Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer
REVUE
DES
ÉTUDES GRECQUES
PUBLICATION TRIMESTRIELLE
DE L'ASSOCIATION POUR L'ENCOURAGEMENT DES ETUDES GRECQUES
(Reconnu établissement d'utilité publique par décret du 7 juillet 1869)
TOME XIX
ANNEE 1906
PARIS ERNEST LEROUX, ÉDITEUR
28, RUE BONAPARTE, VIe
1906
DU PHILOSOPHE
Traduction par Paul TANNERY.
Mme Vve P. Tannery nous a remis un travail de notre regretté confrère qui comprend :
1° Des prolégomènes (relatifs aux écrits de Domninos).
2° Le texte du Manuel.
3° La traduction française de ce texte.
4° Le texte, avec les variantes, et la traduction française d'un fragment (A) intitulé : Πῶς ἔστι λόγον ἐκ λόγου ἀφελεῖν.
5° La traduction d'un autre fragment (B), Scholies sur l'arithmétique de Nicomaque. Ni le texte ni les variantes n'ont été retrouvés, jusqu'ici du moins, dans les papiers de Tannery.
Nous ne publions ici, de cet ensemble, que la partie des prolégomènes relative au Manuel et la traduction du traité. Le texte en a été donné par Boissonade (Anecdota graeca, t. IV, p. 413-429). Du fragment A, le texte, les variantes et la traduction ont fait l'objet d'un article publié en 1883 dans la Revue de Philologie, tome VIII, p. 82-92.[1]
P. Tannery avait déjà publié une étude sur Domninos de Larissa dans le Bulletin des sciences mathématiques et astronomiques, oct. 1884, p. 298 et suivantes, et des « notes critiques » sur cet auteur dans la Revue de Philologie, année 1885, p. 129-137.
N. D. L. R.
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I. Nous possédons sur le philosophe Domninos de Larissa les renseignements suivants :
1° Une courte notice provenant de l’Onomalologos perdu d'Hésychius de Milet et conservée (v. Δομνῖνος) dans le Violarium d'Eudocia, et, sauf la dernière phrase, dans Suidas :
« Domninos, philosophe, Syrien de nation, de Laodikeia et de Larissa,[2] ville de Syrie, disciple de Syrianos et condisciple de Proclus, comme dit Damascius. Il écrivit contre les opinions de Platon. »
2° Un passage de la Vie de Proclus par Marinos de Neapolis (c. 26) :
« (Syrianos) avait proposé, à Proclus et au philosophe de Syrie, Domninos, qui lui succéda, de leur expliquer soit Orphée, soit les Oracles, et leur avait donné le choix ; mais ils ne s'accordèrent pas pour ce choix. Domninos préférait Orphée, Proclus les Oracles ; en tout cas cette exégèse fut empêchée par la prompte mort du grand[3] Syrianos. »
3° Un assez long extrait de la Vie d’Isidoros par Damascius, extrait qui, dans Suidas, complète l'article sur Domninos :
« Homme capable en mathématiques, mais superficiel pour les autres· matières philosophiques ; aussi tournait-il souvent les opinions de Platon aux siennes propres, et les corrompait-il par la couleur qu'il leur donnait. Il fut toutefois redressé par Proclus, qui écrivit contre lui tout un traité purificateur (c'est là le titre) des dogmes de Platon. »
« Sa manière de vivre n'était nullement accomplie et ne méritait pas d'être appelée véritablement celle d'un philosophe ; ainsi l'oracle d'Asclépios à Athènes prescrivit le même remède à l'Athénien Ploutarkhos et au Syrien Domninos, alors que celui-ci avait de fréquents crachements de sang, en sorte qu'on lui donnait un surnom venant de là ; l'autre avait je ne sais quelle maladie. Le remède devait consister à se gorger de viande de porc. Ploutarkhos ne put admettre un tel régime, quoiqu'il ne lui fût pas défendu par les lois de son pays ; mais se redressant à son réveil, le coude sur la couchette, il regarde la statue d'Asclépios (car il avait dormi dans le portique du temple) : « Maître, dit-il, et qu'aurais-tu prescrit à un Juif ayant ma maladie? Tu ne lui aurais pas ordonné de se gorger de viande de porc. » A peine eut-il parlé qu'Asclépios fit rendre à sa statue un son plein d'harmonie et dicta un tout autre traitement. Domninos au contraire, quoique Syrien, obéit au songe, contrairement à la loi de son pays, et loin de suivre l'exemple que lui avait donné Ploutarkhos, mangea et mangea du porc. On a dit que s'il restait un jour sans en prendre, il était tout à fait repris de sa maladie jusqu'à ce qu'il se fût rassasié de cette viande. »
« Asclépiodotos, encore jeune, le vit déjà vieux; il lui parut affecter un air de supériorité et de raideur, daignant à peine parler aux particuliers ou aux étrangers qu'il voyait, même à ceux qui prétendaient à quelque distinction. En tout cas, pour lui-même, il le trouva assez blessant. Comme à propos d'un certain théorème arithmétique, il ne croyait pas devoir se plier en jeune homme à l'opinion de Domninos, ni se borner à quelque molle objection, mais essayait de le réfuter hardiment, l'autre cessa de l'admettre à ses entretiens ».
C'est par erreur que Fabricius (Bibliotheca Graeca. éd. Harles, III, 171) dit qu'il est également parlé de Domninos dans les extraits de la Vie d’Isidore de Damascius conservés par Photius.[4]
II. L'importante donnée de Marinos, que le successeur immédiat de Syrianos comme chef de l'école d'Athènes fut non pas Proclus le Diadokhos, mais bien Domninos, a été en général négligée par les historiens de la philosophie. Mais il est probable que le Syrien ne garda pas longtemps ces hautes fonctions, et que devant l'hostilité qu'il rencontra de la part de son rival et des nombreux partisans de ce dernier, il abandonna Athènes pour se retirer ailleurs, peut-être à Laodicée, où l'aura vu Asclépiodotos[5] avant que ce dernier fût lui-même venu à Athènes entendre les leçons de Proclus. En tout cas, Domninos fut un contemporain du Diadokhos (412-485 ap. J.-C.) et probablement plus âgé que lui de quelques années.
Le peu qui nous reste de Domninos est exclusivement arithmétique et n'a jamais attiré l'attention des historiens des mathématiques, malgré la compétence que lui ont reconnue, dans cette matière, ses détracteurs de l'antiquité. Son Manuel offre cependant un certain intérêt, surtout en ce qu'il témoigne d'une tentative sérieuse de réaction contre Nicomaque et de retour à Euclide.
