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AVIENUS.

LES RÉGIONS MARITIMES

Numérisé et mis en page par Thierry Vebr

Avienus, Rufus Festus
  Description de la Terre  ; Les régions maritimes  ; Phénomènes et pronostics d'Aratus, et pièces diverses
trad. par MM. E. Despois et Ed. Saviot,
.... Itinéraire de Cl. Rutilius Numatianus, poème sur son retour à Rome
 trad. nouv par M. E. Despois,....
Poésies diverses sur l'astronomie et la géographie
trad. par M. Edouard Saviot,..
 C. L. F. Panckoucke, 1843 (Bibliothèque latine-française ; seconde série)

 

Je rappelais à mon coeur et à mon esprit, que tu m'as souvent demandé Probus, comment les régions de la mer de Tauride peuvent être connues d'une manière presque certaine par les étrangers relégués aux extrémités de la terre ; et dans cette pensée j'ai entrepris ce travail avec joie, afin que mon poème t'éclairât sur ce que tu désires. J'ai cru qu'il ne m'était pas permis de rester plus longtemps sans te faire connaître la description de ce pays, à laquelle une lecture particulière des livres anciens et une étude de tous les jours de ma vie m'avaient initié ; car refuser à autrui une grâce qui ne vous nuit en rien, c'est, à mon avis, de la grossièreté et de la dureté. J'ajoute que tu m'es cher comme me tenant lieu d'enfant et m'étant uni par le sang ; motifs qui ne suffiraient pas, si je ne te connaissais pour t'être toujours largement abreuvé aux sources des lettres et des sciences, avec un coeur avide, avec une vaste intelligence ; si je ne savais la soif continuelle qui dévore ton âme, et combien tu l'emportes sur tous à retenir ce qui t'est confié pourquoi verserais-je inutilement les trésors de la science à un esprit qui ne les saurait contenir ? Pourquoi fatiguer par des vérités profondes des oreilles indifférentes ? Ainsi bien des raisons, Probus, m'ont déterminé à satisfaire à tes instances. J'ai pensé, de plus, que je remplirais un devoir de père, si ma Muse te dispensait ses faveurs avec une richesse et une profusion qui dépassassent tes désirs. Donner ce qu'on demande est d'un homme qui n'est pas avare ; mais ajouter au présent une grâce imprévue, voilà qui part d'un esprit bienveillant et libéral. Tu m'as demandé, s'il t'en souvient, où est située la région du Palus-Méotide. Je savais que Salluste avait traité cette question ; je reconnaissais qu'il avait pris pour guides tous les auteurs d'une autorité éprouvée : c'est pourquoi, à la description brillante dans laquelle ce peintre si expressif et si vrai a mis, pour ainsi dire, sous les yeux la forme et l'image des lieux par le charme de son style, nous avons joint une foule de documents empruntés aux ouvrages d'un grand nombre d'écrivains. Car on y trouvera Hécatée de Milet, Hellanicus de Lesbos, Philéas d'Athènes, Scylax de Caryandée, Pausimaque qu'enfanta l'antique Samos, Damastes issu de la noble Sigé, Bacorus né à Rhodes, Euctémon qui habita Athènes, Cléon de Sicile, Hérodote lui-même, colon de Thurium, enfin cette gloire de l'éloquence, l'Athénien Thucydide.Probus, chère partie de mon coeur, tu verras ici toutes les îles qui s'élèvent au milieu de la mer : je veux dire cette mer qui part du détroit ouvert entre deux mondes, et qui, des eaux de Tartessus et des flots de l'Atlantique, fait rouler jusqu'au sein des mers lointaines notre Méditerranée. Je te montrerai les golfes arrondis, les promontoires ; comment un rivage s'étale le long de la mer, et comment des collines s'avancent au loin dans le sein des eaux ; comment des villes élevées sont baignées par les ondes ; quelles sources enfantent les grandes rivières ; par quelle pente les fleuves, descendent à l'abîme des mers ; comment ils embrassent quelquefois des îles, comment les môles jetés devant un port en protègent l'entrée ; de quelle manière s'étendent les marais et dorment les lacs ; quel est l'aspect des montagnes qui dressent leurs pics élevés ; quelle bordure font aux bois les flots d'une claire fontaine. Notre travail se terminera par une description de la mer de Scythie, du Pont-Euxin, et des îles qui peuvent s'élever au milieu de cette mer ; pour ce qui reste, nous l'avons traité plus complètement dans notre ouvrage sur les différentes contrées et parties du monde. Afin de te faire mieux goûter ce fruit de mes peines et de mes travaux, nous allons prendre d'un peu plus haut notre récit ; toi, renferme ces leçons dans le plus profond de ton coeur, car je m'appuie sur une autorité bien ancienne, je fouille dans les vieux auteurs. L'eau s'étend çà et là dans l'intérieur des terres, en même temps qu'elle enveloppe le monde. À l'endroit où la mer profonde sort de l'Océan pour venir en se déroulant former notre Méditerranée, se trouve la mer Atlantique. Là est la ville de Gaddir, autrefois appelée Tartessus ; là sont les colonnes de l'infatigable Hercule, Abyla et Calpé, Calpé sur la rive gauche, Abyla voisine de la Libye ; le rigoureux vent du nord mugit autour d'elles, mais elles, se tiennent inébranlables. Là se dresse le sommet de cette haute montagne que l'antiquité a nommée OEstrymnis : la masse élevée de la pointe rocheuse incline surtout vers le tiède Notus. Au pied de ce promontoire, les habitants voient s'ouvrir le golfe OEstrymnique : les îles OEstrymnides y apparaissent, avec leurs vastes plaines, avec leurs riches mines d'étain et de plomb. Elles sont très peuplées, leurs habitants ont le coeur fier, l'habileté qui amène le succès, la passion innée du commerce. Leurs barques connues de la mer la troublent au loin. Ils sillonnent l'abîme de l'Océan fécond en monstres. Ils ne savent point construire des vaisseaux avec le pin et l'érable ; ils ne font point, suivant l'usage, des barques avec le sapin recourbé ; mais, chose singulière ! ils façonnent toujours leurs esquifs avec des peaux cousues ensemble, et c'est sur du cuir qu'ils parcourent souvent le vaste Océanide là à l'île Sacrée (c'est ainsi que les anciens l'ont appelée), il y a pour un vaisseau une navigation de deux jours. Cette île élève au milieu de l'eau sa vaste sur face : la nation hibernienne l'habite sur une grande étendue. Près d'elle on rencontre l'île des Albions. C'était la coutume des Tartessiens de faire du commerce sur les limites des Oestrymnides : de même les colons de Carthage et la multitude répandue autour des colonnes d'Hercule visitaient ces mers. Le carthaginois Himilcon, qui rapporte avoir fait lui-même l'expérience de cette navigation, affirme qu'on peut à peine les parcourir en quatre mois : ainsi nul souffle, ne vient pousser le vaisseau, ainsi les eaux de cette mer paresseuse demeurent immobiles. Il ajoute que des algues nombreuses s'élèvent du fond des abîmes et souvent retiennent le vaisseau comme ferait une haie : toutefois, dit-il, la mer n'est qu'une surface sans profondeur ; à peine si une légère couche d'eaux recouvre le sol. Cà et là rôdent toujours des animaux marins ; des monstres nagent au milieu des vaisseaux qui se traînent lentement et péniblement. Des îles OEstrymnides, si l'on ose pousser plus avant dans la mer vers les climats où la fille de Lycaon glace les airs, on aborde au pays désolé d'une peuplade ligurienne : car il y a longtemps que des Celtes ont dépeuplé ce pays par de fréquents combats. Des Liguriens, chassés de leur patrie par des circonstances qu'amène souvent la fortune, vinrent en ces lieux presque partout hérissés de ronces : c'est un sol pierreux, on y voit des roches escarpées, des monts menaçants qui vont toucher le ciel. Longtemps la tribu fugitive vécut dans les fentes des rochers, loin des eaux ; elle craignait la mer, qui lui rappelait d'anciens dangers ; puis, son audace croissant avec la sécurité, les loisirs du repos l'amenèrent à sortir de ses hautes demeures pour descendre vers le rivage. Revenons au détroit dont nous avons déjà parlé. Au-delà de ce détroit, la mer développe un vaste golfe jusqu'à l'île Ophiuse ; et des rivages de l'île si l'on retourne vers cette partie de la mer Intérieure qu'on appelle Sardienne, à l'endroit où j'ai dit que l'Océan pénètre dans les terres, on compte sept jours de marche. Ophiuse offre un déploiement de côtes égal à l'étendue qu'on donne à l'île de Pélops dans le pays des Grecs. On l'appelait d'abord OEstrymnis, car son territoire et ses champs étaient habités par les OEstrymniens ; mais la multitude des serpents chassa les habitants et donna son nom à cette terre abandonnée. Plus loin le cap de Vénus s'avance sur la mer ; les flots mugissent autour de deux îles que leur petitesse rend inhabitables ; puis cette contrée jette un nouveau cap vers l'âpre Septentrion. De là aux colonnes du puissant Hercule la navigation pour les vaisseaux est de cinq jours. On trouve ensuite l'île Pélagie, féconde