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M. VITRUVE POLLION
DE L'ARCHITECTURE
LIVRE HUITIÈME
LIBER VIII Praefatio
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LIVRE HUITIÈME. INTRODUCTION. 1 LE premier des sept sages, Thalès de Milet, soutenait que l'eau était le principe de toutes choses; Héraclite prétendait que c'était le feu. Les prêtres mages admettaient l'eau et le feu. Euripide, qui avait été disciple d'Anaxagore, et que les Athéniens appelaient le philosophe du théâtre, assurait que c'étaient l'air et la terre; que la terre fécondée par les pluies qui tombent du ciel, avait engendré dans le monde les hommes et les animaux; que les choses qui étaient produites par elle, forcées par le temps de se dissoudre, retournaient à leur principe, tandis que celles qui naissaient de l'air retournaient dans l'air; que les corps ne périssaient point; que modifiés seulement par la dissolution, ils reprenaient leur qualité première. Pythagore, Empédocle, Épicharme avec d'autres physiciens et philosophes, mirent en avant qu'il y avait quatre principes : l'air, le feu, l'eau, la terre; que la proportion dans laquelle ils entraient dans la formation des corps, produisait cette différence de qualités qu'on y remarque. 2. Nous remarquons, en effet, que non seulement tout ce qui naît est le produit de ces éléments, mais encore que ce sont eux qui ont la vertu de les faire croître et de les conserver. En effet, les animaux ne pourraient avoir vie, s'ils ne respiraient largement l'air qui, en pénétrant avec abondance dans les poumons, produit cette dilatation et cette compression incessantes de la poitrine. Si la chaleur ne se trouve point dans un corps au degré qui lui convient, ce corps manquera d'un principe vital; il ne prendra point de développement solide; les sucs alimentaires ne pourront avoir la coction nécessaire. Et si les parties du corps viennent à manquer de nourriture terrestre, elles ne subsisteront pas, privées qu'elles seront du concours de l'un des principes de la vie. 3. De même, si les animaux sont dépourvus de l'humide radical, ils périront, faute de ce principe. Aussi la Divinité, loin de vouloir que les choses absolument nécessaires aux hommes, soient aussi rares et aussi difficiles à avoir que les perles, l'or, l'argent et les autres choses dont notre corps et notre nature peuvent se passer, la Divinité a prodigué aux mortels, elle a semé sous les pas de chaque homme tout ce dont il a besoin pour sa conservation. Que les esprits vitaux viennent à manquer au corps, l'air destiné à les réparer ne fait point défaut. Faut-il un auxiliaire à la chaleur naturelle, le soleil et le feu lui viennent en aide pour entretenir la vie. Les fruits de la terre, bien préférables à l'abondance super-flue des mets, fournissent une nourriture assurée qui suffit pour réparer les forces du corps; et l'eau ne sert pas seulement de boisson, mais, nécessaire en mille circonstances, elle est d'autant plus agréable qu'elle ne coûte rien. 4. Les prêtres égyptiens, pour faire voir que tout ne subsiste que par la vertu de cet élément, couvrent un vase à eau qu'on porte en grande cérémonie dans un temple; puis, se prosternant contre terre, ils lèvent les mains vers le ciel; ils rendent grâce à la bonté divine du présent qu'elle leur a fait. |
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Caput 1 de aqua inventionibus 0. Cum ergo et a physicis et
philosophis, et ab sacerdotibus iudicetur, ex potestate aquae omnes res
constare, putavi, quoniam in prioribus septem voluminibus rationes
aedificiorum sunt expositae, in hoc oportere de inventionibus virtutes,
quibusque rationibus ducatur, et quemadmodum ante probetur, scribere. Est
enim maxime necessaria et ad vitam et ad delectationes et ad usum
cotidianum. |
I. De la manière de trouver l'eau. 0. Puisque les physiciens, les philosophes et les prêtres ont pensé que rien ne subsiste que par la vertu de l'eau, j'ai cru qu'après avoir expliqué dans les sept livres précédents tout ce qui a rapport aux édifices, je devais dans celui-ci parler des moyens de trouver l'eau, des qualités que lui donne la nature des lieux, de la manière de la conduire et d'en connaître les propriétés. Est-il, en effet, rien de plus nécessaire que l'eau, rien de plus agréable, rien de plus journellement utile? 1. Pas de difficulté, quand une fontaine fera jaillir ses eaux du sol; mais quand il n'en sera point ainsi, quand il faudra aller les chercher sous terre et en recueillir les sources, voici comment on devra s'y prendre : on se couchera la face contre terre, avant le lever du soleil, dans le lieu où il y aura une recherche à faire, et, le menton appuyé sur le sol, on dirigera ses regards vers l'horizon. Dans cette position immobile du menton, la vue, loin de s'égarer plus haut qu'il ne faut, s'étendra devant elle d'une manière invariable, au niveau de l'oeil. Les endroits dans lesquels on verra s'élever des vapeurs ondoyantes, devront être creusés : car les lieux secs ne peuvent présenter cette particularité. 2. Celui qui cherche l'eau doit encore examiner la nature des terrains : car ils donnent les mêmes eaux d'une manière constante. La craie ne fournit que le mince filet d'une eau peu profonde et peu agréable au goût. Il en est de même du sable mouvant; seulement, si on ne trouve l'eau qu'à une grande profondeur, elle sera bourbeuse et détestable. Dans la terre noire, au contraire, on trouve des eaux qui, s'infiltrant goutte à goutte pendant les hivers, vont se réunir et s'arrêter dans les en-droits compactes et solides; celles-là sont excellentes. Les veines qu'on rencontre dans le gravier ne sont ni abondantes ni certaines; mais elles sont aussi très bonnes. Dans le sablon mâle, dans le sable, dans le carhoncle, elles sont plus sûres, plus constantes; elles sont d'une bonne qualité. Dans la pierre rouge, elles sont copieuses et bonnes, quand elles ne s'échappent pas, qu'elles ne s'infiltrent pas à travers ses pores. Au pied des montagnes et des roches siliceuses, elles sont plus abondantes, plus riches, et en même temps plus fraîches et plus salutaires. Dans les fontaines qui se trouvent dans les plaines, elles sont saumâtres, pesantes, tièdes et désagréables, à moins qu'elles ne partent des montagnes pour aller sous terre jaillir au milieu des champs, où, à l'abri de la verdure des arbres, elles offrent la même douceur que celles des montagnes. 3. Outre les signes qui viennent d'être indiqués, il en est encore d'autres qui font connaître les endroits où l'eau se trouve sous terre; ce sont les petits joncs, les saules sauvages, les aunes, l'agnus-castus, les roseaux, tes lierres et les autres plantes de même nature, qui ne peuvent naître d'elles-mêmes sans humidité. On voit ordinairement pousser ces mêmes plantes dans les marais qui, étant plus bas que les terres qui les environnent, reçoivent pendant l'hiver les eaux qui tombent du ciel et celles qui viennent de ces terres, et les conservent longtemps par le défaut d'écoulement; il ne faut point s'en rapporter à cela; mais si dans les terres qui ne sont pas marécageuses, ces plantes indicatives naissent sans avoir été semées, d'elles-mêmes, naturellement, on peut y chercher de l'eau. 4. Si ces indices n'annoncent pas la présence de l'eau, voici l'expérience qu'il faudra faire. On pratiquera un trou de trois pieds d'ouverture en tout sens, et de cinq pieds au moins de profondeur; on y placera, vers le coucher du soleil, un vase d'airain ou de plomb, ou un bassin, peu importe; après l'avoir intérieurement frotté d'huile et renversé, on couvrira l'ouverture de la fosse avec des roseaux ou des feuillages qu'on chargera de terre; puis on l'ouvrira le lendemain, et s'il se trouve des gouttes d'eau attachées aux parois du vase, c'est que cet endroit contient de l'eau. 5. On peut encore placer un vase de terre non cuite dans cette fosse recouverte de la même manière; s'il y a de l'eau dans cet endroit, lorsqu'on ouvrira la fosse, le vase sera humide, et même se dissoudra par l'humidité. Si l'on dépose dans la fosse une toison, et que le lendemain on en exprime de l'eau, c'est que ce lieu en renferme beau-coup. Voulez-vous y mettre une lampe bien remplie d'huile et tout allumée, et boucher hermétiquement la fosse? si, le jour suivant, on ne la trouve plus enflammée, s'il y reste de l'huile et de la mèche, si on la trouve humide, c'est une preuve que ce lieu contient de l'eau, parce qu'une chaleur modérée attire l'humidité. Si l'on allume aussi du feu dans cet endroit, et que de la terre échauffée et desséchée s'élève une vapeur épaisse, c'est qu'il y aura de l'eau. 6. Après toutes ces épreuves, après avoir rencontré les signes indiqués ci-dessus, on creusera un puits, et si l'on trouve une source, il faudra pratiquer plusieurs autres puits tout autour, et faire que par des conduits ils aboutissent tous au même point. C'est surtout dans les montagnes et dans les lieux qui regardent le septentrion, qu'il faut chercher l'eau, parce qu'elle s'y trouve plus douce, plus saine et plus abondante. Ces lieux ne sont point exposés à la chaleur du soleil, dont ils sont garantis par les arbres touffus des forêts; les montagnes elles-mêmes -ont leurs ombres qui empêchent les rayons du soleil d'arriver directement jusqu'à la terre, et qui les rendent incapables d'en pomper l'humidité. 7. Les vides qui se trouvent au haut des montagnes servent surtout de réservoirs aux pluies, et, à cause de l'épaisseur des forêts, les ombres des arbres et des montagnes y conservent longtemps les neiges; lorsqu'elles viennent à fondre, elles filtrent à travers les terres, et parviennent ainsi jusqu'au pied des montagnes d'où elles s'échappent en fontaines bouillonnantes. Dans les plaines, au contraire, les eaux ne peuvent être abondantes, et quelles qu'elles soient, elles ne peuvent être bonnes, parce que les rayons brûlants du soleil, ne rencontrant aucun ombrage qui les intercepte, enlèvent, épuisent et absorbent toute l'humidité de cette surface découverte; et si quelque source y apparaît, tout ce qu'elle contient de plus léger, de plus subtil, de plus salubre, est attiré par l'air qui le dissipe dans l'immensité, et il ne reste plus dans ces fontaines que les parties les plus pesantes, les plus crues et les plus désagréables. |
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Caput 2
de aqua imbrium 9. Neque enim calidae aquae est ulla proprietas: sed frigida aqua quum incidit percurrens in ardentem locum effervescit, et percalefacta egreditur per venas extra terram; ideo diutius non potest permanere, sed brevi spatio fit frigida. Namque si naturaliter esset calida, non refrigeraretur calor eius. Sapor autem et odor et color eius non restituitur, quod intinctus et commixtus est propter naturae raritatem. |
1. L'eau de pluie a des propriétés que n'ont point les autres. Extraite des eaux de toutes les fontaines, elle se compose des parties les plus légères, les plus subtiles, les plus délicates; purifiée par l'agitation de l'air, elle ne tombe à terre que liquéfiée par la violence du vent. Les plaines sont beaucoup moins sujettes à la pluie que les montagnes ou leurs environs, parce que les vapeurs qu'aspire le soleil du matin, poussent, en s'élevant, l'air dans la partie du ciel vers laquelle elles se développent, et que, lorsqu'elles sont mises en mouvement, elles attirent encore celui qui se précipite en ondoyant dans le vide qu'elles laissent après elles. 2. Or, l'air qui se précipite et, polissant de tous côtés les vapeurs qu'il rencontre, augmente le souffle et l'impétuosité des vents, et en produit les bouffées. De leur côté, les vents entraînent les vapeurs qui, en s'arrondissant, se forment des fontaines, des fleuves, des marais et de la mer, attirées par la chaleur du soleil, et se convertissent en nuées qui s'élèvent dans l'espace : ces nuées portées en avant par les tourbillons de l'air, venant à heurter contre les montagnes ou contre d'autres nuées, se compriment, se condensent, se résolvent en pluies qui se répandent sur la terre. 3. Les vapeurs, les nuées, l'humidité naissent de la terre; en voici une raison vraisemblable : c'est que la terre contient de grandes chaleurs, beaucoup d'air, des parties froides, et une grande quantité d'eau. De là il arrive que, lorsque la terre se refroidit pendant la nuit, les vents soufflent dans les ténèbres, que les brouillards montent des lieux humides, et que le soleil levant, venant à frapper la terre de ses rayons, l'air échauffé par son action, enlève de la terre l'humidité avec les rosées. 4. Les bains peuvent nous fournir un exemple de ce phénomène : il n'y a point d'eau au-dessus des voûtes des bains chauds ; mais l'air échauffé par le feu des fourneaux, attire l'humidité des pavés, l'enlève jusqu'aux parois de la voûte, où elle s'attache; la vapeur chaude s'élève et se presse sans cesse; aussi ne retombe-t-elle pas d'abord à cause de sa légèreté; mais aussitôt que l'humidité s'est condensée, elle ne peut plus se soutenir, étant devenue trop pesante, et finit par tomber eu gouttes sur la tête des baigneurs. Par la même raison, l'air extérieur pénétré par le soleil qui l'échauffe, attirant de toutes parts l'humidité, l'enlève et en forme les nuées. Ainsi, de la terre soumise à la chaleur, s'échappe l'humidité, comme du corps échauffé de l'homme se dégage la sueur. 5. Les vents nous en fournissent encore une preuve. Ceux qui viennent des régions les plus froides, comme le septentrion et l'aquilon, donnent un air sec qui épuise; tandis que l'auster et tous ceux qui soufflent de la ligne que parcourt le soleil sur l'horizon, sont très-humides et apportent toujours la pluie parce que, échauffés par la chaleur des pays qu'ils traversent, ils enlèvent l'humidité des contrées qu'ils effleurent, et vont la répandre vers les régions septentrionales. 6. Une preuve encore de cette vérité, c'est que les sources des fleuves qui sont indiqués et tracés sur les cartes de géographie, se trouvent couler du septentrion plus nombreux et plus larges. Tels sont, dans l'Inde, le Gange et l'indus qui descendent du mont Caucase; dans l'Assyrie, le Tigre et l'Euphrate; dans l'Asie et le royaume de Pont, le Borysthène, l'Hypanis, le Tanaïs; en Colchide, le Phase; en Gaule, le Rhône; dans la Gaule celtique, le Rhin; en deçà des Alpes, le Timave et le Pô; en Italie., le Tibre; en Maurusie, que nous appelons Mauritanie, le Dyris qui, descendant du versant septentrional de l'Atlas, se dirige par l'occident vers le lac Heptabole, où, changeant de nom, il est appelé Nigir; puis sortant du lac Heptabole pour aller passer sous des montagnes désertes, il coule à travers les pays méridionaux, et se jette dans le marais Coloé qui entoure le royaume de Méroé, dans l'Éthiopie méridionale. C'est en sortant de ces marais, que faisant plusieurs détours pour former les fleuves Astasobas et Astaboras, et plusieurs autres, il parvient, à travers les montagnes, à la cataracte, et de là se précipitant vers le septentrion, il arrive par Eléphantine, Syène et la Thébaïde ers Égypte, où il prend le nom de Nil. 7. Et l'on reconnaît surtout que c'est en Mauritanie que le Nil prend sa source, en ce que du côté opposé du mont Atlas, se trouvent les sources d'autres fleuves qui portent leurs eaux dans l'océan Occidental, et où naissent les ichneumons, les crocodiles et d'autres espèces d'animaux et de poissons, outre les hippopotames. 8. Puis donc qu'on voit dans les descriptions de la terre tous les plus grands fleuves couler du septentrion, et que les campagnes d'Afrique qui, dans les parties méridionales, sont plus rapprochées, du soleil, n'ont d'eau que fort avant dans la terre, de fontaines et de rivières qu'en très-petit nombre, on doit conclure que les meilleures sources sont celles dont les eaux s'écoulent vers l'aquilon et le septentrion, à moins qu'elles ne traversent des lieux remplis de soufre, d'alun ou de bitume : car alors elles perdent leur qualité, et chaudes ou froides, elles ont un goût et une odeur désagréables. 9. Il n'est point d'eau qui soit essentiellement chaude; mais l'eau froide qui, dans son cours, traverse un lieu brûlant, s'échauffe et sort bouillante des veines de la terre. Elle ne peut rester longtemps dans cet état; bien-tôt elle se refroidit; et si elle était naturellement chaude, elle ne perdrait point sa chaleur. Quant à sa saveur, à son odeur et à sa couleur, elle ne les reprend point, parce qu'à cause de la subtilité de sa nature, il se fait avec les matières qui les produisent un mélange trop intime. |