Là encore, et non seulement au sujet des dogmes de Platon, Domninos dut se trouver en opposition avec Proclus. Nous savons par Marinos (c. 28) qu'un songe avait assuré au Diadokhos qu'il avait l'âme de Nicomaque le Pythagoricien, et il est probable qu'il avait commenté avec amour l’Introduction arithmétique de ce dernier. C'est de ce travail que doivent dériver les commentaires sur Nicomaque postérieurs à celui de Iamblique, qui nous restent, édités ou manuscrits, sous les noms de Jean Philoponos, d'Asclépios de Tralles, ou sous celui de Proclus lui-même.
R. Hoche qui a édité un de ces commentaires (Leipzig, Teubner, 1864, et Berlin, Calvary, 1867), comme de Jean Philoponos, après avoir constaté qu'il en existe deux recensions différentes, soupçonne que celle qu'il considère comme la seconde est due à un Proclus Procleios dont parle Suidas :
« Proclus dit Procleios, fils de Thémision, hiérophante de Laodikeia de Syrie, a écrit : une Théologie, — sur la fable de Pandore dans Hésiode, — sur les Vers dorés, — sur l'Introduction arithmétique de Nicomaque — et divers autres traités géométriques ».
Mais il est inadmissible que ce Proclus hiérophante ait vécu après Jean Philoponos ou même de son temps, à une époque où le christianisme avait complètement triomphé de l'ancienne religion. D'autre part, il suffit d'examiner la liste des écrits que lui attribue Suidas et de la comparer avec celle des œuvres du Diadokhos, pour se persuader qu'on se trouve ici en présence d'une de ces confusions si fréquentes chez Suidas et qu'il faut restituer au disciple de Plutarque et de Syrianos la totalité des travaux mis sous le nom de l'hiérophante. Enfin c'est nommément au philosophe, au Diadokhos, que le commentaire sur Nicomaque est attribué dans les deux manuscrits connus qui le donnent comme de Proclus et dont le texte ne paraît pas d'ailleurs différer essentiellement de celui publié par R. Hoche.[6]
III. Si le Manuel d'introduction arithmétique du rival de Proclus n'a pas jusqu'à présent davantage attiré l'attention, cela tient d'une part à la rareté des manuscrits où figure le nom de cet auteur (on n'en a signalé que quatre), d'un autre côté aux diverses corruptions que ce nom a subies. A peine peut-on dire qu'il nous ait été conservé sans altération. Si le manuscrit de la Bibliothèque nationale, fonds grec 2531, porte expressément (fol. 15 verso) le titre : Δομνίνου φιλοσόφου λαρισσαίου ἐγχειρίdιον ἀριθμητικῆς εἰσαγωγῆς, il a été récrit par une main plus récente sur les traits effacés de l'ancienne écriture, et le sommaire[7] du manuscrit écrit au recto de la première feuille de garde, donne : Δομνήνου φιλοσόφου λαρισσαίου περὶ ἀριθμητικῆς.
Le manuscrit du même fonds grec 2409 (olim Codex Mazarinaeus 147) donne le même titre que le n° 2531, mais Δομνίνου y a été corrigé de Δομίνου et le sommaire, au verso du dernier (quatrième) feuillet de garde indique : Domni Philosophi Larissaei Enchiridium arithmeticae introductionis, leçon qui a été adoptée dans l'index du catalogue du fonds grec.
Enfin le manuscrit du fonds Coislin 173 et le manuscrit 318 de Saint-Marc à Venise donnent le titre : Δομνίου φιλοσόφου λαρισσαίου ἐγχειρίdιον εἰσαγωγικὸν ἀριθμητικῆς.
Devant ces divergences, on peut comprendre comment Harles (Fabricius, V, p. 648) a écrit : « Domnii (qui ab aliis male, opinor, dicitur Domnini) Larissau philosophi enchiridion arithmeticae... Esse autem videtur Heliodorus Larissaeus et praenomen Domnii honoris vocabulum. De ejus optica quae in variis exstat codd. mstis et edita est... »
Mais cette conjecture est évidemment sans aucun fondement. La personnalité du philosophe Domninos de Larissa est beaucoup mieux définie que celle de l'auteur de l’Optique connue sous le nom d'Héliodore de Larissa, et aucun des manuscrits de cette Optique ne porte rien qui justifie l'hypothèse de Harles; car on ne peut invoquer ceux qui, comme le manuscrit 2253 de la Bibliothèque nationale, portent le titre : Δαμιάνου Ηλιοδώρου Λαρισσαίου περὶ ὀπτικῶν ὑποθέσεων κεφάλαια.
Je vais donner une notice plus étendue des trois manuscrits précités de la Bibliothèque nationale.
A : Ood. Paris. 2531, du xve siècle, sur papier, in-8, contenant 369 feuillets numérotés au recto, venu de Fontainebleau, avec une très belle reliure aux armes de François Ier. Il a malheureusement énormément souffert de l'humidité, et l'écriture, autrement assez facile à lire, est presque effacée surtout dans la première moitié, où se trouve le texte de Domninos. Les sommaires indiquent :
1° Le Manuel d’Harmonique de Nicomaque (fol. 3-fol. 15, bas du recto). Il ne renferme que le premier livre, le seul authentique, précédé d'un sommaire des 12 chapitres et avec le titre : Νικομάκου πυθαγορίου γερασινοΰ ἁρμονικής ἐγχειρίδιον ὑπαγορευθέν ἐξ ὑιτογυϊου κατὰ τὸ παλαιόν.
2° Le traité de Domninos, qui commence fol. 15 verso.
3° L'Introduction arithmétique de Nicomaque, avec des scholies étendus. Sur le sommaire de la première feuille de garde, l'indication μετ' ἐξηγήσεως Ίω. τοΰ γραμματικοΰ a été rayée et remplacée par la suivante μετὰ σχολίων τινών παλαιών. Le texte de Nicomaque semble appartenir à la seconde famille des manuscrits classés par Richard Hoche (Nicomachi Geraseni Pythayorei Inlroductionis arithmeticae libri II, Leipzig, Teubner 1866, praef., p. vi). Les scholies sont ceux publiés par Richard Hoche sous le nom de Jean Philoponos ; le texte en est particulièrement conforme à celui du Codex Cizensis collationné par Hoche. Nicomaque occupe du fol. 42 r. au f. 124 v.[8]
4° Les Éléments d'Euclide (les XIII livres authentiques seulement). Le texte ne diffère pas de celui des manuscrits les moins importants ; il occupe les feuillets 131 r. à 369 v.
Le manuscrit ne porte à la fin que la mention : δόξα θεώ τώ δόντι αρχήν καί τέλος.
