Censorinus

CENSORINUS

 

DU JOUR NATAL - LIBER DE DIE NATALI

 

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 


 

 


 

NOTICE SUR CENSORINUS.

 

Censorinus, grammairien et philosophe du iiie siècle, florissait à Rome sous les règnes d’Alexandre Sévère, de Maximien et de Gordien. Bien que souvent cité avec éloge par Sidoine Apollinaire et par Cassiodore, cet auteur est généralement peu connu. Ainsi l’on ne sait au juste ni de quelle famille il descendait, ni l’endroit et l’année où il avait reçu le jour. Même obscurité sur les événements de sa vie, que sur ses liens civils. Il est hors de doute pourtant que bien longtemps avant lui il existait à Rome une famille notable, dont plusieurs membres avaient porté le surnom de Censorinus; et, vraisemblablement, notre auteur était un descendant de cette famille. Ainsi Tite-Live (liv. XLVII et XLIX) parle de L. Marcius Censorinus, qui, après avoir été édile curule, fut nommé consul avec M. Manilius, l’an 605 de la fondation de Rome, et partit pour déclarer la guerre aux Carthaginois. C’est de ce Marcius Censorinus que parle notre auteur, en son chapitre xvii. Tite-Live (liv. cxviii et cxxvii) cite encore un autre L. Marcius Censorinus, qui, d’abord préteur, fut ensuite nommé consul et triompha de la Macédoine. Le même historien nous apprend enfin (liv. CXL, ch. 15) que, l’an de Rome 715, C. Marcius Censorinus fut consul avec C. Asinius Gallus. Ce Marcius Censorinus était de la cour de Caïus César, petit-fils d’Auguste. Il l’avait accompagné en Syrie, et y était mort huit ans environ après la mort d’Horace. Ce poète, qui avait pour lui la plus profonde estime, lui avait adressé sa huitième ode du quatrième livre, dans laquelle il cherche à montrer que les louanges des poètes sont du plus haut prix. Ce qu’il y a surtout de remarquable dans cette ode, c’est qu’Horace tient auprès de ce Marcius Censorinus le même langage à peu près que devait, trois siècles plus tard, tenir notre auteur auprès de Quintes Cerellius, en lui adressant le petit livre dont nous allons parler. Les rôles, on le voit, sont bien changés. Huit ans avant J.-C., C. Marcius Censorinus, protecteur des savants, des philosophes, des poètes, reçoit, à titre de présent, les ouvrages qu’ils lui adressent. Et, deux cent cinquante ans plus tard, nous retrouvons un descendant de ce Censorinus, qui, savant à son tour, protégé et non protecteur, grammairien et non préteur ou édile, philosophe et non courtisan, humble écrivain et non riche consul, sollicite le patronage que ses aïeux étaient en possession d’accorder.

Ce fut vers l’an 991 de la fondation de Rome, ou 238 de l’ère chrétienne, sous le consulat d’Ulpius et de Pontianus, ainsi qu’il nous l’apprend lui-même (ch. xxi), que Censorinus écrivit ce petit, mais curieux ouvrage, qu’il intitula de Die natali, moins sans doute à cause des matières qu’il y traitait, que parce qu’il l’avait composé à l’occasion de l’anniversaire de la naissance de Quintus Cerellius, Aussi bien notre auteur y parle-t-il non seulement de l’histoire naturelle de l’homme, mais encore de la musique, des rites religieux, de l’astronomie, de la chronologie, des années, des mois et des jours chez les Romains et les diverses nations.

Quoi qu’il en soit, ce petit livre a été de la plus grande utilité aux chronologistes, pour déterminer les principales époques des événements anciens. Aussi Joseph Scaliger (lib. iii Emend. temp.) n’hésite-t-il point à nommer Censorinus, eximius ille et doctissimus temporum et antiquitatis vindex. Partout, en effet, cet auteur se montre aussi érudit que judicieux; et, comme l’a écrit M. Walkenaert, « il paraît avoir fait une étude particulière des livres des Pythagoriciens et des Etrusques; son style est toujours clair et concis, sans aucune trace de mauvais goût, mêlé seulement de quelques expressions peu classiques. »

Du reste, quelques savants ont pensé que ce petit livre n’était que l’abrégé, epitome, d’un ouvrage plus important, composé par Censorinus, et adressé sous le même titre à Quintus Cerellius. Ils rattachaient même à ce livre, ou, du moins, ils attribuaient à notre auteur les fragments d’un ouvrage intitulé de Naturali Institutione, qui traite de l’astronomie, de la géométrie, de la musique, de la versification. Ces Fragments d’un auteur incertain sont même imprimés, dans quelques anciennes éditions, à la suite du livre de Censorinus; mais on eut bientôt reconnu le peu de fondement de cette opinion.

C’est à tort aussi, suivant nous, que quelques écrivains, et entre autres M. Fuhrmann (dans son Manuel de littérature classique, publié en allemand, tome iv, page 321), ont prétendu que Censorinus avait composé un livre intitulé Indigitamenta. Il est vrai que notre auteur parle, au chapitre iii, d’un ouvrage sous ce titre mais il l’attribue à Granius Flaccus, et il ajoute qu’il était dédié à César.

Indépendamment de son livre intitulé de Die natali, Censorinus avait composé un traité sur les Accents. Cet ouvrage, cité avec éloge par Cassiodore et per Priscien, n’est point parvenu jusqu’à nous.

Le livre de Censorinus était trop curieux, trop utile surtout aux chronologistes et aux savants, pour qu’on ne songeât point à l’éditer. Aussi fut-il successivement publié en Italie, en France, en Angleterre, en Allemagne. L’édition princeps parut à Bologne, en 1497, in-folio, avec le Manuel d’Epictète et la Table de Cebès. La meilleure édition est celle qu’a donnée Sigebert Havercamp, Leyde, 1743, in.-8°, et qui, réimprimée sans aucun changement quatre ans plus tard, renferme, avec les Fragmenta d’un auteur incertain, les fragments des Satires de Lucilius, qu’on ne s’attendait guère à y trouver. La dernière édition est celle qu’a donnée Jean Sigismond Gruber à Nuremberg, in-8°, 1805, et qui y a été réimprimée, sous le même format, en 1810.

Jamais, que nous sachions, ce petit livre de Censorinus n’avait été traduit en notre langue; aussi le présentons-nous comme traduit en français pour la première fois.

Nous avons dû éclaircir par quelques notes les passages qui nous semblaient obscurs, on qui réclamaient une interprétation toute spéciale.. Les chapitres où sont retracées les principales règles de la musique, et dans lesquels ces règles sont appliquées au fait de la gestation et au système astronomique, étaient nécessairement dans ce cas. N’ayant point de meilleure interprétation à leur donner que celle, que nous offrait le Dictionnaire de musique de J.-J. Rousseau, nous ne nous sommes fait aucun scrupule d’emprunter à cet auteur quelques articles, que l’on croirait avoir été composés tout exprès pour servir de commentaire à ces différents chapitres de Censorinus.

 

J. MANGEART.


 

CENSORINUS

DU JOUR NATAL

LIBER DE DIE NATALI

Ouvrage adressé à Q. Cerellius

 

 

 

I. Préface.

Les cadeaux qui consistent en objets d'or ou d'argent, objets plus précieux par le fini de leur travail que par le prix de leur matière, et toutes ces autres faveurs de la fortune, excitent la cupidité de celui que vulgairement on nomme riche. Quant à toi, Q. Cerellius, dont la vertu non moins que l'argent forme la richesse, c'est-à-dire qui est véritablement riche, tu ne te laisses point prendre à de tels appâts. Non que tu en aies à tout jamais repoussé loin de toi la possession ou même la jouissance ; mais, formé par les préceptes des sages, tu as assez clairement reconnu que toutes ces fragilités ne sont par elles-mêmes ni des biens ni des maux, mais des choses indifférentes, c'est-à-dire tenant le milieu entre les maux et les biens. Elles n'ont, suivant la pensée du poète comique,

« De valeur que celle qu'a l'esprit de celui qui les possède : des biens, pour qui sait en user ; des maux, pour qui en use mal. »

Donc, puisque, je ne dirai point plus on possède, mais moins on désire, plus on est riche, ton âme est riche des biens les plus grands, de ces biens qui non-seulement l'emportent sur tous les biens d'ici-bas, mais qui encore nous rapprochent le plus des dieux immortels. Car, ainsi que le dit Xénophon, ce disciple de Socrate : « N'avoir besoin de rien, c'est le propre des dieux ; manquer du moins possible, c'est être le plus près de la divinité. » Puis donc que, par ta sagesse, tu ne manques point de biens précieux, et que, par l'exiguïté de ma fortune, moi, je n'ai rien de trop, ce livre, fruit de mon travail, je te l'adresse, quel qu'il soit, à titre de cadeau natal. Tu n'y trouveras point, suivant le plus commun usage, ni des préceptes pour bien vivre, empruntés à la partie morale de la philosophie ; ni, pour célébrer tes louanges, ces lieux communs puisés dans les traités de rhétorique (tu t'es, en effet, élevé si haut dans le culte de toutes les vertus, que toutes les leçons des philosophes comme tous les éloges des rhéteurs pâliraient devant ta vie et tes mœurs) ; mais c'est dans les commentaires philologiques que j'ai glané quelques petites questions qui par leur ensemble pussent composer un petit volume. Et cela non point par pédanterie, ni par ostentation, je le jure ; ne voulant point qu'on pût à bon droit m'appliquer ce vieil adage : « L'écolier qui en remontre à son maître. » Mais, sachant combien tes conférences m'avaient été utiles, j'ai voulu, pour ne point paraître ingrat, suivre l'exemple de nos plus pieux ancêtres. Ceux-ci, en effet, n'ignorant point qu'ils devaient à la bonté des dieux leur fortune, leur patrie, la lumière du ciel, en un mot, tout leur être, sacrifiaient aux dieux quelque chose de tous ces biens, beaucoup plus par le désir de leur témoigner leur gratitude, que par la pensée que les dieux pussent manquer de quelque chose. Aussi, avant d'employer pour vivre les fruits de leurs récoltes, en offraient-ils les prémices aux dieux ; et, comme ils possédaient et des villes et des campagnes, ne manquaient-ils point d'y élever quelques temples et chapelles qui leur étaient dédiés. Quelques-uns même, pour remercier le ciel de leur santé prospère, consacraient leur chevelure à quelque divinité. Par la même raison, moi qui ai reçu de toi tant de trésors littéraires, je t'offre aujourd'hui ce faible hommage de ma reconnaissance.

II. Pourquoi et de quelle manière on sacrifie au Génie pur.

D'abord, puisque ce livre a pour titre du Jour natal, permets-moi d'entrer en matière par un vœu. Ce jour donc, comme le dit Perse, « Marque-le du meilleur caillou, » et marque-le ainsi le plus souvent possible, c'est là mon désir ; et, suivant ce qu'ajoute le même poète,

« Verse le vin pur au Génie. » Ici, on me demandera peut-être pourquoi c'est une libation de vin pur, et non le sacrifice d'une victime, que le poète pense qu'il faille offrir au Génie? C'est que, comme le témoigne Varron, dans son livre intitulé Atticus, où il traite des nombres, c'était chez nos ancêtres un usage établi, que, lorsque le jour de leur naissance ils consacraient à leur Génie l'offrande natale, leurs mains devaient être pures de toute effusion de sang, de peur que le jour même où ils avaient reçu l'existence ne les vît l'arracher aux autres. A Délos, enfin, les autels d'Apollon Genitor, suivant ce qu'assure Timée, ne sont jamais arrosés du sang des victimes. Il faut aussi, à propos de ce jour, observer que personne, avant le sacrificateur, ne peut goûter à ce qui vient d'être offert au Génie. Une autre question que l'on a bien souvent posée, et qui me paraît devoir être résolue, c'est de savoir ce que c'est qu'un Génie, et pourquoi chacun le vénère de préférence le jour natal.

III. Ce que c'est qu'un Génie, et d'où vient ce nom.

Le Génie est un dieu sous la tutelle de qui chacun, dès l'instant de sa naissance, est placé pour toute sa vie. Ce dieu, soit parce qu'il préside à notre génération, soit parce qu'il naît avec nous, soit parce que, une fois engendrés, il nous protège et nous défend, s'appelle Génie, du mot latin genere. Le Génie et le dieu Lare ne font qu'un seul et même dieu, suivant l'opinion de beaucoup d'anciens auteurs, au nombre desquels on peut compter Granius Flaccus, dans son livre à César, qui nous est parvenu avec ce titre : De Indigitamentis. Ce dieu, suivant la croyance commune, a sur nous, non pas seulement une grande influence, mais le pouvoir le plus entier. Quelques-uns ont reconnu un double Génie, mais pour les maisons seulement des personnes mariées. Euclide même, ce disciple de Socrate, dit qu'un double Génie préside sans distinction à la vie de chacun : c'est un fait qu'on peut vérifier dans Lucilius, en son neuvième livre de Satires. C'est donc au Génie que, de préférence, à chaque anniversaire de notre naissance, nous offrons un sacrifice ; bien que, indépendamment de ce dieu, il en soit beaucoup d'autres qui, chacun sous un certain rapport, nous viennent en aide durant le cours de notre vie ; et si l'on demandait à les connaître, nous renverrions aux livres des Pontifes qui en parlent avec assez de détails. Mais tous ces dieux n'exercent qu'une fois dans le cours de la vie de chaque homme l'influence de leur divinité : aussi ne leur rend-on point un culte de chaque jour. Le Génie, au contraire, est un gardien si rigoureusement attaché à nos pas, qu'il ne s'éloigne point de nous un seul instant ; mais, nous prenant au sortir du sein de nos mères, il nous accompagne jusqu'au tombeau. Du reste, si chaque homme n'a de jour natal à célébrer que le sien, c'est un culte qui m'est imposé à moi deux fois l'an. Aussi bien, puisque c'est à toi et à ton amitié que je dois tout, honneur, dignité, considération, patronage, et toutes les aisances de la vie, regarderais-je comme un crime d'honorer avec moins de zèle que le mien l'anniversaire du jour où, pour mon bonheur, tu as reçu la naissance ; car si l'un m'a donné la vie, l'autre m'a valu ce qui en fait le soutien et l'ornement.

