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Columelle
De l'agriculture
 L'économie rurale
Tome premier de Columelle ; trad. nouvelle par M. Louis Du Bois
 C. L. F. Panckoucke, 1844. Bibliothèque latine-française. Seconde série

DE L'ÉCONOMIE RURALE

LIVRE 4.

Contre l'opinion d'Atticus et de Celse : que des tranchées de deux pieds de profondeur ne sont pas suffisantes pour la plantation des marcottes de vigne.

1. LORSQUE vous eûtes lu, devant plusieurs agronomes, Publius Silvinus, le livre que j'ai écrit sur la plantation des vignes, vous dîtes qu'il s'en trouva quelques-uns qui, tout en donnant des éloges à mes autres préceptes, en critiquèrent deux ; d'abord ils pensent que je fais creuser trop avant les tranchées pour les marcottes de vigne, en ajoutant neuf pouces à la profondeur de deux pieds qu'avaient fixée Celse et Atticus ; ensuite ils n'approuvent pas que je ne donne qu'un soutien à chaque marcotte enracinée, quand ces deux auteurs permettent, pour diminuer la dépense, d'écarter du pied de chacune deux sarments pour leur faire couvrir deux échalas sur la même ligne d'une rangée. Ces deux assertions reposent plutôt sur une phrase ambiguë que sur la vérité. En effet (pour réfuter d'abord ce qui d'abord est contesté), pourquoi, si nous devons nous contenter d'une fosse de deux pieds, disons-nous qu'on doit labourer au-dessous du point où nous plaçons la vigne ? On dira que c'est pour qu'il se trouve sous elle de la terre ameublie qui, par sa dureté, n'écarte pas ou ne repousse pas les nouvelles radicules qui se développent. Mais ce but ne sera-t-il pas atteint lorsque le fonds aura été remué au louchet, et que la marcotte aura été placée dans une fosse de deux pieds et demi de profondeur où on aura préalablement répandu du fumier ? Car, la terre remuée d'une surface plane est plus gonflée que ne l'est le sol durci par le temps. Assurément les plantations ne demandent pas à reposer sur un lit fort profond, et l'on peut affirmer qu'il suffit d'ameublir sous les jeunes vignes une couche d'un demi-pied de terre qui reçoit l'enfance de ces végétaux comme dans un sein hospitalier et maternel. Citons à l'appui les vignes mariées à des arbres : quand nous creusons des fosses destinées à recevoir des marcottes, ne se borne-t-on pas à répandre un peu de terre ameublie sous elles.

La meilleure méthode est donc de défoncer profondément la terre avec la houe à deux dents, puisque la vigne destinée au joug s'élève d'autant mieux que les fosses sont plus profondément creusées. Celles de deux pieds peuvent à peine être employées par les cultivateurs des provinces, qui, le plus souvent, arrêtent leurs vignes très bas et presque à la surface du sol ; car pour celles qui sont destinées au joug, elles veulent être établies sur un fondement plus profond, et plus elles s'élèvent haut, plus elles demandent le secours d'une forte couche de terre. Aussi, lorsqu'on veut marier la vigne à des arbres, personne ne donne moins de deux pieds à la profondeur des tranchées. Au reste, les avantages attribués par les cultivateurs à une excavation peu profonde leur profitent peu : ces avantages, selon eux, consistent en ce que le plant n'étant point fatigué par la pression d'un poids considérable de terre pousse promptement, et que, plus légèrement fixé, il devient plus fécond. Ces deux raisons sur lesquelles s'appuie Jules Atticus sont réfutées par l'exemple de la vigne mariée aux arbres, laquelle produit incontestablement des ceps plus vigoureux et plus féconds : ce qui n'aurait pas lieu, si le plant plus enfoncé souffrait de sa position. Ajouterai-je que le fonds labouré à la houe s'enfle comme sous l'action d'un levain, pendant que la terre est encore fraîchement remuée et ameublie ; puis, quelque temps après, s'affaisse, se durcit, et laisse à fleur de sol les racines qui semblent y nager ? Cet inconvénient se présente moins souvent dans notre méthode, qui consiste à recouvrir la vigne d'une plus épaisse couche de terrain. Quant à ce qu'on dit, que les jeunes plants trop avant enfoncés en terre, souffrent du froid, nous n'en disconvenons pas ; mais une profondeur de deux pieds neuf pouces ne peut offrir cet inconvénient, puisque, comme nous l’avons dit un peu plus haut, l'enfoncement des vignes mariées aux arbres effectué à une plus grande profondeur n'occasionne même pas ce désavantage.

Qu'il ne faut pas unir une même marcotte enracinée à deux pieux, mais qu'il faut que chacun d'eux ait sa vigne particulière.

II. C'est une opinion erronée, que celle qui pose en principe qu'il y a moins de dépense à faire en mariant à deux pieux les sarments d'une même vigne : car ou elle vient à périr, et, les deux tuteurs restant vides, il faut bientôt la remplacer par deux marcottes enracinées, qui augmentent les frais de culture ; ou bien cette vigne subsiste, et alors, comme il arrive souvent, ou elle donne du raisin noir, ou elle est peu productive, et le fruit manque, non pas sur des échalas, mais sur plusieurs. Les hommes les plus instruits en agriculture pensent que, fût-elle d'une espèce généreuse, une telle vigne, divisée sur deux échalas, sera toujours moins féconde, parce qu'elle formera la claie. C'est ce qui a déterminé Atticus lui-même à prescrire de multiplier plutôt les vieilles vignes par sautelles, que de les étendre à terre dans toute leur étendue, parce que les sautelles s'enracinent vite et facilement, de manière que chaque nouvelle vigne s'affermit sur ses racines comme sur des fondements. Il n'en est pas de même de celle qui, étendue tout de son long en terre, s'y est enchevêtrée en manière de grille, y forme comme les mailles d'un filet, souffre de l'enlacement de plusieurs de ses racines, et dépérit autant que si elle était surchargée d'une multitude de sarments. C'est pourquoi, après tout, je préférerais la plantation de deux marcottes au risque qu'offre une seule, et je ne regarderais pas comme une économie, ce qui, dans tous les cas, peut conduire à une dépense plus considérable.

Mais la dissertation qui a fait l'objet du livre précédent exige que nous nous occupions sans plus tarder de la matière que nous avons promis de traiter dans celui-ci.

Qu'une nouvelle plantation de vigne ne tarde pas à périr, si un ne la féconde par une culture assidue et bien faite.

III. Dans toute espèce de dépenses, comme dit Grécillus, l'homme déploie en général plus d'énergie pour entreprendre une nouvelle opération que pour en suivre le perfectionnement. Certaines personnes, ajoute-t-il, commencent des édifices depuis leurs fondements, et après la grosse construction, ne s'occupent plus des embellissements. Quelques-unes mettent beaucoup d'activité à construire des navires, et quand ils sont achevés, elles ne les pourvoient ni d'agrès ni de matelots. Tel a la manie d'acheter des bestiaux, tel autre celle d'acquérir des esclaves ; mais ni l'un ni l'autre ne s'inquiète de leur entretien. Beaucoup de gens aussi détruisent par leur légèreté les bienfaits dont ils ont favorisé leurs amis.

Ces conséquences, Silvinus, ne doivent point nous étonner, puisque nous voyons des hommes qui nourrissent chichement des enfants que de tous leurs voeux ils demandaient au mariage, et qui ne cultivent ni les dispositions de leur esprit ni celles de leur corps. Qu'en faut-il conclure ? que des fautes semblables sont ordinairement commises par ces cultivateurs qui, par divers motifs, abandonnent, avant qu'elles soient mises en état de produire, les vignes que pourtant ils avaient admirablement plantées. D'autres, voulant éviter une dépense annuelle, et regardant comme le premier et le plus certain revenu l'absence de toute dépense, abandonnent bientôt par avarice leur vignoble, comme s'ils avaient été contraints à le planter. On en voit qui tiennent beaucoup plus à la grande étendue qu'à la bonne culture de cette exploitation. J'ai connu bon nombre de gens qui étaient persuadés qu'il suffisait de cultiver un champ, bien ou mal. Quant à moi , je juge que toute espèce de terre, et surtout les vignobles, ne peut bien produire, si elle n'est travaillée avec un grand soin et par un homme habile. En effet, la vigne est un arbrisseau délicat, faible, redoutant surtout les intempéries, qui souvent se consume par ses efforts excessifs et ses surabondantes productions, et qui périt par sa propre fécondité, si on ne sait pas la modérer. Cependant lorsque, au bout de quelque temps, elle a pris de la force et est parvenue à une sorte de vigueur juvénile, elle ne souffre pas trop de la négligence ; mais, pendant sa première jeunesse, si on ne lui donne pas les soins convenables, elle est bientôt réduite à une extrême maigreur, et elle s'exténue tellement, que désormais aucune dépense ne peut la rétablir. Il faut donc poser, en quelque sorte, ses fondements avec un grand soin, et dès le premier jour de sa plantation, s'occuper de ses membres comme de ceux d'un enfant : si on ne procède pas ainsi, toute dépense tombera en pure perte, et le moment propre à chaque opération n'ayant pas été saisi, il sera impossible d'y revenir. Croyez-en mon expérience, Silvinus, une vigne bien plantée, de bonne espèce, et cultivée par un bon vigneron, récompense largement des soins qu'elle a coûtés. Grécinus, que nous venons de citer, nous le prouve, non seulement par le raisonnement, mais encore par l'exemple qu'il en donne dans le livre qu'il a écrit sur la culture des vignes : il y rapporte qu'il a fréquemment entendu dire à son père, qu'un certain Paridius de Vetera, son voisin, avait deux filles et un vignoble, et qu'après avoir donné le tiers de sa propriété en dot à l'aînée qu'il maria, il n'obtint pourtant pas un moindre revenu des deux tiers qui lui restaient. Ensuite, ayant marié sa seconde fille, il lui assigna la moitié de ce qui lui restait de son fonds ; et du tiers qu'il conserva il tira un produit égal à celui que lui donnait sa vigne entière. Que conclure de là, si ce n'est que le dernier tiers de son fonds fut mieux cultivé par la suite que ne l'avait été d'abord la totalité.

Qu'il faut coucher la vigne dans la fosse, et, après l'avoir conduite courbé depuis le fond, la dresser le long d'un roseau.

IV. Plantons donc des vignes avec une grande ardeur, Publius Silvinus, et cultivons les avec un plus grand soin encore. La seule bonne méthode de plantation est celle que nous avons donnée dans le livre précédent, et qui consiste à coucher les marcottes dans une fosse pratiquée dans un terrain bien labouré à la boue, vers le milieu de la tranchée, de manière à dresser le plant depuis ce point jusqu'au sommet de l'excavation, pour l'attacher ensuite à un roseau. On aura soin surtout de ne pas rendre cette tranchée semblable à une auge, mais de la tailler perpendiculairement et de lui donner des angles bien droits. En effet, un plant étendu et comme couché sur les parois d'une auge, est exposé à des blessures quand on vient à le déchausser ; car, lorsque le fossoyeur s'applique à creuser profondément dans le cercle qu'il trace pour le déchaussement, il atteint souvent cette vigne inclinée, et quelquefois même la coupe entièrement. N'oublions donc pas de tenir droit depuis le fond de la fosse le sarment bien soutenu, et de le conduire ainsi jusqu'en haut. Pour le surplus, on se conformera à ce que nous avons prescrit dans notre premier livre ; puis on aplanira la terre au-dessus de laquelle s'élèveront deux yeux de la marcotte ; et le plant ayant été bien aligné, on ameublit le terrain par de fréquents binages à la boue, et on le rend léger comme de la poussière. Ainsi les sarments, les marcottes enracinées, et tous autres plants mis en terre, croissent vigoureusement, pourvu qu'un terrain meuble et tendre, débarrassé des herbes parasites, fournisse de la sève aux racines, et qu'un sol compact n'étreigne pas dans un lien serré la plante nouvellement plantée.