en plantes et consacrée à Saturne ; dans cette île la nature est si violente, que si un navigateur s'approche de ses bords, il voit autour d'elle la mer déchaînée ; l'île elle-même est ébranlée, et le sol, profondément agité, tremble, tandis que le reste de la mer garde le silence d'un lac. Cette côte se prolonge encore vers les rivages d'Ophiuse : du cap qu'il forme à ces rivages, la navigation est de deux jours. Le golfe, dont on trouve ensuite la vaste courbe, présente un trajet difficile aux marins, si le même vent souffle dans toute son étendue : vous arrivez au milieu poussé par le Zéphyr ; pour le reste de la navigation vous avez besoin du Notus. Si de là on gagne à pied la contrée des Tartéssiens, c'est à peine si l'on achèvera la route en quatre jours ; si l'on se dirige vers notre mer et le port de Malaca, la marche sera de cinq soleils. On voit ensuite s'élever le cap Céprésique : au-dessous s'étend une île nommée Achale par les habitants. Il est difficile de croire au récit qu'on fait sur elle tant il tient du prodige, pourtant de nombreuses autorités le confirment On dit que sur les bords de cette île la mer n'est jamais aussi belle que partout ailleurs : partout en effet, les flots brillent de l'éclat du cristal, et, à travers la profondeur des eaux, nous apparaît clairement une image azurée ; mais là, au rapport des anciens, une boue immonde trouble la mer et en épaissit les flots immobiles. Dans le pays d'Ophiuse, les Cempses et les Saefes occupent la partie montagneuse ; auprès d'eux l'agile Ligurien et la race des Draganes avaient établi leurs foyers sous le neigeux septentrion. À l'occident se cache l'île Paetanion, avec un vaste port. À la suite des Cempses sont placés les peuples des Cynètes ; puis le mont Cynétique, tourné vers les rayons du soleil couchant, borne orgueilleuse de l'opulente Europe, s'allonge sur l'Océan peuplé de monstres. Le fleuve Ana coule à travers le pays des Cynètes, où il se creuse un lit profond Plus loin s'étend un nouveau golfe ; la côte décrit un arc dont la partie creuse regarde le midi. L'Ana se fend alors en deux branches, et à travers les eaux épaisses du golfe (toute la mer en cet endroit est chargée de vase) il traîne péniblement ses ondes. Là s'élèvent au milieu des airs les sommets de deux îles : la plus petite n'a pas de nom ; l'autre a toujours porté celui d'Agônis. Puis le mont Sacré élève son front hérissé de rochers : il est dédié à Saturne. La mer, en bouillonnant, se brise sur une plage vaste et rocailleuse. Là, des chèvres au long poil, des boucs nombreux, qui appartiennent aux habitants, errent sans cesse parmi les buissons de la contrée : ces animaux fournissent, pour les tentes des camps et les voiles des vaisseaux, une soie forte et épaisse. De ce lieu au fleuve précédent il n'y a qu'un jour de distance : là est la frontière des Cynètes. Auprès de ces peuples se trouve le territoire de Tartesse, qu'arrose le fleuve Tartessus ; de là on gagne le mont consacré au Zéphyr ; le sommet de cette montagne porte le nom de Zéphyris ; pourtant de hauts pics se dressent sur sa croupe élevée ; sa masse énorme domine les airs, et une vapeur, qui a comme établi sur elle un siège éternel, dérobe sa tête nuageuse. Tout le pays aux environs est couvert d'herbes touffues ; des brouillards cachent aux habitants la voûte du ciel ; l'air est épais, le jour sans transparence ; la nuit donne ordinairement une abondante rosée ; jamais le souffle des vents vient, comme partout ailleurs, éclaircir le ciel en dissipant les nuages ; une lourde brume s'étend sur la terre, et le sol est plein de marécages. Si un navigateur part de la montagne Zéphyris pour entrer dans notre mer, il sera poussé par le vent d'occident. On voit plus loin s'élever une montagne, avec un temple magnifique, consacré à la déesse des enfers, sanctuaire creusé dans le roc, grotte d'une obscurité profonde. À côté se trouve un vaste marais qu'on appelle Érèbe ; on ajoute que la ville d'Herbus s'élevait autrefois dans ces lieux : emportée dans les tempêtes de la guerre, elle a seulement laissé à la contrée son souvenir et son nom. De là coule le fleuve Iberus dont l'eau fertilise les campagnes. La plupart rapportent que les Ibères doivent leur nom à ce fleuve, et non pas à cet Iberus qui coule au milieu des Vascons turbulents ; car toutes les terres de cette