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Caput 3 De aquis calidis et de variorum
fontium, fluminum lacumque natura ᾿Αγρότα σὺν ποίμναις τὸ μεσημβρινὸν ἤν σε βαρύνῃ |
III. Des eaux chaudes, et de la nature de plusieurs fontaines, fleuves et lacs. 1. Il existe quelques fontaines chaudes qui donnent des eaux d'un goût excellent. Elles sont si bonnes à boire qu'elles ne le cèdent en rien à celles de la fontaine Camène et à celles de Marcia qui jaillissent de terre. Or, voici comment la nature communique cette chaleur aux eaux. Lorsque, dans les profondeurs de la terre, le feu s'allume dans l'alun, le bitume ou le soufre, il échauffe la terre qui l'environne, et envoie dans les parties supérieures une vapeur brûlante; de sorte que s'il se trouve au-dessus quelques fontaines d'eau douce, rencontrées par cette vapeur, elles s'échauffent dans leurs conduits, et cou-lent sans rien perdre de leur goût. 2. Il y a, d'un autre côté, des fontaines d'eau froide qui ont une odeur et un goût qui ne sont point agréables. Prenant naissance à de grandes profondeurs, elles traversent des lieux brûlants, et ont encore, en les quittant, de grands espaces à parcourir sous terre, d'où elles ne sortent que refroidies, après avoir perdu leur goût, leur odeur et leur couleur propres : c'est ce qu'on remarque sur le chemin de Tibur, à la fontaine Albula; dans le territoire d'Ardée, à des fontaines froides qui ont, comme elle, une odeur sulfureuse, et dans d'autres lieux semblables. Or, bien que ces eaux soient froides, elles paraissent néanmoins bouillonner, parce que, quand elles viennent à rencontrer un lieu brûlant dans les profondeurs de la terre, leur contact avec le feu les irrite, les fait entrer clans une violente ébullition qui les remplit d'une grande quantité de gaz, et gonflées par la force de l'air qui s'y trouve resserré, elles s'élancent à plusieurs reprises de leurs sources en bouillonnant. Les eaux qui ne trouvent point d'issue, et que des rochers ou tout autre obstacle arrêtent, chassées par la violence de cet air, s'élèvent dans d'étroits conduits jusqu'au sommet de certaines montagnes. 3. Ceux qui s'imaginent qu'ils vont trouver des sources d'eau vive à la même hauteur que ces montagnes, reviennent de leur erreur, quand ils y creusent de larges puits. Voyez un vase d'airain qui n'a point été rempli jusqu'au bord, et, qui ne contient de l'eau que jusqu'aux deux tiers de sa grandeur; fermez-le avec son couvercle, et approchez-le d'un feu ardent, bientôt l'eau sera extrêmement chaude. Cette eau naturellement susceptible de raréfaction, reçoit de la chaleur une forte dilatation, et, grâce à la vapeur, non seulement elle remplit le vase, mais encore elle soulève le couvercle et déborde abondamment; mais ôtez le couvercle, la vapeur s'échappe dans l'air et l'eau retombe à son niveau. Il en est de même des eaux d'une source : comprimées dans un étroit espace, le bouillonnement produit par l'air qu'elles contiennent, les fait monter avec effort; mais elles n'ont pas plutôt trouvé un plus large passage, que l'air se dégage à travers leurs pores, qu'elles s'affaissent et reprennent leur équilibre naturel. 4. Toutes les eaux chaudes sont médicinales, parce que cuites, pour ainsi dire, dans les matières qu'elles traversent, elles acquièrent une nouvelle propriété et un autre usage. Les eaux sulfureuses sont bonnes pour les maladies de nerfs, qu'elles fortifient en les échauffant, et en consumant les mauvaises humeurs du corps; les alumineuses guérissent les corps affaiblis par la paralysie ou quelque autre maladie, en redonnant aux veines de l'élasticité, et en neutralisant le froid par une chaleur qui remet bientôt les membres dans leur ancien état de santé; les bitumineuses se boivent, et chassent ordinairement, par la purgation, les maladies internes. 5. Il est une espèce d'eau froide qui est nitreuse : on la trouve à Pinna, ville des Vestins, à Cutilies, et dans d'autres localités semblables. On en boit pour se purger, et ces purgations diminuent aussi les tumeurs scrofuleuses. Dans les mines d'or, d'argent, de cuivre, de plomb et d'autres métaux semblables, on trouve des sources abondantes; mais elles sont très mauvaises, et leur propriété est contraire à celle de l'eau chaude chargée de soufre, d'alun, de bitume; quand on les boit, quand elles ont pénétré dans le corps, et que s'insinuant par les veines, elles atteignent les nerfs et les articulations, elles les enflent et les durcissent ; les nerfs ainsi gonflés par l'inflammation, se raccourcissent, produisent les névralgies et la goutte, parce que les pores des veines sont imprégnés d'humeurs crues, épaisses et froides. 6. Il y a encore une sorte d'eau qui, avec peu de limpidité, se couvre d'une écume d'une couleur de verre rouge qui monte à la surface comme une crème. On la voit surtout auprès d'Athènes; on la prend à sa source pour la conduire dans la ville et auprès du port du Pirée où elle jaillit. La particularité qui la distingue, empêche que personne n'en boive; mais on s'en sert pour les bains et pour d'autres usages; on ne boit que de l'eau de puits pour échapper à ce qu'elle a de nuisible. Trézène ne peut éviter cet inconvénient, en ce qu'on n'y trouve pas d'autre eau que celle de Cibdèle : aussi tous les habitants, ou au moins une grande partie, ont-ils la goutte aux pieds. En Cilicie, la ville de Tarse est traversée par le fleuve Cydnus, dans les eaux duquel les podagres, en se baignant les jambes, trouvent un soulagement à leur douleur. 7. On rencontre encore plusieurs autres espèces d'eaux avec des qualités particulières. En Sicile, le fleuve Himère, après être sorti de sa source, se divise en deux bras; celui qui coule le long de l'Etna, passe sur une terre dont les sucs sont doux, et donne une eau douce; l'autre traverse un terrain d'où l'on tire du sel, et l'eau en est salée. A Parétonium, et auprès de la route qui conduit au temple de Jupiter Haminon, à Casium, auprès de l'Égypte, s'étendent des lacs marécageux qui sont tellement salés qu'on y voit surnager du sel cristallisé. Il y a encore dans plusieurs autres lieux des fontaines, des fleuves, des lacs qui, traversant des salines, sont nécessairement salés. 8. D'autres sources coulant à travers les veines d'une terre onctueuse, semblent imprégnées d'huile : tel est à Soli, ville de Cilicie, le fleuve nommé Liparis. Ceux qui nagent ou qui se baignent dans ses eaux, en sortent le corps tout couvert d'huile. Un lac d'Éthiopie produit le même effet sur les personnes qui s'y baignent; et dans l'Inde on en voit un autre qui, par un ciel serein, jette de l'huile en abondance. A Carthage se trouve une source sur laquelle nage une huile, dont l'odeur est semblable à celle de l'écorce du citron; on se sert habituellement de cette huile pour oindre les troupeaux. A Zacynthe, et aux environs de Dyrrhachium et d'Apollonie, il y a des sources qui jettent avec l'eau une grande quantité de poix. Auprès de Babylone, se trouve un lac immense appelé λίμνη ᾿Ασφαλτῖτις (Lac Asphaltite); ses eaux sont couvertes d'un bitume liquide que Sémiramis employa pour construire le mur de brique dont fut entourée Babylone. A Joppé, en Syrie, et dans la partie de l'Arabie qu'habitent les Numides, on rencontre de grands lacs qui produisent des masses de bitume que ramassent les habitants d'alentour. 9. Il n'y a rien là d'étonnant, puisque dans ces localités se trouvent des mines de bitume solide. Lorsqu'au travers de cette matière bitumineuse l'eau se précipite avec violence, elle en entraîne dans son cours; puis une fois entrée dans ce lac, elle se dégage de ce bitume, qu'elle pousse sur les bords. Dans la Cappadoce, auprès de la route qui s'étend entre Mazaca et Tuana, on remarque un vaste lac. Si l'on y enfonce un roseau ou toute autre chose, et qu'on l'en retire le lendemain, on trouve pétrifiée la partie qui était dans l'eau, sans que celle qui était dehors ait éprouvé de changement. 10. Il en est de même à Hiéropolis, en Phrygie, d'une grosse source d'eau bouillante. Dans les fossés qui entourent les jardins et les vignes où elle coule, elle forme au bout d'un an une croûte de pierre qui en tapisse les deux bords. On enlève ces croûtes chaque année pour en faire des clôtures dans les champs. La cause de cet effet semble toute naturelle. Dans les lieux d'où sort cette source, se trouve une substance semblable à celle de la chaux; cette substance mêlée en grande quantité à l'eau de cette source sort de terre avec elle, et se durcit par l'action du soleil et de l'air, comme nous voyons se for-mer le sel dans les salines. 11. Il y a aussi des sources auxquelles les sucs amers de la terre donnent une grande amertume. Tel, au royaume de Pont, le fleuve Hypanis qui, à partir de sa source, roule des eaux très douces par un espace d'environ quarante milles; parvenu à un endroit qui se trouve à cent soixante milles de son embouchure, il reçoit dans son cours une toute petite source qui n'a pas plutôt mêlé son filet d'eau à la masse des eaux du fleuve, qu'elle les rend amères : c'est que l'eau de cette source traverse les veines d'une terre d'où l'on tire la sandaraque qui lui donne son amertume. 12. Or, toutes ces différences de goût ne sont dues qu'aux diverses qualités du terroir, comme on le remarque aussi dans les fruits : car si les racines des arbres, ou des vignes, ou des autres plantes, ne composaient pas leurs fruits des sucs qu'elles tirent de la nature du terrain, les mêmes fruits auraient partout le même goût. Nous savons cependant que dans l'île de Lesbos se fait le vin appelé protyrum (vin de mère-goutte); en Méonie, le κατακεκαυμενίτην (vin brûlé), en Lydie, le tmolitès (mélange de vin du mont Tmolus); le mamertin, en Sicile; le falerne, en Campanie; à Terracine et à Fundi, le cécube ; et clans un grand nombre d'endroits divers, de nombreuses espèces de vin de qualités différentes; et il ne peut en être ainsi que parce que les sucs de la terre communiquant leurs propriétés aux racines, en saturent le bois qui les fait monter jusqu'au sommet des branches où les fruits reçoivent le goût particulier à la nature du terroir. 13. Si les sucs de la terre n'avaient pas des qualités si différentes, la Syrie et l'Arabie ne seraient pas les seuls pays qui produisissent des roseaux, des joncs, des herbes si odoriférantes, les arbrisseaux qui donnent l'encens, ceux qui portent les baies du poivre, ceux qui répandent les larmes de la myrrhe, et l'on trouverait ailleurs que dans la Cyrénaïque la plante férulacée du laser; tous les pays, toutes les contrées de la terre produiraient également les mêmes choses. Ces différences que l'on remarque dans chaque pays, sont dues à l'inclinaison du globe, et à la chaleur du soleil qui, en s'approchant plus ou moins de la terre, lui donne tel ou tel suc; et ces différentes qualités ne se rencontrent pas seulement dans les productions du sol; elles se remarquent encore dans le gros et dans le petit bétail. Cette variété aurait-elle lieu, si les qualités des terrains ne dépendaient de leur situation à l'égard du soleil? 14. En Béotie coulent le Céphise et le Mélas; en Lucanie, le Crathis; à Troie, le Xanthe; et sur le territoire de Clazomène, d'Érythrée et de Laodicée, plusieurs rivières et fontaines. Lorsque les animaux sont arrivés à l'époque de l'année favorable à la conception, on les mène boire tous les jours, et quoiqu'ils soient parfaite-ment blancs, ils font des petits gris-cendrés dans certains lieux, bruns dans d'autres endroits, noirs dans d'autres : tant il est vrai que l'eau qui pénètre dans les corps, a la propriété de leur donner une couleur parti-culière à sa nature. Voilà pourquoi, dit-on, les Troyens voyant que les boeufs qui naissent sur les bords du fleuve qui arrose leurs campagnes sont roux, et les moutons gris-cendrés, ont donné à ce fleuve le nom de Xanthe. 15. On rencontre aussi des eaux dont l'usage est mortel. Coulant à travers des terres dont les sucs sont nuisibles, elles en prennent l'essence vénéneuse. Telle était, à ce qu'on dit, une fontaine de Terracine, appelée fontaine de Neptune : ceux qui avaient l'imprudence d'en boire, mouraient à l'instant. On dit que les anciens la comblèrent à cause de cela. On voit aussi en Thrace, chez les Cychriens, un lac dont les eaux font périr et ceux qui en boivent, et ceux même qui s'y baignent. Il existe encore en Thessalie une fontaine à laquelle les troupeaux ne goûtent point, et dont aucun animal rie veut approcher; elle coule auprès d'un arbre dont les fleurs sont de couleur de pourpre. 16. En Macédoine, deux ruisseaux, après avoir baigné les deux côtés du tombeau d'Euripide, se réunissent pour n'en plus faire qu'un. Sur les bord de l'un les voyageurs viennent s'asseoir, et faire un repas, à cause de la bonté de son eau; mais le ruisseau qui coule de l'autre côté du monument éloigne tout le monde de ses eaux que l'on dit être mortelles. Il y a en Arcadie une contrée appelée Nonacris. D'une roche de ses montagnes distille une eau très-froide. On l'appelle Στυγὸς ὕδωρ (Eaux du Styx). Elle ne peut être contenue ni dans un vase d'argent, ni dans un de cuivre, ni dans un de fer : elle le fend; elle le fait éclater. On ne peut la mettre et la conserver que dans la corne du pied d'un mulet. On rapporte qu'Antipater chargea son fils Iollas de porter de cette eau dans la province où était Alexandre, et qu'il fit périr le roi en lui en donnant à boire. 