mantelets (θωρακία), en forme de tour, ou bien des engins d’escalade (ἐπιβατήρια) de hauteur convenable et faciles à manier, de telle façon que, quand les embarcation seront près du rempart, ces engins puissent être dressés au moyen de câbles et de moufles, comme nous l’avons dit plus haut, et donner accès sur le rempart ……………………………………………………

Toutes les choses dont nous venons de parler sont reproduites dans les figures ci-dessous.

 

CONCLUSION DE L’OUVRAGE.

Telles sont les machines de siège que nous avons réunies avec ordre et choix pour les décrire en détail. C’est en les faisant construire avec calcul et avec une vigilance continue attentive que les chefs des expéditions militaires, faisant briller partout l’image de la justice divine, honorés pour leur caractère juste et pieux, fortifiés et protégés par la main puissante, le concours et la coopération des princes de Rome,[18] de ces princes adorateurs de Dieu et amis du Christ, pourront surtout facilement prendre les cités d’Agar, sans éprouver eux-mêmes aucun dommage irrémédiable de la part de ces ennemis dévastateurs des temples de Dieu.

(Traduction de M. Th.-Henri Martin.)

 


 

[1] La traduction latine du traité de Géodésie a été publiée par Barozzi, en même temps que le traité De machinis bellicis.

[2] Voir la notice qui précède les extraits de la Compilation sur la défense des places.

[3] M. Wescher pense avec raison que le passage imprimé en italiques est tronqué et altéré, parce que l’on n’y trouve aucune mention ni de Héron d’Alexandrie, ni de Philon, dont les écrits sont cependant cités à plusieurs reprises dans le cours de l’ouvrage. Il propose de lire : τὰ Βίτωνος πρὸς Ἄτταλον περὶ κατασλευῆς πολεμικῶν ὀργάνων ἐκ διαφόρων συλλεγέντα προγενεστέρων μηχανικῶν· [τὰ Ἥρωνος Ἀλεξανδρέως] βελοποιίκα· λαὶ τὰ [Φίλωνα] πρὸς πολιορκίαν ἀντιμηχανήματα φυλακτικὰ τε καὶ διατητικὰ ἐπί τε συστάσει καὶ ἁλώσει πύργων διάφορα παραγγέλματα κ. τ. λ. dans les compilations sur la construction des engins de guerre faites par Biton dans les écrits de divers mécaniciens antérieurs et adressés par lui à Attale; dans le traité des projectiles de guerre par Héron d’Alexandrie et dans les préceptes donnés par Philon, sur les machines à opposer aux assiégeants, ainsi que sur les précautions â prendre et le régime à suivre, ou bien encore sur la construction et l’attaque des tours, etc.

[4] Je n’ai presque rien changé à la traduction de M. Th.-Henri Martin; j’ai dû cependant prévenir le lecteur de ces modifications, afin d’en prendre la responsabilité.

[5] Extrait d’Athénée.

[6] Extrait d’Apollodore.

[7] Le mot λαισήιον désignait une espèce de bouclier léger. (Voyez Homère, Iliade, v, 453, et xii, 426; Hérodote, VII, 91, et une scholie dans Athénée, xv, p. 695 F.) Héron reparle de cette sorte d’abri et en donne la figure au chapitre xx.

[8] Ces tortues s’appelaient également en latin vineae (Végèce. iv, 14; César, B. G., ii, 2 Tite Live, xxxvii, 26). Leur forme est en effet celle des treilles carrées (vineae compluviatae) dont parle Pline, xvii, 35 (21), n° 6.

[9] Extrait d’Apollodore.

[10] Les figures publiées par Thévenot et M. Wescher sont évidemment incomplètes ou tronquées : aussi n’ai-je reproduit que celles qui touchent de plus près à notre sujet ; on les a placées dans la traduction au milieu des descriptions auxquelles elles se rapportent.

[11] Cf. Polyen. Siège de Syracuse, fragments inédits publiés par M. Wescher.

[12] Ce mot est tout à fait l’équivalent du mot latin centones « Coria autem, ne rursus igne ac lapidibus corrumpantur, centonibus conteguntur. » (César, Bell. Civ., II, ix.) “Crudis ac rerentibus coriis vel centonibus operitur.” (Vég., De re mil., IV, xv.) On appelait également centones les vêtements faits de pièces et de morceaux qu’on donnait aux esclaves, et les couvertures grossières qu’on plaçait sous le bât des bêtes de somme. L’industrie des centonarii était fort importante à Rome.

[13] Héron distingue ici le pont qui se lance en travers (διά) d’un fossé d’avec celui qui se lance sur (ἐπί) un mur et dont il a parlé dans le chapitre précédent, sous le nom de ἐπιβάθρα.

[14] Héron., xix, 1.

[15] Id., xix, 2.

[16] Il s’agit ici, non point d’un radeau ordinaire mais d’un radeau sur lequel on a établi un fortin en charpente que figure le cube placé près de la tortue. Apollodore en décrit la construction (pp. 189-193 de l’édition Wescher). Cette description est reproduite par Héron dans son ch. xxvi (éd Wescher, pp. 271-276).

[17] Je lis διαφύσεις comme dans Philon, au lieu de συμφύσεις donné dans le texte de M. Wescher.

[18] Les empereurs de Constantinople gardaient le titre d’empereurs romains en leur qualité de successeurs de Théodose le Grand. (H. M.)