(HÉRON DE CONTANTINOPLE)
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ANONYME
Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer
COMPILATION ANONYME SUR LA DÉFENSE DES PLACES FORTES
TRADUITE POUR LA PREMIERE FOIS DU GREC PAR M. E. CAILLEMER
NOTICELe volume des Veteres mathematici se termine par un morceau incomplet, relatif à la Défense des places (pp. 317 à 330 et p. 361 à 364), qui a pour titre Ὅπως χρὴ τὸν τῆς πολιορκουμένης πόλεως στρατηγὸν πρὸς τὴν πολιορκίαν ἀντιτάττεσθαι καὶ οἵοις ἐπιτηδεύμασι ταύτην ἀποκρούεσθαι. Ce morceau se trouve dans un assez grand nombre de manuscrits grecs dont voici les principaux Bibliothèque de Paris, 2435, 2437, 2441, 2445; Id. de Munich, 195 Id: de Turin, 60; Id. de Vienne, 114. Dans ce dernier manuscrit, le fragment qui nous occupe se trouve à la suite d’un ouvrage intitulé: Ἥρωνος παρεκβόλαι, etc., avec le titre : Τοῦ αὐτοῦ ὅπως χρὴ τὸν τῆς πολιορκουμένης, etc. M. Th.-Henri Martin[1] établit, au moyen de la grécité du texte et de diverses citations historiques faites par l’auteur, que cet auteur est bien Héron de Constantinople, qui composa les Poliorcétiques dont nous avons donné des extraits. Tous ces traités auraient, d’après l’opinion du savant que nous venons de citer, fait partie d’une sorte d’encyclopédie composée vers le milieu du Xe siècle par ordre de Constantin Porphyrogénète. Le morceau sur la défense de places de guerre se compose de deux parties distinctes. La première est relative aux Préparatifs de défense; elle est fort intéressante pour nous, parce que c’est le seul ouvrage qui noué permette de juger de ce que pouvaient être les livres, aujourd’hui perdus, qu’Ænéas et Philon avaient composés sur ce sujet. La seconde partie est une compilation d’exemples, souvent extraits textuellement de Polybe, d’Arrien et de Flavius Josèphe, liés ensemble par les réflexions et les préceptes de l’auteur. Le texte tel que l’ont publié Thévenot et Lahire est extrêmement incorrect; il fallait toute la science et toute la sagacité de M. Caillemer pour pouvoir retrouver la pensée de l’auteur dans ces phrases sans ponctuation, où la plupart des mots sont complètement travestis. A. R. ********************* La traduction du traité anonyme, attribué à Héron de Constantinople, que M. de Rochas nous a demandée et qu’il publie aujourd’hui, laisse beaucoup à désirer, et notre premier soin doit être de faire appel à l’indulgence des lecteurs. Les hommes les plus éminents, préparés par des études techniques spéciales et ayant à leur disposition plusieurs manuscrits à l’aide desquels ils ont pu reconstituer les textes, ont souvent échoué dans leurs tentatives de traduction des ingénieurs grecs: M. Vincent lui-même n’y a toujours réussi, comme le prouve le fragment de Philon que M. Ruelle a communiqué, le 4 novembre 1870, à l’Académie des inscriptions et Belles-lettres. Il ne faut donc pas être surpris si notre œuvre est très imparfaite : non seulement nous étions au prises avec les difficultés qui ont arrêté nos prédécesseurs mais encore nous abordions un sujet étranger à nos études habituelles, et nous avions point toute ressource l’édition très défectueuse des Mathematici veteres. Si, mettant de côté tout amour propre, nous laissons imprimer cet essai, c’est qu’il pourra servir de base à des travaux de rectification : aussi nous acceptons à l’avance les critiques qu’on voudra bien nous adresser. Nos annotations personnelles sont peu nombreuses. Elles ne se confondent pas avec celles de M. de Rochas, que suivent les initiales du nom de leur auteur. E. Caillemer. COMPILATION ANONYME SUR LA DÉFENSE DES PLACES FORTES
DES MOYENS QUE LE GÉNÉRAL D’UNE VILLE ASSIÉGÉE DOIT EMPLOYER POUR SOUTENIR LE SIÈGE ET POUR TRIOMPHER DES ASSIÉGEANTS.
I. — L’assiégé ne doit pas se décourager, lors même que le siège durerait depuis longtemps. Car, peut-être, les différents corps de l’armée assiégeante ne resteront pas toujours en bonne intelligence ; ou bien l’hostilité de leurs voisins, provoquant des diversions, les rappellera dans les pays auxquels ils appartiennent. Ils souffriront peut-être de la famine ou de maladies pestilentielles, causées le séjour trop prolongé de nombreux corps d’armée dans le pays; enfin, le général de l’armée assiégeante, si distingué et si puissant qu’on le suppose, pourra être mis dans l’impossibilité absolue de rien faire et de rien supporter par beaucoup de circonstances, même fortuites. 2. — C’est pourquoi, Dieu aidant, vous devez avant tout, Général, vous renseigner sur les premiers mouvements des ennemis, soit par des déserteurs, soit par des espions; et il est toujours possible de le faire en un jour. 3. — Vous devez aussi, en tenant compte de la durée probable du siège (durée qui peut être de six mois ou d’un an), préparer tout ce qui sera nécessaire à la nourriture et à l’entretien, non seulement des soldats, mais encore de ceux qui ne peuvent pas porter les armes, si le pays offre beaucoup de ressources, et si les ennemis ne sont pas venus le ravager et l’incendier dans le courant de l’année, ainsi qu’il est habituel de le faire lorsqu’on se propose de mettre le siège devant une ville.[2] — Si, au contraire, la localité est misérable, si les environs sont peu fertiles, s’il n’existe pas, à proximité, d’îles pouvant fournir ce qui manquera, et, dans le cas où il en existerait, si les ennemis peuvent espérer qu’ils seront maîtres de la mer et empêcheront les importations, alors le fonctionnaire préposé aux entrepôts devra distribuer, après les avoir mesurés, aux négociants et aux citoyens riches, le blé, l’orge et toutes les autres espèces de récoltes, pour que ces denrées soient ajoutées aux récoltes de l’année. L’épiscope de la ville[3] et quelques citoyens influents seront ensuite chargés du soin de répartir ces provisions entre tous les habitants; ils remettront chacun la quantité de vivres nécessaire pour un mois, d’après une règle qui sera fixée et publiée. Les esclaves que leur maître aura laissés seuls dans sa maison, et les habitants du pays qui n’auront pas de vivres suffisants pour plus de trente jours, devront être avertis par des proclamations d’avoir à se faire connaître au général. 4. — Si les circonstances l’exigent, le général invitera une partie des habitants à se préparer rapidement à l’émigration, parti utile et salutaire, non seulement à ceux qui s’éloigneront, mais encore à ceux qui resteront dans la ville. Quant aux personnes qui seraient alors dans l’impossibilité de combattre pour la défense de la ville, par exemple, les vieillards, les infirmes, les femmes, les mendiants, et ceux qui, à cause de leurs propres besoins, ne peuvent fournir aucune aide aux défenseurs de la place, il les expulsera de la ville et les enverra dans un autre pays. Cette mesure sera une mesure protectrice pour les défenseurs de la place, en même temps qu’elle sauvera ceux mêmes qui en seront atteints. Il ne faut pas, en effet, que vous soyez obligé, lorsque les ennemis auront investi la ville, de leur livrer ces personnes, comme le fit le roi Achéus.[4] 5. — Parmi les personnes qui, bien que privées de ressources, peuvent cependant servir l’intérêt général par leur industrie particulière, les armuriers, par exemple, les mécaniciens, les cordonniers, les tailleurs, les calfats, les architectes, les tailleurs de pierre, les astronomes qui se rendent utiles en prédisant la pluie et la direction des vents, il faut choisir les plus habiles, et, loin de les repousser, les encourager et stimuler leur zèle. —Ainsi, les armuriers, travaillant nuit et jour, se livreront sans relâche à leurs occupations habituelles : ils fabriqueront des boucliers, des flèches, des épées, des casques. —Les ouvriers en airain feront des pointes de flèches, des épieux, des javelots et des mains de fer destinées à saisir certains objets au dehors et à les attirer dans la ville. Il en sera de même pour toutes les autres choses que les circonstances rendront nécessaires et dont la réflexion démontrera l’utilité. Les inventions de l’ennemi seront, en effet, multiples et variées; mais une expérience et une pratique prolongées sauront reconnaître les moyens qui conviennent à chaque jour et à chaque heure, et créer les machines nécessaires à une défense prudente et habile à varier ses moyens. — Les mécaniciens s’occuperont de la construction des machines, telles que tétrares (τετραραίας), mangonneaux, celles que l’on appelle ilacates (εἰλακάτας) et chiromanganes (χειρομὰγγανα); ils fabriqueront aussi des antennes à l’aide desquelles, du haut des créneaux, on laissera tomber de lourdes pierres en avant des remparts. — Les tailleurs prépareront des plastrons pour mettre sur les cuirasses, et d’épais bonnets, qui, s’il le faut, pourront être employés en guise de casques. — Les rameurs s’exerceront à naviguer et à combattre sur mer. — Le concours des architectes sera surtout très utile; car ils répareront les parties des murs qui auront souffert du choc des béliers, et ils construiront de nouveaux remparts à la place de ceux qui auront été renversés. — Si l’on peut utiliser leurs services, il est bon aussi d’avoir des pêcheurs. 6. — Lorsque la ville et le pays avoisinant offrent une grande abondance de vivres, et qu’il est possible, avant l’arrivée des ennemis, d’introduire dans la place tout ce dont on pourra avoir besoin, il ne faut pas s’exposer, soit à troubler l’ordre à l’intérieur, soit à mécontenter des amis, en forçant une partie des habitants de la ville à émigrer à l’étranger. 7. — S’il y a de l’argent dans le trésor public, on le prendra pour acheter, non seulement du blé, de l’orge, du vin, des légumes, du fromage, de la viande, de l’huile, du millet, mais encore du fer, de l’airain, des armes, de la poix liquide et de la poix sèche, du soufre brut, des étoupes, des cordes de lin ou de chanvre, des torches, de la laine, du balubakion (?), du lin, du foin, de la paille. 8. — Si le trésor public est vide et qu’il y ait des citoyens riches, il faut adresser à ces citoyens des réquisitions d’argent, et, avec l’argent qu’ils verseront, faire les acquisitions dont nous venons de parler. 9. — Avec le prix qu’on retirera de la vente des comestibles, autres que ceux qui seront employés à la nourriture des soldats, on remboursera les sommes que l’on aura prises et on comblera les vides du trésor. — Quant à la nourriture des soldats, à leur paie et aux dépenses qu’ils pourront occasionner, c’est le trésorier public qui devra faire face à ces charges. 10. — On agira de même pour le fer et pour les autres choses analogues. 11. — Il faut prescrire à tous les citoyens d’introduire dans la ville des fascines et de se procurer du bois pour six mois, sinon même pour nu an. Pour plus de sécurité, on annoncera que quiconque ne se sera pas, dans un délai déterminé, pourvu des choses prescrites, sera puni de la peine capitale. 12. — Il faut aussi avoir soin de se procurer de l’eau en abondance, remplir les citernes et généralement tous les récipients disponibles. Lorsque la disette d’eau se fera sentir, on distribuera aux citoyens, en la leur mesurant, l’eau des réservoirs, en procédant de la même manière que pour le blé. 13. — On introduira également dans la ville ce qui est nécessaire à la fabrication des armes, telles que boucliers, épieux et flèches; c’est-à-dire des planches, des troncs de jeunes arbres, des perches et tout ce qui peut servir à réparer les armes. On doit faire en sorte que chaque soldat armé de javelots puisse disposer par jour de dix projectiles, que chaque archer ait cinquante flèches. Quant aux soldats armés d’épieux et qui doivent en venir aux mains, chacun d’eux devra être pourvu de cinq épieux. 14. — Il faut faire aux flèches des entailles, afin que les ennemis ne puissent pas s’en servir contre nous.[5] 15. — On doit aussi rassembler de petites baguettes et des branches d’osier ou de myrte, pour faire des clayonnages destinés à protéger les soldats qui seront placés sur les machines de guerre. 16. — Il faut ensuite mettre les murs en état et y placer les machines; s’ils ne sont pas assez élevés, il faut les exhausser. Souvent, en effet, même pendant que les ennemis assiègent une ville, il n’est pas impossible d’élever et d’exhausser les remparts. Nous avons sur ce point l’exemple de Josèphe. Vespasien avait déjà investi Jotapata, lorsque Josèphe, après avoir fait étendre des couvertures pour protéger les ouvriers, augmenta de beaucoup la hauteur des murailles.[6] 17. — Il faut aussi veiller aux souterrains et prendre à leur égard des mesures de protection. Car beaucoup de villes sont tombées au pouvoir de l’ennemi, parce que celui-ci avait pu y pénétrer par des voies souterraines,[7] C’est ainsi, dit-on, que fut prise Césarée la Grande. Les Perses se consumaient devant elle dans les ennuis d’un long siège; ils étaient même déjà sur le peint de décamper, lorsqu’un enfant sortit de la ville par un souterrain et se dirigea vers les Perses. Quelques soldats s’étant mis à sa poursuite, l’enfant s’empressa de reprendre la route qu’il avait suivie. Il fut ainsi cause de la perte de la ville; car les Perses, le suivant pas à pas, pénétrèrent dans l’intérieur de la place. — On dit également que Naples, en Italie, succomba parce que les assiégeants y entrèrent par des souterrains. — Syracuse, dit-on, faillit être livrée de la même manière par des traîtres qui s’étaient entendus avec les Romains. 18. — On doit aussi percer de nombreuses meurtrières, pour que les défenseurs de la place puissent, sans être vus, atteindre les ennemis, et pour que ceux-ci, s’ils étaient tentés d’amener des échelles, puissent être blessés et repoussés avant de parvenir à la plongée des créneaux. C’est par ce moyen surtout qu’Archimède, cet homme si habile, obtenait des succès sur les ennemis.