17. Au royaume de Cottus, dans les Alpes, il y a une eau qui fait immédiatement mourir ceux qui en boivent. Au pays des Falisques, près de la voie Campanienne, clans le champ Cornetus, se trouve un bocage avec une fontaine dans laquelle on aperçoit des os d'oiseaux, de lézards et de serpents. Il y a encore quelques sources dont les eaux sont acides, comme à Lynceste; à Vélino, en Italie; à Téano, en Campanie, et dans plusieurs autres lieux : elles ont la vertu de dissoudre, quand on en boit, les calculs qui se forment dans la vessie de l'homme. 18. Ce phénomène semble tout naturel. Des sucs âcres et acides se trouvent dans la terre que parcourent les eaux de ces fontaines. Elles se saturent de ces principes acides, et après avoir été bues, elles dissolvent par le contact les matières que l'eau dépose dans les corps et qui s'y durcissent. Mais comment des acides peuvent-ils opérer cette dissolution? Nous pouvons le comprendre de cette manière : laissons tremper quelque temps un oeuf dans du vinaigre; bientôt sa coque s'amollira et se dissoudra. Le plomb, qui est si malléable et si pesant, mis avec du vinaigre dans un vase hermétiquement bouché, se dissout et se change en céruse. 19. Le cuivre, qui est d'une nature encore plus dure, soumis à la même opération, se dissout et se change en vert-de-gris. Les perles et les silex sur lesquels le fer et le feu n'ont point d'action, viennent-ils à être chauffés et arrosés de vinaigre, ils se fendent et se dissolvent. Ces expériences nous mettent facilement à même de juger par analogie que les acides, par l'activité de leur nature, peuvent produire le même effet pour la guérison des personnes malades de la pierre. 20. On rencontre encore des sources dans les eaux des-quelles il semble qu'il y ait du vin de mêlé. La Paphlagonie en possède une de ce genre. Ceux qui en boivent deviennent ivres sans y avoir mis de vin. Chez les Èques, en Italie, et chez les Médulliens, dans les Alpes, il y a une espèce d'eau qui fait enfler la gorge à ceux qui en boivent. 21. En Arcadie se trouve une ville assez connue, appelée Clitor. Sur son territoire se remarque une caverne d'où sort une source qui fait haïr le vin à ceux qui boivent de son eau. Sur cette fontaine on a gravé en vers grecs une inscription dont le sens est qu'elle ne vaut rien pour les bains, et qu'elle est ennemie de la vigne, parce que c'est dans ses eaux que Melarpus, après avoir sacrifié, purifia les filles de Prétus, pour les guérir de leur folie, et ramena la raison dans leur esprit. Voici cette inscription : « Villageois, si les feux du soleil du midi te surprennent avec tes troupeaux sur le territoire de Clitor, et allument ta soif, bois à ma source, et fais arrêter tes chèvres auprès des nymphes de mes eaux; mais garde-toi d'y baigner tes membres; que le poison de sa chaude vapeur ne te fasse point tomber dans l'ivresse; fuis mes eaux ennemies de la vigne; c'est là que Melampus guérit les filles de Prétus de leur fureur terrible, après avoir accompli un sacrifice mystérieux, quand, à son départ d'Argos, il arriva dans les montagnes de la sauvage Arcadie. » 22. L'île de Chio possède de même une fontaine dont les eaux font perdre la raison à ceux qui en boivent imprudemment; on y lit aussi une inscription qui signifie que ses eaux sont agréables à boire, mais que celui qui en boit aura le coeur dur comme un rocher. En voici les vers : « Il est agréable de boire les eaux fraîches que répand cette fontaine; mais elles changent en rocher le coeur de celui qui en boit. » 23. A Suse, capitale du royaume de Perse, il y a une petite fontaine qui fait tomber les dents de ceux qui yboivent. Elle a aussi son inscription qui porte que les eaux en sont bonnes pour le bain, mais que ceux qui en boivent perdent leurs dents. Cette inscription est en vers grecs : « Étranger, qui vois cette fontaine, tu peux sans danger y baigner tes mains ; mais si tu en fais descendre les eaux limpides dans le creux de ton estomac, tu n'en auras pas plutôt touché la surface de tes lèvres allongées, que ce régal fera immédiatement tomber à terre tes dents grinçantes, sans en laisser une seule dans ta mâchoire. |
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IV
De proprietate nonnulorum locorum et fontium. |
IV. Des qualités particulières à certains lieux et à certaines fontaines. 1. Il y a des contrées où les fontaines ont la vertu de donner aux naturels de ces pays des voix admirablement propres au chant, comme Tarse, Magnésie et d'autres lieux encore. Zama est une ville d'Afrique; le roi Juba la fit entourer d'un double mur, et y fit bâtir son palais : à vingt milles de distance se trouve lé fort d'Ismuc. La campagne qui l'environne est d'une immense étendue. Bien que l'Afrique produise et nourrisse beaucoup de bêtes nuisibles, et surtout des serpents, il n'en naît pas une seule dans la circonscription de cette campagne, et si l'on y en apporte quelqu'une, elle meurt immédiate-ment. Ce n'est pas tout, la terre transportée autre part produit le même effet. On dit que la terre des îles Baléares est de même nature; mais elle a une autre propriété bien plus merveilleuse encore. Voici ce que j'en ai entendu raconter. 2. C. Julius, fils de Masinissa, à qui appartenaient les terres qui entourent ce fort, servait sous les drapeaux de César, votre père; il reçut l'hospitalité dans ma maison, et dans nos rapports journaliers, la philologie servait de texte à nos entretiens. Notre conversation étant tombée un jour sur la nature des eaux et leurs propriétés, il me raconta que, dans cette terre, il y avait des fontaines dont les eaux donnaient de la beauté à la voix de ceux qui y naissaient; que c'était pourquoi les habitants allaient au delà des mers acheter de jeunes et beaux esclaves de l'un et de l'autre sexe, afin que les enfants qui en naîtraient, réunissent en eux la beauté de la voix à celle du corps. 3. Si la nature a répandu dans ses diverses productions une variété telle que le corps humain, dans la composition duquel entre une petite partie de terre, contient plusieurs sortes de substances liquides, comme du sang, du lait, de la sueur, de l'urine, des larmes; si donc avec une si petite portion de terre, on voit réunies tant de matières de qualités différentes, il ne faut pas s'étonner qu'il se rencontre dans la masse du globe terrestre une si prodigieuse variété de sucs à travers lesquels venant à passer les eaux s'en trouvent imprégnées quand elles arrivent à la source des fontaines, où elles présentent toutes les différences, toutes les variétés qu'elles doivent à la nature si diverse de toutes les parties de la terre. 4. De tous ces phénomènes, il en est quelques-uns que j'ai vérifiés moi-même; j'ai lu le reste dans des auteurs grecs, tels que Théophraste, Timée, Posidonius, Hégésias, Hérodote, Aristide, Métrodore, qui, grâce au soin et au zèle qu'ils ont apportés dans leurs recherches, ont prouvé que c'était à la différence des climats que chaque pays, chaque fontaine devait ses propriétés, ses qualités, ses vertus. J'ai puisé dans les ouvrages de ces auteurs, et j'ai écrit dans ce livre ce qu'il m'a paru indispensable de faire connaître sur la diversité des eaux, afin que mes observations donnent plus de facilité pour choisir les fontaines dont l'usage sera le plus avantageux aux villes et aux municipes où on les conduira. 5. Est-il, en effet, rien sur la terre dont l'usage soit d'une nécessité aussi absolue que celui de l'eau ? Que les êtres animés viennent à manquer ou de blé, ou de fruits, ou de chair, ou de poisson, ou même de toutes ces choses à la fois, ne restera-t-il pas quelque autre aliment dont ils pourront se servir pour sustenter leur vie? Mais sans l'eau, ni les êtres animés, ni tout ce qui sert à les alimenter, ne pourront naître, ni se conserver. Aussi est-ce avec le plus grand soin, la plus grande précaution, qu'on doit chercher et choisir des fontaines qui soient favorables à la santé de l'homme. |
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Caput
5. De aquarum experimentis. |
V. Moyen de connaître la qualité des eaux. 1. Voici la manière de connaître, d'apprécier la qualité des eaux. Si elles coulent à découvert, avant de se mettre à établir des conduits, il faudra examiner avec attention quelle est la complexion des habitants du lieu : des membres robustes, un teint coloré, des jambes saines, des yeux purs sont les meilleures preuves de la bonté des eaux. Une fontaine a-t-elle été nouvellement ouverte, que quelques gouttes de son eau soient jetées sur du cuivre de Corinthe, ou sur toute autre espèce de cuivre de bonne qualité; l'absence de tache prouvera l'excellence de cette eau. Mettez encore de cette eau à bouillir dans un vase de cuivre, laissez-la ensuite reposer; si, après avoir été transvasée, elle n'a laissé aucun dépôt de sable ou de limon, c'est une preuve de sa bonté. 2. Des légumes mis dans un vase viennent-ils à cuire promptement dans cette eau, regardez-la comme bonne et saine. Cette même eau, dans sa source, est-elle limpide et transparente, sans mousse, sans jonc qui naisse dans les lieux que son cours sillonne, sans ordure qui les salisse, conserve-t-elle toujours une apparence de pureté, ce sont des signes qui attestent qu'elle est légère et très salubre. |
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Caput
6. De librationibus aquarum et instrumentis ad hunc usum. |
VI. De la manière de niveler les eaux, et des instruments qu'on doit employer. 1. Je vais maintenant expliquer les moyens de conduire les eaux aux habitations et aux villes. Le premier, est d'en prendre le niveau. Pour cela on se sert du dioptre, des balances faites pour cet usage, et du chorobate. Ce dernier instrument est le plus exact; on peut se tromper avec les deux autres. Le chorobate se compose d'une règle, longue d'environ vingt pieds; aux extrémités de cette règle se trouvent deux pièces de même dimension, qui y sont assemblées en forme de bras d'équerre, et entre la règle et les extrémités de ces deux pièces coudées s'étendent deux traverses fixées par tenons, sur lesquelles on trace des lignes perpendiculaires; sur ces lignes viennent correspondre des plombs attachés de chaque côté à la règle. Ces plombs, lorsque la machine est en place, venant à rencontrer perpendiculairement les lignes tracées sur les pièces de dessous, font voir que l'instrument est bien de niveau. 2. S'il arrivait que le vent, en agitant le plomb, l'empêchât de se fixer d'une manière certaine, il faudrait alors creuser sur le haut de la règle un canal long de cinq pieds, large d'un doigt, profond d'un doigt et demi, et y verser de l'eau; si l'eau touche également l'extrémité des bords du canal, c'est que l'instrument sera bien de niveau. Ainsi, à l'aide du chorobate, il sera facile de connaître la hauteur de l'eau. 3. Ceux qui ont lu les livres d'Archimède diront peut-être que l'eau ne peut pas donner un niveau bien juste, parce qu'il pense que l'eau présente non une surface plane, mais une surface arrondie, dont le centre est celui de la terre. Mais que la superficie de l'eau soit plane ou courbe, il faudra que les deux bouts du canal creusé dans la règle mise à niveau soutiennent également l'eau à droite et à gauche, et que si, au contraire, le canal penche d'un côté, l'eau ne monte plus de l'autre qui sera plus élevé, jusqu'au bord du canal : car, bien que l'eau, dans quelque chose qu'on la mette, s'arrondisse au milieu et y fasse une courbe, les deux extrémités n'en seront pas moins équilibrées entre elles à droite et à gauche. On trouvera à la fin de ce livre la figure du chorobate. Si l'eau a beaucoup de pente, il n'en sera que plus facile de la conduire, et si elle rencontre des fondrières sur son passage, il faudra avoir recours, pour soutenir l'aqueduc, à des constructions inférieures. |
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Caput
7. De ductionibus aquarum : de puteorum fossionibus; de cisternis et de
signis operibus. 16. Quae potui de aquae virtute et varietate, quasque habeat utilitates, quibusque rationibus ducatur et probetur, in hoc volumine posui; de gnomonicis vero rebus et horologiorum rationibus in sequenti perscribam. |
VII. De la manière de conduire les eaux, de creuser les puits, de faire les citernes, et autres ouvrages maçonnés à chaux et à ciment. 1. On peut conduire les eaux de trois manières, ou par des aqueducs en maçonnerie, ou par des tuyaux de plomb, ou par des tuyaux en poterie. Si l'on fait usage de la première manière, la construction devra être d'une grande solidité, et l'on fera couler l'eau sur un lit dont la pente sera d'un demi-pied au moins sur une longueur de cent pieds; cet aqueduc sera voûté, afin que l'eau ne soit point exposée à l'action du soleil. Quand il sera arrivé auprès des murailles de la ville, on construira un bassin près duquel on placera trois réservoirs. De ce bassin, trois robinets seront disposés sur la même ligne au-dessus des réservoirs, de manière que si l'eau vient à être trop abondante dans ceux des extrémités, elle puisse tomber dans celui du milieu. 2. Ainsi, de ce réservoir du milieu, partiront les tuyaux qui enverront l'eau clans tous les lavoirs et dans les fontaines jaillissantes; le second bassin fournira l'eau des bains qui, chaque année, assureront un revenu au peuple; le troisième approvisionnera les maisons des particuliers. Voici la raison de cette distribution : l'eau ne manquera point pour les besoins publics, puisque les conduits particuliers qui la prendront au réservoir empêcheront qu'elle ne puisse être détournée; et les citoyens qui voudront avoir de l'eau chez eux payeront aux receveurs un impôt qui servira à l'entretien des aqueducs. 3. S'il se rencontre des montagnes entre la ville et la source de la fontaine, il faudra les percer en ménageant la pente dans les proportions indiquées plus haut; s'il s'y trouve du tuf ou de la pierre, on y creusera le canal; si le sol est terreux ou sablonneux, on construira deux murailles avec une voûte qu'on continuera jusqu'à l'extrémité. Dans la longueur de l'aqueduc, on pratiquera des puits à la distance de cent vingt pieds les uns des autres. 4. Si l'on conduit l'eau dans des tuyaux de plomb, on construira sur la source un regard, et depuis ce regard jusqu'à celui qui est contre les murs de la ville, on posera des tuyaux dont le diamètre devra être proportionné à la quantité d'eau. Les tuyaux seront fondus de la longueur de dix pieds au moins. Si les lames ont cent doigts de largeur, chaque tuyau pèsera douze cent six livres; si elles en ont quatre-vingts, il pèsera neuf cent soixante livres; si elles en ont cinquante, il pèsera six cent livres; si elles en ont quarante, il pèsera quatre cent quatre.. vingts livres; si elles en ont trente, il pèsera trois cent soixante livres; si elles en ont vingt, il pèsera deux cent quarante livres; si elles en ont quinze, il pèsera cent quatre-vingts livres; si elles en ont dix, il pèsera cent vingt livres; si elles en ont huit, il pèsera quatre-vingt-seize livres; si elles en ont cinq, il pèsera soixante livres. Or, c'est du nombre des doigts qui forment la largeur des lames avant d'être arrondies que les tuyaux prennent leur dénomination. Et la lame de cinquante doigts, destinée à faire un tuyau, lui fera donner le nom de tuyau de cinquante doigts, et ainsi des autres. 