nation qui bornent le fleuve du côté de l'occident, sont appelées Ibérie. La partie orientale renferme les Tartessiens et les Cilbicènes. On trouve ensuite l'île de Cartare, qui, suivant une opinion assez répandue, fut occupée par les Cempses. Chassés plus tard par la guerre que leur firent leurs voisins, ces peuples allèrent chercher différentes demeures. Puis s'élève le mont Cassius : c'est à cause de lui que la langue grecque a donné autrefois à l'étain le nom de cassiterus. On aperçoit ensuite un temple qui s'avance sur la mer, et l'éminence de Géronte, nommée ainsi par l'ancienne Grèce ; on la voit de loin : c'est d'elle, dit-on, que Géryon a reçu autrefois son nom. Là s'étendent les côtes du golfe Tartessien ; du fleuve Tartessus à cet endroit le chemin pour les vaisseaux est d'une journée. Là est la ville de Gaddir, nom que les Carthaginois donnaient dans leur langue aux lieux fermés de murs. Elle fut d'abord appelée Tartessus : c'était jadis une grande et riche cité ; maintenant elle est pauvre, humble, dépouillée ; maintenant c'est un monceau de ruines. Pour nous, excepté le culte d'Hercule, nous n'avons rien vu de remarquable en cet endroit, mais tant de puissance, tant de gloire s'attachait autrefois à cette ville dans l'opinion du monde, qu'un roi superbe, puissant entre tous, qui régnait sur la nation more, un roi chéri d'Octave, Juba, toujours si zélé pour les lettres, de l'autre côté de la mer, s'estimait honoré d'être duumvir de Gaddir : c'est une île que le fleuve Tartessus, se répandant en large hors du marais Ligustique, embrasse de toutes parts dans son cours. Ce fleuve ne roule pas un simple courant d'eau, il ne se creuse pas un seul lit ; mais du côté de l'aurore il s'élance à travers les champs par trois canaux, et par quatre autres il baigne les cités du midi. Au-dessus des marais s'allonge le mont Argentarius, ainsi nommé par les anciens à cause de son éclat : l'étain resplendit sur ses flancs ; il fait surtout jaillir la lumière dans les airs, quand le soleil de ses rayons frappe sa tête élevée. Le fleuve Tartessus roule des flots chargés de parcelles d'étain, et apporte aux villes ce riche métal. En s'éloignant de la plaine des eaux salées, on trouve dans l'intérieur des terres une vaste contrée qu'habite la nation Cempses, on trouve les Iléates, qui s'étendent dans une campagne fertile ; les parties maritimes sont occupées par les Cilbicènes. L'éminence de Géronte et le promontoire du temple sont, comme nous l'avons dit plus haut, séparés par la mer : le golfe se glisse entre les deux rocs escarpés ; près du second roule un grand courant d'eau. Plus loin s'élève le mont des Tartessiens, ombragé de forêts ; ensuite on trouve l'île Érythée, avec ses vastes campagnes, autrefois sous la domination punique : car elle fut d'abord occupée par des colons de l'ancienne Carthage. Du côté du continent, un bras de mer de cinq stades sépare Erythée de l'éminence de Géronte ; du côté du couchant, l'île est consacrée à Vénus marine : elle renferme un temple de Vénus, avec un sanctuaire creusé dans le roc, et un oracle. Depuis ce mont, que j'ai dit être hérissé de forêts, jusqu'au promontoire de Vénus, le rivage étend en pente douce un lit de sable fin : les fleuves Besilus et Cilbus y pressent leurs flots. Puis le promontoire Sacré dresse vers le couchant ses rochers superbes. Ce lieu fut appelé Herma par l'ancienne Grèce. Or, Herma est un rempart de rochers qui garnissent les deux côtés d'un lac situé au milieu d'eux. D'autres, au contraire, appellent le lieu Chemin d'Hercule : car on raconte qu'Hercule avait comblé la mer, pour ouvrir une voie facile au troupeau qu'il avait pris. Cet Herma dépendit autrefois de la terre de Libye au rapport d'un grand nombre d'auteurs ; et il ne faut pas rejeter l'autorité de Denys, qui enseigne que la Libye se termine à Tartessus. Sur le territoire de l'Europe, ce mont que j'ai désigné comme ayant reçu des habitants le nom de Sacré, s'élève en s'avançant dans les ondes. Entre ces deux points se glisse un bras de mer À cet Herma appelé aussi Voie d'Hercule, Euctémon, habitant d'Amphipolis, n'accorde pas plus de huit mille cent pas de longueur ; et dit que trois mille pas le séparent du mont Sacré. Là se trouvent les colonnes d'Hercule, limite des deux continents, suivant ce que nous avons lu. Ce sont deux rochers égaux qui