[8] Il avait fait garnir le rempart de meurtrières, et les soldats établis dans ces meurtrières pouvaient, sans que l’ennemi les aperçût, frapper les assiégeants jusque sur la terre ferme. 19. — Il faut, en outre, creuser des fossés et les faire larges de trente coudées au moins, si le lieu l’exige. Leur profondeur sera égale à leur largeur. Ce serait une excellente mesure d’en creuser deux ou trois, si la chose est possible, et de les remplir d’eau. Sur les bords, on établira des palissades, et même, s’il se peut, un avant-mur, afin que les ennemis ne puissent pas, sans rie grandes peines, s’approcher du rempart. Si, en effet, le fossé est très profond, les ennemis ne parviendront pas facilement à le combler. — Ces fossés seront surtout utiles si l’on n’attend pas de secours du dehors, si l’on peut compter que les ennemis seront nombreux, et si la place n’a ni forts avancés, ni cavalerie pour soutenir les fantassins. 20. — Lorsque la mer entoure complètement la ville ou en baigne une partie, il faut songer à faire une braye,[9] quand même la mer serait très profonde. On se procurera des poutres et des nuits de barque que l’on fixera par une de leurs extrémités, et que l’on étendra en travers de la braye, leurs pointes étant dirigées du côté de la mer. De cette façon, si les ennemis veulent s’approcher à la nage avec leurs chevaux, ils se heurteront contre l’obstacle et se noieront. On préparera aussi des barques cuirassées ; on placera sur la partie du mur qui regarde la mer de nombreux archers et des soldats armés de javelots et de frondes; ces hommes, veillant à leur poste, jour et unit, pourront repousser les attaques des ennemis. 21. — Voici maintenant quelle fut la cause de la ruine de Kitros.[10] Un des habitants, ayant été chassé de la ville par ses concitoyens, se rendit dans le camp des Bulgares. Sous sa direction, ces sauvages ennemis triomphèrent facilement de tous les obstacles, pénétrèrent dans l’intérieur de la ville et mirent à mort tous les habitants. 22. — Il faut aussi construire sur les fossés des ponts faits de poutres de chêne, fortes, épaisses et bien reliées entre elles pour qu’elles puissent résister au poids des cavaliers. Ces ponts auront une largeur convenable; grâce à cette précaution, lorsque, soit de jour, soit de nuit, la garnison fera des sorties contre l’ennemi, les ponts ne seront pas écrasés et ne deviendront pas une cause de danger pour les soldats. — Le malheur que nous voulons éviter arriva aux habitants de la ville de Do… Le pont ayant cédé, une partie de la garnison tomba dans le fossé; les autres combattants restèrent en dehors de la place et furent faits prisonniers; le surplus des défenseurs, découragé par ces événements, se mit à désespérer de son salut. — Annibal, assiégé par les Romains et éprouvant le besoin de retourner à Carthage, combla les fossés avec des fascines remplies de paille, et put emmener en sécurité son armée sans être aperçu par l’ennemi. Voilà un moyen que l’on pourra employer lorsqu’on n’aura pas de ponts. Mais, pour ménager la paille et ne pas la perdre inutilement, il vaut mieux à l’avance se munir de ponts. 23. — De plus, on préparera en dehors des fossés des pièges, en veillant à ce que nos soldats en connaissent l’emplacement et à ce que les ennemis l’ignorent. 24. — On disposera aussi tout, autour de la place des chausse-trappes attachées à des cordes, afin que, si les assiégés veulent faire une sortie contre les ennemis, on puisse les enlever facilement. 25. — On suspendra en dehors des remparts des clochettes. Le son fera connaitre la présence et la marche de l’ennemi, dans le cas où l’assiégeant s’avancerait sans être aperçu par les gardes négligents;[11] on peut aussi supposer que la marche de l’ennemi n’est pas signalée, soit parce que les sentinelles trahissent, soit parce que l’obscurité les empêche de voir, soit parce qu’elles l’ont trop de bruit. Mais il n’est pas possible d’admettre que toutes les sentinelles s’entendront ensemble pour trahir, ni que toutes seront, au même moment, plongées dans un profond sommeil, surtout si l’on organise des rondes et des contre-rondes, les unes pour la première garde de nuit, d’autres pour la seconde, d’autres enfin pour la troisième. 26. — En temps de fête, il faut que le général exerce lui-même une surveillance sur les gardes de nuit, et cela toutes les nuits s’il le peut, afin qu’il ne soit pas exposé à ignorer un fait que les sentinelles n’auront pas remarqué. — Syracuse ne pouvait pas être prise, grâce au génie inventif d’Archimède.[12] Les Romains attendirent nue occasion favorable. Les Syracusains célébrèrent une fête religieuse ; un déserteur informa les ennemis que la population tout entière de la ville prenait part à un sacrifice qui durerait trois jours ; que, par suite du manque de vivres, les Syracusains mangeaient peu, mais qu’ils buvaient beaucoup. Aussitôt les Romains dressèrent deux échelles et s’emparèrent des tours, dont les défenseurs, à l’occasion de la fête, ou bien buvaient à l’excès, ou bien, ivres depuis longtemps, étaient plongés dans un profond sommeil. Les Romains purent les surprendre et les mirent à mort. 27. — Le général doit exiger de tous ses hommes une grande vigilance. Il doit les prévenir que quiconque serait tenté d’abandonner son poste, si ce n’est pour cause de blessures ou pour quelque autre motif raisonnable, encourra la peine capitale, conformément aux lois sur l’abandon du poste (λειποταξίου νόμοι), lois établies par nos ancêtres et qui prononcent la peine de mort contre ceux qui se rendent coupables de ce délit.[13] C’est grâce à ces lois que [les Romains] ont conquis l’empire du monde. Car les soldats, placés sous la menace d’une telle peine, ne s’exposeront jamais à une mort infâme, alors qu’ils peuvent, en faisant toujours face à l’ennemi, laisser à leurs enfants et à leurs descendants un nom glorieux, et peut-être même conserver la vie. En effet, celui qui tournera le dos à l’ennemi évitera difficilement la mort, tandis que celui qui résistera énergiquement se sauvera lui-même et acquerra la gloire réservée à la bravoure et au courage. 28. — Lorsqu’on aura bien pourvu à toutes les nécessités que nous venons d’indiquer, chacun devra s’exercer, pour devenir habile dans sa spécialité, notamment à tirer de l’arc avec promptitude, qualité que l’on trouve chez les Romains et chez les Perses. L’habileté consiste ici à tendre rapidement son arc, à bien préparer ses flèches et à les lancer avec force. Cet exercice est indispensable et rendra des services même aux cavaliers. Il faut aussi habituer les soldats à bien atteindre le but. On les exercera également à lancer le javelot, à jeter avec la main des pierres contre les ennemis, à se servir avec adresse de frondes et d’arbalètes, à bien se couvrir de leur bouclier et à protéger soigneusement leur personne ou celle de leur voisin. Il faut aussi les habituer à manier les machines dites tétrares, mangonneaux et ilacates.[14] 29. — Les commandants organiseront chacun de leurs corps[15] sur le modèle des chiliarchies, si toutefois il n’y a pas déjà des chiliarchies pour la garde du camp. On assignera à chaque corps son poste spécial, en tenant compte de la nature du service qui devra y être fait. 30. — Le commandant de la place, pour rester en relations avec les populations des environs de la ville, choisira, parmi les hommes d’élite, les soldats les plus braves. Ces hommes, dès qu’on fera appel à leurs services, devront immédiatement se porter au secours des points attaqués. 31. — Il faut aussi rassembler sur les remparts des pierres (de grosses, de petites, de pesantes), des poutres, de lourdes chaînes et beaucoup de morceaux de bois pointus par le bout, afin de tuer le plus d’assiégeants qu’on le pourra lorsque le moment sera venu de jeter sur eux ces objets; on brisera ainsi non seulement les boucliers, mais encore les clayonnages sous lesquels s’abriteront les ennemis. 32. — Il faut habituer les soldats aux alertes de nuit, comme si, par exemple, les ennemis escaladaient les créneaux. Exercés et aguerris par ces feintes attaques, les soldats ne seront pas troublés lorsque le besoin d’agir réellement se fera sentir. 33. — On divisera en compagnies et on exercera l’infanterie et la cavalerie. Par de fréquentes sorties, on habituera les fantassins à bien distinguer les signaux affectés à chaque mouvement. On leur apprendra, par exemple, à s’armer rapidement au signal donné, et à revenir promptement sur leurs pas au signal de la retraite. 34. — Lorsque les ennemis seront sur le point d’arriver, et la place présentera des lieux fortifiés et d’accès difficile, on fera sortir de la ville, avec une escorte suffisante, toutes les bêtes de somme et tout le bétail. On coupera des arbres et on en fera des abattis tout autour, afin d’empêcher les ennemis d’en approcher. Si toutefois l’ennemi avait en infanterie et en cavalerie des forces considérables, ii ne faudrait pas se fier à ce moyen de protection. On devrait alors transporter les animaux dans les îles, s’il y en a à proximité et que, de ce côté, on n’ait rien à craindre de l’ennemi.[16] Dans le cas contraire, il faudrait les envoyer dans un autre pays. 35. — Si les ennemis s’avancent avec rapidité et paraissent pressés de s’emparer de la ville, on chargera les propriétaires du soin d’abattre leurs bestiaux, de les saler et d’en vendre la chair à ceux qui n’en auraient pas. 36. — Si le siège parait devoir être long et continu, on tuera les bêtes de somme, les chevaux et les mulets; on détruira tout ce qui ne sera pas nécessaire à l’armée. On entourera la place d’un retranchement et d’un fossé, afin de ne pas être surpris à l’improviste par les ennemis. On mettra ainsi en fuite les assiégeants et on sauvera ce dont on aura besoin. L’ennemi ne pourra pas, en établissant des relations avec les gens du dehors, se procurer ce qui lui sera indispensable. On placera souvent de nombreuses compagnies en avant des portes, de jour et de nuit, pour qu’elles puissent rapidement prendre la place de celles qui seraient fatiguées et empêcher les assauts. On construira des tours.[17] 37. — Souvent les armées de secours ont été la cause de la perte des villes assiégées, en raison de la grande consommation faite par leurs bêtes de somme, leur cavalerie et leur infanterie. Ainsi, lors du siège de Tarente par les Romains, Bomilcar, amiral carthaginois, chargé, à la tête de forces très nombreuses, de porter secours aux assiégés, ne put leur rendre aucun service, grâce aux mesures de vigilance que les Romains avaient prises pour leur camp. Il fut obligé de se retirer après avoir épuisé ses ressources. Ce général, dont la venue avait été d’abord réclamée avec de vives instances et encouragée par de grandes promesses, fut plus tard contraint, par les supplications des assiégés, de se retirer avec sa flotte.[18] 38. — On récoltera tous les fruits existants dans le pays, lors même que les ennemis viendraient avant le temps de la maturité. On fera également, dans un espace de deux ou trois jours, disparaître tout ce qui pourrait être utile, non seulement aux animaux, mais encore aux hommes. De cette façon, les ennemis se décourageront, en pensant au mal qu’ils seront obligés de se donner pour subvenir à leurs besoins. 39. — On s’informera par des espions de la conduite des ennemis. Si l’on apprend que, confiants dans leur grand nombre, ils marchent en désordre, on leur tendra des embuches et on en fera périr un grand nombre. 40. — Il faut aussi empoisonner les ruisseaux, les étangs et les puits du pays ; on empoisonnera également un certain nombre de vases à mettre le vin en les remplissant d’eaux vénéneuses. Quand bien même les ennemis ne mourraient pas sur-le-champ, ou obtiendra, avec le temps, ce résultat, que beaucoup d’entre eux, affaiblis par les maladies, périront misérablement. On empoisonnera aussi les ruisseaux en amont de l’ennemi à l’heure du déjeuner. La chaleur viendra ensuite agir sur des corps épuisés par la fatigue, et l’eau qu’ils auront bue les fera succomber.[19] 41. — Si le pays présente des lieux convenables pour établir solidement des détachements d’infanterie ou de cavalerie pouvant nuire à l’ennemi et dont les services ne soient pas indispensables aux assiégés; il faut avoir grand soin d’utiliser cette ressource, surtout si l’on attend des secours de l’extérieur. Car, comme nos troupes tiendront la campagne, les ennemis ne pourront aller à la recherche des vivres sans se faire appuyer par des forces considérables. S’il devenait surtout possible de capturer des chevaux et de faire des prisonniers, la situation des assiégeants serait alois bien différente de celle sur laquelle ils ont dû compter. Nous avons l’exemple d’Annibal dans ses guerres contre les Romains. Ceux-ci assiégeaient Agrigente. Annibal reçut de Carthage des, secours qui mirent l’armée romaine dans l’impossibilité de se procurer ce qui lui était nécessaire, de telle sorte que les assiégeants furent à leur tour assiégés.[20] 42. — Le général en chef de l’armée fixera la nuit ou le jour de la sortie; puis il le fera connaître au commandant en chef des troupes qui occupent les montagnes voisines, afin de pouvoir tomber ensemble sur les ennemis. 43. — Lorsqu’on a résolu d’attaquer le camp ennemi, on doit feindre de se diriger d’un autre côté et de poursuivre un autre but. Il faut à l’avance faire occuper les routes et ordonner la plus grande vigilance, afin que personne ne puisse révéler le projet à l’ennemi. Quand on aura surpris le camp et qu’on l’aura cerné, on aura soin de laisser aux ennemis un passage qui leur permette de fuir; on évitera par là que, enfermés de tous côtés et désespérant de se sauver, ils ne vendent chèrement leur vie en résistant jusqu’à leur dernier soupir. 