Le sommaire n'est d'ailleurs pas complet.
5° Les deux premiers feuillets, mutilés dans l'angle gauche supérieur, contiennent, d'une autre écriture que celle du manuscrit, le commencement d'un Compendium de natura inédit d'un (sic) Psellos à Michel Ducas.
6° Le texte de Domninos paraît au premier aperçu finir en haut du fol. 30 recto. Les feuillets suivants sont vides jusqu'au 32 r. Le feuillet précédant celui-ci (ancien 32) a été arraché, et le numérotage des suivants, qui était antérieur à la reliure, a été changé en tenant compte de la disparition de ce feuillet. Au haut du fol. 32 r. est la mention presque effacée : Ίω. τοϋ Δαμασκηνοΰ, puis commence (Inc. Διδασκαλικαί έρμηνίαι) une compilation relative à la vie de philosophes de l'antiquité jusqu'au fol. 36 r. qui porte en haut la mention : ὅσοι φιλόσοφοι μετὰ ΧΡ. ἐγένοντο, puis une liste de noms. (Des : θεμίστιος, μάξιμος οὗτοι μετά ΧΡ).
7° La liste ne recommence ensuite qu'au fol. 38, par la Vie de Sophocle[9] (Inc. Σοφοκλής το μέν γένος ην Αθηναίος). Il se termine par la liste des personnages de la Mort d'Ajax, au bas du fol. 39 v.
Les deux feuillets suivants sont vides jusqu'à l’Arithmétique de Nicomaque. De même cinq feuillets entre Nicomaque et Euclide sont vides, sauf des figures (125 V.-126 r.) relatives à l'harmonie des sphères.
Revenant à Domninos, on s'aperçoit que le Manuel finit en réalité vers le milieu du fol. 23 r. Au haut du 23 v. commence un autre fragment arithmétique avec le titre Πώς εστίν λόγον έκ λόγου άφελεΐν, il se termine par ποιεί την τοϋ συνθέτου πηλικότητα au bas du fol. 27 v. Enfin, au haut du fol. 28, commence sans autre distinction effective d'avec ce qui précède, un second fragment : Διά δύο συλλογισμών qui va jusqu'au haut du fol. 30 r. Je n'aurai pas besoin de m'étendre aussi longuement sur les manuscrits suivants :
B : Cod. Paris. 2409 du xvie siècle, sur papier, in-4, contenant 66 feuillets dont le numérotage ne se suit pas, coté au premier du texte (n° 5) 147 et ex Bibliotheca Cardinalis Mazarini ; couverture en parchemin. Il est de deux mains différentes. La première a écrit trois traités inédits sur l'astrolabe :
Ἰωάννου Ἀλεξανδρέως τοϋ φιλοπόονου περὶ τῆς τοῦ ἀστρολάβου χρήσεως καί τί τῶν ἐν αὐτῷ καταγεγραμμένων σημαίνει ἕκαστον (fol. 5-15 r.).
Ἑτέρα ἐξήγεσις τοῦ ἀστρολάβου (fol. 15 v.-18 r.).
Κυροΰ νικηφόρου τοΰ γρήγορα φιλοσόφου περὶ κατασκευῆς καὶ γενέσεως ἀστρολάβου (fol. 18 v.-7 r. [2e numérotage]).
Tous ces traités portent de nombreuses corrections résultant de collations avec une autre source que l'original.
La seconde main a écrit : un poème iambique sur l'astrologie :
Ἰωάννου τοῦ καματηροῦ τοῦ ἐπὶ κανικλείου περὶ τῆς οὐράνιας τῶν ἀστέρων διαθέσεως ἐν συνόψει πρὸς βασιλέα τὸν πορφυρογέννητον. qui occupe 26 feuillets numérotés recto et verso de 1 à 52;[10] puis, après deux feuillets blancs, le Manuel de Domninos qui occupe sept feuillets numérotés de 1 à 13 et termine le manuscrit.
Les fragments A et B ne se trouvent pas dans ce manuscrit; le texte du Manuel est tellement conforme à celui du manuscrit précédent qu'on pourrait croire qu'il a été copié sur lui.
L'écriture est nette et très facile à lire.
C : Cod. Coislin. 173, sur papier de coton (xve siècle). 311 feuillets in-4.
Ce manuscrit, de même que le n° 318 de Saint-Marc, qui est de la même époque, ne donne sous le titre du Manuel que le fragment A, intercalé (p. 211 med. 213 med.) entre le Manuel harmonique de Nicomaque et Ocellos Περί της τοϋ παντός φύσεως. L'écriture est assez jolie et très lisible.
Il n'y a guère, en dehors de ce fragment de Domninos, rien d'inédit dans le manuscrit, qui contient auparavant : Synésios περί ενυπνίων, les Harmoniques et la Géographie de Ptolémée, le commentaire de Porphyre sur les Harmoniques, plus loin les traités de musique de Bacchios le Vieux et de Manuel Bryenne, enfin Théon d'Alexandrie εἰς τοὺς προχείρους κανόνας.
La composition du manuscrit 318 de Saint-Marc est analogue. L''Introduction arithmétique de Nicomaque, le fragment de Domninos, les Harmoniques de Ptolémée, le commentaire de Porphyre, Manuel Bryenne, le Manuel harmonique de Nicomaque et Bacchios le Vieux.
Il est probable que le fragment de Domninos dans ces deux manuscrits dérive d'une même source. Le texte du manuscrit Coislin offre au contraire certaines divergences avec le ms. 2531 qui paraît avoir suivi la source commune plus fidèlement, mais avec moins d'intelligence.
IV. En résumé, pour le Manuel, les deux manuscrits 2531 et 2409, comme je l'ai dit, n'offrent presque aucune divergence. En somme, leur texte est en bon état. .
Le Manuel est un résumé bref, mais très clair, des connaissances arithmétiques considérées dans l'antiquité comme indispensables pour l'étudiant de philosophie; il ne faut y chercher rien de plus élevé, mais on doit reconnaître que le cadre obligé est très convenablement rempli.
A la fin de son opuscule, l'auteur annonce que les questions qu'il n'a fait qu'effleurer seront développées dans un Traité élémentaire d'arithmétique, άριθμητική στοιχείωσις, sur le plan duquel il donne quelques indications, et dont la perte doit être regrettée.
J'ai déjà dit que le Manuel accuse une tendance de réaction contre Nicomaque et de retour à Euclide ; il convient ici d'entrer dans le détail.