Depuis la plantation il faut serfouir tous les mois , et veiller à ce qu'il ne pousse pas d'herbes.

V. A vrai dire, on ne saurait déterminer combien de binages on doit faire avec la houe à deux dents, puisque, plus ils seront répétés, plus les plantes en tireront avantage; mais, comme la dépense est naturellement bornée, il paraît généralement suffisant de fouir les nouveaux vignobles tous les trente jours, à partir des calendes de mars jusqu'à celles d'octobre, et d'extirper toutes les mauvaises herbes, surtout le chiendent : ces herbes, si on ne les sarcle pas à la main, et qu'on ne les jette pas sur la superficie du sol, repoussent, quelque petite que soit la partie qui reste en terre, et brûlent tellement les jeunes plants de vigne, qu'ils deviennent galeux et rabougris.

De l'épamprement à faire aux marcottes tant simples qu'enracinées.

VI. Que notre plantation ait été faite, soit en sarments, soit en marcottes enracinées, il est très important de bien façonner la vigne dès le principe, de la débarrasser des parties superflues par un fréquent épamprement, et de diriger toutes les forces et toute la nourriture de chaque plant vers une tige unique. Toutefois on maintient d'abord deux rameaux, afin que l'un d'eux serve de ressource si l'autre venait à périr. Lorsqu'ils ont pris de la consistance, on détache le moins vigoureux ; et pour que le survivant ne soit pas exposé à être brisé par l'impétuosité des vents, il sera convenable de le soutenir, tandis qu'il grandit, avec un lien mou et peu serré jusqu'à ce qu'il puisse, comme avec des mains, s'attacher de ses vrilles à ses supports. Si le défaut d'ouvriers empêche de faire ce travail pour les simples marcottes, que nous croyons devoir aussi être épamprées, on ne saurait s'en dispenser pour les vignes enracinées, qui seraient bientôt affaiblies par trop de sarments, à moins pourtant qu'on n'ait en vue de faire plus tard des provins. Quant au bois conservé, nous devons faciliter son accroissement en lui adaptant un long échalas, au moyen duquel il s'étend assez pour surpasser le joug qui doit le supporter l'année suivante, et pouvoir être courbé de manière à donner du fruit. Parvenue à cette hauteur, la cime de la vigne sera cassée, afin qu'elle se fortifie par la grosseur au lieu de s'exténuer par un prolongement superflu. Au surplus, nous épamprerons jusqu'à la hauteur de trois pieds et demi le sarment conservé pour devenir cep, et nous enlèverons souvent tous les rejetons intermédiaires entre le pied et la cime ; mais il faut laisser intactes toutes les pousses supérieures. Il vaudra mieux, dans l'automne prochain, tailler à la serpe ces sommités, que de les épamprer durant l'été, parce qu'il réparait aussitôt, air point où vous avez arraché un rejeton, un nouveau bourgeon, dont la naissance empêche qu'il ne reste sur le bois des yeux qui, l'année suivante, auraient porté fruit.

Que le moment favorable pour l'épamprement est celui où l'on peut casser les jets avec les doigts.

VII. Le temps le plus propre à tout épamprement est celui où les pampres sont encore assez tendres pour céder à la moindre action du doigt ; car, s'ils avaient pris plus de consistance, il faudrait plus d'effort pour les arracher, ou recourir au tranchant de la serpe, deux choses qu'il faut éviter : l'une, parce qu'en s'efforçant de détacher les pampres, on déchire la mère ; l'autre, parce qu'on fait une blessure qui est toujours grave dans une plante verte et qui n'est point encore mûre. La plaie d'ailleurs ne se borne pas à l'aire de la coupure ; mais il arrive que, sous les chaleurs de l'été, la blessure profonde que fait la serpe cause un dessèchement tellement étendu, qu'il tue la plus grande partie du corps de la mère. C'est pourquoi, s'il faut employer le fer pour retrancher des pampres déjà durs, on ne les coupera qu'à une certaine distance de la mère, et on les traitera comme les coursons, afin qu'ils supportent seuls le mauvais effet de la chaleur ; cette opération s'étendra jusqu'au noeud où naissent des bourgeons latéraux : la violence de la chaleur ne se communique pas au delà. On suit la même méthode, et je l'ai mise en pratique, pour épamprer les simples marcottes, comme pour exciter le bois dont on petit se servir dès la première année en l'allongeant convenablement. Si, au contraire, on se propose de les couper entièrement pour n'en faire usage qu'à deux ans, après les avoir réduites à un seul sarment, on l'étêtera dès qu'il aura plus d'un pied de longueur, afin qu'il se fortifie vers le haut et devienne plus robuste. Tels sont les premiers soins qu'exigent les jeunes plants de vigne.

On doit déchausser la vigne en automne.

VII. Ainsi que le disent Celse et Atticus, dont notre siècle apprécie les connaissances en agriculture, le temps qui suit la première année demande de plus grands soins que tout autre. En effet, après les ides d'octobre, et avant l'invasion des froids, la vigne doit être déchaussée. Par cette opération, on met au jour les radicules qui ont poussé durant l'été, et que tout cultivateur sensé coupe avec le fer : car, s'il leur donnait le temps de se fortifier, elles affaibliraient les racines inférieures, et il en résulterait que la vigne en projetterait à fleur de terre, qui seraient incommodées de l'âpreté du froid, et, durant les chaleurs, échauffées outre mesure, feraient souffrir de la soif la tige mère au lever de la canicule. C'est pourquoi, après le déchaussement, on coupe tout ce qui s'élève en deçà d'un pied et demi. Mais on n'use pas, pour cette amputation des mêmes procédés que pour les rameaux de la vigne ; car il ne sera pas nécessaire de parer la plaie, ni de porter le fer jusqu'à la racine mère ; puisque, si l'on coupait tout près de ce tronc, plusieurs radicules renaîtraient près de la cicatrice, et que, durant l'hiver, l'eau des pluies, qui se fixe dans les cavités de la fosse de déchaussement, brûlerait, par les gelées du solstice de cette saison, les blessures récentes encore, et pénétrerait jusqu'à la moelle. Pour que cet accident n'ait pas lieu, il conviendra d'opérer à la distance d'un doit de la partie dégarnie, et d'y retrancher les radicules, qui, ainsi enlevées, ne repousseront pas et n'occasionneront plus d'inconvénient à la vigne. Cet ouvrage étant terminé, si dans la contrée l'hiver est doux, on laissera à nu la partie déchaussée ; mais s'il y est rigoureux, on remplira les cavités et on aplanira le sol avant les ides de décembre. Si l'on a à redouter des froids excessifs, il faudra même, avant de rechausser, étendre sur les racines une légère couche de fumier, ou, si l'on veut, de la fiente de pigeon, ou encore six setiers d'urine vieillie préparée pour cet usage. Durant les cinq premières années, il sera nécessaire, tous les automnes, de déchausser la jeune vigne pour qu'elle pousse avec force ; mais, quand son tronc sera devenu fort, on pourra n'opérer le déchaussement que tous les trois ans environ : car alors on est moins exposé à blesser avec le fer le pied de l'arbrisseau, et les radicules renaissent moins vite sur un tronc qui a acquis de la consistance.

Comment on doit tailler la vigne déchaussée.

IX. Après le déchaussement suit la taille, qui, d'après les préceptes des anciens auteurs, doit être exécutée de manière que la vigne soit réduite à un seul sarment que l'on étêtera à la hauteur de deux yeux au-dessus du sol. La coupe ne doit pas être faite près d'un noeud, dans la crainte d'altérer l'oeil voisin ; mais la serpe atteindra obliquement le point intermédiaire entre l'oeil conservé et le premier des noeuds qu'on supprime, de peur que, si la cicatrice était horizontale, elle ne retînt l'eau de pluie qui tomberait dessus. Cette coupe ne descendra pas du côté de l'oeil, mais du côté opposé, afin que les pleurs de la vigne tombent plutôt à terre que sur le bourgeon : car, en coulant sur lui, cette humeur éteindrait l'oeil et ne lui permettrait pas de donner des feuilles.

Quel est le meilleur temps pour la taille.

X. Deux époques sont favorables à la taille ; mais la meilleure, suivant Magon, est le printemps, avant la germination des sarments, parce que, pleins de sève alors, ils permettent une amputation facile, légère et unie, et ne résistent pas à la serpe. Celse et Atticus ont suivi ce précepte. Quant à nous, il nous semble qu'on ne doit pas tailler trop court, ce qui arrêterait l'essor de la pousse, à moins que le jet ne soit faible ; ni tailler toujours au printemps : mais, dans la première année de la plantation, on secondera la végétation par de fréquents serfouissages que l'on pratiquera durant tous les mois pendant lesquels elle développe des feuillages, et par des épamprements qui fortifieront la tige unique que l'on aura conservée. Quand elle sera devenue forte, nous pensons qu'on doit la nettoyer en automne, ou au printemps si on le juge plus convenable, et la débarrasser des rejets que celui qui aura épampré a mal à propos laissés dans la partie supérieure du sarment : alors on pourra la fixer ait joug. En effet, la vigne doit être svelte et droite, sans cicatrices, pour que le jet de la première année s'élève au-dessus de cet appui : c'est pourtant ce qui se voit rarement et ce dont s'inquiètent peu de cultivateurs. Aussi les auteurs que je viens de citer pensent-ils qu'on doit couper les premières pousses. Quant à la taille, la meilleure n'est pas pour tous les pays celle du printemps : et là où le sol est bien échauffé par le soleil, où l'hiver est doux, la taille la plus avantageuse et la plus naturelle est celle qui se pratique en automne, puisque à cette époque les arbres, en vertu d'une loi divine et éternelle, déposent leurs fruits et leur feuillage.

Comment on doit tailler la marcotte.

XI. Voilà ce que je crois à propos de faire pour les plants. L'usage a condamné l'ancienne opinion, qu'il ne fallait pas toucher avec le fer les marcottes d'un an, parce qu'elles souffrent de son tranchant : erreur qui a été partagée par Virgile, Saserna, les Stolon et les Caton, qui ne se sont pas trompés sur ce point seulement en défendant de toucher au chevelu des plants d'un an, mais encore en faisant au bout de deux ans couper totalement la marcotte enracinée rez terre, près du premier noeud pour que le nouveau jet sortît du bois dur. L'expérience, cette maîtresse des arts, nous a enseigné, au contraire, qu'on doit disposer les pousses des marcottes dès leur première année, et ne pas permettre à la vigne, luxuriante de feuillages superflus, de jeter trop de bois, et qu'il ne faut pas non plus la refréner autant que les anciens le prescrivaient, en la coupant tout entière, ce qui lui est très préjudiciable. En effet, lorsqu'on a pratiqué l'amputation rez terre, les jeunes plants, atteints d'une blessure à laquelle ils ne sauraient guère survivre, meurent pour la plupart, et, s'il en est qui aient assez de vigueur pour survivre, ils ne produisent que des sarments peu féconds ; et tous les vignerons sont en cela d'accord que les pampres qui pullulent sur le bois dur donnent rarement du fruit. Il faut donc ; adopter un moyen terme, en ne coupant point la marcotte rez terre, et en ne provoquant pas un trop grand essor des pousses ; on doit remarquer le jet de l'année précédente, pour laisser, au-dessus du point de départ du vieux sarment, un ou deux yeux desquels sortiront les nouveaux jets.

De l'échalassement de la vigne, et de l'appui dit cautère.