s'élèvent, Abyla et Calpé : Calpé est sur le sol espagnol, Abyla sur celui des Mores. Les Carthaginois appellent Abyla tout ce qu'on appelle élevé (altus) en langue barbare, c'est-à-dire en langue latine, comme dit Plaute. Pour Calpé on donne ce nom, en Grèce, à une espèce de vase creux et arrondi Le même Euctémon, Athénien, nie que ce soient des rochers, et que leurs sommets se dressent de chaque côté du détroit ; il rapporte qu'entre la terre de Libye et la côte d'Europe se trouvent deux îles ; qu'elles portent le nom de colonnes d'Hercule ; qu'une distance de trente stades les sépare, que de toutes parts elles sont hérissées de forêts et ont toujours été inhospitalières pour les matelots. Il ajoute qu'elles renferment des temples et des autels dédiés à Hercule, que les étrangers y abordent en canot, sacrifient au dieu, et s'éloignent d'un pied rapide : on regarde comme un sacrilège de s'arrêter dans ces îles. Autour d'elles, et à une assez grande distance, il rapporte que la mer traîne lentement des eaux peu profondes. Les vaisseaux chargés ne peuvent pénétrer dans ces parages, à cause de la petite quantité d'eau et de la vase épaisse du rivage. Mais celui qui désire visiter le temple doit se hâter de conduire son navire à l'île de la Lune et de l'y décharger ; monté alors sur ce léger esquif, il pourra s'y rendre en effleurant la mer. Quant à l'étendue des flots qui bouillonnent entre les colonnes, elle est à peine de sept stades, au dire de Damastes. Scylax de Caryandée soutient que le milieu du détroit offre la largeur du Bosphore. Au-delà de ces colonnes, du côté de l'Europe, les Carthaginois occupèrent autrefois des bourgs et des villes ; mais là ils avaient coutume de construire des vaisseaux à fond plat pour que l'esquif, offrant une carène plus large, pût glisser sur la mer la moins profonde. De ces colonnes en allant vers l'occident on trouve un abîme sans fin, la mer s'étend au loin, les flots se prolongent, ainsi le rapporte Himilcon Nul n'a conduit ses vaisseaux vers cette mer ; car on y manque de vents qui poussent le navire, aucun souffle du ciel ne vient en seconder le mouvement ; de plus l'air est couvert comme d'un manteau de brouillards, une brume éternelle enveloppe la mer, le jour est continuellement obscurci par des nuages. Tel est l'Océan qui mugit autour de la vaste étendue du monde ; c'est la plus grande des mers, c'est l'abîme qui embrasse les rivages, c'est le réservoir de la mer Intérieure, c'est le père de notre Méditerranée : car la force de la mer creuse la plupart des golfes extérieurs et pénètre dans notre terre. Je vais te parler des quatre plus grands golfes. Le premier de ces golfes qui empiètent sur la terre, c'est celui du couchant autrement dit mer Atlantique ; le second, celui d'Hyrcanie ou mer Caspienne ; puis la mer des Indes, ou golfe Persique ; enfin le golfe Arabique, sous la tiède haleine du Notus. Le premier doit à une ancienne coutume le nom d'Océan, et à une autre celui de mer Atlantique. Son abîme se déploie en un long contour et s'étend à l'infini. Souvent la nappe d'eau est si mince, qu'à peine elle cache les sables qu'elle recouvre. Au-dessus des ondes flottent des algues nombreuses, et là le bouillonnement des flots est arrêté par la vase. Une foule de monstres nagent dans toute l'étendue de la mer ; le grand effroi qu'ils inspirent remplit ces parages. Le carthaginois Himilcon a rapporté qu'il les vit autrefois sur l'Océan, et qu'il les connut par expérience. Ces détails, transmis à travers les siècles par les annales puniques les plus anciennes, nous te les transmettons à notre tour. Et maintenant, revenons sur le sujet précédent. Comme je l'avais dit, en face de la colonne africaine s'élève une autre colonne sur la terre d'Europe. Là le fleuve Chrysus entre dans l'abîme profond. Au-delà et en deçà habitent quatre nations : car dans ce lieu on trouve les farouches Libyphéniciens, les Massiènes, les royaumes des Cilbicènes, dont le territoire est si fertile, et les riches Tartessiens, qui s'étendent vers le golfe Calactique. Auprès d'eux on rencontre bientôt le mont Barbetium, et le fleuve Malacha avec une ville du même nom, qui fut autrefois appelée Menacé. Là une île de la dépendance des Tartessiens s'élève en face de la ville ; depuis longtemps elle a été consacrée par les habitants à la déesse qui éclaire la nuit : dans