Dès le début nous sommes avisés; le Manuel commence par la définition de l'unité, que Nicomaque ne donne pas, et que Domninos emprunte à Euclide (VII, déf. 1); il est vrai que celle du nombre, qui suit, n'est pas prise à la même source, mais bien dans Nicomaque, où elle forme la seconde définition. Après la distinction du pair et de l'impair, Domninos subdivise les nombres pairs en deux classes, les pairement pairs et ceux qu'il appelle à la fois pairement impairs et impairement pairs. Ces expressions, avec celle d'impairement impairs se rencontrent déjà dans le Parménide (143, e), et il n'est pas douteux qu'elles n'y aient le sens que leur donne Euclide, c'est-à-dire qu'elles ne désignent les nombres composés de deux facteurs pairs ou impairs, combinés de toutes les façons possibles.
Un nombre impair composé, ne pouvant avoir do facteur pair, est nécessairement impairement impair, c'est-à-dire que de quelque façon qu'on le décompose en deux facteurs, ceux-ci seront tous deux impairs. Au contraire un nombre pair composé, à moins d'être une puissance de 2, sera nécessairement pairement impair et impairement pair, ces deux expressions étant absolument synonymes.
Si le nombre pair composé, toujours sans être une puissance de 2, est divisible par 4, il sera de plus pairement pair; enfin s'il est une puissance de 2, il sera seulement pairement pair (ἀρτιάκις ἄρτιος μόνον, Euclide, IX, 32).
A la différence d'Euclide, Domninos, de même que Nicomaque, ne reconnaît comme pairement pairs que ces derniers nombres, c'est-à-dire les puissances de 2; mais pour le reste de la terminologie, le Manuel se conforme aux Eléments et rejette les subdivisions de Nicomaque, à savoir l’ἀρτιοπέριττος (pair-impair) qui est le « seulement pairement impair » d'Euclide (IX, 33), c'est-à-dire le nombre de la forme 4n + 2, et le περισσάρτιος (impair-pair), qui est le nombre à la fois pairement pair et pairement impair d'Euclide (IX, 34) c'est-à-dire le nombre de la forme 8n + 4.
Pour les impairs, Domninos les subdivise de même seulement en deux, les nombres premiers, où il a soin de faire rentrer le nombre 2, et les nombres impairement impairs, ce qui est conforme à la terminologie des définitions d'Euclide, tandis que Nicomaque substitue à la deuxième désignation celle de nombre second et composé, qui est certainement aussi ancienne que celle de nombre premier, mais qu'il a tort de restreindre à la forme des impairs.
Ainsi Domninos rejette, et cela avec pleine raison, la troisième subdivision du nombre impair, absurdement introduite par Nicomaque, celle de nombre composé en lui-même, mais premier par rapport à un autre.
Après ces subdivisions, Nicomaque distingue les nombres parfaits, déficients, surabondants comme autres espèces du nombre pair; Domninos donnera plus loin la même distinction, mais à une place beaucoup plus rationnelle, et en ayant bien soin de ne pas la borner aux nombres pairs ; pour le moment, il aborde un sujet que Nicomaque ne touche pas, la distinction des nombres suivant leur composition relativement au système de numération; malheureusement il quitte presqu'immédiatement cette question qui, comme il le remarque, est du domaine de la logistique; la perte totale des ouvrages grecs composés sur cette matière ne rend que plus regrettable la pauvreté des indications qu'il donne.
Après avoir épuisé les subdivisions du nombre considéré en lui-même, soit dans sa forme, soit dans sa quotité, Domninos passe aux relations et donne alors à leur place véritable les définitions des nombres premiers entre eux et des nombres composés entre eux, définitions dont Nicomaque a si singulièrement méconnu le caractère. Puis notre auteur aborde la nomenclature des rapports que peuvent avoir deux nombres, considérés dans leur quotité. Cette nomenclature, dont l'intérêt est d'ailleurs aujourd'hui purement historique, est très clairement développée et justifiée, en partant d'un théorème d'Euclide (VII, 4).
Domninos passe ensuite aux relations des nombres avec leurs sous-multiples (nombres parfaits, etc.), puis aux distinctions qui se rapportent à la composition des nombres quand on les considère à la fois en eux-mêmes et deux à deux. Les remarques assez justes qu'il fait, et qui paraissent lui appartenir en propre, auraient mieux été à leur place avant la nomenclature des rapports.
Vient ensuite l'exposé des proportions arithmétique, géométrique, harmonique (en trois termes seulement, ou médiétés) ; Domninos écarte comme sans intérêt les sept autres médiétés des anciens, longuement exposées par Nicomaque à la fin de son ouvrage; d'autre part il énonce un théorème, que son prédécesseur semble ignorer, à savoir, que la moyenne géométrique entre deux nombres est également moyenne géométrique des moyennes arithmétique et harmonique de ces deux nombres.
Pour la figuration géométrique des nombres, Domninos repousse en thèse générale celle des nombres polygones et pyramides, comme étant en désaccord avec les principes d'Euclide. Celle rigoureuse exclusion était sans doute déjà motivée, à l'époque de décadence où il écrivait, par la confusion qu'entraînait cette figuration et par l'abus des formules de calcul des nombres polygones pour l'évaluation d'aires géométriques.
Domninos ne reconnaît donc que les nombres plans et solides admis par Euclide; et comme ce dernier il définit leur similitude, ce qu'a omis Nicomaque. Il ne distingue les nombres plans qu'en carrés et promèques comme Platon dans le Théétète, et rejette l’hétéromèque, désignation autrefois synonyme de promèque, mais qui, à une époque postérieure à Euclide, avait été appliquée exclusivement aux nombres de la forme n (n + 1) spécialement considérés par les Pythagoriciens.
Pour les solides; il donne la subdivision classique chez les arithméticiens grecs, mais qui ne se retrouve pas dans Euclide, et qui correspond aux formes a², ab², a²b, abc, en supposant a > b > c. La première est le cube, la troisième, la plinthide des anciens; pour la quatrième, Domninos donne un terme, bomisque, indiqué par Nicomaque avec trois autres (scalène, sphénisque, sphécisque) ; enfin pour la seconde (docide de Nicomaque), l'expression dont il se sert, stylide, n'a, que je sache, été employée par aucun autre auteur.
Cette brève analyse suffit pour établir que Domninos avait tenté d'apporter dans l'enseignement de l'arithmétique de son temps des réformes généralement heureuses, et fait preuve d'une hardiesse originale, sinon d'une profondeur à laquelle ne se prêtait guère le cadre restreint du Manuel.