5. La conduite des eaux qui doit se faire par le moyen de tuyaux de plomb, aura cet avantage, que si, depuis la source jusqu'à la ville, la pente est convenable, et que les montagnes intermédiaires ne soient point trop hautes pour l'interrompre, il faudra remplir les intervalles avec de la maçonnerie jusqu'au niveau de la pente, comme pour les aqueducs; et même si le détour n'est pas trop long, on pourra faire poser les tuyaux autour de la montagne; mais si l'on rencontre une vallée qui ait beaucoup de largeur, on fera suivre l'inclinaison aux tuyaux, jusqu'à ce qu'ils soient arrivés au fond de cette vallée, dont ils conserveront le niveau le plus longtemps possible, sans maçonnerie qui les élève : c'est cette partie qu'on appelle ventre, en grec κοιλίαν, puis, lorsque les tuyaux seront parvenus au coteau opposé, l'eau, un peu resserrée par la longueur du ventre, finira par s'élever jusqu'au sommet. 6. Si les tuyaux ne formaient point ce ventre au fond de la vallée; si, au lieu de leur donner une légère pente, on leur faisait faire immédiatement le coude, l'eau séparerait, briserait les jointures des tuyaux. Dans l'espace appelé ventre, on fera aussi des ventouses qui donneront jour à l'air qui s'y trouve enfermé. Ainsi, ceux qui se serviront de tuyaux de plomb pour conduire les eaux, pourront parfaitement le faire, et en droite ligne, et par des détours, et en la faisant descendre, et en la faisant monter, lorsqu'on aura une pente raisonnable depuis la source jusqu'à la ville. 7. Il ne sera point inutile de placer des regards à des distances de quatre mille pieds, afin que si quelque en-droit vient à se détériorer, il soit facile de le trouver, sans qu'on soit obligé de briser tout l'ouvrage. Mais ces regards ne doivent se faire ni sur les pentes, ni dans la partie qu'on appelle ventre, ni dans celle où l'eau remonte, ni dans les vallées, mais seulement dans les lieux où les tuyaux parcourent un long espace en conservant le niveau de la source. 8. Si l'on veut faire moins de frais pour conduire l'eau, on se servira de tuyaux en terre cuite, de l'épaisseur de deux doigts au moins. Ces tuyaux devront être plus petits par un bout, afin qu'ils puissent facilement s'emboîter l'un dans l'autre. Quant aux joints, on les fixera avec de la chaux vive délayée avec de l'huile. Les tuyaux qui descendent sont réunis par un coude à ceux qui forment le ventre : ce coude sera fait avec un morceau de pierre rouge, qu'on percera de manière que le dernier des tuyaux qui descendent puisse s'ajuster à la pierre aussi bien que le premier de ceux qui forment le ventre. Du côté opposé, il y aura un autre coude, également en pierre rouge, où viendront s'ajuster le dernier des tuyaux qui forment le ventre, et le premier de ceux qui remontent. 9. Après avoir ainsi organisé les tuyaux, tant ceux qui se trouvent horizontalement placés, que ceux qui montent ou qui descendent, il n'y aura point d'accident à craindre. C'est que souvent il se forme dans les conduits des eaux un air assez violent pour les faire éclater, si l'on n'a point eu la précaution d'y introduire tout doucement l'eau par la première embouchure, et de les bien assujettir aux coudes ou aux détours par des liens ou par une charge de gravier. Pour tout le reste, ce sont les mêmes précautions que pour les tuyaux de plomb. Il est encore bon, avant que les tuyaux ne reçoivent l'eau, d'y faire entrer de la cendre chaude, afin que si quelque jointure n'avait point été assez calfeutrée, la cendre pût y remédier. 10. Les tuyaux de terre cuite ont cet avantage, que s'il arrive quelque accident, il est facile de le réparer, et que l'eau y est bien meilleure que dans les tuyaux de plomb. Ce qui la rend mauvaise dans ces derniers, c'est qu'il s'y forme de la céruse, matière que l'on dit être très-nuisible au corps de l'homme. Or, si le plomb produit des matières malsaines, nul doute qu'il ne soit lui-même contraire à la santé. 11. Nous pouvons en voir une preuve dans les plombiers, dont le teint est d'une extrême pâleur. Lorsque le plomb est en fusion, la vapeur qui s'en exhale pénétrant dans les corps, les dessèche de plus en plus, et finit par en-lever au sang ses qualités essentielles; aussi semble-t-il qu'il faille ne se point servir de tuyaux de plomb pour conduire les eaux, si l'on veut les avoir bonnes. Les tuyaux de terre cuite la rendent même meilleure à boire: c'est ce que confirme l'expérience de tous les jours. Ne voyons-nous pas, en effet, que ceux qui ont des buffets garnis de vaisselle d'or et d'argent, aiment mieux boire dans des vases de terre? 12. Dans les endroits où il n'y aura point de fontaines dont on puisse amener les eaux, il faudra nécessairement creuser des puits; mais c'est un travail qui ne doit pas être fait à la légère : il faut, au contraire, mettre toute sa science, toute son habileté à examiner les dispositions que présente la nature; et la terre renferme des substances aussi variées que nombreuses : car, comme toutes les autres choses, elle est composée de quatre principes : de terre d'abord, puis d'eau : de là les fontaines; ensuite de feu : c'est lui qui fait naître le soufre, l'alun, le bitume ; elle se compose enfin d'air. Les va-peurs en sont nuisibles et pernicieuses; et, par les nombreuses veines de la terre, elles arrivent jusqu'aux puits, où elles font beaucoup de mal aux fossoyeurs. En s'insinuant dans leurs narines, elles leur ôtent la respiration, de sorte qu'ils étouffent, s'ils ne se soustraient pas au plus vite à leur action. 13. Pour prévenir cet accident, voici ce qu'il faut faire : on descend clans le puits une lampe allumée : si elle v reste sans s'éteindre, on ne risque rien d'y pénétrer; mais si, par la force de la vapeur, elle cesse de brûler, on devra alors, à droite et à gauche du puits, creuser des soupiraux : par ces ouvertures, la vapeur pourra s'échapper, comme par le registre d'un fourneau. Lors-que ce travail sera une fois terminé, et que l'eau apparaîtra, on élèvera le mur du puits, de manière à ne point boucher les sources. 14. Mais si le sol était trop dur, ou que les sources fus-sent trop avant dans la terre, on construirait alors à chaux et à ciment des citernes dans lesquelles on recevrait l'eau qui tomberait des toits ou d'autres lieux élevés. Voici comment se fait ce genre de maçonnerie. On prépare du sable pur et rude; on casse des cailloux par morceaux qui pèsent une livre au plus; on a de très-forte chaux. Un bassin reçoit ce mélange, composé de cinq parties de sable contre deux de chaux, auquel on ajoute les cailloux; on creuse ensuite une tranchée jusqu'à la profondeur que l'on veut donner à la citerne, et on la remplit de ce mortier, que l'on bat avec des leviers ferrés. 15. Une fois les quatre murs terminés, on enlève la terre du milieu jusqu'au bas des murs, et quand le fond a été bien aplani, on le couvre d'une couche de ce même mortier, que l'on bat jusqu'à ce qu'elle ait acquis l'épaisseur nécessaire. Si l'on fait deux ou trois citernes, de manière qu'en passant de l'une dans l'autre, l'eau puisse se clarifier, elle est bien meilleure, bien plus douce à boire. Le limon trouvant où se déposer, l'eau devient plus limpide et conserve son goût naturel, sans prendre une odeur étrangère; sinon, on est obligé d'y ajouter du sel pour la rendre plus légère. 16. Tout ce que j'ai pu découvrir sur la qualité de l'eau, sur ses variétés, sur l'usage qu'on en peut faire, sur les moyens de la conduire et d'en connaître les propriétés, je l'ai consigné clans ce livre; la manière de faire les cadrans solaires et les horloges fera la matière du livre suivant. |
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(01) - Thalès Milesius. Cette introduction est à peu près la répétition de ce qui a été dit dans le 2e chapitre du IIe livre, où l'auteur cherche à appuyer, par l'opinion des philosophes, les raisonnements qu'il contient sur les divers matériaux qu'on emploie pour la construction des édifices, particulièrement dans le 9e chapitre, où il traite des arbres. Tout ce qu'il dit dans ce IIe livre facilite beaucoup l'intelligence de cette introduction. Il commence dans les deux endroits par citer l'opinion de Thalès, qui prétendait que l'eau était le principe de toutes choses. Il cite ensuite celle d'Heraclius, qui disait que c'était le feu ; puis, après avoir parlé du système de ces philosophes, il revient à celui des pythagoriciens, son système favori, et termine en traitant de tout ce qui concerne les eaux, que les prêtres égyptiens honoraient d'un culte religieux. (02) - Aqua. Lire dans Pline (Hist. Nat., liv. XXXI, ch. I) l'éloge qu'il fait de l'eau, proclamée par lui comme la cause de toutes les forces terrestres. (03) - Itaque quum hydriam tegunt. Pour terminer l'introduction de ce livre, où Vitruve va traiter de tout ce qui concerne les eaux, il raconte comment les prêtres égyptiens honoraient d'un culte religieux, l'élément si utile auquel ils devaient surtout la fécondité de la terre qu'ils habitaient, et que fertilisait le débordement du Nil. Ils couvrent, dit-il, le vase à mettre de l'eau, et le portent dans un temple, où ils se prosternent devant lui, en élevant les mains vers le ciel. Perrault n'a pas ainsi rendu ce passage. Suivant lui, les prêtres considéraient ce vase comme un temple dans lequel résidait leur divinité. Il faut, dit Galiani, que le texte dont s'est servi Perrault soit différent de tous les autres. Ce n'est pas, selon de Bioul, pour cette raison; mais Perrault aura cru que le vase dont parle ici Vitruve, était le dieu Canope qu'on représentait sous la forme d'un vase couvert d'hiéroglyphes, et surmonté d'une tête humaine qui lui servait de couvercle; on en voit plusieurs à Rome, un entre autres, au Capitole, qui est de basalte. (04) - Uti procumbatur in dentes. Les moyens indiqués ici par Vitruve pour la recherche des eaux se retrouvent tous dans Pline (Hist. Nat., liv. XXXI, ch. 21 et suiv.). Voyez PALLADIUS, Écon. rur., liv. ix, ch. 8. Les mots in dentes semblent une altération de videntes, qu'on trouve, du reste, dans quelques manuscrits. Il faudrait peut-être lire, comme Pontédéra : uti procumbantur videntes, ou mieux procumbant. Celui qui est couché sur les dents ne peut guère voir que le sol qu'il a immédiatement sous les yeux, et l'expression in terra mento collocato rend la première inutile : quand on est appuyé sur le menton, peut-on être étendu sur les dents? Cette idée, que fait naître le passage de Palladius, est encore cité par Pline (liv. XXXI, ch. 27) : « Certior multo nebulosa exhalatio est, ante ortum solis longius intuentibus : quod ex edito quidam speculantur, proni terram mento attingente. » Cassiodore, dans une lettre de Théodoric, premier roi des Ostrogoths, où il rapporte une grande partie des signes que Vitruve donne ici pour trouver des sources, ajoute que la hauteur à laquelle ces vapeurs s'élèvent, montre combien les eaux sont avant sous terre. Il ajoute encore un autre signe qu'il dit être regardé comme infaillible par ceux qui découvrent les sources; c'est lorsque le matin on voit comme des nuées de petites mou ches qui volent contre terre toujours au même endroit. (05) - Quo genere sint loca. Il faut examiner la nature du terrain pour pouvoir juger de la quantité et de la qualité des eaux. Pline et Palladius donnent les mêmes renseignements que Vitruve. Palladius (Écon. rur., liv. IX, ch. 8) est assez concis; comparez les deux textes. (06) - Et non certae venae. On trouve, dans un grand nombre de manuscrits et dans les premières éditions de Vitruve : et non incertae venae reperiuntur; mais le texte de Pline est contraire à cette version : glarea incertas venas, sed boni saporis. La même chose se rencontre dans Palladius et dans le Compendium architecturae. (07) - Signa autem quibus terrarum generibus subeunt aquae Six indices, outre celui dont nous venons de parler, sont propres à éclaircir les recherches de l'eau ce sont les petits joncs, les saules sauvages, les aunes, l'osier, les roseaux, les lierres. On peut s'y fier, dit Palladius, lorsqu'il n'y a point de mare dans l'endroit, et que l'eau n'y séjourne ou n'y passe point habituellement. Deux autres indices naturels de l'eau, dit Pline, sont le bechion sauvage, tussilago silvestris (Hist. Nat., liv. XXVI, ch. 16), et surtout ces grenouilles que l'on trouve posées sur le ventre, pectore incumbans rana (liv. XXXI, ch. 27). (08) - Fodiatur quoquoversus locus latus pedes tres, altus ne minus pedes quinque. On trouve dans de vieux textes de Vitruve : fodiatur quoquoversus locus latus ne minus pedes quinque. Mais latus doit être mis pour altus. Palladius (Écon. rur., liv. IX, ch. 8 ) dit : fodiatur latitudine pedibus tribus, altitudine pedibus quinque; Pline (Hist. Nat., liv. XXXI, ch. 27) : loco in altitudinem pedum quinque defosso; il aura négligé d'indiquer, comme chose inutile, la largeur que donne Palladius. Vitruve parle des expériences du vase d'airain, du pot de terre non cuite, de la toison de laine, de la lampe allumée. Voici ce que dit Pline (liv. XXXI, ch. 27) : « Ollisque e figlino opere crudis, aut peruncta pelvi aerea cooperto [loco], lucernaque ardente concamerata frondibus, dein terra. » Bien que l'expérience de la toison soit omise ici, Pline la connaissait néanmoins, comme le font voir les lignes suivantes : « Si figlinum humidum ruptumve, aut in ære sudor, vel lucerna sine defectu olei restincta, aut etiam vellus lanæ madidum reperiatur. » (09) - Haec autem maxime in montibus et regionibus septentrionalibus sunt quaerenda. Cette généralité n'est pas exacte, dit l'annotateur de Pline. Les exemples par lesquels Pline l'infirme, ne sont pas seulement les exceptions inévitables d'une règle générale. La même chose a lieu dans tous les pays du monde. Réduisons à deux les directions des chaînes de montagnes : que l'une soit de l'est à l'ouest ou réciproquement, que l'autre marche du nord au sud et vice versa. Dans celle-ci les deux versants envoient des cours d'eau à l'ouest et à l'est; leurs ramifications en envoient au sud et au nord qui vont joindre le cours d'eau principal. Dans celle-là, les cours d'eau se dirigent naturellement vers le nord et vers le sud. Ou peut citer de simples monts qui envoient des fleuves dans toutes de directions. Du Fichtelberg, par exemple, sortent, pour courir au sud, la Sala; au nord, le Rade; à l'est, l'Eger; à l'ouest, le Mein.