XII. Après la taille de la vigne suit le travail de l'échalassement. Il est vrai que cette première année n'exige pas encore des pieux ou des échalas très forts : car j'ai remarqué que, le plus souvent, la vigne qui est jeune s'arrange mieux d'un appui médiocre que d'une grosse perche. C'est pour cela que nous placerons , auprès de chaque vigne, deux roseaux secs, de peur que, nouveaux, ils ne prennent racine; ou, si la nature du lieu ne s'y oppose pas, nous poserons de vieux piquets auxquels, vers le bas, nous assujettirons des perches transversales : c'est cette espèce de palissade que les paysans appellent cantère. Il est fort important qu'un peu au-dessous de la courbure de la vigne, les pampres, en s'allongeant, trouvent aussitôt un point où ils s'accrochent, et qu'ils se prolongent plutôt horizontalement que perpendiculairement, parce que, soutenus par le cantère, ils résistent plus facilement aux vents. Il sera bon que ce joug ne s'élève pas jusqu'à quatre pieds tant que la vigne n'aura pas pris beaucoup de force.

Comment on doit lier la vigne.

XIII. Après avoir échalassé la vigne, il faut la lier. Cette opération a pour objet de diriger la vigne en ligne droite sur le joug. Si le pieu est placé près d'elle, comme il plaît à quelques auteurs, celui qui l'attache doit alors veiller à ce que son bois ne suive pas les courbures du pieu, s'il en a, pare qu'elle deviendrait elle-même tortue ; mais si, d'après l'avis d'Atticus et de quelques autres agriculteurs, ce qui ne me déplaît pas non plus, on laisse un peu d'espace entre la vigne et le pieu, il faut joindre le cep à un roseau bien droit, l'y attacher sur plusieurs points, et le conduire ainsi au joug. Il n'est pas indifférent de déterminer l'espèce de ligature avec laquelle on lie les vignes. Tant que leur bois est tendre, le lien ne doit pas être dur, parce que, si on employait le saule ou l'orme, la vigne en croissant se couperait elle-même. Pour cet usage, le genêt, le jonc coupé dans les marais et le glaïeul sont les plantes qui conviennent le mieux ; des feuilles de roseaux séchées à l'ombre ne sont pas non plus à dédaigner en cette, occasion.

Qu'il faut dresser les jeunes vignes au joug , et quelle hauteur on doit donner au cantère.

XIV. Les marcottes exigent le même soin que nous venons de prescrire : taillées dans l'automne ou dans le printemps, à un ou deux yeux, on les attachera avant qu'elles ne bourgeonnent. Le cantère, dont j'ai parlé, sera pour les marcottes plus rapproché de terre que pour les vignes qui sont dans les rangées. Ainsi il ne sera pas élevé de plus d'un pied, afin que les pampres, tendres encore, le trouvant à leur proximité, puissent s'y attacher avec leurs vrilles , et n'aient plus rien ainsi à redouter des vents. Puis le fossoyeur, par de fréquents labours à la houe à deux dents, fera en sorte que la surface du sol soit toujours unie et très meuble. Nous approuvons beaucoup ce binage fait à plat : car par celui qu'en Espagne on appelle binage d'hiver, et que l'on pratique en déchaussant les vignes et en rangeant la terre dans l'intervalle des lignes, il nous parait superflu, en raison de, ce que le déchaussement d'automne qui vient d'avoir lieu a découvert les radicules supérieures et a profité aux inférieures en ouvrant un accès aux pluies d'hiver. On pratiquera ce serfouissage autant de fois qu'à la première année, ou une fois de moins : car on doit surtout remuer souvent le terrain, jusqu'à ce que les jeunes vignes aient assez de sarments pour lui procurer de l'ombrage et empêcher l'herbe de croître sous elles. On procède à l'épamprement de cette année comme à celui de l'année précédente : car il faut, pour ainsi dire, contenir encore l'enfance de ce plant, et ne lui laisser qu'un sarment, d'autant plus que son âge tendre ne lui permet pas de se charger de beaucoup de bois et de beaucoup de fruits.

Comment on doit traiter la nouvelle vigne, et comment on doit faire les provins.

XV. Quand, au bout de dix-huit mois, la vigne est parvenue à la vendange, il faut, aussitôt son raisin cueilli, la repeupler, propager les marcottes réservées que l'on a mises à part pour cet usage, ou bien, si l'on n'en a pas, on attirera, des vignes qui sont dans les rangées, des sautelles vers un échalas particulier : car il est bien important, dans cette plantation nouvelle encore, de ne laisser aucun échalas inoccupé, et de ne coucher aucun sarment au moment où l'on est sur le point d'en cueillir, le fruit. La sautelle est cette espèce de rameau que l'on couche près de l'échalas d'une vigne, et que l'on recouvre de terre dans une fosse suffisamment profonde, pour le conduire à un échalas vacant : alors de la partie qui fait l'arc sort un bois vigoureux qui, aussitôt attaché à un soutien, est conduit au joug. L'année suivante, on coupe jusqu'à la moelle la partie supérieure de la sautelle à l'endroit où commence la courbure, de peur que les sarments qu'elle produit n'attirent à eux toutes les forces maternelles, et pour qu'elle apprenne peu à peu à se nourrir avec ses propres racines. A deux ans, on coupe la sautelle très près du jet sorti de la partie arquée, puis on foule profondément la terre autour de cette nouvelle plante ; on la rabat au fond de la fossette qu'on lui a ménagée, puis on ramène de la terre afin qu'elle puisse pousser ses racines en bas et ne jette pas de pampre : ce qui aurait lieu si l'amputation avait, par négligence, été pratiquée à fleur de terre. Nul temps n'est plus favorable à la coupe des sautelles que celui qui est compris entre les ides d'octobre et les ides de novembre, parce que les racines ont le temps de s'affermir durant les mois d'hiver. Si l'on pratiquait cette opération au printemps, les sarments commençant alors à germer, la sautelle, privée tout à coup des aliments de sa mère, ne manquerait pas de languir.

En quel temps on doit transplanter les marcottes enracinées.

XVI. La transplantation des marcottes se fait d'après la même méthode. Pourvu que la température et la nature du terrain ne s'y opposent pas, on l'effectue avantageusement pendant la seconde partie de l'automne, après les ides du mois d'octobre. Si, au contraire, l'état du terrain et de l'atmosphère ne sont pas favorables, il est à propos de renvoyer l'opération au printemps prochain. On ne laissera pas trop longtemps les marcottes dans les vignes, de peur qu'elles n'en épuisent les forces et ne nuisent aux ceps des lignes. Plus tôt les vignes sont délivrées de la société des marcottes enracinées, plus facilement elles prospèrent. Dans la pépinière, au contraire, on peut conserver des vignes de trois ans, et même de quatre, pourvu qu'on les coupe entièrement ou qu'on les taille très court, car leur objet n'est pas de donner immédiatement du fruit. Lorsque la vigne sera parvenue à son trentième mois de plantation, c'est-à-dire, à soit troisième automne, elle sera sans retard attachée à des échalas plus forts que ceux qui la soutenaient ; et c'est un travail qu'on ne doit faire ni arbitrairement ni au hasard.

Si l'on fixe l'échalas près du tronc de l'arbrisseau, à la distance toutefois d'un pied, pour ne pas trop le comprimer, ni blesser ses racines, et afin que le fossoyeur puisse fouir tout autour du pied des plants ; ce pieu sera placé de telle sorte qu'il reçoive toute la violence du froid et des aquilons, et en garantisse la vigne. Si on l'établit au milieu des lignes, il faut creuser bien avant ou préparer son entrée au moyen d'un piquet, afin qu'il soit assez enfoncé pour supporter facilement et le joug et les fruits. Plus l'échalas est planté près du tronc, lors même qu'il est peu enfoncé, plus il a de force, puisque, touchant à la vigne, il est soutenu par elle, en même temps qu'il la soutient. On lie ensuite à leurs appuis de forts jougs, qui sont un assemblage ou de perches de saule, ou de roseaux réunis en petits faisceaux, afin qu'ils aient de la roideur, et qu'ils ne fléchissent pas sous le poids des raisins : alors on peut conserver deux sarments à chaque plant, à moins que, trop grêles, quelques-uns d'eux n'exigent une taille plus rapprochée : ce qui forcerait à ne conserver qu'un jet, auquel même on ne laisserait qu'un petit nombre d'yeux.

Comment on construit le joug.

XVII. Le joug le plus solide et le moins coûteux est fait avec des perches. Il faut plus de travail pour assembler les roseaux, parce qu'on les lie en plusieurs points de leur longueur, et parce qu'on les assujettit en plaçant alternativement leurs cimes d'un côté et de l'autre, pour que tout le joug offre une égale épaisseur ; autrement, la partie faible, cédant au poids, fléchirait et entraînerait à terre le fruit mûr, qui y serait plus exposé aux chiens et aux autres animaux ; tandis que, composé de roseaux assemblés en faisceaux, et présentant alternativement le pied et la tête, le joug peut durer près de cinq ans.

Pour la taille et les autres opérations de la culture, la méthode à suivre ne diffère point de celle qui est mise en pratique pour les deux premières années : ainsi on fera exactement le déchaussement en automne, et on regarnira de provins les pieux vacants. Ce dernier travail rie doit jamais être interrompu, et une année ne doit pas s'écouler sans qu'il ait été fait : car, comme nos plantations ne sauraient être immortelles, nous leur assurerons ainsi l'éternité en substituant de nouveaux plants à ceux qui ont péri ; et nous nous épargnons la douleur de voir périr toute l'espèce par une négligence qui aurait duré plusieurs années. Il faut aussi donner à la vigne de fréquents binages, quoique pourtant on puisse en faire un de moins que la première année ; on l'épamprera souvent, car il ne suffirait pas de lui enlever une fois ou deux, dans le cours de l'été, les feuilles superflues. On doit principalement s'attacher à couper tous les rejetons qui naissent au-dessous de la tête du tronc ; et si chaque oeil a poussé deux sarments sous le joug, il faut, quoiqu'on y voie plusieurs grappes, en supprimer un, afin que l'autre acquière plus de force et puisse mieux nourrir le fruit qu'on lui aura laissé. Après quarante et un mois, la vendange finie, on procédera à la taille, de manière que la vigne, au moyen de plusieurs sarments conservés, présente l'apparence d'une étoile. Le devoir du vigneron est d'arrêter par la taille la vigne à près d'un pied au-dessous du joug, afin que toutes les branches tendres qui de sa tête viendraient à pousser à travers ses bras soient stimulées, et qu'en se recourbant sur le joug elles se précipitent vers la terre, sans toutefois pouvoir la toucher. Il faut néanmoins consulter les forces du tronc, pour ne pas conserver plus de ces pousses que la vigne n'en pourrait nourrir. Ordinairement à cet âge, en terre fertile, une vigne ne veut sur son tronc que trois sarments, rarement quatre, que le vigneron doit attacher de manière à les diriger vers autant de points différents. Dans ce cas, il n'est pas nécessaire que le joug forme une étoile et s'étende ainsi, à moins qu'on ait assez de sarments à y étendre. Au reste, tous les agriculteurs n'approuvent pas cette forme ; plusieurs d'entre eux se contentent de la disposition ordinaire. Il n'en est pas moins vrai que la vigne est plus affermie sous le poids des sarments et du fruit qu'elle doit porter, quand elle est de deux côtés fixée au joug, dans un certain équilibre, comme retenue par plusieurs ancres. Alors elle projette son bois par ses bras, et le développe plus facilement appuyée de toutes parts, que celle qui, sur un simple cantère, est surchargée d'un grand nombre de sarments. Toutefois elle peut se contenter d'un seul joug, si elle ne s'étend pas beaucoup, si elle donne peu de fruits, et si le climat n'est pas sujet aux tempêtes et aux orages ; tandis que, sous un ciel où les pluies et les tempêtes sont fréquentes, où l'abondance des eaux l'ébranle, où elle est comme suspendue sur des coteaux escarpés, il ne faut pas lui épargner les appuis : là elle doit être défendue comme par un bataillon carré. Dans les lieux chauds et secs, on donnera de l'extension au joug de tous les côtés, afin de réunir les pampres éparpillés qui, rassemblés en forme de voûte, ombrageront le sol altéré. Au contraire, dans les régions froides et sujettes aux frimas, on dressera les pampres sur une ligne unique : par ce moyen la terre reçoit plus facilement les rayons du soleil, le raisin mûrit mieux et jouit d'un air plus salubre ; les fossoyeurs ont, en outre, plus d'aisance pour le travail de leur houe, le fruit est mieux vu de ceux qui le gardent, et les vendangeurs le recueillent plus facilement.