Il convient de faire remarquer l'une des questions sur lesquelles il annonce qu'il s'étendra dans son Traité élémentaire — à savoir si la relation entre trois termes égaux ne doit pas plutôt être assimilée à une proportion géométrique qu'à une proportion arithmétique ou harmonique ; — cette question, éminemment oiseuse, est un indice de l'époque, où les recherches qui feraient progresser la science sont négligées pour d'inutiles discussions, propres seulement à faire briller la subtilité et l'ingéniosité de l'argumentation.
1. L'unité est ce suivant quoi chaque chose est dite une.
2. Le nombre est un composé d'unités. Tout nombre s'engendre par progression en différence d'une unité, à partir de l'unité jusqu'à l'infini : d'abord 1, puis 2, puis 3, puis 4, et ainsi de suite.
3. Les nombres, ou bien se divisent en deux parties égales, comme 4 et 6, ou bien ne peuvent être ainsi divisés, comme 3, 5, 7, 9. Aucun de ces nombres en effet ne peut être divisé en deux parties égales, parce que l'unité est indivisible par sa propre nature.
4. Les nombres qui se divisent en deux parties égales sont appelés pairs, et ceux qui ne peuvent être ainsi divisés, impairs.
5. Les pairs commencent à 2 et procèdent par différence de 2 jusqu'à l'infini ; les impairs commencent à 3 et procèdent également par différence de 2 jusqu'à l'infini.
6. Des pairs, les uns se divisent et se subdivisent par deux parties égales en nombres toujours pairs jusqu'à ce qu'on arrive à 2; les autres n'ont pas cette propriété.
7. Ceux qui se divisent ainsi jusqu'à 2 sont appelés nombres pairement pairs, comme 4, 8, 16.
8. Ceux qui n'ont pas celle propriété sont dits pairement impairs et impairement pairs, comme 6, 10, et 12.
9. Les nombres pairement pairs sont doubles les uns des autres en commençant par 2 et en progressant indéfiniment ; les pairement impairs et impairement pairs commencent également à 2, qui est comme l'origine commune des nombres pairs, et ils procèdent par différence de 2 jusqu'à l'infini, sauf ceux entre lesquels tombe un nombre pairement pair. Dans ce cas, ils différeront de 4 entre eux, et de 2 avec le nombre pairement pair intermédiaire.
10. Des impairs, les uns se divisent en un certain nombre de parties égales ; comme 9 en 3 groupes de 3; 15 en 3 groupes de 5 ou en 5 de 3 ; 35 en 5 groupes de 7 ou en 7 de 5; les autres ne peuvent se partager en nombres égaux, comme 3, 5, 7, 11.
11. Ceux qui peuvent se partager en nombres égaux quelconques sont appelés impairement impairs; ceux qui n'ont pas cette propriété ont été nommés nombres premiers et non composés.
12. Les impairement impairs sont ceux qui sont multiples d'un ou de plusieurs nombres impairs suivant un nombre impair. Les nombres premiers et non composés sont ceux qui ne sont multiples d'aucun nombre, en sorte que 2 doit être aussi considéré comme un nombre premier et non composé.
13. Après avoir exposé la classification des nombres suivant leur forme, passons à leur classification suivant la quotité des unités, ce qui dans les nombres est le contenu[11] et comme la matière.
14. Les nombres se considèrent soit en unités, soit en dizaines, soit en centaines, soit en milliers ; en unités, de 1 à 9 ; en dizaines, les décuples des nombres en unités; en centaines, les décuples des nombres en dizaines ; en milliers, les décuples des nombres en centaines.
15. Il n'y a que ces quatre ordres de nombres, car tout nombre se trouve soit dans un, soit dans plusieurs, soit dans l'ensemble de ces ordres. Ainsi 5 est de l'ordre des unités; 25 dans l'ordre des unités et dans celui des dizaines; 325 se considère en trois ordres, unités, dizaines, centaines; 2325 dans tous les ordres.
16. La théorie est semblable pour les myriades, car il y a unités de myriades, dizaines de myriades, centaines de myriades, milliers de myriades, que les myriades soient d'ailleurs simples, doubles, ou multiples suivant un nombre quelconque.
17. La myriade simple est le nombre 10 000 lui-même; la double est 10 000 fois la simple : la triple 10 000 fois la double ; la quadruple 10 000 fois la triple, et ainsi de suite indéfiniment. Mais il appartient à la théorie logistique d'en dire davantage à ce sujet. Arrivés à ce point de notre discours, nous ferons remarquer que l'examen que nous avons fait des nombres jusqu'à présent a exclusivement porté sur la considération des nombres en eux-mêmes.
18. Un nombre quelconque considéré en lui-même sera suivant sa forme, pair ou impair; s'il est pair, il sera pairement pair ou pairement impair ; s'il est impair, il sera ou impairement impair ou premier et non composé. Considéré suivant la quotité des unités qu'il contient, on le trouvera soit dans les unités, soit dans les dizaines, soit dans les centaines, soit dans les milliers, soit dans plusieurs de ces ordres, soit dans tous ensemble.
19. Voilà donc la théorie des nombres en eux-mêmes telle qu'elle s'est présentée à nous. Il faut maintenant considérer leurs relations réciproques. Nous disons donc en repartant du commencement :
20. Des nombres, les uns ont l'unité seule pour commune mesure; comme 5 et 7; car il n'y a aucun même nombre qui les divise; les autres sont divisés soit par un même nombre soit par plusieurs; par un seul, comme 6 et 9, qui ont seulement 3 pour diviseur commun ; par plusieurs comme 6 et 12, que 2 et 3 divisent également.
21. Les nombres qui ont l'unité seule pour diviseur commun sont dits être premiers entre eux ; ceux qui ont soit un certain nombre soit plusieurs, comme diviseur commun, sont dits nombres composés entre eux.
22. Voilà ce qui concerne la relation réciproque des nombres quant à la forme; pour leur relation quant au contenu, c'est à dire à la quotité de leurs unités, voici ce qu'on doit considérer.
23. Tout nombre, comparé avec un nombre quelconque quant à la quotité des unités que renferment l'un et l'autre, loi est ou bien égal ou bien inégal. Dans le cas d'égalité, leur manière d'être réciproque est unique et sans autre distinction possible ; car l'égalité n'est pas susceptible d'être de telle on telle façon; ce qui est égal est égal d'une seule et même manière.
24. Dans le cas d'inégalité, on considère dix modes de relation ; mais avant de les indiquer, il convient de faire remarquer que, de deux nombres quelconques, le plus petit est par rapport au plus grand soit un quantième., soit plusieurs quantièmes (parties aliquotes).
