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Euclide le Géomètre
PRÉFACE
Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer
Géométrie livre I
RAPPORTfait à la Classe des Sciences physiques et mathématiques de l'Institut national, par les citoyens Lagrange et Delambre. Séance du lundi 28 ventôse an xii.
Peu d'ouvrages ont été aussi souvent traduits, commentés et reproduits, que les Éléments d'Euclide; mais il n'est pas d'auteur avec qui ses traducteurs aient pris d'aussi étranges libertés. Sous prétexte de donner aux démonstrations plus de clarté et de simplicité, il n'est presque pas de proposition dont ils n'aient changé ou modifié les preuves. Pour ne parler que des traducteurs français, il suffît de jeter les yeux sur l'Euclide de Dechalles, réimprimé plusieurs fois successivement par Ozanam et Audierne, pour voir que ces éditeurs n'ont presque rien respecté dans l'auteur original, si ce n'est l'ordre et l'énoncé des théorèmes. Mais malgré tous leurs soins et leurs prétentions, ils n’ont pas fait oublier le véritable Euclide ; on trouve même encore quelques savants qui, soit avec raison, soit par un goût un peu trop exclusif pour les méthodes des anciens, prétendent que malgré les talents et les succès des auteurs modernes, les Éléments d'Euclide sont, à quelques endroits près, le meilleur ouvrage que nous ayons en ce genre. Sans prendre aucun parti sur cette question, on peut conclure au moins de leur opinion, que le citoyen Peyrard a fait une chose utile en traduisant fidèlement un ouvrage dont nous n'avons pas eu de traduction exacte depuis plus de deux cents ans, et, dont les bonnes éditions, soit grecques soit latines, sont assez rares, et à la portée de peu de savants, sans compter les difficultés des deux langues, qui diminuent encore assez considérablement le nombre des lecteurs. Nous avons lu avec soin la nouvelle traduction, en la comparant à l'original grec, du moins quant à l'énoncé de chaque proposition, et pour les parties essentielles des démonstrations; car c'eût été un travail aussi long qu'inutile que de suivre le traducteur dans des détails qui ne peuvent se traduire de deux manières. Partout le citoyen Peyrard nous a paru rendre avec exactitude le sens et même les expressions de son auteur. L’ouvrage d'Euclide, quelque estimable qu'il soit, est pourtant incomplet à plusieurs égards. Il y manque surtout nombre de propositions importantes relatives à la surface du Cercle, de la Sphère, du Cylindre et du Cône, et à la solidité de ces trois derniers corps. Le traducteur en a fait la matière d'un Supplément, qu'il commence par deux propositions empruntées d'Archimède, en avertissant dans une note que la seconde lui paraît impossible à démontrer bien rigoureusement. Il ajoute que c'est sans doute pour celte raison qu'Euclide n'a rien dit de la surface du Cercle ni de celle de la Sphère. Il s'agit de prouver que le contour du Polygone, circonscrit est plus grand que celui du Cercle. Pour y parvenir, Archimède avait posé en, principe que de deux lignes concaves du même côté et qui ont mêmes extrémités, celle qui environne l'autre est la plus grande, des deux. Il est vrai que ce principe méritait bien une démonstration, mais il n’est pas prouvé que ce soit précisément cette difficulté qui ait arrêté Euclide. Quand il composa ses Éléments, Archimède n'était peut-être pas né, il est bien probable au moins qu'il n'avait encore publié ni son Traité de la Sphère et du Cylindre, ni celui de la mesure du Cercle, les Théorèmes que contient cet ouvrage étaient encore inconnus pour la plupart, et la réputation qu'ils ont acquise à leur auteur, le prix qu'il y attachait lui-même, nous prouvent combien on les avait jugés difficiles. Il est donc tout simple d'imaginer qu'Euclide les ignorait entièrement; car s'il les eût connus, ils sont d'une telle importance, qu'il aurait dû, ce me semble, les indiquer, sauf à convenir de ce que la démonstration pouvait renfermer d'hypothétique. Tous les Théorèmes sont démontrés dans le Supplément du citoyen Peyrard, à la manière d'Euclide, et en se servant autant qu'il a été possible des propositions qui se trouvent dans les Éléments. Ces démonstrations sont presque toutes indirectes, c'est-à-dire qu'elles prouvent, non pas qu'une chose soit de telle ou de telle manière, mais qu'il y aurait de l'absurdité à la supposer autrement... Quelques-unes des démonstrations du citoyen Peyrard ressemblent beaucoup à celles qu'on trouve dans l'ouvrage du citoyen