44. — Il est bon, en outre, d’avoir un grand nombre de lanceurs de javelots, d’archers et de frondeurs. 45. — Toutes les fois qu’il ne s’agit pas de repousser une attaque de l’ennemi, on doit choisir avec soin l’occasion et l’heure favorables, et surprendre les gardes du camp, afin que l’ennemi ne soit pas averti. Car, s’il était prévenu, il pourrait ouvrir des tranchées dans lesquelles il cacherait des troupes et nous dresser des embûches dans lesquelles nos hommes seraient exposés à périr. Il arrive souvent, en effet, que, soit par suite de la capture d’un messager, soit parce qu’un espion se laisse corrompre par des présents, soit sur le rapport d’un déserteur, les projets que nous avions formés se réduisent à néant et même se retournent contre nous. — Aussi faut-il avoir des fanaux pour avertir ceux de l’extérieur du sort de leurs messagers en employant le moyen que nous avons indiqué dans notre Traité des signaux par le feu.[21] 46. — Avec l’aide de Dieu, on pourra venir à bout d’exécuter son projet, soit à l’heure du déjeuner des ennemis, soit après leur déjeuner, soit pendant leur dîner, soit pendant leur sommeil, lorsque la nuit n’est pas éclairée par la lune. 47. — Voici pourquoi nous avons dit qu’il faut saisir l’occasion favorable, C’est que nous ne devons pas, en dressant des embûches à l’ennemi, nous en préparer à nous-mêmes en laissant passer l’heure et les circonstances propices. Beaucoup de corps d’armée ont péri pour avoir différé un mouvement, pour n’avoir pas tenu compte du moment du jour ou de la nuit qui leur avait été indiqué. Nous pouvons citer l’exemple d’Ambracie. Nicandre opérait autour de la ville; il fit pénétrer à l’intérieur cinq cents cavaliers qui parvinrent à entrer en enlevant de vive force et en franchissant les retranchements qui les en séparaient. Il leur avait prescrit de faire, un jour dont ils étaient convenus, une sortie contre les assiégeants; il interviendrait de son côté et prendrait sa part de leurs dangers. Ces hommes sortirent courageusement à l’époque indiquée et combattirent en braves soldats. Mais Nicandre ne parut pas, soit qu’il redoutât le danger, soit qu’il fût retenu par des circonstances auxquelles il ne crut pas pouvoir se soustraire. Le but que l’on se proposait d’atteindre fut donc manqué.[22] 48. — Lorsque l’armée assiégée voudra tomber sur l’assiégeant, elle sortira soit par les poternes (διὰ τῶν παραπορτίων), soit par les souterrains, s’il y en a dans la ville. C’est par là que les Juifs arrivèrent à l’improviste au milieu des Romains, et les repoussèrent au moment où ceux-ci s’y attendaient le moins. 49. — Il faut rechercher si les assiégeants n’ont pas préparé d’embûches dans quelques lieux cachés, s’ils n’ont pas creusé de tranchées dans lesquelles se trouvent dissimulées leurs troupes, tandis que, pour mieux tromper l’assiégé, ils paraissent laisser sans défense cette partie de leur camp. C’est ainsi que procèdent habituellement les Bulgares. 50. — On ne doit jamais négliger de veiller attentivement aux remparts; il ne faut pas, en effet, se fier exclusivement aux avant-postes. On mettra donc sur les remparts des gardes vigilants et actifs. On établira dans les portes (en taiV portaiV) des archers, des frondeurs, des lanceurs de javelots et des soldats armés d’épieux, on leur donnera à tous un mot d’ordre (sunqhma), afin que, si les nôtres reviennent vers la ville poursuivis par l’assiégeant, on puisse, à l’aide du mot d’ordre, reconnaître les amis, repousser les ennemis, et empêcher les assiégeants d’entrer dans la ville pêle-mêle avec les assiégés. Beaucoup de villes sont tombées au pouvoir de l’ennemi pour avoir négligé ces précautions, Thèbes par exemple.[23] — Alexandre avait mis le siège devant cette ville. Les Thébains firent une violente sortie contre les Macédoniens et les attaquèrent énergiquement. Ayant réussi à mettre en fuite les troupes de Perdiccas et de Cyrus, ils s’acharnèrent à poursuivre les fuyards et rompirent leurs rangs. Alexandre apparut alors avec des troupes en bon ordre, et eut facilement raison des Thébains accablés de fatigue et n’ayant plus la force de résister. En s’attachant pas à pas aux Thébains qui fuyaient vers la ville, les Macédoniens pénétrèrent dans l’intérieur des murs de Thèbes et s’en emparèrent. Confiants dans la vigilance de leurs avant-postes, les Thébains n’avaient établi sur leurs remparts qu’un petit nombre de soldats qui ne purent pas résister. Ils permirent ainsi aux ennemis de remporter une prompte victoire. 51. — Lorsque les assiégés feront une sortie contre les assiégeants, on ordonnera, sous des peines très sévères, aux soldats qui y participeront, de ne pas se livrer au pillage et de ne pas faire de butin avant la défaite complète des ennemis. Autrement, ils s’exposeraient à être surpris et à abandonner la victoire à leurs adversaires. — C’est ce qui arriva aux Carthaginois à Agrigente, lorsqu’ils y furent assiégés par les Romains. Un jour, voyant que les Romains s’étaient dispersés dans la campagne pour rassembler des grains, ils firent une sortie et mirent facilement en fuite les ennemis; puis, rompant leurs rangs, ils entreprirent de piller tout ce qui avait été laissé dans les retranchements. Mais les soldats romains qui étaient restés à la garde du camp résistèrent courageusement aux Carthaginois. Ceux-ci furent obligés de revenir sur leurs pas après avoir perdu beaucoup de monde. À partir de ce moment, ils furent moins bien disposés pour les sorties, et les Romains agirent avec plus de prudence lorsqu’ils allèrent aux fourrages.[24] 52. — Si les ennemis ont des machines, il faut que l’assiégé prépare à l’avance des torches, des étoupes, de la poix, des fusils (χειροσίφωνα).[25] L’armée sera divisée en plusieurs sections les unes seront chargées de faire face aux incidents de la guerre; les autres auront pour mission d’incendier les machines. Quand cela aura été fait avec l’assistance divine, le courage des ennemis sera ébranlé et ils désespéreront de prendre la ville; les assiégés; au contraire, reprendront confiance et deviendront plus braves. 53. — Si les ennemis persistent dans leur projet et ne veulent pas lever le siège, lorsque nous aurons un corps d’armée important dont nous pourrons disposer, nous l’enverrons dans le pays des assiégeants pour y fomenter la guerre civile et y porter la dévastation. Dans les deux cas, on obtiendra un résultat très avantageux. On ruinera ainsi le territoire ennemi et souvent on décidera par là l’assiégeant à lever le siège; on ne lui laissera pas la possibilité de continuer à sa guise les opérations de l’investissement; car, inquiet de ce qui se passera dans son pays, on bien il décampera avec toute l’armée, ou bien il divisera ses forces et se trouvera impuissant à rien faire. Ce moyen, lorsqu’il peut être employé, inspire un grand découragement aux ennemis, surtout aux habitants du pays de l’assiégeant, qui, voyant arriver les troupes de l’assiégé, en concluent que leurs armées ont échoué complètement dans leur expédition. — Mais souvent aussi il a été une cause de malheur. Nous allons en citer un exemple, celui d’Annibal, général des Carthaginois, qui, en ravageant le territoire des Romains, ne réussit pas à les contraindre à lever le siège de Capoue, et entraîna la perte de la ville.[26] Les Romains, ayant mis le siège devant Capoue, une de leurs villes tributaires, fortifièrent leur camp par une palissade et par un fossé, et gardèrent les environs de la place avec une si grande vigilance qu’il fut impossible d’y faire entrer aucune troupe de secours. Annibal attaqua deux ou trois fois leurs retranchements; mais il fut toujours repoussé. Alors, laissant ses feux allumés, après avoir averti les assiégés de ses projets pour qu’ils ne s’abandonnassent pas au désespoir et ne livrassent pas la ville, il décampa pendant la nuit et se dirigea vers Rome.[27] Tandis qu’il parcourait le pays et faisait de nombreux prisonniers, les Romains rassemblèrent des forces considérables qui eurent le temps d’arriver au secours de Rome.[28] Annibal échoua dans son projet et ne retira de son expédition que du butin; il regagna son pays. Les Romains ayant maintenu le siège de Capoue, et les assiégés, privés de tout secours, ayant reconnu que leurs affaires étaient désespérées, la ville succomba et fut replacée sous la puissance des mains. 55. — Épaminondas, de Thèbes,[29] s’étant approché de Tégée avec ses alliés, s’aperçut que les Lacédémoniens étaient venus en masse à Mantinée, avec leurs propres alliés, pour engager la lutte contre les Thébains. Il ordonna à ses troupes de prendre leur repas à une heure convenable pour l’exécution de son projet; puis il les fit sortir, précisément à la tombée de la nuit, comme s’il se fût proposé d’occuper quelques positions favorables en prévision de la bataille prochaine. Lorsqu’il crut l’armée ennemie persuadée que tel était son but, il poussa en avant et marcha sur Lacédémone. Il arriva devant cette ville vers la troisième heure, au moment où personne ne l’attendait, et trouva Sparte sans défenseurs. A la tête de ses troupes, il pénétra de vive force jusqu’à l’Agora, et s’empara de tous les points de la ville tournés vers le fleuve. Une circonstance imprévue dérangea ses projets. Un transfuge s’échappa pendant la nuit, gagna Mantinée, et apprit au roi Agésilas les faits qui venaient de se passer. Sparte reçut des secours au moment même où Épaminondas allait s’en emparer. Il fallut que le général thébain renonçât à ses espérances. — Il fit alors préparer le déjeuner, et, après avoir permis à ses troupes de se remettre un peu de leurs fatigues, il reprit la route qu’il avait déjà suivie. Il pensait, en effet, que, par suite du nouveau mouvement des Lacédémoniens [et de leurs alliés venus au secours de Sparte], Mantinée se trouvait maintenant sans défense. Cette conjecture était bien fondée. Aussi, excitant les Thébains et marchant pendant la nuit à marches forcées, il arriva vers le milieu du jour près de Mantinée, qui était complètement privée de défenseurs. Sur ces entrefaites, les Athéniens, qui voulaient prendre part à la lutte contre les Thébains, vinrent donner leur concours aux Lacédémoniens. Au moment même où l’avant-garde thébaine atteignait [déjà le temple de Neptune, éloigné de la ville de moins de sept stades], par un hasard qui ressemble à de la préméditation, les Athéniens apparurent sur la hauteur qui domine Mantinée. Les citoyens restés dans la place, voyant arriver ce renfort, reprirent un peu courage; ils montèrent sur leurs remparts et repoussèrent l’attaque des Thébains. Tout ce qu’Epaminondas avait fait était l’œuvre d’un bon général; il avait vaincu ses ennemis; mais, comme Annibal, il fut vaincu par la fortune. 56. — Philippe, ayant commencé le siège de la ville des Echinéens,[30] avait pris toutes les mesures de protection possibles contre les sorties des assiégés; il avait, en outre, mis son camp à l’abri des attaques du dehors en l’entourant d’un fossé et d’un mur. Publius, général des Romains, et Dorimachus, commandant des Etoliens, vinrent au secours de la ville, Publius avec une flotte, Dorimachus avec de l’infanterie et de la cavalerie. Ils attaquèrent les retranchements de Philippe, mais ils furent repoussés. Philippe pressa de plus en plus vivement le siège de -la ville, et les Echinéens, désespérant de se sauver, se rendirent à lui. Les troupes de Dorimachus, privées de toute ressource, ne pouvaient pas, en effet, l’emporter sur Philippe, qui recevait par mer tout ce dont il avait besoin.[31] — Quand les choses se passent ainsi, les assiégeants restent libres de continuer le siège, et il est difficile de décider les assiégés à prolonger leur résistance contre l’ennemi. 57. — Il n’est pas toujours bon de faire des attaques de nuit; il vaut mieux quelquefois rester sur la défensive, afin de ménager pendant quelque temps les forces d’hommes qui sont affaiblis par les privations. Il est surtout de la plus haute importance de ne pas imposer aux assiégés une succession constante de mouvements qui finirait par les réduire à l’impuissance. 58. — Lorsqu’on ne peut espérer aucun secours du dehors, et que les ennemis, se servant habilement de leurs machines, attaquent incessamment les divers points de la place, s’il n’est pas possible de faire des sorties contre eux, soit de jour, soit de nuit, à cause de la faiblesse des assiégés et de la vigilance des ennemis, le commandant de la place assiégée devra, si cela est possible, faire reposer les uns après les autres tous les combattants, pour qu’ils résistent plus longtemps aux fatigues de la guerre. Si on ne peut les faire reposer tous, il faut au moins accorder quelque repos à ceux qui ont le plus combattu, afin que, lorsqu’ils auront réparé leurs forces morales ou physiques, ils puissent mieux venir en aide à ceux de leurs braves camarades qui se trouveront fatigués. Il arrive souvent, en effet, et c’est même l’application d’une des règles de la tactique militaire, que l’ennemi, après s’être établi d’un côté, tente l’escalade précisément du côté opposé. Il oblige par là les défenseurs du côté envahi à souffrir plus que les autres, et les troupes doivent alors changer de place. 59. — S’il arrive, ce qu’à Dieu ne plaise, que les fossés soient comblés et que l’assiégeant puise en profiter pour amener ses béliers, on devra construire un nouveau mur en arrière du premier; car il n’y a rien qui puisse résister aux coups du bélier. 