25. Si en effet il divise le plus grand, il en est un quantième; comme 2, qui divise 4 et 6, est la moitié de l'un, le tiers de l'autre; s'il ne le divise pas, il est par rapport à lui, plusieurs quantièmes; comme 2 qui ne divise pas 3, en est les deux tiers; comme 9 qui ne divise pas 15, en est les trois cinquièmes.
26. Ceci posé, je dis que si les deux nombres qui nous sont donnés sont inégaux, ou bien le plus petit divisera le plus grand, ou bien il ne le divisera pas. S'il le divise, le plus grand est multiple du plus petit, le plus petit est sous-multiple du plus grand. Ainsi 3 et 9 ; 9 est multiple de 3, puisqu'il en est le triple, 3 est sous-multiple de 9, en tant qu'il en est le sous-triple.
27. Si le plus petit nombre se divise par le plus grand, étant retranché de ce dernier une ou plusieurs fois, il laissera finalement un reste plus petit que lui-même et qui sera, par rapport à lui, soit un, soit plusieurs quantièmes. En effet, le reste sera soit l'unité, soit un certain nombre; si le reste est l'unité, il est clair que ce sera par rapport au plus petit nombre, un quantième; car l'unité est un quantième par rapport à tout nombre, puisque tout nombre est un composé d'unités. Si le reste est un certain nombre, on aura soit un, soit plusieurs quantièmes; car, de deux nombres quelconques le plus petit est, par rapport au plus grand, soit un, soit plusieurs quantièmes.
28. Si donc le moindre nombre, retranché une seule fois du plus grand, laisse un reste plus petit que lui-même et qui, par rapport a lui, soit un quantième, le plus grand sera épimore (d'un quantième en sus) du moindre, et le moindre sous-épimore du plus grand : ainsi 2 et 3, est épimore de 2, car il contient 2 plus la moitié de 2 ; aussi dit-on qu'il en est l’hémiole, tandis que 2 est hyphémiole de 3. Ainsi 6 et 8 ; car 8 est épitrite (d'un tiers en sus) de 6, et 6 est sous-épitrite de 8.
29. Si le reste est de plusieurs quantièmes du moindre nombre, le plus grand sera épimère du moindre, et le moindre sous-épimère du plus grand. Ainsi 3 et 5; 5 est épimère de 3, car il contient 3 plus ses deux tiers; aussi dit-on qu'il en est l’épiditrite et que 3 est sous-épiditrite de 5. Ainsi 15 et 24 ; car 24 est épitripempte de 15, puisqu'il contient 15 plus les trois cinquièmes, et 15 est sous-épitripempte de 24.
30. Si le moindre nombre doit être retranché du plus grand plus d'une fois avant de laisser un reste qui soit plus petit que lui-même, si ce reste est un de ses quantièmes, le plus grand nombre sera son multiple épimore et le moindre nombre sera un sous-multiple épimore du plus grand; ainsi 2 et 5 ; 5 est multiple épimore de 2, car il le contient deux fois et la moitié en sus ; on dira donc qu'il est « double et moitié » de 2, et que 2 est sous-« double et moitié » de 5. Ainsi 6 et 26 ; car 26 est « quadruple et tiers « de 6, et 6 sous-« quadruple et tiers » de 26.
31. Si le reste est de plusieurs quantièmes du moindre nombre, le plus grand sera un multiple-épimère de ce dernier, et celui-ci un sous-multiple-épimère du plus grand. Ainsi 3 et 8; car 8 est « double et deux tiers » de 3, et 3 sous-« double et deux tiers » de 8. Ainsi 10 et 34; 34 est « triple et deux cinquièmes » de 10, et 10 est sous-« triple et deux cinquièmes » de 34.
32. Voilà ce qu'on appelle les dix relations d'inégalité, que les anciens appelaient aussi rapports :
1 multiple, 2 sous-multiple,
3 épimore (d'un quantième en sus), 4 sous-épimore,
5 épimère (de tant de quantièmes en sus), 6 sous-épimère,
7 multiple-épimore, 8 sous-multiple-épimore,
9 multiple-épimère, 10 sous-multiple-épimère.
Voilà ce qu'on considère pour les relations réciproques de» nombres quant à la quotité qui forme leur contenu.
33. Il semble que nous soyons arrivés au terme de l'examen des relations des nombres que nous avons considérées soit suivant la quotité qui forme leur contenu, soit suivant leur forme ; mais il y a eu des anciens que leurs tendances ont entraînés plus loin et qui ont inventé une autre théorie de relation pour les nombres,, en comparant non plus deux nombres quelconques entre eux, mais en examinant avec un nombre la somme de ses quantièmes.
34. Le nombre égal à la somme de ses quantièmes a été nommé parfait, parce que l'ensemble de ses parties n'est ni en excès ni en défaut, ainsi 6, 28.
Le nombre supérieur à la somme de ses quantièmes a été appelé déficient, parce que l'ensemble de ses parties est moindre et en défaut; ainsi 8. Le nombre inférieur à la somme de ses quantièmes a été dit surabondant, parce que l'ensemble de ses parties surabonde par rapport à lui; ainsi 12.
35. Après avoir examiné les nombres en eux-mêmes et en relations réciproques, disons aussi comment on les considère à la fois en eux-mêmes et en relation.
36. Les nombres peuvent être ou bien à la fois premiers absolument et entre eux, comme 3 et 5, ou bien composés absolument et entre eux, comme 6 et 9, ou encore composés absolument, mais premiers entre eux, comme 4 et 9.
37. Il peut se faire aussi qu'ils ne soient absolument ni tous deux premiers, ni tous deux composés ; alors entre eux ils peuvent être tantôt premiers, tantôt composés. Si en effet le nombre qui est premier et non composé ne divise pas le nombre composé, ils seront premiers entre eux, comme 3 et 8 ; mais s'il le divise, ils seront composés, comme 3 et 6, qui ont en effet le nombre 3 pour diviseur commun; car il ne divise pas seulement 6, il se divise aussi lui-même. (Si en effet 6 le contient 2 fois, sa moitié le contiendra 1 fois; or cette moitié est 3 égal au nombre diviseur lui-même ; il se divisera donc lui-même.) Voilà ce qu'on considère pour les nombres pris à la fois en eux-mêmes et en relation entre eux.
38. Les rapports d'égalité et d'inégalité que nous avons développés plus haut ont une liaison immédiate avec ce qu'on appelle médiétés et proportions puisqu'elles sont pareillement composées de certains rapports qui sont les mêmes, mais puisque nous avons réservé cette question qui réclame une technologie spéciale, abordons-la maintenant.