IV. Diverses opinions des philosophes anciens sur la génération.

Mais puisque l'âge de l'homme date du jour de sa naissance, et qu'avant ce moment il y a bien des choses qui ont trait à son origine, il ne me semble point hors de propos de parler de ce qui se passe avant l'instant où il est mis au jour. Je dois donc exposer d'abord, en peu de mots, quelles ont été les opinions des anciens sur l'origine de l'homme. Une première question, une question générale, a divisé les anciens philosophes, en présence de ce fait constant, que chaque homme, après avoir été engendré de la semence de son père, avait, à son tour, engendré des fils pendant une suite de siècles. Les uns donc ont pensé qu'il avait toujours existé des hommes, que jamais il n'en était né que d'autres hommes, et qu'on ne pouvait assigner au genre humain ni souche ni commencement. Suivant les autres, au contraire, un temps aurait été où les hommes n'existaient pas, et c'est la nature qui leur aurait d'abord donné l'être et la vie. Le premier système, celui qui admet l'éternité de la race humaine, a pour partisans Pythagore de Samos, Ocellus de Lucanie, Archytas de Tarente, et avec eux tous les Pythagoriciens. A ce système encore paraissent se ranger, et Platon l'Athénien, et Xénophon, et Dicéarque de Messine, et tous les philosophes de l'ancienne Académie. Aristote de Stagire lui-même, et Théophraste, et aussi plusieurs fameux Péripatéticiens, ont écrit dans le même sens, et donnent un exemple à l'appui de ce fait, en niant qu'on puisse jamais dire lesquels, des oiseaux ou des œufs, auraient été engendrés les premiers, vu qu'on ne peut admettre la génération de l'oiseau sans l'œuf, ni de l'œuf sans oiseau. Aussi disent-ils que rien de ce qui existe ou existera dans ce monde, qui est éternel, ne peut avoir eu de commencement ; mais que, dans cette masse sphérique d'êtres qui donnent ou reçoivent la naissance, on ne peut distinguer pour aucun être ni commencement ni fin. Quant au système qui admet que quelques hommes aient été d'abord créés par la nature ou la divinité, il a aussi de nombreux partisans, mais dont les opinions se divisent en plusieurs nuances. Car, pour ne point parler de ceux qui, suivant les récits fabuleux des poètes, font naître les premiers hommes, ou du limon de Prométhée, ou des pierres de Deucalion et Pyrrha, au nombre des philosophes eux-mêmes, on en trouve qui, à l'appui de leur système, donnent des raisons, sinon aussi ridicules, du moins tout aussi incroyables. Suivant Anaximandre de Milet, de l'eau et de la terre échauffées seraient nés, ou des poissons, ou des animaux tout à fait semblables aux poissons : dans leur sein se seraient formés et développés des fœtus humains, lesquels, à l'époque de puberté, auraient brisé l'obstacle qui les retenait, et alors seraient passés à l'état d'hommes et de femmes capables de se sustenter eux-mêmes. Empédocle, de son côté, dans son poème fameux dont Lucrèce dit :

« Qu'on a peine à croire qu'il sorte de la main d'un homme, » Empédocle émet une opinion qui tient de celle-ci. D'abord la terre, pour ainsi dire en travail, aurait donné naissance à chacun de nos membres pris isolément ; puis, de leur rapprochement successif, aidé d'un mélange d'eau et de feu, se serait formée la charpente osseuse composant le corps entier de l'homme. Qu'ai-je besoin de poursuivre toute cette série d'invraisemblances? Telle fut aussi l'opinion de Parménide de Vélie, à part quelques points sur lesquels il s'est éloigné d'Empédocle. Quant à Démocrite d'Abdère, c'est d'eau et de limon qu'il pensa que les premiers hommes avaient été formés. Telle fut aussi à peu près l'opinion d'Épicure : selon lui, en effet, c'est dans le limon échauffé que se sont développés je ne sais quels utérus dont les racines plongeaient dans la terre ; et ces utérus, obéissant à l'action de la nature, distillaient une sorte de lait dont se nourrirent les embryons qui s'y étaient formés, et qui, ainsi élevés et développés, ont propagé le genre humain. Zénon de Cittium, fondateur de la secte du Portique, assigna pour principe à la race humaine le commencement du monde lui-même, et pensa que les premiers hommes avaient été créés par la seule influence du feu divin, c'est-à-dire par la providence de Dieu. Enfin, on a cru aussi, d'après bon nombre d'auteurs de généalogies, que quelques nations, qui ne descendaient point d'une souche étrangère, ont eu pour chefs des enfants de la terre ; ce qui eut lieu dans l'Attique, par exemple, dans l'Arcadie et dans la Thessalie, et qu'on appelait ces nations autochtones. De même aussi en Italie, où, comme l'a dit le poète, et comme l'ont facilement admis l'ignorance et la crédulité des anciens, « certains bois eurent autrefois pour habitants des Nymphes et des Faunes indigènes. » Mais il y a plus, et l'imagination en est venue à ce point de licence, qu'on a rêvé des choses qu'à peine l'oreille peut entendre. D'après certaines traditions, la terre était déjà couverte de nations et de villes, quand de différentes manières elle fit sortir des hommes de son sein : ainsi, dans l'Attique, Erichthonius, né de la semence de Vulcain répandue à terre; dans la Colchide ou dans la Béotie, ces hommes armés qui naquirent des dents d'un dragon semées à travers champs, et qui s'entre-tuèrent, au point qu'il n'en resta qu'un très petit nombre pour aider Cadmus à construire la ville de Thèbes. On dit encore que, dans un champ du territoire de Tarquinies, on vit sortir d'un sillon un enfant, nommé Tagès, lequel enseigna et dicta l'art des aruspices aux Lucumons, alors maîtres de l'Étrurie.

V. De la semence de l'homme, et quelles parties du corps la fournissent.

C'en est assez sur la première origine des hommes. Je vais maintenant exposer, aussi brièvement que je pourrai, ce qui a rapport à notre présent anniversaire, aux premiers moments de notre existence. Et d'abord, quant à la source de la semence, c'est un point sur lequel les philosophes ne sont pas d'accord. Parménide a pensé qu'elle sortait tantôt du testicule droit, tantôt du gauche. Quant à Hippon de Métapont, ou, comme Aristoxène nous l'assure, de Samos, il croit que c'est des canaux médullaires que vient la semence : ce qui le prouve, selon lui, c'est que si on tue un mâle immédiatement après le coït, on pourra voir qu'il ne lui reste pas de moelle. Mais cette opinion est rejetée par quelques auteurs, et, entre autres, par Anaxagore, Démocrite et Alcméon de Crotone. Ceux-ci répondent, en effet, qu'après le coït ce n'est point la moelle seulement, mais encore la graisse et la chair même qui s'épuisent chez les mâles. Une autre question encore arrête les auteurs, celle de savoir si la semence du père seul est prolifique, comme l'ont écrit Diogène, Hippon et les Stoïciens ; ou s'il en est de même de celle de la mère, comme l'ont pensé Anaxagore et Alcméon, Parménide, Empédocle et Épicure. Sur ce point, toutefois, Alcméon avoua qu'il ne se prononçait point d'une manière bien positive, persuadé que personne ne pouvait s'assurer de la réalité du fait.

VI. Qu'est-ce qui se forme le premier dans l'enfant, et comment se nourrit-il dans le sein de la mère? Ce qui fait que c'est un garçon ou une fille. Raison de la naissance des jumeaux. De la conformation du fœtus.

Empédocle, en cela suivi par Aristote, pensa qu'avant tout se développait le cœur, parce qu'il est la principale source de la vie de l'homme ; suivant Hippon, c'était la tête, attendu qu'elle est le siège de l'âme ; selon Démocrite, c'étaient la tête et le ventre, parties qui renferment le plus de vide ; d'après Anaxagore, c'était le cerveau, d'où rayonnent tous les sens. Diogène d'Apollonie pensa que de la semence liquide se formait d'abord la chair, puis de la chair les os, les nerfs et les autres parties du corps. Les Stoïciens soutinrent que l'enfant prenait sa forme d'un seul coup, de même qu'il naît et qu'il grandit tout entier. Il en est qui attribuent à la nature elle-même ce travail : Aristote, par exemple, puis Épicure ; d'autres qui l'assignent à la vertu d'un esprit accompagnant la semence : ce sont presque tous les Stoïciens ; d'autres enfin prétendent, d'après Anaxagore, qu'il y a dans la semence une chaleur éthérée qui agence les membres. Quelle que soit, au reste, la manière dont se forme l'enfant, il est nourri dans le sein de sa mère, et, sur ce point encore, il y a deux opinions. Anaxagore, en effet, et beaucoup d'autres ont pensé qu'il prenait sa nourriture par le cordon ombilical ; Diogène et Hippon prétendent, au contraire, qu'il y a dans la matrice une proéminence que l'enfant saisit avec la bouche, et d'où il tire sa nourriture, comme, après qu'il est né, il le fait des mamelles de sa mère. Quant au pourquoi de la naissance des filles et des garçons, c'est un point sur lequel les mêmes philosophes ne sont pas non plus d'accord. Suivant Alcméon, l'enfant a le sexe de celui de ses père ou mère qui a fourni le plus de semence ; d'après Hippon, de la semence la plus déliée naissent les filles, et de la plus épaisse les garçons ; d'après Démocrite, l'enfant a le sexe de celui de ses père ou mère dont la semence a la première occupé son réceptacle ; suivant Parménide, au contraire, il y a dans le coït une lutte entre l'homme et la femme, et celui des deux à qui reste la victoire donne son sexe à l'enfant ; Anaxagore et Empédocle, de leur côté, s'accordent à penser que la semence épanchée du testicule droit produit les garçons, et celle du gauche les filles. Au reste, si ces deux philosophes sont d'accord sur ce point, ils ne le sont plus sur la question de la ressemblance des enfants. Voici, à cet égard, la thèse soutenue par Empédocle : si dans la semence du père et de la mère il y a eu le même degré de chaleur, il naît un garçon qui ressemble au père ; si le même degré de froid, il naît une fille qui ressemble à la mère. Que si la semence du père est chaude, et froide celle de la mère, il naîtra un garçon qui ressemblera à la mère ; si la semence de la mère est chaude, et froide celle du père, il naîtra une fille qui ressemblera au père. Anaxagore pensait, lui, que les enfants ressemblaient à celui de leur père ou mère qui avait fourni le plus de semence. Quant à Parménide, il soutenait que quand la semence venait du testicule droit, c'était au père ; quand du gauche, c'était à la mère que l'enfant ressemblait. Il me reste à parler de la naissance des jumeaux, fait accidentel qu'Hippon attribue à la quantité de semence, laquelle, selon lui, s'épanche sur deux points, quand il y en a plus qu'il n'en faut pour un seul enfant. C'est aussi ce que semble penser Empédocle ; mais il n'a pas indiqué les motifs de cette division de la semence ; il se borne à dire que si la matière, en s'épanchant sur deux points, y trouve un égal degré de chaleur, il naîtra deux garçons ; si un égal degré de froid, deux filles ; si plus de chaleur sur un point, et plus de froid sur l'autre, des jumeaux de différent sexe.

VII. Des temps auxquels le fruit de la conception est mûr pour l'enfantement, et du nombre septénaire.

Il me reste à parler du temps auquel le fruit de la conception est mûr pour l'enfantement, et je dois y apporter d'autant plus de soin, qu'il me faudra toucher à quelques questions d'astrologie, de musique et d'arithmétique. Et d'abord, combien de mois après la conception l'enfantement a-t-il ordinairement lieu? c'est ce que les anciens ont souvent discuté, mais sans jamais tomber d'accord. Hippon de Métapont a pensé que l'enfantement pouvait avoir lieu du septième au dixième mois ; selon lui, en effet, dans le septième mois le fruit est déjà mûr ; car le nombre septénaire a partout la plus grande influence. Aussi sommes-nous formés au bout de sept mois ; sept mois encore, et nous commençons à nous tenir sur nos jambes ; à sept mois aussi nos dents commencent à se montrer ; ces mêmes dents tombent à l'âge de sept ans, et à quatorze ans nous entrons en puberté. Or, cette maturité qui commence à la fin du septième mois se continue jusqu'au dixième, parce qu'en toutes choses il faut aux sept mois ou aux sept années de formation en ajouter trois autres pour le développement. C'est ainsi que nos dents, qui commencent à pousser au septième mois, ne se montrent tout à fait qu'au dixième ; ainsi encore ces dents premières tombent les unes à sept ans, et les autres à dix ; ainsi, enfin, plusieurs jeunes gens sont pubères au bout de leur quatorzième année, tous au moins le sont dans leur dix-septième. Cette opinion a, sous un point de vue, des adversaires ; sous un autre, des partisans. Que la femme puisse accoucher au bout de sept mois, c'est un point reconnu par la plupart des auteurs, tels que Théano, disciple de Pythagore, Aristote le Péripatéticien, Dioclès, Evénor, Straton, Empédocle, Épigène, et beaucoup d'autres encore, dont les colonnes serrées n'effrayent point, cependant, Euthyphron de Cnide, qui nie intrépidement cette possibilité. Il est combattu, à son tour, par presque tous les philosophes, qui, à l'exemple d'Épicharme, nient que l'enfantement ait lieu dans le huitième mois. Dioclès de Caryste, néanmoins, et Aristote de Stagire, ont pensé le contraire. Quant à la naissance dans le neuvième et le dixième mois, elle est admise, et par la plupart des Chaldéens, et par Aristote dont je viens de parler ; Épigène de Byzance ne la nie point pour le neuvième mois, ni Hippocrate de l'île de Co pour le dixième. Mais le onzième mois, admis par Aristote seul, est rejeté par tous les autres.