60. — Il faut s’ingénier pour trouver des moyens de neutraliser la force de cet instrument. C’est ainsi qu’agirent, non seulement Josèphe, mais encore d’autres anciens. Après avoir fait remplir des sacs de paille (et de paille mouillée pour qu’elle fût moins facilement brisée). Josèphe ordonna de descendre ces sacs à l’endroit qu’il voyait frappé par la tête du bélier. Il amortissait par là la force du choc, puisqu’il interposait un corps mou, et, par l’élasticité de l’obstacle, il atténuait les effets de l’engin destructeur. D’autres se servent de sacs mouillés pleins de copeaux (φάβατα) ; d’autres emploient des mains de fer; d’autres descendent des cordes à l’aide desquelles ils soulèvent la poutre, ou bien ils jettent sur le bélier des pierres pesantes. 61. — Si les assiégeants font usage de faux (δρεπάνια) ou de crocs (kontouV) pour couper et faire tomber les sacs, il faut alors se défendre contre les machines en employant le feu énergique (πυρὶ ἐνεργῷ). 62. — Voici ce que firent les soldats de Josèphe qui n’avaient ni tubes (σιφώνων), ni feu énergique ils rassemblèrent en trois endroits [tout ce qu’ils purent ramasser de matières incendiaires; ils y mêlèrent du bitume, de la poix, du soufre, et y mirent le feu; puis ils jetèrent le tout] sur les machines[32] qu’ils réussirent à brûler. On dit aussi qu’un certain Eléazar, ayant pris une pierre énorme, la lança sur le bélier avec tant de force que la tête de l’instrument fut détachée; Eléazar, sauta ensuite dans le fossé, alla ramasser cette tête au milieu même des ennemis, et revint la déposer sur le rempart; il fut percé de cinq traits. Cependant les Romains, avec cent soixante catapultes (ὀργάνοις καταπελτικοῖς) et des masses de traits, tiraient sur ceux qui étaient dans les créneaux. Les coups d’oxybèles en firent périr un grand nombre. Le courant d’air produit par les pierres que lançaient les machines était si violent qu’il renversait les créneaux et émoussait les angles des tours. Les faits suivants permettront de juger de la force des coups. Un soldat ayant été atteint cette nuit-là même et ayant eu la tête emportée par une pierre, le crâne fut retrouvé à trois stades de distance (555 m). Pendant le jour, une femme qui sortait de sa maison fut frappée au ventre; l’enfant qu’elle portait fut lancé à un demi-stade (92 mètres). Le mur, ébranlé par ce bombardement, s’affaissait sous les coups des machines. Les Juifs, sous la protection de leurs armures, fortifièrent la partie qui avait été endommagée. Vespasien fit descendre de cheval les plus braves de ses cavaliers et résolut de tenter avec eux une diversion pour faciliter les opérations de ceux qui avaient reçu l’ordre d’escalader les remparts et d’entrer dans la place, les uns avançant, leurs épieux à la main, pendant que les archers lançaient des flèches, et les machines, des projectiles de toutes sortes. Voici comment Josèphe résista à cette entreprise: Aux endroits où le mur avait souffert, il plaça les plus braves de ses soldats et se mit à leur tête pour partager leurs dangers. Les hommes âgés et ceux qui étaient déjà fatigués furent disposés sur les parties du rempart qui étaient intactes. Il prescrivit aux soldats de se boucher les oreilles pour ne pas se laisser effrayer par les cris des légions. Comme moyen de se protéger contre les masses de traits lancés par les Romains, il leur ordonna de se mettre à genoux en couvrant leur tête de leurs boucliers et de se tenir tranquilles jusqu’à ce que les archers eussent vidé leurs carquois. Lorsque les Romains auraient posé leurs échelles, les défenseurs s’élanceraient alors en avant, protégés par leurs propres machines. Quant aux femmes, de peur qu’elles ne vinssent amollir par leurs doléances le courage de leurs parents, Josèphe leur prescrivit de se renfermer dans leurs maisons. Lorsque les assiégés virent leur cité entourée d’une triple phalange, les ennemis, l’épée à la main, prêts à s’élancer à l’attaque des brèches, les collines qui dominent la ville brillantes de l’éclat des armes, et les lances des Arabes s’élevant au-dessus des archers, ils jetèrent un dernier cri de douleur et se dirent que leur ville était perdue. Au signal donné, toutes les trompettes des légions sonnèrent à la fois; l’armée romaine poussa un cri terrible; de tous côtés des traits furent lancés sur la ville, si nombreux qu’ils interceptaient la lumière du jour. Les Juifs, qui avaient protégé leurs oreilles contre le bruit des cris et leurs corps contre les atteintes des traits, engagèrent toutes sortes de petits combats avec les assaillants, et montrèrent par leurs hauts faits la force de leurs bras et l’énergie de leurs caractères. Alors les Romains, s’excitant les uns les autres et serrant fortement leurs rangs, se firent un toit de leurs boucliers en formant ce qu’on appelle « la tortue (thn legomenhn celwnhn). Ils devinrent ainsi un mur inébranlable.[33] Leur phalange tout entière n’étant plus qu’un seul corps, ils marchèrent sur les Juifs, les repoussèrent et se remirent à escalader les remparts. Josèphe ordonna de verser de l’huile bouillante sur cet amas de boucliers. Il rompit ainsi les rangs des Romains, contraints, en proie qu’ils étaient aux plus vives douleurs, de dégringoler du haut en bas des murs. Vespasien fut obligé de faire construire trois tours de cinquante pieds de hauteur; on les recouvrit complètement de fer pour leur donner une assiette plus solide et pour les mettre à l’abri du feu. Elles furent placées sur des terrasses; on installa sur leur plate-forme les plus légères des machines de jet, et on y fit monter des soldats armés de javelots, des archers et les frondeurs les plus vigoureux. Ceux-ci, cachés par la hauteur de la tour et de ses parapets, voyaient parfaitement les défenseurs de la ville et lançaient sur eux leurs projectiles. Les assiégés, au contraire, avaient peine à éviter des coups qui, leur venant d’en haut, les atteignaient à la tête; ils se défendaient mal contre des ennemis invisibles; lançant avec la main leurs projectiles, ils arrivaient difficilement jusqu’à la hauteur des tours, dont les flancs, blindés de fer, étaient inattaquables par le feu. Ils quittaient donc les remparts et se rangeaient à l’avis de ceux qui demandaient une sortie contre ces tours. 63. — Les Etoliens, assiégés par le consul romain Marcus Fulvius Nobilior,[34] résistèrent courageusement aux attaques des tours de charpente et des béliers. Marcus, après avoir bien fortifié son camp, fit construire contre Pyrrhée, dans la plaine, trois ouvrages distincts mais voisins les uns des autres. Un quatrième fut établi contre le temple d’Esculape et un cinquième contre l’acropole. Les approches se faisant avec une grande activité de tous les côtés à la fois, les assiégés étaient très effrayés par la perspective du sort qui les menaçait. Les béliers frappaient déjà les murs avec la plus grande énergie, les lances à faux (δορυδρέπανα) arrachaient les créneaux des remparts. Les habitants de la ville essayèrent de résister à ces attaques avec toutes les ressources dont ils disposaient. Au moyen d’antennes (διὰ κεραῖων), ils firent tomber sur les béliers des masses de plomb, des pierres et des poutres de chêne. Avec des ancres de fer, ils accrochèrent les faux et les attirèrent à l’intérieur du rempart, de telle sorte que la lance était brisée sur le créneau et qu’ils pouvaient s’emparer de la faux. En outre, ils firent de fréquentes sorties pendant lesquelles ils combattirent très courageusement, tantôt attaquant pendant la nuit les postes qui veillaient sur les ouvrages, tantôt s’élançant en plein jour à découvert contre les corps qui étaient de faction. Par là, ils retardèrent les opérations du siège. 64. — Si les assiégeants se décident, comme cela arrivait fréquemment chez les anciens, à se servir des tortues légères de comblement (λαίσας χωστίδας) il faut les repousser en jetant sur ces machines des excréments humains (κόπρον ἀνθρωπείαν). Ce moyen sera utilement employé coutre toute espèce d’engins, même contre la tortue de boucliers. 65. — Si les murs sont ébranlés par la violence des coups des béliers et qu’ils viennent à tomber, il ne faut pas immédiatement se décourager. On suspendra des tentures[35] qui arrêteront les traits lancés par l’assiégeant; on construira un nouveau mur et on creusera un fossé. Il y a beaucoup de villes qui, même après la chute de leurs murailles, ont réussi à triompher de leurs adversaires. 66. — Nous citerons comme exemple Ambracie.[36] Les Romains, attaquant sans interruption à coups de béliers les remparts de cette ville, en faisaient chaque jour tomber quelque partie. Ils ne pouvaient pas cependant pénétrer dans la place par les brèches; car les assiégés élevaient de nouveaux murs et les Etoliens défendaient vaillamment les endroits où le rempart s’était écroulé. Désespérant de prendre la place de vive force, les Romains eurent recours aux mines. Mais ils échouèrent encore dans cette entreprise; car, lorsque les assiégés eurent découvert leur projet, ils s’y opposèrent d’une façon très habile; la suite de ce récit va le prouver. Des trois ouvrages qu’ils avaient précédemment établis, les Romains fortifièrent solidement celui qui se trouvait au milieu; ils le recouvrirent avec soin de clayonnages puis ils établirent en avant et parallèlement au rempart un portique ayant à peu près deux plèthres.[37] Prenant cet endroit pour point de départ, ils se mirent à creuser le sol sans relâche, travaillant jour et nuit, grâce à une succession continue de mineurs; les déblais étaient transportés au dehors au moyen d’un canal. Pendant assez longtemps, ils réussirent à cacher leur œuvre aux assiégés. Ceux-ci ne s’en aperçurent que lorsque les terres extraites de la galerie formèrent une masse considérable. Les commandants de la place firent alors creuser, avec la plus grande activité, dans l’intérieur de la ville, un fossé parallèle au rempart et au portique établi devant les tours. Lorsque ce fossé eut une profondeur suffisante,[38] ils placèrent, sur sa paroi la plus rapprochée du rempart, une série continue de vases en cuivre très légers, tels que bassins et autres ustensiles analogues. En descendant dans le fossé et en s’approchant de ces vases, on entendait le bruit fait par les mineurs occupés à creuser le sol. Quand les vibrations de quelques-uns de ces vases, résonnant sympathiquement sous l’action du bruit extérieur, leur eurent fait reconnaître l’endroit favorable, les assiégés se mirent à creuser, toujours à l’intérieur de la place, un second fossé perpendiculaire au premier et dirigé sous le rempart, de telle façon qu’ils pussent rencontrer les ennemis. Ils ne tardèrent pas à les rejoindre; car, non seulement les Romains étaient arrivés en galerie jusqu’au rempart, mais encore ils avaient déjà, à l’aide d’entrecolonnements,[39] étayé une partie des murs de chaque côté de leur galerie. Assiégeants et assiégés tombèrent donc les uns sur les autres. Ils combattirent d’abord sous terre à coups de sarisses; mais ils ne purent arriver à aucun result.at important; car, de part et d’autre, ils se couvraient de boucliers longs et de clayonnages.[40] Une personne suggéra alors aux assiégés le moyen que voici : Prendre un dolium[41] de la même dimension que la galerie; faire un trou au fond; introduire dans ce trou un petit tube en fer de la même longueur que le vase; remplir le dolium de plume légère; mettre un peu de feu près de l’ouverture; placer sur l’ouverture un couvercle en fer percé de nombreux trous; introduire en toute sécurité le dolium dans la galerie de mine, en tenant l’ouverture dirigée vers les ennemis; arrivé près de ceux-ci, garnir soigneusement les côtés du dolium pour que la galerie soit hermétiquement fermée et ne laisser que deux trous de chaque côté pour faire passer des sarisses et empêcher l’ennemi de s’approcher du dolium. Cela fait, prendre une outre, semblable à celles dont se servent les forgerons;[42] l’adapter au tube en fer; souffler fortement sur le feu qui a été mis au milieu de la plume près de l’ouverture du vase, et retirer le tube au fur et à mesure que les plumes seront brûlées. On exécuta fidèlement toutes les instructions que je viens de rappeler. Une très grande quantité de fumée, d’une âcreté toute particulière, puisqu’elle provenait de plumes qui brûlaient, se dégagea du dotium et fut tout entière portée vers la galerie des ennemis. Les Romains en souffrirent beaucoup; car ils ne pouvaient ni empêcher cette fumée, ni rester dans leurs galeries.[43] 67. — Il faut mettre tous ces moyens en pratique pour résister aux ennemis et se défendre contre eux, demeurer inébranlable dans les circonstances les plus critiques, et ne pas se décourager quand même les murs seraient ébranlés, quand bien même ils seraient renversés. 68. — Il ne faut pas non plus se livrer à une joie insensée, parce qu’une, deux ou plusieurs combinaisons des ennemis auront été déjouées. Ceux-ci ne manqueront pas, en effet, d’imaginer d’autres stratagèmes; car il y en a beaucoup, on peut même dire que le nombre en est illimité. Il y en a qui s’exécutent ostensiblement et au grand jour. D’autres procèdent secrètement, ceux, par exemple, qui font appel à la trahison ou à l’indolence des habitants. C’est contre ces derniers qu’il est surtout important de se protéger en employant les moyens que nous indiquerons plus tard. Pour le moment, nous ne devons parler que de ceux qui sont apparents. 69. — Si la mer baigne la ville d’un ou de plusieurs côtés, et que les assiégeants cherchent à établir sur des barques des machines et des échelles (c’est ainsi que Thessalonique fut prise par les Agaréniens[44] et des milliers d’autres villes ont eu le même sort), il faut supposer énergiquement à cette entreprise, en prenant pour modèle la sagesse d’Archimède. Car, si les efforts de l’ennemi du côté de la mer obtenaient un succès même partiel, c’est en vain que, de tous les antres côtés, vous le forceriez à battre en retraite, après avoir mis hors de combat un grand nombre de vos concitoyens. Malheureusement nos moyens d’action contre les armées ennemies sont moins puissants qu’autrefois; ils ont diminué proportionnellement à la différence qui existe entre les savants d’aujourd’hui, si toutefois il y en a encore; et Archimède, le plus habile de tous les hommes. 