cette île on trouve un étang et un port commode ; la ville de Menacé est au-dessus. Du côté où le pays s'éloigne de la mer, le Mont Sisurus dresse sa tête altière. Plus loin s'élève un immense rocher dont la base pénètre au fond de la mer : le pin qui y poussait en abondance lui a donné le nom qu'il porte dans la langue grecque. Jusqu'au temple de Vénus et au promontoire de Vénus le rivage s'affaisse : sur ce rivage existaient jadis des villes nombreuses une foule de Phéniciens habita autrefois ces lieux. Maintenant la terre déserte n'offre que des sables inhospitaliers ; privé de culture, le sol est aride et languissant. De ce mont de Vénus on aperçoit dans le lointain cet Herma du territoire libyen, dont j'ai déjà parlé. Là s'étend une côte aujourd'hui dépeuplée, une contrée misérable. Mais autrefois beaucoup de villes y florissaient, et de nombreuses nations habitèrent ce territoire. Un vaste port, auprès de la ville de Massiène, reçoit dans ses bras la haute mer, et au fond de ce golfe s'élève, avec ses hautes murailles, la ville de Massiène. Ensuite s'avance le cap Traète, et auprès de lui la petite île de Strongyle ; Puis sur les confins de cette île un marais étend sa surface immense. Là le fleuve Théodore (ne t'étonne pas d'entendre dans un lieu assez barbare et sauvage résonner ce nom grec) se traîne lentement : des Phéniciens habitaient d'abord ces lieux. Puis de nouveau le rivage n'offre plus qu'une vaste étendue de sables ; trois îles lui font une large ceinture : là était autrefois placée la frontière des Tartessiens ; là fut la cité d'Herna. La nation des Gymnètes s'était établie dans cette contrée ; aujourd'hui le fleuve Alebus, nu, privé depuis longtemps de ses riverains, coule en murmurant pour lui seul. Ensuite, au milieu des eaux, on trouve l'île Gymnesia, qui autrefois a donné son nom aux populations qui s'étendent jusqu'au cours du Sicanus. Puis se montrent les îles Pityuses, et la vaste étendue des îles Baléares. En face d'elles les Ibères ont porté leur domination jusqu'aux monts Pyrénées, occupant un vaste pays sur les bords de la mer Intérieure : la première de leurs villes est Idera ; plus loin la côte étend des sables stériles. Là est aussi Hemeroscopium, ville jadis peuplée ; maintenant le sol, privé d'habitants, est couvert par l'eau dormante d'un marais. Puis s'élève la ville de Sicana ; ainsi nommée par les Ibères à cause du fleuve voisin. Un peu après s'être séparé du Sicanus le fleuve Tyrius embrasse la ville de Tyris. Du côté où le pays s'éloigne de la mer, le sol présente une vaste étendue de broussailles. Là les Bébryces, nation agreste et sauvage, erraient au milieu de leurs nombreux troupeaux. Du lait, des fromages épais, formaient leur grossière nourriture ; ils vivaient à la manière des bêtes sauvages. Puis s'avance le promontoire de Caprasie, et une plage nue s'étend jusqu'aux frontières de la solitaire Chersonèse. Çà et là le marais Naccarare couvre cette plage ; car c'est ainsi qu'on a coutume de désigner ce marais ; et de son sein sort une petite île féconde en oliviers aussi est-elle consacrée à Minerve.Près de là furent de nombreuses cités : dans ces contrées, en effet, s'élevaient Hylactes, Hystra, Sarna et la fameuse Tyriché. Le nom de cette dernière ville est ancien ; les trésors de ses habitants étaient célèbres par tout le monde ; car, outre la fertilité du territoire, qui produit des troupeaux, des vignes et les présents de la blonde Cérès, les denrées étrangères remontent le fleuve Ibère. Près de là le mont Sacré lève sa tête superbe, et le fleuve Oleum, coupant les champs voisins, coule entre deux cimes de promontoires. Bientôt le mont Sillus (c'est un nom que ce mont porte depuis longtemps) se dresse au milieu des nuages. Adossée contre lui, la ville de Lébédontie florissait autrefois ; maintenant la campagne déserte ne présente que des antres et des repaires de bêtes sauvages. On aperçoit plus loin une longue étendue de côtes sablonneuses, où s'élevaient jadis la ville de Salauris et l'ancienne Callipolis, cette Callipolis qui, de ses hautes murailles et de ses édifices élevés, touchait le ciel, et qui, dans le vaste contour de ses habitations, embrassait de deux côtés à la fois un étang toujours abondant en poissons. Viennent ensuite Tarragone, et le charmant séjour des Barcinons opulents. Là un port ouvre aux vaisseaux