VIII. Calculs des Chaldéens sur la durée de la gestation ;

item, du zodiaque et de l'aspect sidéral.

J'ai maintenant à parler en peu de mots du calcul des Chaldéens, et à dire pourquoi ils ont pensé que l'homme ne pouvait naître que dans les septième, neuvième et dixième mois de la conception. Ils posent en principe que notre vie et notre manière d'être sont subordonnées à des étoiles soit errantes, soit fixes, dont le cours aussi multiple que varié gouverne le genre humain, et dont les mouvements, les phases et les effets subissent souvent l'influence du soleil. Si les unes se précipitent, si d'autres restent immobiles, si toutes elles nous font sentir leur différente température, c'est à l'action du soleil que sont dus tous ces phénomènes. Aussi cet astre, en agissant sur ces étoiles qui réagissent sur nous, nous donne-t-il l'âme qui nous dirige. C'est lui qui agit sur nous le plus puissamment, quand, après la conception, se prépare notre naissance, et cette action se produit sous l'influence de trois différents aspects. Or, que faut-il entendre par aspects, et combien en est-il de sortes? Ma réponse, pour être claire, sera courte : Il est, dit-on, un cercle de différents signes que les grecs nomment zodiaque, et qui est parcouru par le soleil, la lune, les autres étoiles errantes ; on le divise en douze parties égales, figurées par autant de signes. Comme le soleil met un an à parcourir ce cercle, de même il met un mois environ à parcourir chaque signe. Or, chacun de ces signes est en regard avec tous les autres, mais sous un aspect qui n'est pas uniforme à l'égard de tous ; de ces aspects, en effet, les uns sont plus forts, les autres plus faibles. Donc, au moment de la conception, le soleil se trouve nécessairement dans un signe, et même dans un point déterminé, que l'on appelle proprement le point de la conception. Or, ces points sont au nombre de trente dans chaque signe ; ce qui fait, pour le cercle entier, trois cent soixante. Les grecs ont appelé ces points μοῖραι, sans doute parce que c'est le nom des déesses du destin, et que de ces points dépendent, pour ainsi dire, nos destinées : aussi l'action de naître sous l'un ou sous l'autre est-elle ce qu'il y a de plus important. Le soleil, donc, quand il est entré dans le second signe, ne voit plus le premier que faiblement, ou même ne l'aperçoit plus du tout ; car beaucoup d'auteurs ont nié qu'entre signes contigus l'aspect pût avoir lieu de l'un à l'autre. Mais quand il est dans le troisième signe, c'est-à-dire quand il y en a un entre ce troisième et celui de la conception, alors il voit, dit-on, ce premier signe d'où il est parti, mais il n'y porte qu'un rayon oblique et, par conséquent, affaibli. Cet aspect est appelé καθ' ἑξάγωνον, parce que son arc embrasse la sixième partie du cercle. Si, en effet, du premier au troisième signe, de celui-ci au cinquième, de ce dernier au septième et ainsi de suite, vous conduisez des lignes droites, vous aurez tracé dans le cercle la figure d'un hexagone équilatéral. On n'a pas toujours pris en considération cet aspect, parce qu'il paraît n'avoir presque aucune influence sur le fruit de la conception pour en hâter la maturité. Mais quand le soleil est parvenu dans le quatrième signe, et que deux autres l'éloignent de son point de départ, son rayon est κατὰ τετράγωνον τρίγονοι; la ligne, en effet, qu'il parcourt embrasse la quatrième partie du cercle ; et quand il est dans le cinquième, et qu'ainsi trois signes l'ont séparé de son point de départ, son rayon est dit κατὰ τρίγωνον, d'autant qu'il embrasse la troisième partie du zodiaque. Ces deux derniers aspects, τετράγωνοι et τρίγονοι, sont les plus efficaces pour favoriser le développement du fruit de la conception. Du reste, l'aspect pris du sixième signe n'exerce aucune influence : la ligne, en effet, qu'embrasse ce signe, ne touche l'un des côtés d'aucun polygone. Il en est tout autrement du septième signe, lequel donne l'aspect le plus complet et le plus efficace ; sa vertu fait quelquefois sortir des flancs de la mère le fruit déjà mûr, et l'enfant, dans ce cas, est dit septem mestris, parce qu'il naît dans le septième mois de la conception. Mais si, dans cet espace de sept mois, il n'a pas atteint sa maturité, il ne saurait naître dans le huitième (car du huitième signe, pas plus que du sixième, l'aspect n'a d'efficacité), mais dans le neuvième ou dans le dixième mois. Du neuvième signe, en effet, le soleil regarde de nouveau κατὰ τρίγωνον le point de la conception ; et, du dixième signe, l'aspect a lieu κατὰ τετράγωνον, et ces deux aspects, comme nous l'avons déjà dit, sont des plus efficaces. Au surplus, on ne pense pas que l'enfantement puisse avoir lieu dans le onzième mois, parce que le rayon n'arrive qu'affaibli, et καθ' ἑξάγωνον sur le point de la conception ; bien moins encore peut-il avoir lieu dans le douzième, d'autant que du signe correspondant l'aspect est comme s'il n'existait pas. D'après ces calculs, donc, les enfants naissent à sept mois sous l'influence de l'aspect κατὰ διάμετρον, à neuf mois sous celle de l'aspect κατὰ τρίγωνον, et à dix mois par suite de l'aspect κατὰ τετράγωνον.

IX. Opinion de Pythagore sur la formation du produit utérin.

Après cette explication du système des Chaldéens, je passe à l'opinion de Pythagore, traitée par Varron dans son livre appelé Tubéron, et intitulé De l'origine de l'homme; et cette opinion, qui est de toutes la plus recevable, me paraît se rapprocher le plus de la vérité. La plupart, en effet, des autres philosophes, tout en n'assignant pas à la maturité du produit utérin une époque toujours la même, ont prétendu que sa formation avait lieu dans un espace de temps toujours égal : on peut citer à cet égard Diogène d'Apollonie, suivant qui le corps des garçons est formé dans le quatrième mois, et celui des filles dans le cinquième ; et Hippon, qui soutient que l'enfant est formé soixante jours après la conception, ajoutant que dans le quatrième mois la chair prend sa consistance, dans le cinquième poussent les ongles et les cheveux, et dans le septième l'enfant est parvenu à sa perfection. Pythagore, au contraire (et en cela il nous semble plus dans le vrai), admit deux sortes de gestation, l'une de sept et l'autre de dix mois ; mais aussi des nombres de jours différents pour la conformation. Or, ces nombres, qui, dans chaque gestation, amènent quelque changement, puisque c'est d'abord la semence qui se change en sang, puis le sang en chair, et enfin la chair en l'homme lui-même, ces nombres, dans leur corrélation, présentent le même rapport que ce qu'on appelle, en musique, consonances.

X. De la musique et de ses règles.

Mais, pour que tout cela devienne plus compréhensible, mon sujet exige que je dise d'abord quelques mots touchant les règles de la musique ; d'autant plus que je parlerai de choses que ne connaissent pas les musiciens eux-mêmes : car ils ont fait sur les sons de savants traités, ils les ont classés d'une manière convenable ; mais, quant aux divers mouvements, quant à la mesure des sons, les règles en sont dues aux géomètres plutôt qu'aux musiciens. La musique est la science de bien moduler : elle consiste dans le son ; or, le son est tantôt plus grave, tantôt plus aigu. Chaque son, cependant, pris d'une manière absolue, est appelé φθόγγος. La différence d'un son à un autre, entre le grave et l'aigu, est appelée diastème. Entre le son le plus grave et le son le plus aigu peuvent se trouver plusieurs diastèmes successifs, les uns plus grands, les autres plus petits ; celui, par exemple, qui est nommé τόνος, ou celui, plus petit, appelé ἡμιτόνιον, ou l'intervalle de deux ou trois tons, et ainsi de suite. Mais il ne faut point croire que tous les sons, arbitrairement combinés avec n'importe quels autres, produisent dans le chant des consonances agréables à l'oreille.

De même que les lettres de notre alphabet, si on les assemble au hasard et sans aucun ordre, ne formeront presque jamais ni un mot, ni même une syllabe qu'on puisse prononcer ; de même, dans la musique, il n'y a que certains intervalles qui puissent produire des symphonies. Or, la symphonie est l'union de deux sons différents qui forment un concert. Les symphonies simples et primitives sont au nombre de trois ; les autres en sont dérivées : la première, ayant un intervalle de deux tons et un semi-ton, s'appelle diatessaron; la seconde, de trois tons et un semi-ton, se nomme diapente; la troisième est nommée diapason : son intervalle renferme les deux premières. Il est, en effet, de six tons, comme le prétendent Aristoxène et les musiciens ; ou de cinq tons et de deux semi-tons, comme le soutiennent Pythagore et les géomètres, qui démontrent que deux semi-tons ne peuvent former un ton complet. Aussi est-ce abusivement que Platon nomme cet intervalle ἡμιτόνιον; il est proprement appelé διέσις ou λεῖμμα. Et maintenant, pour expliquer jusqu'à un certain point comment des sons qui ne tombent ni sous les yeux ni sous le tact, sont susceptibles d'être mesurés, je rapporterai l'admirable expédient de Pythagore, qui, scrutant les secrets de la nature, découvrit que les rapports des nombres s'appliquaient aux sons des musiciens. Il prit des cordes sonores, de mêmes grosseur et longueur, et il y suspendit différents poids ; voyant, après avoir frappé ces cordes à divers reprises, qu'il n'obtenait, des sons qu'elles rendaient, aucune consonance, il changea les poids ; et après avoir répété souvent ses expériences, il finit par découvrir que deux cordes donnaient la consonance diatessaron, lorsque leurs poids tendants étaient dans le rapport de 3 à 4 : ce son, les arithméticiens grecs l'appellent ἐπίτριτον, les latins supertertium. Quant à la consonance nommée diapente, il la rencontra quand ses poids étaient dans la proportion sesquitierce, que présente 2 comparé à 3 ; et cette consonance s'appelle ἡμιόλιος. Quand une corde était tendue par un poids deux fois fort comme celui de l'autre corde, et qu'ainsi elle se trouvait en raison double, la consonance était celle appelée diapason. Il réitéra sur des flûtes les mêmes expériences, et il obtient les mêmes résultats. Ces flûtes étaient de même grosseur, la longueur seule variait : la première, par exemple, était longue de six doigts ; la seconde, longue d'un tiers en plus, en avait huit ; la troisième, plus longue de moitié que la première, en avait neuf ; la quatrième enfin, longue deux fois comme la première, en avait douze. Il souffla dans chacune de ces flûtes, et, comparaison faite des sons de chacune deux à deux, il démontra aux musiciens qui l'écoutaient que la première et la seconde flûte, dans le rapport de 3 à 4, présentait une consonance pareille à celle dite diatessaron; qu'entre la première et la troisième, dans le rapport de 2 à 3, on obtenait la consonance diapente; qu'enfin l'intervalle de la première à la quatrième, dans le rapport de 1 à 2, était le diastème qu'on nomme diapason. Mais entre les cordes sonores et les flûtes il y a cette différence, que plus les flûtes sont longues, plus leur son est grave ; tandis que, pour les cordes, plus les poids tendants augmentent, plus le son des cordes devient aigu, mais toujours dans les mêmes proportions d'un côté comme de l'autre.