70.[45] — Les Romains, commandés par Appius,[46] assiégeaient Syracuse. Avec leur infanterie, ils cernaient la ville du côté du portique appelé Scytique,[47] côté où le rempart s’étend jusqu’au bord même de la mer. Ils avaient préparé des clayonnages, des traits, en un mot tout ce dont les assiégeants peuvent avoir besoin, et, grâce au nombre de leurs soldats, ils espéraient s’emparer en cinq jours de la ville, encore tout occupée de l’organisation de sa défense. Mais, dans leur calcul, ils n’avaient pas compté qu’Archimède était une grande force pour les assiégés; ils avaient oublié que, dans certains cas, le génie d’un seul homme est plus efficace que toute une armée de travailleurs.[48] L’événement leur fit bientôt reconnaître la justesse de cette observation. La ville était très forte; car ses remparts sont établis circulairement sur des points dominants et sur une saillie de terrain dont l’approche serait difficile lors même que personne ne s’y opposerait; l’accès n’est possible que par certains endroits bien déterminés. Archimède, soit à l’intérieur de la ville, soit sur les bords de la mer, avait fait de tels préparatifs de défense que les assiégés étaient en mesure de résister à toute attaque de la part des Romains. Appius, avec ses clayonnages et ses échelles,[49] s’efforçait d’atteindre le rempart de l’Est, du côté des Héxapyles. Marcus,[50] avec soixante quinquérèmes, manœuvrait du côté d’Achradina. Chacun de ces soixante navires était rempli de soldats armés d’arcs, de frondes, de javelots, qui devaient mettre hors de combat les défenseurs des créneaux. Huit autres quinquérèmes avaient été dégarnies de leurs rames les unes à droite, les autres à gauche; puis on les avait réunies deux à deux en les rapprochant par leurs côtés dépouillés. Avançant à l’aide des rames placées sur leurs flancs extérieurs, ces navires devaient conduire près des remparts les machines appelées sambyques. Voici comment est construit l’instrument que nous venons de nommer:[51] On prépare une échelle large de quatre pieds et assez haute pour qu’elle arrive, étant dressée, au sommet du rempart. Chacun de ses côtés est muni d’une balustrade, et le tout est recouvert d’une petite carapace. On place cette échelle transversalement, à cheval sur les flancs des deux navires que l’on a réunis, en ayant soin de la poser de telle façon qu’elle dépasse de beaucoup leurs proues. Aux mâts supérieurs du navire sont fixées des poulies munies de cordes. — Lorsque le moment est venu de se servir de cet instrument, on attache une extrémité de ces cordes au haut de l’échelle. Des hommes, établis à la poupe, tirent sur l’autre extrémité à l’aide des poulies, pendant que d’autres hommes, à la proue, soulèvent l’échelle avec des leviers et contribuent à la dresser en l’étayant. En employant alors les rames des deux flancs extérieurs du navire, ou se dirige vers la terre et on s’efforce d’appuyer la sambyque sur le rempart. Au sommet de l’échelle, il y a une petite plate-forme, dont les trois côtés exposés à l’ennemi sont protégés par des clayonnages. Quatre soldats peuvent s’y établir et lutter contre les défenseurs de la ville qui, des créneaux, s’opposent à ce que la sambyque soit appuyée contre la muraille. Lorsqu’on a réussi à l’approcher, ces soldats, qui dominent le rempart, abattent de chaque côté de la plate-forme les clayonnages et montent sur les créneaux ou sur les tours. En se servant de la sambuque, leurs camarades les suivent sans courir aucun danger, puisque l’échelle est installée sur deux navires et consolidée par la traction des cordes. — C’est avec raison que l’on a donné à cet instrument le nom qu’il porte. Car, lorsqu’il est en place, si l’on examine l’image formée par l’ensemble du navire, de l’échelle et des cordes, on se rappelle assez bien la sambyque.[52] Toutes les dispositions que nous venons d’indiquer étant prises, les Romains songèrent à attaquer les tours. Mais Archimède avait préparé des instruments à l’aide desquels il était possible d’atteindre les ennemis, à quelque distance qu’ils fussent placés. Lorsque, très loin encore de la place, les Romains manœuvrèrent pour se rapprocher d’elle, il se servit de ses lithoboles les plus grandes et les plus puissantes; les projectiles lancés mirent beaucoup d’hommes hors de combat. Par là, il suscita aux assiégeants toutes sortes de difficultés. — Quand les projectiles envoyés par ces premiers engins passèrent par-dessus la tête des Romains [parce que ceux-ci se rapprochaient de la ville], il se servit d’engins plus faibles, en ayant toujours soin de calculer la distance qui le séparait des ennemis. Il leur causa ainsi une telle émotion qu’il arrêta presque complètement leur attaque et paralysa leurs mouvemente. Il fallut que Marcus, très mécontent de cet insuccès, se résignât à faire avancer secrètement ses vaisseaux pendant la nuit. Les navires se trouvèrent alors rapprochés de la terre et en deçà de la portée des traits. Mais Archimède avait en réserve d’autres moyens pour lutter contre les soldats établis sur les barques. Il avait fait ouvrir dans le rempart, à peu près à hauteur d’homme, des meurtrières qui n’avaient pas à l’extérieur une ouverture apparente de plus d’une palme (0,077 m); à l’intérieur étaient placés des archers et de petites machines de jet (σκορπίδια). Les projectiles lancés par les meurtrières rendirent inutiles les soldats de marine. — Archimède arrivait donc à mettre ses ennemis, qu’ils fussent éloignés ou qu’ils fussent rapprochés, dans l’impossibilité d’exécuter leurs plans d’attaque, et, par surcroît, la plupart d’entre eux étaient hors de combat. Les Romains voulurent élever les sambyques; mais Archimède avait disposé d’avance, tout le long des murs, des machines, qui étaient invisibles en temps ordinaire, Lorsque le besoin s’en faisait sentir, de l’intérieur elles passaient sur les remparts et étendaient alors leurs antennes bien au delà des créneaux. Elles portaient, les unes des pierres pesant au moins dix talents,[53] d’autres des masses de plomb. Quand les sambyques s’approchaient, les antennes, dirigées à propos par des cibles, laissaient, par l’impulsion d’un ressort, tomber le projectile sur la sambyque, non seulement cette machine était brisée, mais encore le navire et ceux qui le montaient couraient les plus grands dangers. Pour lutter contre les assaillants qui se protégeaient par des clayonnages et qui, à l’abri de ces défenses, n’avaient pas à redouter les traits lancés par les meurtrières des remparts, il y avait d’autres machines. Celles-ci faisaient tomber des pierres de grosseur suffisante pour mettre les combattants dans l’impossibilité de rester sur la proue des navires. En même temps, on descendait une main de fer retenue par une chaîne [fixée à une antenne]; le mécanicien, chargé de diriger l’antenne, s’efforçait d’accrocher avec cette main la proue d’un navire. Quand il avait réussi, il exerçait une forte pression sur le talon de l’antenne et le faisait descendre en dedans des remparts; la proue du navire était, par conséquent, soulevée. Lorsque le bateau se trouvait dressé sur sa poupe, le mécanicien fixait le talon de l’antenne de façon à le rendre immobile; puis, à l’aide d’un ressort, il détachait la main de fer et la chaîne. Le navire retombait, tantôt sur le flanc, d’autres fois sens dessus dessous; le plus souvent la proue, dans sa chute, s’enfonçait verticalement dans la mer; l’eau entrait dans le navire et les hommes qui le montaient étaient violemment secoués. Marcus, entravé dans ses mouvements par toutes les inventions d’Archimède, voyait les assiégée repousser ses attaques en lui causant un grand dommage et en se moquant de ses efforts; il avait peine à se résigner à son insuccès. Il se mit enfin à rire lui-même de la situation. « Archimède, dit-il, se sert de mes vaisseaux pour puiser de l’eau dans la mer; quant à mes sambyques, il leur donne le fouet et les exclut ignominieusement des libations. » — Tel fut le résultat de l’attaque par mer. Les soldats d’Appius, aux prises avec des difficultés analogues, renoncèrent à attaquer la place. Ils étaient encore très loin que déjà les coups de pétrobole et de catapulte firent parmi eux de grands ravages. Syracuse possédait, en effet, un approvisionnement de projectiles dont le nombre tenait du prodige. C’était Hiéron qui avait pourvu à toute la dépense nécessitée par cet armement; c’était Archimède qui avait rempli le rôle d’ingénieur et qui avait exécuté toutes les combinaisons de son imagination. Quand les Romains s’approchèrent de la ville, ils furent maltraités sans relâche par les meurtrières du rempart dont j’ai parlé plus haut, et durent s’arrêter. Ceux qui, sous la protection de clayonnages, poussèrent en avant, furent mis hors de combat par les pierres et les poutres qu’on lançait sur leurs têtes. Ils eurent aussi beaucoup à souffrir des mains de fer suspendues aux machines que j’ai précédemment décrites; car elles enlevaient les hommes tout armés et les laissaient ensuite retomber lourdement. Appius et les siens rentrèrent enfin dans leur campement; ils tinrent un conseil où furent appelés les chiliarques. L’avis de tous fut qu’il fallait abandonner complètement l’espérance de s’emparer de Syracuse autrement que par un blocus en règle. Ils se décidèrent à y recourir. Pendant huit mois, ils investirent la ville. Il n’y a pas un stratagème, pas un acte d’audace qu’ils n’essayèrent ; mais ils ne firent plus aucune tentative pour s’emparer de la place de vive force. Les Romains, ayant à leur disposition des forces immenses pour lutter sur terre et sur mer, seraient arrivés, comme ils l’espéraient, à prendre immédiatement la ville, sans un vieillard syracusain; la présence seule d’Archimède suffit pour leur enlever le courage de donner l’assaut à la place. 71. — Ainsi donc, si vous, qui commandez en chef les assiégés, vous pouvez arriver à employer avec succès quelques-uns seulement des moyens que je viens d’indiquer plus haut, vous triompherez facilement de vos ennemis. Ils n’ont pas le courage des anciens; ils sont moins ingénieux; ceux qui actuellement sont placés à la tête des peuples n’ont pas d’armées aussi nombreuses que celles des généraux d’autrefois, et ils sont de beaucoup inférieurs à ceux-ci. Quel est celui de nos contemporains qui serait capable d’entreprendre ce que firent Alexandre, roi des Macédoniens, lors du siège de Tyr et de Gaza; Titus, lors de la prise de Jérusalem, et d’autres généraux à l’occasion d’autres villes, comme la suite de ce récit le montrera? Quel est le contemporain qui pourrait s’imposer de pareils travaux? 72.[54] — La ville de Tyr forme presque une île et des murailles très élevées l’entourent de tous les côtés. Les Perses, sous la puissance desquels elle était alors placée, étaient maîtres de la mer; les Tyriens eux-mêmes avaient un grand nombre de navires. — Alexandre résolut, pour rattacher l’île à la terre, de faire construire un môle entre le continent et la ville. Le fond du détroit est, dit-on, fangeux; la mer, dans le voisinage du continent est peu profonde et pleine de vase, tandis que, à proximité de la ville, sa profondeur va jusqu’à trois orgyes (5,55 m). Les Macédoniens avaient à leur disposition une grande quantité de pierres et du bois pour les retenir; il leur était facile d’enfoncer des pieux dans la vase [pour former le bordage extérieur de la digue]; la vase elle-même servait en quelque sorte de mortier pour maintenir les pierres en place. Les Macédoniens se mirent au travail avec beaucoup d’entrain; Alexandre les encourageait par sa présence, dirigeant les travaux, stimulant les ouvriers par ses discours et accordant des récompenses pécuniaires à ceux qui le signalaient par leur ardeur. Tant que les constructions eurent lieu près du continent, elles avancèrent facilement; la profondeur était peu considérable et personne ne s’opposait aux travaux. Mais, lorsqu’ils arrivèrent à des eaux plus profondes; en même temps qu’ils se rapprochaient de la place, les Macédoniens se trouvèrent en butte aux traits lancés du haut des murs, fort élevés comme nous l’avons dit;[55] de plus, les Tyriens, toujours maîtres de la mer, naviguaient sur les côtés du môle avec leurs trirèmes et rendaient les terrassements fort difficiles. Les Macédoniens élevèrent deux tours en tête de leur jetée, à l’endroit où elle s’avançait le plus loin dans la mer; ils placèrent sur ces tours des machines; des peaux et des cuirs furent tendus pour les protéger contre les traits incendiaires lancés des remparts de la ville; les travailleurs furent mis à l’abri des projectiles qu’on leur envoyait, et, lorsque les Tyriens, dans leurs barques, vinrent troubler les travaux, on les repoussa facilement en leur jetant des traits du haut des tours. Voici ce que firent les Tyriens pour détruire ces constructions. Ils remplirent un vaisseau, servant au transport des chevaux, de sarments bien secs et d’autres bois inflammables; ils fixèrent à la proue deux mâts autour desquels ils élevèrent un bordage aussi haut que possible, afin d’y placer une très grande quantité de broussailles et de torches; ils accumulèrent au-dessus de la poix, du soufre natif et toutes les autres substances propres à occasionner un grand embrasement. A chacun des deux mâts, ils fixèrent une antenne double; ces antennes tenaient suspendues des chaudières pleines de matières qui, en tombant sur le brasier, devaient en activer beaucoup les flammes. Ils chargèrent la poupe de lest, afin que, grâce à la pression