Comment les vignes doivent être divisées en quartiers.

XVIII. Quand on jugera à propos de classer son vignoble, on séparera par des sentiers chaque compartiment dans lequel on plantera cent ceps ; ou bien, comme il convient mieux à certaines personnes, on divisera le tout par demi jugères. Une bonne division, outre l'avantage qu'elle a d'offrir plus d'accès au soleil et à l'air, permet plus facilement au maître de parcourir et examiner son vignoble, ce qui lui est toujours avantageux, et de rendre plus exacte l'appréciation des journées de travail, sur lesquelles on ne saurait tromper quand les jugères sont partagées en portions égales. Bien plus, la fatigue semblera d'autant moindre qu'on donnera à ces carrés des dimensions moindres, et l'ardeur des ouvriers sera d'autant plus grande : car souvent l'immensité d'un travail qui presse inspire le découragement. Il n'est pas moins utile de pouvoir connaître les forces et le produit de chaque partie du vignoble pour juger le point qui réclame plus ou moins la main du vigneron. En outre, ces sentiers offrent aux vendangeurs et aux ouvriers une voie commode et assez large tant pour la réparation des jougs et des échalas, que pour le transport des appuis et celui des récoltes.

De la position du joug, et combien il doit être élevé au-dessus du sol.

XIX. Pour la position du joug, il suffit de dire à quelle distance il doit être au-dessus du sol : cette distance sera de quatre pieds au moins, et de sept au plus. Cette dernière élévation cependant ne conviendrait pas aux jeunes plants : car ils ne doivent pas d'abord atteindre cette hauteur, mais n'y parvenir qu'après une longue suite d'années. Au reste, plus le sol et l'air sont humides, moins les vents sont violents, plus haut doit être élevé le joug ; car alors la vigueur des vignes permet de leur laisser prendre plus d'élévation ; les grappes, d'ailleurs, plus éloignées de la terre, sont moins exposées à pourrir ; outre que c'est le seul moyen de tirer un parti avantageux des vents qui sèchent ainsi promptement les brouillards et l'humidité malfaisante, ils contribuent puissamment à faciliter la défloraison de la vigne et à donner de la qualité au vin. Au contraire, un terrain maigre, ou situé en pente, ou brûlé par l'ardeur du soleil, ou exposé à l'impétuosité des tempêtes, demande un joug plus bas. Mais si tout répond à nos voeux, la hauteur de cinq pieds est celle qui doit être donnée à la vigne. Toutefois il n'est pas douteux que les ceps fournissent une liqueur d'une saveur d'autant plus parfaite qu'ils se dressent sur un joug plus élevé.

Du soin à donner aux vignes, et de la manière de les attacher.

XX. La vigne ayant reçu l'échalas et le joug, le premier soin du vigneron est de la lier. Dans cette opération, il devra surtout s'appliquer, comme je l'ai dit plus haut, à conserver la tige bien droite, et éviter de lui faire suivre les courbures que pourraient présenter les pieux, dans la crainte que la vigne ne contracte le vice de leur conformation. Cette pratique n'a pas seulement pour but de plaire à l'oeil, mais surtout de favoriser la fécondité, la solidité et la durée de l'arbuste ; car un tronc tenu bien droit donne la même direction à sa moelle, par laquelle, comme par un chemin, circulent plus facilement, sans détour et sans obstacle, et montent à la cime les sucs de la terre qui doivent lui servir d'aliments ; tandis que, si ce tronc est recourbé et tortu, la sève ne se répartit pas également, en raison de l'obstacle que lui opposent le noeuds et les sinuosités, qui ne lui laissent qu'un chemin difficile à parcourir. C'est pourquoi, lorsque la vigne bien droite est étendue jusqu'au haut du pieu, on la fixe avec un lien, pour l'empêcher de s'affaisser sous le poids de ses fruits et de perdre sa bonne direction. Alors du point où elle a été liée au joug, on dispose ses bras de divers côtés, et on ramène vers le bas les sarments à fruit, qui, courbés convenablement, sont aussi attachés avec un lien. Par ce moyen, les rameaux qui retombent du joug se couvrent de beaucoup de raisins, et la partie courbée jette son bois près du point attaché. Quelques vignerons font monter au -dessus du joug les sarments que nous en faisons descendre, et les y retiennent au moyen de ligatures rapprochées : mais cette méthode ne me paraît pas du tout devoir être approuvée. En effet, les pluies, les frimas et la grêle causent moins de dommage aux sarments pendants qu'à ceux qui sont liés et semblent, en quelque sorte, défier les tempêtes. Toutefois ces rameaux doivent être attachés avant que le fruit ne mûrisse, tandis que les grappes commencent à tourner et n'offrent encore qu'une saveur acerbe, afin que les fortes rosées ne puissent les faire pourrir et qu'elles tic soient ravagées par les vents et les animaux. Le long du chemin principal et des sentiers, les sarments doivent être recourbés en dedans du vignoble, pour qu'ils ne soient pas endommagés par le heurt des passants.

Telle est la méthode à suivre pour conduire la vigne à son joug en temps convenable. Ajoutons qu'une vigne faible ou courte doit être rabattue à deux yeux, afin de lui faire produire un bois plus vigoureux et qui d'un seul jet puisse s'élever jusqu'au joug.

Comment on doit tailler les nouvelles vignes.

XXI. Il n'y a pas d'autre taille à faire à une vigne de cinq ans, pour qu'elle conserve une bonne forme et ne jette pas trop de bois au-dessus du joug, que celle que nous avons prescrite ci-dessus ; sa tête doit donc être maintenue à un pied environ au-dessous de cet appui, et ses quatre bras, que quelques personnes appellent des duraments, seront dirigés clans tout autant de directions. Il suffira de laisser à ces bras un seul sarment à fruit, jusqu'à ce que la vigne ait acquis une force convenable ; ruais quand, après quelques années, elle sera parvenue à l'âge juvénile, le nombre de sarments à conserver lie sera plus déterminé : une terre fertile permet d'en laisser une assez grande quantité, un sol maigre n'en souffre que fort peu. Si la végétation du cep est luxuriante, il défleurira mal et se répandra en bois et en feuillage, à moins qu'on ne réduise ses branches à fruit ; si elle est faible, il souffrira de l'abondance de sa production. En conséquence, en terre grasse on permettra à chaque bras de garder deux flèches ; il ne faudra pas toutefois surcharger le cep au point de lui imposer plus de huit sarments à fruit à nourrir, à moins que la fertilité extraordinaire du sol n'autorise absolument cet excédant. Un cep surchargé de bois au delà de ce qui a été prescrit ci-dessus prend plutôt la forme d'une treille que d'une vigne. On ne doit pas souffrir, non plus, que les bras soient plus gros que le tronc ; mais, quand des côtés des bras on laissera croître des flèches, on devra exactement en couper la cime de manière qu'elle ne dépasse pas le haut du joug et que la vigne soit sans cesse renouvelée par le jeune bois, que l'on attache au joug lorsqu'il a atteint une longueur suffisante. Si quelque partie de ce bois vient à se briser ou ne s'élève pas assez, et qu'il se trouve dans un endroit qui, l'année suivante, puisse servir au renouvellement de la vigne, on le taillera pour en faire une sorte de pouce qui est appelée par les uns réserve, par les autres courson, par d'autres encore garnisaire : c'est un sarment de deux ou trois yeux, au moyen duquel, quand il a produit du bois à fruit, on supprime tout le surplus du vieux bras ; et ainsi du nouveau jet la vigne se régénère.

Cette méthode, par laquelle les vignes auront prospéré, devra toujours être suivie à l'avenir.

Comment on régénère les vignes vieillies.

XXII. Si nous devenons possesseurs de vignes dirigées autrement que nous venons de le prescrire, et que, par une négligence de plusieurs années, elles se soient élevées au-dessus du joug, on examinera quelle est la longueur des bras qui excèdent cet appui. Car s'ils n'ont que deux pieds ou un peu plus, la vigne entière pourra encore être ramenée sous le joug, pourvu toutefois que le pieu ait été appliqué au tronc même : il suffira pour lors d'écarter ce pieu de la vigne et de le planter au milieu de l'intervalle qui existe entre les deux bras, et dans le même alignement ; ensuite la vigne inclinée sera conduite au pieu, et se trouvera ainsi ramenée au joug. Si, au contraire, les bras ont acquis plus de longueur et ont atteint le quatrième ou même le cinquième échalas, on pourra, mais avec plus de frais, la rétablir au moyen de sautelles : propagée par cette méthode, et c'est ce qui nous plaît beaucoup, elle pousse très rapidement. Au reste, si la surface du tronc est vieille et galeuse, elle occasionnera de notables frais de main-d'oeuvre, mais qui seront petits, si elle est robuste et saine.

Pendant l'hiver, après l'avoir déchaussée, on la rassasie de fumier, on la taille de court, et, à la hauteur de trois à quatre pieds au-dessus du sol, on ouvre avec le tranchant aigu d'un instrument de fer la partie la plus verte de l'écorce. Ensuite on mêle la terre par de fréquents binages, afin de pouvoir stimuler la vigne et faire jaillir un pampre à cette partie qui a été ouverte par le fer. Ordinairement il part de cette cicatrice un bourgeon qui, s'il s'étend beaucoup, devient une flèche ; sinon on le taille en courson ou s'il est tout à fait court, en furoncle : ce dernier petit être formé du plus mince filament. En effet, quand un pampre, pourvu d'une ou de deux feuilles, est sorti du bois dur, il ne manquera pas, au printemps suivant, pourvu qu'il soit parvenu à maturité, et qu'il n'ait été ni privé de ses noeuds, ni tranché, de jeter une grande abondance de bois. Quand cette nouvelle pousse aura pris de la force et formé une espère de bras, on pourra couper la portion de l'ancien bras qui avait trop monté, et attacher le surplus au joug. Pour gagner du temps, beaucoup de vignerons étêtent ces vignes au-dessus de quatre pieds, sans craindre les résultats d'une telle amputation : car la nature de la plupart des arbres se prête à la reproduction de nouveaux jets auprès de la cicatrice qu'on leur a faite. Mais ce procédé n'a nullement notre approbation ; car une large plaie, si elle n'a au-dessus d'elle une portion de bois bien portante avec laquelle elle puisse prendre de la consistance, est brûlée par l'ardeur du soleil, et bientôt les rosées et les pluies y déterminent la pourriture. Si pourtant il est nécessaire de couper un cep, on commencera par le déchausser ; ensuite on l'amputera un peu au-dessous du sol, afin que la terre dont on le recouvrira le protège contre la violence du soleil, et permette le passage des nouveaux sarments qui s'élanceront des racines, lesquels pourront, soit être mariés à leurs échalas, soit revêtir de provins ceux qui se trouveraient vacants à leur proximité. Ces opérations ne devront avoir lieu que dans le cas où les vignes sont plantées profondément, n'ont pas leurs racines vacillant à fleur de terre, et sont d'une bonne espèce ; autrement, ce serait en pure perte qu'on ferait un tel travail, puisque des ceps dégénérés, même étant ainsi renouvelés , conservent le vice de leur origine, et que ceux qui tiennent à peine au fonds périssent avant d'avoir poussé. Il vaut donc mieux, dans le premier cas, greffer sur cette vigne une essence féconde ; dans le second, l'extirper entièrement et en planter une autre si le sol est assez bon pour y engager. Si elle dépérit à cause de la mauvaise nature du terrain, nous croyons qu'il n'existe aucun moyen de la rétablir. Or, les vices du sol qui finissent presque toujours par tuer les vignobles, sont la maigreur et la stérilité, une terre salée ou amère, l'humidité constante, une situation abrupte et escarpée, un pays trop couvert, la privation de soleil, les vallées sablonneuses aussi bien qu'un tuf sablonneux et un sable trop maigre et dépourvu d'humus, comme le gravier pur, et en général tout terrain qui, en raison de circonstances analogues, ne donne pas aux vignes une nourriture suffisante. Au reste, si le sol n'a pas ces inconvénients et autres semblables, on pourra en faire un vignoble qui produira tous les ans sans se reposer, en suivant la méthode que nous avons exposée dans le livre qui précède. Au surplus, les mauvais vignobles, qui, quoique robustes, sont si stériles qu'ils ne produisent pas de fruits, nous le répétons, seront améliorés par la greffe, dont nous parlerons en son lieu, quand nous serons parvenus à cet article de notre discussion.