XI. Démonstration du système de Pythagore sur la conformation du fœtus.

Après cet exposé, obscur peut-être, mais le plus clair cependant que j'aie pu le faire, je reviens à mon sujet, c'est-à-dire à l'explication de ce que Pythagore a pensé sur le nombre des jours de la gestation. Et d'abord, comme je l'ai dit plus haut, il admit en général deux espèces de gestation, l'une plus courte et dite de sept mois, qui, deux cent dix jours après la conception, fait sortir l'enfant des flancs de la mère ; l'autre, plus longue et dite de dix mois, qui l'en fait sortir au bout de deux cent soixante-quatorze jours. Dans la première, c'est-à-dire la plus courte, le nombre sénaire joue le principal rôle. En effet, cette partie de la semence qui a donné lieu à la conception, n'est, pendant les six premiers jours, qu'un liquide laiteux, qui, pendant les huit jours suivants, passe à l'état de sang : ces huit jours, ajoutés aux six premiers, présentent la première consonance appelée diatessaron. Ensuite il s'écoule neuf jours pour la formation de la chair ; ces neuf jours, comparés aux six premiers, sont dans le rapport de 2 à 3, et présentent la consonance diapente. Viennent ensuite douze jours nouveaux, pendant lesquels s'achève la formation du corps ; leur comparaison avec les six premiers jours établit le rapport de 1 à 2, et présente la troisième consonance appelée diapason. Ces quatre nombres 6, 8, 9, 12, réunis, donnent pour total trente-cinq jours. Et ce n'est point sans raison que le nombre sénaire est le fondement de la génération ; aussi bien ce nombre est-il appelé par les Grecs τέλειος, et parfait dans notre langage, parce que trois parties, le sixième, le tiers et la moitié de ce nombre, c'est-à-dire 1, 2, et 3, concourent à le parfaire. Mais de même que ce premier état de la semence, ce principe laiteux de la conception exige tout d'abord l'accomplissement de ce nombre de six jours ; de même ce premier état de l'homme conformé, cet autre principe qui appelle la maturité à venir, lequel a trente-cinq jours, y arrive après six révolutions de ce nombre de 35, c'est-à-dire au bout de deux cent dix jours. Quant à l'autre gestation, qui est plus longue, elle a pour principe un nombre plus grand, c'est-à-dire le nombre septénaire, qui se rencontre à toutes les époques importantes de la vie de l'homme, ainsi que l'a écrit Solon, ainsi que le suivent les Juifs dans tous les calculs de leurs jours, ainsi enfin que paraissent l'indiquer les Rituels des Étrusques. Hippocrate lui-même, et d'autres médecins, ne suivent point, dans les maladies du corps, d'autre opinion ; car ils nomment κρίσιμον (critique) chaque septième jour, et ils l'observent attentivement. Ainsi, de même que l'élément primitif, dans la première gestation, emploie six jours, passé lesquels la semence se change en sang ; de même, dans la seconde, il en emploie sept : et comme, dans le premier cas, la conformation de l'enfant n'est complète qu'au bout de trente-cinq jours ; de même, dans le second cas, elle ne l'est qu'au bout de quarante jours environ. Voilà pourquoi ce nombre de quarante jours est remarquable chez les Grecs : aussi la femme en couches ne paraît-elle point en public avant le quarantième jour après sa délivrance ; pendant cet espace de temps la plupart des femmes souffrent, pour ainsi dire, encore plus de leur grossesse ; souvent elles ont des pertes de sang qu'on ne peut arrêter ; pendant ce laps de temps aussi, les nouveau-nés sont tout malades : aucun sourire de leur part, pour eux pas un seul instant exempt de danger. Voilà pourquoi aussi le dernier de ces quarante jours est un jour de fête ; et ce jour, on l'appelle τεσσαρακοστόν (quarantième). Ces quarante jours, donc, multipliés par les sept jours primordiaux, donnent pour total 280, c'est-à-dire quarante semaines. Mais, comme l'enfant vient au monde le premier jour de cette dernière semaine, il faut en déduire six jours, et il en reste 274 : nombre qui coïncide merveilleusement avec cet aspect que l'on nomme, dans le système des Chaldéens, τετράγωνον. Car, puisque le zodiaque est parcouru par le soleil en trois cent soixante-cinq jours et quelques heures, il faut bien, si l'on en déduit le quart, c'est-à-dire quatre-vingt-onze jours et quelques heures, qu'il parcoure les trois autres quarts dans les deux cent soixante-quinze autres jours, moins quelques heures, jusqu'à ce qu'il soit parvenu au point d'où il regarde, κατὰ τετράγωνον, le point de la conception. Mais comment l'esprit humain a-t-il pu observer ces jhrs de métamorphoses successives, et pénétrer ces mystères de la nature? On ne s'en étonnera pas, si l'on réfléchit que ces découvertes sont dues aux nombreuses observations des médecins qui, voyant que bien des femmes ne conservaient pas dans leurs flancs la semence de l'homme, ont remarqué qu'elle était laiteuse quand elle s'échappait dans les six ou sept premiers jours de la conception ; et, cette perte, ils l'ont appelée ἔκρυσις (écoulement) ; que, plus tard, elle était un liquide sanguin ; et alors cette perte s'appelle ἐκτρωσυμὸς (avortement). Quant au fait de voir l'une et l'autre gestation embrasser un nombre de jours pair, alors que Pythagore regarde comme seul parfait le nombre impair, il n'y a point là une contradiction avec les principes de sa secte; car, si l'on compte par jours pleins, lui-même il donne les deux nombres impairs, 209 et 273 ; mais, à chacun de ces nombres de jours, il faut ajouter quelques heures, lesquelles cependant ne forment point un jour entier. La nature elle-même nous en fournit un exemple, tant dans la durée de l'année que dans celle du mois, puisque l'année se compose du nombre impair de trois cent soixante-cinq jours, plus quelques heures, et le mois lunaire d'un peu plus que vingt-neuf jours.

XII. Louanges et vertus de la musique.

Et qu'y a-t-il de si étrange, à ce que la musique ait quelque rapport à notre naissance? Soit, en effet, qu'elle ne consiste que dans la voix, comme le dit Socrate; soit, comme le prétend Aristoxène, qu'elle consiste dans la voix et dans les mouvements du corps ; soit que la voix, les mouvements du corps, et, en outre, les mouvements de l'âme concourent à la constituer, comme le pense Théophraste ; certes, elle a bien des caractères de la divinité, et elle peut beaucoup pour remuer les âmes. Et si elle n'était aussi agréable aux dieux immortels, dont l'âme est sûrement divine, aurait-on institué, pour les apaiser, les jeux scéniques? emploierait-on un joueur de flûte pour toutes les prières qui leur sont adressées dans les temples? verrait-on un joueur de flûte conduire les triomphes? eût-on jamais donné pour attribut à Apollon une cithare, et aux Muses des flûtes ou tout autre instrument de ce genre? eût-on permis aux joueurs de flûte qui apaisent les dieux de célébrer des jeux publics, de vivre dans le Capitole, et, aux petites Quinquatries, c'est-à-dire aux ides de juin, de parcourir la ville vêtus comme ils le voudraient, masqués et en état d'ivresse? Les âmes des hommes eux-mêmes, qui, elles aussi, sont divines, malgré l'opinion contraire d'Épicure, reconnaissent par les chants leur nature. Enfin, il n'y a point jusqu'au pilote qui ne fasse, dans les moments de danger, exécuter de la symphonie à son bord, pour donner du courage aux matelots épouvantés. C'est la trompette aussi qui ôte aux soldats de nos légions, sur le champ de bataille, la crainte de la mort. Voilà pourquoi Pythagore, afin que son âme demeurât toujours pénétrée de sa divinité, avait, dit-on, coutume de jouer de la cithare avant de s'abandonner au sommeil, et dès qu'il était réveillé. Voilà pourquoi aussi le médecin Asclépiade, quand il avait à calmer les esprits troublés des frénétiques, parvenait souvent à les rendre à leur état normal par l'emploi de la symphonie. Hérophile, de son côté, qui professait le même art, prétend que les pulsations des veines se font d'après les règles du rythme musical. Si donc il y a de l'harmonie dans les mouvements et du corps et de l'âme, il est hors de doute que la musique n'est point étrangère au fait de notre naissance.

XIII. De l'étendue du ciel ; de l'orbe de la terre ; de la distance des astres.

Ajoutez à cela ce qu'a dit Pythagore, que tout cet univers est organisé d'après le système musical ; que les sept étoiles errantes entre le ciel et la terre, qui règlent la génération des mortels, ont un mouvement harmonique et dans intervalles correspondant aux diastèmes musicaux, et qu'elles émettent, chacune suivant sa hauteur, des accords divers et si réguliers, qu'il en résulte une délicieuse mélodie, mais que nos oreilles n'entendent point, trop faibles qu'elles sont pour soutenir la grandeur majestueuse d'un tel concert. Car de même qu'Ératosthène a démontré, par des calculs géométriques, que la plus grande circonférence de la terre est de 252.000 stades, de même Pythagore a indiqué combien il y avait de stades entre la terre et chacune des étoiles. Et le stade dont il est question dans cette mesure du monde est celui qu'on nomme italique, qui est de 625 pieds ; car il y en a plusieurs autres de différentes longueurs : comme le stade olympique, de 600 pieds ; et le pythique, de 1.000. Donc, de la terre à la lune, Pythagore a pensé qu'il y a environ 126.000 stades, ce qui donne l'intervalle d'un ton ; que de la terre à l'étoile de Mercure, qui est nommée stilbon, il y en a la moitié, soit un semi-ton ; que de Mercure à l'étoile de Vénus, nommée phosphoros, il y en a environ autant, soit encore un semi-ton ; que de cette étoile au soleil il y en a trois fois autant, soit un ton et demi ; qu'ainsi le soleil est éloigné de la terre de trois tons et un semi-ton, soit de l'intervalle qu'on nomme diapente; qu'il est distant de la lune de deux tons et demi, soit de l'intervalle qu'on nomme diatessaron; que du soleil à l'étoile de Mars, appelée pyroïs, il y a autant de distance que de la terre à la lune, soit l'intervalle d'un ton ; que de l'étoile de Mars à celle de Jupiter, appelée phaéton, il y en a la moitié, soit un semi-ton ; qu'il y en a autant de l'étoile de Jupiter à celle de Saturne, qu'on nomme phénon, soit encore un semi-ton ; que de là au ciel supérieur, où sont les signes, il y a de même l'intervalle d'un semi-ton ; qu'ainsi, du ciel supérieur au soleil, il y a l'intervalle diatessaron, c'est-à-dire de deux tons et demi ; et que, du même ciel au point le plus bas de la terre, il existe six tons, ce qui donne l'intervalle diapason. Il a, de plus, rapporté aux autres étoiles beaucoup d'autres règles constitutives de l'art musical, et il a prouvé que tout cet univers est enharmonique : aussi Dorylas a-t-il écrit que ce monde est l'instrument de Dieu ; d'autres ont ajouté qu'il en est le χορεῖον (salle de bal), à cause des évolutions aussi variées que régulières des sept étoiles errantes. Mais tout ceci exigeant des détails minutieux, ce n'est point ici le lieu de m'y arrêter ; d'ailleurs j'y consacrerais un volume tout entier, que je me trouverais trop à l'étroit encore. Cessant donc la digression où m'ont entraîné les charmes de la musique, je reviens à mon sujet.