exercée de ce côté, la proue fût soulevée en l’air. — Ces dispositions prises, profitant d’un moment où le vent soufflait dans la direction du môle, ils attachèrent le brûlot à des trirèmes qui le remorquèrent jusque dans le voisinage du môle et des tours. Ils jetèrent alors du feu sur le bois; puis donnant, au moyen des trirèmes, une très forte impulsion au brûlot, ils le poussèrent sur l’extrémité du môle. Ce ne fut pas sans peine que les Tyriens, montés dans le navire enflammé, réussirent à se sauver à la nage. — Des tourbillons de flammes environnèrent les tours; les antennes, en se brisant, laissèrent tomber sur le feu tout ce qui avait été préparé pour activer l’incendie. Les Tyriens, sur leurs trirèmes, se rapprochèrent du môle et firent pleuvoir des projectiles sur les tours, afin d’éloigner par la crainte du danger les Macédoniens qui auraient été tentés d’éteindre le feu. Quand les tours furent la proie des flammes, beaucoup d’habitants de la ville, montés sur des barques légères, vinrent fondre de tous les côtés sur le môle; ils arrachèrent facilement les pieux qui de chaque côté retenaient les pierres et brûlèrent toutes les machines que le feu du brûlot avait épargnées. Alexandre ordonna de construire, entre le continent et la ville un nouveau môle, plus large que le premier, afin de pouvoir y établir un plus grand nombre de tours; il enjoignit à ses ingénieurs de fabriquer de nouvelles machines. Pendant qu’on exécutait ces ordres, il se mit à la tête des hypaspistes et des Agrianiens et se rendit à Sidon, avec l’intention de réunir dans cette ville tout ce qu’il avait déjà de trirèmes. Il lui semblait, eu effet, que, tant que les Tyriens resteraient maîtres de la mer, le siège de Tyr présenterait trop de difficultés. Sur ces entrefaites, Gérostrate, roi d’Arados, et Enylos, roi de Byblos, ayant appris que leurs villes étaient au pouvoir d’Alexandre, abandonnèrent Autophradatès et la flotte persane; ils se rendirent près d’Alexandre avec les navires qu’ils commandaient. Les trirèmes sidoniennes suivirent cet exemple. Alexandre se trouva ainsi maître d’environ quatre-vingts navires phéniciens. Vers la même époque, il reçut dix trirèmes, l’une appelée la Péripole, et neuf autres [envoyées par les Rhodiens]; Sali et Mallos en fournirent trois; [les Lyciens dix; on lui expédia de Macédoine un navire à cinquante rames], commandé par Protéas, fils d’Andronicus. Peu de temps après, les rois de Chypre vinrent à Sidon avec près de cent vingt navires; ils avaient appris la défaite de Darius à Issus, et étaie lit effrayés en voyant que toute la Phénicie était occupée par Alexandre. Celui-ci accorda à tous le pardon du passé, considérant que, s’ils s’étaient joints à la flotte persane, c’était plutôt sous l’empire de la contrainte que volontairement. Cependant les machines s’achevaient; les navires étaient mis en état de tenir la mer et de supporter un combat naval. Prenant avec lui quelques escadrons de cavalerie, les hypaspistes, les Agrianiens et les archers, Alexandre se dirigea du côté de l’Arabie, vers une montagne appelée l’Anti-Liban. Il soumit une partie de la contrée par la force; l’autre partie se laissa persuader et conclut avec lui des traités. En dix jours, il fut de retour à Sidon, où il trouva Cléandre, fils de Polémocrate, qui arrivait du Péloponnèse, amenant avec lui environ quatre mille Grecs mercenaires. Lorsque la flotte fut prête, il fit monter sur les ponts des navires tous ceux des hypaspistes qui lui parurent propres à rendre des services dans le cas où la lutte sur mer consisterait plutôt en coups de main qu’en manœuvres navales; puis il leva l’ancre, quitta Sidon et se mit eu route pour Tyr avec sa flotte rangée en bon ordre. Le roi macédonien était à l’aile droite,[56] c’est-à-dire du côté de la pleine mer; il avait avec lui les rois cypriotes et tous les Phéniciens, à l’exception de Phytagoras. Celui-ci et Crateros commandaient l’aile gauche de la ligne de bataille. Les Tyriens avaient d’abord résolu de livrer un combat naval si Alexandre venait les assiéger par mer. Mais, lorsqu’ils virent un nombre de vaisseaux infiniment supérieur à celui sur lequel ils avaient compté (ils ignoraient, en effet, qu’Alexandre eût sous ses ordres toutes les flottes des Cypriotes et des Phéniciens) lorsque, d’un autre côté, ils remarquèrent que ces navires s’avançaient en ordre de bataille (car, un peu avant d’arriver près de la ville, les navires d’Alexandre étaient restés au large pour attirer, s’il était possible, les vaisseaux tyriens au combat; puis ils s’étaient remis en marche, et, ne rencontrant pas de résistance, ils s’avançaient à toute vitesse), les Tyriens renoncèrent à combattre sur mer. Ils fermèrent toutes les entrées de leurs ports en y accumulant le plus grand nombre possible de trirèmes, et prirent des mesures pour qu’aucun vaisseau ennemi ne pénétrât dans leurs havres. Alexandre, voyant que les Tyriens ne sortaient pas aller à sa rencontre, se rapprocha de la ville. Il renonça à entrer de vive force dans le port situé du côté de Sidon, parce que l’entrée en était fort étroite, et quelle était d’ailleurs obstruée par de nombreux navires dont les proues étaient dirigées coutre lui. Cependant les Phéniciens se précipitèrent sur trois trirèmes qui se trouvaient un peu en dehors de la ligne de clôture, et, les frappant avec les proues de leurs vaisseaux, ils les coulèrent à fond. Les marins qui montaient ces trois navires purent, sans peine, se sauver à la nage. Les navires d’Alexandre mouillèrent à peu de distance du môle que le roi avait fait établir sur la grève et qui leur servit d’abri contre les vents. Le lendemain, Alexandre ordonna à l’amiral Andromachos et aux Cypriotes de bloquer avec leurs navires le port dans lequel on entre lorsqu’on vient de Sidon. Les Phéniciens furent chargés de bloquer le port situé de l’autre côté du môle et qui regarde l’Égypte; ce fut aussi de ce côté qu’Alexandre établit son quartier. Il avait fait réunir un grand nombre de constructeurs de machines pris à Chypre et dans toute la Phénicie; beaucoup d’engins étaient déjà construits.[57] Quand tout fut prêt, on commença à diriger vers plusieurs points du rempart les machines dressées sur le môle ou sur les navires, et on essaya d’attaquer les murs. Les Tyriens avaient élevé sur le mur crénelé, en face du môle, des tours en bois, avec la pensée de s’y installer pour combattre les assaillants. Quant aux machines amenées des autres côtés, ils devaient les repousser en lançant des traits sur leurs défenseurs et en jetant sur les navires qui les portaient des projectiles incendiaires. Ils espéraient ainsi effrayer les Macédoniens et les tenir éloignés des remparts de la ville. Les murailles de Tyr, du côté où se trouvait le môle, avaient à peu près cent cinquante pieds de hauteur (45 m) et une épaisseur proportionnelle; elles étaient formées de grosses pierres reliées par des couches de gypse. Les navires servant au transport des chevaux et les trirèmes Macédoniennes, qui devaient porter les machines près des remparts, éprouvèrent beaucoup de difficultés lorsqu’ils voulurent s’approcher de la ville; car les Tyriens avaient jeté dans la mer, autour de la place, beaucoup de blocs de pierre qui arrêtaient les navires et les empêchaient d’aller près des murailles. Alexandre ordonna d’extraire de l’eau ces blocs. C’était une œuvre très difficile; car il fallait l’accomplir en restant sur les navires, au lieu d’avoir pour base d’opérations la terre ferme. Les Tyriens, d’ailleurs, avaient fait cuirasser des navires, à l’aide desquels ils s’attaquaient aux ancres des trirèmes; ils coupaient les câbles qui les retenaient et rendaient ainsi les abords de la place presque inaccessibles pour les vaisseaux ennemis. Alexandre ordonna alors de cuirasser de la même manière un grand nombre de navires à trente rames; il les fit placer obliquement devant les ancres pour empêcher les navires tyriens d’en approcher. Les assiégés eurent recours à des plongeurs qui allèrent sous l’eau couper les câbles. Les Macédoniens remplacèrent les cordes de leurs ancres par des chaînes de fer contre lesquelles les plongeurs furent impuissants. — Ils purent, dès lors, prendre dans des filets les pierres qui formaient une sorte de digue autour de la ville; ils les retirèrent de l’eau; puis, les soulevant avec des machines, ils les lancèrent au large où elles ne devaient leur causer aucun embarras. Quand le mur se trouva dégagé de ces blocs protecteurs, il ne fut plus difficile aux navires d’en approcher. Les Tyriens, ainsi embarrassés de tous les côtés, se résolurent à attaquer les navires cypriotes qui bloquaient le port tourné vers Sidon. Longtemps à l’avance, ils tendirent des voiles à l’entrée de ce port pour empêcher les assiégeants de voir que l’on armait les trirèmes. Vers le milieu du jour, au moment où les matelots macédoniens étaient disséminés pour vaquer à leurs affaires, lorsqu’Alexandre, après avoir quitté la flotte qui bloquait l’autre côté de la ville, eut regagné sa tente, les Tyriens préparèrent trois quinquérèmes, un nombre égal de quadrirèmes et sept trirèmes, et ils y placèrent leurs meilleurs équipages; pour combattre sur les ponts, ils choisirent les soldats les mieux armée et les plus propres à soutenir avec constance une lutte navale. Puis ils sortirent tout doucement, chaque navire marchant isolé et faisant jouer les rames sans commandements exprès. Quand ils furent assez avancés pour être vus par les Cypriotes, ils poussèrent de grands cris et se précipitèrent sur les navires ennemis, en s’excitant les uns les autres et en ramant de toutes leurs forces. Ce jour-là, Alexandre, qui s’était retiré dans sa tente, y resta, par hasard, moins longtemps que de coutume et retourna bientôt à ses navires. Les Tyriens, tombant à l’improviste sur les vaisseaux qui les bloquaient, trouvèrent les uns complètement abandonnés, les autres mal dirigés par leurs équipages au milieu de ces cris et de ces attaques subites. Du premier choc, ils coulèrent la quinquérème du roi Phytagoras, celle d’Androclès d’Amathus et celle de Pasicratès de Thyrium; ils poussèrent les autres vers la grève où ils les brisèrent. Alexandre, dès qu’il fut informé de la sortie des trirèmes tyriennes, ordonna aux nombreux vaisseaux qui étaient autour de lui d’aller, au fur et à mesure qu’ils seraient prêts, mouiller à l’entrée du port [méridional] afin de mettre les autres vaisseaux tyriens dans l’impossibilité de sortir à leur tour. Lui- même, prenant avec lui les quinquérèmes et cinq trirèmes qui avaient été plus promptement armées que les autres, fit le tour de la ville et se dirigea sur les vaisseaux tyriens qui avaient effectué la sortie. Les défenseurs des remparts, voyant arriver la flotte macédonienne et remarquant la présence d’Alexandre en personne, [crièrent à leurs compatriotes qu’il fallait rentrer dans le port]. Mais les Tyriens, tout entiers à la lutte, ne pouvaient, au milieu du bruit, entendre cet avertissement, Les assiégés leur firent alors toutes sortes de signaux pour les amener à regagner la place. Avertis enfin, mais trop tard, de la marche des vaisseaux d’Alexandre, ils firent demi-tour et regagnèrent le port à la hâte. Il n’y eut qu’un petit nombre de navires qui, devançant les autres, parvinrent à se sauver. La plupart, en butte aux coups des vaisseaux d’Alexandre, furent mis hors d’état de tenir la mer. Les Macédoniens capturèrent, à l’entrée même du port, plusieurs quinquérèmes et des … Il manque deux pages (428-429) dans le texte traduit … de la place, qui ne pouvait pas être enlevée de vive force, il refusa de recevoir Alexandre dans la ville. Gaza est éloignée de la mer tout au plus de vingt stades; la route qui y conduit est formée d’une couche de sable très profonde; à proximité, toute la mer est remplie de vase. — C’était une grande ville, la dernière qu’on rencontrât lorsqu’on allait de Phénicie en Égypte; elle avait été construite à l’entrée même du désert, sur une très haute butte de terre rapportée, et de solides remparts l’entouraient, Alexandre, arrivé près de Gaza, établit dès le premier jour son campement du côté où les fortifications lui parurent le moins inexpugnables; puis il ordonna de construire des machines. Les ingénieurs lui firent remarquer qu’il serait difficile de s’emparer de vive force des murs de la place, à cause de la hauteur de la levée sur laquelle la ville était établie. Mais Alexandre fut d’avis que, plus la prise de Gaza offrait de difficultés, plus il y avait de raisons pour en venir à bout. Une œuvre aussi grande, aussi invraisemblable, terrifierait ses ennemis, tandis qu’il serait honteux pour lui qu’on allât dire aux Grecs et à Darius qu’il n’avait pas pu prendre Gaza. Il résolut donc de faire établir autour de la ville une levée, sur laquelle il disposerait ses machines au niveau des remparts qu’elles étaient destinées battre. Les travaux de terrassement furent faits surtout du côté des remparts méridionaux de la place qui semblaient les plus faciles à attaquer. Lorsque la levée parut assez haute, les Macédoniens y établirent des machines qu’ils se mirent à pousser contre les murs de Gaza. Sur ces entrefaites, Alexandre offrit un sacrifice. La couronne sur la tête, il allait, conformément à la loi, immoler la première victime, quand un vautour, qui planait au-dessus de l’autel, laissa tomber sur la tête du roi une pierre qu’il tenait entre ses pattes. Alexandre demanda au devin Aristandre ce que signifiait ce présage. Sire, répondit le devin, vous prendrez la ville; mais, aujourd’hui, soyez bien sur vos gardes. Ainsi prévenu, Alexandre se tint pendant quelque temps du côté des machines, en restant toutefois hors de la portée des traits de l’ennemi. Mais les assiégés firent