Legendre ; mais quand on compose un livre d'Éléments, on ne s'impose pas l'obligation d'être toujours neuf, toujours inventeur; tout le monde sait bien que c'est la chose impossible. On trouvera du moins plusieurs propositions importantes qui sont démontrées d'une manière nouvelle ; ainsi pour arriver au théorème sur la solidité de la Sphère, le citoyen Peyrard emploie la proposition xvii du livre xiie, et ce théorème paraît en effet un corollaire assez simple de cette proposition. La démonstration qu'elle fournit est plus facile que celle d'Archimède. Mais cette proposition n'était qu'imparfaitement démontrée dans Euclide. Robert Simson y avait relevé plusieurs omissions et inexactitudes. Le citoyen Peyrard en a complété la démonstration d'une manière qui ne laisse rien à désirer. Le Supplément est terminé par quelques théorèmes connus, d'un usage très fréquent dans la mesure des Lignes, des Surfaces et des Solides, et qui ne se trouvaient pas assez expressément énoncés dans les Éléments d'Euclide.... L'ouvrage est terminé par des notes où l'on rapporte et l’on discute quelques objections et quelques corrections proposées par Robert Simson. L'auteur, dans sa Préface, annonce un travail semblable, qu'il a commencé, sur Archimède. Nous pensons que la Classe, en approuvant celui qu'il vient de faire sur Euclide, doit engager le citoyen Peyrard à terminer la traduction, non moins importante, et bien plus difficile, d’Archimède. Signé LAGRANGE et DELAMBRE. La Classe approuve le Rapport et en adopte les conclusions. Signé DELAMBRE, Secrétaire perpétuel.
PRÉFACE.Lorsque je fus nommé Bibliothécaire de l'Ecole Polytechnique, je formai le projet de donner au public une traduction littérale des Œuvres d'Euclide et d'Archimède, les deux plus grands Géomètres de l'antiquité. Je pensais qu'il était en quelque sorte de mon devoir de consacrer mes moments de loisir à des travaux qui fussent analogues à ceux de l'Ecole Polytechnique. Je publierai, dans le courant de l'an xiii, une traduction littérale des Œuvres complètes d'Archimède; cette traduction sera accompagnée d'un Commentaire pour faciliter l'intelligence des endroits difficiles.[1] Je fais paraître aujourd'hui la traduction des Livres de la Géométrie d'Euclide, auxquels j'ai ajouté un Traité du Cercle, du Cylindre, du Cône et de la Sphère ; la mesure des Surfaces et des Solides. J'ai traduit Euclide littéralement, et même mot à mot, quand le génie de la langue française a pu me le permettre. Dans mon Supplément, j'ai adopté les principes d'Archimède, et je me suis conformé, autant qu'il a été en mon pouvoir, à la méthode et à la marche d'Euclide. Dans les notes qui accompagnent ce Supplément, je me suis appliqué à éclaircir quelques endroits obscurs; je rapporte et je discute quelques objections proposées par Robert Simson. Je fais voir dans ces notes que Robert Simson est tombé dans une erreur très grave au sujet de la définition x du Livre xi. Au lieu du Supplément que j'ai composé pour servir de suite à la Géométrie d'Euclide, je devais donner la traduction littérale du Traité du Cylindre et de la Sphère et du Traité de la mesure du Cercle d'Archimède; mais ayant fait réflexion que ces deux Traités ne sont pas assez élémentaires, je me suis décidé à composer un Traité succinct du Cercle, du Cylindre, du Cône et de la Sphère, qui fût à la portée de ceux qui apprennent les mathématiques, et dont toutes les propositions fussent rigoureusement démontrées. La démonstration d'Archimède, qui regarde la mesure de la sphère, est tellement compliquée, qu'il faut la plus grande Contention d'esprit pour la comprendre; la démonstration que je lui substitue est courte et facile à saisir, et cependant elle a toute la rigueur qu'on peut exiger. Je ne ferai pas l'éloge d'Euclide; on se méfie toujours de l'éloge d'un auteur fait par son traducteur. Je laisserai parler deux illustres Géomètres, Montucla et Bossut. « C'est surtout à ses Éléments qu'Euclide doit la célébrité de son nom. Il ramassa dans cet ouvrage, le meilleur encore de tous ceux de ce genre, les vérités élémentaires de la Géométrie, découvertes avant lui. Il y mit cet enchaînement si admiré par les amateurs de la rigueur géométrique, et qui est tel, qu'il n'y a aucune proposition qui n'ait des rapports nécessaires avec celles qui la précèdent ou qui la suivent. En vain divers Géomètres, à qui l'arrangement d'Euclide a déplu, ont tâché de le réformer, sans porter atteinte à la force des démonstrations. Leurs