Comment on taille les vignes vieillies.

XXIII. Maintenant, comme il semble que nous avons peu parlé de la taille des vignes, nous allons mettre tous nos soins à traiter cette partie éminemment importante du travail que nous avons entrepris. Il convient donc, si, dans la contrée où nous cultivons, la bénignité douce et tempérée de l'atmosphère le permet, de commencer la taille, après la vendange, aux ides d'octobre, pourvu toutefois que les pluies de l'équinoxe soient tombées et que les sarments aient acquis une consistance suffisante : car la sécheresse forcerait de différer cette opération. Au contraire, si le froid et les gelées blanches font prévoir un hiver rigoureux, on remettra ce travail aux ides de février. On aura d'ailleurs tout le loisir de le faire, si le vignoble n'est pas considérable. Il n'en est pas de même là où un vaste domaine ne permet pas le choix du temps : alors on taillera, malgré le froid, les portions les plus vigoureuses du vignoble, les plus maigres en automne ou au printemps ; celles qui sont exposées au midi, pendant le solstice d'hiver, et celles qui sont inclinées au nord, pendant le printemps ou l'automne. Il est hors de doute que la nature de ces arbrisseaux est telle que, plus tôt on les taille, plus ils donnent de bois, et que plus tard on fait cette coupe, plus ils rapportent de fruit.

Quelles choses le bon vigneron doit éviter ou pratiquer dans une vigne établie.

XXIV. Au surplus, à quelque époque que le vigneron procède à la taille, il y a trois considérations principales qui doivent le diriger : d'abord il s'occupera surtout du fruit à faire produire ; ensuite il réservera pour l'année suivante le meilleur bois ; puis il pourvoira à la longue durée des ceps : la négligence d'un de ces points, quel qu'il soit, causerait le plus grand préjudice au maître. Le vignoble étant divisé en quatre, parties, chacune d'elles regarde un des points cardinaux de l'horizon. Ces expositions ayant chacune des propriétés différentes, demandent aussi pour les vignes différents moyens de les traiter qui soient en rapport avec l'aspect qui leur a été donné. En conséquence, les bras étendus au septentrion doivent recevoir peu de plaies, surtout si les amputations ont lieu à l'approche des froids, qui brilleraient infailliblement les cicatrices. On ne laissera clone qu'un sarment près du joug, et l'on conservera au-dessous un courson qui, l'année suivante, renouvellera la vigne. Au contraire, du côté du midi, on ménage plusieurs sarments à fruit qui fourniront de l'ombrage à leur mère exposée à souffrir des ardeurs de l'été, et empêcheront les raisins de se dessécher avant leur maturité. Pour les points exposés soit à l'orient, soit à l'occident, il y a peu de différence à faire relativement à la taille, puisque les ceps reçoivent le soleil pendant autant d'heures sous l'une que sous l'autre de ces positions. C'est pourquoi il faudra agir d'après ce que dicteront la nature du terrain et la qualité du plant.

Voilà pour le principe général ; parlons ensuite de son application particulière. Pour commencer par le pied de la vigne, je dirais presque par ses fondements, on en écarte la terre avec la doloire, et s'il sort des racines quelques-uns de ces rejetons que les paysans appellent suffragants, il faut les arracher avec soin, et polir avec le fer la plaie qui en résulte, afin que les pluies d'hiver ne s'y introduisent pas : car il vaut mieux arracher les rejetons qui poussent d'un endroit qui a été taillé que d'y laisser une plaie noueuse et raboteuse. Dans le premier cas, la cicatrice ne tarde pas à se fermer ; dans le second, elle se cave et pourrit. Après avoir ainsi donné des soins au pied de la vigne, on visitera les jambes et le tronc pour n'y pas laisser les pampres parasites qui auraient pu y naître, ni ces furoncles qui ressemblent à des verrues, à moins que la vigne, s'élevant au-dessus du joug, n'ait besoin d'être renouvelée par les sarments inférieurs. Si une portion du tronc a été coupée et se dessèche au soleil ; si la vigne a été creusée par les pluies ou par les animaux qui s'insinuent dans la moelle, il faut retrancher à la doloire tout le bois mort, puis nettoyer jusqu'au vif avec la serpette, afin que la cicatrice se forme sur une aire saine. Il n'est pas difficile d'enduire aussitôt les plaies bien polies avec de la terre détrempée dans de la lie d'huile : cet enduit conserve au fruit sa vigueur, éloigne les vers et les fourmis, et protégé la plaie contre le soleil et les pluies, outre qu'il la cicatrise promptement. On arrachera jusqu'à l'écorce vive les vieilles écorces sèches et effilées qui pendent le long du tronc : par ce moyen la vigne, débarrassée de ces sortes d'ordures, pousse mieux et communique au vin inclus de lie. La mousse aussi qui, comme une entrave, comprime le pied des vignes qu'elle lie, et qui les fait dépérir par la moisissure et par la saleté, doit être grattée et enlevée avec le fer. Voilà ce qu'il convient de faire pour la partie inférieure de la vigne.

Il n'est pas moins utile de connaître les pratiques qui ont pour objet la conservation de sa partie supérieure. Les blessures qu'elle reçoit sur son tronc doivent être rendues obliques et rondes : elles se guérissent ainsi plus promptement et, jusqu'à ce que la plaie soit cicatrisée, l'eau s'en écoule avec plus de facilité ; tandis que lorsqu'elles sont horizontales elles reçoivent et retiennent plus d'eau. Le vigneron évitera donc cette faute avec soin ; il retranchera les sarments qui s'étendront trop, ainsi que ceux qui auront vieilli, qui seront de mauvaise venue, tortus et tournés vers le sol ; et respectera les jeunes brins droits promettant du fruit. Il conservera les bras tendres et verts ; coupera avec la serpe ceux qui sont desséchés et vieillis ; rognera les ergots des coursons de l'année. Quand la vigne se sera élevée à quatre pieds environ au-dessus du sol, il lui formera quatre bras dont chacun sera tourné du côté de l'X du joug ; alors il donnera à chaque bras un sarment s'il est maigre, ou deux s'il est bien nourri, et les conduira sans retard vers le joug. Mais il ne devra pas perdre de vue qu'il ne faut pas souffrir deux rameaux ou un plus grand nombre sur la même ligne ni sur un seul côté du bras : car il est très préjudiciable à la vigne que toutes les parties de ses bras ne travaillent point également : elle veut distribuer à ses enfants leur nourriture par portions égales. Sucée d'un seul côté, toute la sève s'y porte, y est épuisée, et la plante se dessèche comme si elle avait été frappée de la foudre.

On appelle focané le sarment qui s'élève entre deux branches ; les paysans lui ont donné ce nom, parce que, né entre les deux bras dans lesquels la vigne se divise, il occupe cette sorte de gorge, et intercepte la nourriture de l'une et de l'autre de ces branches. Aussi, avant qu'il ait eu le temps de se fortifier, l'amputent-ils soigneusement comme un rival dangereux et aplanissent-ils le noeud qu'il a formé. Cependant, s'il a pris tellement de force, que les deux bras en aient souffert, il faut enlever le plus faible et laisser subsister le focané. Ce bras étant coupé, la mère nourrit également les deux parties conservées. En conséquence, on fixera à un pied au-dessous du joug la tête de la vigne, dont s'écarteront les quatre bras dont j'ai parlé, et sur lesquels on la renouvellera tous les ans, en coupant les vieux sarments et les remplaçant par des nouveaux, dont le choix sera fait avec discernement. En effet, là où beaucoup de sarments poussent avec force, le vigneron doit veiller à n'en pas laisser qui soient trop voisins du bois dur, c'est-à-dire près du tronc et de la tête, ni à leurs extrémités : ceux-là produisent peu pour la vendange, en ne donnant que de petites grappes, comme font les pampinaires ; ceux-ci épuisent la vigne, parce qu'ils se chargent de trop de fruit, et se prolongent jusqu'au second ou au troisième pied, ce qui offre des inconvénients, ainsi que nous l'avons dit. Il faut donc conserver pour plus d'avantage les branches du milieu des bras, lesquelles n'enlèvent pas l'espoir d'une bonne récolte, et n'amaigrissent pas le cep. Quelques agriculteurs provoquent, par excès d'avidité, une abondance de fruits, en dressant les jets de l'extrémité et du milieu, et en coupant pour courson le sarment le plus rapproché du bois dur : ce que je ne crois pas bon à faire, à moins que l'excellence du sol et la force du tronc le permettent : car dans cet état les grappes se pressent tellement entre elles qu'elles ne sauraient acquérir une maturité parfaite, si elles ne sont favorisées par la fertilité de la terre et la vigueur du tronc. Le sarment subsidiaire et le courson ne doivent pas être rabattus en manière de pouce, quand les branches, dont on attend de prochains fruits, sont établies convenablement : car, où vous les aurez liées et courbées vers la terre, vous provoquerez au-dessous de la ligature l'émission de nouveaux jets. Si, au contraire, de la tête de la vigne s'élancent des sarments plus longs que n'ont coutume de le permettre les cultivateurs, et qu'elle projette ses bras jusque sur les auvents que forment les autres jougs, nous laisserons sur le tronc un fort courson et le meilleur qu'il sera possible de conserver, pourvu de deux ou de trois noeuds, duquel, comme d'un pouce, s'élancera, l'année suivante, un jet dont on formera un bras nouveau. Ainsi coupée et renouvelée, la vigne sera contenue dans les bornes de son joug.