une sortie valeureuse; les Arabes incendièrent les machines: placés sur une hauteur, ils atteignaient facilement les Macédoniens réduits à se défendre d’en bas, et ils les délogèrent de la terrasse qu’ils venaient d’élever. Alexandre, soit qu’il désobéît volontairement au devin, soit que, sous le coup de l’émotion causée par ces événements, il eût oublié la prédiction, rassembla les hypaspistes et alla au secours des Macédoniens les plus vivement attaqués. Il les arrêta en leur montrant la honte dont ils se couvriraient s’ils venaient à fuir et à abandonner leur levée. — Mais un coup de catapulte, perçant de part en part son bouclier et sa cuirasse, le frappa à l’épaule. Il vit qu’Aristandre ne s’était pas trompé en prédisant sa blessure, et il se réjouit à la pensée que la ville elle-même tomberait en son pouvoir, comme Aristandre l’avait annoncé. — Ce ne fut pas sans peine qu’on guérit la blessure du roi. Alexandre reçut les machines qui lui avaient servi à prendre Tyr et que, de là, on lui avait expédiées par mer. Il ordonna de construire, tout autour de la ville, une levée circulaire de deux stades en largeur (370 m) et de deux cent cinquante pieds en hauteur (77 m). Sur cette levée on installa les machines qu’il avait fait construire, et on se mit à battre en brèche les murs presque sans interruption. Des mines furent creusées en plusieurs endroits, et les déblais furent enlevés sans que les assiégés pussent les voir. Çà et là, le mur, se trouvant sur le vide, s’affaissa. Les traits, lancés d’une manière continue par les Macédoniens, éloignaient les combattants des tours de la place. Les assiégés, en perdant beaucoup de monde et en ayant de nombreux blessés, réussirent toutefois à repousser trois assauts. La quatrième fois, Alexandre mit en avant la phalange macédonienne; là où le mur était miné, il le fit abattre; ailleurs il le fit frapper à coups redoublés par les machines, si bien qu’il ne fut plus difficile d’entrer dans la place, avec des échelles, par les brèches. Ou appliqua donc les échelles coutre les remparts. Entre les Macédoniens désireux de montrer leur courage, des luttes s’engagèrent pour savoir qui le premier mettrait le pied dans la place. Cet honneur revint à Néoptolème, du corps des amis et de la famille des Lacides. Après lui, les divers corps escaladèrent les remparts en plusieurs endroits sous la conduite de leurs chefs. Lorsqu’un certain nombre de Macédoniens furent à l’intérieur des murs, ils occupèrent toutes les portes qu’ils rencontrèrent et les ouvrirent au reste de l’armée. — Les Gazéens, bien que leur ville fût au pouvoir de l’ennemi, se groupaient encore et ne cessaient pas de combattre.[58] 74. — [Voici maintenant ce qui arriva à Jérusalem].[59] L’empereur Titus, ayant reconnu qu’il n’était pas facile d’investir avec une armée une place aussi grande et si bien défendue par la nature, résolut de l’entourer tout entière de retranchements et de remparts.[60] Il fit construire un mur, en prenant comme point de départ le camp des Assyriens, où il s’était lui-même installé; de là, il le dirigea vers la Cenopole inférieure; puis, après avoir traversé le Cédrou, vers le mont des Oliviers; tournant alors au midi, il enveloppa [cette montagne et] la colline qui domine à l’est la vallée de Siloam. De là, en inclinant vers le couchant, il se dirigea vers le vallon de la fontaine; puis il remonta vers le monument du grand- prêtre Ananias, et occupa la montagne où Pompée avait établi son camp; ensuite, dans la direction du nord, il s’avança jusqu’au village que l’on appelle la maison des Erébinthes. De là, en faisant le tour du monument d’Hérode, il rejoignit à l’est son camp, c’est-à-dire son point de départ. Cette enceinte avait trente-neuf stades. Il y ajouta extérieurement treize forts, dont les contours arrivaient à dix stades. Le tout fut construit en trois jours. — Après avoir ainsi entouré la ville d’un rempart et avoir placé (les garnisons dans les forts, [Titus se chargea de la première veille], il confia la seconde à Alexandre; la troisième fut tirée au sort entre les commandants des légions.[61] — Ce premier travail enlevait aux Juifs toute espérance de salut; mais Titus ne s’en contenta pas. Il se remit à faire exécuter des terrassements, malgré la difficulté qu’il avait à se procurer du bois; en effet, tous les arbres des environs de la ville avaient été abattus et employés aux premiers ouvrages. Les soldats allèrent en chercher d’autres à quatre-vingt-dix stades de distance.[62] Pour ne parler que de ce qu’ils firent du côté de la hauteur d’Antonia, ils construisirent, en quatre endroits, des terrasses beaucoup plus grandes que celles qu’ils avaient précédemment établies.[63] 75. — J’ai raconté avec détails ces grands événements pour montrer tout ce que les combinaisons des ennemis d’autrefois révèlent d’audace, et combien est justifié le renom qu’ils ont acquis par leur courage. Ils savaient, à force de soins, venir à bout des œuvres les plus dangereuses et les plus pénibles; et pourtant les assiégés trouvaient moyen de leur résister. — Eh bien! donc, si, aujourd’hui, comme je l’ai déjà dit, les peuples qui s’arment contre nous sont de beaucoup inférieurs aux anciens, si les armées ennemies qui font irruption contre nos villes sont bien moins nombreuses qu’autrefois,[64] de telle sorte que, dans les cas les plus graves, il suffira peut-être de préparer cent machines pour lutter contre soixante mangonneaux et vingt béliers, et que, dans la plupart des cas, on aura affaire seulement à dix mangonneaux et à deux béliers, peut-être même à un seul, vous pourrez facilement, Général, après avoir fait appel à la puissance invincible de Dieu, résister aux attaques de vos adversaires, pourvu que vous teniez compte de ce que nous avons écrit dans ce traité. Car, si vous les mettez dans l’impossibilité de prendre la ville par des moyens apparents, il faudra bien qu’ils aient recours à ces moyens cachés et secrets, qui demandent une grande vigilance, beaucoup de veilles, beaucoup de travaux. 76. — Les ennemis seront troublés par des stratagèmes d’une exécution facile; ils le seront plus encore si vous par— venez à faire des choses qu’ils jugent impossibles. Nous pouvons citer, comme exemples, la prise de Sardes par le roi Antiochus et celle de la Roche Sogdienne par Alexandre. 77. — Alexandre, après avoir battu Darius et Oxyartès, roi des Bactriens, se mit en route pour la Roche Sogdienne au moment où le printemps allait commencer.[65] D’après les rapports qui lui avaient été faits, beaucoup de Sogdiens avaient cherché un refuge sur ce rocher. On lui avait dit aussi que la femme et les enfants d’Oxyartès le Bactrien s’y étaient retirés : Oxyartès, qui venait de se révolter contre Alexandre, les avait fait conduire en ce lieu qu’il jugeait imprenable. Cette position une fois enlevée, il ne devait plus rester aucune ressource aux Sogdiens tentés de faire quelque révolution. Lorsque les Macédoniens furent arrivés près du rocher, Alexandre reconnut qu’il était complètement escarpé de tous les côtés; il apprit en même temps que les Barbares y avaient rassemblé des vivres en quantité suffisante pour supporter un long siège. De plus, il était tombé une grande quantité de neige qui, rendant l’escalade plus difficile pour les Macédoniens, assurait aux Barbares de grandes provisions d’eau. — Alexandre résolut cependant de donner l’assaut à cette position. Une réponse orgueilleuse des Barbares, en excitant sa colère, accrut encore le désir qu’il avait de réussir. Il les avait invités à traiter avec lui, en leur promettant que, s’ils rendaient la place, ils pourraient retourner sains et saufs dans leur pays. Ces sauvages, se moquant de lui, lui répondirent que, pour prendre leur montagne, il fallait d’abord qu’il se mît à chercher des soldats ailés; car, des hommes ordinaires, ils n’avaient nul souci. Alexandre fit publier que le premier qui parviendrait à escalader le rocher recevrait douze talents, à titre de récompense; le second obtiendrait un prix un peu inférieur; le troisième moins encore, et ainsi de suite, de telle façon que le dernier eût encore la perspective de trois cents dariques.[66] Cette proclamation stimula le zèle des Macédoniens, déjà bien disposés d’ailleurs. On réunit tous ceux d’entre eux qui étaient exercés à escalader les rochers dans les sièges, et on en trouva trois cents. On leur remit de petits coins de fer (πασσάλους), semblables à ceux qui servent à assujettir les tentes. Ces coins devaient être enfoncés dans la neige là où elle serait gelée, ainsi que dans les endroits où le roc serait découvert, ils les attachèrent les uns aux autres avec de fortes cordes de lin; puis, pendant la nuit, ils se dirigèrent vers le point le plus escarpé du rocher, point qui, par cette raison même, était le plus mal gardé. Ils enfoncèrent leurs coins, les uns dans le roc lorsqu’il apparaissait, les autres dans la neige la plus dure, et, par une voie ou par l’autre, ils escaladèrent le rocher. Trente périrent dans l’ascension; il fut impossible de retrouver leurs cadavres, tombés çà et là dans la neige, et de leur donner la sépulture. Les autres atteignirent le sommet du rocher vers le matin. Aussitôt ils se mirent à agiter des drapeaux du côté de l’armée macédonienne pour la prévenir de leur réussite; c’était, en effet, le signal dont ils étaient convenus avec Alexandre. Celui-ci envoya alors un héraut déclarer aux avant-postes des Barbares que, sans aucun délai, ceux-ci devaient se rendre; car il avait trouvé des hommes ailés et leur avait fait occuper les sommets de la montagne. Le héraut montra en même temps aux assiégés les soldats établis sur la crête. Surpris par cette apparition inattendue, croyant d’ailleurs que les Macédoniens qui occupaient les sommets étaient plus nombreux qu’ils ne l’étaient eu réalité, et qu’ils étaient parfaitement armés, les Barbares se rendirent. Ainsi donc, la vue d’un petit nombre de Macédoniens les terrifia. 78. — Voyez encore ce qui arriva pour un autre lieu admirablement fortifié que l’on appelle le Rocher de Choriénès.[67] Ce rocher est coupé à pic. de toits les côtés; il n’est accessible que par un seul endroit; le sentier qu’il faut suivre, établi en faisant une sorte de violence à la nature, est étroit et difficile; on a peine à s’y tenir eu marchant isolément, lors même que personne ne s’oppose au passage. Un ravin profond fait tout le tour du rocher, si bien que celui qui aurait résolu de s’en emparer devrait longtemps à l’avance faire combler ce ravin, afin de pouvoir de plain-pied conduire son armée à l’attaque du rocher. Alexandre résolut de se mettre à l’œuvre. Une succession de coups d’audace que la fortune avait récompensés l’avait amené, en effet, à croire que pour lui rien n’était impossible et qu’il viendrait à bout de tous les obstacles. — Il y avait aux environs du rocher beaucoup de sapins très élevés. Alexandre ordonna de les abattre et d’en faire des échelles pour que son armée pût descendre dans le ravin. Il n’y avait pas, en effet, d’autre moyen d’y parvenir. Pendant le jour, Alexandre dirigeait lui-même les travaux auxquels une moitié de l’armée prenait part. L’autre moitié, divisée en trois groupes sous les ordres de Perdiccas, de Léonnatos et de Ptolémée, fils de Lagus, était chargée de travailler pendant la nuit. Les difficultés naturelles étaient si grandes et l’œuvre elle-même offrait tant d’embarras que l’on n’avançait pas de plus vingt pieds chaque jour et que l’on faisait encore moins de progrès durant la nuit, quoique l’armée tout entière prit part aux travaux. Les ouvriers, en descendant dans le ravin, enfonçaient des coins dans les endroits les plus escarpés et les éloignaient les uns des autres proportionnellement aux charges qu’ils devaient supporter. Ils étendaient par dessus des claies d’osier de manière à former un polit; après avoir réuni ces claies les unes aux autres, ils les recouvraient de terre, si bien que l’armée put arriver au rocher en marchant sur un sol aplani. Au début, les Barbares se moquaient d’une œuvre hérissée de tant de difficultés; mais ils virent bientôt que les flèches de leurs ennemis parvenaient jusqu’au rocher, et qu’ils étaient eux-mêmes impuissants à repousser les Macédoniens; car ceux-ci avaient construit des abris .contre les traits des Barbares, afin de pouvoir travailler sans danger. Alors Choriènes, stupéfait de ce qui se passait, adressa un héraut à Alexandre pour le prier de lui envoyer Oxyartès …………………………………….. (Caetra desiderantur)