XIV. Distinction des âges de l'homme, suivant les opinions de plusieurs ; et des années climatériques.

Maintenant, donc, que j'ai parlé de ce qui se passe avant la naissance, je vais, pour que l'on sache ce que c'est que les années climatériques, dire comment on a gradué les divers âges de l'homme. Varron pense que la vie de l'homme se divise en cinq époques égales, de quinze ans chacune, excepté la dernière. La première, qui s'arrête à la quinzième année, comprend les enfants nommés pueri, parce qu'ils sont purs, c'est-à-dire impubères ; la seconde, qui va jusqu'à trente ans, renferme les adolescents, ainsi appelés du mot adolescere; la troisième, jusqu'à quarante-cinq ans, comprend les jeunes gens appelés juvenes, parce qu'ils défendent (juvant) comme soldats la république; la quatrième, jusqu'à soixante ans, renferme les seniores, ainsi nommés parce qu'à cette époque le corps commence à vieillir (senescere) ; la cinquième embrasse tout le temps qui s'écoule pour chacun depuis la soixantième année jusqu'à la mort : et cette catégorie comprend les vieillards (senes), dont le corps, à cette époque, est appesanti par la vieillesse (senio). Hippocrate le médecin divise en sept périodes la vie de l'homme : la première se termine à sept ans, la seconde à quatorze, la troisième à vingt-huit, la quatrième à trente-cinq, la cinquième à quarante-deux, la sixième à cinquante-six, et la septième va jusqu'au dernier jour de la vie. Quant à Solon, il la divise en dix degrés, par le dédoublement qu'il fait des troisième, sixième et septième périodes d'Hippocrate, de manière à ce que chaque période soit de sept ans. Staséas le Péripatéticien, à ces dix semaines de Solon, en ajouta deux, et quatre même pour désigner la vie la plus longue ; soutenant que quiconque dépassait cette limite, faisait ce que font, dans le stade, les coureurs et les conducteurs de quadriges, quand ils dépassent le but. Les Étrusques aussi, au rapport de Varron, dans leurs livres sacrés appelés Fatales, divisent la vie de l'homme en douze semaines : observant que l'on peut, par des prières, obtenir des dieux qu'ils éloignent le moment fatal en ajoutant deux semaines nouvelles aux dix premières semaines ; mais que, passé quatre-vingts ans, c'est une chose que l'homme ne doit point demander, et que les dieux ne peuvent accorder ; que l'homme, d'ailleurs, après quatre-vingts ans de vie, n'est plus guère qu'un corps sans âme, et ce n'est point alors que les dieux feraient pour lui des miracles. Mais de tous les auteurs, ceux-là me semblent le plus dans le vrai, qui ont divisé par semaines de sept ans la vie de l'homme. Aussi bien est-ce après chaque période de sept années que la nature fait apparaître en nous quelques nouveaux caractères, ainsi que nous pouvons le voir dans l'élégie de Solon, où il est dit que dans la première semaine l'homme perd ses premières dents ; dans la seconde, son menton se garnit de poil follet ; dans la troisième, sa barbe pousse ; dans la quatrième, ses forces se développent ; dans la cinquième, il est mûr pour la procréation ; dans la sixième, il commence à mettre un frein à ses passions ; dans la septième, sa prudence et son langage sont à leur apogée ; dans la huitième, sa perfection se maintient ; et, suivant d'autres auteurs, ses yeux commencent à perdre de leur éclat ; dans la neuvième, affaiblissement de toutes ses facultés ; dans la dixième, maturité voisine de la mort. Dans la deuxième semaine, pourtant, ou au commencement de la troisième, sa voix devient plus forte et moins égale, ce qu'Aristote appelle τραγίζειν, et nos ancêtres hirquitallire (muer de voix) ; aussi nomment-ils les jeunes gens de cet âge hirquitalli, parce que leur corps commence à sentir le bouc (hircus). Quant à la troisième époque, celle qui comprend les adolescents, les Grecs y ont distingué trois degrés, avant que l'adolescent passe à l'état d'homme : aussi l'appellent-ils παῖς (enfant) à quatorze ans, μελλέφηβος (futur pubère) à quinze, ἔφηβος (pubère) à seize, et εξέφηβος (ex-pubère) à dix-sept. Il y a encore, sur ces semaines, bien des choses à lire dans les écrits des médecins et des philosophes. De tout cela il résulte que, comme dans les maladies chaque septième jour est périlleux et pour cela même appelé critique, de même, dans tout le cours de la vie humaine, chaque septième année a ses crises et ses dangers ; ce qui la fait nommer climatérique. Encore, parmi ces années critiques, en est-il qui sont regardées par les astrologues comme l'étant plus que les autres : les plus à craindre et à observer, selon eux, sont celles qui ferment chaque période de trois semaines, c'est-à-dire la vingt et unième année, la quarante-deuxième, la soixante-troisième, et enfin la quatre-vingt-quatrième, qui est celle où Staséas a fixé le terme de la vie humaine. Plusieurs autres auteurs n'admettent qu'une année climatérique : cette année, la plus critique de toutes, est la quarante-neuvième, comme résultant de sept septénaires ; et cette opinion est suivie par la plupart des auteurs, lesquels regardent les nombres carrés comme exerçant la plus grande influence. Platon, enfin, le plus respectable des philosophes (n'en déplaise aux autres), a pensé que le terme de la vie humaine était un nombre carré, que ce nombre était le carré de neuf, ce qui fait quatre-vingt-un ans ; quelques-uns même ont admis l'un et l'autre nombre, c'est-à-dire 49 et 81, ajoutant que le plus petit s'appliquait aux enfants mis au monde pendant la nuit, et le plus grand aux enfants nés durant le jour. Plusieurs philosophes, mus par une autre idée, ont, à la faveur d'une distinction ingénieuse, dit que le nombre septénaire regardait le corps, et le novénaire l'âme ; que l'un, qui intéressait la santé du corps, était attribué à Apollon, et que l'autre l'était aux Muses, vu que les maladies de l'âme, qu'on appelle πάθη, sont souvent calmées et guéries par le secours de la musique. Aussi, distinguant trois années climatériques, ils ont fixé la première à quarante-neuf ans, la dernière à quatre-vingt-un, et la moyenne, celle qui tient des deux autres, à soixante-trois, d'autant qu'elle résulte de neuf semaines, ou de sept neuvaines d'années. Et, bien que celle-ci soit regardée par quelques personnes comme la plus critique, vu qu'elle intéresse le corps et l'âme, je la regarde, moi, comme moins importante que les autres. Car, si elle renferme en elle les deux nombres qui constituent celles-ci, elle n'est cependant le carré d'aucun d'eux ; et, tout en tenant de l'une et de l'autre, elle n'a pourtant l'influence ni de la première ni de la dernière : aussi n'a-t-elle été fatale qu'à bien peu d'hommes célèbres de l'antiquité. Je rencontre, dans ce cas, Aristote de Stagire; mais telle était, dit-on, la faiblesse naturelle de son tempérament, telles les infirmités qui souvent assaillirent son corps débile, et contre lesquelles il n'avait que sa force d'âme, qu'il est plus étonnant que ce philosophe ait vécu soixante-trois années, qu'il ne l'est que sa vie ne se soit pas étendu au delà.

XV. Époque de la mort de différents hommes célèbres.

Éloge des vertus de Q. Cerellius.

Aussi, vénérable Cerellius, puisque tu as passé, sans aucune incommodité, cette année que ton corps avait le plus à craindre, je redoute bien moins pour toi les autres années climatériques, d'autant qu'elles sont moins laborieuses. Je sais, d'ailleurs, que chez toi c'est beaucoup plutôt l'âme que le corps qui domine, et que les personnages qui ont eu cette organisation, n'ont jamais quitté la vie avant d'avoir atteint leur quatre-vingt unième année, qui, suivant Platon, est le terme légitime de la vie de l'homme, année qui fut aussi le terme de la sienne. C'est à cet âge que Denys d'Héraclée se priva de nourriture pour mourir, et que Diogène, par un excès contraire, étouffa sous le poids des aliments dont il s'était gorgé. Ératosthène aussi, ce savant à qui nous devons la mesure du monde, et le Platonicien Xénocrate, chef de l'ancienne Académie, ont atteint tous deux cette même année. Plusieurs même, triomphant par leur force d'âme des maladies de leur corps, ont dépassé cette limite : ainsi Carnéade, fondateur de la troisième Académie, appelée nouvelle ; ainsi Cléanthe, qui vécut quatre-vingt-dix-neuf ans accomplis ; ainsi Xénophane de Colophon, qui vécut plus de cent années ; ainsi Démocrite d'Abdère et Isocrate le Rhéteur, qui vécurent, dit-on, presque autant que Gorgias de Leontium, lequel est regardé comme ayant atteint l'âge le plus avancé, et qui est mort à cent huit ans. Que si ces disciples de la sagesse, soit par la force de leur âme, soit par une loi du destin, ont joui d'une longue vie, je ne désespère point que, vigoureux comme tu l'es et d'âme et de corps, une vieillesse encore plus longue ne te soit réservée. Parmi ces anciens sages, en effet, qui pourrions-nous trouver qui te soit supérieur en prudence, en tempérance, en justice, en grandeur d'âme? Qui d'entre eux, s'il était ici, ne reporterait sur toi l'éloge de toutes les vertus? qui d'entre eux rougirait de ne venir qu'après toi dans ce sublime panégyrique? Mais ce qui, suivant moi, est le plus digne de remarque, c'est que, quand presque aucun de ces sages, malgré leur excessive prudence, malgré leur éloignement des affaires de la république, n'a pu finir ses jours sans encourir quelques reproches, souvent même des inimitiés capitales ; toi, qui as rempli des fonctions municipales ; toi, que les honneurs du sacerdoce ont fait distinguer parmi les premiers de tes concitoyens ; toi, que la dignité de l'ordre équestre a élevé au-dessus du rang d'un habitant de province ; non-seulement tu n'as jamais encouru ni haine ni blâme, mais tu as su te concilier et l'amour et l'estime de tous. Quel membre de l'ordre illustre des sénateurs, quel citoyen pris dans les rangs plus modestes du peuple, n'a point recherché, n'a point envié l'honneur d'être connu de toi? Quel homme ou t'a vu, ou te connaît seulement de nom, qui ne te chérisse à l'égal d'un frère, ne te vénère comme un fils? Qui ne sait que la plus entière probité, qu'une fidélité à toute épreuve, qu'une bonté incomparable, qu'une modestie et une retenue sans égales, que toutes les vertus, enfin, qui distinguent l'humanité, se trouvent toutes réunies en ta personne, et à un tel degré encore, qu'il n'est pas possible de les célébrer dignement? Aussi ne m'étendrai-je pas davantage sur leur éloge. Je ne dirai rien non plus de ton éloquence, connue de tous les tribunaux de nos provinces, de tous les magistrats qui les président ; de cette éloquence qui a fait l'admiration de Rome entière et de nos temples les plus saints. Elle se recommande assez d'elle-même pour le présent et pour les siècles à venir.

XVI. De la durée (temps relatif) et du temps (temps absolu).

Maintenant donc, que le jour natal a été l'objet de cet écrit, je vais tâcher d'atteindre le but que je me suis proposé : je décrirai avec le plus de clarté possible le temps présent, celui où tu vis dans tout ton éclat, et cette description fera connaître clairement le jour où tu as reçu la naissance. Or, j'appelle temps relatif, non-seulement un jour, ou un mois, ou le cours d'une année, mais aussi ce que quelques auteurs nomment lustre, ou grande année, et ce que d'autres appellent un siècle. Quant au temps lui-même (temps absolu), qui est un et le plus compréhensif, j'ai peu de choses à en dire pour le présent. Son caractère, en effet, c'est l'immensité; de n'avoir ni commencement ni fin, parce qu'il a toujours été, que toujours il sera de la même manière, et qu'il ne se rapporte pas plus à un homme qu'à un autre. On peut l'envisager sous trois rapports : le passé, le présent et l'avenir. Au passé jamais de commencement ; à l'avenir jamais de fin ; quant au présent, temps intermédiaire, il est si court, si incompréhensible, qu'il n'admet qu'une étendue, et semble n'être tout au plus que le point de contact qui au passé rattache l'avenir. Il est si variable aussi, que jamais il ne ressemble à lui-même, et que tout ce qu'il embrasse, il l'arrache à l'avenir pour l'ajouter au passé. Comparés entre eux, ces temps, je parle du passé et de l'avenir, ne sont ni égaux, ni tels que l'un puisse être considéré comme plus court ou plus long que l'autre. Ce qui, en effet, n'a point de limites, n'est susceptible d'aucune mesure. Aussi n'essayerai-je point de mesurer le temps absolu ni par le nombre des années, ni par celui des siècles, ni par aucune espèce de division du temps fini : car tous ces termes de comparaison n'équivaudraient point, auprès du temps infini, à une seule heure d'hiver. Aussi, dans la revue que je vais faire des siècles passés, sans m'occuper de ces temps que les poètes ont nommés âge d'or, âge d'argent ou de tout autre nom, je prendrai pour point de départ la fondation de Rome, notre patrie commune.

XVII. Du siècle ; ce que c'est d'après la définition de divers auteurs ; ce que c'est d'après les Rituels des Étrusques ; ce qu'est le siècle des Romains ; de l'institution des jeux Séculaires, et de leur célébration jusqu'au temps des empereurs Septimius et M. Aurelius Antoninus ; du jour natal de Q. Cerellius.

Et comme on divise les siècles en naturels et civils, je parlerai d'abord des siècles naturels. Le siècle est la plus longue durée de la vie humaine : il a pour limites la naissance et la mort de l'homme ; aussi ceux qui ont pensé que l'espace de trente ans formait un siècle, me semblent s'être gravement trompés. Suivant Héraclite, en effet, ce laps de temps est appelé γενεὰ (génération), parce qu'il s'opère dans cet espace une révolution d'âge d'homme. Or, on donne ce nom de révolution d'âge d'homme à l'espace compris entre le moment où il reçoit la naissance et le moment où il la donne. Quant au nombre d'années qui compose une génération, il varie suivant les divers auteurs. Herodicus prétend qu'elle se forme de vingt-cinq années, Zénon de trente. Et quant à la durée du siècle, c'est une question qui, selon moi, n'a pas encore été suffisamment examinée. Bien des absurdités ont été débitées à cet égard par les poètes et même par les historiens grecs, quoique ceux-ci auraient dû, plus que les poètes, craindre de tant s'éloigner de la vérité; témoin Hérodote, dans lequel nous lisons qu'Arganthonius, roi des Tartessiens, a vécu cent cinquante années ; témoin Ephorus, suivant lequel les Arcadiens prétendaient que quelques-uns de leurs anciens rois avaient vécu trois cents ans. Tous ces récits me paraissent autant de fables, je les passe sous silence. Mais il y a pareille divergence même parmi les astrologues, qui cherchent la vérité dans l'inspection des astres et des signes astronomiques. Épigène fixe à cent douze ans la durée de la plus longue vie humaine ; Bérose la fixe à cent seize années ; d'autres ont prétendu qu'elle peut aller jusqu'à cent vingt ans, et même plus loin encore, suivant quelques auteurs. Il en est qui ont pensé que le terme de la plus longue vie n'était pas le même partout, mais qu'il variait dans chaque pays, suivant l'inclinaison du ciel vers l'horizon, ce qui s'appelle climat. Mais, bien que la vérité soit cachée dans les ténèbres, cependant les Rituels des Étrusques semblent indiquer ce que, pour chaque cité, l'on nomme siècles naturels ; suivant ces livres, en effet, voici comment s'établit le commencement de chaque siècle : partant du jour de la fondation des villes et des cités, on cherche, parmi ceux qui sont nés ce jour-là, celui qui a le plus longtemps vécu, et l'on assigne le jour de sa mort pour terme à la durée du premier siècle. On en fait autant à l'égard de ceux qui sont nés ce jour-là encore, et la mort de celui qui a le plus longtemps vécu marque la fin du deuxième siècle. De même encore pour tous les siècles suivants. Mais, dans leur ignorance de la vérité, les hommes ont pensé que certains prodiges apparaissaient, par lesquels les dieux avertissaient les mortels que chaque siècle était fini. Les Étrusques, vu leur science et leur habileté dans l'art des aruspices, après avoir observé ces prodiges avec attention, les ont consignés dans leurs livres. Aussi les Annales de l'Étrurie, écrites, comme Varron nous l'apprend, dans le cours du huitième siècle de cette nation, nous montrent-elles, et combien de siècles d'existence lui sont réservés, et combien il y en a d'écoulés, et par quels prodiges est marqué le terme de chacun d'eux. Ainsi nous y lisons que les quatre premiers siècles ont été de cent cinq années, le cinquième de cent vingt-trois, le sixième de cent dix-neuf, le septième d'autant, que le huitième est en train de s'écouler, et qu'il ne reste plus à s'accomplir que le neuvième et le dixième, après la révolution desquels disparaîtra le nom étrusque. Quant aux siècles des Romains, quelques auteurs pensent qu'on les distingue par les jeux Séculaires. Si cette opinion est vraie, la durée du siècle romain est incertaine ; car on ignore non-seulement à quels intervalles de temps ces jeux ont été célébrés autrefois, mais même à quels intervalles de temps ils doivent l'être. Ils devaient, en effet, l'être tous les cent ans, si l'on en croit non-seulement Valérius d'Antium et d'autres historiens, mais encore Varron, qui, dans son premier livre des Origines scéniques, s'exprime ainsi : « Comme plusieurs prodiges avaient lieu, et que le mur et la tour qui se trouvent entre la porte Colline et la porte Esquiline venaient d'être frappés de la foudre, les décemvirs, après avoir interrogé les livres Sibyllins, déclarèrent qu'il fallait, dans le Champ de Mars, célébrer en l'honneur de Pluton et de Proserpine les jeux Séculaires, et leur immoler des victimes noires ; et que ces jeux fussent renouvelés tous les cent ans. » On lit aussi au livre CXXXVI de Tite-Live : « La même année, César célébra avec une grande pompe les jeux Séculaires, qui, d'après l'usage reçu, se célèbrent tous les cent ans, c'est-à-dire à la fin de chaque siècle. » Ces jeux, au contraire, se célébraient tous les cent dix ans, si l'on en croit, soit les commentaires des quindécemvirs, soit les édits du divin Auguste; si bien qu'Horace, dans son épode en l'honneur des jeux Séculaires, a marqué ce temps par les paroles suivantes :