un asile assuré, et la terre est toujours arrosée par des sources d'eau douce. Puis se montrent les durs Indigètes, nation farouche, nation de fiers chasseurs, et qui ne sort pas de ses forêts. Ensuite le cap Célébandique étend ses flancs jusque dans les eaux salées de ThétisLà fut la ville de Cypsela. Elle n'existe plus que dans le souvenir des hommes et cette terre sauvage ne conserve aucun vestige de cette ancienne ville. Là s'ouvre un havre au vaste sein, et la mer pénètre dans la courbe profonde de la plage ; puis la côte Indigétique s'étend jusqu'au haut promontoire formé par les Pyrénées. À la suite de cette plage que nous avons dit se prolonger le long de la mer, le mont Malodes s'élève au milieu des eaux, qu'il domine de ses deux rochers, et son double sommet va se cacher dans la région des nuages. Entre les deux rocs dort un vaste port, dont nul souffle ne tourmente la surface. C'est qu'il est entouré par les roches avancées dont la haute montagne lui forme une large enceinte : au milieu de ces rocs la mer se cache immobile, les eaux qu'elle y renferme restent calmes et comme endormies. On trouve ensuite le marais Tonon, au pied d'une chaîne de montagnes ; puis se dresse le sommet du mont Tononien à travers lequel le fleuve Anystus roule avec bruit ses eaux écumantes, qui vont diviser la mer. Voilà ce qui se trouve sur le bord des eaux et dans les parages maritimes. Quant au territoire qui s'écarte de la grande mer, les Cérètes, et auparavant les durs Acrocérètes, l'ont possédé tout entier : maintenant toute la nation se confond sous le nom d'Ibères. Le peuple des Sordes y vivait aussi dans des lieux inaccessibles. Répandus vers la mer Intérieure, ils habitaient an milieu des retraites des bêtes sauvages, du côté où les monts Pyrénées montrent leur sommet chargé de pins et dominent au loin les terres et la mer. Sur les confins du territoire des Sordes était autrefois, dit-on, l'opulente cité de Pyrène : là les habitants de Massilie venaient souvent faire leurs échanges de commerce. Des colonnes d'Hercule, de la mer Atlantique et des rivages de Zéphyris jusqu'à Pyrène, la navigation, pour un vaisseau rapide, est de sept jours. Après les monts Pyrénées s'étendent les sables du rivage Cynétique, largement sillonnés par le fleuve Roschinus. Cette terre, comme nous l'avons dit, dépend des Sordes. Un lac marécageux s'étend çà et là, et les habitants le nomment Sordicé. Au-delà des eaux bruissantes de ce lac, que sa vaste étendue expose à la fureur des vents, et du sein même de ces eaux, coule le fleuve Sordus. Par les bouches du fleuve .............. se courbe en détours sinueux ; la mer creusa la côte ; l'eau se répand au loin et sa vaste masse couvre une grande étendue. Trois îles considérables s'élèvent de son sein, et leurs durs rochers sont baignés par des bras de mer. Non loin de ce golfe qui creuse ainsi le rivage, s'en ouvre un autre, et quatre îles (une ancienne tradition n'en indique que trois) sortent du milieu de la mer. La nation des Élésyces occupait autrefois ces lieux, et la ville de Narbonne était la capitale considérable de ces peuples indomptés. Là le fleuve Attagus se décharge dans la mer ; on trouve auprès le marais Hélicé. À partir de là était Besara suivant le dire d'une ancienne tradition Maintenant les fleuves Ledus et Orobis se glissent à travers des champs dévastés et des monceaux de ruines, indices d'une prospérité passée. Non loin d'eux le Thyrius roule d'une hauteur .......... Le Cinorus s'avance. ....

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Jamais la mer n'y soulève ses vastes flots, toujours elle pèse un calme d'Alcyon. Le sommet de cette roche s'élève en face regardant ce promontoire, que j'ai dit s'appeler le cap Blanc. À côté, se trouve l'île Blasco, qui montre hors de l'eau son rivage arrondi. Sur le continent et entre les têtes de caps qui s'élèvent auprès, se déploie encore une plage sablonneuse ; on voit s'étendre des rivages sans habitants. Puis le mont Setius se dresse avec son haut sommet garni de pins : le mont Setius prolonge sa base jusqu'à Taphros : les gens du pays appellent Taphros un marais voisin du fleuve du Rhône ; c'est le lit de ce fleuve qui sépare la terre ibérienne des rudes Ligyens. Là se trouve la ville de Polygium, petite et pauvre. Puis le bourg de Mansa, et la ville de Naustalo, et la ville ....