(10) - Itaque
quae ex imbribus aqua colligitur salubriores habet virtutes.
On sait que la pluie vient des nuées dont les molécules aqueuses qui
demeurent suspendues dans l'air, tant qu'elles sont séparées les unes
des autres, tombent quand, rapprochées et réunies par une cause
quelconque, elles sont devenues plus pesantes que l'air. Paul d'Égine
donne la préférence à l'eau de pluie, à cause de sa légèreté, de
sa douceur, de sa limpidité, de sa ténuité. C'est aussi l'opinion de
Columelle (Écon. rur., liv. I, ch. 5) : Coelestis
aqua maxime salubris intelligitur.
Telle n'était point l'opinion de Pline, qui (Hist. Nat., liv.
XXXI, ch. 21) donne la préférence à l'eau courante. (11). - Etiamque non crebriter in campis confluant imbres, sed in montibus aut ad ipsos montes. Il est vrai, comme le fait observer Vitruve quelques lignes plus bas (quum perveniunt ad montes, ab eorum offensa.... disperguntur), que les hautes montagnes arrêtent les nuages, les rompent ; ce qui serait, ce me semble, une raison pour qu'il plût moins sur les montagnes que dans les plaines, parce que, comme le dit Perrault, les nuées qui sont un air propre à être condensé et changé en eau, après avoir passé sur les vallées, et s'être épaissies par la rencontre des montagnes contre lesquelles elles vont frapper, ne pourraient tomber que sur le penchant de la montagne contre lequel elles viendraient heurter. (12) - Aer. Dans ce chapitre, Vitruve répète à peu près ce qu'il a déjà dit dans le 6e chapitre du livre ler, sur les causes qui produisent les vents. L'air, comme on sait, est un fluide compressible qui se dilate par la chaleur et se condense par le froid. Quand une partie de l'atmosphère s'échauffe ou se refroidit, il se fait un mouvement de translation de l'air, par lequel une partie assez considérable est poussée d'un lieu dans un autre avec plus ou moins de vitesse; c'est ce qu'on nomme le vent. Vitruve a donc raison de dire que la chaleur du soleil occasionne dans l'air chargé de beaucoup d'humidité, l'expansibilité de ce fluide qui pousse celui d'alentour qui n'est pas raréfié; mais, comme le fait observer de Bioul, l'attraction qu'il attribue à la raréfaction de l'air n'existe pas. Si, dans quelque partie de l'atmosphère, la chaleur du soleil occasionne l'expansibilité de l'air, et que dans une autre partie il se trouve condensé, l'air qui se trouve entre eux, poussé par celui qui se raréfie, se portera vers celui qui se condense, si bien que toute l'impulsion de l'air raréfié agit vers l'endroit où la condensation se fait, parce que l'espace qu'occupait l'air avant d'être condensé, devenant moins rempli par la condensation, donne place à celui qui est poussé par l'air raréfié, ce qui paraît une attraction, quoique en réalité cela détermine seulement le lieu vers lequel l'impulsion se fait. (13) - Vaporem autem et nebulas et humores ex terra nasci. Presque tous les corps liquides exposés à la chaleur de l'air se décomposent ; alors les parties les plus volatiles se dégagent des plus pesantes, et s'élèvent peu à peu dans l'atmosphère. L'évaporation de l'eau est la plus abondante de toutes. De ce fluide, répandu sur toute la surface du globe, qui occupe la vaste étendue des mers, il s'élève sans cesse une quantité de vapeurs. L'hydrogène, le plus léger de tous les fluides pondérables, qui l'est treize fois plus que l'air que nous respirons, est une des parties constituantes de l'eau. Dès que la chaleur agit sur celle-ci, et en décompose une partie, l'hydrogène se dégage; plus léger que l’air atmosphérique, il s'élève et emporte quelques parcelles d'eau : cette évaporation continuelle et abondante forme les nuages que nous voyons dans les airs. Il est tout simple qu'à mesure que les climats se rapprochent du cours du soleil, l'action de sa chaleur ait plus de force, soit plus continuelle; que conséquemment l'évaporation soit plus considérable; que le sol de ces climats en devienne plus sec. Vitruve apporte, pour preuve de cette assertion, que les vents méridionaux sont très humides, et amènent beaucoup de pluie, parce que le soleil a pompé beaucoup de vapeurs dans cette partie; et pour la raison contraire, les vents du nord n'amènent que la sécheresse : ce qui est en partie vrai, surtout pour la Grèce et l'Italie, parce que, pour ces pays, les vents du midi viennent de la mer; mais il n'en est pas moins vrai que les vents du nord sont aussi très pluvieux dans les pays qui ont la mer au septentrion, et qu'au contraire le vent du midi y sera très-sec, s'il y vient du côté de la terre. (14) - Capita fluminum. L'argument que Vitruve tire de l'exposition de la source des grands fleuves au midi, pour prouver l'attraction que le soleil fait de l'humidité, n'est pas très exact, parce que la grandeur des fleuves ne dépend pas de leurs sources, qui ne sont bien souvent que de petites fontaines. (15) - Orbe terrarum chorographiis picta. La chororaphie (des mots grecs χόρος, région, contrée, lieu, et γράφειν écrire) est différente de la géographie, comme la description d'un pays l'est de celle de toute la terre. On ne sait guère à quel temps cette science peut remonter dans l'antiquité. Ce qu'il y a de certain, c'est que les peuples qui ont eu le plus de réputation, ont reconnu l'utilité de la géographie. La première carte dont parlent les anciens auteurs, s'il faut les en croire sur des temps aussi éloignés, serait celle que Sésostris, le premier et le plus grand conquérant de l'Égypte, fit exposer devant son peuple, pour lui faire connaître, dit-on, les nations qu'il avait soumises, et l'étendue de sou empire, dont les embouchures du Danube et de l'indus faisaient les bornes. La table de Peutinger est le seul monument de ce genre qui nous soit resté des anciens. (16) - Plurima
maximaque inveniuntur egressa ab septentrione.
On doit entendre, dit Stratico, que les plus grands fleuves coulent, non du
septentrion proprement dit, mais de l'hémisphère septentrional vers
l'hémisphère austral. (17) - Ex
monte Atlante Dyris. La description que
Vitruve fait du Nil est très intéressante. Si on la confronte avec les
cartes modernes les plus exactes, on verra qu'il connaissait le cours de ce
fleuve jusqu'à sa source, à peu près cousine nous le connaissons
aujourd'hui. Ce fleuve commence effectivement au mont Atlas, et comme les
Barbares, d'après ce que rapporte Strabon, appelaient cette montagne Dyris,
on aura probablement donné aussi le nom de Dyris à la partie du Nil qui
s'étend depuis sa source, et prend son cours vers l'occident, jusqu'au lac
qui s'appelait alors Eptabole, aujourd'hui Dambea. Sorti de ce lac, il
s'avance, en tournant, vers le midi, jusqu'à ce qu'il entre dans le marais
Coloé.
(18) - Nec
fontinalis ab Camoenis. La fontaine de
Carnène, dit de Bioul, existe encore aujourd'hui auprès de Rome, en dehors
de la porte Saint-Sébastien. Elle se trouvait autrefois au milieu du bois
des Muses (Camaenarum)
qui lui a donné son nom, ainsi qu'à la porte de la ville qui s'appela
d'abord porte Camène, puis Capène, et enfin Saint-Sébastien. Voyez
TITE-LIVE, liv. I, ch. 21. (19) - Nec
Marcia saliens. Pline (Hist. Nat.,
liv. XXXI, ch. 24 ) parle de l'eau Marcia comme de la plus célèbre de
toutes les eaux, par sa fraîcheur et ses effets salutaires, et la regarde
comme un don des dieux. Voyez FRONTIN, des Aqueducs de Rome, ch. VII. (20) - Per alumen. Entre toutes les espèces d'alun, il ne s'en trouve point qui prennent feu; il y eu a même qui sont moins combustibles que les pierres et que les métaux. (21) - Fluens Albula. Le Tibre portait primitivement le nom d'Albula; mais ce n'est pas de lui qu'il est ici question, Vitruve veut parler des eaux de l'Albula, sur le chemin de Rome à Tivoli, où l'on rencontre cette petite rivière, à trois milles de cette dernière ville. Elle forme près du chemin un petit lac qui produit une écume ou concrétion qui surnage sur les eaux ; cette croûte se charge d'herbes et d'arbrisseaux, ce qui forme de petites îles flottantes que les vents poussent dans toutes les parties du lac. On se servit autrefois de ces eaux pour des bains qui furent fréquentés par Auguste et par Néron. Quoiqu'elles passent généralement pour sulfureuses, elles sont plutôt alumineuses. C'était l'opinion de Galien, de Célius Aurelianus et surtout de Baccio. Voyez SÉNÈQUE, Quest. Nat., liv. III, ch. 20; PLINE, Hist. Nat., liv. XXXI, ch. 6, et STRABON, liv. V. Aujourd'hui ou les appelle Bagni di Tivoli. (22) - Et in Ardeatino fontes frigidi. - Voyez STRABON, liv. V ; PLINE, Hist. Nat., liv. III, ch. 9, et VIRGILE, Énéide, liv. VII, v. 408. (23) - Cutiliis. - voyez PLINE, Hist. Nat., liv. XXI, ch. 6 ; STRABON, liv. V, et CELSE, Traité de la médecine, liv. IV, ch. 5. (24) - Ubi vero aurum, argentum. Toutes ces eaux, dont Vitruve nous fait connaître les propriétés, ne sont autre chose que des eaux minérales qui tiennent en dissolution des substances étrangères, qui leur donnent des qualités bonnes ou mauvaises, qu'elles n'auraient pas sans cela. Les unes sont ferrugineuses, sulfatées, etc.; d'autres sont gazeuses ou acidules; d'autres sont salines; d'autres sont sulfureuses ou hépatiques; d'autres sont chargées de chlorure de soude ou sel marin, et de sélénites. Toutes les sources qui produisent ces eaux, doivent leurs qualités, comme le fait observer Vitruve, aux mines par lesquelles elles passent. (25) - Flumen
est nomine Cydnos. - Voyez, au sujet de
ce fleuve, Q. CURCE, liv. III, ch. 4 et 5; PLINE, Hist. Nat., liv. v,
ch. 22, et liv. XXXI, ch. 8. (26) - Uncti oleo fontes erumpunt, uti Solis. Polycrite attribue les propriétés de l'huile à une source voisine de Soles, en Cilicie. Théophraste eu dit autant d'une autre source située en Éthiopie, qui porte le même nom. Lycus parle d'une fontaine des Indes dont l'eau remplace l'huile dans les lampes. Le même phénomène se voit, dit-on, à Ecbatane. voyez PLINE, Hist. Nat., liv. XXXI, ch. 14. Ce sont des sources d'huile de pétrole. La Hongrie, l'Iran, les bords de la mer Caspienne en ont beaucoup. Λιπαρός en grec, signifie luisant, d'un luisant huileux, et est peut-être la racine du nom donné au fleuve. (27) - Zacyntho. Voici comment Hérodote (liv. IV. ch 195) raconte la manière de tirer la poix d'un lac de Zacynthe : « Cette île renferme plusieurs lacs; le plus grand a soixante-dix pieds en tout sens, sur deux orgyies de profondeur. On enfonce dans ce lac une perche, à l'extrémité de laquelle est attachée une branche de myrte; on retire ensuite cette branche avec de la poix qui a l'odeur du bitume, mais qui d'ailleurs vaut mieux que celle de Piérie. On jette cette poix dans une fosse creusée près du lac, et quand on y en a amassé une quantité considérable, on la retire de la fosse pour la mettre dans des amphores.» (28) - Et circa Dyrrhachium et Apolloniam. - Voyez PLINE, Hist. Nat., liv. XXIV, ch. 25. (29) - λίμνη ᾿Ασφαλτῖτις. Voyez ce que disent, au sujet de ce lac, Pline (Hist. Nat., liv. v, ch. 15) et son annotateur.
(30) - Liquidum
bitumen. Le bitume est une matière
molle, visqueuse, gluante, qui coule le long des montagnes, ou sourd de
terre, nageant sur les lacs et sur les fontaines. Celui qui vient de
Babylone, de Zacynthe et d'Apollonie est liquide. Voyez PLINE, Hist.