« Qu'une nouvelle carrière de dix fois onze années ramène parmi nous ces chants et ces jeux solennels, célébrés pendant trois jours de splendeur, et autant de nuits d'allégresse. »

Que si l'on déroule les annales des temps anciens, il en résultera bien plus d'incertitude encore. En effet, si l'on en croit Valérius d'Antium, c'est après l'expulsion des rois, et l'an de Rome 245, que Valérius Publicola aurait institué les premiers jeux Séculaires ; au contraire, suivant les commentaires des quindécemvirs, ils l'auraient été en l'an 298, sous le consulat de M. Valérius et de S. P. Verginius. Les seconds jeux ont eu lieu, selon Valérius d'Antium, l'an 305 de la fondation de Rome, et, d'après les commentaires des quindécemvirs, l'an 408, sous le deuxième consulat de M. Valérius Corvinus et sous celui de C. Pétilius. Les troisièmes ont eu lieu, d'après l'Antiate et Tite-Live, sous le consulat de P. Claudius Pulcher et de C. Junius Pullus, ou, comme on le voit dans les livres des quindécemvirs, en l'an 518, sous le consulat de P. Cornelius Lentulus et de C. Licinius Varus. Quant à l'année où furent célébrés les quatrièmes jeux, il y a trois opinions. L'Antiate, Varron et Tite-Live nous apprennent qu'ils eurent lieu en l'an 605 de la fondation de Rome, sous le consulat de L. Martius Censorinus et de M. Manilius ; mais Pison l'ex-censeur, Cn. Gellius et Cassius Hemina, qui vivait à cette époque, affirment qu'ils ont eu lieu trois années plus tard, l'an 608, sous le consulat de Cn. Cornelius Lentulus et de L. Mummius Achaïcus ; au contraire, d'après les commentaires des quindécemvirs, ils sont indiqués sous l'année 628, consulat de M. Emilius Lepidus et de L. Aurelius Orestès. Les cinquièmes jeux furent célébrés par César Auguste et par Agrippa, l'an 737, sous le consulat de C. Furnius et de C. Junius Silanus. Les sixièmes le furent par Tib. Claudius César, sous son quatrième consulat et sous le troisième de L. Vitellius, l'an de Rome 800. Les septièmes le furent par Domitien, sous son quatorzième consulat et sous celui de L. Minucius Rufus, en l'an 841. Les huitièmes furent célébrés par les empereurs Septimius et M. Aurelius Antoninus, sous le consulat de Cilon et de Libon, l'an de Rome 957. D'où l'on peut voir que ce n'est ni tous les cent ans, ni tous les cent dix ans, que ces jeux devaient être célébrés. Et quand bien même on aurait observé dans le passé l'une ou l'autre de ces périodes de temps, cela ne suffirait point toutefois pour qu'on se crût en droit d'affirmer que toujours les jeux Séculaires distinguassent la fin d'un siècle ; d'autant plus que, de la fondation de Rome jusqu'à l'expulsion des rois, il s'est écoulé deux cent quarante-quatre années, et qu'aucun auteur ne nous apprend que ces jeux aient eu lieu dans cet intervalle, qui, sans contredit, est plus long qu'un siècle naturel. Que si, trompé par la seule étymologie du mot, quelqu'un pensait que les siècles se distinguaient par les jeux Séculaires, qu'il sache que ces jeux peuvent avoir été nommés ainsi, parce que généralement chaque homme les voit célébrer une fois dans sa vie. C'est ainsi que, dans le langage habituel, on dit de beaucoup d'autres choses qui n'ont lieu que rarement, qu'on ne les voit qu'une fois dans un siècle.

Mais si nos ancêtres n'étaient point fixés sur le nombre d'années qui compose un siècle naturel, ils l'étaient sur la durée du siècle civil, qui, suivant eux, se composait de cent ans révolus ; témoin Pison, dans la septième annale duquel nous lisons ces mots : « Rome, dans la cinq cent quatre-vingt-seizième année de sa fondation, voit un nouveau siècle s'ouvrir sous le consulat qui précède immédiatement celui de M. Emilius, M. F. Lepidus, et C. Popilius, absent, consul pour la seconde fois. » Mais, dans la fixation de ce nombre de cent ans, nos ancêtres ont eu plusieurs motifs : d'abord, c'est qu'ils avaient observé que bon nombre de leurs concitoyens vivaient jusqu'à cet âge ; ensuite, c'est qu'ils voulurent, sur ce point, comme sur bien d'autres, imiter les Étrusques, dont les premiers siècles avaient été de cent années. Cela vient peut-être aussi de ce que rapportent Varron et l'astrologue Dioscoride, qu'à Alexandrie ceux qui ont l'habitude d'embaumer les morts pour les conserver, sont persuadés que l'homme ne peut vivre plus de cent ans, comme le prouve le poids du cœur de ceux qui, jouissant de la meilleure santé, sont passés de vie à trépas sans la moindre altération du corps. Et comme, à la suite de plusieurs pesées faites à différents âges, ils ont observé les accroissements et les pertes que chaque âge apporte avec lui, ils prétendent que le cœur, à un an, pèse deux drachmes ; à deux ans, quatre ; et qu'il augmente ainsi de deux drachmes par année jusqu'à cinquante ans ; puis, à partir de cet âge, où il pèse cent drachmes, chaque année lui en ôte deux ; d'où il résulte qu'à cent ans il ne pèse que ce qu'il pesait à un an, et que la vie ne peut point s'étendre au delà. Puis donc que le siècle civil des Romains est de cent années, on peut voir que c'est dans le dixième que se placent ton jour natal et son présent anniversaire. Quant au nombre de siècles réservés à la ville de Rome, ce n'est pas à moi qu'il appartient de le dire ; mais je ne puis taire ce que j'ai lu dans Varron, qui, au dix-huitième livre de ses Antiquités, nous apprend qu'il y eut à Rome un certain Vettius, célèbre dans l'art des augures, remarquable par son génie, et ne le cédant à aucun autre par sa science et son érudition ; et qu'il lui a entendu dire « que s'il faut ajouter foi à ce que nous rapportent les historiens, relativement aux augures et aux douze vautours qui ont signalé la fondation de Rome, puisque le peuple romain avait sain et sauf dépassé cent vingt ans, il parviendrait à douze cents années. »

XVIII. De la grande année selon les opinions de divers auteurs ; de plusieurs autres révolutions ; des olympiades ; des lustres, et des jeux Capitolins ; en quelle année ce livre a été composé.

Mais c'en est assez à propos du siècle ; maintenant je parlerai des grandes années, dont la longueur est si diverse, soit dans les pratiques des peuples, soit dans les traditions des auteurs, que les uns font consister la grande année dans la réunion de deux années solaires, les autres dans le concours de plusieurs milliers d'années. Je vais chercher à expliquer ces différences. Plusieurs anciennes cités de la Grèce, ayant remarqué que, pendant l'année qu'emploie le soleil à accomplir sa révolution, il y avait quelquefois treize levers de la lune, et que cela arrivait une fois tous les deux ans, ont pensé qu'à l'année solaire répondaient douze mois lunaires et demi ; elles établirent donc leurs années civiles de manière à ce que, par une intercalation, les unes se composassent de douze mois et les autres de treize, appelant année solaire chacune d'elles prise isolément, et grande année la réunion de deux année solaires. Et cet espace de temps était appelé triétéride, parce que l'intercalation d'un mois avait lieu à chaque troisième année, bien que cette révolution n'embrassât que deux ans, et ne fût en réalité qu'une diétéride ; c'est ce qui fait que les mystères célébrés une fois tous les deux ans, en l'honneur de Bacchus, sont nommés triétériques par les poètes. Ayant plus tard reconnu leur erreur, les anciens ont doublé cet espace de temps, et établi la tétraétéride, qui, parce qu'elle revenait à chaque cinquième année, fut nommée pentaétéride. Cette formation de la grande année par la réunion de quatre années solaires parut plus commode ; car, l'année solaire se composant de trois cent soixante-cinq jours et un quart environ, cette fraction permettait d'ajouter, tous les quatre ans, un jour plein à la quatrième année. Voilà pourquoi, au retour de chaque quatrième année, on célèbre des jeux dans l'Élide en l'honneur de Jupiter Olympien, et à Rome, en l'honneur de Jupiter Capitolin. Ce temps, aussi, qui semblait ne répondre qu'au cours du soleil, et non à celui de la lune, fut encore doublé, et l'on établit l'octaétéride, qu'on appela ennéaétéride, parce qu'elle reparaissait à chaque neuvième année ; et cet espace de temps fut considéré, par presque toute la Grèce, comme la véritable grande année, parce qu'elle résulte d'un nombre d'années naturelles sans fraction, comme cela doit avoir lieu pour toute grande année. Celle-ci, en effet, se composait de quatre-vingt-dix-neuf jours pleins et huit années naturelles aussi sans fraction. L'institution de cette octaétéride est généralement attribuée à Eudoxe de Cnide; mais c'est à Cléostrate de Ténédos qu'appartient, dit-on, l'honneur de l'avoir inventée. Ainsi ont fait Harpalus, Nautélès, Mnésistrate, et d'autres encore, parmi lesquels Dosithée, dont le travail a pour titre : l'Octaétéride d'Eudoxe. De là vient qu'en Grèce on célèbre, avec grande cérémonie, plusieurs fêtes religieuses après cette période de temps. A Delphes, aussi, les jeux qu'on appelle Pythiques étaicelle célébrés autrefois tous les huit ans. La grande année qui se rapproche le plus de celle-ci est la dodécaétéride, formée de douze années solaires. On l'appelle année chaldaïque : les astrologues de la Chaldée l'ont réglée non sur le cours du soleil et de la lune, mais d'après d'autres observations ; parce qu'il ne faut pas moins, disent-ils, que cette révolution de temps pour embrasser les diverses saisons, les époques d'abondance, de stérilité, et de maladies. Il y a encore plusieurs autres grandes années, tells que l'année métonique, composée de dix-neuf années solaires, par Méton d'Athènes : aussi l'appelle-t-on ennéadécaétéride ; on y intercale sept mois, et l'on y trouve six mil neuf cent quarante jours. On distingue aussi l'année du pythagoricien Philolaüs, formée de cinquante-neuf années solaires, avec l'intercalation de vingt et un mois ; puis celle de Démocrite, formée de quatre-vingt-deux ans, à la faveur de vingt-huit mois intercalaires ; puis encore celle d'Hipparque, composée de trois cent quatre ans, avec l'intercalation de cent douze mois. Cette différence de longueur des grandes années tient à ce que les astrologues ne sont pas d'accord sur le point de savoir ni la fraction qu'il faut ajouter aux trois cent soixante-cinq jours de l'année solaire, ni ce qu'il faut ôter aux trente jours du mois lunaire. Les Égyptiens, dans la formation de leur grande année, n'ont aucun égard à la lune appelée par les Grecs κυνικὸς, par les Latins canicularis, par la raison qu'elle commence avec le lever de la canicule, le premier jour du mois que les Égyptiens appellent thoth. En effet, leur année civile n'a que trois cent soixante-cinq jours, sans aucune intercalation. Aussi l'espace de quatre ans est-il, chez eux, plus court d'un jour environ que l'espace de quatre années naturelles ; ce qui fait que la correspondance ne se rétablit qu'à la quatorze cent soixante et unième année. Cette année est aussi appelée par quelques-uns héliaque, et par d'autres l'année de Dieu. Il y a encore l'année nommée par Aristote suprême, plutôt que grande, et que forment les révolutions du soleil, de la lune et des cinq étoiles errantes, lorsque tous ces astres sont revenus au point d'où ils étaient partis. Cette année a un grand hiver, appelé par les Grecs καταλυσμὸς, c'est-à-dire déluge ; puis, un grand été, nommé ἐκπύρωσις, ou incendie du monde. Le monde, en effet, semble être tour à tour inondé ou embrasé à chacune de ces époques. Cette année, d'après l'opinion d'Aristarque, se compose de deux mille quatre cent quatre-vingt-quatre années solaires. Arétès de Dyrrachium la fait de cinq mille cinq cent cinquante-deux années ; Héraclite et Linus, de dix mille huit cents ; Dion, de dix mille huit cent quatre-vingt-quatre ; Orphée, de cent mille vingt années ; Cassandre, de trois millions six cent mille. D'autres enfin ont considéré cette année comme infinie, et ne devant jamais recommencer. Mais de tous ces intervalles de temps, le plus en usage chez les Grecs est la pentaétéride, ou période de quatre ans, qu'ils appellent olympiade ; et maintenant ils se trouvent dans la seconde année de leur deux cent cinquante-quatrième olympiade. La grande année des Romains est la même chose que l'intervalle de temps qu'ils ont appelé lustre. Son institution date de Servius Tullius, et s'applique à chaque période de cinq années, au bout desquelles se faisait le cens des citoyens. Mais cela fut changé plus tard ; car, du premier lustre fermé par le roi Servius, jusqu'à celui qui le fut par l'empereur Vespasien, consul pour la cinquième fois, et par César sous son troisième consulat, on compte presque six cent cinquante ans, et pourtant il n'y a eu dans ce laps de temps que soixante-quinze lustres ; et depuis cette époque même il n'en a plus été question. Cependant on n'a point perdu de vue la grande année ; mais c'est par les jeux Capitolins qu'on a commencé à l'observer plus attentivement. Ces jeux furent pour la première fois célébrés par Domitien, sous son douzième consulat et sous celui de Ser. Cornelius Dolabella. Ainsi les jeux qui ont été célébrés cette année, sont les trente-neuvièmes à partir de l'institution. Mais c'en est assez pour ce qui regarde les grandes années ; c'est à présent le moment de parler des années naturelles.