..... d'où le fleuve Classius se jette dans la mer. Mais la contrée de Ciménicé s'étend loin de la mer, avec son vaste territoire et ses forêts touffues : une montagne élevée lui a donné son nom : le Rhône en baigne les mamelons inférieurs, et, au milieu de cette masse de rochers qui le dominent, il erre dans la campagne. Les Ligures se sont étendus sur le bord de la mer Intérieure, loin du mont Setius et de ses roches escarpées. Mais il est nécessaire que je te donne plus de détails sur le fleuve du Rhône. Souffre que je m'arrête, sur ce sujet, Probus : nous dirons la naissance du fleuve, son cours vagabond, quelles nations il baigne de ses flots, quel grand avantage son cours procure aux habitants, et ses différentes embouchures. Du côté de l'orient, les Alpes dressent dans les airs leurs pics neigeux ; les campagnes de la Gaule sont coupées par cette chaîne de montagnes, et les vents y soufflent toujours la tempête. Le fleuve, sortant de la bouche béante d'une caverne, et se répandant à travers la campagne, y creuse son lit par la violence de son courant ; il est navigable à sa naissance et dès son apparition. Le flanc de la haute montagne qui donne naissance au fleuve est appelé par les naturels Colonne du Soleil ; sa tête monte si haut dans la région des nuages, qu'elle cache aux regards le soleil à son midi, quand il s'approche des limites du septentrion pour porter le jour. Car tu sais que telle était l'opinion des Epicuriens ; que le soleil ne plonge pas sous l'horizon, qu'il ne s'enfonce dans aucune mer, qu'il ne se cache jamais, mais qu'il fait le tour du monde, suit une course oblique dans le ciel, donne la vie à la terre, nourrit de sa lumière bienfaisante l'immensité des cieux ; que Phébus refuse tour à tour à certaines régions son ardent flambeau : une montagne s'y oppose avec son haut sommet qui, se prolongeant depuis l'occident jusqu'à l'extrême septentrion, divise en deux parties l'étendue du monde et la route du soleil. Lorsque le soleil a dépassé son midi, qu'il a incliné sa lumière vers l'Atlantique, afin de porter ses feux chez les Hyperboréens les plus reculés, et de reparaître pour les contrées de la Perse, il se dirige, suivant la courbe du cercle, vers cette autre partie de l'espace, il dépasse la limite du mont, et quand il a dérobé son éclat à notre vue, une sombre nuit descend du ciel, d'épaisses ténèbres couvrent aussitôt nos climats ; mais alors un jour brillant éclaire ceux qui habitent au-dessus de nous le rigoureux septentrion. Quand de nouveau l'ombre des nuits enveloppe l'ourse, toute notre race jouit d'une lumière éclatante. De sa source le fleuve coule à travers les Tylangiens, les Daliternes, les champs des Chabilques et le territoire céménique (mots assez durs et qui d'abord blessent l'oreille, mais que je ne dois pas te taire, à cause de ton ardeur pour l'étude et de mon zèle) ; puis il décrit, par des retours sur lui-même, dix sinuosités : plusieurs rapportent qu'alors c'est un étang immobile. De là il entre dans un vaste lac, que les Grecs ont coutume de nommer Accion, et il pousse ses flots impétueux à travers le lac tranquille ; il en sort ensuite, se resserre en un lit à la manière des autres fleuves, puis il roule vers les abîmes Atlantiques, regardant à la fois notre mer et l'occident, et creuse la vaste grève de cinq embouchures. Là s'élève la cité d'Arelate, appelée Théline à une époque plus ancienne, quand les Grecs l'habitaient. Bien des motifs nous ont engagé à écrire longuement sur le Rhône. Mais jamais mon esprit ne se pliera à affirmer que ce fleuve sert de séparation à l'Europe et à la Libye, quoique l'ancien Philée dise que telle était l'opinion des habitants : cette ignorance barbare ne peut qu'exciter nos mépris et nos rires ; il faut lui donner le nom qu'elle mérite. Après une navigation de deux jours et de deux nuits, on trouve les Véragres, la ville de Bergine, les Salyes féroces, l'ancienne ville du marais Mastramèle, un promontoire à la croupe élevée, que les habitants appellent Citharistium, et Massilie elle-même, dont voici la position : devant un lac s'étend le rivage de la mer ; un chemin étroit s'ouvre entre les eaux ; la mer en baigne les flancs, le lac entoure la ville, et les eaux se répandent même dans les rues et dans les maisons ; la cité est presque une île. Ainsi la main des hommes a fait pénétrer la mer dans les terres, le travail assidu des anciens fondateurs a triomphé à force d'art de la forme des lieux et de la nature du territoire. S'il te plaît de changer les anciens noms en nouveaux .........[Le reste manque.]