[1] Mémoires présentés par divers savants à l’Académie des inscriptions et belles-lettres, 1re série, t. IV. 1854, pp. 324-329. [2] Quelques jours avant les événements qui amenèrent la fatale guerre de 1870, les Prussiens, qui avaient leur plan de campagne parfaitement arrêté, firent, dit-on, faire à Metz des achats considérables de blé, et diminuèrent ainsi d’autant les ressources de la ville qui allait être bloquée. [3] On pourrait être tenté de voir dans l’ἐπίσκοπος τῆς πόλεως l’évêque de la ville; mais il s’agit plutôt de ce fonctionnaire civil dont la charge est citée, parmi les munera civilia, dans l’énumération laissée par le jurisconsulte Arcadius Charisius : « Episcopi, qui praesunt pani et caeteris venalibus rebus quae civitatum populis ad quotidianum victum usui sunt. » (L. 18, § 7, D., de muneribus et honoribus, 50, 4.) [4] Service des armées en campagne, titre xx, § 215. [5] Grâce à ces entailles, les flèches se brisent en tombant. (A. R.) [6] Ce fait est raconté par Josèphe lui-même. De Bello jud., l. III, 7, § 10. [7] A Metz, nous avons eu des nouvelles de l’extérieur grâce au souterrain des eaux de Gorze qui n’était pas suffisamment gardé par les Prussiens. (A. R.) [8] Voir plus loin, § 70, le récit du siège de Syracuse. [9] Τοῦ βραχιολίου. Peut-être faut-il chercher là l’étymologie du mot braye, en latin bracca? (A. R.) [10] « Cet événement appartient probablement au règne de Constantin Porphyrogénète; car sous ce prince, avant et après l’adjonction de son beau-père, Romain Lécapène, à l’empire, pendant de longues années, les Bulgares firent des invasions fréquentes jusqu’aux portes de Constantinople, prirent deux fois Andrinople et envahirent la Macédoine. (Th.-H. Martin. Mémoires présentés par divers savants à l’Académie des inscriptions et belles-lettres, 1re série. t. IV, 1854, p. 327.) — Cf. Rambaud, L’Empire grec au xe siècle. 1870. pp. 332 et s. [11] Cf. Strat. Anon., xxix, 6. [12] Ce qui suit est extrait de Polybe et complète le récit du siège de Syracuse, que l’on trouvera plus loin, sous le § 70 (Voir le Polybe de Didot, p. 113.) Le texte véritable de Polybe a été retrouvé dans le manuscrit de la Poliorcétique et publié par M. Wescher. (V. aussi Revue archéologique, 1869. t. XIX, p 57-58.) Tite-Live, xxv, 23 et 24, s’est, en grande partie au moins, borné à traduire Polybe. — Nous devons faire remarquer que le texte publié dans les Mathematici veteres. p. 319-320, et que nous avons suivi, diffère notablement du texte attribué à Héron dans le Polybe de Didot, p. 413. [13] L’auteur, en rappelant les anciennes lois qui punissent l’abandon du poste, a en vue les lois romaines. Le jurisconsulte Modestin nous dit un effet « Is qui exploratione emanet, hostibus insistentibus, aut qui a fossato recedit, capite puniendus est. » (L. 3, § 4, D., De re militari. 49, 16.) — Les lois d’Athènes s’étaient montrées moins rigoureuses; elles prononçaient seulement contre le coupable la peine de l’atimie, sorte de dégradation civique : Ὑμεῖς τὸν λείποντα τὴν ὑπὸ τοῦ στρατηγοῦ τάξιν ταχθεῖσαν ἄτιμον οἴεσθε προσήκειν. (Démosthène, De Rhodiorum libertate, § 32. Reiske, 200; Cf. Andocide, De Mysteriis. § 74, Didot, 60. [14] On lit dans le texte λεκαστῶν. Mais, dans les énumérations de ce genre, on trouve ordinairement εἰλακάτας. (V. plus haut, § 5.) [15] Le texte porte ἕκαστα πράγματα; mais nous croyons qu’il faut lire ἕκαστα τάγματα. [16] Voir Thucydide, ii, 14. [17] Tous nos efforts pour établir un lien entre les diverses idées exprimées dans ce paragraphe ont été complètement infructueux. [18] Voir Polybe, éd. Didot, p. 121. — Tite-Live (xxiv, c. 361, parlant du siège de Syracuse, et non pas du siège de Tarente, s’exprime ainsi : « Nec diutius Poeni ad Syracusas morati sunt. Et Bomilcar, simul parum fidens navibus sais, duplici facile numero classe adventantibus Romanis, simul inutili,mora cernens nihil aliud ab suis quam inopia aggravari socios, velis in altum datis, in Africani transmisit. » [19] On prétend que le Anglais firent usage, en 1803, contre le camp de Boulogne, de carcasses arséniquées remplies de soufre, de charbon et d’arséniate de potasse; ces carcasses, lancées au milieu des ennemis à l’aide de bouches à feu, produisaient des vapeurs qui provoquaient des coliques et des vomissements. — Un ouvrage anonyme intitulé des Guérillas, imprimé généralement à la suite des Maximes du maréchal Bugeaud, rappelle qu’on empoisonne le vin, soit en y mêlant de l’opium, soit en y faisant dissoudre des sels de soude et d’autres purgatifs. (A. R.) [20] Voir Polybe, liv. I, ch. 18, §§ 9 et 10. [21] M. Th.-H. Martin pense que l’auteur renvoie au περὶ πυρσῶν des Κεστοί attribués par erreur à Julius Africanus, et dont l’auteur pourrait bien être Héron de Constantinople. (Kestoi, C. lxxvi. p. 315 des Veteres Mathematici.) [22] Voir Polybe. liv. XXII, ch. x, 7, Didot, p. 67. —Ce fragment de Polybe, relatif au siège d’Ambracie, est placé ordinairement par les éditeurs dans le livre XXII; mais le manuscrit du Mont-Athos, qui a pour titre Πολιορκίαι διαφόρων πόλεων, prouve qu’il appartient en réalité au livre XXI. Voir l’édition donnée, en 1817, par M. Charles Müller, comme appendice au tome II du Josèphe de Didot. — Tite-Live. XXXVIII, 5, a traduit presque littéralement ce passage. [23] Voir Arrien, Anabasis, liv. I, chap. viii. — Cf. Diodore de Sicile, liv. XVII, ch. xi et suiv. — Les historiens anciens nous ont laissé, sur la prise de Thèbes par Alexandre, des récits très différents les uns des autres, et que nous ne chercherons pas à concilier. Nous renvoyons le lecteur à l’History of Greece de M. Grote (traduction française de M. de Sadous, t. XVIII, p. 44 et suiv.). [24] Polybe, liv. I, xvii, 10 à 13, etc. xviii, 1. [25] Ces tubes à main étaient remplis d’une composition fusante et devaient ressembler beaucoup aux fusées dont les enfants se servent encore aujourd’hui. Ils avaient été inventés, peu d’années auparavant, par l’empereur Léon VI (886-911) qui les décrit ainsi dans sa Tactique (xix, § 1): « Qu’on se serve encore de ce feu d’une autre manière, au moyen de petits tubes qui n se lancent à la main et que les soldats auront derrière leurs boucliers de fer. Ces petits tubes, qui datent précisément de u notre règne, sont appelés tubes à main; ils devront être rem» plis de feu artificiel et lancés au visage des ennemis. » — La figure qui accompagne le chapitre xxii des Poliorcétiques de Héron, représente un soldat armé d’un de ces tubes. — Le feu artificiel, dont parle Léon, n’est autre chose que le feu grégeois, appelé aussi feu énergique (voir plus loin, § 61), feu maritime, feu mède, par les auteurs byzantins. On sait qu’il fut apporté aux Grecs, en 673, par Gallinicus, architecte d’Héliopolis, et que sa préparation fut solennellement mise au rang des secrets d’Etat par Constantin Porphyrogénète. (A. R.) [26] Tite-Live, XXV, c. xxii; — Cf. XXVI. c. iv. [27] Tite-Live, XXVI, c. v-vi. [28] Tite-Live, XXVI. c. vii. [29] Ce paragraphe est littéralement extrait de Polybe, ix, 8, Didot, p. 420. On peut consulter, sur cet épisode de l’histoire de la Grèce. M. Grote, t. XV de la traduction française, pp. 189-196; l’illustre historien, suivant le récit de Xénophon de préférence à ceux de Polybe. — Diodore, expose d’une façon très lucide les incidents qui firent échouer les deux mouvements successifs d’Épaminondas. [30] Echinos, ville située au sud de la Thessalie, sur la côte septentrional du golfe Maliaque. [31] Voir Polybe, ix, 42, éd. Didot, p. 440. [32] Extrait de Josèphe, De Bello judaico, III, c. vii, §§ 20 et suiv. [33] Dans Josèphe, (Bell. jud., iii. 7, 27), on lit στῖφος, au lieu de τεῖχος. [34] Voir Polybe, XXII, c. x, 1-6. Didot, p. 67. [35] On lit dans le texte κιάκια; nous croyons qu’il faut lire αὐλαῖα, la confusion de A et de L est fréquente dans l’écriture onciale : KIAKIA-AVLAIA. [36] Polybe, XXII, c. xi, §§ 1 et suiv., Didot, p. 658. Voir aussi le Josèphe de Didot, t. II, appendice. p. 17. Il résulte du manuscrit de la Poliorcétique des Grecs que ce fragment habituellement placé dans le XXII livre de Polybe, a été en réalité extrait du XXIe: Ἀμβρακίας πολιορκία, dit la rubrique, Πολυβίου βι. κα'. Voir plus haut § 47. [37] Environ soixante-un mètres soixante centimètres. [38] Tite-Live, qui a reproduit ce récit de Polybe, XXXVIII, ch. vii. s’exprime ainsi : « Pavidi ne jam, subrutis muris, fada in urbem via esset, fossam intra murum, e regione ejus operis quod vineis contectum erat, ducere instituunt. Cujus ubi ad tantam altitudinem, quanta esse solum intimutu cuniculi poterat, pervenerunt .... » [39] « Suspenso furculis ab hostibus muro. » dit Tite-Live. [40] Tite-Live entre ici dans plus de détails que son modèle « Primo ipsis ferrameiitis, quibus in opere usi erant, dein celeriter armati etiam subeuntes ocultam sub terra ediderunt pugnat. Segnior deinde ea facta est; intersaepientilius cuniculum ibi vellent, nunc ciliciis praetentis, nunc foribus raptim objectis. » [41] Le dolium, qu’il ne faut pas confondre avec notre tonneau, était un grand vase de terre à large ouverture et à ventre plein. On ne doit pas perdre de vue cette description sommaire, si on veut comprendre le texte de Polybe. Tite-Live s’est borné à le traduire presque littéralement : « Dolium a fundo pertusum, quae fistula modica inseri posset, et fistulam ferream operculumque dolii ferreum et ipsum plurimis locis perforatum, fecerunt. Hoc tenui pluma completum dolium ore in cuniculum verso posuerunt. Per operculi foramen praeongae hastae, quas sarissas vocant, ad summovendos hostes eminebant.... » — Remarquons toutefois que Tite-Live s’est trompé en croyant que les sarissos étaient placées « per operculi foramina. » [42] C’est-à-dire un soufflet: « Scintillam levem ignis inditam plumae folle fabrili ad caput fistulae imposito, flando accenderunt. » (Tite-Live, loc. cit.) [43] « Non solum magna vis fumi, sed acrior etiam foedo quodam nidore ex adusta pluma, quum totum cuniculum complesset, vix durare quisquam intus poterat. » (Tite-Live, loc. cit.) [44] Il s’agit ici de la prise de Thessalonique par les Sarrasins-Phéniciens, sous la conduite du renégat Léon de Tripoli, el Chulam des Arabes; ce désastre, raconté par Jean Caméniate, de Excidio Thessalonicensi, arriva l’an 904, sous le règne de Léon le Philosophe, père de Constantin Porphyrogénète. (Th.-H. Martin, Mémoires présentés par divers savants à l’Académie des inscriptions et belles-lettres, 1re série, t. IV, 1854, p. 327; Brunet de Presle, La Grèce moderne, 1860, p. 158; Rambaud, L’Empire grec au xe siècle, 1870, p. 416.) [45] Extrait de Polybe, livre VIII, c. v et suiv., Didot, pp. 390-393. [46] Appius Claudius Pulcher, édile en 537, tribun militaire à Cannes en 538, préteur en 539, consul en 542. [47] Voir Wescher, Revue archéologique, nouv. série, t. XIX. 1869, p. 59. [48] C’est cette remarque, reproduite par Suidas. ve ἀνυστικωτέρα (Bernh., p. 504), et attribuée par lui à Polybe, qui avait fait insérer dans les éditions de cet historien le fragment que nous traduisons. Le manuscrit de la Poliorcétique des Grecs est venu confirmer cette attribution et combler certaines lacunes du texte transmis par Héron. Nous ferons seulement remarquer que, d’après la Poliorcétique, la flotte était commandée par Appius Claudius Pulcher, et l’armée de terre par Marcus Claudius Marcellus, tandis que Héron, d’accord avec Tite-Live (XXIV, 34), et Plutarque (Marcellus, 14), intervertit les rôles de ces deux généraux. [49] Au lieu de κλὶμακας, le manuscrit de la Poliorcétique a κάμακας; mais le texte de Héron semble préférable. [50] Marcus Claudius Marcellus, l’un des plus braves soldats et des plus illustres généraux de la République romaine, cinq fois consul, mort en 546, après trente-neuf campagnes: « Undequadragies dimicaverat, » dit Pline. [51] Biton (De machinis) adonné, d’après Damios de Kolophon, une description géométrique de la sambyque, description accompagnée d’une figure à laquelle il renvoie, mais que l’on ne trouve pas dans l’édition des Veteres mathematici, pp. 110-111. [52] La σαμβύκη était un instrument de musique analogue à notre harpe. Suidas la définit εἶδος κιθάρας τριγώνου. [53] Environ deux cent soixante kg. [54] Extrait d’Arrien, Anabasis Alexandri, livre II, xviii, §§ 2 et suiv. XIX, XX. XXI. XXII, XXIII, 14. [55] Leur hauteur était, du côté de la terre, de quarante-cinq mètres. Arrien, Anabasis, ii, 21, § 4.) [56] Le général en chef, chez les Grecs, se tenait habituellement la droite de l’armée. Ce point vient d’être complètement mis en lumière par M. Lugebil, dans ses Untersuchungen für Geschichte der Staatstverfassung von Athen, Leipzig, 1871; voir notamment pp. 604 et suiv. [57] Dans une phrase que l’auteur du Traité de la défense des places n’a pas reproduite, Arrien (Anabasis, ii, 21, 1) dit que certaines machines étaient installées sur le môle; d’autres sur des navires servant au transport des chevaux, ἐπὶ τῶν ἱππαγωγῶν νεῶν, navires qu’Alexandre avait amenés de Sidon; d’autres enfin placées sur les trirèmes qui n’étaient pas bonnes marcheuses. [58] On sait qu’Alexandre, irrité au dernier point par cette courageuse résistance, infligea à Batis, encore vivant, un cruel et sauvage châtiment. Il fit attacher ce malheureux général à son char et le traîna à toute vitesse au milieu de son armée. Achille s’était contenté de maltraiter le cadavre d’Hector; le roi macédonien trouva le moyen de surpasser son modèle. [59] Il doit y avoir une lacune dans le manuscrit. Le récit du siège de Jérusalem par Titus commence par ces mots πόλεως ἢ καὶ σῖτος Καῖσαρ... qui ne présentent aucun sens, même en lisant Τίτος pour σῖτος. [60] Josèphe. De Bello Judaico. v. 12, § 1. [61] Josèphe, loc. cit., § 2. [62] De seize à dix-sept kilomètres, [63] Josèphe, loc. cit., § 4. [64] Cependant, s’il faut ajouter foi au témoignage de Syméon lorsque les Bulgares, sous la conduite du terrible Krum, se préparèrent en 820, à assiéger Constantinople, ils réunirent une telle quantité de béliers, de balistes, de catapultes, de tours roulantes, de pierriers, de scorpions, de chausse-trappes, de tortues, de machines incendiaires, qu’il fallut cinq mille voitures et d’innombrables bêtes de somme pour transporter ces engins. (Voir M. A. Rambaud, L’Empire grec au xe siècle; Constantin Porphyrogénète, 1870, P. 327.) [65] Le récit de la prise de la Roche Sogdienne par Alexandre est extrait d’Arrien, Anabasis, liv. IV, c. xviii, §§ 4-7, et c. xix, §§ 1-4. — M. Grote, History of Greece (trad. française, t. XVIII, p. 259), déclare que ses informations géographiques ne lui permettent pas de déterminer l’emplacement de ce rocher. [66] Quinte-Curce dit : « Praemiurn erit ei, qui primus occupaverit verticem, talenta x: uno minus accipiet qui proximus ei venerit. eademque ad decem homines servabitur proportio. » — Cf. Xén., Hell., V, iv, 11. [67] Extrait d’Arrien, Anabasis, livre IV, ch. xxi, §§ 2-6. — Le Rocher de Choriénès était dans la Paraetacène.
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