Nat., liv. XXXV, ch. 51. (31) - Ut etiam in areis salinarum videtur. Le sel, comme on le voit dans Pline (Hist. Nat., liv. XXXI, ch. 39), est natif ou factice. Le sel factice se tire de la mer, des étangs et des fontaines salées, des puits salants. Le sel natif, qui est de la même nature que l'autre, se tire du sein de la terre; on en rencontre en Catalogne, en Calabre, en Hongrie, etc. Les mines les plus fameuses et les plus abondantes sont celles qui se trouvent en Pologne, dans le voisinage de Cracovie. (32) - Apud insulam Lesbon vinum protyrum. Philander et Barbaro ont remplacé par le mot protropon, qui signifie mère-goutte, celui de protyron que portent la plus grande partie des éditions de Vitruve, et auquel, du reste, MM. Quicherat et Daveluy donnent la même signification dans leur excellent Dictionnaire latin français. Cependant, je suis très porté à croire que protyron ou protyrum désigne un cru, comme les mots suivants : Mamertinum, Falernum, etc. Car que veut prouver Vitruve, sinon que les différents lieux donnent des goûts différents aux fruits de la terre, et la différence qui se trouve entre les vins de mère-goutte et ceux de pressurage, ne me paraît rien faire à l'intention de Vitruve, qui, je le répète, ne me semble vouloir apporter ici que des exemples de vins dont le nom est pris du lieu qui les produit et non d'aucune autre qualité qu'ils pourraient avoir d'ailleurs. Et la raison qu'il y aurait de mettre protropon à la place de protyron devrait être, à mon avis, moins parce que protropon signifie mère-goutte, que parce qu'il serait le nom de quelque peuple, de quelque localité de Lesbos qui nous est inconnue. Pline dit bien que les Abellinates étaient appelés Protropi ; mais c'était un peuple de l'Apulie. Pour revenir encore une fois au mot protyrum, je suis persuadé qu'on entrerait mieux dans le sens de l'auteur, si on le prenait pour un vin de terroir, et qu'il n'y aurait pas grand inconvénient à croire qu'il ne nous est point resté d'historiens ni de géographes qui fassent mention de ce lieu, ou que la localité avait trop peu d'importance pour qu'ils eussent à s'en occuper. (33) - Mœoniam
κατακεκαυμενίτην. Le catakecaumenite (PLINE, Hist. Nat., liv. XIV, ch. 9) est une
espèce de vin nommé ainsi d'une contrée des environs de Laodicée,
qui, selon Strabon (liv. XIII), porte ce nom, dont la signification est
brûlé. Est-ce de ce vin que parle Virgile dansle vers 380 du liv. IV
des Géorgiques? (34) - Lydiam Tmoliten. On lit Meliton; mais ce mot est-il bien pur? N'aurait-il point été mis pour Tmolium, ou plutôt pour Tmoliten, avec une terminaison semblable à celle de catadecaunteniten? C'est l'opinion de Philander. La ville la plus célèbre de la Lydie, dit Pline (Hist. Nat., liv. V, ch. 30), est Sardes sur le flanc du Tmol, couvert de vignobles. Dioscoride et Galien parlent aussi du vin du Tmole. Cette montagne était jadis appelée Tymole : témoin Ovide, Métam., liv. VI, v. 15, et liv. XI, v. 86. (35) - Siciliam
Mamertinum. Pline (Hist. Nat.,
liv. XIV, ch. 8) dit que César, qui le premier assigna aux vins un rang
dans les banquets publics, donna le quatrième au mamertin que produit
Messine, en Sicile. Il s'agit ici des vins de Messine, dont les
habitants se nommaient Mamertins. Messine récolte encore aujourd'hui de
très bons vins qui s'exportent au loin. Ce vin peut atteindre une très
longue durée. Quand il a vieilli pendant trois générations, il peut
aller de pair avec les meilleurs vins, et en prendre le nom. (36) - Campaniam
Falernum. La plaine de Falerne
était fertile en grains, et la montagne, en vins très-estimés des
Romains, et si souvent célébrés par Horace. Voyez PLINE, Hist. Nat.,
liv. XIV, ch. 8, et liv. XXIII, ch. 20. (37) - In
Terracina et Fundis Caecubum.
Auguste donnait la préférence au vin de Sétia, dit Pline (Hist.
Nat., liv. XIV, ch. 8), et presque tous ses successeurs en ont fait
autant. (38) - In
arundinibus et juncis. - Voyez (Hist.
Nat., liv. XII ch. 48) ce que dit Pline du calamus odorant. (39) - Neque
arbores thuriferae. L'arbre qui
produit l'encens arabique est encore inconnu, et l'on doit espérer de
le trouver plutôt parmi les térébinthacées que parmi les conifères,
du moins si l'on consulte les lois analogiques, moins trompeuses que les
opinions qui ne reposent que sur des traditions. Ce qui semble fortifier
cette opinion, c'est que Pline nous apprend (Hist. Nat., liv.
XII, ch. 34) que quelques personnes avaient avancé que la myrrhe et
l'encens étaient fournis parle même arbre. Or, on sait que la myrrhe
est due à un amyris, arbuste de la famille des térébinthacées. Il
rapporte rnêrne (liv XII, ch 31) que le roi Antigone, quand on lui en
apporta un arbrisseau, fut de l'avis de ceux qui disaient que c'était
une sorte de térébinthe. (40) - Neque piperis darent baccas. - Voyez PLINE, Hist. Nat., liv. XII, ch. 14, et la note dans laquelle bon nombre d'inexactitudes sont relevées. (41) - Nec
myrrhae glebulas. Dioscoride dit
(liv. I, ch. 67), que la myrrhe est la larme d'un arbre qui croit en
Arabie, assez semblable à l'épine d'Égypte. On l'obtient par des
incisions que l'on fait aux arbres, depuis les racines jusqu'aux
branches. Celle qu'ils rendent d'eux-mêmes, avant toute incision,
s'appelle stacte, dit Pline (Hist. Nat., liv. XI, ch. 35); c'est
la plus précieuse. (42) - Nec
Cyrenis in ferulis laser nasceretur.
Le laserpitium que les Grecs, même au rapport d'Apicius (de
l'Art culinaire, liv. I, ch. 2, et liv. VII, ch. 1), appellent silphion,
se trouve, selon Pline (Hist. Nat., liv. XIX, ch. 15), dans la
Cyrénaïque qu'on qualifiait de la serpitifére (43) - Sunt enim Boetiae flumina Cephisos et Melas. - Voyez PLINE, Hist. Nat., liv. II, ch. 106 (44) - Lucaniae Crathis. Théophraste dit que le Crathis, près de Thurium, rend blanches les brebis et les vaches, tandis que le Sybaris les rend noires. Les hommes mêmes se ressentent de cette diversité des eaux : une chevelure noire, dure, crépue distingue ceux qui boivent celles du Sybaris; l'usage des eaux du Crathis, au contraire, fait pousser les cheveux et leur communique du moelleux et des nuances plus pâles. Voyez PLINE, Hist. Nat., liv. XXXI, ch. 9 et 10. (45) - Troiae Xanthus. - Voyez PLINE, Hist. Nat., liv. II, ch. 106 (46) - Item in Thessalia fons est profluens. - Voyez PLINE, Hist. Nat., liv. XXXI, ch. 19.
(47) - Quo
loci sepultus est Euripides. Les
biographes et les compilateurs racontent qu'Euripide fut mis en pièces
par des chiens. Ovide a consigné la tradition relative à Euripide,
dans son Ibis, V. 597 (48) - Item est in Arcadia Nonacris. La fontaine de Nonacris, en Arcadie, n'offre en elle-même aucune particularité de nature à inspirer la défiance. On croit qu'elle n'a de funeste que son excessive fraîcheur, vu qu'elle se pétrifie même en coulant. Voyez PLINE, Hist. Nat., liv. XXXI, ch. 19, et liv. II, ch. 106. (49) - Conservare autem eam et continere nihil aliud potes: nisi mulina ungula. A la mule, Justin (liv. XII, ch. 14) et Pausanias (liv. VIII, ch. 18) substituent le cheval; Q. Curce (liv. X, ch. 10), le mulet (jumentum) ; Plutarque (Vie d'Alexandre), l'âne ; Élien, l'onagre ou âne de Scythie. Voyez PLINE, Hist. Nat., liv. XXX, à la fin. (50) - Item Alpibus in Cotti regno. En dépit de presque tous les manuscrits qui portent Crobi, Philander et d'autres commentateurs préfèrent le mot Cotti. Cottius était, en effet, un petit prince de la Gaule Cisalpine, que César Auguste reçut dans son alliance, au rapport d'Ammien Marcellin (liv. XV), et qui donna son nom aux Alpes Cottiennes. Strabon (liv. IV) place le petit État indépendant de Cottius dans la Ligurie, et Pline (Hist. Nat., liv. III, ch. 24) parle de douze cités cottiennes se trouvant dans la contrée des Alpes, et jouissant des privilèges latins. (51) - Item
sunt nonnullæ acidæ venae fontium, uti Lyncesto.
- Voyez PLINE, Hist. Nat., liv. II, ch. 106. Vibius Sequester
emploie le mot Lycesus, et dit que c'est un fleuve de Thrace.
Ovide en parle au liv. XV de ses Métamorphoses, v. 329 : (52) - Et in Italia Velino, Campania Teano. Le mot Velino, adopté par Perrault, Galiani, Newton et Ortiz, présente bien des variantes. C'est tantôt Virenna, Virena qu'on lit; tantôt Vienna, Vicina, Vicinia. C'est, du reste, le mot employé par Pline (Hist. Nat., liv. XXXI, ch. 5). (53) - Quod acer et acidus succus. Pline Hist. Nat., liv. XV. ch. 32) distingue treize espèces de saveurs, soit dans les fruits, soit dans les sucs. (54) - Item margarita, non minus saxa silicea. La vertu pénétrante du vinaigre brise les rochers que le feu même n'a pu calciner, dit Pline (Hist. Nat., liv. XXIII, ch. 27). Vitruve et Pline rappellent sans doute ici le passage d'Hannibal dans les Alpes, et cette prétendue trouée qu'il fit à travers les rochers, en les dissolvant avec du vinaigre. Il est vraiment curieux, dit un annotateur de Pline, qu'une pareille fable ait pu trouver des gens crédules. Que le vinaigre désagrège les calcaires, soit : le gaz carbonique se dégage, et il y a formation de sous-acétate de chaux; mais la totalité du vinaigre que produit l'Europe entière, si elle était réunie au pied des Alpes, ne pourrait, en plus de temps qu'Hannibal n'en mit à subjuguer la presque totalité de l'Italie, parvenir à désagréger complètement les molécules d'une seule de ces roches. Quelques auteurs ont pensé que par rupit aceto, il fallait entendre qu'Hannibal avait doublé la dose de posca (boisson d'eau et de vinaigre) à ses soldats, afin qu'ils supportassent mieux les fatigues de la traversée; mais pourquoi Pline prend-il ici la chose au sérieux ? Les exploits miraculeux d'Hannibal, sa brusque invasion en Italie, étaient extraordinaires; il fallait des moyens qui le fussent aussi pour les expliquer : or, dissoudre des rochers pour se frayer un passage dans l'intérieur de leur masse, a paru un moyen digne de cet homme qui mil l'empire romain à deux doigts de sa perte. Voyez dans Pline Hist. Nat., liv. IX, ch. 58) l'histoire des deux perles de Cléopâtre. (55) - In Arcadia vero civitas est non ignota Clitoris, in cujus agris est spelunca profluens aqua. Cette source avait formé et alimentait sans doute un lac; car nous lisons dans Pline : « Vinum in taedium venire his qui ex Clitorio lacu biberint, ait Eudoxus. » Voyez PLINE, Hist. Nat., notes du liv. XXXI, ch. 13. (56) - Zama est civitas Afrorum. La ville de Zama est célèbre par la victoire que Scipion y remporta sur Hannibal, victoire qui mit fin à la deuxième guerre punique (201 ans av. J.-C.). Voyez PLINE, Hist. Nat., liv. V, ch. 4. (57) - Oppidum Ismuc. Le nom de cette place forte ne se rencontre dans aucun des écrivains anciens; et les modernes qui en parlent citent Vitruve pour toute autorité. Ortiz croit devoir rapporter à cette place ce passage d'Hirtius, de Bello Africano, c. XL : Il y avait dans la plaine où cette action se passait, une grosse maison de campagne, flanquée de quatre tours, qui empêchait Labienus de voir qu'il était coupé par la cavalerie de César. Aussi ne s'aperçut-il de l'arrivée de ces troupes que par le carnage des siens qu'elles avaient pris par derrière. (58) - C. Julius, Masinissae filius. Vitruve est le seul écrivain qui parle de ce Jules, fils de Masinissa. Salluste, qui nomme tous les fils de ce célèbre ami des Romains, ne dit rien de celui-ci, et il semble que Masinissa est trop éloigné du temps d'Auguste, pour que Vitruve ait pu voir quelqu'un de ses enfants; de là on tire un argument en faveur de ceux qui ne veulent pas que Vitruve ait vécu du temps d'Auguste. Mais comme il est constant que ce Masinissa a eu beaucoup d'enfants, tant légitimes que naturels, et même dans son extrême vieillesse, il n'y a rien qui puisse empêcher de croire que le fils qu'il eut d'une concubine à quatre-vingt-douze ans, ne soit ce Jules qui, n'ayant joué aucun rôle sous le règne de Micipsa, successeur de Masinissa, n'a donné à Salluste aucune occasion de parler de lui; et ce caractère de philosophe que lui donne Vitruve, rend cette conjecture assez probable. Pour ce qui est du temps, dit Perrault, il n'est pas impossible, puisqu'il ne se trouve qu'environ cent ans entre la naissance de ce fils de Masinissa et le commencement de l'empire d'Auguste, époque à laquelle Vitruve, déjà fort âgé, a composé son livre, que cet architecte ait pu voir dans sa jeunesse C. Jules déjà avancé en âge. (59) - Cum patre Caesare militavit. On sait qu'Auguste, connu jusqu'à son avènement au trône sous le nom d'Octave, premier empereur romain, était fils du sénateur C. Octavius, et neveu de César; qu'il naquit à Rome l'an 63 avant J.