39. Il est clair, au reste, que son examen concerne exclusivement la théorie des nombres dans leur relation entre eux, eu égard à la quotité de leur contenu, de même que la question des rapports d'égalité et d'inégalité, mais ici nous avons toujours plus de termes; car un rapport est entre deux termes, une proportion entre trois au moins.
40. Si l'on a trois nombres inégaux tels que la différence des plus grands soit égale à la différence des moindres, comme pour 2, 4, 6, on dit qu'ils sont en proportion arithmétique. Car la proportion arithmétique a lieu, comme on dit, alors que le moyen de trois nombres inégaux est surpassé et surpasse d'une même quotité.
41. Que les différences soient inégales et que d'ailleurs celle des plus grands nombres soit la plus grande, si elle est à la différence des moindres dans le même rapport que l'un des trois nombres eux-mêmes à l'un des deux autres, il est clair que ce rapport sera ou bien celui du plus grand nombre au moyen, ou celui du moyen au plus petit, ou celui du plus grand au plus petit. Car il ne pourra être ni celui du plus petit au moyen, ni celui du moyen au plus grand, ni celui du plus petit au plus grand, puisqu'on suppose que la différence des plus grands nombres est la plus grande.
42. Si le rapport de cette différence à la différence des moindres nombres est le même que celui du plus grand nombre au moyen ou bien du moyen au plus petit, comme pour 9, 6, 4 (car la différence des plus grands nombres est une fois et demie la différence des plus petits, et le plus grand est dans le même rapport avec le moyen, comme aussi le moyen avec le plus petit), on dit que ces nombres sont en proportion géométrique. La proportion géométrique a lieu en effet, suivant les arithméticiens, alors que de trois nombres inégaux, le premier est au second dans le même rapport que le second est au troisième.
43. Si au contraire c'est le rapport du plus grand nombre au moindre qui est le même que celui de la différence des plus grands nombres à la différence des moindres, comme pour 6, 3, 2 (car le plus grand est triple du moindre et la différence des plus grands est de même triple de celle des plus petits), on dit que ces nombres sont en proportion harmonique. La proportion harmonique a lieu en effet, alors que de trois nombres inégaux le plus grand est au plus .petit comme la différence des plus grands à la différence des moindres.
44. Il faut savoir qu'il est possible d'intercaler entre les mêmes extrêmes les moyens suivant chaque sorte de proportion.
45. Ainsi soient 10 et 40; 20 sera le moyen suivant la proportion géométrique; car le rapport de 40 à 20, qui est le rapport double, est le même que celui de 20 à 10.
46. Le moyen arithmétique sera 25; car 40 le surpasse d'autant que lui même surpasse 10.
47. Le moyen harmonique sera 16 ; car le rapport de 40 à 10 (qui est le rapport quadruple) est le même que celui de la différence entre 40 et 16 à la différence entre 16 et 10.
48. Il faut aussi savoir que lorsque les moyens suivant les trois proportions tombent entre deux extrêmes toujours les mêmes, le moyen de la proportion géométrique sera moyen suivant cette proportion non seulement entre les extrêmes, mais encore entre les moyens suivant les deux autres proportions. Ainsi, dans les nombres ci-dessus, le rapport de 25 à 20, qui est épitétarte (de une fois et un quart) est le même que celui de 20 à 16.
49. Il suffit de parler seulement de ces trois médiétés ou proportions; car ce sont celles-là seulement que les anciens ont jugées dignes de leur attention. Mais comme il y a encore dans les nombres une autre théorie, également introduite per les anciens et relative à l'assimilation des nombres aux figures de l'espace, nous allons en dire aussi quelques mots, en remontant encore au commencement.
50. Les nombres sont dits être les uns plans, les autres solides.
51. Les nombres plans sont ceux qui s'engendrent par la multiplication de deux nombres quelconques ainsi 6 et 15, qui proviennent l'un de 2 x 3, l'autre de 3 x 5. On appelle côtés des plans les nombres multipliés entre eux.
52. Les nombres solides sont ceux qui s'engendrent par la multiplication de trois nombres quelconques; ainsi 24 et 125 qui proviennent l'un de 2 x 3 x 4, l'autre de 5 x 5 x 5. On appelle aussi côtés des solides les nombres multipliés entre eux.
53. Les plans peuvent provenir soit de nombres égaux, soit de nombres inégaux.
54. Ceux qui proviennent de nombres égaux sont appelés carrés, ainsi 9 et 16, produits l'un de 3 x 3, l'autre de 4 x 4.
55. Ceux qui proviennent de nombres inégaux sont appelés promèques (allongés) ; ainsi 6 et 15.
56. Voilà les espèces des nombres plans ; pour les solides, elles sont au nombre de quatre ; car les côtés dont le produit les engendre peuvent être, soit tous les trois égaux, soit deux égaux, le troisième plus grand, soit deux égaux, le troisième plus petit, soit tous trois inégaux.
57. Ceux qui proviennent de trois côtés égaux sont appelés cubes, comme 8, 27, produits l'un de 2 x 2 x 2, l'autre de 3 x 3 x 3.
58. Ceux qui proviennent de deux côtés égaux et d'un troisième plus grand, sont généralement appelés stylides, comme 12 et 36, produits de 2 x 2 x 3, et de 3 x 3 x 4.
59. Ceux qui proviennent de deux côtés égaux et d'un troisième plus petit, sont appelés plinthides; comme 18 et 48, produits de 3 x 3 x 2, et de 4 x 4 x 3.
60. Ceux qui proviennent de trois côtés inégaux sont appelés bomisques, comme 24, 60 produits l'un de 2 x 3 x 4, l'autre de 3 x 4 x 5.
61. Voilà toutes les espèces de nombres plans et solides engendrés par des côtés égaux ou inégaux. Il n'est pas possible d'en trouver davantage d'après les principes d'Euclide l'élémentaire ou d'après ceux de Platon ; car les figures ne doivent être considérées dans les nombres que suivant la multiplication seulement.
62. Les nombres plans ou solides sont dits semblables lorsque leurs côtés sont entre eux dans le même rapport. Ainsi pour les plans, 6 et 54, produits l'un de 2 x 3, l'autre de 6 x 9, (car 2 est à 3 comme 6 est à 9) ; ainsi pour les solides, 24 et 192. produits l'un de 2 x 3 x 4, l'autre de 4 x 6 x 8, (car 2 est à 3 comme 4 est à 6, et 3 est à 4 comme 6 est à 8).
63. D'après ce qui vient d'être dit, il est clair que l'on peut regarder la théorie des figures des nombres comme les considérant en partie absolument, en partie relativement ; car c'est en lui-même qu'un nombre est dit plan ou solide; c'est d'après une comparaison réciproque qu'on dit que des plans ou solides sont semblables.