Pour la conduite du courson, voici ce qu'il faut observer avec attention. D'abord la plaie ne doit pas être horizontale et regarder le ciel, mais oblique et dirigée vers la terre : par cette précaution, elle se garantit elle-même des frimas et de l'ardeur du soleil. Ensuite la taille se fera non pas en forme de flèche, mais en forme d'ongle : en effet, la première méthode fait mourir le bois plus tôt et dans une plus grande étendue, tandis que la seconde l'empêche plus longtemps de sécher et restreint le mal dans un moindre espace. Il faut surtout éviter une pratique des plus funestes, inconsidérément suivie par nombre de vignerons qui, n'ayant égard qu'au coup d'oeil, tranchent le sarment près du noeud, afin que le courson soit plus court et ressemble au pouce. Ce mode d'amputation est très préjudiciable, en ce que l'oeil, trop rapproché de la plaie, a beaucoup à souffrir des frimas, du froid, et aussi de la chaleur. Il est donc préférable de couper le sarment subsidiaire vers le milieu de deux noeuds, et de donner à la section une inclinaison qui soit dirigée du côté opposé à oeil, de peur que, comme nous l'avons dit, elle ne l'inonde de ses pleurs et ne le fasse tomber quand elle bourgeonnera. Dans le cas où il ne serait pas possible de faire un courson, il faut tâcher de faire naître un furoncle, qui, quoique coupé très court en manière de verrue, poussera, au printemps suivant, un bois propre à être disposé en bras ou en sarment à fruit. Si on n'a pas même cette ressource, la vigne sera entamée avec le fer, et l'on irritera la place au point d'où l'on veut faire jaillir un pampre. Je crois encore qu'il est urgent de débarrasser des vrilles et des rejets les sarments dont on veut obtenir du fruit. Mais, pour les enlever, il ne faut pas opérer de la même manière que pour ceux qui sortent du tronc : en effet, tout ce qui provient du bois dur doit être, sans ménagement, coupé ras, et raclé avec la serpe, afin que la plaie se cicatrise plus promptement. Quant aux pampres qui naissent sur des sarments tendres, comme les simples rejetons, on les rabat avec plus de douceur, parce qu'ils portent presque toujours un bourgeon latéral qu'il faut prendre garde de toucher avec la serpette ; en effet, si on appliquait le fer trop rudement, on enlèverait en totalité, ou du moins on endommagerait ce bourgeon ; d'où il résulterait que le sarment, qui est près de germer, se trouverait affaibli, produirait moins, et serait moins capable de résister aux vents, puisqu'il serait sorti de la cicatrice dépourvu de toute vigueur. Il est difficile de fixer la longueur que doit avoir le sarment conservé. Cependant les vignerons, pour la plupart, la déterminent de manière que, recourbé au sommet du joug et descendant de là, il ne puisse arriver jusqu'au sol. Nous pensons qu'il faut considérer la chose d'une manière moins superficielle. On doit donc avoir égard, d'abord, à la nature de la vigne : car, si elle est vigoureuse, elle peut porter de plus longs bois ; ensuite à la qualité du terrain : car, s'il est maigre, la vigne la plus robuste ne tarderait pas à périr exténuée par des sarments trop étendus. A la vérité, on juge de la longueur des branches bien moins par leur étendue que par le nombre de leurs yeux : aussi, lorsqu'il y a un grand espace entre les noeuds, on peut les laisser filer jusqu'à ce qu'elles touchent presque la terre : car alors elles ne donnent que lieu de pampres ; quand, au contraire, les noeuds sont très rapprochés les uns des autres et que les yeux sont nombreux, le sarment, quoique court, se couvre de beaucoup de bois à fruit et produit des grappes en abondance : aussi est-il nécessaire d'user dans ce cas de beaucoup de mesure, afin de ne pas donner une surcharge de fruits à des branches qui dépasseraient la juste proportion.

Le vigneron doit encore considérer si la vendange de l'année précédente a été abondante ou non : car après une ample récolte, on doit épargner la vigne, et dès lors tailler court ; tandis qu'après une vendange chétive, on est en droit d'exiger davantage. Au reste, nous pensons encore que tout cet ouvrage doit être exécuté avec des instruments bien trempés, à lame mince et bien affilée car une serpe émoussée, ébréchée et de mauvaise qualité retarde le vigneron, l'empêche de faire beaucoup d'ouvrage, et le fatigue davantage. En effet, soit que le tranchant se courbe, ce qui arrive quand le fer est trop tendre, soit qu'il pénètre mal, ce qui a lieu quand il est émoussé ou trop épais, il exige de plus grands efforts. Il faut dire aussi que les plaies raboteuses et inégales déchirent les vignes, quand l'amputation a eu lieu, non d'un seul coup, mais de plusieurs coups répétés. Il en résulte que souvent on brise ce qui devait être tranché net, et que la vigne, ainsi déchirée et couverte d'aspérités, pourrit sous l'influence des pluies, et que ses blessures ne se cicatrisent pas. Il faut donc avant tout prévenir le vigneron de bien aiguiser ses outils, et, autant qu'il est possible, de leur donner un fil aussi tranchant que celui d'un rasoir. Il doit savoir aussi de quelle partie de son fer il faut faire usage pour telle ou telle nature de son travail ; car j'ai vu beaucoup d'ouvriers qui, faute de cette connaissance, ruinaient les vignobles.

Description de la serpe.

XXV. Voici la description de la serpe du vigneron, telle qu'elle doit être disposée : la partie la plus rapprochée du manche et dont le tranchant est droit, s'appelle le couteau, à cause de sa ressemblance avec cet instrument ; on appelle courbure, la partie concave ; scalpel, le tranchant qui descend de la courbure ; bec, la pointe recourbée du tranchant ; hache, l'espèce de croissant qui est placé au-dessus du bec ; et glaive, la pointe horizontale qui se trouve à l'extrémité.

Pour le vigneron tant soit peu expérimenté, chacune de ces parties a sa destination particulière. En effet, quand il doit couper en avant des branches qu'il contient de la main, il emploie le couteau ; quand il les attire à lui, il se sert de la courbure ; pour polir une plaie, il use du scalpel ; le bec lui sert pour creuser ; la hache, pour couper en frappant ; et le glaive, pour nettoyer les endroits qui présentent une certaine profondeur.

La plus grande partie du travail des vignes s'exécute plutôt en ramenant la main vers soi qu'en frappant : car la plaie faite de la première manière se trouve polie du même trait ; et le vigneron appliquant son instrument au point qu'il désire atteindre, le coupe mieux. Au contraire, celui qui frappe, s'il manque la portée de son coup, ce qui arrive souvent, blesse le cep de plusieurs atteintes. L'amputation la plus sûre et la plus avantageuse est celle qui, comme je l'ai dit, s'opère en ramenant la serpe vers soi, et non par le choc de l'instrument.

Du soin à donner aux vignes qu'on veut soutenir et soumettre au joug.

XXVI. Ces opérations terminées, suit, comme nous l'avons déjà dit, le soin de soutenir la vigne et de la mettre au joug. Pour l'étayer, l'échalas est meilleur que le pieu ; toutefois, il y a encore un choix à faire. Les bons échalas se font d'olivier, de chêne, de liège, et autres variétés de ces dernières essences, lesquels ont été fendus avec des coins. On met au troisième rang en qualité les échalas ronds, dont les meilleurs sont de genièvre, de laurier et de cyprès. On emploie encore fort bien à cet usage le pin sauvage et même le sureau. Au surplus, quels que soient les appuis qu'on adopte, il faut les soigner, retrancher à la doloire les parties pourries, retourner ceux qui sont restés sains, enlever ceux qui seraient cariés ou devenus trop courts, les remplacer par de plus convenables, relever ceux qui seraient abattus, et redresser ceux qui seraient inclinés. Si le joug n'a pas besoin d'être reconstruit, on y mettra de nouveaux liens ; s'il paraît hors de service, on assemblera des perches ou des roseaux pour y attacher la vigne avant de la fixer à son pieu, et enfin, de même que nous l'avons conseillé pour les jeunes plants, nous la lierons à son échalas vers sa tête et au-dessous de ses bras. Il ne faudra pas placer le lien au même point tous les ans, de peur qu'il ne la coupe et n'étrangle son tronc. Nous donnerons ensuite aux bras les quatre directions que présente l'étoile du joug sur lequel nous lierons les jeunes sarments à fruit, sans contrarier la nature, mais en les courbant légèrement, selon qu'ils s'y prêteront, pour ne pas les briser par une inflexion forcée et ne pas faire tomber les bourgeons déjà gros. Lorsque deux branches se dirigent vers un même point du joug, on place entre elles une perche qui les sépare et qui dirige ces sarments à fruit sur la partie supérieure du joug, d'où, plongeant en quelque sorte, ils descendent vers la terre. Pour faire sciemment cette opération, le vigneron qui attache les liens se souviendra de ne pas tordre le sarment en le fixant, mais de se borner à l'incliner, de manière que tout le bois qui peut être conduit en bas paraisse plutôt appuyé sur la perche que suspendu au lien. J'ai souvent remarqué que, par inattention, les paysans attachent au joug leurs sarments à fruit, de manière qu'ainsi liés, ils pendent de leur ligature seule ; ce qui a pour résultat de la rompre aussitôt qu'elle a le poids des pampres et des raisins à supporter.

Quelles choses le bon vigneron doit éviter ou pratiquer dans une vigne établie.

XXVII. La vigne étant établie d'après nos préceptes, nous nous hâterons de la nettoyer et de la débarrasser de ses sarments et de ses débris d'échalas. Il est bon toutefois qu'alors le sol soit sec pour les recueillir, sans quoi la terre mouillée, étant piétinée, occasionnerait à celui qui doit fouiller la terre une trop grande fatigue dans ce travail qu'on doit faire exécuter sans retard pendant que le cep ne bouge pas encore : car, si l'on mettait l'ouvrier parmi des sarments qui commencent à bourgeonner, il ferait tomber une grande partie de la vendange. Aussi, avant la pousse, entre l'hiver et le printemps, faudra-t-il fouir les vignes profondément, afin que leur végétation soit plus gaie et plus riante ; puis, lorsqu'elles se sont revêtues de feuillages et de grappes, on arrêtera les jets tendres et non encore adultes. Le vigneron qui a précédemment employé le fer, n'aura maintenant à recourir qu'à la main pour ce travail, afin de donner de l'air, au cep et de retrancher les pampres superflus : il importe que cette opération soit faite avec intelligence, puisque l'épamprement est encore plus profitable aux vignes que la taille : la dernière, en effet, quelque utile qu'elle soit, blesse pourtant l'arbrisseau, puisqu'elle exige qu'on le coupe, tandis que le premier procure sans blessure un traitement plus doux, et prépare pour l'année suivante une taille plus facile ; il laisse d'ailleurs moins de cicatrices à la vigne, qui se guérit bien vite de l'enlèvement de branches vertes et tendres. Ajoutons à ces considérations que les sarments qui ont du fruit acquièrent plus de vigueur, et que les raisins exposés aux rayons du soleil arrivent mieux à maturité. Un vigneron habile, et qui surtout entend ses intérêts, doit donc examiner et, juger sur quels points il laissera croître son bois pour l'année suivante, et non seulement enlever les sarments qui n'ont pas de fruit, mais aussi ceux qui en sont pourvus, si leur nombre est trop considérable : si donc il arrive que certains yeux produisent trois jets, il faudra en retrancher deux pour que celui qui restera puisse facilement se nourrir ; car un cultivateur expérimenté doit juger si la vigne est couverte de plus de fruits qu'elle n'en peut porter. C'est pourquoi non seulement il enlèvera les feuilles superflues, ce qu'il faut toujours faire, mais quelquefois aussi une partie du fruit, pour soulager la vigne accablée par sa propre fécondité. Le vigneron habile agira ainsi par plusieurs motifs, quand même l'arbrisseau n'aurait pas plus de fruit qu'il n'en peut conduire à maturité. En effet, si, pendant plusieurs années, la vigne a été fatiguée par des récoltes abondantes, il convient de la laisser reposer et se refaire, et ainsi préparer l'avenir de son bois. Au reste, casser la pointe des jeunes sarments pour arrêter leur essor excessif ; enlever du bois dur ou du tronc tous les pampres qui s'en échappent, à moins qu'on n'en réserve un ou deux pour renouveler la vigne ; extirper à la partie supérieure tout ce qui pousse entre ses bras, et la débarrasser des rejetons qui, stériles sur le vieux bois, occupent inutilement leur mère : c'est l'ouvrage du premier venu, et même d'un enfant.