-C., perdit son père de bonne heure, et fut adopté par son oncle. De là le nom de père donné à César. (60) - Ut qui ibi procrearentur voces ad cantandum egregias haberent. La sandaraque prise avec de l'hydromel rend la voix claire, dit Dioscoride. S'il en est ainsi, n'y aurait-il point lieu de croire que les eaux de ces fontaines traversent quelques veines de sandaraque? Mais il peut y avoir dans les dispositions particulières d'un pays, pour rendre la voix des habitants fort agréable, d'autres causes que l'eau des fontaines, dont les musiciens ne sont pas généralement grands amateurs; et en effet, dit Perrault, Vitruve, dans les deux endroits de ce chapitre où il parle de la beauté de la voix, particulière aux voisins de ces fontaines, ne dit point que ceux qui boivent de leurs eaux ont la voix belle; il dit seulement que ce sont ceux qui naissent dans le pays. (61) - Per quarum venas aquae vis percurrens tincta. Théophraste et les anciens pensaient que les eaux s'imprègnent des sucs de la terre qu'elles traversent, comme les fruits de la vigne et des arbres qui ont toujours un goût de terroir. Voyez PLINE, Hist. Nat., liv. XXXI, ch. 29. (62) - Quorum scriptorum hi sunt autores. Vitruve rappelle ici les noms de quelques philosophes grecs : Théophraste est connu par ses Caractères, une Histoire des plantes, un Traité des pierres, etc ; Timée par un Traité sur l'âme du monde, et sur la nature, sur les remèdes tirés des minéraux, etc.; Posidonius par ses traités de la Divination et du Destin, et de la Nature des dieux; Hégésias par ses écrits sur l'agriculture. N'y aurait-il point ici une erreur de nom, et ne faudrait-il point lire Ctésias, dont Pline invoque l'autorité au liv. XXXI, ch. 5, 18, 19, de son Hist. Nat., où il ne fait que répéter la plupart des choses que raconte Vitruve sur la nature des fontaines et des eaux? Hérodote par une histoire que personne n'ignore. Aristide : serait-ce un Aristide de Milet qui, selon Plutarque et d'autres auteurs, a écrit sur les affaires de la Perse, de l'Italie et de la Sicile? Ou bien, n'y aurait-il point encore ici erreur de nom, et ne serait-il point question d'Aristote, qui, dans un livre ayant pour titre Περὶ θαυμασίων ἀκουημάτων embrasse presque toute la matière dont traite ici Vitruve? Ce qui pourrait fortifier cette conjecture, c'est qu'on trouve dans un manuscrit Aristotides, mot qui se rapproche plus d'Aristoteles que d'Aristides. Métrodore : il y a eu plus d'un Métrodore. Celui que nomme Vitruve paraît avoir été de la Phrygie, ou de la Troade. Il a écrit sur la géographie, comme on peut le conjecturer d'après Pline. (63) - Expertiones autem et probationes eorurn sic sunt providendæ. - Voyez PLINE, Hist. Nat., liv. XXXI., ch. 22, et PALLADIUS, Écon. rur., liv. X, ch. 10, pour la manière de faire l'essai d'une eau nouvellement trouvée. (64) - Qua membratura sint. Cette considération est la plus importante et la plus sûre, dit Perrault; les autres signes de la qualité des eaux sont plus équivoques. Ce n'est pas à dire que d'autres causes provenant de l'air, des fruits de la terre, des autres qualités d'un lieu, ne puissent quelquefois compenser les bonnes ou mauvaises qualités des eaux ; mais tous les autres signes sont absolument incertains. Sans l'expérience, ou du moins sans un examen bien exact et bien particulier des causes qui peuvent rendre les eaux bonnes ou mauvaises, telles que sont les qualités des terres à travers lesquelles elles passent, et le mélange des différents sels qu'elles en reçoivent. Car il paraît, par ce qui a été dit dans le chapitre précédent, que la limpidité, le bon goût, la bonne odeur de l'eau, ne sont point des marques certaines de sa bonté, puisqu'il s'en trouve dont la boisson est mortelle avec tous ces signes de salubrité, tandis qu'il y a des eaux troubles, limoneuses, d'odeur et de goût désagréables, qu'on boit sans en éprouver d'incommodité. Ainsi, les eaux du Nil qui sont si troubles sont mises au rang des bonnes eaux, quand elles sont filtrées. Perrault ajoute beaucoup d'autres choses qu'il est inutile de répéter ici, parce qu'elles ne sont pas absolument vraies, et qu'elles ne s'accordent pas avec les connaissances acquises depuis son temps. (65) - Qui circa eos fontes habitant. Vitruve nous a dit au ch. 4 du liv. I, que c'était en examinant l'intérieur des animaux tués pour les sacrifices, que les anciens jugeaient si l'air, l'eau et les pâturages étaient sains ou malsains. Il veut ici, d'après les mêmes principes, qu'on examine le tempérament des hommes qui habitent un endroit, pour juger de la qualité des eaux, puisque, comme il le dit dans le chap. 3 de ce livre, l'eau qu'on boit influe beaucoup sur la santé. (66) - Et in vas Corinthium. On sait combien le cuivre de Corinthe était estimé des anciens. Plusieurs passages de Pline le Naturaliste nous font connaître que le métal de Corinthe était un composé d'or, d'argent et d'airain. Voyez les liv. IX, eh. 65; liv. XXXIV, ch. 3 ; liv. XXXVII, ch. 12. Le nom de Corinthe fut donné à ce métal, raconte Florus (liv. II, ch. 16), parce que, lors de l'incendie de cette ville, il fut formé du mélange de statues et de simulacres sans nombre, mis en fusion par le feu, et coulant eu ruisseaux d'airain, d'or et d'argent. L'airain de Corinthe s'oxydait difficilement. Il y a cette différence entre les âmes grossières et celles qui ne le sont pas, dit Cicéron (Tusculanes, liv. IV, ch. i4), que celles-ci, semblables à l'airain de Corinthe qui a de le peine à s'oxyder, ne deviennent que difficilement malades, et se rétablissent fort vite. (67) - Cujus ratio est prima perlibratio. Prendre le niveau de l'eau, c'est établir la différence de hauteur qu'il y a entre le lieu d'où l'eau part et celui où elle doit s'arrêter, soit qu'on emploie des lignes droites ou des lignes obliques. (68) - Libratur autem dioptris. Nous n'avons point en français de mot qui traduise dioptra. Si nous nous servons du mot dioptre, c'est pour simplifier la traduction : car le dioptre est un instrument qui sert en chirurgie. Qu'il nous suffise de savoir que le mot dioptra, formé des mots grecs διά (à travers) et ὄπτομαι (regarder), signifie en général toute sorte d'instrument où il y a des pinnules, comme sont l'astrolabe, le carré géométrique, le bâton de Jacob et particulièrement l'alidade.
(69) - Aut libris aquariis. Galiani a traduit libra aquaria par niveau d'eau; j'ai adopté sa traduction, bien que le niveau d'eau ne ressemble pas à celui que nous nommons ainsi aujourd'hui ; et, comme le dit de Bioul, les nouveaux instruments dont on a introduit l'usage, sont cause que nous ne sommes pas assurés de ceux dont se servaient les anciens. Par libra aquaria on ne devait point désigner un niveau où l'eau était employée, puisque Vitruve parle du chorobate, où on l'employait comme d'un instrument différent de celui-ci; on entendait sans nul doute un instrument qui servait à prendre le niveau de l'eau, tel que celui-ci (fig. 95). Il est suspendu par un anneau a, et reste parfaitement en équilibre, à cause du poids qui est en bas e; la règle mn indique conséquemment le niveau. Cet instrument est encore, du reste, en usage aujourd'hui. (70) - Chorobates. La figure du chorobate est perdue avec toutes celles que Vitruve avait mises dans son livre ; mais d'après la description qu'il en fait, on ne peut douter qu'elle ne soit, à très peu de chose près, telle que l'ont représentée tous les traducteurs et commentateurs de Vitruve. Galiani a ajouté deux pinnules dont il n'est point parlé dans le texte, ce que je regarde comme chose tout à fait de luxe. La figure de Newton, avec ses légères modifications, me paraît préférable à celles des auteurs qui s'en sont occupés, plus appropriée à l'usage auquel elle est destinée, plus conforme aux paroles de l'auteur. Si l'on suppose que cette règle aa (fig. 96), à laquelle on assigne la longueur de vingt pieds, soit mince et légère, elle sera sujette à se tordre et à se courber; si, au contraire, on suppose qu'elle ait l'épaisseur et la solidité nécessaires, la machine sera si pesante, surtout si, au dessous de cette première règle, et parallèlement, on en place une autre cc de même volume, qu'on aura peine à la mouvoir et à la transporter. Perrault fait remarquer que Vitruve recommande de fixer des traverses avec tenons et mortaises, entre la règle an et les pièces coudées ae, ae, tandis que, absolument et simplement, il n'y a rien entre elles, puisqu'elles sont jointes ensemble. Mais la préposition inter est quelquefois employée par Vitruve pour indiquer l'espace terminé par les pièces dont ou a parlé auparavant. Le sens est donc que les traverses doivent être placées dans l'espace qui se trouve entre la règle et les pièces coudées, partant du point de cette règle u, pour aller se joindre au point v des pièces coudées. Ces traverses seront donc uv, uv, au lieu d'être comme dans les autres figures cc. Elles présentent cet avantage immense, que les pièces coudées sont constamment à angle droit avec la règle qui, soutenue par elles, ne fléchira point au milieu ; que, par cela même, la règle pourra être moins forte, sera seule, et que l'instrument étant beaucoup plus léger, sera d'un transport beaucoup plus facile. (71) - Sin autem ventus interpellaverit. Bien que le chorobate soit un instrument auquel on doive se fier pour avoir un niveau assez juste, soit qu'on s'en serve avec les plombs rr, ou avec l'eau du canal nn; bien que l'inconvénient qui pourrait résulter de la courbe que fait la superficie de l'eau, ne doive pas être compté, parce que, dans le court espace de cinq pieds, cette courbe est insensible, ce qu'Archimède lui-même a très bien remarqué, le niveau dont nous nous servons aujourd'hui est préférable, composé comme il l'est, d'un tube de fer-blanc, aux extrémités duquel s'élèvent perpendiculairement deux fioles de verre. Ce tube est soutenu dans le milieu par deux liens de fer et par une douille. L'eau qu'on met dans cette machine communique d'une fiole à l'autre par le tube. En plaçant l'oeil contre l'une des fioles. à la hauteur de l'eau, on trouve le niveau, en apercevant la hauteur de l'eau dans l'autre fiole. Ce moyen n'est pas sujet à induire en erreur, comme le chorobate et les autres instruments dont parle Vitruve. (72) - Ductus autem
aquae. Quoique le mot aqueduc, d'après son étymologie, paraisse
s'appliquer à tout ouvrage destiné à la conduite des eaux, cependant il ne
s'applique généralement qu'à ceux de ces ouvrages qui sont exécutés en
maçonnerie. Les plus anciennes et les plus remarquables constructions de ce
genre que nous connaissions, sont celles des Romains. Il semble, en effet, que
la rapide et prodigieuse extension de la ville de Rome, ainsi que les
richesses énormes qui s'y concentrèrent, ont dû former, par leur réunion,
les conditions les plus favorables qui se fussent encore vues dans aucun lieu
pour l'établissement des aqueducs. Aussi les Romains en ont-ils élevé un
grand nombre, et ils leur ont donné une solidité telle, que ni les injures
du temps, ni celles des hommes, n'ont pu les faire disparaître entièrement.
Encore aujourd'hui, ces grandes constructions nous frappent d'admiration par
l'imposante majesté de leurs ruines, et embellissent maintenant les contrées
qu'elles fertilisaient jadis. Mais c'est surtout dans les environs de
l'ancienne métropole qu'on les retrouve nombreuses et pittoresques; et c'est
un beau spectacle que celui de cette vaste et inculte campagne de Rome,
sillonnée par d'innombrables lignes d'arcades, qui se croisent dans tous les
sens, enjambent par-dessus les voies, les tombeaux et les temples ruinés, et
vont se perdre dans les montagnes de Tivoli et d'Albano. L'aqueduc de l'eau Appia a 11.190 pas romains. -Total des lougueurs ............ 272,709 pas romains. Ce qui fait plus de 91 lieues, de 25 au degré. Les trois quarts de cette longueur étaient en conduits souterrains voûtés, et pour le surplus, environ un tiers, ou 7 lieues, était en arcades, et le reste en substructions Le volume d'eau qu'ils fournissaient était de 44,018 quinaires (mesure
romaine), ce qui équivaut, d'après l'estimation de M. de Prony, à 787,000
mètres cubes par vingt-quatre heures; et encore Frontin, dans son précieux
ouvrage sur les Aqueducs de Rome, évalue-t-il à 23,582 quinaires, ou
1.320.592 mètres cubes, la quantité d'eau qu'on aurait pu obtenir dans le
même temps, en s'opposant aux déperditions qui avaient lieu, soit par fraude,
soit par négligence, soit peut-être aussi par suite de vices de construction
ou de tracé. (73) - Fiant generibus tribus. Palladius (Écon. rur., liv. lx, ch. 11) ajoute une quatrième manière de conduire les eaux ; ce sont les canaux de bois : « Quand il s'agit de conduire l'eau, dit-il, d'un lieu dans un autre, on a recours à un canal construit en maçonnerie, ou à des tuyaux de plomb, ou à des canaux de bois, ou enfin à des tuyaux de terre cuite. » Les canaux de bois peuvent assurément être d'un grand usage, si l'on fait choix d'une matière qui ne pourrisse pas facilement et qui ne contienne pas de sucs, dont le mélange avec les eaux pourrait les corrompre. Il ne faudrait point, par exemple, les employer pour les eaux thermales, dont le goût, la couleur ou les autres qualités ne manqueraient pas de se ressentir de l'action qu'elles auraient sur le bois. Quant aux eaux douces des fontaines et des fleuves, les canaux de bois sont excellents, comme le prouve l'usage multiplié qu'on en fait à Londres. (74) - Solumque
rivi libramenta habeat fastigata ne minus in centenos pedes semipede.
Nous trouvons dans Pline (Hist. Nat., liv. XXXI, ch. 31) :
« Libramentum aquæ in centenos pedes sicilici minimum erit. » Il est
bien extraordinaire que Pline, qui suit constamment Vitruve, prescrive une
pente vingt-quatre fois moindre que celle que prescrit Vitruve, qui encore
prend l'inclinaison la moins forte; je ne doute pas que semipede
n'ait été changé en sicilici.
« Si planum veniet, dit
Palladius (Econ. rur., liv. XI, ch. 11), inter
centenos vel sexagenos pedes, sensim recli netur structura in sesquipedem, ut
vim possit habere currendi. » (75) - Quumque venerit ad moenia, efficiatur castellum. Quand l'eau était parvenue au mur de la ville, les Romains construisaient en cet endroit, pour la recevoir, une espèce d'édifice que Vitruve appelle castellum, et que Perrault nomme à tort regard, puisque par ce mot nous entendons un jour ménagé sur les aqueducs pour s'assurer des réparations qu'il est nécessaire d'y faire; et c'est dans ce sens qu'à la page 268, Vitruve emploie aussi le mot castellum, lorsqu'il dit : « Item inter actus ducentos non est inutile castella collocari, ut si quando vitium aliquis locus fecerit, non totum omneque opus contundatur, et in quibus lacis sit factum, facilius inveniatur. » Dans le passage qui fait l'objet de cette note, castellum signifie un édifice qui contient un bassin élevé aa (fig. 97), destiné à recevoir l'eau qu'y amènent les aqueducs.