XIX. Des années naturelles de diverses nations.

L'année naturelle est le temps qu'emploie le soleil, après avoir parcouru les douze signes, à revenir au point d'où il était parti. Quant au nombre de jours dont elle se compose, c'est un point que les astrologues n'ont pu encore fixer d'une manière certaine. L'année naturelle a, suivant Philolaüs, trois cent soixante-quatre jours et demi ; et, suivant Aphrodisius, trois cent soixante-cinq jours et un huitième. Callippe la forme de trois cent soixante-cinq jours, de même qu'Aristarque de Samos, qui pourtant y ajoute un seize cent vingt-troisième. Suivant Méton, elle en a trois cent cinquante-cinq, et, en outre, la dix-neuvième partie de cinq jours ; suivant Œnopide, elle en a trois cent soixante-cinq, plus la cinquante-neuvième partie de vingt-deux jours. Harpalus lui donne trois cent soixante-cinq jours et treize heures équinoxiales ; Ennius, notre compatriote, la compose de trois cent soixante-six jours. Au reste, la plupart des auteurs l'ont considérée comme quelque chose d'incompréhensible et d'indéterminable ; et, prenant pour la vérité ce qui en approchait le plus, ils ont formé de trois cent soixante-cinq jours l'année naturelle.

En présence de ce désaccord des hommes les plus savants, peut-on bien s'étonner de ce que les années civiles, établies par chaque cité grossière encore, diffèrent autant les unes des autres qu'elles se rapportent peu à cette année naturelle? Ainsi, en Égypte, dans les temps les plus reculés, on assure que l'année se composait de deux mois ; et que, plus tard, le roi Ison la fit de quatre ; qu'enfin Arminos la composa de treize mois et cinq jours. De même, en Achaïe, les Arcadiens passent pour avoir eu d'abord des années de trois mois, ce qui les fit nommer προσέληνοι, non pas, comme quelques-uns l'imaginent, qu'ils aient existé avant que la lune fût au ciel avec les autres astres, mais parce qu'ils ont compté par années, avant que l'année en Grèce eût été réglée sur le cours de la lune. Suivant quelques auteurs, c'est à Horus que serait due l'institution de cette année trimestrielle ; et c'est pour cela que le printemps, l'été, l'automne et l'hiver sont appelés ὧραι (saisons), l'année ὧρος, les annales grecques ὧροι, et leurs auteurs ὡρογράφοι. Et l'espace de quatre ans révolus, en manière de pentaétéride, était ce qu'ils appelaient grande année. Quant aux peuples de la Carie et de l'Acarnanie, ils eurent des années semestrielles, et différant l'une de l'autre en ce sens, que dans la première les jours croissaient, et que dans la suivante ils décroissaient ; et l'espace de deux ans révolus, en forme de triétéride, était pour eux la grande année.

XX. De l'année naturelle des Romains ; des diverses corrections qu'elle a subies ; des mois et des jours intercalaires ; des jours de chaque mois ; des années juliennes.

Mais sans plus m'occuper de ces années que recouvrent les ténèbres de la plus haute antiquité, et ne m'attachant qu'a celles qui sont plus près de nous, et qui ont été réglées d'après le cours de la lune ou du soleil, je dirai que, pour voir combien elles diffèrent les unes des autres, on n'a qu'à ouvrir les annales, non point des nations étrangères, mais seulement des différents peuples de l'Italie. Car, de même que les Férentins, les Laviniens, les Albains et les Romains avaient chacun une année qui leur était propre, de même les autres États avaient la leur. Tous cependant se proposèrent de corriger leurs années civiles à l'aide de diverses intercalations de mois, et de les régler sur cette vraie année naturelle. Mais comme il serait trop long de parler à ce sujet de tous ces peuples, je passerai à l'année des Romains.

Licinius Macer et, après lui, Fenestella ont écrit que l'année naturelle des Romains a été tout d'abord de douze mois ; mais il faut plutôt s'en rapporter à Junius Gracchanus, à Fulvius, à Varron, à Suétone et aux autres auteurs, qui pensent qu'elle était de dix mois seulement, comme l'était alors celle des Albains, d'où sont sortis les Romains. Ces dix mois se composaient de trois cent quatre jours, comme suit :

Mars                                                  31,

Avril                                                  30,

Mai                                                    31,

Juin                                                    30,

Quintilis (juillet)                                31,

Sextilis (août) et septembre               30,

Octobre 31, novembre et décembre 30

dont les quatre plus longs étaient appelés pleins, et les six autres, incomplets.

Plus tard, Numa, comme nous l'apprend Fulvius, ou Tarquin, si l'on en croit Junius, forma l'année de douze mois et de trois cent cinquante-cinq jours, bien que la lune, dans le cours de ses douze mois, parût n'embrasser que trois cent cinquante-quatre jours seulement. Quant à cette différence d'un jour en plus, elle est due ou à un défaut d'attention, ou plutôt, suivant moi, à ce préjugé superstitieux d'après lequel le nombre impair était considéré comme parfait et plus heureux. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'à l'ancienne année on ajouta cinquante et un jours ; et comme ce nombre ne pouvait compléter deux mois, on ôta un jour à chacun de ces six mois appelés imparfaits, et, l'ajoutant aux cinquante et un jours nouveaux, on en obtint cinquante-sept, avec lesquels on forma les deux mois de janvier et de février, dont le premier eut vingt-neuf jours, et le second vingt-huit. C'est ainsi qu'à partir de cette époque tous les mois furent parfaits et composés d'un nombre de jours impair, à l'exception de février, qui seul demeura imparfait, et fut par cela même regardé comme plus malheureux. Enfin, quand on crut devoir ajouter, tous les deux ans, un mois intercalaire de vingt-deux ou de vingt-trois jours, pour que l'année civile fût égale à l'année naturelle, cette intercalation se fit en février de préférence, entre les Terminales et le Regifugium ; et cet état de choses dura pendant bien du temps, avant que l'on ne s'aperçût que les années civiles étaient un peu plus longues que les naturelles. Pour corriger cette inexactitude, on s'adressa aux pontifes à qui l'on confia le soin de faire, comme ils l'entendraient, l'intercalation. Mais la plupart d'entre eux, ne cherchant, par haine ou par sympathie, qu'à abréger ou à prolonger l'exercice de tel magistrat, et à constituer en gain ou en perte tel fermier de l'impôt, d'après le plus ou moins de durée de l'année, intercalèrent plus ou moins, sans autre règle que leurs caprices, et achevèrent de corrompre une chose qu'on leur avait donnée à corriger. Et tel fut le résultat de cette confusion, que C. César, souverain pontife, voulant, sous son troisième consulat et sous celui de M. Emilius Lepidus, revenir sur cette erreur et la réparer, dut placer entre le mois de novembre et celui de décembre deux autres mois intercalaires de soixante-sept jours, bien qu'il eût déjà intercalé vingt-trois jours en février ; ce qui fit que cette année fut de quatre cent quarante-cinq jours. Il pourvut en même temps à ce que pareille erreur ne se présentât plus à l'avenir ; car, ayant supprimé le mois intercalaire, il établit l'année civile d'après le cours du soleil. Pour cela, aux trois cent cinquante-cinq jours qui composaient l'année, il en ajouta dix, qu'il répartit entre les sept mois de vingt-neuf jours, de manière à ce que janvier, août et décembre en prissent deux, et les autres un seulement ; et ces jours supplémentaires ne furent placés qu'à la fin du mois, pour que les fêtes religieuses de chaque mois y conservassent leur date. Et voilà pourquoi, aujourd'hui, bien que nous ayons sept mois de trente et un jours, il en est quatre qui, grâce à cette institution, se distinguent des autres en ce sens, que, pour ces quatre mois, les nones tombent le 7, tandis que, pour les autres, elles tombent le 5. Enfin, pour tenir compte du quart de jour qui paraissait devoir compléter l'année réelle, César ordonna qu'après chaque révolution de quatre années, on ajoutât, après les Terminales, au lieu de l'ancien mois, un jour intercalaire, qui est celui que nous appelons bissextile. A partir de cette année ainsi organisée par Jules César, toutes celles qui l'ont suivie jusqu'à nous sont appelées juliennes, et elles datent du quatrième consulat de César. Et si elles n'ont pas atteint la dernière perfection, elles sont les seules, du moins, qui coïncident avec l'année réelle. Car les anciennes années, en y comprenant même celles de dix mois, en différaient non-seulement à Rome ou dans l'Italie toute entière, mais encore chez tous les peuples ; et l'on a dû chercher à les régler, autant que possible, sur une seule et même base. Aussi quand nous parlerons d'un nombre d'années quelconque, qu'on sache que nous parlons d'années naturelles ; et si l'origine du monde était parfaitement connue des hommes, c'est elle seulement que nous prendrions pour point de départ.

XXI. Des temps historiques, incertains et fabuleux ; époque des empereurs ; ère égyptienne ; indication du temps auquel Censorinus a écrit cet ouvrage.

Je vais maintenant parler de cet espace de temps que Varron appelle historique. Cet auteur, en effet, divise les temps en trois périodes : la première va de l'origine des hommes au premier déluge ; il l'appelle ἄδηλον (incertaine), à cause des ténèbres qui la couvrent ; la seconde part du premier déluge, et s'arrête à la première olympiade ; et comme on y rencontre une foule de récits fabuleux, il la nomme mythique ; la troisième va de la première olympiade jusqu'à nous ; il l'appelle historique, parce que les principaux faits qui s'y sont passés nous sont rapportés par de vrais historiens. Quant à la première, qu'elle ait eu ou non un commencement, jamais on ne pourra dire de combien d'années elle se compose. On ne sait point au juste combien d'années a embrassées la seconde ; mais on croit cependant qu'elle a été de mille six cents ans environ. Du premier déluge, en effet, que l'on nomme déluge d'Ogygès, jusqu'au règne d'Inachus, on compte environ quatre cents années ; de là jusqu'à la première olympiade, on en compte un plus de quatre cents. Et comme celles-ci, bien qu'appartenant à la fin de l'époque mythique, se rapprochaient plus que les autres de l'âge des écrivains, quelques-uns ont cherché à en préciser le nombre d'une manière plus exacte. Ainsi Sosibius en fixe le nombre à trois cent quatre-vingt-quinze ; Ératosthène, à quatre cent sept ; Timée, à quatre cent dix-sept ; Arétès, à cinq cent quatorze. D'autres chiffres encore ont été présentés par différents auteurs ; mais leur désaccord même prouve assez que ce nombre d'années est incertain. Quant à la troisième époque, il y eut bien entre les auteurs une divergence de six ou sept années sur son étendue ; mais cette incertitude a été pleinement dissipée par Varron, qui, doué de la plus rare sagacité, parvint, en remontant l'échelle des temps de chaque cité, en se reportant aux éclipses et en calculant leurs intervalles, parvint, dis-je, à faire jaillir la vérité, et à répandre sur ce point une telle lumière, qu'on peut aujourd'hui préciser non pas seulement le nombre d'années, mais même le nombre de jours de cette époque. D'après ses calculs, si je ne me trompe, l'année où nous sommes, et dont le consulat d'Ulpius et de Pontianus est comme l'indice et la titre, est, si l'on part de la première olympiade, la mille quatorzième année, à dater des jours d'été pendant lesquels on célèbre les jeux Olympiques ; et, si l'on part de la fondation de Rome, c'est l'an 991, à dater des Parilies, fête d'où l'on part pour compter les années de la ville. Si, au contraire, l'on compte par années juliennes, c'est l'an 283, à partir des calendes de janvier, époque à laquelle Jules César voulut que commençât l'année qu'il avait établie. Si l'on compte par les années dites des empereurs, c'est l'an 265, à partir aussi des calendes de janvier, bien que ce ne soit que le 16 des calendes de février que, sur la proposition de L. Munatius Plancus, le sénat et le reste des citoyens aient donné le nom d'Augustus imperator à César Octavianus, fils du divin César, consul alors pour la septième fois avec M. Vipsanius Agrippa, qui l'était pour la troisième. Quant aux Égyptiens, comme à cette époque ils étaient depuis deux ans déjà sous la puissance et l'autorité du peuple romain, la présente année est pour eux l'an 267 des empereurs. Aussi bien l'histoire de l'Égypte, comme la nôtre, a-t-elle donné lieu à différentes ères : c'est ainsi qu'on distingue l'ère de Nabonassar, ainsi nommée parce que cette série d'années, qui a atteint aujourd'hui le chiffre de 986, date du commencement du règne de ce prince ; puis l'ère de Philippe, qui, partant de la mort d'Alexandre le Grand et se continuant jusqu'au jour où nous sommes, embrasse cinq cent soixante-deux ans. Mais ces diverses années des Égyptiens commencent toujours au premier jour du mois qu'ils appellent thoth ; jour qui, cette année, correspondait au 7 des calendes de juillet, tandis que, il y a cent ans, sous le second consulat de l'empereur Antonin le Pieux et sous celui de Bruttius Praesens, ce jour répondit au 12 des calendes d'août, époque ordinaire du lever de la canicule en Égypte. D'où l'on peut voir que nous sommes aujourd'hui dans la centième année réelle de cette grande année, qui, comme je l'ai dit plus haut, est appelée solaire, caniculaire, année de Dieu. J'ai dû indiquer à quelle époque commencent ces années, pour empêcher qu'on ne pensât qu'elles commençaient toujours aux calendes de janvier, ou à quelque autre jour semblable ; car, sur la question des diverses ères, on ne remarque pas moins de divergence dans les volontés de leurs fondateurs que dans les opinions des philosophes. Aussi les uns font-ils commencer l'année naturelle au lever du soleil nouveau, c'est-à-dire en hiver, les autres au solstice d'été, plusieurs à l'équinoxe de printemps, les autres à l'équinoxe d'automne, ceux-ci au lever, ceux-là au coucher des Pléiades, d'autres enfin au lever de la Canicule.