Comment on doit épamprer et combien on doit donner de binages à la vigne.

XXVIII. Le temps le plus avantageux pour l'épamprement de la vigne, est celui qui précède sa floraison ; et il n'est pas inutile, après cette période végétale, de répéter la même opération : mais il ne faut pas entrer dans les vignes durant les jours intermédiaires pendant lesquels les grappes se forment, parce qu'il est nuisible au fruit de l'agiter quand il est encore en fleur. Lorsqu'il sera parvenu à sa puberté, et presque à l'adolescence, on le liera, on le dégarnira de tout le feuillage, et on favorisera son accroissement par de fréquents labours ; car il prend d'autant plus de développement que la terre est mieux ameublie. Je ne nie pas qu'avant moi la plupart des maîtres en agriculture se contentaient de trois binages ; et Grécinus entre autres s'exprime ainsi : «Pour un vignoble en état on peut se contenter de trois labours. » Celse aussi et Atticus s'accordent à dire que la vigne, ou plutôt tout arbre, a trois mouvements naturels : le premier, quand elle commence à bourgeonner ; le second, quand elle fleurit ; le troisième, quand ses fruits mûrissent. Ces deux derniers auteurs pensent qu'ainsi il est conséquent d'exciter ces mouvements par des serfouissages. La nature, en effet, ne parvient à faire ce qu'elle veut, qu'autant qu'elle est secondée par le travail uni à l'étude. Tels sont les soins que réclame la culture de la vigne jusqu'au moment de la vendange.

Des vignes à greffer, et des soins à donner aux greffes.

XXIX. Je reviens maintenant à cette partie de ma discussion qui a pour objet la greffe des vignes et les soins qui doivent suivre cette opération. Jules Atticus fixe pour pratiquer la greffe tout l'intervalle compris entre les calendes de novembre et celles de juin, espace durant lequel il affirme qu'on peut conserver une greffe sans qu'elle pousse. Nous devons en conclure qu'il n'y a d'exception pour aucune partie de l'année, pourvu qu'on puisse empêcher le sarment d'entrer en sève. J'accorderais volontiers qu'on pût agir ainsi à l'égard de toutes les espèces d'arbres dont le liber a plus de consistance et de cambium que la vigne ; pour la vigne, ma bonne foi ne me permet pas de dissimuler qu'il y aurait une témérité excessive à permettre pendant tant de mois cette greffe aux agriculteurs : je n'ignore pas pourtant que quelquefois une greffe opérée au solstice d'hiver a réussi ; mais il ne faut pas se fier au résultat naturellement hasardeux d'une ou de deux expériences, et il ne faut conseiller à ceux qui s'instruisent que ce qui, après de nombreuses observations, a été reconnu arriver le plus souvent. Pourtant, jusqu'à un certain point, je ne m'opposerais pas à cet essai, si on n'en courait les risques que sur un petit nombre de sujets, parce qu'alors on pourrait remédier à cette témérité par un redoublement de soins ; mais du moment où l'immensité du travail absorberait tous les instants du cultivateur le plus diligent, je dois tout faire pour le détourner de cette pratique.

Ce que prescrit Atticus est donc contraire à tous les principes ; en effet, lui-même nie qu'on puisse avantageusement tailler la vigne au solstice d'hiver. Cette opération, qui pourtant la blesse moins, doit être à bon droit interdite, parce que toute jeune plante souffre et s'engourdit par l'effet du froid, et que les frimas s'opposent aux efforts que fait l'écorce pour recouvrir et guérir la plaie. Et ce même Atticus ne défend pas de greffer à cette époque, quoique, d'après ses prescriptions mêmes, il faille, pour, le faire, couper en totalité la tête de la vigne, et fendre le cep à l'endroit de l'amputation.

Il est plus rationnel de greffer lorsque, après l'hiver, le temps s'est attiédi ; que naturellement l'écorce et les bourgeons entrent en mouvement, et qu'il n'y a plus à redouter de froids assez violents pour brûler ou la greffe insérée, ou la plaie qui résulte de la fente. Je permettrais cependant aux cultivateurs qui craignent de s'attarder, de greffer leurs vignes en automne, parce que la température de cette saison diffère peu de celle du printemps. Au surplus, quelle que soit l'époque qu'on adopte, on n'aura à donner, pour le choix des greffes, d'autres soins que ceux que nous avons prescrits dans le livre précédent, quand nous avons parlé du choix des marcottes. Ainsi, lorsqu'on aura eu coupé ces sarments vigoureux, féconds et bien mûris, on choisira un jour y où la température sera douce et l'air calme. Alors on examine si le sarment est bien rond, si le bois en est ferme, si la moelle a de la consistance, si les yeux sont nombreux, et si les entre-noeuds offrent peu d'intervalle car il importe que le sarment à insérer ne soit pas long, et qu'il soit pourvu de plusieurs yeux par où il puisse germer. Si les entre-noeuds sont fort longs, il faut réduire ce sarment à un oeil ou deux, afin qu'il ne soit pas assez élevé pour être ébranlé et pour avoir à souffrir des tempêtes, des vents et des pluies. On greffe la vigne soit en la coupant, soit en perforant son tronc avec une tarière. La première méthode, la plus répandue, est connue de presque tous les cultivateurs ; la seconde, moins commune, n'est guère usitée. Je parlerai donc d'abord de celle qui est le plus en usage.

Ordinairement on coupe la vigne au-dessus du sol, quelquefois pourtant un peu au-dessous : ce qui, dans le dernier cas, offre l'avantage de la solidité et de l'absence de noeuds. Quand on greffe rez terre, on enfouit la greffe, jusqu'au haut ; mais si elle est au-dessus du sol, on enduit soigneusement la fente avec de la boue, sur laquelle on applique de la mousse qu'on assujettit par une ligature ; c'est le moyen de n'avoir rien à redouter ni des chaleurs ni des pluies. On taille le sarment à insérer comme le bec d'une flûte, de manière qu'il remplisse bien la fente, au-dessous de laquelle il est à désirer qu'il se trouve un noeud pour arrêter cette ouverture et l'empêcher de descendre plus bas. Quand bien même ce noeud serait à quatre doigts au-dessous de l'amputation du cep, il faudrait pourtant le serrer encore avec un lien, afin que lorsque l'on fendra le tronc, le scalpel, ouvrant le chemin à la greffe, ne produise pas une plaie trop béante. Cette greffe ne doit pas être aiguisée sur une hauteur de plus de trois doigts, et cette partie doit être ratissée avec assez de soin pour être bien unie. La coupe sera conduite de manière que, d'un côté, elle atteigne la moelle ; que, de l'autre, elle ne dépasse qu'un peu l'écorce, et qu'elle ait la figure d'un coin : ainsi la greffe, aiguisée par le bas, sera plus amincie sur un de ses côtés, et plus pleine sur l'autre. Insérée par ce premier côté, le resserrement s'opérera sur le plein, et la fente sera entièrement remplie : car si l'écorce ne se joint pas à l'écorce sans laisser aucun jour, la reprise n'aura pas lieu. On assujettit la greffe au moyen de plusieurs sortes de liens les uns la serrent avec de l'osier ; d'autres l'entourent d'écorces ; d'autres, et c'est le plus grand nombre, la lient avec du jonc, ce qui est le plus convenable : car l'osier en séchant pénètre et coupe l'écorce de la vigne. C'est pour éviter cet inconvénient, que nous approuvons les ligatures un peu lâches, que l'on peut, après en avoir entouré le tronc, resserrer au moyen de petits coins de roseau.

Ce qui importe avant tout, c'est de déchausser la vigne, de couper les racines qui sont à la surface du sol ou les rejetons, et ensuite de recouvrir le tronc de terre. Quand la greffe sera bien prise, il y aura d'autres soins à donner à la vigne ; on l'épamprera souvent, dès qu'elle commencera à bourgeonner, et l'on enlèvera fréquemment les rejetons qui partiront du tronc et des racines. Alors les pousses de la greffe seront assujetties par un lien, de peur qu'agitée par le vent, la greffe elle-même ne soit ébranlée et arrachée, et que le pampre, encore tendre, ne soit brisé. Dès qu'il a poussé suffisamment, on lui enlève ses collatéraux, à moins qu'on ne les destine à des provins en raison du besoin qu'on en a pour garnir une place vide. Ensuite, à l'automne, on coupe à la serpe les sarments dont le bois est mûr. La taille sur les greffes, dans le cas où on n'aura pas besoin de provins, se fera de la manière suivante : on conduira un seul sarment au joug, et on coupera le surplus de manière que la plaie soit faite à ras du tronc, en évitant toutefois de l'écorcer. Le mode de l'épamprement ne diffère pas de celui qu'on emploie pour les jeunes marcottes enracinées ; mais il faut couper court les quatre premières années, jusqu'à ce que la plaie de la fente soit bien cicatrisée. Tels sont les procédés relatifs à la greffe en fente.

Quant à la greffe par térébration, il est nécessaire de rechercher le cep le plus fécond dans le voisinage de la vigne à greffer : vous en attirez un sarment sans le séparer de sa mère, et vous introduisez dans le trou que vous aurez pratiqué ce brin qui appartient désormais à deux sujets différents. Cette greffe est la plus sûre et la plus certaine puisque, si elle ne prend pas au printemps prochain, elle sera, au suivant, forcée par l'accroissement qu'elle aura acquis de se joindre à sa mère adoptive, et pourra être, par l'amputation, sevrée de sa mère naturelle. Alors on décapite la vigne greffée au point où elle a admis le sarment. Si on n'a pas à sa proximité un sarment qu'on puisse conduire, on en choisit un ailleurs, aussi jeune qu'il est possible, et, après l'avoir enlevé du cep et l'avoir légèrement ratissé tout autour de manière à n'enlever que l'épiderme ; on l'adapte au trou pratiqué, puis on enduit de boue la vigne après l'avoir coupée, afin que tout le tronc soit employé à nourrir le sarment étranger : ce qui n'est pas nécessaire à l'égard du sarment amené, qui est nourri du sein maternel jusqu'à ce qu'il ait acquis assez d'accroissement.

L'instrument dont nos ancêtres se servaient pour perforer les vignes, diffère de celui que j'ai trouvé le plus propre à l'opération que je décris ici. L'ancienne tarière, la seule que les anciens agriculteurs connussent, produirait de la sciure et brûlait la partie qu'elle avait perforée. Or, ce point brûlé se rétablissait fort rarement ou bien il ne croissait pas avec les autres parties, et le sarment qu'on y introduisait ne prenait pas. D'ailleurs, la sciure ne pouvait jamais être assez bien enlevée pour qu'il n'en adhérât pas une portion aux parois du trou : ainsi, par cette interposition, elle empêchait le sarment de s'unir au corps de la vigne. Nous avons découvert que la tarière, que nous appelons gauloise, est pour cette espèce de greffe beaucoup plus avantageuse et plus utile ; car elle perce le tronc sans brûler les parois du trou, puisqu'elle ne produit pas de sciure, mais des copeaux qui, enlevés, laissent une plaie bien nette, à laquelle adhère très facilement et sur toute sa surface le sarment introduit, qui n'est plus en quelque sorte isolé par la bourre que produisait l'ancienne tarière.