C'était contre ce bassin qu'on construisait trois reservoirs eio, deux sur les côtés; ils étaient plus élevés que le troisième, qui se trouvait au milieu. Les robinets 1, 2, 3, versent l'eau du bassina dans les trois réservoirs eio, et les deux autres robinets marqués 4, 5, jettent dans le réservoir du milieu l'eau qui surabonde dans les deux réservoirs latéraux, dont le premier envoie l'eau dans les bains par le tuyau u, et l'autre dans les maisons particulières par le tuyau n; celui du milieu l'envoie aux lavoirs et aux fontaines jaillissantes par le tuyau m. Tels étaient les bassins, les réservoirs principaux qu'on faisait pour chaque aqueduc, contre les murs de la ville. Celui de 'l’aqua Claudia, dit de Bioul, existe encore à Rome, près de la porte Majeure. Mais, comme nous l'apprend Frontin, il se trouvait, dans l'intérieur même de la ville, plusieurs bassins particuliers qui servaient pour subdiviser l'eau distribuée par les trois premiers tuyaux umn. (76) - Aequaliter divisae. Ai-je eu tort de donner au mot æqualiter la signification de sur la même ligne (trois robinets seront disposés sur la même ligne), quand Perrault et de Bioul ont traduit par également (distribueront également l'eau) ? Ce qui m'a fait adopter ce sens, c'est ce passage de Frontin (ch. CXIII) : « Quant à la manière de placer les calices, il faut observer qu'ils soient rangés sur la même ligne (ut ad lineam ordinentur), et que l'un ne soit pas plus bas et l'autre plus haut : car le plus bas débite plus d'eau, et le plus haut en fournit moins, parce que le cours de l'eau se précipite avec plus de force dans le tuyau inférieur. Or, le calice était un module de bronze adapté au conduit ou au château d'eau, pour recevoir les tuyaux de distribution; sa longueur ne devait pas être de moins de douze doigts; avec ce métal difficile à ployer, on n'avait pas à craindre que les orifices du module fussent élargis ou resserrés par fraude. (77) - Lacus. Ce mot se retrouve souvent dans Frontin. C'étaient des réservoirs publics où le petit peuple de Rome allait laver son linge, ou satisfaire à d'autres nécessités. Il s'y baignait aussi. Les foulons, les corroyeurs y lavaient leurs draps et leurs cuirs. Ils servaient à l'irrigation des jardins. Parmi les nombreux avantages qu'on retirait de ces réservoirs, Frontin ne place pas le dernier celui qu'ils procuraient à la ville, en faisant disparaître toutes ces causes d'insalubrité, toutes ces exhalaisons impures qui viciaient perpétuellement l'air d'une ville chez les anciens. (78) - Et salientes. Le bout des tuyaux, quand l'eau devait continuellement couler, était muni d'un ajutage appelé mastus, c'est-à-dire mamma (mamelle). Varron (Econ. rur., liv. XIV, ch. 3) le nomme papilla (bouton de la mamelle), ou, selon quelques éditions, mamilla (petite mamelle ), et Cassiodore, uber (téton). Quelquefois, en place d'ajutages, on sculptait des têtes de lion, usage venu d'Égypte, selon Plutarque (quest. 5 du liv. IV des Symposiaques). « Les Égyptiens, dit-il, terminent les tuyaux de leurs fontaines par des têtes de lion, parce que le Nil inonde leurs campagnes, lorsque le soleil est dans le signe du Lion. » Et Sidoine Apollinaire leur donne le nom de liones. On peut les fermer et les ouvrir à volonté, à l'aide de robinets qui, quand on en tourne la clef, donnent passage à l'eau par les narines qui se referment par un mouvement contraire de la même clef.' (79) - Ex tertio in domos privatas. - Voyez FRONTIN, ch. XCIV. Il se faisait des concessions de ces eaux tombantes (aquae caducae), dit-il plus loin ; mais c'était une faveur rarement accordée, à cause des fraudes auxquelles donnait lieu cette distribution. Voyez les ch. CX et CXI. Voyez encore le ch. XCVII. (80) - Uti specus fodiantur sub terra. Ces specus subterranei étaient des conduits souterrains pratiqués pour l'écoulement des eaux (ULPIEN, Pandect., liv. XLIII, De rivis). Cette interprétation vaut mieux que celle qu'il donne lui-même, lorsque, au même chapitre, expliquant les paroles d'un préteur, il dit que le mot specus désigne un lieu d'où l'on abaisse les regards, mot qui aurait donné spectacula. (81) - In suo sibi canalis excidatur. Cette expression in suo sibi se rencontre assez souvent dans Plaute, Térence, Apulée, Columelle et Aulu-Gelle.
(82) - Puteique
ita sint facti, ut inter duos sint actus.
Philander, Stratico, Barbaro et Baldi entendent par putei
des soupiraux qui doivent être faits d'espace en espace dans les aqueducs; mais
ils n'ont pas remarqué, dit Perrault, que l'espace de cent vingt pieds romains
(environ 35 mètres) que contenait l'actus,
est bien moins que 195 mètres; que cet espace est fort court, puisqu'il
suivrait delà qu'il faudrait cent puits par chaque lieue d'aqueduc : de sorte
qu'il y a apparence qu'après le mot actus il y avait un nombre, et qu'il faut
lire sint actus II,
c'est-à-dire qu'entre chaque puits il y avait 78 mètres : car il n'est pas
nécessaire de faire tant d'ouvertures, quand il ne s'agit que de donner de
l'air aux aqueducs. Si, près de Versailles, à l'aqueduc de Roquencour qui est
de plus de 1950 mètres, les puits, qui ont 42 mètres de profondeur, ne sont
qu'à 39 mètres l'un de l'autre, c'est que ces puits n'ont pas été faits,
tant pour donner de l'air, que pour faciliter le service de cet édifice qui
perce une montagne composée en entier de sables mouvants. (83). - Sin
autem fistulis plumbeis ducetur. Outre
Pline le Naturaliste, Frontin et Palladius, le jurisconsulte Paul (Pandectes,
liv. XXXIX, De aqua pluvia arcenda) écrit que c'était un usage de
conduire l'eau par des tuyaux. Stace a dit au premier livre des Silves, silv.
III, v. 66 : (84) - Fistulae ne minus longe pedum denum fundantur. Les tubes devaient donc être longs de dix pieds. Pline et Palladius leur assignent la même longueur. Les anciens indiquaient les divers calibres des tuyaux par le nombre de doigts que contenait la largeur de la lame de plomb avant d'avoir reçu la forme circulaire, c'est-à-dire par l'étendue de sa circonférence. On sait que la circonférence est égale à trois diamètres, plus une septième partie du diamètre, c'est-à-dire que la circonférence est au diamètre comme 22 est à 7; il est donc facile, d'après le nombre de doigts que Vitruve assigne à la circonférence de chaque espèce de tuyaux, de connaître leur diamètre. Ainsi les lames ont :
Nous lisons dans Frontin (ch. XXXVIII et suivants) que le doigt était la quantité qui servait à régler la proportion qui se trouvait entre les mesures qu'on employait pour l'eau; mais que c'était k diamètre, qu'on divisait en plusieurs doigts et non la circonférence. Il ajoute (ch. XXV) qu'Agrippa, et, suivant d'autres, Vitruve, introduisit l'usage de mesurer l'eau d'après un certain module appelé quinarius. Ceux qui en attribuent l'invention à Agrippa, disent qu'on appelle ce module quinarius, parce qu'il était divisé en cinq modules très petits qui n'étaient pas plus gros qu'un tuyau de plume; que c'était d'après ce petit module qu'on distribuait l'eau à Rome, lorsqu'elle y était encore rare, avant qu'on y eût introduit les fontaines dont nous avons parlé. Ceux, au contraire, qui font Vitruve auteur de cette espèce de mesure. disent qu'on l'appelait ainsi parce qu'elle contenait la largeur de cinq doigts, qui est celle que Vitruve assigne à la plus petite des lames de plomb dont on devait former les tuyaux. D'après cette dernière réflexion, Galiani est porté à croire que c'est plutôt Vitruve qu'Agrippa qui a introduit l'usage du module quinaire. (85) - Octonum pondo XCVI. Dans Pline (Hist. Nat., liv. XXXI, ch. 31), qui emprunte presque mot pour mot tout ce passage à Vitruve, on a mis à tort pondo centena, au lieu de pondo XCVI. Le ch. 12 du liv. IX de Palladius est entièrement copié de Vitruve. (86) - In declinato loco cursus dirigentur. La disposition du terrain peut donc donner lieu à trois manières différentes de conduire les eaux : 1° lorsque l'eau doit être conduite d'un lieu à un autre sans qu'il y ait de montagne ni de vallée intermédiaire ; dans ce cas, l'aqueduc doit être mené directement, avec de petites excavations, s'il se présente quelque légère éminence, avec de petites substructions, s'il se présente quelque légère dépression de terrain; 2° lorsque la conduite d'eau est interrompue par une montagne de formation rocheuse, il faut alors faire faire à l'eau un circuit autour de la montagne, s'il ne doit pas être trop long; 3° si une vallée profonde vient à se rencontrer, pour éviter, dans ce cas, les constructions à simple, double et triple rang d'arcades, Vitruve, Frontin et Palladius nous apprennent le moyen de faire descendre les eaux au fond de la vallée, à l'aide de tubes, et de les faire remonter de la même manière du côté opposé, en évitant toutefois les détours trop brusques, les angles trop aigus. Vitruve exige donc qu'on ne fasse pas remonter tout de suite l'eau qu'on aura conduite par des tuyaux au fond d'une vallée, parce que l'angle ou le coude ne pourrait résister au choc de l'eau; il veut qu'auparavant on la conduise à peu près horizontalement dans un certain espace, c'est ce qu'il appelle un ventre. Un des grands avantages qu'offrent les tuyaux pour la conduite des eaux, c'est qu'une fois qu'elles y sont renfermées, on peut les faire descendre, les faire monter à volonté ; ce qui n'est pas possible avec des aqueducs, qu'il faut toujours maintenir de niveau ou en pente, tellement que, quand ils doivent traverser une vallée, il n'y a pas d'autre moyen que de les faire porter par des arcades. (87) - Etiam in ventre columnaria sunt facienda. Les mots putei, columnaria, columbaria, désignent tous des ouvertures destinées au même usage, c'est-à-dire à l'immission de l'air dans les tuyaux, pour que l'eau puisse en recevoir l'impression, ou à l'échappée des vents qui s'engendrent dans les tuyaux. Vitruve a appelé d'abord des soupiraux putei, parce qu'ils sont enfoncés dans la terre en forme de puits jusqu'à l'aqueduc qui forme une voûte souterraine. Ici il les nomme columnaria, parce que, suivant Baldi et Philander, il faut enter des bouts de tuyaux s'élevant comme des colonnes, sur ceux qui sont dans des lieux bas, ou élever sur l'aqueduc qui doit être porté sur des arcades, de petites tours qui ressemblent en effet à des colonnes. Quelques-uns, comme Laët, lisent columbaria, mot qui signifie les boulins où les pigeons font leurs nids; et ils croient que Vitruve a entendu par là les trous des robinets par lesquels on doit donner de l'air aux tuyaux, et les décharger quand besoin est. Joconde a corrigé pour mettre colluviaria (égout, cloaque); cette expression nie paraît tout à fait contraire à l'idée de Vitruve. (88) - Expressus. Par ce mot, Vitruve indique la partie de l'aqueduc dans laquelle l'eau monte, pressée par le poids de celle qui descend. C'est une sottise de dire que les anciens ont ignoré que l'eau montait dans un tube à la hauteur d'où elle était descendue par des tubes communiquant avec les premiers, et que c'est pourquoi ils ont construit à tant de frais des aqueducs, quand ils auraient pu, avec des tuyaux, arriver si facilement au même but. Ce passage prouve clairement que les anciens connaissaient la loi de l'équilibre pour les fluides; s'ils faisaient des aqueducs, c'est qu'avant tout ils voulaient avoir des eaux saines; c'est que, comme le dit Vitruve, les tubes de plomb étaient dangereux pour la santé; mais ils ne pouvaient pas toujours, surtout dans des espaces de plusieurs milles, les remplacer par des tuyaux en poterie. (89) - Ut hi tubuli ex una parte sint lingulati. Pline (Hist. Nat., liv. XXXI, ch. 31) s'est servi pour exprimer la même idée des mots commissuris pyxidatis, c'est-à-dire les extrémités des tubes étant faites de manière qu'elles puissent s'emboîter l'une dans l'autre, ce qui se trouve ainsi expliqué dans Palladius (liv. IX, ch. II) : Ex una parte reddantur angusti, ut palmi spatio unus in alterum possit intrare. (90) - Saxi rubri. Il est probable que cette pierre rouge que Vitruve veut qu'on emploie pour former les coudes, lorsqu'on se sert de tuyaux de terre cuite, est cette terre pétrifiée, ou tuf, dont la couleur est quelquefois d'un noir grisâtre, et quelquefois rosacée, qui se trouve en abondance aux environs de Rome ; ou, comme le soupçonne Galiani, cette autre pierre d'une couleur rouge de feu qui se trouve dans les environs de Sienne, et qui est aussi dure que la pierre de touche.
(91)
- Aut pondere saburrae contineatur.
- Saburra signifie le lest,
c'est-à-dire cette charge de gros sable qu'on met au fond de la cale d'un
navire pour le tenir en estive.
(92)
- Item quum primo aqua a capite
immittitur, ante favilla immittetur. - Voyez PALLADIUS, Écon. rur.,
liv. IX, ch. 11. Le mot favilla
désigne proprement cette cendre rouge qui enveloppe un charbon qui s'éteint.
Virgile a dit (Én., liv. VI, v. 226) :
(93)
- Aerisque spiritus immunes.
Cet inconvénient, connu de temps immémorial dans les mines, a été
neutralisé par la lampe de sûreté inventée par Davy. (94) - Et ibi homines offendunt fodientes. - Payez PALLADIUS, Econ. rur, liv. IX, ch. 9; et PLINE, Hist. Nat., liv. XXXI, ch. 28.
(95)
- Tune signinis operibus.
Ces mots, également employés par Palladius, ne signifient pas proprement une
citerne, ils désignent cette espèce d'ouvrage fait avec des cailloux, qu'on
appelle en Italie smalte.
Galiani est étonné de ce que Vitruve n'indique ici qu'une seule couche de
chaux et de cailloux concassés pour l'enduit des citernes, quand, au ch. 1er du
liv. VII, il en exige beaucoup plus pour le pavé des maisons ; il croit que
Vitruve n'a voulu parler que de la première couche, et qu'il a négligé de
parler des autres. Palladius (liv. 1er, ch. 17) entre dans quelques détails qui
viennent compléter ce que dit Vitruve ; j'y renvoie le lecteur. (96) - Ne gravius quam librarium. C'est-à-dire du poids d'une livre. Vitruve a déjà dit (liv. VII, ch. 8) lapidis centenarii (pierre du poids de cent livres). Columelle dit aussi (Écon. rur., liv. XII, ch. 55) : Caro in libraria frusta conciditur (on coupe la chair en morceaux d'une livre), et (liv. III, ch. 15 ) : qui singuli non excedunt quinquelibrale pondus (dont chacun n'excède pas le poids de cinq livres).
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