efforts impuissants ont fait voir combien il est difficile de substituer à la chaîne formée par l'ancien géomètre, une chaîne aussi ferme et aussi solide. Tel était le sentiment de l'illustre M. Leibnitz, dont l'autorité doit être d'un grand poids en ces matières; et M. Wolf, qui nous l'apprend, convient d'avoir tenté inutilement d'arranger les vérités géométriques dans un ordre différent, sans supposer des choses qui n'étaient point encore démontrées, ou sans se relâcher beaucoup sur la solidité de la démonstration. Les Géomètres anglais, qui semblent avoir le mieux conservé le goût de la rigoureuse géométrie, ont toujours pensé ainsi ; et Euclide a trouvé chez eux de zélés défenseurs dans divers Géomètres habiles. L'Angleterre voit moins éclore de ces ouvrages, qui ne facilitent la science qu'en l'énervant ; Euclide y est presque le seul auteur élémentaire connu, et l'on n'y manque pas de Géomètres. » Le reproche de désordre fait à Euclide m'oblige à quelques réflexions sur l'ordre prétendu qu'affectent nos auteurs modernes d'éléments, et sur les inconvénients qui en sont la suite. Peut-on regarder comme un véritable ordre, celui qui oblige à violer la condition la plus essentielle à un raisonnement géométrique, je veux dire, celte rigueur de démonstration, seule capable de forcer un esprit disposé à ne se rendre qu'à l'évidence métaphysique ? Or rien n'est plus commun chez les auteurs dont on parle, que ces atteintes portées à la rigueur géométrique. Mais il leur fallait nécessairement se relâcher jusqu'à ce point, ou commencer à traiter d'un certain genre d'étendue, avant que d'avoir épuisé ce qu'il y avait à dire d'un autre plus simple, et ils ont mieux aimé ne démontrer qu'à demi, c'est-à-dire, ne point démontrer du tout, que de blesser un prétendu ordre dont ils étaient épris. » Il y a même, à mon avis, une sorte de puérilité dans cette affectation de ne point parler d'un genre de grandeur, des triangles, par exemple, avant que d'avoir traité au long des lignes et des angles : car pour peu que, s'astreignant à cet ordre, on veuille observer la rigueur géométrique, il faut faire les mêmes frais de démonstrations, que si l'on eût commencé par ce genre d'étendue plus composé, et d'ailleurs si simple, qu'il n'exige pas qu'on s'y élève par degrés. J'ose aller plus loin, et je ne crains point de dire que cet ordre affecté va à rétrécir l'esprit, et à l'accoutumer à une marche contraire à celle du génie des découvertes. C'est déduire laborieusement plusieurs vérités particulières, tandis qu'il n'était pas plus difficile d'embrasser tout d'un coup le tronc, dont elles ne sont que les branches. Que sont en effet la plupart de ces propositions sur les perpendiculaires et les obliques, qui remplissent plusieurs sections des ouvrages dont on parle, sinon autant de conséquences fort simples de la propriété du triangle isocèle ? Il était bien plus lumineux, et même plus court, de commencer à démontrer cette propriété, et d'en déduire ensuite toutes ces autres propositions ». (Histoire des Mathématiques, par J. F. Montucla. Paris, an vii, tom. I, pag. 205.) « Jamais livre de science n'a eu un succès comparable à celui des Éléments d'Euclide. Ils ont été enseignés exclusivement pendant plusieurs siècles dans toutes les écoles de mathématiques, traduits et commentés dans toutes les langues; preuve certaine de leur excellence ». (Essai sur l'Histoire générale des Mathématiques, par Ch. Bossut. Paris, 1802, tom. I, pag. 45.) n. b. Il est indispensable de faire les corrections indiquées dans l’errata, avant d'entreprendre la lecture d'Euclide.
[1] La souscription pour la traduction littérale des Œuvres complètes d'Archimède, avec un commentaire et des planches, par F. Peyrard, Bibliothécaire de l'École Polytechnique, est ouverte d'ici au 1er vendémiaire an xiii. Cet ouvrage sera imprimé par Crapelet, sur caractère dit saint-Augustin, format in-4°, papier fin d'Angoulême. Prix 36 fr., et en papier vélin 72 fr. Tous les exemplaires seront numérotés et livrés suivant l'ordre des souscriptions. La liste des souscripteurs sera imprimée en tête du volume. Il ne sera pas tiré un seul exemplaire au-delà du nombre des souscriptions ; ainsi il sera absolument impossible de s'en procurer autrement qu'en souscrivant. Cet ouvrage paraîtra dans le courant de l'an xiii. On souscrit à Paris, chez l'Éditeur, à l'École Polytechnique, et chez F. Louis, Libraire, rue de Savoie, n° 12.
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