Que la greffe de vos vignes soit donc terminée vers l'équinoxe du printemps ; et placez la vigne à raisins noirs dans les lieux arides et secs, et celle qui en donne de blancs dans les emplacements humides. Il n'y a aucune nécessite de multiplier les greffes sur un même tronc, quand sa grosseur est tellement médiocre, que la pousse d'un rameau inséré suffit pour recouvrir la plaie, à moins cependant que le sol qui l'avoisine, étant dégarni, ne réclame une vigne pour remplacer un cep mort. Dans ce cas, de deux sarments insérés, l'on enterrerait l'un en forme de sautelle, et l'on ferait monter l'autre au joug pour qu'il y fructifie. Il n'est pas inutile, non plus, d'élever les pampres nés sur l'arc de la sautelle, et l'on pourra bientôt, s'il est utile de le faire, les provigner, ou les conserver pour rapporter du fruit.

De la façon des échalas, des liens, et de l'oseraie.

XXX. Puisque nous avons traité les objets qui nous ont paru les plus utiles à prescrire sur la création et sur la culture d'un vignoble, il est convenable d'enseigner à bien choisir les échalas, les jougs et les liens. On les prépare à l'avance comme une sorte de dot à donner aux vignes. Si le cultivateur n'est pas pourvu de ces objets, il devra se garder de former des vignobles, puisqu'il lui faudrait aller hors de sa terre chercher toutes ces choses indispensables, et qu'alors, comme le dit Atticus, l'acquisition en serait non seulement onéreuse, et augmenterait d'autant plus les dépenses de ses vignes, mais le transport difficile, puisqu'il ne pourrait avoir lieu que dans la saison si défavorable de l'hiver.

C'est pourquoi, avant tout, on doit avoir en sa possession des souches d'osier, des plants de roseaux, des taillis de bois commun ou des plantations de châtaigniers établies pour cet usage. Atticus pense qu'un jugère d'oseraie peut suffire pour lier vingt-cinq jugères de vigne ; que la même étendue de roseaux produit assez pour dresser les jougs de vingt jugères ; et qu'un jugère aussi de châtaigneraie fournira tous les pieux nécessaires à ces vingt jugères. L'osier, quoique venant assez bien en plaine et en terre grasse, préfère un sol arrosé ou naturellement humide. Comme le prescrivent les anciens, le terrain destiné à l'oseraie sera foui avec la houe à la profondeur de deux pieds et demi. Peu importe l'espèce que vous plantiez, pourvu qu'elle soit très flexible. Toutefois on compte trois principales variétés de l'osier : le grec, le gaulois, le sabin, que quelques personnes appellent amérin. Le grec est jaune ; le gaulois, pourpre, sale et à brins très fins ; l'amérin porte des baguettes grêles et rouges. On les plante soit par cimes, soit par boutures. Les perches des cimes de moyenne grosseur, pourvu toutefois qu'elles n'excèdent pas celle d'un poids de deux livres, réussissent fort bien quand on a la précaution de les enfoncer en terre de manière que leur sommet seul paraisse. Les boutures qui n'ont qu'un pied et demi ne seront que légèrement recouvertes de terre après qu'elles y auront été enfoncées. Si le sol est arrosé, il faut laisser entre les plants plus d'intervalle, et on les dispose en quinconce à six pieds de distance ; en terrain sec, on rapproche davantage, mais en laissant toutefois un libre accès aux ouvriers : cinq pieds entre chaque ligne seront suffisants, et les plants de ces lignes ne devront offrir entre eux qu'un espace vide de deux pieds. Le moment de planter les osiers est celui qui précède le développement de leurs bourgeons, tandis que la sève n'anime point les baguettes. Il ne convient d'enlever celle-ci aux arbres que lorsqu'elles sont sèches ; car si elles étaient mouillées, elles ne pousseraient qu'avec peu de vigueur ; c'est pourquoi on évite de tailler les saules les jours où il pleut. Pendant les trois premières années de la plantation, on binera souvent le sol de l'oseraie, comme on le fait pour les nouveaux vignobles ; mais une fois due les plants ont pris de la force, ils se contentent, de trois serfouissages : toute autre manière de les cultiver leur est promptement funeste, puisque, même en suivant scrupuleusement les prescriptions que nous venons de donner, il en périt un grand nombre. Pour les remplacer, il faudra avoir recours aux sautelles, qu'on tirera des cépées les plus voisines, en courbant et enterrant des cimes propres à suppléer tout ce qui a péri. Au bout d'un an, la sautelle est séparée du tronc qui l'a produite, pour qu'elle puisse, comme la vigne, subsister par ses propres racines.

Du genêt

XXXI. Les localités très arides, qui ne peuvent admettre les arbrisseaux dont nous venons de parler, plaisent au genêt. Les liens qu'on en forme sont à la fois assez fermes et très flexibles. On le multiplie de graines : et deux ans après qu'il est sorti de terre, on le transplante, ou bien, si on le laisse en place, on peut, après ce temps, le couper près de terre tous les ans, comme on le fait pour les moissons.

Les autres espèces de liens, tels que ceux qu'on tire des ronces, exigent plus de soins ; mais il est des cas où ces soins deviennent nécessaires. Le saule dont on fait des perches demande le même terrain que celui dont on tire des liens : il pousse mieux toutefois dans un lieu arrosé. On le plante par boutures, et lorsqu'elles ont jeté des rameaux, on les réduit à une seule perche, on serfouit souvent, on arrache les herbes, on ébourgeonne comme on épampre la vigne, afin qu'il pousse en hauteur au lieu de s'étendre en largeur. Ainsi cultivé, il est bort à couper quand il est parvenu à sa quatrième année. Quant à l'osier dont on veut faire des liens, on peut le couper dès la première année à deux pieds et demi au-dessus du sol, afin que de ce point du tronc il produise beaucoup de branches, et soit disposé en bras comme les vignes basses ; cependant, si le sol est sec, on ne pourra le couper qu'à l'âge de deux ans.

Des plants de roseaux.

XXXII. Le roseau exige un moindre défoncement du sol ; toutefois il vient mieux quand il est planté au louchet. Comme cette plante est très vivace, elle s'accommode de tous les terrains ; elle préfère cependant un sol meuble à une terre compacte, un sol humide à une terre sèche, la vallée au coteau. Il convient mieux aussi de le placer sur les bord des fleuves, sur les lisières des sentiers et dans les lieux remplis d'épines, qu'au milieu des champs. On le propage soit au moyen des caïeux, soit par bouture, soit enfin en couchant sa tige entière. Les caïeux recouverts de terre à trois pieds de distance les uns des autres, produisent en moins d'un an une perche bien formée ; la bouture et la tige couchée, la font attendre plus longtemps. Soit qu'on emploie une bouture de deux pieds et demi, soit que l'on couche un roseau tout entier, il faut que leur sommité s'élève un peu au-dessus du sol ; car si cette partie était sous terre, le tout pourrirait infailliblement. Durant les trois premières années, on ne cultive pas le roseau autrement que les autres plants dont nous venons de parler ; plus tard, quand il a vieilli, on le serfouit de nouveau : on reconnaît qu'il est devenu vieux lorsqu'il se dessèche et ne produit rien pendant plusieurs années, ou que la cépée est tellement épaisse que ses jets sont grêles et semblables il la canne. Dans le premier cas, on doit en débarrasser entièrement le terrain ; dans le second, il suffit de retrancher quelques pieds pour éclaircir le plant : opération que les paysans appellent castration. Un tel retranchement toutefois ne peut se faire qu'aveuglément, puisqu'on ne voit pas au-dessus du sol ce qu'il faut enlever on conserver. Au reste, il est plus à propos de châtrer le roseau avant le moment de la coupe, puisque les chalumeaux indiquent alors clairement ce qu'il est convenable d'extirper. Le temps favorable pour biner et planter les roseaux est celui qui précède la sortie des yeux. On les coupe ensuite ; après le solstice d'hiver ; car, jusqu'à cette époque, ils prennent de l'accroissement, puis ils s'arrêtent quand le froid de l'hiver les engourdit. On donne aux roseaux autant de labours qu'aux vignobles. Si le terrain est maigre, on vient, à son secours en y répandant de la cendre oui tout autre amendement : c'est pour cela que la plupart des cultivateurs mettent le feu dans leurs plans de roseaux après les avoir coupés.

Des châtaigniers et des châtaigneraies.

XXXIII. Le châtaignier approche beaucoup du chêne rouvre par ses qualités, aussi est-il très propre à fournir des soutiens aux vignes. La châtaigne, plantée dans un terrain défoncé avec la houe à deux dents, lève promptement, et, au bout de cinq ans, le plant, recépé comme le saule, donne des pieux qui durent presque jusqu'à la coupe suivante. Il se plaît en terre légère et meuble ; il s'accommode aussi de sablon humide ou de tuf brisé ; il réussit bien sur les coteaux couverts et inclinés au nord ; il redoute un sol compacte et rougeâtre. Pendant tout l'hiver, à partir du mois de novembre, on sème le châtaignier en terre sèche et défoncée à la profondeur de deux pieds et demi. Les châtaignes sont placées à distance d'un demi-pied, et un intervalle clé cinq pieds est laissé entre les lignes. La châtaigne doit être déposée dans des sillons creusés à neuf pouces de profondeur. Après cette plantation, avant d'aplanir le terrain, on fiche à côté de chaque semence un petit roseau au moyen duquel le cultivateur peut en toute sûreté retourner la terre et sarcler. Dès que la semence a produit des sujets transportables, et ils sont tels à deux ans, on éclaircit en laissant un intervalle de deux pieds entre chacun des sujets, de peur que, trop pressés, ils ne maigrissent. Ce n'est que pour obvier aux éventualités qu'on a semé plus dru qu'il n'est nécessaire : en effet, il peut arriver que, avant de sortir de terre, la châtaigne se dessèche par l'effet des chaleurs arides, ou pourrisse noyée par des pluies surabondantes ; quelquefois aussi elle est dévorée par les animaux souterrains, tels que les mulots et les taupes : aussi voit-on souvent les nouvelles châtaigneraies dégarnies. Quand il faut les repeupler, il vaut mieux, si on le peut, coucher en manière de sautelle une branche de châtaignier voisin, que d'arracher des sujets pour les planter.

En effet, cette branche restée en quelque sorte immobile à sa place, pousse vigoureusement, tandis que l'arbre, transplanté après avoir été arraché avec ses racines, souffre pendant deux ans de cette opération. Aussi, d'après cette observation, a-t-on jugé avantageux de former un bois de cette espèce plutôt par le semis que par la plantation enracinée. D'après les intervalles que nous avons déterminés ci-dessus pour l'ensemencement des châtaignes, un jugère en recevra deux mille huit cent quatre-vingts, qui produiront aisément douze mille échalas, ainsi que le dit Atticus. En effet, les branches coupées près du tronc fournissent ordinairement quatre échalas de fente, et les branches secondaires du même arbre, fendues aussi, en donnent deux : ces espèces de soutiens, ainsi fendus, ont plus de durée que les pieux ronds. La culture du châtaignier, en ce qui concerne sa plantation et ses labours, est la même que pour la vigne. On l'émonde à deux airs, même à trois, et, au commencement du printemps, ou y applique deux fois le fer pour l'exciter à prendre de la hauteur.

On peut aussi semer le chêne par le même procédé ; mais on le coupe deux ans plus tard que le châtaignier. Aussi est-il raisonnable, pour gagner du temps, de semer de préférence ce dernier, à moins qu'on ne possède des montagnes buissonneuses et graveleuses, et de ces espèces de terre dont irons avons parlé ci-dessus, lesquelles demandent plutôt du gland que de la châtaigne.

J'ai jusqu'ici parlé avec développement et non sans quelque utilité, je pense, des vignes d'Italie et des instruments qui leur conviennent ; je vais maintenant traiter de la culture des vignes telle que la pratiquent les agriculteurs des provinces, et en même temps de celle des plants d'arbres mariés aux vignes dans notre pays et en Gaule.