64. Quelles sont les espèces des nombres considérés en eux-mêmes et en relation réciproque ou à la fois en eux-mêmes et en relation réciproque, et enfin dans leur assimilation aux figures géométriques, nous l'avons dit suffisamment.
65. La génération des nombres dans chaque espèce, leurs propriétés particulières et leur existence en nombre indéfini dans chaque espèce, tout cela sera développé dans notre Traité élémentaire d'arithmétique ; nous prouverons aussi de diverses manières qu'il convient de ne considérer dans les nombres que les figures exposées ci-dessus; nous y discuterons de même si la proportion entre termes égaux a plus de rapports avec l'arithmétique ou l'harmonique, et si elle n'est pas plutôt plus voisine de la géométrique ; enfin nous y exposerons nombre d'autres questions indispensables comme aussi la plupart de celles d'arithmétique qu'on rencontre dans Platon.
[1] Texte inédit de Domninus de Larissa sur l'arithmétique, avec traduction et commentaire, par C. E. Ruelle et le commandant J. Dumontier.
[2] Sur l'Oronte, un peu au nord d'Epiphanie ; aujourd'hui Kalat-Seljar
[3] Notre regretté Th.-H. Martin (Sur l'époque et l'auteur du prétendu XVe livre des éléments d'Euclide dans le Bulletino Boncompagni, 1874), voulant identifier l'Ἰσίδορος ὁ ἑμέτηρος μέγας διδάσκαλος dont il est parlé dans ce XVe livre avec l’Isidoros, maître de Damascius, a affirmé que le surnom de grand n'avait été donné que deux fois à un philosophe grec; à Parménide (Platon, Sophiste 237 a), à Isidore (Damascius dans Photios, p. 1029). Nous avons ici une preuve du contraire; on trouvera encore la même épithète donnée dans Simplicius et Plotin et au même Syrianos. Il est au reste beaucoup plus probable, comme je l'ai établi ailleurs L'article de Suidas sur le philosophe Isidore dans les Annales de la Faculté des Lettres de Bordeaux, 1881, p. 204-208) que le maître de l’auteur du XVe Livre des Eléments est le premier Isidore de Milet.
[4] Le notice de Fabricius contient deux autres erreurs : il renvoie au chap. 25 et non 26 de la Vie de Proclus·, il attribue à Domninos et non pas à Proclus l'ὄλην πραγματείαν τῶν δογμάτων τοῦ Πλάτωνος.
[5] Ce médecin philosophe, d'après Damascius dans Photius et Suidas, était d'Alexandrie; mais il semble que c'est à Aphrodisias de Carie que Damascius eut, dans sa jeunesse, de longues et intimes relations avec lui.
[6] Ces deux manuscrits sont :
1° Celui indiqué par R. Hoche d'après la notice des Codices praeclarissimi..., apud S. Comnum civem Atheniensem asservati (Serapeum, 1857) : « Codex chartaceus in quarto, sec. XV aut certi (sic) XV), constans chartis 137, i. e. paginis 274, ineditus. Continet Procli Philosophi commentarios in Nicomachi Geraseni Arithmeticam. Tit. : Νικομάχου Γερασηνοῦ ἀριθμητικῆς εἰσαγωγής τῶν εἰς δύο τὸ α ὅπερ ἐξηγεῖαι (sic) ὁ φιλόσοφος Πρόκλος. Incipit : Εἰσαγωγὴ ἐπιγέγραπται ὡς πρὸς τὰ γεγραμμένα αὐτῷ θεολογικὰ ἤτοι μεγάλα ἀριθμετικά. »
2°Le manuscrit 2373 fonds grec de la Bibliothèque nationale, ainsi décrit dans le catalogue : « Codex chartaceus olim Colbertinus, quo continetur Procli Diadochi commentarius in Nicomachi Geraseni arithmetices institulionem. Is codex saeculo decimo sexto exaratus videtur. »
Malheureusement il est impossible de reconnaître sur le manuscrit actuel (relié sous Louis-Philippe) d'où provient la donnée du catalogue. Sur le manuscrit même il n'y a aucun titre. Il commence par le début du premier livre de Nicomaque : Οἱ παλαιοὶ καὶ πρῶτοι κ. τ. ε., écrit m rouge. Le début du commentaire : Πλατονικὸς ὤν κ. τ. ε. est identique à ceux des commentaires attribués à Asclépios et à Jean Philoponos. La fin du manuscrit a été mutilée comme le commencement et il ne renferme qu'une partie du premier livre.
[7] Labbé (Bibl. nov. mss. 117), a adopté cette leçon de Domnenus.
[8] En poursuivant la collation du texte de Nicomaque et des scholies, j'ai fait la découverte usez inattendue qu'à partir de I. 8 dans Nicomaque, du scholie numéroté ξγ par Hoche, le caractère du manuscrit change absolument pour rentrer dans la première famille classée par l'éditeur de Nicomaque, et le rapprocher notamment du manuscrit de Göttingen (G de Hoche). Le fait est particulièrement intéressant en raison de la remarque insérée dans la préface de Hoche (p. vi) : « In bibliotheca imperiali (Parisiensi) quatuordecim asservantur codices Nicomachi, omnes recentiores, quorum nullum cum editione Wecheliana (Paris, 1538), congruere Fridericus Mattius, vir doctissimus, qui libros illos inspexit, me certiorem fecit. »
Or la présence dans notre manuscrit A d'un très grand nombre de variantes spéciales à l'édition de Wechel permet de penser au contraire que s'il n'a pas, à la vérité, été la source unique pour cette édition, il a été au moins une des principales autorités qui ont servi à la faire.
J'ajouterai que la collation que j'ai poursuivie jusqu'au bout, n'offre pas grand intérêt pour l'amélioration des textes; mais il est à signaler que le scholie θεοδώρου πρωτοκένσωρος du manuscrit de Göttingen (Jean Philoponos, I, Hoche, p. xiv) est donné, avec un texte beaucoup plus correct, sous le nom Δημητρίου πρωτοκένσορος. Il y a aussi après le scholie I, νε de Hoche, quelque lignes sous l'attribution Τοϋ Γρηγοροϋ.
[9] Celle qui précède souvent dans les manuscrits les tragédies de Sophocle, que le copiste avait au moins eu l'intention de commencer.
[10] Texte publié par Emm. Miller, Not. et Extr. des mss., t. XXIII. (N. D. L. R.)
[11] Le terme grec traduit par contenu serait plus fidèlement rendu par substratum; c'est le terme technique employé par l'école comme opposé à forme (εἴδος).