XXII. Des mois naturels et civils des différentes nations ; de leurs noms et de l'origine de ces noms.

Il y a deux genres de mois : les uns naturels, les autres civils. Les mois naturels se divisent, à leur tour, en solaires et en lunaires : le mois solaire est le temps qu'emploie le soleil à parcourir chaque signe du zodiaque ; le mois lunaire est le temps qui sépare une lune de l'autre. Les mois civils sont certaines séries de jours observées par chaque cité d'après ses institutions : ainsi, chez les Romains, c'est celui qui va de calendes à calendes. Les mois naturels sont plus anciens, et communs à toutes les nations. Les mois civils sont d'une institution plus récente, et particuliers à chaque cité. Les mois célestes, soit solaires ou lunaires, ne sont point entre eux d'égale longueur, et ne se composent pas de jours pleins. Le soleil, en effet, reste dans le Verseau vingt-neuf jours environ ; dans les Poissons, environ trente jours ; dans le Bélier, trente et un ; dans les Gémeaux, tout près de trente-deux, et ainsi dans les autres signes inégalement. Mais s'il ne reste pas dans chacun d'eux un nombre de jours pleins, il n'en répartit pas moins entre ses douze mois sa révolution annuelle, qui embrasse trois cent soixante-cinq jours et je ne sais quelle fraction inconnue encore des astrologues. De leur côté, les mois lunaires se forment chacun de vingt-neuf jours et demi environ ; mais ces mois aussi ne sont point toujours égaux entre eux : il en est de plus longs, il en est de plus courts. Quant aux mois civils, le nombre de jours qui les composent varie plus encore ; mais partout ces jours sont entiers. Chez les Albains, mars a trente-six jours ; mai, vingt-deux ; sextilis, dix-huit ; septembre, seize. A Tusculum, quintilis a trente-six jours ; octobre, trente-deux. Ce même mois d'octobre a trente-neuf jours chez les habitants d'Aricie. Ceux-là paraissent s'être le moins abusés, qui ont réglé leurs mois civils d'après le cours de la lune, comme la plupart des habitants de la Grèce, chez qui les mois ont alternativement trente jours. Nos ancêtres avaient suivi la même base, alors que leur année était de trois cent cinquante-cinq jours ; mais le divin César, voyant qu'avec ce calcul nos mois ne correspondaient qu'imparfaitement au cours de la lune, et notre année point du tout au cours du soleil, aima mieux corriger l'année, de manière à ce que chacun des mois coïncidât avec chacun des mois solaires ; et que, dans le cas même où quelques-uns n'y correspondraient qu'imparfaitement, pris dans leur ensemble, ils coïncidassent nécessairement avec la fin de l'année naturelle. Si nous en croyons Fulvius et Junius, c'est Romulus qui donna leurs noms aux dix anciens mois : nommant les deux premiers du nom même de ses parents, il appela l'un, mars, du nom de Mars, son père ; et le second, avril, du mot Aphrodite, c'est-à-dire Vénus, de laquelle ses ancêtres passaient pour être descendus. Les noms des deux mois suivants sont empruntés aux classes du peuple : mai vient du mot majores (les vieillards), et juin du mot juniores (la jeunesse). Les autres mois tirent leurs noms de l'ordre et du rang qu'ils occupent dans l'année, depuis quintilis jusqu'à décembre. Varron, au contraire, pense que les Romains ont emprunté aux Latins les noms de leurs mois. Il démontre assez spécieusement que les inventeurs de ces noms sont plus anciens que la ville de Rome. Ainsi le premier mois aurait bien été appelé mars du nom du dieu Mars, mais parce que les Latins sont un peuple belliqueux, et non parce que Mars était père de Romulus. Avril ne tirerait pas son nom d'Aphrodite, mais du verbe latin aperire; parce que, dans ce mois, tout pousse sur la terre, et que la nature ouvre son sein pour en faire sortir toutes les productions. Mai ne viendrait point de majores, mais bien de Maïa, parce que, dans ce mois, tant à Rome qu'autrefois dans le Latium, on sacrifie à Maïa et à Mercure. Juin viendrait plutôt de Junon que de juniores, parce que c'est dans ce mois surtout que l'on honore Junon. Quintilis serait appelé ainsi, parce que c'était le cinquième mois de l'année des Latins ; de même de sextilis et des autres mois jusqu'à décembre, tirant tous leur nom du rang qu'ils occupaient dans l'année. Il reconnaît, du reste, que janvier et février ont été ajoutés depuis, mais que leurs noms viennent du Latium ; qu'ainsi le nom de janvier lui vient de Janus, auquel ce mois est consacré; celui de février, de februum. Or, on appelle februum tout ce qui expie et qui purifie ; et februamenta, toutes purifications ; de même februare signifie purger, purifier. Quant au mode lui-même du februum, il n'est point toujours et partout semblable. La fébruation, en effet, c'est-à-dire la purification, varie suivant la nature des sacrifices. Pendant les Lupercales et les cérémonies de la purification de la ville, qui ont lieu dans ce mois, on porte du sel chaud, qu'on appelle februm. De là vient que le jour des Lupercales est appelé proprement februatus, et que ce mois a pris le nom de février. De ces douze mois, deux seulement ont changé de nom : car celui qu'on appelait quintilis fut depuis appelé juillet, sous le cinquième consulat de C. César et sous celui de M. Antonius, pendant la seconde année julienne ; et celui qu'on appelait sextilis fut, d'après un sénatus-consulte qui eut lieu sous le consulat de Marcius Censorinus et de C. Asinius Gallus, nommé août, en honneur d'Auguste, pendant la vingtième année des empereurs. Et ces noms leur ont toujours été maintenus jusqu'à présent. Dans la suite plusieurs princes ont substitué leur propre nom à celui des mois ; mais les anciens noms des mois leur furent rendus ou par ces princes eux-mêmes de leur vivant, ou par le peuple après leur mort.

XXIII. Des jours, et de leur observation chez les différents peuples ; des cadrans solaires et des clepsydres.

Il me reste à dire quelques mots sur le jour, qui, comme le mois et l'année, est ou naturel ou civil. Le jour naturel est le temps qui s'écoule entre le lever et le coucher du soleil. Et, par contre, la nuit embrasse le temps qui va du coucher au lever de cet astre. Le jour civil, au contraire, est l'intervalle de temps que met le ciel à accomplir sa révolution quotidienne, ce qui embrasse la jour et la nuit réelle. C'est en ce sens que nous disons de tel enfant qu'il n'a vécu que trente jours ; il est bien entendu que les nuits aussi sont comprises dans cet intervalle. Le jour a été, par les astrologues et les peuples, délimité de quatre manières différentes : ainsi les Babyloniens le fixent d'un lever à l'autre du soleil ; les peuples de l'Ombrie le calculent d'un midi au midi suivant ; les Athéniens, d'un coucher du soleil à l'autre ; et les Romains, de minuit à minuit : témoin les sacrifices publics et les auspices mêmes des magistrats, dans lesquels on attribue au jour qui vient de finir tout ce qui a pu être fait avant minuit, et au jour suivant tout ce qui a été fait après minuit, même avant le lever du jour : témoin encore l'usage qui fait que les hommes nés dans le cours des vingt-quatre heures qui séparent un minuit de l'autre, sont réputés nés tous le même jour. La division du jour et de la nuit en douze heures chacun n'est ignorée de personne ; mais je pense que cette division n'a été observée à Rome qu'après l'invention des cadrans solaires. Dire quel a été le plus ancien cadran, serait chose bien difficile ; des auteurs disent, en effet, que le premier cadran solaire a été établi près du temple de Quirinus ; d'autres le placent dans le Capitole; quelques-uns dans le temple de Diane, sur le mont Aventin. Ce qu'il y a d'assez certain, c'est qu'aucun cadran ne fut établi dans le Forum, avant celui que Valérius rapporta de la Sicile et qu'il fit placer sur une colonne près des Rostres. Mais comme, réglé d'après le climat de la Sicile, il ne coïncidait point avec les heures de Rome, L. Philippus, censeur, en établit un autre près de celui-ci ; puis, quelque temps plus tard, le censeur P. Cornelius Nasica fit, au moyen de l'eau, une clepsydre, qui elle aussi fut appelée solarium, du nom même du soleil auquel les heures doivent leur naissance. Que les heures aient été inconnues à Rome pendant au moins trois cents ans, c'est un fait prouvé par les Douze-Tables, où pas une seule fois l'on ne trouve le mot heure, comme dans les autres lois qui suivirent, mais bien les mots ante meridiem, par la raison, sans doute, qu'alors le jour se divisait en deux parties, séparées par ce que nous appelons aujourd'hui meridies. D'autres divisent le jour, et la nuit même, en quatre parties : témoin la division du temps usitée dans la langue militaire, où l'on parle de première, seconde, troisième et quatrième veille.

XXIV. Des diverses parties des jours romains, et des noms qui sont propres à chacune d'elles.

La nuit et le jour ont encore plusieurs autres divisions, ayant chacune un nom qui leur est particulier, et qu'on rencontre çà et là dans les ouvrages des anciens poètes ; je vais les rappeler chacune dans son ordre. Je commencerai par le media nox (minuit), puisque c'est le point de départ et le terme du jour civil chez les Romains. Le temps qui se rapproche le plus de ce point est appelé de media nocte; vient ensuite le gallicinium, moment où le coq commence à se faire entendre ; puis le conticinium, moment où il cesse de chanter ; puis le temps appelé ante lucem, et encore diluculum, quand il fait déjà jour, sans pourtant que le soleil soit levé. Le mane (matin) vient ensuite, quand le soleil commence à poindre ; puis le temps nommé ad meridiem (l'avant-midi) ; puis le meridies, ou le milieu du jour ; puis le temps nommé de meridie (l'après-midi) ; puis le moment appelé suprema, bien que plusieurs auteurs pensent que ce moment n'a lieu qu'après le coucher du soleil, parce qu'on trouve dans les Douze-Tables : SOL. OCCASUS. SUPREMA. TEMPESTAS. ESTO. Mais, plus tard, M. Pletorius, tribun du peuple, fit un plébiscite où il est écrit : PRAETOR. URBANUS. QUI. NUNC. EST. QUIQUE. POST. HAC. FUAT. DUOS. LICTORES. APUD. SE. HABETO. ISQUE. USQUE. AD. SUPREMAM. JUS. INTER. CIVIS. DICITO. Après ce moment vient le vespera (le soir), qui précède immédiatement le lever de l'étoile que Plaute appelle vesperugo, Ennius vesper, et Virgile hesperon. Puis vient le crepusculum, ainsi appelé, peut-être, parce qu'on nomme creperae les choses incertaines, et qu'on ne saurait dire si ce moment appartient au jour ou à la nuit. Vient ensuite le moment que nous nommons luminibus accensis, et que les anciens appelaient prima face; puis le concubium, instant de se coucher ; puis l'intempesta nox, c'est-à-dire nuit avancée, moment où tout travail serait intempestif ; puis enfin l'instant appelé ad mediam noctem, après quoi revient le media nox.